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Sommaire
Alors, Euro ?
A
près le « pas cher » issu du discount, voici le
« totalement pas cher » : le gratuit, avec une Avec le passage à l’Euro, le consommateur qui
kyrielle de marques nouvelles. Comment en avait appris à différer ses achats pendant dix ans,
est-on arrivé là ? La gratuité n’ est-elle pas retint sa consommation et devint très frileux
une « révolution » dans le marketing, impactant pendant plus d’une année. Il estima que les
les autres éléments du mix et supposant de marques et les distributeurs en avaient profité
nouveaux business models ? pour augmenter les prix.
Si la gratuité est toujours voulue, nous montrerons Dans la foulée, on s’aperçut que l’inflation réelle
que ses objectifs commerciaux se situent sur (sans débattre de sa mesure…) était sans relation
plusieurs plans… mais qu’elle n’est pas toujours avec l’inflation perçue, subie par le
un nouvel Eldorado pour ses thuriféraires. consommateur.
Ainsi, le passage à l’Euro a rendu le
consommateur suspicieux à l’égard des marques
et des distributeurs.
Comment est-on arrivé à la
gratuité ? Et la gratuité fut !
Les conditions au développement à grande
échelle de la gratuité étaient alors réunies :
Produits libres et consommateur- • Le consommateur gère et arbitre avec
arbitre discernement sa consommation
Dans les années 1975, la distribution martelait • … Dans le cadre d’un budget qu’il perçoit en
que les marques de distribution (MDD) étaient régression (augmentation des prix, stagnation des
aussi bonnes et moins chères que les marques salaires…)
nationales. Le rapport qualité-prix en prenait un • … Et il adjuge les économies réalisées sur
coup sur l’étiquette, faisant au passage vaciller les certains postes, à d’autres dépenses
marques devant désormais justifier leur écart de • Son raisonnement tend à être manichéen : les
prix. marques honnêtes (les gratuites, les value for
Le consommateur-arbitre en a profité pour money, etc.) vs. celles qui ont profité de lui.
économiser sur ses dépenses courantes. Les
crises économiques ultérieures confirmèrent le Ainsi, la gratuité trouve sa source dans l’évolution
phénomène, menant d’ailleurs les distributeurs à de l’environnement du consommateur et dans sa
reconsidérer l’intérêt de (re)lancer des MDD perception de son environnement et des marques.
premier prix.
Mutation du marketing, la gratuité l’a bouleversé.
Le web a créé un prisme imposant
une relation biaisée à l’information
Le développement du web a ensuite soufflé un
Un pavé dans le marketing
vent de gratuité. Il a fait découvrir au
consommateur l’information gratuite, souvent Un impact essentiel sur le
sommaire, très souvent agrégée.
Ce fut le deuxième choc pour les marques, en consommateur
particulier les marques média : après le « pareil Avant la gratuité, le consommateur jugeait le
mais moins cher » des MDD, apparaissait le rapport qualité-prix selon une échelle positive (i.e.
« pareil mais gratuit ». jamais inférieure ou égale à 0) et toujours
onéreuse pour lui. Il avait l’habitude de penser
Inutile de dire qu’à la suite de ces mouvements, la que si un prix trop élevé demeure inaccessible, un
fidélité et la confiance dans les marques n’en prix trop bas cache souvent une piètre qualité,
furent que plus menacées. comme le pose la méthode du prix psychologique.
Le prix, dans ce cas, procède d’un fin réglage
entre la perception du rapport qualité-prix et la
taille du segment intéressé par ledit niveau de
prix.
coûts, un fin réglage de la distribution… En postule que seuls ces derniers proposent une
somme, une réelle compétence marketing, que la offre plus complète.
focalisation sur l’absence de prix a caché.
Pourtant, la gratuité permet moins d’opportunités
La gratuité ne vaut pas le déplacement pour segmenter la clientèle par les niveaux de prix
La gratuité déplace les foules lorsqu’elle se situe (lapalissade !) ; les opérations promotionnelles
sur un marché à fort taux de réachat, pour lequel jouant sur des techniques de prix sont donc
le consommateur perçoit rapidement les impossibles (re-lapalissade). Les réductions de
économies qu’il peut réaliser. Mais elle est prix fonctionnent bien parce que les termes de
problématique pour les acteurs en place lorsque l’échange sont modifiés au profit du
les acheteurs sont peu fidèles, les produits ont consommateur ; ce dernier fait donc un lien entre
des marges faibles et le marché soumis à une le produit, la marque et le prix payé à un moment
concurrence indirecte (cas de la TV sur le marché précis. C’est ainsi que la gratuité modifie le
de la PQG). concept du prix psychologique. Ce dernier ne peut
De plus, une fois conquis, le consommateur n’est pas toujours s’accommoder de la gratuité totale
pas directement rentable pour le marché, pour car le prix mini entraîne une très mauvaise
deux raisons. Tout d’abord, le gratuit ne déplace perception de la qualité. La marque va donc
pas forcément vers la consommation la part de devoir assurer principalement ce rôle, tandis que
revenu disponible économisée grâce à ces les marques payantes demeureront appuyées par
produits gratuits. Nous pensons au contraire que leur niveau de prix. Le développement de
cela nourrit une épargne de précaution (dans ce politique de marques gratuites est nécessaire et
cas, la gratuité risque de générer une urgent car si on peut se passer du prix, on ne peut
déconsommation sur les marchés comportant des faire l’impasse de marques fortes qui sortiront de
gratuits) ou un transfert des économies réalisées leur territoire d’origine pour passer du mode de
vers d’autres postes budgétaires. Ensuite, si la consommation d’un produit à une vision
gratuité développe souvent les marchés, comme consommateur, et même à un geste de
nous le rappelions, elle ne s’adresse pas consommation. Cette différenciation sera
forcément à des cibles solvables pour l’achat nécessaire compte tenu du développement des
dudit produit. D’ailleurs tel n’est pas son objectif marques gratuites qui, dès lors, devront utiliser les
puisque la gratuité ne cherche pas à viser un mêmes éléments du mix (à l’exception du prix,
individu solvable, mais un individu ciblable. évidemment) que les marques payantes pour se
positionner.
La gratuité coupe un doigt au marketing L’objectif des marques gratuites sera de
Selon un économiste (Norman), les fournisseurs développer une acquisition impliquante, un
vivent de la création de valeur chez leur client. Un prosélytisme et de rapprocher les cycles de
titre payant se voit donc acheté parce que le consommation.
consommateur suppose qu’il possède une valeur
et qu’il pourra la réutiliser (connaissance,
formation…). Est-ce, à l’inverse exact pour la S’adressant à un consommateur peu solvable,
l’information gratuite ? Cela signifierait-il que ces moins fidèle, s’intéressant essentiellement au
supports (à contenu faible et sans réelle valeur- produit et pas (encore) à la marque... la gratuité a
ajoutée selon certains) satisfont le révolutionné le marketing ; elle nécessite
consommateur… révélant par là-même son désormais de revisiter définitivement le mix.
indigence intellectuelle ?
Pis, si l’objectif du gratuit est d’amener la cible à
consommer un produit gratuit, on peut estimer
que le consommateur, à l’issue de ses Serge-Henri Saint-Michel
expériences avec le produit, aura des besoins http://marketcom.free.fr/
plus développés, plus amples… que les produits
gratuits ne pourront lui offrir. Dans cette
hypothèse, la gratuité amène au payant, si l’on
Pour en savoir plus sur le marketing et la communication par les liens, la bibliographie, les citations, les
articles et les conférences : http://marketcom.free.fr/
Pour consulter la mise à jour en ligne du Lexicom, lexique dédié aux termes du marketing, de la
communication et des techniques de fabrication : http://lexicom.free.fr/
Profil de l’auteur
Serge-Henri Saint-Michel est diplômé en Sciences Politiques et Droit Public (Panthéon Sorbonne) et en
Marketing & Communication (Sup de Pub).
Serge-Henri Saint-Michel évolue en agences de communication depuis 1988. Il enseigne d'ailleurs aussi
depuis cette date le Marketing et les stratégies de communication à l'Université (Celsa) et en Ecoles de
commerce ; il publie depuis 1992 des ouvrages professionnels dans ce domaine.
Pendant 3 ans directeur marketing et communication, directeur de missions et dirigeant du pôle veille
dans un important cabinet conseil en marketing télécoms et Internet, il a ensuite été responsable de la
marque Campanile pour la France et l'international.