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NATHALIE COUTELET

OCTAVE MIRBEAU PROPAGANDISTE DU THÉÂTRE POPULAIRE

A partir de novembre 1899, un groupe de jeunes journalistes tenta de fonder un


théâtre populaire à Paris ; parmi eux se trouvait Octave Mirbeau. L’idée du théâtre populaire
est en effet « dans l’air du temps » et suscite depuis quelques années de nombreuses
interventions. Activement soutenu par la Revue d’Art dramatique, qui diffuse les différents
articles et lance même un concours afin de récompenser le meilleur projet, ce comité est
composé d’Henry Bauer1, Lucien Besnard2, Anatole France3, Gustave Geffroy4, Maurice
Bouchor, Georges Bourdon, Robert de Flers5, Lucien Descaves6, Louis Lumet, Maurice
Pottecher, Romain Rolland, Octave Mirbeau, Camille de Sainte-Croix, Edouard Schuré7,
Gabriel Trarieux8, Jean Vignaud9 et Emile Zola.
A cette époque, Mirbeau est déjà connu comme polémiste et son article « Le
comédien », paru en 1882, est encore dans les mémoires, tout comme la réponse de
Coquelin. Les membres sont tous plus ou moins rattachés à la Revue d’Art dramatique ou,
plus généralement, à la presse et ont milité activement en faveur du théâtre populaire.
Certains ont même fondé des établissements, comme Lumet, créateur du Théâtre Civique10,
Pottecher, animateur du Théâtre du Peuple de Bussang ou Bouchor, créateur de la Société
des lectures populaires, ainsi que du projet de théâtre populaire en 1900 et qui fait également
partie de l’Association populaire d’art dramatique et lyrique, patronnée par Sainte-Croix11.
Bourdon, fondateur en 1886 du Cercle des Escholiers, théâtre élitiste, lié au symbolisme,
semble a priori plus éloigné des démarches visant à la démocratisation du spectacle.

1
Critique dramatique de l’Echo de Paris.
2
Auteur dramatique, il a par exemple composé le Domaine (1901, Gymnase).
3
Il fait partie de la commission rattachée à la Société des Universités populaires, fondée le 12 mars
1898.
4
Journaliste, il publie des articles au sein du Journal.
5
Il publie plusieurs articles en faveur du théâtre populaire dans la Liberté. Gendre du dramaturge
Victorien Sardou, il compose, en collaboration avec E. Rey, la Belle Aventure, et avec Caillavet, l’Ane de
Buridan et le Cœur a ses raisons. Il est chargé de la critique dramatique de la quinzaine au sein de la Revue
d’Art dramatique.
6
Dramaturge, il est l’auteur de la Cage (1898, Théâtre Antoine) et collabore avec Maurice Donnay pour
la Clairière (1899, Théâtre Antoine) et pour Oiseaux de passage (1904, Théâtre Antoine).
7
Il publie, en 1900, deux drames, les Enfants de Lucifer et la Sœur Gardienne, sous le titre de Théâtre
de l’Ame. Il a également composé des études esthétiques, comme le Drame musical ou Richard Wagner.
8
Dramaturge, il est l’auteur de Joseph d’Arimathie (1898, Théâtre Antoine) ou encore de la Dette
(1909, Théâtre Antoine). Il publie des articles dans la Revue et est adjoint au Comité de la Revue d’Art
dramatique en 1898, chargé du théâtre étranger.
9
Collaborateur littéraire de la Revue d’Art dramatique, il en devient secrétaire de rédaction et chargé des
relations avec la presse et les théâtres en 1898.
10
Fondé en 1897, le Théâtre Civique présente des spectacles dramatiques, des récitals de poésie et de
musique, gratuits, dans les quartiers de Paris et la banlieue (Montparnasse, Montmartre, etc.). Sans salle fixe,
Lumet et sa troupe d’amateurs durent louer des salles pour présenter un répertoire social, dont le Danton, de
Romain Rolland, en janvier 1900.
11
C. de Sainte-Croix mènera d’ailleurs ensuite une ardente campagne de presse, notamment par ses
articles dans la Petite République, pour la création de quatre grands théâtres subventionnés dans les faubourgs
parisiens. En 1905, il présente un projet d’utilisation des théâtres régionaux pour susciter la renaissance
dramatique dans tout le pays.

1
Néanmoins, il produit plusieurs articles, notamment dans la Revue bleue, afin de sensibiliser
l’opinion. Il n’aura de cesse d’étudier les possibilités d’élargissement du public et d’une
baisse des tarifs12. Rolland, quelques années plus tard, en 1903, publie Le Théâtre du
Peuple, brochure destinée à évoquer les diverses réalisations, ainsi que les directives à
suivre, quant à l’organisation, au financement ou au répertoire. Il s’illustre aussi par la
composition de pièces capables d’alimenter ces nouveaux lieux, comme son Théâtre de la
Révolution.
Octave Mirbeau, journaliste, s’est engagé depuis longtemps en faveur des
sculpteurs ou peintres. Dramaturge, ses pièces possèdent une connotation sociale, voire
anarchisante, comme L’Epidémie, qui vient d’être présentée au Théâtre Antoine l’année
précédente ; les Mauvais Bergers, qui ont reçu un accueil mitigé au Théâtre de la
Renaissance dirigé par Sarah Bernhardt en 1897 et le Portefeuille, qui sera monté en 1902
par Firmin Gémier à la Renaissance, de même que le Quatorze Juillet de Rolland. Ses
articles reviennent régulièrement sur le sujet du théâtre populaire, comme ceux de ses
confrères membres du comité. Les œuvres dramatiques, dont la résonance sociale commence
à retentir plus fortement, et la presse seront les principaux instruments de leur lutte ; ils
utilisent pleinement les ressources offertes par les tribunes, publiant même, dans la Revue
d’Art dramatique, qui devient l’organe officiel du mouvement, une « Lettre au Ministre de
l’Instruction Publique et des Beaux-Arts », Georges Leygues :

« Par votre réponse à M. Gustave Geffroy, vous venez de reconnaître le généreux


mouvement tenté en faveur de l’éducation populaire. Vous n’avez pas seulement prodigué
d’élogieuses paroles à l’œuvre de la Coopération des Idées, due à l’admirable initiative d’un
ouvrier, vous l’avez aidée de toute l’étendue de votre pouvoir. Cette bienveillance a été un
encouragement pour nous13. Tous ceux qui ont répondu à l’appel de M. Deherme, se sont
donné la belle mission de compléter, au sortir de l’école, l’éducation du peuple. A notre tour,
nous voulons lui donner un peu de joie. Celle que lui procurent ses cafés-concerts et ses
théâtres de quartier est énervante et stérile. Le peuple est près de la Beauté et il n’est point
besoin de beaucoup d’efforts pour la lui faire découvrir. Durant des siècles, on lui a laissé
ignorer le génie de ses poètes : Molière, Beaumarchais, Hugo, Musset sont à son esprit des
noms sonores dénués de sens. Beaucoup d’écrivains croient avec nous que le moment est
venu de les lui faire connaître, et nous pensons tous que du contact de la foule et des poètes
naîtrait sûrement un jour une littérature originale et puissante. C’est dans ce double but,
Monsieur le Ministre, que nous réclamons votre appui pour créer à Paris un théâtre
populaire.
Des divers points de la France notre appel sera entendu. Vous connaissez,
Monsieur le Ministre, les réalisations provinciales qui furent faites en ces dernières années14.
Toutes ces tentatives, différentes par leurs moyens d’action, sont animées d’un même zèle. A
Paris, le mouvement s’accentue de jour en jour et il ne se passe pas de semaine où dans
plusieurs quartiers, des professeurs ou des lettrés n’essaient de jouer quelque scène célèbre
de notre théâtre.
12
Il propose une augmentation de la subvention de l’Odéon, afin de systématiser l’effort du directeur,
Paul Ginisty, pour les soirées, matinées classiques et modernes et les conférences à prix réduits.
13
Georges Deherme, ouvrier typographe, est le secrétaire de la Société des Universités populaires. Avec
un petit groupe de Montreuil-sous-Bois, il a fondé le théâtre de la Coopération des Idées, faubourg Saint-
Antoine.
14
Il s’agit des théâtres, à l’existence en général éphémère, qui se multiplient en province et dont la
Revue d’art dramatique se fait l’écho : le Théâtre rustique poitevin de la Mothe-Saint-Hérayre, fondé en 1896 ;
le Théâtre de la Nature de Cauterets, inauguré en 1883 ; les mystères bretons réactivés par Charles Le Goffic et
Le Braz à Ploujean, à partir de 1898 et bien entendu le Théâtre du Peuple de Bussang, fondé en 1895 par
Pottecher.

2
Il serait beau de concentrer tous ces efforts, de réunir le faisceau de ces bonnes
volontés qui, se dispersant, s’épuisent. C’est là le rôle du théâtre populaire et sa création
s’impose. La période d’élaborations doit prendre fin.
Nous sommes décidés à l’action.
Selon ses ressources, la Revue d’Art dramatique ouvre dès aujourd’hui un
concours dont le prix de cinq cents francs, sera donné à l’auteur du meilleur projet de théâtre
populaire (…).
Paris ne devrait-il pas posséder une salle de spectacle où, pour des prix modiques,
l’ouvrier serait assuré de voir représenter nos chefs-d’œuvre ? Tous les autres pays nous ont
devancés ; à Berlin, à Vienne, en Russie, de sérieux et fructueux efforts ont été tentés.
Nous vous demandons, Monsieur le Ministre, de vouloir bien nous témoigner
votre intérêt et reconnaître nos efforts en envoyant en Europe un délégué qui étudierait tout
ce que l’on a réalisé sous le nom de théâtre populaire.15 »

Le Comité évoque non seulement les tentatives qui se multiplient alors en


province pour créer un théâtre ouvert à tous, mais encore les établissements étrangers,
notamment allemands, qui constituent une référence majeure pour la plupart des théoriciens
français. En effet, la Volksbühne notamment offrait le modèle d’une démocratisation
artistique réussie, avec un nombre considérable d’adhérents et des représentations de qualité.
Le secteur public allemand, qui regroupe les théâtres d’Etat et de ville, est beaucoup plus
important qu’en France, argument qui en général aiguillonnait la fierté nationale ; les
subventions, de même, sont très conséquentes et permettent aux différents établissements de
financer des troupes permanentes. La Finlande avait également inauguré en 1893, grâce à
l’Union Ouvrière de Tampere, une société de musique, de chant et de théâtre qui se
transforma en théâtre ouvrier à partir de 1901. L’honneur du pays était donc en jeu et le
Comité utilisait cet argument afin d’obtenir le soutien de l’Etat dans son projet de théâtre
populaire. En outre, l’augmentation des associations ouvrières, la montée du syndicalisme
favorisaient les démarches concernant l’éducation populaire et la propagation de la culture
au sein des couches sociales défavorisées.
A ce titre, la concurrence du café-concert, du music-hall – pas encore du
cinématographe – commençait à inquiéter non seulement les professionnels du théâtre, mais
encore les politiques. Pour tous, il devenait urgent de réagir et de proposer des
divertissements de qualité accessibles, comme le moyen d’amener le patrimoine culturel,
incarné par Molière ou Beaumarchais, au peuple français qui le méconnaissait bien souvent.
La délégation envoyée au ministère de l’Instruction publique, reçue par Georges
Leygues, trouva rapidement un terrain d’entente. Mirbeau, qui en faisait partie, profita de
l’occasion pour lancer au ministre quelques pointes sur les théâtres subventionnés. Il avait à
plusieurs reprises participé aux soirées des Universités Populaires, où il donna notamment
des lectures de ses Mauvais bergers ; il avait retiré de cette expérience la conviction que le
peuple possédait un sens artistique inné, qu’il fallait encourager par des représentations de
chefs-d’œuvre, des récitations, des conférences ou encore des récitals :

« Il faut que le Théâtre du Peuple soit, et il fait qu’il soit grand et beau. Grand,
parce qu’il ne doit pas, un seul jour, refuser un seul spectateur ; beau, parce que le peuple a
besoin de beauté, que la beauté est une force éducatrice et civilisatrice, et parce que la beauté
et la liberté sont les seules raisons d’aimer la vie. On tâchera donc de trouver des architectes
qui abîment le moins possible la conception des artistes. On leur demandera un théâtre vaste

15
« Lettre au Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts », in la Revue d’Art dramatique,
nouvelle série, tome VIII, octobre-décembre 1899, p. 161-163.

3
et confortable, selon le modèle des théâtres antiques (…), avec des places équivalentes et
d’un prix uniforme.16 »

Comme la plupart de ses collaborateurs, il désire un établissement neuf,


spécialement conçu pour les nouveaux objectifs fixés, avec un grand nombre de places. Il
paraît en effet impossible de créer un théâtre pour le peuple dans une petite salle, synonyme
d’élitisme. De même, le refus de ségrégation sociale, symbolisée par les loges et balcons de
l’architecture à l’italienne, demeure un élément primordial dans la perspective de
démocratisation du spectacle. Mirbeau met aussi l’accent sur l’aspect éducatif, mission
première du théâtre populaire. Il s’inscrit dès lors dans le courant à la fois politique et
artistique qui oeuvrait en faveur de l’accession de tous à la culture, qui militait pour un
développement de l’instruction, plus spécifiquement au sein des classes ouvrières.
Lors de l’entretien au ministère, G. Leygues accueillit favorablement ces
demandes, évoqua l’attribution d’un prix pour le concours – alors que la Revue d’Art
dramatique l’avait déjà prévu – et l’introduction dans le budget d’une subvention pour le
Théâtre du Peuple, puisque les discussions allaient s’ouvrir quelque temps plus tard.
Cependant, seule la requête d’une mission d’étude commanditée par le gouvernement fut
exaucée :

« Nous nous réunissions chaque semaine dans les bureaux de la Revue d’art
dramatique pour tenter de la mettre en œuvre, cette idée qui paraît si simple et qui, grâce aux
intérêts qu’elle ménage et aux préjugés qu’elle combat, reste si difficile à réaliser, et si
compliquée !…(…). Ah ! nous en avons fait des projets et des projets… des démarches et
des démarches. Nous en avons entendu des choses comiques, des choses à mettre dans des
pièces, où le peuple se fût esclaffé, car il a, bien plus que les classes riches, le sens de la
merveilleuse et saine ironie… M. Adrien Bernheim, conseil officieux, mais enthousiaste et
non pas encore libéré de ses attaches officielles, assistait à nos réunions, nous encourageait et
nous décourageait tour à tour… pour nous maintenir dans une juste mesure. Il s’était même
fait le voyageur du Comité… Il allait à Vienne, à Munich, à Berlin, à Copenhague, le diable
m’emporte !… Il allait partout, étudiant sur place, analysant, comparant les progrès des
autres pays avec les nôtres… et il revenait mystérieux, ayant vu des choses qu’il ne nous
disait pas… des choses admirables… d’autant plus admirables que nous ignorions ce
qu’elles étaient…
- L’idée marche… l’idée marche !… nous disait-il en clignant des yeux d’une
façon que nous trouvions pleine de promesses.
Et puis un beau jour, on ne le revit plus.17 »

Adrien Bernheim, inspecteur des Beaux-Arts, commissaire du gouvernement


auprès des théâtres subventionnés, fut l’un des acteurs officiels du théâtre populaire. Il
organisa plus tard les « Galas populaires » de l’Œuvre des Trente Ans de Théâtre, en 1901,
qui bénéficièrent, eux, d’une subvention de cinq cents francs octroyée par le Conseil
municipal de Paris, en plus du concours gracieux des scènes officielles ; en 1907,
l’entreprise présidée par Bernheim fut reconnue d’utilité publique par décret du Président de
la République. Les spectacles, donnés dans les salles des fêtes des mairies et les villes de
vacances, recouraient aux services des troupes et répertoires subventionnés, proposant des
représentations à prix réduits. Œuvre de bienfaisance destinée tout d’abord à récolter des
fonds au profit des artistes dans le besoin, cette initiative est très éloignée de l’idéal promu
par le Comité et ne constitue pas une avancée significative dans le domaine du théâtre
16
O. Mirbeau, interrogé par Georges Bourdon, in la Revue bleue, n° 14, 5 avril 1902, p. 479.
17
O. Mirbeau, « Le théâtre populaire », in le Journal, n° 3419, dimanche 9 février 1902.

4
populaire. Bernheim fut aussi le rapporteur des Beaux-Arts en 1920 et un soutien efficace
pour Gémier quant à la fondation du Théâtre National Populaire au Trocadéro. En revanche,
son action fut plus modeste au tournant du siècle, même s’il faut souligner que les conditions
économiques et sociales n’étaient pas identiques et expliquent en partie ce changement entre
l’attitude de 1900 et celle de 1920.
Les voyages d’étude à l’étranger réalisés par Bernheim, mandaté par Leygues,
confirmaient la nécessité et la viabilité d’une telle entreprise, renforçant la conviction des
membres du Comité. En 1902, il désirait encore rassembler les notes et documents glanés en
Allemagne, Autriche, Bohême et Belgique afin de fournir les preuves tangibles des réussites
européennes en matière de théâtre populaire. Il évoque la Freie Volksbühne de Berlin ; le
Stadttheater de Strasbourg et ses représentations populaires à cinquante centimes, dont les
places sont tirées au sort ; les représentations à trente centimes de Wiesbaden, Mannheim,
Dresde ou Francfort ; le Volkstheater de Vienne ; le Schiller Theater de Berlin, dont les
bénéfices sont partagés entre les artistes ; les Maisons du Peuple de Bruxelles, Liège,
Verviers et Charleroi ainsi que le Théâtre Populaire Flamand ; enfin, le Franz Josef Theater
de Berndorf, édifié par l’industriel Arthur Krupp à la seule intention de ses ouvriers 18. Tant
de modèles prestigieux ne pouvaient dissimuler le néant des réalisations concrètes en France.
La bonne volonté, l’énergie dépensée par le Comité comme par certains hommes politiques
ne pouvaient suppléer le manque de moyens ; Mirbeau mit à profit sa verve satirique pour
stigmatiser l’attitude du gouvernement dès qu’il était question de donner davantage qu’un
soutien de principe :

« - Je suis avec vous ! dit l’Etat, par la bouche aimable et fleurie de M. le ministre
de l’instruction publique… Mais comment donc !… un théâtre populaire !… Je ne pense
qu’à ça… Je n’en dors plus, cela me passionne au-dessus de tout ; vous n’imaginez pas !
(…). Satisfaire surtout !… Aimer le peuple !… servir le peuple… instruire le peuple – dans
la mesure, bien entendu, où l’Etat exige que le peuple soit instruit… – lui donner, à ce cher
peuple, accès aux chefs-d’œuvre expurgés… lui montrer une certaine beauté… autorisée par
les règlements et les traditions…. Approuvée par Nos Seigneurs les évêques laïques !… quel
plus bel acte de défense républicaine !… Comme ce serait démocratique, enfin !… Eh bien,
j’en parlerai à Bernheim !…
Et Bernheim, qui est le meilleur homme de la terre, un brave garçon tout feu, tout
flammes, tout gestes exubérants, tout promesses passionnées, et que les grandes questions –
les questions sociales, ah ! mais – emballent – ah ! quel emballé ! – s’écrie :
- Le théâtre populaire ! Mais le voilà, le théâtre à faire !… Le peuple ! Parbleu !…
Je crois bien !… Il n’y a que ça !… Il faut le construire tout de suite, entendez-vous ? ce
sacré théâtre-là ! et voulez-vous, des subventions ? Dites votre chiffre, et je le double !…
Car, enfin, un théâtre populaire ne peut pas aller, de-ci, de-là, traînant ses cothurnes éculés
dans de vieilles salles de spectacles !… C’est bien le moins que le peuple soit chez lui !… Il
faut donc que le théâtre soit neuf, immense et moderne ! Il n’y a rien de trop moderne pour
le peuple… rien de trop immense, sapristi !… rien de trop neuf, diable !… Il est souverain,
le peuple !… Allons, marchez ! Demandez immédiatement un terrain au Conseil municipal !
… tout ce que vous voudrez, la place du Trône, les Tuileries, les Halles, le Temple…
n’importe quoi… je vous le garantis d’avance !… Le Conseil ne peut rien vous refuser… ne
peut rien refuser au peuple… Vous êtes le peuple, quand le diable y serait !… Ah ! je la vois
d’ici, la soirée d’inauguration… la foule dans les rues… la joie… le bruit, et M. Loubet, sous
le péristyle éblouissant de lumière, M. Loubet, arrivant à pied, petit chapeau mou et veston…
et acclamé… acclamé… Le voilà, le véritable triomphe de la République !… Marchez,
bâtissez !…
18
Il s’exprime à ce sujet, interrogé par G. Bourdon, in la Revue bleue, n° 14, 5 avril 1902, p. 447-448.

5
J’en parlerai à Ginisty…
Et sur le conseil de Bernheim – car rien n’est plus communicatif, mais,
malheureusement, moins municipal qu’un conseil de Bernheim – le Conseil municipal est
interrogé. Il dit :
- Le théâtre populaire !… Voilà trente ans que nous y pensons. C’est le plus cher
de nos vœux !… Oui, voilà une idée magnifique !… Si nous sommes avec vous ?… Vous
osez le demander ? Voyons, le peuple… l’éducation du peuple, le prolétariat, le salariat…
etc… etc !… Seulement, nous ne pouvons pas vous donner de terrain, nous ne pouvons rien
vous donner ! Ah ! ce n’est pas les emplacements qui manquent ! Il y en a d’admirables et
qui feraient admirablement votre affaire. Mais, voilà, à côté des emplacements, nous avons
des règlements administratifs, et même des décrets qui empêchent qu’on les occupe !… Ah !
le théâtre populaire ! Voilà une belle chose !… et que tout le monde attend avec impatience !
…19»

L’Etat comme la Ville de Paris refusèrent – indirectement – leur aide concrète aux
militants, en s’abritant sous les prétextes les plus divers. Paul Ginisty, nommé co-directeur
de l’Odéon avec Antoine le 3 juin 1896, en conserva seul les rênes trois mois plus tard, après
la démission d’Antoine. Bernheim ne cite pas ce nom au hasard et Mirbeau fait ainsi allusion
aux velléités officielles concernant l’utilisation des théâtres subventionnés au profit d’un
théâtre populaire ; plutôt que de construire de toutes pièces un édifice – ce qui exigeait des
capitaux, un terrain, etc. – l’idée de propager le répertoire de la Comédie-Française, de
l’Odéon, de l’Opéra et de l’Opéra-Comique au cours de journées baptisées « populaires »,
c’est-à-dire à prix réduits, faisait son chemin au sein de la classe dirigeante. Elle se faisait
d’ailleurs l’écho de propositions, anciennes ou récentes, visant à diffuser les œuvres
classiques à des tarifs abordables pour tous. Ritt, directeur de l’Opéra, avait par exemple
remis en 1887 au ministre Fallières un projet détaillant le concours des troupes et répertoires
des scènes officielles et des concerts symphoniques pour donner, plusieurs jours par
semaine, des représentations à tarifs très bas, à Paris comme en province. Mirbeau, de même
que ses confrères de la Revue d’art dramatique, dédaignait cette possibilité qui transformait
la démocratisation du spectacle en formule « discount », dirait-on aujourd’hui, du théâtre.
Seul Camille de Sainte-Croix persévérait dans l’espoir d’une subvention accordée par les
Chambres, d’une part et dans celui d’une cession des théâtres du Châtelet ou de la Gaîté par
la Ville de Paris, d’autre part. Il défendait même l’idée d’un administrateur soumis à
l’approbation parlementaire.
Peu de professionnels partageaient cette opinion, trop méfiants envers cet Etat qui
leur promettait monts et merveilles sans jamais dépasser le stade des projets. Ce qui était en
jeu alors, ce n’était finalement pas tant le répertoire, le lieu ou la troupe, mais le concept
même de théâtre populaire. En rappelant avec cynisme la faiblesse du désir d’instruire le
peuple, Mirbeau dénonçait l’immobilisme du gouvernement face à l’éducation culturelle de
la nation et le manque d’envergure de cette politique et se résignait à étudier d’autres
modalités pour créer le Théâtre du Peuple :

« On ne demandera rien à l’Etat… (…).


Rien à l’Etat ni à aucun pouvoir constitué. La participation de l’Etat, c’est la
routine, le fonctionnarisme, l’étranglement, la mainmise officielle sur l’administration, sur le
répertoire, sur tout ; c’est Leygues et tous les sous-Leygues maîtres de la maison du peuple ;
c’est un sous-Odéon annexé à l’Odéon que nous subissons déjà… Non, non, le Théâtre du
Peuple doit être la chose du peuple ; il ne peut être que la création d’initiatives personnelles ;
19
O. Mirbeau, « Le théâtre populaire », in le Journal, 28 janvier 1900. Emile Loubet (1838-1929) fut
président de la République de 1899 à 1906.

6
et j’aime mieux n’importe quoi, même une commandite privée, qu’une subvention nationale.
Des actionnaires seront encore moins dangereux qu’un ministre. A compréhension égale, ils
seront tenus du moins par l’intérêt.20 »

Avec une certaine acrimonie, il est arrivé à la conclusion que le soutien officiel,
souhaité au début de l’aventure du Comité, ne constituerait qu’une entrave. En effet, de
nombreux artistes craignaient ainsi d’abdiquer leur liberté créatrice et de se soumettre à des
cahiers des charges trop contraignants. De plus, l’inertie des pouvoirs publics rendait
obligatoire le recours à d’autres modes de financement du théâtre populaire, sous peine de
voir le projet enfoui sous une pile d’autres dossiers dans un quelconque bureau ministériel.
Quelques années auparavant, en 1895, Mirbeau avait déjà stigmatisé la bêtise des officiels
face à la question de l’art dramatique en mettant en scène Frédéric Febvre, chargé d’étudier
le mouvement théâtral dans les divers archipels de la Polynésie21 et le ministre Leygues fit à
plusieurs reprises les frais de ses attaques dans la presse pour l’étendue de son incompétence
en matière artistique. En dehors du théâtre populaire, Mirbeau s’intéressait de près aux
établissements subventionnés et poursuit avec acharnement la Comédie-Française, l’Odéon,
comme le Conservatoire, auxquels il reprochait de n’être que des musées et non des reflets
d’une dramaturgie vivante22.
Le groupe de la Revue d’Art dramatique avait pourtant détaillé dans un article les
principaux critères du concours, afin d’orienter les travaux soumis au vote du Comité.
L’éthique était fermement établie, mais des différents projets étaient espérés les moyens
pratiques de résoudre les difficultés rencontrées jusqu’alors. Il importait encore davantage de
souligner l’importance du concept, non seulement pour la communauté, mais surtout pour
l’art dramatique, que les professionnels jugeaient majoritairement décadent. L’un des enjeux,
par conséquent, était de renouer avec un théâtre dit de qualité, à l’opposé des divertissements
« digestifs » destinées à la bourgeoisie aisée :

« Nous voulons, entre le théâtre de l’élite, où la pensée se raffine jusqu’à


l’épuisement, et le théâtre de la populace, où le sentiment s’amplifie jusqu’à la grossièreté,
créer une scène, dédiée à tous, ouverte à tous, où la pensée et le sentiment se réconcilient, où
la Solidarité sociale se fortifie du partage égal de la beauté.
Ce théâtre est-il possible ? Oui, puisqu’autrefois, il fut une réalité. L’art n’est
grand que quand il est l’expression des sentiments, des idées et des rêves d’un peuple ; et
c’est l’harmonie de tous les esprits, au nom desquels il parle, qui seule le rend harmonieux.
Destinée à l’éducation du peuple, une telle scène l’est en même temps à
l’affranchissement et à la renaissance de l’art. En offrant à la faim du peuple, trompée
jusqu’ici par des nourritures grossières, un art qu’a mûri la pensée humaine, on permet à cet
art de puiser, dans l’imagination populaire, une sève toujours jeune et une éternelle
fraîcheur.23 »

Les divisions entre classes sociales, cruellement reflétées par l’architecture à


l’italienne – entre les loges luxueuses et le Paradis pour quelques sous – et les divisions entre
genres dramatiques, scènes et quartiers sont pointées comme des obstacles à l’art véritable et
20
O. Mirbeau, interrogé par G. Bourdon, op. cit., p. 479-480.
21
O. Mirbeau, « Le rapport de M. Frédéric Febvre », in le Journal, 27 janvier 1895.
22
Par exemple, suite à l’incendie de la Comédie-Française, il propose aux lecteurs du Journal, n° 2720,
dimanche 11 mars 1900, un article intitulé « Le cadre et l’esprit » ; il s’agit d’un dialogue fictif entre le satiriste
et G. Leygues, au sujet de la reconstruction. Mirbeau, en effet, aurait voulu que l’on profitât de cet événement
pour réformer totalement la salle et son fonctionnement.
23
« Le théâtre populaire à Paris », in la Revue d’Art dramatique, nouvelle série, tome VIII, octobre-
décembre 1899, p. 321-322.

7
à son universalité. Comme les autres professionnels du spectacle, le Comité évoque, non
sans une pointe de nostalgie, les grands modèles du passé ; si l’Antiquité grecque, la
dramaturgie élisabéthaine, la Commedia dell’arte ne sont pas explicitement nommés, ils font
figure de références idéales en matière de théâtre, pour la beauté des œuvres produites, bien
sûr, ainsi que pour la fusion réalisée avec la population. Il s’agit aussi de mettre en exergue
la nécessité pour le pays de se doter d’une scène nationale d’envergure, créatrice de chefs-
d’œuvre nouveaux, gardienne du riche patrimoine culturel régional et reflet d’une
communauté soudée.
De même, l’argument éducatif est destiné à emporter l’adhésion des politiques, en
une époque où les socialistes sont au pouvoir et se targuent d’améliorer le sort des plus
démunis, comme leur niveau de connaissances. Ces éléments ont rencontré une très large
approbation dans les milieux officiels, ce qui laissait entrevoir une évolution rapide du projet
définitif, mais les actes furent rares, par rapport aux discours. Mirbeau imputa à l’Etat la
responsabilité de l’échec, en dépit des annonces tapageuses au sujet d’une fondation :

« Eh bien ! M. le ministre de l’instruction publique, l’autre jour, à la Chambre, a


annoncé (…) qu’il allait le créer, lui, le théâtre populaire. Et voici, après son colloque avec
Bernheim, et après le colloque de Bernheim avec Ginisty, à quoi s’est audacieusement arrêté
M. le ministre.
M. le ministre a obtenu de M. Ginisty que celui-ci, deux ou trois fois par semaine,
envoie aux théâtres des Batignolles, de Montmartre, de Belleville, des Gobelins, et même de
l’Odéon, M. Albert Lambert père, pour y réciter au peuple, des choses bien populaires,
probablement des vers de Manuel et de M. Jean Rameau.
Et c’est ainsi, que l’enseignement démocratique pourra s’inscrire sur ses tablettes
(…). Une grande victoire de plus !…
Ah ! ce peuple ! lui en donne-t-on assez de la beauté ?… Il n’y en a vraiment que
pour lui !
Il va sans dire, si merveilleux que soit ce plan, qu’il n’est pas le nôtre… et que le
nôtre nous ne l’abandonnerons pas… Nous avons même la prétention de le mener à bien,
sans le concours de l’Etat et au besoin contre lui. Et, quoique les difficultés soient grandes de
mettre sur pied une pareille affaire – car c’est une affaire où il n’y a pas d’affaires à faire ! –
nous avons assez de foi, assez de ténacité, pour en triompher !… 24»

G. Leygues, en effet, qui s’était immédiatement déclaré favorable à la fondation


d’un établissement populaire, prononça un discours à la Chambre dans lequel il encourageait
les réunions littéraires faites pour instruire le peuple et élever son esprit. Chaque théâtre
subventionné, pour répondre à son appel, délégua un représentant chargé de mettre sur pied
la collaboration de son établissement aux représentations populaires. Les velléités étaient en
passe de devenir réalités, au grand désespoir des membres du Comité : Mirbeau perçut avec
acuité le fossé entre l’idéal promu par son groupe de réflexion et le succédané proposé par le
ministre. Il cite dans cet article le célèbre tragédien Albert Lambert pour plusieurs raisons ;
tout d’abord, comme symbole d’un théâtre élitiste, à l’opposé de la démocratisation du
spectacle attendue ; ensuite, comme critique envers le conservatisme, puisque le fils était
alors déjà en activité sur les planches, à la Comédie-Française. Les goûts rétrogrades du
gouvernement, l’incompréhension des attentes d’un public large sont également attaqués par
la plume acérée de Mirbeau, qui soulève ce faisant le crucial problème de la définition du
répertoire. Son collègue Lucien Besnard avait lui aussi mis en lumière ce passéisme et la
menace de censure, en narrant l’unique inquiétude de Leygues à propos des futures pièces

24
O. Mirbeau, « Le théâtre populaire », in le Journal, 28 janvier 1900.

8
jouées : les Tisserands, de Gerhardt Hauptmann25. Ce drame social, d’abord interdit, avait été
finalement monté par Antoine au Théâtre Libre, mais soulevait trop de remous pour les
autorités. Mirbeau, après réflexion, avançait quelques références de base pour l’esthétique du
futur théâtre populaire, qui allaient dans le sens non seulement des promoteurs de la
démocratisation, mais, plus généralement, des rénovateurs de l’art dramatique :

« Tout, à condition que l’on n’y fasse pas de politique, et qu’on ne permette à
aucune parti de s’y installer. On donnera au peuple ce qui lui manque le plus, des œuvres
d’art, et on lui fera aimer l’humanité, la liberté, la vérité, tout ce qui relève l’homme, tout ce
qui l’affranchit, tout ce qui lui donne conscience de la dignité de sa personne morale. Les
lois et les religions ne sont que des instruments d’asservissement dans la main des forts ou
des malins. Par la contrainte physique et par l’exploitation de l’inconnaissable, elles tiennent
l’homme en tutelle : le peuple doit apprendre que les religions sont des mensonges et qu’il
est maître de la loi ; voilà ce que son théâtre devra lui montrer par le moyen d’œuvres
vivantes, simples, exprimant des idées générales sous une forme dramatique.
Les œuvres ne manqueront pas. Elles viendront d’elles-mêmes au peuple. Mais il
n’y a, pour commencer, qu’à fouiller dans le passé. Tous les classiques, tous les grands
tragiques grecs, et Racine, et Shakespeare, et Schiller, et Molière, voilà de quoi émouvoir et
transporter le peuple. Je ne fais d’exception que pour Corneille, dont le style est obscur, dont
l’art engoncé n’a ni humanité, ni vérité. Dans le répertoire de la comédie espagnole, dans
celui du XVIIIème siècle, on trouvera des œuvres merveilleuses, comme le Philosophe sans
le savoir, par exemple, que la Comédie-Française ne joue jamais, naturellement. Plus près de
nous, de notre temps, il y a Ibsen, il y a certaines pièces posthumes de Victor Hugo, comme
Mangeront-ils ? Il y a, il y a… mais on n’aura qu’à choisir…26 »

La distinction entre théâtre populaire et théâtre prolétarien est ici particulièrement


soulignée. En effet, plusieurs établissements, comme le Théâtre Civique de Lumet, se
destinaient presque uniquement aux ouvriers et démontraient ainsi la difficile interprétation
du mot « peuple ». Pour Mirbeau et le Comité, le terme recouvrait l’ensemble de la
communauté nationale, tandis que pour d’autres, il ne désignait qu’une classe sociale : la
récurrence de l’utilisation du mot « peuple » par les politiques dans les dialogues rédigés par
Mirbeau au sein de ses diatribes atteste d’ailleurs cette contagion. C’est pourquoi le rejet de
la politique parut nécessaire, afin de ne pas diviser le public, et encore moins de
l’endoctriner. Néanmoins, la déclaration de Mirbeau prend ici des allures de profession de
foi anticléricale et anarchisante… Paradoxe qui ne fait que mettre en évidence les propres
contradictions de l’auteur au sujet de l’acception du terme « peuple ». Il s’agit ici pour lui
d’éveiller non seulement les connaissances artistiques de la population, mais encore son sens
critique et sa conscience politique. Il propose, pour ce faire, un répertoire composé de
classiques universels – symboles de la culture que l’on veut transmettre à ceux qui en ont été
privés – et de contemporains reconnus, comme Ibsen, révélé en France par les mises en
scène d’Antoine et de Lugné-Poe. En l’absence d’auteurs et de pièces modernes susceptibles
de combler les attentes du Théâtre du Peuple, il suggère, à l’instar de tous ses confrères, le
recours aux chefs-d’œuvre consacrés, tout en faisant preuve d’optimisme à l’égard de
l’émulation qui devrait selon lui permettre l’éclosion de dramaturgies nouvelles.
Le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, dans un discours très
démagogique, démontra qu’il n’avait, quant à lui, nullement conscience de la délicate
définition d’un répertoire adéquat, en pensant naïvement qu’il suffisait de proposer des

25
L. Besnard, « Le Théâtre populaire en 1900 », in la Revue d’Art dramatique, janvier 1900, p. 26-28.
26
O. Mirbeau, interrogé par G. Bourdon, op. cit., p. 480.

9
représentations à prix réduits pour contenter l’ensemble de la population et remplir son rôle
de délégué du peuple :

« Nous ne devons pas demander au travailleur de venir à nous. Nous devons aller
à lui. On ne peut pas demander à l’ouvrier de quitter son quartier le soir, de se déplacer ; il
faut, autant que possible, que le théâtre, que l’art aillent vers lui. Comment ? En envoyant de
temps en temps, à l’occasion de fêtes, de soirées de gala, au milieu de ces ouvriers qui
consentent, après une rude journée de labeur, à prendre sur leurs soirées quelques heures tous
les mois pour s’instruire et entendre parler de science, de littérature ou d’art, des artistes de
l’Opéra, des acteurs de la Comédie-Française, de l’Opéra-Comique et de l’Odéon, qui
interpréteraient les plus belles pages des œuvres lyriques ou des fragments des plus belles
œuvres de l’art dramatique, classique ou moderne (…).
Faisons pénétrer, dans les milieux ouvriers, un rayon de joie et de beauté et nous
aurons bien servi la République.27 »

Certes, ramener les couches de la société qui en avaient été éloignées au théâtre
constituait un problème, non négligé par les membres du Comité ou les projets. Morel, par
exemple, avait réglé certains points avec les propositions de réformes des transports et des
horaires de spectacle. Lumet avait réalisé un théâtre itinérant, accueilli dans les salles des
fêtes et les salles de quartier. Et les expériences avaient démontré que le recours aux
subventionnés lors de quelques représentations épisodiques ne pouvait parvenir à établir un
contact réel avec la population, une habitude du théâtre. La Comédie-Française ne donnait
alors que quatre matinées gratuites par an et prêtait son concours aux représentations de
l’Œuvre des Trente Ans de Théâtre ; l’Odéon donnait épisodiquement des spectacles à tarifs
réduits et le projet de l’Association populaire d’art dramatique et lyrique, dont fait partie
Camille de Sainte-Croix, avait déjà émis la possibilité de puiser dans les troupes et
répertoires officiels28.
Plus grave est la méprise au sujet de la définition de l’auditoire – symbolisé ici
sous le vocable général de « travailleur » – et du répertoire du théâtre populaire. En effet, il
ne s’agissait pas, pour Mirbeau comme pour ses confrères, de s’adresser uniquement à un
public ouvrier, mais bien à l’ensemble des citoyens, afin de ne pas perpétrer la séparation qui
sévissait depuis plusieurs siècles au sein des salles de spectacle. Les questions proposées à
l’étude par la Revue d’Art dramatique précisaient, sans confusion possible, la notion de
« peuple » :

« Il y a, à Paris, des théâtres pour toutes les fractions du peuple : il n’y a pas de
théâtre s’adressant au peuple, c’est-à-dire à l’ensemble de la nation.
Il y a, à Paris, autant de tendances et de formes d’art dramatique qu’il y a de
catégories intellectuelles correspondant à des divisions sociales : chacune de ces formes d’art
intéresse un groupe d’hommes, et reste inaccessible ou indifférente aux autres. Il n’y a pas
un art dramatique créant entre les hommes une émotion commune de beauté.
Fragments de peuple et fragments d’art. Plus ils se divisent, plus ils
s’amoindrissent ; et ce morcellement aboutit à produire entre eux : le mépris ou la méfiance,
en eux : la barbarie ou la stérilité.

27
G. Leygues, cité par Sergines, « Les Echos de Paris », in les Annales politiques et littéraires, n° 867, 4
février 1900, 18e année, p. 69.
28
C. de Sainte-Croix déposera un dossier très détaillé le 30 mars 1904 au ministère, une sous-
commission étant chargée de l’examen des projets de création de théâtres populaires à cette époque.

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Nous pensons que l’idéal d’un peuple est de devenir un ensemble fraternel ; que
l’idéal de l’art est d’être un art complet.29 »

L’acception du mot est très claire et elle détermine l’esthétique, l’éthique et le


répertoire de ce lieu à venir. Communion et qualité artistique sont les bases du théâtre
populaire selon le Comité. Peu à peu, ce dernier se met à étudier les possibilités de fondation
d’un théâtre populaire sans le recours aux subventions ou aux locaux appartenant à l’Etat,
puisqu’il s’avérait périlleux d’escompter son aide, ainsi que l’avait déjà souligné Mirbeau.
Le gagnant du concours, Eugène Morel – futur directeur de la Revue d’Art dramatique et
collaborateur en 1899… – présenta d’ailleurs un projet répondant à ces vœux. La revue après
avoir examiné les 23 manuscrits soumis, lui remit un prix de 300 francs, tandis que deux
autres prix, de 100 francs chacun, furent décernés à Onésime Got et au dossier intitulé
« Instruire pour révolter »30. Morel préfère à la subvention le système de l’abonnement, afin
de préserver l’indépendance du directeur et de créer une régularité pour l’entreprise. Il
prévoit de faciliter l’accès à la salle en établissant un transport des abonnés par la
Compagnie des Omnibus, le métro et les trains de ceinture et de banlieue, en avançant
l’heure de la représentation pour que le spectacle ne se termine pas trop tard, avec possibilité
de dîner pour un prix modique. Il demande également au Conservatoire de laisser jouer les
élèves pour le théâtre populaire plutôt que de constituer une troupe et propose un plan
trapézoïdal afin d’améliorer le confort et la visibilité du public. Enfin, il espère couvrir le
territoire de théâtres du peuple et établir un roulement des acteurs, costumes, décors et
pièces, très rentable financièrement.
Mirbeau et ses collègues espéraient aussi organiser un Congrès afin de débattre du
théâtre populaire sur une plus vaste échelle, dans le cadre de l’Exposition Universelle de
1900 à Paris. Ce Congrès International de l’Art Théâtral eut lieu, au Palais des Congrès, du
27 au 31 juillet 190031. La quatrième section se préoccupait de la création et de l’exploitation
des théâtres populaires et Eugène Morel y présente son rapport, de même que Houry,
directeur de la Société de la Rampe, qui suggère d’utiliser les théâtres « à côté » pour donner
de temps en temps des représentations aux ouvriers, sous le titre de « Spectacles à bon
marché » ; l’architecte Gosset propose un projet de construction de théâtre populaire de 5000
places ; Mme Thys de Faye évoque le recours aux élèves du Conservatoire afin d’alimenter
les troupes de théâtre populaire ; Lozier plaide quant à lui en faveur d’un théâtre lyrique
populaire et Jacques Talon milite pour une réforme des subventions de l’art lyrique. La
résolution finale de cette section mérite d’être citée, tant elle reflète l’écart entre les bonnes
volontés théoriques et le néant des actions concrètes :

« Le Congrès émet le vœu que l’Etat favorise, même par des subventions, toutes
les tentatives sérieuses de théâtre ayant un caractère véritablement populaire, qui pourraient
être faites à Paris ou en province.
Le vœu est adopté.32 »

Ce vœu pieux ne pouvait guère aider les professionnels, soucieux de cesser les
délibérations pour enfin poser la première pierre de l’édifice. Il est intéressant de constater
l’intérêt porté à la province, dont on commençait à percevoir le manque de vie et
29
« Le théâtre populaire à Paris », in la Revue d’Art dramatique, nouvelle série, tome VIII, octobre-
décembre 1899.
30
Revue d’Art dramatique, avril 1900, p. 289.
31
Au sein du comité d’organisation se trouvaient les dramaturges Jean Lorrain et Adolphe Aderer, les
comédiens Le Bargy et Albert Lambert père, le metteur en scène André Antoine, le directeur des Variétés
Fernand Samuel et celui du Vaudeville, Porel, etc.
32
« Congrès International de 1900 », in l’Art théâtral, Paris, Imprimerie C. Pariset, 1901, p. 174.

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d’équipements artistiques. Adrien Bernheim – toujours lui ! – assistait aux réunions du
Congrès, mais se contenta – encore une fois – d’un soutien de principe. La question du
théâtre populaire, certes, ne manquait ni d’adhérents, ni de débats, ni de projets, mais elle
demeurait en suspens depuis bien longtemps, victime en quelque sorte de son succès comme
le souligne le gagnant du concours de la Revue d’Art dramatique, Eugène Morel :
« Le théâtre populaire a l’air d’une religion. C’est le messie auquel on croit,
comme ça, mais dont on se passe.33 »

Deux ans après la tenue du Congrès, aucune construction n’avait commencé ;


certaines des personnalités engagées dans le combat s’en éloignaient, même si la presse
continuait à se faire régulièrement l’écho de ceux qui, avec acharnement, poursuivaient leurs
articles et entretenaient l’intérêt au sein de l’opinion. Ainsi, Georges Bourdon publia-t-il en
1902, dans la Revue bleue, une grande enquête consacrée au Théâtre du Peuple afin de
susciter un nouvel élan. Mirbeau, en réponse, évoqua donc ses propres souvenirs sur
l’aventure vécue avec le Comité :

« C’était la Revue d’art dramatique qui, non seulement dans un sentiment de


démocratisme, mais pénétrée de cette juste idée que c’était le seul moyen de relever en
France l’art du théâtre, avait pris l’initiative de créer un théâtre populaire, c’est-à-dire un
théâtre où le peuple, qui travaille trop et n’a pas encore le temps de lire, pût prendre contact
avec les chefs-d’œuvre anciens et modernes, et se faire ainsi un commencement d’éducation
morale et littéraire qui lui manque absolument… Le théâtre a été détourné de sa véritable
fonction sociale… Il a subi la loi néfaste et injuste qui veut que tout soit pour les riches et
qu’il n’y ait rien dans la nature et dans la vie organisée qui appartienne aux pauvres… Le
théâtre est d’origine et d’essence strictement populaires.. Il ne doit pas être un privilège de
délassement pour les classes aisées ; il doit être, en même temps qu’un repos agréable, un
enseignement pour tous, non pas en flattant des passions étroites et transitoires, mais par la
force seule, par la force éducatrice et civilisatrice de la beauté…34 »

Dans cet article aux accents de credo, il reprend des idées relativement répandues
à cette époque, à savoir que le théâtre, issu du peuple, en avait été détaché progressivement
au fil des siècles. L’heure du syndicalisme, des revendications ouvrières ont mis en lumière
la carence culturelle au sein des classes défavorisées ; par ailleurs, le monde du spectacle,
notamment depuis André Antoine, déplorait la ségrégation sociale sévissant dans
l’architecture à l’italienne et dans les prix d’entrée. Cette fracture expliquait la désaffection
et la décadence du théâtre, de même que le succès grandissant des divertissements légers –
café-concert, music-hall – selon eux. Mirbeau avait soutenu le genre de l’opérette par
plusieurs articles, mais il s’accordait à ses confrères quant à la mauvaise qualité des
divertissements accessibles aux plus démunis. Il revendique, comme eux, l’éducation par
l’art dramatique, le spectacle ne devant pas seulement être une distraction pour les
travailleurs, mais encore un enrichissement culturel. Une certaine confusion dans l’acception
du mot « peuple » se fait à nouveau jour dans ses propos ; en effet, s’il a soutenu le principe
d’un établissement voué à l’ensemble de la nation, il prêche ici pour une classe sociale
déterminée, le prolétariat. Il est vrai que ce dernier était défavorisé en matière de spectacle et
d’éducation, mais l’idéal originel du Comité excluait les propositions de salle destinée au
seul usage des démunis.
Deux ans après sa participation aux débats, les convictions de Mirbeau sont
toujours fermes, mais sa conception du théâtre populaire est manifestement troublée. La
33
E. Morel, interrogé par G. Bourdon, in la Revue bleue, n° 19, 10 mai 1902, p. 602-
34
O. Mirbeau, « Le théâtre populaire », in le Journal, n° 3419, dimanche 9 février 1902.

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plupart des praticiens se sont d’ailleurs heurtés à cet écueil et aucun n’échappa à la
contradiction : entre le désir de communion fraternelle des citoyens et la volonté prioritaire
de ramener les plus défavorisés au théâtre, la frontière s’avérait fluctuante, tant pour les
artistes que pour les politiques. Mirbeau conservait surtout amertume et désillusion face à
l’attitude des autorités lors des innombrables auditions auxquelles il participa en tant que
membre du Comité :

« Nous avions eu, ainsi, cette idée extrêmement bizarre de vouloir intéresser à nos
projets des hommes politiques, des députés révolutionnaires, des sénateurs socialistes…
enfin des gens très bien… esprits hardis, cela va de soi, littéraires en diable, et poètes… et je
ne sais quoi encore, et avec qui le gouvernement n’avait qu’à bien se tenir… tous, ils nous
avaient accueillis avec le plus vif enthousiasme, et ils nous disaient :
- Un théâtre populaire !… Ah ! sapristi ! Fameuse idée, mes garçons !… Nous…
nous apportons le panem, vous le circenses… C’est admirable !… Ah ! mais j’en suis !…
j’en suis, non d’un petit bonhomme !… Et, coûte que coûte, nous l’aurons, ce sacré théâtre
populaire !… Parce que… moi… vous savez… quand il s’agit du peuple !… ma fortune… et
s’il le faut… mon sang !… mon sang, vous entendez, sacré mâtin !… Ah ! mais !…
Et cela était accompagné de gestes violents, d’attitudes très Quarante-Huit qui
n’étaient pas sans nous effrayer un peu… Il fallait les calmer, ces bougres-là !… Sans quoi,
ils eussent été bien capables de faire, tout de suite, une révolution, de désaffecter Notre-
Dame, l’Imprimerie nationale, le musée Carnavalet ou l’Elysée… ou n’importe quelle autre
caserne, pour y installer le théâtre du peuple !… du peuple, sacré mâtin !… Ils eussent été
bien capables aussi de nous montrer, à nous qui n’en demandions pas tant, comment on
meurt, sur des barricades, pour un théâtre populaire ! 35»

Il faut évidemment extraire la part d’ironie du journaliste, la part de fiel de cette


plume connue pour ses talents de polémiste ; l’enthousiasme rencontré par le Comité au
cours des démarches ne permit pas d’aboutir à une quelconque réalisation. De plus, le théâtre
populaire est entendu par ces gouvernants comme le lieu des plaisirs, des divertissements,
alors que l’objectif premier consistait, pour les organisateurs, à établir un édifice voué à
l’éducation, plus proche des Universités populaires qui étaient alors à leur apogée, que des
music-halls et autres cafés-concerts. La réaction des élus de gauche révèle encore une
méprise au sujet de la notion de « peuple » ; ils pensent aux classes sociales les plus
défavorisées, tandis que la majorité des théoriciens de ce mouvement comprennent le peuple
comme la totalité des citoyens. Leur appartenance au socialisme explique en partie
l’attachement particulier au monde ouvrier, mais aggrave de ce fait l’absence de disposition
concrète. Cette confusion est engendrée par la polysémie du terme, mais elle est récurrente et
modifie radicalement le concept ; créer un établissement réservé aux bourses modestes se
rapproche davantage d’un théâtre prolétarien, politisé, alors que le groupe de la Revue d’art
dramatique ambitionnait de s’adresser à l’ensemble de la nation. M. Pottecher à Bussang, F.
Gémier au Théâtre National Populaire, enfin installé au Trocadéro en 1920 et, plus proche de
nous, Jean Vilar, son successeur, furent eux aussi d’actifs militants en faveur d’un lieu de
communion pour toutes les classes sociales, sans distinction financière, culturelle ou
géographique.
Néanmoins, si les pourparlers semblaient encourageants, aucune décision ne fit
avancer le projet et le temps passait sans apporter de solution aux problèmes matériels, ni de
résolution quant au soutien officiel à accorder. Le programme de Morel aurait pu être
facilement mis en place, puisqu’il ne reposait sur aucune aide gouvernementale, mais en
35
O. Mirbeau, « Le théâtre populaire », in le Journal, n° 3419, dimanche 9 février 1902.

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l’absence de généreux mécènes, il était malgré tout nécessaire de s’adresser à l’Etat afin de
trouver les fonds et le lieu. Il avait prévu l’émission de bons afin de pourvoir aux premiers
frais de fonctionnement, mais requérait de la Ville de Paris le prêt gracieux d’un local.
Quelques professionnels, Gémier en tête, estimaient déjà être du devoir de l’Etat d’assurer
l’existence et le fonctionnement d’un théâtre consacré au peuple français. Cette fibre
patriotique vibrait en effet chez les députés ou les ministres rencontrés, sans pour autant
s’accompagner de faits, comme le rappelle Mirbeau :

« - Des démarches !… criaient-ils, … vous n’y pensez pas ! Des démarches !…


Mais rien n’est plus humiliant, mes chers garçons… Nous parlons au nom du peuple, nous !
… et le peuple ne fait pas de démarches !… Ce sont des ordres… vous entendez… des mises
en demeure… des sommations… Les trois sommations !… S’agit-il du peuple, oui ou non ?
… Alors… pourquoi me parlez-vous de démarches !… et ils entonnaient :
Allons, enfants de la Patrie
Quant au Conseil municipal, il fut épique, et lui aussi, il chanta la Marseillaise…
C’est même tout ce qu’il chanta…
- Un théâtre populaire !… mais je ne pense qu’à ça !… nous dit le Conseil
municipal… Marchez, mes enfants. Allez de l’avant… et que ce soit épatant, magnifique…
le dernier mot de la beauté moderne… Il n’y a rien de trop beau pour le peuple…
Alors, timidement, on insinuait :
- Cher Conseil municipal, vous avez de superbes locaux…
- C’est pour les louer, mon enfant…
- Cher Conseil municipal, vous avez d’admirables terrains…
- C’est pour les vendre, mon enfant…
- Ne pourriez-vous pas nous aider un peu ?
- Comment donc !… Tout ce que vous voudrez, sauf du terrain, des locaux ou de
l’argent !… Nous vous aiderons de tout l’immense amour que nous portons au peuple,
sacristi !… et vous savez, mes chers garçons… n’hésitez pas !… que ce soit éblouissant et
révolutionnaire en diable !… De l’or partout… et des velours fracassants… et des décors
somptueux… et des ballets féeriques… et des orchestres inouïs… et des chefs-d’œuvre…
des chefs-d’œuvre… des chefs-d’œuvre !… N’oubliez pas les torches, surtout… Des
torches… des torches… pour mettre le feu à cette ignoble société bourgeoise. Vous pouvez
compter sur nos bravos… surtout si vous savez recruter des petites femmes… bien en
chair… hé !hé !… Quand on a un tel projet, on n’a pas besoin d’argent, ni de terrains, ni de
locaux… La conviction suffit à tout… Rappelez-vous l’armée de la Révolution !…
Et lui aussi, il entonnait la Marseillaise :
Allons, enfants de la Patrie 36»

Maurice Couyba, rapporteur du budget des Beaux-Arts en 1901, défendit tout


d’abord le projet de théâtre ambulant de C. Mendès. Il élabora ensuite un projet présenté au
Parlement, destiné à fonder enfin ce théâtre du peuple dont il était question depuis tant
d’années. Il y évoquait la salle du Châtelet, avec des tarifs allant de 50 centimes à 2 francs et
demandait une subvention de 100 000 francs37. Mirbeau, Bourdon et d’autres membres du
Comité lui reprochaient de vouloir offrir au peuple les mêmes spectacles que les autres
théâtres, de proposer une succursale des établissements subventionnés, idée qui séduisait
visiblement le gouvernement beaucoup plus que celle d’une création. Cette solution, pratique
36
O. Mirbeau, « Le théâtre populaire », in le Journal, n° 3419, dimanche 9 février 1902.
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Cette somme sera en fait allouée au Théâtre National Populaire, fondé par Gémier au Trocadéro, en
1920. Couyba, rapporteur sénatorial du budget des Beaux-Arts, défendit aussi le projet du Théâtre National
Ambulant de Gémier en 1911 et fit partie du Comité d’Honneur créé afin de soutenir cette initiative.

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et rapide, ne pouvait convenir aux promoteurs de la démocratisation, pour lesquels l’enjeu ne
consistait pas uniquement à baisser les prix des billets, mais surtout à propager la culture au
sein de toutes les classes, à susciter leur communion et à renouveler l’art dramatique.
Nouvelle incompréhension entre les divers protagonistes de la construction du théâtre
populaire qui explique en partie la stagnation de la question durant plusieurs décennies.
Mirbeau délaissa progressivement la question du théâtre populaire.
Découragement, dégoût de la politique et de ses méandres complexes… Certainement, mais
aussi d’autres activités auxquelles il consacrait son énergie, à commencer par la rédaction de
romans et de pièces et la collaboration journalistique. Ses articles reflétaient toujours ses
opinions au sujet du spectacle en France, l’art dramatique constituant pour lui un cheval de
bataille aussi important que l’actualité politique, mais il se retira quelque peu, car d’autres
avaient repris le flambeau du Théâtre du Peuple. Son investissement au tournant du XXe
siècle en faveur de cet idéal éclaire toutefois la portée sociale de son écriture – notamment
dramatique – et corrobore ses engagements à la fois politiques et artistiques.
Nathalie COUTELET

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