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Le livre numérique menace-t-il le livre imprimé ? Le libraire en ligne Amazon commercialise à partir
d’aujourd’hui dans une centaine de pays, dont la France, une tabelle électronique permettant de télécharger
et de lire sur un petit écran plat quelques 300 000 livres. Alors est-ce le début d’un basculement ?
Après le disque et la vidéo, l’arrivée du livre téléchargeable : c’est la 3ème grande révolution pour Internet et
l’industrie culturelle. L’intérêt : mettre jusqu’à 1 500 livres dans 260 grammes. De quoi alléger sa
bibliothèque. Ou sa valise au moment des vacances ! Si on regarde l’Amérique ou le Japon, qui sont en
avance, ce n’est pas encore un marché de masse, mais il progresse vite. Avec trois facteurs d’accélération :
l’énergie et les moyens des mastodontes qui veulent développer ce secteur : Amazon, Sony, demain Apple,
et surtout Google qui veut créer une bibliothèque de 30 millions de livres numérisés. Le prix : la tablette
électronique est encore chère (autour de 250 euros) mais son prix va baisser et le livre numérique va aussi
s’inviter sur nos téléphones portables. Troisième élément : l’accès aux livres. Moins de 10 euros pour des
nouveautés téléchargées aux Etats-Unis, la gratuité même pour certains ouvrages anciens. Signe des temps
qui changent : Le dernier opus de Dan Brown – l’auteur du Da Vinci Code – s’est vendu à 2 millions
d’exemplaires en Anglais dont 100 000 en version numérique. Début décembre, Marc Lévy publiera lui aussi
son nouveau roman sous les deux formats.
Les éditeurs français sont quand même assez réticents. Ils ont refusé de passer un accord avec Amazon. Il
y a très peu de livres téléchargeables en Français. Ont-ils raison d’être aussi frileux ?
Non. Ils veulent protéger, on le comprend, leur modèle économique et les droits d’auteurs. Il y a le spectre
de l’industrie musicale, avec l’effondrement des ventes de CD. Mais des leçons ont été retenues. La
musique en ligne s’est répandue avec le piratage. A l’inverse, pour le livre, des plateformes légales de
téléchargement se mettent en place tout de suite. Et puis il y a quelque chose de plus profond : l’importance
de l’objet. Que la musique soit gravée sur une galette plastique ou dans un disque dur, ça ne change rien à
la manière de l’écouter. En revanche, pour un livre, le support compte. Un e-book ne remplacera jamais un
beau livre ! Les éditeurs ont donc plutôt intérêt à accompagner un train qui est déjà en marche, plutôt qu’à le
laisser filer. Et pourquoi ne pas voir le livre numérique comme un nouveau territoire, pour amener des
publics nouveaux à la lecture, plutôt que comme une menace ? Face au petit Kindle – le lecteur lancé par
Amazon – le vieux barbu de Gutenberg, 600 ans, n’a pas dit son dernier mot.
Le livre numérique n’est pas encore un marché significatif en France (30 à 40 millions €, soit 1 % du chiffre
d’affaires de l’édition, essentiellement sur support physique de type CD/DVD), mais il fait déjà couler
beaucoup d’encre. Nous souhaitons, dans cette note, rétablir les faits sur quelques idées reçues et lancer
quelques propositions.
[...]
2 - Soutenir le réseau de librairies indépendantes, en particulier pour leur projet de portail Internet
Il faut aider les librairies de qualité à entrer sur le marché du numérique, en créant un ou plusieurs portails
de vente en ligne de livres non seulement papier, mais aussi numériques. C’est la condition sine qua non du
maintien de la diversité culturelle.
Plus que jamais, la lecture doit être une « grande cause nationale ».
En France, éditeurs, diffuseurs et libraires sont aux prises avec le casse-tête du livre numérique. Chacun,
évidemment voit midi à sa porte.
— Les éditeurs essayent de protéger leurs droits de propriété dans un univers immatériel et volatile sans
contrôle réel sur les échanges hors commerce.
— Les diffuseurs cherchent à verrouiller les systèmes de distribution pour éviter une concurrence anarchique
et incontrôlable.
— Les libraires (chaînes de magasins comprises) cherchent tout simplement à survivre à la
dématérialisation de leur place dans le circuit de distribution.
[...]
Un coup d'œil prospectif sur les dix prochaines années nous dit que :
— Le format électronique va s'imposer sur le marché et la part de ventes en ligne va rejoindre les autres
lieux de vente et en éliminer certains.
— Bien que les libraires soient les plus vulnérables sur le marché, ce sont les grandes surfaces qui vont
souffrir le plus de l'émergence d'un modèle dématérialisé de distribution du livre. Le conseil en librairie reste
une des meilleures influences d'achat, en parallèle avec la couverture presse qui tend de plus en plus à se
dématérialiser.
— Le lecteur électronique va s'imposer non comme un appareil intermédiaire, mais comme un concept :
celui de livre numérique, pour finalement être entièrement assimilé au livre.
— Les réseaux de distributions physique et les dispositifs de diffusion devront s'adapter à une nouvelle
donne qui va fortement transformer les métiers, les entreprises et les méthodes.
— Les éditeurs devront faire face à la montée en puissance des auteurs qui se servent déjà des médias
sociaux sur Internet pour faire connaître leurs écrits et faire la promotion de leurs sorties papier. Certains
savent même organiser des sorties numériques à tirages ou à durées limités (et obtiennent des
performances étonnantes).
— La profession devra accepter l'amplification de la concurrence amenée par de nouveaux entrants, par des
transfuges de grandes maisons d'édition, par des auteurs réclamant leur totale indépendance et par des
chaînes de distribution spécialisées sur le Web.
— Enfin, la profession devra faire face à la généralisation de la gratuité sur Internet.
[...]
Conclusion sommaire et consternante, les éditeurs français, petits et grands, n'ont strictement rien dans
leurs corbeilles de mariées pour faire face à la transformation radicale qui est en train de s'opérer sous nos
yeux.
On peut répondre à cette thèse par le silence, le mépris et/ou la plaisanterie. Mais l'histoire prouve que « rira
bien qui rira le dernier ». Il n'y a donc que deux manières d'aborder ces transformations. Soit on tente de
résister, soit on essaye de comprendre et de suivre la transformation en s'adaptant de manière pertinente
aux nouvelles conditions. Dans le premier cas, le rapport de force est à l'avantage du plus puissant. L'édition
française devra combattre non seulement les transformation de son marché intérieur, mais aussi celles du
marché européen et finalement celles du marché mondial. Bonne chance.
Dans le second cas, il est grand temps de regarder au delà des vieilles méthodes de grand-papa et de
commencer à penser le marché dans les termes horizontaux tant dans la relation B2B que dans la relation
B2C :
— Les librairies disparaîtront peut-être, mais pas les libraires. Ils ne seront plus les otages des réseaux de
distribution et de diffusion.
— Les livres existeront toujours mais leur impression sur papier sera limitée. On continuera de faire imprimer
à la commande pour des raisons pratiques et esthétiques.
— La distribution sera toujours cruciale mais elle n'aura plus la même empreinte carbone et n'emploiera plus
le même nombre de personnes.
— Le stock ne sera plus un actif mais seulement un coût.
— La propriété intellectuelle verra sa valeur s'accroître mais ses revenus partagés plus équitablement.
— La promotion et les ventes reposeront sur l'expérience et non sur la promesse.
— Le succès se mesurera à l'aune de la réputation et non à celle du nombre de ventes.
— Le prix du livre ne sera ni unique, ni fixe.
C'est à ce genre d'idées que doivent maintenant réfléchir les éditeurs et les acteurs du marché du livre.
Poursuivre dans d'interminables et minables débats sur les DRM, sur le piratage informatique ou encore sur
les droits d'auteurs relatifs à la numérisation des livres est une pure perte de temps et un gaspillage. Nous
n'avons pas de temps à perdre et nous ne pouvons nous offrir le luxe de laisser s'installer les ogres
immatériels que sont Google, Microsoft ou Amazon.
Tous les acteurs du marché sont concernés. Ceux qui produisent comme ceux qui vendent, ceux qui
écrivent et ceux qui lisent. Et personne ne doit faire les frais des révolutions économique et technologique en
cours. Seuls ceux et celles qui refusent le débat, qui rejettent le dialogue et les échanges contradictoires
seront les victimes directes ou collatérales des transformations actuelles. Il ne s'agit pas de savoir si nous
lirons sur telle machine ou à la lumière de la lampe de chevet de grand-mère. Il s'agit de faire en sorte
d'avoir encore une authentique pluralité de contenu et un choix véritable dans ce que nous voudrons lire
demain.