Sunteți pe pagina 1din 13
REFLEXIONS SUR LES USAGES APOTROPAIQUES DE LIMAGE PEINTE Autour de quelques peintures murales novaraises du Quattrocento par Dominique RIGAUX Historiens et anthropologues s'interrogent de plus en plus fréquem- ‘ment aujourd'hui sur le « pouvoir des images », pour reprendre le titre d'un ouvrage récent (I). Pourtant, la pratique qui consiste 4 utiliser une image religieuse pour se défendre, soi-méme ou les siens, contre toutes sortes de maux reste un domaine txés peu exploré (2). Ce n’est pas faute de témoignages. Il suffit pour s’en convaincre de telire ceux évoqués lors, du second concile de Nicée en 787 (3). Mais ils sont dispersés dans le temps, dans Pespace, et dans les sources. C'est sans doute la raison pour laquelle il n'existe encore, & ma connaissance, aucun travail de synthese sur le sujet. ‘Auslme semble nfcesaire, au deque d'éaoncer des banal, de partir d'un double constat. Premiérement, Pusage apotropaique des ima- ges cemonte 4 la plus haute Antiquité. Il est attesté en Egypte dés Je Moyen Empire, et plus largement au Nouvel Empire of les « statues guérisseuses » étaient réputées (4). On en trouve ensuite des traces cons- tantes, quoique dispersées, dans Part grec et romain, puis dans Wart che tien GOrient et d’Occident jusqu’i nos jours. Ces pratiques n’ont en effet jamais cessé d'exister. Les innombrables effigies de saint Christophe (1) D. Preedberg, The Pow of Inge Stas n te Histo and Thy of Response, Chicego, 198, (@) faut cependane signer Peta pionniére de R. Teer wr a Madonna de Penpeu- cts iovoguée conze Ia gute: R.Teenley, « Plscntine Religious Expeticnce: The Sacred image ny dans Stair inte Reaiaan, 19, 1972, 7-4 13) Woir G. Durneige, Naw If, « Histoire des concites ccumérique » 4, Pais, 1978, pls (@) Pour un exposé général voir Fouvrage catsique de J. Vandier, Le moe dpc, ars, Z Gal, 1949, prdealérement p. 207-213; ec P. Lacay, «Les “statues gudceeus dane Fancienne Beypte dae Morament Pit, XXV (1921-1922), p. 189.208, Cobiees du Ligand dr, volume 8, 1996 155 qui sous les formes les plus diverses accompagnent Pautomobiliste dau jourd’hui, comme le voyageur du passé, en sont un des signes fatni- liers (5). Deuxiémement, ce besoin «utiliser Vimage des fins apotropaiques ne reléve pas dune prétendve « mentalité populaire » que Yon attribuerait 4 une certaine catégorie de la population, Il est partagé par toutes les couches de la société civile et religieuse, a commencer par le pape hi- méme. Jacques de Voragine rapporte que Grégoire le Grand promena & travers tout Rome une image miraculeuse de la Vierge afin d’éloigner le fléau de la peste (6). Dans c2 cas, ilimporte moins de savoir, comme le remarque justement J.-Cl. Schmitt, quelle icdne mariale a été choisie ~ celle de Santa Maria Maggiore, celle des franciscains de PAracoeli, ou celle des dominicains de San Sisto ~ que de noter la présence, en téte de la procession, de Pimage sacrée qui immédiatement dissipa « Vinfection de Pair» (7). Le fat que cette présence agissante de Vimage soit introduite par Jacques de Voragine, poar la premiére fois, dans le corpus des textes donnant le récit de cette procession, & une époque oii le phénoméne émenge, est révélateur. Le tourant des x1t~xitt siécles apparait comme une date charniére pour la multiplication des images miraculeuses et des usages qui en sont faits (8). Bt on retiendra que c'est précisément autour des représentations de Marie, en Italie au moins, que se concentre la plus grande charge d’efficacité apotropaique, voire thaumaturgique (9) Jajouterai que la narration de Jacques de Voragine a soin de préciser ‘que la Vierge « fut peinte avec la plus grande ressemblance, dit-on, par saint Luc, aussi habile dans Vart de la peinture que dans celui de la médecine», La remarque met en évidence Véquivalence de deux savoir- faise, celui du peintse et, celui du médecin, Nous touchons li aux fon- (© G. Becket, Chninpion Paton dr Seifr, Fubrete and Kelle. Lede, Veen Symint Monich, 1575, (G) J de Voragine, Le Kent dons, ead. J-B. M. Roze, st, Psi, 1967, 1 p. 223. (0) ToC Sehante,« Bestar ev image : es avatars médica da modélegrégrien» dans “Tero pratiqaes de Perea Mop lg. Actes du collage palais do Luxembourg Seat, 5 et 6 mars 198), Pari-X Nanterre, 1988, p. 133. (@ Hans Belieg me semble en soieparfsitemene déert le contexte historique, dans son ‘ouvrage, Da Bld and sin Publi i Mite Form wad Panton fer ill der Pasion, Betlin, 1981 (9) Comoe le signslsit iJ. Buchbardt, Le eatin de le Reason ola ("bh 1860) tea. fe Party 1958. Je ete Capes lEdhion da Livre de poche (Pas 1986) come 3, 1.103. Voir aussi A” Prospesi, «Madonae dicta e Madonne dl eampugna, Pet uninchiesta fle dinamiche del sacro nella ost eidentin » dane Cadet ant, tind e data ni prin, sous Is dit de . Basch Gajano ot 1. Sebastian, Rome L'Aguil, 1984, 615647, 156 cements de ce que l'on peut appeler les usages apotropaiques de l'image dune patt une certaine propension a confondre la représentation et le prototype surnaturel qu'elle figure, d’autre part une humanisation crois- sante des sujets. Ein recourant systématiquement & des procédé illusion- nistes, Part dela fin du Moyen Age et de la Renaissance n’a-til pas donné tune impulsion a ces dispositions religieuses ? Ne les a-til pas renfor- cées (10)? Aun autre niveau, sajoute la croyance, obscure et latente, que Variste posséde un savoir-faire comparable 4 celui d'un magi cien (11). Pour éviter toute équivoque, je voudrais cependant écarter le mot de « magie» au sens o lon entend généralement ce terme, Cest- A-dire pratiques d’envoiitements, de sorcellerie, qui s’appliquent a une catégorie dimages et usages spécifiques. La notion qui nous intéresse est autrement ambigué, Ici, il s'agit de se défendre corps et Ame contre des embiiches, natu- relles ou surnatutelles, réelles ou imaginaires. Selon la proximité du peri, action est préventive ou défensive. Soit Image est utiisée en prévision dun malhear redouté, essentiellement physique, la maladie, la mort su- bite cest un usage prophylactique ; soit elle sert 4 écarter un danger déja présent, par exemple une épidémie, on parlera alors dusage apo- tropaique. Les deux types d’action sont done distinets. Mais ils se con- fondent souvent dans la pratique. 1. Apotropatsme et prophylaxie : les mots et la chose La premiére difficulté est d’ordre lexical. On ne recense pas moins de dix expressions pour désigner des moyens de protection dans le diction- naire de Du Cange (12). Cette richesse du vocabulaire médiéval contraste avec la pauvreté simplificatrice de notre voeabulaire moderne, du moins en frangais, ot seul Padjectif « prophylaetique », du grec: « veil sur », est retenu, Sans doute cette distorsion estelle révélatrice de Vextréme conscience que les hommes du Moyen Age avaient du « malheur biolo- wique. Seule une étude systématique du dossier de textes des théolo- ‘ens, qui protestent contre les superstitions, depuis 'évéque Guillaume (10) A ce sje voir J. Win, « Théorie et pratique de Vimage ssite & la ville ceo Réforme, dans Bblihigu dumm of Renaisens, 48, 1986, 356. (1) Comme en émoigue le dossier rasemble par E, Kris ct O. Kutz, Legend Myth and May iv the Lage th Arist: A Fiscal Experiment, New Haven, Lanes 1979, (02) Amelimentur ;apotopaaj eral; evi chractresjencolpiu;gamentum ligatu ; Pylacterum ; Servtoriaen. 157 Auvergne jusqu’au général des Carmes, Baptista da Mantova (f 1516), dont le De Sacris Diebus es: encore inédit, en passant par Gerson, Ber- nardin de Sienne et Nicolas de Cues, permettrait de claifier les choses ~ 4 condition de ne pas perdre de vue combien la ligne de partage entre le discours officiel de P'Eglse et la pratique effective est fuctuante, En fait les moyens de prévenit (prophylactique) ou d’écarter (apotropaique) le danger sont aussi variés que les périls quils sont censés repousser (13). Quelespratiques ? Faire peindre des images, pour obtenir son salut ou celui de ses pro- ches dans Vau-dela, est Ia fois la forme la plus communément repandue, et sans doute la plus généreuse, des pratiques apotropaiques. L’art chté- tien apparait comme un précieux auxilizie dans les transactions pour la rédemption. Offrir une chapelle peinte 4 une église ou 4 un monastére, est assurer son Ame, ct son comps, de perpétuelles priéres dinterces- sion (14). Pour ne citer que Yun des exemples les plus célebres, dans le domaine de la fresque en Italie septentrionale, il suffit de rappeler le cas, a Taube du xiv" siéele, de la chapelle de PArena, a Padoue. La décoretion, commandée Giotto, par Ensico Scrovegai, riche bourgeois de la ville, avait, entre autres choses, pour finalité la sémission des péchés de son pére, Reginaldo, usurier notoire, que Dante place au septiéme cercle de Venger (Exf,, XVII, 64) (15). La multiplication des fresques votives indi- viduelles qui envahissent les églises au xv" siécle témoigne largement de cette pratique. De fagon plus directe et plus immédiate, les fidéles obtiennent le se- cours de Vimage, & Vinstar des reliques, par la vue, le toucher et la man- ducation. Les deux premiers sens sont étroitement liés dans les usages apotropaiques et thaumaturgiques. Ainsi, dans le vie d’Hensi Suso, on apprend que le peintre chargé de décorer la chapelle du Précheur fut feappé de cécité. Le fréve saisit alors échelle de Pattist, frotta ses mains sur la surface du mur déja peinte et les appliqua sur les yeux du peintre en disant «Par le pouvoir de Diew et la stinteté de ces anciens Péres, je or (3) E, Hottmann-Keayer, H. BichtoltSeiubl ed, Hondbonedach der Deubew Aber _seabens, 1 Bein eto, 1921, « Abwe», col. 129-130. (04) HLL. Kesler, «On the State of Medival Act History dane Art Ball, LX, 1988, p. 17 (5) Sur cet interpétaion var S. Sets, « Ieonogeafadel'arte italiana, 1100-1500 una lines, dans Stevia dere tabana, WL, Tusio, 1979, . 246-248, 158 donne de retourner 4 ton travail demain matin avec les yeux compléte- ment guétis.» (16) Le remade réussit et la décoration de Poratoite fut achevée. Autour des tombeaux des saints, les pélerins grattaient le sol avec leurs ongles pout bénéficier de Ia mystérieuse irradiation qui se communiquait aussi eau, Dés la fin de P’Antiquité sétait répandue en Occident la coutume da vinage, qui consistat 4 verser du vin mélé d’aromates sur les tombes des martyrs. Loin de décourager ces pratiques, les clercs les recomman- daient aux fidéles. Ainsi, lors du procés de canonisation de Pierre de Luxembourg (Avignon 1390) un témoin laique affirme avoir été guéti ‘miraculeasement pat un peu de terre du tombeau mélangée 4 du vin, ‘mixture qui lui avait été administrée par un évéque dominicain (17)! De méme on avait V'habitude, notamment sur les lieux de pélerinages, de distribuer des copies sur papier de Vimage de la Viexge ou du saint local, ue le fle coupait en petits morceaux et avalalt en cas de maladie (18). La «médication» était encore pratiquée au début de ce siécle comme Patteste la réponse du Saint-Office a Parchevéque de Santiago du Chili (19). Considérée comme pasfuitement licite, la manducation d*images ret gieuses est ls pratique qui a le plus frappé les esprits. Dans une lettre a Louis le Débonnaire (824), Michel II ne prétend-il pas que des prétres auraient mélangé au sang du Christ pour la communion des fidéles des couleurs provenant d'icénes (20) ? On se souvient de Phistoire de cette femme picuse qui grattit, au mépris de Vapparence et de Fintégrité phy- sique de Tcruvre, la couleur d'une fresque représentant les saints méde- cins Céme et Damien pour confectionner une potion qui la guéritait de (16) J.F. Hamburger, «'The Use of Images in the Pastoral Cate of ans: the Case of Heinrich Suso and the Domiaican dans Ar Buln, LXXI, 1989, p. 29. (17) A. Nauches, La szintt on Oxide ae drain is de Moen Ae dais ke pres de canoniationo desks danenente basegrphiuc, BEE-AR,, 241, Rome, 1981, p- 502-503, pore 12 (08) L Kviss Reuenbeck, Bid and Zech mligiton Volegdanen, Munich, 1963, ted fe, . 45. Ba Baviére, voir E. Hofimanc-Keayes, H. Bachtold Stivbl ed, Hondeitrbch de Dewechor Abrataches, op cit, I, «Bid, Bidzauber , eo). 1289. (09) Te 3 aot 1903, en réponse i Parchevéque de Santiago du Chil, le Saine Office précis lest ce davaler, pour demander ln santé, de petites images en papier de Sainte Wig, lguébtes dis de Peau ou rules en forme de ple, poutva gue co ecaree toute vaine observance ou le danger d' tomber» té par A. de Bochome, s+ Dévorons prohibées», dans le Disionaie prima, 3 (195), co. 793-794 (QO) C.Schanbotn, Lisi cv Const Fondemens ‘hsegiuy, Pais, ¥ EL, 1986, p. 155. Diaure part, on sit gue let hostes médigvalesEtentfguratives, 159 tous ses maux (21). De tels usages apparaissent également en dehors des sources hagiographiques. Ainsi au début du premier livre de son Historias cecesastcas gents Anglonun, owvrage qui fut longtemps considéré comme le plus populaire des livres d’histoire, Béde le Venérable déclare avoir vu comment les Irlandais se protégeaient des morsures de serpent en ab- sorbant les romures de manuscrits mélangées dans de Peau (22), Il reste difficile e’apprécier ce que représente réellement la consom. mation dimages sacrées au Moyen Age, en Occident. Bile n'est guére attestée dans le domaine de la peinture murale. En revanche, nombreuses sont les traces de grattage, notamment 4 Byzance, Mais elles ont les raisons les plus diverses, depuis Pappropriation pure et simple jusqu’atix témoignages de dévotion intempestive, du méme ordre que ceux qui fous ont laisse des tableaux dont le personage principal est usé par la bave des baisers » (23). Ce besoin de contact physique n’est pas dé pourvu d’ambiguité.. Méme sil n'est pas toujours facile de déméler des intentions multiples, parfois contradictoires, on ne peut assimiler le fait de gratter une image pour Pabsorber ou pour conjurer le sort, véritables pratiques apotropaiques, avec le fait de couvrir de grffures un motif iconographique précis : par exemple le visage de Judas, Vapétre félon, dans les peintures de la Céne (24), ou celui des démons dans les repré- sentations de IEnfer (25). Ces gestes relévent le plus souvent du défou- ement collectif, ou individuel, tel que le décrit Vasari dans un passage fameux de la vie d’Andrea del Castagno «Si, par négligence, ce:te composition {un Christ a la colonne] n’avait até abimée et exposte aux gribouillis des enfants ou d’autres Ames simples gui one barbouillé les tétes, les bras et presque tous les visages des juifs, (2i) H, Delehaye, «Les recoils aques de miracles des saints», Anata Bollendan, ‘XLII, 1925, p. 16417 (@2) «Denique vidimus, quibusdam a serpente percuss, asa fla codicum gui de Hi ‘bern fverant, et psa raswram squae inmistary ac potal dvr tabus protinus totem vim ‘veneri grasants, totem inal eoepodis absumsste ae sedastetamorem », dans B. Colgrave GERAD. Mynots, Bude? Beles! Hier) of he Englih Pipe, Oxford, 1981 (1 bd. 1953), p20. Je remerce Jean-Claude Bonne avo aie’ mon attention sur e txt (23) expression citée par F. Zen, Der mar, Pais, 1988, p. 25 se trouve sous lt plume du cardinal Garampt (X¥Hr «) & propos de latte dela Vige dans un tableau di Fronaatire des Anges & Rimini (24) D. Rigas, fe tbe du Stigma Lncharti che priiteaes 1250-497, Pasi, 1989, p. 276.277 (25) J. Baschet, «Satan, prince de "Eafer: le développement des puissance dans Peo rographic italienne (KIX see)», dans E. Conini et E. Cost, Litem ot dial 1 ‘Tati, 1999, p. 388. 160 i comme pour venger Vinjure faite 4 Notre-Seigneur, elle serait le chef @aeuvre d’Andrea. » (26) Ainsi, les visages peints, par exemple, restent toujours visibles mais rigs. Cest bien ce cas que Yon rencontre le plus fréquemment en Italie aux deniers siécles du Moyen Age. A Finverse du grattage, on trouve parfois des ajouts en surimposition sur Vimage sacréc, sans parler des graffiti de toutes sortes qui marquent une prise de possession a des degrés divers. Ces ajouts sont peints dans a meme gamme colorée que Peeuvre, comme le montze 'étonnante pein ture murale de Péglse de Sant’Apollinare & Prabi d’Arco en Trentin, Sur 1a paroi mérdionale externe de Pédifice, qui constitue le mur porteur d'une nef ouverte sur deux cStés et dotée d'un autel utilisable en temps de peste, on peut voir la figure en pied d'un saint évéque, vraisembla- blement Apollinaire, le saint éponyme du sanctuaire. La fresque est da- table de la seconde moitié du x1v" siécle (27). La partie inférieure est couverte de signes symboliques, avec des motifs de croix de formes vvatiées, plus ou moins cabalistiques, censés protéger par la vie comme pat le toucher (fig. 1). Selon N. Rasmo, it sagirait d’une couche picturale plus ancienne, peut-étre romane, qui affleure sous Peffigie du saint évé. que. En fait, au pied du mar, les symboles circulaires apparaissent en surimposition, Quelle les recouvre, ou au conteaire qu'elle les supporte, Vimage du saint « sanctific » ces signes et les rend ainsi plus efficaces. Quelles images ? La peinture murale se préte particuliérement bien aux usages apotro- paiques (28). Déja A. Grabar le soulignait a propos des ceuvtes de Baouit et surtout de Santa Maria Antiqua (Rome) (29). J'y vois au moins trois raisons : leur tail leur facilité daceés — image murale ne sert-elle pas dexutoite collectif? -, Pédifice sacré qui les abrite et les supporte et garantit en quelque sorte leur caractére sacral. Il s'agit donc d'usages collectifS ct publics, ce qui n’exclut pas bien évidemment des initiatives individuelles. (25) G. Vasc, Lar es de mils penis, eptars tacit, sous la ée &°A. Chastl, Paris, 4, 1983, p. 38 @'N. Resto, Rew lara mel Trentino, intro dl 1979 al 1983. Afr seat, catalogue sous Ia dic. de E. Redon testes de N, Rasa, Téente, 1983, p. 22.25, (28) D. Ragas, « Usages spotropaigues dea fresque dens Ite du Nowd au 2 aiéle», dans F. Bespfg ecN. Lasky (6s), Nice Il, 77-1987, Denese dings egies, ati 1987, p. 317-331 (2) A. Graber, Magri Reherber ow le ede rigs ef Part cen enti, Pats, I, 1946, 207 set, Lim bygaeti. Das aeligur, Collage de France, 1957, 83 5. 161 Le catalogue des maux que Vimage peinte est susceptible d’écarter ext aussi vaste que celui des sujets représentés, Elle peut servir aussi bien § chasser les mouches comme Pa montré Anton Pigler (30), qu’a éviter ua des malheurs les plus redoutés au Moyen Age, la male mort c'esta-dize Ia mort subite sans confession (31). Il n'est pas dans mon propos de présenter un recensement des images apoteopaiques ou prétendies tel les (32), mais il me pardit intéressant de distinguer deux cas selon que ces usages étaient prévus ou non. La croyance en une valeur prophylactique de image était suffisar. ‘ment licite et partagée par tous au XitF siécle pout qu'un saint, comme saint Prangois ¢! Assise, n’hésite pas a en dessiner une de sa propre main au terme de la priére de bénédiction qu’il rédigea pour frére Léon. Le dessin fait office de véritble talisman que le frére portait continuellemene sur lui (33). Il sagit ici d'un eas limite of Pusage de Vimage lui contére le t6le d’objet. Plas communément deux sortes images répondent a ce besoin avoué de protection : d’ane patt les fresques gigantesques sur la facade des églises, telles celles bien connues représentant saint Christo phe, faites pour étre vues de tous et de loin (34) ; d’autre part de petites images, peintes ou gravées, non destinges 4 étre exposées au regard, comme Pétonnante effigi de sainte Fine sur la cloche principale du palais public de San Gimignano (35). Les unes et les autres, lorsqu'elies affir- ment le but manifeste de veller sur ceux qui se rassemblent sous leur protection, s'zccompagnent généralement d'un texte qui fonctionne comme une caution de Pefficacité de Pimage. Ainsi agissent les innom- brables dictons, traduits en diverses langues, qui accompagnent les re- présentations de Christophe. On les lisait ou les récitait de mémoire en regardant image. Mais il suffisait simplement quils soient écrits pour manifester leur pouvoir. De méme, autour de la représentation invisible (80) A Pigler, «Ls movchepeinte un talisman dans Bal es muses bmg der Bases Ant Budapest, XXIV, 1964, p47 99, Un tent Eionaant dan physiien da 7 ice nome Mizaldus évoque le moyen dexeminer les mouches gre &certanes images, cf. A. Mizldus, Memorabilia sline ac incrndarn contin nee... Pais, 1988, p98, ph 440, (31) D: Rigas, « Usnges spotropasques » at. it,p. 522 82) Pour une premiere approche, on consuters avec profit JAS, Collin de Plncy, ican eign des mips odes mires, Pics, 2 Oy TEDI-18Z2 (33) Je temercie le plze Dunien Vorreux de mfavoe ignlé cere image qu'l a publit ans Un be faniars ke To, Pais, 1977, p- 7-8 ot fig (34) HF Roeneld, Dar BL Chop har nie Virbrng and in Lge Leip, 1987 A. Cardinal, «Cristoforo di Li», dann Bibioes Sanciran IV, 354-564 (85) P. Kerbeat, Nato a ombe La promation ut et siden Ieee dX a0 XU" rile darth image elects aggregate exp nn, ative oie sous a dic. de A. Vaucher, universté de Paris X-Naatere, 1988-198, p. 145, 162 de sainte Fine, par sa scule présence, le texte de la pritre énonce et double Pefficace protection qu’assure image de la sainte tournée vers le ciel. En outre, elle est renforcée par la puissance agissante du son des loches, dont ethnologues et historiens ont souligné la capacité a éloigner Jes « démons des airs » (6). Faut-il en conclure que la « magie » de Vesit est supérieure a celle de image (37) ? Un des signes apotropaiques les plus populaires & fa fin du Moyen Age, le monogramme du Christ, com- post des trois lettres, IHS (abréviation latine du nom de Jésus), que Bernardin de Sienne brandissat la fin de ses prédications pour exhorter les foules & la dévotion, pourrait le laisser croire (38). La favoletta connut tun tel succés que la foule sten empara comme d'un talisman. Mais le nom de Jésus, peint sur presque routes les maisons de la plaine padane pour conjurer le mauvais sort, est devemu Iui-méme une image, rayon- ante comme un soleil. En fait, cette conjugaison de Vécrit et de Pimage ~ ec méme du brit dans le cas de sainte Fine ~ s‘inserit dans un phéno- méne de redondance typique oii les protections multiples se confortent une pat Fautse, comme cela est partculigrement visible avec les « con- célébrations » de saints protecteurs dans les églises rurales ou monta- sgnardes (39). Torsqu’une peinture n'est pas faite & des fins apotropaiques 4 Vorigine, cle peut cependant assumer cette fonction, soit par Pusage qui en est fait; soit par des modifications iconographiques tels Vajout ‘de signes, apotropaiques comme 4 Arco ; soit enfin par un changement de statut di i un miracle. La premiére éventualité est la plus ouverte. «Toute» image sacrée peut servir de support & des pratiques prophylactiques, selon le contexte. Ainsi les grandes peintures murales de la Céne, dans les, régions alpines, pouvaient éte véritablement « détoumées» de leurs fonctions dévotionnelles dans le but d’assouvir le désir de voir Phostie, considéré comme un des plus sis moyens de ne pas perdre la vue ou (G6) En parieaies pour éeartr les orages, cf, A. Vaucher, «Liturgieot culture Follo- «ges Rogations dans la “Légende dorée” de Jacques de Voragine» dans Le ar an Maen ‘Aay, Peis, 1987, p 150-151 (G7) Comme le fit L. Krse-Retenbed, oh, p. 43-44 (G8) Longp, «5. Bemandin de Sienne tle Nom de Jésus, dans Arco Prana antm Hisericam, 28:30 (1935-1937), p. 1-120; M.A. Pavone, W IHS come messagio visvon, ans Gre, 2, 1986, p. 26-80. (69) On esate les saints en groupe avatentplut de puissance. CEE. Mile, Lint ng dee fin dh Moen Ag on Fran, Pats, 1908, p= 201 ; D. Rigaux, «Ta devorione © ‘uperstsone, Gli affreschi extern delle chiese tretine Bne XIV-mett XVI seco)», dans ‘A: Paavicn Baghani et A. Vauches, Poo animate inirmals china # nid medina, Palerme, 1992, paticuitement p. 195-196 163 de ne pas tre emporté par une mort subite (40). Mais certains themes iconographiques paraissent plus propices que d'autres. En témoigne, par exemple, la faveur dont jouissent les saints antipesteux, notamment saint Roch, dont le culte connait une diffusion extraordinaire en Europe oc- cidentale & partir de la seconde moitié du xv" siécle (41), et d'une maniéze générale les saints thaumaturges, comme Antoine abbé, dont Vimage, placée au-dessus de Ientiée des étables, tat censée protéger le troupeau, En revanche, le sujet ne détermine pas la fonction de image : tous les saints Christophe ne soct pas apotropaiques. Sion peut discemner des spécificités, par exemple les saints antipesteux, on ne trouve pas de coi. nexion obligatoire entre un sujet iconographique et un usage apotropai que. Cela est particuliérement vrai dans le cas des naissances. Ainsi, en 1389, au milieu d’un accouchement difficile, la duchesse de Bourbon demanda 4 son confesseur de la vouer & Pierre de Luxembourg, ce quill fit en apposant image du jeune cardinal sur son ventre, Bt la naissance se passa le micux du monde (42). Then résulte la nécessité de relier ces images extrémes 4 une série et de ne pas perdre de vue la diversité des significations qu'un méme sujet est susceptible de prendie selon son contexte dapparition. Comme cela a été fortement souligné, dés Pintroduetion du présent volume, on ne saurait enfermer une image dans une fonction unique, a fortiori lorsque on siintéresse & des pratiques aussi mouvantes et diverses que celles qui ont pour but d’assurer le salut du corps autant que le salut de "ime. IL me paraft indispensable de situer clairement analyse de ces pratiques, dans le temps, et dans espace — et par espace il ne faut pas entendre seulement une aire géographique donnée, mais aussi la position précise de Vimage dans Pédifice sacré qui brite. Cest done a partir de étude dun cas précis, un corpus de peintures murales représentant la Vierge allaitant, dans la province de Novare au Quattrocento, que nous allons ‘examiner maintenant comment fonctionnent les usages apotropaiques de Pimage. (4) Ser tote cee question D. Rigaux,« Usipes spotiopalques», att p, 325327, GD) A Vaucher, «Rocco, nto », dane Bilas Santon, XI C968}, coll 264.273, 42) A. Vaocher, La saint op. i, p. 529, nore 33, 164 2, Virgo lactans : quelle image du salut ? La Vierge allaitane I'Bafant Jésus constitue une des images mariales les plus familigres et les plus communément répandues dans tous les milieux (43). Le sujet, tr ancien, figure déja au début de Wart chrétien dans les catacombes de Prisclle 4 Rome (1 siécle). On le trouve & By- zance avec le motif de la Galektotrophousa. Mais comme Ia montré depuis, longtemps Tétude de Lasareff, il puise ses origines en Egypte dans le théme d'lsis allaitant Horus, qui connut un trés grand développement, ct fut transposé en termes cheétiens dans Part copte (#4). image de la Virgo lactans, qui devient & partir du Trecento un des motifs favoris en Italie pour représenter la Mére et Enfant, se développe selon la tendance 4 Phumanisation dela divinité, earactéristique de Part du temps (45)- Ainsi au cours du XIV" sigcle on assiste a un renversement de la signification de Pallaitement qui devient un acte d’humilité, comme toutes les mani- festations biologiques du corps, conséquences du péché d’Bve (46). Bt dans un de ces mouvements de va-et-vient frequent entre Orient et Oc- cident, il influence, par choc en retour, la diffusion du theme en Orient du XIV" au XVI sige. Ainsi on retrouve le geste caractéristique de enfant agrippant Ia main de sa mére, qui hui donne le sein, dans Part crétois ‘comme dans les fresques novaraises od le sujet connait un grand succés au Quattrocento (47). Mais il ya plus. L’acte dallaiter contient une profonde métaphore. Le lait, symbole de vie et de nourriture, prend dans la pensée chrétienne la valeur de source de vie éternelle et de grice pour nourrir 'ime (48). Cette (@B) Hest opportun de noter que Fon senconte aus image de la Madonna dal Lace ans Jes meus eulivés comme le prove une winiatute du Live eure de Man, fol 120, consersée au muse civique de Turin et publée par M. Mess, Frm Patt inte Tie of Toon se Bey, Tbe Late Fortenth Contry ad te Parag of the Dube, Londres New York, 1967, 6,30. (44) V, Lasaeff,« Seaies inthe Lconography ofthe Ving», dans 7 Balt, 20, 1938, 1p 2736, B, Sandberg Vaval, Litmus dle Madonna cl Bambino mle pita iota ed Dagete Gin, 1934) redo, Rome, 1983. (45) D.C. Shoce, The Chie Childe Deena Ima i Ly daring the XIV Canty, New ‘York, 1954 jet plue cement L. Stenberg, La seat du Cri dans Cart de fe Reson fm rere made, ead. Ee, Pais, 1987 (GS) R. Pavoni, Domes Mae Rein Linear tee magi pine Mara Virgie al Maso Poli Pol, Nilan, 1982. Gt) Sh Massa, Litoapie ob Maria Virgin nla none, Novase, 1904 ; G-B. et FM. Feo, Affe nara dt Quatre, Novae, 1972 (48) Cove Ia bien montsé . Byun, Jara Mothr Staci he Spirituality of te High Midde Aga, Betsey, Los Angels, Londes, 1982. 165 symbolique confére 4 Timage une grande dignité. Et on ne s'étonnera pas que ce lit, relique vénérée au Moyen Age, at tes t8t été considere comme miraculews, au point de suggérer quelques subterfuges comme celui des soi-disant miracles icdnes de la Vierge dont le sein laissait couler un filet de lait. En fait, un petit tuyau conduisait par-dertiére le lait « miraculeux » (49). Assimilée aux divinités allatentes, qui, comme Isis, Etaient censées favoriser les naissances, la Vierge i I'Enfant devient la protectrice naturelle des femmes enceintes et par extension des jeunes ‘mariés auxquels elle accordait la promesse d'un « heureux événement », Crest précisément la fonction allouée 4 la madone dite des Epoux, vé nérée dans Péglise romane @’Ognissanti 4 Novare (50). Pour cette aruvre, qui était utilisée lors des mariages, le peintre, Daniele de’ Bosis, a adopté tune iconographic originale, trés peu fréquente en Italie, le theme de la lactation (61). La Vierge nourrit son fils en pressant sur son sein qui émet un triple jet de lai lumineux, olution iconographigue : forme et fonction Cette constatation invite a s'interroger sur la nature du rapport qui existe entte un type iconographique donné ct la fonction apotropal- que (52) ? L’evolution du theme de la Vigo factans dans la province de Novare, fournit a cet égard un excellent observatoire. On distingue en cffet deux traditions dans le traitement du sujet. Parallélement au groupe des « madones affectueuses » dans lequel s'insert la fresque peinte, dans Je premier quart du xiv siécle, sur une demi-colonne de léglise de Sant Alessandro a Briona (53), on remarque la diffusion d'un autre mo- (9) G Schabora, Lind Chia p. SA. La paige ant elTsanenest cow se pour ele tp ses pret sThple pour deer senna de (G0) Cuibuion eadtionndle 4 Giovasl De Campo (GB, et PBL Fer, Affe sev 2,58), 2&2 defnivenent rete a prof dan ate pins lc, Dice Door CGE Romano, Mas Pron; ow di rate elope, Tat, 197, 61 ;P. Avon. e Doe note dovimentarie Banke De Bouse sewn pts dd rde atone dn Rl nls it ron i ete Spe dita eerie, 3, Tain 1985, p 173; P. Ase, x Deon, Digan bir ih ‘talani, 1987), p. 431-434, r 7 bd (Gi) Sut ce theme voir G Dupeas, «La lcation de sit Bernud de Chieu. Genise cx évoludon une images, dane Leo leper, sous ade F Danan, JEM Spiees, J, Wir, Paty 190, p 165193 (62) Comine Ta monte H. Bel, hyp 69, & propon de Vinge fats fone se nc de manic nae inca Je emerce Mans Lauts Tomes Gav de nav adit ceve pine que + poblez dan Un aftaco secnteco foe tvana i San Aen dl Bons dts Nowa ds spin, 2, Novae 1990. 518, 166 dele de Vierge allaitant, plus biératique, dont le prototype est la madone ‘du sanctuaire de Re. Volontairement archaiques, ces images présentent tun certain nombre de traits communs: la Vierge, assise en frontalité sur tun trdne, tient une fleur a la main ; Penfant vétu d’ane houppelande entiérement boutonnée, tout en tétant le sein de sa mére, se tourme vers le spectatcur et bénit. I. principale difference entre les deux tracitions réside dans le rapport de la mére a enfant. Dans le premier groupe, image laisse place a une effusion maternelle que conctétise Véchange des regards. L’enfant nu s'accroche au sein de sa mére. Dans le second groupe, Venfant, toujours vétu, se détousne vers le spectateur comme dans un appel (54). Crest aux images de ce second groupe que Von a attaché des vertus ‘apotropaiques. Leur emplacement, prés d'une porte, a Pextérieur, en fa- gade du sanctuaire ou de la maison privée, se prétait particuliérement bien a Pinvocation des jeunes époux qui venaient demander la grice de la fecondite. A cété des représentations de l2 madone allaitan, la figure de saint Antoine abbé, qui avait, entre autres attributions, la réputation de favoriser les mariages, confortait le symbolisme selon un phénoméne de redondance déji évoque (55). On trouve les deux sujets, ainsi associés, pas moins de six fois pour la seule province de Novare au xv" siécle sur la facade d'une maison rurale 4 Ronco di Trontano (ig. 2), dans Téglise de S. Pietto 4 Deesio di Vogogna, dans celle de S. Mautizio 4 Gravellona Toce, dans Véglise de 8. Gottardo 4 Carmine Superiore, dans Véglise paroissiale de Careggio (56). A cette série, il faut ajourer la fresque fragmentaire de V'elise de S. Vicenzo & Pombia (vers 1422) qui épouse Je modeéle de Ré jusque dins la forme des plis de la tenture en croissant de lune, derrize la Vierge (57). La similitude de composition, de motifs, ‘qui unit ces peintures, constituc la caractéristique majeure de leur icono- ‘graphic. Ainsi la fresque peinte par un artiste anonyme sur la fagade ) Sur le seos de ce motif voir L, Steinberg, Le ronal de Crit opt, 155-157 {65} C Contin, « Appontisulfimmagioe devorionale bszo-padane» dans Cai mina! 4 arigianco ree ge dergonall «spite dal eulurseemove alla xb sla (Catalogue de Vexporiion dv musco civico Polzoniano, San Benedero Po (Mancow), 1978, p03, (66) Sans pater des fesques détachées, Ans i Gionzana la Viesge au lat, déposte sur toile, ve trouvat sur le méme mar doit qi'ane Figure de S. Antoine abbé. Dans le méme twdee didee, 4 Boleano Novates, dans Féglte de San Marco, su le mur sud gui porte la ‘Verge alacant, appara une septceentation de sting Deliberatz Ayulernene vendste come proteetrce des fermes en couches (G-B. et FM. Ferro, Affect! nomi a. ols p72, fig 62). On reirouve lex deux sujets en vise, & fin du xv sgl, dans Tels, toate proche, de 8. Maello 4 Parszzato. ‘GD T. Beramini, «Ii pitore della Madonna di Rew, dans Osllns 1,2 (1973, p. 70. 167 dune maison particuliére de Ronco di Trontano, en Val @’Ossola, & quelques kilométres de Ré, comme celle de Péglise de S. Martino 4 Bol. zano Novarese, datée de 1403, sont si proches de la madone de Ré ‘qu'elles ont pu tre attribuées, i tort, au méme peintze (58). La constance du modéle iconographique se poursuit dans toute la province jusqu’’ la fin du siécle, avec des variantes mincures (59), Pourtant, si toutes ces cuvres copient le modeéle local prestigicux, elles cen ont changé la signification profonde. La madone de Ré porte en effet un attribut qui ne laisse aucun doute sur V'interpeétation de Vimage : un phylactére, que tient Jésus, sur lequel on peut lire In gremio mats sees spinta pars. Le thme de Vallaitement virginal slinserit dans celui du don de la sagesse divine, Parmi tous ses épigones, seule la fresque de Pombia com- porte un phylactére mais Finscription y est.trés différente : sabe regina ‘misricorde. Bt dans la main de la Vierge, les trois roses ouges de Ré sont devenues trois lys blancs, premier glissement du symbolisme vers un sens plus familier, celui de la conception virginsle de Marie. A Ronco, a Bol- zano, comme plus tard 4 Carmine Superiore, le tréne et Vajout d’une couronne, tous deux disproportionnés, sont les seuls vestiges de la ma- jesté de celle qui porte en son sein la « Sagesse du Pére » Il semble que Je modele iconographique agisse comme un référent sacré, dont on te- tient soigneusement les motifs efficaces, les regards de la Vierge et de Enfant fixés sur le spectateur, le sein dont la vision éloignait tout influx néfaste, et enfant vétu, debout, comme ces saintes poupées florentines dans lesquelles C. Klapisck-Zuber voit des objets destinés notamment a favoriser la naissance d'enfants miles (60). Le souci croissant de traduire la familiaité et la tendresse qui unissent a Mére et son fils, en rapprochant progressivement leurs visages favo risent le plissement vers une iconographic intimiste qui s'éloigne de la rigidité hiérasique de V'icdne initiale. Déja a Gravellona Toce, la Vierge, debout sans couronne, entoure son fils de ses bras. A Carmine Superiore, le souvenir de Ré n’est pas perdu, comme en témoignent la frontalité, enfant vétu, la fleue trplic, Ia blondeur de la Vierge et de Jésus, le dais (G8) T. errand, «pte della Madonna di Re», att, p. 63-77 9) A Ronco, comme i Pombis, la fleur iplice ext diferente ete geste et inverse. Et surtout le phyaetre a espera. Les couleurs diftent auss, A Dreso, le sein dela Viewge & volt selon les consignes du concile de Treat (60) Ch, Klapisch-Zuber, «Les sintes poupées: jeu et dévotion dans la Florence da Quartrocento», dans J-C. Margotn ex P. Ants (Gd), Le dl Rena, Pais, 1983, 65-79, repis dans La maine nom, Pats, 1990, p, 291307 168, endu deriére cux, mais on constate un nouvel effort de réalisme dans la position de PEnfant et le traitement du sein, L’Enfant ne bénit plus, Ia fleur dlevient un atribut, le manteau est simplifié. Cependant, Fimage engendre limage, Selon un phénoméne strictement iconographique, dans Pane des fresques détachées, aujourd'hui conservée dans Téglise parois- siale de Careggio, saint Antoine de Padoue a pris la place de saint Antoine abbé au cété de la Vierge qui dorlote un bambino & demi nu, A la fin du siécle, Pévolution est consommée comme le montee la fresque de Véglise de S. Giuseppe de Borgomanero datée de 1484 (61). Le théme icono- graphique s'est dissouit dans une image intimiste montrant In tendresse de la Mére pour Enfant, qu’ircame dabord la rupture de la fronta- lité (62). Les motifs symboliques comme la fleur ont disparu, Le tréne se réduit un banc sur une estrade et la Vierge caresse son fils qui la regarde. Y a-til eu perte de la valeur apotropaique de Vimage avec I"evo- lution de-son type iconographique, ou plutdt changement d'attribution ? Cette méme année 1484, alors qu’une grande épidémie de peste frappe Ja province de Novare, un sanctuaire justement dédié & J» Madonna del latte est érigé & Gionzana, par les seigneurs locaux, les Tettoni (63). Qua- tre ans plus tard, en 1488, la Vierge allaitant entre saint Roch et saint Grato peinte par Giovanni Antonio Merli dans Péglise de Paruzzaro (fig. 3), 4 quelques kilometres de la Vingp lactans archaique de Bolzano, confirme cette évolution (64). Le mivacl comine garantie d'effcacit : Cravegpa 1492 Lihistoire bien documentée de Vimage firaculeuse de Veglise de Cra- vegna petmet d'allet plus loin (65). On la connaft essentiellement par deux textes aujourd'hui conservés dans I’Archivio diocesano di Novara, Us ont été copiés le 18 novembre 1599 sur les documents authentiques (GL. Chicon, « Borgomanera, Chiesa di S. Giuseppe. La Madonna del Late 0 La Madonna delle Gazi», dans Novarin, 14, 1984; P. Zanetta, La csi iS. Gianppe in Bare oman, Borgomaner, 1584 (2) Sur cere nouvelle icdnographie au tournant des XV-XU" siécles voir B. Canestro Chiowenda, «1 eappelleva dela Madonan del lite alla Ghisiola, Callocon dans Orelans, KV, 4, (1985), p 175178, (6) A. Stoppa, Le Madonna del Latu « Giogone i Never, Novare, 1968, La fresque panyme,atrceS Fomeso Cagaala st dice ves 147-1488, Deporte our wile eentounée ‘Tune comiche en marbre, qui en souljgat Iimporance dévosonnelle, alle a & voles en wr (64) GeB.eCEM, Ferco, Affi mason spss, 9. L Rabbolini, Affe quatnsratc snl Nore San Mana Ponca, tei di laura, Universiti Caton de Milan, 1981-82 (G5) T. Beruamini « Pede e Aste Ceavegna» dias Oscllon, 11, 1981, p. 123142. 169 par le notaire Antonio Bonino sur Vordre du célbre évéque Carlo Bas- capé en visite pastorale & Cravegna (66) Le premier, en latin, est contemporain des faits qu'il rapporte, Le 20 décembre 1492 (vigil de saint Thomas) un jeudi a Vheure des vépres, image de la Vierge allatant Enfant se met spontanément a pleurer et russelle ainsi pendant tccis jours. Le phénoméne est classique, on en connait moult exemples. En dépit du froid, es larmes de la madone et de son Fils ne gélent pas. Le miracle se reproduit le 28 décembre encore pendant trois jours, puis le 4 janvier 1493 et le 11 janvier. Alors le vieaire général de Peveque de Novare, Giovanni Michele degli Alipesndi, est appelé pour constater les fait. Tl arrive & Cravegna, le 18 janvier, aceom- pagné du chapelain de Véréque, le pére franciscain Theodoro Alemano, de son chancelies, Antonio Amidani qui rédige le texte, et du podestat de la vallée. Les visiteurs en pritre assistent au miracle, Et le vicaire général touche la fresque de ses mains, quill montre trempées a lassi tance. Le second texte, recopé grice 4 attention de Carlo Bascapé, est le Sonmario di aleuni miracoli compilé par Vhumaniste Giovanni Antonio Grandi vers 1520. Il rapporte une autre série de miracles familiers : Vimage disparait par trois fois avant de retrouver ses couleurs, et surtout iLatteste son nouveau pouvoir thaumatugique : douze guétisons at total, toutes réalisées entre févrer et mats 1493, Renseignement précieux, le document nous indique que la fresque se trouvait désormais a Vintérieur de Péglise, dans la-noavele chapelle aménagée & son intention, lors du miracle de la disparition, le 28 janvier 1493. Résumons les points décisifs dans cette affaie. D’abord, i sagit d'un phénoméne spontané dont la réputation est immédiate. Puis, il fait trés sapidement objet d’une intervention officielle des autorités ecclésiasti- ques ~ noublions pas qu’ cette époque c'est le vicaire général qui ad- ministre réellement le diozése de Novare, et non Vévéque. Ici, 'Eplise assume totalement la gestion du miracle et manifeste la volonté de vérifier la validité des événements surnaturels & Laide de témoignages concrets que fon a soin de présenter comme absolument dignes de foi, comme Je montre aussi l'étude d’Anna Pestalozza sur le crucifix miraculeux de Santa Prassede, 4 Milan, pcur une époque plus tardive mais pour la région lombarde voisine (67). (69) T Beramini, «Fede € Arte», ar. 6, p. 140 note 345 Arita dra di Noor ‘Aue i visia T. 46, p. 223-235, noe 3. (6 A. Pestalozza, «Stora daa devosione il Crcifisso miriclosa di Santa Prassede Mino », dans Aine Stra Lombardy, 8, 1991, p, 105-124, 170 Diautre par il s'agit d’une image sécente. Le texte latin précise qu'elle 4 &té peinte en 1486. Mais loin de suivre lévolution de gost, elle reprend tune iconographie éprouvée qui montre l'enfant vétu, se tournant vers le spectateur. Et le miracle recharge en quelque sorte la « puissance magi que» de Vimage qui devient thaumaturgique. Il donne lieu enfin, 4 une véritable mise en scéne de Ia peinture, découpée du mur quasi immédlia- tement, afin dassurer sa propre protection et dorganiser sa venération. és lors, dévotion et vénération sont indissociables de prophylaxie. Mais dans une société qui a besoin de toucher pour croire (68) ~ et méme pour voir ~ déplacer limage 4 "écart du public, c'est la protéger, la mettre 4 Pabri dans la pénombre du sanetuaire en lui assurant tout a la fois une indispensable sauvegarde et ce que A. Dupront appelle « Iloignement sacralisant » (69). Tout se passe comme si on voulait éviter cet imper- ceptible glissement qui, par la pratique, conduit & transformer Fimage en objet apotropaique. Enfin — et surtout ~ il ne s'agit pas d’an phénoméne isolé. A peine ua an plus tard, une autre image de la madone allaitant, la plus fameuse de la ségion, celle de Ré, est & son tour « habitée » par la puissance divine. Mais c'est une tout autre histoire. Le lait ef le sang : le miracle de Ré, 1494 Le 29 avril 1494, un mardi, Himage de la madone que nous avons vu, encore a sa place en facade de Péglise paroissiale, 4 droite de la porte cexactement sous le portique de l'église, commenga 4 saigner au front aprés qu'un certain Giovanni Zucono eut jeté une pierre contre la pein- ture, L’écoulement merveilleux dura plusieurs jours, exhalant une odeur suave. Le podestat de la Val Vige2z0,"Daniele de Crispis, citoyen de Milan, vint en personne constater les faits et vérifier quils n’étaient pas dus 4 quelque artifice. Convaincu de Pauthenticité du miracle, il en fait mettee par écrit une attestation contresignée par quatre notaires (70). Le demier des cosignataires, Pietro di Balcone, none et chancelier du po- destat, Sait originaire de Craveggia un peu plus au nord dans la Val ‘Vigezzo of les habitants vénéraient aussi une Virgo lactans miraculeuse, conservée dans I’éplise paroissiale de Santa Maria Maggiore (fig. 4) 71). (68) Come le font les devote aupes des eeliques, ef. A. Vauchex, oct, p. 273 (9) A. Duproat, Ds it. Cried t pring Image of lenges, Pas, USE, p43, (00) Voie er Madina Sap, Re (Oss) 19, Eine crc dei decane el Mir, Domodossol, 1985 et surtout P-Bondiali «Il conto lomburdo alle prove del sineolo Ai Rem dans Memori ite dle doe oh Miler, 1, 1984, p. 210-25, (71) La séparton de Cerveggia et de Sata Maria Magriore qs eut lieu element a3 im ‘Comme a Cravegna, on constate le méme souci de verifier la valdité des événements supranaturels 4 Vaide de témoignages au-dessus de tout soupgon, puis de les présenter de fagon précise et détaillée dans des textes officiels quasiment codifiés. Précisément en cette fin du xv" sic, les théologiens s/inquiétent de Vorigine de nombreux miracles accomplis par les images et de leurs conséquences sur la piété des fidéles (72). Sans doute fallat-i éviter toute critique ? Comme & Cravegna, encore, on dé- tache la fresque du mur de la fagade de ’épise, sur laquelle elle se trouvait et on Ia place 4 Tintérieur de Pédifice, sur un autel of on a soin de Penchasser dans un cadre doré (73). ‘Mais a Ré, les premiéres autorités d intervenir sont les autorités civiles, ce qui renforce la cohésion sociale autour de Foruvre. Et il s’apit d'une image ancienne, vénérée comme telle, et trés admirée. D'autre part, le miracle n’a rien de spontané. Tl s‘inscrt dans une longue tradition dima- ‘ges qui saignent quand on les frappe (74). Bien si, il y a un lien évident entre le sang et le lait dans Part chrétien (75). Dés le xiv" siécle, la Vierge est représentée exhibant son sein tandis que le Christ montre sa plaie comme c'est précisément le cas dans le Jugement dernier de Péglise de S. Marcello 4 Paruzzato (76). Entourant Vimage de Dieu le Pére, Pépée 4 la main, la Vierge tend son sein et le Christ a genoux montze ses stigmates (XVI siécle). Si on peut noter Péquivalence du lait et du sang, comme moyens d'intercession, on retiendra surtout Fimportance révéla- trice du sang. Crest parce que la madone du lait est devenue « Madonna del Sangue » qu’elle continue @ jouir d’une grande vénération aujourdhui alors que celle de Cravegna est tombée dans loubli ‘Ainsi, a Cravegna comme 4 Ré, le miracle n’est pas un phénoméne gratuit. Ila pour conséquence immédiate, sinon pour fonction, de revéler but du x0 sidle ne ft pas effective. Pour tute les fe es habitants devant rejoin Santa Mara Maggiore. CET. Benamie, « Origine dele Pasrache della valle Vigezo m, dans [Norarin, 2, 1968, p. 181, Pa alr, la frerque et ln seule Vino latans de la province repreone Fnscrpdion de la peinoe de RE (2) Ainsi Gabriel Bil (f 1455) leson 49 su le canon de la mee (73) On procéda de la méme fagon pour les autzes Vig latans miraculeases de I peo- vince: dans éise 8. Giuseppe de Bocgomanero (1484) dans le sanctaie dela Madonsa del Lute de Gionzana, dass Téglse paroisile de Sta Meria Maggiore (Gg. 4) et dans le sancrusire de la Madonna di Cempagea & Palana. Sur cete pratique, voir M. Warne, ‘Claliniche Bildtcheonakel», dans Mdncar Jab, 19,1968, 61-102 (4) Par exemple, a Verge & Enfant de léglise de S Satizo 3 Mian (1242) oa la Madone allan dela eathedrle de Lodi (1448) pour ne citer que des images su le méme theme, 3) J Wit, mae miso, Nesrane of dasopemen (12 ee, ase, 1989, p37. (8) Sur la peintace de Paruzaeo, voir L. Rabbolini, Affe guatmcnt ml Novant, pu 172 Ia puissance de image. Selon les cas, il investit Pimage récente de ce «pouvoir» quill cautionne, ow il « recharge» d’une nouvelle efficacité thaumarurpique, Pimage ancienne. Quand cette opération sfavére-t-elle nécessaire ~ autrement dit combien de temps les pouvoirs apotropaiques dune image durentils ? Impossible de le dire. Il semble bien que ce soit In pression d’événements extéricurs, traumatisants, une épidémie de peste par exemple, qui joue le rle de déclencheur de ces miracles probateurs. Quoi qu'il en soit, ce «pouvoir » n’est efficace que si Piconographie est codifige. Mais il est contagieux. Par la vertu de miracles qui touchent quelques-unes centre elles, Pensemble des Madonna del latte tend & jouir une réputation miraculeuse. ’en veux pour preuve la denomination de Madonna dele grazie accordée 4 ces images 4 la fin du xv" siécle, ‘Au terme de ce sondage, 'ai conscience d’avoir seulement ouvert une beéche dans un domaine immense, mais jespére au moins avoir montsé Ia complexité et la flexbilité de ce type usages, qu’on ne peut se con- tenter de qualifice de superstitieux. Beaucoup plus frequents qu'on ne le soupgonne généralement, ils participent aussi bien des rites civiques que des fonctions religieases. Outre Vindéniable fonction sociale quis assu- ment en réanissant tout un village autour de «son image », ils offtent tune réponse a un besoin profondément ancré dans le christianisme mé- digval : Ia quéte du salut 173 ig. 2: Vigo lactan, resque anonyme, début do XV" sitcle, Ronco di Trontano (province de Novare), maison rurale Fig. |: Veritions sur la croix e saint éveque (Apollinaire 2), fresqu, oale véronsse, ddeuitme moitié du XIV’ sigcle. ARCO, égise de Sant’ Apollinaie Prabi (Tentn), 174 Fig. 3: Virgo lactans,fresque de Giovanni Antonio Mel, signée et datée 1488, Paruzzaro (province de Novare),église S, Marcello, e miraculewse, fresque dépose, fin XV" stele re (province de Novae), false parcissiale 176 W7 CAHIERS DU LEOPARD D’OR Collection dirigée par Michel Pastoureau 5 LIMAGE Fonetions et usages des images dans l’Occident médiéval Actes du 6° « International Workshop on Medieval Societies », Centre Ettore Majorana (Brice, Sicile, 17-23 octobre 1992) sous la direction de Jéréme Baschet et Jean-Claude Schmitt LE LEOPARD D'OR 8, rue du Contd, 75014 Paris wg

S-ar putea să vă placă și