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Ville-Ecole-Intégration Enjeux, n° 133, juin 2003

CULTURE SCOLAIRE ET SAVOIRS


Approche historique (1)

Anne-Marie CHARTIER (*)

Les bouleversements qui ébranlent


le socle culturel de l’école sont à
chercher non du côté des révolutions
des savoirs et des techniques, mais
du côté des « révolutions du
croyable » : une génération ne croit
plus à ce qui était l’évidence par-
tagée d’une autre, ou place ses espé-
rances dans une innovation jugée
salvatrice, qui était inimaginable
pour la génération d’avant.
Comme les sociétés cotées en
bourse, l’école ne vit que du crédit
qu’on lui fait, mais il s’agit d’un
crédit métaphysique.

Au fil du temps, les finalités assignées à l’école ont changé. Alors


que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les textes parlent surtout de la finalité
religieuse et morale (former des chrétiens), l’école républicaine met en
avant la finalité politique et morale (former des citoyens). Au
XXe siècle, les finalités sociales (démocratisation des études, égalité des
chances) deviennent prioritaires avec la scolarisation secondaire de
masse. Avec la fin de la croissance et la montée du chômage, à partir
des années 1970-80, les finalités socio-économiques deviennent un
souci explicite et l’école est de plus en plus souvent conçue comme
l’institution qui doit préparer l’insertion professionnelle, à long terme
(quand il s’agit de devenir juriste, médecin, ingénieur, technicien ou

(*) Maître de conférences, service d’Histoire de l’éducation, INRP.

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enseignant) et/ou à court terme, quand il faut éviter aux élèves en échec
de se trouver exclus du marché de l’emploi.
Le passage d’une finalité à une autre s’opère parfois de façon brutale :
l’école laïque interdit l’enseignement religieux à l’école, le catéchisme
disparaît, remplacé par la morale et l’instruction civique. Dans d’autres
cas, il semble plutôt y avoir coexistence : les familles savent quel profit
un enfant peut retirer de l’instruction élémentaire, même quand le dis-
cours scolaire met en avant des priorités non utilitaires. De fait, l’école
répond toujours à plusieurs fonctions en coexistence, même s’il peut y
avoir des conflits de priorité. Ainsi, les instituteurs sont longtemps pris
entre deux urgences : privilégier les savoirs pratiques (la lecture, l’écri-
ture et le calcul doivent être enseignés en fonction des usages ordinaires
des familles populaires) ou au contraire privilégier les objectifs éduca-
tifs et civiques (la géographie et l’histoire de France, l’instruction
civique, la lecture collective de textes littéraires visent à construire
identité républicaine et sentiment patriotique). Les discours du temps de
Jules Ferry insistent fortement sur ce second aspect : en rapprochant les
contenus du primaire de ceux du secondaire, il donne une légitimité
nouvelle aux instituteurs républicains et laisse espérer que des savoirs et
valeurs partagés rapprocheront les enfants de toutes conditions, dans
une société où deux réseaux scolaires étanches séparent la jeunesse pro-
mise au travail précoce et celle qui a le temps de « faire ses humanités
». De fait, ce discours s’impose au moment où ce qui constituait anté-
rieurement la référence chrétienne commune à tous disparaît des pro-
grammes scolaires, quand l’école publique devient laïque, c’est-à-dire «
neutre entre les religions ».
Nous faisons l’hypothèse que les débats récurrents dans l’école fran-
çaise autour de la culture générale commune ont leur point d’origine
dans cette laïcisation radicale de l’école (2). Les finalités éducatives
assumées anciennement par la religion nous semblent avoir survécu à
travers la finalité de transmission culturelle. La question de la culture
scolaire et des savoirs à privilégier pour donner aux enfants « une édu-
cation » (lettres ou sciences ? savoirs abstraits ou concrets ?) est une
question vitale pour l’école de la IIIe République car celle-ci doit mani-
fester publiquement qu’elle assume l’éveil des consciences et l’éduca-
tion morale, qu’elle ne cherche pas seulement à rendre les élèves plus
savants ou plus habiles ; qu’elle vise toujours à combattre l’erreur, à
faire entendre la vérité, à modifier les façons de voir, de penser et de
faire, bref, à transformer les élèves pour faire d’eux « des hommes » :
« Je vous demande d’en faire des hommes et non des grammairiens »,

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rappelle Jules Ferry aux instituteurs, à son goût trop obsédés par les
accords de participes. Est-ce possible d’y parvenir sans dogme ni philo-
sophie officielle ? Faute de religion d’État, l’école laïque ne peut viser
ce but que de façon « pratique » et non « théorique ». En évoquant « la
morale de nos pères », Jules Ferry vise cette pratique collective unani-
mement reconnue quelles que soient les confessions et les croyances.
Mais la morale ne suffit pas à légitimer l’école ni les savoirs enseignés.
Où trouver des textes qui bousculent les évidences ou fondent des cer-
titudes, éblouissent les sens ou font entendre « les voix intérieures »,
pour parler comme Victor Hugo, sinon dans la littérature ? Avec la
République, les « grands textes » vont peu à peu devenir dans l’école
comme un substitut de « textes sacrés ». « Je ne sache pas de livre, lors-
qu’il a compté, qui n’ait fait tremblé le sol de l’existence, disloqué la
vision pauvre, grossière que je prenais, avant qu’il ne l’ébranle, pour la
réalité », écrit l’écrivain Pierre Bergounioux (3), racontant un souvenir
de lecture d’école primaire. Peut-on dire qu’une telle expérience s’ap-
parente à la visée religieuse, qui cherche par le contact avec l’Écriture
sainte à « sauver les âmes » ? Énoncer la chose aussi brutalement peut
susciter des protestations ou des réticences, car une entreprise religieuse
de salut échappe difficilement à l’inculcation dogmatique. Or l’école, si
elle se définit comme laïque, doit se refuser à toute doctrine. De ce fait,
le devoir de transmission culturelle qu’elle se donne reste indéfini dans
ses fins, incertain dans ses modalités, et chaque effort d’explicitation
provoque malentendus et polémiques. C’est ce point que nous propo-
sons pourtant d’examiner, non point théoriquement mais empirique-
ment, en essayant de retracer à grands traits les étapes de son histoire.

La tradition des humanités scolaires

Des humanités chrétiennes aux humanités classiques


Pour poser le problème historiquement, il faut interroger la notion de
culture scolaire du côté des écoles destinées aux futures élites, les col-
lèges de la Renaissance. En France, ils sont majoritairement catholiques
et sont créés par des ordres religieux dont la mission est de lutter contre
le protestantisme. L’enseignement proposé est celui de formation des
clercs, jusque-là seuls lettrés professionnels. À l’époque, « lettré » et
« clerc » sont deux mots encore synonymes, puisque seuls les savoirs
d’écriture donnent accès à la science et donc à la vérité et au salut.

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Pour attacher les jeunes nobles à la cause catholique et leur donner
une éducation qui convienne à leur condition, les ordres religieux ont
puisé dans leur propre formation. Ainsi, la Compagnie de Jésus fonde
des séminaires pour ses novices et les ouvre aux enfants des élites
sociales. Le curriculum (4) conçu pour former les futurs jésuites devient
le programme d’enseignement offert aux jeunes nobles qui ne se desti-
nent pas aux métiers des armes : classes de grammaire, classe des
humanités, classe de rhétorique, classe de philosophie. Les études pro-
fanes s’arrêtent là, car les classes de théologie qui suivent sont réser-
vées aux membres de l’ordre. Comme dans l’université du Moyen Âge,
l’apprentissage s’est d’abord fait en latin, langue de l’Église, mais c’est
autour des auteurs de l’antiquité, redécouverts par les humanistes de la
Renaissance, que s’est construit le corpus de référence. Virgile, Tite-
Live, Cicéron ne sont pas des auteurs chrétiens, mais, pour Ignace de
Loyola, les missionnaires de la Réforme catholique ne pourront recon-
quérir la société que s’ils maîtrisent les références savantes de la moder-
nité, à une époque où le latin est toujours la langue de communication
en Europe. D’autre part, la fréquentation de Cicéron semble essentielle
pour entraîner de futurs prédicateurs à la rhétorique. Prêcher, ce n’est
pas parler à ses pairs, pratiquer entre clercs l’art de la disputatio univer-
sitaire, c’est s’adresser à un public qu’il faut retenir par l’art oratoire.
En ce domaine, un avocat comme Ciceron est le meilleur maître (5).
Évidemment, les pères ont pratiqué une christianisation de l’antiquité,
en choisissant des passages exaltant des vertus qui auraient pu être
chrétiennes. Le paganisme antique exaltant la république romaine s’est
avéré finalement un très bon instrument pour éduquer de jeunes nobles
catholiques du Grand Siècle. La force de cette transmission a été telle
que le programme scolaire inventé à des fins d’édification chrétienne a
perduré au fil du temps, alors même que les fins originelles en étaient
perdues ou reniées. Ce programme a été adopté par les régents qui ont
été « agrégés » à l’Université pour remplacer les jésuites après leur
expulsion, en 1765. La Révolution française supprime les collèges mais
essaie en vain d’inventer une autre culture scolaire, scientifique et
moderniste, avec la création éphémère des écoles centrales. Napoléon
rétablit l’Université et crée des lycées en revenant ou presque à l’ancien
curriculum. Ils deviennent collèges royaux après la restauration de la
monarchie, les versions et thèmes latins continuent d’être l’ordinaire du
futur bachelier, puisque c’est dans ces exercices qu’il apprend la gram-
maire et la langue françaises, au service des mêmes lieux communs
qu’avant la Révolution (louer la vertu et l’héroïsme, décrier le vice et la

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lâcheté, déplorer les infortunes du sort et l’aveuglement des tyrans),
même si les préoccupations directement religieuses s’éloignent. Cette
formation à l’écriture rhétorique prépare d’ailleurs fort bien à leur rôle
des générations d’avocats et de parlementaires. Pas de réunion publique
ou privée qui ne soit ouverte et fermée par un discours : l’éloquence
oratoire qui a fait la réputation des grands prédicateurs (Bossuet,
Fénelon, Fléchier, Bourdaloue) sort des églises pour devenir l’art ora-
toire des tribunaux et des assemblées.
Les « belles-lettres » deviennent ainsi un objet d’étude scolaire. En
effet, elles offrent un réservoir indéfini de discours à reproduire ou à
inventer : refaire une harangue d’Auguste, imaginer un dialogue aux
Enfers entre Virgile et La Fontaine, rédiger la lettre que madame de
La Fayette aurait pu écrire à madame de Sévigné pour discuter des
mérites comparés de Corneille et de Racine (6). Lorsque les élites anti-
cléricales de la fin du XIXe siècle conçoivent les programmes des lycées
républicains hors de toute religion, elles n’imaginent pas une culture
scolaire de référence autre que celle qu’elles ont reçue, celle des huma-
nités classiques. Même si le mot « classique » est élargi à tous les
auteurs acceptés dans les programmes (XIXe siècle compris), les « clas-
siques français » restent massivement ceux du siècle de Louis XIV, fon-
dateurs de la langue nationale (7).
Ainsi, de même que les ordres religieux enseignants avaient adopté la
latinité païenne et chanté les vertus de la république romaine sous des
rois très chrétiens, les républicains laïques adoptent les écrivains chré-
tiens du Grand Siècle, en particulier ces grands maîtres du discours
français que sont les évêques prédicateurs Bossuet ou Fénelon. Ce para-
doxe n’a pas manqué d’être dénoncé, car, comme l’écrit Gustave
Lanson (8), « c’est une absurdité de n’employer qu’une littérature
monarchique et chrétienne à l’éducation d’une démocratie qui n’admet
point de religion d’État », de laquelle « on n’extrairait pas un grain de
pensée patriotique ou sociale ». Avec sévérité, Lauson se demande s’il
est décent de faire lire à des enfants une littérature qui traite tant
d’amour, si bien que le professeur « occupe des heures durant des
enfants de quatorze à seize ans à distinguer l’amour d’Hermione de
l’amour de Roxane ou à démêler tout l’artifice de la coquetterie de
Célimène ». La solution sera d’élargir avec prudence le corpus au
XVIIIe siècle, siècle des Lumières et des philosophes, d’inclure même
quelques poètes romantiques du XIXe (Lamartine, Victor Hugo). Mais,
jusqu’aux années soixante, les auteurs chrétiens du Grand Siècle restent
des monuments sacrés.

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La démocratisation des études et la crise de la culture
La force de ces références a été telle qu’elles sont devenues le Pan-
théon de la culture française unanimement célébrée, le territoire partagé
par les élites de la gauche et de la droite. Le projet est toujours de
former « l’honnête homme » et les humanités classiques paraissent le
chemin le mieux tracé pour lier savoir et éducation, instruction et cul-
ture générale : la lecture attentive est l’apprentissage de la patience, le
plaisir de goûter les textes n’est pas au départ, mais à l’arrivée. Son seul
défaut, du point de vue démocratique, est d’être réservée à une minorité
sociale privilégiée. Tout le personnel politique (de formation secon-
daire) ne pouvait donc que récuser implicitement les choix faits jadis
pour les enfants du peuple par Jean-Baptiste de La Salle qui avait exclu
le latin (et donc la formation aux humanités), s’en tenant à conjuguer
deux urgences : d’une part, les savoirs d’alphabétisation utiles à la vie
sociale du peuple (lire, écrire et compter), d’autre part, le catéchisme et
la pratique religieuse, pour le salut des âmes. Or, c’est bien du modèle
des frères des écoles chrétiennes qu’est finalement sortie l’instruction
primaire de la monarchie de juillet puis celle de Ferry. En faisant dispa-
raître cette culture chrétienne de base qui dégrossit les rustres et les fait
entrer dans la civilisation (9), le risque était soit de discréditer l’école
en réduisant les ambitions primaires aux rudiments du lire-écrire-
compter, soit d’engager les instituteurs sur la voie redoutable des
savoirs « savants » (la grammaire, l’histoire, la géographie) où ils ris-
quaient en permanence de passer pour des « incapables prétentieux ».
En installant la littérature française dans les manuels de lecture pri-
maires (10), les républicains font le pari que les instituteurs et le peuple
pourront communier aux mêmes références du patrimoine français que
les lettrés : même langue, même patrie, même littérature ; même véné-
ration pour La Fontaine et Victor Hugo. Dans une deuxième étape, il
s’agit d’encourager les bons élèves des milieux populaires à prolonger
leurs cursus d’études, grâce à des bourses, soit dans les lycées bour-
geois, soit dans des écoles primaires supérieures. La troisième étape est
de rapprocher les programmes du secondaire et ceux des écoles pri-
maires supérieures, et enfin de créer une école moyenne commune, le
collège, obligatoire entre onze et seize ans, en proposant à tous les
contenus d’enseignement jadis réservés aux élites.
Cependant, cette réforme pensée dès l’entre-deux-guerres, ratée à la
Libération, se met en place trop tard, entre 1960 et 1975, alors que le

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monde a basculé. Les enfants du peuple vont au cinéma, aux concerts
de rock, regardent la télévision, téléphonent plus qu’ils n’écrivent.
Après les événements de mai 1968, la lecture des « classiques » passe
pour une tradition archaïque et élitiste ; à en croire les professeurs, le
théâtre en vers de Corneille est illisible par les élèves des milieux popu-
laires qui arrivent au lycée et les états d’âme du Cid, partagé entre
amour et honneur, procurent aux élèves des banlieues plus de stupéfac-
tion et d’ennui que d’enthousiasme. Cette « crise », qui est une crise de
l’école, est aussi une crise de la culture (11).
Crise de l’école : sans doute, depuis les années soixante, l’école
concerne toute la jeunesse de plus en plus longtemps, mais ce n’est plus
elle qui édicte les normes en matière de culture et de pratique sociale.
Les médias sont devenus de multiples « écoles parallèles » qui, bien
mieux que les maîtres, imposent leurs normes ou leurs modes (12). Le
cinéma, la télévision (13), la presse destinée aux jeunes enseignent
comment ceux-ci doivent se conduire et se vêtir, quels sont les mœurs,
les rêves et les aspirations des vedettes du spectacle. C’est auprès d’eux
que les jeunes apprennent ce qui doit provoquer l’émotion ou la colère,
les larmes ou le rire et à qui il faut rêver de ressembler. Les professeurs
qui pensaient que les héros des romans lus en classe pourraient à la fois
faire aimer la beauté de la langue et faire réfléchir sur le sens de la
vie (14) voient fondre leurs espérances. Crise de la culture : du fait
qu’elle n’est plus la référence centrale incontestée, l’école est en
quelque sorte « marginalisée », au moment même où elle semble avoir
triomphé, puisqu’elle scolarise tout le monde. Or, ce n’est pas parce que
tous les élèves sont physiquement présents chaque jour dans les classes
que l’école a accru son influence sur leurs esprits, on pourrait même
dire, au contraire... La crise de l’école est liée à une crise de la culture,
ou à ce qui, jusque-là, était désigné par ce mot.

Mutations du modèle scolaire de la culture, 1960-1980

Culture et inculture à l’école et dans la société


S’agissant de ce qui nous préoccupe, la culture « pour l’école », la
question est seulement de savoir ce que l’école retient ou perçoit des
débats sur la culture « en général » qui se déroulent en grande partie
hors d’elle, sur le terrain politique (15) et dans les sciences sociales :
c’est donc à travers le prisme de livres ou revues pédagogiques que
nous les avons étudiés (16). La conception classique (17) oppose la cul-

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ture et l’inculture, comme on oppose le savoir et l’ignorance. Instruire
les ignorants, c’était les faire passer de l’erreur à la vérité, de l’obscu-
rantisme à la lumière, de la barbarie à la civilisation. Le partage fait par
les anthropologues d’avant-guerre entre oralité et écriture, entre
« pensée primitive » et rationalité, avait contribué à renforcer la pré-
gnance et la valeur du modèle scolaire. Les savoirs traditionnels,
transmis par « voir faire » et « ouïr dire », parlés dans des langues non
écrites, ne pouvaient être que suspects ou condamnables, mêlant rites et
mythes, croyances et superstitions, recettes magiques et routines.
Contre ces savoirs archaïques imposés par l’arbitraire d’une tradition
autoritaire, celle de la France rurale catholique ou de l’Afrique colo-
nisée animiste, les savoirs scolaires pouvaient d’autant plus aisément
apparaître comme les savoirs d’écriture institués, les savoirs légitimes,
conjuguant le prestige de l’héritage antique et de la modernité occiden-
tale.
Une nouvelle conception de la culture se fait jour dans les années cin-
quante, avec l’envolée des moyens audiovisuels. Comment désigner les
produits diffusés par les « mass media » sinon par le terme « culture de
masse » ? Au moment où les pédagogues espèrent que la démocratisa-
tion de l’enseignement, la croissance économique et le livre de poche
vont permettre de diffuser enfin auprès de tous les chefs d’œuvre de la
littérature, réservés jusque-là aux privilégiés, ce sont les westerns, les
disques de rock, les « best-sellers » et les « comics » importés des
États-Unis qui inondent le marché. Tant que la télévision est un service
public, sans publicité, certains enseignants imaginent qu’elle va être
l’agent le plus efficace de la démocratisation culturelle, en amenant à
domicile les pièces de théâtre, les chefs d’œuvre de la peinture et les
concerts de grande musique. Ils déchantent vite : les émissions audio-
visuelles cherchent d’abord à plaire au grand public.
La culture de masse produit ainsi deux réactions. D’une part, elle est
condamnée et même méprisée par les enseignants progressistes, car elle
empêche les enfants de lire et détourne les couches populaires des
revendications sociales (18). Les produits audiovisuels ne sont pas des
œuvres mais des marchandises. D’autre part, elle provoque l’intérêt
passionné d’une minorité qui sent bien que l’école ne devrait pas
ignorer la révolution culturelle du siècle (19). Pour la première fois
depuis la naissance de l’époque moderne, la suprématie de l’imprimé
est remise en cause. À la culture écrite, exigeante, patrimoniale, pas-
séiste et scolairement imposée, s’oppose une autre culture, hédoniste,
éphémère, émotionnelle, visant avant tout la jeunesse. Ceux qui refu-

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sent d’accoler le mot « culture » aux émissions télévisées de divertisse-
ment sont bien obligés de convenir que, contrairement aux traditions
rurales, cette « inculture » n’est ni archaïque ni autoritaire. Elle est
urbaine, actuelle, parle anglais, non les patois. Comme le répète
McLuhan (20), c’est la culture de l’ère Marconi qui abolit l’ère Guten-
berg.

Culture humaniste, culture bourgeoise et culture de classe


C’est dans ce contexte que les sociologues cherchent à comprendre
les illusions naïves de la démocratisation scolaire. Ceux qui échouent
au collège sont d’abord les enfants de milieu populaire, incapables de
commenter les textes littéraires, ce qui conduit leurs professeurs de
lettres à affirmer qu’ils ne savent pas lire. L’école primaire les a habi-
tués à une lecture collective, oralisée, accompagnée par le maître pas à
pas, et voilà qu’arrivés en sixième ils doivent lire et expliquer seuls des
extraits de Molière. Quelques années plus tard, leurs dissertations doi-
vent exposer pourquoi « Corneille peint les hommes tels qu’ils
devraient être et Racine tels qu’ils sont ». Si ces exercices d’admiration
obligée les découragent, ce n’est pas leur intelligence qui est en cause,
disent Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (21). C’est tout simple-
ment parce qu’ils n’ont aucune « connivence culturelle » avec la culture
lettrée. Ils ne sont jamais allés au théâtre, n’ont pas appris à parler dans
leurs familles la langue normée qu’ils doivent écrire dans leurs devoirs,
ils n’attendent pas que la littérature leur donne des leçons d’existence et
bouleverse leur regard sur le monde. Ils sont prêts à travailler pour
obtenir le baccalauréat qui leur ouvrira des destins sociaux meilleurs
que ceux de leurs parents, mais, malgré leur bonne volonté, ils ont le
plus grand mal à adhérer aux contenus et aux formes de la culture de
l’école.
Les mouvements politiques de gauche et d’extrême-gauche donnent
vite un nom à cette culture scolaire : culture bourgeoise, culture de
classe, culture des élites sociales, destinée à « faire la différence », à
trier entre les héritiers et les démunis. Le livre de Bourdieu, La Distinc-
tion (22), expose magistralement le versant objectif et le versant sub-
jectif de cette relation à la culture, montrant que la culture choisit ceux
qui la choisissent, rejetant les réprouvés dans les ténèbres extérieures,
puisqu’elle a été faite pour ça. Sur le modèle des religions, elle trie
entre les élus et les réprouvés. Grâce à leur docilité, les bons élèves de
milieu populaire qui croient en l’école peuvent réussir et devenir pro-

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fesseurs, ingénieurs ou médecins. Mais le prix à payer est élevé : l’école
leur fait renier leurs origines (23), leur apprend à avoir honte de leurs
parents, elle leur fait oublier ou rejeter tout ce que ceux-ci leur ont
transmis.

Culture, idéologie et science


De telles prises de conscience qui se cristallisent autour de mai 1968
ne peuvent qu’ébranler la génération des professeurs entrés dans le
métier avec les idéaux forgés à la Libération. Ces professeurs progres-
sistes ont milité pour une école démocratique, se sont battus pour
« l’abolition des privilèges » culturels, ont rêvé que les enfants du
peuple puissent avoir droit à l’éducation réservée jadis aux enfants des
princes et des privilégiés (24). Or cette démocratisation se révèle à
l’usage être un piège, puisque la culture des élites s’avère le meilleur
outil de sélection pour tenir en échec (statistiquement) les enfants du
peuple. Dans cette conjoncture, les plus touchés sont les professeurs de
lettres, qu’ils soient de droite ou de gauche, anti-cléricaux ou chrétiens,
laïques ou communistes. Comment continuer à enseigner la langue et la
littérature, source de leur formation humaniste, si cette source est
empoisonnée ? Ce qui a été le levier de leur émancipation se révéle
creuser les inégalités qu’ils voulaient abolir. Et si l’on refuse cette cul-
ture, dévoilée comme bourgeoise, quelle est l’alternative ? Faut-il se
tourner vers la culture populaire ? Dans cette seconde moitié du
XXe siècle, la culture populaire, c’est la culture de masse, l’industrie
des spectacles, la télévision.
« Du passé, faisons table rase. » Les événements de mai 1968 ont
repris, sur le terrain culturel, le slogan prolétaire : l’héritage poussié-
reux ou suspect qu’il faut rejeter, ce sont les enseignements des anciens
maîtres, ou plutôt les croyances des anciens maîtres dans la valeur de
ces enseignements. Une crise de la transmission est ouverte et un
monde de représentations collectives est en train de s’effondrer. Les
nouvelles valeurs sur lesquelles fonder une pédagogie « démocratique »
restent à construire. Pour échapper à la culture bourgeoise autant qu’à la
culture de masse, certains visent une porte étroite : l’approche scienti-
fique, épurée de toute idéologie. Linguistique, sémiologie, psychana-
lyse, sociologie rendent imaginable une « science des textes ». Alors
que l’ancien enseignement littéraire voulait rendre le lecteur « meilleur
et plus sage » en lui faisant « sentir, admirer et goûter » les chefs
d’œuvre, il devient nécessaire de « décrire, analyser et démontrer » et

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de rejeter toute tentation humaniste, d’adopter une position de neutralité
scientifique, puisque l’humanisme, c’est l’idéologie bourgeoise.
« Beaucoup de professeurs de lettres sont passés de l’ancienne à la
nouvelle critique. Je voudrais montrer qu’il ne s’agit pas de l’adhésion
à une mode, mais bien de la découverte, faite dans l’exercice même de
leur métier, des limites et de la nocivité de l’enseignement traditionnel
de la littérature », peut-on lire en octobre 1969 dans les Cahiers péda-
gogiques (« Nouvelles critiques et enseignement littéraire »). Sur les
illusions en miettes de la culture des humanités, le structuralisme peut
se tailler un beau succès.
Ainsi, l’ancienne définition de la culture, opposant culture et incul-
ture, savoir et ignorance, est battue en brèche. D’une part, la culture
audiovisuelle de masse, consumériste, libre, hédoniste, fait apparaître la
culture scolaire comme passéiste et autoritaire. D’autre part, des socio-
logues dévoilent, derrière l’idéologie de la culture générale, « la noci-
vité de l’enseignement traditionnel de la littérature », la réalité d’une
culture bourgeoise, élitiste et sélective, excluant par l’échec scolaire les
enfants de milieu populaire. Quelle nouvelle définition de la culture
peut-elle sortir de cette critique au vitriol ? Avec le recul, on voit que
c’est une définition issue de l’anthropologie qui devient en quelques
années l’horizon de référence.

Culture dominante et cultures dominées


Pour les anthropologues, la culture est l’ensemble des actions et des
produits à travers lesquels un groupe social donne sens et valeur à ses
pratiques sociales, des plus ordinaires aux plus exceptionnelles, et
caractérise son identité de façon spécifique. Ainsi, tous les hommes
mangent par nécessité biologique et chaque individu a des goûts et des
dégoûts personnels ; mais chaque groupe humain s’impose des interdits
alimentaires, des rituels de repas, des façons d’accommoder « le cru et
le cuit », pour reprendre le titre de Lévi-Strauss. Les sociétés humaines
ne cessent ainsi de cultiver la nature, de transformer la nourriture en
cuisine, la reproduction en famille, la mort en sépulture et les rapports
de force en guerre ou en politique. Leurs expériences de la vie et de la
survie deviennent des récits mémoriels : poésie, légendes, mythes, reli-
gion, histoire.
La grande force de cette définition, c’est qu’elle cesse de confiner la
culture à une classe privilégiée d’objets (les livres, les œuvres d’art)
dont la fréquentation ferait passer les enfants des hommes de la sauva-

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gerie à l’humanité civilisée. Dans une conjoncture de luttes anti-colo-
niales, un tel retournement change le regard des militants de tous bords
sur les revendications identitaires et seulement sociopolitiques des mou-
vements d’indépendance. La domination coloniale n’est plus seulement
économique, elle est aussi culturelle. L’Occident a exploité les peuples
colonisés, en leur imposant ses modes de pensée, ses catégorisations,
ses références et ses systèmes de valeur. Si la révolte anti-coloniale
conduit à s’insurger contre l’étranger qui pille et exploite (mais on peut
être pillé et exploité par des gens de son propre pays), elle conduit aussi
à rejeter ce que la colonisation lui a apporté, en particulier dans les
écoles : la langue, les savoirs, les références culturelles du monde occi-
dental (25).
Le réveil des régionalismes reprend cette opposition entre colonisé et
colonisateur pour dénoncer l’unification forcée de la France autour du
pouvoir parisien. Dans les années 1970-1980, les « autonomistes » bre-
tons (26), basques ou corses dénoncent les abus de pouvoir d’une école
républicaine qui aurait éradiqué les cultures et les langues régionales
par la violence. Mais, en face de la culture dominante, imposée et célé-
brée, continueraient d’exister de façon souterraine de multiples cultures
dominées, populaires (27), régionales, marginales. Elles n’ont pas tou-
jours produit de culture écrite et vivent largement hors des représenta-
tions proposées par les livres, ces dépositaires privilégiés des « œuvres
de l’esprit ». En revanche, leurs traces sont faciles à repérer dans la
« culture matérielle » des objets quotidiens, dans les rituels collectifs
(repas, fêtes, commémorations) et dans les pratiques de la langue : c’est
dire qu’elles peuvent plus vite être acceptées par la radio, le
cinéma (28) et la télévision que par l’école.

Toute culture est un système de signes


Tous les objets sociaux deviennent ainsi des « signes » à travers les-
quels une société se donne en représentation, s’exhibe symboliquement
de façon furtive ou spectaculaire, dévoilant ses idéaux proclamés et ses
refoulements. Roland Barthes a été un des premiers à avoir défriché ce
terrain (Mythologies date de 1957, le Système de la mode de 1967 et
son analyse de l’affiche des pâtes Panzani est devenue un modèle du
genre). La sémiologie est devenue une grille universelle pour « lire » la
culture, et la linguistique a été promue science des sciences humaines,
traitant les langues comme des systèmes sans parole et sans locuteur. La
littérature est passée du corpus clos des chefs d’œuvre au corpus indé-

203
fini des « productions » écrites, où Racine côtoie James Bond, sans
jugement de valeur a priori. L’analyse intellectuelle débouche vite sur
des critiques politiques plus radicales. Pour Debord, Baudrillard, notre
société se réduit à être « société du spectacle » (29) ou « société de
consommation » (30). Dans cette nouvelle forme de totalitarisme mou,
le « totalitarisme sémiotique », les individus ne sont plus que des
consommateurs aliénés, toutes les productions humaines (les objets
manufacturés, mais aussi les programmes politiques, les émissions de
télévision, la littérature et les œuvres d’art contemporaines) sont deve-
nues des marchandises que l’on achète non pour leur qualité mais pour
leur emballage.
Cependant, cette conception indéfiniment extensive de la culture
laisse entier le problème de fond. La force de cette définition est aussi
sa faiblesse, car la culture, c’est tout, c’est-à-dire n’importe quoi.
Quand le relativisme culturel devient la norme absolue, on se trouve en
plein paradoxe. À la religion de la culture au singulier, sélective et éli-
tiste, qui savait énoncer ses critères de choix et de refus, succède
l’éclectisme des cultures plurielles en cœxistence instable, en face des-
quelles toute position critique est d’avance disqualifiée comme une
intolérance ethnocentrique. En effet, alors que la culture est un
ensemble de signes faisant système dans l’univers clos des sociétés
anciennes, dans nos sociétés contemporaines, démocratiques, individua-
listes, elle forme un ensemble éclaté (31). Finalement, comme le
remarque Michel de Certeau, ce relativisme convient parfaitement bien
à une société consumériste, qui conçoit les productions culturelles
comme des biens marchands, destinés à satisfaire les goûts de tous les
clients, sans exclusive. Dans les supermarchés de la culture, toutes les
minorités sont bienvenues, sans racisme ni xénophobie : s’il peut payer,
le client est roi.
Une telle conception de la culture disqualifie par avance tout projet
institutionnel et, plus largement, toute « politique » de la culture. Le cas
est particulièrement brûlant lorsqu’il s’agit de l’école, qui exige un
projet scolaire collectif. Comment définir la culture si l’on refuse la
thèse du « totalitarisme sémiotique » et « l’homme unidimensionnel »
qu’elle suppose ? Comment sortir aussi de la mosaïque des microcul-
tures qui enferment dans leur ghetto communautaire les groupes
sociaux (32) (culture ouvrière [33] à côté de culture rurale ou bour-
geoise), les minorités ethniques (culture bretonne ou occitane, contre le
jacobinisme parisien), les groupes d’âge (34) (culture « jeune » contre
celle des « vieux ») ou les sexes (35) (culture féminine contre culture

204
machiste) ? L’école est-elle capable de dépasser cette mosaïque identi-
taire pour proposer une formation partagée, une raison de « vivre
ensemble » qui transcende les singularités des groupes d’appartenance ?
Peut-elle et doit-elle accueillir toutes les cultures d’origine de ses élèves
avec respect ? Comment éviter alors les dialogues de sourds ou les
conflits sans fin (36) ? Comment penser une définition de la culture
« au pluriel » qui essaie de dépasser cette aporie, pratique autant que
théorique ?

Culture scolaire, pratique sociale et institution

La culture comme sens pratique


Il faut d’abord tirer les conséquences de la nouvelle relation aux
savoirs instaurée explicitement par la scolarisation de masse. Acquérir
un savoir, ce n’est plus pour autant entrer dans une culture. En devenant
le vecteur quasi obligé de toutes les insertions sociales, surtout des
insertions réussies, l’école est devenue un instrument utile, beaucoup
trop utile. Chacun apprend pour réussir des examens, passe des exa-
mens pour se vendre comme un produit performant sur le marché de
l’emploi. À l’aune de la société marchande, les savoirs valent ce que
vaut la position sociale qu’ils permettent d’escompter. La valeur
d’échange a pris le pas sur la valeur d’usage. Peu importe alors que les
savoirs en eux-mêmes soient intéressants ou insignifiants, importants ou
futiles. Ils sont seulement « à savoir ».
Une telle pratique est hors de la culture. À suivre les analyses de
Michel de Certeau (37), il n’y a culture que si une pratique sociale a du
sens pour celui-là même qui l’effectue, que si son action, son geste ou
sa conduite sont en eux-mêmes porteurs de sens (et non pas en tant que
moyen utile pour obtenir autre chose). Qu’une conduite soit rentable ne
suffit pas à la rendre sensée. En devenant utilitaire, l’école engage les
élèves à être seulement réalistes ou mêmes cyniques, par exemple à cal-
culer leur investissement scolaire en fonction de ce que peut leur « rap-
porter » une discipline dans la course aux examens. La réalité sociale
fait loi, mais elle ne fait plus vertu. De ce fait, on peut repérer dans les
enseignements scolaires la ligne de fracture qui sépare les disciplines
rentables, celles pour lesquelles la question du sens n’a pas à se poser.
Ainsi, dans les années soixante, les lettres sont détrônées par les
mathématiques qui deviennent la discipline reine, celle dans laquelle il
faut réussir pour aller vers les nouvelles filières scientifiques. Mais le

205
fait que les bons élèves se dirigent naturellement vers les sciences ne
signifie nullement qu’ils en attendent de quoi satisfaire leur curiosité ou
exercer leur passion intellectuelle : qu’est-ce qu’ils veulent comprendre
en apprenant des mathématiques ? Souvent, rien (pas plus que les
élèves jadis investis dans les versions latines, plus par souci du bac que
par amour des humanités). Leur effort est suffisamment récompensé
s’ils parviennent à « réussir » scolairement. D’un autre côté, se trouvent
les enseignements « gratuits », « non rentables », comme l’éducation
physique, les arts, l’histoire ; mais, pour survivre pédagogiquement, les
professeurs doivent alors séduire leurs classes, sinon, comment pour-
raient-ils y exiger du travail ?
Cette séparation de fait, non de droit, entre culture et savoirs ne
concerne pas que l’école. Elle concerne aussi la culture sociale au sens
large, celle qu’ont définie les anthropologues. Les conduites les plus
symboliques « objectivement » peuvent être perpétuées par des institu-
tions, des rituels, ainsi que les savoirs qui les accompagnent, alors
qu’elles sont depuis longtemps vidées de leurs sens, c’est-à-dire mortes.
Il suffit de prendre l’exemple des pratiques religieuses, accomplies avec
ferveur par les uns, alors qu’elles sont déjà devenues pour d’autres des
formalités, qu’il faut faire par prudence, par routine, ou pour d’autres
raisons qui n’ont plus rien à voir avec la croyance religieuse. Inverse-
ment, la publicité cherche en permanence à transformer les objets les
plus utilitaires ou les plus fonctionnels de la vie moderne (la voiture, les
chaussures de sport, le transistor, l’ordinateur) en « objets culte » à tra-
vers lesquels ce n’est pas un besoin qui serait satisfait mais un « désir
d’être », impossible à combler et donc en quête perpétuelle de nou-
veaux biens, démodés avant d’être usés, où s’investissent de façon fan-
tasmatique des identités éphémères.

L’école entre les tactiques culturelles et les stratégies institutionnelles


Toute la question est de savoir comment penser à nouveaux frais
l’école et ses missions dans un environnement qui se situe à ses anti-
podes. En effet, on est obligé de dresser un constat de décès. Il faut
reconnaître qu’est morte l’école qui était le lieu unifiant des connais-
sances, dépositaire du trésor des savoirs et gardienne des clefs qui y
donnaient accès ; une école qui offrait à tous le salut par l’étude et
l’amour du savoir. Ou plutôt, est morte cette représentation d’une école
qui n’a sans doute jamais existé – mais il suffisait que cette croyance
soit collectivement partagée pour qu’elle soit légitime. Quel peut être le

206
nouvel espace d’action de l’école et son projet culturel, comment
l’école peut-elle participer, sans se renier, au travail, beaucoup plus
vaste (38), qui désigne aujourd’hui « la culture » ?
Pour répondre à cette question, il faut accepter de défaire davantage
notre représentation scolaire de la culture, si attachée à des œuvres ins-
crites dans une institution de transmission obligatoire et contrôlée. Si la
culture n’est pas dans des produits (les livres) mais dans des gestes et
des actions (lire et parler de ses lectures avec d’autres), si elle est un
« faire » porteur de sens, elle doit en permanence être envisagée du
point de vue des acteurs. Michel de Certeau oppose ainsi les stratégies,
portées par les institutions, et les tactiques, improvisées par les acteurs.
Les stratégies maîtrisent l’espace de leur action, jouent des rapports de
force, capitalisent leurs résultats, définissent des projets, imposent des
programmes. Les cultures sont au contraire du côté des tactiques : de la
même façon que les locuteurs empruntent leurs énoncés à une langue et
conversent en fonction des rencontres, chaque acteur impose, à sa
façon, sa marque propre sur ce qui lui est donné à faire, à comprendre
ou à vivre. Mais il n’est pas maître du terrain sur lequel il se meut, il ne
constitue pas la donne de ce qu’il rencontre : la culture se joue toujours
« sur le terrain de l’autre ».
Le paradigme du geste « stratégique » serait ainsi l’écriture, dans la
mesure où les écrivains sont « fondateurs d’un lieu propre, héritiers des
laboureurs d’antan, mais sur le sol du langage » (39). En revanche, la
lecture est un bon paradigme du geste culturel, avec ses lecteurs voya-
geurs qui « circulent sur les terres d’autrui, nomades braconnants à
travers des champs qu’ils n’ont pas écrits ». De chaque rencontre
« marquante », chacun sort ainsi « marqué », transformé, c’est-à-dire ni
aliéné, dépossédé de soi-même, ni intact, c’est-à-dire inchangé, mais
« altéré », c’est-à-dire transformé et assoiffé d’un nouveau manque. La
réception n’est donc pas comme pure passivité. Les spectateurs de télé-
vision, comme les enquêtes le montrent, loin d’être manipulés par la
toute-puissance de l’écran, apprennent (plus ou moins vite) à trier dans
ce qu’ils perçoivent ou retiennent. Chacun a une manière de prendre et
de recevoir qui limite singulièrement les effets du message et le pouvoir
du médium (40). Si la réception est une activité, un processus d’appro-
priation, il n’est pas possible de penser les apprentissages culturels sur
le modèle de l’enrichissement économique (le lecteur cultivé resterait le
même en ayant simplement accru la bibliothèque mentale de ses
savoirs). En lisant et en fermant le livre avant la fin, en regardant la télé-

207
vision ou en éteignant le poste, en parlant de ce que j’ai vu ou lu, je
continue à construire mon identité.
Toute la difficulté est de savoir comment la transformation de soi qui
s’effectue dans un processus d’éducation imposé se nourrit de pratiques
issues de sols culturels hétérogènes ou conflictuels. Là où la « vision
des vainqueurs » a été imposée de force aux vaincus (41), que se passe-
t-il ? Continuent-ils de vivre une double vie, avec une identité clivée ?
Comment les enfants apprennent-ils la prudence qui sépare strictement
ce qu’ils peuvent dire et montrer en public ou à l’école et ce qui
continue de normer leurs vies privées ? Deviennent-ils amnésiques ?
Quels sont les effets du silence social qui accompagne ces oublis, ces
refoulements, ces autocensures ?
Les anthropologues ont montré que subsistent presque toujours, de
façon secrète, certains débris d’héritage qui, comme les interdits ali-
mentaires, les bijoux de famille ou le culte des morts, se transmettent de
génération en génération. Certains individus vivent les métissages avec
plus de bonheur ou de sagesse, jouant avec virtuosité de leur double
appartenance. Mais comment qualifier celui qui a consenti à la violence
d’une acculturation forcée, qui a si bien adopté les savoirs de l’autre
qu’il est devenu « un autre homme » ? un assimilé ou un aliéné ? un élu
ou un traître ? un transfuge ou un parvenu ? ou simplement un très bon
élève ? Ainsi, parce qu’elles sont, non des savoirs objectivés, mais des
savoir-faire consubstantiels à leurs acteurs, les cultures ne se capitali-
sent pas en objets, en produits, mais seulement en mémoire et en gestes
incorporés. Ce sont eux qui définissent les identités, c’est-à-dire les
manières et d’agir et d’être au monde.

Culture, sens pratique, rationalité


La disjonction entre culture et savoir en recouvre donc une autre, plus
essentielle, entre sens et rationalité. La rationalité est du côté des dis-
cours construits, qui enchaînent des opérations de façon cohérente, des
prémisses aux conclusions, des hypothèses aux résultats, des causes aux
effets, des moyens aux fins. Tous les discours théoriques des sciences
humaines fascinent ou séduisent parce qu’ils transforment le monde en
livre, mettent dans la confusion chaotique des événements et des phéno-
mènes, la merveilleuse lisibilité de l’ordre du discours, lisibilité
construite, abstraite, imposée ou désirée. Bref, c’est la théorie. Dans la
pratique, chacun sait que les choses se passent autrement, que l’ordre
du discours ne suffit pas pour guider l’action avec sécurité et efficacité.

208
Il peut même, souvent, induire en erreur. Le discours théorique déter-
mine parfaitement la hiérarchie des importances et l’ordre des raisons :
sciences des espaces construits. Mais il ne sait rien sur l’ordre des
urgences, puisque celui-ci varie selon les conjonctures et les contextes ;
et qu’il n’existe pas de science du temps irréversible et de ses occur-
rences imprévisibles.
Pour savoir comment agir ici et maintenant, les cultures, au contraire,
sont souveraines. Ainsi, il existe des programmes académiques de for-
mation qui définissent rationnellement les savoirs nécessaires à une pro-
fession, les objectifs opératoires et les relations entre théorie et pra-
tique. Pourtant, tout le monde sait que les cultures professionnelles se
transmettent toujours de bouche à oreille, au fil des rencontres et des
expériences. Ces arts de faire se transmettent à l’insu des hiérarchies
qui les ignorent ou les tolèrent. Parfois, elles les dénoncent ou les com-
battent comme autant de routines conservatrices : les anciens appren-
nent aux novices comment interpréter les injonctions des supérieurs
hiérarchiques sans s’affronter directement à eux, comment habiller les
pratiques anciennes avec les mots des nouveaux discours officiels, com-
ment ruser avec des prescriptions ressenties comme « impossibles ». Ils
savent aussi comment faire du neuf avec du vieux, innover pour
répondre à des situations non prévues par les textes et qu’il faut pour-
tant bien assumer. Ces « arts de faire » s’avèrent inventifs, bricoleurs,
ingénieux, du fait qu’il faut sans cesse gérer des contradictions inso-
lubles, inventer des compromis, répondre à des situations aussi urgentes
qu’imprévisibles. L’objectif n’est pas toujours d’« accroître l’efficacité
du système éducatif » ; mais la vie quotidienne en dépend, et parfois la
survie.
Ainsi, bien qu’ils ne s’inscrivent pas dans la logique de la rationalité
discursive, ces savoirs ne sont nullement irrationnels. Pas irrationnels
mais inconscients. Ils demeurent, la plupart du temps, invisibles et
inconnus de ceux-là mêmes qui les pratiquent. Comme l’écrit Michel de
Certeau : « Il s’agit d’un savoir que les sujets ne réfléchissent pas. Ils
en témoignent sans pouvoir se l’approprier. Ils sont finalement les loca-
taires et non les propriétaires de leur propre savoir-faire » (42). C’est
sans doute ce qui explique que tant de praticiens (parmi lesquels les
enseignants, mais pas seulement eux) puissent adopter en toute bonne
foi, sans ressentir de contradiction, des discours théoriques que leurs
pratiques professionnelles devraient « logiquement » leur interdire.
Inversement, les logiques d’action se coulent mal dans les discours de
l’abstraction généralisante : le sol de toute véritable réflexion théorique

209
est toujours l’expérience vive, celle de l’étude de cas, c’est-à-dire le tra-
vail clinique.
En mettant la culture du côté du faire et non de l’avoir, on peut
déplacer les interrogations habituelles sur les missions de l’école ou sur
les démissions de l’institution. Il est ainsi possible de saisir à sa source
la fascination de l’école pour la rationalité discursive, qui conduit les
pédagogues les plus tacticiens à se rêver stratèges, c’est-à-dire à conce-
voir leur action comme une technique entièrement déductible d’une
théorie : les sciences de l’éducation, les modélisations scientifiques, les
rationalisations technocratiques sont devenues les références obligées
de la réflexion des chercheurs ou des décideurs. À l’inverse, on com-
prend pourquoi ces discours passent mal dans la pratique, puisque les
théories sont hors du temps. Or le souci constant des praticiens est que
le temps manque toujours. Comment faire entrer les programmes dans
les calendriers ? Comment conjuguer le temps des projets et celui des
expériences mémorables, le temps du travail jamais terminé et celui des
résultats acquis (savoirs mémorisés, oubliés, retrouvés) ?

La culture scolaire comme réécriture de l’histoire


Pourtant, la question à laquelle il nous faut revenir pour conclure est
celle de la culture scolaire que nous avons posée au départ. Quel sort
cette conception de la culture en acte, définie comme une pratique
sociale, fait-elle à la culture patrimoine, telle que la définit et l’impose
de façon autoritaire l’institution scolaire? Peu importe que le mot soit
pris dans un sens étroit (la culture, ce sont les humanités littéraires) ou
élargi (la culture, c’est le corpus illimité de la littérature mondiale). On
peut même accepter de définir la culture de façon moderne, englobant
les techniques et les sciences. Ce corps constitué des savoirs imposés
par les programmes, les manuels, les examens, les traditions ensei-
gnantes est manifestement du côté des prescriptions stratégiques et de
la rationalité discursive. Il est bien clair qu’elle n’est pas une réalité
matérielle, objectivée, mais une représentation instituée, une référence
commune, décrétée « propriété collective ». Décrétée par qui et com-
ment ?
Ce que l’histoire de l’éducation nous apprend, c’est que cet héritage
ne cesse d’être l’objet d’âpres conflits et négociations au fil du temps. À
chaque génération, des corporations, des groupes d’intérêt, des mili-
tants, des spécialistes se battent pour faire triompher leur point de vue,
imposer leurs visées ou leurs savoirs disciplinaires. D’autres veulent

210
maintenir leurs privilèges ou faire reconnaître leurs droits. Ces conflits
apparaissent d’autant mieux que l’on est plus près des instances de
décision (qui doivent arbitrer). Ils apparaissent d’autant plus que l’on
est en période de réforme (les porte-parole écrivent dans la presse,
débattent à la télévision ou mobilisent l’opinion). Cependant, il est une
règle dont personne ne peut se départir, dans un débat public sur l’école
d’une société démocratique : il n’est pas permis de dire que l’on se bat
pour des intérêts particuliers ou un parti pris, on se bat seulement pour
le « bien commun ». Qu’il s’agisse de méthode de lecture, d’initiation à
l’informatique, de nouvelles épreuves d’examen, les grands principes
s’appelleront selon les cas « intérêt de l’enfant », « défi de la
modernité », « démocratisation », « résistance à l’inculture », « main-
tien des exigences », « ouverture au monde » ou « pédagogie de l’inno-
vation », bref, il s’agit toujours de défendre la civilisation en péril.
Ce travail permanent du champ de la culture scolaire légitime res-
semble à ce que Michel de Certeau nomme une « opération historio-
graphique », une réécriture de l’histoire (43). L’institution scolaire ne
cesse de remettre en chantier un corpus référentiel à travers lequel, de
façon tacite, elle règle des comptes avec le présent. Cependant, comme
il est plus facile d’ajouter que de retrancher, de régler les conflits en
donnant aux uns sans enlever aux autres, la dernière vulgate n’efface
pas toujours les anciennes. La culture légitimée par l’école devient ainsi
un répertoire d’orientations si vaste que chaque enseignant doit puiser
et choisir, pour faire ce qu’il peut, ou ne faire que ce qu’il veut. Devant
une matière surabondante, chacun risque d’être renvoyé à des choix
subjectifs (ce que j’ai toujours fait), locaux (ce qui marche dans ce
milieu, avec ces enfants-là), instables (l’an prochain, j’essaie autre
chose). Bref, la culture scolaire ressemble de plus en plus à la culture de
masse.
Pourtant, les polémiques publiques montrent qu’une autre dynamique
continue d’y être à l’œuvre. Entre tous les savoirs possibles, l’école
choisit, doit choisir ceux qui ont valeur formatrice essentielle pour les
jeunes générations. Ou plutôt ceux dont « la société » croit qu’ils sont
non seulement utiles, mais nécessaires, importants, éducatifs. La culture
à transmettre, telle qu’elle est définie traditionnellement, est donc ce qui
fait l’objet d’une croyance partagée, croyance non pas individuelle,
mais collective et inscrite dans des institutions. C’est ce qui la distingue
définitivement des biens marchands. Au fil du temps, les réformes insti-
tutionnelles obligent les acteurs à définir leurs positions par rapport aux
changements en cours ; ce que certains jugent primordial est considéré

211
par d’autres comme archaïque ou superflu. Les uns croient à l’informa-
tique pour tous, les autres à la lecture des contes, les uns ne voient pas
de formation possible hors des sciences et des mathématiques, d’autres
font des langues et des arts la pierre de touche de l’éducation. De ses
croyances, personne ne décide, puisqu’elles se sont imposées à chacun
au fil de ses expériences, de ses rencontres, de ses pratiques, et, pour
beaucoup, des expériences scolaires passées. Aucune rationalité ne peut
donc trancher entre elles, puisque autre chose est en jeu qui n’est pas
négociable et qui est l’histoire singulière ou partagée de la relation de
chacun non aux savoirs mais aux valeurs qu’il leur accorde.
Les bouleversements qui ébranlent le socle culturel de l’école sont
donc à chercher non du côté des révolutions des savoirs ou des tech-
niques, mais du côté des révolutions du croyable (44) : une génération
ne croit plus à ce qui était l’évidence partagée d’une autre ou, place
soudain ses espérances dans une innovation jugée salvatrice, qui était
inimaginable pour la génération d’avant. Les révolutions culturelles
sont ainsi du côté des effondrements d’illusions (on ne croit plus que
l’école christianisera la société, ou protégera les démocraties contre les
dictatures, ou éradiquera l’illettrisme, ou préparera des lendemains qui
chantent). Elles sont aussi du côté des espérances sans cesse renais-
santes (le XXe siècle sera l’ère nouvelle du libre accès à l’information,
des échanges réciproques de savoirs et des convivialités mondiales, via
Internet). Elles provoquent l’étonnement incrédule des générations sui-
vantes (comment est-ce qu’ils pouvaient croire des choses pareilles ?).
Ainsi, comme l’Église hier, comme le pouvoir politique aujourd’hui,
l’école se trouve au centre des mutations liant le pouvoir et la parole.
En ce sens, la question de la culture nous permet de saisir que l’enjeu
central de l’école n’est pas du côté de l’articulation entre la théorie (que
puis-je savoir ?) et la pratique (que dois-je faire ?). Ou plus exactement
que les deux premières questions de Kant n’ont de sens que par la troi-
sième : « Que m’est-il permis d’espérer ? » « Que m’est-il permis d’es-
pérer », et non pas « qu’est-il raisonnable d’escompter? ». Comme les
sociétés cotées en bourse, l’école ne vit que du crédit qu’on lui fait,
mais il s’agit d’un crédit métaphysique.

Anne-Marie CHARTIER

212
NOTES
(1) Ce texte est la version remaniée d’un chapitre de livre à paraître au Mexique en
2003 (Fondo Economico y Cultural ed.). Il reprend en troisième partie de une partie la
réflexion sur les analyses de Michel de Certeau présentées dans « L’école éclatée »,
Le Bloc-notes de psychanalyse, 7, sept. 1987, p. 249-268.
(2) Dans les pays protestants qui gardent la référence à la Bible et assument une tra-
dition d’éducation chrétienne ou christianisée (sous des modalités très variables) dans le
cadre d’Églises nationales, il semble que se développent bien plus aisément des pro-
grammes et des discours pédagogiques pragmatiques (adapter les écoles aux demandes
familiales et aux finalités utilitaires de la demande sociale), discours qui ne cesse en
France d’être stigmatisé (enseignement de ségrégation sociale, ou éducation au rabais
pour le peuple).
(3) BERGOUNIOUX (P.), Un peu de bleu dans le paysage, Lagrasse, Verdier, 2001,
p. 59.
(4) RATIO STUDIORUM, Plan raisonné et institution des études dans la compagnie
de Jésus, édition latin-français, présentée par A. Dumoustier et D. Julia, Paris, Belin,
1997 ; COMPÈRE (M.-M.) et CHERVEL (A.) dir., « Les humanités classiques »,
numéro spécial d’Histoire de l’éducation, 74, mai 1997, Paris, INRP.
(5) FUMAROLI (M.), L’Âge de l’éloquence, Genève, Droz, 1980 (réédition Albin
Michel, 1994) ; Héros et Orateurs, Genève, Droz, 1990 (réédition Albin Michel, 1996).
(6) CHERVEL (A.), La Composition française au XIXe siècle, Paris, Vuibert-INRP,
1999.
(7) CHERVEL (A.), Les Auteurs français, latins et grecs au programme de l’ensei-
gnement secondaire de 1800 à nos jours, Paris, INRP et Publications de la Sorbonne,
1986 ; JEY (M.), La Littérature au lycée : invention d’une discipline (1880-1925),
Metz, université de Metz, 1998.
(8) LANSON (G.), « Dix-septième siècle ou dix-huitième ? », Revue bleue, 14,
5e série, tome IV, 30 septembre 1905.
(9) Cette assimilation du christianisme à la civilisation est une évidence durable au
XIXe siècle. Ainsi, Victor de Laprade, académicien : « Lors même que l’on voudrait
écarter de l’esprit des enfants les croyances et traditions religieuses, il n’y a pas moyen
de former des intelligences libres, élevées, ouvertes aux idées morales, sans admettre en
première ligne, parmi les objets d’étude, l’ensemble des doctrines qui constituent le
christianisme. Sans morale chrétienne, pas d’honnête homme, sans doctrine chrétienne,
pas d’homme éclairé. Il y a donc, outre l’éducation religieuse proprement dite, une édu-
cation chrétienne qui s’impose aux plus libres penseurs, s’il veulent rester dans la civili-
sation », L’Éducation libérale, Paris, Didier, 1873, p. 1. Soulignons que l’auteur parle
des « doctrines qui constituent le christianisme » et d’« éducation chrétienne » et pas
d’éducation catholique.
(10) CHARTIER (A.-M.) et HÉBRARD (J.), Discours sur la lecture 1880-2000,
Paris, Fayard, 2000 ; en particulier : « Lire dans les manuels de lecture », p. 332-388 ;
CHARTIER (A.-M.), « La littérature de jeunesse à l’école primaire : histoire d’une ren-
contre inachevée », in ZOUGHEBI (H.) dir., La Littérature dès l’alphabet, Paris, Galli-
mard Jeunesse, 2002, p. 141-157.
(11) ISAMBERT-JAMATI (V.), Crises de la société, crises de l’enseignement, Paris,
PUF, 1970 ; CHARTIER (A.-M.) et HÉBRARD (J.), op. cit., « Crises de l’école, crises
de la lecture », p. 389-494 ; CHARTIER (A.-M.), « Former la jeunesse par la culture lit-
téraire : le projet des Cahiers pédagogiques (1945-1958) », Hermès, n° 20, 1996,
p. 205-212.
(12) MORIN (E.), L’Esprit du temps, Paris, Grasset, 1962. La même année paraît la
revue Communications ; au sommaire du numéro 1 : « Enseignement et culture de
masse » et « L’industrie culturelle ».

213
(13) DIEUZÈDE (H.), Télévision et Éducation, Paris, 1959.
(14) CLARAC (P.), L’Enseignement du français, Paris, PUF, 1963.
(15) Les différents ministères de la Culture étendent peu à peu leur tutelle, du patri-
moine des Beaux-Arts aux bibliothèques (auparavant à l’Éducation nationale) et aux
« masses-médias » (télévision, aide à l’édition, au cinéma, etc.) : la nouvelle conception
de la culture se traduit en réalité institutionnelle.
(16) En particulier, les revues L’Éducation et Cahiers pédagogiques, analysées
exhaustivement entre la Libération et les années 1980.
(17) CHATEAU (J.), La Culture générale, Paris, Nathan, 1960.
(18) GRITTI (J.), Culture et techniques de masse, Paris, Casterman, 1968.
(19) Tout un secteur éducatif se consacre alors à « scolariser l’audiovisuel » (télévi-
sion scolaire, laboratoires de langue, sémiologie de l’image) (à l’OFRATEM, au CAV,
etc.).
(20) MCLUHAN (M.), The Gutenberg Galaxy, Toronto, 1962 (trad. française 1967).
(21) BOURDIEU (P.) et PASSERON (J.-C.), Les Héritiers ; les étudiants et la cul-
ture, Paris, Minuit, 1964.
(22) BOURDIEU (P.), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit,
1979.
(23) C’est un thème récurrent chez de nombreux écrivains, par exemple chez Annie
Ernaux dont les romans (La Place, Gallimard, 1983, prix Renaudot) ont un grand écho
dans le monde enseignant.
(24) CHARTIER (A.-M.), « Former la jeunesse par la culture littéraire : le projet des
Cahiers pédagogiques (1945-1958) », Hermès, n° 20, 1996, p. 205-212.
(25) SENGHOR (L.), Liberté I ; négritude et humanisme, Paris, Le Seuil, 1964 ;
MÉTRAUX (A.), Religions et magie indiennes d’Amérique du Sud, Paris, Gallimard,
1967.
(26) « Minorités nationales en France », Les Temps modernes, août-sept. 1973,
p. 324-325-326 ; HELIAS (P.-J.), Le Cheval d’orgueil, mémoire d’un Breton du pays
bigouden, Paris, Plon, 1975.
(27) POUJOL (G.), LABOURIE (R.) dir., Les Cultures populaires, Privat, 1979.
(28) « Cinéma des minorités ethniques », Image et Son, 293, février 1975, p. 17-86.
(29) DEBORD (G.), La Société du spectacle, Paris, Buchet-Chastel, 1967.
(30) BAUDRILLARD (J.), La Société de consommation, Paris, Gallimard.
(31) MOLES (A.), Sociodynamique de la culture, Paris, Mouton, 1967.
(32) GELPI (E.), Culture paysanne, culture ouvrière et identité culturelle, conférence
de l’UNESCO, novembre 1976.
(33) BELLEVILLE (P.), Les Attitudes culturelles des travailleurs manuels, Centre de
culture ouvrière, Metz, 1977.
(34) DUVIGNEAU (J.), La Planète de jeunes, Paris, Stock, 1975.
(35) SULLEROT (E.) dir., Le Fait féminin, Paris, Fayard, 1978.
(36) Toutes les discussions autour du port du foulard islamique et des « signes » d’ap-
partenance religieuse manifeste à partir de 1989 et les contradictions du corps ensei-
gnant et de l’institution à ce sujet.
(37) DE CERTEAU (M.), La Prise de parole, Paris, Desclée de Brouwer, 1968 ; La
Culture au pluriel, Paris, UGE, 1974 ; L’Invention du quotidien, Les arts de faire, UGE,
1980 (en coll. avec Luce Giard) ; L’Ordinaire de la communication, Paris, Dalloz, 1983.
(38) « L’école peut être un des points où s’effectue, grâce à une pratique collective, le
réajustement entre des modèles culturels contradictoires », La Culture au pluriel, op.
cit, p. 123.
(39) DE CERTEAU (M.), L’Invention du quotidien, op. cit., chapitre XII, « Lire, un
braconnage ».
(40) HOGGART (R.), The Uses of Literacy, 1957, trad. La Culture du pauvre : étude
sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970.

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(41) WACHTEL (N.), La Vision des vaincus, Paris, Gallimard, 1971.
(42) DE CERTEAU (M.), L’Invention du quotidien, op. cit., p. 139.
(43) DE CERTEAU (M.), L’Absent de l’histoire, Mame, 1973 ; L’Écriture de l’his-
toire, Gallimard, 1975.
(44) DE CERTEAU (M.), L’Invention du quotidien, op. cit, 5e partie, « Manières de
croire ».

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