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L’expérience sociale des troubles alimentaires.

De
l’exceptionnalité à la chronicité douce
Publié dans Gérard Mauger. José Luis Moreno Pestaña, Marta Roca i Escoda, Normes,
déviances, insertions, Genève et Zurich, Seismo, 2008, pp. 190-214.

José Luis Moreno Pestaña


Département d’Histoire, Géographie et Philosophie
Université de Cadix

Déclinaisons de l'expérience du trouble

Pour définir un trouble alimentaire, on peut utiliser des prototypes. Les manuels
psychiatriques offrent un bon exemple de ce procédé. Un prototype rassemble certaines
caractéristiques de base qui sont considérées comme des clés pour définir une maladie.
La maladie se présente ainsi comme réunion d'un ensemble de symptômes souvent
accompagnés d'histoires typiques (Hacking, 1998 : 56-57). Parfois, ce prototype se
double d'une série très générale de propriétés sociales. Bien qu’étant parfaitement
légitime et ayant une utilité considérable dans le travail thérapeutique, ce type de
définition ne s'avère pas très pertinent au niveau sociologique. La sociologie se doit
d’étudier l'expérience sociale plurielle des personnes caractérisées comme anorexiques
ou boulimiques et elle ne peut que très rarement être résumée en un prototype unique.
Cette expérience peut se décliner sociologiquement de deux façons. D’abord, en
établissant quels sont les environnements sociaux où apparaissent les troubles
alimentaires. Or, ils sont multiples : aucun ne se définit par une simple relation causale
et opère à travers des combinaisons conjoncturelles. Il est possible d'en décrire les
éléments, mais jamais celui qui est le plus important : il n'y a pas une seule instance
toute-puissante. Dans un autre article (Moreno Pestaña, 2006 : 68-95), j'ai essayé de
décrire quelles étaient les conditions sociales qui pouvaient produire des troubles
alimentaires dans les classes populaires, à savoir, la culture corporelle familiale et celle
des groupes de pairs associés aux différentes phases du cycle de vie, l'existence d'une
idéologie de la maladie, la présence d'un agent du dispositif public et privé de santé qui
impose la catégorie d'anorexique et/ou de boulimique et, last but not least, l'existence de
graves problèmes d'alimentation ressentis comme tels par la personne touchée. Si l'on
réunit ces conditions sociales, un individu est alors affecté par un trouble alimentaire,
c'est-à-dire qu'il entre dans une catégorie sociale et dans un système institutionnel
réservés à des personnes considérées comme des patients.
Dans cet article, je fais l’hypothèse que les personnes ont passé le seuil d'entrée
dans ces troubles et j'essaierai de présenter une seconde façon de reconstruire
sociologiquement l'expérience sociale de l'anorexie et de la boulimie. Elle prendra la
forme d'une séquence temporelle, c'est-à-dire d’une succession de phases au terme
desquelles une personne devient un patient affecté d’un trouble alimentaire. Ce modèle
séquentiel a été défini, entre autres, par Erving Goffman (1968) et Howard Becker

1
(1985). Comme ces contributions sont suffisamment connues, je rappellerai seulement
deux idées centrales qui permettent d'évaluer la pertinence et les limites empiriques de
ce que je prétends faire ici. En premier lieu, les phases sont élaborées à partir d'une
étude de cas qui permet d'en reconstruire le processus. À cet égard, il s'agit de définir
des étapes possibles : cela ne signifie pas que tous les individus qui passent par une
étape passent automatiquement par les autres, mais il s'agit d'une possibilité logique. En
second lieu, chaque étape ouvre sur plusieurs possibilités. Même s'il ne s'agit pas de
combinaisons infinies, la diversité empirique empêche une définition exhaustive. C'est
pourquoi le modèle séquentiel comporte une contrainte fondamentale. Ce qu'il gagne en
élégance logique en distinguant des phases, il le perd en simplifiant les potentialités
empiriques présentes dans le matériel recueilli par le chercheur. Plus la description des
étapes en question est large et précise, et moins la combinaison de celles-ci s’avère
simple et élégante. J'essaierai donc de trouver un point d'équilibre qui risque de s'avérer
insatisfaisant tant aux yeux de ceux qui attendent des séquences nettement délimitées
qu’au regard de ceux qui veillent à la précision ethnographique.
Avant de poursuivre plus avant, une dernière précision. Les tentatives de
transformer le corps en projet subjectif supposent l'idée d'un territoire malléable aux
actions du sujet. Évidemment, le corps humain a sa dynamique propre même si une
bonne partie de la culture dominante soit incapable de l’admettre. Les coûts psychiques
et physiques de l'autocontrôle corporel sont énormes : ils produisent parfois la mort ou
des lésions irréversibles. Pour chacun des moments que je décris, les « sorties » de la
trajectoire empruntée peuvent passer par l’une de ces possibilités dramatiques.

Gestion profane du trouble

Traiter un trouble alimentaire 1 sans recourir au système thérapeutique 2 est toujours


possible, mais rare. La majorité des personnes savent que les déviances alimentaires
graves ont une définition psychiatrique et la légitimité des professionnels de la santé
mentale pour les traiter est considérable. En 1993, Sara, une jeune fille que j'ai
interviewée est passée par une période d'autocontrôle corporel intense qui a pris fin avec
une intervention familiale très dure. Elle provenait d'une famille rurale modeste – des
petits agriculteurs devenus petits commerçants – qui n’avait jamais entendu parler
d’anorexie et de boulimie. Son comportement – qu'elle-même juge aujourd'hui comme
très dangereux – fut considéré par son environnement familial comme une déviation
capricieuse et volontaire. Pour les classiques de la sociologie de la santé mentale, ce
type de cas démontrait l'existence de groupes sociaux – situés au plus bas de l'échelle
sociale ou parmi les groupes culturels étrangers au groupe social dominant – vivant dans
une situation d' « insularité » vis à vis des discours psychiatriques dominants
(Schatzman, Strauss, 1966 : 10). Ces groupes avaient développé leur propre manière de
gérer les troubles et de les catégoriser parmi les déviances.
Il reste que ce que nous pourrions appeler la gestion profane des déviances n’est
pas seulement mise en œuvre par les groupes sociaux les moins informés et les plus
éloignés du monde médical (bien que d'origine sociale modeste et rurale, cette jeune
fille vivait dans une famille qui avait des relations étroites avec la culture médicale), elle
l’est aussi par les autres. Ainsi, Carla, une jeune fille de la bourgeoisie (père psychiatre,
mère styliste de mode), ne disposait d’aucune catégorie psychiatrique pour désigner les

1
Dans ce texte, “trouble alimentaire” signifie un comportement corporel susceptible d'être défini comme
tel.
2
J'utilise cette expression par commodité puisqu'il n'y a pas plus de cohérence du « système » que d'accès
simple aux soins.

2
restrictions alimentaires graves prolongées pendant des années et qu'elle ressentait
comme handicapantes. Les normes corporelles de son environnement familial, très
élitistes, encourageaient ces restrictions et leurs résultats. Dans son cas, sortir de cette
situation – très coûteuse tant sur le plan corporel que psychique–, a impliqué l'usage de
catégories psychiatriques afin de procéder à l'objectivation critique des modèles
corporels familiaux. Dans sa maison, dit-elle, « ils sont tous anorexiques ». Ici, la
catégorie psychiatrique permet de discréditer une règle somatique de classe
extraordinairement tendue : la tension corporelle3 d'un groupe familial située dans les
classes dominantes.

Tableau I. Environnement social et gestion profane de la déviance : deux cas de


figure

Tension corporelle Conception Sortie de


du groupe familial familiale de l'autocontrôle
l'autocontrôle corporel intense
Carla corporel intense
Haute Objectivation
(Commune aux critique des
classes dominantes) Excellence corporelle modèles corporels
de la famille

Sara Basse Caprice dangereux Contrôle familial


(Commune aux du processus de
classes populaires) déviance

Comme le montre le tableau, des actions identiques peuvent mériter des


réponses différenciées selon l'environnement social de la personne qui les accomplit.
Dans le cas de Sara, le renforcement du contrôle social familial. Dans l'autre,
l'approbation du groupe familial (malgré la présence d’un père psychiatre). On ouvre
ainsi la voie à deux modes de sortie du trouble : pour Sara, le contrôle par le groupe de
proches, seule issue possible dans la mesure où la cause du trouble relève de la
responsabilité de la personne affectée et peut être partiellement corrigée par le groupe.
Pour Carla, la définition des règles « normales » dans sa famille comme symptômes de
maladie et, par là, l'acceptation de tendances corporelles (i.e. la dynamique de son
propre corps, même si elle implique de grossir) comme expression d'une vie saine et,
pour utiliser ses propres termes, « non névrosée ». Ces deux figures n'épuisent pas les
cas possibles. J'y ai recours pour rappeler que divers modes de gestion profane des
troubles alimentaires sont possibles : les étudier aide à mieux comprendre comment l’on
entre et sort de troubles alimentaires.

Trois modes d'accès à l'offre thérapeutique

Une fois la déviance interprétée comme maladie, la personne a trois voies d'accès au
système de soins et/ou de thérapie. Elle peut accéder au système public, au système
3
Un marché corporel est tendu lorsqu'il mobilise une attention permanente aux modes de
présentation du corps : les rites d'interaction se focalisent constamment – avec des degrés d'explicitation
variables – sur les attributs corporels. Une personne est dominée sur un marché corporel quand les
modèles corporels légitimes de son groupe de référence sont à la fois fondamentaux pour la
reconnaissance de sa dignité de sujet et extrêmement différents des siens.

3
privé ou à la combinaison public/privé. Deux de ces possibilités (l’accès au système
privé, combinaison des deux) requièrent certaines conditions sociales. D'abord, disposer
de ressources économiques qui sont en général accessibles aux individus dont l'origine
sociale est élevée et/ou qui sont suffisamment avancés dans le cycle de vie pour
disposer d'autonomie dans la gestion de leurs propres ressources économiques (même si
elles sont modestes, il est possible de décider de les investir dans une thérapie). Dans la
mesure où le stigmate d'anorexie ou de boulimie n’enchante guère les familles, celles
qui disposent de ressources économiques essayent généralement de faire entrer leurs
filles dans des thérapies privées ou dans les secteurs du système public qui ont le plus
de prestige en matière de traitement de troubles alimentaires. En pratique, la recherche
du meilleur lieu de traitement dans le système public et/ou l'accès au système privé est
le privilège de groupes sociaux favorisés. De fait, dans l’un des lieux où j'ai effectué
mon travail de terrain, on attribuait généralement le prestige maximum à un hôpital de
Madrid et cela exigeait des déplacements familiaux coûteux.
Dans ce contexte, la lutte pour l'extension des unités publiques spécialisées dans
le traitement des troubles alimentaires est l’une des missions des associations de
malades. Elles tentent d’une part, d'éviter l'internement des filles souffrant de troubles
alimentaires dans les unités de santé mentale habituelles et, d’autre part, que mettre les
unités spécialisées à portée des familles les plus humbles. Ainsi, par exemple, le
délégué d'ADANER4 de la ville de Jaen déclare dans le journal locale (Diario Jaén), «
que l'association n'est pas disposée à ce qu'on interne à un jeune souffrant d’anorexie
dans le septième secteur [de Santé Mentale ] » (García, 2002 : 5). L'association — qui
milite pour que les troubles alimentaires soient reconnus comme une véritable maladie
mentale et dont le site Internet national possède une note d’information sur l’hypothèse
héréditaire de l'anorexie — revendique la spécificité de la « folie » de ses enfants.
S'agissant majoritairement de jeunes filles, il est compréhensible que le séjour
dans des unités de Santé Mentale soit considéré comme un risque pour leur intégrité
compte tenu de la forte promiscuité qu’y règne. Quand il n'existe pas d'unités
spécifiques pour les troubles alimentaires, beaucoup de personnes diagnostiquées vont
être dirigées — si leur âge le permet — vers les unités de soins infantiles. La possibilité
d’être placé dans l’une des unités de Santé Mentale habituelles (i.e. en « psychiatrie »
dans le jargon des concernés) subsiste, mais comme la menace à brandir face à des
patients particulièrement rétifs aux traitements souples. Selon Juana, diagnostiquée
anorexique, « le psychologue me menaçait de me mettre en “psychiatrie” (...) et je
m'imaginais qu'y être placée aurait été terrible ».
Toutefois, ces unités pour enfants/pédiatriques — peuplées, selon Juana, « par
ici, d'un enfant qui avait je ne sais quelle maladie respiratoire, par là d'un enfant qui
avait des problèmes d'estomac… » — ne permettaient, au moins dans son cas, qu’un
faible contrôle sur les résistances au traitement développées par les sujets. Selon Juana :
« ce qui était bien [dans l'unité infantile], c’est que je faisais ce que je voulais : j’allais
aux toilettes et je faisais de l’exercice physique, je dissimulais le repas... J'ai continué à
perdre du poids »5.

4
Acronyme de l'Asociación de Defensa de la Atención a la Anorexia nerviosa y la Bulimia
(Association de défense et de prévention de l’anorexie mentale et de la boulimie).
5
Lorsque Goffman a écrit son célèbre Asiles, le séjour dans l'hôpital mental psychiatrique pouvait
encore être considéré comme la dernière étape pour un individu classé comme fou. Aujourd'hui, ce n'est
évidemment, plus le cas. C'est ce que Goffman indiquait lui-même dans un article postérieur tout aussi
célèbre « La folie dans la place » (Psychiatry, 1969, Vol. XXXII, nº 4) : il devient plus difficile de
maintenir quelqu'un trop longtemps dans un hôpital psychiatrique dans la mesure où la réintégration à la
communauté est désormais considérée comme la plus humaine et la plus efficace des thérapies.

4
Une question de plus, mais référée cette fois à la gestion du traitement par des
thérapies privées. L'accès au langage psychologique s'est progressivement généralisé de
sorte que le nombre de profanes qui disposent des connaissances psychologiques et les
utilisent parfois auprès de leurs proches s’est accru. Dans le milieu universitaire dont
étaient issus certains de mes interviewés, j'ai pu vérifier l'existence de pratiques
quotidiennes de confession et de diagnostic qui ressemblaient beaucoup à une situation
thérapeutique. Les personnes impliquées ne les considéraient pas comme telles, mais
comme faisant partie intégrante de leurs conversations. Toutefois, ces pratiques «
parathérapeutiques » peuvent jouer dans la vie d'une personne un rôle identique à un
traitement plus formalisé. L’immersion dans une atmosphère « parathérapeutique »
exige évidemment de bénéficier de réseaux sociaux dotés de ces ressources culturelles
et, par conséquent, n'est accessible qu'à certaines fractions de la population, le plus
souvent universitaire.

Acceptation du diagnostic et travail de


déconditionnement
Une fois que les personnes sont entrées en thérapie, elles peuvent assumer leur
condition de patients et la nécessité de mettre en pratique un travail sur soi pour sortir
de leur situation de tension corporelle. Celle-ci n’est que le résultat de l’intériorisation
des exigences de marchés sociaux où les pratiques intenses d'autocontrôle corporelles
fonctionnent comme une sorte de « laissez-passer » social. La tension corporelle
correspond à la construction d'un prototype corporel coté sur ces marchés. Il ne s’agit
pas dans cet article d'analyser comment se constituent ces marchés. Je me limite à
énumérer ceux que mon analyse m'a permis d’identifier.
L'un d'entre d'eux, distribué dans tout l'espace social, est associé à « la
jeunesse ». « Être » jeune, mais aussi se « sentir » jeune (devoir étendu aujourd'hui à de
vastes groupes sociaux indépendamment de l'âge biologique 6 ) exige de prêter une
attention continue à son corps : grossir est un indicateur de vieillissement et une
fermeture des possibles sur le marché sexuel et matrimonial. Le milieu familial peut
aussi constituer un marché corporel tendu et stigmatiser un individu à travers des
sanctions implicites ou explicites. Carla raconte comment plus elle maigrissait, plus sa
mère la touchait avec approbation, et comment parfois c'était son père qui
s'enorgueillissait de l'allure de sa fille7 cette fois publiquement devant des amis. Dans
mes entretiens, cette transmission de la culture somatique du groupe familial est
toujours plus tendue dans les classes sociales les plus élevées. Il est possible néanmoins
de la rencontrer aussi dans les classes populaires. Juana, par exemple, fille d'un ouvrier,
ne cessait de recevoir de son père des injonctions à maigrir. Le père de Juana avait
connu une forte mobilité sociale descendante et importait dans l'univers familial des
valeurs culturelles et corporelles plus distinguées que celles de sa mère. Sortir de ce
marché requiert donc, au minimum, de s'éloigner émotionnellement de l'environnement
familial8. Un troisième marché propice à la tension corporelle correspond au travail de

6
Il faudrait développer une phénoménologie des cultures somatiques différencient les manières
de ressentir l'âge biologique. « Avoir la quarantaine » en tant qu’actrice par exemple n'est pas pareil que
pour une femme considérée de façon ordinaire par son entourage.
7
Dans la transmission de la culture corporelle familiale, les sanctions implicites (gestes, caresses,
suggestions, observations voilées...) sont généralement plus féminines que masculines.
8
Le cas de Juana est exceptionnel parmi les personnes de cette origine sociale. Comme je l'ai
expliqué dans un autre article (Moreno Pestana, 2006 : 88-89), certaines personnes ont besoin de rendre
compatible la culture somatique de leur classe sociale d'origine — qui les presse de maigrir — avec celle

5
représentation ou de contact avec le public, l'excellence corporelle étant alors objet de
conditions mi-explicites et mi-implicites. Un quatrième territoire de la tension
corporelle est associé aux relations de couple. Andrea (infirmière de profession et fille
d'un chauffeur de taxi) a eu pour petit ami le fils d'un constructeur immobilier. Les
reproches corporels de son fiancé l'ont conduite à une déviation corporelle intense. Une
fois qu’il l'a quittée, Andrea a eu besoin de faire le deuil d'un type d'hommes obsédés
par la ligne de leur compagne. Dans son cas, son expérience s'est accompagnée d'une
profonde réappropriation érotique de son corps (Berthelot, 1983 : 129) : son critère de
jugement a cessé d'être celui d'un homme qui l’ « utilise comme un bel objet décoratif »
pour devenir celui d'un homme qui concevrait le corps de sa partenaire comme une
source de satisfaction et non comme un ornement distinctif. L'indétermination relative
de l'expérience érotique par rapport aux hiérarchies de biens symboliques corporels a
permis à Andrea de disposer d'un instrument de redéfinition de son estime corporelle. Il
est vrai que, dans beaucoup de cas, l'intériorisation des prototypes socialement
dominants est tellement forte que l'expérience érotique, qui suppose souvent un
composant d’abandon et de fragilité, cesse d’être possible pour les personnes qui
intériorisent ces stéréotypes. Dans de telles circonstances, la sortie des configurations
tendues du marché sexuel suppose de renoncer totalement à miser sur ce marché.

Tableau II. Types de marché corporel et formes de sortie

Marché corporel tendu Formes de sortie9


Classe d'âge jeune Vieillissement
Culture somatique familiale Éloignement affectif
Redéfinition de la culture somatique du
groupe familial.
Imposer un statut d'exception pour ses
goûts
Marché du travail fondé sur une Fermeture de l'univers des possibles
interaction professionnels
Marché sexuel et amoureux Réappropriation érotique de son corps
Elimination de la concurrence sur le
marché sexuel

Marchés de définitions des troubles alimentaires


Lorsqu'elle est intégrée dans le système thérapeutique, la personne est confrontée à
diverses définitions de son problème qui proviennent de cadres interprétatifs proposés
par chaque groupe professionnel rencontré et des divers courants qui le constituent. Je
me focaliserai sur les définitions des thérapeutes rencontrés par les personnes que j'ai
interviewées. Ces définitions sont imprécises et résultent d'un contrôle imparfait du sens
des actes thérapeutiques. Bien que diffuses, ces définitions sont fondamentales pour

de leur groupe de destination ou d’aspiration. Quand le premier privilégie les aliments nourrissants, la
déviance est nécessaire pour pouvoir être accepté dans le deuxième. De telles personnes peuvent
s'éloigner définitivement de leur monde familial, essayer de changer la culture somatique de ce dernier,
ou bien imposer un statut d'exception pour leurs propres goûts.
9
La sortie d'un marché tendu peut se produire par expulsion (on ne reconnaît pas au sujet la
compétence d'y miser), abandon (le sujet perd la croyance dans les valeurs du marché) ou par une
combinaison des deux. Dans ce cas, les formes de sortie que je décris comportent toujours, une part
d'abandon active.

6
comprendre comment les narrations des personnes sont construites en interaction avec
les différentes branches du système thérapeutique.
On trouve d'abord la figure du psychiatre. Dans les cas étudiés, c'est une figure
masculine qui intervient dans l'environnement hospitalier (toutes les figures que
j’analyse apparaissent aussi dans la consultation privée, à l'exception des infirmiers).
L'internement hospitalier pour troubles alimentaires implique une prise en charge totale
de la vie du patient, une définition du poids à obtenir et une administration de
médicaments en complément d'un travail clinique très bref. Le psychiatre représente,
par ailleurs, la « interprétation » génétique du trouble. Cette étiologie de la maladie,
comme j'ai pu le vérifier dans un cadre public, reçoit l'appui de beaucoup de parents qui
y trouvent une protection contre l'accusation d'être responsables du trouble de leur fille.
La caractéristique qui définit le mieux le psychiatre est son intervention ponctuelle.
Selon Juana, « le psychiatre passait deux minutes avec moi, il posait toujours les mêmes
questions et j'avais parfois envie de lui dire “tu es bête” ». La réaction de Juana est une
réponse possible à l'activité psychiatrique. Pour la comprendre, il faut la situer dans les
cadres de la division professionnelle du travail en santé mentale. D'une part, les
psychiatres revendiquent leur caractère médical qui leur permet de définir les individus
comme un cas d'une catégorie nosologique. Les caractéristiques superficielles que
présente le patient importent moins que son « essence » profonde. Dans ces tréfonds,
on localise les caractéristiques biologiques de la maladie. « La psychiatrie exerce sa
juridiction sur les divisions internes majeures du cas, la division première étant celle du
corps et de l’esprit. En insistant d’abord sur le corps, organisme biologique, la
psychiatrie invoque son autorité médicale de façon tangible » (Barrett, 1998 : 64).
Cette figure s'oppose et complète celle du psychologue qui est le plus souvent
une femme représentant la continuité dans le temps. C'est l'agent professionnel qui
contrôle les évolutions de l'individu et, en ce sens, contraste avec l'intervention
ponctuelle et parfois coercitive du psychiatre. Différencier la psychiatrie de la
psychologie selon l’opposition entre superficiel et profond peut surprendre, si on
rappelle la présence de modèles psychodynamiques chez les psychiatres et l'hégémonie
croissante de la thérapie cognitivo-comportementale chez les psychologues. Du point
de vue des professions, la distinction pertinente devrait être inverse : la profondeur pour
la profession qui accède au corps et qui communie avec la psychanalyse, la surface pour
les partisans du behaviorisme réformé, hégémonique dans les facultés de psychologie
— comme le constate Robert Barrett (1998 : 85). Du point de vue des professions, la
reconstruction de Barrett est certainement correcte, mais elle ne l’est pas du point de
vue des patients. Pour eux, le critère de profondeur se superpose à celui de
l’engagement. Une intervention est plus « profonde » lorsqu'elle s'inscrit dans une
longue durée, supposant un investissement personnel du patient. Chez les
professionnels, la distance scientifique des psychiatres est légitimée par la profondeur
de leur savoir, chez les patients elle ouvre la porte à la possibilité de violer le contrat
thérapeutique (un psychiatre avec lequel on partage peu de temps est facile à tromper)
et, en ce sens, son intervention peut se voir taxée, selon Juana, de «bêtise ». Ce manque
de profondeur thérapeutique est associé à une autre image très différente : le psychiatre
représente la violence ponctuelle, la légitimation de l'enfermement, l'invasion complète
de l'expérience du patient. Ignorance quotidienne et violence épisodique face à au
contrôle étroit et à l’insistance temporelles différencient la psychiatrie de la
psychologie. La division technique du travail en santé mentale fait écho à la division
sexuelle du travail dans le contrôle de la progéniture : la figure paternelle, distante et

7
susceptible d'agression ponctuelle s'oppose à la figure maternelle, plus proche et
administrant des sanctions qui s’incrivent beaucoup plus dans la quotidienneté10.
Une troisième figure émerge de l'espace hospitalier : il s'agit de l'infirmier. Les
relations les plus conflictuelles sont établies avec cette figure professionnelle. Les
conflits avec les infirmiers — dans tous les cas que je connais, désignés comme les «
geôliers » — sont fréquents chez les personnes que j'ai interviewées. Le travail de
l'infirmier est défini par son contrôle quotidien du corps du patient et les différentes
scènes sur lesquelles opère le patient pendant l'internement. C'est aussi la figure avec
laquelle on partage le plus de temps et qui produit, pour beaucoup de patients, l’«
expérience thérapeutique » la plus intense. C'est pourquoi il n'est pas rare de trouver un
bilan ambivalent de cette figure. Selon Juana « les infirmiers étaient les plus durs dans
l'accomplissement de leurs tâches ». Mais ce sont eux aussi qui éveillent les meilleurs
souvenirs. Pour Juana, donc, la position dans la division technique du travail hospitalier
n'est pas corrélée à la valeur thérapeutique de l'activité professionnelle : « Dans
l'hôpital, le psychiatre ne m’a pas aidée, ce sont les infirmiers, les employés, le gardien
ou la femme de ménage qui m’ont aidée ». L'espace hospitalier laisse aussi la trace de
l'endocrinologue. Il analyse les effets physiologiques du trouble et fournit par un
système d'analyse permanent des indices de développement de la maladie. Les troubles
alimentaires produisant des modifications métaboliques remarquables, les analyses se
transforment en témoignages des racines physiologiques de ces troubles.
L’endocrinologue inscrit son intervention dans une continuité temporelle et propose une
activité thérapeutique à long terme. Il isole aussi le corps comme objet d'analyse et
contribue à renforcer l'idée qu’il constitue une entité autonome. L'autocontrôle corporel
intense dans les troubles alimentaires s'accompagne généralement de la perception du
corps comme une entité apte à la mesure et au « redressement » permanent. Les
sensations physiologiques sont considérées comme susceptibles de domestication et
chaque partie du corps est définie selon son pouvoir pour être ou non reformulée à
l’envie du sujet. Comme disait une patiente : « Si tu ne peux pas contrôler la hauteur, au
moins tu peux contrôler le poids ». En ce sens, l'activité de l'endocrinologue renforce la
perception du corps comme un organisme désocialisé, susceptible d'être soumis à une
définition technique objective.
Autre figure de l'espace hospitalier, le nutritionniste, prend également part à la
définition instrumentale du corps humain. Il définit des objectifs de poids correct –
souvent avec l'aide de l'Indice de masse corporelle — et fournit un régime adéquat pour
obtenir ce qui est souhaité d'une part selon des critères de santé physique et, d'autre part,
selon les critères esthétiques souhaités par le patient. Dans le langage du nutritionniste,
l'alimentation perd tout caractère sensible et toute signification sociale : la composition
chimique et les indices caloriques produisent une définition purement technique de
l'aliment fondée sur ses effets sur la morphologie corporelle et sur sa contribution à la
normalisation des analyses métaboliques. En ce sens, on comprend que beaucoup de
nutritionnistes considèrent que l'anorexie et la boulimie, outre l'obésité, sont des
maladies qui sont dues au manque de « culture alimentaire » et que l'information

10
Il faut chercher la clé de la différence entre ma vision et celle de Barrett dans la façon dont
Barrett est produit ses données et moi les miennes. Barrett travaillait comme psychiatre dans l'hôpital où
il a effectué son étude et était spécialement bien situé pour percevoir le monde depuis le prisme des
hiérarchies professionnelles du monde de la santé. Dans mon cas, j'ai parlé avec les personnes en marge
de sa condition de patients tout en ne faisant pas partie des hiérarchies professionnelles de l’hôpital.
Parfois on m'identifiait comme sociologue, dans d'autres situations comme philosophe, dans d'autres
encore comme professeur d'université : dans les trois cas se sont des activités difficile à définir – la
méfiance que cela pouvait entraîner m'a donc contraint a utiliser mon statut professionnel – me situant
alors hors du système sanitaire.

8
nutritionnelle peut transformer les sujets en propriétaires absolus de leur devenir
corporel. Ce type de vision de la maladie se concilie parfois très bien avec les
dispositions des personnes auxquelles elle s'adresse. Rosana, par exemple, m'explique
qu’elle était arrivée à un point où sa conception de l'alimentation était tellement
transformée et le problème devenu tellement central pour elle qu'elle savait seulement
parler de calories à son fiancé. La définition purement numérique de l'alimentation
s'accorde bien avec l'expérience du corps de beaucoup de personnes en tension
corporelle (Gremillion, 2003 : 61-71). Il n'est pas rare que l'on trouve un professionnel
de la nutrition aux débuts d'une trajectoire alimentaire déviante. Il est celui qui prescrit
un régime qui se transformera en détonateur d'un autocontrôle corporel intense. Miriam
raconte comment elle a changé sa culture alimentaire à partir de sa visite chez un
nutritionniste :

« Ma mère m'a emmené voir un nutritionniste. [L'idée de faire un régime] me


semblait terrible, j'étais habituée à manger de tout et je me sentais très mal. J'ai
dû m'habituer à le suivre à la lettre, sans sortir du régime. Pour le nutritionniste
c'était parfait jusqu'au moment où, lors d'un rendez-vous, il m'a repris, car je
perdais chaque mois plus de poids que ce que je devais. J'en étais arrivée à être
dégoûtée des repas ».

Ce sont les figures de base que rencontre toute personne qui a éprouvé un
trouble alimentaire, lors d’un traitement hospitalier ou en consultation (à l'exception de
l'infirmier) : leurs combinaisons définissent plusieurs types d'expériences
thérapeutiques. Comme je montrerai plus loin, ces combinaisons peuvent être
complexes et changeantes. Pour le moment, je me référerai à d'autres modes de
construction de la maladie : ceux qui émanent du domaine des thérapies alternatives.
Par exemple, la thérapie des fleurs de Bach. Ce type de thérapies associe l'écoute
thérapeutique à l'administration de médecine homéopathique. Dans le cas de María José
(qui s’est fait continuellement vomir pendant des années), ces thérapies permettent de
sortir de la médecine traditionnelle et de trouver une forme de soin que le client peut
définir à sa guise, sans aucune « imposition professionnelle » (Andrea a ainsi recouru à
l'Iridologie, thérapie consistant à lire dans l'iris de l’oeil la clé de certaines maladies —
pour éviter un système professionnel qui, selon elle, prétendait « l'engraisser »). De
cette manière, ils combinent un engagement temporel long mais discontinu avec une
conception holistique de l’être humain et du trouble. Les effets de la thérapie sont plus
éprouvés comme une conversion morale que comme un traitement clinique :

« Elle [la thérapeute] t'écoute, te dit un peu si c'est le cas ou si elle a envie, un
conseil ou... un point de vue, mais surtout ce qu'elle fait c'est de détecter, avec
l'impulsion, à un niveau bioénergétique, comme des vibrations qui ne sont pas
que physiques, mais plus globales, un peu... Donc, selon moi, elle détecte à
travers l'impulsion, et... je ne sais pas comment dire, avec certaines fleurs, cela
vibre ou résonne et avec d'autres non. Elle travaille à un niveau plus énergétique.
[S'il te manque] un élément dans la sang, elle te fait une recommandation de
certains gouttes d’un élément dilué dans de l'eau qui me donne une certaine paix,
une autre tranquillité et... une forme de respect ou d'humilité ».

Tableau III. Construction professionnelle de la folie et expérience subjective

Psychiatrie Psychologie Infirmier Homéopathie Endocrino Nutritionniste


-logie

9
Défin D'origine D'origine Jeu de scènes Holistique : Déséquili- Inculture
ition génétique/ psychique (éviter le interaction bre Alimentaire
de la psychody- piège) corps/esprit métaboli-
folie namique que
Interv Ponctuelle Continue Ponctuelle Large et définie Ponctuell Continue
ention (se poursuit en par la cliente11 e
internement)
Expér Connai- Connaissan- Connaissance Connaissan Corps Définition
ience ssance ce profonde étendue Ce intégrale comme chimique
de la superficie- conjoncti des aliments
patien lle on de
te/clie fonctions
nte

Trajectoire thérapeutique et ouvertures


Au fur et à mesure que se déroule son insertion dans le monde thérapeutique, l'individu
découvre l’extension du nombre de définitions possibles de son trouble. Si pour diverses
raisons, le travail de désaccoutumance n'a pas été mené avec succès ou s'il n'a pas été
entrepris avec sérieux, il dispose d'un ensemble d'histoires très diverses sur son étiologie
et la signification de cette dernière. De plus, les longues trajectoires dans le monde
thérapeutique supposent une grande accumulation de capital culturel
psychothérapeutique et, si le trouble n'est pas excessivement paralysant 12 , l'accès de
l'individu à des phases du cycle de vie dans laquelle il gère ses ressources de façon
autonome.

La Famille « pathologisée » : l’assèchement des sources morales avec lesquelles


exercer une pression

L'individu finit par habituer ses proches à la présence des thérapeutes dans la vie
quotidienne d’un des leurs. À l’extrême limite, la vie quotidienne peut aller jusqu’à
transformer le cercle des proches en une extension de l'hôpital. Dans la carrière du
proche qui décide de rester aux cotés d’une personne diagnostiquée anorexique ou
boulimique, ou qui manque des moyens économiques nécessaires pour l'envoyer en
institution, il y a au moins, deux phases possible. La mère de deux filles avec une
longue carrière de troubles alimentaires (enseignante, mariée avec un enseignant, se
définissant « de classe moyenne ») raconte deux périodes distinctes de sa vie après le
diagnostic de ses deux filles. Après avoir d'abord interné ses filles dans un hôpital, elle a
commencé à assister à des thérapies destinées à des proches d’anorexiques et où,
fondamentalement, on lui inculquait des règles pour faire face à la nouvelle situation
familiale. Après un divorce (dans lequel l’épuisement des ressources économique
occasionné par les soins a joué un rôle important), les filles ont commencé à vivre avec
elle et sa maison a été transformée en extension particulière du système hospitalier
d’internement. Quand je lui ai rendu visite, elle portait un trousseau des clés de chacune
des pièces de la maison — salle de bain, cuisine, etc. — qu'elle ouvrait en veillant à que
ses filles n’en détournent pas l’usage.
Outre cette importation du système de surveillance dans leur environnement
quotidien, cette enseignante avait ressenti le besoin d'une intervention pédagogique :

11
Du reste, comme toute relation thérapeutique privée.
12
Ce qui arrive, car les imprévus — des lésions jusqu’au décès — découlant de la soumission du
corps à la volonté du sujet, sont nombreux et dangereux.

10
elle éprouvait en effet une responsabilité « indéterminée » dans les actes de ses filles. «
Je me suis mariée et on m’a dit comment fonctionnait la machine à laver et d'autres
choses, mais... c’est vrai, je n'ai jamais eu personne qui m’explique comment tu dois
éduquer un enfant, et je crois qu'aucune mère ne souhaite ça à ses filles ». Dans cette
seconde phase, les proches passent d’une situation où le trouble affecte le patient, à une
situation où la maladie leur envoie des signaux pathogènes sur eux-mêmes. Les proches
continuent d’essayer de changer l’attitude du patient mais la psychiatrisation s'est
installée dans leur vie quotidienne et elle risque de toucher aussi leur propre
personnalité. Dans le cas des troubles alimentaires, la vie de beaucoup de parents est
envahie par de multiples séances d'information où on leur fait comprendre qu'ils font
face à une véritable maladie qui doit être confiée aux professionnels qui la traitent. On
élimine de la sorte les ressources morales qui permettent une pression efficace sur leurs
proches diagnostiqués : la famille devient alors incapable de les influencer. Si les
familles souffrent de cette situation, elles tendent aussi à se l’approprier. D'une part,
comme j'ai eu l'occasion de le vérifier pendant mon travail de terrain, on leur explique
que ce qui arrive à leur parent est une véritable maladie et que les reproches ne vont pas
le changer. D'autre part, les parents enregistrent la menace que certaines versions
professionnelles de l'étiologie de l'anorexie et de la boulimie leur adressent. On leur dit
que la maladie est le produit de « familles à problèmes » qui n'ont pas su prendre en
charge l'éducation de leurs enfants. Moyennant quoi, dans ces circonstances, les
familles préfèrent les versions « objectivistes » du trouble qui ont le double avantage de
les déculpabiliser, mais aussi de délégitimer la pression sur la déviance de leur proche
engagé dans les troubles alimentaires. Lorsqu’ils optent pour les versions « objectivistes
» de la maladie, ils perdent donc l'autorité parentale.

Les usages stratégiques des experts

Quant les proches cessent d'exercer des pressions pour « retourner à la normalité », le
sujet ne fait plus face qu’au système d'experts : les puissances profanes de contrôle
social ont perdu toute leur force. La trajectoire thérapeutique permet l'usage stratégique
des différents discours que le sujet expérimente à son propos. Il s'agit d'un usage
stratégique car l'individu devient un expert en discours thérapeutiques et qu’il accumule
des ressources culturelles sur sa maladie. Ce qui a d’abord été éprouvé comme une
imposition externe finit par trouver sa place dans les scénarios vitaux eux-mêmes. Par
ailleurs au fil du déroulement de sa trajectoire thérapeutique, le sujet perçoit de mieux
en mieux les contradictions entre les professionnels et les diverses théories — d’ailleurs,
nombreux sont les patients grands consommateurs de littérature sur les troubles
alimentaires.
En ce sens, une trajectoire thérapeutique prolongée implique une dissolution
paradoxale non seulement des sources de l'autorité familiale, mais aussi des conditions
de possibilité de l'autorité morale de l'équipement thérapeutique. Juana, par exemple, a
résisté autant qu’elle a pu au travail que l'équipe thérapeutique exerçait sur elle. Elle a
d'abord commencé par un traitement à l'hôpital, plus tard elle fut internée et ensuite, fit
plus de deux années de thérapie individuelle. Juana résume la différence entre le début
et la fin de son problème à travers le changement de l'évaluation morale de celle qu'elle
considère comme le personnage clef de sa thérapie : « La psychologue m'a dit : “Ma
fille, tu souffres de ça, c’est comme ça et pas autrement”. Tu vois ce que je veux dire ?
C'était la première fois que quelqu'un me disait “tu as une anorexie, c'est ça que tu as.
Tu vas continuer à penser que tout le monde se trompe et que tu es la seule à avoir
raison ?” La psychologue m’a prise de haut et je me suis sentie très mal. J'ai commencé

11
à paniquer avec elle. Mais la panique, panique panique… Maintenant je la vois et je la
couvre de baisers. Mais... à ce moment... j’ai eu très peur de cette femme ».
C’est sans doute le fait de ne pas se voir imposer un seul récit de soi et une seule
sortie souhaitable qui rend l'expérience de Rafaela si particulière. En traitement pour
trouble alimentaire depuis 21 ans, Rafaela occupe une fonction institutionnelle très
importante bien qu'elle soit issue d'une famille — selon elle — « de classe ouvrière pure
et dure » (ancien employé de banque, son père devint ensuite directeur de succursale).
Après une longue expérience d’internement et de thérapies, Rafaela prenait, au moment
de l'entretien, des déjeuners surveillés dans un hôpital de jour spécialisé dans le
traitement des troubles alimentaires.
Elle avait stabilisé deux foyers thérapeutiques : avec un psychiatre —
responsable de l'unité hospitalière qui surveillait les repas — et chez un psychologue
avec lequel elle suivait une thérapie privée. Bien que sa vie était totalement rythmée par
le système thérapeutique, Rafaela ne considérait pas qu'une seule étiquette puisse
résumer correctement son problème qu'elle ressentait avec une virulence particulière.
(L’expérience de Rafaela montre comment la soumission à un dispositif thérapeutique,
loin d'étiqueter indéfectiblement les personnes permet plusieurs possibilités de
description de l’expérience). Cette défense du caractère indéterminé de son expérience
reposait sur les opérations suivantes. Elle exploitait tout d’abord les contradictions entre
professionnels. Devant deux discours contradictoires, Rafaela choisissait celui qui
offrait la vision la moins dégradée d’elle-même, tout en concédant de la véracité au
discours rejeté. Le psychologue et le psychiatre se différenciaient selon elle, comme la
version profonde du trouble s’oppose à la vision superficielle. Dans ce cas, profondeur
ne signifie pas seulement un faible engagement thérapeutique, mais aussi l’image de
l'anorexie comme un trouble frivole 13 . Dans la lutte de Rafaela pour imposer sa
définition symbolique d’elle-même , le psychologue devient un allié :

« Je n'ai pas d'anorexie, je n’arrête pas de manger pour ne pas grossir, c’est ce
que je continue à récuser (...). Mon psychologue ne pense pas que j'ai de
l'anorexie et mon psychiatre, si (...) au niveau inconscient peut-être (...). Je
n’aime pas [la classification d’anorexie] car les gens se la représentent comme
une petite fille stupide qui refuse de manger pour ne pas grossir. (…) Parce que
très sincèrement je n'ai pas conscience de ne pas vouloir manger pour ne pas
grossir au niveau conscient. Bref, déjà tu peux te faire ton opinion [elle s’adresse
à moi], mais mon psychologue pense comme moi ».

Cette différence structure ensuite le travail quotidien de Rafaela : d'une part, elle
accepte la nécessité de manger en observation, validant ainsi pratiquement le dispositif
thérapeutique que lui propose le psychiatre. D'autre part, la thérapie psychologique lui
donne une représentation d’une personne qui doit gérer à chaque fois « un problème
émotionnel avec le repas ». Ces deux dispositifs discursifs et pratiques sont complétés
par un troisième qui définit son corps comme affligé de déficits alimentaires et sa
maladie comme un problème de mauvaise organisation de l'alimentation. Entre eux,
Rafaela effectue aussi des différences en fonction de son accumulation croissante de
compétences sur le terrain nutritionnel :

« J'ai fait des régimes qui m’ont apporté une alimentation équilibrée, alors que
dans d'autres, il y avaient bien trop de calories, il n'y avait pas d’apport de

13
Je traite de ces questions dans Moreno Pestaña (2005 : 134-140).

12
vitamines, il n'avait pas de végétaux et comme il s’agissait de grossir, les repas
étaient très caloriques. Il y avait à cette époque une chose qui m'a parfois
beaucoup aidée : les suppléments alimentaires, tous ces mélanges
hypercaloriques que j'ai eu à prendre pendant si longtemps ».

Enfin, cette expérience de dispositifs thérapeutiques partiellement


contradictoires lui permet de se couper en plans — corps biopsychique, corps nutriment
et âme — partiellement séparés. Toute son histoire dans le système thérapeutique est
ainsi retraduite dans sa géographie corporelle imaginaire. D'une part, Rafaela a été
définie comme un corps comportant un déficit alimentaire (expérience construite par
des nutritionnistes et endocrinologues). D'autre part, comme un cas dans une espèce
nosologique : expérience définie fondamentalement par son psychiatre. Enfin, comme
une personne comportant des énigmes psychologiques : expérience fondamentalement
définie par son psychologue. Il est clair que l’on ne peut pas affirmer que lorsque
Rafaela a reçu ces définitions, elle s’est comportée comme un agent actif. Mais il est
évident qu’elle a appris à les gérer avec une habileté suffisante. Erving Goffman
insistait sur une dimension des longues trajectoires dans le monde de la maladie mentale
qu'on rappelle trop rarement. Le malade mental, après avoir éprouvé de multiples
reconstructions de son moi, finit par acquérir la conscience de l'évanescence de son
identité personnelle. Ce qui peut en principe s'avérer traumatique — destituer l’idéal du
moi qui donnait une cohérence à sa vie — produit la conscience d’une identité
personnelle qui peut être perdue et gagnée sans les effets destructeurs redoutés. Il se
produit alors, selon les termes audacieux et coloristes de Goffman (1968 : 221, 225), «
une chance d'artificialisme cosmopolite, ou une forme d’apathie civique ». La nécessité
de la cohérence disparaît et la personne « apprend là, au moins pour un temps, à
pratiquer devant tout le monde l'art parfaitement amoral de l’impudeur »14.

Du thérapeute au conseiller de vie


Cette expérience d'un je fragmenté dans des histoires contradictoires, fournit une
remarquable capacité d'action. Suivant la situation, telle ou telle description de soi-
même peut être mobilisée. Évidemment, cela n’implique pas que le sujet articule
toujours stratégiquement ses différentes définitions. Dans le cas de Rafaela, ses diverses
histoires n'ont pas été intégrées dans une expérience commune et subsistent comme des
cercles, parfois superposés, parfois séparés, parfois formant une intersection qui définit
sa personnalité. Mais, en d'autres occasions, Rafaela peut manipuler le type
d'impressions qu’elle veut donner aux autres et le faire avec un remarquable niveau de
réflexivité et de calcul. Par exemple, elle oppose son type de problème au « trouble »
alimentaire vulgaire. Même si les comportements sont identiques, son cas n'obéit pas

14
L'expérience cruciale de la division de l'identité est propre à plusieurs problèmes dans la forme
dont Goffman la montre. C’est d'abord ce qui transforme l'expérience thérapeutique en un jeu de
mortification auquel le sujet se soumet passivement. Goffman explique peu — au-delà de quelques
annotations ponctuelles — comment les ressources économiques, sociales et culturelles des personnes
permettent des modes d'autonomie très divers dans la gestion de leur expérience thérapeutique. Ce
problème, dérive logiquement de ce que Goffman décrivait bien, mais qui, comme lui-même l’a expliqué,
a cessé d'être la réalité finale de l'expérience de la maladie mentale (Verhaegen, 1985 : 51-60) :
l'aboutissement de l'expérience du malade mental se produit dans un internement régi clairement par la
profession psychiatrique et qui soumet toute personne diagnostiquée comme patient aux mêmes
expériences d’encadrement et de mortification.

13
aux principes qui inspirent ses camarades d'hôpital : « Je n'ai rien voir avec elles, elles
sont dans leur truc de manger pour ne pas grossir et que leur physique est le plus
important et que leurs pantalons leurs aillent bien »15. Rafaela a su évaluer quand sa
conversion en porte-parole des personnes atteintes de troubles alimentaires pouvait
comporter un coût pour elle-même : «J’ai fini par sortir dans un programme de
télévision pour donner mon témoignage il y a des années[…], mais je me suis rendu
compte que cela me portait préjudice,pace que j’étais cataloguée et je ne voulais pas
l’être [... ]. Les gens qui me connaissent réellement savent comment je suis et ce que je
vaux, que je peux avoir un problème, passer par une crise et que je ne mangerai pas,
comme d’autres s’enfermeront chez eux. Mais ils savent aussi que je suis une nana qui a
beaucoup de valeur et eux ils m'acceptent…mais une autre partie de la population... Je
suis arrivée à un moment de ma vie où je ne dis jamais que j'ai de l'anorexie, mes amis
le savent... Ou bon, j'en ai [de l’anorexie], parce qu’ils continuent à me cataloguer, je
n'aime pas dire les choses comme ça… Mais comme je suis en traitement et que j’ai été
hospitalisée récemment… ».
Une nouvelle conception de vie se met ainsi en place. Le caractère dramatique
de la première intervention thérapeutique est dilué et le sujet incorpore le monde des
experts dans sa dynamique vitale quotidienne16. Rafaela est aujourd'hui une participante
active des organisations politiques de solidarité, et elle a été une organisatrice active des
associations d'aides à l'anorexie et à la boulimie — jusqu'à ce que cette activité
commence à produire des représentations négatives à son égard.
Évidemment, le travail de transformation de dispositions continue sans
s’accomplir et la tension corporelle menace souvent sa vie quotidienne. Rafaela elle-
même l'assume : ce n’est pas en vain qu’elle s’inscrit dans un contrôle institutionnel
étroit de la part du psychiatre et du psychologue. Dans ses moments de crise, telle ou
telle partie du système thérapeutique peut être activée : celle du contrôle hospitalier de
ses repas, celle du contrôle pharmacologique de ses états d'esprit, celle de la réflexion
sur ses peines personnelles assistées par un expert. Ainsi, Rafaela reconnaît la valeur du
dispositif thérapeutique pour traiter les effets de son comportement, même si elle rejette
— à travers une combinaison curieuse d’opportunisme pratique et d’intellectualisme —
certaines des descriptions inconfortables de son étiologie.
Cette redéfinition du système thérapeutique ne s'effectue pas sans certaines
conditions sociales de possibilité. En premier lieu, économiques : sans elles, Rafaela ne
pourrait pas accéder à une autre offre que celle du système thérapeutique public.
Deuxièmement, culturelles : la réinterprétation du problème se produit toujours en niant
que les effets — ne pas manger, incapacité à cesser d'être maigre — doivent avoir
certaines causes — le désir de miser haut sur le marché sexuel.
Ce travail de réinterprétation nécessite le soutien, souvent trouvé, d'un des
représentants du monde thérapeutique qui fournit la caution symbolique à la tentative de
ne pas se laisser enfermer dans la version dégradée des troubles alimentaires (selon
laquelle ils seraient le résultat des désirs de « petites sottes »). Comme on peut
l’observer, mon analyse est construite sur la combinaison de trois facteurs : ressources
économiques et culturelles, pluralité de thérapeutes et effets d'idéalisation. Dans le cas
de Rafaela, sa trajectoire dans le monde thérapeutique est définie à partir d'une
combinaison particulière des trois. Grâce à ses ressources économiques et culturelles,

15
Se manifeste ici la description d'un mouvement de délimitation stratégique identique au cas
d’Ellen que j’analyse dans Moreno Pestaña (2005 : 139, 144) : « Mon anorexie est plus profonde que
celle des autres, superficielle ».
16
Une telle accoutumance aux mesures thérapeutiques fait partie de l'expérience de beaucoup de
malades mentaux. Estroff (1998 : 328) traite cette question.

14
elle peut accéder à de multiples thérapies et à la possibilité de trouver, parmi elles, une
explication peu dégradante de soi-même. Ce type de situation ne se produit pas dans un
contexte existentiel d'expérimentation légère de la folie. Au contraire : c'est un contexte
relativement problématique constamment submergé par des états exceptionnels. Dans
de tels états, la plus grande partie de la vie quotidienne se trouve sous un régime de
supervision des divers dispositifs thérapeutiques. Une bonne partie de l'énigme
sociologique de cette espèce de chronicité peut être résolue en explorant attentivement
les cas de combinaisons logiques entre les trois types de variables. De telles
combinaisons me permettront de spécifier ce qui est logiquement concevable bien que
socialement peu probable selon mon travail de terrain 17 . Les conditions sociales,
institutionnelles et culturelles des carrières « chroniques » dans les troubles alimentaires
peuvent être combinées selon les trois variables que je représente dans le tableau.

Tableau IV. Possibilités logiques

Numéro de la Ressources Thérapeutes Idéalisation de la


combinaison culturelles et multiples maladie
économiques
1 + + +
2 + + -
3 + - +
4 + - -
5 - + +
6 - + -
7 - - +
8 - - -

La première combinaison décrit le cas de Rafaela : hautes ressources culturelles et


économiques, usage du système thérapeutique comme d’un « menu » et existence d'une
explication symboliquement réconfortante des pratiques restrictives. Chez les personnes
ayant de longues trajectoires dans le système thérapeutique, je n'ai trouvé aucun
exemple du second type de combinaison. Pour qu'il se réalise, l'équipement
thérapeutique devrait produire un message extrêmement unifié et la personne devrait
renoncer à chercher aussi une approbation intellectuelle de son compromis restrictif.
Franchement, je crois que c’est une situation difficile à trouver vu l'extrême pluralité du
marché thérapeutique et les stéréotypes positifs associés aux troubles alimentaires
(surtout à l’anorexie). La troisième combinaison se réalise avec une fréquence relative :
elle correspond à une personne qui réunit tous les prototypes du vainqueur et qui
parvient à déclencher ce que la psychanalyse appelle un contre-transfert chez son
thérapeute (Moreno Pestaña 2006 : 16-22). Le cas le plus frappant est celui d’une jeune
fille, cadre politique et pleine de promesses académiques qui a consulté un psychiatre
privé pour lui demander de l’aider à freiner la pratique du vomissement. Le thérapeute
lui a répondu qu'elle était trop intelligente pour être boulimique et qu’elle devait

17
Ce qui suit est un exemple d'analyse de l'espace des propriétés, instrument de pensée défini par
Paul F. Lazarsfeld et expliquée par Howard S. Becker (2002 : 271-286). L'objectif de ce type de
procédures logiques — que je présente ici sous la forme d'une table de vérité — est d'aider à grouper les
variables complexes que mon analyse considère comme décisives pour expliquer les données d'une
manière ordonnée. L'existence réelle ou non de chacune des combinaisons est, bien sûr, un problème
empirique. Expliquer les raisons de l'existence ou la non-existence de chaque combinaison permettra
d'expliciter mes hypothèses sociologiques.

15
sûrement être anorexique18. La quatrième combinaison intensifie les caractéristiques de
la deuxième : évidemment, elle supposerait un cas empirique véritablement rare et dans
de telles conditions je devrais réviser radicalement et même abandonner mon cadre
analytique. La cinquième combinaison pose un problème évident : comment disposer de
multiples thérapeutes quand on a de faibles ressources ? Dans ces conditions, ce qui est
normal est d'accéder au système public de soins et d'être soumis à un traitement
impliquant des coûts personnels, économiques et sociaux élevés : les environnements
socialement modestes sont peu sensibles au charisme de l'anorexie et il est beaucoup
plus urgent d'attaquer un processus d'abandon des dispositions qui ont été acquises dans
la période d'autocontrôle corporel intense (cf. le cas de Juana). La sixième combinaison
me paraît complètement irréelle : il manque les conditions sociales (comme dans la
cinquième) et elle suppose un niveau d'unification du système thérapeutique qui a cessé
d'exister depuis longtemps. La septième combinaison, rare, m'est apparue dans un cas
où la jeune fille réunissait un capital corporel considérable19 en dépit de son origine
relativement humble et se trouvait dans une phase du cycle de vie relativement précoce.
La dernière combinaison se trouve surtout chez les personnes pauvres, sans capital
culturel ou dans une phase très précoce du cycle de vie qui empêche toute autonomie.

Tableau V. Les possibilités empiriques

Capitaux Thérapie Idéalisation


Elevés Multiples Elevé
Elevés Unique Elevé
Basses Unique Basses

Les possibilités logiques se résument donc à trois possibilités empiriques20. Seule la


première et surtout la deuxième me paraissent susceptibles de produire des processus
devenant chroniques en « douceur ». Les personnes demeurent soumises à des marchés
corporels tendus ; elles recourent à un marché thérapeutique qui leur permet de
contrôler leurs fragilités. Le thérapeute devient un conseiller de vie et son expérience
cesse d’être l'objet approprié de la sociologie de la maladie mentale. On a plutôt affaire
à une sociologie de la dureté de la vie dans certains milieux privilégiés.
Puisque l'excellence corporelle est, dans certains milieux sociaux, une propriété
des élites, l’étude devrait se transformer en sociologie de la vie quotidienne de certaines
fractions des classes des moyennes dominantes et de certaines personnes qui, avec une
bonne volonté corporelle, aspirent à l’idéal d’excellence. Cette sociologie montrerait les
coûts, parfois terribles, qu'entraîne une telle expérience de la domination - ou
l'aspiration à l'exercer.

Références

Barrett, R. (1998) : La traite des fous : la construction sociale de la schizophrénie,


París, Synthélabo.

18
J’ai traités des préjugés sociocentriques — ou si l’on préfère : l'ethnocentrisme de classe —
autour de la différence anorexie/boulimie dans Moreno Pestaña (2005 : 134-137).
19
Le capital corporel est plus que la simple « beauté » : il suppose de manières de présentation en
public caractéristiques de personnes des classes dominantes.
20
Je me passe de la septième combinaison qui suppose un thérapeute particulièrement obnubilé et
irréfléchi devant des facteurs que n’importe qui est préparé à discerner et à désactiver : l'attraction
physique. Malheureusement, il n'arrive pas la même chose avec les préjugés sociaux.

16
Becker, H. S. (1985) : Outsiders. Études de sociologie de la déviance, París, Metailié.
Becker, H. S. (2002) : Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en
sciences sociales, París, La Découverte.
Berthelot, J.-M. (1983) : « Corps et société. Problèmes méthodologiques posés par une
approche sociologique du corps », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 74, 1983,
pp. 119-131.
Estroff, S. (1998) : Le labyrinthe de la folie. Ethnographie de la psychiatrie en milieu
ouvert et de la réinsertion, París, Synthélabo.
García, J. (2002) : « Cobertura total de la unidad de anorexia », Diario Jaén, 24-05, p.
5.
Goffman, E. (1968) : Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentales,
París, Minuit.
Gremillion, H. (2003) : Feeding anorexia. Gender and power at a treatment center,
Durham & Londres, Duke University Press.
Hacking, I. (1998) : L’âme réécrite. Étude sur la personnalité multiple et les sciences de
la mémoire, París, Synthélabo.
Moreno Pestaña, J. L. (2005) : « Jerarquías corporales, discursos científicos y
construcción de identidad en los trastornos alimentarios. Un acercamiento sociológico
», N. Corral (coord.), Nadie sabe lo que puede un cuerpo. Variaciones sobre el cuerpo y
sus destinos, Madrid, Talasa, pp. 121-145.
Moreno Pestaña, J. L. (2006) : « Un cas de déviance dans les classes populaires : les
seuils d’entrée dans les troubles alimentaires », Cahiers d’économie et sociologie
rurales nº 79, pp. 68-95.
Schatzman, L. et Strauss, A. (1966) : « A Sociology of Psychiatry : A perspective and
some organizing foci », Social Problems, Vol. 14, nº 1, pp. 3-16.
Verhaegen, L. (1985) : « Quelques éléments pour une analyse des nouvelles carrières
psychiatriques », Sociologie et sociétés, Vol. 17, nº 1, 1985, pp. 51-60.

17

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