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http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ESLM&ID_NUMPUBLIE=ESLM_123&ID_ARTICLE=ESLM_123_0131
2003/1 - N° 123
ISSN 1157-0466 | ISBN 2-84795-004-4 | pages 131 à 141
MARIE-FRÉDÉRIQUE BACQUÉ
2) En fonction de la personnalité
– Dépression majeure réactionnelle à la perte
– Deuil traumatogène (Bacqué, 2002) ou deuil traumatique (Prigerson, 1997)
3) En fonction de la brutalité et/ou de la violence de la mort
– Deuil post-traumatique (Bacqué, 2002) ou deuil majoré d’un syndrome
psycho-traumatique
Pathologies du deuil
– Deuils psychiatriques (hystérique, obsessionnel, maniaque et mélancolique)
– Somatisations majeures liées à une absence de mentalisation de la perte ou
à une dépression aboutissant à l’absence de soin de soi (déni de symptômes
somatiques graves survenus au décours du deuil)
enfant, mais attendu, dans le cas d’une maladie grave. On observe que, s’il a été
préparé avec des soignants, le deuil se solde par des réminiscences normales de
la mort, puis par la construction de l’histoire de l’enfant et de sa relation avec son
parent, bientôt réintroduite dans son autobiographie. Sont mises en évidence ici
les différences fondamentales entre le pré-deuil (la perte préparée d’un proche),
qui se solde souvent par une intégration psychique du défunt et la perte trauma-
tique qui déclenche avant tout un « trou psychique » dans le réseau des repré-
sentations d’un individu. Cette désagréable métaphore du « trou psychique »,
reste cependant la meilleure pour exprimer la déliaison des processus de pensée.
La réparation nécessite alors la mise bout à bout de nouvelles représentations qui
constitueront des ponts avec les anciennes, gelées par le traumatisme. L’aspect
éminemment progressif de cette psychothérapie implique de reprendre les
pensées interrompues lors du choc. Or, le retour du traumatisme, provoque la
réminiscence de l’état émotionnel de ce moment constamment évité. Un cadre
contenant et rassurant est le minimum à apporter au patient. La méthode
associative lui permettra de se laisser porter par ses propres pensées déroulées par
contiguïté et d’arriver aux moments difficiles au moyen d’approximations
successives.
d’ailleurs souvent indicible. Laisser le silence et parfois les mots s’égrener fait
partie de la reconnaissance de l’autre. Cet aspect n’est pas seulement éthique, il
est thérapeutique en soi, car il restitue son identité au sujet qui, souvent, a le
sentiment de l’avoir perdue, dans le contexte aléatoire de la mort provoquée par
un désastre. Utiliser d’autres supports, comme fréquemment avec l’enfant, le jeu
ou le dessin, facilitent, chez l’adulte, la mise en représentations. L’accès à la
mentalisation est très souvent bloqué par les perceptions massives qui ont
déclenché le sentiment d’absence de secours. Ces images mentales touchent en
réalité tous les registres sensoriels : visuel, auditif, tactile, mais sont aussi
attachées à l’hygrométrie, à la pression atmosphérique, au vent, aux odeurs et
sensations coenesthésiques et somesthésiques (étouffement, chute, écrasement,
impression de liquéfaction interne ou au contraire de solidification...). Elles ne
sont souvent mises en mot que par manque de métaphore ou tout simplement par
peur de re-plonger dans la répétition du traumatisme. Elles peuvent être abordées
par des biais variés : par l’intermédiaire d’un personnage fictif (marionnette pour
l’enfant, fauteuil vide pour l’adulte), d’un scénario ou en prenant la scène mentale
par le bout d’un cadre fictif. Ainsi avec un petit garçon de six ans : « tu dis que
tu sens l’image qui revient, elle est « sur le bout de ta langue », tu sens qu’elle va
revenir... Est-ce que tu peux voir ce qu’il y a en bas à gauche, dans un coin de
l’image ? As-tu envie d’en parler ? » et ainsi de suite, l’enfant peut décrire une
partie de l’image vue ou ressentie de façon à en parler et, progressivement, à se
départir des moments « enregistrés », pour les situer dans la catégorie des
souvenirs (pénibles, atroces) de sa vie. Les images sont inatteignables parce que
la personne refuse absolument de retrouver les émotions négatives ou ambiguës
qui y sont attachées. Mais si les représentations restent enfouies, les émotions
débordent souvent la censure consciente derrière laquelle le sujet les a placées.
Une deuxième censure, inconsciente celle-ci, sépare les émotions réactivées par
le traumatisme, de représentations plus anciennes, liées à des refoulements de
l’enfance. Un travail psychothérapique complet entraîne l’abord de ces aspects
liés, cette fois, aux antécédents psychologiques du patient. Mais alors se pose la
question de la demande du sujet. S’il n’a pas fait cette démarche auparavant,
il ne souhaite peut-être pas l’entamer dans ce cadre. Aussi faudra-t-il soulever
ce problème en temps voulu. Cela explique les difficultés de récupération à long
terme, puisqu’on observe plus de dépression chronique, chez les personnes trau-
matisées qui avaient déjà été victimes de mauvais traitements psychologiques ou
physiques dans l’enfance (North et al., 1994). C’est pourquoi elles resurgissent,
à la faveur d’un affaiblissement du contrôle de la censure sur l’inconscient et, en
particulier, au moment d’une baisse de vigilance ou mieux encore, dans les rêves.
L’énergie requise pour réprimer les émotions est à l’origine des comportements
typiques des endeuillés traumatisés. Chez l’enfant, l’attitude de prostration puis,
l’accès aigu d’excitation avec des comportements répétitifs, correspondent à la
discontinuité du fonctionnement psychique. Désinvestissement des activités
MARIE-FRÉDÉRIQUE BACQUÉ • ABORD ET PSYCHOTHÉRAPIE INDIVIDUELLE 135
D’ADULTES ET D’ENFANTS PRÉSENTANT UN DEUIL POST-TRAUMATIQUE
SENSIBILITÉ À LA DÉPRESSION
Les facteurs traumatogènes du deuil, les plus difficiles à cerner, sont princi-
palement le sentiment subjectif de la brutalité de la mort et l’impréparation à la
réalité de la mort. Ils empêchent d’accéder à l’acceptation de l’irréversibilité de
la perte. Mais, si la dépression « naturelle » est évidente après un décès, elle
débouche en général sur une amélioration progressive de l’humeur puis sur un
réajustement psychique et social. Les endeuillés sont capables, après un certain
temps, de récupérer leur énergie libidinale et de réinvestir la vie, c’est-à-dire,
principalement, les relations avec autrui. Ce qui s’apparente à une guérison de
la déchirure liée à la perte et qui pourrait, finalement s’appliquer à tous, varie
cependant très largement à cause d’autres facteurs : personnalité, histoire indivi-
duelle et du groupe familial, nature du deuil.
un de leurs parents, c’est seulement en moyenne deux ans après le décès que la
symptomatologie dépressive apparaît dans le comportement (Worden et al.,
1996). En revanche, la douleur psychologique liée au parent malade s’exprime
pendant la maladie puis diminue entre 7 et 12 mois après la mort (Siegel et al.,
1996). Assister à la maladie terminale de son parent, c’est vivre son absence à la
maison, la « vacance » et la souffrance de l’autre parent. C’est être amené à palier
les difficultés en prenant des responsabilités. Le décès du parent peut donc
déclencher, paradoxalement, un soulagement dû à la reprise des activités couran-
tes et à un réaménagement des charges de travail et des responsabilités. Mais, la
perte d’un parent avant l’âge de onze ans conduit aussi à une idéalisation de ce
dernier et à une impossibilité d’en effectuer le détachement comme justement on
pourrait le faire, s’il était vivant. Cette représentation parentale archaïque n’est
jamais remise en cause comme c’est le cas à l’adolescence. Ainsi l’ambivalence
à l’égard des parents reste-t-elle non élaborée et ne permet pas la séparation.
Les récents apports des partisans de la résilience, n’ont pas, à notre avis, pour
autant annulé, cette option théorique. On observe a contrario que des enfants,
qui résistent particulièrement bien au décès de leurs parents, sont capables
de création et de développement personnel (Rutter, 1985). Mais échappent-ils
vraiment à la dépression ou ne présentent-ils pas, au contraire, des mécanismes
de défense particulièrement opérants pour ne pas sombrer ? Les résilients sont
reconnus pour leurs qualités d’adaptation ; mais il est moins fait état de leurs
relations affectives et de leur longévité (Hanus, 2001). La nature de la dépression
réside finalement dans son expressivité, puisque, si elle n’est pas productrice de
symptômes, elle n’est pas censée exister. Une compréhension poly-symptoma-
tique de la dépression est donc nécessaire : les symptômes psychiatriques
récemment observés dans la dépression majeure réactionnelle au deuil sont
décelables par un observateur extérieur et, en ce sens, ils justifient la décision de
traiter le patient. Cependant, la souffrance subjective, qui ne parvient pas à ce
stade d’expressivité, reste en deçà d’un dépistage médical. Cette souffrance
dépressive est souvent pérenne et se transmet entre les générations. Seule l’his-
toire du patient permet de tirer les fils enchevêtrés de la constitution de sa
personnalité en rapport avec le vécu familial.
LA MÈRE DÉPRIMÉE
la solitude parce que l’on a intériorisé les qualités du bon objet primitif qu’était
la mère, tels sont les gains de cette psychothérapie (ou psychanalyse) de
l’endeuillé qui vit un deuil traumatogène. Cependant, tous n’iront pas chez le
psychanalyste, aussi, la méthode psychanalytique peut-elle inspirer les psycho-
thérapeutes qui s’en approchent en en modulant le cadre. C’est ainsi que de
nombreux patients pourront être adressés par leur généraliste (formé) ou leur
psychiatre pour limiter les récurrences de la dépression à chaque nouvelle perte.
Nous insisterons cependant, sur le fait qu’un travail de groupe est peu favorable
à ces patients, car il leur est toujours facile de projeter sur un de ses membres, les
clivages ressentis à l’encontre de leurs parents. Le groupe sera alors plus
handicapé que capable de dénouer ces défenses.
Marie-Frédérique BACQUÉ
Maître de conférence habilitée à diriger les recherches
en psychopathologie à l’Université de Lille III
Vice-Présidente de la Société de Thanatologie
BIBLIOGRAPHIE
BACQUÉ M.-F., HANUS M., (2000), Le deuil, Que sais-je, Paris, P.U.F.
BACQUÉ M.-F., (1997), (sous la direction de), Mourir aujourd’hui. Les nouveaux rites
funéraires, Paris, Odile Jacob.
BACQUÉ M.-F., (1992), Le deuil à vivre, Paris, Odile Jacob. (1995) : Deuxième édition
revue et augmentée. (2000) : Troisième édition. Traductions en allemand et en grec.
140 ÉTUDES SUR LA MORT
RÉSUMÉ
Le deuil post-traumatique n’a été que très récemment défini. Il s’agit de la perte
d’un proche (pas nécessairement un être cher, mais une personne réellement ou
symboliquement investie, même pendant un temps très court), dans une situation
où l’individu vit lui-même une menace mortelle ou dans le cas d’un drame, d’une
catastrophe, d’un accident, d’une perte collective (caractéristiques exogènes de
violence et de brutalité de la mort). La prise en charge d’un tel événement nécessite
l’alliance avec un thérapeute qui ne peut rester neutre face à l’horreur issue de la
catastrophe humaine ou naturelle. De même, le soutien ne peut s’effectuer si le
thérapeute ne se fait pas le conteneur de la charge psychique réprimée pendant le
traumatisme. Enfin, le suivi thérapeutique est centré sur la mentalisation de l’évé-
nement et son intégration dans l’histoire du patient. Aucun forçage ne doit devancer
la narration de l’épisode traumatique. L’aptitude à la résilience ne correspond pas
au travail de deuil mais aux défenses mises en place pour survivre. Elle mérite elle
aussi une élaboration car la réussite sociale ou la créativité qui suivent un trauma-
tisme n’impliquent pas toujours la réalisation d’une vie affective riche et souple.
SUMMARY
Post-traumatic grief has been defined only recently. It consists in the loss of
someone proach (not necessarily a kin of, but a really or symbolically investied
person, even for a very short time) in a situation where the person is threatened by
death, or in the case of a drama, catastrophe, accident or collective loss (brutality
and violence are exogeneic caracteristics of death). Taking care of such a person
needs an alliance with a therapist that cannot stay neutral in front of the horror.
Therapist must also contains the psychic burden repressed during the traumatism.
Therapeutic follow up is based on mentalization of the event and its integration in
the patient story. No resort to strenght may control the narration of the traumatic
episode. The resilience aptitud does not correspond to the grief work but to the
defense mechanisms needed to survive. It needs to be elaborated too because social
success or crativity that follow a traumatism does not mean realisation of a rich and
flexible affective life.