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SOMMAIRE

3 LB LIVRB Hermàn Kant L'am phithéâtre par Claude Bonnefoy


DB LA qUINZAINII: Günter Kunert Au nom des chapeaux
4 LETTRE Peter Bichsel Kinoogeschichten par Luc Weibel
D'ALLBMAGNE

li DOCUMENT François Caradec Du nouveau


sur Lautréamont
8 INEDIT Bertrand Russell : Ma vie

8 POBSIII: Benjamin Péret Œuvres CDmplètes. Tome 1 par Serge Fauchereau


De derrière les fagots
E. R. Monegal Borges par lui-même par Gilles Lapouge
10 LITT~RATURB Jorge Luis Borges Evaristo Carriego
~TRANG~RB Jorge Luis Borges Chroniques de Bustos Domecq
A Bioy Casares

11 ENTRETIEN SECRET Propos recueillis par


Pierre Bourlleade
Brigitte Axel H par Gilles Lapouge
toi ROMANS .. RANCAIS Olivier Perrelet Le dieu mouvant par Marie-Claude de Brunhofl'
Gabriel Deblander Le retour des chasseurs Dar M.-C. de B.

t5 ARTS Jeux des nuages et de la pluie par Jean Selz


L'art flamand par Guy C. Buysse
18 EXPOSITIONS
Exposition Saenredam par Marcel Billot
Les bolides au musée par Jean-François Jaeger
t8 PHILOSOPHIE François Châtelet La philosophie des professeurs par Jeannette Colombel
Samizdat 1, la voix par Jean-Jacques Marie
20 POLITIQUE de l'opposition communiste
en U.R.S.S.
Dieter Wolf Doriot par Maurice Chavardès
Roland Barthes S/Z par Philippe Sollers
_Wilhern; Reich La révolution sexuelle par Roger Dadoun
24 PSYCHOLOGIE Wilhelm Reich La fonction de l'orgasme
Michel Cattier La tlie et l'œuvre du
Docteur Wilhelm Reich
16 FEUILLETON W par GeOrges Perec
28 THBATRE Lenz Le Précepteur par Gilles Sandier

Françou Erval, Maurice Nadeau. Publicité littéraire : Crédits photographique.


22, rue de Grenelle, Paris· 7".
Téléphone : 222-94-03.
ConaeiUer : Joseph Breitbach. p. 4 Lüfti Ozkok.
Publicité générale : au Journal.
Comité de-rédaction: p. 7 Marc Riboud, Magnum.
. Georges Balandier, Bemard Cazes, Prix du n° au CantUÙJ : 75 cent•.
p. 9 Eric Losfeld.
François Châtelet, Abonnements:
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Un an : 58 F, vingt-trois numéros.
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Gilles Lapouge, Etudiants : réduction de 20 %.
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La Quinzaine Six mois : 40 F. p. 23 Vasco.
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François Emanuel.
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2
LIVBJ:8 DB LA

Allemands de l'Est
QUINZAINE

Tous deux ont le souci de l'écri- tue par suite des progrès de la section que celui-ci n'était pas
ture, le désir de rompre avec une scolarisation mais de dire parti pour une sortie héroïque,
Apparemment, si l'on s'en tradition figée. Seulement l'un, quels furents la vie et l'enthou- mais pour se fondre dans la na-
tient à leur biographie, Het- qui bouscule les règles et ne craint siasme des premières années. Il ture. Attitude raisonnable qu'il
mann Kant et Günter Kunert pas' le délire, doit jeter son livre entend donc moins parler de s'est empressé d'imiter.
ont plus d'un point commun. par-dessus la frontière, l'autre que l'institution que des hommes Ce don, qui donne au roman la
Ils sont tous les deux citoyens les grands prix couronnent montre qu'elle forma, ce qu'ils étaient, dimension d'un grand jeu tragi-
de la République Démocrati- jusqu'où il est permis d'aller. ce qu'ils firent, ce qu'ils sont de- que, Günter Kunert se garde bien
que Allemande. Ils ont publié venus. Aussi bien lui faut.il com- de nous le révéler d'entrée de
leur premier roman la même L'Amphithéâtre, d' H e r man n mencer par s'interroger sur ce jeu. La passion d'Henry pour les
année, en 1967 - et ce sont Kant, s'insère parfaitement dans qu'il était et sur ce qu'il est couvre-chefs ne prend sens que
la réalité politique et sociale de
ces dernières œuvres que dé- devenu. Tout le mouvement, tout progressivement, et aussi sa crainte
couvre aujourd'hui le public la R.D.A. Kant est communiste. l'intérêt du livre naissent de ces et ses tentations devant la cas-
français. Enfin, ils appartien- Kant considère, sinon avec effroi, décalages dans le temps, de la quette crasseuse, abandonnée par
nent à la même génération, du moins avec une surprise pei- perpétuelle confrontiltion entre les policiers, d'un personnage
celle qui fut privée d'adoles- née, ceux de ses camarades d'étu- un passé plein de contradictions, inconnu qu'il a découvert, assas-
cence et passa brutalement des qui ont choisi de pa~ser à mais aussi d'espoir et un présent siné, près d'une pissotière, durant
des culottes courtes aux te- l'Ouést. Son héros, Robert Iswall, où toutes les contradictions n'ont les premiers jours de l'occupa.
nues de combat. qui lui ressemble comme un frère, pas été surmontées, où les cama- tion.
se sent mal à l'aise lors d'une rades qui sont c arrivés ~ ont sou-
visite à Hambourg, étranger dans Tout le récit part de cette dé·
vent oublié d'où ils étaient partis. couverte, plus importante pour
sa ville natale. Bref, il n'est pas
Herman Kant question pour lui, un seul instant, Ce qui apparaît au terme de ce Henry (à qui la casquette révèle
L'amphithéâtre de remettre en cause les acquisi- livre souvent vif et juste malgré que le mort était son père et que
Trad. de l'allemand tions du socialisme. Au reste, si quelques longueurs et naïvetés ce père était juif) que tous les
par Anne Gaudu cet ancien apprenti électricien a (voulues? peut-être), c'est l'impos- drames des semaines précédentes.
Coll. « Du monde entier » pu devenir après la guerre pro- sibilité d'écrire un discours vrai Plus précisément, cette décou-
Gallimard éd., 353 p. fesseur, puis journaliste, enfin sur l'A.B.F., de rendre compte verte, à l'instar de la révélation
écrivain, c'est au socialisme qu'il object.ivement d'une réalité com- de ses dons, éclaire Henry sur le
Günter Kunert le doit, qui lui permit de s'ins- plexe. Seules, finalement, les rêve- sens de tout ce qu'il a vécu, le
Au nom des chapeaux crire à la Faculté ouvrière et :i-Ïes d'Iswall y parviennent. rend libre et étranger dans une
Trad. de l'allemand . paysanne (A.B.F.) dès son ouver- ville en proie au chaos, à la mi-
par Rémi Laureillard ture en 1949. Avec Günter Kunert, la rêverie . sère et à la honte. Henry peut
Coll. « Du monde entier » se fait délire. Il est vrai que le désor.mais enquêter lIur la mort
Cette faculté est au centre du
Gallimard éd., 288 p. narrateur d'Au nom des chapeaux de son père. Henry peut connaî-
livre. L'amphithéâtre, c'est l'aula
n'est pas sorti du cauchemar. Ou tre d'étranges amours, participer
construite et décorée par l'archi-
plutôt il n'en sort qu'à la fin pour au mouvement « hoministe » et le
A dix-sept ans Kant connut le tecte baroque Andreas Mayer, où,
entrer, comme à regret, dans la faire échouer. II sait que les des-
Iront de l'Est et à dix-huit la re- en 1949, des garçons et des filles
peau d'un petit bourgeois bon tins sont embrouillés. Il sait aussi
traite et la captivité. Kunert, à de 18 à 25 ans, charpentiers, fer·
père, bon époux, et sans doute les lire et se jouer du sien. Tous
quinze ans, vécut la bataille et blantiers, ajusteurs, forestiers,
fonctionnaire bien noté sur le en effet sont à sa portée jusqu'au
l'effondrement de Berlin. Si ces agriculteurs, couturières, vendeu·
compte duquel il n'y aura jamais jour où les chapeaux commen-
faits n'étaient pas évoqués, trans- ses, ont été reçus par le savant ceront à ne plus lui parler.
rien d'intéressant à dire.
posés dans leurs livres, ceux-ci par recteur qui leur ouvrait les por-
leur composition comme par leur tes de la cultur.e, où quinze ans Aussi bien, Günter Kunert,
Pour Henry, rentrer dans le
écriture sembleraient n'apparte- après, pour la cérémonie de clô- même s'il maîtrise toujours son
rang ne peut être que la dé-
nir ni au même monde ni au ture de l'A.B.F., Robert Iswal, un récit et sait établir de secrètes
chéance, tant son génie s'accorde
même temps. de ses anciens élèves devenu jour- concprdances entre les épisodes,
au cataclysme et au cha·os. C'est
naliste, doit prononcer un dis- ne nous conte-t-il pas une his-
Par contraste avec le mouve- quelque chose comme le retour
cours. Tout le roman n'est autre toire, mais mille : celle singuliè-
ment épique et onirique d'Au du poète chez la mère Rimbe rement désordonnée d'Henry et
nom des chapeaux (publié à que la réflexion de Robert Iawall après la fugue exaltante dans le
celles des chapeaux qu'il essaye,
r
l'Ouest, non en R.D.A.), Amphi- sur le sens de son expérience, !lur Paris de la Commune. Les ailes
qui le guident et le font sauter
théâtre paraît être un récit clas- le contenu qu'il doit donner à son sont coupées. La voyance est mise
discours. d'une aventure dans l'autre.
sique et réaliste. Mais prenons en cage. Car la fabuleuse singu-
Mieux, il pratique là un extraor-
garde aux nuances. Certes, d'un Là apparaît tout le talent larité d'Henry est d'être voyant.
dinaire et détonant mélange des
texte à l'autre, la différence est d'Hermann Kant. II refuse de Non au sens poétique, plutôt à
genres. Le tragique s'allie à la drô-
grande et l'on change radicale- faire l'histoire conventionnelle de celui des diseuses de bonne aven·
lerie et il apparaÎt que quand le
ment d'univers littéraire.. Toute- l'A.B.F., de transformer son ré- ture. Seulement il ne dit pas
pire n'est pas sûr, le comique n'est
fois, il serait faux de dire de leurs cit en démonstration. Iswall, son l'avenir, il lit, il vit le passé des pas loin.
auteurs respectifs que, si l'un re- héros, est, d'une certaine manière, autres rien qu'en se coiffant de
garde résolument vers les recher- dans une situation privilégiée. Il leurs chapeaux, képis, calots, A travers les mésaventures co-
ches les plus modernes, l'autre n'est pas professeur. II n'occupe bonnets, bibis ou voilettes. Quant casses ou prodigieuses d'Henry,
est encore pris aux rets du jda- pas de poste officiel. Son rôle, à la révélation de ce don, il l'a Günter Kunert ne fait pas seule-
novisme. Kant et Kunert, c'est puisqu'on lui demande de pren- eue pendant la bataille de Berlin, ment signe à Jarry, Kafka et Que.
évident, ne chantent pas la même dre la parole, ne peut pas être peu après la mort de sa mère sous neau, il nous donne la peinture
chan~n. Tous deux cependant té- d'apporter un bouquet supplé- un bombardement, quand, mili- la plus saisissante du Berlin, an-
moignent d'un renouveau de la mentaire de fleurs de rhétoriques taire de quinze ans peu doué née zéro, et peut-être aussi, la
pratique et de l'invention roma- à l'office funèbre de cette faculté pour le sacrifice, il a compris plus vraie.
nesque en Allemagne de l'Est. morte - ou plutôt devenue inu· grâce au casque de son chef de Claude Bonnefoy

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 marli 1970 3


INFORMATIONS

La Terre
est'ronde
D'ALL&IIAGIf.

voyage, notre homme s'en ira tout A paraître


seul, à quatre-vingts ans, son échel·
le sur l'épaule. On annonce chez Gallimard pour la
Dans cette nouvelle, les objets re- fin de ce trimestre la sortie du roman
Trois tristes tigres du Cubain G. Ca-
fusent de se plier à l'injonction des brera Infante. traduit p,ar Albert Ben-
mots. Dans celle qui s'intitule Il Une soussan. C'est la première fols Qu'est
table est une table », le héros prend proposée une traduction de cette
son parti de cet échec. Si son pro- œuvre difficile Qui. publiée d'abord à
Barcelone par les éditions Seix-Barrai
jet (Il que tout change») se heurte (au prix de certaines coupures dues
à l'inertie du mobilier de sa cham- au ciseau hcingreur de la censure es-
bre, il prendra sa revanche en dé- pagnole. et Qui ne figurent heureuse·
ment pas dans l'édition française)
baptisant les objets usuels qui l'en- reçut en 1964 le prix Blblloteca Breve,
tourent. SQn lit s'appellera tableau, et concourut l'année suivante au prix
et le tableau, lit. Bischel nous livre Formentor. G. Cabrera Infante avait
des tables de traduction, et offre donné déjà un Intéressant recueil de
des exemples de la nouvelle langue nouvelles Dans la paix comme dans ta
guerre, publié en 1962 chez Gallimard.
ainsi formée. Ce principe de subs-
titution ouvre l'espace d'une liberté
de la fiction qui trouve peut-être
son illustration dans le texte qui
porte pour titre : « Jodok vous
~lue ». Chez Fayard, sous le titre de l'U,R.S.s.
Un vieil homme y parle sans survlvr.t-elle en 1984 7, un document
qui ne manquera pas de retenir l'at-
cesse à son petit.fils d'un « oncle tention et Qui, en tout état de cause.
Pem Bic1uel. ' Jodok» que personne n'a jamais risque de coOter gros à son auteur.
vu, et auquel il attribue toute es- Celui-cI. Jeune' historien soviétique
pèce d'actions et d'opinions. Cette exclu de l'Université de Moscou à la
Peter Bichsel nit « inventeur », l'autre s'enferme

1
suite d'une thèse sur les origines du
Kindergeschichten , pour faire le vide dans son esprit présence d'abord reléguée dans le peuple russe qui n'avait pas emporté
Luchterhand éd., Neuwied, et oublier tout ce qu'il sait : tous passé se rapproche: Jodok est censé l'adhésion des autorités, condamné à
Allemagne sont de vieux originaux, tels qu'il adresser au vieillard des messages deux ans et demi de déportation un
téléphoniques. Il annonce sa visite. peu plus tard à cause de deux pièces
en existait dans les bourgeoisies pu- de théâtre non moins contestataires
ritaines, de ces maniaques margi- Parallèlem~nt, il ~d~"'yient le sujet écrites après cette exclusion, a choisi,
On se ~:::l,y!l)nt qu'en 1964, par naux, de ces inadaptés auxquels leS (grammatical) de toutes les phrases malgré la précarité de sa situation ac-
la publication .du Laitier (dont la enfants ont toujours voué' une pro- prononcées par le héros, il substi- tuelle, de signer de son vrai nom,
tue à tous les noms communs (il Andreï Alexelevltch Almarlk ce court
traduction française a paru chez fonde sympathie. Etrangers à la texte, parvenu sous le manteau et où
Gallimard), l'écrivain suisse Peter société, ils sont à leur aise au neige ce matin se traduira par : il se trouve analysé avec une lucidité
Bichsel avait reçu l'accueil le plus contact des objets (le bricolage) et jodoque ce jodok) et illustre à sa Impitoyable l'évolution de la société
favorable de la critique et du public des mots : loin de remettre en ques- manière le principe saussurien se- soviétique vers un avenir qui, d'après
lon lequel, s'il n'y avait qu'un mot l'auteur, compte tenu des relations de
d'expression allemande. Son dernier tion ouvertement les pratiques et son pays avec la Chine, se présente
livre: Kindergeschichten (histoires le savoir social, ils en adoptent les dans sa langue, il servirait à tout sous des auspices Quelque peu apo-
pour enfants) connaît également le axiomes, pour les pousser, il est désigner. calyptiques.
plus grand succès, et manifeste à vrai, à l'absurde. Bien entendu, rien de tout cela
nouveau la maîtrise de l'auteur dans n'est vrai. En réalité, le grand-père
.A.insi la méthode expérimentale
le genre de la nouvelle brève, où il n'a parlé de Jodok qu'une seule
commande de mettre à l'épreuve
fois dans sa vie, sa femme l'a dure·
Albin Michel
avait fait ses premières armes. C'est toute espèce d'énoncé, comme par
en effet cinq « histoires » que nous ment rabroué, et il s'est excusé timi·
exemple : la terre est ronde: Il Chez Albin Michel où, dans la col-
raconte Bichsel, et si les enfants dement, Cette impossibilité de par-
s'agira donc de faire, en ligne droi· lection • Lettre Ouverte ", Robert Sou-
trouveront plaisir à les lire, c~ n'est ler rappelle certes le Laitier. On me
te, le tour du monde, sans s'écar· pault étudie la crise actuelle de la mé-
pas seulement qu'elles sont écrites permettra de la rapprocher du pas· decine. contestée dans ses méthodes,
ter ni à droite ni à gauche. Très
avec leurs IQots : c'est aussi et sur· sage de l'Idiot où Dostoïevski, ra· dans son rôle social et dans son mode
positivement, très patiemment, contant le 'séjour du prince Mych- d'existence par le public, dans un
tout qu'elles communiquent profon. Bichsel énumère les Qbstacles qui
kine en Suisse, décrit les malheurs pamphlet Qu'II Intitule Lettre ouverte à
dément avec des thèmes et des ob- s'opposent à ce projet, à commen· un malade en colère, on fait beaucoup
sessions que l'âge adulte refoule d'une jeune fille nommée Marie: de cas d'un ouvrage dO au rédacteur
cer par la maison du voisin qu'il
mais qu'il ne saurait oublier. En (1 Elle était terriblement silencieuse. en chef du • New York Times ", Har·
faudra escalader, le fleuve qu'il fau· rison E. Salisbury, et où celui-cI, Qui a
d'autres termes, elles ne sont pas Une fois, jadis. elle s'était tout à
dra traverser, etc. Echelle, bateau, longtemps vécu en U.R.S.S.. s'est
l'œuvre d'un auteur rassis qùi se coup mise à chanter en travaillant
chariot pour transporter le bateau, efforcé de reconstituer, en s'appuyant
pencherait généreusement sur le et je me souviens que tout le monde sur force documents, Inédits, le siège
bateau pour transporter le chariot
monde enfantin, mais le prolonge- en fut surpris et se moqua d'elle ». de Stalingrad : les Neuf cents lours.
(quand on arrivera à la mer) : l'énu·
ment direct de questions et de rê- mération procède ici par progression Le silence de Marie, comme le
ves que l'éducation - et par là- logique, par emboîtement, imitant silence du grand-père, manifeste un
même la' Société - ne sauraient les poupées russes ou les tables gi- interdit porté sur l'expression. Minuit
récupérer. gognes. Le calcul, toutefois, échoue. L'usage de la langue est codifié, et
Certes, les héros de Bichsel ne Pour conduire tant de chariots et l'on sait ,avec quelle méfiance on
AU)Ç Editions de Minuit. dans la col-
sont en rien des révoltés. L'un passe de navires il faudra beaucoup de regarde les enfants qui « fabulent ». lection • Le Sens Commun". P. Bour-
son temps à apprendre par cœur main-d'œuvre, et la main-d'œuvre, Chez Bichsel, la parole reprend ses dieu et J.-C. Passeron (voir les n" 12
l'indicateur des chemins de fer, droits, et Il Jodok » est peut-être le et 59 de la Quinzaine) présentent,
par le temps qui court, est chère, sous le titre d'Eléments d'une th60rle
l'autre veut s'assurer par lui-même et difficile à trouver. Après avoir signe de cette joie retrouvée.
du système d'enseignement, un ouvra-
que la terre est ronde; l'un se défi· consumé sa vie à préparer son Luc Weibel ge Qui fait suite aux Héritiers.
DoeUMBNT

Du nouveau sur LautréaDlont


Il existait dans la vie d'Isidore Ducasse, futur cômte de Lau-
tréamont, une lacune de trois années: de sa sortie du lycée impé-
rial de Pau, en août 1865, à la publication du premier des Chants , . , . FEVRIER 1970
de Maldoror, en août 1868.
Qu'avait-il fait pendant cette période? Où avait-il d'ailleurs , BIBLlO!BlQUB SGllnmQUB
passé ces trois années? A Bazet, dans la famille de son oncle?
A Montevideo, comme on .le pensait, grâce à des allusions de la
strophe du « Vieil Océan. et au témoignage incertain de Prudencio YUBI RBI CHAO
Montagne? _
Les dernières éditions des Chants de Maldoror n'apportaient
langage et s,stèmes s,mboUques
10,701
aucune précision. Maurice Saillet penchait- pour l'hypothèse du
retour à Montevideo (Le Livre de Poche, 1963) ; Hubert Juin y
croyait fermement (Editions de la Renaissance, 1967).; Marguerite
Bonnet laissait subsister cette lacune dans sa chronologie, faute
w. ORIIR BT P. COBBS
la rage des DOlrs amérlcalDs 18,801
de preuves (Garnier-Flammarion, 1969).
Les pièces d'archives permettent de répondre, à Tarbes et à
Bordeaux. .JBAI-HIPPOLYTEIlICHOI
Isidore Ducase n'a pas gagné immédiatement Montevideo à sa
sortie du lycée de Pau. Il a séjourné deux ans à Tarbes même. Il s,stème de graphologie
I1IIv} de
méthode pratique de graphologie
18,40'
PI!ID BIBLIO!lllQGB 'P1YO!
Dr ALrRBD ADLER
le tempérameDt Derveu
(P.B.P. Ko 1&1) 7,20 ,

IARL .JASPBRS
essals philosophiques
(P.B.P.Ko 1&2) 5,80 ,
h'était pas étudiant, mais tout simplement « sans profession -.
Le 21 mai 1867, Isidore Lucien Ducasse obtient son passeport
à la préfecture de Tarbes sous le n° 66. Le 25 mai, il fait viser son HBLBIB DBUTSCH
passeport à Bordeaux sous le n° 315; il embarque- sur le « Harrick - ·problèmes de l'idolesceDce
qui n'est pas un navire régulier des Messageries impériales (P.B.P. Bo 1&1) 4,35 ,
(Archives départementales de la Gironde, -Visas des passeports
français â l'étranger, 1866-1868. Cote provisoire 4 M 758). Le
voyage doit durer un mois au moins. Il n'a pas e~ncore été possible P.H.CHOMBART DE LAUWB
de retrouver trace de son arrivée à Montevideo, de son nouvel
embarquement et de son retour définitif à Bordeaux. des hommes et des viDes
Mais n~us savons maintenant que ce voyage de retour au pays (P.B.P. Ko 1&4) 7,20 ,
natal, dans la maison maintenant détruit'e de -la calle Camacua,a
été relativement court: trois ou quatre mC)is, si la date de 1867 Clatalogue gratuit sur simple demande l la librairie PaJot
que fixe Léon Genonceaux pour son arrivée à Paris est exacte (et Se~ce Q.L. 106, boulevard Saint-Germain - Paris VI'.
Léon G~nonceaux ne semble pas avoir de raison de se tromper) :
un an tout au plus, puisque le chant premier parait en août 1868.
Mais que faisait donc Isidore Ducasse à Tarbes, de 19 à 21
ans? Et qu'a-t-i1 été faire à Montevideo ?A la première question,
la réponse la plus plaUsible semble être: il travaillait, il lisait' et • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •111
passait le plus Clair, de son temps én compagnie de ses amis Henri
Mue et Georges Dazet. Ala deuxième, il avait été convaincre son
père, manuscrits en main, de son talent d'écrivain, et lui faire part La- Quinzaine
de son intention d'èmbrasser la carrière d'homme de lettres. "",raire
François Dl,Icasse, chancelier au Consulat de France de Monte-
video semble avoir répondu favorablement aux demandes de son
fils: il rui consentit une pension confortable (Isidore Ducasse n'a
vécu à Paris qu'en «appartements meublés -) et les sommes
nécessaires à l'édition de ses œuvres à compte d'auteur.
·ABONNEZ-vous
François Caradec
A paraître le 20 mars, aux Editions de la Table Ronde:
François Caradec : Lautréamont.
Biographie accompagnée de la reproduction de la totalité des pièces d'état
abonnez-VOUS
civil concernant Isidore Ducasse et ses parents.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 mars 1970


.Bertrand Russell ••
Bertrand Russell vient de cipaux épisodes de sa vie dans je ne pouvais plus rien faire pour établir la science mathématique
mourir,' au terme d'une vie lon- Autobiographie, dont deux to- sur des bases irréfutables. Alors survint la Première Guerre mon-
gue et d'une carrière glorieuse mes ont été publiés en français diale, et mes pensées se trouvèrent concentrées sur la folie et la
(mathématicien et philosophe, par les Editions Stock. Un troi- misère humaines. Ni la misère ni la folie ne me semblent appar-
il a eu le Prix Nobel de Iitté- sième tome (et dernier) va tenir à "homme comme son lot inévitable. Et j'ai la conviction que
r.ature en 1950). C'est pourtant, incessamment paraître. Nous en l'intelligence, ta patience et l'éloquence peuvent, tôt ou tard, sous-
grâce à ses prises de position avons extrait ce passage où traire le genre humain aux tortures qu'il s'impose à lui-même pourvu
morales et. politiques qu'il a Bertrand Russell jette un coup qu'il ne s'extermine pas entre-temps.
connu la célébrité des grands d'œil rétrospectif sur son exis- Sur la base de cette foi, j'ai toujours eu un certain degré d'opti-
non-conformistes. tence et le sens qu'il a voulu misme, bien que, tandis que je prenais de l'âge, l'optimisme se fît
Il a lui-même racont~ les prin- lui donner. plus modéré et l'heureux dénouement plus lointain. Je n'en reste
pas moins complètement incapable de donner raison à ceux qui
admettent l'idée fataliste que l'homme est né pour souffrir. Les
causes de malheur daM le passé et dans le présent ne sont pas
difficiles à préciser. Elles ont été la pauvreté, la peste et la famine,
lesquelles étaient dues à l'insuffisante domination de la nature par
Ce livre doit être publié alors que les grands problèmes qui l'homme. Il y a eu des guerres, des oppressions et des tortures
divisent aujourd'hui le monde seront encore irrésolus. Pour le qui résultaient de l'hostilité des hommes contre leurs semblables.
moment et pour quelque temps encore, ce monde où nous vivons Et puis, il y a eu des infortunes morbides engendrées par de
doit être celui du doute. Il devra encore osciller entre l'espérance sombres croyances, plongeant les hommes dans de profondes dis-
et la peur. . cordes internes qui rendaient vaine toute prospérité extérieure.
Il est vraisemblable que je mourrai avant qu'une décision Rien de tout cela n'est nécessaire.
n'intervienne. Je ne sais pas si mes derniers mots devront être En regard de tous ces maux on connaît les moyens par lesquels
C'en est fait du Jour lumineux, ils pourraient être éliminés. Dans le monde moderne si les commu-
Nous voici voués à la nuit,. nautés sont malheureuses, c'est souvent parce qu'elles ont des
ignorances, des coutumes, des croyances et des passions qui leur
ou - co".me je me permets parfois d'en rêver - : sont plus chères que le bonheur ou que la vie même. Dans notre
C'est le retour du bel âge du monde, âge dangereux je vois beaucoup d'hommes qui semblent adorer la
Nous revoici dans l'âge d'or... misère et la mort, et qui s'irritent quand on leur suggère des ral-.
Le ciel sourit, les fois et les empires luisent sons d'espérer. Ils pensent que Fespoir est irrationnel et qu'en
comme les épaves d'un songe évanescent. cédant à un désespoir paresseux ils ne font qu'observer les faits.
Mais la préservation. de l'espoir dans notre monde exige la mobili-
J'ai fait ce que je pouvais pour ajouter mon faible poids dans sation de notre intelligence et de notre énergie. Chez ceux qui
la balance et la faire pencher du côté de l'espoir,' mais ce n'a été désespèrent il est fréquent que ce soit l'énergie qui manque.
qu'un effort contre des forces considérables. La seconde moitié de ma vie a été vécue dans une de ces dou-
Puissent d'autres générations' réussir là où la mienne a échoué. loureuses époques de l'histoire humaine où la situation du monde
se détériore, tandis que les victoires passées qui avaient semblé
définitives se révèlent avoir été seulement temporaires. Quand
j'étais jeune, l'optimisme victOrien allait de soi. On pensait que la
liberté et la prospérité se répandraient graduellement dans le
monde entier par un'e évolution régulière, et l'on comptait que la
La partie sérieuse de ma vie depuis mon enfance a été consa- cruauté, la tyrannie et l'injustice iraient constamment en diminuant.
crée à deux fins différentes qui, pendant longtemps, sont restées Rares étaient ceux qu'obsédait la crainte de guerres majeures.
séparées et qui ne se sont rejointes que· dans ces dernières Rares étaient ceux qui regardaient le dix-neuvième siècle comme
années pour former un tout. J'ai voulu, d'une part, découvrir un bref intermède entre la barbarie du passé et celle de l'avenir.
si l'on pouvait réellement connaître quoi que ce fût; et, d'autre , .~ -ri; da'ls cette atmosphère, l'ajustement au
part, j'ai voulu faire tout ce qui était possible afin de rendre le monde d'aujourd'hui s'est avéré malaisé. Malaisé non seulement
monde plus heureux. affectivement mais intellectuellement. Des idéelS que l'on avait
Jusqu'à l'âge de trente-huit ans j'ai donné le plus clair de mes jugées adéquates se sont révélées inadéquates. Dans quelques
forces à la première de ces tâches. J'étais perturbé par le scepti- domaines il est apparu difficile de préserver des libertés précieu-
cisme et porté malgré moi à la conclusion que la plus grande partie ses. Dans d'autres domaines. spécialement en ce qui concerne les
de ce qui passe pour connaissance est sujet au doute rationnel. rapports entre les nations, des libertés autrefois estimées sont
J'avals besoin de certitude de la même mani.ère que d'autres ont apparues comme de puissantes sources de catastrophes. De nou-
besoin de foi. Je pensais qu'il était plus vraisemblable de trouver velles pensées, de nouveaux espoirs, de nouvelles libertés et de
la certitude dans les mathématiques. Mais je m'avisai que beau- nouvelles restrictions à la liberté sont nécessaires si le monde
coup de démonstrations mathématiques, que mes maîtres voulaient doit enfin sortir de son périlleux état actuel.
me faire admettre, étaient pleines de faussetés et que, si réelle- Je ne prétends pas que ce que j'ai fait en ce qui concerne les
ment la vérité pouvait être découverte en ce domaine, cela devait problèmes sociaux et politiques ait été de grande importance. Il
être dans une nouvelle espèce de mathématiques, avec des fon- est relativement aisé d'exercer un immense effet à partir d'un
ments plus solides que ceux que l'on avait jusqu'alors tenus pour évangile dogmatique et précis comme celui du communisme. Mais,
certains. pour ma part. je ne peux pas croire que ce dont l'humanité a besoin
Mais à mesure que mon travail avançait, il me rappelait constam· soit ni précis ni dogmatique. Je ne peux croire davantage avec une
ment la fable de l'éléphant et de la tortue. Ayant construit un élé· entière conviction en aucune doctrine partielle qui ne s'Intéresse
phant sur lequel pouvait reposer le monde mathématique, je me qu'à une fraction, à un aspect de la vie humaine.
rendais compte que cet éléphant chancelait et j'entreprenais de Il y a des gens qui tiennent que tout dépend des Institutions et
construire une tortue pour empêcher l'éléphant de tomber. Mais la que de bonnes institutions amèneront immanquablement l'âge d'or.
tortue ne tenait pas mieux que l'éléphant et, après quelque vingt ans Et, d'un autre côté, il y a ceux qui croient que ce dont on a besoin
de travail acharné, j'en venais à la conclusion que personnellement c'est de changer d'âme et que, comparées à cela, les Institutions


Ma •
vIe
n'ont guère d'importance. Je ne puis accepter ni l'une ni l'autre de
ces vues. les institutions modèlent le caractère et le caractère
modifie les institutions. les deux sortes de réforme doivent aller
de pair. Et si les individus doivent conserver ce degré d'initiative et
de flexibilité qu'ils devraient avoir, ils ne doivent pas être coulés
de force dans un seul moule rigide; ou, pour user d'une autre
métaphore, mis tous au pas dans une seule armée. La diversité est
essentielle en dépit du fait qu'elle exclut l'obédience de tous à
un seul credo. Mais il est difficile de prêcher une telle doctrine
particulièrement en des temps ardus. Et peut-être ne peut-elle
devenir efficace jusqu'à ce qu'une tragique expérience vienne nous
donner des leçons amères .

.Dans quelle mesure ai-je réussi?

Mon travail approche de la fin et le temps est venu où je peux


en prendre une vue d'ensemble. Dans quelle mesure ai-je réussi et
dans quelle mesure échoué? Depuis mon jeune âge il m'a semblé
que j'étais destiné à des tâches grandes et difficiles. Il y a presque
trois quarts de siècle, marchant seul dans le Tiergarten à travers
la neige qui fondait sous le soleil de mars froidement lumineux, je
décidai d'écrire deux séries de livres: les uns, abstraits, devenant
de plus en plus concrets; les autres, concrets, devenant de plus
en plus abstraits. les deux séries devaient être couronnées par
une synthèse, combinant la théorie pure avec une philosophie
sociale pratique. Sauf en ce qui concerne la synthèse, à laquelle je
ne suis pas encore parvenu, j'ai écrit ces deux sortes de livres. Ils
ont été loués, voire encensés, et les pensées de beaucoup d'homo
mes et de femmes en ont été modifiées. En ce sens j'ai réussi..
Mais en regard de cela il me faut mentionner deux sortes
d'échec, l'un extérieur, l'autre interne.
Pour commencer par l'échec extérieur: le Tiergarten est devenu
un désert; la Brandenburger Tor, par laquelle j'y étais entré ce
matin de mars, est devenue la frontière entre deux empires hosti- est exempt de violence; permettre aux moments de réflexion de
les, qui se regardent mutuellement par-dessus une barrière et pré- répandre la sagesse dans les temps où l'on se trouve en compa-
parent sinistrement la destruction de l'humanité. Communistes, gnie d'autres êtres. Collective : se représenter par l'imagination la
fascistes e, nazis ont successivement défié tout ce que je considé- société qui doit être créée, où les individus croissent librement et
rais comme bon, tandis qu'on s'efforçait de les vaincre, une grande dans laquelle la cupidité et l'envie meurent parce qu'elles ne trou-
part de ce que leurs adversaires ont essayé de préserver est en vent plus d'aliment. En ces choses je garde ma fol, et toutes les
train de se perdre. On en est venu à tenir la liberté pour une fai- horreurs de ce monde ne l'ébranleront pas.
blesse, et l'on a forcé la tolérance à revêtir les apparences de la
trahison. les anciennes formes d'idéal sont jugées inappropriées et Traduit de l'anglais par Michel Berveiller
aucune doctrine exempte de dureté ne commande plus le respect.
c Editions Stock.
Une bataille perpétuelle

L'échec intérieur, quoique de peu d'importance pour le monde,


a fait de ma vie mentale une bataille perpétuelle. Je suis parti d'une
croyance plus ou moins religieuse en un monde éternel, platoni-
cien, dans lequel les mathématiques brillaient d'une beauté compa-
rable à celle des derniers « cantos • du Paradiso. Or j'en suis venu
à la conclusion que le monde éternel est une futilité, et que les
parmi
tous les romans
parus en 1969...
l'AMAIEUR
mathématiques sont seulement l'art de dire la même chose en des
mots différents. Je suis parti de la croyance que l'amour, libre et
courageux, pouvait conquérir le monde sans combat. J'en suis venu
à donner mon soutien à une cruelle et terrible guerre. A ces égards
les lauréats
des prix de
DE CAFE
j'ai connu l'échec.
Mais par delà cet échec si lourd, je suis conscient de quelque fin d'année d'Edouard
chose que j'éprouve comme une victoire. Je peux m'être trompé
dans ma conception de la vérité théorique, mais je ne me suis
ont décerné Mattéi
pas trompé en pensant qu'une telle chose existe et qu'elle mérite le
qu'on s'y dévoue. J'ai pu supposer plus courte qu'elle ne s'avère,
la route menant à un monde d'humains libres et heureux, mais je
n'ai pas eu tort de penser qu'un tel monde est possible et que
l'espoir de hâter son avènement rend la vie digne d'être vécue.
PRIX HERMES
J'ai vécu à la poursuite d'une vision, à la fois personnelle et collec- à
tive. Personnelle: aimer ce qui est noble, ce qui est beau, ce qui

I.. Quinzaine littéraiJ'e, du 1" au 15 'IIUIl" 1970 T


Le vrai visage
Pour ceux qui n'ont pas guère ne sont plus excusables : Son point de vue inconditionnel merdes avec des rubans
connu Benjamin Péret à l'épo- même (et surtout) si l'on n'aime reste discutable, mais il n'empê- rouges sur la poitrine
que du surréalisme, les im- pas la poésie de Péret, il faudra che que, la paix revenue, sa co· Jadis les poireaux pourris
pressions se limitent souvent s'en expliquer. 1ère était salutaire quand il dé· ne rougissaient pas
à quelques épithètes vagues : Ses amis ont beaucoup insisté nonçait le retour de la religion crêtre pourris...
un ultra, le plus fidèle et le sur le désintéressement de Péret et du nationalisme dans la poésie. (De derrière les fagots)
plus intransigeant coéquipier et, assurément, il était bien peu Et celui qui estimerait que Péret
Ce n'est là qu'un des aspects de
de Breton, un homme droit, littérateur. Si cette œuvre est mé- s'est trompé là sur toute la ligne
voire raide à force de droi- l'œuvre; à trop vouloir la consi·
connue, c'est aussi que son au- devrait encore reconnaître qu'il
ture ; et l'impression générale dérer comme d'un seul tenant, on
teur la traitait lui-même avec avait acquis au cours de diverses
est que l'envergure du poète lui a trop souvent dénué une évo-
désinvolture. Péret ne posait pas incarcérations (en '1940, à Rennes
ne correspond pas à la droi- lution pourtant évidente.
au voyant; pour lui, être poète notamment) le droit de parler.
Les premiers poèmes de Péret,
ture de l'homme. Tout cela ce n'était pas produire des poè- n s'agit ici de Benjamin Péret, dans Le Passager du transatlanti·
qui est bien vite dit se fonde mes aux couleurs de l'avant-garde et de lui seul. Jean Cocteau avait
Sl,Ir peu de choses : trois ou que (1921), furent composés en
du moment, manigancer une pu- tort d'affirmer que Vive un tel
quatre poèmes (. Mon avion pleine période dada. Avant dada,
blication et guetter quelque ap- doit s'accompagner de A bas un
ses futurs amis avaient déjà pu·
en flammes mon château....) probation. Le surréalisme répéta tel. n ne s'agit pas de savoir si
et un ou deux contes sans blié en plaquette ou en revue :
que « la main à la charrue :. le poète est plus ou moins grand
cesse repris dans les antholo- Tzara avait commencé par imiter
valait bien « la main à la plume :., que tel ou tel autre, il faut le lire
gies. Laforgue, Eluard les unanimistes,
et Péret fut l'un des hommes de pour lui-même sans souci de men·
Breton avait mallarmisé... Lors-
main les plus constants et les surations. La poésie de Péret ne
que le jeune Nantais arriva à

1
Benjamin Péret plus actifs du mouvement. Par requiert aucune préparation in-
Paris au début de 1920, il fut in-
Œuvres complètes. Tome 1. conviction, par tempérament, par- tellectuelle mais, plus rare peut-
troduit auprès des dadaïstes par
Eric Losfeld éd., 290 p. fois aussi par nécessité, Péret ma· être, une grande disponibilité,
Max Jacob ; sa connaissance de la
nia plus la charrue que la plume. une ouverture adolescente à tout
poésie moderne n'allait guère au-

I De derrière les fagots


José Corti éd., 134 p.
Expulsé du Brésil pour ses acti·
vités révolutionnaires, il fut l'un
des rares poètes qui endossèrent
ce qui est merveilleux et provo·
cant :
delà des symbolistes et de Mal-
larmé. Très vite il se mit à lire
Apollinaire et Reverdy, mais aussi
En si peu de texte on se fait l'uniforme dans les Brigades in· La vieille valise la chaussette
des reoueils qui s'intitulaient
de Péret une image d'Epinal, ternationales, avec un surréaliste et l'endive
Unique Eunuque, Vingt-cinq poè-
celle d'un poète jovial célébrant belge, le poète communiste Achille se sont donné rendez-vous
mes, Aquarium, Mont de Piété,
comme Saint·Amant le fromage ou Chavée (recommandons l'Achille entre deux brins d'herbe
Feu de joie, Les Champs magné-
le melon, et pour un peu l'on Chavée d'André Miguel, Seghers). croissant sur un autel habité
tiques... Les poèmes du Passager
dirait le brave Péret comme on Au front ou diffusant les écrits par des tripes
accusent l'impact de ces lectures :
pouvait dire le bon gros Rabelais de ses amis politiques, Péret pas- Il en est résulté la création
ou le bonhomme La Fontaine sa un an en Espagne. n en revint d'une banque hypothécaire Les œufs sont cassés
parce que lui aussi faisait parler aussi pauvre, aussi modeste et en· qui prête des oignons et le réveille·matin ne sonne
les andouilles à la barbe des papi- thousiaste qu'avant, sans penser pour recevoir des fauteuils plus
manes et des sorbonagres, parce à en tirer la moindre gloire, sans Et le monde continue. Veux-tu me dire pourquoi
que chez lui aussi le cercueil du penser qu'il aurait pu placer Un petit tas de sable par-ci tlt veux rester tranquille
mort écrasait le curé. Péret pendant ce temps un recueil che~ Un ressort abandonné par là... Ah ça ne me regarde pas et toi
n'était pas un bon gros - pas un éditeur pour n'avoir pas à le non plus...
plus, d'ailleurs, que les répon- publier à compte d'auteur (le ro· Le saugrenu, l'incongru Ilont
dants évoqués ici. man Mort aux vaches et au champ parties intégrantes de l'œuvre, Ici, l'influence est celle des
Quelques tentatives ont été fai- d'honneur, annoncé à diverses pé- comme les passages gras chez Ra- poèmes-conversation d'Apollinaire,
tes pour montrer le vrai visage riodes, attendit trente ans un édi- belais; il faut en prendre son et l'on trouverait ailleurs dans le
de Péret. D'une part celles de la teur) . parti ou laisser toute l'œuvre d'e recueil celle de Reverdy ou des
vieille garde surréaliste, zélées Péret ne voulait pas confondre côté. Cette poésie n'est pas pour dadaïstes de peu ses aînés, notam·
autant qu'agressives et sentimen- plume et charrue, ni donner à l'honnête·homme rassis, assis, as· ment Philippe Soupault. C'est
tales, tenant pour un tas d'idiots l'une le travail de l'autre; de là, sagi et par-dessus tout modéré ;
(1) Le Tome 1 contient Le p_&eT
tous ceux qui n'aiment pas la quelques années plus tard, sa co- cet honnête homme-là dont Péret du tranMltlantique, Immortelle maladie.
poésie de Péret autant que celui- lère du Déshonneur des poètes disait qu'il était « trop honnête Dormir, dormir dons le& pieTTU, Le Grand
ci aimait les artichauts. D'autre (1945) : « sa qualité de poète en pour être vrai:. sait d'instinct que jeu, Je ne mange [KU de ce pain-là,
part, celles des faiseurs de thèses. fait (du poète) un révolutionnaire cette poésie est dirigée contre lui, Poèmes inédits; le Tome II, prévu polir
juin, sera très attendu. Nous nOU8 réfé·
sérieusement penchés sur un do- qui doit combattre sur tous les il sait que ces rencontres fortui. rons en outre aux éditions suivantes : Je
cument du type « Heureux de terrains : celui de la poésie par tes finiront quelques pages plus sublime (Ed. Surréalistes, 1936). Dernie,
savoir que votre mal aux dents les moyens propres à celle-ci et loin par se tourner contre lui et malheur, dernière chance (Fontaine, 1946).
r
va mieux :. parce que cette ligne sur le terrain de action sociale les valeurs qu'il défend : Un point c'ut tout (Les QuatJ'e Venta,
N° 4, 1946), Air mexicain (Arcanes,
est signée Picabia. Or, même si sans jamais confondre les deux 1952), Le Gi&ol, sa vie, son œuvre (Ter.
le lecteur potentiel était touché, champs d'action sous peine de ré· Le vieux chien et la puce rain vague, 1957), Le DUMnFU!ur da
il lui manquait l'essentiel : au- tablir la confusion qu'il s'agit de ataxique poètes (Rééd. Pauvert, 1965), Mort aux
cun recueil de poèmes de Péret dissiper et, par suite, de cesser se sont rencontrés sur le vaches... (Rééd. Losfeld, 1967); André
Breton (La Bâconnière, 1949) contient
n'était trouvable en librairie avant d'être poète, c'est-à-clire révolu· tombeau du soldat inconnu Toute une vie. Ouvrages anne7.e8 : Ben·
1969. A présent que plusieurs re- tionnaire :.. Pour lui, les poètes r
Le vieux chien puait officier jamin Péret, par J .-L. Bédouin (Se«bers,
cueils ont été réédités et que ses résistants avaient commis l'erreur crevé 1962), Achille CMvée, par André Miguel
œuvres complètes sont en cours d'engager leur poésie au service et la puce disait (Se«bera, 1969); l'Andwlop de l'hu-
lIlOur IIDÜ' et l'Amholop du noruerue
de publication (1), les simplliica. de la patrie au lieu de se conten- Si ce n.' est plU malheureux IOnt publiées cha Pauvert; et Le Miroir
tions et les déformations de na- ter de a'engager dans le maquis. de .'accrocher des petites d" rraeTI1eillewc aus Ed. de Minuit.

1
de Péret
d'ailleurs Soupault qui, dans Lit-
térature, fut le seul à saluer Le
.. blime et Je ne mange pas de ce
pain-là. Le premier est constitué
Passager d'un 19 sur 20. De cette de poèmes d'amour souvent cités,
époque date aussi certaine chan· et l'on pourrait dire de l'autre
son que l'on retrouvera dans qu'il ne contient que des poèmes
Mort aux vaches (La dame est sur de haine. Je ne mange pas est
la tour / la tour est ivre comme une œuvre extrêmement impor-
un bœuf...) et qui est un pastiche tante dont les poèmes, tous pu-
de Max Jacob. bliés en revue de 1926 à 1930,
Après dada, Péret va s'engager ont une violence qui étonne. L'in-
dans de nouvelles voies, écriture sulte, l'injure, la scatologie qui
automatique ou sommeil médium- s'y accumulent atteignent une ra-
nique... Encouragé, peut-être, par geuse grandeur :
l'exemple d'Eluard, dans Immor-
telle maladie (1924), on le voit
d;abord tenté par le poétique
. i
. Cardinal Mercier à cheval
sur un agent
(Maintenant partons pour la mai· je t'ai vu f autre jour semblable
son des algues... / ô mon amie ma
chère peur). Le long poème Dor-
mir, dormir dans les pierres
(1927) est certainement l'un des
'}Il : ...~.' .. ' ..

,i
1
à une poubelle
débordante d'hosties
Cardinal Mercier tu sens dieu
comme f étable le fumier
plus beaux poèmes lyriques que et comme le fumier Jésus...
nous ait donnés le surréalisme
On y trouve encore l'Hymne
Souffle ô corne un azur des anciens combattants patriote.
sombre et verbal ou la Vie de f assassin Foch :
Le printemps est malade Un jour d'une mare de purin
d'un cerisier nouveau une bulle monta
d'un cerisier plein et creva
de fruits miroitants A f odeur le père reconnut
où sombrent des cils Ce sera un fameux assassin
de porcelaine Morveux crasseux le cloporte
comme un regard dans un jet grandit...
d'eau... Il eut tout ce qu'on fait
de mieux dans le genre
Ce n'est pas le Péret aux ima· des dégueulis bilieux
ges fébriles et déconcertantes ; on de médaille militaire
per~oit même ici un écho symbo-
et la vinasse nauséabonde
. liste et mallarméen. Malgré leurs de la légion d'honneur...
mots dépaysants (de paysan ?), les
·alexandrins ne sont pas rares
Portrait de Benjamin Péret, par André M8880n. Décidément, Benjamin Péret
dans Dormir, dormir (Et les tau-
pes de ma sœur gardent leur se- l'indésirable ne prendra jamais
cret). Il faudra attendre Dernier de rosée. Il existe une autre caté- nouir, (4) Serrer les tiges : pren- place dans les manuels de littéra-
malheur dernière. chance, écrit au gorie de contes non moins impor- dre par les membres ». ture ou de textes choisis.
Mexique durant lit guerre, pour tante qu'il faut bien qualifier de La veine nonsensique des contes La guerre et l'exil dont il ne
retrouver un poème d'une telle drôlatiques ; c'est à juste titre que se retrouve fréquemment dans les revint qu'en 1948 amenèrent une
ampleur. Robert Benayoun leur a fait une poèmes du Grand Jeu (1928) ou nouvelle phase dans la poésie de
Entre les deux guerres mondia- bonne place dans son Anthologie De derrière les fagots (1934) , Péret. Les œuvres de cette époque
les, Péret écrivit aussI plusieurs du nonsense. Extraordinaire dé- mais des poèmes graves sont tou- offrent moins de violences verba-
recueils de contes. Les contes de railleur de mots, Péret excelle à jours présents dans les recueils; les. La voix du poète s'est faite
Péret sont encore plus méconnus les faire aller là où ils n'étaient on voudrait citer tout Pieds et plus grave et une émotion conte-
que les poèmes (II. Il Y a des pas prévus; avec lui, une séance poings liés : nue sourd sous le lyrisme auto-
contes à écrire pour les grandes à la Chambre (dans Mort aux va- matique. On voudrait citer toute
personnes, des contes encore ches) devient une suite de dis- Quand je serai le cheval la quatrième partie du long poème
presque bleus ~, disait le premier cours proprement désopilants. de pierre Dernier malheur dernière chance
Manifeste du surréalisme). Une Dans Les parasites voyagent, debout devant f éternité (1946) ou les poèmes d'amour de
partie de ces contes nous plonge choisi pour l'Anthologie de fhu- je demanderai aux divinités Un point c'est tout (1947) :
dans un fantastique féérique, mour noir, Péret en vient à créer des plantes
ainsi A hauteur de rêve que un véritable argot : « J'avais le manteau de pluies Je voudrais te parler cri,tal
Pierre Mabille reprit dans son reçu un ferreux (1) sur le rond indispensable aux voyageurs fêlé hurlant comme un chien
Miroir du merveilleux: « Je lon- (2) et je glissais dans le blanc (3), éternels dans une nuit de draps
geai la rive du lac, admirant la lorsque je sentis qu'on me serrait Aujourd'hui je suis battants
-luxuriante végétation de fumée les tiges (4) ... :& Un glossaire est dans le puits glacé... comme un bateau démâté
fleurie d'agates et de chevelures nécessaire pour suivre cette his- (Le Grand jeu) que la mousse de la mer
de femmes ... ~. Le lecteur, entraî- toire farfelue : « (1) Ferreux : commence d'envahir
né par le conteur, pourra boire éclat d'obus, (2) Rond : tête, L'année 1936 voit paraître deux où le chat miaule parce que
de la liqueur d'orage ou du lait (3) Glisser dans le blanc : s'éva- recueils dissemblables : Je su- tous les rats sont partis

La Quinzaine littéraire, du 1'" au 15 mars 1970 9


~ Péret Borges
Je voudrai! te parler comme Il est né en 1899 à Buenos- fonctionner comme avant? Dans gnale-t-il, leurs passages dans ses
un arbre renver!é par la Aires et c'est à Buenos·Aires sa terreur, il invente une ruse : télescopes. On connaît le nom de
tempête... qu'on peut le rencontrer, en au lieu d'écrire de nouveaux poè- ces étoiles - le miroir et le laby-
1970, grand et lourd. un peu mes, il va s'essayer au conte. S'il rinthe, le tigre et le fleuve, la flè-
Au moment où André Breton gauche avec sa canne blan- échoue, cela ne signifiera pas que che, l'épée, le double, le cerde,
compose l'Ode à Charle! Fourier che d'aveugle. Entre ces deux son accident l'a rendu idiot. Il la loterie, le temps et ses illusions,
et Fata Morgana, on note simul- dates, peu de péripéties. Il a en concluera seulement que le Dieu et son absence, la personna-
tanément chez Péret un souci de été étudiant en Suisse. de conte n'est pas son fort. On sait lité et ses hypothèses, le futur, le
faire fluer un discours suivi avec 1914 à 1919. poète à Madrid la suite et que ce trou dans Je passé, le présent... Monegal déerit
le poème, ainsi dans Air mexicain puis bibliothécaire de sa ville crâne a fabriqué l'un des grands chaque étoile, les situe les unes
seulement publié en 1952. Le poè. natale. JI aime les sabliers, les conteurs de ce temps. par rapport aux autres, donne une
me Toute une vie (1949) parut dans planisphères, la typographie Aujourd'hui, trente ans après, idée du système qui fonctionne
un livre consacré à André Breton ; du XVIIIe, le goût du café et la Borges n'est plus tout à fait dans dans cette œuvre et, si sa descrip-
exceptionnellement, et sans doute prose de Stevenson. JI s'ap· Borges. Le s mythes qu'il a tion n'est pas parfaite, on ne lui
parce qu'il s'adresse à son ami, pelle Jorge Luis Borges et il crées sont des vagabonds, ils en tiendra pas rigueur, c'est que
Péret, qui a toujours écarté de fait son entrée, bien tardive, transhument, ils ne tiennent pas la configuration est inextricable.
ses poèmes toute allusion à sa dans la collection Ecrivains en place et se faufilent de cervelle Monegal a un autre avantage.
propre vie, y a laissé apparaître de toujours. en cervelle. Ce disciple exaspéré Il n'oublie jamais que Borges est
quelques souvenirs ou traits bio- de Berkeley nous a enseigné que un écrivain argentin et cela est
graphiques. En évoquant leur la personnalité n'existe pas, que nouveau. L'habitude a été prise,

l
lutte commune, Péret retrouve E. R. Monegal l'auteur et son lecteur se confon- en France, de tenir Borges pour
alors la véhémence de Je ne Borges par lui-même dent et que chaque homme est une erreur de la géographie et
mange pa!: « Ecrivains de toujours » Shakespeare. On dirait que la lit- d'en faire un Londonien, un Pui-
Ed. du Seuil térature l'a pris au mot. Ses pen- sien et un Persan en même temps,
Il serait inutile de parler de la sées se baladent en tous lieux, c'est-à-dire un homme de nulle
vérité !i f on ne lui avait tant Jorge Luis Borges dans les taxinomies de Michel part. Rien de plus inexact. Borges

1
craché au vi!age Evaristo Carriego Foucault, dans les films de Robbe est aussi lié à Buenos-Aires que
que !on regard en étoile polaire traduit par F. M. Rosset Grillet, dans la critique moderne, Joyce le fut à Dublin ou Faulkner
obstinée à marquer le la Ed. du Seuil, 160 p. Jans tous les jeunes gens qui au Mississipi. Son cosmopolitisme
s'est aujourd'hui effacé comme s'échinent à raconter l'histoire est celui de sa ville natale. Il
une ville ra!ée par le! barba- Jorge Luis Borges d'un écrivain en train d'écrire le existe deux Borges, irréconcilia-
re! que déjà la brousse en- A. Bioy Casares texte que nous sommes en train bles au premier regard : l'un est
vahit Chroniques de Busto! Domecq de lire. Cet effet de boomerang un habitant de Buenos-Aires,
Il! font même livrée à toU! les traduit par F.M. Rosset obéit à Borges. L'œuvre de celui- amoureux des apaches et des fau-
appétit! de la troupe Les Lettres Nouvelles ci se présente comme une glose bourgs, des refrains de la milonga
Je nomme ici la tourbe de la Denoël éd., 160 p. sur la littérature. Il empile des et des duels au couteaux. L'autre
!teppe comme la pègre en monceaux de vieux livres pour est un théologien dépravé, un phi-
costume de gratte-ciel A force de pratiquer les contes édifier les livres les plus neufs du losophe un peu dément, un méta-
le chevalier de! menottes de Borges, le soupçon nous avait monde. Voici que le cercle se re- physicien farceur.
le rampant à moustaches gagné que leur auteur n'était ferme. Borges devient à son tour De ces deux registres de Borges,
d'épaulettes... qu'une idée égarée dans le laby- le matériau de la littérature des l'édition française nous propose
rinthe des mots, une phrase lue autres. aujourd'hui l'illustration. Deux
Euphémismes, métaphores, peu de l'autre côté du miroir, une Parler d'un tel esprit, à la fois ouvrages inédits sont publiés.
importe; les mots sont transpa- aporie aussi perverse que l'espace sans limite et d'une précision de L'un qui date de 1930, parle de
rents. dont sont éternellement séparées cristal, capricieux et gouverné, Buenos-Aires. L'autre, écrit en
Quelques mois après sa mort, la flèche d'Achille et la tortue humoristique et désespéré, cham- 1966, est une chroniqu~ sur des
en 1959, reparaissait le texte quel- de Zénon. Il faut dire adieu à ces pion du vertige métaphysique, de écrivains qui n'existent pas.
que peu remanié de La Parole fantaisies. Borges n'est pas seule- la « mise en abyme », de la logi-
ment une notule, un errata ou un De Buenos-Aires, Borges nous
est à Péret où il définissait le que fausse et de la référence tru- entretient, grâce à Evaristo Car-
poète et concluait : « Pour lui il etcœtera dans les marges de la quée n'est pas une besogne com-
littérature universelle. L'homme riego. Nous ne connaissons pas
n'y a aucun placement de père de mode. Beaucoup s'y sont em- Carriego. Ce poète local ressemble
famille mai! le risque et f aven- dont nous parle Monegal est un ployé avec compétence mais,
Argentin qui adore les chevaux à un compositeur de tangos plu-
ture indéfiniment renouvelés. dans leurs études savantes, où tôt qu'à Dante et l'on songe à une
C'est à ce prix !eulement qu'il de la pampa et la mélancolie du donc était passée la grâce dévasta-
tango, non l'un de ces écrivains farce : imagine·t-on un livre de
peut se dire poète et prétendre trice de l'Argentin? Le livre que Maurice Blanchot sur Jean Du-
prendre une place légitime à f ex- imaginaires qui grouillent dans lui consacre aujourd'hui Monegal
l'œuvre de Borges et qui résident, tourd ou sur Paul Guth? Or, ce
trême pointe du mouvement cul- est peut-être moins brillant que n'est pas une farce. Comme beau-
turel, là où il n'y a à recevoir ni entre l'aleph el l'omega, dans la d'autres mais il se signale par
bibliothèque de Babel. coup de grands esprits, Borges a
louanges ni laurien, mais à frap- deux avantages. des goûts déconcertants, il donne-
per de toutes se! forces pour Naissance, donc, à Buenos·Ai- Le premier est sa modestie. rait toute la poésie française pour
abattre les barrières sans cesse res. Enfance parmi les livres an- Monegal suit Borges, pas à pas, un quatrain de Paul·Jean Toulet.
'renaissantes de f habitude et de glais de son père. Traduction du dans sa vie et dans son œuvre. Il Il aime vraiment Carriego. Au
la routine ~. C'est sans doute là le Prince heureux, d'Oscar Wilde, ne l'utilise pas comme un trem- surplus, le très jeune Borges a été
testament d'un poète qui, de ceux à neuf ans. Lecture de Tartarin plin pour ses propres acrobaties, fasciné par Carriego qui était un
qui ont combattu pour la cause de Tarascon en Suisse. Poésie. En mais se soucie d'en faire une hon- ami de son père et J orge Luis vou-
de la poésie, fut l'un des plus au· 1938, un accident lui ouvre le nête lecture. Et s'il ne peut explo- drait être le Platon de ce minus-
thentiques. crâne, il manque de mourir, s'af- rer toutes les étoiles de la constel- cule Socrate sud·américain. Le li-
Serge Fauchereau fole. Est·ce que sa cervelle va lation borgésienne, du moins, si- vre est donc sincère. Borges, pour

10
et le temps
une fois, parle avec son cœur. Il grès. Il vitupère tout ce qui chan- sibles, les lettres de l'alphabet,
trouve de vrais mots de tendresse ge. Ces choses là ne !lont pas pour n'est-ce pas en effet le propos ra-
pour évoquer la Buenos-Aires du surprendre. Borges est sourd aux dical de l'écrivain, étant bien clair
début du siècle, ses faubourgs de rumeurs de son temps et la jeune qu'une fois épuisées, les combi-
fleurs et de poussière, ses guitares génération d'écrivains argentins naisons logiques des vingt-six let-
et ses grilles, ses jeux de cartes, est justifiée de lui en faire re- tres, toute la littérature aura été
ses bordels, ses prostituées, ses proche. Il est aussi conservateur accomplie et, de surcroît, toute
gauchos. Tout le passage est admi- en art qu'en politique : « L'in- l'histoire du monde ?
rable. comcient, nous disait-il, voici
quelques années, fincomcient? Cette notion flotte dans les
Mais rien n'est simple avec marges des Chroniques. Elle sug-
Borges. Le livre sur Carriego a Ah, oui, je voi" de mon temp"
on appelait ça la mwe •. gère que les écrivains imaginaires
beau être sincère, il possède un
double fond. Borges n'a pu éviter Seulement, Borges est aussi le
dont Borges fait son miel ne sout Nom A-'XEl
pas du tout imaginaires. Ils ne le
de prendre possession de l'hum-
ble Carriego. Il l'investit, le dévo-
contraire de Borges. La seule exis-
tence de cet ouvrage l'atteste.
sont pas davantage que Shakes- Prénom "BJWà1ttL
peare, Goethe ou Mallarmé. La
re, le détruit, il le recompose et
voici le poète des tangos projeté
N'est-ce pas se situer à la pointe
de l'avant-garde que d'écrire la
différence est que la combinaison Age b\~
alphabétique qui organise leurs
parmi les étoiles folles du système critique d'une littérature qui
borgésien. Cet infime écrivain réel n'existe pas? Critique du rien,
noms et leurs œuvres n'est pas
encore sortie à la lot~rie de Babel.
Profession tti~fie.
devient un immense écrivain ima- critique du néant, du vide et de Mais, dans l'infini du temps, leur
ginaire. Une place lui est assignée l'impensé, on soupçonne que ce
dans cette vaste littérature des livre est porteur de vertiges plus
chance adviendra, toutes les com-
binaisons langagières se réalise- Religion '1 Um ~ffit tur
limbes que Borges s'est donné à raffinés.
tâche d'inventorier. Il convient, pour les reconnaî-
ront, toute parole sera proférée.
Un jour, les vingt-six lettres pro-
~UM qM ~~ ~ v:f.M-
tre, de lire les Chronique, de duiront les œuvres. de néant que t~ \\ou o\.t ~ .çoe\i.t.i •..tX aÀ~­
Buno. Domeoq
Bwto, Domecq à la lumière des Borges analyse en 1960. ~. ~ ~r ~Ç\-R.
autres ouvrages de Borges. Nous
songeons à ces deux textes brefs WI~~~eM~ &.0 ~ ~
L'Eterael Retour
'M'\ rolid. ~c."il Of.t t().ei-
Cette idée nous servira de re- et fondamentaux que sont la 1
lais pour aborder l'autre ouvrage Bibliothèque de Babel et Pierre
de Borges, ces Chronique, de Ménard, auteur du Quichotte. Le
Ces considérations établissent
~ Ç\-R ~ ~\~~\U ~ 00l-
Bwtos Domecq qu'il a ourdies rapprochement est légitime car
avec son vieux complice, A. Bioy les Chronique, de Bwto, Do- Borges dans une durée assez inso- '\Am OJA 'ooWl~."
lite. Toute l'œuvre de l'Argentin
Casares. Les deux compères ont mecq, c'est la paraphrase des
est obsédée par le problème du
écrit une vingtaine de textes sur contes anciens que nous venons de
des écrivains ou des peintres qui citer - et on sait que pour Bor-
temps, il y revient avec constan- Signes particuliers
ce et c'est sa torture intime. Il e.n
n'existent pas. Le divertissement ges, toute la littérature n'est que
est exquis. Chacune des têtes fic- la paraphrase de quelques images
a traité dans toutes ses œuvres,
par l'aporie de Zénon, par les di-
~ 6)v.oi~ t\- c3.tw.i ~ ~­
tives qu'ils massacrent, masque
une tête vivante. Ce livre est un
ou de quelques symboles.
vagations des gnostiques, par des ~ ~ ~TrmOJVlJ.ou., ~nIo
Rappelons l'argument de Pierre
superbe feu de joie dans lequel Ménard, auteur du Quichotte. Cet
gloses sur Léon Bloy, par des nou-
velles réalistes comme Emmfl
UM (JM Jo aAttM a, ~
grésillent et grimacent tous les écrivain français, né dans la tête • SOM~ ~lMt_ (6'1i~
écrivains «modernistes.. Qui Zunz. Tour à tour, le temps a été 1
de Borges, s'applique à réécrire
ne mettrait un nom - beaucoup le Quichotte. Après des années de
décrit comme illusoire ou atroce,
déchiqueté, multiple ou implaca-
'~\.Ù(,\ 1.0QM 1 l'~\t~1
de noms, les écrivains sont si
nombreux désormais qu'ils pullu-
labeur, il réussit à rédiger un ra-
ragraphe rigoureusement identi-
ble mais le plus fréquemment le ~kQM\~'roJn.IW\a..,Wi~J
temps de Borges obéit au mouve-
lent sur chaque trouvaille - der-
rière ce Ramon Bonavena dont
que à l'un des paragraphes du
Quichotte. Cet exploit peu com-
ment circulaire de l'Eternel re- :~rO'\.b UM e;\SU:r'tYM\-
tour.
l'œuvre complète, Nord - Nord-
Oue,t décrit en six tomes l'angle
mun permet à Borges d'offrir un ~~ ~~'0JJt~ ~ffit.
double commentaire de ces deux Si le temps dessine vraiment
nord-nord-ouest de sa table de textes qui sont identiques mais une ligne cyclique, les notions
travail avec son cendrier et son dont les sens divergent du seul de l'avant· et de l'après sont
crayon à deux pointes? Et qui ne fait que le second n'est pas le pre- des notions en ruine et l'ex-
connaît le peintre Tafas qui peint mier. Texte de génie dont les trême avant-garde rejoint l'abso-
des tableaux réalistes pour les re- Chronique, de Bwtos Domecq, lu retard. On expliquera ainsi
couvrir ensuite de cirage noir, se publiées aujourd'hui, renouvel- que la répétition maniaque de
contraignant ainsi à calculer ses lent la veine avec bonheur. l'ancien à laquelle se complaît
prix sur le tableau effacé, puis- Quel est donc l'objet de ces fa- Borges tolère et appelle l'inven-
que les œuvres achevées, toutes céties ? La Bibliothèque de Babel, tion d'une littérature qui n'a pas
également noires, sont identiques? autre conte ancien, nous propose encore accédé à l'être. Et com-
Ce livre forme une meurtrière une hypothèse. Borges a toujours ment s'étonner, dès lors, que cette
machine de guerre dont les ca- été hanté par le mythe d'une bi- Œuvre, incessamment envahie par
nons sont braqués contre l'avant- bliothèque totale, une bibliothè- le passé, allume ses feux très en
garde. L'homme qui l'a écrit est
un réactionnaire fieffé, un pas-
séiste, un vieillard attaché à sa
que abritant tous les livres qu'on
peut composer en combinant les
avant du point du cerCle où la
littérature, et peut-être l'histoire, éditions
jeunesse, incapable d'évoluer. Il
déteste toute novation et tout pro-
vingt-six lettres de l'alphabet.
Cette idée est réaliste: entrelacer,
selon toutes les configurations pos-
ont l'illusoire conviction d'être
parvenues.
Gilles Lapouge.
flammarion
La Quinzaine littéraire, du J*' au 15 mara 197tJ 11
8BCRBT
ui est-ce?
Pierre Bourgeade a rencontré un certain la possibilité d'un jeu. Qui est l'écrivain Les écrivains interrogés jusqu'à présent
nombre d'écrivains à qui il a posé des rencontré par Pierre Bourgeade? étaient François Mauriac, André Pieyre de
questions inusitées. Elles ne se rappor- Les lecteurs qui nous envoient une ré- Mandiargues, J.M.G. Le Clézio. Nathalie
tent ni à leur vie ni à leur œuvre, mais ponse juste, dans le délai d'un mois, Sarraute. Eugène Ionesco, Pierre Klossow-
à ce qu'ils ont en eux de caché, de secret, bénéficient d'un abonnement de trois ski, Raymond Queneau. Marguerite Duras,
d'imaginaire, ce qu'en somme, ils ont fait mois (ou, s'ils sont abonnés, voient leur Claude Roy, Joyce Mansour.
passer dans leurs ouvrages, sans toujours abonnement prolongé de trois mois). Ceux
en être conscients, et qU'ils n'auraient pas qui auront découvert tous les écrivains
toujours envie de révéler. interrogés (ou presque tous) recevront Qui répond aujourd'hui aux questions de
Il y avait là. pour la Quinzaine littéraire, de la Quinzaine littéraire un cadeau. Pierre Bourgeade?

Pierre BOURGEADE Bonjour, X. Non, en rêve je n'en ai' et plus riches. Comme ces X. Ce n'est pas faute pour-
Monsieur. Que signifie cette croisé et reconnu qu'une ou amis qui me racontaient les tant d'en avoir vu, des films, des
armée d'ombres derrière VOlIS? deux peut-être en des années. leurs, éblouissants, qui les inter- muets, dans ma petite enfance,
Vous allez me dire que c'est prétaient, les commentaient. Ça des parlants. Mais je parlerais
X. Tiens, elle est donc si sans doute que les autres n'ap- devait me vexer de faire auprès plutôt de lanterne magique : les
visible? Certes, ces ombres, je paraissaient la nuit que dégui- d'eux si piètre figure. L'envie, daguerréotypes, il me semble,
ne les sens pas exsangues, mais sées. Mais c'est aussi que ma l'exemple, c'est ça peut-être qui - il y en a deux au trois dans
je leur en veux d'apparaître ainsi vie onirique est d'une conster- avait incité ces quelques rêves ce cortège d'ombres dont nous
au grand jour, au premier re- nante indigence. Longtemps, à sortir de l'ombre. parlions - ne sont pas en cou-
gard, et j'espérais mieux réussir j'ai été persuadé que je ne leur: presque toutes mes ima-
rêvais pas, et je pourrais l'être Elles n'ont guère continué, les
à les cacher. Vous avez dit : ges nocturnes sont en couleur_
encore si je ne savais que tout visitations nocturnes. A peine
armée; auriez-vous dit aussi assez pour m'en donner une
bien: cortège, ou : escorte, ou le monde rêve, rêve chaque nuit, P.B. Parlent - elles? Vous
et même à des moments bien vague nostalgie. Pour m'inciter
bien, comme il m'arrive, avez- à moins négliger cette face offrez-vous un spectacle • par-
vous le sentiment que je sois précis du sommeil que l'obser- Iant »?
vateur peut parfaitement repé- obscure de ma vie : les longues
leur prisonnier? Quelle foule! heures que je passe, ligoté, dans
De morts, de vivants, d'êtres rer. Seulement, moi, dès le ré- X. A cause du cinéma muet,
veil, plus rien, pas même, la plu- les nasses closes du sommeil
que je n'ai croisés peut-être (mais peut-être, après tout, ou de la lanterne magique?
qu'une seule fois dans ma vie: part du temps, la confuse im- Non, c'est d'images muettes
pression d'avoir rêvé et l'irrita- n'est-elle pas là, cette face obs-
un filet, ma mémoire, un cha- cure et qui continue à se déro- qu'il s'agit, ou alors le réveil
lut! je suis de ceux qui ne tion que l'on éprouve à tenter confisque aussitôt les paroles.
vainement de se souvenir. Est- ber : avec toutes ces ombres,
savent rien oublier. déjà, tout le jour...). Assez, tout Car je parle la nuit, je le sais,
ce que je les censurais, comme on me l'a dit, nouvelle preuve
Et il n'y a pas que des êtres on dit, ces rêves, ou bien au de même, pour m'inciter à ébau-
cher une Petite Histoire de que je rêve bien plus que je
que j'ai connus et aimés : une contraire accomplissaient - ils n'en garde ou n'en veux garder
grand-mère, des amis, des vi- mes rêves.
discrètement leur fonction d'an- mémoire, que je rêve depuis
sages de femmes, il y a des ges gardiens du sommeil, com~ toujours. Il m'arrive, on me l'a
lieux, maisons d'enfance ou de me .cet ange gardien de mon P.B. Pouvez-vous me racon- dit aussi, de parler, parfois de
vacances, chambres, paysages, enfance qui avait toujours foutu ter un rêve que vous ne vous crier, dans des langues étran-
il y a des objets, aussi vivants le camp au moment où, me rap- apprêtez pas à raconter? gères, et jusque dans des lan-
et aussi tyranniques qu'eux, il pelant brusquement sa problé- gues inventées. Aucun son, ce-
y a des personnages de fiction, matique existence, j'aurais bien X. Je voudrais bien, mais pendant, ne reste accroché à
des écrivains, ,des poètes, Ner- voulu, au moins une seconde, pensez à cette Petite Histoire ces images immobiles qui sur-
val et Baudelaire en particulier, l'apercevoir, ne serait-ce que de mes rêves! J'arrive à peine nagent. Pas plus, si j'y songe,
je n'arrête pas de leur parler. pour lui conseiller de me sur- à la douzaine, je vous l'ai dit, avez-vous fait la même consta-
Je m'enfonce avec eux dans des veiller un peu mieux... et comment le remplacer, ce tation ? que les paroles ne sur-
galeries sans fin et sans fond, Non, vraiment, jusqu'à ces rêve ? Je ne peux pas compter vivent à la plupart des images
à la rencontre de je ne sais quoi, toutes dernières années, je ne en faire un autre la nuit pro- de la mémoire. Comme dans les
de ie ne sais quelle obscure me suis guère intéressé à mes chaine, ni avant des semaines, films muets, je vois bouger les
origine peut-être, comme si, à rêves, si rares, si pauvres. Si je des mois peut-être... Et puis, ce lèvres de certains êtres que je
travers cette ft chaîne des faisais le compte des rêves qui ne sont pas des histoires, mes revois avec la plus grande pré-
aïeux» qui, justement, obsédait m'ont assez frappé pour que je rêves; rien du film d'aventures; cision : la plupart des mots
si fort Nerval, j'allais pouvoir re- songe à les noter, le crois bien aucune intrigue, absurde ou co- qu'ils prononçaient ont sombré.
monter jusqu'aux commence- que j'arriverais difficilement à hérente, ne les noue et les dé- J'ai cinquante images de ma
ments du monde - ou buter, la douzaine, pour toute la durée noue. Ce sont des rêves stati- grand-mère, de la vieille bonne
seulement, sur ce fantôme éva- d'une vie déjà assez longue. ques, tous, ou presque tous, ou de mon enfance : je n'entends
nescent que je crois parfois Tout de même, vous le voyez, du moins il ne m'en reste au plus leur voix, je ne saurais plus
pouvoir prendre pour moi- j'en ai noté quelques-uns. Ré- réveil qu'une image, une seule, reconnaître leur accent ni leurs
même... cemment. Deux ou trois, en par- fixe, immobile. inflexions. Les images sont là
ticulier, que je fis presque coup toujours, aussi nettes, aussi
P.B. Ces ombres, qui vous sur coup. A ce moment, j'avais P.B. Votre vie rêvée se situe vivantes : je ne me rappelle pas
accompagnent dans la vie, même naïvement espéré que donc avant l'invention du ciné- en tout dix de leurs phrases.
vous accompagnent-elles dans j'allais me mettre, moi aussi, à ma ? Vous rêvez en daguerréo- Est-ce à cause de la banalité de
vos rêves? avoir des rêves plus nombreux types? tant de nos propos? Mais je me

12
La chaîne des aïeux
Les images Dluettes
La Mort du Loup
rappelle des amis qui m'éblouis- sentais entre la langue d'un
saient. Je les revois pareille- livre en prose, Gull/ver ou la
ment, j'al pareillement tout comtesse de Ségur, et la langue
oublié, ou presque, de ce qu'Us hiératique, quasi sacrée, des
L'écrivain avec qui s'est entretenu Pierre Bourgeade dans notre numéro
disaient : l'Image et le souvenir vers. du 1er février était Georges Perec. Aucun de nos lecteurs n'a reconnu l'auteur
de l'éblouissement ont seuls C'est cette forme mysté- des Choses, de la Disparition et du feuilleton que nous publions actuellement.
survécu à ce qui me paraissait rieuse, exaltante, aux JfOuvoirs
Pierre Bourgeade nous fait remarquer que les questions avaient été choisies
l'inoubliable. décuplés, cette incantation que dans les ouvrages suivants : Beckett, Fln de partie; Miller : Sexus; Michaux :
Et d'une femme almée, de je . tentai, très tôt, d'imiter : l'Espace du cIecIans; Borges : Discussion; Genet : Miracle de la ros••
l'inoubliable début d'un amour, pendant des années, je me suis
, Les réponses de Georges Perec suivaient les règles d'un code. Bref, nos
que nous rappelons-nous? Ses cru, je me suis voulu poète, je deux amis se sont au moins bien amusés.
premiers mots, le consentement me suis égaré là, parce que ça
me paraissait plus beau d'être Avec l'entretien publié dans ce numéro notre Jeu se termine.
ou l'aveu? Pour mol du moins,
Il me semble que c'est l'Image, poète, de « chanter - : la prose Dans notre numéro ·.<Ju 1er avril, en même temps que nous révèlerons le
le souvenir d'un contact, une me paraissait ramper. Moi non nom de l'écrivain aujourd'hui interrogé (et dont l'un des ouvrages fut très lu
plus, même enfant, je ne me durant une saison au moins) nous publierons les noms des gagnants.
bouche, des traits, un regard :
là encore, presque toujours, les résignais pas à ce que les mar-
mots ont fui. C'est curieux, pour quises (ou les femmes de mé-
un écrivain. A moins que ce ne nage) pussent sortir à cinq heu-
soit, ces mots, pour me permet- res. Pou r moi, les poètes
tre de les inventer... étaient des dieux, pas les ro-
manciers, pas les écrivains : ils
P.B. Y a-t-il eu, quand vous n'écrivaient, eux, que des « his-
étiez enfant ou adolescent, une toires -; être dieu, il me sem-
phrase qui a provoqué en vous blait que je ne pouvais guère
un choc tel que vous vous êtes aspirer à moins! Mais, dans la
dit en la lisant : Moi aussi je Mort du Loup, il y avait autre
serai écrivain; mol aussi j'écri- chose, une autre sorte de fas-
rai des phrases? cination : j'étais, pour la pre-
mière fois, sensible à une mo-
X. Non, pas une seule phra- rale, exalté par elle; j'admirais
se. Mals des œuvres, oui, des ce loup qui souHrait et mourait
poèmes. sans parler. je suis mal
P.B. Ouels poèmes? P.B. La forme alexandrine et
la morale stoïque?
dans
X. Il y en a un, en particu-
11er: la Mort du Loup. X. De l'une et de l'autre, en ta peau
tout cas, j'ai eu beaucoup de
P.B. Ouel loup? mal à me remettre. J'ai été long-
temps victime de mes admira-
X. Le loup de Vigny, qui tions enfantines, voilà. Pour
était un loup-cervier, d'ailleurs, ressembler à ce sacré loup qui
un lynx. mourait à la fois en alexandrins
et en silence, je me suis, pen-
P.B. Pourquoi celui-là? dant des années, trompé sur
moi-même, fourvoyé... C'est V.
X. Eh bien, ce poeme me fas- léry qui a dit : «Ce que nous
cinait d'une double fascination. pensons nous cache ce que
Comme beaucoup d'autres vers nous sommes -? Ah oui, ça,
que j'aimais, tout petit, à lire le nOUTeau roman de
sûrement!

cesbron
à ml-volx ou à me réciter sans
en rien « comprendre -, sans P.B. Je remarque que vous
chercher ni même soupçonner n'avez pas été influencé par
en eux un sens Intelligible, dé- cette morale stoïque au point
détachable en quelque sorte de de mourir sans parler?
la forme rythmique qui seule
m'enchantait, il était pour mol
pure délectation. Comme le ré-
X. Il vous faudra venir à
mon dernier moment pour vous
112000
cit de la mort d'Hector dans exemplaires
en assurer.
Andromaque, lu dans de vieux
Morceaux choisis. Comme cer- P.B. Dites-moi quand c'est,
ROBERT.a LAFFONT
taines contes en vers, Griséli- et je viendrai.
dis, par exemple, à quoi Je n'en-
tendais goutte. Je suppose que X. Je voudrais bien avol>
c'est la musique de la poésie encore un peu parlé avant
à quoi j'étals uniquement sen- c'est-à-dire: écrit.
sible, et aussi, comment dire, à
cette espèce de décalage que je P.B. Oui êtes-vous?

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 maT' 1970 13


ROMANS

H, CODlIDe hippie
FRANÇAIS

1
~igilte Axel fille qui a largué l'Europe et qui passe. dans les fontaines. Et ce problème du pas, shopping dans les " bazaars », amours
chaque matin deux heures à peindre un dentifrice! platoniques et dentifrice. Du reste, Bri·
Flammarion, éd., 256 p. serpent sur son front. Il y a aussi la drogue, mais longtemps gitte est une âme tranquille : la société
Elle est pleine de vie, les Indiens l'ap- Brigitte s'en approche avec circonspection. vous aliène et il faut s'en isoler, voilà
De cette route de l'enfer qui aboutit Ce beau papillon aime tournoyer autour tout. Et comme elle est forte, elle évite
à Katmandou, d'hallucinants reportages pellent Kali, elle porte des saris superbes
et tous les garçons lui font la cour. Mais du feu mais il apprécie trop l'éclat de les drames qui en broient tant d'autres.
nous ont dit l'horreur mais ce sont des ses ailes pour les brûler. Elle fume du Elle saisit ainsi quelque chose qui res·
reportages et comment connaître, de l'in· attention, Brigitte ne va pas donner son
corps au premier venu, il faut qu'on le haschich parce que le monde y gagne p.n semble à la liberté ou à son leurre.
térieur, l'aventure qui jette ces jeunes beauté, non en danger mais elle se méfie
gens de l'Europe repue sur les voies les mérite, comme dans l'amour courtois. Bri· Il est vrai que son courage est extrême.
gitte fonctionne comme la reine de ces légitimement des piqûres comme d'une
plus pauvres du monde? Une lucarne s'ou· peste. Elle se défend comme la chèvre de M. Se-
vre aujourd'hui sur ces paysages méphi. petites sociétés vagabondes. Une « allu· guin : non seulement contre les garçons
meuse» voilà ce qu'elle est et de le Un jour, elle fera un pas. Elle va
tiques, par le livre d'une jeune Belge, prendre du L.S.D. Dans la confrérie. qui ne pensent qu'à ça mais aussi contre
Brigitte Axel, qui relate le long voyage savoir porte son plaisir au zénith: cela les autochtones parfois malhonnêtes (scène
lui confirme qu'elle est au·delà de toute qu'elle affaire! « Le premier acide-trip de
de Katmandou. Brigitte, dit-elle modestement, est un évé· insolite, dans le livre, des hippies qui
morale et qu'elle a transmué les valeurs. livrent à la police le concierge de leur
L'ouvrage renverse quelques idées re· nement.» Suivent les chimères et les
çues. L'enfer qu'il molItre a des couleurs Majestueuse, elle se laisse servir, dans hôtel soupçonné d'avoir chapardé dans
l'attente du « Prince charmant» qui aura délires du L.S.D. Brigitte est au centre
pâlichonnes, il n'est pas très riche en du monde, personnage héroïque, fabuleux, leurs bagages). Quant à l'argent, on pro-
droit à son corps parce qu'il aura plu à fite de la mendicité généralisée de l'Inde
soufre. Brigitte Axel s'y présente comme à écrire sur des feuilles d'or, vedette in·
une jeune fille costaud et résolue, réaliste, son cœur. Ce qui. en Inde, advient à uu pour mendier aussi !
contestée. Elle se surpasse. Elle abandonne
avide de sa liberté. Sous sa plume, la certain Ric.
ses vêtements et la voici nue dans les Ce livre nous en dit davantage sur
quête hippy prend des allures d'auberge On voit que l'Europe, si l'on peut s'en rue de Katmandou, puis rhabillée dans Brigitte que sur le mouvement hippy, du
de jeunesse. Non que cette quête ignore éloigner en quittant ses rivages, ne se une affreuse prison. Période atroce. Rapa. moins si l'on demeure convaincu que les
l'enfer mais le cœur de Brigitte est sans déclare pas battue. Bien sûr, on va en triement en Belgique chez les parents. révoltes des jeunes gens sont des décisions
doute ignifugé, les flammes ne le brûlent auto-stop et non en avion, on vit à six On la réconforte, elle grossit de cinq généreuses, violentes et ravageuses. Il reste
pas. dans la même chambre et l'on est une kilos, écrit ce livre et ne songe qu'à que l'histoire se lit sans ennui et que le
Son récit est bien troussé. Le mouve- vraie cigale, mais a·toOn pour autant repartir. caractère de cette jeune fille n'est pas
ment est vif, le ton narquois et le fol1ùore "changé la vie », a·toOn "réinventé On cherche, dans les silences du livre, ordinaire : elle dose curieusement le goût
coule à pleins bords : le chatoiement l'amour» ou " écrit des opéras fabuleux,,? l'écho des forces profondes que cette jeune de l'aventure et la raison, la révolte et
des étoffes, l'élégance des vestes afghanes, Ce livre ne donne pas à le croire. Cette fille a côtoyées. La récolte est maigre. Ici le conformisme. Elle a enfin une ardeu.r,
l'éclat des bagues, l'ocre des masures, voilà hippy ressemble à une touriste d'un nou- et là, elle s'extasie sur la religiosité de un sens de la liberté et de l'haleine fraîche
ce qui hisse Brigitte au septième ciel. veau style. Elle est hantée par le besoin l'Inde mais elle manque de temps pour qui font honneur à la bonne éducation
Elle aime la beauté et surtout la sienne. de se laver et ses amoureux passent leur l'approfondir. Les petites tâches quoti- belge.
Elle n'en revient pas d'être ainsi, une temps à pomper de l'eau, pour son corps. diennes la requièrent, confection des re· Gillu Lapou~e

Un objet insolite Le Mal


1
Gabriel Deblanqer

1
Olivier Perrelet d'aiguail, le souci d'eau et la spirée, la do- son le brûle et soudain, il est entière·
Le dieu mouvant rine et le lotier II les plantes : « !Denthes, Le retour du c1wsseurs ment couvert de poils de taupe, même
Mercure de France éd., 248 p. orties et douves, trèfle et châtaigne d'eau, Robert Laffont, éd., 280 p. sa figure.
Il y a trois ans. amicalement préfacé prèles et fougères, carex et lentilles ». Au La méchanceté crue, sans sadisme, sans La meilleure histoire de Gabriel Deblan·
par André Pieyre de Mandiargues, Olivier bord du marais, une maison où habitent- psychologie, sans aucun· esprit sophistiqué der est sans aucun doute les Fous autour
Perrelet avait publié Aphrosyne ou l'au· deux sœurs Iris et Elodie. Le héros y est ni surréaliste, la peur venue de la terre de l'arbre. Tout se passe dans un jardin,
tre riva~e et le& Petitu Fillu criminelles, reçu comme l'Etre Attendu. Avec Iris il même, des arbres. des animaux, reste peut. autour d'un arbre. Un vieux jardinier
des récits inspirés par le romantisme alle· parcourt le marais. apprend à le connaître être un des domaines de l'épouvante le aveugle essaye d'arracher son jeune assis-
mand et allégés par un érotisme baroque. à s'imprégner de sa substance, à l'aimer plus inexploré de nos jours. L'inspiration tant à une curiosité obsessive. Au haut
Avec le Dieu mouvant, une suite de jusqu'au plus inf.ime reflet d'eau, jusqu'à de Gabriel Deblander - poète belge - de l'arbre, au cœur de sa cime, il y a
quatre courts récits, le poète rejette tout la plus frémissante de ses libellules, jus- vient de ces régions démoniaques contre quelque chose. Le garçon entend un cris·
baroque, refuse tout clin d'œil. Il sait bien qu'à sa senteur la plus secrète. La profu- lesquelles nous n'avons pas appris à nous sement doux et intolérable : « On eut dit
à quoi il s'engage ainsi et le dit simple- sion des images paraît infinie, le luxe des défendre. Ces nouvelles sont hors du la carU5e d'une main colleuse sur une
ment dans Ganymède : " celui qui ne fait détails botaniques et poétiques font de ce temps, elles pourraient aussi bien se pas- robe de soie. Qu'est-ce que cela peut bien
aucune concession au% goûts du moment marais un monde immense, sa splendeur ser au Moyen Age. être? Une femme et un homme dons un
n'ut jamais aimé, ils (les critiques) ne le tremble au bord de la beauté et de la pes- Dans une grande ferme parquée par nid ?» " V a à la ville, vois le& fillu ... ",
manquèrent pas. » Mais il termine ainsi : tilence. Et le. soir venu, devant les hautes l'hiver, sous une neige" grumeleuse, âcre grogne le vieil aveugle. Mais le garçon
" Ecoute·moi, ~locier! Ecoute·moi, convul· flammes, il retrouve Elodie la belle et comme suie ». où court une bise au bec s'entête, il '!oe peut plus penser à autre
sion pétrifiée! Ecoute-moi mO&se de pure· l'encemence avec le pollen du marais. de pierre, la servante-maîtresse de Juste Le chose, il ne peut plus entendre autre
té! tu t'ollon~es sons fin vers le ciel - L'érotisme de ces jours d'été devient at· Mal Nommé est une femme·belette. Le fils chose. Il monte au haut de l'arbre. Je me
et le ciel se retire ... Ecoute-moi ! Je monte, tente avec les pluies d'automne, attente de la maison sait qu'elle a tué sa mère garderais bien de vous dire ce qui s'y
;e monte, je monte... ». d'un enfant - celui du héros ou celui en la mordant au cou : les belettes mor· passe... Il faudra qu'un troisième jardinier
Olivier Perrelet est consumé par la poé. du dieu? Mais dans la nuit de l'hiver dent ainsi les lapins pour leur sucer la vienne s'occuper du jardin; mais lui aussi
sie, déchiqueté par le stylet des mots. Il Elodie meurt. Le printemps reviendra-t-il ? cervelle. Son tour ne saurait tarder, les rôde maintenant autour de l'arbre.
avance dans un rêve, refusant toute lu· Non. Le sable, la boue s'étendent à perte signes précurseurs sont là. Mais la vp.n· Cette nouvelle toute enduite d'une poé.
mière extérieure. Il s'explique dans de vue «la mort vers eux tendait ses .geance existe aussi. Le drame commence sie rude a néanmoins une atmopshère
Royombre où le héros vit la nuit : un lippes li. . il y a longtemps va se dénouer sous nos qui rappelle. çertains tableaux de Mal(
matin de juillet le soleil entrant dans sa La bizarre fascination qu'exerce sur nous yeux. Certains soirs, la belette peut dev!'.. Ernst. Un mystère, une couleur si belle
chambre l'avait attaqué, incendié, étouffé, ce récit onirique, cette poussière d'or nir lapin pourchassé. et maléfique et soudain, dans un coin,
mis ses souffrances à nu. Désormais, dans poétique, ce raffinement d'observations Plus loin un insecte venu « d'ailleurs », un éclat de métal, un mouvement d'oiseau.
la pénombre de ses volets clots il peut passionnément polies, est néanmoins trou· une énorme chose jaune - la couleur sata· La rudesse du ton de Gabriel Deblander
essayer de ranger les mots, d'un côté les blé par des images qui nous font rire: nique - hume doucement la peau douce a une lourdeur rustique. On peut même s'y
diurnes : « aigle », de l'autre les noctur· nous sommes encore sensibles au ridicule d'un enfant, puis le pique brutalement. enliser comme dans de la terre meuble.
nes : "source ». Parfois il y a des hési- de flammes enchaînées dans la cheminée La joue goDne, éclate, et un insecte jaune Peut-être est-ce cet équilibre précaire
tations, où ranger le mot « douleur » ? ou du jour qui passe un bras blanc sous gros comme un poing d'homme en jaillit. entre le style raboteux et l'imagination
et puis certains mots sournoisement fran· une nuque... Avons-nous tort de donner Dans ces deux nouvelles la même appro- diabolique qui provoque notre peur.
chissent la frontière. ainsi des limites à la poésie? che : une menace qui rôde comme un Gabriel Deblander la tisonne comme un
La Nature le met en transes, le fait Le livre d'Olivier Perrelet doit se décou- bourdonnement sourd, puis soudain un vieux sorcier au coin de son feu. Il nous
délirer et le Dieu mouvant est un de ces vrir comme une boîte ancienne très ouvra· geste brutal, et l'horreur. transmet un malaise profond, écœurant
rêves fièvreux. Le dieu est un marais, gée, il faut la regarder avec soin, c'est un Les je'unes gens sont aussi aux prises comme un fruit blet. Aucun fol1ùore, sim·
somptueux royaume caché dans les r0- objet insolite. avec les démons de la nuit. L'un d'eux plement, le Mal.
seaux, les fleurs, " la sagne rose buveuse Morie-Claude de Brunhoff s'arracherait la peau tant une démangeai. M.C.B.

14
La Chine
et l'art d'aimer
Jeux des nuages et de la pluie atteindro.nt toutes les formes
Textes de divers auteurs. de l'écriture, poétique et roma·

1 13.1 ill., dont 28 pl. en coul. nesque, en même temps que s'y
Bibliothèque des Arts, éd., déploiera un panorama dendu
224 p. des raffinements et des perver·
sités inséparables des • jeux
des nuages et de la pluie» ou
L'Eglise ne s'y trompe pas : yun yu, ainsi que sont nommés,
ces prêtres qui ont l'audace de dans un langage souvent moins
revendiquer le droit au mariage aérien, les jeux de l'amour. Des
font partie du scandale où se aventures des moines lubriques
Jette avec allégresse l'Occident aux délicats poèmes des Song,
en osant vouloir délivrer l'éro- des scènes de lupanars, où l'on
tisme de la notion de péché. Il met un entrain diabolique à
est curieux qu'il suffise de se «forger l'épée dans le four·
tourner vers une autre partie du neau écarlate., aux évocations
globe, vers la Chine, pour voir élégiaques où «la rosée, com-
cette notion se volatiliser. C'est, me un doux ruisseau, atteint le
en effet, au cœur même d'une cœur de la pivoine ., toute une
vieille religion, c'est dans le pur galerie de héros et d'héroïnes
taoïsme, que les traditions éroti- ont rendu célèbre l'histoire de
ques chinoises plongent leurs Ying-ying, souvent reprise au
racines. cours des siècles, le Kin P'ing-
Mei, roman de toutes les débau-
A l'époque des Han (206 av. ches, le Jeou Pou T'ouan (le Ta-
- 220 apr. J.C.), les pratiques pis de prière de chair), écrit
sexuelles faisaient l'objet de ma- par Li Yu, le Yu Kouei Hong, de
nuels destinés à propager les Louo P'ing-cheng, récit de l'igno-
doctrines taoïques. Elles consti- ble dégradation imposée à une
tuaient un exercice fondamental jeune fille dont la virginité est
.dans la recherche de l'immorta- vendue à un vidangeur et où
Porcelaine de l'époque de Kan~.hi (1662.1722,.
lité. C'est pourquoi la légende a plus d'une scène semble préfi-
fait d'un maître des • arts gurer les romans de Sade avec
sexuels ., le sage P'eng-tsou, un une Justine aux petits pieds me de cette édition exception- remplacées par dés prunes.
auxiliaire du dieu de la Longé- bandés, le P'in-houa-pao-kien, nelle. n'est pas de tout repos pour
vité : il n'eut pas moins, dit-on, où Chao-Yi décrit les mœurs des leur cible vivante. Cependant,
Les personnages que les artis- on est bien obligé de reconnaî-
de dix-neuf femmes et de neuf acteurs, spécialement de ceux tes chinois, depuis les Yuan jus-
cents concubines. Et selon le qu'on appelle les • manches tre que la pureté du trait, dans
qu'à l'époque K'ien-Iong, c'est- tous ces dessins, est communi-
philosophe taoïque Ko Hong, qui coupées ., le Liang-Hiang-Pan, à-dire du XIIIe à la fin du XVIIIe
vécut au IVe siècle, • nul ne peut livre des amours saphiques, etc. cative, et qu'elle y dissipe toute
siècle, et, même au-delà, ont impureté des intentions. C'est
obtenir la longévité qui ignore peints sur soie, sur papier huilé
les Arts de la Chambre à cou- Les extraits de ces romans un privilège de l'art - singuliè-
ou, plus curieusement, sur peau rement de l'art chinois - que
cher». Image vécue de l'union et des poèmes sont publiés de fœtus, parfois sur des rou-
spirituelle du Yin et du Yang, dans des traductions de Mme de transcender toute chose et
leaux offerts aux jeunes mariés de climatiser, pour ainsi dire.
les deux principes complémen- Georges Bataille, Pierre Klos- pour leur initiation, ou encore
taires de la cosmologie chinoise, sowski, Tchang Fou-Jouei et l'impudeur. Une recherche sty-
dessinés d'un. pinceau volant • listique poussée jusqu'au manié-
l'union charnelle révèle sa per- Franklin Chow, tandis que des et d'une • encre dansante •
fection par la volupté. En outre, études historiques et analyti- risme fait de ces jardins clos et
pour illustrer les pages du Kin de ces intérieurs de gynécée un
elle est tenue pour essentielle ques, dues aux sinologues Kris- P'ing-Mei, ces amants au visage
dans la thérapeutique d'affec- tofer Schipper et Jacques Pim- décor toujours un peu irréel
à peine souriant, ces jeunes dans lequel le spectacle de
tions multiples. paneau, professeur à l'Ecole des beautés aux gestes délicats
langues orientales, complètent l'amour semble s'offrir à l'es-
(mais précis), presque hiérati- prit plutôt qu'aux sens.
Religion populaire, le taoïsme cet ouvrage que Michel Beur- ques, nous persuadent tous
des premiers siècles initiait les deley présente, qu'il a aussi, en Jean Selz
qu'ils ont bien mérité leur
masses à son rituel qui com- partie, rédigé, et qu'il a illustré immortalité.
portait des cérémonies sexuel- par un choix de peintures et
les rigoureusement réglemen- d'estampes chinoises. Puisées Mais, aussi descriptive et
tées. Et lorsque, plus tard, la dans les collections, sans doute réaliste que soit la représenta-
réaction bouddhique manifeste- un peu cachées, du British Mu- tion de leurs jeux non innocents, THEATRE DE LA MUSIQUE
ra son opposition à de tels rites, seum, du Metropolitan de New jamais l'image ne se situe au Square Chautemps. Tél. 277-88-40
des courtisanes se feront en- York, de l'Université d'Indiana, niveau d'une qualification égril- 16 mars
core une renommée en se spé- entre autres, ainsi que dans des larde. L'humour n'en est pas
cialisant dans les techniques pour autant absent (on y décou- LUC FERRARI
collections privées, principale- vrira un usage inattendu de l'es-
érotiques taoïstes. ment dans celle de l'ambassa- HETERO • CONCERT
carpolette) , et la cruauté y
C'est du fond de cette sexo- deur R.H. van Gulik, auteur de trouve aussi sa place. Dans le 18 h 30 : Sandwichs concert
logie sacrée que surgit dans la Sexual Iife in ancient China, cas du moindre mal, le « Jeu 20 h 30 : Soirée concert
littérature chinoise un courant elles sont reproduites avec un des fléchettes volantes ., même
érotique dont les manifestations grand soin et font tout le char- alors que les fléchettes sont

La Quinzaine littéraire, du 1 au 15
W
mGT. 1970 15
EXPOSITIONS

L'Art flallland
c'est une exposition excep- Un sentiment bizarre s'empare
tionnelle qui se tient à l'Ins- du visiteur de l'exposition de
titut Néerlandais (1) jus- l'Art Flamand à l'Orangerie.
qu'au 15 mars. Non que Saen- Certaines toiles ou certains
redam soit un grand maître peintres lui apparaissent comme
(chacune de ses toiles vaut des points de repère. Il retrouve
cependant un nombre res- avec plaisir la fresque cha-
pectable de millions), mais toyante d'Ensor l'Entrée du
parmi les innombrables pein- Christ à Bruxelles ou l'exubé·
tres de l'Age d'or hollandais, rance ensoleillée des toiles de
il occupe une place singu- R. Wouters. Ces œuvres fami·
lière. lières demeurent cependant iso-
lées dans un paysage nocturne
Qui est Saenredam? Biogra- de terres inconnues. L'impres·
phiquement, cela tient en peu sion d'étrangeté qui se dégage
de mots. Il naît bossu à Assen- ainsi de cette exposition se
delft en 1597, peint cinquagte- trouve encore accusée par la
cinq tableaux à peu près iden- diversité frappante de ce que
tiques et meurt en 1665, laissant l'on n'ose à peine appeler une
aussi cent quarante dessins. Il école, tant celle-ci paraît défier
a une manie, l'architecture, une les normes de la cohérence. Au
passion : le vide. premier regard on voit mal, en
Les manuels le signalent com- effet, quel principe mystérieux
me peintre d'églises, précisent a déterminé le regroupement
parfois que son père était gra- d'œuvres si différentes, sinon
veur et le catalogue de l'expo- qu'elles ont toutes été créées
sition ajoute qu'il eut pour com- en Flandre au cours d'une pé-
pagnons deux architectes, Pie- riode s'étendant approximative-
ter Post et Jacob van Campen ment de 1880 à 1940.
qui fit son portrait, et qu'il n'alla Au seuil de l'exposition,
jamais en Italie. l'œuvre d'Henri de Braekeleer et
Saenredam est donc • pein- celle de van Rijsselberghe indi·
tre d'églises -. Il n'est pas le quent toutefois, d'une manière
seul. Emmanuel de Witte, van révélatrice, une rupture entre
der Vliet et quelques autres deux mondes. Tous deux ont,
n'ont pas négligé cette source d'une façon presque contradic·
d'inspiration, mais ils ne l'ont toire, vidé les apparences du
pas privilégiée comme lui. Ils réel de leur support. L'œuvre
El{lise St-Jan à Utrecht.
s'attachent à la réalité et même d'Henri de Braekeleer baigne
peut - être l'embellissent - ils. me des portants sur la scène faut pas le restreindre aux pein- dans le vacillement immobile
Saenredam semble la fuir. Leurs d'un théâtre et fait descendre tres d'églises mais le situer d'espaces confinés où le silence
églises sont aussi peuplées que des voûtes enveloppantes com- dans l'ensemble des petits maî- s'installe avec l'attente anxieu-
les canaux gelés d'Avercamp ou me des coquilles, un lustre tres qui l'entourent. Solidaire se d'une absence en perpétuel
les rues de Harlem de Berkhey- aussi énigmatique qu'un pen· parmi tous ces intérieurs cos- devenir.
de. Les siennes sont désertes. dule figé dans sa course. Il éclai- sus et soigneusement astiqués, L'espace ai n si découvert,
Ils se résignent mal au dépouil- re enfin cet espace savamment ces ports grouillant de marchan- Ensor va le remplir de ses phan-
lement des nefs ordonné par la élaboré d'une lumière uniformé- dises. ces orgies villageoises, tasmes qui empruntent à ses
Réforme, lui l'accentue; ainsi ment blonde. envahissante et ces natures mortes étalant les terreurs enfantines et aux han·
multiplient-Ils sur les murs ces illogique, qui atténue les volu- pâtés entrouverts, les citrons à tises de son subconscient les
curieux blasons en forme de lo- mes, simplifie les plans au point demi pelés, les fruits vernissés, aspects horrifiques d'une mas·
sange dont il ne se sert que de suggérer parfois la grille les carafes miroitantes et les carade qui n'est pas sans rap-
pour briser d'une façon quasi d'un Mondrian ou les arcades verres à moitié vides, son œu- peler les hallucinations de Poe.
clandestine la rectitude d'une métaphysique d'un Chirico. vre prend alors une résonance L'extraordinaire y revêt les
colonne. Leur champ visuel en- Non. Saenredam n'est pas le inattendue. apparences du quotidien et les
trecroise les piliers, les clôtu- seul à peindre des églises, mais Le dénuement s'oppose à rues d'Ostende, les chinoiseries
res de bois ajourées, installant il est le seul à les peindre vi· l'exhibitionnisme et l'on se de· des brocanteurs deviennent le
une succession de plans qu'ani- des. Mieux, c'est le vide qu'il mande si, face à cette société lieu d'un sabbat démoniaque.
ment à plaisir les jeux d'ombre peint. hollandaise qui ne se lasse pas Bientôt la lutte avec les forces
et de lumière et les allées et On ne manquera pas ça et là, de commander à ses peintres du mal étend ses ravages, les
venues d'un peuple en labeur. et non sans raison, de voir dans les images de son opulence, artisans de la persécution mul-
Saenredam, lui, aborde les nefs cette obstination son goût quasi Saenredam ne serait pas tout tiplient leurs coups en tous sens
et les transepts dans leur fron- exclusif pour "architecture ou, simplement contestataire com- et même les espaces les plus
talité, les vide de tout mobilier sur un autre plan, le triomphe me le sont à leur manière, sublimes ne sont plus à l'abri
et réduit les personnages - de la Réforme aux Pays-Bas, Arman et ses poubelles, Warhol de leurs atteintes. Ensor de·
quant il les tolère - à l'état de l'exaltation du dépouillement et et ses Campbell soup. viendra alors pareil à l'Homme
silhouettes inutiles: de l'austérité calvinistes. Cela de Douleur. assailli de toutes
Il exacerbe la perspective des ne suffit pas. Pour mettre Saen- Marcel Billot parts, ignoré et bafoué, muré
dallages, pose les piliers com- redam à sa vraie place. il ne (1) 121, rue de Lille. dans ce silence de supplicié et

le
,
Les bolides au musee
dans l'attente muette de cette Immobiles, ils composent sur
résurrection tardive, parodie la piste tendue à travers la gran-
dérisoire et grotesque du triom- de nef du Musée des Arts déco-
phe condamné. ratifs une surprenante figure de
Cet espace est aussi celui ballet.
de van den Berghe. La consis- Ces voitures plus fréquem-
tance opaque et les couleurs ment aperçues comme des for-
graves de ses premières toiles mes fuyantes, accompagnées
sè déchirent comme des fruits par le vacarme des échappe-
mûrs pour faire place à des lam· ments libres et d'enivrantes
beaux aux formes tentaculaires odeurs d'huile, se retrouvent
et à des monstres menaçants. briquées, luisantes, désodori-
Ailleurs, cepend;mt, les pein- sées, presque démystifiées dans
tres flamands semblent s'ingé- l'atmosphère compassée du mu-
nier à déguiser leurs spécula- sée. Les qualités qui leur appor-
tions sous les formes rassu- tent l'efficacité: profilage, astu-
rantes de l'espace familier. Tout ces mécaniques, recherche
se passe comme si van de d'une totale adhérence, d'une
Woestijne, Minne ou de Saede- plus grande légèreté, nous ap-
leer s'étaient appliqués à conju- paraissent composer une étran-
rer leurs démons en s'inspirant ge beauté.
de l'imagerie religieuse ou des Ces formes qui nous sédui-
paysages que leur avaient lé- sent sont le fruit d'une évolution
gués les siècles. Sous leur pin- continue, au long- des années et
ceau nous redécouvrons, dans presque de saison en saison,
Jeur fraîcheur primitive, les vas- selon les développements de la
tes étendues de la perspective technique, les options mécani·
et le visage trop humain de la ques ou les règlements de cour-
suavité divine révélés par les se. Les formidables monstres au
maîtres du XV· siècle. Bientôt capot démesuré, aux formes
cependant la fixité insolite d'un brutes, s'affinent et perdent leur
regard ambigu, la pâte crayeuse aspect de mastodonte pour re·
d'une neige trop blanche, la dis- vêtir des allures de pur-sang
torsion exaltée d'un geste dé- merveilleusement déliées, avant
noncent sournoisement J'impos- de se métamorphoser en pois-
ture et ses illusions. Ainsi, la son, puis en insecte. A chaque
sérénité admirable des Dor· époque, quelques réussites ex-
meurs trahit-elle l'accablement ceptionnelles donnent le ton et
abruti des mauvais bergers, déterminent une mode. L'esthé- Etude pour la Sigma.
tandis que le visage du Christ tique prend alors le pas sur la
se brouille dans la buée des mécanique, l'une et l'autre tou-
Jarmes refoulées. La fantasma- jours intimement liées. La Bu·
gorie captée au gré des images gatti n'est pas seulement la voi- tions esthétiques les plus auda- vision. Ils ont donné libre cours
anciennes et pieusement recon- ture la plus racée des années cieuses. Les artistes, parmi les à leur frénésie au volant de leur
vertie, selon les deux sens du 3D, c'est également celle qui ga- premiers, se sont passionnés cpvale, parcourant les paysages
terme, dans le langage quoti- gne, parce que l'esprit de s-on pour ces grands jouets, pas seu- déchirés comme ils éclataient
dien, avec une patience orien- constructeur s'est tendu vers la lement sous le coup d'une exci· les plans de leur tableau ou de
tale, aboutit ainsi à en démen- perfection sur tous les plans et tation passagère pour un fasci· leur sculpture, découvrant dans
tir l'apparente quiétude et à y se préoccupe aussi bien de la nant gadget, mais sans doute la vitesse des énergies nouvel-
insérer une dimension irration- beauté de son moteur, de ses séduits par cette force en pleine lement assemblées.
nelle : cette lumière laiteuse et roues, de la netteté de sa ligne expansion qui cherchait sa for- Aucune confusion de genre
asthénique qui est le tissu des que de l'efficacité des solutions me ; peut-être également par un n'a sans doute été cherchée
rêves. techniques mises en œuvre. Il inconscient besoin de s'appro- dans la manifestation du Musée
en est de même pour la Mercé- prier les pouvoirs et les vertus des Arts Décoratifs. Nous y
Ainsi les artistes flamands de la star rivale, de la posséder
dès de Fangio, la Jaguar des 24 trouverons le plaisir un peu ma·
ont-il tracé, par des voies sou- avant qu'elle ne les possède,
Heures, la Lotus de Clark ou la sochiste de côtoyer des vedet-
vent divergentes, les limites pour découvrir, avec elle, de
Porsche de Siffert. tes dont l'usage nous sera, hé·
d'un espace nouveau dont de nouvelles notions de temps, las, refusé, objets de culte et
Smet a élaboré l'architecture Sur les piédestals où se trou- d'espace et d'équilibre, dont les mirages pour nos instincts de
tandis que Permeke en a tracé vent ces vedettes, auréolées de relativités vont transformer leur puissance..
l'horizon et campé les acteurs. fulgurante gloire, notre œil est
C'est par l'œuvre de ce géant appelé à contempler ces formes Jean.François Jaeger
que s'achève cette exposition: soumises à des fonctions, nées
paysages illimités où la char- d'aucune émotion, mais d'une ri- GALERIE RIVE DROITE
goureuse science, et cependant 3, rue Duras - Paris 8' - 265-33-45
pente de l'homme se dilue dans
l'éclat soufré d'une lumière
inquiétante chargée d'orages èt
d'angoisses.
sensibles. Du croquis initial à la
réalisation définitive, elles ont
allié à tous moments la techni·
MOURAUQExposition prolongée jusqU'au 7 mars
Guy C. Buysse que la plus avancée aux concep-

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 17UJTS 1970 17


PHILOSOPHIE

La philosophie
Le livre de François Châte· ment, fait alors dans les masses, a une sanction en fin d'année : le nance de la P.S.U., comme chacun
let: La Philosophie des pro- de la fonction de classe de l'Uni- ,baccalauréat. » On croirait la re· de ses ch,apitres, de ses cours,
fesseurs, écrit par un pro- versité et, plus spécialement de tombée du poème de Rimbaud : comme l'idéal de la dissertation
fesseur de philosophie, évo- l'enseignement de la philosophie « Le voyage »... le contraste entre bien faite ou du chef·d'œuvre
quée ici par un professeur de en classes terminales, dans le cadre le rêve et la dernière réplique : constitue une totalité achevée.
philosophie... pourrait paraître de la préparation aux KN.S., « Et le bureau » ? L'analyse descriptive que François
typique de ce qu'on dénonce: dans l'enseignement supérieur, Le tout, en référence aux ma· Châtelet mène de proche en pro·
le serpent qui se mord la bloque la reconnaissance de struc· nuels. Et certes, il est conseillé che nous y conduit comme si de
queue, le débat interne et l'au· tures par rapport auxquelles nous (Instructions de 1925, celles du rien n'était, encore faudrait·il la
tocritique qui ne fait de mal ne voulons pas avouer notre dé- libéralisme bourgeois et de l'apo- suivre pour voir la précision que
à personne, d'autant que cette pendance. gée de la philosophie des profes- l'auteur apporte dans les différen·
autocritique comporte toujours seurs, qu'il faudrait commenter de ces.
une réserve, puisqu'elle est le Aussi pour en faire prendre près... ) « de ne s'en servir qu'acci. La P.S.U. en appelle aussi aux
produit d'une réflexion théori· conscience, François Châtelet met· dentellement », mais ils sont choi- « grands auteurs» et confronte
que liée à une pratique de il en lumière les conditions ob jec· sis par l'ensemble des professeurs. leurs « subjectivités libres », hors
c quatre lustres -, o~ l'on a tive., communes. Dès la première Ils sont la trame sourde et l'ex· de toute référence historique puis.
connu les classes terminales, ligne est indiquée la spécificité de pression commerciale d'un dis- qu'il s'agit de pensées éternelles:
la sélection de la Khâgne et l'institution de la philosophie en cours analogique, mal~é sa dis- « 'comme en un dialogue des mort,
l'expérience du département France : son enseignement' pour tinction. De sorte que l'élève peut Platon dialogue avec J.• P. Sartre
de philosophie de Vincennes, tous' les élèves du secondaire, en s'y référer, et s'y retrouver, dans et Bergson avec Zénon l'Eléate ».
c'est-à-dire à une pratique suf- « classes terminales ». Quel est ses dissertations comme à l'exa· Par,allèlement elle a recourlt aux
fisamment complète et dispa- alors le rôle de ce « couronnement men, et le manuel, sera, qu'on le faits pour échapper à l'analyse.
rate pour avoir le droit de qui se veut situé dans l'extrême veuille ou hon, le miroir défor· Le « Faitalisme» que dénonce
juger... ou tout au moins la généralité » ? Quelle' philosophie mant où l'enseignant découvrira ce Nietzsche comme typique de la dé-
possibilité de prendre ses dis· y enseigne.t.on ? Et comment, au· qu'il n'a pas cru dire. cadence, répond au lieu commun
tances! delà des spécialistes, cet enseigne.
Prenant ces repères objectifs : « concret» et permet de ne rien
ment fournit·il « à qui pense, à qui
programmes, examens, manuels, conclure : oui mais... oui mais,
écrit, à qui décide en ce pays ses qu'il s'agisse du socialisme ou du
comme indice, Fr,ançois Châtelet

1
François Châtelet concepts.•clés et ses valeurs pri. capitalisme, on en appelle à 'la
mordiales ? » De façon plus généra- va développer dans une analyse
l,a philosophie des professeurs neutralité.
descriptive les lieux communs et
Grasset éd., 230 p. le il « permet à l'adolescent, bien
doué et soutenu par sa famille de le proces.sus commun à tous les Dans un cas (histoire de la phi.
faire sa place dans la société de son secteurs et tous les niveaux de la losophie) comme dans l'autre
tem"s» et « possède ce privilège Philosophie scolaire et universi- (concret) il s'agit d'un nivellement
Cependant nous ne sommes pas
redoutable de rendre digne l'indi. taire (que Fr.ançois Châtelet dési. où tout est édulcoré. La façon de
$ur ces terrains et François Châ·
gnation, critiquable la critique, j(Ile, en s'amusant, des initiales manier les auteurs, de les lier à
telet nous met en garde. dès le
acceptable l'acceptation ; de tout P.S.U.). C'est pourquoi il ne s'at- tel problème en un réHexe condi·
début contre cette interprétation
ramener à l'étiage commun, la tachera pas à l'enseignement supé. tionné, de le8 in8érer dans une sé·
contestable et psychologiste. En
religion, l'université, la vie des ré· rieur en lui·même : « réitération rie qui dénature leur pensée (la
effet le livre, et son titre, ne doi.
gions, la politique mondiale, de et dérivation» de l'enseignement thèse de Sartre à propos de l'Ima·
vent pas être pris comme l'an·
tout disposer en colonne par cinq; donné dans le secondaire; il est, gination), de les réduire au P8Y-
nonce d'une critique des' ensei.
de tout comprendre et de tout re· comme le rappelait le ministre chologisme (Descartes, inventeur
gnants de philosophie - somme
cevoir ; de définir ce que, désor- Guichard contestant la validation de ce « truc » pédagogique commo-
disparate d'individus - de toutes
mais, on va appeler « l'objectivi. de la licence d'enseiplement à de qu'est le doute ... ) n'a d'égal
opinions .et de tous caractères, de
té ». Vincennes, destiné à former de que l'irrespect pour les sciences :
Sénik l'indésirable, au professeur bons agents de la P.S.U. La P.S.U. « Galilée avec son lustre (sans le
modèle que l'Inspection Générale Les annexes du livre montrent se définit d'abord par son incroya- tribunal du Saint-Office), Newton
note au maximum ou que le minis· comment les programmes, pour ble capacité d'intégration. avec sa pomme (sans la révolution
tère, accentuant la hiérarchie indic~tif8 qu'ils soient, n'en sont
Ce mode d'intégration 'est aussi théorique qu'il détermine) pero
bien connue' et concurrentielle, pas moins exigés, et constituent plus modeste et s'accommode d'un mettent d'esquiver les problèmes ».
prônent en « Chaire supérieure ». déjà un cadre.' électismequi convient bien à l'en. Tel semble trop souvent l'inten·
Car l'analyse de Châtelet est
L'efficadté immédiate, celle du seignement de la philosophie tion de cette philosophie du Ques.
d'abord destinée à éviter le piège
baccalauréat, en est l'enjeu. Et ce quand on a perdu confiance dans tionnement.
du vécu, et l'illusion « psychophi.
losophique» d'une indépendance dyptique montre la distorsion en· les valeurs dominantes. Seuls le Pour avoir démonté les rouages
que nous n'avons pas. tTe la I( liberté assurée au profes. « Moi·je », sujet « psychophiloso- de la P.S.U. et avoir cerné les
seur à chaque page des instruc- phique » que Châtelet désigne idées directrices (éclectisme et inté-
« Il s'agit d'abord de critiquer tions ministérielles (liberté d'opio comme premier lieu commun, et gration, banalisation et postulats
résolument l'enseignement actuel de nion, liberté d'ordonnance, liber. l'Homme, second lieu commun: normatifs, démagogie et neutralité
'la philosophie tel qu'il est défini té de mét.hode... ) et la plate réa· source et achèvement, unifient cet etc) qui correspondent au vide
institutionnellement, afin de met- lité. » « De fait le professeur en amalgame. Entre les deux pôles théorique et à la fonction sociale
tre à jour sa place et sa fonction cla.,ses terminales peut procéder les autres « lieux communs» : le de l'en8eignement de la bourgeoi.
dans la lutte politique et, pour ce comme b,on lui semble pourvu concret, l' histoire de la philoso- sie, le livre de François Châtelet
faire, de définir les moyens qu'il qu'il sache faire aimer La Philoso- phie, les sciences de la nature et est important. Ce qui n'exclut
utilise ». phie et développer les capacités ré- les sciences humaines ont des pro· pas l'aisance dans l'écriture et la
On voit à quel point ce livre, est flexives en général. Mais ce libéra· cessus analogues et des rôles par. pensée. On sent à la lecture une
salutaire qui dit clairement ce que lisme apparent a une limite et ticuliers. Et la récupération ré· saine gaîté à critiquer le pourris-
l'on tend à cacher, plus encore cette liberté déclarée sombre dans cente d~s sciences humaines pero sement de cet enseignement qui
depuis Mai qu'avant : le dévoile· la plus complète abstraction. Il y met de fermer le cycle : l'ordon. (comme beaucoup d'autres) « ad·

18
des professeurs
ministre un cadavre avec défé- devant les menaces réactionnaires. Sans l'action politique la critique
rence :Il. Car si l'enseignement de la phi- théorique devient IC critique )J.
losophie est, tout relativement et
Au-delà des collègues qui «trou. malgré sa confusion « un lieu de Et si François Châtelet s'était
veront le temps» de lire les 250 résistance à la bêtise dominante ". interrogé, comme il le fait, au
pages' alertes, synthétiques, par· c'est tout relativement! et terme du chapitre sur les sciences
fois trop allusives, parfois trop l'i d é 0 log i e anarcho-chrétienne humaines à propos de Freud (et
brillantes, François Châtelet s'a· qu'évoque François Châtelet risque de l'ethnologie! ) nous savons
dresse aux élèves, aux étudiants, éventuellement, devant le dévelop- « ce qu'il resterait de l'èdifice
à tous ceux qui, d'une spécialité à pement de mouvements lycéens et théorique de la P.S.U. si elle don-
l'autre, s'interrogent sur la pesante étudiants, plus souvent de freiner nait réellement la parole)J .. .' à
survie de l'Université, de la phi. que d'aider. Marx, ce lien à la pratique poli-
losophie et de la culture bour- Dans ces conditions, les limites tique se serait sans doute imposé.
geoise. Un livre qu'il faut discuter, du livre ne répondent pas à ce Encore est·ce une fausse ques-
armes en mains (je veux dire : qu'on attendait; car manque l'ana· tion : la P.S.U. ne donne jamais
manuels et cours), enseignants et lyse de ces luttes politiques en François Châle/el, la parole au discours marxiste s'il
enseignés... rapport à quoi l'auteur annonçait reste lié à la pratique révolution-
qu'il déterminerait Il la place et la naire. François Châtelet le sait
L'aisance n'exclut pas l'exigen-
fonction de l'enseignement de la bien, pour l'éprouver au départe-
ce : le mérite de Châtelet est de les facultés pour cntr.quer cet en-
philosophie », comme est partiel ment de philosophie de Vincennes.
situer l'enseignement de la phi- seignement ». Mais, à en rester là,
losophie dans sa fonction sociale, aussi le rôle que l'auteur propose le risque de récupération par la Aussi faut-HIa prendre dans ces
comme idéologie de la classe do- à l'enseignant dans la lutte contre P.S.U. demeure. Aussi la dénon- « luttes rebelles » auxquelles il fait
minante, sans se laisser prendre l'idéologie de la P.S.U. ciation doit·elle comporter la ré- allusion et qui actuellement com-
au piège du « savoir », sans pra· Certes, il s'agit « d'utiliser ce pudiation pratique de la pensée portent le risque de répression.
tiquer l'auto-censure habituelle à lieu qu'est l'enseignement de la spéculative. La lutte idéologique
la « défense de la philosophie» philosophie dans les lycées et dans ne se mène pas qu'avec des mots. Jeannette Colombel

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La Quinzaine littéraire, du 1· au 15 mar. 1970 1.


POLITIQUE

Les voix du silence


Le 5 décembre 1969 une dénonce certaines pratiques bu- née d'Ivan Denissovitch apparaît six ans de camps de concentration
trentaine de membres du reaucratiques. Mais ce jour.là en sans doute assez fade aujourd'hui, de 1961 à 1966, condamné depuis
Groupe d'initiative .pour la dé- Pologne, des dizaines de milliers comparé aux Récits de Kolyma l'admirable lettre qu'il écrivit aux
fense des droits civiques, or- de travailleurs réunis en assem- de Chalamov ou au Témoignage travailleurs tchécoslovaques (pp.
ganisation proclamée publi- blées et en mettings affirmaient de Martchenko, mais sa publica- 398·403) à trois nouvelles années
quement en Union Soviétique leur volonté de prendre en mains tion officielle en U.R.S.S., dans de camp, Larissa Daniel, Piotr
en mai 1969, organisaient une leur destin; mais ce jour.là, en les colonnes de Novy Mir, publi- Grigorenko, Boukovski, le prési-
manifestation à Moscou pour Hongrie, les meetings se multi- cation imposée, semble·t·il, par dent du kolkhoze Ivan lakhimo-
le respect des droits garantis pliaient dans les Universités et les Khrouchtchev à une minorité ré- vitch - dont la Komsomolskaia
par l'article 125 de la Consti- étudiants de l'Université techni- ticente du Bureau Politique, était Pravda reproduisait le journal
tution (liberté de parole, de que décidaient d'organiser une un acte politique très important de président cmodèle» en 1964 -
réunion, de presse, de ma- manifestation de solidarité avec parce qu'elle levait le voile sur un et qui croupit aujourd'hui dans
nifestation); 16 jours plus la Pologne et d'envoyer des délé- moment du passé aux conséquen- un asile, le poète Vadim Delau-
tard, le 21 décembre, une tren- gations dans les usines. Egale- ces toujours actuelles. C'est pe\! nay, le mathématicien Léonide
taine de manifestants, à l'ap- ment, ce jour.là à Moscou, le mee- après, d'ailleurs, que commencèrent Pliouchtch.
pel du même Groupe, se réu- ting qui devait condamner Dou- la réaction et les procès contre les S'il est impossible d'analyser ici
nissaient sur la Place Rouge dintsev fut envahi par des cen- écrivains dont les vérités, même les nuances et les activités d'une
devant le mur où sont enfouies taines d'étudiants et par les écri- partielles, étaient trop explosives. opposition communiste qui fon-
les cendres de Staline pour vains fondateurs d'un syndicat dait dès 1961 en Ukraine une
En même temps commençait le
manifester contre la réhabili- autonome clandestin qui le pri- Union Ouvrière et PaY!Janne dont
lent processus de la réhabilitation
tation de Staline. Dans les rent en mains. Paoustovski y dé- Samizdat 1 reproduit une partie
deux cas la police dispersa de Staline, nécessaire à toute ten-
clara dans un discours que Sa- du programme, qui vient de se
violemment la manifestation. tative de resserrer le corset de la
mizdat 1 reproduit : constituer en une organisation
bureaucratie. Ainsi le combat
« Le problème est que dans no- pour la liberté de parole devint publique et qui organise des ma-
tre pays existe impunément et combat pour le respect des droits nifestations, s'il est impossible ici
Samizdat 1
prospère même jusqu'à un certain garantis par la constitution, étroi- d'évoquer le contenu fort riche de
La voix de l'oppositwn
point une couche sociale tout à tement lié à la lutte contre la la soixantaine de textes reproduits

1
communiste en U.R.S.S.
fait nouvelle, une nouvelle caste réhabilitation de Staline. dans Samizdat l, s'il est impossi-
Edité par la Vérité
de petits·bourgeois. Cest une nou- ble de détailler le contenu d'une
Réédité par Le Seuil, 644 p. Au premier plan de ces com-
velle caste de carnassiers et de politique qui s'affirme comme
possédants, qui n'a rien de com- bats des fils de vieux-bolcheviks une volonté de «retour à Lénine ~
Le gros volume qui vient de mun avec la révolution, ni avec (Pavel Litvinov, Piotr lakir, Leo- et d'ouvrir «la seule alternative
paraître sous le titre Samizdat l, notre régime, ni avec le socia- nide Petrovski), un vieux bolche- au capitalisme et au c socialisme ~
lu voix de l'opposition commu- lisme ». En affirmant la nécessité vik rescapé de Kolyma, Alexis stalinien, le socialisme marxiste
niste en U.R.S.S., publié par les de combattre ces c carnassiers », Kosterine, qui maintiennent une léniniste régénéré et débarrassé
trotskystes français de l'Organi- Paoustovski concluait: fragile continuité historique. Leurs de la boue » (Kosterine), on peut
sation Trotskyste pour la recons- textes sont sans doute les plus ri- dire que les textes de Delaunay
c Il faut mener le combat jus-
truction de la IV· Internationale, ches du volume. L'importance de et de Kosterine, de Grigorenko et
qu'au bout. Ce n'est qu'un début.» cette continuité, Piotr Grigorenko
permet de comprendre l'origine, (p. 143·146). de Iakhimovitch, de Pliouchtch
la nature et le sens de ces mani- la souligne lorsque dans son dis- et de Iakir, d'Alexeev et de Mart-
Après l'écrasement de la révo- cours prononcé aux funérailles
festations, qui se répètent depuis lution hongroise et la confisca- chenko, de Larissa Daniel et de
1965 et traduisent la montée lente d'Alexis Kosterine le 14 novem- Pavel Litvinov rassemblés dans
tion de l'Octobre polonais, l'oppo- bre 1968 - le premier meeting
mais régulière d'une opposition sition se reconstitue au milieu des Samizdat 1 mènent tous plus ou
de gauche que la répression ren- libre en U.R.S.S. depuis les funé- moins directement à la conclusion
écrivains autour de la revendica-
force, loin de pouvoir la briser. railles du trotskyste Abraham du dernier texte rédigé par Ivan
tion du droit à la parole. C'est ce loffé en 1927 - il affirme :
Les textes ici réunis couvrent la que les auteurs de Samizdat 1 ap- Iakhimovitch avant son arresta-
période qui va de la fin de la pellent «l'opposition littéraire », c Il y a très peu de temps que tion et où, se posant sans la
seconde guerrc mondiale à ces inorganisée, que sa volonté d'ar- je connais Alexis. Il y a moins de moindre ambiguïté comme un
dernièrcs semaines. De l'évoca- racher la liberté d'expression, trois ans. Mais lai passé à ses combattant du socialisme et de la
tion de la grève générale des dé- dans le seul cadre même de la lit- côtés une vie tout entière. Mon classe ouvrière, comme un défen-
portés de Vorkouta (1953) qui ou- térature, entraînait, involontaire- ami le plu!J proche m'a dit, du vi- seur des conquêtes d'Octobre, il
vrit la première faille dans le ment sans doute, à poser à nou- vant même d'Alexis Kosterine : conclut par ces mots :
système des camps, à l'appel du veau des revendications de carac- « C'est Kosterine qui t'a créé ». Et « Communistes, en avant! Com-
Groupe d'Initiative pour la dé- tère politique. je ne le contestai pas. Oui il m'a muniste!J, en avant!
fense des droits civiques, les di- Toutes les traditions de la lit-
créé: du révolté que l étais, il a
Avant tout, c'est un danger pour
vers moments d'une longue lutte fait un combattant. »
térature russe donnent à celle.ci, le pouvoir soviétique lui·même
sourde. illl.~onnue, méconnue, sont en effet, un rôle social éminent. Combattant. C'est le mot qui quand les homme!J sont privés de
ici évoqués par la bouche de Le c réalisme socialiste », lui- définit sans doute le mieux les liberté pour leuT!J convictions,
ceux·là mêmes qui en furent ou même, en proclamant les écri- auteurs de la grande majorité des car il ne !Je passera pas longtemps
en sont les pionniers. vains des Il: ingénieurs» des âmes, textes de Samizdat 1. Une force avant que lui aussi soit privé de
La nature de cette lutte, l'écri- a sanctifié ce rôle social, l'a ins- tranquille s'affirme chez ces hom- liberté.
vain Constantin Paoustovski la titutionnalisé. Cela seul suffisait mes qui veulent en même temps Les puissants de ce monde sont
définit dès le 22 octobre 1956. à donner au plus minime exercice défendre l'Union Soviétique et en forts parce que now sommes à
Ce jour.là devait se tenir un mee- de ce droit à la parole une impor- balayer ceux que Paoustovski dé- genoux.
ting officiel pour condamner tance extrême et donc une dimen- nonçait dès 1956 comme les pires Levons·nous.» (p. 429·433).
l"f/omme ne vil pas seulement de sion explosive. Soljenitsyne en est ennemis du socialisme : le docker
JlU.in. roman de Doudintsev qui un exemple frappant : une Jour- Anatoli Martchenko, condamné à Jean-Jacques Marie

20
Du communisme à la collaboration
Dieter Wolf allemand, italien, espagnol ou fran· sé, sur lequel Dieter Wolf se pen· Si l'on ne partage pas l'opti-
che en passant, est l'imprégnation misme de Dieter Wolf sur le fas-

1
Doriot çais : un nationalisme exaspéré, la
Trad. de l'allemand création d'un parti unique (Doriot d 'hommes politiques français (dont cisme « irrévocablement vaincu par
par Georgette Chatenet y échouera à Vichy à cause de la réputation de démocrates n'a la Seconde Guerre mondiale», ni
Fayard éd., 482 p. Pétain et de Laval), le principe du guère été mise en doute) par les le jugement favorable qu'il porte
chef et l'idée d'élite (cf. l'hymne du idées fascistes. C'est le cas, par incidemment sur le préfet de p0-
P.P.F. : « Ecoute Doriot qui t'ap- exemple, de Daladier, qu'on vit, en lice Jean Chiappe, si le mot « in-
Si impartiale qu'elle se veuille, pelle - Enfant de France, vers le 1939, recourir à une propagande vasion » pour désigner le débarque-
une biographie de Jacques Doriot plus noble but!»), la formation animée des principes du P.P.F. : ment allié en 1944 (p. 393) est de
court le risque de paraître majorer d'un front contre le marxisme, la à l'approche du conflit, le « tau· nature à choquer la sensibilité fran.
un homme et, par voie de consé- démocratie et les Juifs (dès juillet reau du Vaucluse », reprenant plus çaise (mais peut-être s'agit-il d'une
quence, un mouvement politique 1940, des membres du P.P.F. sac· d'une idée à Doriot, « se conduisit maladresse de traduction ?), il re~
relativement secondaire. C'est sans cagèrent des magasins appartenant en dictateur possible », ainsi que le te que ce Doriot, sous-titré : Du
doute afin de parer à ce reproche à des Israélites et tentèrent, le 15 notèrent alors - mais on l'a un peu communisme à la collaboration, est
que Dieter Wolf - jeune historien août, d'incendier la synagogue de oublié - Jacques Debû·Bridel et un portrait brossé avec une lenteur
allemand qui n'a guère connu d'ex. Vichy). Alfred . Fabre-Luce, lequel avait minutieuse, une application opiniâ.
périence le nazisme et la Seconde rompu, après Munich, avec le tre et un souci constant de vérité.
Guerre mondiale - a entendu re- P.P.F. Maurice Chavardès
placer le Parti populaire français et
son fondateur dans le contexte du
fascisme et de la collaboration avec Ce qu'il '11 a d'~ationnel
l'Allemagne hitlérienne, parmi les et d'élémentaire dans le fas-
autres personnages et mouvements ofsme n'empiohe pas la f..-
similaires auxquels il s'est efforcé
de restituer leur véritable échelle. aination qu'il peut ezeroer
S'il n'y est pas toujours parvenu, sur oertains intelleotuels.
on lui accordera cependant que sa
peinture des années 20, son évoca-

MAURICE CLAVa
tion de février 1934, son analyse
des milieux collaborationnistes de
Ce qu'il y a d'irrationnel et d'élé-
Vichy sont, en général, justes et
objectives. mentaire dans le fascisme - et que
l'ouvrage de Dieter Wolf met assez
Sur un tel fond d'histoire, le bien en lumIère - n'empêche pas
métallo Doriot, amateur de boxe
et de théâtre, socialiste antimilita-
la fascination qu'il peut exercer
sur certains intellectuels. Il est édi- •
qUI
riste en 1917, secrétaire des Jeu- fiant de rappeler à cette occasion
nesses communistes, enfant gâté, l'enthousiasme béat de Drieu La
puis enfant terrible du P.C.F. et Rochelle parlant du « rendez·vous
de Moscou, partisan de l'ouverture à Saint-Denis» (où se rassemblè-
vers la S.F.I.O., battu par Thorez

est aliéné
rent, en juin 1936, les fondateurs
dans la lutte pour le pouvoir à l'in. du P.P.F.) : « On y vient avec ou
térieur du parti, schismatique après sans gants, en blouse ou en salo-
1934, chef d'un mouvement natio· pette, à pied et en voiture». Et
naliste pro-mussolinien et pro-hitlé- tout de même le vertige d'un Thier-
rien, munichois en 1938 (mais, en ry Maulnier, d'un Jean-Pierre

?•
dehors de ceux des députés commu- Maxence, d'un Alfred Fabre-Luce,
nitses, deux votes seulement s'ex- « se hasardant un peu étourdiment
primeront contre Munich au Parle- sur le sol vierge du fascisme».
ment), partisan d'une entente tota- Contradiction trompeuse : la pen-
le avec l'Allemagne en 1940, et, sée française a toujours eu beau-
pour finir, adversaire malheureux coup de mal à se dégager de la
de Laval, puis triomphateur déri-
soire, à Sigmaringen, de Darnand,
caste, à se faire « socialiste ».
Par une autre contradiction -
critique et métaphysique
Bucard et Déat - cet aventurier
qui devait mourir banalement, en
non moins apparente - la haine sociale de l'occident
de la ploutocratie qui, par moments,
1944, dans un bombardement, ce prenait un aspect anticapitaliste,
« fils du peuple» (son père était n'a jamais empêché Doriot de tou·
forgeron), cette « force de la nature cher des fonds de diverses banques
prolétarienne » qui, sans drame de parisiennes (dont Rothschild, Drey-
conscience, franchit le fossé qui sé·
parait Staline de Hitler, apparaît
comme le meneur fasciste type.
fus et Lazard), d'industriels de l'au-
tomobile et de l'alimentation, de
plusieurs associations patronales et
Er
Il est intéressant de noter que
sa conversion, après la rupture de
des Aciéries de l'Est. En marge de
quoi, on devine l'intérêt d'une étu·
FLAMMARION
1934, est un ralliement sans condi- de d'ensemble sur lp. financement
tions à la définition du fascisme des ligues d'extrême-droite en Fran-
valable, à quelques nuances près. ce de 1930 à 1945 ...
pour tous les fascismes, qu'ils soient Un phénomène rarement analy.

La Quinzaine littéraire, du 1 au 15 mars 1970


W
21
LIRGUISTIQU.

Sollers parle
1
Roland Barthes net et de Julia Kristeva, que la mur et vitral;-e, qui est le règle- nément une histoire de castra-
SjZ coupure qui fait apparaître le plus ment et la mise en cause de la dif- tion.» Balzac aura cependant
Le Seuil éd., 280 p. nettement cette mutation dans . férence : ce trait est caché dans le écrit son texte en tournant ellip-
« L'aventure a des passages dan- l'écriture est précisément datée : texte classique, opérant et visihle tiquement autour d'un manque
gereux pour le narrateur. » Les Chants de Maldoror (1869). dans le texte moderne (d'où la dis- qu'il ne peut pas dire constituant
(Balzac). Sarrasine a été écrit en novemhre parition de la figure, de l'image, ainsi le tissu symholique et son
Georges Bataille, en 1957, indi- 1830 (année où les mouvements li- du personnage, du nom). Le mot trou, l'œil et sa tache aveugle.
que avec sûreté l'importance héraux et nationaux agitent toute Sarrasine ne s'entend pas comme Il faut lire Sarrasine puis le
d'une nouvelle peu connue : Sar- l'Europe). Barthes, en 1970, peut il se lit : un Z vient, à l'audition montage et la partition qu'en fait
rasine (qu'il écrit d'ailleurs avec réécrire cette nouvelle au point de à la place d'un s. L'espace figu. Barthes. La nouvelle n'étant plus
un z) où il voit « l'un des som- lui assigner exactement sa place : ratif est dicté par la méconnais- finalement, que ce montage où elle
mets » de Balzac. Plus qu'un pro- celle d'un tahleau maintenant li- sance de cette incision. est incluse. Ce texte - classique-
hlème formel ou technique, ce qui sihle en chacun de ses points, d'un Mais résumons. Le texte d'Ho· est un pluriel économisé. Il parle
compte à cette époque, aux yeux ensemhle entièrement saturé, d'un noré de Balzac commence par la en rêvant, et il rêve qu'il parle.
de Bataille, c'est le fondement qui système qui enregistre la crise de « description» d'un hal au Fau· Il n'a pas à se rendre compte qu'il
ferait d'un certain nombre de tex- la représentation même. Le texte bourg Saint·Honoré. Apparaît un est écrit. Il sait quelque chose
tes, épars dans notre culture, les de Balzac, nous explique Barthes, « mystérieux vieillard » dont la qu'il ne sait pas et sur quoi il se
symptômes d'un houleversement est juste antérieur à cette aventure narration, par une série de détours fonde pour se raconter, quelque
ouvrant, comme il le dit, sur une de l'écriture qui définit la pointe et de décrochages (minutieusement chose qui l'autorise, l'interdit, le
« vision lointaine». Le récit qui de notre modernité : il la frôle, la repérés par Barthes), nous ap· sauve des interv,alles où il s'éva-
révèle les possibilités de la vie dénie, la suggère ; il en suhit les prendra qu'il est un castrat célè· nouirait s'il les prenait en charge
n'appelle pas forcément, mais il craquements, la fissuration, la hre, Zamhinella, cause de la fortu- et s'il les pensait. Il est tout entier
révèle un moment de rage, sans hrûlure, et cela au point vif que ne de ses neveux. Zamhinella a été comme le fantasme, mis en scène
lequel son auteur serait aveugle Freud est venu définir : la castra· responsahle de la passion mortelle dans l'emhrasure d'une fausse fe-
à ces possibilités excessives.» Nous tion. Sarrasine est le récit d'une et aveugle d'un sculpteur vierge, nêtre logique: celle de l'antithèse
n'avons plus aujourd'hui, dans le castration qui a lieu dans le récit, Sarrasine (c'est le récit dans le qui est sa matrice tonale. Comme
champ théorique désormais déga- et le récit de la cas t ra- récit : le narrateur essaye de ven- tel, il est « incomplètement réver-
gé, à nous demander ce qu'il en tion du récit comme récit. Bien dre cette histoire à une jeune fem· sihle». Il faut, pour le susciter
est de l'expérience d'un «auteur». plus, nous pouvons ici en donner me contre une nuit passée avec dans son volume, le radiographier,
En revanche, nous savons que no- le monogramme, la formule, le elle. La narration de l'énigme le plisser, le disperser, le faire ré-
tre travail doit porter sur les limi- chiffre : S/Z. Ce qui passe entre tourne autour d'un tableau, L'En- gresser jusqu'à retrouver les tra-
tes, les hords, l'épaisseur signi- les « personnages » du récit hour· dymion, de Girodet, lui-même ces du travail dont. il est l'efface-
fiante et l'inscription historique geois n'est rien d'autre, en défini· réplique de la sculpture réalisée ment et le vernissa~e, le transfor-
du fonctionnement des textes : tive, qu'une permutation et une par Sarrasine avant qu'il s'aper- mer en « galaxie de signifiants »
travail d'avant-garde, malgré tou· mutilation de lettres, une entaille çoive que Z n'était pas une fem- soumise à un mouvement topolo-
tes les résistances ohscurantistes littérale en miroir. Entre le narra· me. Le récit, conçu comme mar· p:ique, à une indication continue.
(psychologiques), travail qui con· teur et celle qui l'écoute (entre chandise, hute sur le fait qu'il ne C'est ce que Barthes appelle le
solide une mutation idéologique Balzac et son écriture) com- peut ni nommer ni intégrer l'effet « texte étoilé» : indication du
dont le frayage est inéluctahle. me entre Sarrasine (le sculpteur de la castration : le narrateur fait qu'il peut commencer à sor-
Nous supposons démontré, après assassiné) et Zamhinella (le cas- n'ohtiendra pas le corps qu'il dé· tir de la toile, par interruption,
les recherches de Marcelin Pley- trat chanteur) se dresse un trait, sirait. « On ne raconte pas impu. coupes, suspens, surgissement et
dérive des hlancs sous.jacents. ceLe
développement d'une énig'me est
hien celui d'une fugue. » De plus,
le texte classique (comme le dis-
cours névrotique) est appendu à
M.
la méconnaissance de la castration
A~
(c'est-à.dire au pénis de la Dière
Ville maintenu coûte que coûte). « Un
Date doigt, écrit Barthes, de son mou-
vement désignateur et muet, ac-
80uscrit un abonnement compagne toujours le texte clas-
o d'un an 58 F 1 Etranger 70 F sique : la vérité est de la sorte
o lonj{uement désirée et contournée,
Abonnez-vous
de six mois 34 FIE tranger 40 F
règlement joint par maintenue dans une sorte de plé-
o mandat postal a chèque postal
nitnde enceinte, dont la percée, à
la fois libératoire et catastrophi.
o chèque bancaire que, accomplira la fin même du
Renvoye~ cette carle à discours; et le personnage, espace
même de ces signifiés, n'est jama;s
La Quinzaine. Utt'ral ...
Que le passage de l'énigme, de
cette forme nominative de l'énig-
43 rue du Templ.,. Paris 4.
me dont Œdipe (dans son débat
c.c.P. 15.:>51.53 Paris
avec le Sphynx) a empreint my-
thiquement le discours ocdden-
tal. »
Or le castrat, dans Sarrasine, in-

22
de Barthes
troduit dans le code culturel clas- tié). Il tourrie autour d'un sujet
sique ùne fissure irrémédiable : barré vide, d'un prédicat double
il est bien le représentant de sa et flottant : il est la pensée dU'
représentation écoilOmique. Ve- trou dont il est le tour. On com.
nant à la place creusée et inverse prend pourquoi il souHre de l'ex.
de la mère au pénis - envers position et de l'évitement de la
strict de l'essence (divine) - , il castration comme une contagion
(9U elle) perturbe comme l'écrit en lui réprimée, une véritable gan.
Balzac « la mort et la vie, ma pen. grène ; comment cette coupure e8t
sée, une arabesque imaginaire, une pour lui la destruction d'une idéo-
chimère hideuse à moitié, divine· logie obsessionnelle de l'art, du
ment femelle par le corsage. >J Le sens et de la beauté. La castration,
texte classique ne montre que sa en effet, interrompt « la circula·
moitié, c'est un effet de gorge. tion des copies (esthétiques ou bio-
Entièrement déplacé sur la voix logiques) elle trouble « la perméa.
(et pour cause), Z, le castrat chan· bilité des sens, leur enchaînement
teur (ou chanteuse) fait de cette qui est classement et répétition,
ressource vocale un « produit di- comme la langue. >J Au contraiJ::e,
rect de la castration, trace pleine l'effet de coupure de l'écriture
liée,. du manque. » De même que moderne est d'abandonner le
le récit classique (dit réaliste) est plein « pensif» (la déambulation
copie de copie (réglé sur une idéa- discursive) du champ classique
lisation picturale du réel, écriture pour introduire, à l'infini, un excès
inconsciente d'une image déjà qui fait de sa visée non pas un
-écrite), de même, donc, que la lit- objet perdu mais un reste multi·
térature est conçue par l'idéalisme plié et dialectisé. A travers Sarra•
.esthétique comme un « rétrovi. sine, S/Z, nous abordons à cet
~eur» de la peinture (et jamais envers dudit qui va trancher les
.comme une machine signifiante liens de l'écriture et de la voix
antérieure à toute saisie) ; de mê· ouvrir le texte à une atonalité qui
me, la mélodie. comme ],a figura. annonce une transformation histo-
tion (dont le point de fuite impré- rique générale, le passage (tou.
sentable est, dans notre culture, le jours en cours) à un autre mode
phallus) culmine dans la voix' ase· de production. Dans la nouvelle de
xuée. On s~it ce que rapporte Balzac, la' fin du discours hésite
Stendhal (cité par Barthes) des encore. Son idéologie est program·
castrats vocalistes du XVIII" siè- mée par un savoir pauvre, par des
cle : que les femmes portaient codes de références culturels l'es·
leurs portraits « un à chaque bras, treints. « Quoique d'origine entiè·
un au cou suspendu à une chaîne ture» qui ressort dans sa voix et sauf le sexe, de la feuille de vi.
dans sa parole, d'une prostitution gne - de la feuille de signes - rement livresque, ces codes, par
d'or, et deux sur les boucles de un tourniquet propre à l'idéologie
c.haque soulier. » voilée et syntaxiquement neutrali. qui soutient son dessin. S/Z est
sée assurée par un argent san- ainsi l'exposé analytique et dra- bourgeoise, qui inverse la culture
Le castrat est ainsi refoulé-su- glant qui en est le support sémi. matisé de la manière dont le re· en nature, semblent fonder le réel,
blimé. Sinon il ne serait évidem. nal. Le récit bourgeois est un foulé sexuel se cherche dans le dis- la « Vie >J. La « Vie» devient
ment qu'un monstre, un corps « corsage >J : au·dessus de la cein- cours, s'empare de lui et le guide, al~rs, dans le texte classique, un
morcelé ou, comme le dit Balzac, ture de ce qui se fait, il s'accumule oriente son glissement, ses distri· melange écœurant d'opinions cou.
un vampire, un Faust, un alchi. dans sa sublimation stéréotypée. butions, sa clôture; comment ce l'antes, une nappe étouffante
miste, une fée. Au niveau écono· La castration et l'argent passent refoulé ou ce blanc marqué, mais d'idées reçues : c'est dans ces
mique, il est d'autre part une l'une dans l'autre : pour le « sa- non pensé, surdétermine le codes culturels que se concentre le
sorte de point.mort de la monnaie, voir >J, il faudra payer. champ discursif, informe sa clé, sa démodé balzacien, l'essence de ce
sa source neutre : « l'Or est subs- Ainsi le récit·marchandise est pente, son alpha et son omega fic- qui, dans Balzac, ne peut être ré·
titut du vide de la castration >J. « la représentation du contrat qui tifs. Le tissu du texte classique ne écrit. Seule l'écriture, en assu·
Sarrasine est implicitement le le fonde )1 • • « Raconter est un acte reconnaît pas son travail qui reste mant le pluriel le plus vaste possi.
dia~nostic le plus lucide sur la so· responsable et marchand... dont inconscient : or nous savons, par ble dans son travail même, peut
ciété capitaliste en pleine expan- le sort (la virtualité de tran.~forma. Freud, ce qu'il en est de ce tissage s'opposer .~ans coup de force il
sion : l'argent bourgeois est aussi tion) est en quelque sorte indexée C9mme « origine» de l'écriture, l'impérialisme de chaque langage.
fondé sur l'exploitation d'une sur le prix de la marchandise, sur comment il correspond au jeu de 1830 : il faudra près de quarante
plus-value symboli~ue liée à la l'objet du récit ». Dans Sarrasine, la femme tres8ant ses poils pubiens ans avant que vienne la main qui
jouissance, ce que Lacan appelle cependant, le premier symptôme pour fabriquer le pénis qui lui tracera pour nous ce début :
le « plus.de· jouir >J. Ce que nous de la crise apparaît. Echec de la manque. La reconnaissance du « Plût au ciel que le lecteur, en·
indique le texte, et ce qu'il redou- sublimation et récit de la sublima- sexe est ainsi prise indissoluble· "ardi et devenu momentanément
ble dans son non.dit, c'est que tion d'un échec, de l'impossibilité ment dans un filet d'écriture et féroce comme ce qu'il lit ... >J Marx
l'excrément se capitalise sous « d'authentifier l'enveloppe des toute connaissance de l'écriture et Freud, désormais, existent.
l'apologie de « l'art >J, c'est que le choses, d'arrêter le mouvement di. entraîne une connaissance sexuel- Bientôt, le texte de Sade va sortir
spectre idéologique de ],a 'bour-' latoire du signifiant >J, ce texte est le. Le texte classique, Barthes a de l'ombre. Bientôt tout sera dit
geoisie, de ses corps et de son ré- déjà une critique. de tout « art >J raison de le souligner, est un féti- et commencera d'être écrit.
cit, est composé de cette « castra- où s'accomplit la représentation che (une chimère qui parle à moi. Philippe Soller$

La Quinzaine littéraire, du ]" au 15 mars 1970 23


P8YCBOLOGI.

Wilhelm Reich
A 23 ans, Wilhelm Reich qu'elle détient dans un système. res, réseaux neuroniques, etc.) - du patient, à cerner et dissoudre
devient, en 1920, membre de Ainsi, chez Melanie Klein, elle qu'il importe de regarder au moins, ses résistances telles qu'elles sont
la Société Psychanalytique inaugure une problématique qui d'interroger, de déchiffrer, en constituées dans ce qu'il appelle
de Vienne, au moment où éclaire des aspects saisissants du liaison avec son mode spécifique la « cuirasse caractérielle » qui est
Freud, avec la publication tout-premier psychisme enfantin. de perception et de position dans en même temps, et littéralement,
d'Au-delà du principe du plai- Chez Freud, en revanche, l'instinct le monde qui est ce qu'on appelle « cuirasse musculaire» : spasmes
sir, engage la psychanalyse de mort semble bien avoir pour vo- le caractère - concept original et et tensions musculaires mis au jour
dans une voie nouvelle : en cation - telle est en tout cas l'opi- déterminant de la thérapeutique par la végétothérapie ne sont pas
proposant ce qu'on appelle nion de Reich - de clore une reichienne, qui n'a pas grand de simples manifestations de symp-
aujourd'hui sa « deuxième to- problématique articulée sur les chose de commun avec les intui· tômes névrotiques ou de forma-
pique -, Freud présente le thèmes du masochisme, du sadis- tions caractérologiques tradition- tions caractérielles, ils sont ces
fonctionnement de l'appareil me, de l'agressivité, rte la compul. nelles, de nature phénoménologi- formations et ces symptômes eux-
psychique comme l'interaction sion de répétition ; elle opère un que ou impressionniste. Le concept mêmes, comme le sont aussi les
de trois instances, le ça, le décentrement du système : l'éco- reichien de caractère est un mimiques et traits du visage, les
moi et le surmoi. Il élargit le nomie psychique fonctionne en ~ir­ concept total et dialectique : « la façons de respirer et toutes les
concept de sexualité, et fait cuit fermé entre les deux pôles constitution d'une personne, écrit- modalités individuelles de fonc-
appel à la notion platonicienne d'Eros et de Thanatos, au lieu il dans la Fonction de l'orgasme, tionnement des organes.
et mythique d'Eros, à laquelle d'être centrée sur ce point pivotaI est la somme totale fonctionnelle
il oppose, dans un dualisme qu'est la sexualité; est escamotée, de toutes ses expériences passées ... Sous l'effet de la « brèche» opé-
massif et radical, l'instinct de ainsi, l'ouverture sur les problè- Tout le monde vécu du passé vit rée dans la cuirasse caractérielle-
mort, Thanatos. mes politiques et sociaux. tÙms le présent sous la forme d'at- musculaire, Reich voit surgir la
colère, la haine, l'angoisse - tous
sentiments qui le conduisent à une

1
Wilhelm Reich source commune : la frustration
La révolution sexuelle sexuelle, et plus précisément, l'in-
Plon, 1968, 315 p. capacité d'atteindre la plénitude
du plaisir sexuel, l'orgasme. Réso-

1
Wilhelm Reich lu à se maintenir au niveau du
La fonction de l'orgasme principe de plaisir et à traiter le
L'Arche, rééd. 1967,300 p. Résolu à se maintenir au niveau du prinoipe de plaie problème dans ses termes litté-
raux, Reich dénonce toutes les sau-
Michel Cattier sir et à traiter le problème ~ans 88S termes littéraux, ces idéalistes ou métaphoriques à

1 La vie et l' œuvre du Docteur


Wilhelm Reich
La Cité, Lausanne, 1969, 221 p.
Reioh dénonoe toutes les sauces idéalistes ou métapho-

riques à l'aide desquelles on oherohe, un peu partout, à


l'aide desquelles on cherche, un
peu partout, à « faire passer » la
libido freudienne. La libido, pour
Reich, c'est l'énergie sexuelle,
c'est l'énergie du système nerveUl
C'est par son OpposItIOn à ce - plus spécifiquement du système
second versant de la pensée freu- « faire passer» la libido freudienne. La libido, pour neuro-végétatif - en tant qu'elle
dienne et sa fidélité aux principes commande le mécanisme tension-
premiers de la révolution psycha- Reioh, o'est l'énergie sexuelle. détente des organes sexuels. Ener-
nalytique que Reich se définit. gie biologique que Reich, dans le
Dans la Fonction de l'orgasme, sa courant des années 30, conçoit
grande ,autobiographie intellec- comme énergie électrique, et qu'il
tuelle (1), il évoque avec une voit à l'œuvre dans la fameuse
exacte ironie la figure des fameu- « formule de l'orgasme : tension
ses instances psychiques : « Le mécanique ~ charge électrique -
"ça" était "méchant". Le "surmoi" décharge électrique - relaxation
siégeait avec la longue barbe, et il mécanique » (la Fonction de· l'or·
Conservant à la sexualité sa posi- titudes caractérielles» (p. 1I8,
était "sévère" Quant au pauvre gasme, p. 219).
tion centrale, Reich en poursuit souligné par Reich). Total, donc,
" moi", il tâchait de ménager la
l'analY8e et l'inscription dans deux, en ce qu'il est à la fois histoire et
chèvre et le chou. » (p. 103). Figu- Reich appuie sa conception
directions et domaines différents structure ; dialectique, en ce qu'il
res plus aptes, lui semble-t-il, à « nerveuse » de l'énergie sexuelle
mais rigoureusement complémen- se fonde, entre autres mécanismes,
s'agencer en fantaisies combina- sur tout ce que la physiologie de
taires : le corps et la société. Là sur « l'unité fonctionnelle-antithé-
toires qu'à susciter des développe- son temps pouvait lui proposer
où l''reud fait surgir des figures tique de l'instinct et de la dé·
ments théoriques ou cliniques effi- quant au fonctionnement des sys-
monadiques, anthropomorphiques fense ».
caces. Le bel et hellénique Eros tèmes sympathique et parasympa-
ou lDythiqueF; (le ça démoniaque, Tandis que la cure analytique
prenant la place du sexe, c'est, thique. En revanche, ses spécula-
le !Jurmoi imperator, Eros, le Père traditionnelle consiste dans l'inter-
pour Reich, l'abandon ou la mise tions sur l'orgone, « énergie
primordial, etc.), Reich s'efforce prétation des matériaux incons-
en veilleuse du concept fondateur sexuelle cosmique », ne peuvent
de cerner la singularité et la tota- cients et des associations - toutes
et centr,al de la psychanalyse : la faire état que de données contes-
lité du sujet. L'être qu'il a en face choses qu'on peut grouper sous la
sexualité ; enfin, Reich refuse caté- tables et confuses. Plus qu'un dé-
de lui - patient qui vient solli- rubrique très jungienne de « méta-
goriquement l'idée d'un « instinct veloppement de sa réflexion, elles
cit.t~r son intervention, ou tout morphoses et symboles de la libi.
de mort ». traduisent l'impact de circonstan-
a u t r e interlocuteur c'est do » - « l'analyse caractérielle»
Non pas qu'une telle hypothèse d'abord un corps, un ensemble or- ou caractéro-analyse proposée par ces historiques bouleversantes sur
soit contestable en soi : ce qui est ganisé de signes somatiques (sur- Reich s'attache avant tout à appro- un homme harcelé de tous côtés,
surtout à repérer, c'est la fonction faces cutanées, plaques musculai- cher les défenses caractérielles épuisé par un labeur stupéfiant

24
et la révolution sexuelle
(allez-vous eontinuer longtemps tée par la peur de la grossesse
comme ça lui demanda Freud un tous deux, en outre, ignorants
jour, et ce n'était qu'au début !) des capacités de bonheur qui les
et rendu plus vulnérable encore habitent, pervertis et mutilés par
par sa lucidité. L'orgone a surtout une éducation qui a mis le grappin
permis à la meute enragée des ad- sur eux dès la naissance et depuis
versaires de Reich de dénigrer lors ne cesse de traquer les « bas
l'homme et l'œuvre, tandis qu'on instincts»? Tel est le langage
s'acharnait à réduire par le silence franc, direct, concret, et toujours
ou- la calomnie (ne vient-on pas actuel - si l'on en juge d'après
de voir paraître ces derniers jours la contre~ffensive généralisée de
quelques lignes infâmes?) une l'ordre répressif dans les écoles,
pensée redoutable. La justice et la lycées, universités, maisons de
police américaines se sont chargées jeunes, etc. - que parle Reich
de passer à l'acte : un jugement, dans la Revolution sexuelle.
concluant un -procès intenté par la
Federal Food and Drug Adminis- Fort d'une expérience thérapeu-
tration, interdit tous les livres de tique-sociale-politique unique en
Reich; un second jugement l'en- son genre, appuyé sur une culture
voie au pénitentier de Lewisburg, immense qui a su intégrer le meil-
en Pennsylvanie ; après huit mois leur du freudisme, du marxisme et
Ge détention - dans quelles condi- du savoir sociologique et biolo/l;i-
tions ? - il meurt le 3 novembre que de son temps, Weihelm Reich,
1957, Il avait été mis, au ban du qui a fondé en 1931 là SEXPOL
parti communiste allemand en - Association allemande pour une
1933, il aavit été exclu de l'Asso- une politique sexuelle proléta-
ciation Psychanalytique internatio- rienne, qui comptera au bout de
nale en 1934 - expulsé du Dane- quelques mois 40.000 membres -
mark et de la Suède. démonte, en des analyses sans ré-
plique, les mécanismes de la so-
Psychanalystes, communistes et ciété répressive, qu'elle soit occi-
bourgeois ne pardonnent pas à dentale ou so~iétique ; il porte se';
Reich d'avoir poussé à son terme coups les plus durs à la famille,
logique la « révolution psychanaly- « fabrique d'idéologies autoritaires
tique », de la transformer en psy- et de structures mentales conser-
chanalyse révolutionnaire. ~'incom­ vatrices» (p. 113). Ses descrip-
parable expérience clinique de 'tions de la misère sexuelle des
Reich - sous-directeur de la Poly- jeunes - qui aimer ? où ? com-
clinique psychanalytique de Vienne, ment? avec quelles conséquen-
mrecteur d'un séminaire de théra- ces ? - , des rapports du couple
pie psychanalytique, enseignant à ]a viciés par l'obligation du mariage
clinique psychanalytique de Berlin, en tant qu'institution économique-
Qirigeant de nombreux centres d'hy- morale, de la tyrannie quotidienne
giène sexuelle - l'amène à cette exercée par l'adulte sur l'enfant
constatation : un analyste tente Wilhelm Reich, 1924.
prisonnier d'un univers imposé
péniblement, au fil des années, de qu'on peut déjà nommer « concen-
Génouer un conflit névrotique, de trationnaire », du « regel ». moral l'homme, dans la sexualité comme l'explosion des mouvements étu.
« guérir » une névrose, alors que en Union soviétique après la lutte expérience primordiale, quoti- diants dans le monde, inaugurant
c'est par millions que la société pour une « nouvelle forme de vie » dienne, universelle, qu'il inscrit ainsi la révolution culturell~ (4).
fabrique des névroses. ·C'est donc - donnent à l'ouvra~e une vi- sa vocation révolutionnaire - dé- Wilhelm Reich, ce n'est peut-être
au système sodal qu'il faut s'atta- gueur et un souffle inégalés. Il y veloppée en propositions précises, qu'un début, mais c'est déjà tout
quer : nommément, le système ,a une acuité du regard de Reich, concrètes, qui font de la RévQlu- le sens d'un combat.
capitaliste et la société bourgeoise, qui traverse l'anecdote pour at- tion sexuelle un manüeste et un Roger Dadoun
fondés sur l'exploitation économi- teindre un aspect· structurel déter- programme d'une vitalité inépui-
1. Cet ouvrage autobiCigraphique ne
que et la répression sexuelle. minant. Assiste-t-il, en exil à Mal- sable - ' source à laquelle s'ali- doit pas être confondu avec Die Funk.
mo, à la promenade du soir dans mentent les expériences et les ten· tion de3 Orgaamw, publié en 1927 dan.
Comment parviendrait-il à la tatives de libération et de transfor- leqnel Reich expose de façon scientifiqne
la grand-rue, où J!:arçons et filles sa théorie de l'orgasme. Cf. le livre clair
pleine jouissance sexuelle, à l'épa- sont contraints de bêtifier, il mation dans les domaines les plus
et documenté de Michel Cattier sur
nouissement de sa génitalité, note : « Civilisation ? Bouillon de divers : puériculture, pédagogie, Reich, p. 56, note 1.
l'homme que le travail quotidien culture pour mentalité fasciste, dès éducation, vie sociale, etc. Que 2. Cf. Repressione seasuale e opprea.
harasse, que harcèlent les soucis l'on pense à l'activité militante lIione lIociale, Sugar ed. 1965. SillnaloDi
lors que l'ennui et la pourriture que Feltrinelli avait publié dès 1963, en
d'argent et que crétinisent les mass- sexuelle rencontrent la fanfare na- d'un Luigi De Marchi en Italie (2),
édition de poche, une tradnction italien.
media, la religion, les idéologies tional-socialiste. » (p. 132). à l'expérience de pédllgogie liber- ne de la Révolution 3e%uelle.
conformistes et disciplinaires, .qui taire d'A.S. Neill en Grande-Bre- 3. Cf. Summerhill, Pelican Books, 1968.
vit dans un logement étroit et Rien n'est plus loin de Reich tagne (3); que l'on se souvienne 4. Cf.Perapectitlfl3 paychiœriqua, nO
bruyant, avec une femme elle-mê- que l'utopie. Militant pour l'avè- que, trente ans à l'avance, la Révo- 25, 1969 : la Révolution culturelle, Freud
Marcnse, Reich; notamment le. deux
me épuisée par le travail ménager, nement d'un homme libre et heu- lution sexuelle a donné la formule articles de Constantin Sinelatkofl, exeel-
les soins donnés aux enfants et han- reux, c'est dans la chair même de des revendications qui aboutirent à lent traducteur de la Révolution 3e%uelle.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 mar3 1970 21


COLLECTIONS

.L'art dans le monde politiques, sociologiques et religieuses sations non-européennes, tantôt sur les religieuses; que Paul Bourguet,
au milieu desquelles ont pris naissance civilisations occidentales mais dont le conservateur au Musée du Louvre,
les innombrables œuvres d'art réper- trait commun et l'originalité particu- nous ré)lèle cet Art Copte très par-
toriées à travers les cinq continents, et lière est de permettre au lecteur, qu'il ticulier et mal connu des chrétiens
On ne saurait manquer de rappro- qui, intimement liées au stade de civi- soit spécialiste, étudiant, enseignant ou de la vallée du Nil; qu'Anil de Silva
cher cette collection d'Albin Michel lisation dont elles sont issues, offrent amateur, de découvrir des aspects nous entraîne jusqu'au cœur de l'Asie
d'une autre collection de cet éditeur souvent des analogie's frappantes en ignorés de l'univers plastique de telle pour nous faire découvrir dans un
que nous avons évoquée dans un pré- dépit de leur prodigieuse diversité. ou telle civilisation, notamment dans livre qu'il intitule la Peinture de pay·
cédent numéro : «L'Evolution de l'hu- le domaine des arts appliqués que les sage chinoise la mystérieuse signifi-
manité. (voir le n° 66 de la Quinzaine) . C'est du reste sur cet aspect que histoires synthétiques se contentent cation de ces fresques qui ornent
Il s'agit en effet, appliqué cette fois devait mettre l'accent le premier vo- généralement de survoler. les parois des quatre cent soixante-
à l'évolution des formes artistiques, lume de la collection, paru en 1960, neuf chapelles taillées dans le roc
d'un tableau d'ensemble non moins sous le titre de l'Age de pierre, ouvra- C'est ainsi que E. Homann-Wedeking, de Touen-Houang.
vaste, non moins ambitieux, non moins ge collectif composé d'études très évoquant la Grèce archaïque, se livre
minutieux dans le détail, qui groupera différentes sur des régions éloignées à une minutieuse analyse des cérami- Il faut porter au crédit de ces volu-
au total une cinquantaine d'ouvrage8 aussi bien dans l'espace que dans le ques peintes, des architectures, des mes, outre la valeur scientifique et
de synthèse fondés sur les recherches temps et qui démontre que si l'art sculptures des bronzes nés dans le la tenue littéraire de leur contenu,
et les découvertes les plus actuelles pariétal franco-cantabrique trouve ses monde hellénique du VIII' au XI' siècle une présentation attrayante et une
dans le domaine concerné, dus à répliques en Afrique, en Australie, en avant Jésus-Christ; que l'archéologue documentation iconographique d'une
des spécialistes internationaux et Asie, c'est que la civilisation suit à français A. Grabar nous fait pénétrer richesse et d'une qualité remarqua-
qui tous s'articulent autour d'une peu près le même processus dans tous dans l'extrême complexité de l'Art du bles. Tout cela explique l'excellent
conception, d'une approche communes. ses débuts. Moyen Age en Europe; que Herman accueil qui a été fait par le public
C'est bien une histoire de l'art dans Goetz dégage dans le volume consacré à ces ouvrages qui, tirés à 15.000
tous les pays et à toutes les époques Par la suite, la collection devait à l'Inde, la signification d'un art qui exemplaires, ont fait pour la plu-
qui nous est proposée ici, mais à tra- faire alterner régulièrement, au rythme s'étend sur cinq millénaires et dont part l'objet d'une ou de plusieurs
vers elle se trouve reconstituée du de trois ou quatre volumes par an, des les formes, d'une complexité infinie, réimpressions en dépit de leur prix
même coup l'histoire des conditions ouvrages portant tantôt sur les civili- s'associent toujours à ses intentions relativement élevé (52,40 F). La réus-

FEUILLETON Malheur aux Vaincus! Pour le sportif professionnel qu'est le


citoyen d'un village, la victoire est la seule issue possible, la
seule chance. La victoire à tous les niveaux : dans sa propre
équipe, dans les rencontres avec les autres villages, dans les
Jeux, enfin et surtout.
Comme toutes les autres valeurs morales de la société W, cette
exaltation du triomphe a -trouvé dans la vie qùotidienne son expres-
sion concrète: des cérémonies grandioses sont données en l'hon-
neur des athlètes victorieux. Il est vrai que de tous temps les
vainqueurs ont été célébrés, qu'ils sont montés sur le podium,
qu'on a joué pour eux l'hymne de leur nation, qU'ils ont reçu des
médailles, des statues, des coupes, des diplômes, des couronnes,
que leur ville natale Is a faits citoyens d'honneur, que leur gouver-
nement les a décorés. Mais ces célébrations et ces honneurs ne
sont rien à côté de ceux que la Nation W réserve à ceux qui ont
mérité d'elle. Chaque soir, quelqu'aient été été les compétitions
disputées dans la journée, les trois premiers de chaque série,
après être montés sur le podium, après avoir été longuement
applaudis par la foule qui leur a lancé des fleurs, des confetti, des
mouchoirs, après avoir reçu des mains des calligraphes officiels
le diplôme armorié immortalisant leur exploit, après avoir eu l'in-
signe privilège de hisser l'oriflamme de leur village au sommet
des màts olympiques, les trois premiers de chaque série sont
conduits, précédés des porteurs de torches et des porteurs d'éten-
dards, des lanceurs de colombes et des fanfares, jusqu'aux grands
salons du stade central où est préparée pour eux une réception
rituelle, pleine d'éclat et de munificence. Ils se débarrassent de
leurs survêtements, on les invite à choisir un costume magnifique,
par Georges Perec un habit brodé, une cape de soie aux brandebourgs rutilants, un
uniforme chamarré constellé de décorations, un frac, un pourpoint
au jabot et aux parements de dentelle. Ils sont amenés devant
les Officiels qui lèvent leur verre à leur santé en les congra-
Il est clair que l'organisation de base de la vi-e sportive sur W tulant. On les entraîne dans un tourbillon de toasts et de libations.
(l'existence des villages, la composition des équipes, les moda- On leur offre un banquet qui se prolonge souvent jusqu'à l'aube:
lités de sélection, pour ne donner de cette organisation que des les mets les plus exquis leur sont proposés, les vins les plus
exemples élémentaires) a pour finalité unique d'exacerber la capiteux, les charcuteries les plus fines, les douceurs les plus
compétition, ou, si l'on préfère, d'exalter la victoire. On peut dire, onctueuses, les alcools les plus enivrants.
de ce point de vue, qu'il n'existe pas de société humaine suscep- Les Fêtes célébrées au moment des grands Jeux ont évidemment
tible de rivaliser avec W. Le Struggle for Iife est ici la Loi; encore plus d'ampleur et plus d'éclat que les fêtes données aux vain-
la lutte n'est-elle rien, ce n'est pas l'amour du sport pour le sport, queurs des championnats de classement ou des championnats
de l'exploit pour l'exploit, qui anime les hommes W, mais la soif locaux. Mais cette différence, pour marquée qu'elle soit, n'est pas
de la victoire, de la victoire à tout prix. Le public des stades ne essentielle à la compréhension du système de valeurs en usage
pardonne jamais à un athlète d'avoir perdu, mais il ne ménage sur W. Ce qui, par contre, est beaucoup plus significatif, et qui
pas ses applaudissements aux vainqueurs. Gloire aux Vainqueurs! constitue même un des traits les plus originaux de la société W,

26
bien l'efficacité des nouvelles mé- numéro, une lettre émouvante de P.C. Les Temps Modernes
thodes de co-édition Internationale. Nappey sur l'homosexualité. La -revue
présente en outre plusieurs centres (N° 282). - Malgré une nouvelle de
d'intérêt : Giacometti (par Robert l'écrivain polonais Korab, de plusieurs
Théâtre Marteau), l'université aux U.S.A., la études sur les problèmes révolution-
violence selon Freud et selon la Bible, naires, l'essentiel de cette livraison est

Pér.ôiisme
la poésie (grâce au Québécois Jacques constituée par l'interview donné à Il
Deux nouveaux titres dans la collec- Brault), Claudel encore. Pour qualifier Manifesto par Jean-Paul Sartre : il y
tion c Théâtre. du Seuil (voir le n° 77 la • nouvelle société -, Jean-Marie Do- fait le point actuel (et vraisemblable-
de- la- Ouinzaine) : A bientôt Monsieur
Lang, par Jean Louvet, dont le prota-
menach a des mots qui ne pardonnent ment provisoire) de ses difficiles re-
latjons avec le Parti Communiste Fran-
de notre
pas.
goniste symbolise l'élégante impuis- çais, de la structuration des Partis tetnps
sance et les droits compromis de l'in- Révolutionnaires et du Processus -de
tellectuel de gauche intégré à la socié- La Nouvelle socialisation des pays régis par un
té qu'il conteste; Splendeur et misère Revue Française capitalisme avancé. Comme toujours
de Minette la bonne Lorraine, par Jac- chez Sartre, c'est aussi riche que dis-
ques Kraemer et René Gaudy, parabole (N° 206). - C'est Paul Klee qui est cutable.
comique et satirique dans la tradition la vedette de ce numéro. Dora Vallier, 1..i......._ _L...... l~~--~
d'Arturo Ui et de l'Opéra de Ouat' Jean Guichard Meili et surtout Jean Hr no '>(0(1 -'j(>)(",o '>top . ~J 110 slOf1.~11ID
Sous. Clair publient trois textes à l'occasion
de la rétrospective du grand peintre
RECTIFICATIF livres - film~ ·revveo; ~tn'tngère'J
au Musée d'Art moderne. Au sommaire, ",~IOI3ues i111J'Ires ~ ~I"'pledlmonde
Les revues une nouvelle d'un écrivain japonais
Dans le no 89 de la Quinzaine, noùs e"volC, dO'- er t,.... cli<5Cfé.;
Yukio Mishima, un essai très précis de avons omis de préciser à propos de
Maurice-Jean Lefebve sur c Le dis- la collection • En toute liberté _ dlrl·
Esprit gée par Alain Duhamel qu'elle était
cours du récit. et une étude de Pierre
(Février 1970). - En tête de ce Oster sur Paul Claudel. éditée par Fayard.

c'est, non pas que les vaincus soient exclus de ces fêtes - ce à l'assimilation des glucides. Les Athlètes sont donc, d'une façon
qui n'est que justice - mais qu'ils soient purement et simplement permanente, soumis à un régime de carence qui, à plus ou moins
privés de repas du soir. Il va de soi, en effet, que -si vainqueurs long terme, risque de compromettre sévèrement leur résistance
et vaincus recevaient tous deux de la nourriture, le seul privilège à la fatigue musculaire. Le repas des vainqueurs. avec ses fruits
des vainqueurs serait alors d'obtenir une nourriture de meilleure frais, ses vins doux. ses bananes séchées, ses dattes, ses confi-
qualité, une nourriture de fête au lieu d'une nourriture quotidienne. tures de fraise, ses compotes, ses médailles de chocolat, cons-
Les Organisateurs, non sans raison, se sont- dit que cela ne titue donc. de ce point de vue, une véritable récupération gluci-
suffirait peut-être pas' à donner aux Athlètes la 'combativité néces- dique indispensable à la bonne condition des Athlètes.
saire à des compétitions ue haut niveau. Pour qu'un athlète gagne, L'inconvénient de cette méthode est évidemment qu'elle risque,
Il faut d'abord qu'il veuille gagner. Sans doute, le souci de sa gloire en favorisant les vainqueurs et en pénalisant les vaincus dans un
personnelle, le désir de se faire un nom, sa fierté nationale, cons- domaine précisément lié aux _conditi~ns physiologiques de la
tituent-ils des moteurs puissants. Mais, à l'instant crucial, - au compétition, d'accentuer les différences entre les athlètes et
moment où l'homme doit donner le meilleur de lui-même, où il d'aboutir à une sorte de système en circuit fermé: les vainqueurs
doit aller au-delà de ses forces et puiser, dans un ultime détache- du jour, récompensés le soir même par une ration supplémentaire
ment,-I'é'nergie qui lui permettra d'arracher la victoire, il n'est pas de sucre. ont toutes les chances d'être aussi les vainqueurs du
inutile que ce qui soit alors' en jeu relève d'un mécanisme presque lendemain, et ainSi de suite, les uns étant de plus en plus
élémentaire de survie, d'un réflexe de défense devenu quasi vigoureux, les autres de plus en plus faibles. Ceci ôterait évidem-
Instinctif: ce que l'Athlète tient au bout de sa victoire, c'est beau- ment tout intérêt aux rencontres, les résultats en étant pour ainsi
coup plus que le prestige, nécessairement fugace, d'avoir été le dire connus d'avance. Pour pallier cet inconvénient, les Organi-
plus fort. c'est, par la seule obtention de ce repas supplémentaire, sateurs n'ont pris aucune mesure particulière; plutôt que d'inter-
la garantie d'une meilleure condition physique, la certitude d'un dire aux vainqueurs l'entrée des stades au lendemain de leur
meilleur équilibre alimentaire et, par conséquent, d'une meilleure victoire - mesure évidemment contraire à "esprit même de la
forme. vie W-, ils ont préféré. faisant encore une fois la preuve de
C'est ici que l'on pourra apprécier à quel point le système leur sagacité. de leur profonde connaissance du cœur humain,
d'alimentation W s'insère d'une manière subtile dans le système faire confiance à ce qu'en riant ils appellent la nature: l'expérience
global de la société et en devient même une des articulations leur a donné raison. Les Vainqueurs ne sont pas exclus des compé-
essentielles Il va de soi que l'absence de repas -du soir ne titions du lendemain. Mais ils ont le plus souvent passé une nuit
constitue pas, en elle-même, une privation vitale. 'Si tel était le blanche et n'ont regagné leurs quartiers que pour l'appel du
cas, il n'y aurait plus depuis longtemps de vie sportive, ni même matin. Affamés de sucre, ils se sont précipités sur les nourritures.
de vie tout court, sur W : un simple calcul montre en effet que, ils se sont empifrés comme des goinfres. Grisés par leur victoire,
dans le meilleur des cas, celui des championnats de classement, ils se sont laissé aller à répondre à tous les toasts qu'on leur
264 athlètes seulement, sur un total de 1320, ont une chance portait, mélangeant les vins, les alcools jusqu'à rouler sous la
de dîner. Après des championnats locaux ou des épreuves de table. On comprend aisément pourquoi, dans .ces conditions, il
sélection, il n'yen a plus que 132. et, à l'issue des Jeux, il n'en est rllrissime qu'un Athlète triomphe deux jours de suite. La
reste que 66, c'est-à-dire, très exactement, 1 sur 20. La grande sagesse voudrait que le vainqueur se modère, refuse les libations,
majorité des Athlètes serait donc sous-alimentée d'une manière choisisse et surveille les aliments qu'il consomme. Mais les ten-
chroniq~e. Ils ne le sont pas : leur régime comporte trois repas tations sont si fortes pour les lauréats fêtés qu'il faudrait une
par jour, le premier le matin, très tôt'. avant le cross de mise âme singulièrement trempée pour y résister. Nul ne les y pousse,
en train, le second à midi, à la fin des séances d'entraînement, d'ailleurs, ni les Officiels - au contraire, ils les invitent à tout
le troisième à 16 heures, au cours de la mi-temps traditionnelle instant à vider leurs verres - , ni les Directeurs Sportifs qui,
qui sépare les éliminatoires des finales. Par contre, ces repas sont soucieux du bien-être de leur équipe, ont tout intérêt à ce qu'une
calculés de façon à ne pas satisfaire pleinement les besoins permutation rapide des vainqueurs assure le plus régulièrement
diététiques et énergétiques des Athlètes. Le sucre en est presque possible au maximum des Athlètes ('indispensable appoint éner-
complètement absent. de même que la vitamine 81, indispensable gétique de ces repas du soir. (à suivre)

La Quinzaine littéraire, du r au 15 mars 1970 27


THEATRE

«Le Précepteur», de Lenz

1
Lenz un révolutionnaire mais seule-
Le précepteur ment au royaume de l'Idée.
Th. de J'Ouest Parisien Chacun sait que chez Rous-
seau, dans l'Emile, comme chez
• Si on vous dit : • L'école Kant - et les principes fonda-
est faite pour dompter des fau- mentaux de l'éducation sexuelle
ves, pour soumettre au normal. et civique sont restés depuis
La pédagogie est en crise parce lors inchangés - l'essentiel de
qu'elle exclut la violence et la la pédagogie consist~ à empê-
sexualité ", vous mettez·vous à cher l'adolescent de se mastur-
hurler: " Mais non... Cela s'en- ber. Cette éventualité leur fait
seigne doctement dans les uni- pousser des cris d'horreur : à
versités où l'esprit souffle à l'enseignant châtré répond l'élè-
gauche,,? Et le même texte ve aux mains jointes sur le
d'ajouter : • Notre bonne cons- drap. Dans sa Pédagogie (Som-
cience de profs repose sur un me de textes non traduite en
sacré mensonge : • ils " au- français, dont René Schérer me
raient besoin de notre savoir communique un fragment), Kant
pour vivre. Mais on leur apprend écrit : • Rièn n'affaiblit plus
seulement, en réalité, à tenir l'esprit et le corps de rhomme
leur place dans une hiérarchie, que c~ genre de jouissance ·qui
on leur donne seulement les est orientée vers soi-même, il
raisons de se résigner à ne pas contredit entièrement à la na·
vivre ". Il faut bien croire que fils de pasteur, voulant s'élever pll;lit aux péripéties et au roma- ture de l'homme. On doit le re·
ce texte, signé en octobre der- dans la société, se fait précep- nesque plus ou moins échevelé. présenter au jeune homme dans
nier, par 24 professeurs, est teur chez des hobereaux : J'in- Vitez nous dit que Lenz aimait toute son abomination. on doit·
subversif puisqu'il a attiré, sur tellectuel est domestique, coin- Fielding et que sa pièce, avec lui dire que par là, il se rend
tels d'entre eux, la répression. cé entre le père et la mère, ses allures picaresques, fait pen- inutile à la propagation de la
C'est pourtant là ce que nous même s'il couche, comme c'est ser à ·Tom Jones. Soit, mais race, qu'il travaille à l'anéantis-
dit, si on sait la lire (et Brecht le cas, avec la fille. Coucher, Brecht a eu· raison de tailler là- sement de ses forces corporel~
la lisait ainsi) la pièce de Lenz en dehors de sa classe, est un dedans, et s'il· a assagi le les et se prépare une vieillesse
le Précepteur écrite dans la crime; on veut le tuer, il s'en- récit, comme Vitez le lui repro- prématurée"o • Eux - il s'agit
Prusse de 1774, par un garçon fuit, et ce produit du monde che (lui, il a assagi le contenu). des élèves, dans le texte sub-
en colère de 23 ans, qui allait ancien (le • Précepteur ,,). se Brecht a exacerbé les idées, ai- versif déjà cité - ils refusent
devenir fou 4 ans plus tard, sans réfugie chez un représentant guisé leur mordant. Comme le de parler du sexe sans avoir
doute parce qu'à l'encontre du capital et modeste du monde disent les traducteurs de la l'air d'y toucher ".
personnage de la pièce, il avait qui vient, l'.0 instituteur ", en pièce de Brecht, Brecht va don- En vérité, la mise en scène
refusé de se châtrer, c'est-à-dire l'occurence un vieil homme ner à juger un siècle et demi de de Vitez est bien loin de tout
de· se soumettre à la loi. L'ex- nommé Wenceslas - pantou- trahisons· de la caste intellec- cela, qu'il était pourtant capital
trême violence de l'œuvre fles, pipe, saucisses, célibat et tuelle allemande. Lenz a suivi de nous donner à entendre. Vi-
contre une certaine forme de citations de la Bible - , qui ILii les cours ~de Kant, mais son tez s'est contenté de nous faire
pédagogie et de morale issue prêche une morale à cheval sut œuvre • paroxystique, faite parcourir gentiment et intelli-
de Kant et nous régissant tou- Kant et le catéchisme, et d'ordure et de flamme " comme gemment une suite d'aventures,
jours sous les espèces de l'hu- d'abord abstinence et conti- le lui reprochait Gœthe, ne dont un immense jeu de l'oie
manisme bourgeois, cette vio- nence. Pour se punir de ses éga- s'en ressent guère. Et Brecht, dressé sur la scène comme un
lence a-t-elle fait peur à Antoine rements et se prémunir contre lur, a vu en effet les ravages· panneau d'affichage, figure le
Vitez, qui a traduit et mis en la chair, le jeune homme se les du kantisme dans les universi- parcours. Et comme si la pièce
scène la pièce? A-t-il craint de coupe: nouvel Origène, le voilà tés de Guillaume II. Il connaît, de Lenz était encore trop dan-
tomber dans J'hérésie • gau- dévenu pédagogue idéal; il fera du haut jusqu'en bas de l'échelle gereuse, il l'a. désamorcée en
chiste " ou seulement d'en être même un très potable époux universitaire, ces Wenceslas qui doublant l'intrigue d'un commen-
accusé? En tout cas sa mise bourgeois. transmettent un savoir répres- taire muet, et parasite comme
en scène intelligente et sage- Le thème est sauvage. Et sif, enseignant, avec l'écriture le lierre sur le tronc : le mime
ment humaniste, méticuleuse Vitez le sait qui commence droite, la droite observance des Pierre Byland, talentueux du
et prudente (. révisionniste" ?) ainsi : • Autrement dit : pour normes établies, la discipline et reste, traverse la pièce de part
ne risque pas de heurter ni le vivre heureux dans le monde la mort au champ d'honneur : en part en lui surajoutant. scène
Pouvoir ni les Syndicats de l'en- tel qu'il est, vivez châtrés ... ce ne seront pas leurs élèves après scène, un commentaire
seignement secondaire et supé- Qu'est-ce qu'enseigner? C'est qui risqueraient d'être passibles de gestes humoristique et gen·
rieur. jeter une semence; le pédago- du tribunal militaire de Rennes. tillet qui en extirpe radicale-
D'abord, - c'était son droit gue châtré, si je passe au sens • Châtreurs des volontés et des ment toute violence. On rêve
- Vitez a choisi de présenter figuré, ne fait que transmettre intelligences ", ces respectables de ce que Chéreau, qui mit en
la pièce de Lenz plutôt que un bagage. " Et il est vrai que enseignants feront. contre leurs scène les Soldats de ce même
l'adaptation corrosive que ce thème est cher à tous les élèves, et avec les parents, Lenz en donnant à la pièce la
Brecht en a faite. Et c'est déjà • enragés ", qu'ils soient de front commun et commune en- violence que l'on sait, aurait
un signe. Et puis, cette pièce Mai 68 ou du • Sturm und geance. L'humanisme kantien, fait de ce spectacle. Il est vrai
de Lenz mise en jolies gravures, Drang ", ces jeunes exaltés, dans la version de Brecht, est que le Pouvoir et les Syndicats
et en usant d'inutiles arabes- Lenz et ses amis, que le sage mis radicalement en question : l'eussent, peut-être, conjointe-
ques scéniques, il l'a désamor- Gœthe désavouera très vite. • Le père Kant est un crétin ment condamné. Ici, ça ne ris-
cée. On connaît le sujet de la Sur ce thème, la pièce de - fait·i1 dire à un étudiant sans que pas.
pièce. Un jeune homme pauvre, Lenz batifole, s'égare, se com- doute contestataire - oui, c'est Gilles Sandier

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Livres publiés du 5 au 20 février 1970
Stani Gorka Henri Troyat histoires fort Les écrits, en partie Jacques Chardonne
ROMANS Les cavaliers L'éléphant blanc extraordinaires et fort Inédits, de cet Impor· Ce que je voulais dire
FRANÇAIS de Guernica Les Héritiers de célèbres dues à un des tant représentant du aujourd'hui
J. Martineau, l'avenir • T. III plus grands prosateurs mouvement Dada, qui se Avant-propos
Caude Berri 144 p., 15 F. Flammarion, chinois. suicida en 1929, à "Age de Paul Morand
Le pistonné Un chant d'amour au 272 p., 22 F. de 30 ans. Grasset, 270 p., 20 F
peuple basque, à travers La fin de l'épopée • Per Olof Sundman Une correspondance
Mercure de France, Le voyage de Jude Stefan
168 p., 17 F. la chronique d'une pré-révolutionnaire qui jette un jour
famille. russe et l'exil l'Ingénieur Andrée Libères nouveau sur l'homme
Un recueil de nouvelles Trad. du suédois Gallimard, 112 p., 18 F
et la première œuvre dans le Paris et son Itinéraire.
.Jean·Claude Hémery des années 1911-1914. par Ch. Chadenson
littéraire de J'auteur Anamorphoses Gallimard, Jean Vasca Georges Clemenceau
et réalisateur du • Vieil Lettres Nouvelles 376 p., 25 F. Jaillir Lettres à une amie,
homme et J'enfant-. • Michel Vachey
Denoël, 160 p., 12 F. La Snow Le récit romancé Pierre-Jean Oswald 1923-1929
Par l'auteur de Mercure de France, d'une expédition La première œuvre Edition établie
Suzanne Blum
Ne savoir rien • Curriculum vitae- 176 p., 15 F. tragique et fort réelle poétique et présentée
Julliard, 224 p... 14,30 F. (voir le n° 11 de Un roman très nouveau au Pôle Nord en 1897. de l'auteur-compositeur. par P. Brive
Un drame de la Quinzaine). de forme par l'auteur Gallimard, 672 p., 42 F
l'Incompréhension de • Cétait à Mégara-. Un document inattendu:
Vahé Katcha REEDITIONS les lettres d'amour du
familiale, Un nègre lur la POÉSIE
• Tigre -, alors Agé de
Jean Chambon statue de Lincoln 83 ans, à Marguerite
Julliard, 224 p., 14,30 F. ROMANS James Burnham
La sentinelle BTRANGERS .Louis Brauquler Baldensperger.
Un roman sur le L'ère _ organlseteurs
Ch. Bourgols, --------- Feux d'épaves
272 p., 19 F. problème noir Préface de Léon Blum .Coretta S. King
aux Etats-Unis. E. Averott Gallimard, 176 p., 20 F. Un livre prémonitoire, Ma vie avec
Une rêverie poétique
sur les mythes de Terre de souffrance Willy Derron paru en 1941 et dO Martin Luther King
Michel Mardore Traduit du grec à un anCien trotskyste. 42 photos
l'amour fou, de Le mariage li la mode Mon chant li la muse
l'Impossible et du Stock, 416 p., 30 F. classique Trad. de l'américain
Denoêl, 24 p., 18 F. Un roman qui fait suite Chagall Stock. 380 p., 22 F
miroir. Un roman plein de Poésie Vivante, Genève Ma vie
à • Terre des Grecs- 128 p., 10 F. La vie du leader noir
Serge Chauvel situations cocasses, et qui a pour cadre 31 dessins, assassiné, retracée
voire scabreuses, Prix des Poètes Suisses ·14 eaux-fortes
La vie douce l'époque tragique et de langue française, avec mesure, chaleur
Ch. Bourgois, à travers lesquelles mal connue trad. par Bella Chagall et une grande véracité,
se dessine une nouvelle 1968. Stock, 252 p., 30 F
160 p., 14,30 F. de l'après-guerre par son épouse.
Un roman dont les morale du couple. dans ce pays. Pierre Emmanuel Les souvenirs d'enfance
thèmes et la facture Jacob du peIntre, où l'on
Melmoth ".Graham Greene retrouve' le monde naif
Illustrent un certain Seing Seuil, 328 p., 24 F. CRITIQUB
romantisme moderne. Voyages avec ma tante Un grand poème inédit. de ses toHes (voir le HISTOIRE
Ch. Bourgois, Trad. de l'anglais n° 86 de la Quinzaine).
352 p., 23,70 F. LITTÉRAIRE
Gabriel Deblander par G. Belmont César Fernandez Moreno
Le retour des chasseurl Un roman fait d'une Coll. • Pavillons - Argentin Jusqu'li Pierre Mac-OrlaA
Lattont, 288 p., 20 F. succession de flashes Lattont, 360 p., 20 F. la mort La maison' du retour • Roland Barthes
Un recueil de nouvelles échevelés et Par l'auteur du Edition bilingue écœurant S/l
campagnardes et hallucinants. • Rocher de Brighton- Traduit de l'espagnol Gallimard, 208 p., 14 F Coll. • Tel Ouel -
rustiques aux confins et de • La puissance Réédition. dans sa Seuil, 280 p., 21 F
Robert Ouatrepolnt par Claude Coutton
du fantastique. et la gloire- Coll. • La poé.sle des version définitive, Une • lecture active -
Mort d'un grec de la nouvelle de Balzac,
Denoêl, 216 p., 16 F. (voir le n° 40 de pays ibéro-américains- du premier roman de
Etienne Dor-Rivaux la Quinzaine). Plerre-Jean Oswald Mac·Orlan, paru Il y a • Sarrasine -, dont
Un roman qui a pour Barthes déploie les
Les grandes pyramides cadre une Ile grecque 136 p., 13,50 F. 30 ans.
Cb. Bourgois, .Robert A. Heinlein virtualités, les Interdits,
et qui nous propose En terre étrangère Le chef de flle de la Léon Trotsky
144 p., 14,30 F. nouvelle poésie les prolongements
une vision pittoresque Trad. de l'américain Karl Marx signifiants,
Un entassement et émouvante du petit argentine traduit pour
hétéroclite de souvenirs peuple de ce pays. par Frank Straschltz Buchet/Chastel l'Inconscient littéral.
Coll.· • Ailleurs la première fois en 275 p., 9,75 F
d'amour, de guerre France.
et de bohème, • Olivier Perrelet et demain - • Lettres d'Erza Pound
Lattont.. 480 p., 24 F. Charles Mouchet Jules Vallès .i1 Joyce
Le dieu mouvant Littérature
Pierre Emmanuel Mercure de France, Le second titre de Morte ou vive Trad. de l'anglais
Autobiographies cette collection de et révolution par Philippe Lavergne
248 p., 17 F.
Seuil, 480 p., 29 F. science-fiction d'une 104 p., 12 F Choix, préface et notes Mercure de France,
Un recueil de nouvelles de R. Bellet
Réunis en un seul où l'on retrouve les grande tenue littéraire Pierre-Jean Oswald 352 p., 36 F
volume, deux romans obsessions du premier et qui semble avoir pris Série: Editeurs Français Un recueil groupant
parus, l'un, en 1948, roman de l'auteur un excellent départ. • Contes et poèmes - Réunis, 496 p., 29,20 F des lettres, des articles,
sous le titre de • Les petites filles Un des tenants suisses des confidences:
• Véra L1nhartova André Wurmser un document capital
• Oui est cet homme-, criminelles de la recherche poétique
J'autre, en 1957 : Canon il l'écrevisse La comédie Inhumaine sur deux figures
(voir le n° 30). actuelle.
• L'ouvrier de la Trad. du tchèque par • Bibliothèque des essentielles de la
onzième heure -. • Geneviève Serreau J. et D. Suchy • PIerre Oster Idées - littérature moderne.
Cher point du monde Seuil, 224 p., 19,50 F. Les Dieux Gallimard. 840 p., 62,80 F
• Jean Pierre Faye Lettres Nouvelles Par un des écrivains (1963-1968) Paulette Roy
Les Troyens Denoêl, 192 p., 14 F. les plus originaux Gallimard, 88 p., 13,50 F Pierre Boulle
Coll. • Change - L'itinéraire d'un homme de la jeune génération BIOGRAPHIES et son œuvre
Seuil, 368 p., 27 F. sans cesse déchiré tchèque, une série • Jean-Loup Passek M.MOIR.S Julliard, 176 p., 14,30 F
Par l'auteur de entre la justice et la de textes écrits Pouvoir du cri L'univers romanesque
• L'Ecluse - et du violence, l'utopie et la entre 22 et 26 ans. 12 p., 9,60 F • de Pierre Boule.
• Récit Hunlque - (voir réalité, bref d'un Pierre-Jean Oswald Jorge-Luis Borges
Je n° 27 de la Quinzaine). héros-type de notre p'ou Song-LIng Coll. • J'exige la parole _ Evaristo Carrlego Walter Schmiele
temps. • Contes extraordinaires Second recueil Trad. de l'espagnol Henry Miller
Maud Frère du Pavillon du Loisir d'un nouvel auteur. par M.·F. Rosset dans l'Intimité
L'ange aveugle Evelyne Soren Trad. du chinois Préface de E.R. Monegal 73 illustrations
Gallimard, 164 p., 12 F. Polnt.vlrgule sous la direction • Jacques Rigaut Seuil, 160 p., 16 F Buchet/Chastel,
Le roman d'amour d'une Lattont, 192 p., 15 F. d'Yves Hervouet Ecrits Une biographie poétique 192 p., 29 F
jeune fille rangée et Un premier roman • Connaissance de Edition établie et d'un poète populaire La vie intime
d'un bel étranger très représentatif de l'Orient- présentée par argentin, symbole d'un du grand écrivain,
Inquiétant, ou du de la sensibilité des Gallimard, Martin Kay Buenos Aires perdu qui Illustrée par de
bonheur d'écrire et adolescents 224 p., 23,20 F. 1 frontispice est celui de l'enfance nombreuses
du malheur d'aimer. d'aujourd'hui. Une anthologie de ce. Gallimard, 292 p., 20 F de l'auteur. photographies inédites.

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 mar, 1970


Livres publiés du 5 au 20 février 1970

• Leo Spitzer Eda Le Shan. J. Ortega y Gasset Léonard Mosley Cal mann-Lévy, 320 p., de l'univers -
Etudes de style Complot contre L'évolution de la Le grand sursis 18 F Laffont, 304 p., 20 F
Précédé d'une étude l'enfance th60rle déductive Trad. de l'anglais Une mise au point Un document sur le
de J. Starobinski : Trad. de l'américain L'idée de principe 36 photos Impitoyable sur un spiritisme appuyé sur
Leo Spitzer et .Ia Stock, 272 p., 24 F chez Leibniz Stock, 520 p., 39 F certain nombre de une expérience vécue
lecture stylistique Le danger du • forcing - Trad. de l'espagnol Par le correspondant problèmes peu connus et où se trouvent
Trad. de l'anglais en matière d'éducation. par J.·P. Borel du • Sunday Times - de l'opinion. réunis les éléments
et de l'allemand par Gallimard, 344 p., 32 F pendant ces mois d'une théorie du
E. Kaufholz, A. Coulon Iganzio Majore La genèse de l'esprit décisifs, une analyse spiritisme.
et M. Foucault Principes de psych. scientifique à travers impitoyable des erreurs
.Gallimard, 536 p., 42 F nalyse clinique ses principales étapes tragiques qui devaient DOCUMBNTS Raymond Thévenin
Les principales études Ed. Privat, 312 p., 23 F et ses principaux conduire l'Europe à la . Criminels, fous
de .celui qui, avec La mise en œuvre de penseurs. guerre, de l'accord et truands:
la praxis psychana- Brigitte Axel grands procès d'assl..s
Auerbach, illustra la de Munich à l'invasion H
grande génération des lytique. J.W.C. Wand de la Pologne. Préface de René Florlot
Ce que saint Paul Flammarion, 264 p., Fayard, 384 p. 20 F
romanistes de culture 16 F
r germa~ique ..
a vraiment dit Une introduction à
Trad. de l'anglais L'expérience • hippie - • l'univers judiciaire -,
• Tzvetan Todorov ESSAIS Stock., 168 p., 15,40 f POLITIQUE racontée par une jeune par le chroniqueur
Introduction à la La dualisme d'une ECONOMIE fille' qui explique de Il.T.L.
littérature fantastique pensée partagée entre pourquoi et comment
Coll. • Poétique - Pierre Antoine le monde classique elle a vécu cette
Abel Jeannlère André Barjonet aventure.
Seuil, 192 p., 10 F et le monde hébraïque, Le Parti Communiste RELIGION
Inaugurant cette' collee· Espace mobile et et ses grandes Idées-
temps fncertalns Français Franco Basaglla
tion, un' essai où forces. J. Didier éd., 236 p., L'Institution en
l'auteur tente d'explorer Coll. • Recherches • David Flusser
économiques et 17 F négation Jésus'
les Iimitès ef le réseau L'analyse spectrale Trad. de l'Italien
qui commande ce genre sociales - Trad. de l'allemand
Aubier-Montaigne, HISTOIRB du P.C.F. au moment par L. Bonaluml par Michael Marsch
littéraire. de son nouveau Congrès Coll. • Combats'-
160 p., 13, 30 F Préface de B.C. Dupuy
Une étude sur les par un transfuge de Seuil, 288 p., 21 F Seuil, 160 p., 16 F
Jean-Pierre Azéma la C.G.T. Une dénonciation de
SOCIOLOGIE profonds changements Michel Winock Par un historien juif,
PSYCHOLOGIE échus et à venir de l'Institution psychla- un.e étude de la vie
La III" République Henry A. Kissinger
notre, cadre de vie dans trique par le de Jésus replacée dan.
Calmann-Lévy, 348 p., Pour une nouvelle
le monde d'aujourd'huI. médecin-chef d'un asile. son contexte politique,
Henri Amoroso 24 F politique étrangère
La condition sexuelle La naissance et la américaine Colette juridique et culturel.
Nicolas Berdiaev mort de la plus longue
des Français L'Idée rus.. Fayard, 160 p., 20 F Contes des mille .Angelus Sileslus
Ed. de la Pensée République de France Une analyse des réalités et un matins L'errant chérublnlque
Mame, 274 p., 28 F (187o-1940)
Moderne, 420 p., 24 F Les problèmes et des Impératifs de Flammarion, :256 p., Préface de R. Laporte
Réédition d'un ouvrage la politique étrangère .16 F présenté et traduit
essentiels de la pensée • ~dward Gibbon
explosif, devenu russe du XIX' siècle américaine, par le Les chroniques de de l'allemand
Introuvable. Histoire du déclin conseiller n" 1 du Colette dans • Le
et au début du et de la chute de par Roger Munler
XX' siècle. président Nixon. Matin - entre 1910 Planète, 224 p., 22 F
Georges Bach l'empire romain et 1918.
, Peter Wyden Texte établi, présenté Le Centenaire du Un grand mystique
L'ennemi intime Maurice Clavel et annoté par D.M. Low • Capital. Charles Glllard allemand (1624-1677).
Buchet/Chastel Qui est aliéné? Trad. de l'anglais Mouton, 344 p., 24 F Echec aux rois de dont la pensée a joué
252 p., 19 F Flammarion, 336 p., par.J. Rémillet Exposés et entretiens la drogue un rôle Important dan.
La fonction de 25 F Laffont. 1080 p., 85 F sur le marxisme au Buchet et Chastel l'histoire de la
l'agressivité dans Une étude sociale et Dans la coll.. • Les cours des décades 241 p., 24 F philosophie de son pay•.
l'économie psychique métaphysique sur la grands monuments de du Centre Culturel Par l'ancien chef de la
société de consomma· Max Thurlan
de l'homme. l'histoire -, le chef· International de Cerisy· brigade des stupéfiants Sacerdoce et mlnlstire
tlon et sur le sens d'œuvre de celui qu'on la-Salle (juillet 1967). une évocation des
Hilaire Cuny des révolutions sociales Presses de Taizé
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De la sexualité contemporaines. Montesquieu anglais James Mac Millan s'est occupé.
Editeurs Français Réunis Bernard Harris Du sacerdoce aux
196 p., 15 F René Duvillard André Guérin L'Angleterre est une F. Perez Lopez problèmes des
Dans le cadre de Dynamique du couple' La folle guerre le 1870 colonie américaine El Mexlcano ministères d'aujourd'huI.
l'édition des Œuvres Mame, 220 p., 18,80 F 1 cahier d'Illustrations Ed. de la Pensée Coll. • Vécu.
complètes sous la Le couple, contradlc- Hachette, 334 p., 30 F Moderne, 280 p., 22 F Laffont, 288 p., 20 F
direction de L. Scheler. tlon dialectique qui Le drame de la Un dossier explosif sur Rédigé en 1941 par un ARTS
réalise la synergie des Commune et celui d'un la situation économique jeune combattant des URBANISME
S. Fantl contraires et explique million et demi de l'Angleterre et sur Brigades Internationales
Contre le mariage peut-être le sens de d'Alsaciens devenus, le danger que compor- un document
Flammarion, 304 p., 18 F l'univers. Z. Arsène-Henry
malgré eux, sujets terait son insertion exceptionnel sur la Notre ville
Par un psychiatre suisse, allemands. dans le Marché guerre d'Espagne et
un violent réquisitoire Jean Guitton Mame, 328 p., 25 F
Profils parallèles Commun. ses lendemains. De la ville fonctionnelle
contre le triangle Robert Lacour-Gayet
familial, illustré à Fayard, 496 p., 35 F Histoire de l'Afrique A. Teissier du Cros • Anatoll Martchenko à la ville personnalisée:
travers quatre psycha- Quatre portraits du Sud J ..J. Thiebaut Mon témoignage un aspect de l'urbanisme
nalyses significatives. parallèles : Pascal et Fayard, 488 p., 45 F Le courage de diriger Trad. du russe par que les architectes
Leibnitz, Newman et De la découverte de Coll. .L'uslne nouvelle- François Olivier tendent à méconnaître.
C. Konczewski Renan, Teilhard et l'Afrique du Sud par Laffont, 344 p., 18 F Coll .• Combats.
La psychologie Bergson, Claudel et Tibor Bodrogl
les Portugais au Inaugurant cette Seuil, 320 p., 21 F L'art en Afrique
dynamique Heidegger XV' siècle jusqu'à collection consacrée Un témoinage sur les
et la pensée vécue 190 pl. noir et couleurs
nos jours. aux problèmes du camps soviétiques, par Cercle d'Art, 132 p.,'60 F
Flammarion, 352 p., Arthur Koestler management français, un Russe arrêté en
32 F Le démon de Socrate Marcel Le Clère une étude d'ensemble 1960, alors qu'il se • A.ndré Fermigler
Un essai centré Cal mann-Lévy, 320 p., L'assassinat de sur les perspectives préparait à franchir la Bonnard
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30
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Flammarion, 128 p., 9,80 F par Rémi Dreyfus avec René Gaudy
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