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Jean Danet
La dangerosité, une notion
criminologique, séculaire et mutante
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Référence électronique
Jean Danet, « La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante », Champ pénal / Penal field,
nouvelle revue internationale de criminologie [En ligne], Vol V | 2008, mis en ligne le 07 octobre 2008. URL : http://
champpenal.revues.org/6013
DOI : en cours d'attribution
Jean Danet
Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie, Vol V | 2008
La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 3
employée en 1890 par Garofalo, magistrat, l’un des trois auteurs-clés de l’école positiviste
avec Lombroso et Ferri. La périculosité n’est rien d’autre que la dangerosité.
6 Ni chez les auteurs du XVIIIe siècle, les réformateurs tels Beccaria3, Bentham4, ni du côté
de ceux qui leur résistent, Muyart de Vouglans, Jousse5, on ne trouvera la moindre trace de
ces notions. Pas davantage chez les juristes de l’école de l’Exégèse. C’est à la fin du XIXe
siècle qu’il faut se porter pour découvrir que cette notion, sous les dénominations diverses
évoquées plus haut, nocuité, périculosité, et enfin, état dangereux, dangerosité, surgit au cœur
d’un enjeu politique essentiel : le combat entre ceux qui en tiennent pour le droit pénal néo-
classique et ceux qui se posent comme le camp du Progrès, les positivistes. Jusque vers 1914,
le combat doctrinal fit rage. Dès 1885, le camp positiviste enregistra en France une traduction
législative de ses théories avec la loi sur la relégation, mais cette victoire demeura isolée. C’est
entre 1914 et 1940 que les victoires de l’école positiviste et de la défense sociale vont marquer
les législations de très nombreux pays, en Europe et bien au-delà.
7 Il n’est peut-être pas inutile de retracer ce que furent les termes du combat des juristes néo-
classiques contre l’école positiviste parce que nous avons là, nous semble-t-il, de quoi réfléchir
sur les termes du débat actuel et sur ses enjeux. On a ici choisi un héros discret de ce combat, un
magistrat, conseiller à la Cour d’Aix-en-Provence. Il avait, lorsqu’il écrit le livre sur lequel on
va s’appuyer, occupé les fonctions de juge d’instruction, de procureur et, en tant que conseiller
à la Cour, il avait présidé la Cour d’assises. Il se nomme Louis Proal et son livre s’intitule
sobrement Le crime et la peine6. C’est un gros livre de 540 pages, écrit par un homme très
cultivé, d’une culture classique et contemporaine, philosophique et scientifique, très au fait
des évolutions de la pensée pourtant foisonnantes à cette époque, et qui se revendique des
Lumières et du camp républicain si l’on en croit les citations mises en exergue de l’ouvrage :
l’une est tirée de Diderot7 et l’autre de Jules Simon8. Ce livre est un livre de combat : il est
publié chez Félix Alcan dans la collection même où les auteurs qu’ils critiquent, Lombroso,
Garofalo, Maudsley et d’autres, sont publiés. L’introduction intitulée « La crise actuelle du
droit criminel » campe une opposition entre, d’un côté le législateur, un législateur qui croit
au libre arbitre mais qui est peut-être trop oublieux, dit l’auteur, des liens entre « l’âme » et
le cerveau et, de l’autre, les théories déterministes qui expliquent le crime par l’organisme, le
tout sur fond de progrès des sciences naturelles, du positivisme et du darwinisme. Proal, sous
la réserve faite à l’instant, se range dans le premier camp, celui des notions de responsabilité
morale, de culpabilité et de peine, et ce qu’il critique c’est le caractère systématique des
théories déterministes mais sans nier toutefois l’intérêt des sciences à condition qu’elles ne
servent pas une théorie toute faite, un a priori. Position nuancée donc, mais ferme. Lorsqu’il
publie la seconde édition, Proal peut penser que son combat sera victorieux : le second Congrès
d’anthropologie criminelle n’a-t-il pas, après tout, vu l’échec de Lombroso dont la doctrine
n’a pas convaincu ?
8 En tout cas, il ne masque pas son objectif et dès l’avant-propos de la première édition, il écrit
(V et VI) :
Puisque personne ne s’était encore présenté9 pour montrer la fausseté et le danger des théories
qui font du crime une fatalité physiologique ou sociale, et qui veulent remplacer la pénalité par le
traitement10ou l’épuration, magistrat, ne devais-je pas essayer de le faire moi-même ?
[…] Ayant acquis dans mes fonctions successives de juge d’instruction, de procureur de la
République et de conseiller, la conviction que la responsabilité n’est pas une illusion, ayant en
quelque sorte fait l’expérience du libre arbitre des criminels, je me décidai à défendre ces vérités
morales qui me sont chères, et sans lesquelles il n’y aurait plus ni culpabilité, ni justice pénale.
[…] Mon travail se divise en deux parties ; dans la première j’examine les théories modernes
de la criminalité ; dans la seconde les théories modernes de la pénalité. Les secondes dépendent
des premières. En effet, si le criminel est une bête malfaisante, privée de la personnalité, on peut
l’éliminer. Si c’est un malade, son placement dans un asile est la seule mesure qu’on puisse
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La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 4
prendre à son égard. Si on ne voit en lui qu’un ignorant, il faut l’envoyer à l’école. Enfin s’il
est démontré que c’est un coupable, on a le droit de le punir, dans le cas où l’intérêt social et la
justice le commandent.
9 Proal va donc passer en revue pour les réfuter ces théories.
10 L’atavisme d’abord qui, selon Lombroso, fait revivre chez les criminels des sociétés modernes
les instincts de l’homme préhistorique. Voilà bien une affirmation péremptoire dit Proal qui
reproche vivement à Lombroso d’avoir bâti sa théorie sur une hypothèse que Darwin avait,
dit-il, posé de façon très prudente. Il la réfute donc et se posant lui aussi en homme de progrès,
il en appelle à Claude Bernard sur les exigences de la science expérimentale auxquelles les
théories de Lombroso ne satisfont pas.
11 L’hérédité ensuite. Proal veut bien accepter qu’elle pèse sur le criminel mais il refuse d’en
faire l’explication unique du crime. Pour conclure son chapitre par une justification de l’idée
qu’il se fait du travail du juge lorsqu’il apprécie la culpabilité (104) :
L’observation établit aussi que, malgré la différence des prédispositions héréditaires, il n’y a pas
d’hommes n’ayant que des tendances au crime, de même qu’il n’y a pas d’hommes n’ayant que
des penchants pour le bien… Par suite le devoir du magistrat est de tenir compte aux accusés de
ces inégalités de responsabilité, et de rechercher dans les prédispositions héréditaires tout ce qui
peut atténuer la culpabilité.
12 C’est peut-être le chapitre suivant qui nous approche le plus du débat contemporain sur la
dangerosité au moins par la description qu’il contient du public de criminels en cause. Il y est
question de l’anomalie morale. Ici, c’est à un auteur français que Proal répond, le Dr Despine
(105-126).
Le moment est venu d’examiner la théorie de M. le Dr Despine, qui a été adoptée par l’école
italienne d’anthropologie criminelle et combinée avec l’atavisme. D’après cette théorie, les
criminels sont atteints d’une insensibilité morale qui les place dans un état psychique analogue à
celui de la folie ; ils ne sont ni libres ni responsables parce qu’ils sont privés du sens moral. Cette
insensibilité morale, incompatible avec le libre-arbitre n’est point le résultat de la maladie ; elle
doit être attribuée à l’organisme qui n’est point malade mais incomplet.
[…]
L’intelligence, ajoute M. le Dr Despine, ne manque pas aux criminels, mais le sens moral leur fait
défaut ; ils n’ont pas de pitié pour les victimes, ils n’éprouvent pas de remords. Cette absence de
sens moral rend le criminel irresponsable, comme elle affranchit l’aliéné de toute responsabilité.
[…]
Pour justifier cette assimilation, M. le Dr Despine et après lui MM. Lombroso, Garofalo, E. Ferri
invoquent l’absence de sens moral constatée chez les grands criminels, la fréquence des récidives,
l’imprévoyance et le défaut de pitié des criminels.
13 Proal réfute encore la théorie d’une anomalie morale innée. Pour ce faire si, in fine, il en
appelle à Kant et à J. Stuart Mill11, c’est d’abord à son expérience de magistrat qu’il se fie :
Le criminel n’est pas une brute, un monstre à face humaine, incapable d’un bon sentiment, faisant
le mal pour le mal, n’ayant ni conscience, ni liberté morale. La conscience peut s’obscurcir en
lui, la volonté peut se dépraver, mais cet abrutissement est le résultat d’une perversité acquise,
progressive dont il est responsable et non d’une perversité congénitale et fatale. Le plus souvent,
12
la conscience n’est pas encore éteinte, elle peut se réveiller.
14 On voit bien ici la ligne de défense du juriste : le libre arbitre existe et il n’est de perversité
qu’acquise dont le criminel est au moins pour partie responsable. Il est responsable, coupable
et justifiable d’une peine qui pourra le plus souvent servir à la réinsertion, réserve faite tout
de même d’une fonction de neutralisation de la peine que la mort ou la perpétuité peuvent
servir. Nous y reviendrons.
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15 Mais évidemment ce qui émeut plus encore Proal, et ici, on voit à quel point la conjoncture
a changé en un siècle, c’est la solution préconisée par le Dr Despine : le remplacement de la
privation de liberté par des soins.
16 L’enjeu est ici institutionnel : de qui vont relever les criminels ? Sous quelle tutelle vont-ils
tomber, celle du juge ou celle du médecin ? La peur d’une déjudiciarisation est ici évidente
chez notre président d’assises qui convoque aussitôt un argument sécuritaire : nous sommes
meilleurs gardiens des criminels que vous, dit-il aux médecins, voire mieux armés, au sens
littéral du terme, pour les neutraliser. La peine est ici avancée comme une meilleure réponse
à l’insécurité que le « traitement ».
17 Et Proal d’ajouter : Il serait peut-être sage de penser un peu plus aux victimes qui sont
assassinées, volées, outragées, et de ne pas renoncer si facilement aux moyens d’éviter aux
honnêtes gens les douleurs que les crimes leur imposent.
18 L’assimilation du crime à la folie, par d’autres médecins cette fois, est également réfutée
en des termes d’ailleurs à mi-chemin entre modernité et représentation classique de la folie.
L’énormité des crimes n’est pas une preuve de folie écrit Proal, en titre d’un paragraphe. Et
il poursuit (133) :
Lorsqu’un crime monstrueux est commis, on se demande quelquefois s’il n’est pas l’acte d’un fou.
La folie, en effet, inspire des actes horribles de férocité et de lubricité. Toutes les fois qu’un de ces
actes sera commis, faut-il supposer qu’il ne peut émaner d’un homme sain d’esprit ? L’expérience
judiciaire nous apprend que les crimes les plus odieux, les plus répugnants peuvent être accomplis
par des hommes qui ne sont pas aliénés.
19 De même Proal réfute-t-il l’assimilation des dégénérés aux criminels, c'est-à-dire l’explication
du crime par la dégénérescence, théorie de Morel. Erreur, dit Proal, tous les dégénérés ne sont
pas des criminels, et tous les criminels ne sont pas des dégénérés. Au passage d’ailleurs, il
nous livre une représentation classique pour l’époque des « populations dangereuses » quand
il explique qu’il n’a rencontré pour sa part de dégénérés que chez les vagabonds mais ajoutant
aussitôt : tous ne le sont pas.
20 On voit bien ce qui se joue dans cette partie du livre : maintenir les notions de culpabilité, de
responsabilité, de libre arbitre, de peine contre les notions de déterminisme, de folie, de folie
morale et de traitement.
21 Proal ne laisse pas un argument sans réponse. Ainsi, brocarde-t-il l’étrange démonstration
des déterministes lorsqu’ils s’attachent à l’aveu ou au déni. Il écrit ici encore de manière très
moderne au regard des pratiques actuelles dans les prétoires (302-303) :
Les déterministes font encore deux objections : 1° les criminels, en général, nient leur
culpabilité ; « leurs dénégations tenaces, obstinées sont la meilleure preuve qu’ils n’ont pas de
repentir » (Lombroso, L’homme criminel, 398 ; Ferri, Bulletin de la société des prisons pour
1886, 27) ; 2° le remords qu’ils expriment n’est pas sincère ; il est inspiré par la peur du châtiment
et le désir d’apitoyer le juge.
[…]
Si l’accusé nie le fait qui lui est reproché, pour échapper à la peine il est atteint d’une insensibilité
morale, résultat de son insensibilité physique ; il est comme le sauvage qui ne connaît pas le
remords (L’homme criminel, 413) Si, au contraire, l’accusé fait des aveux, il montre par là qu’il
n’a aucune répugnance à parler des crimes qu’il a commis ; il manque de sens moral. Ne sont-
ce pas là des reproches contradictoires ?
22 Proal répond aussi à l’argument statistique et sur deux fronts. Au plan théorique, il entend
démontrer que la régularité statistique des crimes que Quételet affirma le premier, se
concilierait avec le libre arbitre et qu’il n’y a pas là comme le croient Lombroso ou Stuart Mill
de contradiction. Reprenant Quételet, et d’autres scientifiques, il rappelle d’abord le sens d’une
statistique qui portant dit-il sur le corps social gomme l’action du libre arbitre qui demeure
au plan individuel.
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23 Mais Proal a mieux à opposer à ses adversaires. Car il écrit précisément à une époque où
cette fixité statistique est démontrée fausse et il a beau jeu de rappeler que sur les principaux
crimes, on constate une augmentation jusque vers 1855-1860 et une diminution depuis lors
jusqu’en 1890, date à laquelle il écrit. La fixité statistique n’existe pas : l’argument statistique
des déterministes tombe de lui-même.
24 La seconde partie du livre traite de la peine. Elle convainc d’abord de ce que stratégiquement
la question du jugement des fous et celle du traitement des criminels sont intimement liées13.
Elles touchent toutes deux la notion de responsabilité morale.
25 Contre Stuart Mill qui a, selon lui, résumé la pensée des déterministes en disant Avec ou sans
libre arbitre, la punition est juste dans la mesure où elle est nécessaire pour atteindre le but
social, de même qu’il est juste de mettre une bête féroce à mort, Proal défend farouchement
les causes d’irresponsabilité pénale ; il défend les jurés quand l’école italienne veut les exclure
pour ne conserver que des professionnels, juges et médecins ; il se prononce en faveur d’une
question spéciale à la Cour d’assises sur l’irresponsabilité pour démence ; il est en faveur
de l’irresponsabilité civile du dément, c’est à l’époque le droit positif, et en faveur enfin de
l’atténuation de responsabilité du malade mental qui n’a pas perdu tout discernement.
26 Il ne méconnaît pas la nécessité de l’expertise psychiatrique mais se bat contre les
revendications sournoises de toute puissance, d’annexion des criminels par les médecins. Il
écrit (362) :
Est-il besoin de dire que l’expertise médico-légale doit avoir lieu avant le jugement ? Cependant
on a écrit qu’elle doit se faire après le jugement. « Que peut vous faire, à vous juges, qui êtes
appelés à réparer le préjudice causé à la société par le crime, que le criminel ait agi sous l’influence
des causes morbides ou non ? Tâchez de savoir s’il a commis son crime et s’il l’a vraiment
commis ; qu’il soit malade ou fou, sous l’influence de l’atavisme ou dégénéré, cela ne vous
regarde pas ». Rechercher la responsabilité morale des accusés avant le jugement est une curiosité
intempestive ; une fois qu’ils sont condamnés, l’examen se fera, le médecin reconnaîtra les siens :
« Les cas incurables motiveront un traitement à vie et les malades guéris seront sur le champ remis
en liberté. » (Revue de philosophie positive, septembre-octobre 1890, 225). L’écrivain qui place
ainsi l’appréciation de l’état mental des accusés après le jugement, suppose que tous les criminels
sont des malades. Mais alors je me demande à quoi sert le jugement.
27 Il tient donc à une nette distinction entre peine et traitement, distinction qui n’allait pas de soi
à une époque où le nombre des aliénés enfermés à l’hôpital atteignit les 100 00014 et où les
traitements pouvaient recouvrir certaines pratiques disciplinaires qui suivaient de peu celles
du monde carcéral (391-394)15 :
Assurément la société a le droit de mettre le criminel dans l’impuissance de nuire aux autres,
même quand il est porté à nuire par un penchant irrésistible, par l’instinct naturel d’un organisme
naturel ou incomplet. C’est ce qu’elle fait à l’égard des aliénés et des idiots. Mais une chose est le
placement d’un aliéné dans une maison de santé, autre chose la détention d’un criminel dans une
prison. M. le Dr Maudsley a beau dire que les deux choses se ressemblent (Le crime et la Folie,
25), la différence qui les sépare est immense : c’est pour le soumettre à un traitement que l’on
place l’aliéné dans un asile ; c’est pour lui infliger une peine que l’on détient un criminel dans
une prison, après avoir déclaré sa culpabilité.
28 Ici, Proal mesure bien que sa ligne de défense devient fragile lorsqu’à la notion de
responsabilité morale certains voudraient substituer une notion de « responsabilité légale »
qui revient à penser, en pénal, une responsabilité pour risque. Ici, selon lui deux solutions
sont possibles : soit, comme Proal le lit dans le dictionnaire de médecine (13e édition, 385),
les positivistes préconisent de traiter les criminels comme des malades et les criminels très
dangereux comme des malades très dangereux, et il peutbien sûr agiter l’effroi de l’impunité
des malfaiteurs, mais que dire
Lorsque d’autres criminalistes déterministes veulent rassurer la société contre les conséquences
de leur théorie et tombant dans un excès contraire16, proposent de punir les criminels non à raison
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de leur culpabilité, qui disparaît avec le libre arbitre, mais à raison de leur nocuité. Il faut se
débarrasser des criminels, sans se préoccuper de leur responsabilité morale ; il faut les éliminer.
Ce sont des êtres nuisibles, cela suffit ; en les éliminant, on épurera la société. C’est la théorie de
l’école italienne d’anthropologie criminelle, de M. Lombroso, Garofalo et Ferri.
29 Proal commence par répondre sur les aliénés en disant sa « surprise » de voir des médecins
vouloir punir les aliénés, c’est dit-il « vouloir supprimer l’article 64 du code pénal » et s’ensuit
une longue démonstration de l’impossibilité de punir les fous, parce que séparer libre arbitre et
culpabilité n’a pas de sens. Il conclut en disant : La morale n’a pas d’autres bases, la pénalité
non plus n’en a pas d’autres.
Mais il lui faut encore répondre à ce qu’il perçoit bien comme le plus choquant : certaines des
propositions de l’école italienne d’anthropologie criminelle qui fondent l’usage de la peine de
mort contre les criminels sur une nécessaire sélection qui serait selon ceux-là aussi bénéfique que
la sélection biologique. Le passage est important et mérite une citation assez longue (435-436) :
L’école italienne d’anthropologie criminelle… veut remplacer la responsabilité morale par les
lois naturelles de la sélection et de l’adaptation. À ses yeux, le droit de punir est une fonction
sociale, ayant pour but l’élimination des éléments antisociaux. La société est un organisme qui
réagit contre le crime par la pénalité… La société ne punit pas, elle élimine les hommes dangereux,
qui ne sont plus nos semblables, mais de véritables monstres à face humaine.
La peine de mort, étant le moyen d’élimination le plus efficace, a toutes les préférences de l’école
italienne. Elle sera appliquée aux criminels entièrement privés du sentiment de pitié (Garofalo,
235) ... Par ce moyen, le pouvoir social produira artificiellement une sélection analogue à celle qui
se produit spontanément dans l’ordre biologique par la mort des individus non assimilables aux
conditions particulières du milieu ambiant où ils sont nés ou au sein duquel ils ont été transportés
(idem, 232). La peine de mort sera un moyen d’épurer l’humanité ; on fera de l’échafaud un moyen
de sélection artificielle... L’échafaud auquel on conduisait chaque année [au temps d’Henri VIII
et d’Elisabeth] des milliers de malfaiteurs, dit M. Garofalo, a empêché que la criminalité ne soit,
de nos jours, plus répandue dans la population… (Garofalo, 269-270).
30 Proal a beau être partisan de la peine de mort, il est par principe opposé à cet usage « prodigue »
de cette peine. Il écrit :
Sans doute, la peine de mort a pour effet de purger la société des grands malfaiteurs ; mais ce
résultat utile ne doit pas être confondu avec le but que se propose le législateur. Ce but est la
protection de la société et non l’épuration de la race. Pour maintenir la sécurité publique, dans
quelques cas exceptionnellement graves, la justice sociale a le droit d’enlever la vie à de grands
coupables. Mais est-il nécessaire de dire que la peine de mort ne doit pas être prodiguée, qu’il faut
la réserver pour un petit nombre de crimes très graves, que tous les criminels privés du sentiment
de pitié ne sont pas incorrigibles ?
31 Proal critique encore les peines indéterminées que les positivistes italiens réclament contre les
mineurs délinquants et, habilement, il exploite les écrits de Tocqueville pour démontrer que
la récidive des mineurs n’a rien d’inéluctable. Dans une prescience assez claire des folies où
mènent les théories de Garofalo, Proal critique aussi la transportation comme étant une peine
de mort déguisée.
32 C’est en fin de chapitre que Proal envisage un instant le pire pour un juriste attaché à la notion
de responsabilité : les mesures ante delictum. À l’époque où il écrit, l’école italienne ne les a
pas encore proposées mais le Dr Despine lui n’a pas hésité à envisager l’arrestation préventive
(451-452).
Séquestrer, dit-il avant le crime le passionné qui devient dangereux et menaçant, ou bien l’éloigner
forcément de la personne qu’il menace, n’est-ce pas plus rationnel que de la séquestrer après
l’accomplissement du crime ? (Despine, De la folie, 663). M le Dr Despine oublie seulement que
les lois s’appliquent aux faits accomplis, car les faits de l’avenir sont incertains… le châtiment
suit le délit (Tacite, Annales, I, III, §69) ; il ne le précède pas.
33 En 1890, la question des mesures ante delictum ne se pose pas encore de façon très aigue et
Proal, on le voit, peut se contenter d’y répondre en citant les classiques.
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34 En fin d’ouvrage, au dernier chapitre, Proal revient sur les fondements de la justice pénale.
C’est là qu’est pour lui la ligne de partage entre ce qu’il nomme déjà l’idée de défense sociale17
et la Justice (504-516).
Si dans la création et l’application de la sanction pénale, le législateur et le juge doivent tenir
grand compte du degré de danger que le délit fait courir à la société, il ne faut pas en conclure
que la peine n’est « qu’une mesure de précaution sociale, un acte de défense sociale ». L’idée de
défense, isolée de l’idée de démérite, n’aboutirait qu’au placement des criminels dans des asiles,
où ils seraient mis dans l’impuissance de nuire ; elle n’autoriserait pas l’application d’une peine.
Pour trouver la justification de la pénalité, il faut arriver à l’idée de faute, de démérité ; la peine
ne peut être infligée qu’à un coupable.
[…]
La punition des coupables n’est pas seulement un acte de défense sociale, mais un acte de justice ;
elle n’est infligée qu’à ceux qui la méritent.
35 La cause de la peine, dit-il encore, c’est la violation de la loi et le but de la pénalité, la
prévention des crimes.
36 Mais alors, comment après avoir posé ces principes, Proal donne-t-il des gages, à ceux
qui craignent l’accroissement de la criminalité, crainte qu’il semble partager en dépit des
statistiques qu’il a lui-même citées ?
37 Après avoir tout de même approuvé la diminution du nombre de cas où la peine de mort est
encourue par rapport au code Napoléon, il écrit :
Aujourd’hui, l’accroissement de la criminalité et de la récidive impose au législateur le devoir
d’édicter des peines plus sévères à l’égard des malfaiteurs d’habitude, même quand la première
condamnation n’est pas supérieure à une année d’emprisonnement. La persévérance dans le délit
ou le crime n’aggrave pas seulement le danger que le criminel fait courir à la société, mais
elle constitue aussi une aggravation de perversité morale, de telle sorte que la justice s’accorde
avec l’intérêt social pour demander une protection plus efficace de la sécurité publique par une
répression plus énergique.
38 Il en appelle enfin à une police plus efficace, un châtiment plus certain, un usage moins
fréquent du droit de grâce, l’isolement et le travail en prison, bref le programme de Beccaria
auquel s’ajoute la réforme des prisons. Pour le reste Proal tout à la fin de son livre veut rester
optimiste parce que dit-il, les vieilles vérités morales restent toujours jeunes parce qu’elles sont
éternelles, tandis que les nouveautés paradoxales, même revêtues d’apparence scientifiques,
vieillissent vite. C’est tout de même, on le sent bien, une position très défensive, voire un
peu facile. Il dénie le caractère scientifique des théories déterministes et c’est son meilleur
argument pour contester une défense sociale qui ne serait que fondée sur l’appréciation
médicale du danger. Il tient enfin à la responsabilité morale, à la culpabilité mais pour
maintenir leur caractère central, il est contraint d’accepter une inflation des peines pour
répondre à l’argument de la récidive et de la dangerosité.
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le souligner. Les positions des uns et des autres sur la peine de mort seront très différentes et
Ancel donne pour exemple Graven, dont il rappelle le rôle important lors des premiers congrès
de défense sociale, qui n’hésite pas au début des années soixante à se déclarer en faveur du
rétablissement de la peine de mort en Suisse.
53 Quelles sont alors les idées phares de la défense sociale nouvelle, « moderne », comme le dit
Ancel ? Il en énonce six. On peut en résumer brièvement cinq :
• Il ne s’agit pas seulement de faire expier une faute mais de protéger la société.
• Il convient d’attacher une importance particulière à la prévention individuelle.
• L’action de resocialisation ne peut se développer que par une humanisation toujours
croissante du droit pénal nouveau.
• Il faut s’appuyer sur l’étude scientifique de la personnalité du délinquant.
• « Elle se distingue du totalitarisme en ce qu’elle considère que la Société n’existe que
par l’homme et pour l’homme ». « Elle s’appuie donc en définitive sur une philosophie
politique aboutissant à ce que l’on peut appeler un individualisme social ».
54 Les lecteurs des années soixante qui ne pouvaient d’ailleurs douter de l’authenticité des
engagements démocratiques et humanistes des acteurs de la Défense sociale nouvelle auront
attaché la plus grande importance à ces cinq idées en négligeant peut-être le poids de concepts
conservés de la défense sociale originelle et qui étaient repris par Marc Ancel en seconde place.
55 Car, après avoir dans le premier temps rappelé que la défense sociale nouvelle qui « se souvient
de la « révolte positiviste » contre le système classique », « se développe grâce à un effort
résolu de discussion et, s’il le faut de révision systématique des valeurs », il énonce ainsi la
seconde idée centrale :
2° Cette protection sociale, la Défense sociale entend la réaliser grâce notamment à un ensemble
de mesures extra-pénales, au sens strict du mot, destinées à neutraliser le délinquant, soit par
élimination ou par ségrégation, soit par l’application de méthodes curatives ou éducatives ; et l’on
retrouve ici les rapports évidents entre les idées de la défense sociale et la notion de périculosité
telle que l’avait dégagée notamment l’Union Internationale de droit pénal.
56 La dangerosité, l’objectif de neutralisation du délinquant par élimination ou ségrégation et
ceci par des mesures extra-pénales, sont là, explicitement visées, en 1966.
57 Ancel s’en va ensuite à la rencontre de ce qu’il dénomme « les origines du mouvement de
défense sociale ». Ceci nous intéresse car nous allons voir la place qu’il consacre dans cette
histoire à certaines des notions qui nous préoccupent. Partant du mouvement positiviste qui
mettait au premier plan non plus le fait punissable, c'est-à-dire le délit entité juridique, mais
le délinquant envisagé dans sa personnalité individuelle, dans son entité biologique et dans
sa réalité d’être social profondément dépendante du milieu dans lequel il a vécu, il va poser
bien vite les ponts existants, selon lui, entre le positivisme et la défense sociale. La prise en
compte de la dangerosité y figure en bonne place (83-87).
58 C’est au sein de l’Union Internationale de droit pénal créée en 1889 que la première doctrine
de la défense sociale fut constituée et Ancel va accorder une place importante à son premier
théoricien Adolphe Prins, un belge. Sans pouvoir nous livrer ici à une étude de ses écrits19,
rappelons que Prins publie en 1910 un livre qui énonce les thèses de la Défense sociale. C’est
un haut fonctionnaire du ministère de la Justice en Belgique. Il nous intéresse car au plan des
positions personnelles de politique criminelle, il est un abolitionniste « de cœur et de doctrine »
de la peine de mort et très critique de la prison et notamment de la prison cellulaire.
59 Or, que dit Prins et que Ancel nous rappelle ? Il critique la responsabilité morale et veut lui
substituer le critère de l’état dangereux sur les bases suivantes rappelées par Ancel (93).
En pratique [la théorie de la responsabilité morale] aboutit à multiplier les courtes peines
d’emprisonnement et à faire une place sans cesse grandissante à la notion de responsabilité
atténuée, qui laisse la Société sans défense contre les criminels dangereux. Ainsi, la loi pénale
et la justice criminelle fondées sur la responsabilité morale n’assurent pas la protection efficace
de la communauté sociale. Mais le régime pénitentiaire classique, inspiré des mêmes idées ne
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La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 12
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La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 13
délinquants incorrigibles et dangereux pour les soumettre à une peine prolongée, voire perpétuelle.
Il importait dès lors assez peu que la mesure prise à leur égard fût techniquement une peine ou une
mesure de sûreté. La loi française qualifiait la relégation de peine complémentaire et coloniale
(sic !).
64 À partir de 1914, rappelle Ancel, si la controverse doctrinale se calme, la défense sociale
inspire de nombreuses lois un peu partout dans le monde, en Europe et en Amérique Latine,
dans le système de la Common Law, avec, aux États-Unis, sans qu’il soit là question de
mesures de sûreté, des mesures de défense sociale qui apparaissent.
… et c’est ainsi que s’est développée, à la suite du Baumes Act promulgué à New-York
en 1926, toute une série de lois américaines prévoyant un internement à vie des délinquants
d’habitude après un certain nombre de condamnations, avant qu’à la veille de la dernière guerre un
nouveau mouvement législatif analogue ne vienne instituer l’internement des délinquants sexuels
psychopathes, tour à tour adopté en Californie, en Illinois, au Michigan, au Minnesota, puis dans
un certain nombre d’autres États encore.
65 Il est évident que ce lien noté avec insistance par Ancel entre les législations européennes et la
loi américaine n’est pas anodin, encore moins lorsqu’il nous amène à la délinquance sexuelle.
Dans les années trente, la multiplication de législations qui consacrent l’idée d’une peine de
neutralisation, d’une peine de défense sociale, en rupture avec la responsabilité pénale et en
lien avec la dangerosité, est sans doute soulignée à dessein par Ancel, car il nous éloigne du
cadre européen et du glissement vers les États autoritaires (Allemagne et Italie).
66 Si Ancel, veut sans doute ici détacher le mouvement de la défense sociale de tout lien avec les
expériences totalitaires des années quarante, il n’en demeure pas moins que nous aurions tort
quant à nous de ne pas noter le succès général de la doctrine en cause.
67 Marc Ancel va ensuite soutenir une thèse contestable et qui nous semble en tout cas contredite
par Henri Donnedieu de Vabres dans son ouvrage célèbre La crise du droit pénal moderne,
La politique criminelle des États autoritaires22. En effet si Donnedieu de Vabres constate le
succès des thèses positivistes et leur reprise dans les législations allemandes et italiennes des
années trente en particulier pour ce qui est des mesures de sûreté, de la notion de dangerosité,
Ancel quant à lui le minimise. Il soutient que les États autoritaires auraient « préféré » la
peine rétributive et intimidante aux mesures de défense sociale et que le succès des mesures
de sûreté auprès de ces régimes, constatable en effet dans les lois ne serait qu’apparent et il
conclut (109) : Le droit pénal autoritaire tend par une pente naturelle à proclamer les droits
de la répression.
68 On voit bien ce que cette appréciation peut avoir pour Ancel de nécessaire lorsqu’il écrit
en 1956 ou en 1966. Foncièrement démocrate, humaniste affirmé, Ancel, comme tous les
membres de son mouvement, ne peut accepter quelque lien, quelque cousinage que ce soit
avec le droit pénal des États totalitaires, qu’il s’agisse de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste
ou de l’URSS.
69 Il préfère donc penser la défense sociale comme sortant de l’ombre sitôt après la guerre et
lier son renouveau en « défense sociale nouvelle » à l’action de l’ONU qui, dit-il, prend la
direction de ce mouvement en ce qui concerne « la prévention du crime et le traitement des
délinquants ». L’usage du mot « traitement » est ici jugé essentiel par Ancel. Il permet de céler
la nouvelle alliance entre le mouvement de défense sociale nouveau et la pensée onusienne,
la pensée des droits de l’homme.
70 Ancel ne masque pas que tout cela survient dans un climat nouveau :
… on avait bien compris que cette expression de « défense sociale » ne pouvait plus
servir seulement à désigner une fonction de la justice pénale comme avec Ferri, ni à
caractériser les mesures extra-pénales que la législation pénale édictait, empiriquement ou même
systématiquement, pour assurer la protection de la Société comme entre les deux guerres, ni même
à définir, comme avec Prins, la doctrine qui s’efforçait d’incorporer ce souci de protection dans
une politique criminelle scientifiquement élaborée.Les réformes pénales scandinaves qui, à cette
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La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 14
époque, s’imposaient à tous les esprits soucieux d’humanisme pénal s’inspiraient expressément
d’un idéal de défense pénale souvent invoqué comme tel…
… Ainsi dans le climat particulier de l’après-guerre, par delà les excès inhumains qui venaient de
déshonorer ce siècle, les hommes de science de tous les pays qui se sentaient en même temps des
hommes de bonne volonté s’efforçaient de retrouver la grande tradition humaniste et de repenser,
dans un esprit nouveau, le problème criminel, envisagé comme un problème social.
71 La sincérité d’Ancel n’est pas en cause bien entendu, mais on n’est pas obligé de croire qu’il
y ait là de quoi fonder une rupture épistémologique, et l’expression est ici employée en son
sens parfaitement littéral. Bien sûr, le lecteur d’Ancel, celui des années soixante, serait tenté
d’admettre une rupture profonde entre la défense sociale et la défense sociale nouvelle lorsqu’il
retrouve sous la plume d’Ancel la description des traits marquants de ces législations d’après-
guerre que le second mouvement approuve ou même inspire (page 145) :
Rappelons, … que tous les systèmes contemporains, en tant qu’ils ont évolués et représentent,
au sens des comparatistes du début du siècle, le « droit des pays civilisés », ont accueilli, plus
ou moins spontanément, et plus ou moins complètement, au moins trois des réformes essentielles
postulées par cette politique criminelle moderne : ce sont, historiquement, l’élaboration d’un
régime spécial de l’enfance délinquante, la mise au point d’une gamme d’individualisation
comprenant, pour certains délinquants au moins, une série de mesures extra-pénales ou du moins
extra-répressives, et poursuite résolue d’une réforme pénitentiaire orientée vers la rééducation et
la réinsertion sociale du condamné.
72 Mais au coin de ce socle commun, demeurait, discrète, la référence un peu vague, pour certains
délinquants au moins, à des mesures extra-pénales ou du moins extra-répressives . Une
référence noyée parmi celles, majeures, au droit pénal des mineurs et à la réforme pénitentiaire.
73 Après avoir mené une brillante analyse comparatiste, Ancel peut, en 1966, résumer le constat
en soulignant d’une part la place grandissante de la défense sociale nouvelle et en montrant
comment elle a investi le champ pénal (190) :
… l’évolution du droit pénal moderne, du triple point de vue de la formation législative, de
l’analyse doctrinale et de l’application pratique, fait une place grandissante, explicite ou implicite,
mais nécessaire, aux notions comme aux exigences de la politique criminelle moderne de défense
sociale.
La seconde conclusion réside dans ce qu’on pourrait appeler le paradoxe de la défense sociale. La
doctrine, en tant que telle, apparaît comme un produit naturel du système romano-continental ;
car elle suppose à la base un régime de droit où légalité et individualisation, responsabilité et
périculosité, peine et mesure de sûreté et jusqu’à la notion de politique criminelle elle-même sont
d’abord analysées, confrontées et structurées en fonction de la science pénale par les juristes ;
d’où le contre-courant inévitable du néo-classicisme traditionnel. Malgré ces contre-courants,
c’est dans ce système que la défense sociale trouve ses expressions successives et jusqu’à son
vocabulaire propre ; mais il faudra ce qu’on pourrait appeler le néo-humanisme nordique pour
lui donner enfin toute sa force.
[…]
Enfin, le système longtemps considéré comme le seul rival du système romaniste, le système de
Common Law, est, à première apparence, le plus éloigné de telles préoccupations doctrinales,
autant par sa continuité historique et le particularisme de ses méthodes que par sa technique
juridique naturellement fermée aux catégories de la Politique criminelle comme à celles du
dogmatisme continental. Cependant, avant même que le vocabulaire de la défense sociale
ne reçoive droit de cité chez les criminalistes anglo-américains,… le développement d’une
Criminologie orientée vers les données de la vie sociale, le souci de l’efficacité pratique de la loi
et de la réalité judiciaire… prédisposaient les pays de Common Law à s’imprégner de l’esprit de
la défense sociale et à en réaliser les revendications essentielles.
74 Et suivait un appel à s’inspirer loyalement de leurs réalisations comme de leur idéal (191).
Sur ce dernier point, Ancel sera largement entendu. Sans doute, fait-il preuve d’un optimisme
naïf à croire qu’un jour le mouvement romaniste de défense sociale sera « repris dans son
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vocabulaire » par la Common Law et l’on sourira de cette naïveté européocentriste, mais
ce n’est pas là l’important. L’essentiel, c’est ce qu’il a bien vu : la défense sociale et la
criminologie anglo-saxonne ne sont nullement incompatibles.
75 Ancel revient ensuite sur la rupture entre droit pénal classique ou néo-classique et la défense
sociale nouvelle ou ancienne : rejet d’abord de toute métaphysique, la justice pénale n’a pas
pour but d’instaurer une justice absolue exactement proportionnée dans l’abstrait au mal
causé (201-202).
La défense sociale, d’autre part, se refuse à construire le délit comme une notion de pur droit
et la sanction comme la conséquence, juridiquement nécessaire, de la violation de l’ordre établi.
Elle refuse de donner à la peine, ou à la sanction, la mission de rétablir abstraitement cet ordre
juridique. Les doctrines de le défense sociale moderne prétendent - et qui pourrait ici sérieusement
les contredire ? - que cette théorie classique se fonde à proprement parler sur des mythes, dans la
mesure où elle ne relève pas d’une conception purement mystique de la peine. Par quels moyens
et sur quelles balances le juge pénal pourrait-il peser l’atteinte portée à l’ordre juridique abstrait
et le degré de volonté malicieuse de l’agent ?
[…]
La justice - humaine - a donc pour mission, non pas de rechercher la dose de peine qui, dans
l’absolu, pourrait compenser une faute appréciée en soi ou serait censée rétablir le droit, mais de
déterminer la sanction efficace qui permette aussi bien de redresser, et plus tard de réhabiliter si
possible le délinquant, que de protéger la Société.
76 Mais surtout, en ce qui regarde la mise en œuvre du système, … la théorie nouvelle conçoit la
justice pénale avant tout comme une action sociale. Qu’est-ce à dire ? Sans doute les lecteurs
des années soixante auront-ils lu pour beaucoup cette expression avec les lunettes du contexte
de l’époque : celle des politiques sociales du Welfare, de l’assistance. Mais on ne peut pourtant
pas reprocher à Marc Ancel d’avoir masqué en quoi que ce soit les implications de la défense
sociale nouvelle, lorsqu’il écrit (204) :
Elle [la défense sociale nouvelle] ne considère pas davantage que tout est dit lorsque le juge a
appliqué ce texte à une infraction légalement qualifiée telle. Elle n’estime pas enfin que tout est
terminé à l’égard du délinquant lorsque, les voies de recours étant épuisées, la procédure ayant
été régulièrement suivie et la sanction correctement appliquée, le délinquant condamné a exécuté
sa peine et, suivant la vieille formule, « payé sa dette ». Le problème du crime, problème humain
et problème social, ne se laisse pas si facilement enserrer dans le cadre d’une réglementation
légale. Nous ne prétendons pas pour autant que le juge pénal ne doive pas statuer selon la loi
ou puisse refuser d’appliquer la sanction légale. La défense sociale affirme au contraire - nous y
reviendrons - que c’est là pour lui une tâche essentielle, mais elle conteste que le problème social
et humain du crime concret puisse être entièrement résolu par le seul jeu, dans l’abstrait, de cette
justice distributive ; et elle accuse la doctrine néo-classique d’avoir délibérément ignoré cet aspect
essentiel - et inévitable du problème.
77 L’avertissement était là, en clair.
78 Alors bien sûr, la défense sociale nouvelle repousse le déterminisme positiviste en tant que
système (206), le fatalisme biologique de Lombroso (207) et la nécessité sociale de Ferri, mais
dit Ancel, elle met au premier plan, la sériation et la classification des délinquants, l’analyse
de la dynamique du crime (208).
79 Certes, la défense sociale nouvelle ne rejette pas a priori dit Ancel, les notions de libre arbitre
et de responsabilité mais dit-il (page 210-211) :
Ce sentiment de la responsabilité, du devoir et de la faute ne pèse pas cependant de façon
unilatérale sur l’individu. La défense sociale nouvelle cherche à réaliser un équilibre entre
l’individu et la Société, grâce à une politique criminelle rationnelle fondée sur l’idée que
la Société a elle-même des devoirs envers le citoyen. Le respect de la dignité humaine, la
nécessité de garantir la liberté de l’individu, condition première de l’exercice de ses droits
et du développement de sa personnalité, conduit ainsi au maintien d’un régime de légalité, à
l’établissement d’une procédure judiciaire et à une défiance instinctive envers l’établissement
de tout régime de mesures de sûreté administratives ou de mesures préventives qui pourraient
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La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 16
être établies discrétionnairement ante delictum. Les mesures de sûreté, dans les doctrines de la
défense sociale nouvelle, ne peuvent donc être considérées, ainsi que le soutenait encore Grispigni,
comme étant de leur nature, administratives et comme n’étant légales ou judiciaires que pour des
raisons de commodité pratique. Elles doivent au contraire être désormais soumises, non seulement
à un régime de légalité, mais, par essence en quelque sorte, à une intervention judiciaire. Elles
constituent ainsi les instruments d’action d’une politique criminelle inspirée sans doute par les
données de la science, mais envisagées avant tout comme un art social de lutte contre le crime,
dont le droit pénal lui-même est un moyen.
80 Ce sont là les arguments que l’on retrouvera avancés en faveur de la constitutionnalité de la
loi du 25 février 2008.
81 Parce qu’il faut envisager la dangerosité de manière dynamique, ce n’est plus d’état dangereux
inné qu’il s’agit, mais d’une personnalité en évolution dont il faut appréhender la dangerosité,
évolutive elle aussi. Si l’examen pré-judiciaire de personnalité est donc une conquête dont
Ancel se réjouit (217), ce n’est pas une victoire suffisante, car, dit-il, ce sont toutes les phases
du procès et de l’exécution de la peine qu’il faut soumettre à l’observation. Nous pouvons dire
en 2008 qu’en droit français, nous y sommes23 !
82 C’est donc de diagnostic dont on a besoin et quant aux remèdes, la défense sociale n’en exclut
aucun, pas même les courtes peines de prison, n’en déplaise à Prins. Ancel trouve d’ailleurs
dans la loi anglaise de 1948 la justification de ce remède que les criminologues anglais avaient
appelé « le choc psychologique ».
Le « traitement » sera donc très diversifié et peu importe à Marc Ancel, l’étiquette que l’on mettra
sur ce « traitement », que ce soit celle de peine ou de mesure de sûreté. Ici encore l’écho avec le
débat récent sur la constitutionnalité de la loi du 25 février 2008 est frappant (265) :
… une politique criminelle rationnelle de « prévention du crime et de traitement des délinquants »
au sens où nous l’entendons désormais, devra prendre principalement pour guide de son action
anti-criminelle l’efficacité de la sanction à l’égard de l’individu qui en fait l’objet ou du groupe
d’individus dont il peut faire partie. C’est ainsi que l’on passera du crime à la mesure, non pour des
considérations de dogmatique juridique ou pour des commodités administratives, mais en raison
de considérations biologiques, médicales, psychologiques ou sociologiques, en raison encore une
fois de la prise en considération de la personnalité du délinquant et des réactions de son milieu.
Peine et mesures de sûreté ont ainsi cessé de s’opposer. Si les juristes veulent, pour la satisfaction
de leur esprit, comparer entre eux ces deux concepts en tant que tels, la politique de défense
sociale n’y fera pour sa part aucune objection ; elle pensera même que, sur le plan pédagogique
et pour initier les esprits à la technique des institutions pénales, la comparaison est profitable ;
mais elle considèrera qu’il s’agit là d’un point de vue doctrinal étranger, à proprement parler, à
cette action sociale de lutte contre la criminalité qui est l’objectif et la raison d’être d’une saine
politique criminelle24. Selon cette politique criminelle, on devrait presque pouvoir employer un
procédé ou un autre sans avoir à le qualifier « peine » ou « mesure », car ce qui importe, c’est le
contenu et la coloration de la sanction, beaucoup plus que sa dénomination formelle.
83 Après avoir trouvé la justification de ces propos dans diverses législations du Nord de
l’Europe, Ancel conclut (267) :
… dans la doctrine nouvelle de la défense sociale, il y a, non pas unification, mais intégration de
la peine et de la mesure de sûreté dans un système unitaire de sanctions pénales fondé sur des
critères à la fois physiques sociaux et moraux et ordonné par une politique criminelle où le droit
pénal joue uniquement son rôle normal, mais essentiel, de technique appelée à servir de garantie
nécessaire à la liberté individuelle.
84 Un dernier point mérite encore d’être cité si on conserve à l’esprit que Marc Ancel écrit en
196625, et qu’il est un haut magistrat :
La position prise à l’égard des mesures de sûreté soulève cependant un dernier problème qu’il faut
aborder également en toute franchise comme en toute lucidité. Si en effet la mesure de sûreté est
considérée, non sous son seul aspect juridique, qui l’oppose à la peine, mais comme l’instrument
d’une réaction sociale rationnelle contre le crime, on peut se demander si cette politique criminelle
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La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 17
nouvelle n’est pas conduite, par une sorte de logique interne, à préconiser des mesures de sûreté
ante delictum.
85 Depuis l’ancien droit, des états dangereux ont pu faire l’objet de mesures spécifiques destinées
à protéger la société. Pour Ancel, si le critère de l’état dangereux, posé par les sciences
criminologiques et décelé par la clinique criminologique, présentait une sécurité absolue, le
juriste qui saurait que tel sujet va inéluctablement commettre un délit, pourrait et devrait
prendre la mesure préventive appropriée. Ets’il faut écarter la généralisation des mesures de
sûreté, c’est parce que «ni la science ni l’art criminologique n’en sont là26.
86 Pour autant la mendicité, la prostitution, l’alcoolisme et la toxicomanie doivent selon lui faire
l’objet de dispositions législatives d’ensemble qui peuvent comme la loi du 15 avril 1954 sur
les alcooliques dangereux prendre des mesures préventives pour ces états dangereux. Les
conditions en sont pour lui très simples (270-271) :
L’équilibre à garder entre le principe de légalité, qui joue pour les mesures de sûreté comme
pour les peines, et l’instauration d’une législation de prévention sociale au stade pré-délictuel
se réalisera en réalité assez facilement, à condition que soit assuré le respect des précautions
suivantes : 1) détermination et définition rigoureuses d’une variété spéciale, nettement précisée
d’état dangereux ; 2) délimitation de cette notion d’état socialement dangereux au moyen d’une
formule légale soigneusement et strictement libellée ; 3)reconnaissance par la loi d’un droit
d’intervention préventive de l’État uniquement dans les limites légalement et strictement fixées ;
4) instauration de conditions précises relatives à ce droit d’intervention par un système comportant
des garanties d’ordre juridique et procédural qui devront même en principe être celles du droit
commun.
Sous ces réserves et dans ces limites, une législation inspirée de la politique criminelle moderne
peut admettre pour certains cas particuliers, un système de mesures de sûreté pré-délictuelles.
87 Il n’y a aucune ambiguïté. Et on pourrait donc tout à fait soutenir à partir de ces citations que
la loi du 25 février 2008 est une loi de défense sociale que Marc Ancel aurait pu approuver
comme l’approuvent aujourd’hui d’éminents juristes27.
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estimées dangereuses pour la race. Peut-on manquer le lien entre ces « politiques » et les folles
théories de Garofalo qui pensait la pénalité en termes de sélection ?
93 Il est possible de soutenir qu’en France, entre 1914 et 1939, l’effet législatif de l’École
positiviste ou de la défense sociale fut moindre qu’ailleurs. Moindre qu’en Allemagne, en
Italie, en Belgique, ou que dans d’autres pays plus lointains. On doit certes citer la loi sur
la relégation prise en 1885. Et en 1936, juste avant la constitution du cabinet Blum mais
après les élections, un décret avait institué un Conseil de prophylaxie criminelle qui avait
pour objet de développer la prévention contre le crime. Vichy le supprimera, trouvant le mot
« suspect » dit Ancel. Il avait été au surplus constitué de juristes pénalistes dont un en tout
cas, H. Donnedieu de Vabres qui n’était point et ne sera pas pétainiste29. La relégation fut
réformée mais non pas supprimée en 1954 et, en 1960, des textes sont pris sur les « fléaux
sociaux » au rang desquels on avait ajouté l’homosexualité qui relèvent, on peut le penser
d’une logique de défense sociale. Certes la loi sur les toxicomanes du 24 décembre 1953, et
celle sur les alcooliques dangereux du 15 avril 1954 sont revendiquées par la défense sociale
(Ancel, 1966, 230) mais on le sait, la seconde est restée lettre morte. Au moment même où la
défense sociale nouvelle est la mieux organisée et représentée au plan doctrinal, la notion de
dangerosité semble régresser dans les préoccupations du législateur.
94 Ici, il est certain que plusieurs phénomènes se conjuguent pour expliquer cette éclipse : la
situation politique nationale et internationale d’une part avec la faiblesse de l’extrême droite
et du thème de l’insécurité jusque vers la fin des années 1970, la critique de la répression
et des mesures de sûreté dans le bloc soviétique, la dimension libertaire du mouvement de
1968, et d’autre part la prévalence dans les cercles du pouvoir de juristes bien plus nourris
de droit néo-classique que de criminologie30. Il suffit d’aller relire un ouvrage comme Raison
pour la justice, signé Solon (pseudonyme de trois hauts magistrats) et préfacé par J.-C. Soyer,
publié en 1986 aux éditions Dalloz, alors que les préoccupations liées à l’augmentation de la
délinquance sont déjà affichées, pour comprendre que la peine, la prévention de la récidive
sont pensées là dans le cadre du droit néo-classique. L’intérêt de certains pour ce qui se passe
aux États-Unis (on pense à Alain Peyrefitte, promoteur de la loi sécurité et liberté qui propose
déjà des peines planchers) n’ira pas jusqu’à la proposition, sur le fondement de la dangerosité,
de mesures de sûreté, privatives de liberté.
95 Si la notion de dangerosité n’a guère occupé le législateur entre 1958 et la décennie 1990, il
n’en fut pas de même du juge. C’est là, dans le prétoire qu’elle va se transformer au travers des
expertises psychiatriques et médico-psychologiques. C’est par ces expertises que le débat sur
la peine va être systématiquement lié à l’appréciation de la dangerosité de l’accusé. C’est ici
que les experts vont apprendre aux juges la nécessité de distinguer dangerosité psychiatrique
et dangerosité criminologique31.
96 Et c’est ensuite, à propos des crimes sexuels commis sur des mineurs que la dangerosité
commença sa lente émergence dans la politique criminelle des législateurs successifs32.
97 Par les peines d’abord. Alors que la peine de mort avait été abolie depuis 1981, en 1994,
le meurtre et l’assassinat sur mineur de quinze ans précédés ou accompagnés d’un viol, de
tortures ou d’actes de barbarie peuvent donner lieu à une peine perpétuelle assortie d’une
période de sûreté indéterminée sauf commutation de peine. La perpétuité réelle était née. On
voit bien que cette peine est cependant plus en référence avec la notion de dangerosité des
positivistes qu’avec celle à l’œuvre dans la loi du 25 février 2008. Pourquoi ? Parce qu’elle
est décidée une fois pour toutes, sur l’appréciation d’une dangerosité pensée comme fixe,
qui pourrait être innée, et en tout cas exclusive de tout traitement. La commutation de peine
renvoie à la grâce et n’est pas une véritable procédure de réévaluation de la dangerosité.
98 Depuis 1994, le lien entre les questions de réitération, récidive, dangerosité, peine et mesure
de sûreté n’a plus cessé d’apparaître dans de multiples débats : 1997, loi sur la surveillance
électronique, loi de 1998 sur les infractions sexuelles et la protection des mineurs, loi du 15
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juin 200033 sur la présomption d’innocence et depuis lors les multiples textes qui, directement
ou non, abordent la question de la récidive. On ne reprendra pas ici les analyses que l’on
peut faire de l’importance de nouveaux dispositifs tels le suivi socio-judiciaire, couplé avec le
bracelet électronique mobile comme nouvelle pénalité, axée essentiellement sur la surveillance
et fixée, organisée en fonction de la dangerosité et du risque de récidive. Est-il nécessaire de
rappeler la polémique sur la sous-utilisation de la libération conditionnelle dans la prévention
de la récidive ? Faut-il revenir sur la loi du 10 août 2007 qui a institué les peines planchers et
quasiment généralisé l’injonction de soins ?
99 Tous ces textes se caractérisent par la volonté de prévenir la récidive. Ils se sont appuyés sur les
peines et à ce titre, on pouvait les lire encore comme participant de l’ensemble des fonctions de
la peine telles que l’article 132-24 du Code pénal dans sa rédaction de 2005 les synthétise. Et
pourtant le suivi socio-judiciaire visait très principalement pour ne pas dire exclusivement la
protection effective de la société se voulant dissuasif d’une récidive dont la découverte serait
facilitée, et donc préventif de la commission de nouvelles infractions. Cependant le choix d’en
faire une peine prononcée par la Cour d’assises, même si ensuite son contenu est décidé par
l’application des peines, reliait ce suivi au fait commis et jugé. Et comme il était décidé en
même temps que la peine de prison, il pouvait passer pour une alternative à une part de cette
peine : le suivi socio-judiciaire plutôt qu’une peine plus longue, voire une perpétuité réelle.
Or, la peine de prison était pensée au moins pour partie comme rétributive et contaminait en
quelque sorte le suivi socio-judiciaire, dont la nature de peine rétributive ne va pourtant pas
de soi.
100 Avec la rétention de sûreté, presque tous les liens entre la privation de liberté et le fait criminel
sont rompus si ce n’est un rapport de causalité indirecte : le fait criminel crée la situation
qui peut amener à décider une rétention de sûreté, mais ce sera à partir d’un seul critère : la
dangerosité, définie comme la probabilité très élevée de récidive. Même avec la relégation,
en tout cas dans sa version initiale, l’automaticité de la mesure la reliait au fait commis et à la
pénalité. Désormais, la dangerosité comme opérateur de la politique criminelle apparaît dans
une autonomie qu’elle n’avait jamais eue.
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120 La légitimation est à la fois scientifique : aujourd’hui, on sait mieux qu’au XIXe apprécier et
expliquer la dangerosité, la traiter aussi36. Elle est politique au sens d’une politique criminelle :
le risque présenté par le criminel dangereux ne saurait être pris alors qu’il est identifiable
et mesurable. Il ne le saurait d’autant moins que le droit pénal se donne désormais pour
objectif de réduire des risques infiniment moins graves que la récidive des criminels via
de nombreuses infractions obstacles ou infractions formelles, via la notion de risque causé
à autrui. Cette articulation générale au risque peut permettre de justifier que les réponses
finalisées dont on vient de parler ne soient pas du tout découpées sur la classification tripartite
(crimes, délits contraventions) et que, par exemple, le suivi socio-judiciaire puisse être encouru
pour des délits punis d’un an d’emprisonnement seulement (l’exhibitionnisme), en vertu du
« développement possible d’un risque » comme on dirait en droit civil.
2.2.3. Elle est hybride et elle hybride la réponse, et la peine
121 La dangerosité telle qu’entendue par le législateur est hybride et la leçon des expertises a été
retenue. Oui, elle peut être de nature psychiatrique et aussi de nature criminologique et peut-
être même les deux à la fois. Et l’on note que les établissements destinés à recevoir ceux qui
font l’objet d’une rétention de sûreté sont des « centres socio-médico-judiciaires de sûreté »
où il est proposé une prise en charge médicale, sociale et psychologique. Un traitement donc
qui serait plus qu’un soin ?
122 Elle est encore hybride parce qu’on croit comprendre qu’elle relève de l’appréciation de
facteurs de risque, autonomisés par rapport au sujet, construits à partir d’études statistiques,
mais tout de même mesurés par une expertise qui suppose en l’état actuel une rencontre entre
l’expert et le condamné, et même une observation sur une période de quelques semaines. Alors
mi-clinique, mi-actuarielle ?
123 La réponse à la dangerosité ainsi posée est elle-même hybride et elle hybride la peine.
L’injonction de soins quasi-généralisée pour tous ceux qui encourent le suivi socio-judiciaire
modifie la peine, son contenu. Il la colore de traitement pour les tenants de ces textes, et on
pourra dire que la peine sera ainsi plus utile. Reste à savoir si pour certains des condamnés,
le châtiment ne prendra pas une nouvelle dimension rétributive par le fait de devoir subir des
soins, des traitements, des prises en charge qu’ils refuseraient si la possibilité leur en était
laissée.
Conclusion
124 Le seul mérite de ce qui précède, s’il en est un, serait de nous convaincre s’il en est besoin
que nous sommes devant une politique criminelle qui, à la faveur d’une période répressive,
réaménage le rôle, l’importance, la place de l’opérateur « dangerosité » au sein du champ
pénal. Ce réaménagement a commencé depuis plusieurs décennies déjà si on veut prendre
en compte le rôle des expertises dans la mutation de la notion criminologique, mais sans
que grand monde n’en ait eu conscience. Le contexte sécuritaire, l’intention répressive est
moins le moteur que le carburant du moteur qui mène cette évolution. Bien sûr, il nous
faut relever le contexte qui sollicite le durcissement de la politique criminelle, les causes
sociales, économiques, médiatiques, politiques de cette évolution, et encore penser le déficit
pédagogique et démocratique des médias, mais cela ne suffira pas. La nouvelle économie du
pouvoir de punir ne s’évanouira pas. Pas plus qu’elle ne le fit en 1945, on l’a vu, à propos de ce
que le positivisme et la défense sociale avaient apporté de nouveau dans la pensée sur le crime.
125 À partir de là, du côté de la défense pénale si elle veut remplir sa tâche critique37, il apparaît
que plusieurs niveaux de débats demeurent ouverts et sur lesquels les avocats mais aussi tous
ceux qui sont concernés par ces questions peuvent travailler. Contentons-nous pour conclure
de les énoncer schématiquement :
126 La question de la scientificité du pronostic de récidive, de l’évaluation de la probabilité de
récidive et la question du contrôle de ce pronostic, de ses méthodes, de sa connaissance par
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ceux à qui il est opposé est essentielle. Elle doit être posée fortement. Au plan théorique comme
pratique. Comment s’organiser pour éviter que l’expert ne soit dispensé de tous comptes ?
Que cette évaluation de dangerosité ne devienne un art soustrait à tout contrôle ?
127 La question de la fonction de la peine doit être reposée et retravaillée à la faveur de cette
rupture épistémologique. On doit peut-être poser des questions qui fâchent, ou qui gênent :
Qu’est-ce que la défense sociale après l’abolition de la peine de mort ? Des questions
surgissent : quelle est la plus sévère, la peine perpétuelle réelle ou la rétention de sûreté, quelle
hiérarchie entre ces peines et sur quels critères ? Comment faire pour que nous n’ayons pas à
déplorer demain l’arbitraire de la défense sociale comme au XVIIIe on déplorait l’arbitraire de
peines ? La peine rétributive peut-elle être défendue ? La mesure de la responsabilité pénale
pour choisir et fixer une peine peut-elle encore faire sens ? Ou, au contraire, la dangerosité
couplée au « but de défense sociale » vont-ils tout emporter et devenir le paramètre essentiel
voire exclusif de la peine ?
128 À la marge, la question de la responsabilité est encore posée. Un constat de total échec au
traitement laisse-t-il encore place pour un sens à la décision de responsabilité pénale ? Ou
l’échec est-il toujours imputable au condamné qui subira encore et encore la rétention de
sûreté ?
129 Le juge de la rétention demeure-t-il un juge et comment lui garantir qu’il juge en son âme et
conscience, qu’il n’est pas devenu un décideur avec, lorsque l’expertise est en faveur d’une
probabilité très élevée de récidive, une appréciation liée, une obligation de résultat et une
responsabilité si jamais la récidive se produit. Comment, autrement dit, éviter le glissement
repéré par Foucault d’une instrumentalisation à la fois de la psychiatrie et de la justice ?
130 Comment éviter que par un mouvement descendant, le schéma qui se met en place pour les
crimes les plus graves ne justifie, par un glissement de la dangerosité présumée à partir d’un
crime vers le dépistage de facteurs de risques ante délictuelle et ante criminelle, un contrôle
social toujours plus étroit ? La probabilité qui justifie après la peine, la perte de la liberté
pourrait demain justifier le contrôle avant le délit ou le crime.
131 Enfin, question de société induite par ces nouveaux modes de normalisation : entre la peur
de l’insécurité et la crainte des abus de la surveillance et du contrôle, quel espace libre pour
y construire du lien social ?
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Notes
1 Ce texte est issu d’un rapport présenté au XXVIIe colloque de défense pénale du Syndicat des Avocats
de France tenu à Marseille les 17 et 18 mai 2008.
2 Le « TLF » donne un usage du mot au sens figuré qui est intéressant : Je considère Hugo et Michelet
comme deux pervertisseurs d’intelligence, d’une nocivité presque égale à celle de Rousseau (Léon
Daudet, Le stupide XIXe siècle).
3 Beccaria est, on le sait, opposé à la peine de mort mais il est en revanche tout à fait favorable à la
privation de liberté et aux travaux forcés à perpétuité en assurant que cette peine peut être juste et utile
quoiqu’elle soit plus douloureuse selon lui que la peine de mort parce qu’elle dure et s’il écrit sans doute
le plus beau des réquisitoires contre la torture et les supplices, il n’en pense pas moins que le frein le plus
puissant pour arrêter les crimes n’est pas le spectacle terrible mais momentané de la mort d’un scélérat,
c’est le tourment d’un homme privé de sa liberté, transformé en bête de somme et qui paie par ses fatigues
le tort qu’il a fait à la société… Ainsi donc les travaux forcés à perpétuité, substitués à la peine de mort
ont toute la sévérité voulue pour détourner du crime l’esprit le plus déterminé… On m’objectera peut-
être que la réclusion perpétuelle est aussi douloureuse que la mort et par conséquent tout aussi cruelle ;
je répondrai qu’elle le sera peut-être davantage si on additionne tous les moments malheureux qu’elle
comporte alors que la mort déploie toute sa force en un seul instant ; et c’est l’avantage de la peine de
réclusion d’épouvanter plus celui qui la voit que celui qui la subit, parce que le premier considère la
somme de tous les moments pénibles et que le second est distrait par le malheur présent de la pensée
des peines à venir (Traité des délits et des peines, GF Flammarion, 128-130).
4 On trouve chez Bentham le mot danger employé en un sens très précis, celui du risque qu’un délit
n’appelle la commission d’autres délits du même genre. En revanche lorsque Bentham fait l’inventaire
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des circonstances tenant à ce qu’il appelle « la sensibilité » et qui vont modifier « la force et l’impression
des peines » sur les délinquants, il n’évoque rien qui de près ou de loin évoque notre dangerosité (J.
Bentham, Traités de législation civile et pénale, publié en français par Dumont, Paris Bossange Masson
et Besson, 1802). C’est plutôt au travers de sa théorie des « remèdes préventifs » que Bentham décline
toute une série de dispositifs destinés à détourner le cours des désirs dangereux comme le dit Françoise
Tulkens (1987, 639) et on peut citer par exemple en matière sexuelle, la réglementation de la prostitution.
5 Chez Muyart de Vouglans, les circonstances qui peuvent « servir à faire augmenter la peine », on
trouve notamment la qualité de repris de justice, de vagabond, la récidive ou le crime commis par un
grand nombre de personnes mais rien qui évoque une notion de dangerosité énoncée en tant que telle.
Chez Jousse (1766), la notion n’est pas plus présente.
6 L’édition utilisée ici est la seconde datée de 1893. La première parue en 1887 fut primée par l’Académie
des sciences morales et politiques à l’occasion d’un concours anonyme.
7 Jeune homme prends et lis… Aie toujours présent à l’esprit que la Nature n’est pas Dieu, qu’un
homme n’est pas une machine, qu’une hypothèse n’est pas un fait. Pensées sur l’interprétation de la
Nature. Préface.
8 Ôtez la liberté et la Société s’écroule (Le Devoir).
9 Il fait en note référence aux ouvrages de Messieurs Joly et Guillot parus entre la conception de son
livre et sa publication.
10 Nous soulignerons ce que Proal a écrit en italique dans son ouvrage.
11 Que par ailleurs il attaque vivement.
12 En gras, c’est nous qui soulignons.
13 Dans la loi française du 25 février 2008, en organisant pour les fous une « vraie audience » on les
juge « comme s’ils étaient responsables » gommant ainsi au maximum la différence entre responsabilité
et irresponsabilité pénale au plan du traitement judiciaire et, en tenant enfermés après la peine sur le
fondement de la seule dangerosité, on affaiblit aussi le principe de la responsabilité pénale au plan de
son lien exclusif à la privation de liberté. La notion de responsabilité sort affaiblie de cette stratégie
mais la tactique, bien différente de celle de la fin du XIXe siècle consiste aujourd’hui à ne pas l’attaquer
frontalement, ni dans l’un ni dans l’autre cas.
14 Chiffre cité par R. Castel (1983).
15 Voir sur ce point, M. Foucault, (2003).
16 C’est nous qui soulignons.
17 Empruntant à Lévy-Bruhl.
18 Ce qui est ici souligné est placé en italique dans le texte d’Ancel.
19 C’est ce qu’Ancel rappelle de Prins qui nous intéresse ici, ce sont les thèses de Prins qu’il estime
devoir rappeler et approuver.
20 Ancel renvoie sur ce point à l’ouvrage de Prins et aux affirmations de celui-ci.
21 Ancel ajoute en note : Prins s’interroge même sur le « devoir d’intervention de l’État »contre l’état
dangereux pré-délictuel.
22 H. Donnedieu de Vabres, 1938 ; et sur les développements de notre point de vue, nous nous
permettons de renvoyer à notre article(Danet, 2006).
23 Cf notre analyse (Saas, Danet, 2007) .
24 Le ton ironique de ce passage fait penser à celui de certains discours politiques de ce début de siècle.
Le discours juridique, les principes de droit y sont « ringardisés » ; le tout est pourtant écrit en 1966 !
25 Jean Foyer est garde des Sceaux.
26 Marc Ancel cite ici R. Vienne, L’état dangereux, Revue internationale de droit pénal, 1951, 495.
27 Pradel, 2008 ; Matsopoulou, 2008.
28 Même si l’on doit citer les importants travaux de l’école de Louvain avec notamment Debuyst 1981.
29 De Gaulle en fera le juge français de Nuremberg tandis que son fils faisait partie du cabinet du
général de Gaulle.
30 Qui au surplus ne dispose en France d’aucun statut disciplinaire à l’université.
31 Donnant ainsi les deux visages de son évaluation : sa dimension individuelle et sa dimension
situationnelle et environnementale (Debuyst 1981). La demande de la justice faite aux experts psychiatres
d’évaluer l’une et l’autre dans leur rapports d’expertise a pu susciter une vive critique y compris de la
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part d’experts eux-mêmes. On citera notamment sur cette question J. Sutter, 1997, 588 ; J.‑P. Olie, W. de
Carvalho, C. Spadone, 1995, 19. La demande d’une distinction nette entre l’expertise psychiatrique à
évaluer par le psychiatre en prenant en compte les facteurs évolutifs de la maladie mentale, l’adhésion
aux soins, les connaissances actuelles de la thérapeutique et la dangerosité criminologique à évaluer de
façon multidisciplinaire à la façon d’une criminologie confrontant les données du droit, de la sociologie
comme de la clinique (Senon, Manzarena, 2008) est encore à l’ordre du jour puisque formulée par la
Haute autorité de la santé lors d’une récente audition publique en 2007 (Expertise psychiatrique pénale,
Audition publique des 25 et 26 janvier 2007, Fédération Française de Psychiatrie et Haute Autorité de
Santé, 2007, John Libbey éd.).
32 On se souvient des lois américaines sur les criminels sexuels citées par Ancel. Le parallèle est
intéressant même si le phénomène ne surgit ni à la même époque, ni dans le même contexte.
33 Avec toute la discussion sur la nécessité ou non d’une détention provisoire lorsque la dangerosité
n’est pas là.
34 Cf. Danet, 2008.
35 Voir sur ce point le nouveau schéma de pénalité que nous avons proposé in « La frénésie
pénale » (Danet, 2008a).
36 En ce sens J. Pradel, 2008.
37 Cf. J. Danet, 2004.
Jean Danet
Avocat honoraire, Maître conférences à l’Université de Nantes. Laboratoire Droit et changement
social CNRS UMR 3128. Faculté de droit, Chemin de la censive du tertre, BP81307 Nantes cedex.
jean.danet@wanadoo.fr
Droits d'auteur
© Champ pénal
Résumé / Abstract
La dangerosité n’est pas un concept juridique, ni à définir, ni en devenir. C’est en revanche et
depuis un siècle, une notion criminologique, notion pérenne de la politique criminelle même si,
depuis son apparition sur la scène criminologique à la fin du XIXe siècle, elle a muté. Opérateur
majeur de la politique criminelle aujourd’hui, il nous faut sans complaisance, tenter de cerner
les défis qu’elle pose aux juristes mais aussi à tous les citoyens attachés aux Droits de l’homme.
Après avoir analysé à partir d’un ouvrage de la fin du XIXe siècle, ce que fut le combat mi-
perdu, mi-gagné des juristes néo-classiques contre l’école positiviste, ce texte veut démontrer
à partir d’une relecture de l’ouvrage de Marc Ancel, « la défense sociale nouvelle » que nous
ne sommes en tout cas jamais sortis du paradigme de la dangerosité dans lequel le positivisme
nous a fait entrer. Mais, depuis 1945, la notion de dangerosité a muté et l’analyse de ces
mutations est essentielle si nous prétendons proposer une autre politique criminelle qui puisse
être entendue.
Mots clés : politique criminelle, dangerosité, traitement, mesures de sûreté
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La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 27
Dangerousness isn't a juridical concept. It is not to be defined as one nor is it to ever become
one. However, it has been a criminological notion for a century. It has been a perennial notion
of criminal policy even if it has mutated since it first appeared in the criminological vocabulary
at the end of the 19th century. As it has become a major tool of today's criminal policy, we
have to try to define precisely and uncomplacently the challenges it poses not only to jurists
but also to all the citizens who value the Rights of man. After commenting _through a work
dating from the end of the 19th century_ on the undecided fight of neo-classical jurists against
the positivist school this text aims at demonstrating _with a new reading of Marc Ancel's "la
defense sociale nouvelle"_ that we have never actually left the paradigm of dangerousness
into which positivism led us. But, since 1945, the notion of dangerousness has mutated and
an analysis of these very mutations is essential if we intend to offer an acceptable alternative
criminal policy that can be understood by all.
Keywords : criminal policy, dangerousness, treatment, penalties and security measures
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