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128 Le déclin de la modernité dart sont des faits sociaux : la forme et le maté- Tiau artistiques sont imprégnés par histoire et Ja société. Lart est exposé en permanence Son intégration dans les formes d’expression culturelle qui dominent a certains moments dans une société donnée. Que conclure de tout cela? Les contradictions et les paradoxes de la pen- sée adornienne trouvent aisément leur résolu- tion si Ton tient compte des conditions historiques dans lesquelles elle a été formule. Mais cette théorie de Vart moderne, théorie d'une phase de la modernité, est en réalité une théorie de Ja fin de l'art moderne annon¢ant un nouveau stade de la modernité a laquelle on donnera le nom de «postmodernité ». Elle marque en fait Yachévement des grands récits esthétiques et ouvre sur cette postmodernité qui, selon le philosophe Jean-Francois Lyotard, signe la péremption des grands discours de légitima. on sociopolitiques, humanistes et idéologiques, Tout comme la thése de T’'autopurification de la peinture, érigée par Greenberg en une théorie générale du modernisme, la théorie esthétique d’Adorno révéle son caractére « his- torique », dans la mesure o1 il lui est évidemment impossible, en vertu méme de ses présupposés, d'admettre que la modemité puisse retourner contre elle-méme les forces qui impulsaient sa propre dynamique. VIL LE RECIT POSTMODERNE Un nouveau récit, celui de la postmodemité, dea esquissé sous ce nom au tout début dec années 60, est en train de s’écrire. Initialement, sa définition ne concerne que I'architecture. I] faut attendre Ja fin des années 70 pour que cette remise en cause du paradigme moderne Concerne tous les arts et fasse l'objet d'une théorisation cohérente. Fixons quelques repéres, Retour & la figuration En 1964, le groupe d’artistes réunis sous le nom de Figuration narrative se proposait den finir avec Duchamp, accusé de duplicité et fina- Jement de complicité avec institution. On ava de quelle maniére! Utiliser 4 nouveau la toile et le chassis signifiait prendre position contre les formes diverses de non-art ou d’art brut. Mais il 130 Le déclin de la modernité s'agissait aussi de proposer un type de peinture en prise directe sur la réalité sociale, plus proche du public, dans une perspective assumée d’en- gagement politique, de militantisme et de cri- tique subversive dirigée contre la société de consommation. La volonté de s'inscrire dans l'histoire sociale et politique est encore patente, en France, au début des années 70. La Coopérative des Malas- sis', cofondée par le peintre Henri Cueco (1929), lige @ la Figuration narrative, utilise Vimagerie apparue lors de la contestation én diante de 1968 — notamment celle des grands formats — pour s'investir aussi bien dans les grands conflits du moment (Salle rouge pour le Vietnam) que pour les faits de société (Affaire Gabrielle Russier*). Les Malassis privilégient la pratique collective et chaque membre du groupe est libre d’intervenir sur le travail en cours. En 1972, lors de l'exposition du Grand Palais célébrant soixante-douze ans d’art contempo- rain en France, les Malassis décrochent, sous les. yeux des CRS, une gigantesque fresque de 65 m de long, Le Grand Méchoui, critique virulente du pouvoir de l’époque. Une posture politique ana- logue définit la pratique du groupe DDP (fondé officiellement, en 1973, par Francois Dérivery, Michel Dupré et Raymond Perrot), propaga. teur d'un «réalisme critique» qu'il exprime Le récit postmoderne 131 dans une abondante production picturale et lit. téraire. Toutefois, dés le milieu de Ia décennie, le retour au métier, & la technique, et au savoir faire pictural traduit une tendance plus globale. Dés 1970, lors de l’exposition «22 Realists», le public américain décowvre avec enthousiasme un type d'art effectivement réaliste — photo rea- lism ou radical realism —, plus connu sous le nom d’hyperréalisme, a travers les sculptures de Duane Hanson’ ou du photographe John Kacere'. Peintre, mais aussi graveur et dessina- teur, David Hockney (1937), d’origine britan- nique, installé & Los Angeles, expose en 1974 au musée des Arts décoratifs de Paris des toiles travaillées avec minutie, représentant un monde étrange, faussement naif, telles ses Piscines de Beverly Hills. En 1976, l'année of Christo (1935) déploie sur 40 kilométres sa muraille de nylon — Run- ning Fence’ —, Jean Clair, Vauteur d’Art en France. Une nowwvelle génération (1972), organise au musée d’Art moderne de la Ville de Paris une exposition consacrée a la «Nouvelle Sub- Jectivité ». C’est une allusion et une réponse au courant de la Newe Sachlichkeit (la «Nouvelle Ohbjectivité ») appara en Allemagne entre 1919 et 1933. A cette €poque, les peintres allemands, notamment Max Beckmann, Christian Schad, Georg Grosz et Otto Dix, jetaient un regard dis. 132 Le déclin de la modernité tancié, apparemment objectif et neutre, en réa- lité wes critique et souvent amer sur Ja répu- blique de Weimar dans les années qui précédent Varrivée des nazis au pouvoir. Lexposition de la Nouvelle Subjectivité se déroule dans un contexte assurément différent, mais il s’agit bien de montrer que la peinture, pratiquée sous un mode traditionnel — notam- ment 4 travers les ceuvres de David Hockney, justement, ou de Samuel Buri (1935), est loin d avoir disparu. En réalité, Hockney ne se limite pas au médium pictural classique. Il n’hésite pas, dans ses portraits ou ses paysages, recou- rir la photographie Polaroid, au collage, ou & Ja photocopie. Considéré abusivement comme Tune des figures emblématiques du pop art®, Hockney pratique en fait une peinture qui échappe @ toute classification, riche en réfé- rences aussi bien aux maitres anciens qu’a ses contemporains, 4 Canaletto ou a Picasso. Samuel Buri, peintre de la nature et de l'homme dans son milieu, s’inspire, lui aussi, de photographies, n’hésitant pas a jouer sur différents codes ou styles propres au mode de représentation occidental, comme la facture impressionniste qu’il donne 4 son tableau Monet Herve et crépusculaire (1975-1977). Cette exposition enregistre l'une des ten- dances majeures des années & venir : mélange des styles, hybridation des formes, référence au Le récit postmoderne 188 passé, usage de la citation, éclectisme et affirma- tion de la subjectivité de artiste qui se traduit par une individualisation de sa pratique, sans souci d’appartenance a un courant quelconque. Des le début de l'année suivante, le vocabu- laire artistique, philosophique et esthétique s’en- richit de deux termes prétendant définir cette nouvelle orientation de I’art occidental : trans- avant-garde et postmodernité. Le mot «Trans-avant-garde » apparait pour la premiére fois sous la plume du critique et his- torien d'art Achille Bonito Oliva dans la revue Flash Art en 1979. L’auteur entend caractériser ainsi la pluralité des courants néo-expression- nistes apparus déja depuis quelques années en Italie et dont les représentants s’appellent Fran- cesco Clemente (1952), Enzo Cucchi (1950), Sandro Chia (1946)*. Ce courant est en fait international. En Allemagne, dés les années 70, les «Nou- veaux Fauves», notamment Georg Baselitz (1938) et Markus Laperw (1941), pratiquent une peinture figurative qui assume et prolonge Théritage de lexpressionnisme allemand des années 20, tout en rompant avec le minima- lisme et l'art conceptuel des années 60-70. Aux Etats-Unis, des peintres comme David Salle (1952) ou Julian Schnabel (1951) s’inscri- vent violemment a contre-courant de I’héritage moderniste. Ils n’hésitent pas & inclure des 134 Le déclin de la modernité Le récit postmoderne 185 thémes d’inspiration classique dans une pein- ture de mauvais gout de type Bad Painting, avec des couleurs vives, des relations chromatiques dissonantes et une totale hétérogénéité des formes, des matériaux et des styles. Ami d’Andy Warhol et de Julian Schnabel, Jean-Michel Bas- quiat (1960-1988) exprime sa révolte contre le sort des minorités sociales et raciales, Il couvre les murs de New York de graffitis et de tags, appose sa signature — marque déposée — Samo (same old shit, litéralement «la méme vieille merde») et puise son inspiration aussi bien dans le jazz et dans le reggae que dans l'image- rie urbaine populaire. En 1981, la France découvre cette forme de «figuration libre», Sous cette appellation, Ben (Benjamin Vautier, 1935) réunit lors d'une exposition, «Finir en beauté », Robert Combas (1957) et Hervé Di Rosa (1959). Les artistes de la figuration libre — Richard Di Rosa (1963), Fran- gois Boisrond (1959), Rémi Blanchard (1958- 1993) s'associent également & ce courant — pratiquent une peinture inspirée du punk, du rock, de la publicité, de la télévision et des bandes dessinées auxquelles Hervé Di Rosa assi- et les thémes traités. Jean-Michel Alberola (1958) s'inspire de 'iconographie mythologique ou religieuse. Il peint Suzanne et ls vieillards et Le bain de Diane, un tableau qu’il signe du nom d’Actéon, le fameux chasseur transformé en cerf puis dévoré par les chiens pour avoir surpris la nudité de Diane. Il puise ses références dans histoire de l'art et cite Véronése ou Velasquez, Gérard Garouste (1946) réinterpréte la pein. ture d'histoire et travaille a partir de la grande littérature classique (Dante), de liconographie chrétienne (sainte Thérése d’Avila) ou de la mythologie gréco-latine. Liacte de décés de la modernité En consacrant la Trans-avant-garde en 1980, la biennale de Venise reconnait les tendances qui s‘affirment désormais : références au passé, citations, emprunts, mélanges des styles, éclec. tisme, individualisme et subjectivité. Le terme tansavantgarde est plutét bien choisi'et élo- quent. II ne s'agit pas d’ignorer ni de se détour- ner du passé mais au contraire de parcourir mile parfois explicitement sa propre peinture. A la méme époque, une autre forme de figuration s'impose, Dénommée «figuration savante », elle se situe aux antipodes de la pré- cédente par ses moyens d’expression, son style délibérément celui-ci, en utilisant, comme le dit Bonito Oliva, «toutes les traditions, toute Phis- toire de la culture». En 1982, 4 propos d'un article de Jean-Fran- cois Lyotard sur son ouvrage La condition post- 136 Le déclin de la modernité modeme, le théoricien de la Transavant-garde italienne précise: «La Transavantgarde est aujourd’hui la seule avant-garde possible, en ce qu'elle permet a l’artiste de garder en main son patrimoine historique dans l’éventail de ses choix a priori, & cété des autres traditions cultu- relles qui peuvent en réanimer le tissu*. » La péremption d’une conception linéaire de Vhistoire et de son déroulement progressif vers un futur meilleur signe, en quelque sorte, l'acte de décés des avantgardes historiques. Elle marque la fin de la croyance en une transfor- mation sociale et politique a laquelle la moder- nité artistique s'imaginait pouvoir contribuer. Persuadés d'une possible réconciliation entre la «grande culture » et la «culture commune >», les artistes trans-avantgardistes refusent les anciennes corrélations, l’abstraction équivalant a la modernité progressiste et le figuratif étant assimilé au conservatisme. Ils peuvent donc désormais, et sans nostalgie, récupérer libre- ment, tels des objets trouvés, les différents styles du passé. Si Achille Bonito Oliva, grice 4 un concept pertinent, parvient 4 caractériser la tendance dominante de I'époque représentée par les nombreux courants néo-expressionnistes et néo- figuratifs, la Trans-avantgarde demeure une affaire italienne. Le terme qui déja s'impose dans les domaines artistique, culturel et poli- Le récit postmoderne 137 tique est celui de «postmodernité ». Il n’est pas nécessaire ici d’entrer dans les détails du débat, désormais dépassé, que ce mouvement suscita naguére. On se contentera de brefs rappels concernant la genése de cette notion, ne serait- ce que pour dissiper certains malentendus. Postmodernisme Le terme « postmodernisme » trouve son ori- gine dans le contexte des discussions et des polémiques qui ont animé, das les années 60, le milieu architectural. Emigré aux Etats-Unis en 1937, Walter Gropius (1883-1969), fondateur et directeur du Bauhaus entre 1919 et 1997, devient professeur d’architecture a l’université Harvard en 1937. Il entend poursuivre l’ex- périence tentée en Allemagne pendant une quinzaine d’années et essaie d'imposer en architecture, mais aussi dans les domaines du design et de l'urbanisme, les principes du Bau- haus. Il préne alliance de l'art et de 'indus- tie, le fonctionnalisme, c’est-a-dire l’adaptation de Ia forme et du matériau a I'usage et le refus de l'ornement et du décoratif. A 'instar de Le Corbusier, qui recherche «la mise en lumigre des formes pures», Walter Gropius, Mies van der Rohe, Oscar Niemeyer et le directeur du New Bauhaus 4 Chicago, Laszlé Moholy-Nagy, 138 Le déclin de la modernité militent en faveur d’um modernisme au purisme radical. Aux Etats-Unis et en Europe, de nom- breux architectes entreprennent, dés les années 60, de rejeter ce dogme rationalist et moderniste. Is refusent, en particulier, le now veau style international, & prétention universa- liste, plus ou moins nostalgique des utopies avant-gardistes, sociales et politiques, de l’entre- deux-guerres, qu’ils considérent désormais comme inadapté aux nouvelles exigences urba- nistiques de la société postindustrielle. Cette nouvelle génération entreprend de revisiter la modernité. Opposée 4 I’abstraction des formes pures, elle réhabilite l’ornement, la décoration, la facade, emprunte aux styles du passé — colon. nades, chapiteau, etc. —, renoue avec la fonc- tion symbolique et communicationnelle des édifices. Ainsi les architectes américains, tels Charles Moore, Robert Venturi, ou européens, comme Aldo Rossi, Oswald Mathias Ungers, remettent en vigueur ce qui avait été bani par le modernisme et renouvellent sous le vocable «postmodernisme> le vocabulaire et la gram- maire de l’architecture. Sion en croit Charles Jencks, critique d’ar- chitecture et auteur, en 1978, de L’architec ture postmoderne, le terme « postmoderne » serait apparu, dés 1954, sous la plume de Phistorien et €conomiste Arnold Toynbee (1889-1975) pour qualifier époque pluraliste dans laquelle entrait, Le récit postmoderne 139 selon lui, la société industrielle dont il fut l'un des théoriciens les plus éminents. Le mot n’ac- quiert véeritablement sa définition qu’a partir de 1975, lorsque Jencks et certains architectes, notamment Paolo Portoghesi’, envisagent l'or- ganisation d’une exposition consacrée au post modernisme, «Présence du passé», dans le cadre de la Biennale de Venise en 1980, parallé- lement aux manifestations consacrées a la Trans- avant-garde. Plusieurs thémes se trouvent dés lors associés au postmodernisme et lui conférent un semblant de cohérence : pluralité des styles, multiplicité des langages et des codes, retour au passé, notamment a l’ornement, recours 4 Véclectisme, a la citation et possibilité de choisir toute autre voie que celle du modernisme. Ce postmodemisme reconnait Vimportance de la technologie postindustrielle et prend en compte I’influence des nouveaux médias sur la sensibilité des individus. Le lien entre le post- modernisme et la société postindustrielle se trouve dés lors renforcé et la critique de la modernité se précise. Le recours fréquent au préfixe «néo», associé aux divers courants ct mouvements de l’époque, est révélateur de cette tendance : le «nouveau» est moderne, autre- ment dit périmé, tandis que le «néo », réactiva- tion du passé, de l’ancien, est postmoderne. 140 Le déclin de la modernité La crise généralisée des systémes : le postmoderne En 1979, Jean-Francois Lyotard propose une définition philosophique du concept de post- moderne : «On tient pour “postmoderne” I'in- crédulité 4 Pégard des métarécits"”. » En clair, cela signifie que les grands discours religieux, métaphysiques, politiques, moraux ou scien- tifiques, fondés sur la logique moderniste du progrés de I'humanité, ont perdu toute légiti- mité. Plus personne ne croit a la paix univer- selle, au bien-tre planétaire, a l'abondance pour tous. Ainsi, ce qui fut longtemps le credo d’une philosophie et d’une idéologie inspirées des Lumiéres est devenu obsoléte. L'un des phénoménes les plus caractéristiques de l'age postmoderne réside, selon Lyotard, dans la mercantilisation du savoir concernant tous les secteurs d'activité : «Le savoir est et sera produit pour étre vendu, et il est et sera consommé pour @tre valorisé dans une nouvelle production : dans les deux cas pour étre échangé".» La postmodernité apparait done comme un phé- noméne global auquel ni Part ni la culture ne sauraient échapper, pas plus qu’'ils ne peuvent se dérober au monde de la marchandise. «Etat @esprit» pour Lyotard, ou symptéme de crise affectant un type de société puissamment indus- Le récit postmodeme 141 tialisée en pleine mutation, la postmodernité n’est assimilable ni a un mouvement précis ni a un courant défini. En 1988, Lyotard pense encore pouvoir résister A lidéologie de la post- modernité. Il suffirait, selon lui, de «réécrire la modernité » en dénoncant son projet utopique d’émancipation de 'humanité grace a la science et a la technique. Paradoxalement, il soutient qu'une ceuvre ne peut étre moderne qu’aprés avoir été auparavant postmoderne, c’esta-dire créatrice de ses propres critéres, sans référence 4 des normes et des modéles préétablis. Mais l'abandon de toute référence & la modernité est irréversible. Il concerne aussi le monde de Tart et, sur ce point, Lyotard ne se trompe pas: «L’artiste, le galeriste, le critique et le public se complaisent ensemble dans le n’importe quoi, et l'heure est au relichement. Mais ce réalisme du n’importe quoi est celui de Vargent”. » De nos jours, le terme de postmodernisme s'est banalisé. Il est acquis que nous vivons dans une €poque postmoderne quand bien méme le qualificatif de moderne reléve toujours du lan- gage courant pour désigner simplement «ce qui est de notre temps » sans référence particu- ligre & une modemité congue comme proces sus dynamique vers un avenir meilleur. Il n’empéche que l'affrontement théorique entre la modemité et la postmodernité laisse 142 Le déclin de la modernité des traces. Le théme persistant d'une crise généralisée de tous les systémes est latent au moment du déclenchement de la querelle sur l'art contemporain dans les années 90. Experts et profanes Certes, cette querelle est la conséquence plus ou moins directe de causes immédiates : baisse du marché de T'art international, défiance du public francais envers un art contemporain subventionné et officialisé par les pouvoirs publics. Toutefois — on T'a vu —, les causes profondes remontent loin dans l'histoire de la modernité. Elles ne concernent pas seulement ce qu’on nomme parfois de facon pompeuse «Faventure de l'art au xxe siécle », mais l’évo- lution de lart dans le contexte particulier des transformations économiques, politiques et technologiques qui modifient en profondeur la représentation que nous nous faisons de la création artistique et plus généralement de la culture. Désormais intégrées au systéme économique et soumises aux impératifs de rentabilité et de profit, les pratiques artistiques et culturelles sont aujourd’hui étroitement liges au développement technologique, a celui des médias, de l'informa- tion et de la communication. Certains voient Le récit postmoderne 148 dans cette évolution un progrés vers la démo- cratie culturelle. La culture elleméme, enfin descendue de son piédestal élitiste et bourgeois, deviendrait distractive et ludique. Elle autorise- rait, en principe, une multiplicité d’expériences esthétiques, divertissantes et hédonistes, libé- rées de toute référence 4 des normes ou a une hiérarchie de valeurs préétablies, la seule régle étant de répondre A la satisfaction des désirs de chacun. Mais cette vision des choses cache en réalité deux paradoxes. Un premier paradoxe réside dans l’apparition d'un individualisme de masse, phénoméne typiquement postmoderne décrit, naguére par Gilles Lipovetsky". L’idée que chacun jouit de la pleine et entiére liberté d’élaborer ses propres critéres, de juger comme bon lui semble selon son gout propre, est en contradiction avec les puissantes solicitations consuméristes d’un systéme culturel qui assure massivement la promotion de ses produits. Autrement dit, telles ces modes qui traversent parfois le corps social, la liberté de individu consisterait au mieux a faire comme tout le monde, qu’il s’agisse d’art, de culture, de loisir ou de tourisme. Un second paradoxe résulte de ce fossé qui, en régime démocratique, se creuse entre la culture des experts et la culture profane, par exemple entre le fameux monde de l'art — le 144 Le déclin de la modernité «petit milieu » — et les publics rassemblés sous T’étiquette commode de «grand public». Cette situation pourrait bien signifier l'abandon d’un projet authentiquement démocratique et le renoncement a une culture pour tous, acces- sible au plus grand nombre. Plutét que de hausser le niveau des exigences culturelles, on préfére mettre la barre un peu plus bas sous le prétexte assez démagogique de respecter une liberté individuelle que contredit le condition- nement massif du systéme culturel. Ce clivage au sein de la sphére publique avait été percu, dés les années 60, par le philosophe allemand Jiirgen Habermas, bien avant qu’il ne stigmatise, dans les années 80, le néo-conserva- tisme a I’état latent dans la pensée postmo- derne. II constatait notamment ]’« écart croissant entre, d’une part, les minorités productives et critiques, constituées par les spécialistes et les amateurs compétents — qui sont familiers de démarches d'un haut niveau d’abstraction appliquées a l'art, la littérature et & la philoso- phie [...] et d’autre part le grand public des médias [...].» Ni la politique culturelle ni les techniques modernes de communication et d'information n’ont pu ou n’ont su résoudre la question de l’inégalité devant la culture et son mode d’appropriation: «La surface de réso- nance que devait constituer cette couche sociale cultivée, et éduquée pour faire de sa raison un Le récit postmoderne usage public, a volé en éclats; le public s'est scindé d'une part en minorités de spécialistes dont I'usage qu’ils font de leur raison n’est pas public, et d’autre part en cette grande masse des consommateurs d'une culture qu’ils recoivent par l'entremise de médias publics. Mais par 1a méme le public a da renoncer a la forme de communication qui lui était spécifique ”. » En dépit du développement sans précédent des nouvelles technologies — multimédia, infor- matique, interactivité, internet, etc. —, le constat établi trente ans plus tard fait apparaitre une situation presque identique. Si on convient, avec Anne Cauquelin, que l’activité de création artistique se préte désormais parfaitement «A la circulation d’informations sans contenus spéci- fiques» et justifie qu'un «Etat culturel» soit attaché 4 la mise en ceuvre d'une politique de démocratisation de V’art, iln’empéche que cette méme politique présente ’inconvénient d’étre mal comprise par le public : « Le contrepoint de cette politique [...], c'est en ce qui concerne le public, une impression confuse, une incompré- hension — oi est artiste, of est l'art? — eten méme temps [...] sa mise a ’écart"®. » A Vépoque o& Anne Cauquelin rédige ces lignes, Ia crise de l'art est déja déclenchée. Les paradoxes que nous venons d’évoquer restent sousjacents aux controverses et aux polémiques qu'elle provoque.

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