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Joël de Rosnay : Qu’est-ce que la biologie synthétique ? Projets et
perspectives - Conseiller auprès du président de la Cité des sciences et de
l’industrie
De nombreux projets dans le monde travaillent sur et avec ces outils. Par exemple,
Craig Venter développe depuis 2004 et jusqu’en 2014 une bactérie « hyper
productrice » d’hydrogène. La Communauté européenne se préoccupe d’éthique, de
sécurité et aussi de compétitivité pour ne pas prendre de retard par rapport aux
autres pays (USA, Japon, Chine…). La CE demande d’anticiper, de stimuler la
transdisciplinarité, de développer les infrastructures et de mettre en place une
meilleure communication pour rendre ces technologies abordables par le grand
public. Les problèmes éthiques et environnementaux (risques pour la biodiversité)
imposent la plus grande vigilance face aux risques de dérives commerciales et
militaires.
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Alfonso Jaramillo : Etat des lieux, état d’esprit - responsable du projet européen
Biomodular H2, Ecole Polytechnique
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bruit et d’erreurs. De plus, le vivant évolue et les organismes synthétiques évolueront
renforçant leur imprédictibilité.
La biologie synthétique ressemble à un projet d’assemblage de Legos. Avec des
modules on construit du vivant. La biologie de synthèse va être couplée avec
l’approche des biotechnologies évolutives. La première fabriquera des organismes et
sera un Générateur de Diversité (GoD en anglais), alors que la deuxième
sélectionnera ces derniers pour leur utilité.
La biologie synthétique pose des questions de sécurité et d’éthique. La société va-t-
elle l’accepter ? Suffisamment de mesures sont-elles prises pour éviter de relâcher
des organismes potentiellement dangereux dans la nature ? Les chercheurs doivent
se poser ces questions et prendre garde aux utilisations non éthiques qui peuvent
êtres faites de ces technologies. La recherche sur ces questions est aussi importante
que celle portant sur les aspects technologiques. Un débat collectif doit avoir lieu
pour décider ensemble comment maximiser les applications favorables de ces
technologies tout en minimisant les risques de dérives.
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En terme d’éthique, des questions se posent concernant l’amélioration de la biologie
humaine, les brevets et la propriété des organismes synthétiques, ou même la
difficulté de tracer une démarcation entre vivant et machine.
Les risques associés sont-ils véritablement différents de ceux induits par les OGM ?
Faut-il des réglementations plus contraignantes et de nouveaux protocoles pour la
protection des laboratoires et l’encadrement de l’expérimentation ? Qu’en est-il des
biohackers qui peuvent disposer d’informations et de kits de biologie sur internet pour
faire de la synthèse biologique ? Comment renforcer la sécurité biologique, alors
qu’avant une part de la sécurité consistait à contrôler les transferts de matériel
biologique, aujourd’hui, il ne s’agit plus que d’information ?
Se pose aussi les questions de protection des découvertes. La biologie synthétique
étant à l’interface entre l’informatique et la biologie, le brevet n’est pas le meilleur
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outil et plusieurs propositions ont déjà été faites pour favoriser l’investissement tout
en partageant l’information.
Un autre problème se pose, celui du transfert d’activité. En produisant certains
composés de manière synthétique, le risque est fort de voir certaines activités, en
particulier agricoles, péricliter. Se posent aussi les questions de l’utilisation des sols
pour fabriquer de la biomasse et non des cultures pour l’alimentation. Les débats
actuels sur les biocarburants ne sont que le début de ces conflits d’utilisation des
ressources de notre planète (terres arables, eaux).
En raison du caractère intrinsèque de « technologie duale » de la biologie
synthétique, il est nécessaire de se poser aujourd’hui ces questions et de réfléchir
ensemble, -:scientifiques, philosophes, particuliers, industriels, politiciens - à faire
des choix compatibles avec un développement durable.
- Paule Pérez : Quel est le pouvoir de l’ONU dans ce domaine ? Une gouvernance
mondiale est-elle envisageable ? Existe-t-il une sorte de bibliothèque internationale
qui recenserait l’existant sur le sujet ?
Pour Joël de Rosnay, le fossé est très large entre ce qui se dit ici, et la culture des
hommes politiques internationaux (et nationaux). Par exemple, un ministre français
de l’immigration est passé à la radio il y a quelques jours et a été incapable de
répondre à la question « Qu’est-ce que l’ADN ? ».
- Sacha Loeve : Comment concilier le fait que, comme le disait Markus Schmidt,
d’une part le vivant est imprévisible, et que d’autre part, les mondes des organismes
synthétiques et naturels seraient séparés et ne pourraient pas interagir ? Il s’agit là
d’un paradoxe…
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Markus Schmidt précise qu’il est nécessaire de s’assurer que les organismes de
synthèse ne seront pas viables dans la nature. Des précautions sont à mettre en
place sur cette question.
- Un intervenant : Le vivant n’est pas docile. Quels sont les risques que l’homme est
prêt à prendre en se lançant dans des innovations incontrôlées ?
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même propos ont déjà été tenus pour les OGM ou les nanotechnologies. Encore une
fois, ces technologies sont présentées comme « allant résoudre tous les
problèmes ». Le public averti commence à être fatigué de ces annonces de
révolutions technologiques ! Les investisseurs sont-ils des grands naïfs qui aiment
rêver ? Finalement, à quoi rêvent-ils ?
Les enjeux cognitifs posent deux types de questions. De quelle biologie parle-t-on ?
Est-on à la fin du dogme considérant l’ADN comme le secret de la vie ? Va-t-on
comprendre la complexité des interactions qui se déroulent dans le vivant ? Peut-on
faire de la complexité en jouant au Lego ?
La deuxième question s’adresse aux acteurs. Qui êtes-vous ? Etes-vous des
ingénieurs, qui jouez avec le vivant ou des scientifiques responsables ? Pour
l’ingénieur, la connaissance du vivant et de sa complexité est un obstacle. Veut-on
connaître pour connaître ou connaître pour faire ? Une autre question concerne cette
culture d’amateur de la biologie synthétique. Renvoie-t-elle un message de liberté ou
bien de terreur ?
Concernant la gouvernance, il s’agit de savoir qui va contrôler et comment ? Faut-il
de nouvelles régulations, alors que celles existantes pour les OGM sont déjà loin
d’être parfaites et encore moins acceptées. Concernant les brevets et l’accès à la
connaissance, qui sera en charge des négociations sur ces sujets, l’OMC ou bien
l’ONU ? Qu’est-ce que la gouvernance et l’éthique ? Faut-il équilibrer les risques et
les bénéfices ? Dans ce cas, sait-on identifier les risques irréversibles ? Faut-il
s’engouffrer pour « rattraper » les américains ou a-t-on d’autres modèles de société à
proposer ? Faut-il poser des interrogations plus radicales ? A-t-on des modèles de
sciences alternatives à proposer ?
Pour Pierre-Henri Gouyon, il ne faut pas aller trop loin dans l’imaginaire. Personne
n’est aujourd’hui capable de fabriquer un organisme artificiel. Ce qui est fabriqué
actuellement avec la biologie synthétique ne diffère pas de ce qui est fait avec les
OGM. Or, aujourd’hui, il est interdit de faire des OGM dans sa cuisine ! Il est donc
important de s’assurer que les règlements concernant les OGM s’appliquent à la
biologie de synthèse. La biologie de synthèse pose des questions très intéressantes,
mais son développement est piloté par les mêmes intérêts que celui des OGM. Or
ces derniers n’ont pas, malgré les promesses, permis d’augmenter la production
agricole. Ils ont cependant assuré la main mise par de grands groupes de
biotechnologies sur la production de semences. Comment les scientifiques qui
travaillent sur la biologie de synthèse vont-ils se positionner sur ce sujet ? Comment
vont-ils gérer leurs liens avec le privé ? Vont-ils émettre leurs conditions ?