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pocuments eee pocument n°23 Théologie et science ‘Conférence donnée au collége philosophique, Paris, mars 1947 Fonds Koyré, Centre Alexandre-Koyré, EHESS Le probleme théologic ct ss ience, probléme des rapports dela Science et dela théologic, est un probleme trés grave, et sous des formes et des for- mulations différentes, il a préoccupé la pensée européenne depuis de trés longs siécles. C’est aussi un probléme que l’on peut nommer existentiel, et cest pour cela probablement que mon ami Jean Wahl m'a demandé de vous en parler ici. Mais ce n’est pas un probléme trés actuel, | Si vous jetez un coup d’eeil sur les revues philosophiques er théolo- giques de ces derniéres années, vous ne le trouverez pas traité, du moins vous ne le trouverez que trés rarement. Et quant au probléme des rap- ports entre la science et la religion, qui est une autre forme de ce méme probléme, ou de la science et de la foi, vous ne le verrez traité — et assez mal d’ailleurs — que par des évéques anglicans. La théologie et la science semblent faire assez bon ménage ces der- niers temps, ou du moins elles ne se querellent plus, elles vivent, peut-on dire, en paix. Nous sommes loin de ces époques héroiques ott la théo- logie régentait l'astronomie, la physique ou la biologie, ott les théologiens condamnaient un systéme d’astronomie tel que celui de Copernic, ou un systéme de physique tel celui de Descartes, ou un systéme de biologie tel que celui de Darwin. Jamais un théologien n/a pris ombrage de la théorie de la relativité, ou déterminé sa position par rapport 3 la physique quantique. Usemble donc que la théologie et la science aient bien délimité leurs sphéres d’influence, et on peut dire qu’elles vivent maintenant sous un régime de non-intervention mutuelle. Il semble que le monde moderne ait réussi a réaliser ce que le Moyen Age avait tellement reproché aux averroistes, c'est-4-dire de vivre sous un régime de double vérite. Comment cette situation s‘est-elle réalisée? Il serait intéressant de Vétudier, mais cela nous ménerait trop loin. Je crois, pour ma part, que Nous devons cette situation, invraisemblable, au fait de la disparition de eet intermédiaire entre la science et la théologie qui était constitue jadis Par la métaphysique, ce qu’on appelait théologie naturelle ou théologie Philosophique. Depuis que cere /metaphyrica] qui tit en ménne temps ne i. logia) a dispacu, la théologie et la science ‘ cr ven Sans intermédiaire, face a face, et cela pourrait évidemment donner un conflit, En fait, cela nesi ee et la science ne se rencontrent f réciproquement, et ignorer en méme temps le probléme de leurs rapporis, Or, l'ignorance d'un probléme n'est pas la méme chose que sa solution, Bien au contraire: rien n’est plus dangereux que Vignorance d'un pro- bléme, si ce n’est l'ignorance d'une solution, Cette ignorance contribue ala confusion et facilite l’éclosion des systémes de pensée batards, tels que toutes sortes de philosophies religicuses. Ce que je voudrais faire aujourd’ hui ici, c'est simplement rappeler quelques positions déja acquises; quelques solutions déja données au probléme. Que la théologie et la science n’aient rien 4 déméler entre elles, cela pourrait se soutenir, car si dans leurs méthodes de travail, la théologie et la science ont beaucoup en commun (la théologie est une science déductive et revendique pour elle-méme le titre de science exacte), elles sont séparées par leurs buts et leurs domaines d’applicarion. La théologie sioccupe des choses qui touchent 4 notre salut et, comme Ia dit le cardinal [Baronius] ', le but de la théologie et de l’Ecri- ture Sainte est de nous expliquer comment on va au Ciel. Ce n'est pas la sans doute l’objet des sciences. On pourrait ajouter que la plupart des questions traitées par les théologiens, ou par la théologie, sont du point de vue de la science rigoureusement indéterminées, parce que les solu- tons auxquelles aboutit la théologie sont du point de vue de la science rigoureusement indéterminées, et non seulement du point de vue de la Science, rigoureusement inaccessibles et inconstatables. ; Si nous prenons des exemples dans l’histoire des discussions théo- pees des discussions qui ont fait couler beaucoup d’encre et ont satrap ah a sion discute le sort des enfants trouver des solutions ils 4 lenfer ouau ciel?), on peur évidemment » et méme des solutions correctes de ce probléme, set semblent signorer ier ; ee een du cardinal Baronius citée par Galilée dans sa Let 4 tase! 615): «Lintention de 'Esprit saint est de nous tine de Lorraine et usm dorits cop Bas comment va le ciel » (Galilée, Lettre 4 Chrit- M. Spranzi, Pati ; “perniciens, trad. francaise et éd. par Ph. Hamouet Patis, Le Livre de poche, 2004, p. 158 sq.) (NdE}. puais on ne peut pas les vérifier. De méme pour le probleme de la prigre our les morts, discuté entre catholiques et protestants: on peut trouver des solutions, et méme des solutions jusces; il est impossible de vérifier ces solutions. I] en est de meme encore pour tout ce qui touche aux sacrements; méme pour un fait aussi fondamental que le Sacrement de Ja Messe, il est impossible de constater le fait de la transsubstantiation, Ainsi, si l'on divisait le domaine du savoir en science de ce qui est observable, vérifiable et constatable, et science du non-observable, non yérifiable et non constatable, on aurait une division rigoureuse, et de toute évidence, les théories ou les solutions formulées pour l'une ou pour Vautre de ces régions ne pourraient se rencontrer et ne pour- raient se contredire. On aurait la un état de neutralité mutuelle. Ce serait peut-étre un état idéal, & condition que la théologie acceprat cette séparation radicale, et c’est quelque chose qu'elle n'a jamais accepté et que, semble-t-il, elle ne peut pas accepter. Lautre condition serait que la science acceptat, en tant que telle, la possibilité d’une telle science du non-vérifiable et du non-constatable, ce que de son point de vue elle ne peut pas faire. Tout cela est trés bien, mais nous ne savons pas encore au fond ce quest la théologie. Nous pourrions, pour simplifier, nous adresser & un théologien moderne; ce ne serait peurétre pas suffisant, mais cest toujours intéressant et nous apprendrions que la théologie est la science d'un livre, du Livre des Livres, de la Bible. Elle l’est de droit, car elle trouve dans ce livre la révélation de Dieu. Et a la question: que fait le théologien? nous trouverions une réponse correspondante: le théologien, Ala différence capitale des autres savants, ne porte pas son regard sur les choses, sur les réalités perceptibles de l’expérience, sensible ou spirituelle, mais sur des mots, des phrases, des écrits. La théologie serait ainsi la science de la Scriptura sacra et de la [parole]. Mais il vaut peut-érre la peine de jeter un coup d’eeil sur I’histoire. Je ne peux pas faire ici histoire de la théologie, ni méme I’histoire du terme etdela notion de théologie. Cela aussi serait beaucoup trop long. Mais un regard historique nous servira tout de méme pour rendre compte de Seu Sagit. Le terme thé ‘ologie et le verbe grec correspondant veulent ietmon de Dieu, [...] la parole sur Dieu et parler de Dieu, et comme Sappliquent aux gens qui parlent de Dieu ou des dieux. Dans > Brecque, ce'sont surtout les postes ct les mythologues qui sont s. Plus tard encore, les théologiens sont des gens qui Tacontent les mythes sur les diewx, les mythologues, a t Dans un sens analogue, dérivé, Philon appelle Moise théologien, et Philon lui-méme se considére comme théologien, puisqu il parle de Dieu en interprétant ce qu’en dit Moise C'est donc! interpréte de la parole des mythes, ou de la parole d'un récit, qui est appelé théologien. De méme, dans le méme sens, les phi psophes stoiciens qui interprétent les mythes, leur donnent une signification philosophique, naturelle, sont appelés théologiens. Et dans ce sens, saint Augustin, par exemple, nous parle de la théologie poétique, de la théologie mythique des mythologues, et de la théologie naturelle, de la théologie physique des stoiciens. A caré de cela, il y a une autre traduction du terme (theologia]: théologie, c'est encore la doctrine de Dieu, le sermo de Deo, mais dans un autre sens, dans le sens strictement philosophique, dans le sens métaphy- sique, de philosophie premiere. Il y a chez Aristote, dans Métaphysique VI, 1 et XI, 7, des textes qui identifient la philosophie premiére avec la théologie et qui divisent les sciences en physique, mathématique et théologie. Ces passages ont été contestés sans doute, mais ceci n'a aucune espéce d’importance qu’ils soient d’Aristote ou non, puisque toujours on les a crus d’Aristote et puisque ces passages, authentiques ou non, ont déterminé une tradition, surtout néoplatonicienne, qui aboutit 4 Pidentification complete de la philosophic premiére avec la théologie, ou l'emploi du terme « théologie » pour désigner la philosophie premiere et la métaphysique. Aussi, comme vous le savez, Proclus appelle son traité de métaphysique Eléments de théologie, et 4 partir de la, vous trouvez chez le Pseudo-Denis des formules comme « théologie métaphysique», «théologie affirmative», « théologie négative». Nous trouvons cet emploi du terme aussi chez saint Augustin, bien que tarement; mais il connait la théologie des philosophes, c’est-a-dire la théologie des néoplatoniciens. Saint Augustin connait aussi un autre sens du terme « théologie», bien qu’il ne l’emploie que trés rarement, qui est celui de «théologie chrétienne». Habituellement, dans ces cas-la il parle de la Sagesse chrétienne ou de la doctrine chrétienne, mais quel- quefois, notamment dans le De civitate Dei, il nous donne une défini- tion de la théologie qui a eu la plus grande influence par la suite. Il dit notamment que la théologie est la science des choses qui sont nécessaires pour le salut. Voila donc les sens principaux de ce terme, Si étre théologien, cest Parler de Dieu, pour parler de Dieu, la-vérité, il faut connattre Dieu. Jeprends ition départ de saint Augustin, je ne veux pas remonter plus haut vers ce qu'on a appelé la théologie de la philosophic grecque, ti yers|’évolution de la chéologie byzantine. Pour poabhet ys: jl faut connaitre Dieu et pour connaitre Dieu, il cn ae la vériné, nlavons que deux moyens. Ou bien on peut le con “ditee CAL que nous de le connaitre les philosophes, par voie dialectique, rable eee déduisant, en remontant du monde & Dieu, en déduisant les pees divines en partant du monde. Ou bien — c'est beaucoup itlsiecet nen savoir de Dieu ce qu’il nous dit lui-méme de lui-méme. onPen Nous avons donc deux moyens, deux sources de la connaissance de Dieu: la théologie philosophique et la révélation, qui est & la base de la théologie véritable selon saint Augustin. I] est trés caractéristique que, par exemple, lorsqu il rencontre le probleme de l’incroyant, de I’ insipiens, qui ne croit pas en Dieu et qui dit en son ceeur qu'il n'y a pas Dieu, saint Augustin ne lui présente pas les preuves de l'existence de Dieu telles quelles sont élaborées par les philosophes, telles qu'il les emploiera lui méme dans plusieurs de ses traités, mais qu'il commence la démonstra- tion par la démonstration de la vérité de Vaurorité des Ecritures Saintes. Saint Augustin aurait pu invoquer simplement lévidence naturelle de existence de Dieu, qu'il invoque d’ailleurs lui-méme, quand il lui fait dire, en citant le psaume, que le ciel et la terre sont Voeuvre de Dieu, que tout le monde croit en l’existence de Dieu, etc. Mais ce n'est pas de ce Dieu-la que doute I’ insipiens et ce n'est pas de ce Dieu-la que saint Augustin entend [parler]. C’est un Dieu person nel, un Dieu avec lequel on peut avoir des rapports personnels, et il est clair que d'un tel Diew on ne peut savoir que ce qu’il nous dit de lui, de lui-méme. Je pense que Cest parfaitement juste. Du point de vue de la philosophie la plus stricte, un étre spirituel he peut pas étre connu s'il ne se révéle pas lui-méme et nous ne pouvons pas savoir de lui quelque chose qu’il ne voudrait pas nous révéler ou nous montrer. Méme pour un étre tel que l’homme, nous ne pouvons le connattre s'il ne nous dit pas ce qu’il est et ce qu'il pense. Toute- fois, Phomme est affublé d’un corps, et nous pouvons par l’expression, Par action, savoir beaucoup de choses qu'il ne voudrait pas que nous sachions. IL n’en est pas ainsi pour un étre purement spirituel tel que Dieu. Si nous voulons en savoir quelque chose, il faut qu’il se révéle & Rous. Ainsi la connaissance de Dieu a nécessairement deux sources: cette issanc philosophique qui ne nous donne pas'un Dieu personnel, i; autrement dir l’intelligence, la raison et la foi. de Dieu étant contenue dans un écrit, dans un livre, les Ecritures Saintes, et qui contiennent tout ce que l'on peut savoir de Dieu, il faut Préalable- ment A toute autre chose nous démontrer que ces Ecritures contiennent véritablement cette révélation. Pour saint Augustin lui-méme, la vérité de la religion chrétienne a été éprouvée par l'expérience personnelle, mais en face de quelqu’un d’autre, il ne peut pas évoquer cette expérience Person- nelle qui lui a donné, a lui, le contentement de l’’ame, l’expérience d’avoir trouvé Dieu. II faut, pour quelqu'un d/autre, qu'il démontre la crédibiliré de |’Ecriture. C’est pour cela que dans loeuvre de saint Augustin nous avons toujours la concordance et le balancement de ces deux formules: il faut comprendre pour croire, et il faut croire pour comprendre. Il faut comprendre pour croire et il faut croire pour comprendre, Il faut croire pour comprendre, Cest-d-dire quil faut croire que I’Ecriture contient la vérité pour, en comprenant I’Ecriture, arriver la vision de Dieu. II faut comprendre les raisons pour lesquelles nous admettons que cette Ecriture est véritablement vraic. Car saint Augustin nous dit que personne ne croirait quelque chose qu'il n’estime pas devoir étre cru, et il faut tout d’abord donc résoudre la question: 4 quoi croire? Pratiquement, pour saint Augustin, la question a été: 4 qui croire? A l'enseignement de PEglise ou A celui des manichéens? Pratiquement, pour lui, la vérité de l'enseignement catholique était donnée dans une grande mesure par sa concordance avec la vérité phi- losophique: le monothéisme chrétien concordait avec le monothéisme philosophique et c'est la conviction philosophique qui l’avait amené & accepter la religion catholique en face du manichéisme. Mais, encore une fois, pour les autres il faut des preuves. En soi, dit saint Augustin, il n'y a rien d’extraordinaire 4 croire 4 des choses que nous ne pouvons pas vérifier. Ainsi nous croyons tous a des événements du passé sur la foi des témoins. Nous croyons & nos parents, au fait que nous sommes les enfants de tels ou tels parents, fait que nous ne pouvons en aucune manieére vérifier; nous le croyons sur l’afirmation de gens dignes de confiance. C’est ainsi que nous croyons que la ville d’Alexandrie, od je ne suis jamais allé, existe; d’autres nous le racontent. Il y a donc des certitudes qui ne sont pas des certitudes intellectuelles et que nous acceptons par la foi, par la confiance en ce que disent les gens en qui nous avons confiance. Il y a d'autres choses encore que nous croyons d’abord et que nous comprenons ensuite, par exemple, les mathématiques, En géométrie, nous croyons d’abord ce que nous dit le maitre, et puis nous arrivons a eal ae comprend re les démonstrations, comprendrons COMMENE Se Fait le passa c Nea Crest de la mice manic¢re que 4 Croy erédibilicé de I'E 3 crédibilité des témoins qu'il dit qu'il ne Evangiles, s‘ils n’étaient pas confirmés pa quia deja quelques siécles dexistence & i e confirmé et attesté dans sa véritg Par un té AUtOTIte que 9 Saint Augustin nous explique qu’ét des martyrs de l’Eglise, i] nya pas 4 ce témoignage. De plus, et méme orn confirmé par une série de miracles. C Moignage est derniére analyse, nous confirment I’a des témoins, c'est-a-dire l’Eglise, VEcriture. Et ce sont post factum concordance des prophéties qui Aingi nor Sroirait pas S Montrer |g Tautorité d, les miracles racontés dans nous démontrent sa vérité, de la connaissance divine, cest la révélation de Dieu cont Ecritures, lesquelles Ecricures sont attestées lEglise confirmé par des miracles, Ainsi, la base enue dans les vraies par le rémoignage de La encore je crois que saint Augustin a parfaitement raison, II nya que des miracles qui peuvent attester et confirmer des miracles. Aucune raison naturelle ne peut nous obliger ou méme nous amener a croire 4 un miracle, Ceci étant donné, la théologie consistera avant tout dans Vexégése des Ecritures et dans Vinterprétation intelligente, intellectuelle, ration- nelle des données de la foi, en tant que données révélées. Jusqu’A maintenant, jusqu’ici, nous étions au stade: «Je comprends toutes les raisons de croire, d’avoir confiance, et cest pour cela que je ‘tois.» Maintenant, la situation change: «Je crois la vérité des Ecritures etdela foi, et cest cette foi-la que je soumets non pas une critique ee Une analyse, mais que je tends a expliciter, a comprendre par ma raison. nous sommes au stade «credo ut». : tn Crest la foi qui elle-méme cherche l’intelligence et woes a fant donné que nous avons 4 comprendre Oe ne arrivons & nées auxquelles nous appliquons notre tS Ge d'une part a.uptendre cette vérité, Destiquerenty sae on Jatonicienne et la tir 4 une concordance entre la philosophic —s et le Dieu dela i: la tentative d’identifier le dieu des néoplaton “igion chrétienne fait {tout) l'effore de saint Augustin. D’autre part vous trouvez des analogies, des foOyens de nnaen des choses telles ; ion, la Trinité qu'on ne trouve pas dans la doctrine thég. quel Incarnation, in, et que vous voyez fondés sur un optimis logique de saint Augustin, et qu ee ~ Ptimisme Z . és grand. Saint Augustin pense que le dieu des philo- inmeaphyique: rs B i est le méme, et que c'est le méme Dj i sophes et le Dieu de la foi eat le me. nes e ae Hew qui a créé le monde et qui sest cevélé dans ia oe facon, il ne peut y avoir de contradiction entre les deux _ eee le mode d’explication par l’action créatrice et le mode d’exp! ication par la révélation, D’autre part, ce méme optimisme méraphysique ou épisté- mologique améne saint Augustin 4 croire que le monde érant bon dans la mesure ait il est, et "homme étant bon dans la mesure oit il est, i] est inconcevable que l’intelligence humaine soit incapable de saisir quelque chose de cette essence de I’Etre divin et de retrouver dans la créature un reflet et surtout dans [I’intelligence] elle-méme, un vestige, un reflet du créateur. ’homme étant capable de saisir la vérité, doit par une espéce d’ascension métaphysique ou mystique arriver A une certaine intellec- tion, a une certaine intuition de la réalité des choses mémes dont nous parle la foi. Et cest pour cela que la vraie sapientia, la sagesse chrétienne, coin- cide avec la vraie philosophie. Dans cette tentative théologique de l’in- telligence de la foi, nous avons affaire 4 quelque chose que l’on pourrait appeler gnose chrétienne: un effort de pensée s'appuyant sur la foi [pour] pénétrer, saisir des réalités métaphysiques et transmétaphysiques. Si nous sautons quelques siécles, nous retrouvons en plein Moyen Age la méme ou & peu prés la méme doctrine, la méme conception de la gnose chrétienne chez saint Anselme. Je remarque que saint Anselme n’a jamais parlé de gnose, ni saint Augustin bien entendu non plus; il n’a méme pas parlé de théologie: clest moi qui emploie ces termes qui ne sont pas les leurs, Mais il agit de la méme conception, d’une connaissance de la réalité révélée par la foi fondée sur cette révélation méme, La parole bien connue de saint Anselme /« Fides quaerens iniel- lectum »]: Cest la foi qui cherche Vintelligence de soi-méme, qui cherche se comprendre et qui, dans cette recherche, cherche & se transcender, 'in- telligence humaine étant Pour saint Anselme quelque chose qui se place entre la foi pure, la foi acceptation de la vérité révélée purement et simple- nent etlavision (idluminatio), qui sera la récompense des saints au paradis, la vision directe, Vintellection se place un. peu au milieu, c'est la méme : ae mais beaucoup plus forme et ordonnée que chez saint Augustin. Secomprend. D’abord saint Augustin a écrit un erés grand nombre de livres» sine ee wena écrit que trés Peu et il. Ensuite, de Pun 4 lautre la situation nest pas la ea S SONt tras Condensés Dune part, nous avons saint Augustin carey i conversion et qui avait devant lui le Probléme du ch a hui. jester dans la philosophie et dans le manichéisme? Fe, : les manichéens et les chrétiens, et qui choisir? a au peaucoup sur les raisons du choix, sur les Pier: ne Augustin insiste part, pour saint Anselme ce probléme ne se Pose pas, ee xe Dautre quil rencontre ou que peut-étre il ne rencontre pas, Viiph lui, | insipiens, Dieu n'existe pas, est véritablement un insipiens, aqui weer qui dit que démontrer qu il a tort. Alors le point de départ de la ones ant on peut cest la foi, la foi révélée, la révélation, mais ce Nee pas ee Sainte comme la parole de Dieu, c'est déja l'ensemble de Ie foi ‘athe. lique créée comme telle, Cest le systéme dogmatique de lEglise, Ce que Eglise catholique croit dans son coeur et professe par la bouche, cest cela qui est le point de départ, et ce que s’efforce de faire saint Anselme cest de pénétrer cette foi par l’intelligence. Comprendre ce que l’on croit. Comprendre ce que l'on croit veut dire démontrer la nécessité du dogme établi: la nécessité, par exemple, de I'Incarnation, non pas la nécessité pour Dieu, mais érant donné le fait de la création et du péché de l’homme, au point de vue de l'homme, pour un but donné, pour le salut. Saint Anselme nous explique que Incarnation était le seul moyen possible pour aboutir & Veffet voulu, nous démontrant la concordance ou la possibilité de certains autres faits attestés par la foi et la révélation. Par exemple, au sujet de la Révolte de Lucifer, il nous est expliqué longuement comment il a pu se faire x lediable qui était un personnage spirituel a pu se détourner de Die. ; nous est aussi montré dans un autre traité comment la Grice, sar a dune nécessité absolue pour le salut, peut se concilier avec le libre arbitre, etaussi avec la prescience de Dieu, avec la peice La prétention d’Anselme est donc de Ser ;siquement le fait connait, tenter en quelque sorte de Laem mn i ie au-dela d'elle- attesté par la foi, pousser la connaissance métapny' . méme, [<---> méme, au-dela de ce qu'elle peut atteindre par oe de puissance, de Et cest justement la foi qui Jui donne ce su er et réaliser force nécessaire pour pénétrer plus avant pour développ Sette intuition de la divinité. nce que dans un livre ¢ Ms $, i ya ‘ Prinsiste sur ce dernier point F nd théologien suisse, quable paru avant la guerre, UT gia meme vécy |g ‘aucil choisir de il choisir entre fois quien le res remat- Karl Barth, a essay¢ de nous démontrer que pour saint Anselme il ne S'agissait nullement de cette transcendance mystique ou métaphysique, mais uniquement de la comprehension du texte, de la révélation en tant que telle, et que le fameux argument ontologique de saint Anselme, qui part d'une définirion de Dieu inventée par saint Anselme, doit étre interprété comme une intellection du nom de Dieu révélé par Dieu: [Yaveh], cette définition étant la révélation. Le travail intellectuel consiste pour Anselme dans lexplication du contenu intellectuel de la définition elle-méme. Barth aime visiblement beaucoup saint Anselme — et on ne peut pas ne pas l’aimer - et il you. drait, je crois, le convertir a sa propre thése de la connaissance teligieuse fondée uniquement et entiérement sur la révélation. Je crois que pour saint Anselme, méme plus que pour saint Augustin, il s‘agit non pas de la compréhension intellectuelle du contenu de la formule de la foi, mais des réalités transcendantes fondées sur le méme optimisme méraphysique et épistémologique: le méme Dieu qui crée l'homme crée aussi le monde et se révéle dans l’Ecriture. La vérité ne contredit pas la vérité de l’autorité et l'autorité de la vérité. Et une fois qu’on I’a bien saisie et que la foi s'est attachée A cette réalité, on peut en exergant son intelligence arriver 4 voir ce que les philosophes ne peuvent pas voir. C’est donc encore une gnose chrétienne. Nous avons donc cette premiére phase de la théologie: une espéce de synthése trés harmonieuse entre une certaine philosophie et une concep- tion de la révélation, synthése conditionnée préalablement par l’absence totale de [pessimisme] dans le monde augustinien et dans le monde anselmien, synthése trés belle et trés instable et qui ne tiendra pas bien longtemps. La prochaine fois, nous verrons la dissolution de cette synthese, sous l’influence de la découverte et de la redécouverte au xm siécle de lascience aristotélicienne, et la constitution de cette conception unitaire, beaucoup moins optimiste, beaucoup plus idéaliste, des rapports de la science et de la théologie, de la raison naturelle et de la Révélation. {IF partie, le 10 mars 1947] Dans ma ptemitre conférence je vous ai présenté I’histoire, trés bréve, de lanotion et du mot de théologie. Je vous rappelle que le mot de théologi¢ signifiait sermo de Deo, et le sermo, ce qu’on dit de Dieu; cest soit le phi- _losophe:métaphysicien qui parle de Dieu, soit le théologien proprement Parle: rts la révélation divine, evous ai présenté aussi la formation de cette conception du rapport dela structure de cette science divine, que j'ai appelée d'un mot —que résentancs de cette tradition nemployaient certes pas — la gnose iprécienines aver Tes deve [Fides quaerens intellectum.... Intellectus fi ivap | ie nue oeleet humain ou Pintelligence humaine jootene Pat a foi tait bien capable de se transcender elle-méme et digrriver 4 Lintelligence des choses de la foi. Tout se passe pour les tenants de cette tradition comme si, incapable dedécouvrir pat elle-méme les réalités divines, notre intelligence, une fois quelle sait, par révélarion ou par la foi, quelle connait les choses, devenait capable de les démontrer, de les comprendre. Je vous ai dit aussi, er je le répete, que cette attitude ou cette conception est fondée sur un optimisme métaphysique et épistémologique dont les éléments compo- sants sont les faits de la création du monde par un Dieu bon, qui donc a fait la créature bonne, et en particulier a créé un homme capable de yérité, avec une intelligence capable de saisir la vérité; qu'il l’a créé au sur- plus a son image et ressemblance, d’ott il résulte qu’en lui, beaucoup plus encore que dans le monde, "homme peut saisir la place et la consistance del’étre divin, Conception qui s’appuie sur une notion caractéristique de laconnaissance elle-méme, la connaissance étant une espéce d’illumina- tion divine, la lumiére illuminante, lumiére divine qui justement confére al’homme cette faculté de saisir, de comprendre la vérité. Ainsi, comme vous le voyez, dans cette conception, la connaissance naturelle et la connaissance surnaturelle passent l'une dans l'autre en quelque sorte sans solution de continuité. Je ne veux pas dire quil ny ait pas de différence, mais on passe assez facilement de l'une & Vautre, puisque toute connaissance, méme la plus naturelle, étant donne quelle est illumination, est déja un tout petit peu révélarion. Et toute révélation est par [a méme accessible, tant soit peu, 4 la connaissance. Ceci explique la concordance facile de la théologie révélée, clest-A-dire des vérités de la foi, et de la théologie des philosophes, des vérités retrou- vées ou trouvées par |’intelligence humaine elle-méme. Ceci explique la facilité relative de la coincidence du Dieu de la religion et du Dieu des P hilosophes. C'est le méme Dieu dans le monde et qui nous parle dans le Livre Saint. C’est le méme Dieu qui, selon saint Augustin, nous parle APintérieur de nous-méme, qui rapproche Phomme de [son créateur]. Dans viens de le dire; la connaissance naturelle ssent facilement l'une dans Va les trouver au Moyen Age, chez Abélard, 4 qui nous devons lusage cou. rane du mot théologie, C'est lui qui Pintroduit dans la circulation. Oy chez un autre représentant de cette méme attitude, chez Roger Bacon, lls au fond cela revient au méme. Pour Abé. lard, la raison humaine est déja tellement illuminée, tellement capable de ses s métaphysiques et trans nétaphysiques, ql va de soi en quelque sorte que les philosophes anciens aient trouvé tant de belles choses sur la diviniré, sur Dieu, et qu’ils aient dailleurs vécu des vies tellement exemplaires, puisqu’ils ont regu de Dieu cette espéce illumination, révelation naturelle si l'on peut dire. Ex alors le Passage se fair eres fi Quant a Roger Bacon, si vous voulez, c'est l'inverse, Pour lui, toute connaissance, méme des choses les plus simples, méme la connais- sance mathématique, est déja révélation. Dans tout savoir et tout acte par lequel l'intelligence humaine se saisit de la vérité, il ya la présence divine, et il y a révélation. Ec c'est de cette révélation que proviennent les connaissances des philosophes. Lune passe dans l'autre. On pourrait trouver d'autres noms encore dans cette tradition. Mais vous avez aussi les adversaires. Et les adversaires se placent a deux points de vue différents, On peut les classer en conservateurs et, disons, novateurs. Tous cependant s'accordent sur ce que ce mélange de philosophie et de foi, ce passage facile de l'une a l’autre, l'attitude selon laquelle il semble qu'on puisse tout comprendre et tout démontrer, sont intenables et insoutenables. Pour les conservateurs, on dirait quilya top d’intelligence, l’intelligence se fait trop importante dans I’affaire. Pour les novateurs, au contraire, on dirait qu'il y en a trop peu et surtout que la qualité de cette intelligence est mauvaise, Les conservateurs disent: la chose principale dans la théologie, c'est VEctiture Sainte, le sermo; et la théologie doit étre avant tout exégese &t reproduction de ce que Dieu dit de lui-méme. Quant a apporter des Preuves et des démonstrations, c'est 1a quelque chose que le théologien ne doit pas faire. Ine doit Pas enserrer par IA méme le Dieu de la révélation dans un réseau de nécessités, de preuves nécessaires. On aboutit ainsi, selon les publicistes, & une évacuation de la foi, ot 'a foi n'auraic plus de mérite, ott ce ne serait plus un mérite de croire, En i quel métite y aurait-il 4 croire si la raison humaine pouyait donner — Contraignantes? tt violemment sont, en un sens, Opposes, mais des profonden ilement. Des gens comme Pier Damiani ou saint Trop peu de philosophie, et pas bonne, disent ly sont CeUXs furcout jan XIF et au xm sitele, qui autres. Les autres la évolucion ariscocélicienne, par la révo ienne, qui ont accepré l idéal aristotél cher Aristotes et ailleurs aussi, ce que cel: reret prouver. Alors, tcop peu de philosophie, disent-ils, lité: philosophie surtout néoplatonicienne, confusion So la i: nike Pas tout a fait tort— entre persuasion et Preuve, non-distinction, ¢ e pl us, entre ce qui est nature et ce qui est surnature, ce qui est accessible 4 la raison humaine en tant que telle, et ce gui rf dépasse. En un sens, sans doute ils ont raison. Il est trés difficile de ou exactement, quand on est fermement persuadé de quelque chose, si on est seulement persuadé ou si l'on a vraiment démontré, et surtout, sion. abeaucoup lu les auteurs classiques (Cicéron), il est trés difficile de savoir ce qui est preuve et ce qui nest que persuasion et thétorique. Evidemment, la situation est tout autre pour quelqu’un qui a bien potassé Aristote, qui a bien potassé les commentaires arabes et quia su distinguer la preuve, la démonstration, de tout ce qui n'est pas démons- tration. Alors, au xu siécle, le débat se répéte. La situation se reproduit 4 nouveau, mais se précise. Vous avez la, d'un cété, les gens qui protestent contre cet envahissement dela théologie, dela science sacrée, par les méthodes de démonstration aristotéliciennes, par les méthodes de la science nouvelle. Vous avez les [augustiniens}. Pour eux, il y a aussi une limite, mais une limite étroitement tracée. Ils ne veulent pas de cette introduction de la science, ils ne veulent pas de transformation de la théologie en une science. La grande question dis- cutée a |’époque est: la théologie est-elle une science? [], d’autres encore séponcdent: nov 1 théologie n'est pas une science. Elle est quelque chose de — ie Que la science: elle est sagesse, mais en tout cas, elle aie it j Yais vous citer quelques textes caractéristiques et révélatcurs, ame selon l’affection even pous- : , est proprement ¢t et de l'amour, est pil logie des ire quiest la théo oe de la science atistondl, €n de science, qui ont appris 4 veut dire vraiment que démon. et de mauvaise qua- Pas scientifique dy tout: [:La théologie ainsi, en cui : ‘antau bien par les principes de la craints Principalement sagesse. La philosop! ee Dhilosephes et traite dela cause des causes» *ance selon la méthode de la philosop?s artis et ratiocinationis), est dite sagesse d'une fagon moins appropriée. Les autres sciences, qui concernent les causes dérivées et causées, ne doivent pas étre appelées sagesses, mais sciences.>]* La théologie n'est pas science, elle est sagesse; elle est au-dessus de tour art et de route science, et c'est pourquoi elle ne procéde pas par des raisons humaines, mais des raisons propres et des principes Propres dif. férant de toures les autres sciences. Des principes qui ont une évidence spéciale, par la grace de la foi, des principes qui se manifestent a l’'ame, 3 Pame illuminée par la foi. [Is ne sont pas manifestes & une Ame infidéle. La chéologie donc n’est pas une science; elle a ses méthodes propres, ses sources de connaissance propres, sa maniére de travailler propre; elle mest pas science, elle n'est pas argumentative, elle n'est pas structurée de la méme maniére que les sciences en général. Mais malgré les efforts de ces grands personnages pour retarder le mouvement, le mouvement se fait. La distinction entre exégese et théologie se fait. Roger Bacon, dans un texte curieux et trés amusant, cité récem- ment par le P. Chenu’, nous raconte comment les choses se passent dans Fenseignement universitaire, car, aprés tout, c'est dans l’enseignement universitaire que cela se passe et la théologie est enseignée dans les uni- versités. Bacon nous dit que cela ne va pas, que les novateurs méprisent complétement la vraie théologie, la connaissance de la doctrine sacrée, l'étude des Ecritures Saintes, des Livres Saints. Ils ont substitué & cette source unique de la révélation quelque chose de trés différent, les Sen- tences de Pierre Lombard, et c'est cela qu’ils commentent. Et alors le professeur qui fait de la vraie théologie, selon Bacon, qui commente et qui explique I’Ecriture Sainte, n’a pour lui que les plus mauvaises heures de la journée, Vaube, tandis que celui qui fait de la théologie nouvelle, « Theologia igitur, quae perficit animam secundum affectionem, movendo ad bonum per principia timoris et amoris, proprie et principaliter est sapientia. Prima Philosophia, quae est theologia philosophorum, quae est de causa causarum, sed ut perficiens cognitionem secundum viam artis et ratiocinationis, minus proprie dicitur sapientia. Ceterae vero scientiae, quae sunt de causis consequentibus et cau- satis, non debent dici sapientiae sed ut scientiac. Unde secundum hoc dicendum quod doctrina theologiae est sapientia ut sapientia; philosophia vero prima, quae est cognitio primarum causarum, quae sunt bonitas, sapientia et potentia, est sapientia, sed ut scientia; ceterae vero scientiae, quae considerant passiones de subiecto per suas Be Se eae scentae » (Alexandre de Halés, Summa theol. introd. ih =p: 1. cité par Matie-Dominique Chenu, La shéologie comme science au xa" sil, ‘Patis, Vein, 1927; ici 3° éd. 1957, p. 94) (Naf). M=D. Chenu, 09. cit, p27 5g: [NdE], a commente les mia a la meilleure heure de la journée, et cest » i est le maitre de la situation universitaire, 1) était, de roure evidence, impossible d’arréter le mouvement aris- xii Mais quelquefois ila fallu s'adapter au langage, au mode de prévalent du jour et, finalement, tout le monde parle aristotélicien, yelquefois — res souvent d'ailleurs — nous voyons un contenu augus- ginien OU anselmien piers dans un langage ct sous des formes aristo- téliciens. Crest assez intéressant. ‘Ainsi, prenons Guillaume d’Auxerre. I] est obligé de reconnaitre que ia théologie est une science. Il n'y a rien & faire: en son temps déja les chaires sont divisées, et vous savez que la division des chaires implique et fonde la division du savoir. II nous dit done: par conséquent, la théologie est une science et, donc, comme les autres sciences ont leurs principes et leurs conclusions, de méme la théologie aussi posséde ses principes, Seulement, les principes de la théologie, ce sont les articles de foi. Et il ajoute: si la théologie n’avait pas de principes, elle ne serait pas un art, ni une science. Déja il a accepté que c'est un art ou une science. Par consequent, elle a des principes, des articles qui, cependant, ne sont des principes que pour les fidéles. Vous avez vu que certains ont conclu que la théologie n’est pas une science. Guillaume d’Auxerre dit que cest une science, mais que malheureusement les principes ne sont accessibles quiaux fidéles, et, pour ceux-ci, ces principes sont connus par soi, c'est- idire, sont évidents. Donc, les articles de foi — c'est textuel — sont des principes de la foi évidents par eux-mémes. Et ceci, nous explique Guil- lume d’Auxerre, parce que la foi est une illumination de lesprit ou la vision de Dieu. Et plus l’ame est illuminée, d’autant plus clairement elle voit, et non seulement elle voit que les choses sont comme elle croit, mais elle voit aussi comment cela est et pourquoi cela est tel qu’elle croit, ce qui est justement intelligence. Vous voyez que par le détour aristotélicien on en revient la position ancienne en ajoutant quelque chose de trés grave, & savoir que les articles de foi sont les principes de la science théologique, mais des principes qui sont évidents aux fideles. Il est visible que Guillaume d’Auxerte ne sait Pas tres bien ce que cest que |’évidence et qu’au fond I’évidence est la Cettitude: Il fait donc exactement ce qu’on faisait avant lui, la situation ‘change du tout au. tout lorsque laristorélisme est Maiment tepris, compris et repensé: Je passe donc directement. saint Thomas. On peut interpréter cette reprise de Varistotélisme de maniéres Adiverses: on peu ‘aristotélisme difié; il n’est plus seulement symbole er Seals il est en lui-méme, il est nature et ila une nari paration entre nature et «surnature», Thoma ‘ en quelque sorte soli a une réalité propre; nséquent, la sé racure urna i ol is général et Dieu, a de ce fait méme acquis une rigueur beay. ja nature r Ol grande, Le sens du terme nature s'est précisé, a met Cest pour coup plus gra Ja que le sens du terme «surnaturel», qui commence a étre employé cnn , et le passage de l'un a Pautre devient en méme temps, devient précis, et quelque chose dextrémement dithcile. a : On pourrait dire aussi que Varis Of ae g a Saas point de vue, représente un certain pess ame epistemo pelgue: C n peut le Présenter évidemment autrement. Dans l’atticude aristotélicienne ou thomiste, c'est homme lui-méme, |’intelligence humaine elle-méme qui Possede une lumiére propre a l'homme et n’est pas constamment illuminée parla lumiére divine. C'est par sa lumiére propre que l’homme voit les choses, Autonomie done de la connaissance, mais appuyée par l’abandon de cette idée d’illumination naturelle. L’homme marche tout seul. Sans doute, aussi, n’arriverait-il pas bien loin. Les limites strictement imposées ala raison naturelle, et donc a la théologie philosophique, Vopposent d'une maniére beaucoup plus rigide et stricte a la théologie révélée. Ces deux théologies ne se combinent plus si facilement, ne se confondent plus comme jadis. Lune peut servir de soubassement 4 la théologie naturelle, philosophique; l'autre, la théologie surnaturelle, lui est superposée. Mais elles ne se confondent plus, ne se compénétrent plus. [I y a désormais deux étages, et l'identification du Dieu des philosophes et du Dieu de la religion, qui était évidemment facile dans latitude augustinienne, devient une chose relativement beaucoup plus difficile. II faut un effort beaucoup plus grand pour les faire coincider, Que sera, dans cette attitude, la théologie vérirable? Il est assez curieux de voir dans l'euvre méme de saint Thomas le développement de cette notion et la transformation d’attitude. Diabord il est clair que [la théologie veritable] est une science, et saint Thomas, dans son Commentaire des Sentences, ceuvre de Jeunesse, nous dit & Peu prés la méme chose que ce he nous venons de voir chez Guillaume d’Auxerre. C'est une science qui a des principes Propres, les articles de foi, lesquels, par une lumiére infuse, ont €vidents pour celui quia la foi, de méme que les de ce qui semble évident par la lumiére ieee ches ~ fois que homme [posséde] ces principes Selences, er 4 he a a méme maniére que dans toutes les autres Partir de ces articles on syllogise. On fait une théologie @ a desarticles de foi qui forment les Principes, une théolopi mere cela vaut pour ceux qui one la foi, et sili ee deductive ve fit méme il n'est pas Stonnant qu'ils ne soient pas évidenee dit que Ar agales qui n'ont pas la lumitre de la foi. Done, Vous voyer, perl se nota] pour ceux qui ont la lumiéte de la foi, C’était trop beau, et finalement saint Thomas doit S€ rendre a |’ ei a . évi- dence: les principes de la foi ne sont aucunement per se nota] nim, ie tit ces Principes nt ar ceux qui ont Ia foi. Ilavait été précédé, dans cette critique de la Position des principe gidents, par un théologien fort intelligent, Guillaume de Méliton, SF aobservé, contre Guillaume d’Auxerre, que cest une chose absolument impossible de prétendre que ces principes soient évidents, que personne na jamais dit rien de pareil, ec qu’il faut distinguer. Il faut distinguer dans toute théorie, toute science, trois choses différentes: les dignitates, qui sont les notions connues, les axiomes qui sont vraiment évidents, et ily a ensuite les suppositions, c’est-a-dire les hypothéses, que nous admettons et dont nous tirons, 4 l'aide des deux premiers éléments, des conclusions. Méliton a certainement lu les Commentaires de [Pierre Lombard] et a fait de la géometrie, [il connait] les axiomes, les postulats et les szppo- sitiones nullement évidentes et puis les conclusions que nous en tirens. Selon lui, il y a des axiomes comme celui que Dieu est supérieur 4 tout lereste, mais les articles de foi figurent dans sa conception comme des {uppositiones. Ce sont des hypothéses que nous admettons, qui nous sont données par la foi, d’ot: nous tirons des conclusions. C'est vers une conception trés analogue que va se diriger saint Thomas. Si yous ouvrez la Somme théologique, il est question, 4 propos de théologic, de savoir si la doctrine sacrée est une science et pourquoi il faut, si elle en est une, quelle soit différente de la métaphysique. Si nous demandons si elle est une science, saint Thomas nous dit: évidemment, elle est une science, et on pourrait dire justement que c'est une science comme les autres. On pourrait dire que ce n'est Pas une science, puisque toute science procéde de principes évidents, mais la doctrine sacrée pro- kde d'articles de foi qui ne sont pas évidents par eux-mémes, et donc on pourrait dire qu’elle n’est pas une science. Saint Thomas conclut que, Malgté cela, elle est une science, puisqu'elle travaille comme les sciences, Stqu'il faut distinguer entre des sciences de structure un peu différente. Ilya des sciences comme la géométrie, ou l'arithmétique ou h logique, ou Ja métaphysique, qui ont leurs principes 4 l’intérieur : d’elles-mémes, et ce sont des sciences fondamentales. Et ily ena autres, comme l’optique, la mécanique, qui appliquent les Principes qu’elles tirent d’autres sciences. L’ évidence est quelque part. Lopticien prend des théorémes de la géometrie ct les applique, mais il ne sefforce pas de les démontrer: cest l'affaire de la géométrie. Cest dans la géométrie que réside l’évidence des propositions géometriques. Il en est de méme pour la théologie, car les articles de foi sont évidents, sice n'est pas pour nous, ils le sont pour Dicu, pour les saints au paradis qui, eux, ont la vision de Dieu et qui par conséquent ont l’évidence, Et de cette évidence par la révélation procéde la certitude, dérivent des principes pour nous. En bref, les principes ne sont nullement évidents; ils sont compréhensibles pour nous, nous pouvons les comprendre, les énoncer, nous pouvens nous en servir comme d'une base de déduction. Mais nous n’en avons pas l’évidence, et [leur] évidence nous l'acceptons par la révélation. Mais la vérité de ces principes est confirmée par les miracles. Voila donc la situation qui est tout a fait claire. C'est pour cela qu'au début de ma premiére conférence, j'ai dit que la théologie est une science déductive, et peut méme prétendre au titre de science exacte. C’est une science déductive qui part d'un systéme de principes, disons, un systéme d’axiomes, et qui, A partir de ces axiomes, déduit les cons¢- quences, Saint Thomas ou les théologiens, suivant peut-étre d'un peu trop prés la théorie ou la logique aristotélicienne, pensent que la déduc- tion se fait du vrai au vrai, de la vérité de ces principes admis aux vérités quils contiennent. Mais il est évident qu’il n'est pas nécessaire, pour que la déduction se fasse, qu’intervienne dans le processus la vérité des Principes, dont la déduction est faite. D’ailleurs, les théologiens peuvent méme critiquer une doctrine adverse: un catholique peut critiquer une doctrine protestante, etc. Il en résulte qu'il est capable de comprendre son essence dogmatique, qu'il n'a pas besoin d’illumination spéciale Pour comprendre, ni d’illumination pour procéder & cette déduction. ; La théologie se présente donc pour nous comme un systéme axioma- tique et une science déductive portant sur des réalités, maintenant, dans a... Higoureusement non yérifiable et non perceptible et we nite est-assurée en quelque sorte du dedans, il est clair que ce analyse du systéme axiomatique lui-méme que Pon peut Poser la vérité. On pourrait peut-éere en démontrer le caractére ire; mais Cest tout; on ne peut pasien démontrer la vérité. Le nda Potons pur xe assurks dela vs del tel Nous sommes done a peu jnalogue acelle ot Se trouvait miracle. ll faut des miracles por une dogmatique. Quant al ‘autre aspect dont je vous ai parlé, qui est la coincide: de la théologie des philosophes et de la théologie révélée, la coine; nce de la conception de Dicu, telle qu'elle est formée et suki métaphysique et la conception de Dieu telle quelle se peso a la religion, je vous ai dit que identification pour l’aristotélisme se fn avec beaucoup plus de difficulté. Exon pourrait dire que l'histoire pos- sérieure de la scolastique consiste justement dans la démenstration du caractére impossible de cette identification, de Vimpossibilité de les faire coincider, critique de l’identification et critique des preuves, Une fois de plus se répéte objection faite par les logiciens et les phi- losophes du x111° siécle a leurs prédécesseurs augustiniens: vous ne savez pas ce que veut dire une démonstration tigoureuse, et si vous arrivez a démontrer, par exemple, l’existence de Dieu, l'immortalité de lame, la création du monde, ete., c'est parce que vous confondez la persua- sion avec la démonstration. C'est ainsi que Duns Scot décortique toutes les preuves données par les philosophes, acceptées ou réinventées par saint Thomas, et nous explique que les preuves, prises véritablement & la lettre comme preuves, ne valent pas grand-chose ou du moins ne nous démontrent pas ce que saint Thomas prétend leur faire démontrer, Crest que saint Thomas est chrétien et [Averroés] musulman. Aussi se trompent-ils sur la valeur méme de leurs démonstrations, et comme ils croient davance a la vérité de la chose 4 démontrer, ils croient démontrer quelque chose quiils n’ont pas démontré. Il n’y a donc pas de démonstra- tion véritable ni sur l’ame, ni sur la création du monde, ni sur la divinité de Dieu, ni sur son infinité. Lopposition entre la théologie de la révéla- tion qui nous parle du Dieu de la religion, et la théologie métaphysique qui nous parle d’un Dieu démontré, devient de plus en plus aigué, de Plus en plus forte. Et on peut dire que le Moyen Age finissant détruit Complétement cette identification. f Vue de cette maniére, l’ceuvre de Descartes potlrratg ae romme une espéce de réaction, comme une tentative d établi ae nouvelles, sur les ruines de la métaphysique aristotélicienne, une Nouvelle théologie philosophique. Refaire une théologie qui pourrait : : d'une elle entreprise parate é f , hous ne pouvons pas Nous Pres, apres ce détour, tout d'abord saint A uur confirmer et nous dans une situation Ugustin: il faut un assurer de la vérité contenter de dire qu'il faut croire en Dieu parce qu'il écrit ainsi dans les Saintes Ecritures, et qu'il faut croire aux Saintes Ecritures parce qu’elles viennent de Dieu. Linfidéle ou I’incroyant pourrait nous dire quil ya la un cercle vicieux. C'est donc un effort de refaire ce que le Moyen Age, avec l’aristotélisme, n'a pas réussi a faire. Vous savez bien que l’entreprise aboutit 4 un échec, échec constaté par Pascal qui dans le Dieu cartésien reconnait immédiatement le dieu des philosophes et non le Dieu de la religion. Il est caractéristique que ce méme Pascal, lorsqu’il entreprend la démonstration de la vérité de la religion chrétienne, laisse tomber complétement les tentatives de théo- logie philosophique et avec beaucoup de bon sens et de comprehension profonde de la situation, des nécessités de la situation, essaie de nous la démontrer par les prophéties, par l’action de la Providence divine, par les miracles. Laction de la Providence en étant nécessairement un, les miracles, [eux, sont] confirmés par un miracle réel, le miracle de la (Sainte Epine du 8 juin 1656] qui se passe la, en son temps, devant lui et peut-étre pout lui, et qui confirme ainsi les miracles qui, eux, confirment la vérité de la foi. Nous en sommes donc arrivés 4 une conclusion, du moins provi- soire. La science et la théologie sopposent nécessairement, puisque toute théologie est fondée sur le miracle, et méme une série de miracles qui s€ supportent et s¢ souticnnent, miracle de la révélation, confirmé a son tour par d'autres miracles, lesquels doivent étre confirmés par d'autres miracles et que, selon les grands théologiens dont nous avons vu la doc- trine, le miracle est le seul moyen de la confirmation de la foi. Or il est €vident que la science, en tant que telle, est incapable d’ac- cepter le miracle et que de ce fait méme nous avons entre science et théologie une incompatibilité rigoureuse et radicale. La solution que nous avons évoquée au débur, de distinguer entre deux mondes: le monde du surnaturel et le monde de nature, les don- nées de la foi et de la science, et ainsi d’éviter tout apport et toute fencontre, ne peut malheureusement pas étre maintenue. Car ni d’un cbt ni de l'autre on ne pourrait admettre une telle séparation radicale. Lintervention dans la réalité est une chose & laquelle la théologie ne Peue Pas renoncer, ne serait-ce que parce qu’elle ne peut pas renoncer au miracle central de la révélation, Et la science ne peut pas admettre une Intervention pareille du miracle, Alors, V'incompatibilité reste 4 mon avis tale, Entre la théologie fondée sur la foi confirmée par le miracle = Selence fondée sur Vobservation, l'évidence et la verification, jl ne - : ble pas pouvoir y avoir d’accord. Si Lon essayait de rendre me sem ed plus faible, si l’on essayait de Varténuer, en atténuant le ae aa f de la révélation, en acténuant le caractére miraculeux de re m4 tions divines, en présentant des interprétations symboliques ou aie Livres Saints, je crois qu’on réviterait pas le confit et que as les interprétations symboliques étant des i Je plu» nventions humaines, placerait dans une situation ott l’on aimerait juger non seulement on se j croire, mais aussi de ce qu’il faut bien admettre comme croyable, : 4 . Fa mme se placerait de ce fait au-dessus de la révélation elle-méme. Ce A peu prés tout ce que javais 4 vous dire sur le probléme des rts des sciences et de la révélation et je vous remercie d’avoir écouté rape! 4 avec tant de patience.

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