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RÉFORMER ET SOIGNER.

L’émergence de la psychothérapie institutionnelle en France, 1944-1955

Cette communication s’inscrit dans le cadre d’une recherche sur les réformes de l’hôpi-
tal psychiatrique en France, après la Seconde Guerre mondiale. Dans cette étude, je
cherche à saisir les transformations qui ont affecté l’organisation du travail psychia-
trique à partir de 1945, et la manière dont les acteurs de la psychiatrie ont donné un
sens à ces transformations. Je m’intéresse en particulier à la façon dont le travail sur
les savoirs et le travail politique ont été liés au plus près des pratiques psychiatriques
dans le travail que les psychiatres réformateurs, et en particulier le groupe que j’appel-
lerai plus loin le groupe de l’Information psychiatrique, ont mené à partir de 1945 sur
leurs outils. Un aspect important des transformations de la psychiatrie après 1945 tient
en effet à la manière dont les psychiatres français ont lié les réformes qu’ils cherchaient
à promouvoir, en collaboration avec les fonctionnaires du ministère de la Santé, au
travail qu’ils menaient à l’intérieur des services ou des secteurs dont ils avaient la res-
ponsabilité. On pourrait citer ici le titre de l’ouvrage de Michel Audisio, qui est signi-
ficatif d’un esprit qui a marqué la psychiatrie française des années 1950 aux années
1970 : La Psychiatrie de secteur, une psychiatrie militante pour la santé mentale 1. Pour
ces psychiatres, le travail psychiatrique était lui-même traversé par les valeurs du militan-
tisme, de la mission ou de l’engagement. C’est cette liaison que je voudrais explorer
dans cette communication à partir du cas de l’émergence de la psychothérapie insti-
tutionnelle, et plus largement la redécouverte des techniques thérapeutiques sociales
en 1945 : l’utilisation du travail ou des activités de loisirs à des fins thérapeutiques.
Quelques remarques sont nécessaires pour commencer sur l’utilisation, dans les
hôpitaux psychiatriques après la guerre, de ce que l’on a appelé sans toujours beau-
coup de cohérence les « techniques sociales », la sociothérapie, ou encore la psycho-
thérapie institutionnelle, les thérapeutiques institutionnelles, etc. Si ces techniques
suscitent à la Libération, parmi les psychiatres, et en particulier les psychiatres du groupe
de l’Information psychiatrique, un engouement sans précédent, elles ne sont pourtant
pas véritablement une découverte pour les médecins des hôpitaux psychiatriques.
Après tout, on a toujours travaillé dans les asiles, et c’était là au demeurant l’un des
points qu’opposaient certains de leurs collègues aux projets des psychiatres de l’Infor-
mation psychiatrique lorsque, aux présentations que ceux-ci faisaient de leur travail,

1. Audisio 1980.

Psychiatries dans l’histoire, J. Arveiller (dir.), Caen, PUC, 2008, p. 277-288


278 Nicolas Henckes

ils répondaient que telle ou telle de leur initiative ne faisait jamais que reproduire une
initiative identique d’un de leurs devanciers. L’utilisation thérapeutique du travail et
des loisirs n’a jamais été absente des préoccupations des aliénistes, même pendant
l’entre-deux-guerres. Quelques articles parurent ainsi dans les revues professionnel-
les et savantes dans les années 1920 et 1930 pour déplorer que l’organisation du travail
ne soit pas utilisée à la mesure de ses possibilités dans les asiles français 2. Leurs auteurs
citaient volontiers en exemple les réalisations de leurs collègues à l’étranger, et en par-
ticulier celles du psychiatre allemand Hermann Simon à l’asile de Gütersloh, dont un
article parut en 1933 dans une revue française 3. Il est vrai toutefois que pour la majo-
rité des psychiatres avant la Seconde Guerre mondiale, ce n’était pas le travail théra-
peutique qui permettrait à la psychiatrie de réaliser sa « destinée médicale » 4. Il n’est
qu’à voir en effet la place que celui-ci tenait dans la doctrine élaborée par les élites de
la profession : le travail ne devait en effet concerner que les malades chroniques en
état de contribuer utilement à l’économie de l’asile et il était justifié avant tout par un
souci comptable 5.
La Libération voit ainsi naître parmi les psychiatres un intérêt pour ces techniques
sans équivalent dans les années d’avant-guerre. Ce sont une prolifération de thèses,
de discussions passionnées au sein des sociétés savantes, ou encore de négociations
assidues avec le ministère, dont la circulaire du 21 août 1952 sur le fonctionnement de
l’hôpital psychiatrique et l’arrêté du 14 février 1958 sur l’organisation du travail thé-
rapeutique furent les aboutissements les plus notables. Pourquoi cet engouement ?
Comment et pourquoi les techniques sociales sont-elles devenues en quelques années
l’un des points de focalisation de la pratique psychiatrique ? Ce sont ces questions que
je voudrais examiner rapidement dans cette communication. Je voudrais argumenter
que l’intérêt pour les thérapeutiques actives à la Libération venait de ce que celles-ci
permettaient de résoudre simultanément des problèmes qui se posaient aux psychia-
tres à trois niveaux différents : la réforme des hôpitaux psychiatriques, l’élaboration de
techniques de soin efficaces, et l’organisation du personnel soignant dans les asiles.
Commençons par le problème de la réforme des hôpitaux psychiatriques et la
constitution du groupe de l’Information psychiatrique à la Libération. Il suffit ici de
retracer rapidement cette histoire, dont les principaux éléments sont connus 6.

2. Halberstadt 1929 ; Mans 1937. Voir aussi le rapport de Ladame et Demay au Congrès des aliénistes et neu-
rologistes de langue française de 1926, et celui de Legrain et Demay au Conseil supérieur de l’Assistance
publique en 1936 : Ladame et Demay 1926 ; Legrain et Demay 1936.
3. Simon 1933.
4. Pour reprendre le titre d’un article publié avant la guerre par deux jeunes aliénistes ambitieux : Doussinet
et Jacob 1939.
5. Raynier 1923.
6. Une histoire des mouvements de réforme du dispositif des asiles en France reste toutefois à faire. Sur les
premières tentatives de réformer la loi du 30 juin 1838 à la fin du Second Empire et dans les premières années
de la Troisième République, voir Goldstein 1997. Sur les mouvements de réforme des hôpitaux psychiatri-
ques dans l’entre-deux-guerres, voir les travaux suscités par Édouard Toulouse et sa Ligue d’hygiène men-
tale, en particulier : Huteau 2002 ; Thomas 2004 ; Wojciechowski 1997.
Réformer et soigner… 279

Réformer le dispositif des asiles et la loi de 1838 est devenu un problème public
dans le dernier quart du xixe siècle, et suscita des débats continus durant toute la pre-
mière moitié du xxe siècle. Dans les années 1920 et 1930, ces débats s’étaient concen-
trés autour de la question de l’ouverture des services libres et de ce que l’on appelait
alors les « petits mentaux ». Les services libres étaient des services psychiatriques qui
devaient permettre d’accueillir aussi librement que n’importe quel service hospitalier
des clientèles qui ne nécessitaient pas les procédures vexatoires de la loi de 1838. Pour
les psychiatres, ces malades, les « petits mentaux », bien que d’un profil difficilement
définissable, paraissaient constituer un continent inexploré de dimensions inappré-
ciables, et une opportunité stratégique de tout premier ordre pour la rénovation de
leur discipline.
La question de l’organisation des services libres suscitait toutefois un conflit de
juridiction, pour reprendre les analyses du sociologue des professions Andrew Abbott 7.
Si, de manière générale, il y avait consensus sur la nécessité de développer l’assistance
psychiatrique en dehors du cadre de la loi de 1838, deux positions se sont élaborées
dans les années trente. D’un côté, certains médecins, menés en particulier par Édouard
Toulouse, se prononçaient pour le développement des services libres et des consulta-
tions d’hygiène mentale à l’écart des hôpitaux psychiatriques, en argumentant que la
mauvaise réputation des asiles risquait d’empêcher les patients d’y avoir recours. De
l’autre côté, la plupart des médecins des asiles, et en particulier leur amicale, revendi-
quaient l’installation de ces services à l’intérieur de leurs asiles et sous leur responsabi-
lité. L’un des arguments importants des médecins des asiles reposait sur les garanties
que donnaient les asiles et leur personnel : garanties de compétence, mais également
garanties en termes de protection des malades, grâce aux mesures contenues dans la
loi de 1838, et garanties de moyens enfin, pour les cas qui pouvaient présenter des com-
plications.
Lorsqu’en 1945 les discussions sur la réforme de la loi de 1838 furent relancées
sous la houlette du ministère de la Santé, un nouvel acteur était apparu, le groupe que
j’appelle le groupe de l’Information psychiatrique, d’après le nom de la revue qui allait
devenir leur principale arène de discussion. Ce groupe était constitué d’une partie de
la nouvelle élite des médecins des hôpitaux psychiatriques, des jeunes psychiatres issus
de la filière de l’internat des asiles de la Seine, dont la guerre avait accéléré les carriè-
res, et qui se retrouvaient à des postes de responsabilité de premier plan, que ce soit
au sein des organisations professionnelles ou auprès du ministère de la Santé.
Les positions que développait le groupe de l’Information psychiatrique s’inscri-
vaient dans la continuité de celles de leurs aînés, mais elles reposaient sur de nouveaux
arguments. Dans un article paru dans un volume intitulé de manière significative Le
Malade mental dans la société, Georges Daumézon, l’un des leaders du groupe et le
secrétaire du nouveau Syndicat des médecins des hôpitaux psychiatriques, qui pre-
nait la relève de l’amicale des aliénistes, demandait ainsi la création d’un organisme

7. Abbott 1988.
280 Nicolas Henckes

départemental, qui serait placé sous l’autorité d’un corps de psychiatres fonctionnai-
res – qui pour lui n’était autre que le corps des médecins des hôpitaux psychiatriques –
et rassemblant l’ensemble des formations nécessaires pour accueillir les malades men-
taux et en particulier les services libres et les dispensaires 8. L’asile, ou l’hôpital psychia-
trique puisque tel était maintenant son nom, devait toutefois désormais constituer le
cœur du dispositif. Ce plan reposait en effet sur une redéfinition du rôle des institu-
tions hospitalières, qui était synthétisé dans l’appellation de « centre de traitement – ou
de cure – et de réadaptation sociale » que les psychiatres de l’Information psychiatri-
que proposaient désormais. Alors qu’avant la guerre l’hôpital psychiatrique devait dis-
tinguer dans ses murs une section hôpital, active, et une section hospice, destinée aux
malades chroniques qui ne nécessitaient plus de traitements, les traitements actifs
devaient désormais pénétrer l’ensemble des quartiers.
Comment pouvait-on transformer en centre de traitement intensif une institution
dont une partie au moins de la clientèle ne réagissait guère aux traitements ? C’est là
qu’intervenaient les techniques sociales, et cela nous amène au deuxième élément qui
se greffe sur le travail réformateur des psychiatres de l’Information psychiatrique, la
question des savoirs et des traitements.
Dans une communication au Congrès de 1946 des médecins aliénistes et neuro-
logistes de langue française, G. Daumézon et L. Bonnafé ont fait le point de l’état
du mouvement de réforme qui avait pris corps à la Libération 9. Pour faire aboutir la
réforme dans le sens qu’ils désiraient, il fallait, disaient-ils, lancer une propagande de
grande envergure en direction du public. « Mais en même temps », poursuivaient-ils,
« un effort théorique et pratique doit être accompli par nous. Il consiste dans l’amé-
lioration progressive de nos moyens de travail ». Cette amélioration passait, dans la
logique de l’avant-guerre, par la création de services ouverts, et de manière générale
par le développement du potentiel thérapeutique de l’hôpital psychiatrique. L’utilisa-
tion des techniques de choc, et en particulier des électrochocs, dont la diffusion se géné-
ralisait depuis le début de la décennie, devait en être un axe important, mais, pour les
deux psychiatres, l’essentiel n’était pas là :

Nous devons surtout apprendre à penser notre action hospitalière d’une façon diffé-
rente de celle que nous a léguée la tradition. Nous savons qu’il ne suffit pas de garder
les aliénés, il ne nous suffit pas d’appliquer les méthodes biologiques les plus moder-
nes, mais il faut que l’établissement tout entier soit, selon l’expression d’Esquirol, un
« instrument » de traitement 10.

G. Daumézon et L. Bonnafé proposaient dans cette communication un vérita-


ble projet de recherche, projet qui se précisa au cours des années suivantes, et auquel
G. Daumézon, dans une série d’articles publiés à partir de 1948, donna un nom, la

8. Daumézon 1946b.
9. Daumézon et Bonnafé 1946.
10. Ibid.
Réformer et soigner… 281

psychothérapie institutionnelle, et une forme provisoire. Au fondement de ce projet


se trouvait une observation, que formula G. Daumézon dans le premier de ces arti-
cles, en 1948 :

Dès mes premiers pas dans la vie asilaire, j’ai été frappé par un fait paradoxal et auquel
personne ne semblait attacher d’importance : l’asile, le vieil asile, guérit à lui seul des
malades, non pas des sujets qui eussent guéri spontanément au dehors, mais des sujets
qui, abandonnés, eussent sombré dans un état chronique. Il m’a paru fort important
de dégager les fondements de cette thérapeutique 11.

Le projet de la psychothérapie institutionnelle s’articulait ainsi à l’idée d’une effi-


cacité thérapeutique globale du séjour à l’hôpital psychiatrique et de l’immersion
dans sa vie sociale. Pour les psychiatres de l’Information psychiatrique, l’idée de capi-
taliser une action globale de l’hôpital psychiatrique, qui ne fût pas dirigée vers tel ou
tel malade mais dont chaque malade pût tirer parti, était liée au manque de moyens
dans des hôpitaux aux effectifs médicaux dérisoires. Il était très clair en effet pour ces
psychiatres que le projet de la psychothérapie institutionnelle n’était qu’un pis-aller
en l’absence de la possibilité d’appliquer des psychothérapies individuelles, plus effica-
ces. L’un des membres du groupe, Paul Sivadon, qui avait obtenu des moyens considé-
rables de la Sécurité sociale pour réorganiser son service, suscitait ainsi l’admiration
de l’ensemble de ses collègues en ce qu’il parvenait à construire pour chaque malade
un programme d’activité individualisé et progressif. Pour autant, l’intérêt pour la psy-
chothérapie institutionnelle allait au-delà de ce qui pourrait apparaître comme un
bricolage avec les circonstances. Elle constituait une véritable entreprise collective 12,
dont la vivacité allait être démontrée par la permanence du projet jusqu’aux années
1980 en dépit de l’évolution de la situation des hôpitaux psychiatriques.
Les projets comme la psychothérapie institutionnelle ne peuvent susciter l’enga-
gement des professionnels que dans la mesure où ils leur permettent de participer
à des débats d’idées. Pour les psychiatres de l’Information psychiatrique, en 1945, la
psychothérapie institutionnelle s’inscrivait de fait dans trois horizons de problèmes
et de discussions, pour certains lointains, pour d’autres plus proches. Le premier était
celui qui avait entouré le traitement moral des maîtres de la psychiatrie française du
xixe siècle, et en particulier d’Esquirol. Pour les psychiatres de l’Information psychia-
trique, la psychothérapie institutionnelle était un moyen de retrouver l’inspiration
des fondateurs de la psychiatrie et de renouer avec ce qui leur paraissait avoir été un
âge d’or de la psychiatrie institutionnelle française, auquel la psychiatrie de l’entre-
deux-guerres avait selon eux renoncé. Le second grand mouvement auquel pouvait
être rattachée la psychothérapie institutionnelle résidait dans les expériences étran-
gères, dans l’entre-deux-guerres, d’organisation de la vie collective dans les hôpitaux
psychiatriques, et en particulier celle de Hermann Simon, que j’ai évoquée plus haut.

11. Daumézon 1948a.


12. Hugues 1996.
282 Nicolas Henckes

H. Simon était crédité en particulier de l’idée que les symptômes devaient être analy-
sés d’abord comme une conséquence des dysfonctionnements du groupe.
Un troisième ensemble de discussions me paraît toutefois avoir été décisif pour
que prenne le mouvement en 1945. Il réside dans l’émergence de ce que l’on pourrait
appeler, en reprenant cette notion à la sociologue des sciences américaine Joan Fuji-
mura, le bandwagon des psychothérapies de groupe 13. Le concept de bandwagon caracté-
rise selon Fujimura la manière dont des groupes de scientifiques décident à un moment
donné d’engager l’ensemble de leurs ressources dans une approche unique d’un pro-
blème. Dans une certaine mesure, c’était en effet la situation dans laquelle se trouvaient
les psychothérapies de groupe dès le milieu des années 1940. Lorsque, à partir de 1944,
les psychiatres français eurent enfin accès aux travaux qui s’étaient développés dans ce
domaine durant la guerre dans les pays anglo-saxons, les psychothérapies de groupe
constituaient un champ cohérent de discours et de pratiques. Elles comprenaient un
ensemble de techniques allant du psychodrame aux différentes techniques de réunions,
utilisées par des professionnels d’origines diverses – des psychiatres d’institution aux
thérapeutes de ville, en passant par les psychiatres militaires –, et reposant sur un noyau
conceptuel unique, au centre duquel se trouvait l’analyse des phénomènes d’identifica-
tion entre participants à un collectif. Deux synthèses parues simultanément aux États-
Unis en 1946 achevaient de structurer l’ensemble de ces travaux 14.
Les voies par lesquelles, dès la Libération, les psychiatres français prirent connais-
sance de ces travaux furent nombreuses. Le professeur Rees, psychiatre général con-
sultant de l’armée britannique, fit dès août 1944 une conférence à la Sorbonne, où il
présenta le rôle qu’avaient joué les psychiatres au sein de l’armée britannique, et notam-
ment la manière dont ils avaient utilisé les psychothérapies de groupe dans les centres
de réadaptation militaire. Les livres arrivèrent rapidement dans les bagages des alliés.
Plusieurs psychiatres français firent le voyage en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
Lacan, de retour d’un voyage en Grande-Bretagne, présenta ainsi le travail de deux
psychanalystes engagés dans l’armée britannique, Bion et Rickman, à une conférence
de la société de l’Évolution psychiatrique en 1946 15. Un article fut traduit l’année sui-
vante dans l’Information psychiatrique 16. Dès 1946, Jean Delay, Mireille Monod et Pierre
Fouquet firent un voyage au Moreno Institute à New York pour observer les techni-
ques que développaient Moreno et son équipe. Mireille Monod fonda à son retour un
groupe de psychothérapies de groupe au centre Claude Bernard et Serge Lebovici en
créa un presque simultanément dans le service de George Heuyer – groupes d’abord
destinés à des populations d’enfant 17.

13. Fujimura 1988.


14. Klapman 1946 ; Moreno 1946.
15. Lacan 1947.
16. Bion et Rickman 1947.
17. Une histoire par ses acteurs de l’introduction en France du psychodrame et des psychothérapies de groupe
se trouve dans la postface à la traduction française du livre de Moreno, Group psychotherapy : Moreno 1965.
Voir aussi Lebovici, Diatkine et al. 1952.
Réformer et soigner… 283

Si aucun des membres du groupe de l’Information psychiatrique ne se rendit


immédiatement aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, et si la situation des hôpi-
taux psychiatriques français était bien différente de celle de la plupart des institutions
où se développaient les psychothérapies de groupe en Angleterre et aux États-Unis, il
y avait pourtant différentes manières pour les membres du groupe de se raccrocher à
ce bandwagon. Une première expérience systématique d’introduction du psychodrame
fut ainsi tentée dans le service de P. Sivadon en 1947, sous l’impulsion de Sven Follin,
qui s’était formé auprès de Lebovici 18. Paul Bernard, qui publia en 1948 ce qui semble
être la première synthèse en français des différentes techniques de groupe 19, utilisa de
son côté les concepts de la dynamique de groupe pour penser le fonctionnement des
clubs de malades qu’il organisait dans son service 20. L’un des élèves de Daumézon,
Philippe Koechlin, utilisa les outils de la dynamique de groupe pour théoriser l’ergo-
thérapie 21. À partir de 1948, Daumézon quant à lui s’inspira très directement du dis-
positif de Bion et Rickman pour décrire ce qui était en jeu dans l’organisation de son
service à Fleury-les-Aubrais 22. Le projet le plus ambitieux toutefois était celui que se
donnait Daumézon, l’organisation de la vie sociale à l’hôpital psychiatrique tout entière
dans un but proprement thérapeutique. Dans cette version, l’hôpital psychiatrique
tout entier apparaissait comme un groupe thérapeutique dirigé par le psychiatre et
ses collaborateurs.
Comment pouvait être mené à bien ce projet, comment pouvait-on arriver à déga-
ger les « fondements » de cette psychothérapie institutionnelle ? Pour Daumézon, la
codification de la psychothérapie institutionnelle devait reposer sur une méthode cli-
nique, qui devait toutefois se nourrir de deux ordres de phénomènes distincts.
Le premier résidait, dans la tradition clinique, dans le travail sur les cas individuels.
Les cas de guérison imputables à la psychothérapie institutionnelle étaient rares en
réalité, et on en trouve peu dans les publications 23, mais une manière de comprendre
l’efficacité individuelle de la psychothérapie institutionnelle pouvait être a contrario
d’analyser les réactions pathologiques des patients soumis à un environnement anti-
thérapeutique – dont l’asile avant sa réforme présentait, bien évidemment, le type.
Daumézon publia ainsi plusieurs observations dès avant la fin de la guerre et à la Libé-
ration sur les phénomènes d’« enracinement à l’asile », et la littérature sur ce thème
devait exploser dans les années 1950 et 1960 24.
La seconde voie que proposait Daumézon, et sur laquelle il faut insister davan-
tage, reposait sur, selon les termes de Daumézon, la « codification [des] conduites

18. Cette expérience est rapportée dans la thèse de B. Ridoux : Ridoux 1950.
19. Bernard 1948.
20. Bernard 1947.
21. Koechlin 1951.
22. Daumézon 1948b.
23. Daumézon lui-même n’en publie que quatre dans ses différents articles, en particulier dans Daumézon
1952.
24. Daumézon et Cassan 1941 ; Daumézon 1946a. Le travail le plus abouti dans cette veine est peut-être dû au
psychiatre et psychanalyste Paul-Claude Racamier : Racamier 1957.
284 Nicolas Henckes

thérapeutiques globales » à l’intérieur des hôpitaux psychiatriques 25. La multiplication


des descriptions d’expériences concrètes d’organisation de la vie sociale des hôpitaux
psychiatriques devait permettre de systématiser les fondements de la méthode. C’est le
but que Daumézon proposa à l’Information psychiatrique à partir de la fin de la décen-
nie 1940, à la suite d’un numéro spécial de la revue consacré aux réunions de soignants.
Et c’est de ces descriptions que Daumézon dégagea très rapidement ce qu’il présenta
comme sa méthode de psychothérapie institutionnelle, qu’il décrivit dans plusieurs
articles au début des années 1950. Je voudrais conclure cette communication en décri-
vant rapidement cette méthode.
L’une des dimensions essentielles de la méthode telle que la présentait Daumé-
zon était son caractère pragmatique et concret. Dans l’un de ses articles paru en 1955,
Daumézon présentait ainsi sa méthode en mettant en scène un psychiatre nouvelle-
ment nommé dans un service, et il décrivait concrètement les situations dans lesquel-
les il devait s’engager :

Le plan d’exposition pratique que nous suivrons consiste à imaginer les divers stades de
l’action d’un médecin qui, prenant en charge un service, désire y créer une vie sociale
utile à ses malades 26.

Plusieurs étapes attendaient ce médecin, et on peut les reprendre rapidement. La


première était l’observation de l’organisation sociale de l’hôpital :

Le médecin doit d’abord étudier le mécanisme même de la vie de son service, en déter-
miner les personnalités essentielles, leur « rôle social », en inventorier les facteurs
régressifs et les facteurs utiles (en général, il s’agira des éléments techniques solides :
infirmiers spécialement qualifiés, techniciens de tous ordres, de l’économe au chef
jardinier). Sur un autre plan le médecin devra se pénétrer des types de sociabilité
spécifique du milieu dont ses malades sont issus : traditions culturelles locales, tra-
vaux régionaux, rythmes particuliers d’activité, de repos, etc 27.

Cette analyse débouchait sur la critique des relations sociales à l’intérieur de l’hô-
pital, critique qui allait constituer un genre en soi dans les années 1950 et 1960 – et dont
Asiles du sociologue Erving Goffman allait être, dans les années 1960, l’un des exem-
ples les plus aboutis 28. Dans un article de 1952, publié avec Koechlin, Daumézon arri-
vait ainsi à une description très sombre des conditions de vie asilaires, qu’il n’hésitait
pas à comparer avec les conditions de vie dans les camps de concentration allemands 29.
Deuxième étape, le médecin devait s’efforcer de faire évoluer son image dans l’es-
prit des infirmiers : asseoir son autorité sur son identité de thérapeute et non plus

25. Daumézon 1952.


26. Daumézon 1955.
27. Ibid.
28. Goffman 1968.
29. Ils s’appuyaient notamment sur la description qu’en avait faite David Rousset dès 1946.
Réformer et soigner… 285

seulement sur celle de supérieur hiérarchique. Pour cela, il proposait d’utiliser de


manière volontariste les techniques de « thérapeutiques biologiques » dont on dispo-
sait à l’époque : les différentes techniques de choc – électrochocs, cures insuliniques,
cardiazol –, en raison de leur technicité et de la mobilisation qu’elles suscitaient au
sein du personnel soignant, constituaient ainsi des moyens de revaloriser le travail
soignant, et ainsi de transformer le sens de la relation entre le médecin psychiatre et
ses auxiliaires 30. Pour Daumézon, l’intérêt de ces techniques ne résidait ainsi pas seu-
lement dans leur efficacité thérapeutique, mais dans leur valeur symbolique dans le
cadre d’une nouvelle économie thérapeutique. Dernière étape enfin, lorsque le psychia-
tre avait réussi à obtenir la confiance de ses infirmiers, il pouvait pousser ces derniers
à lancer des initiatives de groupes d’activité avec les malades, qu’il s’agisse d’activités
ludiques, comme les activités de théâtre ou sportives, ou d’activités de travail. Il s’agis-
sait alors d’amener les infirmiers à organiser des activités authentiquement thérapeu-
tiques avec les patients, et de les engager à se lancer dans des initiatives désintéressées,
en suscitant chez eux une émulation, ou bien en jouant sur leurs intérêts. Daumézon
proposait ainsi par exemple de faire remarquer aux soignants qu’

un pavillon d’agités qui travaillent est plus vivable pour les malades et le personnel
qu’un pavillon d’agités en pleine turbulence, souvent même nous insisterons auprès
du personnel sur les aspects très matériels, les revendications de salaires qui seront
plus facilement prises en considération si vous cessez d’être des gardiens 31.

Plusieurs des caractéristiques du psychiatre qu’imagine Daumézon et de sa posi-


tion au sein de son service apparaissent ainsi dans le cours de ces articles : d’abord
extérieur au service qu’il est amené à diriger, il s’efforce de se construire une identité
de thérapeute qui sorte de la routine des relations sociales à l’hôpital psychiatrique.
Pragmatique, il joue de manière stratégique avec les intérêts de ses infirmiers pour les
amener presque malgré eux à adhérer à son projet. Cela me conduit à mon troisième
point, sur lequel je conclurai. On peut en effet dès lors réinterpréter l’une des dimen-
sions essentielles en jeu dans l’émergence de la psychothérapie institutionnelle en
1945. Les valeurs portées par les techniques de psychothérapie de groupe traduisaient
en effet le type d’engagement que ces jeunes psychiatres attendaient de leurs collabo-
rateurs dans un projet de réforme de la psychiatrie qui ne pouvait passer que par une
transformation à la base des pratiques. Solidarité entre infirmiers, engagement désin-
téressé dans l’action et convergence sur le leader – tels étaient les fondements de la
nouvelle éthique que ces psychiatres attendaient de leurs infirmiers. Cette dimension
était bien mise en évidence dans la définition que donnaient en dernière analyse Dau-
mézon et Koechlin de ce que devait être la psychothérapie institutionnelle :

30. Daumézon 1955.


31. Daumézon et Koechlin 1952.
286 Nicolas Henckes

Le but de notre psychothérapie collective devra consister essentiellement à faire naî-


tre des activités de groupes [qui mettront entre parenthèses] la structure asilaire. Ceci
ne sera possible que par la création d’une technique de soins, d’une technique de réa-
daptation, voire même par l’adjonction d’une technique quelconque poursuivant un
but concret : dans cette perspective totalement étrangère à la perspective asilaire, les
rapports conventionnels se trouveront bouleversés au bénéfice de la poursuite com-
mune du but nouveau unanimement connu 32.

La psychothérapie institutionnelle que développèrent les psychiatres français à


partir de 1945 est un objet fascinant par son ambition exorbitante : faire de l’hôpital
psychiatrique dans son ensemble un instrument de la thérapeutique. Quelle histoire
faire de cette ambition ? Comment en retrouver le sens, sans la réduire ni à l’évidence
transparente des pratiques, ni à l’illusion des idéologies ? Dans cette communication,
j’ai essayé, dans une perspective pragmatique, de saisir la signification que donnaient
les psychiatres du groupe de l’Information psychiatrique à la psychothérapie institu-
tionnelle dans l’accomplissement de leurs buts et la résolution des problèmes qui se
posaient à eux. Il me semble que la psychothérapie institutionnelle peut ainsi être sai-
sie dans sa richesse, à condition de prêter attention à ce qu’elle permettait de faire dans
les différentes sphères dans lesquelles intervenaient les psychiatres.

Nicolas Henckes 33

Références bibliographiques
Abbott A. (1988), The System of Professions, Chicago, University of Chicago Press.
Audisio M. (1980), La Psychiatrie de secteur, une psychiatrie militante pour la santé mentale,
Toulouse, Privat.
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