Sunteți pe pagina 1din 119
LA COLLECTION « BANG D'ESSAIS » EST DIRIGEE PAR JEAN-JACQUES ROSAT Jacques Bouveresse Essai I. Wittgenstein, la modernité, le progrés & le déclin is I. L-épogue, la mode, la morale, la satire Essais UL. Wittgenstein & les sortleges du langage Esais IV. Pourquoi pas des philosophes? Esais V. Descartes, Leibnie, Kant Bourdieu, savant & politique Peut-on ne pas croire? Sur la vérité, la croyance & la foi Satire & prophéte : les voix de Karl Kraus Michel Vanoosthuyse Fascisme & littérasure pure. La fabrique d'Ernst Jinger John Newsinger La Politique selon Orwell ‘William James Esais dempiriome radical Morita Schlick, Forme & contenu. Une introduction la pensée philosophique Max Weber & Isabelle Kalinowski La Science, profesion &- vocation ets K. Bouwsma Conversations avec Witgenstein (1949-1951) Karl Kraus Troistme nuit de Walpurgis © Agone, 2008 BP 70072, F-13192 Marseille cedex 20 ISBN 978-2-7489-0082-8 Jacques BOuvERESSE La CONNAISSANCE DE L’ECRIVAIN Sur la littérature, la vérité & la vie Les réflexions qui composent ce lure sont pour parte trées ou travail ‘effectué pour la préparation du séminaie qu'a donne lacques Bouveresse ‘au Colige de France au cours de fannée 2004-2005 sur « Lalntérature, la connassanceetaplilosophie morale» Le taal en queston adonné lew & une publication trés parle, sous le méme tive, dans Ethave, ligérature, we humaine (recuel rig par Sandra Laugier, PUF, 2006), «La version qui suit a 6 remaniée. développée et complétée de fagon Jimportant; et. méme sje suis loin den éte ertiérersert ststa. ele se ‘approche nettement plus de ce que je me propos au départ de fare, sans étre tout fat certain & tre capable dy parvenr. Une fs ce plus je dois des remerciements spécaux d Jearjacques Rosa. qui ma convaincy de intr8t qui pouraity avoid pubser ces réeons, ass ragrentares cethéstantes qUeles pussent dre, quia efectué sur le texte un travail de organisation tr impertant et dot les remarques et ls suggestions ont controué pour une part essentisle son améSoration.» 18, Les notes en chifres arabes, reportées pages 227-230, donnent les relérences des textes et propos otés Les ouvrages les plus cités sont mentonnés auf du texte sous la forme , « libérer Pessence des choses », etc.), qui est comparable & celle qu'on a habicude d'actribuer plurde a la philosophie; ou, au contraire, d'une connais- sance que l'on peut appeler, dans un sens lictéral ow modifié de fagon appropriée, « expérimentale »? Il n'est tout simplement pas vrai que la réponse essentialiste s'impose immédiacement comme étant la seule pos- ble. Ce n'est, en rout cas, pas celle de la plupart des écrivains, quand ils essaient, implicitement ou explici- tement, de proposer une réponse, et ce n'est pas non plus celle de cous les philosophes de la littérature, y compris lorsque l’idée que l'on peut et que l'on doit a8 La connainiance de Vécrivain attribuer la liteérature une valeur et une fonction pro- prement cognitives ne suscite, chez eux, aucune réticence et aucun doute. La conception selon laquelle la livérature est en mesure de nous communiquer une forme de connais- sance spécifique et méme absolument unique en son genre, quia sur celle de la science Vavantage d’étre a la fois essentelle et immédiate, fait partie de celles qu'un écrivain comme Musil a combattues avec une énergie particuligre et, me semble-t'il, avec les meilleures raisons quisoienc. « La création littéraire {Dichtungl, écri-i, ne ‘transmet pas le savoir et la connaissance. Mais : la créa- tion littéraire utilise le savoir et la connaissance. Et cela veut dire, ceux du monde intérieur, naturellement, cexactement de la méme fagon que ceux du monde exté- rieur. " » Mais il lui ese artivé aussi de parler de la érature comme si elle pouvait étre elle-méme un moyen de connaissance, ce qui constitue, 4 mes yeux, bien moins la preuve d'une inconséquence que celle de la difficuleé extréme & laquelle se heurte lidée de donner une réponse simple et catégorique & la question posée. Ainsi écrit-il par exemple : « Dans la mesure ot la ceéation littéraire transmet une expérience vécue, elle transmet aussi une connaissance ; cette connaissance n'est certes pas du tout la connaissance rationnelle de la vérieé (méme si elle est mélée avec elle), mais toutes les deux sont le résultat de processus orientés de la méme fagon, érant donné qu'il n'y a justement pas un monde rationnel et en dehors de fui un monde irra- tionnel, mais un seul et unique monde qui contient les deux choses. " » ne faut, en tout cas, pas se laisser tromper parle lan- gage heideggerien utilisé dans des déclarations comme celle que cite Bourdieu : dans le discours que l'on a com- mencé a entendre il ya une dizaine d’années sur ces ‘questions, il ne sagissait en réalité de rien d’autre qu'un 53. Conception exsentialite et conception expérimentale 29 retour & la conception humaniste la plus classique et la plus contestable de la fonction de la litérature, Si elle avait perdu apparemment, pendant un temps, toute esptce de dehors la littérature en a maintenant, semble- il, retrouvé un, le seul qui soit digne d'elle. Il n’a évi- demment toujours pas grand-chose & voir avec la réalité, au sens ordinaire, qui n’intéresse que le sens commun et la science, et coincide plutér avec ce que certains appellent maintenant pompeusement la transcendance, tun mot dont on peut se demander justement s'il satis- fait autre chose que le besoin d’étre excité de fagon épisodique par des noms, auquel se réduit la plupart du temps, d'aprés Musil, lidéalisme. ‘Au premier rang des éléments qui ont contribué & introduire, sur ce point, la confusion la plus complexe, oon peut citer la tendance, caractéristique de certains cou- rants postmodernes, & ériger la littérature en une sorte de genre supréme, dont la philosophie et la science elles- mémes ne sont au fond que des espéces. Dans 'idée que on se fait de la situation, chacune des trois disciplines a exactement autant ou aussi peu de rapport avec la vérité que les autres et se préoccupe uniquement d’in- venter de bonnes histoires que nous honorons, dans cer- tains cas, du titre de « vérités » uniquement pour signifier qu'elles nous satisfont et qu’elles nous aident, d’une manitre ou d'une autre, & résoudre les problémes que nous avons avec le monde et avec les autres hommes. Une des conséquences les plus remarquables de cette conception ~ qui s'exprime généralement dans le cli- ché selon leque! la science, a philosophie et la littérature sont « embarquées sur le méme bateau » et fonc la méme chose, simplement par des moyens un peu différents ~ a &é de déxourner Pattention de ce qui semble consti- tuer, justement, la question cruciale. Pourquoi avons- nous besoin de la lieérature, en plus de la science et de 30 La connaissance de Uéerivain la philosophie, pour nous aider & résoudre certains de nos problémes? et qu’est-ce qui fait exactement la spé- icité de la littérature, considérée comme une voie d'ac- ces, qui ne pourrait étre remplacée par aucune autre, 2 la connaissance et & la vérité? On peut poser la question dans les termes que Martha Nussbaum utilise & propos de La Coupe d'or de Henry James : « Supposons que ce roman explore (...] des aspects significatifs de Pexpérience morale de ’étre hhumain, Pourquoi, peut-on encore se demander, avons- nous besoin d’un texte comme celui-la pour notre travail sur ces questions? Pourquoi, en tant que per- sonnes intéressées par Vidée de comprendre et de se comprendre, ne pourrions-nous pas dériver tout ce dont nous avons besoin d’un texte qui ¢noncerait et argu- menterait ces conclusions concernant les étres humains de fagon simple et directe, sans les complications du caractére et de la conversation, sans les complexités sty- listiques et structurales du texte littéraire — pour ne rien dire des obliquités, des ambiguités et des parenthéses de ce texte littéraire particulier? Pourquoi souhairé-je introduire, au nom de ce texte, laffirmation qu'il est philosophique? Et méme si cette affirmation devait m’étre accordée, pourquoi devrions-nous croire qu'il est uune ceuvre majeure et irremplacable de philosophie ‘morale, dont la place ne pourrait pas étre complérement remplie par des textes que nous avons "habitude dap- peler philosophiques? » (x. 138) Je ne crois pas que la conception essentialiste que j'ai critiquée permette d’ap- porter ne serait-ce qu'un commencement de réponse & cette question, Sans chercher pour le moment & étre plus précis sur ce quill faut entendre exactement par « philosophie morale », pourquoi avons-nous le sentiment que les ceuvres littéraires — ou, en cout cas, certaines d'entre elles sont susceptibles d’apporter une contribution qui 93. Conception exentialiste ex conception expérimentale 34 n'a pas d’équivalenc ailleurs, et surtout pas dans la phi- losophie elle-méme, & la philosophie morale? Un des éléments de réponse que 'on peut apporter& cette ques- tion est que notre expérience et notre imagination morales resteraient, de fagon générale, beaucoup trop pauvres si clles s'appuyaient uniquement sur le vécu et |a réalité, ct quelles ont besoin d’étre & la fois élargies, enrichies et approfondies par le recours & Ia fiction lit téraire, « La littérature, dit Martha Nussbaum, est une extension de la vie non seulement horizontalement, mettant le lecteur en contact avec des événements ou des lieux ou des personnes ou des problémes quill n'a pas rencontrés en dehors de cela, mais également, pour ainsi dite, verticalement, donnant au lecteur une expé- rience qui est plus profonde, plus aigué et plus pré- cise qu'une bonne partie des choses qui se passent dans fa vie. » ux 48] Iy adailleurs eu des philosophes, et Wittgenstein en est un exemple typique, qui attendaiene manifestement beaucoup plus des grandes ceuvres de la littérature pour alimenter et orienter Ia réflexion morale que des productions de la philosophic morale. Wittgenstein remarque 4 un moment donné que ce qui est le plus étonnant dans les livres sur I'éthique est qu'on n'y trouve souvent formulé et discusé aucun probléme &thique. Si Pon en juge d’apres ses propres références, sa tendance personnelle était de se tourner plutdt vers la liteéracure, en particulier vers des auteurs comme Tolstoi, Dostoievski ou Gottfried Keller, pour y trou- ver des exemples de ce & quoi peuvent ressembler un probléme éthique et la résolution d’un probleme de cette sorte. Eril ne pensait pas simplement que l'on peut trouver dans les ceuvres liteéraires un matériau précieux cet méme irremplacable pour nourrir la réflexion morale, mais également qu’elles sont capables d’apporter une n La connaissance de Véeriva contribution essentielle & la réflexion elle-méme. C'est aussi, je Pavoue, de cette fagon que j'ai personnellement tendance & considérer les choses. §4. Peut-on parler de vérité en littérature? LaMARQUE & OLSEN — PUTNAM Dans Truth, Fiction and Literature — oit les auteurs défendent Vidée que « le concept de vérité n’a pas de réle central ou inéliminable dans la pratique critique » [7 1), Lamarque et Olsen ont reproché une bonne partie de la théorie lietéraire contemporaine de déri- ver des conclusions concernant la littérature qui sont empruntées & la métaphysique et & I’épistémologie. Ex, quand on parle de conclusions empruntées & la méta- physique, il faut, bien entendu, y inclure celles qui résultent de Pentreprise de déconstruction de la méta- physique. Car, méme si l'on a eu souvent, dans la période récente, impression du contraire, il n’y a aucune raison de croire que la théorie littéraire a plus a voir avec la déconstruction d'une notion réputée meétaphysique comme celle de la vérité qu’avec la vérité clle-méme, Comme il I’écrivent, « ce n'est pas une coincidence si des attaques contre la conception humaniste de la lierérature sont allées de pair avec le $4. Penton parler de véritéen littérature? ” développement de théses concernant la vérité, la lité, Pexpression, la représentation, la fictionnalité, et ainsi de suite, car les attaques de cette sorte reposent sur la supposition que Pidéc de la vérité est une parti intégrante de la conception humaniste. C'est ainsi que nous trouvons la théore littéraire en train de dépen- set des efforts considérables, par exemple pour critiquer le réalisme, & la fois liteéraire et métaphysique, ou contester la notion d'un monde objectif, ou saper les fondements de I'idée d'un sujet de 'expérience ou de la connaissance, ou “déconstruire” la distinction entre philosophic et fiction, ou attaquer les idées de référence et de représentation, et ainsi de suite. Mais s'il n’y a pas de lien essentiel entre la littérature et la vérité, alors route cette entreprise intellectuelle ne peut apporter qu'une contribution marginale & la théorie littéraire congue comme rhéorisant sur la littérature. L'erveur fondamentale est de supposer que vous avez besoin d'une théorie épistémologique ou métaphysique bien développée ~ sur la vérité ou le monde ou le moi — avant que vous puissiez vous prononcer sur les valeurs de la liteérature ou, dans une veine plus théorique, éva- luer les mérites des conceptions de la lictérature du type “pas-de-vérité” ou “pro-verité”. Le soutien apporté en. ‘ce moment, parmi les théoriciens licéraires, aux théo- ries “pas-de-véricé” de la littérature dérive bien plus d'un scepticisme & la mode concernant la vérité et la réalité (il n'y a rien de tel que la vérité, le monde, 'ob- jectivité, "expression de soi, etc.) que d'une conception claire de la litcéracure elle-méme » (7F..2-3). Je n’entre pas dans les détails de la critique formulée dans le livre contre la théorie de la vérité romanesque, autrement dit, la théorie d’aprés laquelle le romancier se réfere a des personnes et & des choses au sujet des- quelles il formule des assertions factuelles qui peuvent, comme routes les autres assertions factuelles, étre jugées M4 La connaissance de Véerivain, dans la dimension du vrai et du faux. La théorie tire sans doute une partie de sa plausibilité du fait que les romanciers se sont constamment accusés les uns les autres d’écrire des choses qui me sont pas vraies, om dépit du fait que les ceuvres qu’ils ont écrites appacte- naient toutes pareillement a la catégoric des ccuvres de fiction, Henry James parle de «lillusion de la vie » et de « Pair de réalité » comme étant « la vertu supréme @'un roman » (7,284). Les romanciers de Yespéce qu'on appelle réaliste accusent fréquemment les autres roman- ciers de produire des ceuvres qui sone fausses. Mais ils ne sont pas les seuls & le faire. Virginia Woolf a atca- qué des auteurs comme H. G, Wells, Arnold Bennett et John Galsworthy en leur reprochant de manquer de vérité :« La vie, ditelle, [leur échappe, et peut-étre que sans la vie rien d’autre n'a de la valeur. » (1A. 294). Le critére utilisé par les auteurs qui parlent d'un manque de vérité dans ce sens est la ressemblance : les choses ne se passent pas du tout de cette fagon-li dans la vie, Mais, comme le fone remarquer Lamarque et Olsen, la similicude n'est pas une relation référentielle : « Test indiscurablement vrai [...] qu'il ya des gens dans le monde réel qui sont a bien des égards semblables & Philip Swallow et 8 Morris Zapp dans Un tout petit monde [de David Lodge). Il peut méme y avoir des professeurs d’anglais dans la jet-set académique qui res- semblent & ces personages & rous égards. Mais la res- semblance, ou méme la coincidence complete n'entraine pas la référence ou la dénotation, encore moins le fait de chercher & énoncer des vérités.»(0] Evil faut remar- quer également que les questions de genése sont une chose et les questions de référence en sont une autre. Un romancier peut par exemple, et beaucoup de romanciers Ie font, raconter des événements qui lui sont réellement arrivés, mais ce que l'on peut savoir la-dessus concerne la gendse de eeuvre et ce qui a incité auteur I'écrire, St. Pewt-on parler de vértd en littérature? ss David Lodge s'est siirement inspiré en grande partie événements qu’il a vécus lui-méme dans le monde universitaire et dans celui des congrés internationaux. Mais, comme le disent Lamarque et Olsen, « le fair que ces événements ont inspiré le roman, que Lodge doit avoir eu ces événements a esprit quand il a écrit, n'est cependant nouveau ni nécessaire ni suffisant pour éta- blir que le roman se réfere & ces événements ou formule des assertions vraies les concernant » (ti). Tl faut enfin distinguer la référence de lexemplification, Il est tout a fait possible que des objets réels exemplifient certaines des descriptions qui sont constitutives des entités fic- tionnelles. Mais cela n'implique pas que les énoncés de la fiction dénotent des objets de cette sorte ou s'y réfe- rent et affirment des choses qui sont suscepribles d’étre vraies & leur sujet. Lamarque et Olsen constatent que « nila version tra- ditionnelle ni la version postmoderniste de la théorie de la vérité romanesque, ni la doctrine du réalisme lit- téraire n’ont jusqu’a présent fourni une explication satis- faisante de Paspect mimétique de Pccuvre littéraice. Elles n'ont pas réussi 8 établir que c'est un objectif constitu- tif de la litcérature d’énoncer des vérités dans un quel- conque sens comparable & celui auquel l'histoire, par exemple, vise & énoncer des vérités. En dépit des affir- mations de Richardson, de James, de Woolf et de Balzac, le romancier n'est pas une espece d'historien ; et, n’en déplaise & Hayden White, historien n’est pas non plus une espéce de romancier » (Tr. 22). Il n'y a sans doute pas beaucoup de romanciers ni de théoriciens du roman qui seraient préts & soutenir explicitement que le romancier est un historien d'une certaine sorte, et il y a probablement davantage de gens qui sont préts & considérer ’historien comme un romancier d’une cer- taine sorte. Mais cela ne fait, au fond, pas une trés grande différence. Si l'on pense que c'est le concept 16 La connaissance de Véerioain d’« histoire vraie » en général qui est devenu incertain et problématique, on aura tendance a estimer que le romancier peut 4 peu prés aussi bien que historien étre crédité de la capacité de raconter des choses vraies. Le probléme de la vérité dans le oman n'est cependant pro- bablement pas, en premier lieu, et encore moins uni- quement, celui de la véricé du récit. Ceux qui estiment que le roman est capable d’exprimer des vérités d'une certaine sorte pensent, de facon générale, plutdt 3 la possbilité qu'il a de représenter, correctement ou incor- rectement, ce qu'on appelle« a vie», que les événements qu'il décrt soient ou non réels, ou encore’ la fagon dont il peut exprimer des vérités qui sont de nature morale. Sion pense qu'une distinction comme celle du dis- cours réaliste et du discours fictionnel n’est plus réelle- ment utilisable, mais que le concept de « vérité » a encore un usage et reste méme probablement indis- pensable, on ne voit pas trés bien au nom de quoi on pourrait continuer 'appliquer & 'histoire et refuser de Vappliquer au roman. Mais ici la vraie question est de savoir ce que la philosophie a réussi, en s'appuyant sur le cas de la littérature, & faire réellement pour nous convaincre qu’il n'y a pas de distinction réclle & faire entre le discours qui prétend & la vérité factuelle et celui qui ne le fait pas. Sur ce genre de question, ma réac- tion est, je 'avoue, assez proche de celle de Putnam, qui pense que les philosophes, quand ils prétendent avoir déconstruit radicalement certaines distinctions usueles, Satribuent des pouvoirs quills ne possédent tout sim- plement pas: « La démesure (hybris) qui prétend qu'un petit nombre d’arguments philosophiques (bons ou mauvais) (...] pourraient réellement réduire & néant T'idée méme que la pensée a une référence & des objets cen dehors de la pensée et du langage — ou réduire & néant Vidée que nous pouvons parler des significations des choses qui sont dites, ou 'idée que les notions de bon Sa. Penton parler de vérité en littérature? x et de mauvais argument, de justification et de raison et d'autres choses du méme genre ont un sens -, cette prétention que toutes ces choses peuvent étre réduites Angant, ct Pont été, par une poignée d’'arguments phi- losophiques me semble étre un exemple d’arrogance & couper le souffle. 16 » I] m’est arrivé de parler moi- méme, sur ce point, d'exploits herculéens qui sont attr bués certains philosophes mais dont eux-mémes et la philosophie en général sont en réalité bien incapables. Je crois que C'est une erreur de supposer que ce que la philosophie ne peut pas faire contre des notions et des distinctions comme celles dont parle Putnam, la liteéra- ture le peut davantage ou qu'elle doit en tout cas sefforcer a’y parvenir. « Méme si je ne crois pas, écrit Putnam, qu'il soit correct ou honnéte de critiquer Derrida lui-méme pour cela, un bon nombre de professeurs de nos jours (aux Etats-Unis, on les trouve la plupart du temps, ai-je observé, dans les départements de littérature) semblent croite qu’on a découvert peu de temps apres 1960, 3 Paris, que la logique occidentale et la science occiden- tale étaient mauvaises. De fait, on a découvert & Paris peu de temps apres 1960 que I'idée qu'il y a un monde extérieur en face de nous était mauvaise. Pour qu'il soi ne setait-ce que faiblement raisonnable de croire que cela pourrait ére le cas (...], les arguments en question devraient étre meilleurs qu'ils ne sont — ils devraient, au minimum, ne pas étre évidemment vulnérables & la critique, 17 » Ayant vécu moi-méme avec étonnement cette découverte, je dois avouer que j'ai été sidéré par le contraste entre son caractére grandiose et la faiblesse insigne des arguments sur lesquels elle s'appuyait. On peut, bien entendu, essayer de s’encourager & Vindulgence en médicant le constat significatif de Compagnon : « Les littéraires ne se résolvent pas aux demi-mesures (ils sont peu dialecticiens) : ou bien

S-ar putea să vă placă și