Sunteți pe pagina 1din 5

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

Pour chacune de ces agressions, les victimes sont


pointées par certains comme étant les coupables, à
Au Maroc, l’espace public reste un enfer
l’instar de la jeune femme agressée à Tanger, dont
pour les femmes la tenue vestimentaire a été jugée provocante, alors
PAR RACHIDA EL AZZOUZI
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 29 DÉCEMBRE 2017 qu’elle ne portait qu’un jean et un tee-shirt.
L’été dernier, deux vidéos d’agressions sexuelles de
jeunes femmes à Tanger et Casablanca ont choqué le
Maroc. Le gouvernement promet une loi depuis des
années. Safaa Monqid, sociologue, explique comment
l’espace public dans le monde arabe exclut les
femmes.
C’était en août 2017. Une vidéo, diffusée sur les Chefchaouen, Maroc, 2016 © Rachida El Azzouzi
réseaux sociaux, provoquait une onde de choc et venait Voilà des années que médias, associations et ONG
rappeler combien le harcèlement sexuel est un fléau s’alarment des violences faites aux femmes au Maroc.
au Maroc. On y voit, à l’arrière d’un bus qui roule Mais il n’y a pas encore eu d’électrochoc au sein des
dans Casablanca, une jeune femme se faire agresser pouvoirs publics et de la société marocaine. Malgré
en pleine journée par quatre adolescents sans que les manifestations qui se sont déroulées ces derniers
personne ne bouge, ni les passagers ni le chauffeur. Le mois dans plusieurs villes du pays pour dénoncer
bus file tandis que la victime subit les assauts de ses « la culture du viol ». Malgré les fontaines qui
agresseurs, qui la touchent, la pelotent, lui dénudent ont viré rouge sang sous l’action des militantes
le haut du corps en la moquant et en l’insultant. La féministes du mouvement MALI pour réveiller
scène fait, aussitôt mise en ligne, rejaillir la question les consciences. Malgré l’onde de choc de l’affaire
du harcèlement des femmes au Maroc. Weinstein qui n’a pas épargné le Maghreb.
Quelques jours avant, une autre vidéo de quelques Au Maroc, la violence envers les femmes est ancrée
secondes choquait le Maroc. Elle montrait une horde dans les mentalités, légitimée, acceptée socialement.
de jeunes hommes traquant et encerclant une jeune Dans l’espace public, mais aussi dans l’espace
femme marchant seule dans une avenue de Tanger. Ce privé. On se souvient encore de cette animatrice
n’est pas nouveau : l’espace public est connu pour être d’une émission de 2M, la deuxième chaîne publique
un enfer pour les femmes et les filles au Maroc. Deux marocaine, qui en novembre 2016, à l’occasion de
tiers des cas de violences sexuelles se déroulent dans la journée internationale pour l’élimination de la
l’espace public marocain, selon des chiffres officiels. violence à l’égard des femmes, diffusait une séance de
Et il s’agit, dans plus de 90 % des cas, de viols ou de maquillage à destination des femmes battuespour
tentatives de viol dont les victimes sont principalement leur apprendre à camoufler les hématomes des coups
des femmes de moins de 30 ans. reçus. Un rapport, rendu public vendredi 15
décembre en présence de la ministre de la famille,
Bassima Hakkaoui, est venu rappeler que la première
violence à l’encontre des femmes est physique et que
plus de 50 % des actes de violence sont commis par
le conjoint.
Jusqu’à il y a peu, au Maroc, les violeurs pouvaient
échapper à la prison en épousant leur victime si elle
était mineure. Il a fallu attendre janvier 2014 pour que

1/5
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

l’article 475 du code pénal disparaisse. Une avancée Safaa Monqid : Les différents types de violences, que
symbolique, tant est encore grand le fossé entre la ce soit des remarques, des gestes déplacés, des actes
loi et des coutumes ancestrales. Depuis la dernière d’agression verbale et/ou corporelle, traduisent les
révision de la Moudawana, le code du statut personnel, résistances masculines à l’appropriation des espaces
en 2004, une loi condamne bien le harcèlement des publics par les femmes. Ce n’est pas étonnant
femmes au travail, mais pas dans les espaces publics. lorsqu’on sait que les femmes n’ont pas de tradition de
Un projet de loi pour enrayer quatre types de violence, présence dans l’espace public à dominance masculine,
physique, sexuelle, psychologique et économique, même si leur présence n’y est plus marginale.
est en chantier depuis… 2011. Quand bien même Les hommes, en général, ont des comportements
l’arsenal répressif serait renforcé, il faudrait franchir sexualisés : ils se comportent dans l’espace public
le barrage des commissariats et avant lui, celui de la comme s’ils avaient tous les droits et considèrent les
cellule familiale. femmes au-dehors comme une propriété publique.
Pour lutter contre les violences faites aux femmes, « il Certains s’arrogent ainsi le droit de les agresser. Pour
faut commencer dès l’enfance à travers une éducation eux, elles ne sont là que parce qu’elles « cherchent les
non sexiste et des modes de socialisation égalitaires hommes », et ils se donnent ainsi le droit d’exercer sur
entre les deux sexes, surtout en ce qui concerne elles différentes formes d’intimidation et de violence
l’accès à l’espace public », dit à Mediapart Safaa qui trouvent rapidement une justification sociale. Tout
Monqid. Maîtresse de conférences à l’université de cela handicape les femmes dans leur rapport à l’espace
Paris III-Sorbonne nouvelle, Safaa Monqid travaille public et est à l’origine de la gêne ressentie dans la
sur la condition féminine dans le monde arabe. Elle a rue. C’est l’une des raisons qui poussent les femmes à
notamment étudié la place des femmes dans l’espace éviter de sortir seules, car elles se sentent vulnérables.
public dans la capitale marocaine (Femmes dans la La rue, un territoire masculin
ville. Rabat : de la tradition à la modernité urbaine,
Presses universitaires de Rennes).

Tanger, Maroc, 2017 © Rachida El Azzouzi

Les femmes n’accèdent ainsi à l’espace public que


parce que les hommes les y autorisent et dans
certaines limites. Les hommes continuent à structurer
leur identité dans la différenciation sexuelle, d’où
Safaa Monqid © dr
Près de deux Marocaines sur trois sont victimes de leurs réticences à l’élargissement de l’appropriation
violences, selon des chiffres officiels. Et les lieux des espaces publics par les femmes et d’où aussi
publics sont les endroits où la violence physique cette séparation stéréotypée des sexes. Cela montre
à leur égard est la plus manifeste. Comment le poids sur eux des valeurs traditionnelles et de
l’expliquez-vous ? la mentalité patriarcale. La rue apparaît comme un
territoire masculin. Si les femmes s’y aventurent, c’est
à leurs risques et périls.

2/5
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

C’est devenu une norme que les femmes elles- Ces dernières ne peuvent pas avoir des loisirs
mêmes ont intériorisée, comme en témoignent les individuels nocturnes, sauf si c’est dans un cadre
prescriptions et les conseils prodigués par les mères familial. Leur fragilité « naturelle » est très enracinée
à leurs filles. On citera, entre autres, le fait de ne dans l’esprit de nombreuses femmes et c’est un
pas s’aventurer seule dans des endroits déserts, de prétexte à l’attachement au privé. Quand on interroge
ne pas rester dehors tard la nuit, de ne pas réagir les femmes sur leur fréquentation de l’espace public
aux agressions verbales et d’adopter une stratégie de la nuit, on retrouve des expressions telles que «
silence qui constitue la seule arme dont la femme limites », « contraintes », « peur », « pas à leur
dispose pour se protéger et pour éviter des représailles. place »,« ce n’est pas une chose normale », « c’est
Le harcèlement de rue est intégré dans la socialisation illicite », « transgression des normes sociales»… La
des jeunes filles. On leur apprend très tôt à y faire face nuit, les femmes sont toujours considérées comme
et à le gérer. étant « coupables ». D’ailleurs, elles sont également
Vous avez travaillé sur l’espace public de la ville sujettes à des contrôles policiers dans le but de prévenir
de Rabat. Comment est-il construit pour exclure et toute transgression.
violenter les femmes ?
L’espace de la ville est un espace sexué. Il
existe plusieurs territoires dans la ville, des
territoires masculins, féminins, des territoires permis,
tolérés, d’autres interdits aux femmes. En termes
d’aménagement urbain par exemple, la structure de la
ville traditionnelle, la médina, traduisait clairement la Essaouira, Maroc, 2017 © Rachida El Azzouzi
différence des rôles assignés à chacun, des hommes et
L’espace public urbain fabrique-t-il plus de
des femmes. Cet espace était en effet scindé en deux
violences sexuelles que l’espace public rural ?
mondes sociaux fortement différenciés : un monde
extérieur, public, masculin et un monde intérieur, Oui. Les agressions sexuelles de rue sont encouragées
privé, féminin. L’exclusion des femmes de la vie par l’anonymat qu’offre l’espace public dans les
publique est l’aspect le plus apparent du rapport inégal grandes villes, où les femmes étrangères au
entre les sexes dans la société traditionnelle. cercle familial sont considérées comme accessibles,
contrairement au monde rural où tout le monde
Les femmes y vivaient dans l’anonymat. Elles étaient
se connaît. L’accès des femmes au-dehors et
identifiées au foyer, dâr, sacré et inviolable, domaine
l’élargissement des espaces féminins dans les grandes
de l’intime. Les petites ruelles, driba, étaient le
villes ont conduit à une crise identitaire chez les
prolongement de l’espace privé, elles protégeaient
hommes – même si le groupe d’hommes n’est pas
les lieux les plus sacrés : les habitations où vivaient
homogène –, pas suffisamment préparés à cette mixité,
les femmes. Ces dernières n’étaient pas seulement
d’où les agressions dont les femmes sont victimes, une
protégées dans l’espace de la médina aux ruelles
façon pour eux d’exercer leur domination.
étroites et obscures, mais aussi dans l’espace de
l’habitation, qui était organisé autour du principe de Y a-t-il une augmentation des violences sexuelles
fermeture. Il en est de même de l’espace de la ville. faites aux femmes ou apparaissent-elles plus
Elles ne peuvent y accéder qu’en la compagnie d’un criantes car on en parle plus et on fait sauter
« homme », par respect des normes et pour des raisons progressivement le tabou du silence et de la
de sécurité. hchouma, la honte, qui paralyse tant de victimes ?

3/5
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
4

Les violences sexuelles ont toujours existé. Mais le Cela est en partie vrai. Cependant, les Marocains ont
développement considérable des médias sociaux, des toujours eu recours à des stratégies de contournement
plates-formes de blogs, qui prennent en charge les et de détournement des normes établies pour accéder
besoins d’expression variés des femmes, surtout par le à leurs fins. Ainsi, malgré l’interdit religieux, moral
choix de l’anonymat, le nickname pour plus de liberté et juridique qui pèse sur les relations sexuelles hors
de parole, la diffusion des vidéos témoignages ont mariage, ces dernières ont toujours existé et sont
contribué à faire connaître et à dénoncer les violences pratiquées dans la clandestinité, à travers des relations
faites aux femmes. Les nouveaux médias sont devenus consentantes ou imposées.
un enjeu dans la mobilisation pour les femmes, qui ont À mon sens, l’un des catalyseurs le plus important,
toujours eu du mal à exercer leur liberté d’expression. et qui expliquerait ces violences, est la répartition
Comment lutter contre ces violences et faire en traditionnelle de l’espace, qui pèse encore de tout
sorte que l’espace public ne soit plus la propriété son poids. L’identité sexuée et la place différente
exclusive des hommes ? des hommes et des femmes restent perçues comme
Cela commence dès l’enfance à travers une éducation légitimes. L’espace public relève toujours d’une
non sexiste et des modes de socialisation égalitaires territorialité masculine et la présence des femmes n’y
entre les deux sexes, surtout en ce qui concerne l’accès est pas tout à fait reconnue.
à l’espace public. Il est également important d’associer
les femmes dans la gestion urbaine ; leur présence dans
la gestion municipale est essentielle car elles seules
feront passer une conception féminine de la ville. Ce
n’est qu’ainsi qu’elles seront des actrices à part entière
dans la ville et qu’elles y auront toute leur place.
L’État marocain doit continuer à promouvoir l’égalité
Chefchaouen, Maroc, 2016 © Rachida El Azzouzi
entre les hommes et les femmes dans les politiques
publiques. Il doit lutter contre les discriminations liées Violences sexuelles, discrimination sociale,
au genre en matière d’accès à l’emploi, de logement, inégalités devant l’héritage… À l’exception de
de mobilité, de services, d’espaces de loisirs pour les très timides avancées, la situation des femmes
femmes… au Maroc n’est guère réjouissante. Comment
Il faut rendre délictuel le harcèlement sexuel de promouvoir l’égalité de droit entre les sexes
rue afin d’en dissuader les auteurs. Des actions de dans des sociétés marquées par des mentalités
sensibilisation comme des marches nocturnes des patriarcales réfractaires au changement ?
femmes dans la ville devraient avoir lieu, à l’instar Le Maroc a réalisé quelques progrès. La société
d’autres pays comme le Canada, où le réseau Women marocaine a connu un processus de modernisation
Friendly organise des promenades féministes pour lire qui n’a pas été sans conséquences sur le statut
la ville sur le plan de la sécurité et accroche des des femmes. L’urbanisation rapide, l’instruction,
affichages dans les vitrines des commerçants pour le salariat féminin, la mutation de la structure
indiquer qu’une femme en difficulté peut y trouver de familiale traditionnelle, l’adhésion du Maroc aux
l’aide. traités internationaux, dont la convention sur la
La misère sexuelle des Marocains, induite par le non-discrimination entre les sexes, la planification
code pénal, qui interdit les relations sexuelles hors des naissances et le changement du code du statut
mariage, et l’absence d’éducation sexuelle sont personnel sont autant de facteurs qui ont conduit à
souvent avancées pour expliquer tant de violences. l’évolution de la condition féminine.
Qu’en pensez-vous ?

4/5
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
5

Le processus de démocratisation, accéléré depuis le De nombreuses femmes poursuivent leur combat


début des années 1990, a favorisé l’émergence sur pour dénoncer ces injustices. Les réseaux nationaux
la scène publique de la question féminine. Depuis et régionaux constituent une force importante.
peu, les femmes ont investi des domaines qui étaient Ils permettent la construction de synergies, de
réservés aux hommes, comme le champ politique. concertations, de solidarités et d’actions communes à
Elles continuent à subir des injustices importantes. différentes échelles, comme le réseau Le Printemps de
Elles sont touchées par le sous-emploi et par la la démocratie et de l’égalité, né en 2011 à l’occasion
précarité. Elles doivent faire face à la montée du de la révision constitutionnelle et qui regroupe une
populisme musulman, qui les renvoie à leur rôle vingtaine d’associations.
traditionnel et qui restreint, dans certains cas, leurs
libertés.

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

5/5

S-ar putea să vă placă și