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À propos de Jacques Lacan

La période anniversaire de la mort du psychanalyste


décédé en 1981 aura été fertile puisque, en un peu
moins de deux ans, de nombreux ouvrages sont parus.
Certes, bibliographies, études et commentaires n’ont
cessé de foisonner mais la dispersion évidente des disciples
en de multiples écoles ou chapelles ne rend pas aisé
l’accès à l’ensemble de l’œuvre.
Nous avons retenu quatre de ces ouvrages récents parce
qu’ils nous ont semblé susceptibles de rouvrir le champ
des connaissances et de relancer le débat sur un parcours
complexe et la diversité considérable des champs qu’il
concerne.
La connaissance de la pensée de Lacan et des débats
qu’il a suscités, et suscite encore, est une indispensable
préparation pour aborder ce qui fait retour dans la crise
de la psychanalyse aujourd’hui, confrontée à une
conception scientifique désymbolisante et à des visions
normatives. C’est l’utilité du livre de Markos Zafiropoulos,
qui s’attache à la place de Lacan dans les sciences sociales
et à sa relation avec elles.
Éric Porge se consacre pour sa part au parcours d’un
enseignement en dressant le portrait précis et documenté
d’un Lacan habité en permanence par la passion de
transmettre.
Le troisième ouvrage peut paraître s’éloigner du sujet
dans la mesure où René Lavendhomme traite du rapport
entre psychanalyse et mathématiques. Il n’en est que
plus intéressant de chercher à comprendre pourquoi
un mathématicien a voulu se placer dans une filiation
lacanienne.
Jacques-Alain Miller enfin, qui fut le gendre et est
l’exécuteur testamentaire de Lacan, livre six lettres
à une opinion qu’il veut considérer comme éclairée.
Il s’attache à l’objectif particulièrement ambitieux
de faire « l’éducation freudienne du peuple français »
et sans doute de regagner une partie du terrain
médiatique perdu. Des lettres qui nous en apprennent
quelquefois plus sur leur auteur que sur leur sujet.

154 ● MOUVEMENTS N°23 septembre-octobre 2002


À propos de Jacques Lacan

MARKOS ZAFIROPOULOS familiale. Trois complexes


Lacan et les sciences fonctionnent comme des orga-
sociales nisateurs psychiques : le com-
Presses universitaires de France, plexe de sevrage, le complexe
2001, 257 p., 23 €. d’intrusion et le complexe
œdipien. Le premier naît de la
nostalgie de la mère, dont l’ab-
sence de sublimation risque de

L e déclin de la fonction
paternelle, élargi au désin-
vestissement des institutions,
favoriser la mort fusionnelle
qui traverse le suicide, l’ano-
rexie et la toxicomanie. Le
est au cœur des réflexions deuxième est associé au stade
sociologiques et psychanaly- du miroir qui permet de sortir
tiques actuelles. Il se retrouve du sevrage par la découverte
dans la description qui est faite d’Autrui et l’émergence de la
des « nouvelles pathologies nar- différence symbolique ; le
cissiques » avec l’augmentation masochisme se dédouble par
du nombre des suicides et la l’identification au frère et son
place prise par les souffrances meurtre sadique. Mais cette
psychiques comme l’anorexie, démarche nécessite, pour ne
les dépressions, les états limites pas rester capturée par l’image,
et les toxicomanies. « L’ère du un groupe familial au complet,
vide » et le retour à Dieu en c’est-à-dire doté d’un père qui
seraient une des expressions ouvre à la socialisation vers le
sociétales. complexe d’Œdipe. Le père est
Markos Zafiropoulos montre donc le prototype de la répres-
l’archéologie de cette pensée à sion œdipienne. Cette position
travers l’évolution des rapports relativise la dimension univer-
de Jacques Lacan avec les selle de l’œdipe en transfor-
sciences sociales. Elle repose mant le père freudien « pro-
sur la thèse du déclin de la ducteur de social » en un père
famille patriarcale, enjeu d’inter- de famille toujours susceptible
prétation du « complexe pater- d’effondrement. De même
nel » qui soutient toute l’anthro- Lacan critique la théorie du
pologie psychanalytique, et narcissisme originaire de Freud
apparaît comme une résistance en mettant en avant le registre
à l’acceptation de la théorie du de l’image au stade du miroir.
meurtre du père originaire, fon- Avec son travail sur la morbi-
datrice chez Freud de l’inven- dité du Surmoi chez les psycho-
tion même des règles sociales pathes de 1950, Lacan découvre
de droit. Lacan reprend cette des tensions relationnelles qui
thèse dans son article de 1938, valent pour toutes les sociétés :
Les complexes familiaux, et le Surmoi est un opérateur uni-
s’inscrit par là même dans la versel qui entrave l’activité du
filiation de Durkheim et Mauss sujet par un emprisonnement
pour qui le déclin est lié à la narcissique, laissant entrevoir la
contraction de la famille pater- prévalence de l’imago maternel
nelle, entraînant une perte de là où Freud situe l’idéalisation
conscience collective retrouvée du père. Il développe une cli-
dans le suicide anomique nique de la psychopathie dont
le noyau est la position asociale
Trois complexes du groupe familial, isolée et iso-
organisateurs lante, pauvre en échanges sym-
Ce Lacan durkheimien décrit boliques et démunie face aux
un sujet inconscient dépendant exigences de la socialisation.
des conditions de production Zafiropoulos en conclut : « la

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LIVRES

Le registre père plus distingué ne fait ERIK PORGE


qu’exprimer chez l’enfant la Jacques Lacan,
symbolique nostalgie des temps heureux et un psychanalyste.
révolus où son père lui est Parcours d’un
est disjoint apparu comme l’homme le enseignement
plus distingué et le plus fort… Erès, 2000, 364 p., 25,6 €.
de l’imaginaire La surestimation des toutes
et du réel et passe premières années de l’enfance
reprend donc pleinement ses
par une alliance
avec la parole.
droits dans les fantasmes…
subsiste donc aussi dans le
rêve de l’adulte normal. »
D epuis la mort de Jacques
Lacan en 1981, l’écrit est le
principal mode d’accès à son
Par cette étude minutieuse, œuvre. Bibliographies, études
Zafiropoulos explicite le travail et commentaires sur ses textes,
de Lacan sur le lien social. La biographies foisonnent. Cette
● période durkheimienne du transmission est cependant
déclin de l’imago paternel n’est contrariée par la dispersion des
cependant pas close ; elle réap- lacaniens et la difficulté d’accès
puissance captatrice du groupe paraît sous formes de traces à l’ensemble de l’œuvre.
familial est d’autant plus forte dans la littérature psychanaly- Erik Porge, psychanalyste, fut
que sa puissance sociale s’affai- tique actuelle. Elle annonce une membre de l’École freudienne
blit ». Le Lacan de 1950 consi- suite à partir des recherches de Paris jusqu’à sa dissolution.
dère que le Surmoi anticipe historiques et ethnologiques Il est aujourd’hui directeur de
l’Œdipe, alors que pour Freud contemporaines et de l’évolu- la revue Essaim. Son dernier
il est un héritage de l’Œdipe et tion de la théorie du père chez ouvrage se situe dans la conti-
du parricide originel, et de cette Lacan en s’appuyant sur Lévi- nuité de ses précédentes
position il affirme que seule la Strauss dont nous pouvons études sur l’œuvre de Lacan1. Il
psychanalyse est habilitée à citer ce propos sur la famille agrandit et enrichit la famille de
rendre compte du passage conjugale : « le genre de famille ses prédécesseurs2, en nous
entre nature et culture par le caractérisé, dans les sociétés offrant une vision d’ensemble
Surmoi. contemporaines, par le mariage de l’œuvre nouant clinique,
monogamique, la résidence théorie et politique lacanienne.
L’affirmation indépendante des jeunes Erik Porge, nous dresse le por-
du symbolique époux, des rapports affectifs trait d’un Lacan, habité par la
La rencontre avec Lévi-Strauss entre parents et enfants… passion de transmettre et le
va introduire la fonction du existe nettement aussi dans des souci de formalisation. L’acte
langage et le champ de la sociétés restées ou revenues à de fondation de l’École freu-
parole. Lacan donne congé à un niveau culturel que nous dienne de Paris (EFP) en est le
Durkheim dans Le mythe indi- jugeons rudimentaires ». meilleur témoin. En son sein, la
viduel du névrosé (1953) : tout L’ouvrage ne peut que nous hiérarchie tentait de s’effacer
père est inférieur à son office préparer à aborder ce qui fait
sur le plan social ; la puissance retour dans la crise de la psy-
1. E. PORGE, Se compter trois.
paternelle et la valeur structu- chanalyse aujourd’hui, confron- Le temps logique de Lacan,
relle de sa fonction tiennent au tée à une conception scienti- Toulouse, Erès, 1989 ; Les noms
registre symbolique, retrouvée fique désymbolisante fondée du père chez Jacques Lacan.
dans le Nom-du-Père. Le sur l’efficience normative et Ponctuations et problématiques,
registre symbolique est disjoint une conception naturaliste du Erès, Toulouse, 1997.
de l’imaginaire et du réel et symptôme : la fonction du père
passe par une alliance avec la et la construction de nouvelles 2. Le travail de J. DOR mérite ici
parole. Le retour à Freud structures symboliques dans le d’être cité : Le père et sa fonction
en psychanalyse, Erès, Toulouse,
s’opère par le détour structural, droit et les rapports sociaux. ●
1998 ; Introduction à la lecture
et le roman familial du névrosé JEAN PIERRE-MARTIN de Lacan. Tome I : l’inconscient
cesse d’être principalement structuré comme un langage.
référé à une étude scientifique Tome II : la structure du sujet,
de la famille : « tout l’effort Denoël, 1999 ; Clinique
pour substituer au père réel un analytique, Denoël, 1994.

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À propos de Jacques Lacan

au profit de l’esprit de midable lecteur de Freud. La Erik Porge


recherche : « L’enseignement de pensée théorique de Lacan
la psychanalyse ne peut se puise aux sources de Freud en examine
transmettre d’un sujet à l’autre prenant pour objet ses cas cli-
que par les voies d’un transfert niques, empruntés notamment la pratique
de travail3 », prélude à l’inven- aux « cinq psychanalyses », véri-
tion d’un nouveau dispositif de table fil rouge à ses avancées.
de Lacan, dont
travail baptisé cartel. Le souci En s’y référant avec insistance il met en relief
de formation est au cœur de la tout au long de son travail, il en
démarche de Lacan qui s’inter- modifie parfois ses commen- l’extraordinaire
roge sur le « devenir analyste », taires et explications au fil de
question ouvrant sur celle de la son élaboration. Il se saisit de singularité.
fin de l’analyse. Sa « proposi- l’œuvre de Freud dont il se fait
tion du 9 octobre 1967 sur le l’interprète pour aboutir à une
psychanalyste de l’école » pré- véritable refonte de celle-ci. Par
sente la procédure de la passe. son « retour à Freud », il recon-

Elle repose sur le témoignage naît sa dette envers le fonda-
indirect de passeurs écoutant teur de la psychanalyse.
un passant (le candidat au titre adressée à l’analyste, qui
d’analyste de l’école) et rappor- Lacan, lecteur de Freud entend l’énonciation derrière
tant ses dires à un jury. Il s’agit Erik Porge examine la pratique l’énoncé. Les structures se rap-
avec ce dispositif d’une tenta- de Lacan, dont il met en relief portent donc à des modalités
tive de formaliser le devenir l’extraordinaire singularité, à de transfert5 ». Lacan, pour éta-
analyste. Cette proposition partir d’une triple assise : en blir ces repères, a pris appui
« articule la théorie de la fin de premier lieu, écrits et sémi- sur ses lectures de divers
l’analyse et celle de l’acte, à la naires reflètent son approche auteurs, Freud en premier lieu,
garantie d’une procédure col- clinique et théorique. Dans ses devenant ainsi lecteur de la
lective de reconnaissance du études concernant les rapports lettre de l’Autre : « En s’appro-
désir de l’analyste. Elle est une des auteurs à leurs textes, priant les cas de Freud, il se
véritable proposition d’école en Lacan noue des liens entre le laisse porter par eux. En ce fai-
ceci qu’elle articule la lettre (la sujet, la lettre et le symptôme sant porteur de la lettre de
théorie) et l’expérience, l’indi- pour définir le cas en structure, Freud, il accepte de se laisser
viduel et le collectif, le privé et éclairant la relation du sujet au modifier par elle6 ».
le public4 ». La proposition, en désir de l’Autre. Il détermine La présentation de malades, si
établissant une passerelle entre ainsi les structures cliniques en chère à Lacan, constitue la
l’intérieur et l’extérieur, illustre fonction des symptômes et de deuxième dimension éclairant
l’un des « chevaux de bataille » la personnalité du sujet, sans sa pratique clinique. Erik Porge
de Lacan, à savoir la lutte effacer l’histoire et la singularité souligne la nouveauté d’esprit
contre l’extraterritorialité de la de chaque cas, ni interdire qui anime ces présentations,
psychanalyse. Il a en effet tou- l’évolution et le changement. dont le public était convié à
jours fréquenté et dialogué Ces structures permettent l’éta- une présence active bien que
avec des acteurs hors champ blissement d’une classification muette. C’est par cette position
psychanalytique, philosophes, en rien superposable à celle de tierce conjuguant extériorité et
artistes, mathématiciens, reli- la nosographie psychiatrique. participation que l’assistance
gieux dans un esprit de Celle-ci s’attèle à définir des « peut entendre ce qui est dit
confrontation et d’enrichisse- déviations pathologiques par au-delà même de ce que l’ana-
ment mutuels. Erik Porge nous rapport à une « normalité » pen- lyste qui interroge peut
rappelle que Lacan fut un for- dant que les structures dénon- entendre […], du fait même
cent la suprématie du désir sur qu’il est impliqué dans la pré-
3. E. PORGE, Jacques Lacan…,
la norme sociale : « puisque ces sentation7 ». Grâce à des
op. cit., p. 301. structures sont celles du rap- exemples tirés de ses notes,
port au désir de l’Autre, elles Erik Porge illustre cette pra-
4. Idem, pp. 305-306. ne sont repérables que dans le tique d’une façon très parlante
5. Ibid., p. 47. champ du langage et en fonc- et convaincante. Il en est de
6. Ibid., p. 29. tion du sujet, et plus spéciale- même pour les récits que cer-
7. Ibid., p. 33. ment en fonction d’une parole tains analysants de Lacan ont

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LIVRES

Le Nom-du-Père qu’il a définies successivement pour asseoir leur place au lan-


et non de façon synchronique. gage et à la parole en psycha-
chargé de En 1936, il introduit l’imaginaire nalyse. C’est de la primauté du
dans son article sur le stade du signifiant sur le signifié que naît
promulguer la loi, miroir, article qui n’a jamais été l’ordre du symbolique. Deux
publié mais dont le thème fut signifiants primordiaux sont
et le Phallus repris en 1948 dans les com- spécialement affectés à dési-
marquant plexes familiaux. En fondant la gner les rapports du sujet aux
dimension de l’imaginaire, signifiants, le Nom-du-Père
la différence Lacan renouvelle les théories chargé de promulguer la loi, et
du Moi et révoque la descrip- le Phallus marquant la diffé-
des sexes. tion freudienne du moi comme rence des sexes. Quant au
noyau du système percep- réel14, il représente non pas la
tion/conscience : « Loin d’être réalité des choses mais le point
appareil de connaissance, le de rencontre manquée du sujet
● Moi est le lieu de la méconnais- avec celle-ci, liée à la répétition
sance et de la Verneinung de la quête de l’objet perdu.
(dénégation). Sa genèse avec le « Le réel, c’est l’impossible », tel
transmis à travers des articles, stade du miroir l’explique9 ». que le définit Lacan à partir de
témoignages, interviews et Dans le remaniement du texte, 1964, il est « exclu du sens »,
romans, troisième éclairage de sur le stade du miroir en 194910, « impensable », « à la limite de
la clinique lacanienne. Erik la notion de symbolique fait notre expérience », « à la limite
Porge dessine là un portrait très son apparition, empruntée à du psychique ». C’est encore en
vivant de Lacan, suscitant sou- l’article « l’efficacité symbolique » puisant dans Freud que Lacan
vent l’étonnement de ses analy- de Claude Lévi-Strauss11. Ce va éclairer cette dimension du
sants, par des effets de surprise texte déroule les trois phases réel à la lumière du phéno-
toujours soutenus par une du stade du miroir. Le premier mène psychotique et de son
logique, une éthique. Le temps met en évidence l’assu- évolution : « La psychose pro-
maniement du cadre, espace et jettissement de l’enfant à
temps que Lacan ponctue de l’image aliénante. Le deuxième
variations, est destiné à favori- temps constitue une étape 8. Ibid., p. 42.
ser l’ouverture de l’inconscient. déterminante dans le processus 9. Ibid., p. 63.
À travers ces témoignages, Erik identificatoire, l’autre venant 10. J. LACAN, « le stade du miroir
Porge soulève la question de la alors à la place de l’image. Le comme formateur de la fonction
séance courte : « Dans la cou- troisième moment qui achève du Je telle qu’elle nous est
pure de séance, il y a une le stade du miroir passe par la révélée dans l’expérience
dimension d’acte manqué qui, concurrence agressive du sujet analytique », Écrits, Seuil, 1999,
rompant le lien du langage à la pour l’objet du désir de l’autre, pp. 93-100.
chose, connecte les mots à donnant naissance à la triade
d’autres mots pour produire un « autrui, moi, et objet ». Il repré- 11. C. LÉVI-STRAUSS, « l’efficacité
effet de sujet […]. Dans la sente le virage du « je » pure- symbolique » (1949), in
Anthropologie structurale, Plon,
mesure où l’analyste s’inclut ment spéculaire, imaginaire au 1958
dans le dire de l’analysant, «je» social et symbolique: «Ainsi 12. E. PORGE, Jacques Lacan…,
pour le lire autrement, ce n’est […] le stade du miroir est-il une op. cit., p. 66.
qu’apparemment qu’il semble matrice symbolique où le « je » 13. F. de SAUSSURE, Cours de
décider de l’interruption de la se précipite12 ». Ce texte, pour- linguistique générale, cité dans
séance. Il se fait l’agent de l’in- tant fondateur de l’imaginaire, l’édition critique, Payot, 1980 ;
terruption dont, comme ana- ne fait qu’une seule fois appel R. JAKOBSON, Essai de linguistique
lyste, il est un reste8 ». au mot imaginaire, comme générale, Minuit, 1963 ;
adjectif, tandis que la référence R. JAKOBSON, Six leçons sur le son
et le sens, Minuit, 1976, p. 112.
Imaginaire, symbolique est omniprésente. Il
symbolique et réel reflète le « tressage » des 14. Le réel entre en scène dans
Erik Porge expose le triptyque, registres imaginaire et symbo- la triade RSI lors de la
imaginaire, symbolique et réel. lique dans le stade du miroir. conférence du 8 juillet 1953
En 1953, Lacan avait déjà à sa Lacan s’appuie d’abord sur la intitulée « Le symbolique,
disposition ces trois catégories linguistique dite structurale13 l’imaginaire et le réel ».

158 ● MOUVEMENTS N°23 septembre-octobre 2002


À propos de Jacques Lacan

vient de la forclusion d’un fonction paternelle dans sa Notions et concepts


signifiant particulier, le Nom- détermination par le réel, le
du-Père », et « le défaut de méta- symbolique et l’imaginaire et disparaissant
phore paternelle entraîne des l’affranchissement de ces trois
effets de psychose quand, à dimensions16 ». Le hiatus entre et réapparaissant
cette place où le sujet n’a pu Nom-du-Père et le ternaire RSI
l’appeler auparavant, vient Un conduit à la solution borro-
tour à tour
père, pas forcément le père du méenne qui les noue ensemble, se croisent en
sujet, en position tierce dans en y ajoutant un quatrième
une relation imaginaire, a-à sur rond, nœud borroméen consti- s’enrichissant.
le schéma L, introduisant un tuant pour Lacan un nouveau
champ d’agression érotisée15 ». Nom-du-Père. Le Nom-du-Père,
Ainsi, les signifiants forclos, par sa pluralité, devient tout à
rejetés hors du symbolique, la fois le nom reconnu au père, ●
réapparaissent dans le réel sous le nom par lequel le père peut
la forme de manifestations se désigner et le nom donné
pathologiques telles que le par le père, le père nommant.
délire ou les hallucinations. D’une façon toujours aussi pré-
Il ne restait plus à Lacan qu’à cise et rigoureuse, Erik Porge
joindre ces trois dimensions, expose les deux inventions que
union consacrée par la trouvaille Lacan désigne comme telles
du nœud borroméen en 1972, dans toute son œuvre, l’objet a
grâce à l’introduction du Nom- et le réel, ouvrant sur la ques-
du-Père. Erik Porge retrace pas à tion du transfert et de la fin de
pas, et avec précision et clarté, le l’analyse. Le transfert, pierre
parcours de Lacan concernant angulaire de la psychanalyse,
son élaboration du Nom-du- ne dépend ni de la personne
Père à travers ce curieux jeu de de l’analyste, ni de celle de
cache-cache entre celui-ci et le l’analysant mais du sujet sup-
ternaire RSI, l’un et l’autre appa- posé savoir, signifiant tiers
raissant et disparaissant tour à entre les deux protagonistes :
tour dans ses séminaires. Se « le terme de l’analyse consiste
pose la question de leur articula- dans la chute du sujet supposé
tion, interrogation qui trouvera savoir et sa réduction à l’avène-
une sorte de solution avec le ment de cet objet a comme
nœud borroméen dans le sémi- cause de la division du sujet,
naire RSI en 1975. qui vient à sa place17 ».
Sa réflexion sur l’être père L’ouvrage d’Erik Porge nous
l’amène à définir les trois propose une lecture de la diver-
figures du père : le père imagi- sité du tressage de l’œuvre de
naire, effrayant et tout-puissant Lacan. Avancées et retours en
inclus dans une relation imagi- arrière successifs, notions et
naire avec son cortège d’idéali- concepts disparaissant et réap-
sation et d’agressivité ; le père paraissant tour à tour se croisent
réel, comme agent de la castra- en s’enrichissant mutuellement
tion ; et le père symbolique, pour se résoudre en une topolo-
élevé au rang de symbole, de gie, révèlent la pensée de Lacan.
signifiant mais inaccessible et Ce livre, sans jamais céder à la
irreprésentable, sauf à forger un tentation d’une simplification
15. E. PORGE, Jacques Lacan…,
mythe tel Freud dans Totem et hâtive et réductrice d’une œuvre
op. cit., p. 113.
tabou. La singularité du terme d’un accès réputé difficile,
Nom-du-Père, proche du père contribue à en établir un exposé 16. Idem, p. 128.
symbolique mais n’en attei- clair et rigoureux, invitant le lec-
gnant pas la perfection impos- teur à se reporter aux textes ori- 17. J. LACAN, « L’acte
sible, « résiste aux mouvements ginaux de Lacan. ● psychanalytique », 10 janvier
constants de résorption de la FRANÇOISE SAILLARD 1968.

MOUVEMENTS N°23 septembre-octobre 2002 ● 159


LIVRES

RENÉ LAVENDHOMME expose, dans le même geste, la modèle du sujet au sens de


Lieux du sujet. pertinence analytique. L’hypo- miroir de son propre fonction-
Psychanalyse thèse – reprise ici à Lacan – est nement, comme Lacan l’aurait
et mathématique donc qu’il serait « possible qu’à montré, il existe la possibilité
Seuil (Champ Freudien), 2001, l’intérieur même du texte d’un dire vrai sur sa structure.
364 p., 25,15 €.
mathématique se fasse jour la C’est là que se situerait l’homo-
relation que ce texte entretient logie de structure « qui est
au sujet ». Cela tiendrait à la beaucoup plus qu’une méta-
propriété du discours mathé- phore mais beaucoup moins

R ené Lavendhomme fait


partie de ces mathémati-
ciens qui ne méprisent pas les
matique d’effacer toujours en
soi le sujet qui l’énonce tout en
devenant de ce même sujet un
qu’une mécanique ». Dans les
sciences humaines comme la
psychanalyse ou l’anthropolo-
mathèmes de la psychanalyse « mi-dire » suggestif. Ainsi, les gie, au contraire de ce qui se
et qui, au contraire, cherchent mathématiques donneraient produit en physique, la mathé-
à préciser et prolonger les directement lieu à « une vérité matique ne pourrait alors
effets de sens produits par sur la structure d’un réel » (le jamais véritablement devenir
Lacan dans son usage des réel étant chez Lacan l’impos- une langue-outil mais s’autori-
mathématiques en psychana- sible à dire du sujet, à la fois serait néanmoins de sa capacité
lyse. En effet, une fois de plus, nécessaire et imprévisible) à exposer çà et là quelques
la question de l’analogie en alors que les sciences vise- structures du sujet, tant indivi-
sciences humaines – si débat- raient « un savoir sur le fonc- duelles que collectives. Cepen-
tue, voire rebattue depuis tionnement d’une réalité » (la dant, il faudrait se garder de
l’« affaire Sokal1 » – est là direc- réalité qualifiant le lieu de l’ex- tomber soit dans l’« erreur sys-
tement abordée. Mais l’un des périence commune, banale et témique » qui consisterait à
intérêts de cet ouvrage est de prévisible). Les mathématiques considérer une simple homolo-
proposer une prise de position seraient ainsi plus proches que gie de structure comme l’égale
directement mise en œuvre à les sciences d’une écriture de d’un modèle, soit dans l’erreur
partir du lieu de construction soi du sujet barré. L’histoire inverse, dite « métaphorique »,
et d’exposition proprement des mathématiques attesterait qui réduit cette homologie à
mathématique des notions de cette exposition de vérité une simple image ayant la
concernées. Il y a donc là sans le savoir : cherchant certes fonction de nous « donner à
quelque chose comme la pro- à savoir quelque chose, le penser », sans plus. Par
messe de nous laisser person- mathématicien, par ses pro- exemple, le ruban de Möbius
nellement juge. ductions conceptuelles, expri- dit une vérité sur l’identité du
Il s’agit certes avant tout d’un merait du réel toujours plus sujet en exposant la possibilité
livre de mathématique mais qu’il n’en peut rigoureusement structurelle d’une surface topo-
dont le « désordre pédago- savoir en son temps ; ainsi du logique non orientable (sans
gique » assumé est au service savoir de Galois pour notre extérieur ni intérieur) alors que
des mathèmes lacaniens. L’au- vérité algébrique moderne. la simple image ou métaphore
teur ne voulant pas céder à la L’intérêt de cette approche est de la sphère ne dit rien de vrai
facilité d’une introduction de permettre à l’auteur une dis- sur le sujet. Elle n’est pas un
autoritaire, puisqu’il s’agit au tinction assez suggestive entre dire qui expose une vérité de
contraire de faire sentir au lec- métaphores, homologies de structure.
teur qu’il y a plus dans ces structure et modèles de fonc-
mathèmes que de simples tionnement. Les métaphores se Un grand travail
métaphores, procède sous nos réduiraient essentiellement à sur l’intuition
« yeux », de façon délibérément des artifices littéraires donnant Accepter ce constat pour l’au-
simplifiée, à la construction lieu, au mieux, à des « images » teur, c’est tomber d’accord qu’il
intuitive de concepts mathé- tandis que les modèles de nous faut partir de la mathé-
matiques divers et dont il nous fonctionnement (propres aux matique des lieux, des voisi-
sciences) autoriseraient la lec- nages et des transformations, à
1. Cf. par exemple l’article-
ture directe du fonctionnement savoir la topologie, pour que
recension de Philippe Corcuff d’une réalité dans le modèle nous voyions au mieux et au
dans Mouvements, n° 11, (mathématique le plus sou- plus vite le sujet se dire au
septembre-octobre 2000, vent). Mais on oublie, selon cœur même des constructions
pp. 167-169. l’auteur, que, s’il n’y a pas de mathématiques. Ainsi l’ouvrage

160 ● MOUVEMENTS N°23 septembre-octobre 2002


À propos de Jacques Lacan

présente-t-il trois parties : tion, identification, coupure, JACQUES-ALAIN MILLER


« topologies et surfaces », castration, clivage, schize, per- Lettres à l’opinion éclairée
« logique » puis « catégories et version, paranoïa et obsession. Seuil, 2002, 227 p., 15 €.
topos ». A posteriori, ce qui À chaque fois, l’auteur nous
semble guider l’ouvrage et donne ou nous laisse aperce-
donner cohérence à l’enchaî- voir les démonstrations des
nement de ses parties, c’est la
volonté ambitieuse (explicite
seulement en fin d’ouvrage) de
théorèmes mathématiques les
plus suggestifs.
Parfois l’auteur prend égale-
L a publication des Lettres à
l’opinion éclairée vient
clore une période de six mois,
montrer la possibilité d’unifier ment position sur quelques initiée quelques jours avant le
les divers formalismes logiques, questions, notamment sur le vingtième anniversaire de la
topologiques, algébriques, de lancinant problème de l’intui- mort de Lacan, au cours de
décloisonner leurs habituelles tion mathématique. Il consi- laquelle son auteur, Jacques-
expositions pour ne laisser dère que la construction de Alain Miller, sorti d’un long
subsister que l’impression, concepts mathématiques ne silence éditorial, rédigea six
notamment par le recours à la s’oppose pas à l’intuition mais lettres.
théorie récente des catégories, qu’il faut alors considérer ce Faut-il le rappeler, Jacques-
qu’il pourrait y avoir une que l’on doit appeler une Alain Miller se trouve être le
« théorie générale de la struc- « intuition prolongée », repre- gendre et l’héritier testamen-
ture du sujet ». nant par là les mots du mathé- taire de Jacques Lacan, et le
Cet ouvrage, pour être lu avec maticien Bouligand. On ne chef de file de la plus grande
profit, me semble nécessiter la s’étonnera pas de voir percer institution lacanienne en
maîtrise de connaissances uni- cet intuitionnisme élargi chez France, l’École de la cause freu-
versitaires élémentaires en un auteur qui considère que dienne (ECF), créée par Lacan
mathématiques. Pour quel- « l’imaginaire est structuré peu de temps avant sa mort.
qu’un qui possède cette cul- comme un espace ». Ces Lettres sont tout d’abord le
ture, la lecture des deux cent On peut faire deux reproches à fruit « d’une fureur, provoquée
quatre-vingt-sept premières cet ouvrage. Tout d’abord, à par un déni de justice ». Mais
pages (jusqu’au chapitre 12 partir du chapitre 13, l’auteur elles sont aussi bien autre
inclus) est tout à fait stimu- me semble avoir renoncé à son chose puisqu’elles visent à faire
lante : elle peut effectivement ambition initiale d’être facile- l’« éducation freudienne du
se faire sans papier ni crayon ment lisible. Sans doute cette peuple français » et « à regagner
tant les efforts que fait l’auteur impression est-elle principale- une partie du terrain média-
pour rendre intuitifs les ment due à mes propres tique [qu’il a] laissé il y a dix
concepts qu’il introduit sont limites… Toujours est-il que ce ans ». Aussi peut-on dire que
permanents. À lire ces pages, qu’il introduit de façon bien cet ouvrage est tout à la fois :
on gagne une nouvelle vision plus austère et expéditive a une riposte minutieusement
d’ensemble réelle et inattendue bien du mal à faire sens immé- menée dans le cadre d’un
sur des sujets que l’on pouvait diatement dans l’intuition du conflit l’opposant à la Revue
penser bien éloignés les uns profane. D’autre part, malgré française de psychanalyse ; un
des autres. Avec la virtuosité et les décloisonnements effectifs écrit de politique institution-
la simplicité qui caractérisent le et les ouvertures inédites qu’il nelle psychanalytique ; un essai
professionnel, sont tour à tour suggère vers des espaces littéraire mêlant récit de vie,
introduits les notions d’ouverts, conceptuels communs et des confidences, états d’âme, consi-
de ruban de Möbius, de niveaux structurels plus fonda- dérations sur le monde, la poli-
logiques modales et locales, mentaux, il ne me semble pas tique, les intellectuels, les
puis les théorèmes de Tarski, que cet ouvrage remplisse tou- années soixante, le terrorisme,
de Gödel… Sont alors suggé- jours son difficile contrat d’ex- et bien sûr, la psychanalyse.
rées des identifications (d’où poser des homologies de struc- L’essentiel de l’ouvrage est
homologie et pas seulement ture censées êtres plus riches composé des six lettres aux-
métaphore) avec des concepts que les simples métaphores quelles l’auteur a ajouté un cer-
analytiques, notamment par le qui ne font, elles, que « donner tain nombre de documents
biais de ces « imaginarisations » à penser ». À sa décharge, l’au- annexes : interviews de Miller
réalistes de soi auxquelles le teur lui-même le concède à par l’Agence lacanienne de
sujet se prête directement, par maintes reprises. ● presse qu’il crée à cette occa-
la topologie : torsion, projec- FRANCK VARENNE sion et extraits de correspon-

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LIVRES

dance. Comme il le dit lui- tème de formation en usage à déclare apaisé, pose un point
même, cette publication l’ECF. Miller, indigné par le final au conflit et renonce à
marque la sortie de l’ombre de refus qui lui était fait, résolut de exiger le fameux droit de
JAM. Si toutefois la lumière se riposter par la plume et entre- réponse. Il reprend alors la
mesure aux productions écrites prit la rédaction de ses mis- tâche qu’il s’était assignée dès
sur la scène éditoriale généra- sives. « Le recommandé de la première lettre, d’écrire sur
liste, car Miller, bien qu’il se M. Denis a fait de Jacques-Alain les cinquante dernières années
qualifie de discret, est loin le taciturne Jacques-Alain le d’histoire de la psychanalyse
d’être effacé : chef de file actif furieux, qui donnera des coups en France. C’est une histoire
de l’ECF, il est à l’origine de la d’estoc et de taille jusqu’à ce teintée de politique, puisqu’il
création de l’Association mon- qu’on lui donne raison, et à s’agit, comme il le dit lui-
diale de psychanalyse (AMP, son maître Lacan. » Aussi, les même, d’« apurer les comptes
créée en 1992 et visant à être trois premières lettres, si elles d’un demi-siècle de dissensions
une internationale des laca- n’ont pas uniquement pour entre l’Association internatio-
niens), tient son séminaire à nale de psychanalyse et les
Paris 8, participe à des col- élèves de Lacan. » C’est ainsi
loques, écrit pour les revues du que, parallèlement à son
champ freudien, et surtout tra- combat contre Denis, il raconte
vaille depuis presque trente C’est une histoire ce que Lacan a appelé son
ans à l’établissement et à la « excommunication » en 1963. À
publication du Séminaire de teintée de politique, cette date en effet, Jacques
Jacques Lacan. Il est vrai néan- Lacan fut exclu de l’IPA (Inter-
moins qu’il publie très rare- puisqu’il s’agit national psychoanalytical asso-
ment, en France du moins, et ciation) alors qu’un certain
l’on peut s’en étonner. Or, pré- d’apurer les comptes nombre d’anciens pétition-
cisément, les Lettres n’arrivent naires, qui, comme lui, avaient
pas seules, puisqu’elles s’ac-
d’un demi-siècle démissionné de la SPP en 1953,
compagnent de deux autres de dissensions. réintégraient l’institution inter-
publications : Un début dans la nationale sous l’égide de l’As-
vie publié chez Gallimard, où il sociation psychanalytique de
reprend ses écrits de jeunesse, France (APF), se désolidarisant
et Qui sont vos psychanalystes ?, ● de Lacan. Miller reprend le récit
au Seuil, ouvrage collectif de de cette période mouvementée
« 84 de ses amis ». C’est donc et douloureuse, rappelant à
dans ce cadre d’une offensive quel point Lacan fut meurtri
plus large qu’intervient la par la procédure et « le texte
publication de ces Lettres. argument de dénoncer ce qu’il infâme » qui le destituait de son
considère être une injustice à statut d’analyste didacticien.
Une joute épistolaire son égard, poursuivent patiem- Selon Miller, « ce jugement sans
érudite ment cet objectif. Dans cette appel, intrinsèquement diffa-
Tout cela a commencé, nous guerre que Miller déclare matoire, fut rendu sans débat
explique Miller, par un épisode ouverte, il manie le verbe contradictoire, après une
somme toute relativement comme l’épée et use des atouts enquête interne diligentée pour
anodin, mais qui eut pour effet qui lui sont chers : l’érudition, justifier une sanction prémédi-
de provoquer les foudres du le style, l’emphase, l’ironie, tée, négociée à l’avance avec
discret « meunier » (miller signi- l’autorité juridique. Peut-être des représentants de la Société
fie meunier en anglais). Sa pre- aussi parfois un certain achar- dont Lacan était membre. » Il
mière lettre fut en effet motivée nement envers les protago- évoque la « honte » qu’éprou-
par un conflit l’opposant à Paul nistes du conflit et un soupçon vent selon lui ses amis de l’In-
Denis, directeur de la Revue de complaisance dans l’évoca- ternationale, « les Judas, les
française de psychanalyse tion de son rôle de victime. lâches » qui avaient livré Lacan
(revue de la Société psychana- Miller ne se lasse jamais de à l’étranger, le « remord vivant
lytique de Paris – SPP) pour la parler de lui. Puis, comme dans de ses assassins ». Puis, après
raison que ce dernier lui refu- un rêve, le prétexte initial perd avoir réglé ses comptes et
sait un droit de réponse à un petit à petit de son importance, déclaré que dans ce conflit qui
article mettant en cause le sys- jusqu’à ce que le vengeur se opposa Lacan et les « ipéistes »,

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À propos de Jacques Lacan

il y eut « le type bien » et « les çait avec orgueil qu’elle « fera n’être, hélas, pas assez bête…
salauds et les canailles », il grand bruit », cette « mini-révo- Miller nous parle de lui, de sa
conclut : « il faut enfin que cela lution dans le monde analy- jeunesse, d’une génération
cesse ». Car cet ouvrage est tique », ne semble pas encore d’intellectuels fascinée par Mao
aussi un ouvrage de politique avoir suscité les réactions et Althusser. Il ne rechigne pas
psychanalytique. Cette mise au escomptées. Miller reconnaît d’ailleurs à rappeler qu’il fut
point sur les torts et les respon- lui-même qu’il n’a touché que tout jeune reconnu par ces
sabilités, sur les rapports agités les « few », n’a pas atteint le figures vénérables, les Fou-
entre les « orthodoxes » (SPP et grand public et que le milieu cault, les Barthes ou les Can-
APF) et les lacaniens, vise un psychanalytique reste silen- guilhem. Mais bien sûr, ses plus
objectif qui dira son nom dans cieux. Une grande opération belles pages sont pour son
la sixième et dernière lettre : restée lettre morte ? Loin de là, maître. Ce sont aussi les plus
une grande réunification de la Miller s’étonne avec ravisse- pudiques. Et de cet ouvrage
psychanalyse, réunification ment « d’avoir touché le cœur aux mille facettes, des plus
dont l’AMP – qu’il préside – de la ville », qu’on « le répute claires aux plus obscures, on
« sera l’éclaireur ». Miller veut écrivain » et que le Paris lettré veut finalement retenir les
réconcilier. Réconcilier les parle de ses « Provinciales ». confessions d’un acharné, d’un
« siens », c’est-à-dire les laca- Enfin, le silence public ne l’in- fidèle de Jacques Lacan. ●
niens, tel est l’objet de sa qua- quiète pas, « car en catimini, on MAÏA FANSTEN
trième lettre. Il y fait part de se parle à qui mieux mieux ».
son vœu de voir se rapprocher Ceux que Miller agace seront
« tous ceux qui appartiennent à agacés par son arrogance.
la communauté inavouée, Ceux qui l’apprécient retrouve-
inexistante, de ceux qui n’ont ront son brio. Ceux qu’en-
en commun que d’avoir aimé nuient les querelles institution-
Jacques Lacan, d’en avoir été nelles et les manœuvres
consumés, et de garder encore politiques pourront quant à
aujourd’hui les cendres de cet eux se délecter du style millé-
amour. » Pour ce faire, il rien, de ses pamphlets, ses
accompagne ses déclarations billets d’humeur, ses fables sur
de gestes forts en annonçant l’état du monde, mais aussi des
l’édition des sténographies du évocations nostalgiques de ses
Séminaire de Lacan, mais aussi maîtres et d’une époque dispa-
la « possibilité d’une édition cri- rue. On le trouvera flamboyant
tique, avec gloses et variantes » et drôle, ou bien emphatique et
(ce faisant, Miller renonce au suffisant, ou bien encore les
monopole de la version offi- deux. Peut-être sera-t-on même
cielle du Séminaire et change touché par l’homme que l’on
radicalement de stratégie) et, découvre derrière le stratège,
enfin, l’ouverture prochaine amoureux de la pensée, exi-
des archives de Lacan, jusque- geant, contradictoire. Préoc-
là restées closes. cupé de rigueur et de légalité
et quelques pages plus loin
Un fidèle de Lacan déçu des politiques « pas assez
Mais plus encore, Miller voyous ». Souffrant tour à tour
annonce son ambition de réuni- des haines et des rivalités qu’il
fier la communauté psychanaly- inspire (« Suis-je dans l’histoire
tique dans son ensemble. La de la psychanalyse parce que
grande réconciliation entre les je suis le gendre ? […] Je com-
ennemis de toujours : les prends que mes rivaux en aient
« ipéistes » et les lacaniens. Et gardé du dépit. […] Trente-six
Miller se voit bien, pourquoi ans après, ne pourraient-ils pas
pas, dans le rôle de l’homme de m’accorder l’oubli de mes
la réunification. fautes ? Les crimes de l’amour,
Cette « grande offensive du de tous sont les plus pardon-
meunier », dont Miller annon- nables. ») et du stigmate de

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