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Peut-on se passer d’enseignants ?

Jean-Paul Jouary,
Philosophe, écrivain

La période est inquiétante. Les suppressions de postes, les réductions de


possibilité de formation continue et la quasi destruction de la formation initiale
ne sont pas seulement des attaques quantitatives contre l’éducation : elles auront
des effets catastrophiques sur l’ensemble du système éducatif au niveau
qualitatif. Aujourd’hui on y ajoute le projet de suppression d’écoles de classes.
Bref : l’école deviendrait de plus en plus le face à face de jeunes et d’un adulte,
sans ambition d’enseignement.

Les échecs, les sentiments d’ennui, l’absentéisme, les comportements parfois


désordonnés ne sont pas dans les gènes ni dans une fatalité sociale : toutes ces
façons de faire une sorte de grève d’avenir et d’ambition s’enracinent dans des
déséquilibres et injustices sociales qui ne proviennent pas de l’éducation certes,
mais que le sacrifice des conditions d’équité scolaire aggravent
considérablement. Ce ne sont pas des fichages précoces, des surveillances
technologiques, des interventions policières ou des menaces financières envers
les parents, qui déracineront ce qui broie tant de vies. D’autant que les injustices
criantes fascinent un peu, lorsqu’on voit bien que les triches, les spéculations,
les mensonges et les trahisons exhibent leurs triomphes comme autant d’insultes
à l’effort, à la culture, à la citoyenneté, au sérieux scolaire. Ce n’est d’ailleurs
pas sans raison que des attaques sont actuellement portées aussi contre
l’enseignement de l’histoire, des sciences sociales, de la philosophie, des
langues comme cultures. C’est toujours en obscurcissant la compréhension de ce
que nous sommes que l’on peut répandre un « no future » et résigner
conjointement aux causes des malheurs et à la fatalité de leur pérennisation. Qui
ne voit qu’au lycée beaucoup est déjà, non pas joué, mais annoncé comme une
tendance à de nouvelles inégalités, que l’université va faire exploser.

Je crois qu’il est urgent d’élever les débats et les actions de tous les intéressés –
donc de tous les citoyens – au plus haut niveau, mais aussi d’en faire un enjeu de
grande portée politique au sens le plus noble du terme. Sans quoi les réactions
en resteront à des revendications éclatées qu’il est toujours facile de dévoyer et
noyer dans l’absence de réel espoir.

1
Extraits de l’intervention de clôture du « Printemps de l’éducation » de Créteil, le 29 mai 2010.
Il est temps de rappeler à tous que si nous, les humains, avons besoin d’école,
alors que n’importe quel chien porte dans ses gènes tout ce qu’il lui faut pour
vivre et se reproduire, c’est pour des raisons liées à ce qu’est un être humain.
Jean-Jacques Rousseau remarquait qu’un animal est à la naissance ce qu’il sera
toute sa vie et son espèce au bout de mille ans.

A la naissance le bébé humain est le plus inapte à la survie élémentaire


justement parce qu’il va devoir développer en lui tout ce que les générations
antérieures ont créé de possibilités et de nécessités. Le petit d’homme va peu à
peu les acquérir et ce, à l’extérieur du ventre maternel, dans un milieu culturel
humanisant. Il ne cessera jamais de devenir humain. L’humain est un devenir,
jamais un être achevé. C’est bien pourquoi parler d’ « identité » à propos d’un
humain c’est nier sa spécificité humaine. Il n’y a ni identité individuelle, ni
identité sociologique, ni identité nationale. Car définir une telle identité, c’est
déjà refuser toutes les potentialités de devenir autre, c’est fracturer l’humanité et
alimenter les ignorances réciproques. Devenir autre que soi est le destin de tout
humain, donc s’enrichir des différences c’est s’enrichir, et devenir différent de
soi, à l’infini. La seule façon d’identifier un humain, c’est reconnaître qu’il
n’aura jamais d’identité. Ce n’est pas seulement une question d’humanisme et de
citoyenneté, c’est une question de compréhension de soi et d’autrui. Pour un être
humain, « être soi-même c’est toujours être autre que soi », selon la belle
formule de Jean-Paul Sartre.

C’est bien pourquoi on arrose une plante, on dresse un animal, mais on éduque
un humain. Il ne s’agit pas de former en lui une capacité à répéter, reproduire ce
qu’on lui enseigne. Il s’agit certes de lui faire acquérir et intérioriser beaucoup
de choses qui existent déjà, mais de le faire en développant en lui la capacité et
le plaisir de chercher et inventer des choses nouvelles. Toute société moderne a
besoin d’une telle créativité, laquelle ne peut se former toute seule. La vie
familiale, les drames mêmes, contribuent depuis toujours à la formation d’une
passion de créer. Mais à l’échelle d’une société, c’est bien le système éducatif
qui peut y contribuer de façon décisive, et pour tous.

S’il ne s’agissait que de répéter, alors des logiciels, des ordinateurs et Internet y
suffiraient. Certes, si les comportements animaux sont pour l’essentiel transmis
génétiquement, les conduites humaines sont façonnées par l’intériorisation d’un
patrimoine culturel. « Chaque génération éduque l’autre », écrivait Emmanuel
Kant, mais il ajoutait aussitôt : « Il faut procéder socratiquement dans
l'éducation ». Socratiquement, cela signifie qu’il ne suffit pas de montrer à
l'autre quel chemin il doit prendre, mais il faut aussi former en lui la capacité à
trouver le bon chemin, à tracer lui-même le bon chemin, à force de
contradictions, d'étonnement, de prise de conscience de l'erreur, de désir d'en
sortir. C'est en marchant, donc en tombant, que l'on apprend à marcher. Le
patrimoine culturel n'est assimilé vraiment que par des pensées personnelles, des
volontés de penser, des désirs et des plaisirs de connaître et de créer.

C’est là la découverte définitive des philosophes grecs de l’Antiquité comme


Platon ou Aristote : il n’est de savoir qu’à partir d’un sens de la question. Or
chacun de nous a dès l’enfance le sentiment d’avoir des réponses, et ressent
avant tout un besoin qu’on donne des réponses. A l’adolescence, cela se
manifeste tout particulièrement contre d’autres réponses (celles des parents par
exemple). Il faut bien devenir soi-même. C’est un moteur et un frein. Un frein
car cela peut tuer la curiosité et tourner vers des activités non épanouissantes.
Pour que cela devienne un moteur, il faut que d’une manière ou d’une autre le
jeune entre en contradiction avec lui-même. Il se sentait plein, plein de réponses,
et soudain ces évidences éclatent, elles se révèlent incohérentes, impossibles,
leur volatilisation crée alors un vide, un vide dérangeant, un vide qui appelle à
être rempli. Alors il y a ce que les Grecs anciens appelaient l’étonnement, la
contradiction avec ce que l’on pensait, ce qui crée le désir de remplir ce vide. Là
où il y avait des réponses il y a désormais des questions, des désirs de nouvelles
réponses, l’attente du plaisir de les découvrir. Voilà ce qu’un logiciel, un site
internet, ne sauront jamais produire. Voilà ce qui rend l’enseignant nécessaire.

Ainsi, tout véritable enseignement est d’abord contradiction avec l’autre, avec
soi-même, et remise-en-question. Sans tout cela il n’y a que mémorisation
passive, ennui et, s’il n’y a pas de véritable espérance sociale, grève de
l’apprentissage et rejet de l’école. C’est pourquoi, moins le milieu familial rend
familiers les savoirs découverts à l’école, plus il est nécessaire de créer les
conditions d’une telle intériorisation. Si l’école n’assure pas la réussite sociale et
qu’elle demande des efforts non accompagnés de plaisir, alors à quoi bon ? C’est
là un enjeu essentiel du combat contre les inégalités scolaires, parce que cela
entre de façon essentielle dans la formation de l’activité intellectuelle, de
l’initiative, de l’autonomie.

Mais pour former des êtres humains capables d’autonomie de jugement,


d’initiative citoyenne, de plaisirs culturels porteurs d’invention et de lien social,
il y faut des rapports humains, il y faut du dialogue, une incitation au sens de la
question, des identifications à des enseignants capables d’écouter et de
provoquer des étonnements. Comme Gaston Bachelard aimait à le dire, « la
vérité est fille de la discussion ».

Or tout cela ne tombe pas du ciel : il y faut des effectifs compatibles avec cette
ambition, des enseignants formés au plus haut niveau à leur discipline mais aussi
formés à former les élèves et les étudiants. Sans la conscience de ce qu’éduquer
veut dire et suppose, on ne peut comprendre pourquoi nous avons besoin
d’enseignants : ils ont pour finalité de réussir ce qu’aucun logiciel, aucun
manuel de prêt à penser, aucun site internet, aucun QCM, aucun logiciel ne
peuvent obtenir. Je dis bien enseignants, et pas une simple présence humaine
face à des élèves, pas de simples étudiants aussi volontaires soient-ils. On ne
construit pas n’importe comment un véritable désir de savoir.

J’ajouterai que c’est seulement en plaçant la réflexion sur le système éducatif à


ce niveau fondamental qu’il pourra un jour prendre force politique : car c’est à
ce niveau seulement que peuvent converger le vécu des élèves, le souci des
parents et l’engagement des enseignants. Sans cette convergence à construire, il
ne sera jamais possible ni de défendre le système éducatif contre les coups qui
lui sont portés, ni de créer les conditions de son élévation au niveau des besoins
et aspirations de notre époque.

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