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Robert Lafont, écrivain, linguiste,

*
et géographe du temps

PAR BERNARD PASOBROLA

II y eut de brillants écrivains ou d’éminents philosophes qui se


proposèrent de faire entrer l’univers tout entier dans les pages d’un livre.
Kant et sa Critique de la raison pure, Hegel et sa Phénoménologie,
Descartes et son Traité de l’Homme, Proust, Musil, d’autres encore, ont
voulu tout dire, et se sont heurtés, parfois jusqu’au désespoir, à l’indicibilité
du réel. L’hiatus entre le langage et le monde est une question irrésolue
depuis l’apparition même de ce curieux mode de communication propre au
genre humain, où le message peut se passer de la présence physique de son
émetteur – et perdurer à travers les millénaires –, mais n’est jamais très sûr
de ce qu’il dit.
Si l’on en juge par sa bibliographie, tout dire fut, du moins en
apparence, la tentation de Robert Lafont. Romancier, poète, auteur de
théâtre, médiéviste, essayiste, linguiste, l’ampleur et la diversité de ses écrits
– quatre-vingt-cinq livres publiés en occitan et en français –le situent
d’emblée parmi la classe des auteurs «polyvalents» dont l’œuvre,
nécessairement, n’a plus seulement une portée artistique ou philosophique,
mais anthropologique. Un autre écrivain-philosophe fameux Jean-Paul
Sartre, grava l’absurdité de l’existence sur une racine de marronnier. Robert
Lafont, lui, préfère retourner la terre et voir ce qu’il y a en dessous. C’est en
laboureur qu’il explore le monde des idées, luxuriantes efflorescences
poussant sur le terreau fertile que sont les mots. Mais il est trop exigeant
pour s’en tenir à la surface et, devenant spéléologue, il descend dans les
profondeurs.
Ce désir de fouiller les entrailles de la langue, de disséquer les
catégories lexicales (qui conduisit un Jean-Pierre Brisset à la «découverte»
que l’homme descendait de la grenouille et fit de lui l’un des «fous
littéraires» les plus prodigues que nous connaissions), ce désir, donc, a
donné naissance, depuis une trentaine d’années, à une oeuvre lafontienne
qui cache, sous des titres étonnants (comme : Praxématique du latin
classique), plusieurs traités d’une somptueuse érudition. Nulle
fantasmagorie pseudo-darwinienne ne viendra distraire le lecteur. Une
analyse serrée des racines latines et des jeux de notre (nos) langue(s) lui
démontrera patiemment que le verbe structure l’espace et que l’acte dont il
témoigne s’inscrit dans l’étendue physique avant de laisser une trace dans le
temps. Le langage ne fait pas que représenter le monde, il représente l’auto-
perception du corps dans l’espace. Il est un agir d’une entité, le moi, sur une
autre, le monde. Mais si la foi déplace, dit-on, des montagnes, le langage

*
Robert Lafont est décédé le 24 juin 2009. Cet article, ainsi que l’entretien à suivre, ont
paru initailement dans la revue Septimanie n°9, avril 2002.
n’agit pas sur le monde objectif. Le mot tuer n’a jamais tué personne et,
selon la belle définition de Lafont, une phrase prononcée n’est guère plus
que «l’effet sonore de l’air usé lorsqu’il rencontre un obstacle». Si le
langage positionne le sujet dans l’espace, détermine un ici et un là-bas, un
moi et un tu, un haut et un bas, cet espace est celui de la conscience propre à
la collectivité usagère de la langue. Le processus de conceptualisation de la
réalité par le langage, Lafont le nomme «topogenèse». L’agir du sujet, la
tension du faire, vise une cible qui est son après. Lorsque nous disons :
«Paul parle à Pierre», le verbe indique une transmission d’ondes sonores
dans l’espace, et une durée, direction temporelle du présent vers l’avenir. Le
temps apparaît comme de l’espace qui se dissout, un espace non
représentable autrement qu’en référence à l’espace véritable. De la
topogenèse naît la chronogenèse.
Lafont élabore ainsi une véritable philosophie du temps, ou mieux, une
géographie temporelle, et c’est là un aspect tout à fait remarquable de son
oeuvre. L’implication de ces deux dimensions, il les traque dans les unités
syntaxiques dérivant les unes des autres, comme en latin classique :
PROcedit, «il jette en avant», PROcidit, «il tombe en avant», (espace), et
PRO-dicit, «il prédit», ou PRO-uidet, «il prévoit» (temps.) Le temps est,
selon lui, une interprétation fluide de l’espace, unissant les membres d’une
communauté linguistique, et cela suffisamment pour qu’ils se comprennent.
Mais il arrive que le sens établi se dérègle, que la phrase ne s’adapte
plus à notre physique naïve comme, par exemple, la phrase poétique – «Des
crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne...», «L’aurore grelottante en
robe rose et verte...» Nous entrons alors dans un champ d’expérience
parfaitement contigu à celui des expériences ordinaires qui illustre la
productivité illimitée du sens, ouvrant la voie à un foisonnement d’activités
ludiques. La césure entre l’interprétation «réaliste» du monde et
l’interprétation «fantaisiste» est incertaine, conventionnelle, historique,
dépassable à tout moment.
Les implications épistémologiques de la linguistique de Lafont sont
riches, et gageons que s’il a fui la tentation de tout dire, mais n’a pas
l’habitude de parler pour ne rien dire, il n’a, toutefois, pas encore dit son
dernier mot.
Contre la Sensure
Entretien avec Robert Lafont

Alors que la théorie de l’ «objectivité du langage», héritée du


rationalisme grec, établissait une correspondance quasiment
transcendante entre le mot et la chose qu’il désigne, entre le concept et
son référent, votre travail de linguiste part de présupposés différents : la
langue est à la fois un instrument de jouissance («la jouissance de la
parole» ), et un outil, ou mieux, «un programme de production du sens».
Cette position à la fois sensualiste et «praticiste» rend votre contribution à
la linguistique tout à fait originale. On y reconnaît la voix d’un
chercheur, d’un «technicien», et celle du créateur d’une très vaste œuvre
romanesque et poétique.

Toute la linguistique depuis l’Antiquité tourne plus ou moins autour de


l’adéquation signfiant-signifié, telle que l’a formulée tardivement de
Saussure, et qui m’a toujours semblé être un étiquetage. Son inconvénient
majeur est le gel par le «langage souverain» de la vie de la signifiance. En
restaurant cette vie, en remplaçant le signifiant clos, concept immobile et
inventaire magasinier du réel, par l’activité signifiante, à la fois de l’espèce
et du sujet, on ouvre le champ d’un foisonnement créatif. Ce foisonnement,
on peut l’observer dans tout acte de parole, qui est en somme une «buisson
de tentatives.» Il prend un caractère particulièrement capiteux dans l’activité
scripturale, où il rencontre la libido, se moule sur la pulsion, et s’illimite
dans le meilleur des cas par le plaisir «prométhéen» de créer.

Le message, déconnecté de la réalité, s’éloignant du sens commun


issu de ce que vous appelez la «praxis naturelle», peut, dans une œuvre
littéraire, provoquer un véritable «affolement» (le mot est de vous), un
affolement du langage. Le langage est-il donc bien, pour vous, un outil de
«connaissance», ou de «représentation du réel» et aussi, disons, «une fête
des sens …» ?

Ce n’est pas sans motif qu’on a si souvent rapproché la poésie du


débridement de l’inconscient dans le rêve ou la folie. Je pense que l’œuvre
littéraire s’efforce de dire (le réel, bien sûr, Dire est le titre d’un recueil de
mes poèmes), mais que cet effort lui-même crée un surplus. Il libère ce que
l’auteur ne sait pas d’avance et lui fait découvrir comme un puits de
jouissance dans sa parole ou dans la lettre. J’ai écrit un millier de pages de
roman sous le titre de La Fèsta, et j’ai découvert, après publication, par
hasard et dans le sommeil, que cet énorme effort pour saisir la réalité du
siècle tournait autour d’une seule syllabe : MAR. C’était la syllabe-puits.

Le sens n’est jamais, même quand il le paraît, une machine inerte,


mais il véhicule des affects. À ce titre, chaque langue pose sur le monde
une grille de lecture qui lui est propre. Votre action militante contre
l’homogénéisation culturelle, pour la défense des langues minoritaire
contre l’ «impérialisme du sens» pratiqué par les groupes linguistiques

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dominants, — qui peut paraître à certains plutôt «conservatrice» —,
s’appuie sur une critique de «l’idéologie linguistique occidentale», de
«son idéalisme transcendantal.» Le découpage du monde par nos
catégories est issu d’une pratique sociale qui évolue et change le sens des
mots. N’y-a-t-il pas une contradiction entre la reconnaissance de cette
idée et la volonté de conserver les anciennes «grilles»…

Pour employer la terminologie linguistique la plus courante, tout acte de


parole comporte la dénotation, qui a pour tâche ( un peu vaine, mais utile à
la communication) de dire sans surplus ni restes, et l’immensité des restes,
la connotation. Tout usager d’un langage tenu pour marginal le sait. Il est
habituel qu’un occitanophone, même accidentel, déclare (non sans que la
jouissance lui échappe) : «ça ne peut pas se traduire en français.» C’est
naturellement faux : le français n’est pas plus pauvre que l’occitan. Mais
l’occitanophone y perd ses connotations. À cet égard, les langues
dominantes qui associent, comme vous le remarquez, la police des réglages
du sens à l’effacement (ou au codage fixe) des connotations sont (ou
risquent d’être) des langues verrouillantes. Loin d’être un conservatisme, le
travail de l’écrivain en langue dite minoritaire est une libération. C’est
pourquoi depuis sept siècles, les écrivains occitans recommencent tous,
génération après génération, la même tâche libératrice.

Vous dites, dans «Le travail et la langue» : «La société instaure le


tribunal du sens, du “ bon sens ” : une censure (ou sensure)…» Une
société peut-elle être relativiste dans ce domaine ?

Au niveau du sens circulant pleinement et à plat, une société ne peut


être que répétitive et non permissive. Voyez le radotage des expressions de
mode ou de milieu, le langage de bois, la parole vide d’inter-reconnaissance.
Mais tout langage a ses failles. Une société, même si elle le veut, ne peut
cimenter l’avènement inattendu d’un «autre sens.» Si la société parvenait à
s’immobiliser sur ses schémas et ses modèles, ce serait un brave new world
bétonné pour toujours. Fort heureusement, elle échappe à elle-même par la
faille du sens qu’elle se donne, et viole ses propres certitudes par la
découverte cognitive ou poétique.

Vous dites quelque part que la praxématique n’est pas une


philosophie du langage. Mais n’a-t-elle pas des implications
épistémologiques qui dépassent le simple champ linguistique et posent la
question du «vrai» dans le discours ? Ou celle de la spatialisation du
temps par la conscience humaine ? Questions qui ont évidemment
préoccupé les philosophes...

J’ai essayé de montrer dans Il y a quelqu’un comment l’activité ou


praxis linguistique de l’homme se dédouble obligatoirement d’un auto-
regard, d’une praxis de linguistique. C’est dans le développement de celle-ci
que se trouvent les racines de toute activité cognitive élaborée et d’une
épistémologie. Je n’ai donc pas fait, à mon sentiment, de philosophie du
langage, mais proposé de voir comment le langage ordinaire est «gros» de
sa philosophie

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C’est le rapport à l’inconscient...

Pas exactement. La praxis de linguistique est au contraire un moyen de


«comprendre», elle est le socle d’une activité cognitive. Mais je vous accorde que
pour fonctionner, elle doit obéir à une mise pratique en inconscience des
opérations qu’elle réussit. De cette façon, elle rencontre ou «croise»
l’Inconscient psychique.

Comment situez-vous la praxématique en relation à l’école américaine


qu’on appelle «Pragmatique linguistique» et dont Austin et Searle ont été
les pionniers ? J’ai été frappé par la complémentarité entre la
praxématique et la théorie des métaphores de George Lakoff. Il me semble
que ces deux approches participent d’un souci commun de comprendre la
relation entre langage et expérience, entre langage et espace, et d’étudier
la représentation du temps comme une entité spatiale.

Tout linguiste se doit de connaître le paysage de son siècle, et d’y


inscrire sa recherche. Je partage le souci fondamental de la pragmatique, qui
s’est développée en même temps que la praxématique, de rendre compte des
actes de langage selon des vues «matérialistes», hors des idéalités abstraites.
Ce qui m’en sépare, c’est la considération de l’épaisseur de la production,
où réside l’activité intersubjective. Cela dit, les points de contact sont
évidents (par exemple, Lakoff.) J’ai consacré beaucoup de soins à la
détection, à la description et à l’étalonnage du «temps de l’ «à dire», qui est
sous le dire, temps d’élaboration des opérations dont nous avons le résultat
dans le message ou la communication. C’est ce que j’appelle l’»épaisseur...»

Partagez-vous l’opinion de Searle selon laquelle «il n’y a pas de


propriété textuelle, syntaxique ou sémantique qui permette d’identifier un
texte comme une œuvre de fiction.»?Ou passe la frontière entre le fait
«vrai» et le fait simplement «interprété»?

Pour moi, tout acte de langage transmet non le réel, inatteignable


directement, mais la réalité, c’est-à-dire utilise une grille devant le réel qui
permet de l’interpréter. Il est donc déjà fable et fiction en puissance. Le langage
n’est capable que d’interprétation. Mais il a à tout instant la nostalgie de
l’adéquation à la réalité (cf. «à vrai dire»), adéquation qu’on peut au demeurant
contrôler a posteriori par l’expérience.

Quels sont les rapports entre votre activité fictionnelle et celle de


linguiste ?

Il m’est arrivé d’utiliser en fiction mon travail de linguiste, par exemple


Tè tu tè ieu, d’après la théorie de la personne. En général, je ne sais pas bien
laquelle des deux activités fait fructifier l’autre. Ce que je sais, c’est que
«raconter des histoires» est l’un des plus grands plaisirs que je m’accorde, le
second étant de «mettre du jeu» dans l’architecture des connaissances. Te tu
te ieu conte l’expérience folle de deux compères qui ont trouvé le moyen de
passer d’une face à l’autre de la personne telle que la définissent les
linguistes : je/tu. Ce sont des échangistes du moi. Lo Sant Pelau est un
hymne carnavalesque à «l’adorable parole de l’homme qu’on n’entend
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jamais pour ce qu’elle dit, et dont on ne peut dire comment elle sera
entendue», donc au surplus du sens sur la sensure.

La littérature est un concept aux contours mal défini. Toute œuvre,


même si elle n’a pas été écrite dans ce but, peut devenir œuvre littéraire.
Y-a-t-il, comme le pense Genette, des œuvres littéraires par essence (un
roman, par exemple, fût-il mauvais), et des œuvres conditionnellement
littéraires, si l’on décide de leur attribuer cette qualité (un essai, un texte
historique ou scientifique…) ?

Genette a sans doute raison. Ce dont je suis sûr, c’est qu’un écrivain de
métier, habitué à travailler, comme on dit, le style, ne saurait se contenter du
langage plat et lourd de mode dans les productions scientifiques. Il faut,
encore et toujours, qu’il «écrive.»

Oui mais dans le cas de Descartes, de Darwin, Freud et bien


d’autres, des œuvres à prétention scientifique ne se distinguent pas
beaucoup d’œuvres littéraires...

C’est que le découvreur était aussi un écrivain.

L’anthropologue Jack Goody a défendu l’idée selon laquelle la


«raison graphique», celle qui est issue de l’écriture, a fait faire à la pensée
un bond prodigieux, en particulier à cause de la révolution qu’elle a
provoquée dans le domaine de la catégorisation. Pensez-vous, si vous êtes
d’accord avec cette idée, qu’à la raison graphique succédera une raison
«computationnelle» à mesure que l’ordinateur remplacera le mode de
traitement graphique par ce qu’on appelle (peut-être improprement)
l’hypertextualité ?

Jack Goody a raison. À l’intervention bouleversante de l’écriture dans la


praxis de linguistique, j’ai consacré, avec une équipe, le volume
Anthropologie de l’Écriture, qui s’achève par quelques considérations
prudentes sur la révolution informatique. Mais je n’ai pas (encore ?) la
compétence pour en parler pertinemment. Avant l’ordinateur, j’aimais à voir
retomber ma plume sur le papier et sous mon regard et à avancer ainsi. Depuis
l’ordinateur, j’observe le texte monter d’un monde obscur de réseaux que je
ne connais ni ne comprends. Et quand les fameux «mystères de
l’informatique» usent d’imprévu...

La conquête linguistique générale qu’est en train d’opérer l’idiome


anglo-saxon dans le cadre de l’ultra-libéralisme mondialisant, ne vous
paraît-il pas un «juste retour des choses», pour une civilisation qui en a
anéanti tant d’autres de l’autre côté de l’Atlantique, à l’époque des
«Découvertes» ?

En tant que sociolinguiste je sais que tout marché des biens se structure
et s’unifie dans un langage. La promotion de l’anglo-saxon à l’époque de la
globalisation libérale est une évolution inéluctable, dont s’indignent
seulement des naïfs hypocrites. Mais il est vrai aussi que la globalisation
économique s’accompagne de sa contestation, elle aussi mondiale, au nom

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de la diversité humaine. Nous en sommes donc, une fois réservé le domaine
de surface de la communication pratique planétaire, au sauvetage du
feuilletage linguistique et culturel, ce pour quoi je combats sur mon terreau
d’histoire. Les Indiens d’Amérique (ce qui reste d’eux) ont aujourd’hui droit
à la parole.

Propos recueillis par Bernard Pasobrola

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