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Questions actuelles

Économie - Monnaie - Finance


http://www.banque-france.fr/fr/publications/questions_actuelles/questions_actuelles.htm n° 2  Octobre 2009

Les effets de la crise


sur la croissance à long terme
Matthieu Lemoine
Service d’Étude des politiques structurelles
Jeanne Pavot
Service d’Études macroéconomiques et de Prévision

« Même après la crise, la croissance mondiale connaîtra sans doute, pendant


un certain temps, un rythme beaucoup moins soutenu que les années qui l’ont
précédée. Ce changement profitera peut-être à l’environnement, à l’égalité des
revenus et à la stabilité. Les gouvernements ont raison de s’inquiéter de la qualité
de la croissance, et pas uniquement de sa rapidité. Mais en matière de taxes et
d’estimation de profits, les gouvernements et les investisseurs devront s’ajuster à la
‘nouvelle norme’ – une croissance moyenne plus lente. »

Kenneth Rogoff 1

Dans la crise actuelle, d’origine financière, aucun déterminant de la demande n’est épargné : de nombreux pays
de l’OCDE connaissent à la fois un fort déstockage, une baisse de l’investissement des agents privés et une baisse
1
de la consommation des ménages associée à la hausse du chômage. Si l’offre potentielle était également réduite, les
conséquences de la crise sur l’activité économique seraient plus durables. Autrement dit, le niveau du PIB potentiel et/ou
son taux de croissance pourraient être affectés à long terme.

Cependant, le diagnostic sur les conséquences de la crise ne fait pour l’instant pas consensus. En effet, le PIB potentiel
et son taux de croissance ne sont pas observables et de nombreuses méthodes sont utilisées pour l’estimer. Celles-ci
n’aboutissent pas nécessairement à des évaluations concordantes. De plus, les canaux de transmission de la crise sont
multiples et opèrent à des horizons différents.

Face à une variation du niveau et/ou de la croissance du PIB potentiel, les décideurs publics doivent à la fois s’adapter au
nouvel environnement économique et tenter de contrecarrer les effets de long terme de la crise. En particulier, les risques
d’une perte permanente de PIB potentiel justifieraient une forte réactivité de la politique budgétaire. Si le gouvernement
peut apporter un soutien à l’économie en période de crise pour lui éviter des séquelles durables, celui-ci doit être mis en
en œuvre en temps opportun et les mesures doivent être ciblées et temporaires afin de ne pas accroitre les risques de
non-soutenabilité des finances publiques. Par ailleurs, les réformes structurelles doivent être poursuivies pour développer
l’offre productive à moyen terme.

Après avoir rappelé les définitions et mesures des différents concepts, cet article examine quels sont les impacts
possibles de la crise sur le PIB potentiel et propose de discuter le scénario le plus crédible. Enfin, cet article conclut sur les
implications en termes de politiques économiques.

1 Project Syndicate, mai 2009

Banque de France  Questions actuelles Économie – Monnaie – Finance  n° 2  Octobre 2009


Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

 PIB potentiel et croissance potentielle : des concepts clés,


des évaluations multiples

Qu’entend-on par PIB potentiel ?

Le PIB potentiel est le niveau maximal de production compatible avec la stabilité des prix à moyen-long terme 2.
La croissance potentielle se définit alors comme le taux de croissance du PIB potentiel. Ces variables ne
sont pas directement observables. Il est donc nécessaire de se doter d’un cadre théorique pour en analyser
les déterminants. En particulier, il est usuel de représenter le processus de production de l’économie au
moyen d’une fonction de production. Le PIB réalisé est supposé dépendre de trois éléments : le stock
de capital effectivement disponible, l’emploi et la productivité globale des facteurs (PGF). La production
potentielle se définit alors comme la même combinaison productive appliquée aux niveaux potentiels de
l’emploi et de la PGF, le niveau potentiel du capital étant supposé identique au niveau installé. L’emploi
potentiel est la quantité de travail potentiellement disponible dans l’économie. Il correspond à la population
en âge de travailler corrigée du taux d’activité et du taux de chômage d’équilibre (ou NAIRU). La PGF
potentielle correspond à l’efficacité avec laquelle l’emploi et les équipements potentiellement mobilisables
peuvent être utilisés.

À quoi sert-il ?

Au cours d’un cycle ordinaire d’activité, le PIB effectif fluctue autour du PIB potentiel, générant ainsi
un écart appelé écart de production (output gap). Cet écart augmente (resp. diminue) quand la croissance
effective ou observée du PIB en volume passe durablement au-dessus (resp. en-dessous) de la croissance
2
potentielle et place l’économie dans un régime d’excès de demande (resp. d’excès d’offre).

L’écart de production est ainsi un des moyens de situer l’économie dans le cycle et de juger des tensions
sur les prix pouvant apparaître dans les différents régimes. C’est en ce sens un indicateur primordial
pour tous les acteurs économiques. Pour les décideurs publics, il peut également être utilisé pour éclairer
l’orientation des politiques économiques. En effet, à court terme, les politiques budgétaires et monétaires
peuvent stabiliser l’économie et contribuer à réduire l’écart de production.

Comment l’évaluer ?

Il existe de nombreuses méthodes d’évaluation du PIB potentiel et la théorie économique ne prescrit pas
de recourir à l’une plutôt qu’à l’autre. On distingue traditionnellement deux approches, celle qualifiée de
statistique et celle dite structurelle. La seconde présente notamment l’avantage de permettre une analyse
sur les déterminants de la croissance potentielle, mais elle est souvent plus complexe à mettre en œuvre
(pour plus de détails, voir l’encadré 1).

En outre, même en utilisant une seule approche, ici la fonction de production, les évaluations de la crois-
sance potentielle peuvent considérablement varier d’un organisme 3 à l’autre (cf. tableau 1). En effet, ces
évaluations dépendent de la mesure du stock de capital, des niveaux potentiels de l’emploi et de la PGF,
2 Plus généralement, le PIB potentiel est la production soutenable à long terme. Une inflation excessive est un des déséquilibres non soutenables à moyen
terme, mais le déficit courant (qui ne passe pas nécessairement par une hausse des prix à la consommation) en est un autre à long terme.
3 À la différence de l’OCDE (Beffy et al., 2007) et de la Commission européenne (Denis et al., 2006), le FMI n’a pas de méthode officielle pour évaluer la
croissance potentielle, mais il s’agit généralement d’une évaluation fondée sur la fonction de production. Ce sont ces évaluations que nous présentons
ici pour la France et la zone euro.

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

mais également des spécifications retenues (choix des paramètres et hypothèses retenues). Ainsi, la méthode
utilisée par la Banque de France a la spécificité de relier la PGF à l’âge du capital matériel installé, les équi-
pements les plus récents pouvant être plus efficaces que ceux de générations plus anciennes 4.

Enfin, quelle que soit la méthode retenue, l’évaluation empirique du PIB potentiel est particulièrement
fragile sur la période la plus récente. Or, ce sont les valeurs les plus récentes qui vont orienter les décisions
de politiques économiques.

À quel horizon temporel ?

L’appréciation du PIB et de la croissance potentiels dépend également de l’horizon temporel retenu.


Ainsi, dans une perspective de court-moyen terme, les facteurs de production peuvent être plus ou moins
sollicités sans exercer cependant de tensions inflationnistes. Il s’ensuit que les évaluations de court-moyen
terme de la croissance potentielle sont fluctuantes au cours du temps (cf. tableau 1).

À plus long terme, le taux de chômage est supposé stabilisé à son niveau structurel et le capital croît comme
la valeur ajoutée. La croissance potentielle découle alors des « fondamentaux » de l’économie :
croissance démographique et rythme du progrès technique. Une question naturelle émerge donc
quant à l’impact de la crise actuelle sur le PIB potentiel : elle devrait affecter sensiblement sa composante
cyclique, mais affectera-t-elle également son niveau et sa croissance ?

Tableau 1
Mesures de la croissance potentielle et comparaisons pour la zone euro et la France
(variation annuelle en %) 3
Zone euro
1985-1989 1990-1994 1995-1999 2000-2004 2005 2006 2007 2008
OCDE (a) 2,0 2,1 2,1 1,5 1,6 1,7 1,9
Commission européenne (b) 2,3 1,9 1,5 1,5 1,6 1,3
FMI (a) 2,2 2,3 2,1 1,8 1,7 1,9 1,5
Banque de France 2,1 2,5 1,8 2,1 1,9 2,0 2,1 1,8
Croissance effective 3,0 1,8 2,4 1,9 1,8 3,1 2,7 0,6

France
1985-1989 1990-1994 1995-1999 2000-2004 2005 2006 2007 2008
OCDE 2,3 1,9 2,1 2,2 1,6 1,6 1,5 1,9
Commission européenne 1,9 2,2 2,0 1,8 1,7 1,6 1,6 1,3
FMI (c) 2,3 2,1 2,0 2,2 2,0 1,9 2,1 1,7
Banque de France 2,1 2,2 2,2 2,1 2,1 2,0 2,6 2,5
Croissance effective 3,1 1,2 2,5 2,0 1,9 2,4 2,3 0,3

(a) Données disponibles depuis 1993


(b) Données disponibles depuis 1998
(c) Données disponibles depuis 1982
Sources : Perspectives économiques de l’OCDE (juillet 2009) ; Prévisions économiques de la Commission européenne (mai 2009) ; Perspectives économiques
mondiales du FMI (avril 2009)
Calculs : Banque de France

4 Pour plus de détails voir Banque de France (2002) et Cahn et al. (2007)

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

 Les impacts possibles de la crise sur la croissance à long terme


Afin d’analyser l’impact de la crise actuelle à long terme sur l’économie, il est indispensable d’étudier les
canaux par lesquels le PIB potentiel pourrait être affecté par la crise ainsi que l’horizon temporel auquel
chacun des canaux est opérant (cf. tableau 2). L’objectif est donc de comprendre si, à cause de la crise
actuelle, le PIB potentiel pourrait être affecté à court terme (de façon transitoire), à moyen terme (i.e. de
façon durable mais pas permanente) voire à long terme (i.e. de façon permanente). Enfin, si le niveau du PIB
potentiel est affecté à long terme, quels sont les risques pour que la croissance potentielle le soit également ?
Tableau 2
Récapitulatif des canaux de transmissions et de leurs horizons temporels
Facteur de production Horizon

Court terme Moyen terme Long terme


Capital Dépréciation accrue Hausse du coût du capital
Cycle de l’investissement
Contraintes financières
Travail Hystérèse
Productivité globale des facteurs (PGF) Vieillissement du capital Réallocation sectorielle
R&D

Quels canaux de transmission ?

Le stock de capital devrait être rapidement affecté par la crise mais il ne le serait pas nécessaire-
ment de façon permanente. Il est donc possible, au-delà de la crise actuelle, que sa croissance à
long terme ne soit pas affectée.
4

À court terme, le PIB potentiel pourrait être significativement touché en raison de la baisse du stock de capital 5
existant, via un accroissement du taux de dépréciation du capital (faillites, déclassement accéléré, etc.) et une
baisse de l’investissement. Selon l’observatoire des entreprises (2009), le nombre d’entreprises défaillantes
a progressé de 18 % en glissement annuel en juin 2009. Alors que les défaillances concernaient essentielle-
ment les micro-entreprises en décembre 2008 (88 % en cumul sur 12 mois), les faillites portent davantage
depuis quelques mois sur les PME hors micro-entreprises (5,4 % des défaillances en juin 2009, après 3,8 %
en décembre 2008, en cumul sur 12 mois) dont le poids économique est plus important. Toutes tailles confon-
dues, l’industrie manufacturière et l’hébergement-restauration sont les deux secteurs pour lesquels l’impact
relatif des défaillances 6, est le plus fort et se dégrade le plus (en cumul sur 12 mois, respectivement 2,2 et
1,7 % des crédits déclarés en juin 2009 sont défaillants, contre 1,7 et 1,2 % un an auparavant) 7. De surcroît, le
retournement du cycle de l’investissement conduit aussi à une moindre accumulation de capital, voire à une
baisse du stock de capital. On peut alors envisager, au moins de façon transitoire, une baisse du niveau du PIB
potentiel, c’est-à-dire une croissance potentielle négative.

En cas de faible reprise de l’investissement lors de la sortie de crise, l’impact de la crise sur le stock de capital
pourrait s’avérer durable. Les pertes de capital seraient même permanentes si les difficultés de financement
des projets d’investissement perduraient au-delà de la crise 8. À long terme, dans un régime de croissance
équilibrée, le stock de capital croîtrait toutefois comme la valeur ajoutée et donc comme le PIB potentiel 9.
5 Selon notre définition, le PIB effectif serait affecté dans la même proportion par la perte de capital.
6 Le taux de défaillances est mesuré ici comme la part des entreprises défaillantes dans l’encours de crédits de chaque secteur.
7 Par ailleurs, l’impact de la hausse du déclassement sur la PGF dépendra également des secteurs touchés (voir infra).
8 Ces difficultés pourraient recouvrir plusieurs aspects : hausse du coût du capital, en raison de la hausse de primes de risques et/ou de restriction de
crédit. Il est à noter qu’elles ne seraient permanentes que si l’aversion pour le risque des agents privés était définitivement plus élevée.
9 Nous faisons ici l’hypothèse de neutralité du progrès technique.

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

ENCADRÉ 1
PIB POTENTIEL : LES MÉTHODES DE CALCUL DISPONIBLES

Puisque le PIB potentiel n’est pas observable, il donne lieu inévitablement à de nombreuses
évaluations, éventuellement contradictoires, découlant de différentes méthodes et spécifications.
Or, comme l’a montré Canova (1998) dans le cas américain et Chagny et Döpke (2001) dans le cas
européen, la théorie économique ne prescrit pas de méthode de calcul. Il apparaît donc difficile de
n’en retenir qu’une et il convient pour chacune d’en cerner tous les avantages et les limites.

Il est usuel de distinguer deux approches, celle qualifiée de statistique et celle dite structurelle.

Les approches statistiques peuvent être univariées ou multivariées. L‘approche statistique univariée
comprend les méthodes les plus simples qui consistent en l’extraction d’un cycle et d’une tendance à partir
d’une série de PIB, soit à un niveau directement agrégé. Les méthodes statistiques ont d’abord consisté à
estimer des tendances déterministes (linéaires, polynomiales ou coudées). Les méthodes contemporaines
reposent quant à elles sur des techniques de filtrage (Hodrick-Prescott, Baxter et King). Ces méthodes
peuvent fournir des indications utiles pour des périodes sur lesquelles on dispose d’un recul suffisant. Mais,
comme l’ont montré Orphanides et Van Norden (2002), l’instabilité des estimations de l’écart de production
en fin d’échantillon les rendent peu utilisables pour des décisions de politique économique.

En raison notamment de ces limites, diverses approches statistiques multivariées se sont développées.
Elles consistent à introduire dans les méthodes statistiques de décomposition tendance-cycle une
information supplémentaire. Cette information peut être de nature économique, avec pour principal
objectif la diminution de l’incertitude entourant le cycle. Cela consiste à distinguer les chocs d’offre,
qui affectent la tendance, des chocs de demande, qui affectent le cycle. Dans cette catégorie, il
existe différents types de modèles : les modèles vectoriels auto-régressifs structurels (SVAR), les
décompositions Beveridge-Nelson multivariées et les modèles à composantes inobservables (MCI)
5
multivariés. Camba-Mendez et al. (2003) et Rünstler (2002) ont montré que les modèles multivariés
réduisent les révisions observées en fin d’échantillon, par rapport aux méthodes univariées.

Enfin, les approches structurelles reposent le plus souvent sur une représentation de la fonction de
production, sur une mesure des facteurs de production et sur une analyse du fonctionnement des
marchés des facteurs. Elles sont les seules à expliciter la nature des contraintes qui pèsent sur la
croissance accessible et à permettre d’évaluer les effets de changements structurels (modification
du rythme de progrès technique, du rythme d’accumulation du capital…). Il n’en reste pas moins
que le choix d’une fonction de production appropriée et la quantification des variables inobservables
(tendance de la productivité globale des facteurs) sont problématiques. Plus récemment, les modèles
DSGE (dynamic stochastic general equilibrium) ont redéfini le concept de PIB potentiel comme étant le
niveau de production que l’on obtiendrait dans un monde sans rigidité nominale (Woodford, 2003). Ils
reposent notamment sur la nouvelle courbe de Phillips tournée vers le futur (voir Justiniano et al., 2008).

La diversité des méthodes explique en grande partie que les évaluations du PIB et de la croissance
potentiels soient aussi diverses. Mais les hypothèses et les paramètres retenus dans leur mise en
œuvre contribuent également à ces différences.

Enfin un dernier écueil doit être rappelé : quelle que soit la méthode retenue, toute évaluation empirique
du PIB potentiel est particulièrement fragile sur la période la plus récente. En effet, l’essentiel des
données disponibles sur la période courante sont des données provisoires, qui par nature peuvent
être fortement révisées. De plus, dans la plupart des méthodes, les évaluations de la période actuelle
nécessitent de faire des hypothèses, explicites ou implicites, sur la période à venir. En temps de crise,
ces difficultés sont exacerbées puisque l’on manque du recul nécessaire pour détecter d’éventuelles
ruptures de tendance (dans la PGF par exemple) ou d’éventuels changements de comportements. Or,
ce sont bien les valeurs les plus récentes qui vont orienter les décisions de politiques économiques.

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

L’évolution de l’emploi potentiel, affecté par la crise, est à long terme essentiellement dépendante
de facteurs démographiques.

La forte hausse du chômage et la réduction permanente de l’activité dans certains secteurs peuvent conduire
à une perte de capital humain et une hausse du chômage structurel (effet d’hystérèse, concept initialement
proposé par Blanchard et Summers, 1986). Dans la mesure où une augmentation du chômage dans son
ensemble entraîne avec un certain retard une augmentation du chômage de longue durée, elle entraîne
également une remontée du taux de chômage structurel. En effet, dans la plupart des pays de l’OCDE
(voir Llaudes, 2005), les chômeurs de longue durée exercent une pression plus faible sur les salaires que
les chômeurs de courte durée, et a fortiori que les personnes en emploi : le nouveau salaire d’équilibre serait
alors trop haut et conduirait à une hausse du chômage d’équilibre. Cet effet s’atténuerait avec la fin de la
crise si celle-ci n’est que conjoncturelle. Il disparaîtrait toutefois nécessairement à long terme, ne serait-ce
qu’avec le départ en retraite des personnes concernées. De telles hausses du taux de chômage structurel
peuvent également dissuader certains inactifs d’entrer sur le marché du travail et conduire ainsi à un flé-
chissement du taux d’activité 10.

Au-delà de ces variations transitoires du taux de chômage d’équilibre ou du taux de participation, le taux
de croissance de l’emploi potentiel dépend de la croissance de la population en âge de travailler, laquelle
découle surtout de facteurs démographiques.

La crise pourrait avoir des effets durables à la fois sur le niveau et la croissance de la PGF potentielle.

Dans la méthode utilisée par la Banque de France pour estimer le PIB potentiel, la PGF potentielle peut être
affectée à court terme par le vieillissement du capital provoqué par la chute de l’investissement. Toutefois,
6
l’essentiel des effets de la crise sur la PGF devrait apparaître progressivement à long terme.

En effet, la crise pourrait conduire les entreprises à restreindre significativement leurs dépenses de
recherche et développement (R&D) en raison de contraintes financières. Le niveau de la PGF serait alors
affecté de façon permanente (cf. encadré 2). Une crise d’envergure mondiale est susceptible d’exacerber
les conséquences de la baisse des dépenses de R&D. En effet, un pays isolément atteint par la crise peut
éventuellement bénéficier des innovations apportées par les autres pays (qui auront continué à faire des
dépenses de R&D). À l’inverse quand de nombreux pays réduisent simultanément leurs dépenses de
R&D, le risque de perte pérenne de PIB potentiel est très fort. Autrement dit, une crise mondiale aurait
directement un impact sur la frontière technologique au niveau global.

Les réallocations sectorielles de l’activité consécutives à toute crise de grande envergure peuvent aussi
conduire à une baisse du niveau, voire de la croissance de la PGF. En effet, celle-ci est influencée par les
changements de taille et de poids de certains secteurs d’activité. Ainsi, certains secteurs très productifs, par
exemple le secteur financier anglais 11, peuvent durablement réduire leur activité. Cela contribuerait, in fine,
à baisser le niveau voire la croissance de la productivité de l’ensemble de l’économie. Mais à l’inverse, la
crise peut également accélérer la disparition d’entreprises ou des secteurs moins productifs(cleansing effect),
et donc, toutes choses égales par ailleurs, participer à une hausse de la croissance potentielle.

10 Toutefois, la perte de revenu du chômeur pourrait inciter son conjoint à rechercher un emploi (Elmeskov et Pichelman, 1993) : c’est l’effet de travailleur
additionnel. Mais l’effet de découragement domine l’effet de travailleur additionnel.
11 Sous réserve que l’on puisse évaluer la productivité de ce secteur avec des données de comptabilité nationale.

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

ENCADRÉ 2
IMPACT DE LA CRISE SUR LE PIB POTENTIEL : LE CANAL DE LA R&D

Cet encadré vise à caractériser l’impact de la crise actuelle sur le PIB potentiel via le canal de la
recherche et développement (R&D). D’abord, quel devrait être l’impact de la crise sur les dépenses
de R&D ? Selon la vision « schumpetérienne » standard, les récessions engendrent un cleansing
effect, i.e. un encouragement à se réorganiser et à innover (Aghion et Saint Paul, 1998). Sans
contrainte financière, le coût d’opportunité des investissements de long terme, relativement à ceux
de court terme, est plus faible pendant les récessions que pendant les expansions et leur part dans
l’investissement total devrait donc être contracyclique. Pourtant, les dépenses de R&D s’avèrent
empiriquement procycliques, comme l’ont montré par exemple Comin et Gertler (2006) sur données
américaines pour des cycles ayant des fréquences comprises entre 8 et 50 ans.

Cette procyclicité s’expliquerait par les imperfections du marché du crédit qui empêcheraient les
entreprises d’innover et de se réorganiser pendant les récessions (Aghion et al., 2008). Dans ce
modèle, l‘effet des contraintes financières serait asymétrique : celles-ci impliqueraient de moindres
dépenses de R&D en période de récession, mais n’engendreraient pas de R&D supplémentaire
en période d’expansion. De plus, l’effet de ces contraintes serait théoriquement plus fort pour
les dépenses de R&D que pour les investissements physiques parce que ces dépenses ont un
rendement positif à plus long terme. Aghion et al. (2008) en fournissent une vérification empirique
sur données françaises.

En retour, quel devrait être l’impact de moindres dépenses de R&D sur le PIB potentiel ? Dans le
modèle standard de croissance endogène de Romer (1990), une moindre accumulation temporaire
(resp. permanente) de la R&D se traduit par un effet sur le niveau (resp. sur le niveau et la croissance)
du PIB à long terme. La croissance y est en effet générée par l’expansion croissante de la gamme
des produits disponibles (modèle « smithien » de spécialisation), le nombre de nouveaux biens
7
disponibles dépendant des efforts de R&D. Empiriquement, cet impact peut être mesuré par
l’élasticité à long terme de la productivité globale des facteurs aux dépenses de R&D :

• Coe et Helpman (1995) estiment des élasticités allant de 0,078 à 0,097 en appliquant des moindres
carrés ordinaires (MCO) à des données empilées de 22 pays sur la période 1971-1990 :

• Kao, Chiang et Chen (1999) estiment des élasticités allant de 0,065 à 0,124 en appliquant des
méthodes MCO, FM (fully-modified) et DOLS (MCO dynamique) aux mêmes données :

• Guellec et van Pottelsberghe (2004) estiment des élasticités allant de 0,11 à 0,15 en appliquant des
méthodes MCO, SURE (seemingly unrelated regression equations) et 3SLS (moindres carrés en trois
étapes) à un panel de seize pays sur la période 1980-1998.

Enfin, que peut-on attendre comme impact pour la zone euro ? En raison des mécanismes
précédents et dans un contexte de restrictions financières temporaires, la récession actuelle
impliquerait des restrictions sur les dépenses de R&D qui réduiraient la croissance potentielle à
moyen terme, mais pas à long terme (cas b avec effet sur le niveau du graphique 1, voir plus bas).

Pour quantifier ces effets, une évaluation du PIB potentiel a été réalisée conditionnellement aux prévisions
de printemps de l’Eurosystème. Selon d’une part un modèle de croissance endogène fondé sur la R&D
(Matheron, 2009) et d’autre part un modèle à composantes inobservables du PIB potentiel incluant le lien
aux dépenses de R&D (Irac et Lemoine, 2009), la crise, via son effet sur la R&D, conduirait à une perte
permanente dans une fourchette allant de 1 à 4 % de PIB potentiel pour la zone euro. Toutefois, dans
le cadre d’un modèle de croissance endogène avec des contraintes financières pérennes, la croissance
potentielle serait durablement plus faible qu’avant la crise et la perte permanente liée au canal de la R&D
augmenterait au cours du temps (cas c avec inflexion de la croissance potentielle du graphique 1).

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

Les scénarios possibles

L’étude des canaux de transmission de la crise au PIB potentiel indique qu’il est possible d’envisager des
effets à la fois sur son niveau et sur sa croissance à plus ou moins longue échéance, conduisant à des
conséquences plus ou moins durables. Trois scénarios peuvent ainsi être évoqués (cf. schémas ci-dessous) :
• un scénario « trou d’air », dans lequel le PIB potentiel et sa croissance ne sont pas durablement affectés
par la crise et peuvent être rapidement restaurés ;
• un scénario dans lequel le niveau du PIB potentiel est durablement affecté par la crise car sa croissance
ne retrouve que progressivement son niveau d’avant-crise ;
• un scénario dans lequel le PIB potentiel et sa croissance sont affectés à long terme.

Dans ces trois cas, on prend pour acquis que le PIB potentiel était correctement mesuré avant la crise.
Ceci constitue une hypothèse forte, car il n’est pas improbable qu’il faille ex post revenir sur la mesure du
niveau du PIB potentiel « d’avant crise » (voir encadré 1). En effet, la croissance potentielle d’avant-crise
pourrait avoir été surestimée du fait, par exemple, du développement insoutenable de certains secteurs.
Graphique 1
Schémas récapitulatifs des 3 scénarios d’évolution du niveau et de la croissance du PIB potentiel

a) Trou d'air b) Effet sur le niveau c) Effet sur le niveau et la croissance

Niveau (milliards d'euros) Prévision Niveau (milliards d'euros) Prévision Niveau (milliards d'euros) Prévision

8
t t t
Taux de croissance (%) Taux de croissance (%) Taux de croissance (%)

t t t

PIB effectif PIB potentiel

Note : Les schémas ci-dessus représentent les développements possibles à court, moyen et long termes.

 Quel est le scénario le plus crédible ?


En raison des méthodes utilisées, l’analyse robuste de l’impact des crises sur la croissance poten-
tielle n’est possible qu’ex post (voir encadré 1). Ainsi, à ce stade de la crise, les trois cas de figure
détaillés supra sont possibles. Toutefois, l’analyse des crises passées rend la perspective d’un effet
durable sur le niveau du PIB potentiel la plus vraisemblable (voir le scénario b du graphique 1).

Afin d’évaluer l’effet de la crise actuelle à l’aide d’une analyse rétrospective, il convient d’abord d’identifier
les crises financières passées. La classification la plus récente et la plus complète des crises bancaires, réa-
lisée par Laeven et Valencia (2008), recense, outre 208 crises de change et 63 crises de dette souveraine,
42 crises bancaires systémiques au sein d’une base de 37 pays et sur la période 1970-2007. Une crise
bancaire systémique est repérée selon trois critères non exclusifs : soit par une panique bancaire, définie

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

comme une baisse mensuelle de plus de 5 % de l’encours des dépôts : soit par un gel des dépôts ou une
garantie de couverture : soit par un soutien massif à la liquidité, défini par un ratio des créances de la
banque centrale sur le système bancaire (relativement à l’ensemble des dépôts) de plus de 5 % et ayant au
moins doublé par rapport à l’année précédente 12. Les auteurs situent la crise des subprime de 2007-2008
dans la catégorie des crises bancaires systémiques, notamment en raison des problèmes de liquidité du
système bancaire liée à la chute brutale de la demande de titres asset-backed.

En se fondant sur cette classification, Furceri et Mourougane (2009) montrent alors que les crises financières
conduisent à des pertes permanentes de PIB potentiel, mais pas nécessairement de croissance potentielle.
Si l’on considère que la crise actuelle est comparable aux crises les plus sévères, la perte permanente sur
le PIB potentiel serait en moyenne d’environ 4 %. Ces résultats confirment ceux de plusieurs études por-
tant sur les crises financières (voir encadré 3). Ils rendent également le scénario b plus vraisemblable que
les autres, avec une perte de PIB potentiel de l’ordre de 4 %. Malgré la simultanéité de la crise financière
actuelle, la perte de niveau pourrait toutefois être d’ampleur différente selon les pays. La crise a d’ores
et déjà eu des effets différents sur le PIB effectif selon les pays, par exemple deux fois plus forts pour
l’Allemagne que pour la France ou les États-Unis (cf. graphique 2). À ce stade, la baisse permanente de la
croissance potentielle (cas c) ne semble donc pas le scénario le plus crédible. Cette position n’est toutefois
pas consensuelle, en témoigne la tribune de mai 2009 écrite par K. Rogoff (cf. citation en première page).

Graphique 2
PIB effectif en niveau à prix constant
(T1 2008 = 100)
a) États-Unis b) Zone euro
105 105
9
100 100

95 95

90 90

85 85
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

c) France d) Allemagne
105 105

100 100

95 95

90 90

85 85
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

Sources : Bureau of Economic Analysis, Eurostat, INSEE

12 Comme le soulignent Boyd et al. (2009), une limite inhérente à cette approche consiste à dater les crises en utilisant la réaction politique à la crise,
e.g. les interventions des banques centrales, alors que cette réaction peut avoir lieu avec un certain délai.

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

Parmi les institutions internationales (Commission européenne, OCDE, FMI), seul le FMI a réalisé des
projections de PIB potentiel à un horizon suffisamment long (2014) qui nécessitent de prendre parti
pour un scénario de moyen terme pour chaque pays (FMI, 2009). Si l’on prend par exemple le cas des
États-Unis, le FMI prévoit bien un fléchissement de la croissance potentielle jusqu’en 2010 (0,9 %, après
2,4 % en moyenne en 2005-2008), mais anticipe ensuite un quasi-retour à la situation antérieure (2,0 %
en 2014). En 2014, la perte de PIB potentiel dans un scénario où la croissance potentielle serait restée sur
sa tendance pré-crise serait d’environ 5,8 %. Pour la France, le profil est du même type et la perte de PIB
potentiel en 2014 serait de l’ordre de 6 %. Ces effets relativement persistants sur le niveau et non sur la
croissance du PIB potentiel laissent à penser que les projections du FMI se situeraient dans le scénario b
du graphique 1, même si elles peuvent être cohérentes avec d’autres scénarios, le long terme n’étant pas
explicite dans ces projections.

ENCADRÉ 3
RETOUR SUR LES CRISES PASSÉES

Afin d’anticiper l’effet de la crise actuelle sur le PIB potentiel, il est naturel de se référer aux
crises financières passées. La littérature récente les a très largement documentées (Reinhart et
Rogoff, 2009 ; Cerra et Saxena, 2008 ; Furceri et Mourougane, 2009 ; Haugh et al., 2009).

En se fondant sur ces dates de crises financières (bancaires et de change), Furceri et Mourougane
(2009) estiment l’impact moyen des crises sur le PIB potentiel. Pour cela, en suivant la méthodologie
de Cerra et Saxena (2008), ils régressent en panel la croissance potentielle de chaque pays sur
ses retards et sur des variables indicatrices repérant les crises financières. Les crises financières 10
diminueraient alors le PIB potentiel de 1,5 % à 2,4 % en moyenne. Cette perte permanente serait
atteinte avec un délai d’environ cinq ans, après quoi la perte resterait stabilisée.

Reinhart et Rogoff (2009) trouvent également que les crises financières occasionnent des pertes
plus sévères que les récessions usuelles : la perte de PIB est d’en moyenne 9% et la durée de deux
années (au lieu d’un an dans les crises classiques). À titre illustratif, les graphiques 3.1 donnent un
aperçu du PIB lors de quatre des cinq plus graves crises financières repérées par Reinhart et Rogoff
(Norvège : 1987, Finlande : 1991, Suède : 1991, Japon : 1992 1). On constate alors que le niveau du
PIB est durablement affecté à la suite des crises. Les résultats de Cechetti, Kohler and Upper (2009)
sont toutefois moins tranchés : seul un cinquième des crises donnent lieu à une perte permanente
sur le niveau du PIB.

En reprenant la typologie développée supra, il est ainsi possible de rapprocher la Norvège du cas b :
l’effet sur le niveau et le Japon du cas c : effet de niveau et de croissance (voir le graphique 1).
La Finlande et la Suède ont in fine comblé leur déficit de PIB, se rapprochant ainsi du cas a, à savoir
le trou d’air, la durée du rattrapage est toutefois considérable : une dizaine d’années.

1 Nous n’avons pas retenu la crise espagnole 1977 repérée par Reinhart et Rogoff en raison des changements politiques et institutionnels
intervenus dans les décennies soixante-dix et quatre-vingt.
.../...

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

Graphiques 3.1 PIB réel en temps de crise financière


(5 ans avant T1 2009)
a) Japon b) Norvège
106 106

105 105

104 104

103 103

102 102

101 101

100 100

99 99

98 98
1987 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008 1987 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008

c) Finlande d) Suède
106 106

105 105

104 104

103 103

102 102

101 101

100 100

99 99

98 98
1987 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008 1987 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008
Note : Les chiffres sont le niveau en log, normalisés à 100 au moment de la crise. La tendance linéaire est estimée à partir de la croissance moyenne calculée 11
sur la décennie précédant le début de la crise : Norvège T1 1987, Finlande T1 1991, Suède T1 1991, Japon T2 1992.
Source : OCDE

Les effets durables des crises financières sur le niveau du PIB potentiel sont assez unanimement
reconnus par la littérature économique, en revanche leurs effets sur la croissance potentielle sont
plus ambigus. Selon Haugh et al. (2009), le Japon est le seul cas où une crise bancaire aurait eu un
impact persistant sur la croissance potentielle.

Pour élargir le panel d’analyse et aussi parce que les crises financières repérées par la littérature
économique concernent peu de pays de la zone euro, nous proposons de revenir sur une autre
crise économique sévère. À l’échelle de la future UEM, la crise de 1993 revêt le caractère d’un
choc symétrique de la crise actuelle que les épisodes de crises financières évoqués plus haut n’ont
pas nécessairement eu. Ainsi, la Belgique, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et
la France connaissent tous un épisode de récession sévère sur la période 1992-1993. La crise de
1992-1993 a ainsi provoqué une forte contraction des échanges européens, de l’investissement et,
comme pour les crises financières, elle a occasionné des réallocations d’activité au sein des pays
et de la zone. Or, comme on peut le constater sur les graphiques 3.2, cette crise a également été
suivie, en France, par une perte de PIB en niveau (par rapport au niveau de production découlant de
la tendance antérieure) et, en Italie, par un infléchissement de la croissance. D’autres facteurs que la
crise pourraient toutefois expliquer cet infléchissement de la croissance italienne.
.../...

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

Graphiques 3.2 PIB réel en temps de crise financière


(5 ans avant T1 2009)
a) France b) Italie
103 103

102 102

101 101

100 100

99 99

98 98
1987 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008 1987 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008
Note : Les chiffres sont le niveau en log, normalisés à 100 au moment de la crise. La tendance linéaire est estimée à partir de la croissance moyenne
calculée sur la décennie précédant le début de la crise et celle-ci est choisie conventionnellement en T1 1992.
Source : OCDE

 Quelles conséquences en termes de politiques économiques ?


Le retour sur les crises passées, qu’elles soient financières ou non, montre que la sortie de crise (échéances
et conditions) dépend à la fois de la situation initiale, de l’ampleur de la crise mais également des politiques
économiques mises en œuvre par les pays. Nous traiterons séparément ici les politiques monétaire et bud-
gétaire, avant de conclure sur la place des réformes structurelles en sortie de crise.
12
Implications pour la conduite de la politique monétaire

Les risques inflationnistes liés à une situation économique sont théoriquement dépendants du diagnostic
sur le PIB potentiel. Leur appréciation peut ainsi être éclairée à la lumière de la typologie que nous avons
développée auparavant. En effet, le scénario a impliquerait que l’écart de production soit fortement néga-
tif et que la politique monétaire soit assouplie. Avec de tels excès d’offre, les tensions seraient fortement
désinflationnistes, si ce n’est déflationnistes et il faudrait alors une croissance très élevée à moyen terme
pour que le PIB potentiel revienne sur sa tendance antérieure et que les tensions à la baisse sur les prix
disparaissent. En revanche, dans les scénarios b et c, l’impact de la crise s’imprimant rapidement sur le PIB
potentiel, l’écart de production se creuserait moins et la pression à la baisse sur les prix serait alors moins
marquée qu’en a. Le retour au potentiel impliquerait alors plus rapidement un resserrement de la politique
monétaire. Mais, en temps réel ou même à l’horizon de l’impact des mesures de politique monétaire, une
inflexion du PIB potentiel est difficile à détecter et la mesure de l’écart de production, particulièrement
fragile. Comment les autorités monétaires doivent-elles prendre en compte l’incertitude autour de l’écart
de production engendrée par le large éventail de scénarios envisageables ?

L’objectif prioritaire des banques centrales étant la stabilité des prix, leur analyse des tensions inflation-
nistes doit donc être la plus complète possible. Il s’ensuit qu’elles disposent, en règle générale, d’une large
gamme d’indicateurs monétaires, économiques et financiers pour anticiper l’évolution des prix. L’écart de
production constitue alors un indicateur parmi d’autres pour apprécier les risques d’inflation à court-moyen
terme : les conséquences de sa fragilité pour la conduite de la politique monétaire ne doivent donc pas
être exagérées.

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

Il reste enfin que, dans une économie où la croissance potentielle serait durablement affectée (cas b et c
du graphique 1), le taux d’intérêt réel de long terme serait également plus faible. Cela affecterait in fine
les taux directeurs. Ainsi, si l’on modélise la fonction de réaction d’une banque centrale au moyen d’une
règle de type Taylor 13, une croissance potentielle plus faible conduirait à un taux d’intérêt naturel plus
bas à environ un pour un (Laubach et Williams, 2003) 14. Par conséquent, la banque centrale devrait fixer
son taux directeur à un niveau moins élevé si elle prenait en compte la baisse du taux d’intérêt naturel à
long terme. Si elle ne la prenait pas en compte, l’inflation risquerait alors de descendre durablement sous
la cible de la banque centrale.

Quelle politique budgétaire pour limiter les pertes de long terme ?

Aghion et al. (2008) montrent que les dépenses d’innovations peuvent être abaissées dans les creux de
cycles, si les entreprises font face à des contraintes financières (cf. encadré 2). Le cycle peut alors avoir
un impact sur le PIB de long terme. De surcroît, les risques d’hystérèse du chômage peuvent également
conduire à une perte durable de PIB potentiel (voir la partie Quels canaux de transmission ?). Une politique
budgétaire procyclique peut accentuer la perte permanente de PIB potentiel et, au contraire, une poli-
tique budgétaire contracyclique peut l’atténuer (voir notamment Aghion et Marinescu, 2007, et Aghion et
al., 2009). Les risques de perte durable de PIB potentiel peuvent donc justifier une forte réactivité de la
politique économique. Ainsi, en novembre 2008, la Commission européenne dans le cadre du plan EERP
(European economic recovery plan) a recommandé aux pays membres de l’Union européenne de mettre en œuvre
en temps opportun des mesures ciblées et temporaires (voir le principe des 3T : timely, targeted et temporary).

Parmi les mesures contracycliques possibles, certaines peuvent être particulièrement vertueuses pour le
maintien du PIB potentiel. Ainsi, l’assouplissement très rapide, après le déclenchement de la crise, des
13
mesures de chômage partiel permet, par exemple, de maintenir le lien entre l’emploi et le travailleur (voir
Pisani-Ferry et van Pottelsberghe, 2009). Les politiques de formation et de requalification ont également
leur rôle à jouer pour limiter les pertes de capital humain. Enfin des mesures de soutien aux dépenses de
R&D en période de crise pourraient quant à elles éviter une perte permanente de PIB potentiel. Il peut
être souhaitable que ces dispositifs perdurent même en période de reprise afin d’atténuer encore les risques
de pertes permanente de PIB potentiel. De la même manière, favoriser l’investissement productif lors de
la reprise, via la fiscalité par exemple, limiterait les risques de pertes pérennes de stock de capital.

À l’inverse, il faut également se garder de mettre en œuvre certaines mesures qui, outre leur coût budgétaire
élevé, ont un effet permanent défavorable sur le PIB potentiel. Ainsi, les mesures malthusiennes de lutte
contre le chômage comme le recours à la préretraite, conduisent à une baisse du taux de participation et
font baisser la quantité de travail disponible dans l’économie (voir la partie Quels canaux de transmission ?).
Depuis 2003, le nombre d’entrées dans les dispositifs de préretraite publique 15 en France n’a cessé de baisser
à la faveur du durcissement d’octroi de financement public. Or, en période de forte montée du chômage,
il peut être tentant de réactiver ces dispositifs, puisque leur acceptation sociale est souvent forte, et que
leur effet sur le taux de chômage est immédiat. De telles mesures ont, en revanche, des effets négatifs sur
le PIB potentiel et la soutenabilité des finances publiques.

13 Nous nous référons ici à une règle de Taylor du type : i = r* + * + y(y-y*) + (-*), dans laquelle le taux d’intérêt nominal i dépend du taux d’intérêt
réel naturel r*, de l’écart de production (y-y*) et de l’écart de l’inflation à sa cible (-*).
14 Dans un modèle standard de croissance optimale, le taux d’intérêt optimal dépend positivement de la démographie, du taux de préférence pour le présent
et du progrès technique avec un coefficient égal à l’inverse de l’élasticité intertemporelle de substitution du consommateur.
15 Voir l’étude de la DARES (2009).

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

Les politiques structurelles pourraient faciliter la consolidation budgétaire lors de la reprise

Si les politiques budgétaires contracycliques d’ampleur importante se justifient dans la crise actuelle afin
de limiter les risques de pertes de PIB potentiel, elles ont de graves conséquences sur la soutenabilité des
finances publiques à long terme. En effet, une grande partie des déficits publics qu’elles ont contribué à
creuser ne se résorbera pas automatiquement avec la reprise. Les risques de non-soutenabilité budgétaire
seraient accrus en cas de baisse de la croissance potentielle à long terme (cas c du graphique 1). En effet,
en raison du vieillissement démographique qui engendre des dépenses faiblement liées à la croissance
économique, une baisse pérenne de la croissance potentielle conduirait à une dégradation des écarts de
soutenabilité 16 (voir le dernier rapport de la Commission européenne Ageing Working Group, 2009).

Il sera donc indispensable à terme d’assainir les finances publiques. Mais il faut y parvenir en pénalisant le
moins possible le PIB potentiel et sa croissance. Or, la nature des mesures de consolidation des finances
publiques peut avoir une incidence. Il conviendrait ainsi d’éviter qu’une hausse de la pression fiscale sur les
salaires entretienne la baisse du potentiel, en conduisant à une hausse du NAIRU en raison de la hausse du
coin socio-fiscal 17. Un ajustement du niveau de certaines dépenses face aux pertes de recettes semblerait
alors la voie la plus appropriée pour réduire les déficits publics.

Certaines réformes structurelles pourraient alors être mises en œuvre conjointement afin de faciliter
la consolidation budgétaire. Ainsi, une poursuite des réformes des systèmes de protection sociale dont
l’équilibre financier n’est pas garanti à long terme (ni parfois à très court terme) serait souhaitable parce
qu’elle jouerait directement sur le coût (public) du vieillissement et améliorerait la soutenabilité des finances
publiques.
14
De surcroît, en augmentant la croissance potentielle, même de façon transitoire, certaines mesures pour-
raient rendre moins coûteuse la consolidation budgétaire en France et dans la zone euro. Les domaines
dans lesquels les États membres pourraient agir sont multiples. En premier lieu, l’intégration et la concur-
rence des marchés des biens et des services pourraient être approfondies. En second lieu, la flexibilité du
marché du travail pourrait être accrue afin de favoriser la mobilité. Enfin, malgré de nombreuses réformes
utiles, les incitations à l’activité sont parfois faibles ou même contradictoires pour certaines catégories de
personnes. Une plus grande cohérence et davantage de clarté à cet égard faciliteraient l’augmentation du
taux d’activité des séniors et des femmes (OCDE, 2003). Outre le regain de croissance transitoire que ces
réformes pourraient provoquer, elles abaisseraient à terme le taux de prélèvement social et contribueraient
de plus à améliorer la résilience des économies et donc leur capacité à absorber des chocs futurs.

16 L’écart de soutenabilité est un indicateur qui mesure l’augmentation immédiate de recettes publiques ou baisse des dépenses publiques, exprimé en
point de PIB, nécessaire pour parvenir à un sentier considéré comme soutenable. Ces indicateurs sont multiples et dépendent de la définition faite de
ce sentier soutenable.
17 Le coin socio-fiscal se définit comme l’écart entre le coût du travail et la rémunération in fine reçue par le salarié (hors charges sociales et prélèvements obligatoires).

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Les effets de la crise
sur la croissance à long terme

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