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qui contribuèrent à précipiter une crise que tout annonçait depuis
longtemps. Feuerbach déclarait qu'il fallait en revenir aux réalités, et
que la seule vraie réalité était l'homme. Il est inutile de répéter ici
ce que Engels a dit sur l'influence décisive que Feuerbach
exerça à
un moment donné sur toute la génération des jeunes
philosophes.
(Cf. Engels, Lud~ Feuerbach, p. 13 et pa~:m.). Il suffira de dire
que les jeunes, après avoir longtemps erré dans le monde des idées,
crurent enfin apercevoir la terre ferme. Toutefois l'influence de
Feuerbach, à elle seule, n'eût pas été suffisante pour ramener nos
dialecticiens aux réalités. « L'homme » de Feuerbach n'était lui-
même qu'une abstraction, comme le montrera plus tard Friedrich
Engels (loc. cit., p. 35 et suiv., 40 et suiv.). Aufond, Feuerbach ne
faisait que concevoir la réalité de loin, sous forme d'une idée, alors
qu'il eut fallu résolument s'en approcher et l'étudier sous ses diffé-
rentes formes. Cependant pour ces esprits habitués à des abstrac-
tions, le fait même d'avoir opposé « la réalité » aux idées, ne fut-ce
que sous forme de principe, devait avoir son importance. Aussi
s'empressèrent-ils, dans leurs écrits, de faire sa part à l' « homme )>,
au vrai « homme », à l'homme tel qu'il est; jusqu'à Stirner, qui
opposant l'homme de chair et d'os, le moi particulier et empirique
à toute idée logique, luttera contre toutes les idéologies qui ont
détourné les hommes de la réalité de leur moi.
La crise du jeune hégélianisme a donc été produite ou du moins
accélérée par deux facteurs dont l'un était d'ordre politique, tandis
que l'autre avait un caractère purement philosophique la réaction
prussienne et le « réalisme » de Feuerbach. L'influence de Feuerbach
n'aurait peut-être pas été aussi grande qu'elle le fut réellement, si
le gouvernement prussien ne s'était pas chargé de montrer aux
Jeunes-Hégéliens qu'il n'y avait guère d'espoir pour eux de voir
leurs idées mises en pratique. En effet, tant qu'ils avaient pu
espérer qu'un jour certaines de leurs conceptions théoriques sans
d'ailleurs trop pouvoir préciser lesquelles auraient une influence
décisive dans le domaine des faits, il leur avait paru que, tout en
restant dans le monde des idées, leurs efforts aboutiraient à des
résultats palpables et ne resteraient pas confinés dans la spéculation
pure. Leurs espoirs ayant été déçus, ils s'aperçurent qu'ils s'étaient
agités dans le vide.
Mais aux deux facteurs que nous venons d'énumérer, il faut en
B. GROETHUYSEN. ORIGINES DU SOCIALISME EN ALLEMAGNE 389
magne, qu'on pourra lire dans le recueil de Zlocisti (~oe. cil. p. 103 et
suiv.), se-demande comment il se fait que tant de Jeunes-Hégé-
liens, après avoir d'abord montré de la. sympathie pour les théories
socialistes, s'en soient bientôt détournés. Il nous fait voir comment
ces. philosophes ayant toutes les audaces dans le domaine de la
pensée pure, « sautant au-dessus de tous les abîmes » et passant par
maintes «révolutions en philosophie, devenaient timides du moment
qu'il s'agissait d'envisager des faits.
Mais si certains Jeunes-Hégéliens se montrèrent hostiles aux
idées du socialisme français, un groupe important auquel appar-
tenaient Karl Marx, Friedrich Engels et Moses Hess essaya par
contre de démontrer que socialistes français et philosophes allemands
devaient désormais travailler en commun, pour régénérer le monde.
Ce fut surtout Moses Hess qui s'enorça de prouver que cette alliance
était nécessaire et que les deux mouvements se complétaient l'un
l'autre. « Le communisme français, dira-t-il, est né d'un besoin sen-
timental et non de nécessités logiques; la philosophie allemande
en s'unissant à lui, lui donnera le fondement scientifique qui
jusqu'ici lui avait fait défaut. » (Cf. Le recueil de Zlocisti, loc.
cil., 325). «D'autre part, dira-t-il encore, ce qui jusqu'ici a manqué
aux Allemands, c'est la pratique » qu'ils devront apprendre des
Français. Ainsi, dans son idée, Français et Allemands se complètent,
et à eux deux ils prépareront la nouvelle phase de l'humanité. Cette
opinion, Moses Hess ne cessera de la propager sous difîérentesformes.
Le « sentiment ? français et l'inteHectualité allemande devront se
pénétrer mutuellement, pour le bien de l'humanité. Les Français,
dira-t-il, ont un sens politique, qui manque aux Allemands; ce sera
aux: Allemands,-par contre, de donner un fondement théorique à
des vues qui en France sont restées affaire de sentiment et de pra-
tique. Ou bien les Français pensent faux, mais agissent juste;
tandis que pour les Allemands, c'est l'inverse (Zlocisti, loc. cit.,
156).
La philosophie hégélienne, alliée naturelle du socialisme français,
aurait donc un rôle fort important à jouer dans l'élaboration des
idées nouvelles. Telle devait d'ailleurs être d'après les Jeunes-
Hégéliens, sympathiques au mouvement socialiste, sa vraie des-
tinée, l'aboutissement du mouvement philosophique ne pouvant
être que le communisme. « Ou bien tout l'effort philosophique
B. GROETHUYSEN. OK[G)NES DU SOCtAUSME EN ALLEMAGNE 391
1. Nous croyons que ce que nous disons de Karl Marx, s'applique aussi à
Friedrich Engels, contrairement à l'avis de M. Sven Helander qui dans ce
qui concernel'attitude des deux amis à l'égard de l'hégélianismeet de la philo-
sophie en général, croit pouvoir constater des divergencesprofondes.Remar-
quons à ce sujet qu'il serait tout à fait erroné de ne voir en Friedrich Engels
qu'un esprit réaliste », hostile par nature à toute spéculation. Engels, nous
l'avons vu, s'il n'a pas poussé ses études philosophiquesaussi loin que son ami,
a passélui aussi par une phase métaphysique. Quand plus tard il s'est agi de
faire la critique des conceptions Jeunes-Hégéliennes,les deux amis ont pensé
et agi en complet accordl'un avec l'autre, commele prouvent les ouvragesqui
sont sortis de leur collaboration.Il est curieuxde voircertains auteurs modernes
s'efforcernon seulementde faire dire à Karl Marxle contraire de ce qu'il a dit,
sous prétexte de nous découvrir sa pensée cachée,mais encore de le mettre en
opposition avec son ami. Il serait étrange que les divergencesde vues qu'on
croit pouvoir constater entre les deux amis n'eussent laissé aucune trace, étant
donné surtout que Karl Marx était loin d'avoir un esprit conciliant, et qu'il
tendait plutôt à accentuerles diSérencesqu'à les passer soussilence.
(HUGUES DU SOOAUSME EN ALLEMAGNE 40t
B. GROETHUYSEN.
1. Pour montrer combien Marx plus tard fut sévère pour tous ceux qui vou-
laient continuer et même renouveler les traditions hégéliennes.il suffit de lire
sesjugementssur LassaIIe,auquel il reproche d'en être resté à l'idée spéculative.
Lassalle,eneffet, demeuratoute sa vie hégélien,et il mieux
seraitintéressant de comparer
ses idées à celles de Karl Marx,précisémentpour nous faire voir ce qui
Hegel. I) peut sembler curieux que Lassalle de
sépare l'auteur du Capital, de ait
sept ans plus jeune que Marx continué les traditions hégéliennes,ou même
ait voulu ies renouveler, à un moment où tant d'entre les jeunes les abandon-
naient. On devra cependant tenir compte du fait que Lassalle fit son adhésion
à l'hégélianismepour ainsi dire à titre individuel, et non par l'intermédiaire
d'un groupe. S'il est juste de dire que Marx commençapar être un Jeune-
Hégélien, Lassalle fut hégélien tout court, et il n'abandonna jemais les idées
de son maître qu'il appliqua à tous les phénomènesde la vie collective,et même
à des événements d'un caractère purement personnel. Il est intéressant de lire
-i ce "ujet les lettres du jeune Lassalle que M. GustavMayer vient de publier
(Ferdinand Lassalle, NachgelasseneBriefe und Sc/u-en. Br/e/e von und an
Lassalle bi) 1848, herausgegeben von Gustav Mayer, Deutsche V~a<y.sans<a/<,
Stuttgart, Berlin, 192l): ainsiundque sa correspondance avec Karl Marx (Der
zwischenLassalle
.Br/f/tucc/tSf; Marx herausgegebenvon Gustav Mayer).
11 ~02 REVUE PHILOSOPHIQUE