Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
*
et géographe du temps
*
Robert Lafont est décédé le 24 juin 2009. Cet article, ainsi que l’entretien à suivre, ont
paru initailement dans la revue Septimanie n°9, avril 2002.
n’agit pas sur le monde objectif. Le mot tuer n’a jamais tué personne et,
selon la belle définition de Lafont, une phrase prononcée n’est guère plus
que «l’effet sonore de l’air usé lorsqu’il rencontre un obstacle». Si le
langage positionne le sujet dans l’espace, détermine un ici et un là-bas, un
moi et un tu, un haut et un bas, cet espace est celui de la conscience propre à
la collectivité usagère de la langue. Le processus de conceptualisation de la
réalité par le langage, Lafont le nomme «topogenèse». L’agir du sujet, la
tension du faire, vise une cible qui est son après. Lorsque nous disons :
«Paul parle à Pierre», le verbe indique une transmission d’ondes sonores
dans l’espace, et une durée, direction temporelle du présent vers l’avenir. Le
temps apparaît comme de l’espace qui se dissout, un espace non
représentable autrement qu’en référence à l’espace véritable. De la
topogenèse naît la chronogenèse.
Lafont élabore ainsi une véritable philosophie du temps, ou mieux, une
géographie temporelle, et c’est là un aspect tout à fait remarquable de son
oeuvre. L’implication de ces deux dimensions, il les traque dans les unités
syntaxiques dérivant les unes des autres, comme en latin classique :
PROcedit, «il jette en avant», PROcidit, «il tombe en avant», (espace), et
PRO-dicit, «il prédit», ou PRO-uidet, «il prévoit» (temps.) Le temps est,
selon lui, une interprétation fluide de l’espace, unissant les membres d’une
communauté linguistique, et cela suffisamment pour qu’ils se comprennent.
Mais il arrive que le sens établi se dérègle, que la phrase ne s’adapte
plus à notre physique naïve comme, par exemple, la phrase poétique – «Des
crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne...», «L’aurore grelottante en
robe rose et verte...» Nous entrons alors dans un champ d’expérience
parfaitement contigu à celui des expériences ordinaires qui illustre la
productivité illimitée du sens, ouvrant la voie à un foisonnement d’activités
ludiques. La césure entre l’interprétation «réaliste» du monde et
l’interprétation «fantaisiste» est incertaine, conventionnelle, historique,
dépassable à tout moment.
Les implications épistémologiques de la linguistique de Lafont sont
riches, et gageons que s’il a fui la tentation de tout dire, mais n’a pas
l’habitude de parler pour ne rien dire, il n’a, toutefois, pas encore dit son
dernier mot.
Contre la Sensure
Entretien avec Robert Lafont
3
dominants, — qui peut paraître à certains plutôt «conservatrice» —,
s’appuie sur une critique de «l’idéologie linguistique occidentale», de
«son idéalisme transcendantal.» Le découpage du monde par nos
catégories est issu d’une pratique sociale qui évolue et change le sens des
mots. N’y-a-t-il pas une contradiction entre la reconnaissance de cette
idée et la volonté de conserver les anciennes «grilles»…
4
C’est le rapport à l’inconscient...
Genette a sans doute raison. Ce dont je suis sûr, c’est qu’un écrivain de
métier, habitué à travailler, comme on dit, le style, ne saurait se contenter du
langage plat et lourd de mode dans les productions scientifiques. Il faut,
encore et toujours, qu’il «écrive.»
En tant que sociolinguiste je sais que tout marché des biens se structure
et s’unifie dans un langage. La promotion de l’anglo-saxon à l’époque de la
globalisation libérale est une évolution inéluctable, dont s’indignent
seulement des naïfs hypocrites. Mais il est vrai aussi que la globalisation
économique s’accompagne de sa contestation, elle aussi mondiale, au nom
6
de la diversité humaine. Nous en sommes donc, une fois réservé le domaine
de surface de la communication pratique planétaire, au sauvetage du
feuilletage linguistique et culturel, ce pour quoi je combats sur mon terreau
d’histoire. Les Indiens d’Amérique (ce qui reste d’eux) ont aujourd’hui droit
à la parole.