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Dispositions Futures

par K. F. Oelke
Copyright 2008 K. F. Oelke

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ISBN 978-0-557-02032-4

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Paris, octobre 1986

Dans l'espace noir et vide un vaisseau se dessine


lentement comme en s'appropriant de particules de rien,
une forme métallique miroitant, donnant par reflets
entrevus, tout se passant à une vélocité infernale mais
imperceptible. Plusieurs longs cylindres lisses en forme
de minces lances où l'énergie cour sur les surfaces en
scintillements de bleu électrique se mettent à propulser
en silence contre la force et le courant de l'espace, la
variation des dispositions du temps et de la mémoire.
L'attaque commença sans préalable, longs missiles effilés
s'allumant atomiques et s'élançant comme miniscules dards
qui atteignent leur vitesse maximum dans la fraction
d'une sec. Certains dirigés contre la défense de
l'adversaire s'arquaient en elliptique oblique, et autres
fonçaient directs en longues flammes brillantes,
s'accrochant à la courbe de l'univers et suivant les
impressions des temps imprévus. Le cible à trois années-
lumière de là accéléra lui aussi prenant l'offensive avec
une volée de missiles légers, puis rayons lasers comme
strobes intenses et instantanés pointaient en flashes
magiques contre l'invasion interlope et une milli-sec
après le disque plat s'éclipsa derrière un écran d'anti-
matière où tout s'amortissait, au même moment que l'autre

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disparaît dans un temps antérieur. Au bord du vaisseau-
disque Eunid observa le décompte de la traversée de la
galaxie et la sonde à la recherche de l'agresseur tout en
rajustant les coordonnés sur l'écran de l'ordinateur,
laissant son intuition diriger la coque jusqu'à une
brèche ouverte d'espace désert relatif, et assuré d'être
introuvable activa le parapluie de drague et endormit
dans un déplacement onirique et criminel comme une sirène
nocturne. René, le second pilote de l'équipe, pris le
relais d'observation; pendant le rêve les quatre
décidèrent d'aller aux confins humains de l'univers afin
de ne plus être importunés par le nouveau nettoyage de la
loi.
L'amiral Nico du Flagship Lady de la Dixième Règne
serra l'arc de retour en moins d'une révol pour glisser
le vaisseau cylindrique au-dessus de la capitale de
Sagitarius, faisant valoir le signe dans la présentation.
De la grande salle de contrôle on voyait par la fenêtre
de baie une des cités les plus modernes, au-delà de tout
ce que l'imaginaire pourrait fournir en prévision. Il
passa la commande à la tour centrale et resta un instant
à regarder la scène avant d'aller à sa cabine se reposer
pendant l'ingression au launch-deck et la désembarcation.
En passant le seuil il était toujours frappé par
l'extraordinaire beauté artificielle de l'architecture,
dessins légers inscrits dans le vide, volutes et
arabesques sans attaches flottant comme par révélation,
ce qui avait sa part de vérité selon les théories, mais

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selon les théories l'inconnu resterait toujours des
milliers de fois plus immense que le connu, comme petits
pas à l'intérieur d'une enceinte, comme une civilisation
qui se réveille. D'ailleurs il y avait des siècles déjà
que Nico n'avait pas vu de changement signifiant dans le
sort; aussi vieille que la structure génétique, la
théorie mathématique dit que même immortel le destin
reste inextricable de la matière, même quand la matière
en soi n'existe plus, même au-delà de l'esprit; il en
avait déjà assez de ressasser ses petites idées quand la
vue de son amante à la réception brisa complètement son
intériorité. Longue et effilée, elle était en train de
faire transformations, presque comme sur une scène
encadrée par l'immense voûte de verre gris de la salle;
sa robe aussi changeait avec sa forme, de sa race, comme
le plus joli rêve, allant du lin chiffonné à la soie la
plus moirée comme un batik chimérique, comme les teints
de sa peau veloutée et puis fine, en même temps
disséminant une sorte de désordre dans l'air en face
duquel personne ne peut rien deviner. Sa science dépasse
de si loin celle dont Nico est maître qu'il l'approchait
encore, après l'avoir connue une révolution, avec une
certaine méfiance morale; au fond de lui-même il se
disait que ce n'est rien que elle peut glisser entre ses
perceptions comme il entre en transport, et même que
entre leurs espèces la procréation est impossible cela ne
les empêche de s'aimer, à frôler la folie avec une
intense énergie, comme il sent maintenant son baiser sur

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la joue. Leurs voix argentines sonnaient comme cliquetis
dans une atmosphère raréfiée.
« Bon soir, chéri. C'était bien ton vol de
reconnaissance?
- Comme tu me vois, tu n'as pas idée.
- Mais au contraire, je dépense.
- Pas de larmes fleuries en ce moment, je suis fini.
- Je fais semblant, tu trouves pas jolie cette mine?
- Si, si. Allons, c'est l'heure de te coucher?
- Presque. C'est long... entre-temps. »
Ils sortirent du bâtiment e trouvèrent leur voiture
sur la ligne.
« Je conduis », dit Iria, et Nico s'accorda avec
l'esquisse d'un geste. Elle coda l'adresse de la suite
et se laissa couler, tournoyant, autour de la passion de
Nico comme sur les rives d'une rivière de vent, murmures
sans sens et froufrous s'entremêlant.
Elle chuchota, « Ne forme pas une parole rationnelle
pendant une révolution », et c'était tout. Du soir ils
n'eurent remporté qu'une ombre dans la salle de séjour
plus ou moins démunie de mobilier, des coussins ou
matelas arrangés un peu au hasard, musique dans un coin,
rien pour la taille de la chambre. Ils laissèrent leurs
cheveux tomber en cascade.
« Tu m'enlèves?
- Maintenant. »
Notes éparses à intervalles longues et irrégulières
emplirent l'espace pendant qu'ils ôtèrent leurs

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vêtements, comme la pesanteur subtile qui oscillait
autour d'une gravité partielle, comme un rien suffisant
pour se déplacer, leurs mouvements lents à la mesure du
cycle en cours.
Iria venait de s'arrêter et calmement elle dit, « On
pense qu'il y aura un changement de structure dans la
prochaine révolution. »
Nico répondit, les yeux tirant dans le flou, « Si
c'est par le haut que ça bouge, autrement c'est pas la
peine de remuer minuscules choses périphériques. » Et
glissant par le rive, ils captèrent une nouvelle onde que
cette fois les laissèrent bien au loin de la conception
mystique. Nico cria, « Tire, tire, » son souffle léger
entrecoupé et son être percé par une couleur féminine et
ils absorbèrent comme pour toujours une sorte d'énergie
moléculaire, comme une raie planant de radiation
antibiotique. Par une légère poussée leurs corps se sont
levés de la mosaïque du sol et membres lâchés, têtes en
arrière ils tombent en caresses sur un amas de coussins
en couleurs délayées; longues phalanges se cherchent
s'agrippent s'entourent; leurs yeux s'étirent et stries
de couleurs changeantes courent sur leur peau comme une
liquide irisée par une faible lumière phosphorescente;
lèvres prennent un teint plus rose, corps deviennent plus
sombres, comme dans une cadence rythmée par une orbite
annuelle, quasi inexistants à la lisière du mensonge
métaphysique, juste là, prêts à faillir, à modifier la
structure foncière.

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« Tu rêves le signe de l'alternance?
- Non, je cale un angle sur le plan tangent pour
revenir ensuite. »
Silence, et puis un son à peine perceptible comme sur
le travers du mi-corps. Par la grande fenêtre ultra
claire un raie de lumière pénètre, un reflet d'un
vaisseau qui arrive, qui se reflète sur la nuque et la
chevelure noire d'Iria pendant que ses petits seins
prennent forme avec une lenteur végétale sous la caresse
douce du désir de Nico.
« Tu me fuis comme une limite indécise, dit Nico.
- Et ton désir demeure sans source précise, répondit
Iria.
- Tropicale forêt Syrienne en songe, je t'y ramène
une révolution, je t'y couche dans les fougères et t'y
suspens par les vignes.
- Dors dans la chaleur avant que la faim nous arrête,
un baiser de soleil en échange de nourriture. »
Nico la barre, « Au fait, où sommes nous? »
Avec sommeil Iria avance la lumière, « Au dixième
cycle et quart; c'est presque le moment pour te
présenter. Viens, manges ou tu vas trop t'affaiblir. »
Rotation complète, quinze cycles, transporte.
En arrivant à la tour centrale Amiral Nico voyait la
même information défilait sur l'écran. Marques humaines
sur le rêve infini pensait-il sans s'émouvoir, comme le
tunnel étroit qui l'a amené ici de la suite. D'autant
plus que Eunid et autres comme lui tentent l'anarchie et

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que la prochaine révolution serait (la probabilité
latente est grande) assez précaire. Les fibres vivantes
étirées à travers l'époque ne pourraient pas être à une
tension infinie; il doivent trouver leur limite. « C'est
la crise », rengaine depuis la première époque autant
dire toujours parce que maintenant les couches des
époques résistent à toutes les sondes. Le temps est
lourd, à l'approche de la révol la lumière courbe plus,
que faire sinon marquer les points sur le plan avec le
risque de voir toutes les races à la dérive éparpillées
dans l'infini éternel, gênes en mutation pour la plupart
isolées comme dans un cauchemar. Nico marchait dans un
couloir métallique à ultraviolet vers le secteur de la
police. Il y avait toujours des gens comme Eunid, des
« artistes » comme on dit et la morale. Quel gâchis,
pensait-il. On dit que la morale n'existe pas et les
artistes n'ont rien à foutre et ça depuis que le temps
est temps. Je verrai. La porte glisse ouverte à son
arrivée. Police Criminelle, Terrorisme.
« Quoi de nouveau dans les arcanes? » lança Nico à
tout va en entrant. Silence, personne autour ne
répondit. Le consul Jerisi vint à sa rencontre avec un
dossier dans la main. On eut travaillé ensemble maintes
fois.
« Prenez le Tiren, il est déjà armé, l'équipe en
place; la cinquième lune a été attaquée, force-field
percé; ils ont pris diamants radioactifs et drogues
psycho-actives, défense encore immobilisée, débita Jerisi

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à l'emporte-pièce avec une urgence évidente; il continua,
prenez contact et suite à votre discrétion - cette fois
vous avez toute autorité et toute liberté dans tous les
plans. »
Un quart de révol après le Tiren décolla, atteignit
trois lumières et quitta la galaxie Sagitarius au cap du
soleil Desata, engins en hyper absorption phares rouges,
l'alerte à bord, armes prêtes. A une mi-lumière de
Desata l'observatoire sonna, « Trois missiles à têtes
multiples, traque.
Armes répondit, - traque.
Contrôle, - Action évasive deuxième parallèle.
Observatoire, - Au cap de tir en dix secs.
Contrôle, - Troisième parallèle suit trajectoire de
l'agression à l'envers.
Armes, - Interception, ignition, trois têtes perdues
dans un secteur dehors du temps-portée.
Nico intervient, - Laissez au nettoyage, poursuivez
trajet.
Observatoire, - Trois rayons sur ce plan."
Contrôle, - Deuxième parallèle, force-shield activé."
Observatoire, - Ombre à vingt secs en perte de
vitesse, message sur ondes, décryptant.
Nico, - Ralentissez à une lumière, voyez si vous
pouvez les bloquer avec un force-shield en angle,
coincez-les.
- Coincés.
- Ils se disent garants du secteur et désirent paix.

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- Saisie en cours, Amiral.
- Ils génèrent, c'est fort. Ils déplanent de deux
secs.
- Ils sont en train de s'échapper.
- Comment? Ce n'est possible, donnez probable
distinction. »
Trois explosions éclatèrent contre la surface exposée
du cylindre de navigation, étincelles brillantes de trois
minuscules dardes à fission. Les engins du Tiren
cessèrent, l'ombrelle fut déployée; aveugle, dans la
proximité de trois planètes et deux soleils, la seule
issue était l'immobilité et l'éventuel accès aux arcanes.
Ils mirent l'écran d'anti-matière et conjurent l'arcane
de la Balance. Cinq secs passèrent; l'équipe était
frénétique, proche à la démence; magie non assimilée
brasillait sur tout, doigts fébriles caressèrent la
dernière mémoire.
Nico était inconscient, couché sur le sol métallique
d'une chambre vide, traversée de haut en bas par colonnes
de lumière dense et poreuse à la fois. Deux femmes et un
homme se matérialisèrent d'un côté, pistolets braqués sur
sa forme épuisée. Ils le mirent debout et le traînèrent
à travers une ouverture dans le noir. Peu à peu gagnant
son esprit d'abord Nico ne comprit rien et puis lentement
il se souvint, images volées, correspondances brouillées,
reversées, oppositions de charges imprévues, et un chaos
apparent. Dans sa pensée la fascination succéda à la
surprise devant l'idée d'une telle manoeuvre. En vain il

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tentait de raisonner ou au moins saisir une sorte de
logique pour ce qui demeurait, malgré tous les efforts de
connaissance appropriée, inexplicable. Il sentait les
nerfs comme électrisés et un picotement léger dans tout
le corps. D'un coup les sombres appuis le relâchèrent et
il s'affaissa; il entendit langues étrangères et l'air
déplacé d'une porte qui ferme avant de perdre
connaissance encore. Le rêve de Nico n'était plus le
même, un moment il se croyait dans le disque-vaisseau,
puis il se trouvait immatériel dans une spirale
ascendante; et plus personne, plus un regard, il
enregistre comme la plus légère impression la présence
d'Iria, une ombre de son essence, sa forme devenue
complètement intangible et incroyablement éphémère.
Faibles réflexes parcouraient le terrain vague qu'il
était devenu, efforts futiles de coalescence, comme
tentations de s'étendre dans l'avenir et à travers
l'espace, de voir comme il voyait avant, sentir le poids
d'une possibilité et en prétendant l'alchimie de la
transmission, la voir se réaliser, étoiles en saphirs,
flammes en bracelets d'or. Il sentait qu'il eut été
coupé subitement de ses sentiments sociaux, des
références, qu'il était loin, coupé de toute vision; et
que Iria était la seule personne qui avait encore gardé
un lien fragile avec lui. Où avant il révélait avec
certitude, maintenant il ne distinguait l'imaginaire de
l'embarras, de l'imbroglio du temps. Il n'était pas
devant une réalité; tout au mieux il était incorporé dans

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une réalité quasi anéantie et en train de s'annihiler en
pure perte, où mondes il y a longtemps oubliés prenaient
pied et s'évaporaient comme nuages en vapeurs, comme
lumière en chaleur et chaleur en occulte; arbres géants
aux rameaux filandreux, étoilés, dispersés sur montagnes
rocheuses et arides, partageant précairement la vie avec
grands oiseaux qui flottent comme larges étoffes plates
de soie, se nourrissant d'atomes d'air, comme les arbres
dans une sorte de photosynthèse catalysée et animale,
vieux rapaces aux longues fibrilles de feu sur une
planète mourante, baignée d'un orange délavé d'un
lointain soleil, à la dérive hasardeuse dans les restes
d'un système solaire. Longs filaments nerveux qui
traînent ouverts à la recherche de la moindre stimulation
qui ne vient jamais, voiles étendues d'une épaisseur
d'une cellule aplanie dans l'atmosphère raréfiée, jetant
ombres imperceptibles sur le désert parcouru de sentiers
qui ne servent plus, un dédale de fils inutiles. Nico
sentait s'enfuir le dernier point de résistance comme le
reflet d'un miroir cassé, livré à la matière inanimée.
« On peut le ranimer; il est hors de leur influence;
la limite est fixée bien en deçà de la constellation
Gemini que nous avons dépassé il y a une moitié de
lumière.
- Sa conscience se réfugie; il paraît qu'elle s'est
cramponnée à une image, on entre. »
Une chaleur envahit, croissante comme la corolle
d'une fleur exotique, rouges, jaunes, oranges de plus en

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plus chauds et vibrants; l'attente se brise en tessons
lumineux; le corps se crispe, se serre; restes d'une
rosace de silence.
« Il s'est séché, donne-lui de l'eau, accélère la
vitesse radiante.
Conscient de se tournoyer, un tourbillonnement
liquide, moite, sensuel, un sens, un retour au sens.
« Iria, Iria, murmura Nico d'un souffle creux.
- Je suis là, je suis là, dit elle, impatiente de le
rassurer; elle le touche, il ouvre en minces fentes se
yeux où on voyait encore scintiller un feu de braise
profonde.
- T'es sur la Silhouette, un disque, dit elle.
- Bonjour Nico, je me présente, Eunid; tu me connais
déjà, je crois. Nous avons quitté l'enceinte du zodiaque
et c'est pour cette raison que tu te sent désemparé. Ta
vision de l'univers a toujours été une fabrication
sociale, même au plus profond de tes rêves, emmêlée dans
le rets d'imaginaires, et dont par la pure distance nous
échappons à l'influence. N'essaie pas de réagir pour le
moment; tu es comme un nouveau-né; ton empreinte a été
dépouillée de ses fausses excroissances; tu es passé à
l'autre côté. »
Nico le regardait, puis il regardait Iria, et on
voyait qu'il comprenait presque d'un coup et toute
l'étendue de l'enjeu; ne serait-il pas maintenant victime
à nouveau d'une structure et associations.

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« Non, Nico, dit Ilia, avec pressentiment, - t'es
libre. Pour la première fois, il retrouva la parole,
coulante d'une source différente, sylphide, symbolique.
- Toi.
- C'est la dernière fois que je passe, ma forme n'est
plus suffisamment stable, comme tu vois; l'effet immédiat
durera encore quelques cycles. »
En fait, Ilia était si chimérique qu'elle était
transparente et même son contour éphémère variait avec le
temps. Les lignes, les objets, le vaisseau aussi
semblaient sur le point de métamorphiser.
« On use beaucoup d'énergie psychique, tu vois
vestiges. Sache d'abord que certains signes importent peu
et les révolutions n'importent plus de tout. Nous
traversons l'espace dégagée », elle sourit.
Lentement Nico se mit debout; il fit quelques pas et
revint, son regard promena autour de la pièce. Qu'il
était avec eux et de leur cause était acquis sans le
moindre doute. Une petite lumière clignotait sur le
console, c'était une communication.
« Il y a un vaisseau dans le secteur, sur le
troisième parallèle, un des nôtres.
- Ça doit être le Sérine, venez vous deux au
contrôle, dit Eunid en se tournant vers la porte.
- Nous avons à notre poursuite un vaisseau inconnu
distant de deux lumières depuis un cycle, entendit-on
immédiatement.

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Eunid prit contenance, - Déphasez la puissance
jusqu'à une lumière. Alerte. Transmettez au Sérine:
Passez, nous plions sur parallèle en enfilade, terminé.
Donnez arrêt relatif à la galaxie la plus proche,
Cassiopée, et éclipsez. Pliez au dixième parallèle.
Effacement. Contact en cinquante secs. »
Nico regardait la manoeuvre, interloqué, incrédule.
Plier au dixième, c'était inouï. Sur la scande on voyait
passer la trace énergétique du Sérine, un sec et la
traversée fut complète. Une pause de quelques pulsations
de coeur, d'hypertension. Une ligne d'un centimètre
apparut sur le cadran et fut vite cerné d'un auréole
rouge vif, indication du mécanisme de traque. La
Silhouette était nue et invisible. Soudain, un
scintillement brillant dans l'espace où elle cliva
présence réelle sur le plan et aussitôt deux rayonnements
s'élancèrent d'une sorte de canon dans sa coque, et
aussitôt atteignirent l'adversaire en deux flashes, un au
milieu et un au arrière. L'énergie de l'autre cessa de
s'émettre, leurs coques cylindriques furent nettement
divisés en deux et passèrent à la dérive, jointures
vermeilles comme métaux surchauffés. La Silhouette se
couvrit d'un force-shield, qui donnait une apparence
onduleuse, moiré à son contour en relève contre la nuit.
L'attaque eut réussi, l'autre était immobile, ses
propulseurs morts. Reflets de l'étoile de Cirrus
alternaient aux ombres sur son tournoiement. Trois

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points apparurent d'un côté, missiles qui se désarmèrent
futilement contre le bouclier de la Silhouette.
« Inutile de continuer l'attaque, il y a barrage
anti-matière.
- J'ai cinq croiseurs légers à six lumières, en
provenance de Sagitarius."
- C'est temps de quitter la scène. Retirez trois
secs. Calculez pour un double pli jusqu'à l'orbite de
Praesepe dans le Cancer.
- Premier pli 178,21, deuxième 165,33.
- Mon cher Nico, tu as l'air étonné. Nous plions
deux fois pour ne pas laisser de traces vecteurs. C'est
à l'autre bout, mais nous avons à sauter tout le fouillis
civilisé de la Dixième Règne. Ce qui est fâcheux est que
notre proie avait pu prévenir Sagitarius.
- Ils transmettent encore, diagramme en bande
courbée.
- Préparez; prends cette place, Nico. Energie
concentrée au réacteur, masse critique en quatre secs.
- Objectif dans un demi-cycle. »
Le premier pli passa par l'ascendante de l'arcane de
Sagitarius, le second par l'inflexion de la galaxie
Draco. Une énorme quantité d'énergie était consommée
avec chaque saut, la moitié du même voyage en lumières;
l'important était la clandestinité et la vitesse. Et à
Praesepe ils seraient loin de la dernière sonde de la
Règne qui se situait à Alcor. Praesepe est le premier
port de l'opposition, juste au seuil de l'alternance, sur

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la crête brouillée. L'inconscience passa la durée des
plis, comme une lacune de temps dans la phrase de la
pensée, la configuration des particules en suspension,
comme un seul point géométrique transposé d'une onde à
une autre; à l'oeil, rien à observer sauf l'apparition
subite dans le concret d'un bâtiment de guerre d'un
kilomètre de diamètre composé d'un alliage moléculaire,
comme métal et verre. La Règne continuait à oublier les
plis des rapports associatifs comme elle continuait dans
l'image des révolutions au lieu de contraindre à la
mémoire une évolution.
« En orbite stationnaire à 300 kilomètres. Descente
en cours suivant la rotation planétaire. Absence de
signal de reconnaissance.
- Apprêtez quatre chasseurs sur le pont en munitions
de surface et ailes Delta. Continuez descente. Pas
d'autre navire en proximité? Eunid tourna vers son hôte,
- Il peut y avoir un problème, ce ne sera la première
fois. L'anarchie comporte ce risque que l'ordre ne
recèle.
- D'après les autres bandes il paraît que le port est
sous le siège d'indigènes, nombreux, armes légères.
Notre contact demande aide immédiat et levée de
personnel.
- Lancez les Deltas pour en couvert de l'opération et
ramenez la poste par faisceau. Venez Nico et Ilia;
quoique routinier, nous ayons à décider de notre prochain
objectif.

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Dans le couloir menant à sa cabine Eunid continua à
s'entretenir avec son nouveau ami, - L'univers est vaste,
mais à ce que je sache il n'existe pas d'indigènes; dans
ce cas ce sont transfuges d'il y a quatre millénaires,
différents mais toujours humains. C'est un sujet qui
m'attire, la vie, tu y as pensé je suppose?
- Oui, bien sûr, répondit Nico.
- Oui, je crois que tu partages le point de vue
d'Ilia et moi. C'est assez commun et simple. Dans tout
l'univers, éternel et infini, de l'aube de temps il n'y a
pas une autre race qui a su laisser une trace; de tout le
temps et de tout l'espace pas une civilisation qui a su
durer ou même communiquer, ou même mourir. Nous sommes
entourés d'un vide spirituel que seuls nous comblons,
l'unique conscience de l'univers. Rien n'échappe à nos
fouilles et nos sondes. Cantonnée dans l'ordre, La Règne
l'ignore.
- Oui, c'est tout à fait ça, affirme Nico, sous
l'oeil approbatif d'Ilia.
- Et c'est pourquoi tu es ici en ce moment.
Ilia intervient, - On n'en parle pas, on oublie, il y
a déjà deux millénaires que le rêve de mon espèce s'est
envolé de leur planète pour explorer, voyage instantané;
à chaque retour de l'aura on constatait la jungle, le
désert, variations à l'infini de l'imaginaire, mais
toujours l'entrelacs moléculaire et les composantes de
base alchimique; particules radioactives, océans de

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mercure; le feu, l'air, l'eau et la terre, vision
archaïque d'un univers archaïque. »
La Règne meurt et les êtres demeurent immortels
jusqu'à ce que une violence imprévue en anéantisse; la
Règne fidèle reflet de l'univers ne tient pas compte de
tout l'organisme, ni du flux organique; le rêve se
matérialise en images qui colorent le néant; forêts
réelles, une voile irréelle, rivières, une prolifération
délirante qui sans cesse dépasse en restructurant sa
propre image, couche sur couche, passion primordiale,
sans fond, illogique, déraisonnable, sans aucun rapport
avec aucun aspect de l'univers, ressort du songe.
Eunid traversa la pièce pour faire une communication
avec contrôle.
« Eunid, nos chasseurs ont détruit plusieurs des
leurs, sans perte; il semble qu'il leur manque un système
planétaire uni pour repérer les positions des combats;
leur offensive terrienne s'est arrêtée; radicalement
réduit, ils ont dû se replier. La première vague des
partisans vient d'arriver, la levée se termine; Barbara
sera avec vous bientôt avec un rapport complet. »
A ce moment la porte s'ouvrit pour la laisser entrer.
« Bon soir, chérie, t'as bonne mine; tu as dîné? dit
Eunid; il se leva du canapé et l'embrassa.
- En fait, non, dit elle et se recula un peu pour le
regarder profondément dans les yeux. Envers Ilia elle
esquissa un geste de reconnaissance.

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- Nous non plus; ça vient; je vous présente Nico de
qui tu as tant entendu parler.
Barbara jeta un coup d'oeil à sa robe, puis à celle
d'Ilia, - Je ne suis pas habillée pour un dîner.
- Ne t'en fais pas, lui rassura Nico. »
En réalité sa robe était très jolie, d'une soie
synthétique colorée en doux tourbillons de tous les tons
de violet. Ilia arborait un pantalon bouffant noir et
une blouse rose en lin de dacron. Les hommes étaient
dans les chemises et pantalons légers d'usage dans les
vaisseaux. L'ameublement de la salle était d'un bon goût
restreint; outre le grand canapé en tissue aux dessins
orientaux, il y avait une table en verre fumé, chaises
assorties, et attaché à un mur un petit console de
commande; contre l'autre mur encore un canapé. Tableaux
surréalisto-impressionistes complétaient l'ambiance.
« Alors Barbara, qu'est-ce qui se passe là-bas?
- Rien qui nous regarde; les Praesèns se sont divisés
en deux groupes. C'est toute une affaire politique; il
paraît que la Règne s'est mis la main dedans.
- Ils sont ici? demanda Nico, surpris que rien de
l'affaire n’avait filtré jusqu'à son coin de police.
- Seulement une ou deux personnes, du genre espion.
Il se peut qu'ils aient réveillé quelques idées chez les
Praesèns. Ce que l'on sait est qu'un groupe a tenté
s'approprier l'aéroport stratégique et nous nous sommes
bien défendus jusqu'à votre arrivée. Il leur manque

22
singulièrement de logistique. A propos, c'est de
chasseurs téléguidés que vous avez déployés?
- Les chasseurs sont liés aux ordinateurs de bord,
orbite stationnaire avec les sondes, rien ne se passe en
bas sans qu'on le sache. Alors, la bataille est une
sorte de jeu d'échecs par ordinateur, en trajectoires,
lancements et tournants probables. La part du hasard se
réduit à rien, surtout avec un adversaire si peu
sophistiqué, et qui en plus n'était pas de tout préparé à
leur ingérence. L'ordinateur, comme en échecs, prévoit,
et guide les avions d'après les prévisions; il ne se
trompe pas souvent.
Eunid regarda autour de lui, - On met le cap sur
Algieba en Leo, notre prochaine station; pas
d'objections?
Barbara ajouta, - En trente cycles il y aura un
sommet là pour toute cette zone.
- On a croisé le Lian et leur message codé laser nous
en a fait savoir.
Un homme apparut à la porte et Eunid se leva, - Marc
vous montrera votre chambre, bon sommeil. »
Ils partirent, Eunid et Barbara se dévisagèrent. Un
courant se suspendit entre eux comme une ondulation floue
de lumière, à peine tangible, surchargé. Barbara baissa
les paupières et il sembla qu'une flamme frôla le sol
devant ses pieds. Elle dit, « Tu n'aurais pas du me
laisser seule ici.

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- Pourquoi? » Son regard se leva et s'élança,
l'atteignit et le traversa comme une aiguille. Eunid en
absorba un moment, s'effaça, esquiva; sa parole était
fragile, elle lui parvenait à travers une distance infini
dans la salle, deux entités illimitées, immortelles,
debout. Le geste retenu de la main d'Eunid envoya comme
une étincelle de sentiment sur le sol. Il rétorqua, « Je
ne t'en veux pas pour leur émeute; ce n'était nullement
ta faute.
- Je reconnais, c'est moi qui t'en veux.
- Je ne peux pas être partout à la fois; je n'ai pas
pu laisser la conjoncture passer sans en relever
l'occasion. Le cycle était venu pour tirer Nico, nous
tous le savons, en ceci il y a toujours certaines pertes
qui contrebalancent l'arcane, ceci tu le sais.
- C'est pas juste. S'il y a trop de pertes, on
laisse filer l'occasion. On la rattrape ou non, on
prévoie. »
Les couleurs de leur fard changèrent en fréquence,
sombrèrent en rouge foncé. Leurs doigts semblèrent
s'allonger, leurs yeux devinrent plus étirés, plus noirs.
Tout n'était que prétexte. Leur haine et leur amour se
confondaient, vibraient comme artères de passion exposée
à vif; leur distance encore accentuée. Comme soulevés
sur une vague ils atteignirent presque la crête,
volatilisés comme une brume fine, séparés comme deux
vides absolus, absolues et négatifs, s'entrechoquant
comme sur un écran érotique, comme les ailes diaprées de

24
papillons multicolores des anges d'Akamar envolés dans
l'air liquide pour se caresser. Reprise de haine, dans
un geste elle dévoila un sein beau comme nacre; elle
ouvrit la porte, « N'oublie pas ta race », et quitta la
chambre. Au centre de la pièce Eunid tremblait comme
minces feuilles d'une turbine lumineuse un cycle durant.
Il se déshabilla, prit une douche électronique en cône
dans un coin de la chambre, se coucha mais ne dormit pas.
A l'approche d'Algieba tous se retrouvèrent à la
salle de contrôle. Barbara était au tableau de
communication, encore en état de hyperréalisme
étincelant, « Contact avec la surface.
- Le drague à 50% décélération, atterrissage
calculé. »
Les plans s'imbriquèrent de cinq à trois avec la
manipulation des arcanes. La contre-lumière fut amorcée;
le navire passa, en lente rotation entre les deux lunes,
une à l'atmosphère jaune et humide de vent, l'autre
sèche, habitée, structures en fines lignes géométriques,
tordues, couvrant la moitié de la superficie, crevasses
et cratères entremêlés avec la toile noire.
Eunid, froissé, détourna son regard du vitre en demi-
cercle de l'observatoire. Personne nota son désarroi.
Entre autres l'équipage était composé d'une fille
nocturne, Sulir, de souche orientale, connue pour sa
connaissance parfaite de la métaphysique de
l'astrophysique, position de navigateur, recherchée des
deux côtés - de l'un comme génie, de l'autre comme

25
criminelle, et d'une beauté qui mortifie le désir.
Jacques, ex-acteur de cinéma, ex-metteur en scène
poursuivi pour idées non-conformes à aucun système, un
homme qui trouve toujours le contre-courant qui étale les
failles de n'importe quelle logique; son physique noir
était bâti solide et agile; il était le spécialiste des
armes, surtout aux particules. Petite Nylanda faisait le
nucléaire, le propulseur linéaire et les missiles; elle
était de la lune de cette même planète où ils arrivaient,
seulement colonisée depuis un siècle; elle était de la
troisième génération, son grand-père et grand-mère
avaient fui tout simplement la routine de Sagitarius et
avaient découvert bien plus que prévu; la première vague
des gènes radicales, sophistiquées par leurs propres
parents.
« Les données de ce système solaire ont été altérées,
dit Sulir.
- Recevant nouvel code maintenant. Déplanez jusqu'au
troisième parallèle plus deux secs, en phase, dit
Barbara.
- En phase, temps corrigé.
- Ai, ils se sont occultés de trois degrés, c'est
approximatif. Alignez les facettes du diamant sur le
jaune; décalez dans le vert jusqu'à ce que la
superposition sonne. »
Sulir manipulait un ordinateur lié à un grand tableau
d'arcanes, strié de couleurs lumineuses en spectrum;

26
lentement un teint changeait au fond, accompagné d'un
ton.
« Initié.
- Nous avons communication; descendez jusqu'à 500
kilomètres; ils nous prennent en faisceau. »
Avec la fin de la manoeuvre toute l'équipe se
tournait vers la fenêtre. Le flou d'avant s'était
précisé; les couleurs de la planète, les contours du
vaisseau étaient nets, en processus défini. Personne ne
fut remise du fait de tomber sur une occultation, et de
presque trois degrés; cette planète et le système (on
sait pas au juste où le décalage finit) frôlaient la
mort, la désintégration; c'était pour ainsi dire le coût
de l'intensité. Le silence était requis pour
s'accoutumer. Déjà les rares gestes tiraient dans une
épaisseur, les voix réverbéraient comme cristal, lourds
de sens; l'effet c'était l'éternité tenue dans le moment,
l'impression que tout était figé à jamais; regards se
croisèrent expectatifs, aux aguets; un sourire, c'était
comme de sourire pour toujours, une simple émotion
quelconque collerait à l'atmosphère impitoyablement; cela
ressemblait à une crise profonde de révolution, une révol
subite et imprévue. Devant la beauté de la vision de la
planète on se retenait derrière une façade de feints,
masques impassibles, fards compliqués et absolument
neutres, tous sidérés par une sorte de perspective
eidétique de la Règne. Planant en suspension ils
passèrent à travers la couverture d'épaisses nuages

27
rubescentes de la jeune planète encore au stade de la
formation.
« Comme la Règne se met à assimiler Praesepe, elle
s'insinuera ici même dans une époque. Elle nous chasse,
incompris, criminels, et elle finit par s'approprier les
nouvelles données, à les incorporer, dit Nico, qui s'est
aventuré à ce constat.
- Décontamination en cours. »
L'équipe prit ses affaires et quitta le vaisseau sur
la piste sablonneuse; ils aspirèrent l'atmosphère
oxygénée, imprégnée de poussière rousse, chaude et
humide. Ce peuple silencieux avait construit, avec
l'aide d'antigrav et de lasers, une architecture ciselée
de pierre, une ville de masses rougeâtres, imposantes, et
ruelles étroites, sinueuses, sans repérages, et minces
canaux, ponts et passerelles arachnéens. Le surplus
d'oxygène avait donné une espèce brunâtre, maigre, à la
voix frêle; minces fentes d'yeux, une paupière
nictitante, petits nez; une race d'une promiscuité
chaleureuse et accueillante, développée loin de la Règne,
du système et de la loi, et très près de l'instinct, une
race à l'aise dans l'occulte, le frôlement de la peau, de
l'étoffe, et du sens. L'équipe de la Silhouette était
comme droguée encore, tendus d'une précarité pendant que
leurs guides, par une communication principalement
gestuelle, les amenaient à leurs divers hébergements dans
les appartements des habitants. Ville fantôme d'ombres
glissantes, au bord de la mort, une civilisation de

28
passerelles, d'associations évanescentes perchées au-
dessus du néant, sans une parole qui tient lien, comme
formes fondantes d'énergie désuète; attouchements
enchaînés comme feux rouges frisants qui cèdent dans un
ballet de tissus envoyés en vastes cercles de sens
sublimés et radicales. Désirs exacerbés, chacun de
l'équipe se trouvait sur un lit d'amour insensé, de
transition, d'une durée de pulsations, l'attente de la
levée, la matérialisation des ponts, comme une mer de
tolérance sensible.
Le troisième révol Eunid rencontra René de retour,
qui lui raconta l'assassinat d'une force majeur de la
Règne.
« Le vice prélat Léonard était de passage à Alcor;
nous cinq sommes entrés par le port de fret comme
marchands d'argenterie de Cassiopée, papiers en ordre,
maquillage traditionnel. Les couloirs interminables de
leur palace la nuit, une servante amoureuse de la lente
traversée, et enfin une piqûre de morphine surdosée dans
son sommeil. Au sortir un garde averti à peine égorgé à
temps, une voiture piégée devant le palace pour dévier
leur attention, le vol d'un planeur militaire et la fuite
à 400 kilocycles en rase surface, l'assaut du contrôle du
port, coupure de communications, deux de leurs navires
détruits par un lanceur de particules en fission, comme
un éclair uni de blanc à l'essence qui se répand à la
limite du contour. Une fenêtre super étroite de
décollage et de l'orbite tout juste atteinte, deux

29
occultations. Avec la mort du vice prélat ils seront
flanqués à l'incertitude pendant le reste de la révol; il
n'y aura pas d'offensive quelconque de leur part avant le
terme. »
Comme la genèse des fleurs d'un pommier archaïque,
l'éclosion de malaise dû au psychotrope envahit
sournoisement la séquence des cycles, séparant
définitivement les substances dans l'esprit d'Ilia qui se
trouva dans une chambre dénuée de psychodélia. Elle fut
partie à la recherche du ressort de la révolution à
venir, pas pour l'empêcher, impossible, mais pour la
source du déploiement. Nue, illuminée, voguant dans la
chaleur sans poids, soulevée sur lumière blanche, sa
disposition comme sur les ailes d'un oiseau d'espace,
contournant les lunes en partant, une noire, une blanche.
Hors l'orbite, comme particules en tourbillon, tout se
déclenche avec la vitesse normale. Sur le pli son esprit
est forcé à s'occulter, une fois, encore et encore, au
gré d'un vent inconnu et incontrôlable. Et à chaque
arrêt brusque elle se retrouve juste le temps de se
reconnaître, pour se perdre de nouveau. Et elle y accède
brièvement, une pulsation, comme tourbillons, fronces,
d'une étoffe légère qui reste sans imprimer même dans
l'attouchement, à desseins diaphanes avec l'air de
comporter un sens mais sans aucun. Et puis elle est
rejetée comme un souffle parfumé comme elle émerge, et il
n'y avait plus rien à faire. La porte s'ouvrit devant

30
son pas; Eunid et René l'accueillirent où ils
l'attendirent dans l'anti-chambre.
Elle les prévint, « Je vous promets que le système,
s'il y en a, demeure sans signe, ou la poussière à la
suite des comètes; la division s'accomplit encore une
fois sans évoluer; pour nous il serait temps de partir de
l'ancien schéma, profiter de l'accalmie relative, peut-
être rétablir nos anciens amours; c'est à dire, l'univers
ne remue pas donc le temps sera propice à nous d'agir
nous-mêmes.
René ajoute, - Ta voix creuse révèle l'existence de
la drogue dans ton sang, révèle sentiers parcourus de
lointains convolutés; nous nous acquittons en regard de
cette raison, nous échangeons l'argent des mines de la
lune en notre vue contre les diamants qui réalisent et
génèrent; le liquide psycoactif et l'air des gemmes sont
mélangés sans recours.
Ilia continue le cheminement de l'idée de René, - Ici
cette belle ville, la seule de cette planète ou nous
sommes la seule vie; terre de terre, ni arbres, ni fleurs
n'ont fait signe sur la brume poussiéreuse, flamme de
désert, ici les conceptions prennent comme maquettes de
verre poli; je ne sors pas de l'influence, ni ne le veux;
cette sphère est occultée, sentons les lignes en
diffraction, imaginons les voiles qui nous séparent de
tout le reste; la Règne s'approche, voyons leurs
vaisseaux de guerre qui vont lentement à 20 lumières de
notre dernier pli. On part à leur rencontre avec la même

31
tactique-éclair. Je monte le Sérine pour nettoyer
Praesepe. René le Lian une attaque de diversion sur la
lune de Draco, et Eunid et Nico la Silhouette une garde
sur le trafic autour de Cirrus, arracher quelques cargos
de leurs convois. On laisse ce décalage de sable; on
fend les amas stellaires devant les écrans de la Règne. »
Le départ fut en quatre cycles, après que les autres
commandants furent consultés, un dispositif pour deux
révols mis en oeuvre; d'exploration, deux navires envoyés
à la limite; de métapsy au noyau d'Akamar; de filature
sur les routes de l'eau, surtout de Scorpio; le maintien
de la navette qui reliait leur détachement avec Sirrah en
Ariès.
Dans l'appartement au niveau d'un des canaux
centrales Sulir demeura, étirant le sec, à contempler le
jasmin blanc qui grimpait le mur ensoleillé du petit
jardin, comme si les fleurs ouvraient et mourraient à la
vue, comme si leur parfum d'un instant posait dans une
courbe éloquente, et elle essayait de retrouver dans sa
mémoire une hypothèse refoulée, qui correspondait à la
croissance luxueuse des plantes en floraison;
substitution par association en facteurs foncièrement
biologiques, membranes entre le sable et la sève, comme
le flux du sang dans les entes de cette rose de légères
corolles blanches nuit. Drapée à la mode de la planète,
un pan d'étoffe couvrant une cuisse et tombant comme une
cascatelle à travers la pelouse longue, fine, rousse et
douce. Se détachant le regard de la fleur elle se

32
redressa et entra dans une suite ralentie de gestes
soutenus.
« Est-il pour la fin de jouissance que je la cherche,
est-il pour la mémoire, est-il pervers? Je désire la
race de l'ange noir Nylanda, le dessein fatidique
enroulé, inintelligible, implacable, comme le baiser
languide d'une fée au coin de la nuit, la bouche moite
d'un sexe nocturne. Nylanda, tu te dissimules après la
surface. Je me détruirai par manque, par perte; un
jardin s'estompe en dimensions de temps, pétales finales
d'espace imbriquées, tes yeux de khôl méchants, folle
malsaine, infecte, masquée de mensonges affreux, d'aveux
de pure forme, contour superficiel d'une peau lisse,
vivante, vie rare, nourrie de l'air, prostituée,
innocemment néfaste, lèvres si fines, si absentes, odeurs
délicates, féminines. Tu m'as laissée dans un jardin
maléfique de mort escamotée et je délire d'une suite sans
aucune cause, misère.
- Je te laisse découvrir les ongles stridentes de la
bête vicieuse; tu vois à l'intérieur la maudite torsion,
taraudée d'une passion déréglée, fausse de poussière
emportée au sirocco, parure amère, un long fil de perles,
de gouttelettes acides. J'apparais et tu m'associes à un
manque d'essence, à une mémoire, à une fin, voleuse de ce
qui émane de ma propre ascendance; comme signes stériles
ôte tes conceptions complexes et fautives du rôle et du
jardin, et apparences ô combien trompeuses; l'existence
m'écoeure ainsi que l'existence céleste que tu imagines.

33
- Nylanda cesse, cesse, j'ai mal. Je te vois là,
distante au seuil de l'arcane végétale, aussi réelle que
saphirs ignés, que ma voix perdue. Viens me consoler de
ton absence prolongée; viens me faire croire un instant
que tu m'aimes. Non, laisse, instant chéri d'un reflet
impossible; je ne peux vivre.
- Je suis venue te dire que nous partons en trois
cycles; nous sommes affectées à la chasse gardée de
Sirius. Alors, reposes-toi, nous ne toucherons une base
pendant deux révols. Je resterai, desserres tes doigts
crispés, donne l'angoisse inscrite dans ton corps, ma
pauvre. »
Nylanda avança vers Sulir, ses escarpins crissèrent
sur la pelouse; tendrement elle la prit de la nuque, la
leva et l'attira. Le baiser fit entrer Sulir en
dissipation; elle se plaqua contre Nylanda comme une
large feuille mince et fragile; elles semblèrent
tournoyer en spirale lovée descendant sur la terre,
accroupies, assises, enlacées, inclinées comme branches
d'une saule brièvement unies par une brise. Lumière d'un
coucher vermeil, reflets comme glaces des deux lunes
s'entremêlèrent dans un jeu d'ombres concassées; toute la
nuit du cycle elles tombèrent, brins frêles de vie.
De leur part Nico et Ilia consumèrent la durée dans
les librairies et les laboratoires, et en excursions dans
la cité. Nico subit le choc de l'art, tendances entières
bannies de la Règne, oeuvres folles, des premiers plis
aux arcanes déstructurées, dégénétiques. Le « Nouveau

34
Erotisme » qui par un temps avait perturbé toutes les
écoles. L'école dite « Lunaire » tant préoccupée avec
l'hyper magique des formes; les flambées ésotériques de
la « Nouvelle Onde », qu'il reconnaissait pour être
ensuite incorporées dans la littérature populaire de la
Règne; et puis tous les écrivains et artistes qui
n'appartenaient à aucun mouvement, de la mort blessée
d'un Serrelli jusqu'au cauchemar irréel et immortel de
Reden. L'architecture éblouissante d'Algieba qu'il
découvrait au fur et mesure qu'il avançait, constructions
laminaires et foliées qui de prime abord ne présentaient
qu'une face lentement se dévoilaient en rythmes sonores
et cinétiques, ponts au début uniformes devenaient toiles
de fils intriqués, couleurs devenaient subtilités de
teintes signifiantes; les murs de pierre montraient enfin
les multiples sens dans leurs lignes et surtout les
absences esthétiques de sens pareil aux silences en
musique, comme impasses, rues étroites et causes finales.
Ils prenaient ruelles perdues au gré du hasard et
toujours l'occultation les ramenait à eux-mêmes; comme
devant un drame qui subrepticement se corsait; des cafés
bruyants aux niches d'ombre la tension soutenait une
sensation, une énergie qui culminait chaque nuit entre
eux dans leur chambre. Frises indéchiffrables, un peu de
poussière à l'angle d'une muraille, un vitre cendré ou
ocre, comme fenêtres qui donnaient sur une scène au-delà
de l'humain, ou plutôt fenêtres qui ouvraient sur le
réel, sur la clarté de l'essence, comme si la réalité,

35
elle, était hypersensible à leur perception à eux, comme
si elle les racolait, en avait un désir sans équivoque.
A chaque tournant ou nouvelle vision c'était comme une
force tangible qui les arrêtait, les obligeait à se
rendre compte des détails d'une évidence presque
insoutenable, gestes et paroles irréels d'esprit, signes
et formes déjà anciens comme symboles vivants, clinquants
de nécessité. Aussi, il semblait qu'à chaque point de
leur itinéraire un autre point correspondait ailleurs, et
qui renvoyait, comme aux couches d'une fontaine, peu à
peu à une décalque parfaite. Parmi les colonnes de verre
dépoli, les dalles de marbre, figurines absolument
inhumaines, sans aucun rapport avec le corps, venues de
loin, apportées par le vent, glissant sur la surface,
entraperçues dans les graines fines de sable, agissant
d'une manière séductrice inconnue et insaisissable,
jamais la même, jamais une présence, qui au fond faisait
une rencontre, une série de rencontres, d'attouchements
tremblants, insinuant, minant, attisant presque comme
particules qui émanent d'icônes radioactives.
Au bord de la Silhouette le spectrum du réacteur de
diamant jouait sur la fenêtre, le compte amorcé. Couchée
l'équipe regarda en silence le navire gagner l'orbite et
un sec plus tard le quitter, et le pli immédiat les plaça
à proximité des routes de Cirrus en observation. Deux
secs plus tard le Lian de René quitta l'atmosphère
d'Algieba, puis le Sérine aussi, trajets sans traces,
marques moins que néant sur la densité de l'espace.

36
De le Lian qui passa la lune de Draco une vingtaine
de trans-soniques sortirent; leur objectif était la prise
de la rive est de la rivière Calanque. Hors l'atmosphère
ils rencontrèrent déjà les premiers missiles de défense;
les trans parèrent avec faisceaux et évasions, leurs
ordinateurs à la chasse des sources, à la fuite des
explosifs points nucléaires qui en même temps les
poursuivirent. Trans brûlèrent en flashes, et lentement
les lanceurs de la rive s'éteignirent sous l'assaut;
l'apparence était comme les éclats s'une seule
détonation, soudain points illuminés, morts, et soudain
les glissements de l'air des trans qui atterrirent sur la
rive. Un calme de quelques secs, le temps de noter les
chasseurs perdus; le Lian repassa et lâcha de nouveau une
vingtaine. Un groupe de chasseurs de la Règne les
intercepta, venu de leur orbite de l'autre côté de Draco,
moyen chasseurs trop lourds dans l'atmosphère de la lune,
décimés.
« L'univers se désintègre, au fond du troisième
langage, c'est l'enchantement. Comme la terre natale
s'est estompée pour ne plus apparaître que dans les
rêves, dénaturée, jusqu'aux lignes de force qui s'étirent
sur un plan. C'est la deuxième séquence de noirceur
envahissante; nous avons la lune de Draco. Escadrons se
sont déployés à travers la rivière Calanque pour saisir
les dérivatifs des champs alcaloïdes. Un pli s'est
redoublé, comme une respiration saccadée, comme une danse
morte; il faut fixer le plan sur les trois électrons

37
déterminants pour enrayer l'hémorragie en cours; le Lian
en orbite stationnaire. Certains parallèles sont affectés
par le pli mutant; il faut retracer jusqu'à l'origine les
vecteurs des mutagènes en prolifération mais la genèse
m'élude, une image onirique incontournable. Rapport
terminé, René. »
Il posa la main sur une branche noire, regarda
autour, les globes lumineuses déjà dispersées dans le
camp, les cubes, le noir relatif à la lisière de sa
vision, hommes quadrillant à l'infrarouge là au loin.
Par moments le sifflement d'une tige vaporisée, trop
encombrante, par une arme aux particules montées à
l'ultra-velocité pour être invisibles. Les premiers
escadrons étaient déjà à cent kilomètres mais l'avance
s'avérait lente sur le terrain incertain dans l'air
d'encre, dans la végétation profuse, tout couvert d'un
feuillage opaque en haut. René savait ce qui était en
train d'arriver aux troupes de contact, les petites
brûlures aigues et inévitables d'un flore trop riche en
charbon, la chaleur de l'oxygénation sur les nervures des
fleurs intenses, l'intoxication quasi délirante, les
hallucinations, les flambées de lucidité, le manque de
sommeil, de l'appétit, viols exacerbés, extases passives,
l'aveuglement foncier, la verdure violacée de
l'infrarouge.
Le premier nid de la Règne rencontré les surprit de
rayons brillants, aveuglants et faucheurs; ils appelèrent
renforcements et entrèrent dans une bataille chaotique,

38
tranchées creusées à la hâte dans la lueur verdâtre
traversée de stries noires. Coupés de Draco c'était une
mission suicidaire pour les soldats de la Règne, en moins
d'un décacycle ils firent rasés par les rafles de deux
chasseurs; une poignée émergea dans une clairière
déchiquetée; lentement les mitraillettes cessèrent leurs
craquements. Ils avancèrent alors dans la broussaille
juteuse, les mousses trempées, les moisissures, ténèbres
d'une chair trop fraîche pour résister, repoussant les
rameaux mous avec leurs bras et jambes moulés en nylon-
plastique. Soudain un tomba, un autre, un autre,
déchirés, lacérés en silence ouaté par un rayon de rien
qui troua comme par hasard les ramures noires; enfin on
entendit le bruit étouffé de liquide calciné, on vit les
corps dépecés, « Franc-tireur! » et cassements
s'enchaînèrent lorsque les hommes se plaquèrent sur la
surface; rampant ils repérèrent les corps trucidés, les
brèches ouvertes dans le taillis et cernèrent la
direction du tir. Et ils continuèrent, deux cycles,
trois, sans dormir, sans se nourrir, leurs rangs
diminuant, sans blessés, des morts, néanmoins renvoyant
la récolte derrière la ligne. Le camp central se
fortifiât, se dissimula sous les ombres opaques; relais
se formèrent, sentiers comme fils ténus jusqu'au camp, au
Lian, où les toxines furent engrangées en bocaux et
fioles prêts à l'usage. Pendant la première révol la
lune fut acquise mais ils durent subir deux attaques en
vagues des vaisseaux de la Règne, et le Lian, occulté,

39
refit parallèle pour les disperser. Au bout de la
deuxième révol le Lian s'en alla, laissant trois cents
mercenaires coloniser les plaines à l'orée de la forêt.
De sa cachette occultée à l'ombre de Cirrus la
Silhouette fonça sur le convoi. Pour eux c'était déjà la
fin d'un révol, déjà cinq cargos démunis et lâchés à la
dérive. Ils descendirent sur la proie comme par une
cassure métaphysique, invisible derrière l'écran, de
parallèle en parallèle en vol asymptote. Du même coup
qu'ils apparurent, ils attrapèrent le cargo dans un
faisceau d'occultation, l'isolèrent, paralysé.
Minuscules aigrettes scintillèrent dans la zone, énergies
instables écartées par l'influence; l'équipe du cargo
chuta dans la catatonie, inaccoutumée à la force d'une
arcane décalée. La suite s'enchaîne vite, la Silhouette
aborde, le personnel déluré entre et vide la coque,
prenant armes légères, les missiles atomiques, les gemmes
de propulsion, spectrums de guidage et toutes les
substances hallucinogènes; en partant ils gazent les
habitacles; ils intensifient le champ de faisceau et
dirigent le cargo sur un arc de leur centre, l'envoient
hors le système glissant comme une pierre sur l'eau,
jusqu'à ce qu'il désagrège, à une telle vitesse, sans les
fonctions de l'écran, les molécules fendues par les
particules éparses émanées d'étoiles lointaines. La
Silhouette se déplana, regagna l'effacement dans l'angle
conjoncturel de Cirrus. Mais à bord certains problèmes
restèrent récalcitrants à toute solution. Avec la révol

40
Nico eut sombré dans une psychose de l'éternel retour,
c'était sa première en espace profonde et le désorienta
sur le lisse du réel, le replongeant en fantasmes
cauchemardesques déliés. Et Barbara, qui continua
asocial, en mensonges et jalousie, accusa Eunid de
l'avoir délaissée pour Ilia, et se retira dans sa
chambre. Peu à peu ils revinrent; pour Barbara il
s'agissait d'une crise normal, une lubie d'adolescence,
et elle recommençait à sortir de sa chambre après deux
cycles, sans toutefois résumer son emploi aux
communications. Le cas de Nico, pourtant, était plus
lent et difficile à résoudre; il fallait rechercher les
attaches complexées de son déraisonnement, comme gouttes
d'huile dans une mer houleuse, fils et boules soyeux
enlacés en pelotes d'un passé sous la Règne; il fallait
rattacher par parcours multiples l'inconscient flou de
l'espace externe et le fond de son esprit, comme tant de
plans superposés dans un miroitement; délires d'organisme
impossibles à exhumer, mais qu'il fallait cadrer dans le
physique.
« Rideaux noirs sur un fond cosmique, une peau gris-
perle. Ilia sera par la lune de mai; textures d'air, je
me confonds; laisse tomber, une seule scène importe si
peu, un jour l'amour s'en va et n'importe où un soleil
chauffera les veines, les mondes sont pavés de bonnes
intentions, souhaits labiles, déchirements de coeur,
c'est la couleur des incidences menteuses sur un lac
caché et panthères; il n'existe pas de monde trop chaud

41
pour le vol mercuriale. Mystérieuse séduction des
passereaux dans un ciel blanc, comme clématites roses et
violettes sur les ruines de la guerre, courants d'anti-
matière, vents qui frottent les cils fertiles de désir,
comme anges ailés au-dessus d'une mer infinie, agitée,
crêtes minces et hautes brisées en poudrins et brumes,
giclées de vie sublimées ou mortes, pulsions, torsions,
hantises et les larmes de l'immortel, laisse dormir
l'inconçu immaculé, actrices blondes en robes pailletées
de sequins omnicolores, reines de lois infaillibles,
horreurs ouvertes, logiques incompatibles, impasses de la
Règne, replis interminables, la chute du corps nu au
travers cercles vicieux, comme une extase au noyau
hypernerveux, espaces sans fin, fluides informes et
vivantes qui ruissèlent sur la plastique féminine, lèvres
parfaites qui virent à l'indigo, un galbe incrusté de
rubis et une injection d'alcaloïde acidulé qui défait le
temps; idées comme les nymphes d'Akamar, fleurs des
plantes d'une nuit qui croissent sur la surface instable,
en elles je vis l'évol, d'un instant mort à l'autre d'une
nuit. »
Eunid observa depuis peu et il se dit, « La prochaine
révol va le plonger, le dissocier encore plus, peut-être
inaccessiblement; il faut l'amener à Ankor et là
retrouver Ilia. Il ne va pas sortir seul; il sombre, les
lacunes de silence entre les phrases articulées
deviennent plus longues, menaçantes, fatales.

42
- Rubans synthétiques d'étoiles sur les rives du
voyage. Les pas d'amour dans une chambre éloignée. Le
pli m'éloigne, la terre est l'oubli. Un seul signe
ressort de toutes les formes ensevelies. Ma mère meurt
si jeune, recourir aux symboles vains contre la
prolifération de fièvre, tant de vies détruites par le
fléau incurable. Reste morte l'autre, je te baise nue,
irréfléchie et froide. Reste morte, je t'aime immobile,
le manque, le vide de la bouche que j'aspire, je t'ouvre,
t'entre, moite, étroite. Je rêve? Tes cuisses fraîches
me serrent encore, même mortes? L'enfance, il y a tant
de temps. Mon corps m'a abandonné pour la chevelure des
fougères, les annaux de sable. Une sphère impénétrable.
Le sable brûlant, le soleil, lancées de grains dans les
interstices des nébuleuses. La définition de l'amour
ailleurs. Osmoses dans les fibres moléculaires de la
matière. Sujets d'esprits intoxiqués insérés dans les
fleurs veloutées de mystère. Les cycles sont comme
cercles concentriques. Un miroir triche la beauté
éphémère. Un dessein tord le temps. La fatigue de mon
corps n'esquisse pas un geste, les muscles étaient
déchirés par l'effort. Tout n'est que pièges de pensées
qui salissent.
- Recevant une intelligence de l'arcane de Pisces par
la bande spectrale de lumière radicale. Une race évoluée
sans contacte. Traduisant. Ils disent qu'ils voient
dans les figurations une percée à venir dans l'enveloppe

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anthropomorphique. Ils désirent nous rencontrer face à
face, dit Barbara sans s'émouvoir.
- Nous avons à tirer Nico du crépuscule avant que sa
cohérence soit trop ramifiée dans la nuit. Faites savoir
notre intention de les confronter et demandez leur
coordonnées exactes. Puis, codez à Ilia de nous
rencontrer à Ankor en trois cycles, que l'esprit de Nico
se perd, dit Eunid sans réfléchir.
- Ils sont à 121,168."
- Pliez, commanda Eunid, et ajouta, Prenez
précautions, accédez au troisième parallèle au point
d'arrivée et occultez immédiatement après. »
Le vaisseau s'orienta, s'aligna sur l'ascendant de
l'échiquier espace-temps; dimensions s'éclaircirent en
relation, comme si le réel frémissait devant la
perception, la dissection aigue d'un esprit tout-
puissant. Le pli s'effectua comme par un saut à travers
une brèche laissée par une masse critique en fuite,
métaphysiquement radicalisée, comme par une fusion
magique et une conception pure. Un pli est un manque de
références, ésotérique et total, seulement reconnaissable
en théorie, et même alors seulement par les altérations
des particules imaginaires complètement extérieures à
l'opération; comme un événement suffisant en soi, sans
passé et sans avenir, comme une ouverture de mort dans le
présent, comme l'annihilation du présent. Masse critique
atteint, le vaisseau plia, ne laissa aucune trace sur le
tissu de l'univers. On les appela « fleurs de néant »,

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et on essaya de les déstructurer en vain. Maintenant, on
sût mieux, tous qui s'y frayèrent furent rendus fous
comme un instant déplacé irrémédiablement, happés d'un
coup par l'inconscient temporel. A la fin du pli, à
travers l'excitation occultée, l'écran dans la Silhouette
montra un navire filiforme et composé de filaments comme
fibres de verre longs de dizaines de kilomètres, spirales
tournoyant sur elles-mêmes, minces cylindres en liaison,
capillaires distaux qui sans le faire en vérité,
semblèrent pulser dans l'occulte, semblèrent relever
d'une sexualité perverse et sinistre. Il donna
l'impression de flotter dans l'espace comme un fluide en
immersion. Une kyrielle d'amourettes, un baiser éthéré,
ses jambes enrobées de soie lavande, une pureté foliée
qui s'ouvre sur l'été, comme une nuance en glacis, une
essence liquide qui se dérobe en facettes, comme une
étoffe rare chiffonnée, froissée, une beauté repliée dans
les fronces du sirocco et du sable. Jamais le geste qui
s'esquisse ne finira par une forme, tragique comme le
désir, le défi, qui se fracassent sur la règne, seul
effet de la vie anéantie et une étoile magique qui
brille. Pour l'angoisse qui se love à l'intérieur, de
l'heure venue comme sur les ailes à giorno, chevelures
éteintes à la lisière de la nuit, yeux d'aquarelle, un
visage à l'ombre, gemmes de mort zodiaques, résistances
enfouies et lyriques demeurent d'une noirceur et une fine
texture opaline, la pétale incurvée liliane, la

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pellicule, la peau lisse et artificielle, transparente
dans le tissu frêle et nocturne.
En même temps qu'une capsule se détacha, fusant
vers la Silhouette, leur première voix fût émise, « Zones
de mort sur l'extension de l'influence, corps
évanescents, caméléons, corps de mort, comme une posture
sensuelle et une pensée qui s'élabore sans certitudes ni
conditions, comme visions lacustres et êtres ruisselants
d'une eau claire de mue, de reviviscence par les atomes
épars d'un système nerveux infini, retournés dans les
rayons papillotants et envoyés en courbes mutagènes,
pathologiques, contaminées, et qui se vicient dans le
vide spirituel sans offre de prise. Par un changement
dans un système cohérent nous désirons vous transmettre
un aperçu membranaire d'une distinction vivante, comme un
concept qui se cristallise en verre réifiant; glissez
dans cette absence que nous avons cultivée dans les âges,
assassinant nos mémoires pour les courants de nos corps
et le devenir dans l'impossible, tenez dans une main qui
vacille à être par transfusions millénaires une floraison
et dans cette sensation continuez dans l'erre, laissez
cette présence qui vous altère comme les veines
centrifuges qui drainent le sang en étendues sans retour,
perdu en flaques de raison pernicieuse. On vient par
l'intervalle vous apporter la matière qui tient lieu de
désir amoureux; respirez la fumée intoxicante dans l'air;
nous perdons contact réel. »

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