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Lire l’épistolaire
De Marie-Claire Grassi, collection Dunod
Première partie
Perspectives historiques
Quel est l’intérêt des lettres, comment les étudier ? – Aborder la triple dimension : historique,
sociale et littéraire.
1. Les origines
Epistolaire du grec > epistellein sens de « envoyer à », par extension « tout ce qui
concerne la lettre ».
Parler d’épistolaire, c’est parler d’un genre d’écriture par lettre. Il s’agit donc de comprendre
l’articulation d’une pratique d’écriture, dont l’objectif est de communiquer une info, et une
poétique qui est recréation de cette écriture à une finalité esthétique et littéraire.
Rappel historique
Rapport lettre/civilité, politesse et édification de « l’honnête homme »
Ce qu’elle doit à la rhétorique générale du discours et définition des enjeux de la pratique
épistolaire
Rapport lettres/ littérature : 17°, la lettre est présente dans le roman La Princesse de Clèves
Comprendre le principe d’écriture d’une lettre, c’est cpdre la transposition de cette écriture
réelle ds la fiction romanesque, différente de toute autre, la lettre présente une spécificité, c’est
un acte de communication à distance, daté et circonstancié qui, à sa manière, recrée la réalité.
I. Quelques définitions
- Lettre « écrit qu’on envoie à un absent pour lui faire entendre sa pensée »
littera au +riel : « toute espèce d’écrit » au sens large
cum respondere : double référence à l’autre « répondre par retour ».
La réciprocité de l’échange est donc au cœur de la notion de correspondance.
- Epître : « lettre particulière en style grave/ sublime, souvent flatteuse si dédicatoire. Elle
s’apparente à la lettre ouverte, qd plus tard elle sera de nature polémique »
- Billet : « courte lettre écrite sans cérémonie dans l’affranchissement des règles de la lettre »
2. Le genre épistolaire, un genre ambigu
Il se définit comme un espace de l’entre deux, mineur sur le plan littéraire et expression d’une
sensibilité féminine. Pour Sainte-Beuve, l’épistolaire (et l’épistolière) incarne l’esprit mondain.
Au 15° : naissance des postes sous Louis XI . Poste vient de posita « ce qui est posé, relais qui
délimite une distance ».
Au 18° : taxe à distance selon poids est payée par le destinataire, d’où les excuses à propos
d’envois trop fréquents.
Au 19° : on écrit séparément à sa mère et à son père. La lettre pour +sieurs personnes se
généralise plus tard, en même temps que l’usage de l’enveloppe.
A l’époque classique, écrire est l’affaire d’une élite, de la noblesse…
A l’époque classique, écrire c’est tenir compte d’un code d’écriture. L’art d’écrire est l’héritage
de trois courants :
- Tradition des secrétaires ou recueils de lettres
- Rhétorique antique et art d’organiser un discours
- Enseignement des règles de la bienséances ( sur ouvrages de civilité)
Secrétaire :
Au moyen age : notaire particulier q s’occupe de la partie secrète de la correspondance. Il est, a
secretis, au secret.
A la renaissance : devient en Italie, un ouvrage issu de la pratique, d’où les secrétaires(ceux qui
écrivent des ouvrages de lettres, formulent les règles d’adresse).
Au 17° : le terme désigne « ouvrage q permet d’apprendre à écrire des lettres » Connotation
péjorative jusqu’au 19° . Le Littré « C’est un manuel contenant des modèles de lettres à l’usage
des pers incapables d’en rédiger d’elle même. ».En grec, manuel : « arme au poing », c’est en
ce sens que Rousseau définit les lettres de Julie que Saint Preux doit, à Paris, tjs avoir à portée
de main. « Ce précieux recueil sera mon manuel dans le monde où je vais entrer » Cf. La
Nouvelle Héloïse, Lettre XIII.
4. La lettre aujourd’hui
Rédaction d’une lettre comme lieu de contrainte et de maîtrise de soi. En trois siècle, passage
d’un art d’écrire pour plaire, réservé à une élite, à une pratique de communication
indispensable à tous, fondée sur des exercices. Glissement de l’utilitaire vers une évolution
dans l’art d’écrire. Mais qu’est-ce qu’une belle lettre ? Sans doute une lettre qui a trouvé les
mots qui conviennent pour dire, de manière perso, ce qu’il convient de dire. Toujours décence
Cicéronienne. Aujourd’hui manuscrite, elle est moyen de sélection de distinction : personnalité
de l’épistolier/ niveau de culture/ connaissance des us du monde.
En vigueur en Grèce dès le IV°. Première fonction importante est de véhiculer des idées
politiques/philosophiques (+/- lettre ouverte). La forme écrite du discours « adressé à »
s’inscrit dans les règles de l’art oratoire enseigné. La lettre doit sa naissance à l’art du dialogue,
forme 1° et fondamentale : convaincre. Quatre genres à Rome ( lettres à part mais servent de
référence) :
- narratif
- démonstratif
- affectif
- dramatique
1° exemple dans la littérature de lettres réelles élevées au rang d’œuvre littéraire : élément du
discours amoureux dans une opposition duelle originale. Ensuite on devra attendre Mme de
Sévigné. De même que Tristan et Iseult fonde sur le plan romanesque le mythe de la passion
amoureuse, la correspondance d’Abélard et Héloïse propose les éléments fondamentaux de la
lettre d’amour ; amour en tant que transgression sociale, en dehors de tout amour dit
« courtois ». Mélange du tu / vous, lexique respectif de la passion et de la raison, esthétique du
tragique.
Déclin du roman épistolaire, Mémoires de deux jeunes mariés, de Balzac est un des derniers
du genre. La lettre dans le roman, comme écriture romanesque à part entière, comme
expression de vérité et de réalité a laissé la place à l’introspection, au monologue intérieur
Princesse de Clèves . Le roman du 19 ° : introspection à la manière diariste et dialogisme qui
sont deux grande formes de la lettre.
Deuxième partie
La lettre réelle : rhétorique épistolaire
2. Taches de l’orateur
3. Parties du discours
1. Définition
2. Seuil de l’intimité
IV. La rhétorique épistolaire chez Flaubert (juillet 1851 à décembre 1858, vol II,
Pléiade)
La correspondance privée d’un écrivain, aussi grand épistolier du 19°, permet de voir comment
sont utilisées et personnalisées les marques classiques de l’intimité et du respect.
Quels que soient leur sexe , les très nombreux correspondants peuvent être classée en deux
catégories ; relations publiques plus ou moins conventionnelle et relation intime . Puis à
l’intérieur de cette typologie, les relations homo sexuées et hétéro. On peut donc dégager deux
ensemble : le 1° regroupe les marques de l’amitié masculine, le 2° celles de l’amitié féminine.
Ces quelques années de la correspondance de Flaubert montrent la force du lien entre écriture
épistolaire et convention. L’écrivain n’échappe pas au fait que l’écriture d’une lettre témoigne
d’un engagement social. Sa correspondance suit les règles classiques de l’écriture d’une lettre
fixée par l’usage. Elle montre aussi la sexualisation du discours
Troisième partie
Approches du style
Fin du 16°, le débat sur la style se résume à une opposition entre Cicéron et Sénèque. Faut-il
écrire dans l’ampleur et l’abondance ? Faut-il écrire d’une manière brève et concise dans le
laconisme des pensées ?
Au 17°, esthétique classique s’inscrit tout droit dans la mouvance d’une centralisation
politique : style noble et orné prôné par Vaugelas est destiné à une élite de cour. Cette élite
devient arbitraire du bon usage, on évite les « locutions basses » d’où style épuré, recherché, un
art de la parole qui se traduit par des périphrases, des litotes ou toute autres figures de styles.
On ne cesse de s’interroger sur le définition du style. Pour Cicéron, il y a deux genre
d’élocution, l’une travaillée l’autre libre . cf. Cicéron, Divisions de l’art oratoire,VI,19. Il
précise cinq points( références du classicisme) :
- la clarté qui est art d’employer les mots usuels « dans leur sens propre, qu’ils
soient dans une période parfaite, phrases coupées ou brèves incises… »
- la brièveté atteinte « par l’emploi de mots simples quand on n’exprime chaque
idée qu’une fois »
- la convenance « style qui n’est pas trop peigné…adapté aux caractères des
auditeurs »
- l’éclat « donne du lustre à la clarté »
- l’agrément « tient au choix des mots sonores et harmonieux et à la période
bien arrondie »
Au 18°, reprise de la définition du style de Furetière « manière d’exprimer ses pensées de vive
voix ou par écrit, les mots étant choisis et arrangés selon la loi de l’harmonie et du nombre,
relativement à l’élévation ou à la simplicité du sujet ». Distinction de trois styles :
- Simple
- Sublime
- Médiocre
Lettres fictives qui s’inscrivent dans une démarche littéraire précise, la parodie. Ces lettres sont
des lettres d’amour que s’adressent deux jeunes gens du faubourg parisien au milieu du 18°.
Style qui imite le langage du bas peuple. Réplique inversée du beau langage, style qui amuse et
fait rire. Il se caractérise par des effets de prononciation, déformations de mots (ex :
pricaution), néologismes et tournures populaires, argots…
Les 25 lettres échangées entre Jérôme Dubois « pêcheux d’la Guernouyère » et « Maneselle
Nanette Dubut » s’inspirent du cérémonial des lettres réelles et des poncifs du dialogue
amoureux.
En quoi consiste les grâces des négligences des lettres de la marquise, considérées aujourd’hui
comme un modèle ? Proche de la conversation, les deux maîtres mots sont : invention et
distanciation .L’épistolière joue avec les mots, les invente, les transforme.
- « rabutiner : écrire sur un ton plaisant à son cousin Bussy-Rabutin »
- « lavardiner : bavarder avec Mme Lavardin. Ex : j’ai dîné en lavardinage, c’est à dire en
bavardage »
Goût pour les subs. en –erie, utilisation de provençalismes, négligences syntaxiques. Style
coupé à la Sénèque allié au pronom indéfini permet de brosser le portrait d’une situation en
témoignant du mouvement et de la rapidité d’une action. Style célèbre pour ses suspensions :
Cf. lettre du 15 décembre 1670. Pratique de l’allusion, langage crypté d’une élite, pratique de
la maxime, du trait d’esprit.
L’écriture sévignéenne se caractérise par la création d’un langage , par la force du mouvement,
par le trait d’esprit tjs juste.
Quatrième partie
Types de lettres
I. La lettre d’amour
1. Caractéristiques
On trouve la lettre d’amour dans cinq situations effectives : amour passion, lettres entre
amants ; amour conjugal, lettres entre époux ; amour fraternel, lettres entre frères et sœurs;
amour parental, lettres entre parents et enfants ; amitié - amour, lettre en demande affective,
dans l’indécision et l’ambiguïté des sentiments.
Sur le plan du style, la lettre se marque par le rythme spécifique de l’utilisation des trois temps,
présent, imparfait, futur, par l’expression hyperbolique des sentiments, par la force du
dialogue, par l’impératif, véritable injonction amoureuse. Ex : Lettres d’ Héloïse ou Lettres
portugaises
La lettre est souvent un délire autorisé dans une écriture socialement permise et rituellement
autorisée. Ce délire amoureux est presque tjs prétexte à l’exploration méthodique de soi,
ex : « J’existe parce ce que je vous aime » écrit Julie de Lespinasse ; et malgré ses attentes
postales, Mme de Sévigné dit à sa fille : « Laissez-moi vous parler et causez avec vous, cela
me divertit, mais ne me répondez point »
Marianne, la portugaise, ne trouve-t-elle pas dans ses lettres le moyen de se consoler elle-
même du mal d’amour et d’absence ? Dans l’amitié – amour propre aux frontières indécises
des sentiments dans lesquelles excellent les femmes de l’époque romantique se retrouvent
transparence des cœurs et exigence de réciprocité.
Le fétichisme est enfin une incontournable réalité de la lette d’amour sacralisé. Sacralisation
double, elle concerne la lettre elle même, dévorée, enrubannée, baisée. Saint- Preux dévore la
lettre de Julie, ex : « On me dit qu’il y a une lettre, je tressaille, je la demande agité d’une
mortelle impatience ; je la reçois enfin. Julie, j’aperçois les traits de ta mains adorée. La
mienne tremble en s’avançant pour recevoir ce précieux dépôt. Je voudrais baiser mille fois ces
sacrés caractères. » La Nouvelle Héloïse, lettre XXI.
La sacralisation concerne aussi le fétichisme des objets d’amour évoqués dans la lettre, ex dans
le cabinet, Saint-Preux, baise mille fois les vêtements de Julie, lettre LIV.
A divers titre, La Nouvelle Héloïse est une longue méditation sur le temps : quel est la force
du souvenir ? le temps écoulé, les longues séparations, altèrent-ils les sentiments des amants ?
Pour traduire à la fois le temps intérieur et la temporalité externe(voyage, séparation), la forme
épistolaire se prête parfaitement aux évocations du passé, aux interrogations personnelles et
douloureuses sur l’évolution des sentiments.
En route vers Paris en compagnie de Milord, Saint Preux écrit une lettre d’amour à Julie,
Lettre I, seconde partie : début en vouvoiement et tutoiement à la fin, la conscience du temps
passé se traduit par les interjections et les interrogations ainsi que par le vouvoiement qui
accentue la mise à distance géographique et psychologique. Pourquoi cette conscience est-elle
douloureuse ? parce que pour Rousseau, le bonheur ne dure pas, le présent est instable et
éphémère . La lettre VII, seconde partie est la réponse de Julie : elle lui reproche son style,
l’amant ne parle que de son mal d’amour, Mme de Sévigné dirait qu’il s’agit là d’une belle
portugaise.
1. Caractéristiques
Parler de soi à la première pers. est la réalité première de la lettre. La lettre confession est le
type de lettre le plus centré sur le moi, moi qui peut devenir omniprésent. Elle présente un
dialogisme réduit au minimum. En fait, le dialogisme est déplacé : relation de moi à l’autre
devient la relation du moi au moi dans une opération de centration et de concentration analogue
à celle du diariste qui s’écrit à travers son journal intime : dans les deux cas, on ne parle que de
soi. Dans ce type de lettre , il s’agit de rendre le destinataire le plus opaque possible, il n’est
que prétexte. La lettre confession est généralement longue, douloureuse voire tragique.
Démarche qui s’apparente à l’autobiographie, le style est lié au présent de l’écriture …
Dans ces lettres sont abordés les problèmes de la liberté de la presse, du commerce et de la
censure des livres, de la politique, de la botanique, activité partagée par les deux
correspondants. Les quatre lettres autobiographiques où domine la valeur auto-référentielle,
témoigne d’un moment particulier dans la vie de Rousseau et de l’expression d’une amitié
réciproque. On retrouve le style élégiaque, les thèmes de : l’aliénation, liberté, fuite des
hommes, goût pour la solitude et la nature sauvage. Avec elles se mesure une double
analogie :d’une part entre la lettre et le journal intime, d’autre part entre la lettre réelle et la
démarche introspective d’un écrivain. Le diariste écrit et s’écrit en fonction du vécu d’un
moment ; on trouve particulièrement chez Amiel les évocations du moment, triste ou heureux,
de « déclenchement de l’écriture ».Dans ses lettres autobiographiques, Rousseau écrit à partir
de la réminiscence d’un instant. Le temps de la confession épistolaire est étroitement lié à l’état
profond du moi. C’est l’écriture ponctuelle d’un état d’âme .
1. Caractéristiques
C’est une réponse polémique à la rédaction par d’Alembert de l’article « Genève ».Rousseau y
écrit au sujet des spectacles et pour sa patrie. Elle est à la fois une réponse à d’Alembert et un
texte visant à mettre au jour les différents aspects de la fonction sociale et politique des
spectacles. Elle est rédigée en trois semaines en décembre 1757 « sans autre feu que le feu de
son cœur ».Rousseau y distingue trois éléments dans la pratique du théâtre : les choses
représentées, la scène et les personnages, les spectateurs. Selon Launay , les spectacles sont
pour Rousseau « à la fois un aspect concret des mœurs en général et un outil possible pour agir
sur elles ». Ils ont un rôle de médiation. Comment le théâtre qui se moque de toute morale
puisqu’il consiste à faire semblant, peut-il conquérir sa propre moralité ? Telle est la question
posée. La réponse de Rousseau « savoir tirer nos plaisirs et nos devoirs de notre état et de nous-
mêmes », « nous approprier les drames de notre théâtre ».
Emploi du ton ironique, digressions, utilisation d’un dialogisme ouvert, formes interpellatives
font de la lettre un texte bcp plus vivant et percutant qu’un lourd traité.
Le principe de la lettre polémique est de répondre, de dénoncer et de convaincre d’une autre
vérité, elle est la forme privilégiée de la liberté de pensée.
1. Caractéristiques
Elle caractérise aussi le siècle des Lumières. Sous couvert d’amusement et souvent grâce à la
fiction orientale, ce type de lettre dénonce et force à réfléchir dans le sens du relatif. Ouverte
sur le monde et encline à l’observation critique, la lettre devient une forme idéale de
dénonciation des mœurs. Pluralité des voix et fragmentation du discours se conjuguent .