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Émeline

BRU





L’Animal Humain






Fantasmagorie
L’Animal Humain


C’est tout simplement affreux... Il y a des souvenirs fantomatiques pendus aux
fenêtres. Des ombres spectrales qui dansent sur le sol. Des vestiges de cris
suspendus en l’air, chargeant l’atmosphère de lourdes mélancolies. Aucune
survivante.
Le jeune inspecteur avance lentement. Il se sent mal à l’aise, un dégoût
grandissant au sein de sa chair telle une vilaine tumeur. Ses entrailles semblent
figées. Il a du mal à respirer, comme si l’air s’était métamorphosé en fluide si
épais qu’il devenait pénible d’inspirer. Plongé dans ses pensées, il ne prête
aucune attention à ses collègues. Douze femmes. Douze femmes sont mortes
entre ces murs. En tout cas, c’est le nombre de victimes connues... dont on a
retrouvé les restes du moins...
Son estomac se noue. Une nausée le prend à la gorge. Cette affaire dépasse de
loin tout ce qu’il avait bien pu imaginer. Comment peut-on pousser les limites de
l’horreur aussi loin ? Comment ce genre de choses est-il possible ? Comment la
vérité peut-elle être si tragique ? Si douloureuse...
Il repense aux victimes. Aux faits. À la réalité. La méthode de ce Jack
l’Éventreur des temps modernes était plutôt simple. Froide et méthodique. Tout
d’abord, il semblerait que chacune de ses victimes ait été enfermée, affamée et
battue des semaines durant. Ensuite, le bourreau à la cervelle chamboulée
forçait chacune des martyres à jouer à un petit jeu sadique.
L’inspecteur est parcouru d’un frisson d’horreur. Le but était apparemment de
réussir des défis pour gagner le droit de survivre... Se couper des doigts,
s’arracher des ongles, se couper une oreille, s’arracher un œil, manger de la
chair humaine, ou bien extraire l’un de ses os... La liste est longue et donne la
chair de poule. Aussi imaginative qu’abominable. En tout cas, si la victime
refusait de jouer, le terrible homme torturait la jeune femme jusqu’à ce qu’elle
meure finalement de ses blessures. Ainsi, ce jeu macabre se terminait toujours de
la même manière... La victime mourait. Il l’enterrait dans le jardin et passait à
une autre.
L’inspecteur continue à marcher à travers les couloirs miteux, le parquet
craque sous ses pieds. Arrivé au premier étage, il commence à se souvenir des
faits qui ont mené la police jusqu’à la bâtisse dans laquelle il se trouve : c’est
finalement un arbre qui a eu raison de l’assassin. En effet, un jour, en fin
d’après-midi, un orage a éclaté. Un arbre du jardin a été frappé par la foudre et
s’est effondré sur la maison. En s’abattant, ses racines noueuses ont craquelé le
sol et en émergeant partiellement à la surface, elles avaient entraîné avec elles
quelques cadavres. Cette exhumation révélatrice ressemblait presque à un acte
divin... Même si je ne crois pas vraiment à ce genre de choses. Se sentant
sûrement pris au piège, le meurtrier dont l’arbre avait dévoilé l’inhumanité au
grand jour, s’est finalement pendu au lustre de son salon, emportant les secrets
de son animosité avec lui. Cela fait maintenant presque deux jours...
Il erre dans les couloirs et prend une multitude de notes. Il n’y a aucun miroir.
Strictement aucun. Que ce soit dans la salle de bain ou ailleurs... Pourtant, le
meurtrier n’était ni laid ni défiguré. Même pas l’ombre d’une cicatrice sur le
visage. Voilà donc une chose bien curieuse... Avait-il conscience d’une
quelconque laideur interne qui déformait sa vision physique de lui-même ?
L’inspecteur songe soudain à une piste éventuelle : peut-être y a-t-il un lien avec
celle que l’on identifie comme sa toute première victime ? Un premier meurtre
brouillon et impulsif... Crâne fendu. Cervelle éclaboussant la chaussée. Victime
retrouvée éventrée dans une sombre ruelle avec deux morceaux de miroirs à la
place des yeux. Un premier meurtre qui avait fait sensation auprès des petits
journaux locaux. Ils avaient tous titré « Le retour de Jack l’Éventreur… » en
référence au célèbre tueur en série londonien. Curieuse coïncidence... Quand on
sait qu’à l’époque on ignorait qu’il s’agissait effectivement d’un tueur en série,
et plus précisément d’un tueur de femmes...
L’inspecteur rôde dans les couloirs lugubres, traînant des pieds, ses yeux
scannant tout autour de lui. On en découvre tous les jours un peu plus sur notre
animal... La dernière nouveauté date de ce matin avec la découverte de ses
journaux intimes, cachés au creux d’un trou dans un mur, derrière une lourde
armoire. Plus d’une centaine de petits carnets gribouillés et noircis à déchiffrer
et à analyser... Ça fait du boulot ! Mais c’est nécessaire. Pourquoi l’assassin a-t-
il fait tout cela ? Quel a été l’élément déclencheur ? Voilà quel genre de
réponses se trouvent peut-être dans ces fameux journaux.
Mais pour l’instant, l’inspecteur n’a pas très envie de penser à cela. Au
bourreau. En effet, depuis qu’il est entré dans cette maison pour la première fois,
l’image du meurtrier hante ses nuits. Mais à travers les méandres étranges de ses
cauchemars, l’homme abominable était toujours apparu sous les traits d’un
démon à tête de porc. Difforme. Les yeux d’une terrifiante noirceur. Le visage
barré d’un large sourire ensanglanté. Cette image de cet être luisant et répugnant
au rire vulgaire et aux allures sinistres l’avait à ce point hanté qu’il frissonnait
rien que d’y repenser. Maintenant il est mort, et c’est une très bonne chose.
Il traverse les pièces, longe de nouveaux couloirs et songe aux victimes.
Celles dont les cris et cauchemars éclaboussent encore les murs. Une tragédie
morbide semble véritablement hanter les lieux, un peu à l’image d’une boîte à
musique cassée qui répéterait sans cesse le même air nostalgique, dans une
éternelle tragédie. Cette maison semble figée, comme si du sang ruisselant sur
ses murs s’était soudain solidifié, semblable à une coque d’ambre. Ce n’est pas
une maison, c’est un tombeau. On éprouve ici le même malaise que dans un
cimetière.
Il redescend au rez-de-chaussée et prend à droite. Il veut s’éloigner un peu des
autres, car ils font beaucoup trop de tapage. Entre les discussions inutiles de
Mona et Kate qui s’acharnent toujours à déblatérer de façon insensée leur
quotidien sur les scènes de crime, les rires grinçants des bleus aux blagues
douteuses de Cameron, les spécialistes qui déballent leur matériel en balançant
leur argot technique à tout va et les autres flics qui s’agitent à l’extérieur pour
barrer la route aux journalistes avides de gros titres, l’inspecteur ne s’entend plus
penser.
Il s’isole alors pour réfléchir et griffonner quelques dernières notes. Soudain,
un crissement étrange accompagné d’un impact sourd retentit. Il présume
d’abord que c’est tout simplement l’escalier qui a grincé sous le poids d’un
collègue un peu maladroit, mais il n’aperçoit personne à ses alentours. Intrigué,
il se rapproche alors et distingue une petite porte en bois sous l’escalier.
Il semblerait que le bruit vienne de derrière cette petite porte...
Il s’agenouille auprès de sa découverte. Il hésite. Son cœur bat la chamade.
Sans crier gare, la porte étroite s’incurve, comme si on effectuait une forte
poussée de l’autre côté. Le bois se craquelle lentement dans un bruit terrible.
Puis plus rien. La pression semble s’être relâchée.
L’inspecteur avance son visage avec prudence et pose son oreille droite contre
la paroi rugueuse du battant. Il n’entend rien, mais brusquement on frappe
violemment. Il ressent alors l’intensité du coup contre sa joue. Il recule
promptement, sans quitter la petite porte des yeux. Par réflexe, il a posé sa main
droite sur son arme de service. C’est alors qu’il entend quelqu’un tousser
derrière. On dirait une femme ou un enfant... Son regard s’illumine
soudainement. Une survivante !
– Reculez-vous ! lance-t-il en s’adressant à la potentielle survivante.
Il ne veut surtout blesser personne dans sa tentative de sauvetage. Il tape
ensuite de toutes ses forces contre la paroi, à grands coups de pied.
C’est loin d’être suffisant…
Il prend alors le premier objet qu’il juge approprié autour de lui. Un lourd
chandelier. Il brise les planches en s’aidant de l’outil, comme s’il déchirait du
tissu pan par pan. Et après de multiples efforts, l’obstacle de bois disparaît enfin,
les morceaux de ce qu’il avait été jonchant le sol.
Le bruit de son entreprise effrénée a attiré l’attention de ses collègues. Ils le
regardent avec de grands yeux ahuris. Ils semblent le prendre pour un fou.
– Il y a quelqu’un là-dedans, tente d’expliquer l’inspecteur.
Il contemple le chaos résultant de sa manœuvre impulsive, et prie soudain
pour ne pas avoir tort.
L’inspecteur ne distingue rien parmi l’obscurité et le nuage de débris. Alors il
s’avance un peu. Sans résultat. Il fait un pas de plus lorsque la poussière retombe
progressivement. Il distingue finalement quelque chose. Il discerne, comme à
travers un écran de buée, une petite silhouette recroquevillée. C’est une jeune
femme ! pense-t-il, définitivement soulagé.
– Vous ne risquez plus rien, désormais... C’est la police.
La victime, perdue dans la pénombre, ne bouge pas d’un pouce. Il insiste :
– Le monstre qui vous a fait du mal est mort. Il est mort, vous entendez ? Vous
êtes en sécurité maintenant.
L’inspecteur attend patiemment, le cœur battant. Soudain, il perçoit un léger
bruit et s’écarte pour laisser la jeune femme sortir.
La silhouette se rapproche timidement. Une main craintive apparaît dans
l’encadrement de la porte. Un étrange soupir résonne dans la pénombre. Des
petites mains tremblantes et crasseuses émergent des ténèbres.
Il recule encore un peu, tandis que la femme s’extirpe de son trou étroit en
rampant sur le sol dévasté. Elle s’assit à même le plancher. Son épaisse
chevelure brune cache son visage. Son corps est sale, parsemé de crasse et teinté
de bleus multicolores. Elle semble entière, mais je m’attends au pire concernant
le visage... L’inspecteur observe la réaction ses collègues. En croisant leurs
regards de crainte, il se rend compte qu’ils pensent exactement la même chose
que lui. Elle est sans doute gravement blessée, voire complètement défigurée...
Mais bordel, où est passé le légiste ? On a besoin d’un médecin ! Ce coureur de
jupons nous a encore fait faux bond, j’en suis sûr... J’ai toujours dit qu’un beau
jour son incompétence nous poserait un grave problème, mais comme
d’habitude, le commissaire ne veut rien entendre aux remarques faites à son
neveu... Eh bien, peut-être qu’il m’écoutera mieux la prochaine fois. Constatant
que personne ne semble décidé à venir en aide à la jeune femme aux allures
repoussantes, l’inspecteur vient à sa rencontre.
– Bonjour Madame. Je suis l’inspecteur Craven. M’autorisez-vous à
m’approcher ? Juste pour vérifier si tout va bien... Vous voulez bien ?
La jeune femme hésite quelques instants, mais finalement acquiesce de la tête.
Il se rapproche doucement à quatre pattes, s’assied devant elle et dégage
délicatement ses cheveux.
Il s’attendait à tout, sauf à cela. Pas l’ombre d’une blessure. Son visage de
poupée, encadré par ses cheveux ondulés lui tombant sur les épaules, ne présente
pas de lésions, ni d’ecchymoses.
Ses yeux sont si finement dessinés qu’ils semblent tracés à l’encre de Chine.
Elle a des allures de fée... songe l’inspecteur.
En la voyant émerger ainsi de son trou, il a l’impression d’être le témoin d’un
sublime miracle et s’en émeut. Comment une chose aussi belle et fragile peut-
elle sortir indemne d’un lieu aussi abject ?
– Vous pouvez m’appeler Jack, si vous le souhaitez, propose-t-il gentiment.
L’inspecteur se sent fébrile tout à coup. Ses mains sont moites et sa gorge se
serre. Il peine à respirer. C’est bien la première fois qu’une femme me rend
nerveux à ce point — là, constate-t-il.
La jeune femme ne le quitte pas des yeux. Ses iris de loup bleu-gris analysent
l’homme face à elle. Jack voit en elle un être perdu, redécouvrant le monde.
Mais la vérité, c’est qu’elle possède une forme d’animosité dans le regard.
Une animosité qu’un grizzly pourrait envier.

***

Une chose est brisée en elle. Elle seule le sait. Elle seule sait ce qui se mêle
dans son interne. La violence et le drame qu’elle transporte dans ses veines. Le
démon qui imprègne sa jeune chair.
Si les autres savaient... S’ils pouvaient s’en rendre compte... Ils ne
s’approcheraient pas de moi. Ils me laisseraient crever dans un coin comme une
bête, pense-t-elle.
La jeune femme continue de regarder l’inspecteur. Il incarne la pureté face à
elle. C’est en effet ce qu’elle perçoit dans ses yeux. Voilà pourquoi elle est
condamnée à le détester. Certainement. Il représente à lui seul tout ce qu’elle a
perdu entre ces étroits murs : l’innocence et l’espoir.
Elle analyse l’individu Jack. Visage pâle. Traits fins. Yeux verts. Cheveux
noirs bouclés et brillants. Environ trente ans... trente-cinq, peut-être. Silhouette
athlétique. Il a l’air très fatigué... Mais il est beau. Objectivement parlant, il doit
beaucoup plaire aux femmes…
Elle se demande soudain si tout ceci n’est pas seulement issu de son
imagination et doute grandement de sa santé mentale. Il n’est peut-être pas réel...
Peut-être que toute cette lumière n’est qu’une fleur d’or qui a éclos au creux de
mon cerveau meurtri par la solitude ? Peut-être que je suis toujours dans ma
prison asphyxiante et oppressante, et que je suis juste en train de rêver que je
m’échappe…
Elle essaie de parler, mais elle ne sait plus trop comment faire. Elle ne se
rappelle plus pourquoi elle a arrêté de parler ni depuis combien de temps. Elle
tente de se remémorer les évènements passés...
Elle se souvient juste qu’un jour elle s’est éveillée dans cette petite pièce à
l’odeur âcre et métallique. Elle a bien appelé à l’aide, sans cesse. Mais personne
ne répondait. Alors elle s’est mise à cogner contre les murs, se faisant plus de
mal à elle-même qu’aux parois d’acier inflexibles. Jusqu’à épuisement physique
et moral. Les jours se sont mis à défiler. Les semaines. Les mois. Et elle avait
finalement abdiqué.
Dans sa petite maison de métal, elle avait toujours eu le strict minimum. Une
grille de ventilation, un matelas, un oreiller, une couverture, un savon, une
bassine d’eau, une serviette de toilette, un pot de chambre et un réveil. Une
ampoule au plafond éclairait sa prison, mais elle n’avait pas accès à
l’interrupteur. Son geôlier décidait pour elle quand la lumière s’allumait et
s’éteignait. C’était lui qui rythmait ses journées.
Son ravisseur avait pris soin d’afficher un petit calendrier étrangement annoté
à sa porte, qu’il renouvelait tous les ans. Il viellait même à rayer soigneusement
chaque jour qui passait. De nombreux mois s’étaient écoulés avant qu’elle
n’arrive à déchiffrer cet emploi du temps. Mais pourquoi avait-il tenu à ce point
à m’avertir de ce qu’il m’infligeait ? Était-ce une preuve de gentillesse ou de
sadisme de sa part ?
En tout cas, c’est seulement en décodant le fonctionnement de son réveil et du
calendrier qu’elle a assimilé la notion de temps.
De ce fait, chaque soir, toujours vers la même heure, elle avait conscience
qu’une odeur étrange s’infiltrait par la bouche d’aération. Après avoir inhalé
plusieurs goulées, elle se sentait bizarre, puis sombrait immédiatement dans un
sommeil profond.
Tous les matins, au réveil, elle découvrait un plateau près de la porte dans
lequel se trouvait de la nourriture, une bouteille d’eau et une bougie blanche. On
avait aussi changé l’eau de sa bassine et vidé son pot de chambre.
Trois fois par semaine, elle se rendait compte qu’elle sentait bon. Surtout ses
cheveux. Elle en avait conclu que son ravisseur lui avait fait prendre un bain
durant son inconscience. Il lui coupait les cheveux tous les six mois et les ongles
toutes les deux semaines.
Comme alimentation, elle n’avait pratiquement que des fruits et des légumes.
Des fois du riz et des œufs. Elle n’avait des sucreries qu’à Noël et le jour de son
anniversaire. Elle le savait, car elle avait toujours le droit à une petite carte pour
l’occasion.
Elle n’arrivait pas à comprendre toutes les attentions prévenantes de son
geôlier. Il avait l’air de se soucier de son bien-être, certes, mais il la gardait
prisonnière et s’occupait d’elle comme d’un bébé. Ou pire, un animal de
compagnie. Elle trouvait cette situation très humiliante. Inacceptable même.
La jeune fille se demandait sans arrêt quel genre de satisfaction son ravisseur
pouvait tirer de cette situation saugrenue. Secrètement, elle nourrissait l’espoir
qu’un beau jour il se lasserait peut-être de ce petit jeu, et qu’il la libérerait. Mais
ses minces espérances se mourraient lentement, au fur et à mesure que le temps
passait.
En effet, les jours défilaient et la situation demeurait inchangée. La jeune fille
agonisait tous les jours un peu plus dans un quotidien assommant. Elle était
toujours seule. Condamnée à une isolation totale et asphyxiante. Plongée dans un
silence qui semblait éternel. Étouffée par une lassitude qui ne cessait de croître
de jour en jour.
Elle s’ennuyait terriblement, et son geôlier n’avait mis aucun moyen de
distraction à sa disposition. À ce moment-là, la jeune fille avait commencé à haïr
son ravisseur de la laisser ainsi dans un tel état de frustration et de dépression.
Elle comprenait de moins en moins ses agissements et se sentait submergée de
questions : s’était-il aperçu de sa souffrance ? Pourquoi ne faisait-il rien ?
Éprouvait-il du plaisir à la voir souffrir de la sorte ? Était-il en train de la punir
pour un crime dont elle n’avait pas conscience ? Était-elle sa seule victime, ou il
y en avait-il d’autres ? Pourquoi son geôlier ne se montrait-il jamais ?
Elle avait essayé de se distraire comme elle le pouvait. Elle faisait les cent pas.
S’allongeait. Se redressait. Changeait sans cesse de position et d’attitude. Elle
avait commencé à chantonner et à danser, puis à parler toute seule. Au début à
voix haute, puis finalement seulement dans sa tête. S’enfermant dans un
mutisme de plus en plus profond.
Elle avait l’impression de ne posséder qu’une seule chose : le temps. Et elle ne
savait pas comment l’utiliser.
Au départ, elle s’amusait avec sa nourriture, métamorphosant une pomme en
visage souriant avec son couteau en plastique. Le problème était qu’elle finissait
toujours par manger ses œuvres, l’appel du ventre étant le plus fort.
Ensuite, elle avait commencé à jouer avec les bougies. Récupérant la cire
encore tiède pour la transformer en personnages. Tous plus différents les uns des
autres. À chaque fois, elle leur inventait une personnalité et une histoire. Sa
passion n’avait d’ailleurs pas échappé à son ravisseur.
Il s’était mis à lui donner de plus en plus de bougies. Des blanches, mais aussi
des noires, des rouges, des bleues, des vertes, des violettes, des jaunes, des
oranges et des pailletées.
Elle en était ravie, et elle avait mis de plus en plus de cœur à l’ouvrage,
repoussant toujours les limites de son imagination. Exprimant dans ses
sculptures ses sentiments. Peignant le portrait de ses émotions interne. Le
malaise. La peur. La tristesse. La solitude. Le manque. Le besoin. Le rêve.
L’idéal. Le doute. La déception. La liberté. L’espoir.
Sa petite maison s’était décorée peu à peu de figurines de cire multicolores.
Mais un triste jour, elle s’est réveillée et plus rien... Plus aucune sculpture ou
bougie. Tout avait disparu... Pourtant, elle n’avait rien fait de mal. Elle avait
seulement essayé de se souvenir de son père et d’en faire le portrait. Cela devait
être ressemblant, car son œuvre n’avait pas plu du tout à son ravisseur.
Elle avait supplié durant des jours entiers, mais l’homme terrible n’avait pas
fléchi. Ce n’était qu’après une longue grève de la faim qu’il s’était enfin décidé à
lui donner une nouvelle distraction : un livre.
Au début la lecture se révélait difficile, car elle ne lisait pas très bien. Elle était
loin d’être un lecteur expert. Et puis, il lui a donné de plus en plus de livres. Tous
d’un genre différent à chaque fois. Elle a alors commencé à lire de plus en plus
vite, et à comprendre de mieux en mieux. Elle dévorait des fois jusqu’à dix livres
par semaine.
Elle se souvient clairement que c’est à cette même période qu’elle a
commencé à perdre du sang. Elle avait quatorze ans selon son propre calcul. Et
son geôlier ne semblait pas trop apprécier. En effet, deux jours plus tard, il lui a
changé son lit et ses vêtements, et il lui a donné ce qu’elle a tout de suite
identifié comme des couches pour femmes.
Elle savait de quoi il s’agissait. Elle avait découvert cela pour la première fois
dans la rubrique « menstruations » d’une encyclopédie. Elle avait secrètement
espéré que ces pertes de sang ne se manifesteraient pas chez elle. Et lorsque des
douleurs aiguës avaient commencé à s’installer au creux de son ventre, elle avait
pensé être victime d’une tumeur, d’une crise d’appendicite ou encore d’une
occlusion intestinale. Elle pensait qu’elle allait mourir. Et le jour où elle s’était
réveillée dans le sang, elle avait pensé que sa fin était proche...
Ce n’était qu’en voyant les fameuses couches, déposées devant sa porte,
qu’elle avait finalement compris ce qu’elle avait. Elle s’était alors sentie
terriblement idiote d’avoir crié durant deux jours entiers qu’elle était en train de
mourir... Elle avait pensé que son ravisseur avait dû bien rire de sa bêtise.
Un jour, l’homme lui a offert un cahier et un stylo. Sur la page de garde était
écrit « Journal de Bélina », et sur la page suivante : « Ce dont je me souviens... »
C’était la première fois qu’elle découvrait l’écriture. Elle n’avait jamais tenu
de journal auparavant, et elle ne savait pas très bien quoi y écrire... Elle avait
commencé par de simples mots, exprimant des idées élémentaires. « Chambre ».
« Jardin ». « Maison ». « Famille ». Ensuite avec des petites phrases comme
« Maman aime jardiner » ou « Papa aime lire le journal en fumant une
cigarette ». Puis étaient venus les vrais souvenirs. Les vraies émotions...
Elle ne se rappelait presque pas sa vie avant sa détention. Juste quelques
souvenirs heureux ou tristes, éparpillés comme de faibles étoiles dans un ciel
d’encre.
Pour elle, triturer sa mémoire était comme regarder une série d’images jaunies
et vaporeuses se succédant à la manière d’une vieille séquence
cinématographique, tout en essayant d’en déceler le sens...
Elle s’était souvenue d’elle en train de courir dans un petit jardin verdoyant.
De la boîte à musique qu’on lui avait offerte pour ses huit ans. De sa chambre
d’enfant et des peluches sur le lit. Elle s’était rappelé de la longue chevelure
châtain doré de sa mère. Qu’elle était belle ! Elle s’était rappelé un homme aux
yeux tendres se penchant sur elle et lui murmurant « Ne pleure plus, Bélina. »
Que cet homme était son père. Mais ses souvenirs sont bien peu nombreux et
plutôt brumeux. Trop imprécis. Alors elle a commencé à dessiner.
Elle avait bien retenu la leçon des statues de cire. Alors, elle a pris la décision
de ne pas faire de portrait, cette fois, mais d’imaginer des décors et des paysages.
Toujours plus lumineux et plus imaginatifs. Elle est déterminée à peindre l’idéal.
La perfection.
Elle a dessiné et peint pendant très longtemps. Des années sûrement. Tapissant
les murs de son habitacle de rêves colorés. Jusqu’à ce qu’elle a appelé « le jour
du tremblement de terre ».
C’est sûrement cette catastrophe naturelle qui est à l’origine de la mort
prématurée de mon geôlier... Je me doutais bien qu’il se passait quelque chose
d’anormal. Cela faisait presque deux jours que je vivais dans la crasse et
l’obscurité, sans nourriture et avec si peu d’eau... Jamais je n’avais tant
souffert.
Elle avait cogné contre la paroi à plusieurs reprises, mais toujours en vain.
Sans aucune notion de jour ou de nuit. Jusqu’à ce que l’individu Jack arrive.
Je me demande si mon ravisseur a souffert. Certes, ce qu’il a fait était
bizarre... Mais il ne m’a jamais maltraitée. Avec le temps, je me suis souvent dit
qu’il devait se sentir aussi seul que moi. Même plus que moi, peut-être. Je
pensais que j’aurais eu une explication un jour... Mais on dirait bien que c’est
fichu maintenant qu’il est mort.

***

La voix de Jack ramène soudain la jeune Bélina à la réalité.
– Ne vous inquiétez pas. On va prendre soin de vous. Tout va s’arranger
maintenant...
Il continue à parler, mais elle ne l’écoute déjà plus. Tout va s’arranger
maintenant ?
Voilà une idée qui lui semble très surprenante. Elle ne voit pas bien comment
les choses pourraient s’améliorer un de ces jours.
Un évènement resurgit brusquement du fond de sa mémoire, c’était le « jour
où elle a eu peur »... Elle se souvient d’un homme lui saisissant le bras avec
force. Impossible de se rappeler son visage. Seul un sentiment de détresse et
d’impuissance ancré sous la peau persiste. Elle ressent alors une étrange
sensation dans l’avant-bras, comme si l’emprise de son ravisseur y demeurait
toujours. Elle a l’impression qu’on la tire par le bras.
Mais ce n’est pas qu’une sensation ou un simple souvenir : elle reprend
conscience de la réalité qui l’entoure, et se rend compte qu’un jeune policier, un
bleu, vient justement de la saisir par le bras. Il veut seulement vérifier qu’elle n’a
rien de cassé, mais n’a pas pris le soin d’en informer Bélina. Elle ne le connaît
pas et ne comprend pourquoi il l’a attrapée ainsi, alors elle panique et se débat
avec vigueur.
Le policier insiste, mais Jack proteste et peste à son encontre. Tout se passe
très vite. Bélina n’a pas le temps de réfléchir. Elle mord le jeune policier, juste
assez pour le faire lâcher prise. L’homme recule, les yeux ronds, le dégoût
s’abattant sur son visage à l’instar d’une pluie battante.
Un silence gênant s’installe, Bélina a envie de pleurer. Elle ne se sent pas en
sécurité. Cherchant à retrouver désespérément le calme réconfortant de sa
maison métallique, elle se recroqueville par terre, dans un coin, près du trou dont
elle vient juste de sortir.
Elle avait tellement rêvé de liberté et du monde extérieur, pendant toutes ces
années, mais finalement, elle préférerait retourner dans son trou. Son cocon. Sa
maison. Le monde qu’elle connaît. Ce Nouveau Monde lui apparaît hostile. Trop
de lumière. Trop de bruit. Trop de gens. Trop de sensations insolites.
J’ai sans doute vécu dans la complète solitude bien trop longtemps... Je ne
supporte pas les autres. Ils font trop de bruit et me touchent sans permission. Ils
envahissent tout l’espace. Ils sont trop nombreux. Comment savoir à qui faire
confiance et de qui se méfier ? C’est trop d’informations d’un coup... Seul
l’individu Jack me paraît fiable et digne de confiance.
– J’ai peur...
Ces mots sont sortis de la bouche muette de Bélina comme une sorte de
déchirement. Elle ne se rappelait même pas que sa voix ressemblait à ça. Elle
relève la tête et regarde Jack d’un air suppliant. Il hésite mais finalement
s’approche.
– Tu ne risques rien, murmure-t-il avec un doux sourire.
Bélina songe immédiatement Il a une voix profonde et équilibrée, en plus d’un
un joli sourire. Lumineux. J’ai lu quelque part que les personnes les plus tristes
ont les plus beaux sourires. C’est une bonne raison pour lui faire confiance, il
me semble.
Elle a confiance en Jack, et seulement en lui. Elle tend alors ses frêles petites
mains dans sa direction, et se sent sourire.
– Juste vous... s’efforce-t-elle d’articuler dans un grand effort.
Il la prend par la main et l’aide à se relever.
Il a de grandes mains chaudes, et il est solide, bien plus fort que moi. Comme
un chêne profondément ancré dans le sol par ses puissantes racines. J’aimerais
rester longtemps sous ses branches pour m’abriter de la pluie, pense-t-elle.
Jack, de son côté, songe :
Pauvre petit oiseau. Qu’a bien pu lui faire ce malade ? Elle a l’air
complètement perdue... Mais elle a quelque chose de fascinant dans le regard.
Un éclat touchant. Ce que j’ai en face de moi n’est pas qu’une femme. J’ai
l’impression qu’elle est beaucoup plus que cela... Après tout, un diamant n’est
que du carbone, mais pour beaucoup de gens il représente beaucoup plus que
cela. Je ressens exactement la même chose en la voyant et en la prenant tout
contre moi. Je ne vois pas un enchaînement d’atomes de carbone, je vois un
diamant. Un éclat hypnotique. Je veux l’aider. Je dois l’aider.

***

Voilà une matinée tout à fait extraordinaire : Bélina se réveille pour la
première fois dans un lit bien douillet.
La jeune femme a passé plusieurs semaines en observation, questionnée et
étudiée sous toutes les coutures, analysée comme une bactérie sous microscope.
Cela avait été une période des plus déplaisantes pour elle, car entre les mains des
spécialistes, elle avait eu l’impression d’être davantage un objet curieux qu’un
être humain. Heureusement que Jack avait été là pour elle. Il avait pris la peine
de lui rendre visite tous les jours.
Effectivement, en apprenant que Bélina n’arrivait pas à dormir, Jack était
même venu passer ses nuits avec elle, en soutien. Assis sur un fauteuil, il la
berçait en citant de grands auteurs de littérature pour la rassurer et la
tranquilliser. Finalement, il avait souvent fini par s’endormir bien avant elle.
Elle savait qu’il lui faudrait du temps avant qu’elle ne trouve un sommeil
naturel régulier, mais tout était toujours plus facile pour elle quand Jack se
trouvait dans les parages, et c’est d’ailleurs ce qui a finalement convaincu les
spécialistes. Il a suffi que le très déterminé inspecteur Craven insiste un peu avec
ses : « si ça se passe mal, on arrête tout » et Bélina a emménagé chez lui. Son
tuteur.
Jack vit dans un grand appartement qui fait beaucoup d’envieux parmi ses
collègues grâce à sa position avantageuse et sa vue splendide sur la Tamise. Il
avait juste eu à convertir son bureau secondaire en chambre d’amis pour
accueillir Bélina.
Se sentir bien dans un endroit confortable et réconfortant est tout nouveau
pour Bélina. À vrai dire, elle ne se rappelle même plus depuis quand cela ne lui
était pas arrivé.
La jeune femme se réveille pour la première fois dans « sa nouvelle maison »,
comme elle la nomme. Bélina se tourne et se retourne. Se prélasse sous sa
couette. Les draps sentent très bon, un genre de parfum frais et fleuri. Elle se
complaît dans la tiédeur. Ce n’est qu’une heure plus tard qu’elle se décide enfin
à se lever. Jack est déjà parti. Zut ! Elle est énormément déçue. Où est-ce qu’il y
a une horloge déjà ? Ah oui c’est vrai, sur le meuble ! 10 h 30. Déjà... Pas
étonnant qu’il soit déjà parti.
Elle a emménagé seulement hier soir. Cette maison est pour elle un vaste
territoire inconnu, donc potentiellement dangereux. Elle se balade
tranquillement. Elle explore de manière scrupuleuse, mais sans toucher à rien.
Mieux vaut éviter les ennuis. Elle fait le tour de l’appartement. Elle observe et
analyse tout de ses grands yeux curieux. Elle découvre de nombreux objets
insolites.
Le plus insolite et le plus désagréable d’entre eux est un petit être vivant dans
une cage rectangulaire grillagée. D’après son analyse personnelle, il s’agit d’un
rongeur. Cet individu sent mauvais. Il est probablement vecteur de maladie... De
plus, il est très bruyant pour sa petite taille et il n’a pas l’air désolé pour tout le
mal qu’il me cause. Elle ne l’aime pas. Elle décide donc de recouvrir sa cage
d’un torchon, et de l’ignorer.
Elle entre timidement dans la chambre de Jack, même si elle sait qu’il ne va
sans doute pas apprécier le geste. Première chose qui l’étonne : l’odeur. Elle est
différente de celle dans sa chambre à elle. C’est une odeur plus forte. Fauve.
Chaude et épicée.
Des feuilles de papier griffonnées et des livres cornés traînent un peu partout
sur le sol. Le lit est mal fait, les draps légèrement chiffonnés. Elle n’ose pas
fouiner davantage et referme donc la porte.
Elle n’aime pas trop la salle de jeux, elle ne sait pas jouer au billard et l’odeur
de tabac qui imprègne les murs ne l’enchante guère.
Son endroit préféré est la salle de bains, un endroit délicat à l’atmosphère
parfumée et humide. Elle se regarde dans un miroir. Elle a toujours du mal à se
faire à cette image nette d’elle-même. Elle avait déjà aperçu son reflet à maintes
reprises. Sur la surface d’aluminium d’une fourchette ou d’une étendue d’eau,
mais jamais de façon aussi nette. C’est une chose très insolite pour elle.
Elle trouve maints livres intéressants dans la bibliothèque. Elle prend quelques
bouquins cornés et va les lire patiemment dans sa chambre, assise en tailleur sur
son nouveau lit.

***

Jack savoure sa pause de l’après-midi, assis au comptoir de son café favori, et
réfléchit avec intensité : Que dire à Bélina ? A-t-elle vraiment besoin de savoir ?
Il y aurait tellement de choses à dire... Il doit penser à elle avant tout. Il ne veut
rien faire d’égoïste. Pourquoi la vie n’est-elle jamais simple ? Pourquoi tout a
besoin d’être toujours si compliqué ?
Jack a le regard fixe, perdu dans les abîmes bruns de son café d’un noir
profond. Il ne prête aucune attention à ce qui se passe autour de lui et n’a pas
remarqué qu’au fond de la salle, une table de jeunes femmes l’observe en
souriant et murmurant entre elles.
L’une d’elles s’approche et vient discuter avec lui. Elle parle fort en faisant de
grands gestes, mais il écoute à peine ce qu’elle dit. Elle étire un large sourire en
lui donnant son numéro de téléphone. Encore une autre. Toujours les mêmes
histoires... C’est fort ennuyant à la longue.
En fait, Jack n’a jamais été à l’aise avec les femmes. Le problème, c’est qu’il
les attire comme des mouches. Il aimerait souvent avoir la capacité de se rendre
invisible, il souhaiterait qu’on le laisse un peu tranquille de temps en temps.
Il quitte le café en pensant toujours à Bélina : Il faut que j’en finisse au plus
vite avec ces journaux intimes. Ce n’est que quand j’aurai toutes les pièces du
puzzle que je lui parlerai. Seulement à cette condition.
Un frisson parcourt sa colonne vertébrale. Après tout, le grand secret que
renferment ces journaux pourrait tout anéantir. C’est vraiment une histoire de
dingue...

***

Bélina s’ennuie.
Cela fait vraiment longtemps que Jack est parti. Maintenant, il fait nuit.
J’espère qu’il ne va pas trop tarder... s’inquiète-t-elle.
Elle aimerait bien dessiner, mais pour cela, elle a besoin de trouver des
crayons et des feuilles de papier. Elle cherche partout. En vain. Alors elle
retourne dans la chambre de Jack. Elle fait bien attention à ne pas marcher sur
toutes les choses qui jonchent le sol. Papiers. Livres. Feuilles et stylos de
couleurs. Eurêka ! Elle se penche et ramasse ce dont elle a besoin. Mais soudain,
certaines pages éparpillées sur le plancher attirent son attention. Ce sont des
photocopies, il semblerait... D’un journal intime.
Bélina, intriguée, observe plus précisément ce dont il s’agit. Des livres de
psychologies et des enveloppes. Poussée par la curiosité, elle regarde dans l’une
d’entre elles. Des photos de ma cage de métal et de la maison de mon
ravisseur...
Elle devine alors l’identité du propriétaire des journaux intimes. Ce sont les
pensées de mon ravisseur... Son cœur s’emballe. Je vais peut-être trouver des
choses sur moi ! Des éléments sur mon enlèvement et les motifs de mon geôlier.
Des réponses aux questions que je me pose depuis toutes ces années...
Elle se met alors à lire les pages comme elles viennent. Jack a surligné des
phrases en rose et d’autres en jaune. Elle commence par lire le texte colorié en
jaune :
« Aujourd’hui, Sandra est morte. Cette maladroite n’a même pas réussi à se
couper l’oreille sans tomber dans les pommes. J’ai dû la réveiller plusieurs fois.
Au bout d’un moment, j’ai craqué. Je lui ai arraché le couteau des mains et lui ai
lacéré le visage. Elle a couiné un peu et elle est retombée dans les pommes.
Expérience finalement très décevante. Quand elle a repris conscience, dans
l’après-midi, elle faisait de drôles de bruits à chaque fois qu’elle inspirait. Un
bruit désagréable. Un mélange de râle atroce et de déglutition dégueulasse. Cela
m’a dégoûté alors je lui ai tranché la gorge. Bien fait pour elle. »
Bélina se sent très mal à l’aise. Maladive et nauséeuse. Elle a beaucoup mal à
croire ce qu’elle lit.
« Gabrielle. Elle s’appelle Gabrielle. Un peu comme l’archange. Du coup, je
lui ai fabriqué des ailes et je les lui ai cousues dans le dos. On va voir combien
de temps la Force de Dieu survit... Moi, je parie sur trois jours. »
Bélina fronce les sourcils. Elle ne pense qu’une seule chose : Cet homme est
complètement fou, ma parole... Elle poursuit sa lecture, avec beaucoup
d’appréhension :
« J’ai pratiqué ma première énucléation oculaire aujourd’hui. J’avais envie de
sang. De violence. De passer mes nerfs sur quelque chose. Je l’ai laissée dans la
rue. Comme un vulgaire animal. Un vulgaire morceau de viande. »
Les jambes de Bélina tremblent, elle s’assied alors par terre dans un coin. En
effet, imaginer qu’elle a été à la merci d’un tel psychopathe durant tant d’années
lui donne la chair de poule. Et en lisant tous ses exploits macabres, elle éprouve
beaucoup de pitié pour les victimes qui les ont subis, mais surtout une profonde
haine pour l’homme impitoyable qui les a réalisés.
À chaque ligne, Bélina espère y trouver un élément rassurant. Une minuscule
note d’espoir. Mais rien.
C’est horrible... Maintenant que je sais de quoi était capable mon mystérieux
ravisseur, je suis presque rassurée de ne l’avoir jamais rencontré en personne.
Mais, dit-il quelque chose sur moi ? J’aimerais avoir des réponses à mes
questions... Je veux la vérité, même si elle est terrible.
La jeune femme enchaîne les paragraphes, le cœur battant la chamade dans sa
poitrine.
« Elle n’a plus de bras ni de jambes. Elle est belle, mon œuvre. J’ai pris des
photos. Je vais peut-être les envoyer à son mari. Il apprécierait peut-être. »
« Elle n’arrêtait pas de crier et de se crisper. Elle n’a pas réussi à aller
jusqu’au bout, mais ça m’a bien diverti. C’était risible. Elle était vraiment
pitoyable. »
« Elle a frissonné étrangement quand je l’ai scalpée. J’ai éprouvé beaucoup de
plaisir durant cet acte presque intime. »
Bélina arrête de lire. Elle ne peut pas. Elle ne peut plus... Elle se sent malade
au plus profond de sa chair. Elle n’éprouve désormais plus aucune pitié pour son
ravisseur. Prenant son courage à deux mains, elle décide de survoler ce que Jack
a surligné en rose, supposant que ce sont peut-être des passages qui la
concernent.
« Bélina a été très sage aujourd’hui. J’aime bien les petites statues qu’elle fait.
Elle est créative. Inventive. Comme moi. Je suis fier d’elle. »
Offusquée, encore imprégnée de toutes les horreurs qu’elle vient de lire, la
jeune femme s’indigne : Comment cet homme peut-il penser que nous avons
quoi que ce soit en commun ? Et pourquoi est-il fier de moi, en particulier ?
Alors qu’il semble détester profondément toutes les autres femmes qui tapissent
ses journaux...
« Je m’inquiète pour Bélina, cela fait plusieurs jours qu’elle ne mange plus.
Elle va mourir si elle continue comme ça. Je ne peux pas la laisser mourir. Je ne
sais pas quoi faire. C’est terrible. C’est une catastrophe. » Bélina suppose que
son ravisseur fait ici référence à la grève de la faim qu’elle avait entamée, suite à
l’incident avec les bougies.
« Bélina est très intelligente. Elle lit beaucoup et est très créative. Je suis
tellement fier d’elle. »
La jeune femme s’étonne de tous les commentaires positifs que son ravisseur
fait sur elle. Étais-je spéciale pour lui ? Pourquoi semble-t-il n’avoir aucune
hostilité à mon encontre ? Bien au contraire, on dirait presque qu’il a de
l’affection... Voire de l’admiration...
La jeune femme enchaîne les paragraphes, à la recherche d’autres éléments
intéressants. Elle trouve la lecture de ces lignes surlignées en rose nettement plus
agréable et stimulante, que les passages horrifiques lus précédemment.
« Bélina n’arrête pas de dire qu’elle est malade. Qu’elle va mourir. Je l’ai
auscultée pendant son sommeil. Tout va bien. Rien de grave. »
« Bélina est une femme maintenant. Je ne me sens pas très à l’aise avec ça.
C’est dégoûtant. Mais elle n’y peut rien, la pauvre. Je savais bien que ça allait
arriver à un moment ou à un autre. »
« Bélina a été triste. Elle a pleuré. Ces caméras sont bien pratiques tout de
même. Si elle se fait mal, je peux le voir tout de suite. »
« Bélina est vraiment très belle. Mais elle ressemble de plus en plus sa
maudite mère. Pourquoi Dieu est-il aussi cruel ? »
La jeune femme sourit. Elle lâche la page de papier de sa main droite, et
effleure son visage du bout de ses petits doigts. Alors ma mère me ressemble... Si
elle était un peu comme moi, cela m’aiderait peut-être à mieux la connaître, moi
qui ne me souviens pratiquement pas d’elle... Mais, comment cet homme la
connaît-il ? Espionnait-il notre famille de loin, ou était-il proche de mes
parents ?
« Aujourd’hui, elle a fait un portrait de moi dans la cire. Les sourcils froncés.
Je lui ai tout supprimé. Je ne pensais pas qu’elle se souvenait si bien. Elle était si
petite... »
Le cœur de Bélina bat la chamade. Serait-il en train de parler de l’incident
des statues de cire ? Le moment où il m’a tout supprimé, parce que j’avais fait le
portrait de mon père ? Attends. Non. C’est pas possible... réalise-t-elle. Elle sent
la détresse la saisir à la gorge. Elle s’empresse alors de lire un passage entouré
en rouge :
« Bélina a presque 18 ans maintenant. J’ai envie de lui parler, mais c’est trop
tard. Elle est complètement muette. Elle a développé une forme de mutisme. Elle
peint et lit tout le temps avec une forme d’abnégation. Je voulais seulement la
garder avec moi... Mais aujourd’hui je me rends compte que je lui ai fait du mal.
Je suis vraiment le plus mauvais des pères. Pourtant, je voulais seulement garder
ma fille auprès moi... »
Bélina arrête sa lecture. Elle relit plusieurs fois la dernière phrase. Encore et
encore, jusqu’à ce qu’elle soit finalement certaine de bien comprendre ces
derniers mots. Elle n’arrive pas à y croire. Mon ravisseur n’est pas seulement un
psychopathe froid et impitoyable, qui a torturé et assassiné de sang-froid de
nombreuses jeunes femmes. C’est aussi mon propre père...
Cette révélation est indigeste pour la jeune femme qui se sent désemparée.
Désespérée. Tremblante. Nauséeuse. Sa vue se trouble de larmes. Soudain, elle
entend du bruit. C’est Jack. Il est rentré. Une vague de panique s’empare d’elle.
– Bélina ! Bélina ? appelle-t-il.
Elle ne sait pas quoi faire. Elle reste figée.
– Bélina ? Où es-tu ? reprend-il.
Jack pousse la porte de sa chambre et retrouve Bélina en larmes.
– Qu’est-ce que tu as fait... lance-t-il d’une voix tremblante.
Son estomac se serre. Il connaît déjà la réponse.
– Je voulais finir de tout décortiquer avant de t’en parler... essaie-t-il de
justifier.
– Jack... Ce monstre, c’est mon père... sanglote Bélina.
Bélina tombe dans ses bras robustes à la manière d’un pantin brisé et pleure à
chaudes larmes. Elle n’arrive pas à se calmer. Sa respiration devient difficile.
Elle a l’impression d’avoir une épée en travers de la poitrine.
– Bélina... Ce n’est pas de ta faute. Cela n’a rien à voir avec toi. Essaie de te
ressaisir...

La jeune femme inspire profondément, ses bras toujours agrippés autour du
cou de Jack. Elle s’enivre de l’odeur de son partenaire, le nez plongé dans sa
chevelure, retrouvant progressivement un sentiment de sécurité et de tranquillité.
Elle se perd dans ses pensées : Sa voix est tellement apaisante. Et il sent si bon.
Un mélange de tabac et de shampoing. Son corps est solide et chaud. C’est
certain, j’aimerais le garder tout contre moi toute ma vie. J’aimerais qu’on reste
comme ça pour toujours...
Jack passe ses grandes mains dans la chevelure brune de la jeune femme. Mon
Dieu que c’est déchirant... Je ne pensais pas que cela me ferait tant de mal de la
voir dans cet état. Ne pleure plus, Bélina. Je suis là. Ne pleure plus. Je t’aime
bien plus que je ne devrais...
Un sentiment étrange éclos au creux du ventre du jeune homme. Il remonte à
son cou et vient perler discrètement au bord de ses yeux. C’est la première fois
qu’il éprouve ce sentiment d’affection et d’adoration pour une femme. C’est la
première fois qu’il se sent à ce point lié à quelqu’un.

***

Bélina et Jack ont dormi au salon, elle sur le sofa, lui sur le fauteuil. Ils ont
veillé très tard. Jack lui a fait la lecture pour qu’elle trouve plus facilement le
sommeil en lui narrant les péripéties du Petit Prince de Saint-Exupéry.
Comme toujours, Jack a sombré au pays des rêves bien avant sa protégée,
dans une farandole de petits ronflements réguliers. Maintenant, Bélina somnole,
son regard s’égarant sur les défauts de peintures du plafond blanc. Ses dernières
pensées lucides sont pour un passage particulier du livre que Jack vient de lui
lire : Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé : c’est ce
que dit le Renard au Petit Prince... Cela veut-il dire que Jack est responsable de
moi ? M’a-t-il vraiment apprivoisée ? A-t-il su tuer l’animal qui est en moi ?

Bélina est la première réveillée, elle s’étire de tout son long, se retourne et
sourit. Brusquement, elle se rappelle ce qu’elle a découvert hier : l’identité de
son père biologique. Elle avait presque oublié pendant quelques instants, après
un sommeil paisible. Mais désormais la réalité a repris le pas, son moral retombe
alors aussitôt.
Elle regarde par-dessus sa couette. Jack est affalé sur le fauteuil tel un pantin
désarticulé. Sa jambe droite passe par-dessus l’accoudoir du siège, sa tête
chevelue s’appuie sur son genou droit et ses bras pendent nonchalamment de
chaque côté de ladite jambe. Sa couverture gît au sol mais il ne montre aucun
signe d’inconfort, au contraire, Bélina remarque qu’il semble toujours plongé
dans un profond sommeil. Jack... Mon merveilleux Jack. Mon sublime Jack. Mon
miracle... Chacun de tes mots me fend littéralement le cœur. Chacun de tes éclats
de voix éclabousse mes pas de leur soleil. Chacun de tes regards accroche des
étoiles d’argent à mon ciel sombre et nu. Chacun de tes souffles tièdes à mon
cou injecte de l’or dans mes veines. Chacun de tes sourires ajoute des couleurs à
mon arc-en-ciel.
Durant un court moment, elle se laisse attendrir, puis se sent soudainement
très triste. Mais je ne devrais pas penser à ce genre de choses : L’amour et les
sentiments... J’ai lu plein de livres là-dessus. Ça finit toujours très mal... Et puis,
s’il ne veut pas de moi, je crois que je pourrais en mourir. C’est plus prudent de
garder ce genre de choses pour moi. Pour moi seule.
Le soleil transparaît à travers les rideaux, Jack se réveille doucement. Il
émerge avec lenteur, passant progressivement en position assise, ses pieds
apposés au sol, sa chevelure hirsute, ses sourcils froncés et ses petits yeux
évitant soigneusement toute source de lumière.
Il est mignon quand il bâille, songe Bélina, d’un air rêveur.
Jack jette un bref regard à la jeune femme, en passant sa main dans son
épaisse chevelure brune.
– Tu as bien dormi ? Tu n’as pas eu froid ?
Bélina hoche simplement la tête pour lui signifier que tout va pour le mieux. Il
se lève alors lourdement et se dirige d’un pas traînant en direction de la cuisine,
la tête encore dans le brouillard.
– Je fais le petit déjeuner, annonce-t-il.
– Tu ne travailles pas aujourd’hui ? s’étonne-t-elle.
– C’est le week-end... Je voulais faire des heures sup » au boulot, mais tu as
plus besoin de moi que ces tocards, marmonne-t-il.
– Tocards ?
– Euh... Ne répète pas ce mot-là... Ce n’est pas très poli. Je voulais dire mes
« collègues ».
– Tu ne les aimes pas ? demande-t-elle naïvement.
Jack sourit.
– Non, pas vraiment... admet-il. Mais je n’aime pas beaucoup de monde en
fait. C’est mon tempérament : je suis habitué à être seul et à réfléchir seul. Je
n’aime pas avoir des gens dans les pattes sans arrêt. Les autres me fatiguent...
Comme je te comprends Jack... Nous sommes pareils toi et moi, songe-t-elle.
Mais soudain elle se demande :
– Moi aussi je t’ennuie ?
– Non toi ça va, répond-il. Je te supporte.
Et merde... J’aurais pu trouver mieux, se lamente Jack. Il s’active alors à
préparer le petit déjeuner, en espérant faire un peu diversion, et pour tenter de
faire oublier ce qu’il vient de dire.
Il me supporte... C’est plutôt positif, mais je suis déçue qu’il ne m’apprécie
pas un peu plus que ça…, se tourmente Bélina.
Dis autre chose imbécile. Dis autre chose…, songe Jack, la sueur au front.
– Je t’aime beaucoup en fait... lance-t-il.
Bélina sourit silencieusement. Et merde, Jack. Pour le coup, c’est un peu trop
là…
–... Comme une petite sœur, reprend-il.
Il ferme les yeux dans un long soupir d’exaspération : Merde ! T’es trop con
décidément, mon pauvre Jack…
Ses mains tremblent. Il a du mal à se concentrer sur les assiettes qu’il dresse.
Bélina essaie de cacher sa déception, mais elle bouillonne de l’intérieur : Et
voilà ce que je craignais le plus ! Maintenant je suis obligée de lui dire que je
ressens la même chose que lui, sinon je vais le perdre.
– Moi aussi... Je te vois comme un grand-frère, articule-t-elle finalement.
Et voilà ! J’ai tout gagné..., s’attriste Jack.
Il place délicatement les assiettes sur la table et s’affaisse sur une chaise avec
lourdeur, comme s’il portait tous les malheurs du monde sur les épaules.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai vraiment envie de pleurer... Les relations
humaines, c’est beaucoup plus compliqué que ce que je pensais en fait,
s’aperçoit Bélina. Elle enfouit son visage sous sa couette tiède, afin de retrouver
son calme, seule dans le noir. Pourquoi est-ce que j’ai l’impression d’avoir été
rejetée ? Pourquoi ce que pense Jack a tellement d’importance ? Finalement,
que représente-t-il exactement pour moi ?

***

J’aime bien les week-ends : ça me permet de passer plein de temps avec
Jack ! Par exemple, j’ai adoré me promener dans le grand parc avec lui. Mais
maintenant, c’est lundi... Il est de nouveau absent, et je suis de nouveau toute
seule dans cette grande maison vide...
Le hamster remue dans sa cage et sa présence irrite Bélina, car elle le déteste
toujours autant. Son aspect. Son odeur. Son bruit. En fait, tout en lui la répugne.
En proie à des frustrations de plus en plus puissantes depuis la lecture des
journaux, Bélina sent grandir en elle un sentiment qu’elle n’a pas encore
identifié. Serait-ce le doute qui prend possession de mon être ? Le doute d’être
ou de ne pas être comme mon père ?
Jack a beau lui répéter : « Il ne faut jamais conclure trop vite. Je n’ai pas fini
de décortiquer les journaux. Il y a plein de pages volantes non datées... Et puis,
je sens qu’il y a un truc qui m’échappe dans cette affaire. Un détail. Et mon
instinct ne m’a jamais fait défaut », elle n’arrive pas à oublier. À passer outre. À
dépasser ses sentiments de déception, de haine et d’amertume qui la rongent
depuis ces deux derniers jours.
Perdue dans ses pensées, Bélina ne comprend plus du tout ce qui lui arrive.
Elle semble ressentir les choses plus intensément que jamais et cela la terrifie au
plus haut point… Tu fais trop de bruit, cerveau bouillonnant... Tous les sons
semblent se fondre dans le perpétuel silence. Mes actes se fondent dans
l’anesthésie. Cette terrible douleur pénètre ma chair et mes sens avec toujours la
même intensité. L’espoir qui pendait au bout de mes doigts m’a fui. La détresse
ronge mon cerveau... Il ne sera bientôt que poussière. L’anormalité semble avoir
gravé ses lettres dans mon corps... Elles me dérangent. Elles m’insupportent. Je
ne les supporte pas. Je les vomirais, si seulement je le pouvais. J’ai l’impression
qu’une folie triste et douce me gagne...
Bélina s’approche de la cage du hamster et commence à perdre son sang-froid.
Il m’agace ce maudit truc inutile... Il ne souffre pas, lui, et pourtant il le
mériterait bien plus que moi !
Le petit monstre duveteux fixe Bélina de ses yeux globuleux qui la répugne.
S’il savait ce que la jeune femme a en tête, il ne s’approcherait pas d’elle ainsi.
Mais l’animal innocent ne se doute de rien. Il s’avance quelques instants à petits
pas, puis se détourne rapidement d’elle pour grignoter un mince morceau de
carotte.
Bélina a quitté son enveloppe humaine. Elle veut lui faire du mal, justement
parce qu’il est seul et sans défense.
La petite boule de poils mange tranquillement dans sa cage. Son bourreau
l’observe à travers les barreaux de ses grands yeux figés. Bélina ne cligne pas
d’un œil. Le prédateur a repéré sa proie.
Elle se demande bien ce qu’elle pourrait faire du petit être face à elle.
L’étouffer ? Non, je ne sais pas comment faire, et puis le cou me semble trop
petit... L’attraper et lui croquer la tête ? Non, sûrement pas. L’idée n’est pas très
ragoûtante... Lui ouvrir le ventre pour voir s’il a une quelconque âme cachée à
l’intérieur. Non, c’est stupide. Les animaux n’ont pas d’âme...
Bélina quitte la pièce quelques instants, et revient armée d’un marteau. Elle
ouvre ensuite la cage du petit animal aux yeux humides. Elle veut voir la couleur
du sang, elle veut savoir ce qu’a ressenti son père.
Elle saisit un torchon blanc, et recouvre le petit rongeur du voile funèbre
qu’elle lui a trouvé. Elle le voit bouger sous l’épaisse étoffe rugueuse. Elle
hésite. Son cœur tambourine violemment contre ses côtes, comme si le triste
organe voulait s’arracher lui-même de sa poitrine. Elle ressent une terrible peur,
entremêlée d’une certaine excitation liée à la curiosité. La curiosité d’entrer dans
le monde de son père.
Bélina tient fermement le marteau de sa main droite. Sa petite menotte pénètre
alors à l’intérieur de la cage. Avec lenteur et minutie. Le petit animal se débat
toujours sous sa prison de tissus. Je dois faire vite. Avant que la petite chose ne
se libère...
Elle assène un premier coup timide. Insuffisant pour blesser véritablement la
petite bête, mais assez puissant pour lui arracher un petit cri perçant. Désormais,
le minuscule animal pressent qu’il est en danger. Ses mouvements sont de plus
en plus rapides et désorientés, lorsqu’une lueur étrange grandit dans les yeux de
son agresseur.
Bélina tape de nouveau. Plus fort. Un cri déchirant mélangé à une espèce
d’effroyable craquement se fait entendre. Elle a broyé une bonne partie de
l’animal qui pousse des gémissements atroces. Il se noie dans son propre sang.
Le liquide rouge vif colonise le tissu.
Elle frappe de nouveau. Encore un craquement effroyable. Et elle tape encore,
encore et encore. Elle réduit alors l’animal à l’état de bouillie. La chose a enfin
disparu... Je l’ai détruite.
Bélina se sent vidée et honteuse. Elle se rend compte qu’elle vient de
commettre l’impardonnable : elle a tué un être vivant et elle y a trouvé du plaisir.
Maintenant, elle a peur de soulever le petit torchon pour constater la mort.
Elle pose le marteau, puis dirige ses mains tremblantes vers l’objet ensanglanté.
Pourquoi n’ai-je pas vraiment envie de voir le résultat ? Pourquoi est-ce que
j’appréhende la vision horrifique de ce petit hamster broyé ? Pourquoi est-ce
que je regrette déjà mon acte impulsif ? Finalement, je ne pense pas être comme
mon père... J’éprouve déjà de la culpabilité, alors que lui n’en a, semble-t-il,
jamais éprouvé. Je ne suis pas comme lui. Elle prend son courage à deux mains,
elle saisit le tissu mou et le fait lentement glisser. Ce sinistre lever de rideau
laisse apercevoir un petit corps rouge. Détruit. Ravagé.
Quelque part, elle se sent soulagée. Comme si elle y voyait une réflexion
d’elle-même. Une espèce de reflet de son âme dévastée par le chagrin. Une
matérialisation de la destruction, mais ce sentiment de réconfort et de plénitude
laisse tout à coup place à du dégoût. Elle détourne aussitôt son regard du cadavre
encore chaud.
Elle saisit le torchon ensanglanté du bout des doigts et l’étale par terre. Ainsi
étendu au sol, le torchon trempé de sang ressemble à la toile d’un grand peintre
moderne. Une œuvre d’art. Je vais la nommer « Destruction ».

***

Jack fait les cent pas dans la salle à manger. Bélina, assise sur un fauteuil, fixe
honteusement ses pieds, de profonds remords lui dévorent les veines : Jack est
très fâché cette fois. Il a l’air hors de lui. J’ai fait une grosse bêtise. Une très
grosse bêtise... Je ne dois plus jamais recommencer. Plus jamais.
– Je ne sais pas si je dois le signaler... C’est très grave, Bélina ! Ce genre de
comportement ne peut pas être pris à la légère, surtout avec un passé comme le
tien...
Bélina trouve la remarque de Jack injuste et déplacée : Ce n’est pas ma faute
si ma vie et mon passé sont comme ils sont... Je n’ai pas cherché à avoir une vie
pareille ! Et puis en ce moment, j’éprouve des émotions que je suis incapable
d’analyser ou même de simplement comprendre... Je me sens complètement
perdue, absorbée peu à peu dans un gigantesque trou noir, et Jack ne me fait que
des reproches... Pourquoi est-il comme ça ? Pourquoi il n’arrive pas à me
comprendre ?
– Quand tu parles de « mon passé particulier », tu parles du comportement
violent de mon père ou du fait que j’ai été séquestrée presque toute ma vie ?
ironise-t-elle.
– Je parle du fait que tu n’as peut-être pas une bonne notion du bien et du mal,
tranche-t-il d’un ton sévère.
Bélina se sent un peu désarçonnée par la réflexion de Jack. Elle essaie de se
justifier comme elle le peut :
– J’ai lu plein de livres... Je sais que tuer c’est mal. Mais cette bestiole était
une nuisance !
Jack perd son sang-froid et se met à hausser d’un ton :
– C’était un être vivant, Bélina ! Un animal qui ressentait des choses.
La jeune femme campe sur sa position, elle sait ce qu’elle a lu dans la
documentation scientifique et n’en démord pas :
– Les animaux n’ont pas de sentiments. Dans les articles scientifiques que j’ai
lus, il est clairement stipuler que...
Jack soupire en secouant la tête.
– Il est là le problème, Bélina ! Tu ne dois pas te contenter de savoir. Tu dois
ressentir. Personne ne t’a sensibilisée à l’empathie durant toutes tes années de
solitude... Tu es devenue aussi froide qu’un livre technique.
Bélina a l’impression de se prendre un coup de poing dans le ventre en
entendant ces mots. Jack poursuit aussitôt :
– Tu as vécu toute seule toute ta vie... Tu es comme un petit enfant. Égoïste. Il
va falloir apprendre à vivre avec les autres, Bélina. À être attentive à ce que
ressentent les autres. Dans la vie, on a besoin d’être seul, mais on a aussi besoin
des autres. Les autres nourrissent et agrandissent notre propre monde...
Bélina se sent triste. En entendant ce discours, elle a l’impression d’être un
être déficient ou handicapé. Jack continue, la gorge serrée :
– Et puis... Un jour, tu auras envie de faire comme les autres. Tu finiras par
vouloir prendre un époux et avoir des enfants, des personnes pour agrandir
encore plus ton petit monde... En fait, je pense qu’on a besoin des autres, car on
a besoin de reconnaissance et d’affection. En permanence. C’est la nourriture de
l’âme... On a besoin d’être aimé et d’aimer les autres.
Bélina s’approche lentement de Jack. Elle le trouve beau, aujourd’hui encore
plus que d’habitude... Elle apprécie qu’il la regarde sans cesse avec la même
bienveillance, alors que certaines personnes se seraient détournées d’elle. Elle
sait qu’il est la seule personne avec qui elle peut créer des liens et s’améliorer en
tant qu’être humain. Ici et maintenant, il lui apparaît comme la plus belle chose
portée par la Terre. Il incarne l’espoir, celui-là même qu’elle peignait toute seule
dans sa prison métallique.
Jack pose une main réconfortante sur haut du crâne de la jeune femme et
tapote lentement, un geste maladroit pour la réconforter un peu. Il sait ce qu’elle
est, et ce qu’elle a vécu. Pourtant il n’a pas pensé à fuir une seule seconde. Il la
voit toujours avec la même lumière que la première fois. Ce fameux jour où il
s’est battu à coups de poing et coups de pied pour la sortir de l’obscurité.
Elle se place face à lui, sans oser le regarder dans les yeux, elle pose
simplement son front blême sur son thorax. J’ai envie de pleurer, c’est étrange...
Je ne veux pas être froide, distante, seule ou violente. Je veux qu’on m’aime. Je
veux être aimée... Je le veux tellement que cela crie à travers ma chair.
– Si je mourais dans cinq minutes et que je n’avais jamais connu l’amour, je
pense que j’aurais raté quelque chose d’important, murmure-t-elle.
Elle s’interrompt dans son discours, et fait parcourir ses fins petits doigts
satinés le long des bras de Jack qui reste muet. Elle reprend :
– Pourrait-on faire semblant de s’aimer ? Tous les deux. Juste pour un jour,
une nuit, quelques minutes, ou même seulement quelques secondes... Juste faire
semblant...
Elle s’arrête de nouveau. Elle a du mal à parler. Elle ressent une chose
étrange, comme une intrusion douloureuse au sein de son être. Douloureuse mais
enivrante. Elle reprend :
– Faisons comme si tout allait bien. Comme si tout était normal. Comme si
rien de tout ceci ne s’était jamais passé. Semblant que tout ira toujours bien.
Remontons le temps. Réécrivons l’histoire. Faisons semblant de nous aimer
vraiment. Comme si on était seuls au monde... Tu veux bien ?
Tout en parlant, elle pose ses mains sur lui. Elle sent le tissu et, en dessous,
elle devine la chair et les os. L’être qu’elle désire par-dessus tout.
Bélina déboutonne alors sa chemise. Jack ne fait rien. Aucune esquisse de
gestes. Il se contente de l’observer. De l’admirer. Elle pose ses mains blanches
sur son torse et remonte lentement jusqu’à son cou. Il a un corps qui appelle à la
tendresse, pense-t-elle. Poussée par une force invisible, elle plonge son petit nez
dans l’océan parfumé de ses cheveux bouclés. Les larmes lui montent aux yeux.
Jack dispose ses bras autour d’elle, l’enfermant dans un cocon de douceur.
C’est à ce moment qu’elle se décide à l’embrasser, un désir irrépressible
traversant tout son être l’ayant poussée à cet assaut ultime. Elle n’arrive plus à se
détacher de lui. Elle embrasse. Elle touche. Elle caresse. Et plus les minutes
passent, plus elle sent au fond d’elle-même qu’elle ne fait pas semblant. Jack, si
l’amour ou l’affection devaient porter un nom. Si elles devaient avoir une
définition. Pour moi, ce serait cette chose qui réchauffe mes mains quand tu es
près de moi, pense-t-elle.

Jack ne sait pas trop quoi penser de la situation. Il l’avait pressenti depuis le
début, au moment où il avait posé les yeux sur elle pour la toute première fois :
Dans les méandres des pupilles de Bélina, il avait distingué « l’espoir ». Celui-là
même qu’elle avait injecté dans sa vie de manière aussi brutale.
Plus il la regarde, plus il apprend à la connaître, plus il la sent, plus il la
ressent... Et plus il s’attache à elle de manière irrévocable. Je t’aime Bélina. Je le
sais depuis un moment maintenant. Mais je n’avais jamais réalisé à quel point,
jusqu’à maintenant... S’il faut faire semblant, alors je ferais comme si je faisais
semblant. Je recueillerais ta chaleur et la préserverais au creux de mon être
pour me réchauffer le jour où tu me quitteras, songe-t-il, perdu dans la chaleur
des étreintes de Bélina. Elle fait juste semblant, elle ne m’aime pas vraiment...
Alors inutile de lui livrer ce que je ressens, elle serait capable de me rejeter... Ce
petit jeu qui naît entre nous peut me faire beaucoup de mal. Je le sais. Mais je
veux essayer quand même. Et puis, Bélina finira peut-être par m’aimer pour de
vrai avec le temps ?
Jack respire l’odeur de sa peau. Il se baigne dans le parfum chaud de sa
chevelure, il recueille d’elle tout ce dont il a besoin pour construire ses paradis
artificiels. Il la couche au creux de son lit et ils consomment leurs affections
mutuelles à fleur de peau.

***

Cela fait quelques jours que Bélina s’essaie à l’écriture. Je me demande bien
ce que je vais pouvoir écrire cette fois... Elle saisit son stylo et commence :
« Si vous cherchez une chose contre nature, demandez l’oppression. Elle
consiste à la constitution d’un obstacle à la liberté individuelle. C’est une
obscure apparition qui éteint vos espoirs. C’est comme si la bête avait finalement
tué la belle, tenant sa gorge serrée entre ses dents... L’oppression détient les clés
du désespoir, car elle liquéfie chaque jour un peu plus vos rêves pour les
absorber, telle une mygale se nourrissant de sa proie. La figure oppressante vous
crève la poitrine, rendant la respiration plus difficile que l’asphyxie. Le futur
meurt dans ses bras. »
Bélina s’arrête quelques instants. Elle est plutôt fière d’elle. Elle rougit un peu
en pensant à Jack. Tout va bien depuis que je dors avec lui. Il a véritablement
quelque chose de magique. Son toucher m’apaise comme rien d’autre.
Elle reprend sur une autre feuille. « La résignation, c’est comme fermer une
porte. Ce n’est pas forcément irréversible. Mais des fois, il vaut mieux fermer
une porte sans se retourner, même si ça fait mal au ventre. »
Soudain elle entend du bruit dans le living-room.
– Je suis rentré ! lance la voix de Jack.
Bélina range ses feuilles à la va-vite et court le rejoindre. J’ai l’impression que
tout va bien quand il est là, auprès de moi. J’ai besoin de lui, il n’imagine pas à
quel point...
Dès qu’elle l’aperçoit, elle se jette à son cou et l’inonde de petits baisers. Elle
songe soudain : J’ai envie de le toucher... J’ai envie qu’il m’apaise de son corps
et de sa peau. Qu’il mette un peu de son eau sur les flammes de mon passé.
Bélina le caresse au niveau du bas-ventre et l’aide à se dévêtir. Jack ne peut
pas détourner son regard d’elle. Elle me tue un peu plus à chaque fois qu’elle me
touche. Ma petite fée aux mains de soie...
Bélina le regarde dans les yeux et murmure :
– J’ai envie de faire l’amour. Encore. Je te veux encore tout contre moi et tout
à l’intérieur...
Jack rougit légèrement : Qu’est-ce que je suis en train de faire, nom de Dieu ?
Je devrais lui dire que je l’aime ou que moi aussi j’ai envie d’elle... Mais rien ne
veut sortir. Mon corps refuse d’obéir, comme si j’étais piégé dans le plâtre. Il se
contente de défaire délicatement la petite robe de la jeune femme. Il la porte
ensuite dans ses bras, l’emmenant jusque dans leur chambre sans dire un mot.

***

C’est le moment de créer... Mais nul besoin de chercher une victime cette fois.
se dit Bélina en repensant au « désastre du hamster ».
Elle prend une feuille blanche de grande taille et s’assit par terre. Mais que
puis-je bien créer ? Montrer ? Faire deviner ou imaginer ? Quelle
problématique soulever ? Elle prend un crayon à papier, mais l’inspiration la
fuit. Aucune idée ne vient, pas une seule. Bélina se sent ravagée dans son for
intérieur et ne sait pas comment l’exprimer pour s’en débarrasser. Une
frustration absolue la saisissant au corps. Je n’étais jamais en mal d’inspiration
dans ma petite maison métallique... Très bien ! Réveillons les vieux démons dans
ce cas ! Si c’est la seule manière de rester inspirée...
Elle va dans la salle de bain, cherche dans l’armoire à pharmacie, revient au
salon et se rassit à côté de la feuille blanche. Un petit objet métallique brille dans
sa main, elle le pose au sol.
Il ne faut pas faire cela n’importe comment. Il faut réfléchir où mettre la
matière pour en dégager un portrait.
Elle contemple attentivement la toile vierge qui s’étend face à elle, la touche
des doigts, analyse rapidement l’espace disponible. « Tout sera millimétré... pour
mon premier autoportrait. »
Bélina se sent prête. Elle saisit le morceau métallique qui gît sur le carrelage, à
la fois solitaire et froid. C’est une fine lame de rasoir rutilante. Bélina pose
l’instrument rédempteur sur son avant-bras. Elle applique une légère pression et
fait glisser la lame d’un geste rapide, bref et précis. Le fluide rouge, gras et tiède
ruisselle.
Elle retient le précieux liquide à l’odeur ferreuse dans sa main droite, et
l’applique avec le plus grand soin sur le papier. Du bout de ses longs doigts
blêmes, elle esquisse des yeux, un nez, une bouche, un cou et des cheveux. À la
manière d’une tendre aquarelle, elle peint le flou en toute précision.
Il lui faudra néanmoins compter sur deux blessures supplémentaires pour
achever son œuvre. La douleur est supportable, tant qu’elle n’est que physique.
L’âme a des faiblesses, bien à elle, que le corps matériel n’a pas.
Bélina reste concentrée à son maximum durant toute la durée que prend la
réalisation de son œuvre macabre. Elle s’applique à ce que son portrait soit un
reflet de son véritable aspect, aussi bien physiquement que mentalement :
Parfait ! Voilà une image mystérieusement troublante et poétique, où l’art a su
transformer la laideur en beauté : c’est bien moi ! Je me reconnais.
Bélina désinfecte ses blessures, calmement. Tout en appliquant les bandages,
elle regarde l’encre de son portrait noircir doucement au contact de l’air. La
matière visqueuse change de couleur et se rigidifie, comme un changement
d’état ou d’humeur. Cela ne va pas du tout plaire à Jack…, réalise-t-elle
soudainement.

***

Ce jour-là, Jack monte des escaliers du son immeuble précipitamment, il tient
fermement un petit cahier rouge à la main. Il arrive devant la porte d’entrée de
son appartement. Il est étonné de la trouver entr’ouverte. Il la pousse alors, avec
beaucoup d’appréhension : Bélina, qu’est-ce que tu as bien pu faire comme
bêtise, encore ?
– Bélina ! Il faut vraiment qu’on parle. On a fait une découverte importante au
boulot ! On a trouvé un petit cahier corné, et ça change tout ! Absolument tout !
Tu m’entends ? Bélina ?
Il entre dans la chambre et comprend que la jeune femme n’est pas là. Elle est
partie. Elle a quitté l’appartement. Il découvre une enveloppe sur le lit.

« Cher Jack,

Je sais que je t’ai beaucoup déçu. Énormément. Et je pense que tu pressens,
comme moi, que toute cette histoire ne peut que mal se terminer. Je te fais plus
de mal que de bien, et je pense qu’au fond de toi, tu le sais.
Aujourd’hui, j’ai voulu te rendre visite à ton travail. J’ai trouvé l’adresse sur
un de tes papiers. Mais quand je suis arrivée, tu étais dehors, vers l’entrée et tu
discutais avec deux très jolies femmes. Elles te noyaient de sourires séducteurs.
C’est à ce moment que j’ai réalisé...
Je pense que l’on n’aurait jamais dû se rencontrer. Jamais. J’aurai dû être
exactement comme toutes ces autres femmes que tu ne regardes jamais. J’aurais
dû laisser mes regards d’amour traîner honteusement au sol, et ne jamais aller
plus loin.
Tu es très beau, tu pourrais avoir n’importe quelle femme, et les lions ne se
mélangent pas avec les crapauds. Que vont bien penser les gens s’ils nous voient
ensemble ?
Tu serais bien malheureux avec moi, et j’en mourais si un jour je me réveillais
et que je réalisais que j’ai gâché ta vie... Il faut que tu te trouves une femme qui
te mérite. Et cette femme, ce n’est pas moi.
Je t’aime tellement que quand je te regarde un peu trop fort dans les yeux, je
sens presque le souffle de la grande faucheuse penchée sur mon épaule. Si on
doit forcément mourir, alors pourquoi ne pas mourir d’amour ? Tu cloueras
sûrement mon cercueil avec les clous de tes amours futures, tu m’enfouiras dans
les profondeurs des tourments le jour de ton mariage, et tu me feras sombrer
dans l’oubli quand viendront tes obligations de père. Mais il faut que je te laisse
partir... avant que je ne te transmette ce démon qui me parasite.
Je te remercie pour tout. J’avais rêvé pendant si longtemps d’un regard
comme le tien. Un regard dont la puissance tuerait mon refuge de silence. Merci
de m’avoir fait voyager dans les boucles de tes cheveux et de m’avoir donné de
l’espoir pendant tout ce temps.
Adieu donc, mon amour. »

Jack ressent de la tristesse mélangée à de la colère « Tu n’aurais jamais dû
aller plus loin ? Tu dois me laisser partir ? » Quelle idiote tu es, Bélina,
vraiment... Faire une telle déclaration d’amour pour mieux me quitter... N’as-tu
donc jamais compris, dans mes gestes et dans la façon dont je te traite, qu’il ne
peut y avoir qu’une seule femme dans ma vie : toi. C’est simple. Je refuse de ne
plus t’aimer, Bélina ! Moi aussi, je t’aime, et il est hors de question que
j’abandonne maintenant ! Je veux pouvoir être heureux avec toi ! Si tu as été si
malheureuse durant ces dernières semaines, c’est entièrement de ma faute...
C’est parce que, cloîtré dans ma pudeur, je n’ai pas su te dire ce que je ressens
pour toi, de façon explicite, avec des mots que tu avais besoin d’entendre... Mais
je vais tout rattraper !
Il quitte le studio sans réfléchir. Il sait parfaitement où elle est allée. Elle n’a
qu’un seul refuge au monde.

***

Bélina projette son regard un peu partout autour d’elle, imprégnant le lieu de
chagrin et d’incompréhension. De retour à la maison...
Un cri de chat se fait entendre par la fenêtre. Bélina sursaute. Cette maison est
si déserte et poussiéreuse... Et cette odeur âcre de renfermé et de saleté :
insupportable ! Je me demande s’il y a des personnes assez malades pour être
intéressées par une maison comme celle-ci.
Bélina avance dans la pénombre. Elle allume la lumière, mais seules certaines
ampoules daignent s’éclairer, les autres restent éteintes. Le plancher grince sous
ses pieds. Le silence est pesant. Elle monte au premier étage. Les chambres...
Le silence oppresse ses tympans, provoquant un concert de sifflement et de
bourdonnement à ses oreilles. Elle a peur. Elle ne sait pas pourquoi. Elle
n’entend plus que les battements de son cœur qui tambourine à ses tempes, tout
autre bruit semble avoir disparu. Son sang bout dans ses veines, son corps tout
entier se raidit.
Elle cherche la vérité sur les murs tristes et froids. C’est ici... Elle a reconnu sa
chambre d’enfant du premier coup d’œil, avec les vieilles peluches
poussiéreuses et les photos jaunies qui ornent les murs. Elle a l’impression d’être
dans l’un de ses rêves, dans un vieux souvenir décrépi dépourvu de sens. Elle est
pétrifiée. Je n’aurais peut-être pas dû revenir...
– Bélina ! Bélina...
Elle reconnaît immédiatement la voix de Jack. Perdue dans ses pensées, elle
ne l’a pas entendu arriver. Il apparaît alors dans l’encadrement de la porte, l’air
essoufflé, les cheveux en bataille et le regard luisant.
– Bélina... Pourquoi es-tu partie ?
– Tu n’as pas lu ma lettre ?
– Bien sûr que je l’ai lue. Un bel écrit qui transpire la stupidité...
Bélina reste immobile. Muette. Jack semble vraiment furieux contre moi...
Est-ce que c’est à cause de mes sentiments amoureux ? Ou parce que je suis
partie ? Je ne comprends pas trop ce qui le met dans un tel état... S’il est venu
me chercher, c’est qu’il m’aime vraiment, non ? Elle préfère garder le silence et
entendre ses explications.
– Il n’y a aucune réponse ici, affirme celui-ci. Tu n’avais pas besoin de revenir
dans cette maison pour mieux comprendre ce qui t’est arrivé…
– Qu’est-ce que tu en sais ? Peut-être bien que vous avez oublié des trucs ?
– Non, les réponses sont toutes là ! triomphe Jack en brandissant le fameux
calepin rouge.
Bélina le regarde avec un air interloqué. Il poursuit :
– C’est un petit carnet qui était caché dans un vieux livre d’anatomie
poussiéreux. Susan l’a trouvé hier, par pur hasard…
– Et ça raconte quoi, au juste ? interroge Bélina sur un ton désabusé, peu
convaincue de l’importance du livret à l’aspect corné et dérisoire.
– Tout. Ça raconte tout. Ça change tout ! s’enthousiasme Jack.
Il ouvre alors le carnet, et commence à lire un passage à haute voix :
– Tiens écoutes : « Cette femme était exactement comme Isabelle.
Abominable. C’est pour ça que je lui ai mis des bouts de miroirs dans les yeux.
En souvenir d’Isabelle. Pour que je puisse me voir dans ses yeux... »
– Je ne vois pas trop ce que ça change ! l’interrompt Bélina. Mon père est un
monstre froid et insensible, ça, je le sais déjà, merci…
– Patience, Bélina... Ce n’est pas ce que tu crois : « Pour que je puisse me voir
dans ses yeux sain et sauf. Je me suis regardé tellement de fois dans le miroir de
la salle de bain pour camoufler la vérité. La vraie nature d’Isabelle... Les
cicatrices, brûlures et bleus sur le corps et l’âme. Ma tendre femme... Cette
grande psychopathe ».
Bélina écarquille les yeux, de vieux fantômes lui compressent le thorax :
– Ma mère était violente ?
– En effet, elle maltraitait ton père. Tiens, écoute : « C’est de plus en plus
difficile de mentir... Il n’y a de soutien nulle part. Le monde semble toujours
absorbé par autre chose... Mais il vaut mieux que ce soit moi que Bélina. Ma
fille est devenue toute ma vie. Elle est parfaite. Quand je la regarde, je sais que
ma vie a un sens. Elle représente tous mes espoirs. Toute la brillance de mon
monde. Toute la puissance de mon ciel. Je ferais n’importe quoi pour les
préserver, elle et son innocence. À n’importe quel prix ».
Jack tourne quelques pages et reprend :
– Et… Voilà le passage que je cherchais : « Aujourd’hui, j’ai commis
l’irréparable. Quand je suis rentré à la maison, j’ai vu que Bélina avait un
énorme bleu au visage. Je n’ai jamais été autant en colère... Je ne me souviens
pas très bien ce qui s’est passé. La seule chose que je sais, c’est que j’ai tué ma
femme et que Bélina était là. Elle a tout vu, je crois. Je voulais seulement la
protéger, mais elle a peur de moi maintenant... J’ai enterré Isabelle dans le jardin
et j’ai emmené Bélina dans notre maison secondaire. Le pire, c’est que je suis
obligé de l’enfermer, sinon elle risque de parler de ce qu’elle a vu... Ce qui est
très bizarre, c’est que personne ne se pose vraiment de question. Pour tout le
monde, Isabelle m’a quitté et a pris notre enfant avec elle. Et c’est tout. Un jour,
deux de mes collègues m’ont même dit qu’ils les avaient croisées... Ce qui est
totalement impossible, bien sûr ! Je me sens perdu. Je ne sais plus trop quoi faire
ou penser, surtout concernant Bélina. Existe-t-il une solution pour lui faire le
moins de mal possible ? Comment savoir quelle décision il convient de prendre ?
Pourra-t-elle me pardonner un jour si, dans la tourmente et le doute, je viens à
prendre la mauvaise décision ? »
Jack arrête sa lecture et guette la réaction de Bélina.
Même si le visage de la jeune femme reste impassible, son regard exprime la
confusion la plus complète. Ses pupilles humides font des aller-retour rapides au
sein de ses orbites livides. Brutalement, son regard bouleversé se fixe sur Jack.
Ses lèvres tremblantes remuent, sans qu’aucun son ne s’en échappe. C’est avec
quelques peines qu’elle arrive, finalement, à communiquer une phrase
intelligible :
– Mon père me protégeait de ma mère, c’est ça ?
– Oui. J’ai fait des recherches sur ta mère, d’ailleurs. J’ai cherché si elle avait
des antécédents psychiatriques…
– Et tu as trouvé quelque chose ?
– J’ai trouvé son dossier psychiatrique. Ta mère était très violente, Bélina...
Mais elle n’était pas la seule…
– Comment ça ?
– Toutes les femmes que ton père a assassinées étaient des femmes violentes.
Elles battaient leur mari et leurs enfants...
Bélina commence à comprendre en quoi ce carnet change toute l’affaire.
– Ton père faisait justice lui-même, explique-t-il. À sa manière. Il tuait toutes
les femmes comme ta mère…
– Mais comment il les trouvait-il ? Comment identifier des maris ou enfants
maltraités ?
– Ton père était médecin. Un médecin méticuleux et rancunier…
Il reprend le carnet et lit :
– Il y a ce passage aussi : « J’ai tout perdu. Le beau sourire de ma fille. Ses
regards admiratifs. Je crois qu’elle ne se souvient même plus de moi. Elle m’a
oublié... J’ai besoin d’écrire pour être sûr de ne pas avoir rêvé, et que ces anciens
souvenirs heureux que j’ai eus avec elle étaient bel et bien réels. Tout ça, c’est la
faute d’Isabelle. C’est sa faute. Je ne laisserai pas d’autres pères vivre ça ! » Et
ce passage aussi : « Ma fille est tout pour moi. Elle provoque en moi une
tendresse qui me dévore les veines. Comme si mon corps ne comptait déjà plus.
Comme si ma chair avait disparu. Une affection tendre s’empare de moi, me
transporte et m’aspire auprès d’elle. Bélina définit ce qui reste de mon humanité.
Elle est si pure et innocente, cela me transperce... Je lui ai inventé un monde
isolé, loin de toute notion de violence ou d’injustice. Si l’amour n’a pas de prix,
moi, j’ai l’impression d’avoir payé le prix fort. Un jour, j’espère que ce monde
me pardonnera. »
Bélina ressent comme une chaleur naissante au creux d’elle. Un soulagement
léger qui, une fois esquissé, grandit et colonise son être. Tel un miracle se
dessinant à l’horizon, elle a l’impression de découvrir pour la toute première fois
ce que c’est que de vivre sans un corset qui étouffe le souffle : Toutes ces choses
affreuses et toute cette solitude... Ce passé tellement lourd, sombre, tragique et
douloureux... Ce n’était pas pour rien. Il y avait une raison ! Il y en avait une...
Et ce n’est pas tant la haine qui a guidé la main de mon père, il y avait aussi
l’amour. Mon père m’aimait... Cette idée illumine les prunelles bleues de la
jeune femme. Des larmes cristallines constellent au coin de ses yeux.
Jack remarque l’émoi grandissant de Bélina. Il sait que c’est le bon moment, il
lui tend alors une enveloppe jaunie :
– C’est une lettre que ton père t’a écrite, avant de se pendre. Je l’ai lue.
J’espère que tu ne m’en veux pas…
– Tu sais bien que non, répond-elle en prenant le papier qu’il lui tend.
Elle retire délicatement la lettre de son enveloppe, et la lit :

« Chère Bélina,

Je tiens tout d’abord à te présenter mes excuses. Après tout ce temps, je me
rends compte à quel point j’ai été égoïste. Je n’ai pas pris les bonnes décisions
vis-à-vis de toi. J’aurai dû t’abandonner dans un quelconque orphelinat. Tu
aurais été bien moins seule et malheureuse, je pense. Pardonne-moi de ne pas
avoir eu ce courage, la force de vivre sans toi.
Et puis, je te laisse avec un bien sombre héritage. Ma haine pour ta mère m’a
dévoré pendant toutes ces années. Je suis finalement devenu tout ce que je
détestais... Pardonne-moi de ne pas avoir été un père à la hauteur.
J’ai toujours cru que la force de mon affection pour toi pouvait tout vaincre.
L’obscurité. Le destin. La mort. Tout. Mais j’avais tort. Elle t’a réduite au
silence.
Si l’amour inconditionnel existe, je l’ai vécu à travers tes yeux durant tout ce
temps. Tu as toujours été pour moi ce souffle de vitalité invraisemblable qui me
prend le corps en mes instants les plus désespérés.
C’est pour cela que je dois te délivrer... Moi mort, tu es libre. Et puis j’ai bien
trop peur de vivre et d’affronter ton jugement et tes regards de haine. J’ai
toujours été lâche, mais toi tu es différente. Tu n’es pas comme moi. Tu as
beaucoup de courage et de pureté dans les veines.
Un jour, j’espère que tu trouveras le moyen de me comprendre et de me
pardonner. Je te souhaite une existence emplie de bonheur, ma fille adorée. Mon
trésor.
Ton père qui t’aime infiniment. »

Bélina sourit et tombe dans les bras de Jack. Elle songe alors : C’est comme si
j’avais vécu avec une épée au-dessus de ma tête toute ma vie. Mais maintenant,
c’est fini ! Mon père n’était pas un ange, mais ce n’était pas un monstre.
Personne n’est parfait et la vie est difficile. Et, oui... Ma réponse est « oui ». Un
jour je sais que je trouverai la force de lui pardonner. Je le sais.

***

De nombreuses années ont passé, depuis le jour où Bélina a pris connaissance
de la vérité sur son passé et son père. Elle est en train d’écrire les dernières
lignes de son autobiographie, un livre dont le concept excite déjà l’imagination
des journalistes : « La culpabilité est une aberration. Un monstre de
ressentiments. Il y a des fois où on se sent grandi par nos peines et blessures, et
d’autres où elles nous rétrécissent. La culpabilité vous renvoie toujours dans la
seconde catégorie. Il ne faut pas hésiter à s’en débarrasser ».
Bélina discerne une pulsation au creux de son abdomen. C’est la première fois
qu’elle sent le petit bouger. Elle sourit et pose sa main sur son ventre gonflé. Elle
s’adresse à l’enfant qui grandit sous son nombril :
– Ton père et moi, on t’aime déjà au-delà de tout, mon chéri... Jack ! Viens !
Le bébé a bougé !
Elle prend un post-it jaune et écrit soigneusement en toutes lettres : « Quand
on est petit, on est comme une éponge. La moindre émotion on s’en gorge. La
moindre tragédie on l’absorbe ».
Jack entre en trombe dans la chambre, il pose aussitôt ses grandes mains sur le
ventre de sa femme et étire un large sourire.
– C’est fantastique... s’émerveille-t-il.
Il dépose un petit baiser juste en dessus du nombril de Bélina et se redresse.
– C’est quoi ça ? demande-t-il en voyant le post-it.
– Une chose dont je veux me souvenir quand viendra le moment de prendre
soin de notre tendre fils.
Jack se jette sur le lit en toute nonchalance.
– Je suis exténué ! Pourtant, j’ai l’impression de n’avoir rien fait de ma
journée... Tu viens près de moi ? lance-t-il, en lui faisant signe d’approcher.
Bélina admire son mari. C’est fou, il n’a pas changé durant toutes ces
années ! Toujours ses mêmes grands yeux verts, ses grandes mains et ses
longues jambes. Toujours cette même voix profonde et ses sourires éblouissants.
Peut-être que la vie n’est pas si mal faite tout compte fait ? J’ai eu bien de la
chance ce fameux jour, quand je suis sortie de mon trou pour la première fois...
J’ai eu de la chance de tomber sur lui.
Bélina s’allonge sur le lit, à côté de son mari. Ils se regardent d’un œil
complice, et conversent calmement en chuchotant :
– Jack…
– Oui…
– Des fois, je me dis que tout ceci n’est peut-être pas réel. Que je suis toujours
enfermée dans mon habitacle métallique, et que je ne fais qu’imaginer ce
qu’aurait été ma vie si j’étais sortie…
– Moi, j’ai souvent l’impression de m’être endormi un jour et d’avoir oublié
de me réveiller, révèle Jack. Comme si j’étais dans le coma, et que je rêvais de la
vie que je pourrais avoir si je me réveillais un jour…
– Et comment distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas ? demande
Bélina.
– Ce qui est réel, c’est ce en quoi tu décides de croire.
Bélina sourit.
– Jack…
– Oui ?
– Je t’aime.
– Moi aussi je t’aime, Bélina.
Jack pose sa main sur le ventre de sa femme. Ils ferment les yeux, se regardent
sans se voir. Ils savent que le plus dur est derrière eux.
Biographie auteur


Émeline Bru est une jeune écrivaine exerçant dans de nombreux genres
littéraires, allant du polar au fantastique. Après avoir obtenu un Master en
sciences naturelles à l'université Paul Sabatier, elle décide de se réorienter vers
l'enseignement auprès des jeunes enfants. C'est durant cette période qu'elle
décide de consacrer une plus grande partie de son temps à l'écriture, activités
qu'elle pratiquait déjà adolescente mais qu'elle avait mis entre parenthèses durant
ses études universitaires.

Chez Fantasmagorie


– Dans la lumière de l’île par Éric Lysøe ;
– Le Dernier Prince d’Atlantis par Patrick Jénot ;
– Nouvelles Fantasmagoriques ;

À paraître :

– Les Portes du Quevorah, l'île de Nivurse par Arnaud Cornillet.

Résumé :

Qui le croirait ? Qui croirait cet individu qui affirme avec l'aplomb d'un grand
homme d'affaires que la magie existe et qu'elle s'épanouit dans un monde
parallèle où les créatures légendaires prennent vie ?
Deux jours plus tôt, Hayden aurait ri au nez de ce fou, mais l'évidence le
rattrape quand il parvient à créer un incendie avec, comme unique comburant, sa
propre colère.
Maintenant qu'il a fait brûler son lieu de travail ainsi que son appartement, le
jeune homme décide de suivre cet inconnu ô combien charismatique !
Ainsi, il traverse la porte du Quevorah et se retrouve en Arianor, un monde où
tout semble possible. Malheureusement pour lui, Hayden va vite découvrir qu'on
lui a caché la vérité sur cet endroit dont l'histoire passée et actuelle n'est pas
aussi belle que ce qu'on a bien voulu lui vendre. Au lieu d'arriver dans un pays
où la magie unit les personnes entre elles, Hayden découvre que cela les déchire.
Il se retrouve donc au milieu d'une guerre défiant les lois de la physique.
En vérité, l'inconnu qui l'a entraîné jusqu'ici y trouve son compte, car Hayden
pourrait bien avoir une influence décisive sur le destin d'Arianor…

Copyrights


L’œuvre présente est protégée par le droit d’auteur. Toute copie ou utilisation
autre que personnelle est illicite et constitue une contrefaçon en vertu des
articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Écrivain : © Émeline Bru
Illustration : © shutterstock.com
Éditeur : © Fantasmagorie 2016
E-mail : fantasmagorie-editions@outlook.fr
Site internet : https://fantasmagorieditions.wordpress.com/

ISBN : 979-10-94827-13-0
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