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P S Y C H O S U P

Manuel
de neuropsychologie

Francis Eustache,
Sylvane Faure et Béatrice Desgranges

4e édition entièrement revue et actualisée


© Dunod, Paris, 2013
ISBN 978-2-10-058441-3
Table des matières

AVANT-PROPOS À LA 4E ÉDITION IX

CHAPITRE 1 HISTOIRE ET DOMAINES DE LA NEUROPSYCHOLOGIE 1

1. Qu’est-ce que la neuropsychologie ? 3


2. La période préscientifique 5
3. Broca et la naissance de la neuropsychologie
scientifique 6
4. Localisationnisme et associationnisme 12
5. Le courant globaliste ou « anti-localisationniste » 14
6. Les études de séries de patients et la naissance
de la neuropsychologie expérimentale 18
7. La spécialisation hémisphérique 21
8. Les modèles anatomo-fonctionnels contemporains 25
9. La neuropsychologie cognitive 30
10. Les modèles connexionnistes 38
11. La neuropsychologie fonctionnelle 43

CHAPITRE 2 LES MÉTHODES DE LA NEUROPSYCHOLOGIE 47

1. Les évaluations psychométriques 49


1.1 Psychométrie et neuropsychologie 51
1.2 Intérêts et limites de la psychométrie 53
2. Les évaluations cognitives et comportementales 55
2.1 Les dissociations neuropsychologiques 56
2.2 La dissociation entre mémoire à court terme et mémoire
à long terme 57
2.3 Modèles cognitifs de l’écriture 58
2.4 La cognition sociale 60
2.5 La réalité virtuelle 64
2.6 Les échelles comportementales 69
IV Manuel de neuropsychologie

3. Les méthodes dérivées de la psychologie expérimentale 73


3.1 La chronométrie mentale 74
3.2 La stimulation en champ perceptif divisé chez
le sujet normal 75
3.3 La méthode de double tâche 87
3.4 Deux hémisphères, un cerveau : de la stimulation
unilatérale à la stimulation bilatérale 89
4. Les méthodes d’imagerie fonctionnelle cérébrale 96
4.1 Les méthodes électroencéphalographiques
et magnétoencéphalographiques 97
4.2 La tomographie par émission de positons
et l’IRM fonctionnelle 102
5. Les méthodes par stimulation cérébrale 120
5.1 Les méthodes par stimulation cérébrale directe de surface
ou profonde 122
5.2 Les méthodes dites non invasives 125
6. Le traitement des données 130
6.1 Études de cas uniques 131
6.2 Études de groupes 138
CHAPITRE 3 LES GRANDS SYNDROMES NEUROPSYCHOLOGIQUES 143

1. Les contextes de la pratique de la neuropsychologie 145


2. Les aphasies 147
2.1 Deux aphasies opposées 151
2.2 Plusieurs formes cliniques d’aphasies 152
2.3 Les troubles du langage écrit 162
2.4 L’examen des troubles aphasiques et de la communication 164
3. Les acalculies 165
3.1 Classification et évaluation des troubles du calcul
et du traitement des nombres 165
3.2 L’approche cognitive du calcul et de ses troubles 166
4. Les apraxies 169
4.1 Ambiguïtés terminologiques et conceptuelles 169
4.2 Les formes cliniques d’apraxie 169
Table des matières V

4.3 Les modèles cognitifs de l’organisation gestuelle 172


4.4 L’examen des apraxies gestuelles 173
5. Les agnosies 173
5.1 Les agnosies visuelles 174
5.2 Les troubles centraux de l’audition 186
6. L’héminégligence 188
6.1 L’héminégligence ou négligence spatiale unilatérale 189
6.2 Les hypothèses concernant le syndrome d’héminégligence 195
6.3 L’examen de l’héminégligence visuelle 202
7. Les troubles du transfert inter-hémisphérique 205
7.1 Le cerveau dédoublé 205
7.2 Syndromes de déconnexion secondaires à des processus
pathologiques spontanés et autres troubles du transfert
inter-hémisphérique 210
7.3 Transfert inter-hémisphérique et cognition 212
8. Le syndrome frontal 214
8.1 Lobe frontal et syndrome frontal 214
8.2 Émergence du syndrome frontal 215
8.3 Les troubles consécutifs à des lésions préfrontales 216
8.4 Les modèles des fonctions exécutives 224
8.5 L’évaluation des syndromes dysexécutifs 228
9. Les syndromes amnésiques 231
9.1 Syndromes amnésiques, amnésies et troubles
de la mémoire 231
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

9.2 Données historiques 232


9.3 Sémiologie et classification des syndromes amnésiques 233
9.4 Les capacités préservées dans les syndromes amnésiques 236
9.5 Des concepts aux théories multisystèmes de la mémoire 239
9.6 L’examen de la mémoire à long terme 246
10. La pathologie neuropsychologique des émotions 254
10.1 Un cadre d’étude encore imprécis 254
10.2 Émotions : système limbique et néocortex 256
10.3 Émotions et spécialisation hémisphérique 259
VI Manuel de neuropsychologie

CHAPITRE 4 LA NEUROPSYCHOLOGIE DE L’ENFANT 267

1. Le cadre général de la neuropsychologie de l’enfant 269


2. Les troubles des grandes fonctions cognitives
chez l’enfant 272
2.1 Le langage 272
2.2 La mémoire 282
2.3 L’attention et les fonctions exécutives 289
2.4 Le calcul 291
2.5 Les praxies 292
3. Les syndromes neurodéveloppementaux 295
3.1 L’épilepsie 295
3.2 Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans
hyperactivité 296
3.3 L’autisme ou les troubles du spectre autistique 297
3.4 Les pathologies génétiques 301
4. Spécificités de l’évaluation et de la prise en charge 301
4.1 L’examen neuropsychologique de l’enfant 301
4.2 La prise en charge des troubles neuropsychologiques
de l’enfant 302
CHAPITRE 5 LA NEUROPSYCHOLOGIE DE L’ADULTE ÂGÉ 307

1. Cognition 309
1.1 Mémoire épisodique 309
1.2 Mémoire de travail 317
1.3 Mémoire sémantique 318
1.4 Mémoire perceptive 319
1.5 Mémoire procédurale 319
1.6 Liens entre émotions et mémoire 321
1.7 Langage 324
1.8 Fonctions exécutives et attention 326
2. Modèles explicatifs du déclin des performances
cognitives dans le vieillissement normal 327
2.1 L’approche globale 327
2.2 L’approche neuropsychologique 329
Table des matières VII

3. Variabilité interindividuelle et réserve cognitive 330


4. Les études d’imagerie cérébrale chez le sujet sain âgé 333
4.1 Modifications cérébrales morphologiques liées à l’âge 333
4.2 Modifications métaboliques liées à l’âge 335
4.3 Études d’activation chez le sujet sain âgé 335
4.4 Études de corrélations cognitivo-morphologiques
et cognitivo-métaboliques 340
CHAPITRE 6 DÉMENCES ET SYNDROMES DÉMENTIELS 345

1. Introduction à la neuropsychologie des démences 347


2. La maladie d’Alzheimer : maladie de la cognition 350
2.1 La démarche diagnostique 351
2.2 Les troubles de la mémoire 352
2.3 Autres troubles cognitifs 357
2.4 L’hétérogénéité de l’expression clinique de la maladie
d’Alzheimer 360
3. L’imagerie cérébrale dans la maladie d’Alzheimer 361
3.1 Anomalies morphologiques 361
3.2 Anomalies fonctionnelles 364
3.3 Discordances des profils d’anomalies morphologiques
et fonctionnelles 367
3.4 Imagerie amyloïde 368
3.5 Liens entre anomalies cognitives et anomalies cérébrales 369
3.6 Conclusion sur l’imagerie cérébrale dans la maladie
d’Alzheimer 373
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

4. Les démences frontotemporales 374


4.1 La variante frontale de la DFT (vf-DFT) 375
4.2 La démence sémantique 377
5. Démences corticales et démences sous-corticales 380
6. L’examen neuropsychologique des patients déments 383

CHAPITRE 7 RÉÉDUCATIONS NEUROPSYCHOLOGIQUES ET PRISES EN CHARGE


DES PATIENTS ET DE LEUR ENTOURAGE 389

1. Cadre général de la rééducation en neuropsychologie 392


1.1 Aperçu historique 393
VIII Manuel de neuropsychologie

1.2 Les grandes approches de la rééducation 394


2. L’approche cognitive en rééducation 396
2.1 Les principales étapes 396
2.2 Les différents objectifs d’une rééducation (ou d’une prise
en charge) 399
2.3 L’évaluation des effets de la rééducation 401
3. Quelques guides pour la pratique 409
3.1 Troubles du langage et de la communication 409
3.2 Troubles de la mémoire 411
3.3 Troubles de l’attention et des fonctions exécutives 414
3.4 Pour aller plus loin 415
4. La prise en charge des démences 416
5. Vers une neuropsychologie de la vie quotidienne 420
6. Rééducation et imagerie cérébrale fonctionnelle 422
7. Entraînement, rééducation et neurostimulation 425
8. En guise de conclusion 429

TABLE DES ENCADRÉS 433

BIBLIOGRAPHIE 437

INDEX DES NOTIONS 461


Avant-propos à la 4e édition

La première édition du Manuel de neuropsychologie a vu le jour à la ren-


trée universitaire de 1996. Notre discipline a connu des changements
majeurs depuis cette date. L’évolution institutionnelle, tout particulière-
ment à l’Université et dans les hôpitaux, a été spectaculaire. En France,
les formations de troisième cycle (alors appelées DEA et DESS) dédiées
spécifiquement à la neuropsychologie se comptaient sur les doigts d’une
main à cette date et cette discipline était encore largement méconnue :
elle était très en retrait par rapport à la psychologie cognitive, à la psy-
chologie du développement, à la psychologie sociale… Pour beaucoup,
elle s’apparentait davantage à la médecine ou à la physiologie qu’à la
psychologie. Aujourd’hui, elle est présente, comme les autres, dans les
grandes instances de l’Université et la réforme qui institue notamment
les masters à visée professionnelle ou de recherche a multiplié des for-
mations diplômantes relevant peu ou prou du domaine de la neuro-
psychologie. Ce manuel s’adresse en premier lieu à ces étudiants de
master de psychologie (première ou deuxième année) qui choisiront,
dans leur parcours, des enseignements de neuropsychologie. Il s’adresse
également aux étudiants de médecine, d’orthophonie, d’ergothérapie
(et d’autres disciplines) et aux professionnels confrontés à des patients
atteints de troubles des fonctions cognitives et du comportement consé-
cutifs à des atteintes cérébrales et, plus largement, à diverses pathologies
neurologiques, psychiatriques ou développementales.
Bien évidemment, l’évolution de la neuropsychologie n’est pas seule-
ment institutionnelle : des changements se sont également produits
dans ses méthodes, dans ses champs d’investigation, dans ses connais-
sances de façon générale et dans ses modèles théoriques, de même que
dans son périmètre et ses relations avec d’autres disciplines (la psycho-
pathologie, l’épidémiologie, la pédagogie, la génétique, etc.). La neuro-
psychologie est ainsi amenée à jouer un rôle de plus en plus grand dans
la société, dans la « vie quotidienne » de tout citoyen. L’évolution démo-
graphique, notamment le vieillissement de la population, et l’incidence
accrue des pathologies entraînant des troubles cognitifs, est en partie
à la source de cette situation inédite. La neuropsychologie n’est plus
seulement présente dans les centres hospitaliers universitaires, dans les
centres de rééducation ou dans les consultations de proximité, elle doit
aussi aller à la rencontre des personnels, des aidants « naturels » pre-
nant en charge des patients atteints d’une maladie du cerveau. Cette
nécessité de formation face à des besoins variés (y compris à de nou-
X Manuel de neuropsychologie

veaux métiers où l’objectif est la prise en charge de patients atteints


d’une maladie cérébrale) correspond à un phénomène de société qui
n’était pas vraiment identifié il y a une quinzaine d’années.
Les différentes éditions de ce Manuel, et celle-ci plus encore, ont cher-
ché à rendre compte de ces évolutions. Pour ne prendre que quelques
exemples, nous accorderons une place accrue à l’utilisation des tech-
niques d’imagerie cérébrale et aux approches par neurostimulation
et nous en donnerons des illustrations dans des contextes variés. Le
chapitre consacré à la neuropsychologie de l’enfant est largement aug-
menté, comme les sections consacrées aux états démentiels, à leurs
explorations et à la prise en charge des patients et de leurs proches. Les
parties consacrées à la rééducation et, de façon plus large, à la prise en
charge des patients ont été réactualisées.
Malgré ces évolutions et cette diversification de la neuropsychologie,
nous avons souhaité que cette édition augmentée du Manuel reste d’un
volume raisonnable, bien adapté à son lectorat et à sa mission : une
vision d’ensemble de la discipline qui renvoie, grâce à une bibliogra-
phie choisie, soit à des ouvrages de référence sur un thème, soit à des
articles originaux qu’il nous semble utile de consulter pour approfon-
dir une question. Cette édition du Manuel est aussi plus attractive ; la
collaboration avec les services des éditions Dunod a permis de réviser
l’ensemble des illustrations.
Nous avons confié la rédaction de certains encadrés à des collabo-
rateurs qui sont des spécialistes reconnus du problème traité. Nous les
remercions de s’être livrés à ce petit exercice avec enthousiasme et effi-
cacité. Ce recours à de nombreux encadrés est une des originalités du
Manuel ; il évite une vision trop linéaire d’un sujet et permet d’insister
sur de nouvelles avancées.
Nos remerciements vont aussi aux collègues et aux étudiants, avec
qui nous échangeons en permanence et qui posent toujours les bonnes
questions !
Francis Eustache, Sylvane Faure et Béatrice Desgranges
1
Cha
pi
tre

HIS TOIRE
ET DOMAINES DE LA
NEURO PSY CHO LOGIE
aire
m
So m

1. Qu’est-ce que la neuropsychologie ? ........................................ 3


2. La période préscientifique ....................................................... 5
3. Broca et la naissance de la neuropsychologie
scientifique ................................................................................ 6
4. Localisationnisme et associationnisme ..................................12
5. Le courant globaliste ou « anti-localisationniste » ................14
6. Les études de séries de patients et la naissance
de la neuropsychologie expérimentale .................................18
7. La spécialisation hémisphérique.............................................21
8. Les modèles anatomo-fonctionnels contemporains............ 25
9. La neuropsychologie cognitive .............................................. 30
10. Les modèles connexionnistes............................................... 38
11. La neuropsychologie fonctionnelle ...................................... 43
Histoire et domaines de la neuropsychologie 3

1. Qu’est-ce que la neuropsychologie ?

« La neuropsychologie est la discipline qui traite des fonctions mentales


supérieures dans leurs rapports avec les structures cérébrales » (Hécaen
et Lanteri-Laura, 1983, p. 2). Cette définition classique souligne la prin-
cipale spécificité de la neuropsychologie ; elle est cependant incomplète.
Le but de ce premier chapitre est de décrire ses domaines scientifiques
et ses secteurs d’application de plus en plus diversifiés tout en essayant
de cerner ce qui fait son unité. L’historique et l’évolution récente de
la neuropsychologie donnent lieu à des développements conséquents
dans ce chapitre car nous les jugeons indispensables pour comprendre
la richesse et la complexité de cette discipline : dans son objet, ses
méthodes, ses modèles et les changements auxquels elle est confrontée
en permanence, avec une accélération accrue aujourd’hui.
L’approche neuropsychologique est née au chevet des patients souf-
frant d’une pathologie cérébrale : il s’agissait de décrire les perturba-
tions présentées par certains malades, de rapprocher cette sémiologie
des lésions du cerveau et de formuler des inférences sur le rôle de telle
ou telle structure cérébrale dans le comportement du sujet normal. Le
concept de localisation cérébrale constitue ainsi l’un des fils conduc-
teurs de l’histoire de la neuropsychologie avec sa double facette, cli-
nique et fondamentale, qui crée aussi son ambiguïté : localisation des
symptômes et localisation des fonctions mentales voire, plus récem-
ment, de processus cognitifs assez élémentaires dans le cerveau. Les
grands courants de la neuropsychologie ont également oscillé entre une
conception pointilliste des localisations cérébrales et une vision beau-
coup plus distribuée préfigurant la notion de réseau qui prévaut dans les
conceptions actuelles. À certaines périodes, cette notion de localisation
cérébrale a été critiquée, rejetée ou reléguée à l’arrière-plan pour mieux
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

réapparaître, sous une forme quelque peu différente, dans le cadre de


nouveaux paradigmes.
La neurologie et sa méthode anatomo-clinique ont joué un rôle déter-
minant dans la naissance de la neuropsychologie. Toutefois, celle-ci
n’aurait pas pris un tel essor sans le développement, surtout au cours du
XIXe siècle, d’autres disciplines scientifiques permettant une meilleure
connaissance du cerveau comme la neuro-anatomie, la neurohistologie
et l’expérimentation physiologique chez l’animal. À quelques rares
exceptions près, la réflexion neuropsychologique s’opère toujours, plus
ou moins explicitement, en référence à un modèle du fonctionnement
cérébral où l’anatomie joue un rôle de choix (voir encadrés 1, p. 8,
4 Manuel de neuropsychologie

et 2, p. 10). À côté de l’anatomie, les principales théories de la psycho-


logie scientifique (et les méthodes sur lesquelles elles étaient fondées)
ont influencé en profondeur les grandes conceptions de la neuropsy-
chologie. Fondamentalement pluridisciplinaire, elle a emprunté, outre
aux sciences neurologiques et aux sciences du comportement, à la
linguistique et plus récemment à d’autres sciences cognitives comme
l’intelligence artificielle et la modélisation informatique. Aujourd’hui,
l’influence la plus marquante provient du recours aux méthodes d’ima-
gerie cérébrale, qui modifient les analyses neuropsychologiques, dans
les pratiques cliniques (y compris lors d’interventions thérapeutiques,
rééducatives ou autres) comme au sein des modèles théoriques. Les
développements de la biologie et notamment de la génétique molécu-
laire ont entraîné d’autres changements, la neuropsychologie pouvant
participer au phénotypage des maladies et aux progrès thérapeutiques
dans ce domaine.
De nouvelles évolutions viennent de la société, si bien que la neuro-
psychologie n’est plus restreinte au duo soignant-patient mais s’étend
à des groupes plus larges incluant les « aidants naturels », tout comme
à différentes catégories de personnels (y compris de nouveaux métiers
dont la mission principale est l’accompagnement d’un patient atteint
d’une affection cérébrale et de ses proches). La prise en charge de la
maladie d’Alzheimer a joué un rôle emblématique à cet égard. Un tout
autre secteur, celui de l’école et plus largement celui de l’enfance, parti-
cipe de plus en plus à l’évolution de la neuropsychologie, notamment
sur le terrain des pathologies développementales et sur les relations pos-
sibles entre neurosciences et pédagogie.
Caractérisée par des échanges incessants entre disciplines diverses, la
neuropsychologie est beaucoup plus qu’une rencontre de circonstance,
au gré des périodes, des demandes sociales et des programmes de
recherche. C’est une discipline clinique et scientifique dynamique
qui s’est dotée, à partir des années 1960, de « sociétés savantes », de
divers moyens de diffusion des connaissances, de structures de soins,
d’enseignement et de recherche. La neuropsychologie a donc acquis
sa réalité institutionnelle il y a une cinquantaine d’années ; c’est éga-
lement à cette époque que l’usage du terme « neuropsychologie » a été
popularisé même s’il avait déjà été utilisé depuis le début du XXe siècle
dans différentes acceptions. En ce sens, nous pouvons considérer que
la création de la revue Neuropsychologia en 1963 est l’un des actes fon-
dateurs de la neuropsychologie moderne. Dans la communauté fran-
cophone, la Société de Neuropsychologie de Langue française (SNLF),
fondée en 1977, rassemble les cliniciens et les chercheurs lors de plu-
Histoire et domaines de la neuropsychologie 5

sieurs réunions annuelles et édite la Revue de Neuropsychologie – Neuros-


ciences cognitives et cliniques. La SNLF a aussi joué un rôle moteur dans
la création de la Federation of the European Societies of Neuropsychology
(FESN).
L’histoire de la neuropsychologie est toutefois plus ancienne que
cette « période institutionnelle » qui a débuté dans les années 1960.
Un retour vers le passé permettra de mieux illustrer ses divers courants
et sensibilités, que l’on retrouve en filigrane dans de nombreux débats.
Dès l’Antiquité, les philosophes ont cherché à localiser l’« âme » dans
diverses parties du corps. Le cœur s’est trouvé souvent investi de cette
fonction jusqu’au XVIIIe siècle dans la logique aristotélicienne. Toute-
fois, des documents très anciens comme les papyrus égyptiens (3 000
ans avant J.-C.) attestent d’une « démarche neuropsychologique » plus
conforme aux vues actuelles : dans une observation, le patient ne peut
répondre aux questions de l’examinateur après une blessure à la tête
« perforant l’os temporal ». Messerli (1993) a fait l’exégèse des premiers
textes neuropsychologiques depuis ces papyrus antiques jusqu’aux
écrits du XVIIIe siècle. Pour notre part, nous commencerons notre histo-
rique à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, avec les grands précurseurs
de la neuropsychologie scientifique.

2. La période préscientifique

Les grandes disciplines scientifiques se sont différenciées de la philo-


sophie en délimitant et en fractionnant leur champ d’investigation.
Cette démarche, visant à décomposer un tout en ses différents éléments
discrets, était indispensable à une approche neuropsychologique, et cela
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

à double titre. Il convenait d’abord de fractionner l’esprit en facultés


mentales, cette psychologie des facultés pouvant ensuite générer des
hypothèses sur le « fractionnement du cerveau », considéré auparavant
comme un tout relativement homogène. Dans cette optique, les ori-
gines de la neuropsychologie sont illustrées par l’œuvre de Franz Gall
(1758-1828). Les travaux de cet anatomiste allemand, largement diffu-
sés de son vivant, enseignaient que le cerveau était constitué de plu-
sieurs organes indépendants qui sous-tendaient les diverses facultés
mentales, morales et intellectuelles. L’une de ces facultés avait trait à
la « mémoire verbale » et Gall situait son siège dans les lobes antérieurs
du cerveau. Cette déduction était fondée sur l’observation d’une coexis-
tence entre une saillie des globes oculaires et une facilité à mémoriser les
6 Manuel de neuropsychologie

informations verbales. Cette doctrine des localisations, ou phrénologie,


a conduit cet auteur à « localiser » plusieurs fonctions dans le cortex à
partir de l’observation de diverses déformations de la surface du crâne.
Une expression telle que « la bosse des maths » constitue un vestige,
dans le langage courant, de la pensée phrénologique. Considéré tour
à tour comme un grand anatomiste, un charlatan ou le précurseur de
la théorie des localisations cérébrales, Gall a joué un rôle clé dans le
développement des recherches concernant les liens entre fonctions
mentales et substrat cérébral. Dépassant la méthode préscientifique
de la phrénologie, différents auteurs influents du XIXe siècle comme
Bouillaud et Broca ont cherché à mettre en correspondance des per-
turbations acquises du langage et le siège des lésions responsables de
ces troubles. Gall avait lui-même complété ses considérations phré-
nologiques d’un certain nombre d’observations cliniques, notamment
traumatiques, soulignant le rôle des lobes frontaux dans la mémoire
verbale. Au total, le lexicographe français Émile Littré a remarqua-
blement résumé l’ambiguïté et l’importance de l’œuvre de Gall : « La
conception de Gall a donc avorté dans son objet direct, puisqu’elle
n’a pas pu être confirmée a posteriori ; mais elle n’a pas avorté dans
ses effets indirects, vu qu’elle a été le point de départ d’une nouvelle
manière de considérer le cerveau et les facultés morales et mentales ;
manière qui a posé le problème de la théorie cérébrale sur ses véritables
bases et établi dans la science que c’est un problème, non de métaphy-
sique, mais de biologie. »

3. Broca et la naissance de la neuropsychologie


scientifique

Les travaux consacrés à l’aphasie – ou trouble du langage consécutif à


une lésion cérébrale acquise – ont joué un rôle primordial dans l’avène-
ment et le développement de la neuropsychologie.
L’aphasie constitue ainsi le fer de lance des avancées théoriques et
méthodologiques, et l’histoire de la neuropsychologie recouvre large-
ment celle de l’aphasie et de l’hémisphère gauche, tout au moins au
XIXe siècle et dans une grande partie du XXe siècle.

En 1861, Paul Broca (1824-1880) présenta à la Société d’Anthropo-


logie de Paris le cerveau d’un patient ayant manifesté des troubles du
langage articulé : il s’agissait du cas Leborgne ou « tan », surnommé
Histoire et domaines de la neuropsychologie 7

ainsi car le langage du malade était réduit à cette stéréotypie depuis de


nombreuses années. L’autopsie avait révélé une atteinte du tiers anté-
rieur de la circonvolution frontale inférieure (ou pied de F3) de l’hémi-
sphère gauche. Broca formula l’hypothèse d’une localisation du langage
articulé dans une aire cérébrale bien délimitée et désignée comme « le
centre des images motrices des mots ». La lésion du patient était en fait
plus étendue que ce qui deviendra « l’aire de Broca ». L’affaire connaîtra
un nouveau rebondissement quand le cerveau de Leborgne, retrouvé
au musée Dupuytren, sera radiographié au scanner par Signoret et ses
collaborateurs en 1984. Mais l’importance de la double découverte
de Broca dépasse de loin les aspects anatomiques. Réaffirmée par une
publication dans le Bulletin de la Société d’Anthropologie en 1865, elle
relie un trouble à une lésion spécifique du cerveau et instaure la notion
d’asymétrie fonctionnelle hémisphérique. En effet, si une lésion du
pied de F3 de l’hémisphère gauche provoque une aphasie d’expression,
une lésion symétrique de l’hémisphère droit n’entraîne pas de trouble
du langage.
Ces études de Broca inaugurent la neuropsychologie scientifique.
Elles donnent l’élan à toute une série de recherches cliniques, qui non
seulement multiplient des observations analogues, mais enrichissent
également les thèses des « localisationnistes » d’un grand nombre de
faits cliniques. L’identification de l’aphasie comme entité clinique liée
à une lésion circonscrite du cerveau, puis le problème de la classifi-
cation des aphasies ont constitué les thèmes centraux des travaux de
cette période s’étendant de la seconde partie du XIXe siècle à la Grande
Guerre. Ainsi, même dans la description de nouveaux syndromes,
les modèles issus des classifications des aphasies restent prégnants.
La citation de Liepmann (1902) placée en exergue de l’ouvrage de
Signoret et North (1979) le montre bien : « L’apraxie est, si l’on aime
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

les paradoxes, l’aphasie des muscles distaux ; on pourrait y voir surgir


les mêmes variétés que lors de l’aphasie dans ses différentes expres-
sions. »
Nous verrons ensuite que la découverte de Broca, tout en suscitant
l’enthousiasme de nombreux auteurs, constituera une cible privilégiée
pour les détracteurs des théories localisationnistes (voir Schiller, 1990,
pour une biographie de Broca).
Tout au long de leur histoire, les conceptions neuropsychologiques
seront influencées par les théories dominantes en psychologie et
aujourd’hui en sciences cognitives.
8 Manuel de neuropsychologie

Encadré 1
Pour ne pas se perdre dans les hémisphères cérébraux
(8 coupes coronales d’avant en arrière) (Bernard Lechevalier)

Cortex
F1

⎨F2 : circonvolutions frontales
⎩F3
SY : scissure de Sylvius
I : insula
PT : pôles temporaux
T1

⎨T2 : circonvolutions temporales
⎩T3
PA : pariétale ascendante
GC : gyrus cingulaire
U : uncus de l’hippocampe

Structures sous-corticales
CC : corps calleux
CB : commissure blanche antérieure
CO : centre ovale
CF : cornes frontales (ventricules)
FA : frontale ascendante
PU : putamen
NC : noyau caudé (tête)
CI : capsule interne
T : thalamus
TM : tubercule mamillaire
AM : noyau amygdalien
Pa : pallidum
II : nerfs optiques

À
Histoire et domaines de la neuropsychologie 9

Cortex
SY : scissure de Sylvius
I : insula
T1

⎨ T2 : circonvolutions
⎩ T3 temporales
T4
H : hippocampe (T5)
FA : frontale ascendante
PA : pariétale ascendante
GC : gyrus cingulaire
P1 : pariétale supérieure
P2 et inférieure
FU : gyrus fusiforme
LG : lobe lingual

Structures
sous-corticales
CC : corps calleux
T : thalamus
NR : noyau rouge
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PU : putamen
NC : noyau caudé (corps)
SN : substance noire
VL : ventricules latéraux
10 Manuel de neuropsychologie

Encadré 2
De la morphologie à la fonction (Bernard Lechevalier)

PS
F1 PA
FA
GSM
F2
GA
F2 S
F3 POp
PT T1
Or T2
T3

Sur la face externe de l’hémisphère cérébral gauche, on voit en avant (à


gauche) le lobe frontal limité en arrière par la scissure de Rolando (R), le lobe
temporal limité en haut par la scissure de Sylvius (S), le lobe pariétal situé en
arrière de la scissure de Rolando qui se continue en arrière avec le lobe occi-
pital (cf. légende de l’encadré 1).
L’aire de Broca occupe le pied de la troisième circonvolution frontale gauche
ou pars opercularis (POp, aire de Brodmann 44). En réalité la lésion de l’apha-
sie de Broca déborde souvent sur les gyri voisins : pars triangularis (PT) et
orbitalis (Or) et s’étend en profondeur. La lésion responsable de l’aphasie
de Wernicke touche les deux tiers postérieurs des première et seconde cir-
convolutions temporales. La circonvolution pariétale inférieure comprend le
pli courbe (ou gyrus angulaire, GA) en arrière (aire 39), le gyrus supramarginal
(GSM) en avant (aire 40) qui sont concernés par la lecture, l’écriture, le cal-
cul. (Les aires de Brodmann sont présentées dans l’encadré 4, p. 27).
Les centres corticaux de l’audition occupent la face supérieure de T1 : gyrus
de Heschl (aire 41 ou auditive primaire), et aires secondaires l’entourant
(aires 22 et 42). La circonvolution frontale ascendante est le siège de la
motricité volontaire (cellules pyramidales). La pariétale ascendante ou aire
somesthésique primaire reçoit les afférences sensitives. Le carrefour pariéto-
temporo-occipital est une région associative concernée par la mémoire
sémantique, la représentation de l’espace, l’organisation gestuelle.
À
Histoire et domaines de la neuropsychologie 11

Sur la face interne de l’hémisphère droit, on voit le corps calleux (CC) qui le
relie à l’hémisphère gauche et le tronc cérébral coupé sagitalement. (AMS :
aire motrice supplémentaire ; LP : lobule paracentral [face interne de FA et
de PA] ; PC : précunéus [ou lobe quadrilatère] ; C : cunéus ; CV : cervelet ; PR :
protubérance ; B : bulbe ; voir encadré 1 pour le reste de la légende).
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De l’hippocampe caché par le mésencéphale part le fornix (FX) qui se termine


dans le tubercule (ou corps) mamillaire. De là, le faisceau de Vicq d’Azyr (ou
mamillo-thalamique) le relie au noyau antérieur du thalamus formant le cir-
cuit de Papez dont la destruction bilatérale non nécessairement symétrique
entraîne un syndrome amnésique.
De la scissure calcarine (SC, aire 17 ou aire visuelle primaire V1), partent des
fibres nerveuses interconnectées avec des aires secondaires spécialisées
dans la perception des couleurs, des mouvements, des formes. Celles-ci se
projettent soit vers le cortex pariétal (localisation de l’objet dans l’espace),
soit vers le cortex temporal (identification de l’objet vu).
12 Manuel de neuropsychologie

4. Localisationnisme et associationnisme

Les travaux sur les localisations cérébrales prennent une ampleur consi-
dérable dès la fin du XIXe siècle, en particulier chez certains auteurs fran-
cophones et germanophones. Ceux-ci s’appuient sur la psychologie
associationniste de l’époque. Bien que s’étant sensiblement modifiée et
nuancée, cette conception reste, explicitement ou non, l’une des plus
constantes tout au long de l’histoire de la neuropsychologie.
L’avènement d’un modèle localisationniste et associationniste du
fonctionnement cérébral est dû à Wernicke (1848-1905) et à Lichtheim
(1845-1928). En 1874, Wernicke décrit le cas d’un patient présentant
principalement des troubles de la compréhension du langage et por-
teur d’une lésion du tiers postérieur de la circonvolution temporale
gauche. Wernicke postule un lien de cause à effet entre cette lésion et
les troubles de la compréhension du langage. Il oppose l’« aphasie sen-
sorielle » (qui deviendra l’aphasie de Wernicke) à l’« aphasie motrice »
(ou aphasie de Broca). Il rapporte plusieurs observations d’aphasie sen-
sorielle et vérifie la localisation présumée de la lésion. S’il existe deux
centres du langage, l’un de la réception et l’autre de l’émission, reliés
entre eux par des fibres cortico-corticales, il s’avère logique de postuler
l’existence d’une troisième variété d’aphasie, due à l’interruption de ces
connexions, que Wernicke nomme « aphasie de conduction ». Dans un
article phare publié dans Brain en 1885, Lichtheim fournit la version la
plus achevée de ce type de modélisation appliqué à la classification des
aphasies et au fonctionnement du langage en considérant à la fois les
centres du langage et les voies d’association qui les relient (voir enca-
dré 3, p. 13, et chapitre 3, section 2).
Pour élaborer leurs théories, les auteurs de l’époque se réfèrent beau-
coup plus à des études de cas uniques ou de petits groupes de patients
présentant des ressemblances sémiologiques qu’à des études portant sur
de grands échantillons. Ils sont en cela très proches du courant ulté-
rieur de la neuropsychologie cognitive (voir infra). D’ailleurs, plusieurs
traductions des articles clés des cliniciens de la fin du XIXe siècle ont
été publiées dans la revue Cognitive Neuropsychology. Les auteurs que
l’on peut situer dans ces courants localisationniste et cognitiviste ont
un même attrait pour les schémas, témoins, au-delà des descriptions
cliniques, d’une volonté d’élaborer des modèles du fonctionnement
normal. La thèse de F. Moutier, soutenue en 1908 et consacrée à l’apha-
sie de Broca, répertorie ainsi vingt-huit schémas de cette période de
l’« âge d’or » des localisations cérébrales. Par cette expression, Hécaen
Histoire et domaines de la neuropsychologie 13

et Lanteri-Laura (1983) ont souligné un moment fécond, passionné et


provisoirement harmonieux de la neuropsychologie.

Encadré 3
La « petite maison » de Lichtheim (1885)

4 6

1 2

M A

5 7

m a

Ce schéma est à la fois clinique, physiologique, localisationniste et déjà


« cognitif ». Il représente trois centres (M : centre des images motrices des
mots ; A : centre des images auditives des mots ; B : Begriffe, centre d’élabo-
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ration conceptuelle) et leurs connexions. Enfin, aA représente la voie affé-


rente qui transmet les informations acoustiques au centre A ; et Mm est la
voie efférente qui conduit les informations venant de M aux organes de la
parole. L’auteur postule l’existence de sept variétés d’aphasies consécutives
aux destructions sélectives des différents centres ou de leurs voies d’union :
1. aphasie de Broca ; 2. aphasie de Wernicke ; 3. aphasie de conduction ;
4. aphasie transcorticale motrice ; 5. anarthrie pure ; 6. aphasie transcorti-
cale sensorielle ; 7. surdité verbale pure (la terminologie utilisée ici ne corres-
pond pas strictement à celle utilisée dans l’article original de Lichtheim).
D’autres schémas intégrant notamment le langage écrit figurent dans
l’article princeps de Lichtheim (cf. chapitre 3, sections 2 et 5 pour une des-
cription des différents syndromes).
14 Manuel de neuropsychologie

Les travaux sont en effet nombreux, de grande qualité, produits dans


un élan créatif qui sera rarement atteint ultérieurement. Mais surtout, une
partie des « neuroscientifiques » influents de cette époque pensent qu’il
est possible de faire coïncider symptômes et même fonctions mentales
avec les substrats cérébraux séparés en lobes, circonvolutions et couches
histologiques. Des déficits spécifiques révèlent l’organisation des fonc-
tions mentales dont il convient de chercher les supports anatomiques
dans des aires reliées par différents faisceaux (voir encadré 3, p. 13).
Une caractéristique fondamentale différencie toutefois les « fabricants
de diagrammes » de l’âge d’or et les neuropsychologues cognitivistes et
leurs schémas en boîtes et flèches (voir infra) : les schémas des seconds
sont « désincarnés », ils ne représentent qu’une construction hypothé-
tique de la structure et du fonctionnement du système cognitif, et de
lui seul. Les diagrammes des anciens auteurs (plus précisément de cer-
tains d’entre eux) superposaient « modules et voies cognitives » aux
« centres et faisceaux neuronaux ». Tous ne confondent pas pour autant
les diagrammes et les dogmes ; ainsi, Wernicke soulignait que « chaque
schéma n’a de valeur que comme outil d’enseignement et d’interpré-
tation, et qu’il perd sa signification dès qu’on trouve une manière plus
économique et plus précise de regrouper les faits ».

5. Le courant globaliste
ou « anti-localisationniste »

En neuropsychologie comme dans d’autres sciences, le progrès des


connaissances n’est pas linéaire et ne se réduit pas à une accumula-
tion progressive de résultats. Ceux-ci sont interprétés, intégrés à des
mouvements d’idées plus ou moins organisés au plan scientifique et
puissants en termes institutionnels. Certains faits sont privilégiés car
ils confortent une série de données admises par la communauté scien-
tifique, d’autres sont négligés car ils entrent en contradiction avec les
idées dominantes ou ne paraissent pas apporter d’éléments réellement
nouveaux.
Un des points d’achoppement concerne la possibilité de localiser des
fonctions dans le cerveau. L’opposition prend des formes différentes au
fil du temps avec en filigrane des conceptions philosophiques oppo-
sées concernant les liens entre le corps et l’esprit. Auparavant, le « siège
de l’âme » avait trouvé différentes localisations : le foie, le cœur ou la
glande pinéale, pour finalement se stabiliser dans le cortex puis dans
Histoire et domaines de la neuropsychologie 15

l’ensemble du cerveau. Les conceptions localisationnistes défendues


par Gall et son élève Spurzheim, qu’elles soient fondées sur la doctrine
phrénologique ou sur des corrélations anatomo-cliniques plus convain-
cantes, trouvèrent des détracteurs dont le plus célèbre était le physio-
logiste français Pierre Flourens. Le courant globaliste est contemporain
des thèses localisationnistes mais il est resté relativement à l’arrière-
plan jusqu’à son hégémonie, dans la période de l’entre-deux-guerres au
XXe siècle.

L’axe globaliste est né de la théorie de l’évolution et s’articule autour


de plusieurs idées maîtresses. Un phénomène pathologique est consi-
déré comme la dissolution d’un comportement normal. Les auteurs ne
font pas uniquement référence à des structures anatomiques mais à des
mécanismes psychophysiologiques pour rendre compte des comporte-
ments étudiés.
L’auteur clé est le savant anglais J. Hughlings Jackson (1835-1911)
et beaucoup d’œuvres ultérieures constituent des relectures de celle du
maître. Pour Jackson, toute fonction accomplie par le système nerveux
central n’est pas tributaire d’un groupe limité de cellules formant une
sorte de « dépôt » pour cette fonction. Elle est sous-tendue par une orga-
nisation verticale complexe représentée d’abord au niveau inférieur
dans le tronc cérébral, puis au niveau moyen dans les secteurs moteurs
ou sensoriels du cortex et enfin au niveau supérieur, supposé être celui
des régions frontales. Ainsi, pour Jackson, la localisation de la lésion
responsable du symptôme lors de l’atteinte d’un secteur limité du sys-
tème nerveux central ne saurait en aucun cas être assimilée à la loca-
lisation des substrats cérébraux de la fonction. Cette dernière peut se
répartir d’une manière sensiblement plus complexe et avoir une toute
autre organisation cérébrale.
L’opposition des thèses globalistes et localisationnistes atteint son
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paroxysme avec la querelle (qui alla jusqu’à la provocation en duel)


entre deux grands neurologues français, Dejerine et Pierre Marie. La
controverse concernait la conception anatomo-clinique de l’aphasie
défendue par Dejerine. Le titre de l’article polémique de Pierre Marie
(1906) donne le ton : « Révision de la question de l’aphasie : la troi-
sième circonvolution frontale gauche ne joue aucun rôle spécial dans la
fonction du langage ».
Les réactions au courant localisationniste furent très diverses. Pour
Von Monakow, un ex-localisationniste convaincu, les fonctions dites
supérieures dépendent de la totalité du cortex et les effets d’une lésion
sont évolutifs. Une première période, appelée diaschisis, est un moment
d’inhibition à distance dans le système dont dépend le territoire lésé.
16 Manuel de neuropsychologie

Ce diaschisis est suivi d’une période de récupération. Selon cet auteur,


les syndromes décrits comme indépendants correspondraient à des
étapes d’un processus unitaire. Ce concept de diaschisis a trouvé récem-
ment une confirmation neurobiologique grâce à des études utilisant
des mesures du débit sanguin cérébral : une lésion focale, par exemple
vasculaire, entraîne des perturbations hémodynamiques à distance, qui
tendent à se normaliser avec le temps. Il est utilisé dans différentes situa-
tions pathologiques caractérisées par une déconnexion entre différents
centres, y compris maintenant dans le cadre de pathologies neurodégé-
nératives.
L’œuvre neuropsychologique de S. Freud se situe dans ce courant de
pensée globaliste. L’essentiel de ses travaux sont publiés dans une mono-
graphie consacrée à l’aphasie, parue en 1891. Le père de la psychanalyse
s’y livre à une revue critique des travaux sur les localisations cérébrales,
en particulier les thèses associationnistes de Wernicke et de Lichtheim.
Freud suggère que le substratum neuro-anatomique de la parole et du
langage doit être conçu comme « une aire corticale continue de l’hémi-
sphère gauche ». Pour cet auteur, la notion de centre n’a de sens que du
point de vue de la pathologie, elle ne reflète en rien le fonctionnement
du cerveau normal.
Comme l’avait fait Freud, H. Head a développé les thèses de Jackson
en appliquant ses conceptions générales au problème de l’aphasie.
Ainsi, pour Head, l’aphasie est une perturbation de la formulation et
de l’expression symbolique. Elle touche la compréhension et l’usage
de signes propres au langage mais aussi de signes autres que ceux du
langage. S’appuyant sur la distinction jacksonienne entre langage auto-
matique et langage propositionnel, Head soutient que les productions
linguistiques propositionnelles sont principalement atteintes. Plus la
formulation verbale préliminaire à un acte est complexe et abstraite,
plus la réalisation de cet acte est susceptible d’être altérée chez l’apha-
sique. Cet auteur distingue, du plus automatique au plus volontaire,
diverses modalités constitutives du langage : les habitudes articulatoires
et verbales, la liaison entre le signe et la signification, l’utilisation des
formes grammaticales, l’ajustement des signes à une intention dans
l’expression de la pensée. Head décrit de cette façon quatre variétés cli-
niques d’aphasie : l’aphasie verbale, l’aphasie nominale, l’aphasie syn-
taxique et l’aphasie sémantique. L’aphasie est une, mais son expression
clinique ne l’est pas. Grand pourfendeur des fabricants de diagrammes,
Head refuse la localisation de fonctions supérieures comme le langage
ainsi que la notion de centre. Il admet seulement des foyers préféren-
tiels d’intégration et établit un rapport non pas entre des zones du cor-
Histoire et domaines de la neuropsychologie 17

tex et des aspects du langage, mais entre des lésions circonscrites et des
syndromes, associant ainsi à une pratique localisationniste une théori-
sation globaliste.
En psychologie, la théorie de la forme (ou Gestalttheorie) conforte ce
courant globaliste. Les recherches de K. Goldstein sont les plus démons-
tratives à cet égard. Pour cet auteur, initialement associationniste,
l’aphasie est la manifestation, dans le comportement linguistique, d’une
réaction globale de l’organisme destinée à rétablir un équilibre trou-
blé par la présence d’une lésion cérébrale. Cette lésion est à l’origine
d’une désorganisation fonctionnelle particulière ; de plus, le tableau
clinique observé témoigne de la réaction d’ensemble du cerveau. Pour
Goldstein, la caractéristique primordiale du comportement linguistique
de l’aphasique est le concrétisme : l’activité propositionnelle abstraite,
forme la plus parfaite du langage, n’étant plus possible, il y a régres-
sion à un niveau de comportement plus concret et la production lin-
guistique efficace n’est plus possible qu’en étroit rapport avec les objets
et les événements de situations actuelles et/ou avec les états émotion-
nels du malade. Goldstein estimait que l’« orientation abstraite » (ou
« comportement catégoriel ») se voit perturbée dans toute atteinte céré-
brale. Reprenant l’opposition entre les aires de projection et les aires
d’association, il admet que la destruction circonscrite des aires de pro-
jection entraîne un déficit limité ; les lésions des aires d’association
déterminent une altération totale de l’« être-au-monde », quelle qu’en
soit la localisation.
Ces positions globalistes se retrouvent dans l’œuvre de K. Lashley.
Cet auteur introduit les méthodes quantitatives en expérimentation
animale. Il admet des localisations corticales bien définies pour les aires
de projection motrices et sensitivo-sensorielles, mais il estime que les
principes d’équipotentialité et d’action de masse régissent le reste du
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cortex. Pour cet auteur, nulle distinction fonctionnelle ne peut s’opé-


rer légitimement dans l’étendue corticale des aires d’association, et la
forme du déficit dépend non du lieu de la destruction, mais de son
étendue.
Le courant globaliste s’est imposé dans l’entre-deux-guerres mais
la querelle des localisationnistes et des globalistes s’est progressi-
vement estompée. Les déductions les plus fécondes ont privilégié
l’observation clinique et anatomo-clinique ainsi que diverses hypo-
thèses physiopathologiques. L’œuvre de T. Alajouanine se situe dans
cette perspective ; ses recherches ont été à la fois anatomo-cliniques,
psychopathologiques et neurolinguistiques (voir Lecours et Lhermitte,
1979, pour un historique détaillé de l’aphasiologie).
18 Manuel de neuropsychologie

La position globaliste ainsi que l’examen plus systématique des


patients atteints de lésions cérébrales ont conduit à la mise au point et
à l’utilisation de batteries de tests standardisés destinés à explorer les
troubles du langage et de diverses fonctions cognitives. Ce développe-
ment des méthodes constitue une des entrées des psychologues sur la
scène neuropsychologique.

6. Les études de séries de patients


et la naissance de la neuropsychologie
expérimentale

En référence à Vignolo (2001), nous employons les termes de « neuro-


psychologie expérimentale » dans une acception précise qui implique
l’étude de séries de patients et/ou de sujets sains et l’utilisation de
paradigmes standardisés. Cette terminologie, consacrée par l’usage, ne
signifie pas pour autant que l’étude d’un cas unique ne soit pas expéri-
mentale mais elle s’inscrit généralement dans une autre dynamique où
les évaluations sont construites « en tiroir » pour s’adapter à la singula-
rité du cas individuel (voir infra, la partie consacrée à la neuropsycho-
logie cognitive).
La période qui s’étend de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux
années 1970 voit le développement d’une neuropsychologie plus
institutionnelle, grâce à des « personnalités fortes » : H. Hécaen (en
France), A.R. Luria (en Union Soviétique), H.L. Teuber (aux États-Unis),
B. Milner (au Canada), E. De Renzi (en Italie), etc. H. Hécaen (1912-
1983) a joué un rôle clé dans la fédération de ce mouvement qui a
conduit en 1963 à la création de la revue Neuropsychologia. La même
année paraît le premier numéro de la revue Cortex, puis d’autres pério-
diques spécialisés naîtront en Amérique du Nord : Journal of Clinical and
Experimental Neuropsychology, Brain and Language, Brain and Cognition,
Neuropsychology. La neuropsychologie s’est dotée de ses propres moyens
de diffusion même si ses productions ont trouvé et trouvent encore le
support de revues en neurologie (Brain, Revue Neurologique, etc.) ou en
psychologie (L’Année Psychologique, etc.), pour ne prendre que quelques
exemples. Les nouvelles revues de neurosciences cognitives et de neuro-
imagerie (Journal of Cognitive Neuroscience, NeuroImage) lui ouvrent aussi
largement leurs colonnes (Eustache et al., 2008).
Histoire et domaines de la neuropsychologie 19

C’est dans ce contexte d’une discipline scientifique structurée, à une


période où prédominait encore le courant globaliste, que se sont mul-
tipliées les études portant sur de grandes séries de patients. La Seconde
Guerre mondiale n’était pas étrangère à ce nouveau développement
méthodologique. En effet, les patients étudiés étaient souvent des bles-
sés par balle, jeunes, indemnes d’artériosclérose, et par conséquent
atteints de lésions très circonscrites. Les auteurs de l’École italienne ont
le mieux systématisé cette approche. Pour Vignolo (2001), elle permet
d’établir, avec un risque d’erreur connu, dans quelle mesure le trouble
étudié s’associe à une latéralisation hémisphérique (voire à une locali-
sation intra-hémisphérique) de la lésion et à d’autres perturbations des
fonctions cognitives. Cet auteur recense quatre principales caractéris-
tiques de cette approche :
– constitution d’échantillons représentatifs de patients atteints de
lésions hémisphériques unilatérales ;
– évaluation quantitative des performances au moyen d’épreuves
standard et définition objective du trouble sur la base des scores
obtenus aux mêmes épreuves par un groupe de sujets témoins ;
– comparaison de la fréquence et de la sévérité des troubles dans des
groupes de malades, distincts selon la latéralisation lésionnelle et
la présence d’autres signes d’« organicité cérébrale » ;
– utilisation de techniques statistiques pour établir avec quel risque
d’erreur les conclusions peuvent être généralisées.
Selon Vignolo, cette possibilité de généralisation sanctionne la
supériorité de cette méthode expérimentale sur l’approche clinique
traditionnelle, consistant en l’étude approfondie d’un malade excep-
tionnellement démonstratif sur le plan symptomatique. Dans ce der-
nier cas, le patient était examiné au gré des compétences du clinicien
et les inférences théoriques ne résistaient pas toujours à la critique. Les
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premiers travaux « expérimentaux » ont amené une démarche plus


scientifique, indissociable tout d’abord d’études de groupes de patients :
pour mettre à l’épreuve une hypothèse, des tâches sont construites, des
groupes constitués, des données comparées au moyen de techniques
statistiques. Quelques années plus tard, le courant cognitiviste a réaf-
firmé, parfois de façon exclusive, l’intérêt des études de cas uniques qui
deviennent à leur tour « expérimentales ». La pertinence des études de
groupes ou de cas uniques a donné lieu à de nombreux débats. Il était
reproché aux études de séries de patients de moyenner des données
disparates, tant sur le plan lésionnel que cognitif. En effet, des compor-
20 Manuel de neuropsychologie

tements ou des performances identiques peuvent être sous-tendus par


des mécanismes différents et cette approche risque de sous-estimer la
subtilité des perturbations spécifiques pouvant affecter un patient. Ces
études de groupes ont toutefois permis d’attribuer aux hémisphères
cérébraux ou à de grandes régions cérébrales des rôles mal définis par
l’approche anatomo-clinique traditionnelle et toujours insuffisamment
compris aujourd’hui. Ces grandes fonctions hémisphériques ont pris
la forme d’oppositions. Ainsi, le « cerveau gauche » serait doué d’une
capacité d’appréhension analytique des phénomènes, alors que le « cer-
veau droit » procéderait d’une façon plus immédiate et gestaltiste. Ce
dernier serait capable de discriminer des formes visuelles ou sonores,
alors que seul l’hémisphère gauche parviendrait à des identifications
« achevées ».
Ces oppositions méritent d’être nuancées en tenant compte de
l’interaction entre les hémisphères cérébraux pendant la réalisation
d’une tâche (voir infra et chapitre 2, section 3). Il n’en reste pas moins
que ces « grandes fonctions hémisphériques » font partie des acquis
neuropsychologiques et permettent de « moduler » des visions parfois
trop pointillistes. Mais les avancées de la neuropsychologie expérimen-
tale sont aussi méthodologiques. Le développement d’études réunis-
sant cliniciens et psychologues expérimentalistes a conduit à plus de
rigueur dans les explorations des patients, tant dans les programmes
de recherche que dans les évaluations cliniques, et quelques batteries
de tests sont nées de ce type de coopération. De plus, l’adoption de cer-
tains paradigmes (le test dichotique auditif verbal, la tachistoscopie en
champ visuel divisé) a provoqué une véritable rupture épistémologique.
En effet, jusqu’alors, la neuropsychologie était indissociable des études
cliniques chez les patients atteints de lésions cérébrales, même si elle
cherchait à conforter ses acquis dans d’autres sources de connaissances.
Ces nouvelles techniques dites « comportementales » utilisées chez les
malades et chez les sujets sains d’abord cantonnés au statut de contrôles
permettent finalement de recueillir des données neuropsychologiques
(les asymétries des performances) chez le sujet normal en générant des
hypothèses sur les compétences des hémisphères cérébraux. Doreen
Kimura a joué un rôle considérable dans le développement de cette
approche en adaptant, en 1961, le test d’écoute dichotique à l’étude de
la spécialisation hémisphérique. Actuellement, le débat entre les adeptes
des études de cas uniques et ceux des études de séries de patients n’est
plus aussi virulent. Les études d’imagerie cérébrale et celles portant sur
des patients atteints d’une maladie neurodégénérative ont beaucoup
contribué à cette évolution.
Histoire et domaines de la neuropsychologie 21

7. La spécialisation hémisphérique

L’asymétrie hémisphérique est une particularité fondamentale des subs-


trats cérébraux du langage et ce thème emblématique de la neuropsy-
chologie permet d’aborder quelques jalons et questions actuelles dans
l’évolution des connaissances sur la spécialisation hémisphérique. Les
découvertes de Broca et d’autres amènent la communauté savante du
XIXe siècle à admettre une idée alors choquante pour beaucoup : les
deux hémisphères ne jouent pas des rôles identiques dans la vie men-
tale. Dans la période féconde qui s’ouvre ainsi, la méthode anatomo-
clinique engrange des observations qui relient la perturbation de telle
ou telle capacité cognitive à la lésion de l’un ou l’autre des hémisphères.
Les troubles du langage, du geste et du calcul sont associés à une lésion
de l’hémisphère gauche, et ceux altérant les habiletés visuospatiales,
la perception des visages, ou encore les émotions, à une atteinte du
droit. Ensuite, au XXe siècle et jusqu’à ce que, à partir des années 1980,
la neuro-imagerie permette de localiser la lésion précisément, les bat-
teries psychométriques ont servi à déterminer la latéralité lésionnelle.
La découverte du cerveau dédoublé a popularisé à la fin des années cin-
quante l’utilisation de la stimulation en champ perceptif divisé afin de
recueillir des faits de latéralité dans les modalités visuelle, auditive et
haptique, et d’inférer les capacités respectives des hémisphères à partir
de l’étude de sujets sains. Chaque nouvelle approche est venue confir-
mer dans leurs grandes lignes les conceptions sur le partage des tâches
entre les hémisphères, et chacune présente ses points forts et ses limites
(Faure et Joanette, in Lechevalier et al., 2008).
Ainsi, les moyens d’étude de la spécialisation hémisphérique se
sont diversifiés et les propositions visant à en rendre compte se sont
multipliées. L’hémisphère gauche est qualifié de verbal, linguistique,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

analytique ou propositionnel, et son homologue, de non verbal,


visuospatial, holistique ou appositionnel. Cent cinquante ans d’inves-
tigations guidées par ces oppositions n’ont toutefois pas permis de cer-
ner les caractéristiques propres à chacun des hémisphères et il n’existe
pas de théorie générale de la latéralité fonctionnelle du cerveau. Cela
peut refléter la diversité des approches : anatomo-clinique, par stimu-
lation en champ divisé et en neuro-imagerie. Plus fondamentalement,
la vision dominante d’une indépendance de fonctionnement voire
d’opposition des hémisphères – retenue de la description du syndrome
de déconnexion hémisphérique – et l’attrait d’une explication faisant
intervenir un principe unique ont pesé négativement sur la construction
22 Manuel de neuropsychologie

des connaissances (Belin et al., 2008). Cette conception implicite domi-


nante a biaisé les paradigmes expérimentaux (Sergent, in Seron et
Jeannerod, 1998), favorisant la stimulation d’un seul hémisphère, et
recueillant, logiquement, en sortie, des faits en faveur de différences de
compétences et d’un travail indépendant des hémisphères. Or, l’inté-
gration des contributions différentes et complémentaires faites par
chaque hémisphère est probablement la règle et pas l’exception dans le
fonctionnement normal (Hellige, 2002). Plusieurs paradigmes élaborés
dès les années 1980 se sont affranchis d’une conception dissociative du
travail des hémisphères et d’un cerveau « morcelé », pour rechercher
a contrario des faits d’interaction et de coopération hémisphérique (la
méthodologie, qui repose sur la stimulation simultanée des deux hémi-
sphères, est exposée au chapitre 2, section 3).
L’avènement de la neuropsychologie fonctionnelle en même temps
que le raffinement des modèles cognitifs (sections 9 et 11 de ce chapitre),
en permettant de recueillir les activations cérébrales localisées, et donc
leur éventuelle répartition asymétrique en lien avec des composantes
cognitives finement définies, ont-ils facilité une mise au jour moins
biaisée des contributions hémisphériques ? Au-delà des confirmations
et des précisions apportées aux données issues de l’approche lésion-
nelle, le bilan est mitigé dans le domaine du langage. Les chercheurs
qui ont comme référence principale les « modèles classiques » de la
latéralité pour le langage sont confrontés à des activations significatives
dans l’hémisphère droit pour des tâches qui ciblent les compétences
ortholinguistiques considérées comme sous-tendues par l’hémisphère
gauche (parole, phonologie, syntaxe). Ces activations droites sont sou-
vent renvoyées à l’effet de facteurs faiblement définis, comme l’impli-
cation de la mémoire de travail, la complexité des phrases ou celle des
tâches cognitives, l’orientation de l’attention, ou la variabilité interin-
dividuelle de la latéralité pour le langage. Plus surprenant sur le plan de
la démarche scientifique, de telles activations sont quelquefois rappor-
tées sans que les auteurs avancent une explication pour ces résultats
qui ne cadrent pas avec le modèle neurolinguistique dominant. Enfin,
lorsqu’elles sont analysées, ces activations semblent correspondre à des
compétences paralinguistiques pour lesquelles l’étude des conséquences
des lésions droites a montré que l’intégrité de l’hémisphère droit était
requise : pragmatique de la communication, prosodie, langage figura-
tif (métaphores) et inférences. Ainsi, une compréhension réelle du rôle
de l’hémisphère gauche dans la communication verbale semble passer
obligatoirement par la compréhension de la contribution de l’hémi-
sphère droit. Des efforts de synthèse critique de la neuro-imagerie fonc-
Histoire et domaines de la neuropsychologie 23

tionnelle du langage (Démonet et al., 2005) pointent les axes de travail


majeurs. Il faut mieux comprendre ce que signifie le signal enregistré, et
pour cela mettre en relation les données d’activation et les mesures de
performances dans une démarche expérimentale, et les résultats d’ima-
gerie avec ceux des méthodes qui reposent sur l’analyse du compor-
tement (e.g. stimulations corticales et en champ divisé). L’adéquation
des modèles de référence doit être questionnée ; dans quelle mesure les
différents niveaux et catégories de langage supposés correspondent à la
façon dont le cerveau traite le langage ? Enfin, il faut étudier les facteurs
de la variabilité individuelle dans l’activation cérébrale et décrire leurs
influences. Les différences hommes-femmes dans les profils de latéralité
sont souvent notées mais ce n’est que récemment que la proposition du
modèle de couplage-découplage inter-hémisphérique sous l’influence
hormonale a permis une avancée théorique significative, qui pourrait
amener à revisiter plus d’un demi-siècle de recherches peu concluantes
sur ces différences (pour une revue, voir Faure et al., 2010). L’environ-
nement hormonal (principalement androgénique chez les hommes et
œstrogénique progestatif chez les femmes) contribue à la mise en place
d’un mode de fonctionnement cérébral privilégié, plutôt intra- ou inter-
hémisphérique. La neuromodulation hormonale régulerait ainsi la laté-
ralisation cérébrale fonctionnelle et l’intégration inter-hémisphérique.
Cette hypothèse générale pourrait aider à rendre compte de façon uni-
fiée des différences inter- (liées au sexe) et intra-individuelles (les taux
hormonaux étant très fluctuants chez la femme), à la fois dans les pro-
fils de latéralité et l’efficience cognitive.
Sur le plan anatomique, il est classique de considérer que la taille
du planum temporale est associée à la latéralisation gauche du langage
(Habib, in Lechevalier et al., 2008). Trente ans après Geschwind (1965),
les possibilités de visualiser avec une haute résolution spatiale la
connectivité structurale in vivo portent à nouveau le projecteur sur les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

faisceaux de fibres blanches qui relient entre elles les aires du langage
et, de façon nouvelle, sur les asymétries de connectivité. L’asymétrie de
certains faisceaux pourrait constituer un marqueur anatomique de la
latéralisation du langage plus important que celle de telle ou telle aire.
Par exemple, la prévalence d’une asymétrie gauche du faisceau arqué
chez les droitiers est plus forte que celle du planum temporale (Catani
et Mesulam, 2008). La forte variabilité interindividuelle est soulignée :
les individus qui ne se conforment pas à cette règle sont nombreux,
montrant une asymétrie faible ou un profil symétrique, et les profils de
forte latéralisation sont beaucoup plus fréquents chez les hommes que
chez les femmes. En outre, une latéralisation extrême apparaît moins
24 Manuel de neuropsychologie

avantageuse pour certaines fonctions. L’étude de la connectivité struc-


turale et fonctionnelle au sein d’ensembles d’aires-modules est ainsi
devenue centrale.
Un autre axe d’investigation jette un pont entre les spécificités fonc-
tionnelles propres à chaque hémisphère et le niveau neuronal. Les tra-
vaux qui s’y inscrivent considèrent que la latéralisation des fonctions
cognitives dans le cerveau est déterminée par des différences hémisphé-
riques (programmées génétiquement) en termes d’anatomie et de phy-
siologie au niveau neuronal (Pulvermüller, 2001). Jung-Beeman suppose
que de telles différences gauche/droite du point de vue de l’arborisa-
tion dendritique et de la distribution des colonnes corticales pourraient
avoir des implications fonctionnelles majeures sur le traitement cortical
à la base de la compréhension du langage. Des systèmes dendritiques
limités correspondraient à un échantillonnage discret de l’informa-
tion afférente (i.e. champs récepteurs plus petits) et des systèmes plus
vastes pourraient procurer un échantillonnage plus large de l’informa-
tion, augmentant potentiellement leur capacité intégrative. Les neu-
rones pyramidaux dans l’hémisphère droit, dont les dendrites sont plus
longues et qui comptent plus de synapses éloignées du corps cellulaire,
reçoivent des entrées en provenance de champs corticaux plus vastes
que ce n’est le cas dans l’hémisphère gauche. Au niveau d’organisation
supérieur, les colonnes dans l’hémisphère gauche sont plus espacées que
dans l’hémisphère droit, avec moins de recouvrement entre les champs
corticaux. Ces particularités expliqueraient que l’hémisphère gauche
active fortement des champs sémantiques petits et focalisés, contenant
une information étroitement reliée au sens dominant des mots per-
çus, tandis que le droit active plus faiblement des champs étendus et
diffus, incluant des informations distantes. Ces champs sémantiques
larges sont plus susceptibles de se chevaucher, permettant à l’activation
faible de se sommer lorsque l’entrée comprend de nombreux mots fai-
blement reliés. Ceci pourrait expliquer pourquoi l’hémisphère droit est,
plus que son homologue, sensible aux relations sémantiques distantes,
et cette sensibilité serait à la base de sa contribution spécifique : elle
peut être en effet mise à profit pour comprendre le langage figuratif ou
des constructions inhabituelles, et réaliser certains types d’inférences
(Jung-Beeman, 2005).
Le rôle de l’hémisphère gauche n’a jamais été fondamentalement
mis en cause, mais beaucoup de dogmes se sont trouvés questionnés
par les faits et la neuropsychologie peut aujourd’hui formuler, sur de
nouvelles bases, une question cruciale pour comprendre les relations
mutuelles entre cognition et cerveau. Elle n’est plus abordée en termes
Histoire et domaines de la neuropsychologie 25

de « dominance cérébrale » mais d’interactions selon différents modes


entre deux hémisphères dotés de réseaux distribués et spécialisés de
façon complémentaire : les deux apportent leurs contributions respec-
tives, qui se « complètent comme deux pièces d’un puzzle » (Hellige,
2002). Les trente dernières années ont été marquées par un élargisse-
ment du domaine, avec l’intégration des aspects pragmatiques et dis-
cursifs qui a conduit à mettre au jour les contributions spécifiques
de l’hémisphère droit (Joanette et al., 2008). Avec le déploiement de
l’approche cognitiviste, les pièces du puzzle se sont faites plus petites, le
découpage n’étant plus établi au niveau de grandes fonctions (langage
versus espace) mais de modules cognitifs (ou niveaux de traitement) plus
petits au sein d’une fonction. La complémentarité a pu être envisagée
à un niveau élémentaire, mais aussi selon des distinctions qui s’affran-
chissent des modèles classiques de la neurolinguistique. Par exemple,
pour le traitement de la parole que l’on pensait encore récemment
l’apanage de l’hémisphère gauche, le modèle à deux voies de Hickok
et Poeppel (2007) propose une contribution spécifique et complémen-
taire de chacun des hémisphères. La voie dorsale de mise en relation
des signaux acoustiques avec les réseaux de l’articulation dans le lobe
frontal est confinée à gauche tandis que la voie ventrale qui traite les
signaux de parole pour la compréhension est largement bilatérale. Dans
le même temps les réseaux droits et gauches organisés dans cette « voie
du sens » réalisent des computations différentes.
Pris dans leur ensemble, les résultats argumentent pour une complé-
mentarité des contributions fonctionnelles des hémisphères pour à peu
près tous les aspects du langage. Le défi reste de décrire et d’expliquer
comment se réalise le fonctionnement intégré du cerveau qui permet la
cohérence de nos pensées et de nos comportements.
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8. Les modèles anatomo-fonctionnels


contemporains

Malmenées d’abord par le courant globaliste, puis par les cognitivistes,


les tentatives de corrélations anatomo-cliniques n’ont pour autant
jamais cessé (voir encadré 4, p. 27), même si certains auteurs se sont
concentrés sur la recherche d’exceptions à la règle (Basso et al., 1985).
Le manifeste du nouveau courant localisationniste est constitué de
deux longs mémoires parus dans Brain en 1965, cent ans après l’éla-
boration théorique de Broca, et signés par le neurologue américain
26 Manuel de neuropsychologie

Geschwind (1926-1984). Dans ces articles consacrés aux syndromes de


déconnexion inter- et intra-hémisphériques, l’auteur prend le contre-
pied des théories globalistes qui dominaient à cette époque. Sa réflexion
sur les œuvres de Dejerine, Liepmann, Wernicke, ainsi que sa volonté
de fournir une interprétation claire à maints phénomènes observés en
neuropsychologie clinique ont amené Geschwind à repenser la théorie
localisationniste dans la forme que lui avait donnée Lichtheim, et à
conclure, à bien peu de détails près, à sa validité d’ensemble. Les textes
de Geschwind font redécouvrir des observations et des théories oubliées
comme l’alexie sans agraphie de Dejerine proposée en 1892. Cet auteur
avait montré que le trouble neuropsychologique résultait non pas de
la lésion d’un centre du langage temporal gauche, mais de l’interrup-
tion de voies unissant l’aire visuelle primaire et l’aire du langage, toutes
deux intactes. Ce syndrome est provoqué par une lésion occipitale
gauche, dont résulte une hémianopsie – amputation du champ visuel –
droite. De ce fait, les informations visuelles sont reçues dans le seul lobe
occipital droit et, en raison d’une lésion du splénium du corps calleux,
ne peuvent être transmises au gyrus angulaire de l’hémisphère gauche
dont l’un des rôles serait d’effectuer le décodage du langage écrit (voir
Cohen et al., 2000, pour une confirmation des thèses de Dejerine avec
des méthodes modernes d’investigation).
Les thèses de Geschwind ont été confortées par des travaux contem-
porains et en premier lieu les études neuropsychologiques de patients
ayant subi une lésion chirurgicale du corps calleux – la principale
commissure inter-hémisphérique – pour soigner des épilepsies résis-
tantes aux traitements médicamenteux (chapitre 3, section 7). Le syn-
drome de déconnexion inter-hémisphérique fut décrit chez ces patients
au cerveau dédoublé ou split-brain (Sperry et al., 1969). Il comprend
notamment des troubles du transfert des informations sensitives d’un
hémicorps à l’autre, une apraxie constructive de la main droite, une
anomie tactile de la main gauche, l’extinction de l’oreille gauche au
test d’écoute dichotique verbal et l’agraphie de la main gauche, ces trois
derniers signes révélant une interruption des connexions entre l’hémi-
sphère droit et les centres du langage. Des syndromes de déconnexion
inter-hémisphérique ont été décrits en clinique humaine – en dehors des
lésions neurochirurgicales – et en particulier dans l’encéphalopathie de
Marchiafava-Bignami (d’origine alcoolique). On y observe des troubles
de la coordination visuomotrice et l’étrange apraxie diagonistique où la
main gauche s’oppose à l’action réalisée par la main droite. Même si les
travaux sur les patients commissurotomisés ont fait l’objet de critiques
méthodologiques, la réalité clinique du syndrome de déconnexion
Histoire et domaines de la neuropsychologie 27

inter-hémisphérique ne peut être remise en cause. Nombre de données


ont été confirmées chez des sujets sains avec des paradigmes adéquats
(chapitre 2, section 3). Il s’agit d’un domaine où les ponts entre neuro-
psychologie « lésionnelle » et « expérimentale » sont des plus solides.

Encadré 4
Cartes des aires corticales selon Brodmann (1909)
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Ces cartes représentent la face interne (en haut) et externe (en bas) des
hémisphères cérébraux. La description de Brodmann (1909) ne tient compte
que de l’histologie du cortex (type de neurones et nombre de couches). Elle
fait totalement abstraction de l’anatomie macroscopique (par exemple,
l’aire 19 s’étend sur les lobes occipital, pariétal et temporal).
28 Manuel de neuropsychologie

Les techniques de stimulation électrique du cortex chez l’homme lors


d’interventions neurochirurgicales, développées notamment à l’Institut
neurologique de Montréal, ont également constitué un moyen privilé-
gié d’étude des localisations cérébrales (Penfield et Roberts, 1963). Les
territoires délimités par les effets de la stimulation électrique sous anes-
thésie locale correspondent, avec une faible marge d’indétermination, à
la fois aux aires cytoarchitechtoniques, aux secteurs thalamo-corticaux
et aux champs fonctionnels définis par l’expérimentation animale. Le
principe général des localisations cérébrales chez l’homme se trouve
donc étayé, en harmonie avec la méthode anatomo-clinique et les don-
nées de l’expérimentation animale. Tous ces travaux (voir la section
« Approches par stimulation cérébrale », chapitre 2, section 5) ont,
comme au début du XXe siècle, conforté les thèses localisationnistes ; ils
ont de plus argumenté en faveur d’une conception plus dynamique des
localisations cérébrales.
Jeannerod et Hécaen (1979) ont souligné l’évolution nécessaire du
concept de localisation cérébrale face à d’autres thèmes fondamentaux
de la neuropsychologie : « L’accumulation des données en faveur de
l’existence de localisations fonctionnelles n’est pas niable. Les faits tra-
duisant une plasticité du système nerveux sont tout aussi réels. Aussi
sommes-nous conduits à une conception dynamique des localisations
qui réconcilie d’une part une représentation en mosaïque des fonc-
tions, et d’autre part la notion de relations multiples entre les centres.
En même temps qu’on affirme la localisation, on la fait entrer dans un
nouveau schéma d’interconnexions et de convergences […]. Des unités
fonctionnelles élémentaires sont groupées selon leurs interconnexions
dans des aires cérébrales définies mais elles sont aussi en liaison avec les
unités d’autres régions cérébrales pour former des systèmes à distribu-
tion très large. »
Les travaux de Zeki sur l’organisation anatomo-fonctionnelle du cor-
tex et plus précisément du système visuel fournissent un bon exemple
des théories localisationnistes modernes. Le système visuel, considéré
jusqu’à récemment uniquement selon la division cortex strié (aires
primaires) et cortex extra-strié (aires secondaires), est maintenant
décomposé en plusieurs modules fonctionnels avec une spécialisation
cellulaire. Certains neurones traitent sélectivement l’orientation, la
forme, le mouvement et même des visages de face ou de profil. Ces
modules interconnectés s’inscrivent dans un réseau beaucoup plus
large de voies afférentes (provenant de la rétine, transitant par les corps
genouillés latéraux) et de voies efférentes. Un premier système qualifié
de voie ventrale est impliqué dans le traitement de la forme et de la cou-
Histoire et domaines de la neuropsychologie 29

leur (le « quoi ») alors qu’un second, la voie dorsale, traite les données
spatiales et le mouvement (le « où »). Enfin, le système extra-géniculo-
strié sous-tend la vision inconsciente (ou blindsight) mise en évidence
chez des patients atteints de lésions du cortex strié.
Le courant néolocalisationniste perdure avec un renouveau de ses
théories et de ses méthodologies. Son expansion a été favorisée, depuis
les années 1970, par le développement des moyens d’exploration neuro-
radiologique permettant une visualisation morphologique précise des
structures cérébrales (voir encadré 5, p. 31). Au XIXe siècle et dans la pre-
mière partie du XXe siècle, les « corrélations anatomo-cliniques » s’effec-
tuaient avec l’examen de patients autopsiés. Aujourd’hui, la relation
entre la perturbation d’un comportement et le siège de la lésion cérébrale
s’effectue in vivo, la visualisation des lésions étant d’emblée possible. Le
neuropsychologue suit ainsi l’évolution du patient « en connaissance
de cause ». Ces données neuroradiologiques permettent également la
confrontation de nombreux cas, décisive pour l’évolution des connais-
sances. D’ailleurs, des études de groupe consistent à superposer les sites
des lésions visualisées au moyen de l’imagerie anatomique, chez des
patients présentant un symptôme particulier, pour en déduire la locali-
sation lésionnelle la plus fréquente ou même spécifique.
Les corrélations anatomo-cliniques, effectuées sur des bases neuro-
radiologiques, comportent cependant un certain nombre de limites et
de contraintes. Tout d’abord, la résolution spatiale des images radiolo-
giques reste imparfaite, même si des progrès majeurs ont été réalisés avec
l’imagerie par résonance magnétique (IRM). De plus, seules certaines
techniques permettent de visualiser de façon optimale certaines lésions.
Ainsi, dans la maladie d’Alzheimer, l’atrophie de la région hippocampique
est difficile à mettre en évidence au niveau individuel au stade précoce
de la maladie, et les dégénérescences neurofibrillaires qui sont respon-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sables des symptômes de la maladie sont encore impossibles à détecter


in vivo par les techniques actuelles. En fait, il existe aujourd’hui de nom-
breuses techniques d’imagerie (et de traitement d’images) plus ou moins
adaptées à diverses pathologies ou problématiques. Le neuropsycho-
logue doit se tenir informé de cette évolution rapide des connaissances
dans le domaine : par exemple imagerie du tenseur de diffusion évaluant
l’intégrité des faisceaux de substance blanche, imagerie amyloïde visua-
lisant les plaques amyloïdes dans la maladie d’Alzheimer. Cette diversité
des explorations est également de mise pour les techniques d’imagerie
fonctionnelle, qui sont de plus en plus utilisées auprès des patients et
qui apportent une autre dimension aux corrélations anatomo-cliniques.
Enfin, sur un plan plus théorique, toute évolution des connaissances
30 Manuel de neuropsychologie

anatomo-fonctionnelles intègre aujourd’hui les acquis issus de l’image-


rie d’activation chez le sujet sain qui s’est développée de façon considé-
rable depuis une vingtaine d’années.

9. La neuropsychologie cognitive

Ayant pris ses racines en Angleterre dans les années 1960, puis rapidement
relayé dans de nombreux pays, ce courant est caractérisé par le même
élan que celui manifesté cent ans auparavant dans cette fameuse période
de l’« âge d’or ». Il ne s’agit plus de localiser des fonctions dans le cerveau,
mais d’identifier et de caractériser des modules fonctionnels et des opé-
rations de traitement dans une architecture hypothétique de l’esprit. Cet
objectif correspond en grande partie au programme de la psychologie
cognitive. Celle-ci s’était posée en alternative au courant théorique qui
avait institutionnalisé la psychologie scientifique : le béhaviorisme, dont
l’objet était l’observation et la quantification des réponses comporte-
mentales face à différentes situations contrôlées. Dans ce cadre, la science
psychologique devait faire l’économie des reconstructions conceptuelles
et des inférences qui auraient pu expliquer le lien entre le stimulus et la
réponse. La révolution cognitive a fait voler en éclats ces principes en
inversant les priorités : l’objectif principal de la psychologie cognitive est
d’élaborer des modèles du traitement de l’information chez le sujet nor-
mal. Par rapport à cette dernière, la neuropsychologie cognitive trouve sa
spécificité dans l’étude de patients atteints de lésions cérébrales ainsi que
dans certains postulats et paradigmes. Dans un premier temps tout du
moins, la neuropsychologie cognitive avait comme objectif de dévelop-
per des modèles théoriques, en s’affranchissant des contraintes liées à la
structure et au fonctionnement du cerveau. Ce niveau d’analyse « stric-
tement cognitif » était même ostensiblement revendiqué par nombre
d’auteurs se réclamant de ce courant.
La neuropsychologie cognitive comme axe de recherche était cen-
trée sur le traitement de l’information et consistait en une application
des modèles cognitivistes (ou computo-symboliques) aux perturbations
présentées par des patients atteints de lésions cérébrales. Les caracté-
ristiques de ces troubles constituent une source d’inférences puissante
pour mettre à l’épreuve ces modèles, les affiner ou les complexifier. For-
tement influencée par des disciplines telles que l’intelligence artificielle
et la linguistique, la neuropsychologie cognitive s’est développée en
prenant d’abord pour cadre les études sur la mémoire et le langage écrit.
Histoire et domaines de la neuropsychologie 31

Elle s’est étendue depuis à de nombreuses fonctions cognitives mais sa


pertinence pour modéliser l’ensemble de la vie mentale reste discutée,
notamment lorsqu’elle utilise les théories modulaires.
Dans ce courant, les auteurs effectuent l’étude d’un cas unique
« privilégié » et, plus précisément, l’analyse « en profondeur » d’une
perturbation présentée par un patient. Contrairement à l’approche
anatomo-clinique centrée sur l’expression de la pathologie et ayant tou-
jours un intérêt clinique, la neuropsychologie cognitive se situe réso-
lument dans une démarche fondamentale. Elle utilise les données de
la pathologie cérébrale comme des indicateurs de l’architecture et du
fonctionnement du système cognitif chez le sujet normal.

Encadré 5
Imagerie radiologique et morphologie cérébrale (Vincent de La Sayette)
Le scanner est une technique radiologique conventionnelle basée sur la
densité des tissus qui détermine leur capacité à absorber les rayons X. Les
faisceaux parallèles de rayons X tournent autour de l’objet à explorer (le
crâne et le cerveau) et un programme de calculs informatiques permet une
reconstruction et une restitution en image des différentes « coupes » du cer-
veau. La densité des structures traversées par les rayons X détermine la tona-
lité de l’image selon une gamme de gris étendue du blanc (ce qu’il y a de plus
dense – calcium, os) au noir (ce qu’il y a de moins dense – air et graisse). Le
gradient de densité est le suivant : calcium, sang, substance grise du cortex
et des noyaux gris centraux, substance blanche, liquide céphalo-rachidien,
graisse, air. Un examen standard comporte de 7 à 10 coupes « axiales », c’est-
à-dire horizontales d’une épaisseur de 5 à 10 mm, habituellement effectuées
dans le plan parallèle à la ligne « orbito-méatale » (de la commissure externe
de l’œil au conduit auditif externe) qui constitue le repère le plus simple.
L’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) s’affranchit de la densité
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

des tissus ; elle étudie le comportement des atomes d’hydrogène (protons)


dont l’organisme est riche et qui possèdent les propriétés magnétiques d’un
petit aimant.
Cette technique comporte trois étapes :
– magnétisation des protons par un aimant puissant qui permet de tous les
orienter dans la même direction ;
– interrogation des protons par des séries de deux impulsions successives
d’ondes radio qui les font basculer à 90° puis à 180° ;
– relaxation des protons, qui regagnent leur position initiale ordonnée par
le champ magnétique. En se relaxant, les protons émettent un signal, une
réponse, qui est traduite en image.
À
32 Manuel de neuropsychologie

Â
Cette réponse dépend de trois paramètres :
– densité de protons : le signal émis est d’autant plus riche que les protons
sont nombreux ;
– facteur de flux : les protons ne sont interrogeables que s’ils sont immo-
biles ;
– temps de relaxation : ce facteur essentiel dépend de l’environnement des
protons (temps T1) et de sa capacité à absorber l’énergie restituée par les
protons (temps T2) ; il détermine la qualité du signal émis.
L’examinateur peut faire varier l’interrogation des protons (modification
de la fréquence ou du temps qui sépare deux impulsions d’onde radio), ce
qui détermine la pondération respective des temps T1 et T2. Lorsque l’on
choisit une forte pondération T1, le rapport signal/bruit est excellent et les
images obtenues permettent une « étude anatomique » de bonne qualité
(figures 1 à 4). En revanche, les images fortement pondérées en T2 sont par-
ticulièrement sensibles pour détecter les lésions cérébrales notamment de
la substance blanche. Ces deux pondérations sont complémentaires l’une
de l’autre. L’IRM autorise tous les plans de coupe et permet de se référer
aux atlas d’anatomie afin de repérer avec précision les structures et les aires
corticales. L’IRM permet d’autres applications techniques qui ne sont pas
décrites dans cet encadré (angiographie IRM, spectroscopie IRM). La quan-
tification automatique de l’atrophie cérébrale à partir de l’IRM anatomique,
ainsi que les principes et les applications de l’IRM fonctionnelle sont traités
respectivement dans les encadrés 43, p. 362 et 18, p. 112.

Figure 1 – IRM, coupe sagittale, séquence pondérée en T1


À
Histoire et domaines de la neuropsychologie 33

FS

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Figures 2 à 4 – IRM, coupes axiales


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Par convention, tant en scanner qu’en IRM, en clinique, l’hémisphère droit est
représenté à gauche et l’hémisphère gauche à droite. Les séquences sont pondérées
en T1 permettant un bon repérage des structures anatomiques.
FS : cortex frontal, gyrus frontal supérieur
FM : cortex frontal, gyrus frontal moyen
FI : cortex frontal, gyrus frontal inférieur
Cing ant : cortex cingulaire antérieur
VL CF : ventricule latéral, corne frontale
VL CO : ventricule latéral, corne occipitale
CI B ant : capsule interne, bras antérieur
Ins : insula
C ext : capsule externe
Cing post : cortex cingulaire postérieur
CO int : cortex occipital interne
CO ext : cortex occipital externe
34 Manuel de neuropsychologie

La terminologie utilisée en neuropsychologie cognitive permet de


la distinguer de l’approche neuropsychologique classique. Ainsi, les
termes de symptôme, syndrome ou diagnostic appartiennent au voca-
bulaire médical : un syndrome est une association de symptômes pou-
vant conduire au diagnostic d’une maladie. Le qualificatif « cognitif »
associé à ces termes en modifie profondément la signification. La neuro-
psychologie cognitive s’intéresse en priorité aux patients présentant un
syndrome cognitif mis en évidence par le jeu des dissociations et des
doubles dissociations (chapitre 2, section 2). Les perturbations ainsi que
les capacités préservées du patient, évaluées au moyen d’une métho-
dologie spécifique, sont interprétées pour être « localisées » dans un
modèle représentant l’architecture fonctionnelle du système cognitif
étudié. Ce système hypothétique n’a pas de réalité anatomique mais
rend compte des étapes et des connexions dans le système de traite-
ment de l’information. Plusieurs postulats sont nécessaires pour qu’un
patient soit « compris » avec de tels modèles et pour que son profil de
perturbations et de capacités préservées puisse contribuer à préciser une
théorie cognitive : les principaux sont la modularité, la transparence
et le fractionnement. Le principe de modularité suppose qu’une fonc-
tion cognitive, conçue comme un système complexe de traitement de
l’information, est décomposable en sous-systèmes et en modules ayant
une certaine autonomie fonctionnelle. Le principe de transparence pos-
tule que les performances observées chez un patient atteint de lésions
cérébrales peuvent être interprétées comme la résultante d’un traite-
ment normal amputé d’un ou plusieurs modules. Le principe de frac-
tionnement rejoint le concept de dissociation. Une lésion cérébrale peut
entraîner la perturbation d’un seul module. Le patient atteint de lésions
cérébrales, si l’on admet ces postulats, représente un révélateur privilé-
gié des composantes et du fonctionnement de l’architecture cognitive.
La démarche originale de la neuropsychologie cognitive peut être
résumée en quelques points :
– elle s’appuie toujours sur un modèle de traitement de l’information ;
– chez un patient donné, elle recherche la lésion fonctionnelle res-
ponsable des troubles ;
– cette localisation « sur le papier » nécessite l’utilisation d’une
méthodologie précise, par exemple dans la spécification d’un
trouble du langage : comparaison des performances selon diffé-
rentes modalités (dénomination, répétition, lecture, écriture, etc.),
comparaison des performances suivant différentes variables psy-
cholinguistiques ou selon certains types de traitements (fréquence,
imagerie, régularité orthographique).
Histoire et domaines de la neuropsychologie 35

Cette démarche complexe s’applique en priorité à un patient unique,


les études de groupe moyennant nécessairement des données hété-
rogènes, y compris chez des malades présentant a priori les mêmes
symptômes « de surface ». L’intérêt pour l’étude de patients présen-
tant un « syndrome cognitif » a coïncidé avec un rejet des classifica-
tions des grands syndromes neuropsychologiques (aphasie de Broca,
aphasie de Wernicke, etc.) dénuées, pour certaines, de toute valeur
théorique. La neuropsychologie cognitive a également fait évoluer la
rééducation d’une pratique empirique visant à corriger des symptômes
vers une démarche plus rationnelle et scientifique cherchant d’abord
à comprendre sur un plan théorique les perturbations du patient. Le
« diagnostic cognitif » permet alors de proposer un programme précis et
contrôlé de rééducation (voir chapitre 7). Présentée surtout comme une
discipline fondamentale, la neuropsychologie cognitive a néanmoins
contribué à modifier les pratiques cliniques tout en conservant sa spéci-
ficité au plan théorique et méthodologique.
Si les contributions de la neuropsychologie cognitive sont aujourd’hui
reconnues, elle n’est pour autant pas exempte de limites. Les postulats
de modularité, de transparence et de fractionnement admis, il convient
de tenir compte des phénomènes spontanés de restauration et de réor-
ganisation fonctionnelle après lésion. Le patient cérébrolésé est un sujet
doté d’une organisation cognitive et cérébrale particulière. Cette singu-
larité a été soulignée par divers auteurs pour mettre en doute la portée
des inférences théoriques sur l’organisation et le fonctionnement du
système cognitif du sujet normal. De plus, des faiblesses méthodolo-
giques remettent en cause la réalité des dissociations et leur puissance
explicative : rareté des doubles dissociations, exigences statistiques
insuffisantes (voir encadré 19, p. 139). Les études de cas uniques
paraissent fragiles pour élaborer des modèles « universels » de traite-
ment de l’information chez le sujet sain. Shallice (1995) a bien discuté
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la puissance explicative des faits neuropsychologiques. D’une part, une


confrontation des études de patients uniques et de séries de malades est
souhaitable. D’autre part, les résultats de la neuropsychologie cognitive
doivent être corroborés par d’autres sources d’inférences, notamment
celles de la psychologie expérimentale et de l’imagerie fonctionnelle
cérébrale, puis intégrés dans des modèles communs.
Un autre débat qui anime la neuropsychologie cognitive porte sur
les liens entre cognition et cerveau. Il existe ainsi une parenté avec les
fabricants de schémas de l’« âge d’or » mais aussi des divergences face
au problème des localisations cérébrales. Après avoir adopté une posi-
tion « désincarnée », c’est-à-dire sans tenir compte des connaissances
36 Manuel de neuropsychologie

concernant les substrats cérébraux, la neuropsychologie cognitive est


devenue moins radicale et les ultra-cognitivistes, qui considèrent que la
neuropsychologie doit s’en tenir à la description de l’architecture cogni-
tive, sont de plus en plus rares aujourd’hui. D’une part, des contraintes
neurobiologiques doivent être prises en compte. D’autre part, les tech-
niques d’exploration du cerveau et les connaissances évoluant, il est
indispensable de rapprocher modèles cognitifs et modèles neurobiolo-
giques. Il était pour le moins paradoxal que la neuropsychologie se désin-
téresse du cerveau, de façon délibérée et dogmatique, alors que sa source
d’inférence privilégiée est le patient victime de lésions cérébrales.
Cette façon particulière d’envisager les relations esprit/cerveau
chez les psychologues cognitivistes a eu plusieurs conséquences. Tout
d’abord, le fait que l’architecture théorique de référence soit unique-
ment cognitive exigeait une rigueur extrême dans la démarche expé-
rimentale, l’analyse de la sémiologie des patients et les interprétations
conceptuelles. Comme cela a déjà été souligné, cet état de fait a permis
des avancées notables dans la construction de procédures d’examen,
dans la description de divers syndromes cognitifs, dans la rééduca-
tion des patients et dans l’évaluation des effets de celle-ci. Ces derniers
aspects étaient particulièrement novateurs car les rééducations étaient
conçues auparavant sur des bases empiriques et, dans la majorité des
cas, une évaluation quantifiée de ses effets n’était pas même envisagée.
Sur un plan plus théorique, il est indéniable que la neuropsychologie
cognitive a fait progresser les modélisations des fonctions cognitives
et, en parallèle, la description de différents symptômes et syndromes.
Certaines sont de véritables « créations », c’est-à-dire non décrites pré-
cédemment, et ont été adoptées par la communauté (par exemple la
dyslexie profonde). Dans d’autres situations, l’approche de la neuro-
psychologie cognitive est venue compléter une sémiologie issue de la
nosographie traditionnelle. Dans tous les cas, ces découvertes et ces
avancées théoriques ont souligné l’extrême complexité de l’architec-
ture cognitive, la diversité des tableaux cliniques et, plus encore, des
mécanismes à l’origine des perturbations. A contrario, cette analyse fine
et individualisée a eu pour autre avantage de souligner les mécanismes
préservés, l’ensemble permettant d’élaborer une prise en charge théori-
quement fondée.
Cette notion de complexité, qu’elle s’applique à la modélisation du
fonctionnement « normal » ou à la diversité des atteintes cognitives,
s’accordait certes mal avec les thèses localisationnistes manifestement
trop schématiques. En revanche, quand il a fallu, notamment devant
les développements de l’imagerie cérébrale, tenter de nouveaux rappro-
Histoire et domaines de la neuropsychologie 37

chements avec l’architecture cérébrale, les modélisations cognitives se


sont beaucoup mieux accordées avec les conceptions mettant en avant
une organisation en réseau des systèmes cérébraux. C’est sur ce terrain
que se sont rencontrés et que continuent de progresser les concepts
issus de la neuropsychologie cognitive et les développements de l’ima-
gerie cérébrale.
Enfin, et ce changement n’est pas des moindres, les modèles cogni-
tifs, non contraints a priori par les bases cérébrales des pathologies, ont
été appliqués à des maladies jusqu’ici peu ou pas appréhendées par la
neuropsychologie. Les pathologies démentielles sont particulièrement
démonstratives à cet égard. En effet, leurs descriptions cliniques étaient
restées sommaires jusqu’au début des années 1980, tout comme la
connaissance des principaux sites cérébraux à l’origine des symptômes.
La neuropsychologie cognitive, en réalisant une description approfon-
die de la sémiologie des maladies neurodégénératives, a contribué gran-
dement à la prise de conscience du problème de santé publique et de
société posé par l’incidence accrue des états démentiels dans les pays
industrialisés. Elle a de plus contribué à une transformation radicale de
la représentation sociale de ces maladies, dans le monde médical comme
dans le grand public. Ainsi, en quelques années, grâce aux analyses très
fines menées par les neuropsychologues, la démence est passée du sta-
tut de « faillite globale des fonctions mentales », en lien avec une atro-
phie cérébrale diffuse, à celui d’atteinte en mosaïque de ces fonctions,
selon le type de pathologie et son degré de sévérité. Cette approche a
notamment permis de faire progresser les critères de diagnostic pour
aboutir à un diagnostic de plus en plus précoce (avant même le stade
de démence) et aussi de mieux comprendre la physiopathologie de ces
différentes affections en mettant en relation la survenue des perturba-
tions cognitives et les anomalies de la structure et du fonctionnement
cérébral (voir chapitre 6).
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Un autre exemple de l’extension du champ de la neuropsychologie


cognitive concerne les pathologies exemptes d’atteintes neuronales
patentes. C’est le cas de diverses pathologies développementales et psy-
chiatriques. Pour les premières, comme les dyslexies développementales,
les modèles issus de la pathologie lésionnelle focale de l’adulte ont
d’abord été appliqués, sans modification notable, aux perturbations
observées chez l’enfant. L’étude de ces dernières a par la suite acquis ses
propres méthodes. La neuropsychologie de l’enfant connaît une évo-
lution notable depuis quelques années, avec ses propres modélisations
théoriques et outils d’exploration (Lussier et Flessas, 2009 ; voir cha-
pitre 4).
38 Manuel de neuropsychologie

Une autre évolution remarquable concerne l’approche cognitive des


pathologies psychiatriques conduisant ainsi à un rapprochement entre
neuropsychologie et psychopathologie. Là encore, de simples applica-
tions des modèles et des méthodes d’investigation de la neuropsycho-
logie aux pathologies psychiatriques (la dépression, la schizophrénie) se
sont avérées insuffisantes et même erronées mais la psychopathologie
cognitive est devenue un champ de recherche très dynamique et créa-
tif où les liens avec la neuropsychologie sont fructueux. Les modélisa-
tions des troubles du comportement au cœur de diverses pathologies
développementales (l’autisme infantile) et psychiatriques (la schizo-
phrénie) ont intégré des champs conceptuels nouveaux (comme la
théorie de l’esprit) qui ont été intégrés à leur tour à l’exploration de dif-
férents syndromes neuropsychologiques. Cette exploration des troubles
de la cognition sociale constitue l’une des évolutions marquantes de la
neuropsychologie ces dernières années.
Au total, la neuropsychologie cognitive est un courant important
qui a permis une relecture en profondeur de différents syndromes et a
renouvelé les pratiques cliniques en neuropsychologie, y compris pour
la rééducation des patients. Plus guère considérée dans sa forme ini-
tiale, elle s’avère particulièrement pertinente confrontée ou intégrée à
d’autres voies de recherche et de soin.

10. Les modèles connexionnistes

Le connexionnisme, pour ce qui a trait aux questions de la neuro-


psychologie, tente de rendre compte des relations entre le fonction-
nement cérébral et le fonctionnement cognitif au moyen de réseaux
constitués d’unités simples (appelés « neurones formels ») et richement
interconnectées au sein desquels se propagent des activations. Lorsqu’un
« vecteur », qui représente un « stimulus » (mot écrit, visage, etc.) par
une combinaison particulière d’unités actives et inactives, est pré-
senté en entrée, une activation se propage au sein du réseau. Chaque
unité a un niveau d’activité compris entre 0 et 1, niveau qui dépend
des signaux, des entrées excitatrices ou inhibitrices graduées, reçus
des unités auxquelles elle est connectée. Chaque unité agit donc sur
chaque autre unité avec une force variable. La sortie du réseau est défi-
nie par la somme de ces intensités de connexion (coefficient ou poids
synaptique), qui détermine les opérations exécutées par le réseau, son
« comportement ». Un réseau comprend généralement trois couches de
Histoire et domaines de la neuropsychologie 39

telles unités : une couche d’entrée, une couche intermédiaire ou cachée


et une couche de sortie (voir encadré 6, p. 40). Les différentes couches
du réseau peuvent « abriter » des types d’informations distincts, par
exemple graphémiques, phonologiques et sémantiques.
Plusieurs caractéristiques principales différencient les modèles
connexionnistes des modèles computo-symboliques (au sens développé
dans la section 9 de ce chapitre) :
– le fonctionnement en parallèle des unités ;
– l’absence de contrôle hiérarchique : les unités ne sont pas sous la
dépendance de mécanismes de contrôle centraux ;
– la façon de concevoir la représentation : le postulat de base est en effet
que l’information n’est pas localisée précisément dans le système,
mais qu’elle est répartie dans son ensemble ; les symboles émergent de
l’activité globale et distribuée dans un réseau d’éléments identiques ;
– enfin, un point majeur du point de vue de la neuropsychologie
fondamentale et clinique, leurs capacités d’apprentissage.
Les réseaux connexionnistes présentent la particularité d’être dotés de
procédures d’apprentissage. L’entrée du système est constituée par un
« vecteur » et différentes procédures sont utilisées pour que le réseau pro-
duise la sortie attendue pour chaque entrée. La plus classique s’appuie
sur la règle d’apprentissage non supervisé formulée par D. Hebb : le poids
de la connexion entre deux unités est augmenté si les deux unités sont
fortement activées et diminué lorsque cela n’est pas le cas. Parmi les algo-
rithmes d’apprentissage supervisé, celui de rétropropagation de l’erreur
est fréquemment utilisé. Au cours du cycle d’apprentissage (caractérisé
par une présentation d’une série importante de signaux d’entrée), les
poids des connexions, au départ aléatoires, sont modifiés en fonction
de la comparaison entre la réponse donnée en sortie par le réseau à un
stimulus et la réponse attendue, de façon à diminuer l’erreur, c’est-à-dire
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’écart entre les deux réponses. Une des limites des modèles cognitivistes
« en boîtes et flèches » réside justement dans leur difficulté à appréhender
l’acquisition des connaissances : seul l’état du système mature et stable y
est appréhendé. Les propriétés dynamiques des réseaux connexionnistes –
hautement interactifs, dotés de mécanismes d’apprentissage – autorisent
une certaine flexibilité de comportement et en feraient de meilleures
approximations du comportement du sujet humain. Ainsi, le dévelop-
pement des modélisations connexionnistes pourrait jouer un rôle impor-
tant pour proposer des modèles détaillés du système cognitif sur lesquels
toute théorie de la rééducation devrait pouvoir s’appuyer, notamment en
permettant l’étude de l’apprentissage (Plaut, 1996).
40 Manuel de neuropsychologie

Encadré 6
Simulation connexionniste de certains mécanismes de lecture
Hinton et Shallice (1991) ont élaboré un réseau connexionniste pour tenter
de reproduire le fonctionnement des mécanismes sémantiques de la lecture.
Le réseau traite un vocabulaire simplifié (40 mots courts) et comprend trois
types d’unités : unités « graphèmes » (entrée), représentant chacune une
lettre particulière à une position déterminée dans un mot ; unités « sémèmes »
(sortie), représentant des traits sémantiques des mots ; unités intermédiaires
(couche cachée), permettant l’apprentissage des associations complexes.

••• •••
Unités de nettoyage Unités sémèmes
(n = 60) (n = 68)

•••
Unités intermédiaires
(n = 40)

•••
Unités graphèmes
(n = 28)

La première couche réagit aux lettres de chaque mot. Les connexions entre
les unités graphèmes et intermédiaires, puis entre celles-ci et les unités
sémèmes, convertissent la forme du mot en une représentation caractérisée
par des propriétés sémantiques de l’objet en question : aspect (« couleurs
variées »...), fonction (« pour boire »...), etc.
À cette structure initiale a été ajoutée une couche « de nettoyage » : quand
le premier ensemble de connexions ne produit pas de réponse nette, les
unités de nettoyage modifient la réponse jusqu’à ce que le réseau produise
pour chaque mot présenté en entrée le profil correct de ses caractéristiques
sémantiques. Cette « boucle » permet la procédure d’apprentissage.
Des « lésions » (modification ou destruction sélective de connexions entre
les unités) ont été réalisées au sein du réseau. Les sorties du réseau endom-
magé, ou ses « comportements » selon les auteurs, reproduisent certains
symptômes des patients souffrant de dyslexie profonde :
– erreurs de lecture de type sémantique (lire « lion » pour tigre) ;
– erreurs dites « visuelles » (lire « boule » pour foule) ;
– erreurs dites « visuelles puis sémantiques » (lire « orchestre » pour sympa-
thie, vraisemblablement parce qu’une erreur visuelle a d’abord confondu
symphonie et sympathie, d’où la confusion sémantique).
Histoire et domaines de la neuropsychologie 41

Un intérêt certain des modèles en réseaux est de fournir aussi un


outil de calcul pour tester et raffiner les modèles « en boîtes et flèches ».
Le chercheur doit en effet spécifier les détails fonctionnels du réseau,
y compris la configuration d’unités activées et la force de l’activation,
avec suffisamment de détails pour que le système puisse fonctionner,
et la sortie doit simuler le comportement normal. Des perturbations
peuvent aussi être introduites dans le système afin de simuler les effets
des lésions cérébrales. À la différence de la démarche de modélisation
habituelle, où le neuropsychologue tente de caractériser chaque compo-
sant d’un mécanisme complexe et de deviner comment des lésions
perturberont le comportement, l’approche connexionniste tente de
reproduire ce mécanisme, l’endommage et observe les erreurs qui en
résultent (voir encadré 6, p. 40). Le fait qu’un système formel mime
un comportement du sujet humain ne signifie pas que les mécanismes
à l’œuvre soient semblables. Les réseaux connexionnistes sont certes
conçus sur la base d’analogies avec les réseaux de neurones du cerveau
et leur fonctionnement mais ces analogies restent partielles et ils ne
peuvent pas être considérés comme des équivalents du fonctionnement
neuronal, ni rivaliser avec la complexité des activités cognitives. Les
tenants du connexionnisme insistent surtout sur les analogies de struc-
ture entre les réseaux connexionnistes et le cerveau. Toutefois, dans le
cerveau humain, un neurone peut être connecté à cinq mille autres,
alors que les unités sont en nombre beaucoup plus restreint dans les
réseaux connexionnistes (ceux-ci ont bien sûr pour ambition de simu-
ler des activités beaucoup plus limitées que celles du cerveau). Les ana-
logies entre le fonctionnement des réseaux connexionnistes et celui du
cerveau sont plus approximatives : certains réseaux connexionnistes
supposent une procédure d’apprentissage, comme l’algorithme de
rétropropagation dont on ne connaît pas les équivalents dans le cer-
veau. Victorri (in Lechevalier et al., 2008) a discuté de façon approfondie
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’intérêt et les limites des modèles connexionnistes en neuropsycho-


logie. Il met en exergue combien ces modèles peuvent se révéler utiles
« parce qu’ils mettent en évidence des mécanismes de fonctionnement
et d’apprentissage d’un type nouveau, qui sont une précieuse source
d’inspiration pour élaborer des modèles théoriques du fonctionnement
du cerveau et de l’esprit […] ». Cette façon de tirer parti des modéli-
sations connexionnistes relève de l’épistémologie expérimentale, dont
l’auteur nous rappelle qu’elle vise à tester la « validité des raisonnements
inductifs qui conduisent de l’observation expérimentale de comporte-
ments normaux ou pathologiques à la mise en place d’hypothèses théo-
riques sur l’architecture et le fonctionnement de la cognition ».
42 Manuel de neuropsychologie

Des tentatives de modélisations radicalement différentes concernant


un même ensemble de phénomènes peuvent coexister et les relations
entre théorie et faits empiriques sont complexes. Une bonne illustration
est donnée par la neuropsychologie de la reconnaissance des visages. Le
modèle computo-symbolique de Bruce et Young (1986, voir encadré 25
p. 182) sert de référence à beaucoup de travaux sur la prosopagnosie
mais ne peut prendre en compte l’existence, chez certains patients
prosopagnosiques, d’une dissociation entre reconnaissance explicite
des visages familiers perturbée, et reconnaissance implicite préservée.
Afin d’intégrer ces capacités de reconnaissance implicite, De Haan et al.
(1992), tout en conservant l’essentiel des composantes supposées par
Bruce, y ajoutent un « système de prise de conscience » et font l’hypo-
thèse d’une déconnexion entre le module de traitement des visages (pré-
servé) et le système de prise de conscience. Cette démarche qui consiste,
face à une observation non prévue par le modèle initial, à ajouter une
nouvelle « boîte », est typique du va-et-vient entre théorie et observa-
tions dans le cadre computo-symbolique. Farah et al. (1993) proposent
une interprétation alternative de ces phénomènes de reconnaissance
implicite. Leur simulation connexionniste montre qu’un réseau préa-
lablement entraîné à reconnaître « 40 individus artificiels » (en fait
associer nom, visage et sémantique – homme politique versus acteur
– de l’individu lorsque l’une de ces informations est donnée en entrée)
réapprend plus rapidement ces associations antérieurement constituées
que de nouvelles associations après qu’un certain nombre d’unités du
réseau ont été éliminées (réalisant l’équivalent formel d’une lésion).
Parmi d’autres caractéristiques du « comportement » du réseau, celle-ci
rejoint les comportements de certains patients prosopagnosiques aux
tests indirects de traitement des visages (voir chapitre 3, section 5).
Les modèles computo-symboliques et connexionnistes visent deux
niveaux différents de description. Celui de la macrostructure seul, qui
précise les différents types de représentations, d’opérations et de rela-
tions entre les composantes nécessaires à une activité cognitive mais
ne rend pas compte de son implémentation dans le cerveau, se révèle
insuffisant pour appréhender certaines pathologies. Ainsi, Farah et
McClelland (1991) proposent un modèle de la mémoire sémantique qui
serait plus à même de rendre compte des troubles de la mémoire séman-
tique dits « catégoriels spécifiques » (par exemple ceux qui touchent
sélectivement la connaissance des objets vivants en épargnant celle des
objets non vivants) que les modèles classiques, qui supposent que les
deux types de connaissances soient représentés dans deux composantes
« catégorielles spécifiques » de la mémoire sémantique (voir chapitre 3,
Histoire et domaines de la neuropsychologie 43

section 5 et encadré 24, p. 179). Leur modèle hybride allie une architec-
ture générale en termes de processeurs et de relations entre ces « boîtes »
à des propriétés se situant à un niveau de description qui vise la micro-
structure du système, notamment le fonctionnement « à l’intérieur des
boîtes ». Les modélisations en réseau connexionniste et les architec-
tures fonctionnelles de type cognitif pourraient être « réconciliées » à
terme, notamment dans le domaine du langage.

11. La neuropsychologie fonctionnelle

Ce courant de recherche, qui a surtout pris son essor depuis les années
1990, a pour objectif de mettre en relation un comportement (et plus
précisément une activité cognitive) et une activité cérébrale. Le fonc-
tionnement du cerveau est mesuré au moyen de différents indices : élec-
triques, magnétiques ou physico-chimiques. Cet axe de recherche, dont
les retombées cliniques sont de plus en plus importantes, est étroite-
ment lié à l’évolution de diverses techniques et s’appuie sur des modèles
physiques et mathématiques qui permettent la fabrication d’images de
l’activité fonctionnelle cérébrale.
Les principes méthodologiques et différents exemples de paradigmes
et de résultats seront rapportés dans le chapitre 2 (section 4). Ce domaine
implique l’utilisation de technologies sophistiquées et contraignantes,
mais la construction de paradigmes cognitifs pertinents comme l’impor-
tance numérique et théorique des résultats obtenus en font un domaine
incontournable pour qui s’intéresse aux relations entre le fonctionne-
ment cognitif et le fonctionnement du cerveau. Dans l’évolution des
idées en neuropsychologie, cette approche fonctionnelle constitue,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

aujourd’hui, un chaînon fondamental. Elle a ainsi permis de concilier


une modélisation cognitive et des explorations dynamiques de plus en
plus précises du cerveau humain.
L’une des originalités de cette approche est d’être applicable au sujet
sain : les méthodes d’imagerie fonctionnelle permettent ainsi de visuali-
ser « directement » les structures cérébrales impliquées dans différentes
opérations cognitives. Ces méthodes sont aussi utilisées chez des patients
atteints de pathologie neurologique ou psychiatrique, et fournissent
dans ce cas des arguments physiopathologiques à la compréhension
de ces maladies. Il s’agit en quelque sorte d’une nouvelle neuropsycho-
logie où les « corrélations » ne sont plus uniquement anatomo-cliniques
mais intègrent la dimension de l’activité fonctionnelle cérébrale. Cette
44 Manuel de neuropsychologie

approche permet de surcroît de mieux comprendre les phénomènes de


compensation qui se mettent en place lors d’affections cérébrales. L’uti-
lisation de l’imagerie cérébrale fonctionnelle s’avère donc essentielle
pour comprendre divers phénomènes pathologiques. Elle est également
en passe de modifier certaines procédures de diagnostic, par exemple
dans le domaine des maladies neurodégénératives, notamment à leur
phase précoce, où elle complète les investigations cliniques. De plus,
les explorations de la pathologie constituent un outil puissant pour
modéliser le fonctionnement cognitif et cérébral. L’intérêt de l’analyse
conjointe des altérations cognitives et des modifications de l’activité
cérébrale dépasse de très loin le seul plan clinique. La neuropsycho-
logie fonctionnelle appliquée à la pathologie complète donc utilement
la méthode « des activations » chez le sujet sain.
Les différentes techniques disponibles présentent toutefois des limites
comme des avantages spécifiques. Ainsi, la résolution spatiale de
l’électroencéphalographie et de ses dérivés est imprécise mais son excel-
lente résolution temporelle en fait un outil précieux : les indices corres-
pondent à des modifications de l’activité électrique cérébrale recueillies
pendant des durées très courtes et même pour certains paramètres « en
temps réel » (on-line). Inversement, la tomographie par émission de posi-
tons (TEP) présente une bonne résolution spatiale et permet notamment
de visualiser les structures sous-corticales. En revanche, la résolution
temporelle, de l’ordre d’une minute (pour les paradigmes d’activation),
reste très imparfaite en regard de la rapidité des opérations cognitives.
Pour cette raison, la TEP n’est plus guère utilisée dans les paradigmes
d’activation. Cette technique fournit également une mesure du méta-
bolisme cérébral de base au repos qui constitue un excellent indice de
l’activité synaptique. Il est ainsi possible d’établir la cartographie des
structures cérébrales dont le dysfonctionnement (par exemple lors de
lésions microscopiques comme dans les maladies neurodégénératives,
et même lors de désordres fonctionnels sans atteinte morphologique,
comme dans certaines affections psychiatriques) est responsable des
troubles neuropsychologiques. Des voies très prometteuses de la TEP
ont trait à son utilisation dans l’exploration des systèmes de neurotrans-
mission et dans le secteur de l’imagerie moléculaire. Des connaissances
nouvelles sont apparues sur la physiopathologie de différentes maladies
cérébrales ainsi que des applications importantes dans la mise au point
de nouveaux traitements et dans l’évaluation de leur efficacité. L’étude
des modifications de l’activité cérébrale locale lors de tâches utilise pré-
férentiellement d’autres techniques : la magnétoencéphalographie (ou
MEG) et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (ou IRMf).
Histoire et domaines de la neuropsychologie 45

Le couplage de plusieurs méthodes s’avère également une voie d’avenir


pour parvenir à concilier les meilleures résolutions temporelles et spa-
tiales. Enfin, l’étude de la connectivité neuronale à partir de ces données
d’imagerie est extrêmement intéressante pour décrire et comprendre les
interactions constantes entre les différentes populations neuronales et
leur déstructuration en cas de pathologies cérébrales.
La place grandissante de l’imagerie cérébrale dans la recherche mais
aussi dans les pratiques cliniques en neuropsychologie, le haut degré
de technicité et d’expertise qu’elle requiert, conduisent à des modifi-
cations profondes de l’environnement et des conditions d’exercice de
cette discipline. En cela, la proposition de Shallice formulée en 1987
(trad., 1995) dans l’avant-propos d’un de ses ouvrages apparaît comme
visionnaire : « […] je reste convaincu que le meilleur environnement
pour les recherches de neuropsychologie est un département clinique
dans lequel le travail sur la clinique et les problèmes de la recherche
fondamentale peuvent s’apporter un soutien réciproque. Les contacts
mutuellement bénéfiques entre les chercheurs fondamentalistes et les
cliniciens réduisent aussi les problèmes éthiques posés par l’étude de
maladies dévastatrices avec des objectifs autres que le bénéfice immé-
diat des patients. »
La suite de ce Manuel va maintenant aborder différentes méthodes,
pathologies et applications. L’objectif est d’adopter une vision très large,
intégrant les évolutions les plus récentes des techniques et des connais-
sances, la principale étant son objet même d’étude, l’être humain aux
prises avec une altération du fonctionnement de son cerveau.
2
Cha
pi
tre

LES MÉTHODES
DE LA NEUROPSYCHOLOGIE
aire
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So m

1. Les évaluations psychométriques ................................................... 49


2. Les évaluations cognitives et comportementales .......................... 55
3. Les méthodes dérivées de la psychologie expérimentale ............. 73
4. Les méthodes d’imagerie fonctionnelle cérébrale ........................96
5. Les méthodes par stimulation cérébrale....................................... 120
6. Le traitement des données ............................................................ 130
Les méthodes de la neuropsychologie 49

Les nombreuses méthodes de la neuropsychologie poursuivent des


objectifs divers : certaines permettent le recueil d’indices comporte-
mentaux, de façon plus ou moins standardisée et en référence à des
modèles théoriques distincts, d’autres donnent accès à des indicateurs
de la morphologie du cerveau ou de son fonctionnement, certaines
enfin tentent de concilier ces deux sources de données. Un neuropsy-
chologue n’utilise parfois que certaines méthodes, privilégie une ou cer-
taines d’entre elles, mais doit néanmoins connaître les grands principes
et la pertinence de l’ensemble.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous distinguerons plusieurs méthodes
en les situant dans leur contexte d’utilisation le plus fréquent. Nous
mentionnerons leurs origines, leurs intérêts, leurs limites et leurs
contributions les plus notables en les illustrant d’exemples. Ainsi, la
section intitulée « Les méthodes dérivées de la psychologie expérimen-
tale » introduit à la question de l’asymétrie fonctionnelle hémisphé-
rique. Une autre partie fait référence à différents travaux dans le secteur
actuellement très productif de l’imagerie fonctionnelle cérébrale. Enfin,
le traitement des données neuropsychologiques fait l’objet d’un déve-
loppement spécifique.

1. Les évaluations psychométriques

Dans le premier chapitre, nous avons développé l’histoire de la neuro-


psychologie et de ses différents courants de pensée. Les réflexions théo-
riques et les écueils rencontrés permettent aussi de mieux comprendre
les controverses et les enjeux actuels. Les observations réalisées par les
neurologues de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle étaient
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

essentiellement cliniques sans systématisation ou standardisation du


recueil des données. C’était pourtant l’époque de la création des pre-
miers tests mentaux où les auteurs français, comme Binet et Simon,
ont joué un rôle pionnier. Les applications de ces tests, d’abord réser-
vées au milieu scolaire, se sont étendues ensuite à l’orientation pro-
fessionnelle, l’armée et l’industrie. Les tests psychométriques ont été
utilisés plus tard dans le milieu médical, surtout après la Seconde
Guerre mondiale.
D’origines et de traditions différentes, la neuropsychologie et la psy-
chométrie ont entretenu des rapports qui se sont modifiés au cours du
temps. Leur rapprochement s’est concrétisé dans les études de séries de
patients précédemment décrites (chapitre 1, section 6). L’un des pre-
50 Manuel de neuropsychologie

miers objectifs de l’emploi des techniques psychométriques en neuro-


psychologie a été de contribuer à la localisation d’une lésion cérébrale
focale. Cette application n’est plus d’actualité depuis l’usage courant
de techniques d’imagerie cérébrale morphologique de plus en plus pré-
cises (le scanner X à la fin des années 1970 puis l’IRM) et cet objectif est
devenu obsolète.
Avant de décrire l’utilisation actuelle de la psychométrie, il convient
de mieux la définir en la différenciant des autres méthodes d’évalua-
tion neuropsychologique, avec lesquelles elle ne partage que certains
aspects. La psychométrie se caractérise par l’emploi de tests mentaux
(ou psychométriques). Il est préférable de conserver ce sens « étroit »,
en réservant les termes « tests cognitifs » à des outils développés dans
le cadre d’une « approche cognitive » et « tests neuropsychologiques »
à toute procédure d’évaluation comportementale en neuropsycho-
logie.
Un test mental est une épreuve standardisée dans sa consigne, son
matériel, ses conditions de passation et dans l’interprétation des résul-
tats. Il doit présenter des qualités de fidélité – reproductibilité des résul-
tats d’un examinateur à l’autre et d’un moment à l’autre –, de validité
– mesure spécifique de ce qu’il est censé mesurer – et de sensibilité
– capacité à détecter les individus qui s’écartent significativement de
la norme. Le pouvoir discriminant d’un test est la résultante de sa sen-
sibilité – capacité à détecter tous les sujets s’écartant de la norme – et
de sa spécificité – capacité à ne détecter que ces sujets. Il s’agit toujours
d’un compromis qui dépend de l’objectif du test : la sensibilité sera
privilégiée si l’on cherche à repérer tous les individus « anormaux »
et la spécificité, si l’on cherche à repérer uniquement les individus
« anormaux ». Ces notions sont essentielles lors de l’élaboration et
de la validation d’un test. Son utilisation par le neuropsychologue,
une fois validé (ou étalonné), se fera de façon standardisée. L’étalon-
nage fournit des données normatives qui permettent de situer un sujet
dans une population de référence. Ces étalonnages sont généralement
réalisés par groupes d’âge, plus rarement en fonction du sexe et du
niveau socioculturel. Ces différentes variables permettent de prendre
en compte la variabilité de la population de référence et d’améliorer
le pouvoir discriminant de l’épreuve. La notion de seuil pathologique
est essentielle en psychométrie : en deçà de ce seuil, les performances
seront considérées comme un indice de déclin significatif. Rappelons
que ce seuil correspond classiquement à la valeur qui sépare les 5 % de
sujets ayant une note inférieure aux 95 % de sujets ayant une valeur
supérieure.
Les méthodes de la neuropsychologie 51

1.1 Psychométrie et neuropsychologie


Trois grands types de tests psychométriques sont classiquement distin-
gués : les épreuves d’efficience intellectuelle, les tests « d’aptitude » et
les tests de personnalité, ces derniers étant très peu utilisés en neuro-
psychologie. Le seul test de personnalité qui ait donné lieu à des études
structurées est l’Inventaire multiphasique de personnalité du Minnesota
(MMPI), dont il existe des versions abrégées. Il s’agit d’un question-
naire typologique permettant d’établir des profils de personnalité. Ses
prérequis théoriques et sa forme de passation (classer des centaines
de questions) rendent son usage relativement limité avec des patients
cérébrolésés. De plus, la neuropsychologie s’est surtout attachée aux
« fonctions instrumentales » même si l’étude des troubles du compor-
tement donne lieu à des explorations de plus en plus élaborées (voir
ci-dessous).
La distinction entre les tests d’efficience intellectuelle et d’aptitude
est ambiguë. Les premiers sont censés « mesurer les effets de l’intel-
ligence », effets nombreux et diversifiés, d’où le principe inauguré
par Binet d’utiliser une batterie de tests divers pour les appréhender.
Un coefficient de corrélation élevé est généralement mis en évidence
entre les résultats à ces différents tests, signifiant qu’il existe un facteur
psychologique commun à toutes ces épreuves. Ce facteur général (ou
facteur G) a parfois été assimilé à l’« intelligence ». Quelle que soit sa
signification psychologique réelle, le but des tests d’efficience intellec-
tuelle est d’appréhender le « facteur G » au moyen de la méthode des
échelles composites (le meilleur exemple est l’échelle d’intelligence de
Wechsler pour adultes ou WAIS, qui a donné lieu à plusieurs formes
révisées) ou de la méthode du test unique fortement saturé en facteur G
(les progressive matrices de Raven par exemple). Il existe un certain déca-
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lage entre la neuropsychologie d’aujourd’hui, ses modèles, son mode


de pensée et les fondements théoriques initiaux de nombreux outils
psychométriques utilisés dans la pratique quotidienne. Ce fossé tend
tout de même à se réduire lors de la révision des différents tests et lors
de la publication de nouvelles épreuves élaborées spécifiquement en
référence aux modèles neuropsychologiques actuels.
L’inadéquation entre les fondements théoriques des tests psycho-
métriques et les modèles de la neuropsychologie pose des problèmes à
la fois d’interprétation et de validité de la mesure. Dans toute situation
d’évaluation, il convient de distinguer la performance à une épreuve
(ce qui est réellement mesuré) et les processus cognitifs censés être
appréhendés. Un test n’est jamais « pur », il met toujours en jeu une
52 Manuel de neuropsychologie

diversité de processus cognitifs, malgré le soin apporté à sa construction.


Ce décalage n’est pas spécifique aux tests psychométriques classiques ; il
existe, par essence, pour toute épreuve neuropsychologique. Toutefois,
des tests élaborés plus récemment et permettant le calcul de plusieurs
scores et indices (et la confrontation de ceux-ci) sont plus proches des
conceptions actuelles du système cognitif et de ses perturbations.
Outre les problèmes théoriques qui cantonnent souvent ce type
d’investigation dans un examen « de surface » sans réelle compréhen-
sion des processus impliqués, de nombreux tests psychométriques
souffrent de limites techniques. Les étalonnages réalisés de longue date
sont insuffisants : les normes sont inexistantes pour les classes d’âge au-
delà de soixante ans, qui font pourtant le plus souvent l’objet des inves-
tigations neuropsychologiques. De plus, la longueur des examens et la
structure des épreuves (matériel trop complexe, exercices inadaptés) les
rendent difficilement utilisables auprès de patients âgés ou atteints de
troubles trop importants. A contrario, ils s’avèrent parfois trop simples
pour mettre en évidence des déficits chez les personnes de très bon
niveau socioculturel. Il convient de tenir compte également de la rareté
des formes parallèles (ou formes « retest »), utiles pour suivre l’évolu-
tion d’une pathologie.
Malgré ces réserves, plusieurs situations cliniques justifient l’utili-
sation des tests psychométriques en neuropsychologie, le principe étant
de toujours choisir les versions réactualisées. La démarche psychomé-
trique n’est pas applicable à tous les patients, notamment ceux qui
présentent des déficits sévères, mais elle reste pertinente dans diverses
situations cliniques, par exemple les évaluations des conséquences de
traumatismes crâniens où une mesure de l’efficience intellectuelle peut
s’avérer utile. Elle est même indispensable dans le cadre d’une expertise
médico-légale.
Le diagnostic d’un syndrome démentiel constitue un autre domaine
d’application très fréquent. En effet, certaines pathologies dégénératives
du système nerveux central, comme la maladie d’Alzheimer – cause la plus
fréquente de démence – s’expriment dans les modifications cognitives
du patient. L’examen psychométrique (et plus largement neuropsycho-
logique), en détectant et en quantifiant ces changements, apporte une
contribution au diagnostic d’une telle affection. Les résultats aux tests
sont ensuite interprétés dans l’ensemble du contexte clinique : mode
d’apparition des symptômes, examens médicaux, etc. L’imagerie céré-
brale – comme le scanner X ou l’IRM – était initialement utilisée pour
exclure une autre cause potentielle des troubles du comportement, par
exemple une tumeur frontale. Dans un certain nombre de cas, l’imagerie
Les méthodes de la neuropsychologie 53

cérébrale apporte des arguments positifs en faveur d’une pathologie


neurodégénérative. Son utilisation est de plus en plus préconisée pour
contribuer au diagnostic des états démentiels. Les altérations du fonc-
tionnement cognitif liées à un syndrome démentiel (notamment les
troubles de la mémoire) ne doivent pas être confondues avec des modi-
fications liées au vieillissement normal ou encore avec des pathologies
dites fonctionnelles (comme la dépression) qui peuvent entraîner des
troubles cognitifs.
Dans le domaine de l’évaluation des états démentiels, des échelles
plus simples que les tests classiques sont fréquemment utilisées du
fait de la complexité de la démarche psychométrique. Par exemple,
l’échelle de Mattis permet d’évaluer l’attention, l’initiation, les capa-
cités visuoconstructives, la conceptualisation, la mémoire, en 20 à
30 minutes, selon le degré d’altération cognitive du patient. L’origina-
lité de cette épreuve est de présenter d’abord les items les plus complexes
et, seulement en cas d’échec, les items plus simples, ce qui permet de
raccourcir le temps de passation. Différentes échelles de ce type sont
maintenant disponibles ; elles constituent un intermédiaire entre la
psychométrie classique et les évaluations rapides des fonctions cogni-
tives, qu’il faut plutôt considérer comme des épreuves de dépistage.

1.2 Intérêts et limites de la psychométrie


La psychométrie a eu le mérite d’insister sur les difficultés de l’évalua-
tion des fonctions cognitives et d’apporter des tentatives de réponses.
La rigueur méthodologique qui caractérise cette approche conduit à
considérer d’un œil critique l’utilisation de certaines formes d’évalua-
tion rapide, comme les questionnaires de statut mental (le Mini-Mental
Status ou MMS de Folstein est le plus connu d’entre eux). Ces tech-
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niques sont largement utilisées dans des études portant sur des groupes
de patients déments. Le score au MMS, qui peut aller de 0 (trouble
majeur) à 30 (absence de troubles) est très couramment utilisé en tant
qu’indicateur global de la sévérité des troubles, une fois le diagnostic
posé. Cette démarche est acceptable, même si le MMS est souvent un
piètre reflet de la sévérité globale de la démence. En revanche, quand un
clinicien l’emploie comme instrument de diagnostic, il s’expose à des
erreurs. En effet, cette technique ne tient pas compte du niveau d’effi-
cience prémorbide qui joue un rôle important dans les performances
actuelles du patient. Une mauvaise utilisation de ces outils conduit à
de faux diagnostics positifs (affirmer par erreur un diagnostic), ou néga-
tifs (méconnaître une pathologie), surtout chez les individus de bon
54 Manuel de neuropsychologie

niveau culturel. Il est indispensable que ces approches psychométriques


s’appuient sur des concepts et des méthodologies plus modernes,
comme ceux de réserve cognitive, pour rendre compte de la façon la
plus juste possible des déficits cognitifs liés à une affection cérébrale. La
réserve cognitive est une notion relativement récente qui explique une
partie de la variabilité interindividuelle qui caractérise les sujets d’une
même classe d’âge, en particulier les sujets âgés : certains illustrent le
concept de vieillissement réussi tandis que d’autres sont victimes d’un
affaiblissement cognitif sans pour autant être malades. De nombreux
facteurs participent à cette réserve cognitive, parmi lesquels des facteurs
cérébraux (quantité de neurones et de connexions disponibles) et des
facteurs environnementaux (niveau d’éducation, niveau socioculturel,
insertion sociale, activités quotidiennes, etc.) qui sont en interaction.
Si la notion de réserve cognitive est maintenant admise par tous, si la
nécessité de la prendre en compte dans les bilans cognitifs commence
à être reconnue, la façon de la mesurer reste très sommaire et empi-
rique. Les principales variables utilisées aujourd’hui – mais uniquement
en recherche – pour estimer la réserve cognitive d’un individu sont le
niveau d’étude, la situation sociale, le quotient intellectuel et les occu-
pations ou loisirs des sujets, par le biais de questionnaires.
La psychométrie constitue une école de prudence et de critique. Elle
est un guide pour le clinicien non encore rompu à la complexité des
investigations neuropsychologiques. Celui-ci est souvent contraint
de puiser dans de nombreuses épreuves, parfois subtest par subtest,
au risque d’un usage non standard des tests qui le prive d’étalonnage.
Il peut être amené à créer de nouvelles épreuves s’il estime que celles
qui existent ne lui permettent pas de répondre à la question posée.
Cette démarche reste toutefois exceptionnelle car elle nécessite une
longue phase de mise au point et de validation qui n’est pas du res-
sort du psychologue clinicien. À une utilisation stricte des tests psycho-
métriques (qui n’exclut pas une « lecture cognitive » des résultats), la
pratique neuropsychologique associe l’emploi de procédures plus origi-
nales pour s’adapter à la spécificité sémiologique des patients.
La psychométrie permet en outre au clinicien de transmettre des
informations générales. Dans une perspective de recherche en neuro-
psychologie cognitive, des données psychométriques sont intéressantes
car elles contribuent à caractériser l’ensemble de la symptomatologie
du patient, y compris des aspects relégués à l’arrière-plan qui peuvent
se révéler pertinents a posteriori. Les échelles de Wechsler et les tests de
Raven accompagnent ainsi de nombreuses observations neuropsycho-
logiques. À l’avenir, cette mission devra être assurée par des épreuves
Les méthodes de la neuropsychologie 55

construites en référence aux modèles récents du fonctionnement cogni-


tif, et possédant les qualités métrologiques et de standardisation des
tests psychométriques. Des avancées ont lieu en ce sens mais les opé-
rations de mise au point et de normalisation d’un test psychométrique
sont difficiles et très longues, si bien que le produit risque d’être dépassé
dès sa parution.

2. Les évaluations cognitives


et comportementales

Dans ce chapitre consacré aux méthodes de la neuropsychologie, nous


avons opposé évaluations psychométriques et évaluations cognitives
car elles diffèrent par leurs origines et parfois par leurs objectifs. Fort
heureusement, cette distinction a tendance à s’estomper progressive-
ment. Les principes généraux de la neuropsychologie cognitive ont été
décrits dans la section 9 du premier chapitre. Nous insistons ici sur la
spécificité de ses évaluations où recherche et clinique « quotidienne »
se confondent, le neuropsychologue devant faire des hypothèses puis
choisir les épreuves les plus appropriées pour comprendre le tableau
sémiologique de son patient. Cette description et cette explication des
troubles comme des capacités préservées permettent de préciser le diag-
nostic cognitif et de poser les jalons d’une prise en charge thérapeutique.
Même s’il doit persister un espace de créativité dans l’analyse cogni-
tive, le clinicien a également besoin d’outils théoriquement fondés et
méthodologiquement valides, dotés de données normatives, y compris
pour des tâches aussi simples que la dénomination d’images. Ainsi, la
dénomination d’une image renseigne sur les difficultés rencontrées lors
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des différents processus de traitement ou niveaux de représentation de


l’information : traitement perceptif visuel élémentaire de l’image, éla-
boration d’une représentation structurelle de l’objet, accès à une repré-
sentation sémantique en mémoire, choix du mot correspondant puis
son codage phonologique ou graphémique. Une épreuve de dénomina-
tion permettra de déterminer si les performances d’un patient se situent
au-dessous d’un seuil de normalité. Il est donc nécessaire de normali-
ser cette épreuve en contrôlant les facteurs que sont l’âge, le sexe et le
niveau socioculturel. À titre d’exemple, ces facteurs influencent net-
tement la dénomination des outils, ustensiles de cuisine ou animaux
sauvages. Cette normalisation détermine pour chaque image quelle est
la dénomination majoritaire et quelles sont les réponses minoritaires
56 Manuel de neuropsychologie

observées. Le temps accordé pour fournir la réponse doit être contrôlé


car une difficulté débutante peut se révéler par la durée excessive pour
trouver le mot juste. Une réponse identique à la dénomination majo-
ritaire et obtenue dans le temps imparti est donc considérée comme
correcte. En référence à cette dénomination majoritaire, les erreurs sont
classées en paraphasies phonémiques ou sémantiques, en néologismes
ou paraphasies verbales. L’élaboration d’une telle épreuve requiert un
contrôle soigneux de différentes variables susceptibles d’influencer
les réponses, certaines étant liées aux images (familiarité, complexité
visuelle, canonicité) et d’autres aux mots (fréquence d’usage, âge
d’acquisition des mots, longueur en phonèmes, syllabes, lettres, degré
d’ambiguïté orthographique). Ainsi, pour mettre au point une épreuve
de dénomination d’images, ce qui paraît a priori très simple, il est néces-
saire de tenir compte de toutes les variables pertinentes pour choisir les
items, puis de recourir à plusieurs groupes de sujets normaux distribués
selon les différents facteurs d’âge, sexe et niveau socioculturel (pour
exemple, voir la DO 80, Deloche et Hannequin, 1997).

2.1 Les dissociations neuropsychologiques


Sur un plan plus théorique, l’évaluation cognitive consiste à mettre en
évidence des dissociations entre des processus fonctionnels et non fonc-
tionnels. C’est en cela que les approches du clinicien et du chercheur
se rejoignent. La recherche de dissociations constitue le paradigme fon-
damental de la neuropsychologie. Utilisée plus ou moins explicitement
dans les travaux historiques, elle a été systématisée par Teuber en 1955
dans le but d’attribuer des rôles fonctionnels à différentes régions céré-
brales. Elle a ensuite acquis des critères plus stricts dans le cadre du
courant cognitiviste (Shallice, 1995, voir section 6 de ce chapitre). Sché-
matiquement, le fait qu’un patient échoue dans une tâche A et réus-
sisse dans une tâche B plaide en faveur de l’indépendance fonctionnelle
entre deux systèmes ou deux processus. La pertinence et la significa-
tion du résultat découlent d’hypothèses formulées dans le cadre d’un
modèle du traitement de l’information. Certaines différences de perfor-
mance sont en effet triviales alors que d’autres suggèrent une modula-
rité de l’architecture cognitive. Toutefois, l’inégalité des performances
pourrait provenir de raisons multiples qu’il faut pouvoir contrôler, et
notamment d’une différence de complexité des tâches.
L’argument de poids réside alors dans la dissociation inverse (un
second patient échoue dans la tâche B et réussit la tâche A), aboutissant
à une double dissociation non explicable par des artefacts de complexité
Les méthodes de la neuropsychologie 57

des tâches. Par « transparence », les troubles neuropsychologiques


deviennent ainsi les révélateurs de l’organisation de l’architecture de
la cognition. Il existe toutefois de nombreux biais, de la dissociation
comportementale à l’inférence théorique, et il est important que les
résultats soient corroborés par d’autres données. Enfin, la simple dis-
sociation est parfois la seule source d’inférence possible, soit parce que
les dissociations inverses ne sont pas démontrées, soit parce qu’elles ne
peuvent pas prendre place dans le modèle de référence (par exemple
la dissociation entre mémoire sémantique perturbée et mémoire épi-
sodique préservée n’est pas compatible avec le modèle hiérarchique de
mémoire proposé par Tulving en 1995 ; Eustache et Desgranges, 2012).
Comme le chercheur, le clinicien tente de repérer des dissociations chez
un patient qui ne présente pas forcément la « pureté » des cas publiés.
Certaines dissociations présentent un intérêt diagnostique, au sens
médical du terme (voir chapitre 6 consacré aux démences), d’autres
relèvent du diagnostic cognitif, préliminaire à une rééducation (cha-
pitre 7).

2.2 La dissociation entre mémoire à court terme


et mémoire à long terme
La contribution de la neuropsychologie à la distinction entre mémoire
à court terme et mémoire à long terme illustre bien la logique des dis-
sociations.
Le patient H.M. étudié par Brenda Milner, devenu amnésique après
une exérèse hippocampique bilatérale pour le traitement d’une épilep-
sie sévère, présentait une dissociation entre une mémoire à court terme
préservée et une mémoire à long terme très perturbée. Cette dissocia-
tion a été intégrée dans le cadre des modèles cognitifs de la mémoire
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

comme celui d’Atkinson et Shiffrin (1968). Ce modèle distingue trois


« compartiments » dans lesquels l’information passe successivement
avant de devenir une trace mnésique durable : la mémoire sensorielle,
la mémoire à court terme, la mémoire à long terme. Chez H.M., comme
chez la plupart des patients amnésiques, les deux premiers comparti-
ments sont préservés alors que le troisième est perturbé. Cette disso-
ciation simple suggère une distinction fonctionnelle entre mémoire à
court terme et mémoire à long terme.
D’autres arguments expérimentaux appuient cette distinction,
comme les effets de position sérielle mis en évidence chez des sujets
sains.
58 Manuel de neuropsychologie

Dans une tâche de rappel libre d’une liste de mots dépassant l’empan,
les sujets rappellent préférentiellement les mots du début de la liste
(effet de primauté) et de la fin de la liste (effet de récence). Les effets de
primauté et de récence reflètent respectivement le fonctionnement de
la mémoire à long terme et celui de la mémoire à court terme.
Un autre argument puissant en faveur de cette distinction est la dis-
sociation inverse à celle du cas H.M. Il s’agit de l’observation du patient
K.F. (Shallice et Warrington, 1970), chez lequel l’empan auditivo-
verbal est réduit à deux éléments alors que l’apprentissage de listes de
mots dépassant l’empan est normal. Cette observation conforte la dis-
tinction entre mémoire à court terme et mémoire à long terme, mais
remet en cause l’organisation sérielle du modèle d’Atkinson et Shiffrin.
Dans le modèle de Shallice et Warrington, les systèmes de mémoire à
court terme et à long terme sont organisés en parallèle, cette nouvelle
architecture permettant de rendre compte des doubles dissociations.
La conception de l’organisation structurale de la mémoire à court
terme (devenue la mémoire de travail) s’est ensuite complexifiée par
un tel jeu de doubles dissociations chez des patients uniques. Certains
auteurs ont défendu d’autres sources d’inférences comme les dissocia-
tions au sein de groupes de patients (voir Desgranges et al., 1996, pour
une méthodologie originale chez des patients déments), ou les asso-
ciations de symptômes (Caramazza, 1986).

2.3 Modèles cognitifs de l’écriture


Un autre domaine historique de l’approche cognitive en neuropsycho-
logie concerne le langage écrit (Marshall et Newcombe, 1973). Dans
l’exemple d’un patient présentant des troubles de l’écriture sous dictée,
il convient tout d’abord de distinguer si ses perturbations sont de nature
centrale (linguistique) ou périphérique (en relation avec des déficits
attentionnels ou praxiques spécifiques ou non de l’écriture). Des dif-
ficultés associées dans des tâches d’épellation orale de mots orientent
vers un trouble central alors que des performances normales sont en
faveur d’une perturbation de la « sortie périphérique » de l’écriture (voir
encadré 7, p. 59). Dans les deux cas, il est nécessaire de prolonger les
investigations. Dans les troubles centraux, deux perturbations doivent
être distinguées. L’atteinte de la voie phonologique (transcription des
phonèmes en graphèmes) affecte sélectivement l’écriture des non-mots,
tandis que l’écriture des mots connus du patient (qui figurent dans son
lexique orthographique) est correcte.
Les méthodes de la neuropsychologie 59

Encadré 7
Modèle cognitif de l’expression écrite
Mot entendu

Voie Voie
phonologique lexico-sémantique

Tampon
graphémique

Système
allographique

Épellation orale

Spécification des
programmes moteurs
graphiques

Code
graphique
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Écriture manuscrite

Au contraire, en cas d’atteinte de la voie lexico-sémantique, les pertur-


bations affectent les mots à orthographe irrégulière. Le patient commet
alors des erreurs de régularisation (femme J fame) mais l’écriture des
mots à orthographe régulière ou des non-mots est correcte du fait de
l’intégrité de la voie phonologique de l’écriture.
Dans les « syndromes périphériques » et dans le syndrome du tam-
pon graphémique (mémoire spécialisée dans le stockage temporaire des
60 Manuel de neuropsychologie

représentations graphémiques), les erreurs les plus fréquentes sont des


substitutions de lettres à l’intérieur du mot. C’est l’extension ou non
à plusieurs modalités d’écriture et l’association d’autres signes qui per-
mettent de situer le niveau du trouble. Ainsi, dans le syndrome du tam-
pon graphémique les erreurs sont observées dans toutes les modalités :
écriture manuscrite, épellation, écriture avec des lettres mobiles, dacty-
lographie. La situation « stratégique » du tampon graphémique explique
ces perturbations dans les différentes modalités d’écriture, que ce soit
pour les mots ou pour les non-mots. Le système de conversion allogra-
phique est au contraire spécifiquement impliqué dans l’écriture manus-
crite. Sa fonction concerne la sélection de la forme générale de la lettre
en tenant compte du type de caractère (cursive ou imprimerie) et de
la casse (majuscule ou minuscule). Un dysfonctionnement du système
de conversion allographique donne lieu à plusieurs types de perturba-
tions : des erreurs de transposition de type ou de casse ainsi que des
anomalies portant sur la forme générale de la lettre pouvant générer là
encore des erreurs de substitution. Dans les troubles du système allogra-
phique, l’épellation est normale de même que l’écriture avec des lettres
mobiles mais le patient ne peut évoquer oralement la forme de la lettre.
Enfin, dans le syndrome lié à une perturbation des programmes moteurs
graphiques, les lettres sont mal formées avec des erreurs de traits ; de
tels troubles sont habituellement décrits dans le cadre des agraphies
apraxiques (Eustache et al., 2003). Le domaine de l’agraphie illustre le
cheminement du neuropsychologue. Disposant d’un modèle fonction-
nel matérialisé par un schéma « en flèches et en boîtes », il teste diffé-
rentes hypothèses concernant les perturbations du patient au moyen
de méthodes adaptées. Le diagnostic cognitif sera porté selon le type
d’erreurs relevées, en fonction du matériel proposé (non-mots, mots
irréguliers, plus ou moins fréquents, etc.) et selon le mode d’écriture. Les
épreuves d’épellation orale et l’exploration avec des lettres mobiles sont
cruciales pour préciser le niveau de perturbation. Par ailleurs, la présence
de troubles associés et le niveau antérieur du patient doivent être pris en
compte dans l’interprétation des résultats.

2.4 La cognition sociale


Ce domaine fait actuellement l’objet de nombreux travaux expérimen-
taux et cliniques qui abordent des thèmes aussi divers que la compré-
hension des émotions exprimées par la voix et le visage, la fonction
pragmatique du langage, les savoirs et jugements moraux et l’empa-
thie. Les applications de ces travaux sont nombreuses, tant en neuro-
Les méthodes de la neuropsychologie 61

logie du comportement qu’en psychiatrie. La théorie de l’esprit (ToM,


pour Theory of Mind) est une composante essentielle de la cognition
sociale. Elle est définie comme la capacité d’attribuer des états men-
taux, d’interpréter des comportements et de prédire des actions
concernant soi-même ou autrui (Duval et al., 2011b, pour revue). Elle
permet ainsi d’interpréter, de prédire et d’anticiper les comportements
et s’avère indispensable à la régulation des interactions sociales. Cette
aptitude cognitive implique des processus de décodage et de raisonne-
ment sur des états mentaux, de premier ordre (« je pense que… ») ou
de deuxième ordre (« je pense qu’il pense que… »). La nature dicho-
tomique des contenus mentaux (pensées versus émotions) a conduit
certains auteurs à distinguer deux types de ToM, la ToM cognitive et
la ToM affective. La première est définie comme la capacité à se repré-
senter les états épistémiques des autres individus (qui renvoient aux
connaissances qu’ils ont sur le monde). Elle permet de comprendre,
d’inférer ou de raisonner sur leurs pensées, leurs croyances ou encore
leurs intentions, et ce, indépendamment de toute connotation émo-
tionnelle. La ToM affective, quant à elle, correspond à la capacité de se
représenter les états affectifs des autres, de comprendre et de déduire
leurs émotions et leurs sentiments.
Plusieurs auteurs défendent l’idée d’une modularité de la ToM sur la
base de travaux montrant, d’une part, que la ToM s’acquiert au cours
de l’enfance indépendamment du niveau intellectuel et, d’autre part,
que des patients avec lésions du lobe frontal ou souffrant de démence
frontotemporale ou de maladie d’Alzheimer présentent un déficit spé-
cifique acquis de ToM. De plus, alors que des autistes dits « de haut
niveau » montrent un trouble de ToM, les patients souffrant du syn-
drome de Williams ou de celui de Down ont des capacités de ToM pré-
servées en dépit d’une déficience intellectuelle globale. De même, des
amnésiques adultes dépourvus de la capacité de voyage mental dans
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le temps qui caractérise la mémoire épisodique sont capables de réa-


liser différentes tâches impliquant la ToM. Au contraire, les patients
souffrant de démence frontotemporale peuvent présenter des troubles
de la ToM sans déficit mnésique majeur. Bien que ces études sug-
gèrent l’existence d’un module de ToM, d’autres chercheurs consi-
dèrent que la ToM n’est pas une fonction cognitive autonome et
qu’elle dépend nécessairement d’autres fonctions cognitives. Leurs
arguments se fondent sur des résultats d’analyses de corrélations
entre des performances cognitives (par exemple, entre des tâches de
ToM et de fonctions exécutives ou de mémoire épisodique) et sur des
travaux de neuro-imagerie montrant un chevauchement entre les
62 Manuel de neuropsychologie

activations cérébrales liées à la réalisation de tâches de ToM et celles


liées à ces autres fonctions cognitives. Les liens avec les autres fonctions
cognitives sont alors fréquemment invoqués pour expliquer des troubles
de la ToM dans des pathologies neuropsychiatriques. La logique des dis-
sociations a encore de beaux jours devant elle…
La prise en compte de la cognition sociale en neuropsychologie est
devenue courante, et de nombreux cliniciens sont conscients de son
importance pour comprendre les réactions des patients, notamment
leurs troubles du comportement. Trois catégories d’épreuves ont été éla-
borées dans le cadre d’études expérimentales :
− Les tâches d’attribution d’états mentaux épistémiques se basent
sur l’inférence d’états mentaux cognitifs tels que des pensées,
des croyances ou des connaissances qu’un ou plusieurs person-
nages ont sur le monde. Elles sont généralement présentées sous
forme d’histoires mettant en jeu plusieurs protagonistes et sont
construites sur la base du paradigme de fausse croyance. Dans ce
paradigme, le sujet doit inférer l’état mental d’un personnage qui
a une croyance erronée d’une situation car non conforme à la réa-
lité. Le paradigme des fausses croyances est utilisé pour évaluer la
ToM cognitive, et cela à différents niveaux (1er ordre et 2e ordre)
(voir encadré 8).
– Les tâches d’attribution d’états mentaux affectifs utilisent prin-
cipalement des photographies ou des vidéos de visages ou de la
région des yeux. La tâche du sujet consiste à choisir, parmi plu-
sieurs adjectifs proposés, celui qui qualifie le mieux l’émotion
exprimée par un visage ou un regard. Deux types d’expressions
émotionnelles sont généralement distingués : celles d’émotions
« de base » et celles d’émotions « complexes ». Les émotions de
base, au nombre de six (joie, surprise, colère, dégoût, peur et tris-
tesse), sont des expressions affectives universelles, transculturelles
et probablement sous-tendues par des mécanismes innés. Elles
sont traitées automatiquement et peuvent s’interpréter en dehors
du contexte. En revanche, les émotions complexes caractérisent un
état émotionnel composite, illustrant soit une expression cognitive
(e.g. pensif, fatigué, interrogatif, etc.), soit des émotions sociales
(e.g. charmeur, conspirateur, coupable, amical, etc.) qui dépendent
nécessairement d’une situation interpersonnelle particulière. Les
émotions complexes ne seraient pas entièrement prédéterminées
et leur interprétation correcte ne pourrait se faire que dans les
interactions avec les autres individus.
Les méthodes de la neuropsychologie 63

– Les tâches d’attribution d’intentions demandent d’inférer l’inten-


tion ou le comportement à venir de personnages d’une histoire
présentée le plus souvent sous forme de vignettes ou de séquences
d’images.

Encadré 8
Le paradigme des fausses croyances
Le paradigme des fausses croyances est utilisé pour évaluer la théorie de
l’esprit cognitive. Dans le cas d’une fausse croyance de 1er ordre, le sujet
doit déterminer la représentation mentale d’un personnage alors que dans
celui d’une fausse croyance de 2e ordre, il doit inférer la représentation men-
tale qu’un personnage a de celle d’un autre personnage. Afin d’évaluer la
compréhension de l’histoire, des questions se référant à la réalité sont asso-
ciées à ce paradigme (condition contrôle).
Les histoires proposées sous formes de trois images illustrent des situations
qui engendrent pour l’un des personnages une croyance erronée sur l’état
effectif du monde. Elles sont toutes basées sur le même principe :
– la première image décrit une situation impliquant un personnage qui prend
connaissance d’un certain nombre d’informations ;
– à l’insu du personnage, la situation évolue ;
– on questionne alors le sujet sur les réactions attendues du personnage qui
est porteur de croyances erronées sur son environnement.
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À
64 Manuel de neuropsychologie

Exemples de planches du test de fausses croyances, ToM-15,


de Desgranges et al. (2012)

D’autres tâches, plus complexes, combinent plusieurs dimensions


de la ToM. Le test du faux pas social exploite la notion de maladresse
sociale : un protagoniste évoluant dans une situation sociale particu-
lière a un comportement inadapté ou tient des propos inappropriés,
et ce, sans réaliser la portée de ce qu’il a dit ou fait (dire à une amie
dont l’appartement a été entièrement rénové que ses rideaux sont
laids et qu’elle devrait en acheter de nouveaux). Le test du faux pas
nécessite d’intégrer les composantes cognitive et affective de la ToM,
puisqu’il faut comprendre que le discours d’une personne est déplacé
(ToM cognitive) et blessant ou insultant pour son interlocuteur (ToM
affective).
Ces épreuves se fondent sur des théories récentes du fonctionnement
cognitif qu’il paraît indispensable de prendre en compte pour mieux
comprendre les troubles dont souffrent les patients, mais elles devront
répondre aux critères psychométriques requis et être correctement éta-
lonnées avant d’être disponibles en clinique courante.

2.5 La réalité virtuelle


Il est important enfin que les évaluations cognitives reflètent les diffi-
cultés des patients dans la vie courante. Les tests ont parfois été critiqués
Les méthodes de la neuropsychologie 65

car ce sont des examens de laboratoire, en décalage avec les situations


de la vie quotidienne. Certaines explorations visent à simuler la vie cou-
rante mais s’avèrent mal adaptées aux contraintes cliniques. D’autres
sont utilisées en milieu naturel, mais ne permettent pas un contrôle
expérimental adéquat. L’utilisation des techniques de réalité virtuelle
pourrait être un moyen de concilier ces deux exigences en créant des
expériences proches de la vie quotidienne, tout en étant parfaitement
contrôlées. La réalité virtuelle est liée au domaine de la simulation
qui s’attache à reproduire, en temps réel (i.e. à l’échelle temporelle
humaine), un monde réel de la manière la plus fidèle possible. Elle per-
met au sujet immergé dans un monde virtuel de percevoir et d’agir sur
son environnement en temps réel grâce à des interfaces sensorielles et
motrices plus ou moins complexes. Cette approche a déjà démontré
son intérêt dans le domaine de la psychopathologie, par exemple dans
le traitement des phobies.
En neuropsychologie, l’évaluation du fonctionnement cognitif peut
également bénéficier de cette technique à condition que la réalité vir-
tuelle ne soit pas une simple transposition du test, mais apporte une
dimension supplémentaire (encadré 9 ci-dessous). Par exemple, l’éva-
luation de la mémoire prospective, qui nécessite que le sujet soit engagé
dans une activité, tout en ayant pour consigne d’effectuer des actions
à un moment particulier ou en présence d’indices spécifiques, est rare-
ment réalisée en clinique, en dépit des plaintes fréquentes des patients
à ce sujet. Or, il est difficile de réaliser de telles évaluations à l’aide de
tâches classiques papier-crayon.

Encadré 9
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Évaluation de la mémoire prospective en réalité virtuelle


Comment proposer des évaluations neuropsychologiques proches des situa-
tions de la vie quotidienne tout en conservant un contrôle expérimental adé-
quat ? La réalité virtuelle est une technique moderne qui paraît constituer
un bon compromis entre ces deux exigences. La mise au point d’épreuves
basées sur cette technique est récente mais en pleine expansion, notam-
ment dans le domaine de la mémoire prospective. Ce type de mémoire est
en effet, compte tenu de son caractère multi-déterminé, très adapté à l’utili-
sation de la technique de réalité virtuelle. Nous présentons ici deux exemples
de cette application.
À
66 Manuel de neuropsychologie

Â
Dans une première expérience, menée en collaboration avec l’université
Paris-Descartes et le Centre Interdisciplinaire de REalité VirtuellE de
l’Université de Caen-Basse-Normandie (CIREVE), les participants étaient
placés en immersion dans une ville virtuelle (Gonneaud et al., 2012). Ils se
déplaçaient en voiture grâce à un volant et à un pédalier, tout en rappe-
lant 9 intentions apprises antérieurement, soit après qu’un certain temps
s’était écoulé (mémoire prospective basée sur le temps, par exemple
prendre de l’essence après quatre minutes), soit lors de l’apparition
d’indices spécifiques (mémoire prospective basée sur un événement).
Dans ce cas, l’indice était soit en lien avec l’action à réaliser (par exemple,
acheter un carnet de timbres à la poste), soit sans lien avec elle (ex : ache-
ter un journal à la mairie, voir figure 1). L’épreuve permettait également
de différencier la composante purement prospective (qui traduit le sou-
venir d’une action à effectuer) et la composante rétrospective (qui corres-
pond au souvenir de l’action proprement dite).

Figure 1 – Ville virtuelle : à gauche, point de vue du sujet pendant


la tâche de mémoire prospective ; à droite, exemple d’indice
pour la tâche de mémoire prospective basée sur un évènement
(indice non lié : acheter un journal à la mairie)

Cette épreuve a été proposée à un groupe de sujets jeunes sains et a montré


que les performances étaient les plus élevées dans la condition « indice lié »
en comparaison avec les deux autres (figure 2), un résultat qui s’intègre bien
dans le cadre de la théorie réflexive-associative de McDaniel et al. (2004). En
effet, d’après cette théorie, quand l’indice prospectif et l’action sont forte-
ment associés, l’apparition de l’indice déclenche une récupération réflexive
de l’action et facilite ainsi son rappel. Ce résultat est également en accord
avec la complexité plus importante de la condition de mémoire prospective
basée sur le temps en raison de l’implication préférentielle des processus
auto-initiés dans cette condition.
À
Les méthodes de la neuropsychologie 67

Figure 2 – Performances de sujets jeunes à 3 tâches de mémoire


prospective réalisées dans l’environnement de la ville virtuelle

Dans une nouvelle étude, une partie du musée Mémorial de Caen a été
modélisée, grâce à une collaboration scientifique de cette institution
avec le CIREVE (figure 3). Dans l’épreuve de mémoire prospective, les sujets
participeront à la visite virtuelle d’une partie du musée et devront y rap-
peler des intentions apprises antérieurement. Par exemple, ils devront se
rendre à la projection d’un film dans l’auditorium à un horaire prédéterminé,
prendre en photo l’avion exposé dans le hall, ou encore emprunter un livre
à la médiathèque. Cet environnement riche au sein duquel les sujets pour-
ront se déplacer librement autorisera la réalisation d’une grande variété
d’intentions. Il permettra également un contrôle accru des déterminants de
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la performance en mémoire prospective : enregistrement des déplacements


du sujet, de la fréquence et de la temporalité de la consultation d’une hor-
loge et d’une carte de l’environnement ou encore du contrôle de l’environ-
nement. Enfin, il sera agrémenté d’options qui permettront à des patients
de se déplacer selon un trajet préenregistré et de bénéficier d’un support
pour le rappel des intentions. Cet environnement offrira ainsi des possibilités
d’évaluation qui devraient permettre de mieux comprendre le fonctionne-
ment de la mémoire prospective en situation proche de la réalité.
À
68 Manuel de neuropsychologie

Figure 3 – Exemples de modélisation du musée Mémorial de Caen

En 2002, Brooks et ses collaborateurs ont utilisé la technologie de


la réalité virtuelle pour la première fois dans l’étude de la mémoire
prospective auprès d’un groupe de traumatisés crâniens (voir Plancher
et al., 2008, pour revue). Les sujets participaient à un déménagement
virtuel à l’intérieur d’un bungalow composé de quatre pièces. Il leur
était demandé de déplacer des objets d’une pièce à l’autre, d’étique-
ter « fragiles » cinq objets en verre parmi les 30 objets présents dans le
bungalow et d’ouvrir la porte aux déménageurs toutes les cinq minutes
en appuyant sur un bouton. Ils devaient également demander à l’expé-
rimentateur de fermer la porte de la cuisine quand ils quittaient cette
pièce afin de ne pas laisser s’échapper le chat. Cette tâche s’est révé-
lée très sensible aux déficits des patients, et davantage dans certaines
conditions que dans d’autres, un résultat qui pourrait difficilement être
mis en évidence sans le recours à la technique de la réalité virtuelle.
Plus récemment, Kalpouzos et ses collaborateurs (2010) ont utilisé
la réalité virtuelle en plaçant des sujets en immersion dans un envi-
ronnement virtuel familier puisqu’il représentait leur ville de résidence
(Umeå en Suède). Les sujets se déplaçaient librement dans la ville
virtuelle par l’intermédiaire d’un joystick. Cet environnement était
composé d’objets interactifs et permettait la simulation d’événements
pouvant servir d’indices prospectifs. Au total, les sujets devaient réaliser
22 actions en réaction à des indices prospectifs répartis sur cinq routes
distinctes. L’utilisation de cette technique, couplée à l’imagerie céré-
Les méthodes de la neuropsychologie 69

brale, a permis aux auteurs de préciser le mode de fonctionnement de


la mémoire prospective et de mettre en évidence les régions cérébrales
impliquées dans les différentes étapes de ce fonctionnement.
Malgré les progrès réalisés dans le domaine de la réalité virtuelle, et les
possibilités qu’elle offre pour créer des dispositifs intégrant de multiples
dimensions, en neuropsychologie, elle est encore utilisée avec parci-
monie, et pour l’instant réservée au domaine de la recherche. L’un des
obstacles à son utilisation est son coût, mais à terme la réalité virtuelle
devrait être applicable dans de nombreuses pathologies si tant est que
l’on adapte, lorsque cela est nécessaire, les tâches proposées afin d’éviter
les effets planchers et la mise en échec des patients. Les patients pour-
ront alors bénéficier de cette technique dans le cadre de bilans et de thé-
rapeutiques humainement et financièrement moins coûteuses et plus
faciles à mettre en place qu’une rééducation « sur le terrain », comme
le suggéraient déjà Le Gall et Allain en 2001 : « Des scénarios sont
construits pour tester et entraîner des activités de la vie quotidienne,
telles que traverser la rue, conduire une voiture, préparer un repas, uti-
liser les transports publics, ou faire des courses au supermarché » (voir
Déjos et al., 2012, pour revue et applications dans la démence).

2.6 Les échelles comportementales


Les bilans neuropsychologiques visent à mettre en évidence les troubles
cognitifs des patients mais, dans certains cas, le fonctionnement cogni-
tif est normal ou subnormal et la pathologie se manifeste surtout par
des troubles comportementaux. Il est très important de ne pas négli-
ger ces symptômes qui sont fréquents, peuvent contribuer au diagnos-
tic différentiel et avoir des répercussions notables sur l’entourage, et
doivent être pris en compte dans la prise en charge des patients. Les
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outils standardisés et validés sont indispensables pour une évaluation


objective des modifications du comportement et de l’humeur d’un
patient. Ils peuvent se fonder sur trois principales sources de renseigne-
ments : les proches, les soignants, en particulier dans les établissements
de soins, et les patients eux-mêmes, à un stade débutant de la démence
(voir Hugonot-Diener et al., 2008, pour une présentation détaillée de la
plupart des échelles mentionnées ci-dessous).
Les échelles d’hétéro-évaluation reposent sur l’observation par les
proches des modifications du comportement susceptibles d’être pré-
sentées par le patient. Elles se présentent sous la forme d’entretiens
plus ou moins structurés à mener avec l’entourage familial, dont les
membres sont les mieux placés pour recueillir de telles données. Les
70 Manuel de neuropsychologie

résultats peuvent cependant être plus ou moins faussés par le type de


rapports que les proches ont et ont eu avec le patient. L’une des échelles
les plus couramment utilisées est l’inventaire neuropsychiatrique (NPI
pour NeuroPsychiatric Inventory), traduit par Philippe Robert en 1996,
qui peut être renseigné par le proche ou par les soignants. L’objectif
est d’évaluer 12 types de comportements différents répartis en cinq
domaines : les symptômes psychotiques (idées délirantes, hallucina-
tions), les symptômes d’hyperactivité (agitation/agressivité, euphorie,
désinhibition, irritabilité, comportement moteur aberrant), les symp-
tômes affectifs (dépression, anxiété), l’apathie et les symptômes végé-
tatifs (sommeil, appétit). Les questions se rapportent aux changements
de comportement du patient qui sont apparus depuis le début de la
maladie ou depuis la dernière évaluation. Pour chaque rubrique, une
question générale est posée et une réponse positive entraîne une série
de questions plus précises. L’échelle évalue la fréquence et la gravité
des troubles et leur retentissement sur l’entourage. Dans la perspective
d’explorer les troubles plus spécifiques de la démence frontotemporale,
des auteurs ont proposé l’ajout d’une rubrique à l’inventaire neuropsy-
chiatrique. L’échelle comportementale dans la maladie d’Alzheimer
(BEHAVE-AD pour Behavioral pathology in Alzheimer’s Disease Scale) est
également une échelle d’hétéro-évaluation qui évalue en 25 items la
sévérité des troubles comportementaux. Les domaines étudiés sont les
idées paranoïaques et délirantes, les hallucinations, les troubles des
activités, l’agressivité, les modifications du comportement au cours du
nycthémère, l’humeur, l’anxiété et les phobies. L’ADAS non-cog est une
échelle composite d’évaluation des troubles de l’humeur, des symp-
tômes psychiatriques et des modifications du comportement moteur
et alimentaire, utilisée notamment dans les études thérapeutiques.
L’échelle d’évaluation des troubles du comportement dans la démence
sévère (ECD), élaborée par Verny et ses collaborateurs, s’intéresse aux
patients souffrant de formes modérées à sévères de démence chez qui les
troubles psychocomportementaux sont les plus fréquents. Elle évalue la
présence d’un trouble et sa sévérité au cours des 4 dernières semaines
en prenant en compte 11 domaines (dépression, agitation et agressi-
vité, idées délirantes, irritabilité, hallucinations, anxiété, désinhibition,
comportements moteurs aberrants, comportements alimentaires anor-
maux, comportements sexuels aberrants, apathie).
Des outils ont été développés pour évaluer plus spécifiquement l’apa-
thie, qui est un symptôme très fréquent, notamment dans la maladie
d’Alzheimer, et des critères diagnostiques de l’apathie ont été proposés
par Robert et collaborateurs en 2009. L’Inventaire d’Apathie examine
Les méthodes de la neuropsychologie 71

ainsi trois dimensions : l’émoussement affectif, la perte d’initiative et la


perte d’intérêt, et se présente sous trois formes, l’une destinée à l’accom-
pagnant, une deuxième destinée au personnel soignant, et la dernière
au patient lui-même. Dans le même esprit, l’échelle LARS (pour Lille
Apathy Rating Scale), élaborée par Kathy Dujardin et ses collaborateurs,
se présente sous la forme de 33 questions réparties en 9 rubriques cor-
respondant aux différentes manifestations cliniques de l’apathie.
Les échelles comportementales ne sont guère utilisées à l’étape diag-
nostique de la maladie d’Alzheimer, à l’inverse de ce qui est d’usage
pour la démence frontotemporale, où les troubles du comportement
inaugurent souvent la maladie. Dans la démence fronto-temporale, les
troubles les plus fréquents sont l’apathie, l’apragmatisme, des modifica-
tions de l’humeur, la boulimie, des compulsions pseudo-obsessionnelles.
L’évaluation comportementale quantifiée est un argument diagnos-
tique. Lebert et Pasquier (1998) ont proposé une « échelle de dysfonc-
tionnement frontal », recensant les troubles du self-control, la négligence
physique, les troubles de l’humeur et la manifestation d’une baisse
d’intérêt. L’inventaire des comportements frontaux (ICF), traduit du
Frontal Behavioral Inventory (FBI) de Kertesz, permet également de réper-
torier ces troubles. Le Questionnaire dysexécutif DEX, qui fait partie de la
BADS (pour Behavioural Assessment of the Dysexecutive Syndrome), a égale-
ment pour objectif d’évaluer les troubles comportementaux de la sphère
« frontale » : réduction des activités, désintérêt, troubles des conduites
sociales, etc. Deux versions, l’une destinée à l’accompagnant et l’autre
au patient, permettent d’évaluer les troubles du patient et la conscience
qu’il en a. Plus récemment, Olivier Godefroy et le GREFEX (2008a) ont
proposé une batterie d’outils permettant d’évaluer le syndrome dysexé-
cutif tant pour le volet cognitif que comportemental. Les membres de
cette commission ont élaboré et validé un questionnaire qui cible les
pathologies frontales ou sous-cortico-frontales, l’Inventaire du syndrome
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dysexécutif comportemental (ISDC), destiné à mettre en évidence les


modifications du comportement et de la personnalité dans 12 domaines
(réduction des activités, anticipation, désintérêt, euphorie, irritabilité,
hyperactivité, persévérations et stéréotypies, dépendance environne-
mentale, anosognosie, confabulations, troubles des conduites sociales,
modifications des conduites sexuelles ou alimentaires). L’ouvrage publié
répertorie également trois autres échelles, issues de la littérature :
– l’échelle PCRS (Patient Competency Rating Scale) qui évalue en
30 questions posées d’une part au patient lui-même et d’autre part
à l’accompagnant les difficultés éprouvées par le patient à réaliser
des activités de la vie quotidienne ;
72 Manuel de neuropsychologie

– le RNLI (Reintegration to Normal Living Index), auto-questionnaire


qui permet d’évaluer le handicap et la qualité de vie du patient ;
– l’échelle de Rankin modifiée, qui évalue son degré d’autonomie.
Les recherches actuelles montrent que l’on a sous-estimé la préva-
lence des troubles du comportement dans la démence sémantique.
Or ces troubles ne sont pas semblables à ceux qui sont observés dans
d’autres maladies dégénératives. Ils se caractérisent surtout par une
réduction de l’empathie, un égocentrisme et une indifférence aux
autres. Les conduites égocentriques se manifestent par l’impossibilité
des patients à se décentrer d’eux-mêmes lors des interactions sociales.
L’exemple le plus évocateur de cet égocentrisme comportemental se
manifeste dans le discours des patients, que les cliniciens ont qualifié
de « monologue égocentré ». L’échelle d’égocentrisme comportemental
a été créée par Bon et al. (2009) afin de mettre en évidence ces modifica-
tions du comportement relativement spécifiques à la démence séman-
tique. Cette échelle, en partie inspirée de l’IRI (Interpersonal Reactivity
Index, de Davis), est constituée de 36 questions explorant 4 types de
conduites distinctes :
– le monologue égocentré ;
– le manque d’empathie et l’indifférence affective ;
– les préférences des patients imposées à leur famille ;
– la non-prise en compte des autres dans leurs actions ou dans leurs
paroles.
Le conjoint doit remplir cette échelle en tenant compte du niveau
d’égocentrisme comportemental actuel du sujet.
L’échelle neurocomportementale révisée (NRS-R, pour Neurobehavioral
Rating Scale), de Levin et collaborateurs, a été développée pour mettre en
évidence les troubles des patients victimes d’un traumatisme crânien.
Cette échelle évalue les troubles cognitifs, affectifs et comportemen-
taux des traumatisés crâniens, cotés en 4 degrés de gravité croissante à
partir des données d’un entretien semi-dirigé. L’entretien comporte des
questions sur les plaintes cognitives, l’état psychologique et émotion-
nel, la conscience des troubles, le comportement et les motivations, et
quelques tests très simples et rapides à administrer explorant l’atten-
tion, la mémoire et les fonctions exécutives.
Le retentissement des symptômes cognitifs et comportementaux sur
les activités de la vie quotidienne peut être mesuré à l’aide d’outils spé-
cifiques qui évaluent le degré d’autonomie des patients dans les activi-
tés de toilette, d’habillage ou d’alimentation, ou qui s’intéressent aux
capacités d’adaptation à l’environnement, comme la manipulation
Les méthodes de la neuropsychologie 73

du téléphone, la préparation des repas, etc. (par exemple, Instrumental


Activities of Daily Living Scale de Lawton et Brody). L’échelle de Mac Nair
et Kahn est une échelle d’auto-évaluation des difficultés rencontrées
dans la vie quotidienne, qui suppose par conséquent une conscience de
ces difficultés. Des échelles permettent également l’estimation de la qua-
lité de vie des patients souffrant de démence, comme celle de Logsdon
et collaborateurs, validée en France par l’équipe du CHU de Reims (voir
Hugonot-Dieder et al., 2008).
Au total, le recours aux échelles comportementales présente un
intérêt tant lors de la phase diagnostique que pour établir une prise
en charge adaptée et conseiller les familles. Leur caractère structuré
et systématique permet souvent aux proches d’aborder des modifica-
tions comportementales difficiles à évoquer spontanément. Enfin, la
confrontation des données recueillies à l’aide d’hétéro-questionnaires
et d’auto-questionnaires permet une bonne appréhension des troubles
du comportement du patient et de la conscience qu’il en a, évaluant
ainsi une éventuelle anosognosie.

3. Les méthodes dérivées


de la psychologie expérimentale

Un siècle après la découverte de Broca, l’introduction en neuropsy-


chologie, dans les années 1950, de méthodes venant de la psychologie
expérimentale a permis d’approcher la spécialisation hémisphérique à
partir de l’étude du sujet indemne d’atteinte cérébrale. Cette possibilité
de confronter les résultats de l’approche anatomo-clinique et ceux de
l’étude du fonctionnement normal a marqué un changement impor-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tant dans la discipline. L’état de l’art dressé au premier chapitre mesure


les progrès accomplis dans notre compréhension de la latéralité fonc-
tionnelle du cerveau depuis la naissance de la discipline mais souligne
aussi qu’il n’existe pas aujourd’hui de théorie générale qui en rende
compte. L’idée qui a longtemps guidé ces recherches, selon laquelle
une seule dichotomie opposant soit de grandes fonctions cognitives
(par exemple langage versus espace) soit des modes de traitements
(analytique versus holistique) pourrait rendre compte de la répartition
de la cognition entre deux hémisphères cérébraux qui travailleraient
indépendamment est maintenant remise en cause (voir encadré 11,
p. 80). Après l’exposé méthodologique, nous verrons comment les
études comportementales chez le sujet normal ont dans la période
74 Manuel de neuropsychologie

récente influencé la façon même de concevoir la spécialisation hémi-


sphérique : elles ont suscité de vifs débats concernant leur validité et
l’interprétation des asymétries de performances selon l’hémisphère
stimulé, mais ont aussi placé la dynamique des interactions entre les
hémisphères et sa valeur adaptative au centre des préoccupations (voir
Faure et Querné, 2004, pour une revue).
La plupart des méthodes présentées ici reposent sur l’analyse des
réponses des participants à une tâche dont la stimulation est adressée
initialement à l’un ou l’autre des hémisphères. Les temps de réponse
– de l’ordre de quelques centaines de millisecondes (ms) – constituent
la variable dépendante la plus couramment analysée.

3.1 La chronométrie mentale


Le principe est d’analyser le temps nécessaire à la réalisation d’une
tâche, considéré essai par essai : on parle de temps de réaction pour les
tâches de détection simple (e.g. signaler que l’on a perçu un flash) et de
temps de réponse pour des tâches faisant appel à des traitements plus
complexes (e.g. décider de la catégorie sémantique d’un mot ou d’un
objet). Ce temps est considéré comme la somme des temps requis pour
effectuer les différentes étapes constituant la tâche. Comme corollaire,
la différence entre les temps de réponse à une tâche complexe et ceux
à une tâche plus simple reflète la quantité de temps nécessaire pour
effectuer les opérations impliquées dans la tâche plus complexe et
qui ne le sont pas dans la tâche plus simple. La « méthode soustrac-
tive » permet donc une mesure indirecte des processus cognitifs et du
fonctionnement du cerveau, mais elle exige que le chercheur « dis-
pose d’un modèle explicite des différents composants impliqués dans
la tâche » (Richelle et Seron, 1994, p. 5). De plus, le postulat ne tient
que pour des processus qui se déroulent de façon sérielle (et non en
parallèle) et qui doivent être achevés avant que les processus ultérieurs
soient déclenchés (processus discrets). Ce modèle « additif » doit être
pris avec circonspection dans l’étude de fonctions complexes, où une
tâche n’est pas faite d’une simple série d’étapes successives et indépen-
dantes mais repose au moins partiellement sur des processus opérant
en parallèle.
Le recours à la chronométrie est complexe dans le contexte de la
pathologie, à cause de l’allongement général des temps de réponse (ce
ralentissement peut être moteur et/ou cognitif) : ce sont plutôt le taux
et la nature des erreurs qui sont analysés. Les temps de réponse sont
en revanche les variables dépendantes privilégiées chez le sujet sain,
Les méthodes de la neuropsychologie 75

chez qui les erreurs sont rares et doivent être suscitées par des situations
contraignantes, utilisant des stimulations dégradées perceptivement ou
des consignes qui insistent sur la rapidité de la décision.
Les temps de réponse sont analysés dans plusieurs approches
comportementales qui permettent de recueillir chez le sujet normal
des données pertinentes pour l’élaboration des théories sur la spécia-
lisation hémisphérique (Hellige, 2002) : les différents types de stimu-
lations en champ perceptif divisé et la situation de double tâche. Du
point de vue technique, le logiciel et le matériel mis en œuvre pour
l’enregistrement des temps de réponse doivent autoriser une préci-
sion de l’ordre de quelques millisecondes : les « effets expérimen-
taux » sont à cette échelle de temps, qui correspond à la très grande
vitesse de conduction de l’influx nerveux et du transfert d’informa-
tion entre les hémisphères. L’utilisation du clavier pour enregistrer
les réponses du participant ne garantit pas cette précision, puisque sa
marge d’erreur est de l’ordre de 4 ms, et il faut avoir recours à des boî-
tiers de réponse spécifiques. Il faut aussi être attentif aux particularités
de l’affichage des stimuli liées à l’utilisation de tel ou tel type d’écran
et utiliser un écran cathodique dont on connaît le temps de balayage.
Des algorithmes servent à calculer la valeur du temps de présentation
à spécifier dans le script de pilotage de la tâche, en prenant en compte
la durée d’affichage souhaitée et celle du cycle de rafraîchissement
de l’écran (le balayage vertical peut prendre 12 ms). Ces paramètres
doivent être rigoureusement réglés pour des expériences qui utilisent
des temps de présentation très brefs qui s’échelonnent entre 50 et
200 ms.

3.2 La stimulation en champ perceptif divisé


chez le sujet normal
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L’information principale réside dans les différences de performances


qui sont observées lorsque des stimulations sont présentées au sujet en
champ divisé dans l’une ou l’autre des trois principales modalités sen-
sorielles : la vision, l’audition et le toucher. Les différentes méthodes
dites de « stimulation en champ perceptif divisé » tirent parti de l’orga-
nisation anatomo-fonctionnelle principalement croisée de ces systèmes
sensoriels. Cette organisation est telle que la stimulation présentée d’un
côté du corps ou de l’espace est projetée dans l’hémisphère controlaté-
ral. Le croisement est quasi exclusif pour la vision (hors la zone fovéale)
et le toucher (en tout cas pour les segments distaux des membres), alors
que la situation est plus complexe pour l’audition. Ces méthodes ont
76 Manuel de neuropsychologie

en commun la stimulation latéralisée et l’analyse des performances


(en termes de temps de réponse et d’exactitude) selon l’hémichamp
perceptif stimulé : les « différences latérales » de performances sont
considérées comme reflétant une différence fonctionnelle entre les
hémisphères cérébraux (Hellige, 2002).

3.2.1 La tachistoscopie en champ visuel divisé


L’étude des différences latérales de performances dans la modalité
visuelle prend son origine dans la technique de « présentation tachis-
toscopique avec point de fixation central » mise au point par Mishkin
et Forgays en 1952 : ils furent les premiers à présenter à des sujets nor-
maux une tâche de lecture de mots dont les stimuli étaient affichés
brièvement soit à gauche soit à droite du point de fixation du sujet.
Avec l’usage courant des ordinateurs, la projection de diapositives a été
remplacée par l’affichage des stimuli sur un écran d’ordinateur à l’aide
de logiciels (par exemple E-Prime®)qui gèrent les aspects temporels et
spatiaux de la stimulation ainsi que l’enregistrement des réponses du
sujet (voir Faure, 2001, pour une revue).
¼ Description et logique d’un test en tachistoscopie et champ visuel
divisé
Le sujet est assis en face d’un écran sur lequel sont présentés des stimuli
(mots, images d’objets ou scènes visuelles plus complexes, formes sans
signification, etc.) et différentes tâches peuvent lui être demandées, par
exemple décider si une chaîne de lettres constitue un mot de la langue
ou non (décision lexicale) ou comparer un stimulus présent à un sti-
mulus de référence (reconnaissance, catégorisation). Les stimuli sont
présentés latéralement, soit à droite soit à gauche d’un point de fixation
central, en succession (présentation unicampique), ou simultanément
(présentation dicampique). La présentation des stimuli de la tâche doit
respecter deux contraintes :
– une contrainte temporelle : le stimulus doit apparaître pour
une durée (temps de présentation) inférieure à celle nécessaire
au déclenchement d’une saccade oculaire (ce temps est estimé à
200 millisecondes). En effet, la saccade dirigée sur le stimulus pla-
cerait son image sur la fovéa, c’est-à-dire en vision centrale et bi-
hémisphérique. Cette contrainte temporelle, à condition que le
sujet fixe le point central lorsqu’on déclenche la stimulation, per-
met de maîtriser les exigences spatiales ;
Les méthodes de la neuropsychologie 77

– une contrainte spatiale : le stimulus doit être présenté hors de la


zone centrale. La zone située entre 2,5 et 4 degrés d’angle visuel
à droite ou à gauche du point de fixation fovéal réunit les deux
conditions de projection binoculaire et monohémisphérique de la
stimulation latéralisée.
Un certain nombre de dispositifs complémentaires peuvent être
adoptés :
– Le masquage du stimulus : un pattern visuel sans signification (####)
est projeté immédiatement après le stimulus et dans la même zone
du champ visuel. Le temps de présentation de ce masque peut être
très bref (inférieur à 50 millisecondes), son seul rôle étant d’imposer
une nouvelle image sur la rétine de façon à éviter un phénomène
de « persistance rétinienne » qui allongerait le temps de traitement
du stimulus.
– Une consigne peut indiquer au sujet que les stimuli apparaîtront
aléatoirement à gauche ou à droite du point de fixation, et que la
seule « stratégie » efficace consiste à garder le regard sur le point de
fixation.
– Un dispositif de contention, semblable à l’appareil utilisé pour les
examens ophtalmologiques qui comprend une mentonnière et un
support frontal, peut être ajouté pour empêcher tout mouvement
de la tête.
– Les mouvements oculaires sont parfois enregistrés. Une des tech-
niques consiste à filmer le reflet d’une source lumineuse sur la cor-
née du sujet : tout décalage entre le repère constitué par la pupille
et le reflet révèle un déplacement du regard. Le chercheur peut
exclure au moment du traitement des données les essais pour les-
quels une déviation du regard est enregistrée alors que le stimulus
est présent à l’écran.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

En résumé, les projections visuelles au travers du chiasma optique


sont telles que l’hémichamp d’un côté du point de fixation visuel est
projeté sur le cortex visuel opposé ; l’information provenant du champ
visuel gauche projette sur le cortex visuel de l’hémisphère droit, et
inversement pour l’information provenant du champ visuel droit (voir
encadré 10, p. 78). L’ensemble des dispositifs décrits ci-dessus permet
de s’assurer que les stimuli sont présentés binoculairement mais dans
les champs monohémisphériques. La qualité des réponses du sujet ainsi
que ses temps de réponse sont analysés en fonction de l’hémichamp,
droit ou gauche, de présentation du stimulus.
78 Manuel de neuropsychologie

Encadré 10
Organisation anatomo-fonctionnelle des voies visuelles
La moitié droite du champ visuel projette sur les deux hémirétines gauches
(hémirétine temporale de l’œil gauche et hémirétine nasale de l’œil droit).
Le croisement des voies nerveuses visuelles est tel que les deux hémirétines
gauches projettent sur le cortex visuel de l’hémisphère gauche (traits poin-
tillés). Ainsi toute information apparaissant dans l’hémichamp visuel droit
stimule la moitié gauche de chaque œil et est ensuite transmise à l’hémi-
sphère gauche. L’inverse se produit pour l’information apparaissant dans
l’hémichamp visuel gauche (traits pleins).
Les méthodes de la neuropsychologie 79

¼ Interprétation « classique » des différences latérales de perfor-


mances en champ visuel divisé
Les performances latérales, c’est-à-dire de chacun des deux systèmes
champ visuel gauche-hémisphère droit (cvg-HD) et champ visuel droit-
hémisphère gauche (cvd-HG), peuvent être comparées lors de tâches très
variées : si l’on admet que la performance est meilleure lorsqu’un sti-
mulus a été présenté initialement à l’hémisphère spécialisé pour traiter
la tâche et/ou le matériel (Hellige, 1996), l’examen de la façon dont les
réponses diffèrent selon le champ de présentation permet d’inférer la
spécialisation fonctionnelle des hémisphères. Toutefois, les hémisphères
sont connectés entre eux par des faisceaux de fibres, les commissures,
dont la principale est le corps calleux. Après affichage latéralisé d’un sti-
mulus, celui-ci est d’abord analysé par les aires visuelles de l’un ou l’autre
des hémisphères ; le résultat de ces traitements précoces est ensuite uti-
lisé par les étapes ultérieures requises par la tâche et sera donc partagé
par d’autres aires cérébrales, et notamment celles de l’hémisphère opposé
grâce au transfert de l’information via le corps calleux, ceci en 2 à 10 milli-
secondes selon la tâche (voir section suivante pour le rôle des connexions
inter-hémisphériques dans d’autres types d’interactions hémisphériques,
au-delà des échanges d’information abordés ici).
Ainsi, l’avantage de l’hémichamp droit dans une expérience en
champ visuel divisé utilisant des stimuli verbaux peut refléter deux
réalités différentes du point de vue de la spécialisation hémisphérique
(Zaidel, 1999).
– Cette supériorité du cvd-HG sur le cvg-HD peut refléter les effets du
transfert calleux dûs à une spécialisation exclusive de l’hémisphère
gauche pour les traitements verbaux : dans le cas d’une stimulation
dans l’hémichamp visuel gauche, après les étapes de traitement
perceptif, l’information devrait être acheminée de l’HD vers l’HG
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pour que les traitements verbaux puissent y être effectués par les
systèmes compétents. Cette situation est dite de « relais calleux ».
– Cette même asymétrie peut refléter la différence entre l’efficience
relative de traitement de chacun des hémisphères : chaque hémi-
sphère traiterait les stimuli qui sont présentés dans le champ visuel
controlatéral et qui sont donc reçus initialement par ses aires
visuelles primaires. Il s’agit alors d’une situation d’« accès direct ».
L’approche et les devis expérimentaux sont illustrés dans l’encadré 13
(p. 88) à partir de performances théoriques et de résultats obtenus chez
l’enfant concernant le développement de la spécialisation hémisphé-
rique pour la lecture.
80 Manuel de neuropsychologie

De très nombreuses études ont été conduites dans ce cadre « struc-


tural ». Chez des sujets droitiers, la supériorité du champ visuel droit
pour le traitement des mots isolés est un résultat robuste, qui reflète la
dominance fonctionnelle de l’HG. Elle est plus prononcée pour la lec-
ture à voix haute que pour les décisions lexicales ou sémantiques. L’HD
aurait cependant une contribution spécifique aux traitements lexico-
sémantiques, comme en témoignent les asymétries des effets d’amor-
çage en fonction de la distance sémantique amorce-cible. En effet, dans
le champ visuel droit, seul un lien amorce-cible fort, direct et littéral
facilite le traitement de la cible tandis que les performances dans le
champ visuel gauche sont facilitées aussi pour des amorces et cibles
qui sont faiblement, métaphoriquement ou indirectement reliées. Ces
effets différents de la distance sémantique selon l’hémisphère peuvent
être interprétés comme reflétant deux types distincts d’activation du
réseau sémantique à partir d’un mot délivré « en entrée » : activation
faible de champs sémantiques larges autour du mot cible dans l’HD, et
activation forte d’un champ sémantique focalisé dans l’HG. Ces trai-
tements complémentaires seraient tous deux requis pour une compré-
hension normale du discours.
Les travaux faisant référence aux modèles exclusivement structuraux,
illustrés par le modèle « accès direct/relais calleux » de Zaidel (voir enca-
dré 13, p. 88), portent peu d’intérêt au rôle des mécanismes attentionnels
et aux interactions entre les hémisphères dans la conception et l’inter-
prétation des expériences. D’autres approches dites « dynamiques »
questionnent une interprétation uniquement structurale des asymé-
tries. Leurs tenants soulignent qu’une conception implicite d’indépen-
dance des hémisphères préside souvent aux travaux expérimentaux, ce
qui peut conduire à occulter des faits importants pour l’élaboration des
théories (voir infra, section 3.3).

Encadré 11
Deux hémisphères cérébraux, un seul monde visuel : les spécialisations
hémisphériques pour l’appréhension des informations visuospatiales
(Sara Spotorno)
Lorsque nous regardons une scène, nous ne ressentons pas d’effort par-
ticulier et faisons l’expérience de percevoir le monde visuel dans toute sa
richesse et ses moindres détails. Ceci recouvre en fait des processus cogni-
tifs très complexes : l’exploration par le regard, l’orientation efficace de
l’attention et l’intégration des entrées visuelles avec nos connaissances sur
À
Les méthodes de la neuropsychologie 81

Â
les scènes préalablement rencontrées, les objets et leurs relations. Ces trai-
tements reposent sur un réseau complexe d’aires cérébrales dont l’activité
permet que l’information sélectionnée soit organisée et interprétée. Pour
comprendre comment le monde visuel est ainsi construit, il faut distinguer
représentations spatiales catégorielles et coordonnées, traitements aux
niveaux global et local, et identification des objets à un niveau de base ou
exemplaire spécifique. L’intervention de l’attention est omniprésente et
celle de la mémoire multiforme, de l’encodage à la récupération de repré-
sentations qui permettent de catégoriser et identifier les objets. Les deux
hémisphères jouent un rôle dans la cognition visuospatiale, mais leurs
contributions diffèrent selon le type de processus et de représentation
considéré.

Stimulus visuel

Représentation sensorielle

1ère étape
Sélection des informations pertinentes pour la tâche
Filtrage

2ème étape
Traitement asymétrique selon la fréquence spatiale
• HD : surtout fréquences basses
• HG : surtout fréquences hautes

Figure 1 – Les étapes du traitement sélectif des informations visuelles selon


la théorie du double filtrage par fréquence (Ivry et Robertson, 1998)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Lorsque les stimuli de la tâche sont présentés dans un des hémichamps


visuels, et donc l’information adressée initialement à l’hémisphère contro-
latéral, les asymétries de performances semblent renvoyer à l’existence
non pas d’une distinction fondamentale – supériorité de l’HD pour les trai-
tements visuospatiaux – mais de multiples distinctions fonctionnelles entre
les hémisphères :
– supériorité du champ visuel gauche (HD) pour l’orientation de l’attention
spatiale, le traitement des fréquences spatiales basses, de la forme globale
et des coordonnées spatiales ;
– asymétrie en faveur du champ visuel droit (HG) pour le traitement des
hautes fréquences spatiales, du niveau local et des représentations spa-
tiales catégorielles.
À
82 Manuel de neuropsychologie

Résolution spatiale
fréquences spatiales basses fréquences spatiales hautes
spécialisation HD spécialisation HG

Niveau de traitement Représentations spatiales


HD : représentations
HD : attention globale
coordonnées
(totalité de l’objet)
(métriques; e.g., proche/loin)
HG : attention locale HG : représentations
(aspects de détail) catégorielles
(relations entre les objets ;
e.g., au-dessus/au-dessous)

Discrimination d’objet

Plusieurs facteurs modulent ces asymétries HD : jugements


intra-catégoriels
hémisphériques :
(reconnaissance exemplaire-spécifique)
e.g., saillance perceptive, temps d’exposition des
HG : jugements
stimuli, type de tâche. inter-catégoriels

Figure 2 – Représentation schématique des principales asymétries


fonctionnelles hémisphériques dans les traitements visuospatiaux

Une approche théorique propose que les différentes dimensions de diffé-


renciation fonctionnelle s’organisent selon une hiérarchie dans laquelle le
traitement des fréquences spatiales jouerait un rôle fondamental (e.g. Ivry
et Robertson, 1998). La spécialisation hémisphérique dans l’analyse des fré-
quences spatiales serait à la base de l’asymétrie pour les niveaux global/
local : en effet, les basses fréquences, traitées plutôt par l’HD, véhiculent
l’information globale, tandis que les hautes fréquences, sous la dépen-
dance de l’HG, sont importantes pour le niveau local, le traitement des
détails. Ensuite, les représentations des relations spatiales coordonnées
devraient être plus faciles à encoder lorsque l’on porte attention à une por-
tion de l’espace assez étendue, tandis que les relations spatiales catégo-
rielles seraient plus faciles à encoder si l’on porte attention à une portion
relativement petite. Enfin, intuitivement, la discrimination entre les catégo-
ries d’objets semble requérir le traitement des relations catégorielles entre
les parties de l’objet, alors que la discrimination intracatégorielle (c’est-à-
dire le niveau de l’exemplaire : i.e. « ma chaise ») semble nécessiter l’utili-
sation de relations spatiales métriques précises entre les parties de l’objet
ainsi qu’une estimation correcte de la métrique des différentes surfaces qui
composent l’objet.
À
Les méthodes de la neuropsychologie 83

Â
La littérature ne conforte de façon univoque ni l’existence d’une telle hié-
rarchisation des traitements visuospatiaux, ni la spécialisation fonction-
nelle hémisphérique pour une gamme particulière de fréquences spatiales
(cf. Fendrich et Gazzaniga, 1990). Il est, toutefois, de plus en plus évident
qu’il faut éclaircir comment les différentes dimensions sont organisées et
comment les hémisphères cérébraux interagissent pour intégrer les résul-
tats de leurs traitements (voir encadré 26, p. 193). Ceci est un vrai défi pour
la recherche à venir si l’on veut comprendre comment le cerveau construit
notre monde visuel.

3.2.2 L’écoute dichotique


L’écoute dichotique a été mise au point par le psychologue Donald
Broadbent en 1954 pour étudier l’attention sélective. Doreen Kimura a
adapté en 1961 la technique pour approcher la latéralité fonctionnelle
du cerveau chez des patients cérébrolésés et cette utilisation a ensuite
été étendue aux sujets normaux. Les stimuli, verbaux (syllabes, mots,
phrases courtes), ou non verbaux (sons de l’environnement ou musi-
caux), sont préalablement enregistrés et, à l’aide de deux écouteurs, un
message différent est diffusé simultanément à chacune des oreilles. Plu-
sieurs tâches peuvent être demandées au sujet, principalement de répé-
ter ce qu’il a perçu à chaque essai, ou bien de rappeler les items à l’issue
du test. Un avantage des performances pour les stimuli présentés à une
oreille (dans leur détection ou leur identification) est interprété comme
une preuve que l’hémisphère controlatéral est spécialisé pour le traite-
ment requis par la tâche.
– Dans l’expérience princeps de Kimura, les patients entendaient par
exemple la suite « 6/9/2 » dans l’oreille gauche et « 3/8/5 » dans
l’oreille droite et devaient ensuite rappeler les items. La validité
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de la méthode a été éprouvée auprès de patients chez qui, avant


une chirurgie cérébrale, on avait déterminé la « dominance hémi-
sphérique » pour le langage à l’aide du test de Wada : ceux qui
présentaient une dominance hémisphérique gauche rappelaient
mieux le matériel présenté à l’oreille droite que celui présenté à
l’oreille gauche tandis que chez ceux qui présentaient une domi-
nance hémisphérique droite, cette asymétrie de performances était
en faveur de l’oreille gauche.
– Kimura expliquait ainsi ces avantages latéraux : 1. un hémisphère
(le gauche chez la grande majorité des droitiers) est spécialisé pour
le langage ; 2. les entrées auditives sont mieux représentées sur
84 Manuel de neuropsychologie

l’hémisphère controlatéral en raison de la supériorité anatomique


et fonctionnelle des voies auditives controlatérales sur les voies
ipsilatérales (voir encadré 12 ci-dessous) ; 3. en situation d’écoute
dichotique, les voies auditives controlatérales « suppriment »
fonctionnellement les voies ipsilatérales, favorisant ainsi le mes-
sage de l’oreille droite qui est adressé à l’hémisphère gauche, spécia-
lisé pour le langage ; 4. l’information parvenant de l’oreille gauche
à l’hémisphère droit doit être transférée via le corps calleux jus-
qu’aux aires spécialisées de l’hémisphère gauche afin d’y être trai-
tée. Ce transfert dégrade l’information disponible et retarde aussi
l’arrivée du signal de l’oreille gauche à l’hémisphère spécialisé.

Encadré 12
Organisation anatomo-fonctionnelle des voies auditives

Connexion calleuse

HG HD

Voie ipsilatérale Voie ipsilatérale

Voies controlatérales

«PA» «TA»

Oreille gauche Oreille droite

À
Les méthodes de la neuropsychologie 85

Â
Les voies auditives centrales sont formées d’une voie prédominante, la voie
controlatérale (traits pleins), qui achemine les influx nerveux liés aux mes-
sages présentés à l’oreille droite jusqu’au cortex auditif gauche et les influx
nerveux dus aux messages présentés à l’oreille gauche jusqu’au cortex audi-
tif droit. La voie ipsilatérale, anatomiquement et fonctionnellement moins
importante (traits pointillés), véhicule les messages perçus à chaque oreille
jusqu’au cortex auditif ipsilatéral. Les deux aires auditives corticales tempo-
rales droite et gauche sont connectées par l’intermédiaire du corps calleux
(grisé).
En situation dichotique, un avantage pour les stimuli présentés à l’oreille
droite est souvent constaté (dans la situation schématisée le sujet répon-
drait plus probablement « TA »).

La présentation dichotique de stimuli verbaux donne lieu typique-


ment à un avantage de l’oreille droite tandis que la présentation de
sons non verbaux donne lieu à un avantage de l’oreille gauche, moins
prononcé cependant que l’avantage de l’oreille droite pour les stimuli
verbaux.
Kimura a proposé une interprétation uniquement structurale de
l’avantage de l’oreille droite pour les stimuli verbaux, basée sur l’idée de
dominance exclusive de l’hémisphère gauche pour le langage : selon ce
modèle, un avantage de l’oreille droite devrait toujours être trouvé en cas
de spécialisation hémisphérique gauche pour le langage, et ce de façon
stable chez un individu. Or ce modèle se révèle tout à fait incomplet.
En effet, l’orientation sélective de l’attention au moyen par exemple
d’une consigne qui demande au sujet de faire attention à l’oreille
gauche seulement (paradigme d’attention forcée), ou d’un indice laté-
ral gauche préalable à la stimulation du côté gauche (signal d’alerte de
type « bip ») peut atténuer, voire renverser, l’avantage de l’oreille droite.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Hugdahl (2000) propose un modèle assez détaillé et intégré (incorpo-


rant données comportementales et de neuro-imagerie fonctionnelle)
de ces phénomènes. Pour lui, la latéralité cérébrale doit être abordée
selon une perspective ascendante (bottom-up), ou dirigée par le stimu-
lus qui renvoie à la spécialisation hémisphérique pour traiter certains
stimuli, et selon une perspective descendante (top-down), ou dirigée par
les consignes ou la stratégie, qui permet la modulation dynamique des
effets du stimulus par le déplacement de l’attention vers l’hémi-espace
auditif droit ou gauche. Dans ce cadre, la latéralité comportementale
doit être vue comme la somme des effets ascendants et descendants qui
interagissent de façon dynamique pour produire un patron spécifique
86 Manuel de neuropsychologie

de latéralité pour un contexte cognitif donné. Cette hypothèse permet


d’expliquer pourquoi un même individu montre éventuellement des
patrons d’asymétrie différents pour les mêmes stimuli lorsqu’il est testé
à différents moments (variations intra-individuelles) : le patron de laté-
ralité observé est le produit final de l’interaction dynamique entre ten-
dances de traitement plutôt ascendantes ou descendantes ; cependant,
la latéralité dirigée par les stimuli serait toujours contrôlée et/ou modu-
lée par des processus cognitifs dirigés par les stratégies du sujet (voir
Faure et Joanette in Lechevalier et al., 2008, pour une revue).

3.2.3 La stimulation dichaptique


Lorsque un sujet mobilise activement un segment corporel à la recherche
d’une stimulation, à la fois les récepteurs cutanés et les récepteurs senso-
riels profonds situés dans les articulations sont excités : c’est la percep-
tion tactilokinesthésique (en anglais haptic perception). La stimulation
dichaptique a été conçue comme un analogue tactile de la procédure
dichotique et revient pour le sujet à explorer en aveugle des formes par
les deux mains simultanément, chaque main explorant une forme diffé-
rente. La tâche du sujet est le plus souvent de reconnaître, sur un tableau
à choix multiple, les formes préalablement explorées ; il peut s’agir de
formes, solides bi- ou tridimensionnelles (lettres, chiffres, formes géo-
métriques verbalisables ou sans signification, lignes différemment
orientées, etc.), ou tracées dans la paume de la main. Le sujet explore
activement et librement les formes de sa main, ou bien avec seulement
certains des doigts ; l’exploration peut être plus passive, par exemple
si l’on déplace des formes et des lettres découpées dans du papier de
verre sur le bout des doigts des sujets. Le tableau de reconnaissance est
présenté soit dans la modalité tactile (test unimodal tactilotactile), soit
dans la modalité visuelle (test intermodal tactilovisuel).
Étant donné l’organisation essentiellement croisée des voies nerveuses
correspondant aux segments distaux, les différences observées dans les
réponses suivant la main exploratrice sont attribuées principalement à
l’influence de la spécialisation hémisphérique. Ces différences dans la
modalité tactile chez des sujets normaux convergent avec celles mises
en évidence dans les modalités visuelle et auditive, indiquant en effet
un avantage du système main droite/HG pour l’identification tactile de
lettres et de formes géométriques faciles à dénommer, et un avantage
main gauche/HD pour l’identification de lignes et la reconnaissance de
formes aléatoires difficiles à verbaliser.
Les méthodes de la neuropsychologie 87

3.3 La méthode de double tâche


Un sujet peut réaliser en même temps et assez efficacement deux tâches
différentes si celles-ci sont peu contraignantes et assez habituelles.
Deux tâches plus « difficiles » ne pourraient être effectuées simultané-
ment qu’à la condition qu’elles reposent sur des sous-systèmes (fonc-
tionnels et/ou cérébraux) distincts et indépendants ; en revanche, si
elles font appel au même système, alors une interférence est attendue.
La notion centrale est celle de « distance cérébrale fonctionnelle », qui
postule que lorsque deux activités concurrentes mais non reliées sont
programmées par des aires du cerveau étroitement adjacentes, il y aura
plus d’interférence entre elles (et de plus mauvaises performances)
que lorsque les centres de contrôle sont plus éloignés et moins inter-
connectés.
Une expérience canonique analyse les différences de performances
à une tâche donnée selon qu’elle est réalisée seule ou en même temps
qu’une deuxième ; si deux tâches simultanées requièrent des res-
sources communes et/ou reposent sur les mêmes mécanismes nerveux
sous-jacents (et sont de difficulté suffisante), alors les performances à
chacune des tâches réalisées simultanément doivent être inférieures
à celles obtenues à chacune des tâches réalisées séparément. Cet
effet d’interférence se reflète donc dans une détérioration des per-
formances obtenues à l’une ou l’autre, ou aux deux tâches, sous la
forme d’un allongement des temps de réponse et/ou d’une baisse de
l’exactitude.
Kinsbourne et ses collaborateurs ont mis au point initialement le time-
sharing interference paradigm pour approcher la latéralité cérébrale, en par-
ticulier pour déterminer dans des études transversales auprès d’enfants
normaux dans quelle mesure la latéralisation gauche pour le langage
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

est présente depuis la naissance ou se développe progressivement. En


dépit de l’introduction de l’imagerie cérébrale fonctionnelle qui permet
d’aborder ces questions dès les premières heures de la vie, cette approche
est toujours pertinente en neuropsychologie du développement, et au-
delà pour étudier la latéralité fonctionnelle du cerveau. Il peut s’agir aussi
de reproduire dans des expériences auprès d’adultes sains des analogues
expérimentaux de la situation de dissociation de la pathologie céré-
brale. En effet, si deux tâches suffisamment contraignantes peuvent être
réalisées simultanément par des sujets normaux sans que l’on observe
d’interférence, le chercheur peut faire l’hypothèse que des dissociations
pourraient être observées en cas de pathologie.
88 Manuel de neuropsychologie

Encadré 13
L’interprétation des asymétries en champ visuel :
accès direct ou relais calleux ?
La tâche de décision lexicale est souvent utilisée pour étudier la spécialisation
hémisphérique pour les traitements verbaux (en particulier ceux impliqués
dans la lecture). Les stimuli – mots et non-mots – sont présentés brièvement
à droite ou à gauche d’un point de fixation centrale. Une des façons d’éva-
luer la contribution respective des hémisphères cérébraux chez des sujets
normaux consiste à coupler les stimulations dans chacun des hémichamps
visuels avec les réponses effectuées de chacune des mains : par exemple
le sujet effectue une réponse OUI/NON en pressant l’une des deux touches
d’un boîtier avec l’index de la main droite ou de la main gauche ; les mouve-
ments des doigts sont sous la commande de l’hémisphère controlatéral. Les
performances commentées ici sont des temps de réponse (TR) mesurés en
millisecondes (ms) et présentés en fonction de l’hémichamp de stimulation :
champ visuel gauche (cvg) et champ visuel droit (cvd). L’hémisphère auquel
est adressée initialement l’entrée visuelle est indiqué entre parenthèses
sous le champ (HD ; HG).

Figure 1 – Performances théoriques illustrant les modèles d’accès direct


et de relais calleux; la main de réponse est indiquée dans
les graphiques [a] et [b], et les deux modalités de la variable
psycholinguistique de concrétude dans le graphique [c].
À
Les méthodes de la neuropsychologie 89

Â
Une interaction significative entre main de réponse et hémichamp de sti-
mulation sur les TR de décision lexicale (figure 1 [a]) signalerait un accès
direct, que l’on ait (comme ici) ou non un effet principal d’avantage d’un
hémichamp sur l’autre.
Un effet principal montrant un avantage d’un hémichamp en même temps
qu’un effet principal montrant un avantage pour la main de réponse
ipsilatérale au champ (figure 1 [b] : avantage de l’hémichamp droit et
réponses plus rapides avec la main droite) signaleraient un relais calleux et
une spécialisation exclusive de l’hémisphère opposé à la main et à l’hémi-
champ qui se montrent supérieurs.
L’interprétation des différences latérales de performances peut être plus
simple si une variable psycholinguistique a été manipulée (figure 1 [c] :
variable Concrétude, mots à référent concret vs abstrait) et si les effets de
cette variable diffèrent selon l’hémichamp de présentation des mots. Cette
interaction signale un « accès direct » : chaque hémisphère traite les stimuli
qui lui sont adressés mais applique ses propres stratégies de traitement de
l’information (cette interprétation tient si l’on écarte l’hypothèse de vitesses
de transfert calleux différentes pour les deux pôles de la dimension psycho-
linguistique : ici concret vs abstrait).
Ainsi, une même asymétrie de performances latérales peut refléter diffé-
rents patrons de compétence et de contribution des hémisphères cérébraux.
L’interprétation des performances latérales et de leurs asymétries fait appel
à des devis expérimentaux complexes et repose sur des comparaisons sta-
tistiques des TR enregistrés selon l’hémichamp de stimulation où des dif-
férences aussi petites que 10 millièmes de secondes sont prises en compte
(l’exactitude doit aussi être analysée mais est moins sensible que les TR).
Elle nécessite donc de grands échantillons, et des instruments de mesure
extrêmement précis, sachant que la marge d’erreur des boitiers de réponse
peut avoisiner quelques millisecondes et que le temps de transfert calleux
est estimé entre 4 et 8 millisecondes selon les tâches, et montre une grande
variabilité interindividuelle !
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En dépit de cette complexité, ce type d’analyse garde toute sa pertinence,


comme l’illustre l’étude comportementale des bases cérébrales du dévelop-
pement normal de la lecture (figure 2).
L’étude transversale de Waldie et Mosley montre le passage d’un modèle de
type « accès direct » à un modèle « relais calleux » dans le cours du dévelop-
pement normal :
– chez les plus jeunes (figure 2 [a]), le patron de performances est celui
attendu dans une situation d’accès direct, avec avantage de la main de
réponse qui est sous le contrôle de l’hémisphère qui a reçu initialement
la stimulation (par exemple la main droite lors d’une stimulation dans
le cvd/HG). Sur le plan statistique, cela se manifeste par une interaction
À
90 Manuel de neuropsychologie

Â
significative entre le facteur Champ visuel (de présentation du stimulus
de la décision lexicale) et le facteur Main (de réponse). Selon les auteurs,
à la fois l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit contribuent au trai-
tement des mots dans cette période d’apprentissage de la lecture (les
performances en exactitude, non figurées, ne diffèrent pas entre le cvg
et le cvd) ;
– chez les plus âgés (figure 2 [b]) on a affaire à un patron qui signale un
« relais calleux », avec effet simple du facteur Champ, effet simple du
facteur Main, sans interaction. C’està-dire que, quel que soit le champ
de présentation, c’est la main droite, placée sous le contrôle de l’HG, le
plus efficient, qui répond le plus rapidement. Lorsque la stimulation est
adressée à l’HD (via le cvg), et (1) le sujet répond avec la main droite, il
y aurait un 1er relais calleux pour acheminer l’information de l’HD qui la
reçoit vers l’HG qui traite la tâche (accès lexical et décision) et contrôle
la réponse motrice ; (2) le sujet répond avec la main gauche, il y aurait un
relais additionnel pour transmettre la décision issue des traitements hémi-
sphériques gauches aux centres hémisphériques droits en charge de la
réponse motrice. Ces résultats sont en faveur d’une spécialisation exclu-
sive de l’hémisphère gauche.

Figure 2 – Les asymétries de performances de décision lexicale


chez des enfants de 5 à 10 ans [a] et de 10 à 15 ans [b] ;
d’après Waldie et Mosley (2000).

Les auteurs soulignent la baisse des performances de décision lexicale dans


le champ visuel gauche, de 79% de réponses correctes à 7 ans à 72% à 12 ans
(non figuré). Ils retiennent que la contribution de l’HD à la lecture décroît
après environ 5 ans d’apprentissage formel de la lecture (âge chronologique
de 10 ans) : à mesure que le traitement perceptif des lettres et des mots
s’automatise, les aspects phonologiques et syntaxiques, qui dépendent des
systèmes de traitement de l’HG, deviennent plus prégnants.
Les méthodes de la neuropsychologie 91

3.4 Deux hémisphères, un cerveau : de la stimulation


unilatérale à la stimulation bilatérale
Sergent (in Seron et Jeannerod, 1998) analyse le biais inhérent à une
conception d’indépendance du fonctionnement des hémisphères : les
observations spectaculaires des années 1960 chez les split-brain (voir
chapitre 3, section 7) ont, pendant des décennies, incité à concevoir
des expériences où le fonctionnement indépendant des hémisphères
était favorisé en présentant les stimuli de la tâche à un seul d’entre eux,
au détriment de leur coopération. Or, en dépit de l’implication conti-
nue de nos deux hémisphères spécialisés, nos perceptions, cognitions
et actions sont unifiées plutôt que fragmentées. Cette unité est pos-
sible parce que nos hémisphères sont fortement interconnectés par plus
de 200 millions de fibres nerveuses, ce qui leur permet de transférer
et d’intégrer l’information, et d’interagir de façon variée (voir Mayer,
2002, pour une revue). Cependant, tout ou presque reste à découvrir
sur les interactions hémisphériques requises dans le fonctionnement
normal. Les changements introduits récemment dans les méthodes
montrent que les chercheurs ont au moins compris comment il fallait
poser la question. En simplifiant, les interactions hémisphériques sont
abordées soit au moyen du paradigme de double tâche qui combine la
présentation latérale des stimuli de la tâche d’intérêt et divers disposi-
tifs visant à modifier le niveau d’activité hémisphérique, soit en adres-
sant les stimuli de la tâche non plus à un seul hémisphère mais aux
deux simultanément.

3.4.1 L’impact du « rapport de forces » entre les hémisphères


La stabilité des performances latérales est loin d’être la règle, et des effets
de pratique sont souvent notés dans des tâches verbales : ces variations
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

spontanées révèlent le caractère incomplet des modèles structurels de


l’organisation du langage dans le cerveau (voir Annoni, 2002, pour
une confrontation aux modèles « dynamiques » des bases cérébrales du
langage).
Pour expliquer ces variations, quelques travaux considèrent les inter-
actions entre facteurs attentionnels et/ou d’activation hémisphérique
spécifique et facteurs structuraux, comme déterminants des asymétries
de performances (voir Faure et Blanc-Garin, 1995, pour une revue).
L’idée générale est que les asymétries de performances latérales relève-
raient des différences de compétences des hémisphères en interaction
avec des biais attentionnels en faveur de l’hémi-espace droit ou gauche
92 Manuel de neuropsychologie

ainsi que du niveau d’activité de chaque hémisphère. Précisément,


selon Kinsbourne (2000), lorsque le matériel est verbal, les attentes ou
le fait de traiter un matériel verbal amorcent l’HG, ce qui génère un
biais attentionnel vers l’hémi-espace droit. Ce biais permet une détec-
tion plus efficace des événements qui surviennent du côté controlatéral
à l’hémisphère alerté. Lorsqu’une fonction est mise en jeu au sein d’un
hémisphère, l’activité des aires sollicitées se propage à l’ensemble des
aires de l’hémisphère selon un gradient de distance fonctionnelle céré-
brale. L’activation conduit à la disponibilité fonctionnelle accrue des
autres fonctions hémisphériques et à un surcroît d’attention en faveur
de l’hémi-espace sensoriel controlatéral à l’hémisphère activé. Enfin,
l’hémisphère le plus activé, sans être forcément le seul compétent, peut
entraver la mise en jeu de son homologue.
– La mise en évidence expérimentale de ces phénomènes d’« acti-
vation hémisphérique spécifique » et de leurs effets fait appel au
paradigme de doubles tâches présentées en succession ou en concur-
rence : à la présentation latérale des stimuli de la tâche lexicale
d’intérêt sont ajoutés divers dispositifs visant à modifier le niveau
d’activité hémisphérique. Une activation hémisphérique spéci-
fique et ses effets facilitateurs sur le champ perceptif controlatéral
sont recherchés en proposant deux tâches en étroite succession :
une première, non latéralisée, mais dont on attend l’activation
spécifique de l’hémisphère le plus compétent et une deuxième,
en champ divisé, qui permet une mesure des performances hémi-
sphériques pour un traitement verbal donné. Une levée de l’inhibi-
tion inter-hémisphérique est recherchée en imposant deux tâches
en concurrence : leur réalisation simultanée peut, pour une faible
charge de traitement, être prise en charge par un seul hémisphère,
suscitant une activation hémisphérique spécifique ; tandis que pour
une charge élevée, les ressources hémisphériques peuvent se trou-
ver dépassées, ce qui devrait conduire à une levée de l’inhibition
exercée sur l’hémisphère controlatéral ou à son « recrutement ».
– Les rares applications de ce paradigme confortent les hypothèses
générales de Kinsbourne en montrant des variations des perfor-
mances latérales en lien avec l’activation hémisphérique spécifique
suscitée par une tâche ajoutée qui « engage » de façon prépon-
dérante un des hémisphères. Chez un split-brain (Faure et Blanc-
Garin, 1994a) et chez des sujets normaux (Querné et Faure, 1996 ;
Querné et al., 2000), les performances lexicales du système cvg-HD,
médiocres, peuvent être améliorées, de façon transitoire. Précisé-
ment, une activation spécifique de l’HD au moyen d’une tâche
Les méthodes de la neuropsychologie 93

préalable visuospatiale améliore considérablement les performances


lexicales du champ visuel gauche, qui rivalisent alors avec celles du
champ visuel droit. La surcharge fonctionnelle de l’HG au moyen
d’une tâche mnésique verbale concurrente a des effets analogues.
Ces modifications expérimentales des différences latérales chez un
même sujet réalisant la même tâche incitent à une grande prudence
dans l’interprétation des performances latérales en termes de compé-
tences des hémisphères. En particulier, les compétences lexicales de
l’hémisphère droit sont probablement souvent sous-évaluées chez le
sujet normal parce que mises à l’épreuve dans des conditions défavo-
rables à leur expression. L’impact du niveau d’activité hémisphérique
et de l’équilibre d’activation entre les hémisphères sur l’expression des
capacités lexicales de l’HD reste malheureusement insuffisamment pris
en compte dans l’étude des troubles du langage, qu’ils surviennent
après lésion de l’hémisphère droit ou de l’hémisphère gauche.

3.4.2 Coopération ou division des traitements


entre les hémisphères
La logique générale est de présenter simultanément le matériel de la
tâche dans les deux hémichamps mais deux voies différentes sont
empruntées selon les phénomènes visés : la stimulation bilatérale
redondante permet de rechercher les signes d’une coopération entre les
hémisphères ; la stimulation bilatérale non redondante vise, quant à
elle, à comprendre comment le partage inter-hémisphérique des traite-
ments cognitifs peut optimiser la performance.
– La présentation simultanée de deux copies du même stimulus
visuoverbal une fois à droite une fois à gauche du point de fixa-
tion du sujet adresse la même information en même temps aux
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

deux hémisphères, et la comparaison de cette stimulation bilaté-


rale redondante aux stimulations unilatérales (cvg ou cvd) permet
de rechercher des signes de coopération inter-hémisphérique dans
l’accès lexical. La décision lexicale est à la fois plus rapide et plus
exacte lorsque la même chaîne de lettres est présentée en même
temps à droite et à gauche du point de fixation que lorsqu’elle
est présentée dans l’hémichamp qui permet les meilleures per-
formances, habituellement le champ visuel droit chez les sujets
droitiers. Cet avantage de la stimulation bilatérale redondante
(« avantage bilatéral ») est d’une part spécifique aux mots (c’est-à-
dire qu’il n’est pas mis en évidence pour les non-mots) et d’autre
part n’est pas retrouvé chez un patient commissurotomisé. Ceci
94 Manuel de neuropsychologie

amène à privilégier une explication en termes de coopération (plu-


tôt que de compétition) entre les hémisphères : 1. les substantifs
à référent concret, parce qu’ils ont été acquis dans un contexte
plurisensoriel, sont sous-tendus par des assemblées de neurones
largement distribuées entre les hémisphères ; 2. la représentation
correspondante sera plus facilement et rapidement activée lorsque
les deux composantes hémisphériques droite et gauche de l’assem-
blée transcorticale de neurones sont stimulées par un mot en
entrée ; 3. l’avantage bilatéral en décision lexicale résulterait d’une
coopération inter-hémisphérique qui n’est possible que pour les
stimuli représentés à long terme dans le lexique et qui sont inscrits
dans des assemblées de neurones transcorticales. Cette coopéra-
tion repose sur le corps calleux (voir Pulvermüller, 2001, pour cette
conception de la représentation corticale du lexique).
– Un autre éclairage est porté sur les interactions hémisphériques
par Marie Banich : la stimulation bilatérale, cette fois-ci non redon-
dante (c’est-à-dire avec présentation simultanée de stimuli diffé-
rents à droite et à gauche) est utilisée pour comprendre comment
les traitements sont répartis entre les hémisphères en fonction de
la difficulté de la tâche, définie à la fois par la complexité des trai-
tements (charge cognitive) et la demande attentionnelle (charge
perceptive). La tâche classique consiste à décider si, parmi 3 lettres
présentées autour du point de fixation, 2 sont identiques (par
exemple sur le plan physique : [aa] : oui versus [aA] : non) ; les lettres
sont affichées de part et d’autre du point de fixation de façon telle
que dans certains essais les deux items critiques pour la décision
sont adressés l’un à l’HD, l’autre à l’HG, tandis que dans d’autres
essais, les deux items sont adressés à un seul hémisphère (le gauche
ou le droit). Les résultats indiquent que la division des entrées entre
les hémisphères devient avantageuse pour des tâches relativement
complexes (par exemple décider de l’identité sémantique entre
2 lettres), par rapport à des tâches plus simples (décider si 2 lettres
sont identiques du point de vue perceptif). Ainsi, la charge cogni-
tive et/ou la demande attentionnelle constituent deux détermi-
nants importants de la façon dont les hémisphères se répartissent
les traitements requis par la tâche. Le partage des traitements entre
les hémisphères permettrait d’optimiser la performance lorsque la
complexité des tâches s’accroît. L’interaction inter-hémisphérique
constitue un mécanisme flexible et adaptatif dont le rôle dans la
réalisation de la tâche change de façon dynamique en fonction des
demandes de traitement (Weissman et Banich, 2000).
Les méthodes de la neuropsychologie 95

3.4.3 Vers une approche plus écologique


La présentation brève d’une stimulation latéralisée mais cette fois-ci au
sein d’une configuration qui fait du sens donne accès à l’engagement
des hémisphères dans des conditions plus proches de ce qui se passe
hors des situations expérimentales. En effet, les expériences décrites jus-
qu’ici utilisent des items très simples (e.g. mots, dessins d’objets, figures
géométriques, etc.) et isolés, privés du contexte que peut constituer un
texte ou une scène visuelle. Cette exposition d’items isolés, seulement
unilatérale ou bien bilatérale mais redondante, ne permet pas la consti-
tution d’une configuration globale. Cette intégration en une configu-
ration, dotée d’une signification unitaire qui dérive de ses différentes
composantes physiques et sémantiques, ainsi que de la façon dont elles
sont organisées dans la scène visuelle, est pourtant indispensable pour
donner un sens à notre environnement visuel. Pour réduire le fossé
entre laboratoire et vie quotidienne, des travaux récents en champ
visuel divisé (Spotorno et Faure, 2011a) présentent des scènes visuelles
complexes, figurant des interactions et des événements sociaux (par
exemple, une jeune fille qui fait ses courses), pour un temps inférieur
à 200 ms et en vision centrale. La tâche du sujet est de détecter un
changement entre une première image et une seconde : un objet qui
est présent dans le champ visuel gauche ou dans le droit, tout en étant
normalement intégré dans la scène, peut être utilisé pour réaliser le
changement ; par exemple, il peut disparaître dans la 2e image. Cette
procédure respecte, à la fois, les contraintes temporelles et spatiales de
la tachistoscopie latéralisée et la nécessité d’un partage des informa-
tions entre les hémisphères pour la construction de la configuration
globale, physique et sémantique de la scène, d’une façon proche de ce
qui se passe dans la vie quotidienne. Ce paradigme original est sensible
aux asymétries hémisphériques fonctionnelles, montrant dans certaines
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

conditions une supériorité de l’HD pour le traitement rapide des scènes


visuelles (voir encadré 14, p. 96).

3.4.4 Perspectives : confronter les approches


Les méthodes présentées ici donnent accès, certes essentiellement sur la
dimension gauche-droite, aux substrats cérébraux des activités cognitives
à partir de l’étude de sujets normaux et de l’analyse d’indices compor-
tementaux. Ces données peuvent être confrontées à celles de la neuro-
imagerie et de la pathologie, et depuis peu aux résultats des méthodes
par stimulation cérébrale (section 5 de ce chapitre). Ceci constitue une
des voies possibles pour tester « l’obtention d’inférences parallèles »
96 Manuel de neuropsychologie

dont Shallice souligne l’importance (1995, p. 211). Le domaine de la


latéralisation fonctionnelle des circuits cérébraux qui nous permettent
de détecter un changement survenant dans l’environnement visuel
illustre cette possibilité d’enseignements robustes obtenus en confron-
tant des approches dont les logiques sont très différentes. La neuro-
imagerie montre des activations cérébrales latéralisées à droite pendant
des tâches de détection du changement, sans pouvoir établir forcément
le caractère causal ni la nature précise de l’implication des aires activées.
L’analyse conjointe des conséquences des lésions unilatérales droites et
des désactivations réversibles du cortex droit obtenues par neurostimu-
lation chez le sujet sain indique, elle, que les réseaux hémisphériques
droits contribuent effectivement à la détection du changement. Enfin,
les études en champ visuel divisé aident à mieux saisir « comment »
l’hémisphère droit contribue à ces traitements. Avec la manipulation
expérimentale rigoureuse de facteurs liés au stimulus (sur les versants
physique et sémantique) et des paramètres temporels (temps d’expo-
sition des stimuli, Stimulus Onset Asynchrony ou SOA), elles apportent
des informations sur les processus élémentaires requis par l’activité
(attentionnels, mnésiques, etc.) et le décours temporel de l’interven-
tion des hémisphères (Spotorno et Faure, 2011b).

Encadré 14
Perception consciente du changement visuel et hémisphères cérébraux
(Sara Spotorno)
La détection du changement (ou change detection, cf. Rensink, 2002) renvoie
à la perception consciente des modifications survenant dans l’environne-
ment. Toutefois, si les signaux transitoires (e.g. les variations de luminosité)
qui sont normalement associés à ces modifications sont perturbés, l’atten-
tion n’est pas « capturée » mais doit être focalisée volontairement sur le
changement. Dans ce cas, les performances sont souvent faibles, même
si les modifications sont attendues, amples et répétées. Cette cécité fonc-
tionnelle au changement, ou change blindness, implique une contribution
insuffisante des représentations visuelles à la perception consciente, que ce
soit dû à un problème d’allocation de l’attention ou aux limites des capaci-
tés mnésiques (cf. Spotorno et Faure, 2011a). Le phénomène peut survenir
pour une grande variété de stimuli, allant d’objets très simples à des scènes
complexes et dynamiques, et de modifications, comme l’ajout, l’élimination,
la substitution, le déplacement d’un objet, ou encore le changement de ses
propriétés physiques (e.g. la couleur). Différentes techniques sont utilisées
pour perturber les signaux transitoires. Le plus fréquemment, le changement
À
Les méthodes de la neuropsychologie 97

Â
est réalisé pendant une saccade oculaire ou l’intervalle temporel entre deux
images, pour interrompre la continuité de la modification. On peut distinguer
(figure 1) les méthodes flicker (plusieurs cycles d’images et de changements
par essai jusqu’à la réponse ou une limite temporelle fixée) et one-shot (un
seul cycle d’image et de changement).

Figure 1 – Schéma des méthodes flicker (a) et one-shot


(b) (d’après Spotorno et Faure, 2011b)
Exemple d’ajout latéralisé d’un objet
Dans la version one-shot, suivant les principes de la présentation en champ
visuel divisé (cf. chapitre 2, section 3), l’information relative au changement
peut être d’abord reçue seulement par l’hémisphère controlatéral
à l’hémichamp visuel où la modification est réalisée.

Nous avons adapté le paradigme one-shot pour explorer les contributions


respectives des hémisphères cérébraux (Spotorno et Faure, 2011b). L’infor-
mation concernant le changement est délivrée de façon sélective à un seul
hémisphère, par exemple en ajoutant un objet dans la moitié droite ou
gauche de la scène, comme le montre la figure 1. L’organisation visuospatiale
et sémantique globale de la scène et la nécessité d’une coopération inter-
hémisphérique pour l’intégration des informations sont ainsi maintenues,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

comme dans la vie de tous les jours.


L’exploration des asymétries hémisphériques se fait dans le cadre d’un débat
qui met en présence deux perspectives théoriques. Selon un des points de
vue, les représentations incluraient à chaque instant des informations très
limitées et nécessaires à la tâche en cours. Cette perspective insiste donc
sur le rôle crucial de l’allocation de l’attention pour la sélection et l’enco-
dage de l’information. Une autre approche suggère, au contraire, que les
représentations peuvent être riches et détaillées, avec des contributions de
la mémoire à court et à long termes. La cécité au changement serait alors
due à l’impossibilité de comparer les traces mentales pré/postmodification,
à cause de leur séparation rigide, d’une surimpression, de difficultés d’accès,
ou, encore, d’un format non utilisable.
À
98 Manuel de neuropsychologie

Â
Plusieurs études soulignent une contribution dominante de l’hémisphère
droit à la détection du changement visuel. Les résultats de la neuro-imagerie
et de l’analyse des dysfonctionnements temporaires (e.g. stimulation magné-
tique transcrânienne, cf. chapitre 2, section 5) ou chroniques (lésions céré-
brales unilatérales) montrent l’engagement de plusieurs aires organisées en
réseau et dotées de fonctions spécifiques. Deux régions cruciales ont été
particulièrement étudiées (figure 2). Le recrutement du cortex pariétal pos-
térieur droit serait plutôt lié à l’orientation de l’attention dans l’espace visuel
et à l’encodage de la scène originale. Le cortex dorsolatéral préfrontal droit
sous-tendrait, pour sa part, l’élaboration, le maintien et la mise à jour des
représentations relatives à l’identité des objets et à leurs positions, tout au
long des traitements qui permettent in fine la détection du changement.
Les recherches ont donc mis en évidence une implication pariétale posté-
rieure plus précoce et circonscrite que celle préfrontale. Ces différences de
recrutement selon la dynamique temporelle modulent aussi l’engagement
des hémisphères cérébraux et, par conséquent, le patron de supériorité
fonctionnelle inféré à partir des asymétries de performances latérales dans
les études en champ visuel divisé. En particulier, la manipulation de la durée
de l’intervalle entre les scènes originale et modifiée montre que la domi-
nance fonctionnelle de l’hémisphère droit concerne principalement les inter-
valles courts (jusqu’à 100 ms ; Spotorno et Faure, 2011c). Cela suggère que les
régions ventrales droites, qui contrôlent l’orientation attentionnelle rapide,
plutôt automatique et dépendante des propriétés des stimuli, auraient elles
aussi un rôle important dans la détection du changement visuel. L’allongement
du temps de traitement de la scène originale permettrait, en outre, une
contribution plus efficace de l’hémisphère gauche, grâce à la mise en place
de stratégies de traitement de type verbal.

Cortex pariétal postérieur Cortex dorsolatéral préfrontal


Aire de Brodmann 7 Aires de Brodmann 9, 46

Figure 2 – Schéma de la face externe de l’hémisphère droit, avec délimita-


tion des aires de Brodmann (encadré 4, p. 27) et indication des principales
régions montrant une supériorité fonctionnelle relative dans la détection
du changement visuel par rapport aux régions homologues gauches
À
Les méthodes de la neuropsychologie 99

Â
Tout indique ainsi que les deux hémisphères de notre cerveau contribuent
de façon unique mais complémentaire à la conscience du changement visuel.
L’enjeu des développements à venir de ce domaine récent est de comprendre
comment ces contributions fonctionnelles différentes et complémentaires
sont intégrées dans l’appréhension de l’environnement visuel (encadré 11,
p. 80), une activité au moins aussi omniprésente et fondamentale que la
communication verbale.

En résumé, fondées sur l’analyse d’indices comportementaux, les


recherches en champ divisé chez le sujet normal ont une place spé-
cifique en neuropsychologie. D’une part, elles permettent de mesurer
finement l’efficacité des traitements hémisphériques, et de distinguer
leurs implications pour des processus élémentaires au sein d’activi-
tés complexes par la manipulation expérimentale de facteurs. D’autre
part, elles constituent une voie privilégiée pour à la fois distinguer les
divers modes de relation entre les hémisphères, de l’isolement inter-
hémisphérique au mode coopératif, et étudier les facteurs qui déter-
minent le passage de l’un à l’autre.

4. Les méthodes d’imagerie fonctionnelle


cérébrale

Nous avons mentionné, dans le premier chapitre, l’importance des


méthodes d’imagerie morphologique et fonctionnelle dans l’évolution
récente des connaissances en neuropsychologie.
Pour bien comprendre les contributions de l’imagerie fonction-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

nelle cérébrale à la connaissance des substrats neuro-anatomiques de


la cognition humaine, il convient de s’arrêter dans un premier temps
sur les différentes méthodes. Deux types de méthodes d’imagerie céré-
brale fonctionnelle peuvent être distingués : d’une part les méthodes
électroencéphalographiques et magnétoencéphalographiques qui,
schématiquement, présentent une résolution temporelle précise (de
l’ordre de la milliseconde) mais une résolution spatiale imprécise et,
d’autre part, les méthodes isotopiques comme la tomographie par
émission de positons (TEP), qui présentent les caractéristiques inverses.
L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) bénéficie
aujourd’hui de méthodes dites événementielles qui permettent d’enre-
gistrer l’activité cérébrale pendant le traitement d’un item (de l’ordre
100 Manuel de neuropsychologie

d’une seconde). Ces méthodes sont particulièrement adaptées pour les


paradigmes d’activation chez le sujet sain, comme chez les patients,
d’autant plus qu’elles permettent la répétition des mesures.

4.1 Les méthodes électroencéphalographiques


et magnétoencéphalographiques
L’activité électrique cérébrale a été mise en évidence pour la première
fois chez l’homme par H. Berger. L’électroencéphalographie permet
de caractériser différents troubles neurologiques ou psychiatriques.
Le principe d’acquisition des signaux électroencéphalographiques, à
l’aide d’électrodes, est le même quelle que soit la méthode utilisée. En
revanche, il existe différentes méthodes de quantification de ce signal :
l’électroencéphalographie quantitative (ou EEG quantitative), les poten-
tiels évoqués (PE ou ERP pour Event Related Potentials) et l’Event Related
Desynchronization (ERD). Ces méthodes diffèrent sur plusieurs points :
la méthode de quantification (paramètres étudiés), la résolution tempo-
relle et l’existence d’une correspondance connue entre les variations de
l’activité électrique cérébrale et des activations neuronales.
L’EEG quantitative vise à mesurer les fluctuations spontanées de
l’activité électrique cérébrale, par décomposition spectrale. Elle est uti-
lisée notamment en épileptologie, pour l’étude du sommeil et de ses
troubles, les mesures de vigilance, et en psychopharmacologie. L’EEG
quantitative utilise différentes méthodes de calcul afin d’extraire des
paramètres susceptibles de rendre compte des fluctuations de l’activité
électrique cérébrale. Ces paramètres sont fonction de la bande de fré-
quence considérée et sont sensibles à différents facteurs expérimentaux.
Les applications de cette méthode aux neurosciences cognitives restent
limitées. En revanche, d’autres méthodes de quantification du signal
EEG, comme les potentiels évoqués et l’ERD, ont été développées afin de
caractériser la réponse du système nerveux central à une stimulation.
Les fluctuations de l’activité électrique cérébrale spontanée, telles
qu’elles sont mesurées par les méthodes électroencéphalographiques,
reflètent l’association d’un bruit de fond et de la réponse électro-
physiologique spécifique à une stimulation sensorielle ou cognitive.
La méthode des potentiels évoqués vise à extraire cette réponse du
signal bruité par un moyennage des réponses à plusieurs stimulations
identiques. Le plus souvent, un potentiel évoqué est représenté, après
Les méthodes de la neuropsychologie 101

moyennage, sous forme graphique dont l’ordonnée est exprimée en


microvolts et l’abscisse en millisecondes. L’origine de l’axe des abs-
cisses correspond au début de la stimulation, et l’abscisse est le délai
d’apparition ou « temps de latence » du pic de potentiel par rapport
à la stimulation. L’axe des ordonnées est séparé par une ligne corres-
pondant à 0 microvolt, qui rend compte des variations de l’ampli-
tude des potentiels. On distingue ainsi des potentiels positifs (P) et
négatifs (N). Le chiffre qui suit ces lettres désigne le temps de latence
moyen de ce potentiel (N 400, P 300, etc.). La résolution temporelle
de cette méthode est excellente puisqu’elle est seulement limitée par
la fréquence d’échantillonnage. Deux types de potentiels évoqués sont
décrits : les potentiels sensoriels ou « exogènes » (liés directement aux
propriétés de la stimulation), et les potentiels cognitifs dits « endo-
gènes ». Les composantes cognitives sont le plus souvent tardives (avec
l’apparition d’un potentiel évoqué à 100 ms après le début de la sti-
mulation). Cependant, la distinction entre composantes exogènes et
endogènes est parfois difficile à effectuer, les potentiels cognitifs pou-
vant se superposer aux potentiels exogènes.
La méthode de mesure des potentiels évoqués (PEs) est la plus uti-
lisée parmi les méthodes électrophysiologiques actuelles. En neuro-
psychologie, sa contribution est essentielle dans la compréhension
des mécanismes neurophysiologiques de différents troubles perceptifs.
Cette méthode est également très utilisée dans des recherches en neu-
rosciences cognitives portant sur des sujets sains (voir encadrés 15 et
16, p. 102 et 103). À partir du signal EEG brut enregistré au niveau du
scalp, cette technique permet d’extraire de l’activité spontanée non liée
à la tâche l’activité évoquée par des processus spécifiques que l’on sou-
haite étudier, par exemple les processus mnésiques. Les PEs sont obte-
nus grâce au moyennage de l’activité EEG mesurée pendant la tâche
d’intérêt. Grâce à leur excellente résolution temporelle, ils apportent
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

des informations précieuses sur la nature et le déroulement des proces-


sus mnésiques. Cette technique permet également de révéler l’existence
de modifications ou de réorganisations que le comportement ne permet
pas de mettre en évidence : ainsi, le ralentissement de certains proces-
sus n’entraîne pas toujours un allongement des temps de réponse et le
recrutement d’un plus grand nombre de régions cérébrales ne s’accom-
pagne pas nécessairement d’une modification des performances. La
complémentarité des données comportementales et électrophysiolo-
giques permet donc d’enrichir notre compréhension du fonctionne-
ment cognitif.
102 Manuel de neuropsychologie

Encadré 15
Électroencéphalographie et cognition (Patrice Clochon)
Dans le vieillissement normal, les performances en mémoire épisodique éva-
luées à l’aide de tâches de reconnaissance restent préservées jusqu’à un âge
avancé. Cependant, comme cela a été montré dans certaines études, des
modifications de l’activité cérébrale peuvent apparaître bien avant que les
premières diminutions de performances ne soient observées. Par ailleurs,
plusieurs processus contribuent à la performance en reconnaissance : la
familiarité, la recollection et des processus de contrôle, ayant lieu après la
récupération elle-même. Les études de potentiels évoqués permettent de
mettre en évidence les corrélats électrophysiologiques de ces trois proces-
sus. L’objectif de l’étude réalisée par Guillaume et al. (2009a) était de préciser
l’âge d’apparition des premières modifications cérébrales et comportemen-
tales. L’activité électroencéphalographique (EEG) a été enregistrée chez
13 sujets jeunes (20-30 ans ; m = 24), 13 sujets d’âge intermédiaire (50-64 ans ;
m = 58) et 12 sujets âgés (65-75 ans ; m = 70) pendant qu’ils réalisaient une
tâche de reconnaissance constituée de visages célèbres. Lors de l’encodage,
incident, un traitement sémantique était effectué (dire si la personne est un
acteur ou non). En phase de récupération, le paradigme remember/know/
guess, permettant d’évaluer les processus de recollection et de familiarité,
était proposé.
Frontal tardif Pariétal
Jeunes

Age
intermédiaire

Agés

Old New
À
Les méthodes de la neuropsychologie 103

Â
Alors que la performance n’est pas modifiée avant 65 ans, des changements
de l’activité cérébrale apparaissent dès 50 ans. Les effets old/new pariétal
entre 500 et 800 ms et frontal tardif entre 800 et 1 000 ms (corrélats électro-
physiologiques de la recollection et des processus de contrôles respective-
ment) sont les premiers à être affectés et la réduction de leur amplitude est
corrélée avec l’avancée en âge. En revanche, l’effet frontal précoce (entre
300 et 650 ms, corrélat de la familiarité) n’est pas modifié avant 65 ans.
Ces résultats montrent bien tout l’intérêt de la méthode des potentiels évo-
qués pour la mise en évidence de modifications liées à l’âge qui sont diffi-
ciles à objectiver sur le plan comportemental et leur compréhension : ici, le
contraste entre processus contrôlés sensibles aux effets de l’âge et proces-
sus automatiques, préservés.

Encadré 16
Cerveau, langage et musique (Mireille Besson)
Quels sont les mécanismes neurophysiologiques impliqués dans la compré-
hension du langage ? Dans quelle mesure ces mécanismes sont-ils similaires
à ceux impliqués dans la perception de la musique ? Afin de répondre à ces
questions, nous utilisons la méthode des potentiels évoqués, qui offre une
excellente résolution temporelle et qui permet de déterminer dans quelle
mesure deux processus sont similaires ou différents, en étudiant les caracté-
ristiques de leur signature sur le scalp.
En 1980, Marta Kutas et Steven Hillyard ont démontré que la présentation
d’un mot qui n’est pas attendu dans le contexte d’une phrase, tel le mot
« narines » » dans la phrase « il porte sa fille dans ses narines » suscite l’occur-
rence d’une variation négative (N) du potentiel cortical qui atteint son maxi-
mum d’amplitude 400 millisecondes environ après la présentation du mot
inattendu : la composante N400 (voir figure 1). Les résultats de nombreux
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

travaux (cf. Besson et al., 2004, pour une revue) permettent de penser que
la composante N400 reflèterait les processus d’intégration sémantique :
moins un mot est attendu dans un contexte linguistique particulier, plus
ample est cette composante.
Afin de tester la spécificité linguistique de la composante N400, nous avons
présenté des phrases musicales, extraites d’air familiers (un extrait des
Quatre saisons de Vivaldi), et terminées par la note juste, par une note peu
attendue en fonction de la tonalité de la phrase musicale (diatonique), ou
par une fausse note (non-diatonique), hors de la tonalité (Besson et Faïta,
1995). Les résultats montrent que la présentation d’une fausse note ne sus-
cite pas l’occurrence d’une composante N400, mais d’une composante posi-
tive dont le maximum d’amplitude se situe 600 millisecondes environ après
À
104 Manuel de neuropsychologie

Â
le début de la fausse note, et dénommée P600 (cf. figure 1). Ainsi, la compo-
sante N400 serait spécifique du traitement sémantique. Les mécanismes
impliqués dans la compréhension d’un mot seraient donc qualitativement
différents de ceux impliqués dans la perception d’une fausse note.
Nous avons ensuite approfondi ces résultats en utilisant un matériel qui offre
une combinaison parfaite du langage et de la musique : l’opéra (Besson et al.,
1998). Nous avons répertorié 200 extraits d’opéra français, que nous avons
demandé à une chanteuse de chanter a capella (sans accompagnement
instrumental). Chaque extrait était présenté dans l’une des quatre condi-
tions expérimentales suivantes : 1) le dernier mot était sémantiquement
congruent et chanté juste ; 2) sémantiquement incongru et chanté juste ; 3)
sémantiquement congruent et chanté faux et 4) sémantiquement incongru
et chanté faux. Ces extraits étaient présentés à des musiciens profession-
nels de l’opéra de Marseille (cf. figure 2).
Les résultats montrent que la présentation d’un mot sémantiquement
incongru dans le contexte linguistique suscite l’occurrence d’une compo-
sante N400 (figure 2A). En revanche, un mot sémantiquement congruent
chanté faux est associé à une composante P600 (figure 2B). Le résultat le
plus intéressant est obtenu dans la condition de double incongruité : lorsque
le mot est sémantiquement incongru et chanté faux, on observe succes-
sivement une composante N400 et une composante P600 (figure 2C).
Il est important de noter que l’effet observé dans la condition de double
incongruité est égal à la somme des effets enregistrés dans les deux condi-
tions de simple incongruité (sémantique ou harmonique). Un modèle addi-
tif des traitements sémantique et harmonique rend donc très bien compte
des résultats obtenus, qui permettent ainsi de démontrer que les aspects
sémantiques du langage seraient traités indépendamment des aspects har-
moniques de la musique.

À
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Â
Les méthodes de la neuropsychologie
105
106 Manuel de neuropsychologie

L’Event Related Desynchronization (ERD) est caractérisé par une


résolution temporelle qui permet de suivre le décours temporel des
modifications électroencéphalographiques, et ainsi de distinguer les
différentes étapes impliquées dans le processus étudié. De plus, cette
méthode intègre une normalisation en pourcentage des variations
électroencéphalographiques par rapport à une ligne de base : des désyn-
chronisations et des synchronisations qui correspondent respectivement
à des activations et à des désactivations.
La magnétoencéphalographie n’est pas, à proprement parler, une
technique électrophysiologique mais permet de mesurer la faible activité
magnétique qui est couplée à l’activité électroencéphalographique. Cette
activité est recueillie à l’aide de capteurs magnétiques supraconducteurs.
L’association de la magnétoencéphalographie avec l’électroencéphalo-
graphie améliore la localisation spatiale des dipôles. Le générateur de
l’activité recueillie en surface étant assimilé à un dipôle de courant équi-
valent, il est ainsi possible de calculer la position de ce dipôle de façon
à reproduire au mieux l’activité magnétique recueillie en surface. Cette
technique apporte donc une information spatiale de façon indirecte.
Elle permet de détecter des indices complémentaires à l’électroencé-
phalographie. La magnétoencéphalographie jouera un rôle important
dans les années qui viennent dans les recherches en neuropsychologie
et en neurosciences cognitives.
Enfin, deux techniques de stimulation corticale sont utilisées en
électrophysiologie. Leur principe est de provoquer une inactivation
transitoire du fonctionnement de la zone stimulée. La première, la sti-
mulation électrique peropératoire, est réservée aux patients bénéficiant
de certaines interventions neurochirurgicales. La deuxième technique,
la stimulation magnétique transcrânienne, utilise un champ magné-
tique intense qui induit dans le cerveau un champ électrique suffisam-
ment élevé pour activer les neurones du cortex sous-jacent. Elle permet
d’obtenir une stimulation focalisée sur une zone de quelques milli-
mètres (voir section 5 de ce chapitre).

4.2 La tomographie par émission de positons


et l’IRM fonctionnelle
4.2.1 Principe de la TEP
La Tomographie par Émission de Positons (TEP) permet de visualiser et
de quantifier, dans un organe vivant, la répartition d’un radiotraceur
Les méthodes de la neuropsychologie 107

émetteur de positons. Le positon est un anti-électron qui est émis lors


de la désintégration nucléaire de certaines classes de radioéléments.
Après un bref trajet (1 à 2 mm) dans le tissu biologique, le positon
s’annihile avec un électron en émettant 2 photons de direction oppo-
sée. Le principe de la TEP est de déceler exclusivement les deux pho-
tons gamma d’annihilation, d’identifier leur parcours et de reconstruire
sous forme d’image la distribution de la radioactivité, permettant de
localiser la molécule marquée et d’en mesurer la concentration tissu-
laire locale. La détection de ces photons est effectuée par des capteurs
situés de part et d’autre du champ de la caméra et qui n’enregistrent
un événement que lorsque deux photons sont détectés simultané-
ment dans deux capteurs opposés. Un ensemble de détecteurs placés
en couronne permet de recueillir les données brutes utilisées par un
ordinateur pour la reconstruction des images selon un procédé sem-
blable à celui de la tomodensitométrie. Les systèmes TEP actuels sont
capables d’enregistrer simultanément plusieurs coupes cérébrales ou
même tout le volume cérébral, d’obtenir des images séquentielles à des
intervalles de quelques secondes et d’atteindre des résolutions spatiales
inférieures à 2 mm. Les images ainsi recueillies en TEP contiennent
dans chaque voxel le nombre de désintégrations observées en un laps
de temps donné et donc la concentration du radiotraceur dans cette
unité volumique. Le grand intérêt de la TEP est que les radioéléments
utilisables sont des isotopes des éléments constitutifs de la matière bio-
logique, comme l’oxygène (O) ou le carbone (C), ou d’éléments éven-
tuellement intégrables dans une molécule biologique, comme le fluor
(F). Ces isotopes ont des demi-vies très courtes (2 minutes pour le 15O,
20 minutes pour le 11C), impliquant leur production sur place avec
un cyclotron et leur intégration rapide dans les traceurs biologiques,
sauf pour le 18F dont la demi-vie est de 110 minutes et qui peut donc
être produit sur des sites à distance. Les traceurs les plus couramment
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utilisés sont H2O, CO2, O2 marqués à l’15O et des dérivés de certaines


substances comme le désoxyglucose avec le 18F. Plus récemment des
traceurs des dépôts amyloïdes sont également apparus, marqués au 11C
ou au 18F.
La TEP permet ainsi d’accéder au métabolisme cérébral du glucose
dans des conditions de repos avec le 18FDG. Cette mesure, utilisant un
radioisotope à la demi-vie longue, reflète donc une consommation céré-
brale moyenne de glucose sur environ une heure chez des sujets ne
recevant, le plus souvent, aucune consigne particulière si ce n’est de
rester éveillé.
108 Manuel de neuropsychologie

Une autre utilisation de la TEP est la méthode des activations, qui


consistent en des mesures d’indices de l’activité cérébrale au cours de
différentes tâches cognitives. Certaines sont considérées comme des
tâches « de référence », d’autres comme des tâches « expérimentales ».
Par hypothèse, un seul traitement cognitif diffère entre la tâche expéri-
mentale et la tâche de référence. Les indices recueillis lors de ces deux
mesures sont ensuite comparés : la différence entre les valeurs recueillies
lors de la tâche de référence et celles enregistrées lors de la tâche expé-
rimentale permet d’identifier les aires cérébrales impliquées dans un
traitement particulier. Ce type d’étude exige bien sûr de multiples pré-
cautions méthodologiques, et toutes ne peuvent être développées dans
cette section (localisation des différentes structures cérébrales, pro-
blèmes liés à la reconstruction des images, normalisation des données,
procédures statistiques). Au plan des paradigmes expérimentaux, une
difficulté concerne le choix de la tâche de référence. Dans beaucoup
d’études passées, celle-ci consistait en une mesure « au repos » : le sujet
éveillé est immobile, les yeux fermés et ne doit se livrer à aucune acti-
vité particulière pendant toute la durée de la mesure.
L’activité cognitive du sujet est en fait difficilement contrôlable lors
de ces mesures au repos et très éloignée de celle mise en jeu lors des
tâches expérimentales. Pour ces raisons, ce type de ligne de base a été
abandonné dans la plupart des études récentes, même si le recours à
des mesures au repos s’avère intéressant pour interpréter les résultats.
De plus, leur utilisation a permis de mettre en évidence un réseau
cérébral intitulé réseau par défaut, composé de structures plus actives
au repos que lors de tâches expérimentales. Le rôle de ce réseau reste
mal connu, mais il pourrait jouer celui de « sentinelle » ou de veille
diffuse, permettant la détection rapide des stimuli pertinents de
l’environnement. Ce réseau semble également sous-tendre les activi-
tés cognitives liées au self et à la mémoire autobiographique. Le réseau
par défaut doit se désactiver pour que d’autres structures soient impli-
quées efficacement dans les tâches (Mevel et al., 2010). La méthode
des activations en TEP n’est plus guère employée aujourd’hui, mais
reste intéressante dans des conditions particulières. Ainsi, le traite-
ment de sons ou de mélodies est plus facile dans ces conditions qu’en
IRM fonctionnelle, compte tenu du bruit engendré par les gradients
(voir encadré 17, p. 109).
Les méthodes de la neuropsychologie 109

Encadré 17
La méthode des activations en Tomographie par Émission de Positons
(TEP) : exemple de la perception et de la mémoire musicales (Hervé Platel)
Au moyen de la TEP, Platel et al. (2003) ont étudié les substrats neuronaux
sous-tendant les composantes sémantiques et épisodiques de la musique. Le
paradigme expérimental comprend 3 types de tâches d’activation (une séman-
tique, une épisodique, et une tâche contrôle perceptive), et deux mesures de
repos. Ces tâches ont été réalisées par 9 sujets sains, droitiers, non-musiciens,
possédant une culture généraliste et homogène de la musique.
Dans la tâche sémantique, le sujet doit répondre si chaque extrait présenté
lui paraît familier ou inconnu. La moitié des stimuli correspond à des mélo-
dies familières sélectionnées sur des critères statistiques (voir infra). Les
aspects épisodiques de la mémoire musicale sont étudiés à partir d’une
tâche de reconnaissance, la moitié des items (familier ou non-familier) ayant
déjà été présentée lors de la tâche sémantique. Afin de « gommer » l’activité
cérébrale produite par les traitements perceptifs, moteurs et les aspects
décisionnels liés au traitement des stimuli, deux tâches contrôles percep-
tives ont été proposées durant lesquelles les sujets devaient juger si les deux
dernières notes de mélodies familières ou inconnues étaient différentes.
Le matériel musical créé pour les épreuves présente les caractéristiques
suivantes. Ce sont 128 mélodies courtes sans orchestration, jouées par un
même timbre d’instrument (flûte traversière). Ces mélodies ont été extraites
du répertoire classique ou moderne, en excluant les chansons (de manière à
limiter les associations verbales). Soixante-quatre sont des mélodies « fami-
lières » (F), car « statistiquement » identifiables (ou très familières) avec plus
de 70 % de réussite pour une population témoin (N = 150) appariée avec la
population d’étude. Soixante-quatre sont des mélodies « non-familières »
(NF), car désignées à plus de 80 % comme inconnues par la même popula-
tion témoin. Chaque mélodie dure 5 secondes, avec un intervalle de réponse
inter-items de 3 secondes.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les mesures du débit sanguin cérébral régional ont été réalisées avec une
caméra TEP de haute résolution. Après réalignement et normalisation spa-
tiale des images, l’analyse statistique de groupe a été effectuée avec la
méthode SPM.
Comparées aux mesures de repos, les tâches contrôles perceptives suscitent
des activations particulièrement amples dans les régions temporales supé-
rieures (figure 1). Cette activité, nettement plus marquée dans l’hémisphère
droit, est conforme à la littérature montrant une supériorité des régions
temporales droites dans le traitement de la hauteur et de la mélodie.
Pour la mémoire sémantique, l’identification de mélodies familières, parmi
des mélodies inconnues, produit de vastes activations du cortex frontal
médian, ainsi que des activations spécifiques des régions temporales moyennes
À
110 Manuel de neuropsychologie

Â
et supérieures gauches (figure 2). Les activations médianes du cortex fron-
tal semblent signer le travail de catégorisation effectué par les sujets et ont
déjà été montrées dans des tâches sémantiques sur des mots et des visages.
L’activité des régions temporales gauches correspond à l’accès en mémoire
sémantique des mélodies. Pour la mémoire épisodique, la reconnaissance de
mélodies familières ou inconnues parmi des distracteurs entraîne des acti-
vations bilatérales (plus marquées à droite) des régions frontales moyennes
et supérieures, ainsi que du précunéus (figure 3). Ce pattern est conforme
à la littérature d’imagerie fonctionnelle sur la mémoire qui rapporte l’acti-
vité de ces régions lors de tâches de rappel en mémoire épisodique avec du
matériel verbal ou visuo-imagé. Ces résultats sont en accord avec le modèle
HERA proposé par Tulving et collaborateurs (1994), postulant une asymé-
trie fonctionnelle en faveur de l’hémisphère gauche pour la récupération
en mémoire sémantique, et de l’hémisphère droit pour la récupération en
mémoire épisodique (figure 4).

Figure 1 – Épreuves contrôles perceptives vs mesures au repos

Coupes transversales montrant une supériorité de l’activité cérébrale


dans les régions temporales supérieures de l’hémisphère droit,
lors de la détection de différences de hauteurs de mélodies familières
et inconnues. Les coupes sont présentées avec l’avant du cerveau vers
le haut (la gauche est à gauche) ; les traits horizontaux sur l’image
de droite correspondent aux plans de coupe des images
de gauche (présentées du bas vers le haut).

Figure 2 – Épreuves sémantiques vs épreuves contrôles perceptives

Coupes transversales montrant, lors du jugement de la familiarité


de mélodies, de vastes activations des régions temporales moyennes
antérieures de l’hémisphère gauche, associées à des activations
frontales médianes.
À
Les méthodes de la neuropsychologie 111

Figure 3 – Épreuves épisodiques vs épreuves contrôles perceptives

Coupes transversales montrant les régions cérébrales spécifiquement


impliquées lors de la reconnaissance épisodique des mélodies présentées
durant la tâche sémantique. Une dominance droite de l’activité cérébrale
peut être notée, impliquant en particulier les régions frontales moyennes
et supérieures, ainsi que des régions associatives visuelles (précunéus).

Figure 4 – Superposition et rendu de surface des résultats d’activation :


en rouge, mémoire sémantique musicale ;
en vert, mémoire épisodique musicale
Les régions cérébrales particulièrement actives lors de la tâche sémantique
musicale (en rouge), et lors de la tâche épisodique musicale (en vert), sont
projetées à la surface d’un modèle de cerveau afin d’en avoir une repré-
sentation synthétique, mais ne rendent pas compte de la profondeur des
régions impliquées. On notera la quasi-absence de superposition des deux
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

types de mémoire musicale, appuyant ainsi la proposition faite par Endel


Tulving de processus fonctionnels distincts entre les mémoires sémantique
et épisodique, quelle que soit la nature des informations à traiter
(verbales, visuospatiales, ou musicales).

4.2.2 Principe de l’IRMf


L’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf) est la
technique d’imagerie fonctionnelle actuellement privilégiée en neu-
rosciences cognitives pour explorer les liens entre cerveau et compor-
tement/cognition. Utilisée dès les années 1990, cette méthode d’étude
des activations cérébrales a rapidement supplanté la tomographie par
112 Manuel de neuropsychologie

émissions de positons (TEP), notamment du fait que c’est une méthode


non invasive qui n’implique pas l’injection d’isotope radioactif et parce
qu’elle possède une résolution spatiale et temporelle intrinsèque qui
offre des possibilités d’approches nouvelles. Cette technique permet
de cartographier, avec une résolution de quelques millimètres et en
quelques secondes, les modifications hémodynamiques secondaires
consécutives à l’activité synaptique engendrée par l’exécution d’une
activité mentale. Plusieurs paramètres peuvent être mesurés comme
indicateurs de cette activité cérébrale (volume et débit sanguin cérébral,
oxygénation sanguine, etc.). Les premières images par IRM du cerveau
humain en action (par stimulation du cortex visuel) ont été obtenues
par l’étude des variations fonctionnelles locales du volume sanguin
cérébral après injection de gadolinium. La méthode d’IRMf actuelle-
ment privilégiée exploite les propriétés magnétiques intrinsèques du
sang et est connue sous le nom de BOLD (pour Blood-Oxygen-Level-
Dependent, voir encadré 18).

Encadré 18
L’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf) :
principes et applications (Karine Lebreton)

Le signal BOLD
Le principe des études en IRMf est, sur le fond, identique à celle de l’IRM
classique : le sujet est placé dans un champ magnétique stable puis sont
appliquées, grâce à une antenne de radio-fréquence placée autour de la
tête du sujet, des séquences d’excitation/détection particulières des pro-
tons de l’eau qui permettent de cartographier les variations de signal de
certains paramètres extrinsèques tels que les temps de relaxation T1, T2 ou
T2*. Selon la séquence IRM utilisée et la contribution respective de l’un ou
l’autre de ces paramètres (on parle alors d’image pondérée), différents types
d’informations peuvent être obtenus : anatomique (image pondérée en T1
ou en densité de protons/T2) ou fonctionnelle (image pondérée en T2*).
Les mécanismes à l’origine des variations de l’intensité du signal des images
pondérées en T2* lors d’une activité cérébrale sont connus sous le nom de
contraste BOLD qui reflète principalement des variations de la pression par-
tielle en oxygène et donc des variations de concentrations respectives en
oxy- et désoxyhémoglobine (oxy- et désoxy-Hb) (cf. figure 1A). Lors d’une
tâche cognitive, l’absorption d’oxygène au niveau des capillaires cérébraux
transforme la molécule d’oxy-Hb en désoxy-Hb porteuse de deux électrons
ferreux non appariés qui lui confèrent des propriétés paramagnétiques et
engendrent une modification de champ magnétique local en son voisinage.
À
Les méthodes de la neuropsychologie 113

Â
Il en résulte une différence de susceptibilité magnétique des secteurs intra-
et extra-vasculaires qui est à l’origine du contraste BOLD. Contrairement à
ce qu’on pourrait penser, le niveau d’oxygénation du sang ne diminue pas
mais augmente. Ce phénomène d’hyperémie est dû à une augmentation du
flux sanguin qui excède largement les besoins en oxygène et qui, en consé-
quence, abaisse la concentration relative en désoxy-Hb. Cet effet BOLD se
traduit par des variations d’intensité du signal des images pondérées en T2* ;
ainsi lors d’une activité cérébrale, la concentration en désoxy-Hb diminuant,
la valeur de T2* des protons d’hydrogène des molécules d’eau augmentera
car il y aura moins d’inhomogénéités locales. L’allure temporelle du signal
BOLD (modélisée selon une Fonction de la Réponse Hémodynamique, HRF)
comporte schématiquement trois parties (cf. figure 1B). Après la stimulation
cognitive, apparaît parfois dans un premier temps une brève composante
« négative » (pendant environ 2 secondes) de faible amplitude et de latence
approximativement égale à 1 seconde (phénomène d’initial dip) qui corres-
pondrait à une diminution de la saturation en oxygène et pourrait refléter
une augmentation de la consommation d’oxygène pas encore compensée
par une augmentation du débit sanguin. Survient ensuite une composante
« positive » de longue durée (de 12 à 15 secondes) et de forte amplitude
(Peak) qui est la conséquence directe de l’hyperémie fonctionnelle. Finale-
ment, une nouvelle brève composante « négative » (d’une durée d’environ
4 secondes) et de faible amplitude (phénomène d’undershoot) apparaît,
celle-ci pourrait traduire le fait que le volume sanguin retrouverait sa valeur
basale plus lentement que l’oxygénation sanguine. Ainsi, le niveau de base
d’activité est de nouveau atteint entre 20 et 30 secondes après la stimulation.
La forme de cette réponse BOLD peut varier selon les régions et les individus
et la signification de ces différents événements hémodynamiques est encore
l’objet de débats d’une importance essentielle pour interpréter la source du
signal enregistré. De plus, elle peut s’additionner de manière approximative-
ment linéaire lorsque plusieurs événements (stimulations) se succèdent et
est relativement reproductible et stable pour une région donnée.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Afin de mesurer les variations du signal T2* dans le temps, un volume céré-
bral complet doit être acquis dans le temps le plus court possible (1,5 à
6 secondes selon les séquences et les imageurs), et ce, grâce à l’utilisation
d’une séquence d’acquisition ultrarapide appelée echo-planar (EPI, pour
Echo Planar Imaging) basée sur la commutation très rapide de gradients
(modifications) de champ magnétique qui permet la production d’échos
multiples d’un même signal. Au cours d’une série ou séquence d’acquisitions
(i.e. RUN), plusieurs volumes cérébraux seront ainsi acquis, chacun divisé
en voxel (i.e. « VOlumetric piXEL ») de taille variable selon les paramètres
d’acquisition. Les données recueillies font ensuite l’objet d’un ensemble de
traitements et d’analyses statistiques (par exemple à l’aide du logiciel SPM
pour Statistical Parametric Mapping) qui doivent être déterminés au préa-
lable et qui conditionnent l’élaboration du protocole.
À
114 Manuel de neuropsychologie

Figure 1 – Les différents événements hémodynamiques (A) consécutifs


à une activité cérébrale qui seraient principalement à l’origine
du signal BOLD (fonction de la réponse hémodynamique, B)
(cours SPM ; http://www.fil.ion.ucl.ac.uk/spm/)

Les protocoles expérimentaux


La possibilité de répéter l’acquisition de plusieurs volumes cérébraux
avec un intervalle très court (i.e. avec un temps de répétition (TR) de 2 à
3 secondes) confère à l’IRMf son excellente résolution temporelle. Il devient
alors possible d’analyser l’évolution hémodynamique en fonction de condi-
tions expérimentales uniques, rapides (quelques secondes) et fréquentes.
Deux types de paradigmes expérimentaux peuvent être mis en œuvre. Les
paradigmes de type « bloc » en IRMf exploitent le fait que lorsque la fré-
quence de stimulation est élevée et fixe, les réponses hémodynamiques
BOLD successives mesurées se superposent pour donner une augmentation
moyenne du signal qui améliore le rapport signal/bruit. Plusieurs conditions
expérimentales, définies par la répétition d’événements d’un même type,
peuvent ainsi se succéder au cours d’un RUN, se différenciant les unes des
autres par la ou les variables d’intérêt, à l’instar des paradigmes d’activation
employés en TEP (cf. figure 2a). Les activations détectées correspondent
aux différences statistiquement significatives entre les réponses moyennes
mesurées pendant chaque condition. La résolution temporelle inhérente
À
Les méthodes de la neuropsychologie 115

Â
à ces paradigmes est relativement faible (plusieurs dizaines de secondes)
comparée à la vitesse d’exécution des processus cognitifs. Au contraire,
les paradigmes dits « événementiels » (ER-fMRI, pour event-related fMRI)
tendent à se rapprocher de conditions plus écologiques et permettent un
dessin expérimental plus souple. Ils consistent en effet à traiter la réponse
hémodynamique associée à un seul événement (ou stimulus) et offrent
ainsi la possibilité de mélanger plusieurs types d’événements appartenant
à des conditions différentes au sein d’un même RUN. Les événements
peuvent être espacés soit par des intervalles longs et constants (entre
12 et 20 secondes), soit par des intervalles de durée variable et courte en
moyenne (cf. figures 2b et 2c). Quand l’intervalle est long, l’objectif est
la caractérisation de la réponse hémodynamique dans les régions activées,
sa latence, son amplitude et sa largeur. Les paradigmes utilisant des inter-
valles interstimuli réduits reposent sur les postulats de linéarité et de repro-
ductibilité de la réponse BOLD. Ils permettent la présentation d’un nombre
conséquent de stimuli qui améliore ainsi le rapport signal/bruit. Les atouts
majeurs des paradigmes événementiels résident dans la possibilité d’alter-
ner rapidement et aléatoirement des conditions expérimentales, puis de
traiter les réponses de façon indépendante, et donc de dresser une sélec-
tion post-hoc de celles-ci selon des critères comportementaux. L’IRMf de
type événementiel utilise les mêmes séquences que l’IRMf en bloc, mais les
paradigmes et les méthodes de traitements sont très spécifiques.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Figure 2 – Représentation schématique des paradigmes de type « bloc »


(a) et « événementiel » (b et c). Les traits verticaux indiquent les événe-
ments successifs (par exemple une stimulation visuelle). Dans le cas de
paradigmes en « bloc », les intervalles inter-stimuli sont constants et courts
(par exemple 2 secondes) et les événements ont lieu au sein d’une même
condition (A et B). Dans le cas des paradigmes « événementiels »,
les événements sont espacés soit par des intervalles longs et constants
(15 sec. dans l’exemple b), soit par des intervalles de durée variable
et courte en moyenne (4 sec. dans l’exemple c)
À
116 Manuel de neuropsychologie

Â
Exemple d’un paradigme événementiel
À l’aide d’un paradigme événementiel en IRMf, Gagnepain et al. (2010)
ont exploré le rôle de la mémoire perceptive (i.e. amorçage perceptif) lors
de l’encodage de mots entendus en mémoire épisodique. Le paradigme
comportait 3 phases (voir figure 3) dont seule la seconde était réalisée
pendant les acquisitions fonctionnelles. La 1re phase représentait la tâche
d’encodage en mémoire perceptive et consistait à décider le plus rapide-
ment possible si chaque mot entendu comportait le phonème qui le pré-
cédait ; les mots étaient présentés 3 fois. La 2e phase, proposée 24 heures
après la 1re, représentait à la fois la phase de récupération en mémoire
perceptive et la phase d’encodage en mémoire épisodique ; 240 combi-
naisons de phonèmes associés à un son (ex. bruit d’applaudissement)
étaient entendues par les sujets qui devaient décider le plus rapidement
possible s’ils correspondaient à des mots. La 3e phase représentait la
phase de récupération en mémoire épisodique et consistait en une tâche
de reconnaissance oui/non associée au paradigme Remember/Know/Guess
permettant d’évaluer la qualité subjective du souvenir : les sujets devaient
indiquer s’ils se souvenaient de l’association mot + son avec certitude et
avec un sentiment de reviviscence (réponse R), s’ils se rappelaient du mot
mais n’étaient pas certains du son associé induisant alors un sentiment
de familiarité (réponse K), s’ils doutaient avoir entendu ce mot et/ou ce
son (réponse G) ou enfin, s’ils n’avaient pas du tout entendu cette asso-
ciation. Les réponses des sujets étaient enregistrées à l’aide d’un boîtier
réponse.
Vingt-quatre hommes droitiers, âgés entre 20 et 30 ans, ont participé à
cette expérience. Les modifications du signal BOLD enregistrées pendant
la phase 2 du paradigme ont été obtenues à l’aide d’une séquence d’acqui-
sition ultrarapide echo-planar sur un imageur 3 Tesla Philips. Un seul RUN
a été réalisé au cours duquel 446 volumes fonctionnels ont été acquis (64
x 64 x 34 ; 3.5 x 3.5 x 3.5 mm3 ; champ de vue = 224 mm, temps d’écho = 35
millisecondes et temps de répétition = 2 200 millisecondes). Grâce au logiciel
E-prime et au système IFIS de synchronisation des stimulations avec l’acqui-
sition des données fonctionnelles, les 240 stimuli (mots étudiés en phase 1,
mots nouveaux et pseudo-mots) étaient délivrés dans un ordre aléatoire
avec un ISI (intervalle interstimuli) variant entre 3 600 et 4 400 millisecondes.
Des images structurales pondérées en T1 permettant une localisation pré-
cise des activations ont également été acquises. L’ensemble des données a
été traité et analysé à l’aide du logiciel SPM5. Des analyses individuelles pour
chaque sujet (fixed-effect model) puis sur l’ensemble du groupe (second-level
analysis) ont été conduites.
À
Les méthodes de la neuropsychologie 117

Figure 3 – Schéma du paradigme expérimental. La phase 1 (i.e. la phase


d’étude de l’épreuve d’amorçage perceptif) consistait à décider si les mots
entendus comportaient le phonème qui le précédait. La phase 2 (i.e. la
phase de test de l’épreuve d’amorçage) proposée 24 heures après la 1ère
était réalisée pendant l’acquisition des données fonctionnelles en un
seul RUN au cours duquel les 80 mots entendus la veille (i.e. mots cibles)
étaient mélangés dans un ordre aléatoire avec 80 mots nouveaux
(i.e. mots contrôles) et 80 pseudo-mots (ISI = 3600 à 4400 msec), chacun
de ces items étant délivré avec un son connu de l’environnement.
Les sujets devaient effectuer une tâche de décision lexicale. Lors de la phase
3, les sujets réalisaient une tâche de reconnaissance associée au paradigme
R/K/G portant sur les mots entendus lors de la phase 2
(mots cibles et contrôles) mélangés à de nouveaux.

Le paradigme mis en œuvre permet d’analyser les données comportemen-


tales et les modifications de l’activité cérébrale lors de la seconde phase en
catégorisant les items cibles et contrôles en fonction de la performance de
reconnaissance subséquente des sujets. La démarche employée permet de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

déterminer les régions cérébrales dont l’activité lors de l’encodage prédit la


qualité de la récupération, révélant ainsi les substrats cérébraux de l’enco-
dage d’une information contextualisée et l’impact de la mémoire perceptive
sur ces processus neuraux. Les résultats montrent que les mots préalable-
ment amorcés (i.e. qui sont traités plus rapidement lors de la tâche de déci-
sion lexicale) donnent lieu à plus de réponses R et moins d’oublis que les
items contrôles. Les données d’imagerie fonctionnelle montrent :
– que l’effet d’amorçage comportemental est associé à une réduction de
l’activité cérébrale dans le sillon temporal supérieur gauche (phénomène
de « répétition suppression ») ;
À
118 Manuel de neuropsychologie

Â
– que l’amplitude de la réponse hémodynamique dans l’hippocampe gauche
diminue pour les items amorcés et reconnus avec un souvenir contextualisé
(réponse R ; voir figure 4).
De plus, des analyses supplémentaires spécifiques révèlent que la
connectivité fonctionnelle effective entre ces deux régions est significative
uniquement pour les items amorcés et donnant lieu à une réponse R. Ainsi,
cette étude montre, grâce à la mise en œuvre d’un paradigme événemen-
tiel et des méthodes d’analyses qu’il offre, que la formation d’une trace
mnésique reposant sur l’association d’une information et de son contexte
de présentation dépend de l’hippocampe mais aussi de régions néocorti-
cales qui peuvent moduler l’activité de cette région clef.

Figure 4 – Résultats obtenus lors de l’analyse de groupe révélant :


1) une réduction de la réponse hémodynamique (RH) dans le sillon tempo-
ral supérieur gauche pour les items amorcés comparés aux items non amor-
cés, connue sous le nom de « repetition suppression » ; 2) une interaction
significative dans l’hippocampe gauche en fonction du type d’item et de
la réponse subséquente en reconnaissance : les mots amorcés et reconnus
ultérieurement avec leur contexte (réponses R) sont associés à une
diminution de l’activité cérébrale ; 3) une connectivité effective significa-
tive entre ces deux régions uniquement pour les items amorcés donnant
lieu à une réponse R (illustrée par la flèche rouge).

4.2.3 Résultats d’études en imagerie fonctionnelle chez le sujet sain

Les méthodes d’imagerie fonctionnelle cérébrale donnent lieu actuel-


lement à une profusion de travaux et ont apporté des résultats non
négligeables. Certains confortent les connaissances existantes, d’autres
apportent des résultats non attendus et ouvrent de nouvelles voies
de recherche. Par exemple, dans le domaine de la mémoire, une série
d’études a mis l’accent sur l’implication du cortex préfrontal et a postulé
Les méthodes de la neuropsychologie 119

un rôle différentiel des deux lobes frontaux. Le cortex préfrontal gauche


serait préférentiellement impliqué dans la récupération en mémoire
sémantique et dans l’encodage en mémoire épisodique, quelle que soit
la nature du matériel, tandis que le cortex préfrontal droit intervien-
drait dans la récupération en mémoire épisodique. Ce modèle, connu
sous l’acronyme HERA (pour Hemispheric Encoding Retrieval Asymmetry),
a été proposé par Tulving et ses collaborateurs en 1994 sur la base d’une
série d’études réalisées en TEP. Il a donné lieu à différents développe-
ments théoriques sur le rôle des lobes frontaux dans la mémoire épiso-
dique et sur le niveau de conscience qui lui est attaché (Desgranges et
al., 2003). Le modèle HERA a initialement suscité d’importantes polé-
miques parce qu’en insistant sur cette asymétrie hémisphérique liée
aux processus mnésiques, il semblait aller à l’encontre de l’asymétrie,
connue de longue date, déterminée par le type de matériel : le langage
est traité surtout par l’hémisphère gauche et les visages ou les dessins
abstraits, par le droit. Or les auteurs se revendiquant du modèle HERA
montraient des activations préférentielles du cortex frontal gauche lors
de l’encodage non seulement de matériel verbal, mais aussi de maté-
riel non verbal. Grâce à l’accumulation de données dans ce domaine, à
l’heure actuelle, on sait que l’asymétrie hémisphérique dépend de ces
deux dimensions et que les résultats des études dépendent largement de
la façon dont la question est posée et du protocole construit en consé-
quence. Ainsi, les auteurs qui contrastent les deux processus mnésiques,
l’encodage et la récupération, en maintenant constant le type de maté-
riel (exemple encodage de mots versus rappel de mots) trouvent des
données favorables au modèle HERA, tandis que ceux qui contrastent
du matériel verbal et du matériel non verbal pour un seul processus
(exemple encodage de mots versus encodage de visages) soulignent plu-
tôt l’asymétrie liée au type de matériel.
De nombreuses études ont également confirmé le rôle de la région
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

hippocampique dans des tâches impliquant la mémoire épisodique.


Les auteurs ont mis l’accent sur l’intervention de cette structure dans
différents processus mnésiques : la détection de la nouveauté, l’enco-
dage en mémoire épisodique ou encore la récupération des informa-
tions. Enfin, quelques résultats orientent plutôt vers un rôle composite
de l’hippocampe, selon son axe antéropostérieur (la partie antérieure
de l’hippocampe étant préférentiellement impliquée dans l’encodage
en mémoire épisodique, et la partie postérieure dans la récupération).
Cette idée a donné naissance au modèle HIPER (hippocampus encoding
retrieval) proposé par Lepage et ses collaborateurs en 1998. Le rôle clé
de l’hippocampe dans le fonctionnement de la mémoire épisodique a
120 Manuel de neuropsychologie

été très bien illustré par des travaux ayant cherché à identifier les struc-
tures essentielles à la mémorisation au sein de l’ensemble des structures
impliquées dans cette fonction. Ainsi, les paradigmes dits de mémoire
subséquente ont montré que le succès du rappel de l’information était
directement lié à l’activité de l’hippocampe : plus cette région est active
lors de l’encodage d’un mot, et plus ce mot a des chances d’être rap-
pelé ensuite. À l’heure actuelle, beaucoup de travaux s’orientent vers
la mise en évidence d’une spécialisation fonctionnelle de plus en plus
fine au sein de la région hippocampique. Des structures différentes au
sein de cette région semblent sous-tendre des mécanismes d’appren-
tissage complémentaires, les plus complexes étant dévolus à l’hippo-
campe proprement dit.
Si le cortex frontal et l’hippocampe sont les principales structures
dont l’activation est observée dans les études portant sur la mémoire
épisodique, elles appartiennent en réalité à un réseau neuronal rela-
tivement étendu comportant d’autres structures cérébrales, comme
celles du circuit de Papez (autres que l’hippocampe) ou le cortex asso-
ciatif pariétal. Ces différentes structures sont connectées entre elles
et interagissent différemment selon la tâche à accomplir. Ainsi, la
mémoire épisodique est sous-tendue par un vaste réseau cérébral dont
une partie correspond aux structures clés, celles dont les lésions pro-
voquent un syndrome amnésique véritable, d’autres parties étant plus
spécifiques du type de traitement effectué ou du type d’information à
mémoriser.
Ainsi, les résultats et les interprétations qui en découlent montrent
bien que l’imagerie fonctionnelle cérébrale ne constitue qu’une source
de connaissances parmi d’autres. Les données obtenues ne prennent
sens qu’en confrontation avec les autres domaines de la neuropsycho-
logie et des neurosciences où les connaissances issues de la pathologie
humaine tiennent une place irremplaçable.

4.2.4 Résultats d’études en imagerie fonctionnelle chez les patients


Les méthodes d’imagerie fonctionnelle cérébrale ont d’abord été utili-
sées dans un cadre médical pour apporter des arguments de diagnostic.
De nombreuses études ont ainsi cherché à mettre en évidence les modi-
fications métaboliques liées à diverses affections neurologiques (comme
la maladie d’Alzheimer) ou psychiatriques (comme la dépression ou la
schizophrénie). Les recherches plus strictement neuropsychologiques
se sont développées dans deux grands secteurs. Le premier concerne la
répercussion des lésions cérébrales focales sur les fonctions cognitives
Les méthodes de la neuropsychologie 121

et le métabolisme cérébral. Comme par le passé, les principaux travaux


ont d’abord concerné l’aphasie. Des études ont ainsi montré que la zone
hypométabolique était généralement plus étendue que la région lésée
(visualisée par l’imagerie morphologique). Dans un certain nombre
d’observations, cette zone hypométabolique « explique » la sémiologie
du malade : par exemple une aphasie de Wernicke sans lésion morpho-
logique mais avec un déficit métabolique des centres du langage (dans
ce cas, l’aire de Wernicke). Ces nouvelles confrontations « anatomo-
cliniques fonctionnelles » peuvent être répétées au fil du temps chez un
même patient, permettant ainsi d’étudier les phénomènes de réorgani-
sation et de restauration après lésion.
Un autre domaine productif a concerné la recherche de corrélations
cognitivo-métaboliques dans les états démentiels. Dans ce cas, l’étude
du métabolisme cérébral est réalisée au repos et les résultats sont mis
en correspondance avec des scores cognitifs obtenus en dehors de la
mesure TEP. Les affections neurodégénératives, et notamment la mala-
die d’Alzheimer, sont caractérisées par l’occurrence de déficits cognitifs
qui peuvent être relativement sélectifs en début d’évolution et différents
d’un malade à l’autre (voir chapitre 6, section 2). Des études réalisées
dans les années 1980 ont montré qu’il existait d’excellentes corrélations
entre, par exemple, des indices métaboliques d’asymétrie droite/gauche
et des indices cognitifs globaux opposant les déficits visuoconstructifs
et aphasiques. Ces premiers résultats ont posé les jalons pour des études
dans des domaines plus spécifiques comme les troubles de la mémoire
(voir encadré 44, p. 369).
Le principe de ces travaux consiste à utiliser la double hétérogénéité,
cognitive et métabolique, qui caractérise ces affections neurodégéné-
ratives. La mise en évidence de corrélations entre ces deux types de
données contribue à préciser les régions cérébrales nécessaires à la réali-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sation d’une tâche cognitive. Outre son intérêt dans la compréhension


de certains mécanismes physiopathologiques des maladies neurodégé-
nératives, cette approche se révèle complémentaire de la méthode des
activations chez le sujet sain qui permet l’identification des régions
mises en jeu lors d’une tâche mais sans que leur implication soit forcé-
ment nécessaire à la réalisation de cette tâche.
Des études d’activation sont également réalisées chez des patients.
Chez les patients victimes de lésions focales, par exemple après un
accident vasculaire cérébral, l’imagerie fonctionnelle a permis de mettre
en évidence la plasticité cérébrale qui sous-tend la récupération sponta-
née du langage. Le cortex temporal gauche semble jouer un rôle crucial
dans ce phénomène, tandis que son homologue droit sous-tend des
122 Manuel de neuropsychologie

mécanismes compensatoires chez certains patients mais plutôt délétères


chez d’autres (voir de Boissezon et al., 2008, pour une revue). L’imagerie
a aussi démontré la modulation de cette plasticité cérébrale sous l’effet
de la rééducation orthophonique. Les modifications induites par la
rééducation sont variables selon les thérapies et les patients, localisées
au sein de l’hémisphère gauche ou s’étendant à l’hémisphère droit. À
l’avenir, elle pourrait fournir des indicateurs de l’efficacité de ces inter-
ventions, généralement difficile à mettre en évidence du fait de l’impor-
tante variabilité interindividuelle.
Des études d’activation sont parfois réalisées chez un patient unique.
Ainsi, un défaut d’activation hippocampique a été mis en évidence
en IRMf chez un patient souffrant d’un syndrome de Korsakoff, lors
de l’encodage et de la reconnaissance de visages (voir Le Berre et al.,
2008, pour une revue). De même, l’étude de cas réalisée par Levine et
al. (1998) a permis de préciser les atteintes structurales et fonction-
nelles critiques chez un patient souffrant d’une amnésie rétrograde iso-
lée, à l’aide d’un protocole d’activation en TEP comportant une tâche
d’apprentissage de paires de mots sémantiquement liés suivie d’une
phase de récupération.
Dans les maladies neurodégénératives, de rares études de cas uniques
(par exemple, chez un patient souffrant de démence sémantique,
Maguire et al., 2010) et des études de groupes de patients, principale-
ment dans la maladie d’Alzheimer, ont été réalisées. L’élaboration des
paradigmes se heurte à différents problèmes, dont celui de la différence
de complexité des tâches comparativement aux sujets sains contrôles,
mais ces études peuvent apporter des informations inédites. Ainsi, elles
montrent régulièrement des diminutions d’activation dans des régions
normalement impliquées dans la tâche (par exemple, l’hippocampe
lors de l’encodage en mémoire épisodique) et des augmentations d’acti-
vation qui sont interprétées comme des mécanismes compensatoires.
Cependant, les auteurs ne vérifient pas toujours que l’augmentation
de l’activation est bien compensatoire, c’est-à-dire liée à de meilleures
performances ni s’il s’agit de véritables augmentations d’activation. En
effet, nous avons vu plus haut que le réseau par défaut devait se désacti-
ver pour que d’autres structures soient impliquées efficacement dans les
tâches. Or, dans certains cas, cette désactivation est moins importante
chez les patients que chez les sujets contrôles, ce qui aboutit à une plus
grande activation, mais dans des régions qui ne sont pas les plus appro-
priées (voir chapitre 6, section 3).
Depuis quelques années, les progrès réalisés dans le domaine de
l’imagerie permettent d’étudier le fonctionnement cérébral en visant
Les méthodes de la neuropsychologie 123

une molécule particulière : on parle d’imagerie moléculaire. Ainsi,


dans la maladie d’Alzheimer, de nouveaux marqueurs TEP permettent
de visualiser in vivo les dépôts fibrillaires de protéine β-amyloïde, l’une
des manifestations neuropathologiques de cette maladie. Plusieurs
radiotraceurs ont été développés, parmi lesquels le PiB (pour Pittsburg
compound B), marqué au carbone 11 (radio-isotope de demi-vie d’envi-
ron 20 minutes) est le plus largement utilisé. Le développement et la
validation de composés marqués au fluor 18 (radio-isotope de demi-
vie plus longue, environ 110 minutes) sont actuellement en cours et
rendront ainsi possible une utilisation de ces composés en pratique
clinique dans un futur proche. Les différentes méthodes d’imagerie
cérébrale ont permis l’obtention de nombreux résultats généralement
reproductibles et cohérents avec les autres sources d’inférences neuro-
psychologiques, notamment la méthode anatomo-clinique. L’image-
rie fonctionnelle en activation, en particulier lorsqu’elle repose sur la
méthode soustractive, est cependant critiquable car elle postule une
organisation sérielle de l’architecture cognitive. Elle est donc double-
ment réductionniste en tentant de localiser des processus isolés dans
des aires cérébrales circonscrites. De nouvelles approches méthodolo-
giques permettent de mieux tenir compte de l’ensemble des modifi-
cations cérébrales impliquées dans différents traitements cognitifs en
utilisant notamment des analyses de la connectivité fonctionnelle
dans de vastes réseaux cérébraux. Ainsi, l’imagerie fonctionnelle céré-
brale n’est pas étrangère au débat localisationniste/globaliste cher à la
neuropsychologie.

5. Les méthodes par stimulation cérébrale


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La neuropsychologie bénéficie aujourd’hui de l’apport de plusieurs


méthodes de stimulation électrique ou magnétique du cerveau qui per-
mettent de mieux comprendre les relations entre le fonctionnement du
cerveau et les comportements ou les fonctions cognitives, et ce à partir
de l’étude du sujet sain ou de patients souffrant d’une atteinte cérébrale
(pour une revue, voir le dossier spécial de la Revue de Neuropsychologie,
éd. Faure, 2012).
Les méthodes de stimulation cérébrale sont plus ou moins invasives.
Celles par stimulation directe, de surface ou profonde, sont réservées
à des conditions pathologiques qui justifient l’application de la sti-
mulation directement sur le cerveau, comme par exemple dans un
124 Manuel de neuropsychologie

contexte où une opération doit être envisagée pour l’exérèse d’une


tumeur ou en épileptologie : il s’agit alors de déterminer quelles sont
les zones cérébrales qui doivent être épargnées par la chirurgie au
risque sinon d’occasionner des troubles cognitifs, de la mémoire et
du langage notamment. Elles permettent dans le même mouvement
de recueillir aussi des informations précieuses sur l’organisation céré-
brale de ces fonctions. Les méthodes dites non invasives sont prin-
cipalement la stimulation magnétique transcrânienne (TMS pour
transcranial magnetic stimulation) et la stimulation par courant direct
transcrânienne, qui peuvent être mises en œuvre aussi bien à des fins
de recherche fondamentale chez le sujet sain ou cérébrolésé qu’à des
fins thérapeutiques.
Après une succession de périodes d’avancées et d’éclipses depuis
les travaux initiaux de Volta et de Galvani au XIXe siècle, l’utilisation
de ces techniques s’est fortement développée ces vingt dernières
années, et il existe maintenant des revues (e.g. Brain Stimulation) et
des ouvrages spécialisés dans le domaine (Pascual-Leone et al., 2000 ;
Brunelin et al., 2009). Cette section présente les grandes familles de
neurostimulation, à commencer par les aspects techniques et les prin-
cipes d’action propres à chacune, et en en soulignant les contributions
théoriques majeures. Celles-ci proviennent tout d’abord de la possibi-
lité de tester empiriquement les prédictions des modèles de la fonc-
tion et de son inscription cérébrale et d’établir l’implication causale
d’une région du cerveau, ou d’un réseau, dans le comportement et la
cognition. En effet, les différentes méthodes permettent de perturber
de façon transitoire un traitement en cours : si ce traitement contri-
bue au comportement, alors on doit s’attendre à une modification
de la performance reliée. Ce type d’observation permet de conclure à
un lien fonctionnel entre l’activité de l’aire ou du réseau stimulé et le
comportement. Ensuite, les stimulations n’interfèrent pas seulement
avec l’activité d’un ensemble limité de neurones mais ont des effets
à distance ; ceux-ci peuvent être enregistrés par la neuro-imagerie
(e.g. IRMf) ou analysés conjointement aux connaissances fournies par
la visualisation de la connectivité structurale du cerveau (imagerie du
tenseur de diffusion) : l’introduction de la neurostimulation en neuro-
psychologie a ouvert de cette façon une nouvelle ère dans l’étude de
la connectivité fonctionnelle du cerveau (Pascual-Leone et al., 2000,
pour la TMS).
Les applications cliniques sont nombreuses et prometteuses. Elles
pourraient en effet, dans un proche avenir, fournir des moyens peu
invasifs et assez faciles à mettre en œuvre sur le plan technique qui vien-
Les méthodes de la neuropsychologie 125

dront compléter les approches rééducatives ou d’entraînement cognitif


(Miniussi et al., 2008). Il convient de rester prudents, car le recul est
insuffisant ; mais la perspective ouverte est bel et bien de stimuler la
réorganisation fonctionnelle des réseaux altérés par une lésion focale
ou une maladie du cerveau. Les développements récents de la neuro-
réhabilitation et l’articulation avec les rééducations cognitives seront
exposés dans le chapitre sur la rééducation (chapitre 7, section 7).

5.1 Les méthodes par stimulation cérébrale directe


de surface ou profonde
La stimulation corticale de surface a été élaborée par le neurochirur-
gien Wilder Penfield à Montréal dans les années 1950 dans le contexte
du traitement chirurgical des épilepsies : l’exploration électrophysio-
logique peropératoire visait à déterminer les aires fonctionnelles qui
devaient absolument être épargnées (i.e. celles qui sont cruciales pour
la vision, la motricité, le langage et la mémoire). Après craniotomie,
une électrode placée sur le cortex permet d’appliquer un courant élec-
trique (de quelques mA) pendant quelques secondes lors d’une opéra-
tion chez un patient éveillé. Pendant la stimulation, l’enregistrement
des performances du patient à une série de tests évaluant spécifique-
ment telle ou telle fonction permet d’identifier celles qui sont pertur-
bées par la stimulation : par exemple, une perturbation de la parole
(dénomination d’images ou lecture à voix haute) induite par la stimu-
lation indique que l’aire située sous l’électrode est impliquée dans cette
fonction. Cette exploration procure une carte fonctionnelle du cortex
qui indique quelles aires peuvent faire l’objet d’une exérèse sans risque
de trouble cognitif majeur.
Au-delà du bénéfice pour les patients, les développements de la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

méthode ont débouché sur une véritable cartographie fonctionnelle par


stimulation corticale. La stimulation corticale de surface établit l’impli-
cation causale d’une aire relativement circonscrite dans une fonction
particulière. Toutefois, elle est mise en œuvre dans un contexte de neu-
rochirurgie, où les patients souffrent depuis longtemps d’une pathologie
cérébrale qui a pu entraîner une réorganisation des réseaux neurocogni-
tifs. À cette limite s’ajoute celle liée à la grande variabilité interindivi-
duelle dans la façon dont nos habiletés cognitives sont organisées dans
le cerveau. Il est donc important de confronter les enseignements issus
de l’étude des patients à ceux provenant de l’étude d’individus sains.
C’est ce qui a été fait dans l’étude de Roux et al. (2009) qui a ana-
lysé conjointement la cartographie par stimulation électrique corticale
126 Manuel de neuropsychologie

directe intra-opératoire pour identifier les aires de l’écriture manus-


crite chez des patients atteints d’une tumeur cérébrale et les données
de neuro-imagerie fonctionnelle (IRMf) chez des volontaires sains pour
déterminer les activations cérébrales locales liées à l’écriture manuscrite
sous dictée. Les résultats des deux expériences sont convergents. Une
petite aire proche du sillon frontal supérieur, dans l’aire de Brodman 6
(voir encadré 4, p. 27), en avant de l’aire motrice primaire de la main,
apparaît impliquée sélectivement dans l’écriture manuscrite. Cette spé-
cificité est établie chez six patients, chez qui la stimulation induit des
symptômes (temporaires) d’agraphie pure (graphèmes mal formés, ralen-
tissement ou arrêt de l’écriture à la stimulation pendant la tâche d’écri-
ture de phrases sous dictée de la main préférée sans perturbation ni des
fonctions motrices élémentaires ni du langage oral – tâches contrôles :
dénomination d’images d’objets et lecture de phrases). En imagerie
fonctionnelle, chez les sujets sains, le contraste entre les activations liées
à l’écriture sous dictée et à la répétition de mots (condition contrôle)
met en évidence l’activation d’une aire prémotrice très proche de celle
localisée par la stimulation corticale (AB6). C’est donc une même aire
qui est activée lors de l’écriture de mots et dont la stimulation perturbe
l’écriture manuscrite. Les auteurs concluent en faveur de l’existence de
programmes moteurs spécifiques à l’écriture manuscrite et à l’implica-
tion d’une petite portion du gyrus frontal moyen située au niveau de
l’aire de Brodman 6 (le « centre des images motrices graphiques » ou
graphemic/motor frontal area dont Exner avait fait l’hypothèse en 1881).
De façon intéressante, ils soulignent que sa stimulation n’a aucun effet
spécifique sur la production écrite chez six autres patients : ce résultat
négatif serait la conséquence d’une réorganisation fonctionnelle due à
la présence de la tumeur.
La stimulation cérébrale profonde des ganglions de la base a été mise
au point par le professeur A.L. Benabid à l’université de Grenoble dans
les années 1980 (voir Benabid et al., 2009, pour revue) pour le traite-
ment de différents symptômes de la maladie de Parkinson. La structure
dans laquelle les électrodes reliées à un stimulateur sont le plus souvent
implantées est le noyau sous-thalamique, l’hyperactivité de cette struc-
ture étant considérée comme la cause fréquente de plusieurs symptômes
très invalidants. Le noyau ventral intermédiaire et le pallidum interne
peuvent aussi être ciblés. Les effets de la stimulation corticale profonde
sont comparables à ceux d’une lésion, mais sont réversibles et n’appa-
raissent qu’à des fréquences de stimulation assez élevées (supérieures
à 130 Hz). Ceci suggère aux scientifiques que la stimulation corticale
profonde a un effet inhibiteur sur la structure cible. L’hypothèse géné-
Les méthodes de la neuropsychologie 127

ralement retenue est qu’elle inactive les neurones de la structure cible


soit par blocage de la dépolarisation, soit par « libération d’un neu-
rotransmetteur inhibiteur ». L’autre hypothèse est celle de l’activation
cellulaire locale et synchrone d’une vaste population neuronale abou-
tissant à un message « non signifiant » (un bruit) qui empêche ainsi
l’expression des anomalies du pattern d’activités neuronales liées à la
maladie. La littérature sur les effets observés est marquée par un constat
de grande variabilité selon les équipes. Les synthèses disponibles (voir
Fraix et al., 2004, pour une revue) soulignent que la stimulation chro-
nique du noyau sous-thalamique donne les meilleurs résultats pour
améliorer la motricité du patient, permettant donc de réduire la prise
de Lévodopa, ce qui en retour allège les dyskinésies que ce médicament
provoque.
Les indications dans la maladie de Parkinson ont d’abord été réser-
vées aux formes sévères et résistantes au traitement médicamenteux par
L-Dopa. Les bénéfices sur le plan moteur (le traitement est efficace sur le
tremblement essentiel et pour les dystonies) sont dans certains cas spec-
taculaires. Les effets sur le statut cognitif et comportemental du patient
implanté font l’objet de discussions et de recherches (Mermillod et al.,
2008, pour revue). Il n’y a pas d’altération globale du fonctionnement
cognitif mais le langage peut se détériorer (en particulier la fluence ver-
bale). Les rares études se focalisent sur le fonctionnement exécutif et
consistent par exemple à évaluer celui-ci après suspension du traite-
ment médical et en comparant les scores obtenus en situation où le sti-
mulateur est en position ON versus OFF. Les résultats apparaissent peu
concluants ; lorsqu’une amélioration est constatée, elle pourrait être
attribuée à une levée de l’inhibition fonctionnelle sur le cortex fron-
tal. Les effets négatifs notés sur le fonctionnement exécutif incitent
à une grande prudence dans l’application d’une stimulation corticale
profonde chronique chez les patients âgés. En effet, les fonctions exé-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

cutives déclineraient plus que la normale chez le patient parkinsonien


vieillissant (voir le numéro spécial de la Revue de Neuropsychologie de juin
2010 : Thomas-Antériou et Krolak-Salmon, 2010). En outre, des compli-
cations neuropsychiatriques sont possibles (aggravation de l’apathie et
signes de dépression).
Les implantations des premières années chez des patients souffrant
de la maladie de Parkinson étaient souvent accompagnées d’effets
secondaires graves : dépressions, troubles anxieux ou du comporte-
ment avec agressivité, et modifications de personnalité. Non seulement
les progrès des vingt dernières années ont rendu ces complications de
plus en plus rares, mais ils ont ouvert une nouvelle piste : la neuro-
128 Manuel de neuropsychologie

modulation des réseaux de la régulation émotionnelle et du compor-


tement (circuits associatifs et limbiques des noyaux gris centraux)
pourrait être utilisée dans la prise en charge de certains troubles sévères
de l’humeur et neuropsychiatriques. Des bénéfices thérapeutiques ont
été enregistrés dans les troubles obsessionnels compulsifs, la dépres-
sion et le syndrome de Gilles de la Tourette, tandis que des travaux
exploratoires démarrent pour les troubles du comportement alimen-
taire et différentes addictions (voir Mallet et al., 2008 pour une revue).
La possibilité que la stimulation corticale profonde améliore les perfor-
mances mnésiques, et donc que, appliquée chez des patients souffrant
de troubles de la mémoire, elle puisse atténuer ceux-ci ou ralentir leur
progression, a été découverte fortuitement. Depuis cette observation
d’une équipe canadienne qui tentait une intervention pour traiter une
obésité pathologique, les recherches fondamentales se développent et
des essais cliniques sont en cours au Canada et en France pour explorer
cette voie dans la maladie d’Alzheimer. L’hypothèse est que la stimu-
lation électrique du fornix (une structure du circuit de Papez) pourrait
permettre d’améliorer le fonctionnement de la mémoire. Un essai cli-
nique conduit pendant un an a consisté à stimuler à haute fréquence et
de façon répétée le fornix chez six patients atteints de la maladie à un
stade léger (Laxton et al., 2010). L’hypométabolisme des cortex tempo-
ral et pariétal a régressé en moyenne dans le groupe de patients, et les
scores au MMSE ont augmenté chez deux d’entre eux, tandis qu’ils ont
décliné chez trois autres et stagné chez un dernier. L’intervention n’a
pas eu d’effets indésirables. Les auteurs retiennent l’efficacité poten-
tielle de la stimulation corticale profonde pour traiter le déclin cognitif
dans la maladie d’Alzheimer.

5.2 Les méthodes dites non invasives


La stimulation magnétique transcrânienne (TMS) est une méthode
non invasive de neuromodulation qui a aujourd’hui une place cen-
trale parmi les approches des neurosciences cognitives. Elle recouvre
en fait de nombreuses techniques, à stimulation simple (single pulse)
ou double (paired pulse), double site (dual-site), répétitive (repetitive) et
théta-burst (Theta-burst stimulation). Chacune est plus particulièrement
adaptée à un type de questionnement, mais le mode d’action est le
même (Pascual-Leone et al., 2000) : la bobine de stimulation est main-
tenue au-dessus de la tête du sujet et le champ magnétique généré passe
au travers du scalp et de la boîte crânienne, ce qui produit un courant
à l’intérieur du cerveau. Cette stimulation module l’activité de groupes
Les méthodes de la neuropsychologie 129

relativement limités de neurones du cortex sous-jacent (avec toutefois


des effets à distance). Les différentes techniques sont sans effets indé-
sirables à condition de respecter les règles établies par consensus (Rossi
et al., 2009), mais la stimulation répétitive (rTMS) est potentiellement
plus invasive que la stimulation simple. Elles donnent accès de façon
unique aux relations causales entre l’activité cérébrale et le comporte-
ment, à la chronométrie des activations cérébrales et des opérations
cognitives et enfin à la connectivité fonctionnelle.
La TMS vient compléter et conforter les travaux en neuro-imagerie
(Tulving et al., 1994) ou comportementaux (Blanchet et al., 2001) qui
indiquent que les processus d’encodage et de récupération en mémoire
épisodique sont organisés de façon asymétrique dans le cerveau (modèle
HERA). Ainsi, une stimulation du cortex préfrontal dorsolatéral de
l’hémisphère gauche facilite l’encodage en mémoire épisodique tan-
dis qu’une stimulation des aires homologues dans l’hémisphère droit
facilite la récupération (voir Gagnon et Blanchet, 2012, pour revue).
Cet effet de facilitation asymétrique des performances de mémoire épi-
sodique est cohérent avec le modèle HERA, et ces travaux auprès de
sujets sains illustrent tout le potentiel de la TMS pour tester et préciser
les modèles élaborés à partir d’autres approches (dans le cas présent,
la neuro-imagerie, l’analyse des conséquences des lésions unilatérales
ainsi que la stimulation en champ visuel divisé ; pour une revue, voir
Blanchet et al., 2002) : de façon unique, elle établit le rôle causal du
cortex préfrontal dans le fonctionnement de la mémoire épisodique.
De nombreux modèles tentent de rendre compte des réorganisations
neurocognitives en lien avec le vieillissement normal (voir chapitre 5),
qu’il n’est pas aisé de départager. Des résultats suggèrent que l’asymé-
trie décrite par le modèle HERA tend à s’atténuer avec l’âge : le modèle
HAROLD suggère que les sujets âgés qui maintiennent leur efficience
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cognitive à un bon niveau contrecarreraient les effets négatifs de l’âge


sur le substrat neuronal par une réorganisation des réseaux de traite-
ment, celle-ci se caractérisant alors par une asymétrie fonctionnelle
réduite. Une étude récente auprès de personnes âgées en bonne santé
apporte des arguments supplémentaires à l’idée que cette bilatérali-
sation sous-tend effectivement le maintien de la performance cogni-
tive (Manenti et al., 2011). Les sujets ont été répartis en deux groupes
selon que leur performance à une tâche de rappel de mots était plutôt
faible ou élevée. Les résultats sont clairs pour ce qui concerne l’enco-
dage. L’application de la TMS sur le cortex préfrontal gauche produit
les effets attendus selon le modèle HERA mais uniquement chez les
sujets aux performances mnésiques faibles, qui semblent donc recruter
130 Manuel de neuropsychologie

préférentiellement le cortex préfrontal dorsolatéral gauche, comme le


font des adultes jeunes, mais sans efficacité. De façon contrastée, chez
les sujets âgés ayant maintenu une bonne performance mnésique, les
effets de la stimulation sur les cortex préfrontal dorsolatéral droit et
gauche sont identiques. Ces résultats suggèrent que les sujets âgés qui
maintiennent une bonne performance mnésique le feraient en réorga-
nisant les réseaux neuronaux de traitement, conformément au phéno-
mène décrit par HAROLD.
Un progrès important depuis la mise au point de la TMS a été apporté
par son couplage avec la neuro-imagerie, en particulier l’IRMf et l’ima-
gerie par tenseur de diffusion. Ces nouvelles approches permettent
d’aborder directement la connectivité fonctionnelle et la dynamique
temporelle et spatiale des traitements réalisés par le cerveau. L’image-
rie par tenseur de diffusion donne accès à la connectivité physique ou
« structurale » en permettant de visualiser in vivo les faisceaux de fibres
qui connectent les aires cérébrales : elle enregistre la diffusion des
molécules d’eau dans des directions particulières dues à la présence de
fibres myélinisées et le traitement de ces données procure des cartes de
cette diffusion qui montrent la position et l’orientation des faisceaux
d’axones dans le cerveau. La connectivité fonctionnelle entre des
aires largement distribuées peut être révélée avec l’IRMf grâce au cal-
cul de corrélations entre les activations locales pendant un scan IRM
(mesures du signal BOLD) : l’analyse de ces patterns de corrélations
fournit des mesures de la connectivité « effective » (fonctionnelle)
entre différentes régions du cerveau. Les interactions fonctionnelles
entre la région stimulée et d’autres composantes d’un réseau plus
vaste dont elle fait partie peuvent être étudiées en combinant IRMf et
TMS. En effet la stimulation ne modifie pas seulement l’activité de la
zone stimulée mais aussi celle de régions distantes mais interconnec-
tées à celle-ci. Cette combinaison permet donc de mettre l’accent sur
la connectivité fonctionnelle au sein du cerveau et les interactions
causales entre régions au-delà des propriétés fonctionnelles de cha-
cune d’entre elles.
Même si la TMS a été introduite à la fin des années 1980, ses applica-
tions cliniques sont d’ores et déjà nombreuses. Concernant les troubles
cognitifs, des interventions sur l’activité corticale, via la stimulation,
semblent pouvoir faciliter au moins à court terme la performance dans
des tâches langagières ou d’attention. Les mécanismes sous-jacents
dans le traitement de l’aphasie ou de l’héminégligence sont encore
peu compris. La stimulation pourrait agir en activant des réseaux « blo-
qués » ou bien en supprimant l’influence interférente en provenance
Les méthodes de la neuropsychologie 131

d’autres régions cérébrales. Nous reviendrons sur les applications à la


prise en charge des troubles neuropsychologiques au chapitre 7. En
psychiatrie (Brunelin et al., 2009), ce sont principalement les troubles de
l’humeur et les troubles anxieux qui sont ciblés. Les travaux pionniers
des années 1990 ont été réalisés par Alvaro Pascual-Leone et son équipe
(voir Nitsche et al., 2009, pour une revue). Par exemple, le traitement de
la dépression résistante consiste à stimuler à haute fréquence (40 Hz) les
régions cérébrales préfrontales afin d’en moduler l’activité. Les méca-
nismes sous-jacents ne sont pas encore clairs, puisque des régressions
significatives des troubles dépressifs sont enregistrées en lien avec une
augmentation de l’excitabilité du cortex préfrontal dorsolatéral gauche,
une réduction de l’excitabilité du cortex frontopolaire droit, ou les deux.
Les applications cliniques de la TMS qui ciblent les troubles obsession-
nels compulsifs ou certains symptômes de la schizophrénie comme les
hallucinations auditives sont plus récentes mais ont déjà enregistré des
bénéfices thérapeutiques. Ainsi, pour plusieurs troubles ou maladies,
la période actuelle est celle du passage de la thérapeutique expérimen-
tale par TMS au soin proposé en routine dans plusieurs services hos-
pitaliers.
Il existe principalement deux méthodes de neurostimulation qui
appliquent le courant électrique sur le scalp. Toutes deux prennent leur
source dans les travaux de Volta puis de Galvani au XIXe siècle : la stimu-
lation transcrânienne par courant direct et, une variante, la stimulation
vestibulaire galvanique (en anglais tDCS pour transcranial direct current
stimulation et GVS pour galvanic vestibular stimulation). Il semble que ce
soit le fort potentiel de la TMS au plan théorique et clinique, en même
temps que le besoin de techniques aussi sûres, sans effets indésirables,
moins onéreuses et plus légères à mettre en œuvre, qui aient suscité un
renouveau d’intérêt récent pour l’« électrification » du cerveau (voir Utz
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et al., 2010, pour une revue) !


La stimulation transcrânienne par courant direct permet de modu-
ler l’excitabilité neuronale par l’application d’un courant au moyen
d’électrodes de différentes polarités placées sur le scalp. Ses méca-
nismes d’action sont tout d’abord déterminés par la polarité de
la stimulation. Une stimulation anodale (positive) accroît la fré-
quence spontanée de décharge et l’excitabilité des neurones par la
dépolarisation des membranes, tandis qu’une stimulation cathodale
(négative) entraîne une hyperpolarisation des membranes des neu-
rones et ainsi une baisse de la fréquence de décharge et de l’excitabi-
lité. Le sens de la modulation de l’activité corticale dépend ensuite
de l’intensité de la stimulation ainsi que du type de neurones ciblé
132 Manuel de neuropsychologie

et de leur orientation spatiale. La stimulation par courant direct a été


utilisée dès le XVIIIe siècle pour soigner les patients « mélancoliques ».
Ces balbutiements ont débouché notamment sur la mise au point de
l’électroconvulsivothérapie par Bini et Cerletti dans les années 1930.
Les effets sur le fonctionnement cérébral via la modulation de l’exci-
tabilité des neurones corticaux ne seront vraiment étudiés toutefois
que dans les années 1960, avant que la stimulation par courant direct
connaisse à nouveau des années d’éclipse en lien avec la disgrâce des
thérapies électroconvulsives et les progrès des traitements médica-
menteux. Récemment, outre les nombreuses applications au traite-
ment des troubles de l’humeur et de la douleur, quelques études ont
exploré l’impact sur le fonctionnement cognitif de participants sains
et de patients (souffrant de lésion neurologique, de maladie neuro-
dégénérative ou de troubles neuropsychiatriques). La stimulation du
cortex préfrontal semble moduler le fonctionnement mnésique dans
plusieurs de ses aspects et celle des zones pariétales connues pour
leur implication dans l’orientation de l’attention visuelle pourrait
augmenter les bénéfices d’un protocole d’entraînement des capacités
attentionnelles.
La stimulation galvanique vestibulaire (en anglais GVS pour galvanic
vestibular stimulation) est une variante de la stimulation transcrânienne
par courant direct qui consiste à positionner les électrodes sur les mas-
toïdes droit et gauche, à l’arrière des oreilles, pour stimuler le système
vestibulaire via des effets de polarisation (mais, à l’inverse de la sti-
mulation transcrânienne par courant direct, le courant circule de la
périphérie vers le cortex ; Fitzpatrick et Day, 2004). Comme pour la sti-
mulation transcrânienne par courant direct, différents types de stimu-
lations peuvent être réalisées, notamment unilatérales ou bilatérales.
La neuro-imagerie révèle que de nombreuses aires corticales multisen-
sorielles sont activées par la stimulation galvanique vestibulaire : les
régions insulaire et rétroinsulaire, le gyrus temporal supérieur, la jonc-
tion temporopariétale, les ganglions de la base et le cortex cingulaire
antérieur. Les études qui explorent ainsi les fonctions neuropsycholo-
giques sont très rares. Elles indiquent surtout des effets sur les perfor-
mances à des tâches de cognition spatiale (voir encadré 11, p. 80) chez
des sujets sains et aussi, de façon importante, que la neuromodulation
induite pourrait permettre de réduire les manifestations d’héminégli-
gence et d’extinction qui sont fréquentes chez les patients porteurs de
lésions de l’hémisphère droit. Le cas de la rééducation de l’héminégli-
gence sera traité au chapitre 7, montrant bien l’intrication des visées
fondamentale et clinique.
Les méthodes de la neuropsychologie 133

6. Le traitement des données

La neuropsychologie a évolué du point de vue de ses questions, de


ses sources d’informations et des techniques de recueil des données.
Les études de groupes de patients se sont développées dans les années
cinquante, tandis que l’étude approfondie de cas, historiquement pre-
mière, connaissait de profonds changements. Le fait le plus marquant
est l’introduction d’une démarche hypothético-déductive. Que ce soit
pour un patient unique ou pour des groupes de patients, l’attitude expé-
rimentale comprend la mise à l’épreuve d’une hypothèse par la varia-
tion de facteurs, provoqués (manipulation de variables), ou invoqués
(par exemple si l’on compare les effets de sites lésionnels différents).
Le choix d’une étude de cas ou d’une étude de groupe n’est pas indé-
pendant de conceptions théoriques évoquées au premier chapitre. Il
n’en reste pas moins que, comme toute recherche sur le comportement
humain, la neuropsychologie est confrontée au problème de la mesure.
Le choix d’une approche est accompagné de la mise au point d’un plan
d’étude, de la définition des observables et du type d’échelle de mesure,
ainsi que de la sélection des techniques de traitement des données. Le
neuropsychologue se trouve confronté aux techniques statistiques. Il
doit en effet connaître les méthodes employées par d’autres, en amont,
par exemple pour construire les tests qu’il utilise. Vers l’aval, il doit pré-
voir le traitement statistique des données qu’il recueille.
Cette section propose quelques guides pour l’étude de cas uniques,
car les outils nécessaires – méthodes et tests statistiques – sont moins
enseignés que ceux applicables aux études de groupes.

6.1 Études de cas uniques


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Il existe un regain d’intérêt pour le cas unique comme le montre l’audit


fait par McIntosh et Brooks (2011) pour la revue Cortex. L’objectif est
généralement de déterminer si les performances du patient sont anor-
males, qu’il s’agisse d’établir un profil neuropsychologique à des fins
diagnostiques et/ou de prise en charge ou de rechercher des dissocia-
tions et doubles dissociations (par comparaison d’un premier cas à un
second). Plusieurs articles publiés récemment sur les tests statistiques
spécifiques devraient aider les investigateurs à conduire des études de
cas rigoureuses mettant en œuvre les traitements statistiques appropriés
(Atzeni, 2009 ; Corballis, 2009 ; Crawford et Garthwaite, 2012). Ces
articles présentent différentes méthodes statistiques inférentielles pour
134 Manuel de neuropsychologie

le traitement de données individuelles et évaluent leurs qualités de plu-


sieurs points de vue : risque de considérer la performance comme patho-
logique alors qu’elle ne l’est pas, puissance statistique des tests, etc. Les
auteurs soulignent la nécessité d’adopter les mêmes tâches pour l’étude
de patients similaires, et d’utiliser des tests statistiques identiques. Il
s’agit de rendre comparables les études, de faciliter le partage de don-
nées « contrôle » et de standardiser les pratiques statistiques. Les prin-
cipes et tests statistiques qui y sont présentés sont facilement étendus
à l’étude d’une série de patients dont les performances sont analysées
individu par individu (étude de cas multiples).
Les démarches principales pour répondre à la question « les perfor-
mances sont-elles pathologiques ? » sont les suivantes (voir Atzeni,
2009, pour une revue).
Lorsque les performances du patient à un test ou ensemble de tests
sont comparées aux normes obtenues auprès d’un échantillon repré-
sentatif de la population, les caractéristiques suivantes doivent être
réunies (Roussel et al., 2009). Le matériel du test, ses modalités de
passation et la cotation des performances doivent être standardisés.
Le test doit présenter des qualités de sensibilité, spécificité et repro-
ductibilité suffisantes et être accompagné de données normatives qui
servent à établir les scores seuils. Cette élaboration de normes est coû-
teuse et ses exigences sont difficilement compatibles avec une étude de
cas où les épreuves doivent parfois être construites ad hoc pour évaluer
l’intégrité des différentes composantes de traitement impliquées dans
une activité cognitive donnée (la question est traitée dans les sections
précédentes ainsi que dans le contexte de la rééducation : chapitre 7).
Lorsque les tests ne sont pas normés, les scores du patient vont être
comparés à ceux obtenus par un groupe de sujets témoins sains qui lui sont
appariés sur plusieurs variables personnelles et sociodémographiques
d’intérêt (âge, sexe, niveau d’études ou niveau socioculturel). La plupart
du temps on convertit le score du patient en score z sur la base de la
moyenne et de l’écart-type de l’échantillon contrôle : si z est inférieur à
– 1.645 (pour un test unilatéral), on conclut que le score du patient est
significativement inférieur à ceux des contrôles. Cette façon de procéder
soulève plusieurs problèmes. L’effectif de ce « groupe contrôle » est sou-
vent trop faible (si inférieur à 30) pour qu’il soit considéré comme un
échantillon représentatif de la population générale d’une part et pour
autoriser à considérer les mesures de tendance centrale (la moyenne) et
de dispersion (l’écart-type) calculées comme des paramètres de la popu-
lation. Dans ce cas, il est nécessaire d’ajuster la valeur seuil pour réduire
le risque d’erreur (cette valeur sera d’autant plus élevée que l’échantillon
Les méthodes de la neuropsychologie 135

sera de petite taille). De plus, l’emploi de la moyenne et de l’écart-type


pour déterminer l’indice ou seuil pathologique demande que la distri-
bution des valeurs recueillies dans le groupe contrôle soit « normale »
(dans l’acception statistique du terme, c’est-à-dire qu’elle se rapproche
d’une distribution gaussienne). Or peu d’études vérifient cette qualité :
la « normalité » de la distribution est rarement testée alors que c’est
une des conditions d’application des statistiques inférentielles. Enfin,
notons que les distributions sont même le plus souvent asymétriques,
comme cela est logique pour des mesures faites auprès de sujets nor-
maux sur le plan cognitif et qui réalisent logiquement de bonnes et très
bonnes performances à des tests conçus pour appréhender le fonction-
nement pathologique.
L’examen de la performance du patient en faisant référence à une
moyenne et à un écart-type estimés sur la base d’un petit nombre de
sujets normaux s’accompagne d’un risque élevé de décider que la perfor-
mance est pathologique alors que ce n’est pas le cas. Les erreurs que l’on
peut commettre en mettant en œuvre une statistique de type score z,
test de t de Student ou autre, pour comparer un patient à un échan-
tillon de sujets sains sont en fait de deux sortes. L’erreur de type I (ou
risque α) correspond à la probabilité de rejeter l’hypothèse nulle (hypo-
thèse d’absence de différence significative : H0) alors qu’elle est vraie,
et donc au risque d’affirmer la présence d’une pathologie alors que la
performance est normale. L’erreur de type II (ou risque β) correspond
à la probabilité d’accepter l’hypothèse nulle alors qu’elle est fausse, ce
qui revient à trancher dans le sens d’une absence de trouble alors que
la performance du patient est pathologique. L’investigateur doit donc
mener une réflexion sur le risque d’erreur acceptable dans la décision à
prendre (voir chapitre 2) et le type d’erreur le moins dommageable pour
le patient (ou la construction de la théorie).
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Le critère peut aussi être une performance située en dessous de la


limite inférieure d’un intervalle de confiance calculé autour de la
moyenne de l’échantillon de référence. On cherchera par exemple à
déterminer les limites de confiance telles que l’on ait 95 % de chances
d’y trouver la moyenne de la population générale, et donc seulement
5 % de chances que celle-ci soit à l’extérieur de l’intervalle de confiance
(IC avec α = .05). Un critère très strict peut être adopté en considérant
comme anormale toute performance inférieure à la plus mauvaise des
performances enregistrées dans l’échantillon de sujets normaux.
Quelle que soit l’approche, la taille de l’échantillon contrôle est
un aspect déterminant car les comparaisons du patient unique à un
groupe témoin de petit effectif sont caractérisées par l’augmentation du
136 Manuel de neuropsychologie

risque de conclure à la présence d’une performance pathologique à tort


(erreur de type I) : les articles méthodologiques ne fixent pas d’effec-
tif à atteindre mais soulignent que plus l’échantillon est grand, mieux
c’est !
Plusieurs méthodes statistiques dérivées du t de Student ou de l’ana-
lyse de la variance peuvent être utilisées pour tester de façon appro-
priée la significativité d’une différence entre les scores d’un individu
et ceux d’un échantillon (Atzeni, 2009). La méthode dite « Crawford
et Howell » est une adaptation du test t de Student pour échantillons
indépendants pour les études où des inférences sont faites sur la per-
formance cognitive d’un cas unique sur la base de la comparaison avec
un échantillon de sujets sains. La formule de calcul est donnée dans la
figure ci-dessous : X* est le score du patient, X et S sont la moyenne
et l’écart-type de l’échantillon contrôle. Si la valeur de t est inférieure
à la valeur critique du t avec n – 1 degrés de liberté (dl) pour un test
unilatéral, alors on peut conclure que le score du patient est suffisam-
ment faible pour rejeter l’hypothèse nulle : on considère que le cas
montre un déficit dans la tâche en question. Cette statistique présente
plusieurs avantages. Elle limite l’erreur de type I. Elle procure plusieurs
informations sur la performance du patient. La valeur de p obtenue
constitue (à la différence de la valeur de p pour un score z) une esti-
mation du degré auquel la performance est anormale. Par exemple,
si la valeur de p est .023, alors on estime que seule 2,3 % de la popu-
lation contrôle obtiendra un score plus faible. Elle fournit aussi une
estimation de la taille de l’effet.
x* x
tn 1 ,
n 1
S
n

L’analyse de la variance peut être utilisée dans une étude de cas unique
où l’on teste l’effet de facteurs expérimentaux sur les performances du
patient : c’est la statistique F « par items » et non « par sujets » qui est
appliquée (voir, par exemple, Faure et Blanc-Garin, 1994a). L’analyse de
la variance est appropriée aussi pour les expériences factorielles où un
cas unique et un échantillon contrôle sont testés sous différentes condi-
tions expérimentales (Corballis, 2009) ou dans différentes tâches (dans
ce cas il convient de faire une transformation en score z pour rendre
les mesures comparables). Dans le cas le plus simple, on a un plan avec
un facteur intersujets et un facteur intrasujet. Le facteur intersujets
« groupe » prend deux modalités : patient versus groupe contrôle. Le
facteur intrasujet « condition expérimentale » prend deux modalités :
Les méthodes de la neuropsychologie 137

condition A versus condition B. Une interaction significative entre les


facteurs groupe et condition pourrait être interprétée comme démon-
trant, par exemple, que le patient obtient des performances significati-
vement anormales dans la condition B et pas dans la condition A. On
pourrait conclure à une dissociation entre des processus perturbés et
d’autres préservés. Cette approche, même lorsque les scores ont été cen-
trés réduits (transformation z), présente plusieurs limites, notamment
un taux d’erreur de type I élevé (Atzeni, 2009).
Lorsque l’objectif est la mise en évidence d’une dissociation simple,
la comparaison intra-individuelle, c’est-à-dire des performances du
patient à différents tests ciblant chacun un processus, doit forcément
être accompagnée de la comparaison à des normes, ou à un groupe
témoin (avec la prudence qui s’impose ; voir ci-dessus), si l’on veut pou-
voir statuer de façon valide sur la présence de la dissociation : les per-
formances du patient à un test A doivent être à la fois significativement
inférieures à celles à un test B et anormales.
La question est souvent de déterminer si deux mesures réalisées chez
le même patient à qui l’on a proposé deux fois la même épreuve diffèrent
significativement (par exemple, si les scores à une même épreuve pro-
posée avant et après une rééducation sont différents). Le test de Procock
permet de comparer les performances pour un test où le nombre d’essais
n’est pas déterminé (e.g. fluences verbales). Dans la formule ci-dessous,
X est le score au prétest et Y le score au post-test. Le score z final suit
la loi normale et a la valeur critique de 1.96 pour un test bilatéral et de
1.645 pour un test unilatéral. D’autres tests statistiques existent pour
comparer les mesures réalisées à une épreuve qui comporte un nombre
d’essais fixe et pour laquelle on comptabilise par exemple le nombre
d’essais réussis (voir Michael, 2007, pour une revue).
x y
Z
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x y

Lorsque le travail vise l’élaboration ou la précision d’un modèle de


fonctionnement cognitif, l’étude de cas individuels est un moyen pri-
vilégié car « Il s’agit d’une véritable expérimentation réalisée à partir
d’hypothèses précises, à l’aide d’un protocole spécialement mis au
point pour tester ces hypothèses, grâce à des méthodes statistiques
appropriées, sur un patient hautement sélectionné en fonction de
l’intérêt théorique de la perturbation qu’il présente » (Beauvois et al.,
1980, p. 212). La mise en évidence de dissociations permet de décrire les
relations anatomo-fonctionnelles et aussi l’existence de composants de
traitements distincts et relativement autonomes au sein d’une fonction
138 Manuel de neuropsychologie

cognitive (voir chapitre 1, section 9). Sur le plan méthodologique, trois


types de dissociations ont été distingués par Shallice (1995) :
– dissociation classique : « la tâche I est réalisée au même niveau
qu’avant le début de la maladie » et la tâche II est « très inférieure
et bien au-dessous de la moyenne » ;
– dissociation forte : « aucune tâche n’est réussie à un niveau nor-
mal, mais la tâche I est beaucoup mieux réussie que la tâche II » ;
– tendance à la dissociation : la tâche I est de façon significative
mieux réalisée que la tâche II mais les « niveaux de performances
ne sont pas qualitativement dissemblables ».
Le problème d’équivalence des deux tâches où sont mesurées les
performances se pose bien sûr. Les deux tâches, qui font appel à du
matériel et/ou à des traitements différents, doivent être comparables
par ailleurs, notamment du point de vue du niveau de difficulté et des
qualités métriques (voir encadré 19, p. 139). Surtout, comme le sou-
lignent Crawford et ses collaborateurs, nous avons besoin de définitions
plus précises et rigoureuses. Ces auteurs (e.g. Crawford, Garthwaite et
Gray, 2003) proposent des critères opérationnels pour établir l’exis-
tence de déficits et de dissociations. Ils considèrent que l’on peut par-
ler de dissociation classique lorsque le patient présente un déficit à la
tâche X, obtient des scores dans les limites de la normale à la tâche Y
et qu’il existe une différence significative entre les performances aux
deux tâches. C’est cette dernière clause qui rend leurs critères plus opé-
rationnels et rigoureux. En effet dans la définition habituelle ci-dessus,
le critère de dissociation classique est que la performance du patient
est perturbée à la tâche X et dans les limites de la normale ou « non
perturbée » à la tâche Y. Or comme le souligne Crawford, la deuxième
partie de la définition revient à essayer de prouver l’hypothèse nulle et,
de plus, la différence dans les performances du patient pourrait être tri-
viale, lorsque par exemple les performances à la tâche X sont juste sous
le seuil pathologique et celles à la tâche Y juste au-dessus. L’exigence
d’une différence significative entre les scores que le patient obtient aux
deux tâches lève les deux difficultés. Ces auteurs ont élaboré plusieurs
méthodes statistiques pour tester cette différence afin de déterminer
s’il existe une dissociation ou un déficit différenciel. De préférence aux
différentes adaptations du test t de Student qu’ils ont mises au point
antérieurement, ils préconisent le Revised Standardized Difference Test
(RSDT). Ce test dont la formule peut paraître ardue revient en fait à rap-
porter la différence entre deux quantités à l’erreur type (ou standard)
de la différence (les logiciels RSDT_EX.exe et dissocs_ES.exe sont acces-
Les méthodes de la neuropsychologie 139

sibles à partir des pages Internet des auteurs). Son utilisation maintient
dans des limites acceptables l’erreur de type I à la différence de ce qui se
passe avec les approches conventionnelles, aux critères plus laxistes.

Encadré 19
« Fausses » dissociations
De fausses dissociations (simples et doubles) peuvent trouver leur origine
dans des différences de validité interne des mesures. Bates et al. (1991)
basent leur démonstration sur des données fictives, deux profils de perfor-
mances de patients qui évoquent une double dissociation :

Tâche A Tâche B

Smith 80 % 45 %

Jones 20 % 55 %

Performances (% de réussite)

Cela peut indiquer que les tâches A et B font appel à des mécanismes qui
peuvent être doublement dissociés, mais d’autres explications peuvent en
rendre compte. Les auteurs comparent alors les performances des deux
patients à celles qui seraient observées dans une population normale.
100 –

80 – • Smith
Pourcentage
de rÈu ssite

60 – • Jones
• Smith
40 –

20 – • Jones
Dispersion
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(moyenne ± 1 écart-type)
0–
A B

Performances théoriques dans la population normale

Les moyennes aux tâches A et B sont proches, mais les dispersions (expri-
mées en écart-type autour des moyennes) sont très différentes, suggé-
rant une fidélité interne très différente. Dans la tâche A il y a beaucoup de
« bruit », l’écart-type est énorme (va de 20 à 80 % de réussite), tandis que
la tâche B est beaucoup plus fidèle, avec un écart-type plus serré (45-55 %).
Ainsi l’apparente double dissociation entre les patients Smith et Jones peut
être obtenue au hasard : dans chaque cas, les patients sont situés à l’inté-
rieur d’un écart-type autour de la moyenne « normale ».
À
140 Manuel de neuropsychologie

Â
Plusieurs statistiques dérivées du t de Student ou de l’analyse de la variance
peuvent être utilisées dans une étude de cas unique (ou multiples) pour
tester de façon appropriée la significavité d’une différence entre les scores
d’un patient et ceux d’un échantillon, l’effet de facteurs expérimentaux sur
les performances du patient ou les différences de performances entre les
tâches qui ont été proposées. Ces méthodes sont présentées au chapitre 2,
section 6 (pour revue, Atzeni, 2009).

Un autre point délicat de l’étude de cas unique réside dans le fait que
le nombre de données prélevées est souvent insuffisant : une épreuve
doit comporter un nombre d’items conséquent, particulièrement si
l’on veut montrer que les compétences pour deux tâches sont iden-
tiques ou seulement marginalement différentes. La nécessité de collec-
ter une quantité suffisante de données amène à tester un patient sur
une période étendue. Pour que les mesures effectuées chez le même
patient à différents moments puissent être valablement « moyennées »,
il faut d’une part que l’épreuve présente des qualités de constance (un
aspect de la fidélité, la corrélation entre deux applications successives
du même test à la même personne), et d’autre part que les perfor-
mances puissent être considérées comme homogènes. Or les patients
changent, au fur et à mesure qu’ils récupèrent après l’atteinte cérébrale
ou bien avec l’évolution de la maladie neurodégénérative. Ils peuvent
mettre en place des stratégies particulières pour surmonter leur déficit
et les atteintes fonctionnelles peuvent évoluer (voir chapitre 7 pour le
problème particulier de l’évaluation des effets d’une rééducation).

6.2 Études de groupes


Trois aspects liés aux études de groupes de patients méritent d’être dis-
cutés : la classification, qui permet de regrouper les patients, le fait de
caractériser les performances du groupe par un indice de tendance cen-
trale, le plus souvent la moyenne, et la prise en compte de la variabilité
interindividuelle (celle qui préexiste à la pathologie, « normale », et
celle qui lui est liée).
Pour constituer un groupe, on adopte forcément un critère de classi-
fication : la latéralité lésionnelle, ou la présence d’un syndrome parti-
culier servent généralement de critère d’inclusion des patients dans un
groupe. Morris et Fletcher (1988) définissent un système de classifica-
tion comme un « processus interactif » entre théorie et outil de mesure,
échange qui permet de déterminer les variables pertinentes pour décrire
Les méthodes de la neuropsychologie 141

les patients et les « catégoriser » dans divers groupes. Les difficultés de


la classification sont illustrées par l’exemple de l’amnésie, syndrome
pour lequel le critère de classification était fourni par sa définition :
« oubli anormal en présence d’une intelligence préservée ». Les auteurs
soulignent que beaucoup d’énergie a été déployée pour mesurer l’oubli
avant que l’on ne découvre que tous les patients amnésiques n’étaient
pas les mêmes. Un nouveau critère de classification s’est imposé lorsque
les distinctions théoriques ont conduit à de nouvelles distinctions entre
patients selon les processus mnésiques perturbés (chapitre 3, section 9).
Cet exemple montre comment des efforts sur le seul plan des méthodes
de recueil et de traitement des données (examen de profils neuropsy-
chologiques multidimensionnels, etc.) ne peuvent être suffisants. La
validité des critères de classification doit être questionnée, les systèmes
de classification doivent être le plus précis et le mieux opérationnalisés
possible.
La critique majeure qui est adressée aux études de groupe est que les
scores moyens peuvent ne refléter la performance d’aucun patient par-
ticulier inclus dans le groupe. McCloskey (1993) analyse cette source
de difficulté dans l’interprétation des données des études de groupe.
La mise en évidence d’une double dissociation statistiquement signi-
ficative sur la base d’une comparaison de deux groupes de patients
cérébrolésés et d’un groupe de sujets normaux ne démontre pas que
tous les patients d’un groupe, ni même une majorité d’entre eux, pré-
sentent le déficit mais implique seulement qu’au moins quelques-uns
des patients présentent le déficit sélectif. Qui plus est, poursuit l’auteur,
parmi les patients pour qui l’effet de groupe est vrai, les déficits cogni-
tifs sous-jacents peuvent être hétérogènes. Face à ces problèmes, il faut
examiner les patrons de performances au niveau d’un patient particu-
lier, et là aussi pouvoir déterminer quels sont les effets statistiquement
significatifs ; or la quantité de données collectée pour les individus dans
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le cadre d’une étude de groupe est souvent insuffisante pour réaliser une
évaluation statistique au niveau d’un patient particulier. Néanmoins,
des inférences importantes peuvent être faites à partir de comparaisons
de groupes de patients. Une illustration intéressante est donnée par
l’étude des systèmes mnésiques non déclaratifs au travers de l’analyse
de groupes de patients atteints de la maladie d’Alzheimer et de patients
atteints de la chorée de Huntington (appariés quant à la sévérité de
l’atteinte cognitive) qui a permis de mettre en évidence une double
dissociation entre les effets d’amorçage et les performances d’acquisi-
tion d’habiletés (Heindel et al., 1989). Les premiers sont perturbés dans
la maladie d’Alzheimer, contrastant avec un respect des acquisitions
142 Manuel de neuropsychologie

de procédures motrices et perceptivo-verbales. À l’inverse, l’acquisi-


tion de procédures perceptivo-motrices est perturbée dans la chorée de
Huntington, les effets d’amorçage étant préservés. L’explication pos-
sible de la dissociation faisant intervenir des troubles moteurs dans la
chorée de Huntington a pu être écartée, les performances dans la tâche
d’acquisition d’habiletés étant corrélées avec la sévérité de l’atteinte
cognitive mais pas avec un score de déficit moteur primaire. Cette indé-
pendance entre déficit moteur et trouble de l’acquisition d’habiletés
n’aurait pas pu être établie par l’étude d’un patient unique.
Même lorsque les scores moyens reflètent assez fidèlement les perfor-
mances de la plupart des patients, ces résumés statistiques masquent
souvent des scores extrêmes et des profils minoritaires qui pourraient
être d’un grand intérêt théorique et changer les interprétations s’ils
étaient détectés et analysés. Plusieurs méthodes servent la première
étape de mise au jour des sous-groupes, principalement celles que
l’on regroupe dans la famille des « analyses factorielles » : celles-ci se
« situent dans le prolongement du simple examen des corrélations
entre variables [et] consistent à inférer des dimensions non directe-
ment observables, à partir des corrélations entre variables effective-
ment observées » (Huteau, 2000). L’analyse factorielle en composantes
principales (ACP) vise à résumer l’information contenue dans un
tableau « individus x variables » en remplaçant les variables initiales
par un plus petit nombre de nouvelles variables. L’analyse factorielle
des correspondances multiples (ACM) permet l’étude descriptive d’un
tableau caractérisant un ensemble d’individus par un ensemble de
variables qualitatives et la recherche de ressemblances. L’objectif géné-
ral est d’identifier les structures sous-jacentes à un ensemble de don-
nées. Ces différentes méthodes sont étiquetées comme « descriptives »
(par opposition aux statistiques inférentielles, qui se veulent « expli-
catives ») : les questions sont, par exemple, quelles sont les grandes
dimensions du fonctionnement intellectuel, ou, dans des domaines
plus restreints, quelles sont les dimensions de l’attention. Le reproche
est souvent fait à ces démarches de traitement des données de donner
à voir… ce que le chercheur attend. Elles peuvent cependant être gui-
dées par des hypothèses préalables sur « le nombre, la nature et l’orga-
nisation des dimensions » que l’on cherche à éprouver (voir Faure et
Blanc-Garin, 1995).
Y compris dans le cas de lésions focales, la constitution de groupes
a priori sur des critères de lésions pose problème. Le choix peut être
fait de ne pas considérer la latéralité lésionnelle, ou le siège intra-
hémisphérique, comme une variable indépendante. Une analyse cogni-
Les méthodes de la neuropsychologie 143

tive est effectuée à l’aide d’un ensemble de tâches d’intérêt, puis les
auteurs cherchent à décrire des profils : « déviants », « majoritaires »
et « minoritaires », ou des profils de performances cognitives répon-
dant à des hypothèses préalables (Faure et Blanc-Garin, 1995). C’est
ensuite seulement que la répartition des types de lésions, des variables
sociodémographiques d’intérêt, de l’âge, etc., dans les différents profils
est examinée.
Réaliser une étude de cas ou une étude de groupe dépend de l’objectif
recherché, mais peut aussi être contraint tout simplement par l’impos-
sibilité de constituer un groupe de patients suffisamment grand (une
étude de cas uniques multiples peut être un bon compromis) ou, de
façon plus positive, relever de l’opportunité d’analyser un profil neuro-
psychologique exceptionnel chez un patient particulier. Les analyses en
cluster, qui nécessitent un nombre conséquent de sujets, sont tout à fait
adaptées pour identifier des sous-groupes relativement homogènes du
point de vue de leur profil cognitif. La variabilité au sein d’un groupe
de patients ayant reçu le même diagnostic peut être utilisée pour mettre
en évidence les relations structure-fonction comme par exemple avec la
méthode des corrélations cognitivo-métaboliques (encadré 44, p. 369,
chapitre 6). L’étude de cas, bien que limitée dans les possibilités de
généralisation des conclusions à une population, permet d’identifier
une dissociation, de démontrer qu’un phénomène est « autorisé » par
l’architecture fonctionnelle. Elle constitue en outre l’abord privilégié à
la fois pour mettre en œuvre une rééducation et en tester les effets spé-
cifiques (voir chapitre 7). L’essentiel nous semble être que la conception
générale de l’étude et le plan d’expérience, y compris les techniques
statistiques, n’évacuent pas le problème des différences individuelles
(inter et intra-individuelles).
3
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LES GRANDS SYNDROMES


NEUROPSYCHOLOGIQUES
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1. Les contextes de la pratique de la neuropsychologie .................. 143


2. Les aphasies..................................................................................... 145
3. Les acalculies ................................................................................... 164
4. Les apraxies ..................................................................................... 169
5. Les agnosies .....................................................................................173
6. L’héminégligence ............................................................................ 188
7. Les troubles du transfert inter-hémisphérique ............................205
8. Le syndrome frontal ....................................................................... 214
9. Les syndromes amnésiques ............................................................231
10. La pathologie neuropsychologique des émotions......................254
Les grands syndromes neuropsychologiques 147

1. Les contextes de la pratique


de la neuropsychologie

L’approche clinique est au cœur de la neuropsychologie. De plus, la


pathologie constitue une source d’inférences privilégiée au plan de la
recherche, tout en étant mise en relation avec d’autres données d’ori-
gines diverses. Les travaux réalisés en imagerie cérébrale chez le sujet sain
en sont les exemples les plus démonstratifs. Les premiers grands syn-
dromes (aphasie, apraxie, agnosie) ont été définis à partir de l’examen
de malades atteints de lésions cérébrales focales résultant le plus souvent
d’accidents vasculaires, mais aussi de patients souffrant de tumeurs céré-
brales, de traumatismes crâniens et de toutes sortes d’affections (mala-
dies infectieuses, dégénératives, métaboliques, iatrogéniques) pouvant
entraîner des atteintes plus diffuses. La localisation et la taille des lésions
jouent bien sûr un rôle crucial dans l’occurrence et le profil des diffé-
rents symptômes mais l’étiologie est également importante, tant dans
le tableau initial que dans l’évolution des troubles. Les accidents vascu-
laires cérébraux, notamment les infarctus, donnent lieu à des tableaux
cliniques stéréotypés car leur siège est situé dans un territoire relative-
ment limité. Par exemple, les infarctus de l’artère cérébrale antérieure
gauche provoquent une hémiplégie droite et une aphasie transcorti-
cale motrice. Même si la guérison est souvent incomplète et peut être
influencée par différents facteurs (le tableau clinique initial, l’âge du
patient, la rééducation, l’entourage du malade, etc.), les troubles consé-
cutifs à un traumatisme crânien ou à un accident vasculaire cérébral,
qu’il soit ischémique ou hémorragique, s’améliorent au cours du temps
et surtout dans les premières semaines après la survenue de la lésion.
La dynamique évolutive est inverse dans des affections neurodégénéra-
tives, qui entraînent progressivement un syndrome démentiel consti-
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tué, par définition, de plusieurs symptômes neuropsychologiques. Si les


accidents vasculaires cérébraux tendent à devenir moins nombreux du
fait de l’amélioration des techniques de prévention médicale, les patho-
logies neurodégénératives, dont la prévalence augmente avec l’âge, sont
de plus en plus fréquentes en raison du vieillissement démographique
dans nos sociétés. Toutefois, la modification des pratiques neuropsycho-
logiques n’est pas uniquement tributaire des fluctuations de l’incidence
des maladies ou de l’apparition de nouvelles affections comme le Sida.
De nouveaux intérêts influencent également les pratiques cliniques et
de recherche. Les premiers grands syndromes décrivaient des perturba-
tions de fonctions « instrumentales » (le langage, la perception). Plus
148 Manuel de neuropsychologie

récemment, des investigations cliniques ont concerné la pathologie


neuropsychologique de la conscience et des émotions, y compris dans
des situations où les troubles sont très importants comme les états de
conscience modifiés ou les états démentiels au stade sévère de l’évolu-
tion. De plus, l’approche neuropsychologique, longtemps restreinte aux
troubles acquis de l’adulte, s’étend maintenant à des pathologies psy-
chiatriques (par exemple, la schizophrénie) et neurodéveloppementales
(l’autisme, les dyslexies de développement). Cette extension du champ
d’application de la neuropsychologie doit s’accompagner d’évolution
de ses méthodes et de ses modèles théoriques mais aussi d’une pro-
fonde réflexion sur ses missions et sa pratique au quotidien, incluant la
dimension de l’éthique du soin (Eustache, 2012).
Le plan adopté dans cet ouvrage pour traiter de la pathologie résulte
d’un choix nécessairement arbitraire. Du fait de leur importance gran-
dissante, les syndromes démentiels et la neuropsychologie de l’enfant
et du vieillissement donnent lieu à des chapitres séparés. Suivant en
cela une terminologie classique, les intitulés de différents syndromes
commencent par un « a » privatif où cette lettre désigne une perturba-
tion liée à une lésion cérébrale acquise, alors que le préfixe « dys » est
utilisé dans les pathologies neurodéveloppementales, mais il existe des
exceptions provenant généralement de traductions de termes anglo-
saxons où la distinction est moins nette (par exemple la dyslexie pro-
fonde).
Les syndromes neuropsychologiques sont présentés ci-dessous de
façon distincte pour des raisons didactiques, mais un même patient
peut être atteint simultanément de plusieurs perturbations cognitives
(une aphasie et une apraxie gestuelle), ce qui constitue une informa-
tion essentielle mais complique en même temps l’évaluation et l’inter-
prétation des faits d’observation. De même, des déficits neurologiques
complètent souvent le tableau clinique et doivent soigneusement
être pris en considération par le praticien (par exemple une hémi-
plégie droite qui oblige le patient droitier à écrire de sa main gauche
non dominante). L’examen neuropsychologique doit également tenir
compte de certains renseignements cruciaux pour la conduite des inves-
tigations et pour l’interprétation des résultats. Tout d’abord, il convient
de connaître au mieux la situation du patient avant l’installation de
ses troubles en recueillant des éléments de son histoire personnelle :
son âge, sa latéralité manuelle, son niveau d’études, sa profession, mais
aussi ses intérêts, sa personnalité, son mode de vie, ses compétences
particulières (est-il bilingue, artiste ?). Il est tout aussi important d’obte-
nir des renseignements sur d’éventuelles modifications récentes du
Les grands syndromes neuropsychologiques 149

comportement et du mode de vie. Le patient pouvant n’être que par-


tiellement conscient de ses troubles (l’anosognosie fait partie du tableau
clinique de nombreux syndromes), ce type d’information nécessite la
coopération de son entourage. L’anamnèse doit être complétée par dif-
férents examens paracliniques (biologiques, neuroradiologiques). Ces
éléments conduisent à la formulation d’hypothèses qui vont guider
l’examen neuropsychologique, puis s’affiner ou se modifier au fil du
temps (compléments d’examen à visée diagnostique, indication d’une
rééducation).
Les investigations et les prises en charge de patients en neuropsy-
chologie nécessitent une expertise fondée sur une formation de haut
niveau en psychologie et de bonnes connaissances en neurologie, en
psychiatrie et en neurosciences. Dans certains syndromes ou domaines
d’activité, la pratique neuropsychologique demande des connaissances
plus spécialisées, par exemple en psycholinguistique pour l’aphasie ou
en génétique pour des centres de référence sur certaines pathologies
(maladie de Huntington par exemple). Des connaissances plus appro-
fondies sur la spécificité des pratiques cliniques sont aussi nécessaires
selon le type d’institutions : centre de rééducation, établissement hospi-
talier pour personnes âgées dépendantes, institut médico-éducatif, etc.
Compte tenu de l’évolution des connaissances et de la diversité des pra-
tiques cliniques, la formation continue est indispensable pour la pra-
tique de la neuropsychologie.

2. Les aphasies

L’aphasie est définie comme un trouble du langage acquis secondaire


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

à une affection cérébrale. Elle se distingue des retards de langage chez


l’enfant (appelés dysphasies) et des perturbations linguistiques obser-
vées dans certaines maladies psychiatriques (par exemple la schizo-
phrénie).
La classification qui suit est fondée, de façon très pragmatique, sur
la nosographie clinique héritée en partie de la tradition de Lichtheim
et des écoles classiques d’aphasiologie comme celles de France et
d’Allemagne, et reprise par l’école de Boston. Les terminologies qui en
sont issues ont été consacrées par l’usage et ne sont plus guère remises
en cause (aphasie de Broca, aphasie de Wernicke, aphasie de conduc-
tion, etc.). De façon complémentaire aujourd’hui, cette classification et
surtout la description des aphasies s’appuient en même temps sur une
150 Manuel de neuropsychologie

modélisation cognitive. Cette double lecture est particulièrement mar-


quée dans les pathologies du langage, même si on l’observe également
dans d’autres syndromes. Les grands principes de cette modélisation,
appliqués au système lexical, sont résumés dans l’encadré 20 (voir aussi
Viader et al., 2010).

Encadré 20
Le système lexical (Jany Lambert)
La modélisation du système lexical postule que le langage procéderait de
deux types de traitements : un traitement lexical avec activation des repré-
sentations lexicales quand il s’agit de mots connus et un traitement qui pro-
cède par analyse et mise en correspondance d’unités sous-lexicales pour des
non-mots ou des mots nouveaux.
Le système lexical comporte plusieurs composants autonomes impliqués
dans la production et la reconnaissance des mots isolés :
– des représentations de différentes natures (sémantique, phonologique,
orthographique) assimilées à des connaissances stockées à long terme
et regroupées schématiquement en systèmes (ou lexiques). Le système
sémantique y occupe une place centrale. Une représentation sémantique
est assimilée à un ensemble de propriétés sémantiques pouvant être en
partie communes à plusieurs entités conceptuelles. Ces propriétés peuvent
être de niveau catégoriel (cerise : fruit), fonctionnelles (se mange cru…) ou
perceptives (rond, rouge, sucré). L’organisation du système sémantique
lexical et de la mémoire sémantique en général reste encore mal connue
(cf. Samson, in Meulemans et al., 2003 une pour revue de la question). Une
représentation lexicale phonologique correspond à une « image sonore »
abstraite d’un mot spécifiant des informations segmentales (identité
et nombre des phonèmes le composant) et des informations métriques
(structure syllabique, place de l’accent). Une représentation lexicale ortho-
graphique correspond à la forme orthographique spécifique d’un mot
(identité des graphèmes, nombre de lettres, structure graphotactique).
Une représentation lexicale ou unité lexicale aurait un seuil d’activation de
base déterminé par des caractéristiques psycholinguistiques telles que la
fréquence d’usage ou encore l’âge d’acquisition d’un mot. Ainsi le mot pho-
nologique « pain » serait-il accessible plus facilement que le mot « guêtre »
par exemple. Une notion importante est que ce seuil peut être modifié par
des stimulations répétées : un mot, même peu fréquent, va être plus
rapidement récupéré s’il a déjà été produit quelque temps auparavant (prin-
cipe d’amorçage général ou de répétition). La plupart des modèles différen-
cient les lexiques d’entrée, recrutés dans la reconnaissance, des lexiques de
À
Les grands syndromes neuropsychologiques 151

Â
sortie, impliqués dans la production, mais cette thèse est parfois controver-
sée (voir Valdois et de Partz, 2000 pour une revue). Les lexiques d’entrée
– lexique phonologique d’entrée pour les mots entendus et lexique ortho-
graphique d’entrée pour les mots vus – assurent la reconnaissance d’une
forme linguistique indépendamment de sa signification. Leur activation lors
d’une stimulation perceptive (auditive ou visuelle) suffit à distinguer les mots
connus (déjà inscrits dans le lexique) de non-mots (situation par exemple
d’une tâche de décision lexicale). Les lexiques de sortie représentent les
formes des mots activées en vue de la production : lexique phonologique de
sortie pour la modalité orale (évocation spontanée, dénomination d’images,
lecture à haute voix, répétition) et lexique orthographique pour la modalité
écrite (évocation spontanée, dénomination écrite, épellation orale) ;
– des mémoires tampons (buffers) assurent le maintien à court terme d’infor-
mations phonologiques – mémoire tampon phonologique – ou d’informa-
tions graphémiques – mémoire tampon graphémique ;
– des mécanismes de conversion transforment des informations acoustico-
phonologiques en informations phonologiques (conversion phonème-
phonème en répétition), des informations acoustico-phonologiques en
informations graphémiques (correspondance phonème-graphème en
écriture sous dictée), des informations visuographémiques en informa-
tions phonologiques (correspondance graphème-phonème en lecture à
haute voix) ou encore des informations visuographémiques en informa-
tions graphémiques (correspondance graphème-graphème en copie).
L’appellation usuelle est restrictive (conversion phonème-phonème par
exemple) alors qu’il est admis que ces mécanismes opèrent sur des unités
sous-lexicales plus souvent de la taille de la syllabe que de l’unité phonème
ou graphème (voir Segui et Ferrand, 2000, pour des données expérimen-
tales) ;
– des composants « plus périphériques » sont également décrits : méca-
nismes perceptifs visuels (analyse visuelle) et auditifs (analyse phono-
logique), mécanismes impliqués dans la production orale (activation
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

des programmes articulatoires et exécution neuromusculaire) et dans


la production écrite (activation des programmes moteurs graphiques
et exécution neuromusculaire), ou encore système de représentations
perceptives structurales visuelles qui permet la reconnaissance d’un
objet en tant qu’objet familier et qui est recruté lors de l’identification
d’images.
Les liens entre ces différents composants, représentés de façon schéma-
tique dans la figure 1, permettent de suivre les étapes du cheminement
cognitif lors de différentes activités verbales (répétition, dénomination,
évocation lexicale, compréhension orale ou écrite, lecture à haute voix,
copie, etc.).
À
152 Manuel de neuropsychologie

Mot entendu Mot écrit

Lexique Système de Lexique


phonologique descriptions orthographique
d’entrée structurales d’entrée

Conversion Conversion
acoustico- Système graphème-
phonologique sémantique phonème

Lexique Lexique
phonologique orthographique
de sortie de sortie

Mémoire tampon Conversion Mémoire tampon


phonologique phonème-graphème graphémique

Expression
Écriture
orale

Figure 1 – Architecture générale du système lexical


(adaptée de Rapp et Caramazza, 1998)

Les apports de l’approche cognitive à l’étude des aphasies sont mul-


tiples. Si l’objectif de l’approche classique était la description sémiolo-
gique des perturbations du langage en termes de types d’erreurs et de
syndromes (aphasie de Broca, de Wernicke, etc.) et leur mise en corres-
pondance avec les substrats anatomiques, celui de l’approche cognitive
vise l’interprétation des troubles en termes de déficit des mécanismes
(représentations et procédures) spécifiques aux activités linguistiques.
De plus, l’approche cognitive a insufflé à la thérapie une démarche plus
rigoureuse au niveau de la prise en charge des patients en posant des
hypothèses sur la façon de réhabiliter les processus perturbés. Enfin,
elle s’est attachée à mettre en place des paradigmes fiables d’évalua-
Les grands syndromes neuropsychologiques 153

tion de l’efficacité de la thérapie susceptibles de répondre à plusieurs


questions : le bénéfice observé résulte-t-il de l’intervention thérapeu-
tique ou de la seule récupération spontanée ? Un type d’intervention
thérapeutique est-il plus efficace qu’un autre pour un déficit donné ?
L’interprétation cognitive suppose de s’appuyer sur un modèle de fonc-
tionnement du langage pour tenter d’identifier le ou les mécanisme(s)
perturbé(s) chez un patient. Les modélisations de référence les plus cou-
ramment utilisées en pratique clinique sont computo-symboliques
(cf. chapitre 1 et encadré 20, p. 150). Un exemple de cette approche
appliquée aux troubles du langage oral et notamment aux troubles de
la dénomination est donné dans l’encadré 21, p. 155.

2.1 Deux aphasies opposées


Les aphasies recouvrent des situations pathologiques et des expres-
sions sémiologiques variées. Les descriptions princeps de Broca, puis
de Wernicke, ont insisté respectivement sur les troubles de l’expres-
sion et de la compréhension du langage ainsi que sur l’implication
de lésions de l’hémisphère gauche, antérieures (prérolandiques) dans
l’aphasie de Broca et postérieures (rétrorolandiques) dans l’aphasie de
Wernicke.
À la suite de l’école de Boston, on peut aussi opposer ces deux
groupes d’aphasies en les qualifiant respectivement de non fluentes
et de fluentes. Dans ce contexte, la fluence fait référence au nombre
de mots émis par minute dans des situations de langage spontané ou
de description de scènes imagées (environ quatre-vingt-dix chez un
sujet normal). Les discours non fluents, ou réduits (qui caractérisent
l’aphasie de Broca), sont souvent associés à des troubles articulatoires
(ou arthriques) qui affectent la réalisation des phonèmes. Les discours
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fluents (observés dans l’aphasie de Wernicke), qui sont parfois même


logorrhéiques (la fluence y est « exacerbée »), comportent presque tou-
jours des paraphasies phonémiques et sémantiques. Les premières sont
des transformations qui affectent la forme phonologique du mot. Les
phonèmes ne sont pas déformés mais les erreurs consistent en la substi-
tution, l’omission, l’ajout ou la transposition d’un ou de plusieurs pho-
nèmes. Quand le mot cible n’est plus reconnaissable, ces productions
sont appelées néologismes. Les paraphasies verbales correspondent à
des substitutions lexicales (le mot produit appartient au lexique). Elles
peuvent partager avec l’item cible des liens sémantiques (paraphasies
sémantiques), une analogie phonémique (paraphasie verbale formelle)
ou être sans rapport avec lui.
154 Manuel de neuropsychologie

Cette vision dichotomique de l’aphasie, uniquement fondée sur le


critère de fluence, est insuffisante et souffre de trop nombreuses excep-
tions. Des classifications plus complexes ont été proposées, reposant sur
des critères anatomiques, sémiologiques ou neurolinguistiques. La plus
largement utilisée s’inspire de celle de Lichtheim (1885) qui, outre sa
longévité, a le mérite d’être d’une grande logique. Elle est illustrée par le
schéma de « la petite maison » et distingue sept grandes variétés d’apha-
sies (voir encadré 3, p. 13). Cette nomenclature, d’une valeur didac-
tique exemplaire, n’a jamais quitté l’enseignement de l’aphasiologie.
Elle inclut dans un même schéma associationniste du fonctionne-
ment du langage les principaux traits sémiologiques, les associations
syndromiques les plus fréquentes et les lésions cérébrales responsables
de chacune des grandes formes cliniques d’aphasie.
Cette présentation des aphasies, qui privilégie leur classification et
l’analyse sémiologique, ne doit pas pour autant occulter deux points
essentiels. Les tableaux cliniques ne sont pas figés et chez un même
malade, l’aphasie peut, au cours de l’évolution, prendre différentes
formes successives. Ainsi, un patient atteint initialement d’apha-
sie globale, caractérisée par une expression très réduite confinant au
mutisme et de sévères troubles de la compréhension, peut évoluer
vers un tableau d’aphasie de Broca mais aussi, quoique plus rarement,
d’aphasie de Wernicke. Un autre point concerne l’interprétation des
déficits. Une perturbation donnée peut relever de mécanismes diffé-
rents qu’il conviendra d’analyser en tenant compte des résultats obte-
nus à l’ensemble de l’examen neuropsychologique ainsi que de diverses
variables psycholinguistiques. Pour cette raison, l’approche classique
(syndromique) des aphasies est complétée très utilement de l’approche
cognitive, mais s’appuie aussi sur les travaux de l’imagerie cérébrale qui
ont fourni une vision renouvelée des réseaux cérébraux impliqués dans
l’expression et la compréhension du langage.

2.2 Plusieurs formes cliniques d’aphasies


Selon les terminologies classiques, trois formes d’aphasies (aphasie de
Broca, aphasie de Wernicke et aphasie de conduction) ont pour carac-
téristiques communes des difficultés de répétition. Elles s’opposent en
cela aux aphasies transcorticales dans lesquelles cette capacité est pré-
servée. Le manque du mot est commun à toutes ces formes cliniques
d’aphasie, même s’il peut être dû à l’atteinte de mécanismes très divers
(voir encadré 21).
Les grands syndromes neuropsychologiques 155

Encadré 21
Manque du mot et interprétation cognitive (Jany Lambert)
Le manque du mot est fréquent en pathologie du langage. S’il constitue le
signe prédominant de l’aphasie anomique, il est aussi observé dans la plu-
part des syndromes aphasiologiques. Ses manifestations sont cependant
variables : absence de réponse, pause, emploi de mots « valises » (truc,
machin, chose), utilisation par défaut d’un mot générique (légume au lieu
de poireau) ou encore circonlocution fournissant des informations sur le
référent qui montrent un déficit dans la recherche lexicale. Ce déficit peut
éventuellement donner lieu à la production non contrôlée de substitutions
lexicales : erreurs ayant un lien sémantique (tomate) ou formel (barreau)
avec le mot cible.
L’interprétation cognitive fait l’hypothèse que ce signe clinique peut résulter
de dysfonctionnements localisés à différents niveaux : traitement perceptif
visuel et système des représentations perceptives, suspectés si le patient
peut dénommer des stimuli dans d’autres canaux sensoriels, traitement
sémantique (système sémantique) ou récupération de la forme phonolo-
gique (déficit d’accès au lexique phonologique de sortie).
Une perturbation du système sémantique est assimilée à une dégradation
des représentations sémantiques, plus exactement à une perte plus ou
moins étendue des traits sémantiques qui constituent un concept. En raison
de la position centrale de cette composante, cette dégradation perturbe
le traitement d’informations perçues (auditives, visuelles, olfactives, etc.) :
difficultés ou erreurs lors de la compréhension verbale (mots entendus ou
écrits), lors de tâches non verbales (difficultés à donner la signification d’un
dessin ou d’une image et à réaliser des tâches de catégorisation sémantique
à partir d’images). Le déficit se ressent également dans les tâches de pro-
duction verbale orale et écrite : manque du mot ne cédant pas à une aide
par la clef (ou aide) phonémique, définition lacunaire, erreur sémantique par
activation d’un mot partageant une partie des traits de l’item cible (poire-
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pomme). La récupération partielle des propriétés sémantiques est insuffi-


sante pour activer une représentation lexicale, qu’elle soit phonologique
ou orthographique. Les atteintes montrent parfois des dissociations dont
la plus fréquente serait une perturbation de la catégorie « vivants ou biolo-
giques » et une préservation de la catégorie « non-vivant ».
Un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie prédit un manque du
mot pouvant être facilité par une clef phonémique (c’est-à-dire le 1er pho-
nème ou la 1re syllabe du mot), la production éventuelle de périphrases adap-
tées, la préservation de la compréhension, de la répétition et de la lecture
à haute voix. La présence d’erreurs sémantiques est possible : une unité lexi-
cale, partageant un certain nombre de propriétés, est activée à la place de la
cible non disponible. Le mécanisme pathologique est attribué à une élévation
À
156 Manuel de neuropsychologie

Â
anormale des seuils d’activation des unités lexicales. Théoriquement, la
dénomination écrite est préservée (hypothèse d’une activation à partir du
système sémantique indépendante et distincte pour les représentations
phonologiques et les représentations orthographiques de sortie). En pra-
tique, elle est souvent altérée (déficits associés ou force d’activation à partir
du système sémantique insuffisante pour activer les représentations lexi-
cales, phonologiques et orthographiques).
Des perturbations post-lexicales se manifestent par des erreurs phono-
logiques (encodage phonologique/mémoire tampon phonologique) ou
articulatoires (mécanismes de programmation et d’exécution des gestes
articulatoires) dans toutes les tâches de production orale.

2.2.1 L’aphasie de Broca


L’aphasie de Broca, encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expres-
sion, présente deux traits sémiologiques majeurs : le discours est non
fluent et les productions sont caractérisées par des troubles articula-
toires. Les difficultés sont les plus marquées lors de l’expression spon-
tanée. La réduction du discours est toutefois variable selon les patients,
mais l’expression peut être limitée à une stéréotypie comme chez le
célèbre malade de Broca qui ne produisait qu’une syllabe, « tan ». L’élo-
cution est toujours laborieuse et souvent dysprosodique : les difficultés
de contrôle de certains paramètres comme la hauteur et l’intensité du
son perturbent le contour mélodique et la place des accentuations dans
la phrase. Dans certains cas, ces modifications évoquent un « accent »
étranger : « dysprosodie anglo-saxonne ou germanique ». Les transfor-
mations phonétiques, très importantes dans l’aphasie de Broca, peuvent
masquer des paraphasies phonémiques qui se révéleront au cours de
l’évolution. Les termes de désintégration phonétique ou d’anarthrie
pure sont réservés aux formes cliniques où prédominent les troubles
articulatoires. Un autre mode évolutif de l’aphasie de Broca est l’agram-
matisme : les phrases sont courtes avec un style « télégraphique » (les
mots grammaticaux sont omis, les verbes sont à l’infinitif). Les études
récentes insistent sur les troubles de la compréhension de la syntaxe et
des morphèmes grammaticaux. Des perturbations de ce type sont aussi
mises en évidence dans les tâches de lecture, contrastant parfois avec
une bonne compréhension lexicale. La réduction lexicale et l’agramma-
tisme qui caractérisent la production orale se retrouvent dans l’écriture,
parfois de façon plus marquée. Il s’y associe des troubles du graphisme
Les grands syndromes neuropsychologiques 157

et des paragraphies (substitutions, ajouts ou transpositions d’une ou de


plusieurs lettres).
Les troubles neurologiques associés à l’aphasie de Broca comportent
fréquemment une hémiplégie sensitivo-motrice droite, une apraxie
idéomotrice de la main gauche et une apraxie bucco-faciale (impossibi-
lité d’exécuter volontairement certains gestes bucco-faciaux qui peuvent
cependant être produits de façon automatique ou réflexe). Les lésions
responsables de l’aphasie de Broca concernent classiquement la partie
postérieure de la troisième circonvolution frontale gauche et les régions
voisines. Le plus souvent, il s’agit de vastes infarctus frontopariétaux
avec une extension sous-corticale constante.

2.2.2 L’aphasie de Wernicke


L’aphasie de Wernicke, encore appelée aphasie sensorielle, est caractéri-
sée par un discours fluent et parfois logorrhéique, l’absence de troubles
de l’articulation, la production de nombreuses paraphasies et d’impor-
tantes perturbations de la compréhension. Une production abondante
et riche en néologismes est appelée « jargonaphasie ». Ce jargon peut
être à prédominance phonémique, sémantique ou mixte. Les troubles
de la compréhension du langage parlé constituent l’une des caractéris-
tiques de l’aphasie de Wernicke (la surdité verbale pure en est la forme
extrême ; voir chapitre 3, section 5). Dans de nombreux cas, la lecture et
la production écrite sont aussi perturbées. Les lettres sont bien formées
mais les mots sont émaillés de nombreuses paragraphies. Il existe dif-
férentes formes d’aphasies de Wernicke (Lecours et Lhermitte, 1979) :
dans certaines dominent les troubles de la compréhension orale, dans
d’autres les troubles du langage écrit. Enfin, la « grande aphasie de
Wernicke » associe l’ensemble des perturbations décrites, le patient est
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anosognosique et difficilement canalisable.


Les déficits neurologiques accompagnant l’aphasie de Wernicke
(troubles de la sensibilité, hémianopsie latérale homonyme) sont sou-
vent peu marqués. Survenant plus fréquemment chez la personne âgée,
elle peut être prise à tort pour un épisode confusionnel ou même un
état psychotique. Les lésions responsables de l’aphasie de Wernicke
concernent les parties postérieures des première et deuxième circonvo-
lutions temporales ainsi que les gyri angulaire (aire 39 de Brodmann)
et supramarginal (aire 40) de l’hémisphère gauche. Ces deux dernières
localisations concernent les formes d’aphasie de Wernicke avec d’impor-
tants troubles du langage écrit.
158 Manuel de neuropsychologie

2.2.3 L’aphasie de conduction


Ce type d’aphasie est caractérisé par un discours fluent (mais la fluence
n’est pas « exagérée » comme dans les aphasies de Wernicke) et par de
nombreuses paraphasies phonémiques que le patient, conscient de ses
troubles, tente de corriger. Une aphasie de conduction peut s’installer
au décours d’une aphasie de Wernicke. Une répétition très perturbée
contraste avec une compréhension correcte. Comme la dénomination,
la lecture à haute voix donne lieu à de nombreuses paraphasies pho-
némiques mais la compréhension du message écrit est correcte. Le gra-
phisme est bien préservé mais les troubles de l’expression écrite sont
constants et dominés par les paragraphies phonémiques. Les difficultés
concernent surtout l’écriture des non-mots.
Les troubles neurologiques qui accompagnent l’aphasie de conduc-
tion sont variés mais le plus souvent peu marqués (troubles sensitifs,
amputation du champ visuel). L’aphasie de conduction a souvent
été attribuée à une interruption du faisceau arqué, qui relie le cortex
temporopariétal au cortex de la troisième circonvolution frontale (l’aire
de Wernicke à l’aire de Broca), mais d’autres lésions ont été décrites,
notamment dans la partie postérieure du gyrus temporal supérieur (aire
20) et/ou du gyrus supramarginal.

2.2.4 L’aphasie globale


L’aphasie globale se traduit par une altération massive de l’ensemble des
capacités de langage : expression orale nulle ou très réduite, compréhen-
sion nulle ou réduite à des consignes extrêmement simples (« fermez les
yeux »), expression écrite limitée à des traits ou à des boucles (loops).
Une hémiplégie droite avec troubles sensitifs et troubles du champ
visuel est fréquente. Les lésions sont presque toujours des infarctus ou
des hémorragies très étendus fronto-temporo-pariétaux gauches.

2.2.5 Les aphasies transcorticales


Les aphasies transcorticales se distinguent des précédentes par la préser-
vation des capacités de répétition. Cette préservation témoigne du bon
fonctionnement de la boucle audi-phonatoire et de l’intégrité de son
support anatomique, formé de l’ensemble aire de Wernicke – faisceau
arqué – aire de Broca, ou zones périsylviennes du langage.
L’aphasie transcorticale motrice, très voisine de l’aphasie dynamique
décrite par Luria, est une aphasie non fluente dont les traits domi-
Les grands syndromes neuropsychologiques 159

nants sont le manque d’incitation et la réduction du langage. Elle peut


survenir d’emblée ou succéder à une aphasie de Broca. Les patients
présentent aussi un manque d’initiative, un « adynamisme » dans
l’ensemble de leurs activités quotidiennes. L’expression spontanée est
quasi nulle, limitée à quelques syllabes ou mots, parfois écholalique.
Le langage automatique est généralement préservé à condition d’être
initié par l’examinateur. Les capacités à compléter des phrases simples
ou des proverbes sont très bonnes. Les déficits neurologiques associés
sont variables avec parfois une hémiplégie droite qui peut prédominer
au membre inférieur et une apraxie idéomotrice. Les lésions respon-
sables de l’aphasie transcorticale motrice peuvent atteindre le cortex
prémoteur et en particulier l’aire motrice supplémentaire mais aussi le
cortex préfrontal de l’hémisphère gauche. La récupération est générale-
ment bonne.
L’aphasie transcorticale sensorielle est caractérisée par un discours
fluent et bien articulé, émaillé de nombreuses paraphasies séman-
tiques, verbales formelles et plus rarement phonémiques. L’abon-
dance des déviations verbales et la dyssyntaxie (utilisation erronée des
procédés syntaxiques et des morphèmes grammaticaux) contribuent
à l’incohérence du discours. La répétition est correcte et les phéno-
mènes d’écholalie fréquents (le patient répète par exemple la ques-
tion posée par l’examinateur). Il n’existe aucun trouble articulatoire.
Le « langage automatique » (donner les jours de la semaine, réciter des
poèmes surappris) est parfait. En revanche, la compréhension du lan-
gage parlé est médiocre. Les troubles du langage écrit sont voisins de
ceux décrits dans l’aphasie de Wernicke. Les troubles neurologiques
associés à l’aphasie transcorticale sensorielle sont inconstants ; les
déficits sensitifs et les amputations du champ visuel sont les plus fré-
quents. La localisation des lésions cérébrales responsables de l’aphasie
transcorticale sensorielle n’est pas univoque ; il s’agit généralement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de régions voisines de l’aire de Wernicke. La maladie d’Alzheimer, à


un stade intermédiaire de son évolution, peut comporter une aphasie
transcorticale sensorielle.
L’aphasie transcorticale mixte, parfois attribuée à un « isolement des
aires du langage », est une altération très sévère des principales fonctions
linguistiques associant les signes des aphasies transcorticales motrice et
sensorielle. Dans ce tableau très déficitaire, les traits dominants sont la
préservation de la répétition et les conduites écholaliques. Les troubles
neurologiques associés sont importants (hémiplégie droite, déficit sen-
sitif droit, hémianopsie droite) et les lésions très étendues.
160 Manuel de neuropsychologie

2.2.6 L’aphasie amnésique


L’aphasie amnésique, appelée aussi aphasie anomique, ne fait pas partie
de la classification de Lichtheim mais elle est toutefois considérée comme
une forme classique d’aphasie. Elle est caractérisée par un manque du
mot très prononcé et isolé. La fluence, la prosodie, la syntaxe, l’articu-
lation sont au contraire préservées. Le patient emploie de nombreuses
périphrases ou des mots « passe-partout » pour pallier le manque du
mot, qui est particulièrement net dans les tâches de dénomination, et
cela quelle que soit la modalité : canal visuel, auditif, tactile ou évoca-
tion d’après la définition. Certaines formes d’aphasie amnésique asso-
cient une perte de la signification des mots. L’aphasie amnésique peut
résulter de lésions diverses (les mécanismes cognitifs expliquant les
troubles sont également divers). Une maladie d’Alzheimer mais aussi
une tumeur cérébrale peuvent se révéler par une aphasie amnésique.
Ce tableau est également caractéristique de la démence sémantique ; en
début d’évolution, le manque du mot est massif, associé à une perte de
la signification des concepts sans autre perturbation cognitive.

2.2.7 Les aphasies sous-corticales


Les aphasies sous-corticales ont reçu leur acception moderne, très dif-
férente de leur sens historique (troubles purs ou unimodaux comme
l’aphasie motrice pure), avec le développement des techniques d’ima-
gerie cérébrale morphologique. Celles-ci ont montré qu’une lésion limi-
tée à une structure sous-corticale de l’hémisphère gauche (le thalamus,
les noyaux gris centraux mais aussi certaines régions de la substance
blanche) pouvait entraîner une aphasie (voir encadré 22, p. 161). Une
perte de l’activation normalement exercée depuis les structures sous-
corticales vers le cortex est le plus souvent invoquée. Selon la locali-
sation des lésions sous-corticales, les tableaux cliniques sont variés
et peuvent correspondre à la typologie classique des aphasies. Toute-
fois, certains tableaux aphasiques ne s’intègrent pas aux classifications
usuelles. Ces cas « dissidents » sont caractérisés par une aspontanéité
verbale, une diminution du volume vocal (hypophonie), des parapha-
sies verbales qualifiées d’étranges et une incohérence du discours. À ces
symptômes aphasiques s’ajoutent des troubles de la mémoire verbale.
Cette sémiologie riche et originale de certaines aphasies sous-corticales
souligne les limites de l’interprétation en termes d’activation sous-
cortico-corticale. De nombreux travaux confirment l’implication des
structures sous-corticales dans les aspects les plus élaborés du langage,
notamment l’organisation du discours.
Les grands syndromes neuropsychologiques 161

Encadré 22
Une observation d’aphasie sous-corticale (Jany Lambert)
Mme L.Y., 74 ans, droitière, institutrice à la retraite, est hospitalisée pour
un déficit moteur modéré de l’hémicorps droit et une aphasie. L’examen
neurologique a rapporté de plus une hypoesthésie de l’ensemble de l’hémi-
corps droit et une hémianopsie latérale homonyme droite. Un scanner céré-
bral a montré une lésion intéressant le territoire cérébral postérieur gauche
remontant jusque dans le thalamus ipsilatéral. Le bilan étiologique a conclu à
un accident vasculaire cérébral ischémique résultant d’un probable embole
d’origine cardiaque.
L’examen du langage effectué quelques jours après le début des troubles a
révélé un tableau sémiologique évoquant une aphasie transcorticale senso-
rielle. L’expression orale spontanée était très pauvre avec de nombreuses
persévérations et des paraphasies phonémiques :
– Quel âge avez-vous ? 23 ans.
– Êtes-vous mariée ? Moi ? 33-43.
– Habitez-vous à Caen ? 3 ans-4 ans.
– Avez-vous des enfants ? Jean-Marie et/ãtR watRo tRwatã…/ trente trois
trois.
Des persévérations et des paraphasies verbales étaient observées en déno-
mination d’images :
– Lampe : chapeau.
– Parapluie : c’est un chapeau.
– Hache : faut que je le mette par ici.
– Berceau : un mouton.
– Thermomètre : un collant.
– Crocodile : ça, c’est un chapeau.
En revanche, la répétition de mots mono- ou plurisyllabiques, de non-mots et
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même de phrases était parfaitement préservée. Lors des échanges conver-


sationnels, une tendance à l’écholalie apparaissait, L.Y. reprenait les termes
utilisés par l’examinateur. La compréhension était très perturbée. La désigna-
tion d’images dans un choix multiple de 6, incluant l’item cible (ex. : tarte),
un distracteur phonémique (carte), sémantique (gâteau), visuel (disque) et
deux distracteurs sans lien (brosse à dents, vipère) a donné lieu à 5 erreurs
sur 7, dont 1 erreur sémantique, 2 absences de réponse et 1 désignation
d’un item sans lien. La compréhension syntaxique étudiée par une épreuve
d’appariement phrase/images était également perturbée (8 erreurs sur 15).
La lecture à haute voix de mots et de non-mots montrait de bonnes per-
formances pour les premiers items présentés puis des persévérations avec
des néologismes (exemple : garpon’ +, raisin’/gaRpi/, obscurité’/gaR/…).
À
162 Manuel de neuropsychologie

Â
L’écriture était impossible et les productions, même lors de la copie, consis-
taient en une itération de jambages non signifiants.
L’évolution des troubles du langage oral a conduit à une expression orale
plus fluente mais comportant encore de nombreuses déviations. Il s’agissait
de néologismes :
– Un garçon lit un livre : il lit un/savoKna/.
– Une carotte : un/bu loKatœr/.
– Une femme âgée qui tricote : c’est une grand-mère qui/aseñ/les boutiques.
– Une bougie : un/mozes/.
Quelquefois la patiente produisait des pseudo-mots résultant de l’utilisation
de morphèmes grammaticaux non appropriés :
– Le deuxième a un service de raisonnerie d’italien (en parlant de son fils
professeur d’italien).
– Elle s’est mise en routière.
– Elle doit verser un onzière.
Son langage était surtout caractérisé par des substitutions de mots appar-
tenant au lexique. Ces paraphasies verbales n’avaient le plus souvent pas de
lien sémantique avec le mot attendu :
– J’ai pas mes silex (lunettes).
– Elle baisse le rideau : elle attache ses fuseaux.
– Clés : un petit roulant avec 3 baigneurs.
– Échelle : un morceau de marelle.
– Brouette : c’est une église italienne.
– Téléphone : le compte rendu qui appelle le fil… je ne suis pas pédagogue…
ce n’est pas marqué le pedigree.
Parfois ces paraphasies avaient un lien avec l’item cible : champ sémantique,
catégorie, ou traits sémantiques communs :
– Il est à vélo : il est à cheval.
– Parapluie : un chapeau de bébé de parapluie.
– Sifflet : une sucette d’école.
– Livre : deux marges de correction.
– Loup : c’est un chien, mais il est un peu plus sévère, non, c’est un Mathieu
sevré d’un vol, qu’est tiré d’un vol.
– Hirondelle : c’est un berger légendaire qui représente une buse, quelque
chose comme ça.
La patiente corrigeait rarement ses erreurs, elle exprimait cependant une
certaine conscience de son trouble linguistique : « un mot est venu se loger
en désarroi, à défaut de sa présence », « je mets quand même les accents
À
Les grands syndromes neuropsychologiques 163

Â
polis comme je sais que j’étais à court de vocabulaire ». De même, lors de tâches
d’évocation lexicale dans un champ sémantique délimité, elle respectait diffici-
lement la contrainte mais semblait avoir conscience de ses digressions.
Exemple : évocation de noms d’animaux
1) tourterelle – merisier – oiseau – avion – Ce ne sont pas des oiseaux
construits par les mains des hommes… chat… la ridelle… c’est pas
vrai… c’est pas un oiseau… c’est un mot que j’ai construit.
2) chien… chat… cerveau… l’Aquitaine… la fourmi… le sirop… je crois
que je m’en vais vers les animaux… la ficelle… la truelle… l’oiseau
rare… la truelle.
Lors de la phase initiale, l’altération de l’expression orale spontanée, de la
description et de la dénomination d’images, les troubles sévères de compré-
hension mais la préservation de la répétition correspondaient au syndrome
d’aphasie transcorticale sensorielle. Au cours de l’évolution, la richesse et la
diversité des paraphasies verbales ou sémantiques incluant des mots peu
fréquents et abstraits ainsi que les digressions rapprochaient ce tableau
sémiologique de ceux décrits lors des aphasies sous-corticales, ce qui est
compatible avec la lésion présentée par cette patiente.

2.2.8 Les troubles de la communication verbale lors de lésions


de l’hémisphère droit
Ces troubles sont maintenant bien documentés et de nombreux travaux,
avec des méthodologies diverses, ont permis d’invalider le dogme clas-
sique d’une dominance exclusive de l’hémisphère cérébral gauche pour
le langage. Des anomalies de la compréhension et de la production pro-
sodique ont été décrites chez les patients atteints de lésions hémisphé-
riques droites. Des travaux suggèrent également que l’hémisphère droit
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serait particulièrement impliqué dans le domaine lexico-sémantique,


dans la pragmatique des comportements de communication ainsi que
dans la compréhension des métaphores et de l’humour (Hannequin et
al., 1987).

De façon générale, au-delà de cette approche sémiologique, la neuro-


psychologie cognitive a proposé un cadre interprétatif aux troubles
aphasiques. Les perturbations sont rattachées à des altérations spéci-
fiques des composantes du langage : traitement phonétique, phonolo-
gique, lexical, sémantique (cf. encadré 21, p. 155, pour l’interprétation
du manque du mot). Nous développerons ces conceptions dans le cadre
du langage écrit où elles sont largement utilisées.
164 Manuel de neuropsychologie

2.3 Les troubles du langage écrit


2.3.1 Les alexies
Les alexies (ou troubles de la lecture consécutifs à une lésion cérébrale
acquise) sont observées en association avec la plupart des aphasies. De
plus, l’alexie pure et l’alexie-agraphie ont été décrites par Dejerine à la
fin du XIXe siècle. Dans l’alexie pure (ou alexie sans agraphie), le trouble
de la lecture peut être total mais, généralement, une lecture lettre à
lettre est possible. Le patient peut lire des lettres palpées, ou encore
reconstituer des mots à partir de lettres épelées par l’examinateur. Les
mécanismes linguistiques de la lecture sont donc conservés et le déficit
peut être considéré comme de nature agnosique (le patient n’accède
pas à l’« image globale » du mot), même si l’atteinte est parfois limitée
aux symboles écrits. Les troubles aphasiques associés se réduisent géné-
ralement à une anomie. Les lésions responsables siègent toujours dans
le lobe occipital de l’hémisphère gauche et s’étendent au splénium du
corps calleux. Ces lésions réalisent une déconnexion entre les infor-
mations visuelles et les aires du langage. Par ailleurs, l’alexie-agraphie
résulte, pour Dejerine, de « la perte des images optiques » des lettres
qui retentit sur les modalités réceptives et expressives du langage écrit.
L’atteinte de la lecture y est massive, avec une compréhension nulle et
une lecture à haute voix impossible ou jargonnée. La lésion cérébrale
responsable de l’alexie-agraphie intéresse le gyrus angulaire de l’hémi-
sphère gauche. Ce tableau clinique peut être associé à une aphasie de
Wernicke ou à une aphasie amnésique. D’autres signes d’atteinte parié-
tale sont fréquents : apraxie constructive, apraxie idéomotrice, syn-
drome de Gerstmann (ce dernier associe une agraphie, une acalculie,
une indistinction droite-gauche et une agnosie digitale).
En dehors de ces conceptions classiques qui restent largement des-
criptives, l’approche cognitive des troubles du langage écrit a permis
de mettre en évidence de nouveaux syndromes (chapitre 1 section 9
et chapitre 2 section 2). Deux voies principales de la lecture à haute
voix sont distinguées dans les modèles cognitifs. La voie lexicale, par-
tant du module d’analyse visuelle, gagne le lexique orthographique
d’entrée où est activé le mot présenté, puis le système sémantique où
il est « compris », le lexique phonologique de sortie où est activée sa
forme phonologique et enfin le tampon phonologique, relais obligé de
toute expression orale. Par ailleurs, la voie phonologique relie le module
d’analyse visuelle au tampon phonologique en passant par un module
de conversion des graphèmes en phonèmes.
Les grands syndromes neuropsychologiques 165

Le trait caractéristique de l’altération de la voie lexicale de la lecture


est l’incapacité de lire les mots irréguliers contrastant avec la préserva-
tion de la lecture des mots réguliers et des logatomes. Les erreurs sont
appelées « régularisations », les mots sont lus « comme ils s’écrivent »,
c’est-à-dire selon les règles les plus usuelles de transcription graphème-
phonème. Les termes d’alexie lexicale et de dyslexie de surface sont
réservés aux atteintes de la voie lexicale.
Inversement, l’atteinte de la voie phonologique de la lecture se carac-
térise par une impossibilité à lire les non-mots. En effet, la voie lexi-
cale permet uniquement la lecture des mots figurant dans le lexique,
qu’ils soient d’orthographe régulière ou irrégulière. Ce trouble est isolé
dans l’alexie phonologique. Dans la dyslexie profonde, il est associé à
d’autres perturbations de la voie lexico-sémantique.

2.3.2 Les agraphies


La neuropsychologie cognitive a renouvelé l’approche des troubles de
l’écriture et proposé une terminologie voisine de celle utilisée dans les
troubles de la lecture (voir chapitre 2 section 2 et encadré 7 p. 59). Ainsi,
l’agraphie lexicale (ou « de surface ») est caractérisée par des troubles
sélectifs de l’écriture des mots irréguliers conduisant à des erreurs de
régularisation encore appelées « erreurs phonologiquement plausibles ».
L’agraphie phonologique est au contraire caractérisée par des troubles
sélectifs de l’écriture des non-mots. L’agraphie profonde constitue un
tableau moins pur avec l’association notamment de paragraphies séman-
tiques. Une atteinte du tampon graphémique correspond à une réduction
des capacités de maintien temporaire des informations graphémiques qui
se répercute sur toutes les modalités d’écriture. La caractéristique princi-
pale de ce syndrome est un effet de longueur, c’est-à-dire une probabilité
d’erreurs plus grande pour les mots longs que pour les mots courts. Ces
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erreurs consistent en des substitutions, omissions ou transpositions de


lettres (erreurs non phonologiquement plausibles). Elles affectent aussi
bien les mots que les non-mots et leur distribution montre une courbe
en U renversé avec une prédominance des erreurs en milieu de mots.
Les modèles cognitifs permettent également la description de différents
syndromes plus « distaux » appelés agraphies périphériques. De façon
générale, ces troubles périphériques sont limités à l’expression écrite et
n’affectent pas l’épellation orale. Les perturbations du système allogra-
phique (qui a pour fonction le choix de la forme générale de la lettre
selon le type de répertoire acquis) peuvent donner lieu à des mélanges de
lettres appartenant à différents répertoires, à une impossibilité à produire
une lettre dans un répertoire donné (difficultés avec les majuscules ou
166 Manuel de neuropsychologie

avec les minuscules), ou à des substitutions de lettres montrant des simi-


larités spatiales ou visuelles. Des déficits peuvent être mis en évidence
dans des tâches de transcodage (produire une lettre dans un répertoire
différent : A ´ a) ainsi que dans des épreuves d’imagerie mentale testant
la connaissance de la forme de la lettre mais la copie de lettres est préser-
vée. Les perturbations des programmes moteurs graphiques conduisent
au tableau classique d’agraphie apraxique : lettres mal formées sans défi-
cit de la connaissance de leurs formes ni trouble sensorimoteur. Enfin,
la perturbation du code graphique (appelée encore trouble d’exécu-
tion motrice) est la conséquence d’un déficit de commande musculaire
dans ses composantes de paramétrisation et/ou d’initiation. Ces déficits
sont observés par exemple dans la micrographie de la maladie de Par-
kinson ou encore dans les atteintes cérébelleuses. Ces modèles cogni-
tifs de l’expression écrite ont le mérite de la clarté. Dans la réalité, les
syndromes correspondant aux déficits des processus centraux semblent
avoir des caractéristiques plus unanimement reconnues que celles des
syndromes périphériques dont les composantes restent mal connues et
sources de controverses.

2.4 L’examen des troubles aphasiques


et de la communication
Plusieurs échelles standardisées sont disponibles en langue française
pour effectuer des bilans des troubles aphasiques. Toutes permettent
d’évaluer l’expression et la compréhension (orale et écrite) et les modes
de transposition : répétition, lecture à haute voix, écriture sous dictée
(Viader et al., 2010). Ces bilans fournissent une première description
des perturbations et contribuent à préciser le type d’aphasie auquel
s’apparente la sémiologie du patient. Ils permettent également de trans-
mettre des informations quantitatives et qualitatives à un autre clini-
cien. Dans nombre de situations, il est utile de compléter ces examens
standards d’explorations plus approfondies. Par exemple, la proposi-
tion de listes de mots (réguliers et irréguliers) et de non-mots en lecture
et en écriture sous dictée pour l’exploration des troubles du langage
écrit constitue une approche complémentaire, qui doit permettre de
mieux comprendre le niveau de perturbation. Ce type d’analyse, fai-
sant varier les tâches, les stimuli et éventuellement des paramètres psy-
cholinguistiques comme la fréquence d’usage du mot dans la langue
ou la concrétude, peut s’appliquer à divers syndromes aphasiologiques
et s’avérer particulièrement pertinent pour l’élaboration de la prise en
charge rééducative.
Les grands syndromes neuropsychologiques 167

Les capacités de communication verbale ne sont pas systématique-


ment évaluées en cas de lésion de l’hémisphère cérébral droit alors
qu’elles seraient altérées chez environ un patient cérébrolésé droit
sur deux. Le Protocole Montréal d’Évaluation de la Communication
(Joanette et al., 2011) a été conçu pour permettre d’évaluer l’intégrité
des capacités de communication verbale dans ses aspects prosodique,
lexico-sémantique, discursif et pragmatique, et d’en objectiver les per-
turbations, souvent subtiles ; cette évaluation est articulée avec des pro-
positions de prise en charge spécifique.

3. Les acalculies

L’acalculie désigne la perte de la capacité à comprendre et/ou à produire


des nombres et des symboles arithmétiques et à réaliser des calculs élé-
mentaires (voir l’ouvrage de Pesenti et Seron, 2000). Les troubles du
calcul et du traitement des nombres ont d’abord été considérés comme
secondaires à une perturbation du langage mais, dès 1919, Henschen a
montré que les troubles du calcul devaient être distingués des troubles
aphasiques et a proposé le terme d’acalculie.

3.1 Classification et évaluation des troubles du calcul


et du traitement des nombres
Le terme d’acalculie recouvre une variété de troubles spécifiques, parmi
lesquels des difficultés à lire et à écrire des nombres, à effectuer une
conversion entre les différents codes – par exemple pour passer d’une
notation en chiffres arabes « 13 » à son numéral verbal « treize » –,
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des erreurs dans la compréhension des signes arithmétiques ou dans la


résolution des opérations arithmétiques, même les plus simples (addi-
tion, soustraction).
D’un point de vue clinique, la classification des acalculies proposée
par Hécaen et al. (1961) sert de référence. Trois groupes sont distingués
selon le déficit sous-jacent :
– l’anarithmétie, ou déficit primaire du calcul : ce type de perturba-
tion serait le moins fréquemment observé ;
– l’acalculie alexique et/ou agraphique : dans ce deuxième groupe,
l’échec aux différentes tâches de calcul et de traitement des nombres
peut être attribué à des déficits très sélectifs qui ne touchent que la
168 Manuel de neuropsychologie

lecture ou l’écriture des nombres, tandis que le traitement d’autres


types de mots écrits ou de symboles apparaît préservé ;
– l’acalculie spatiale : les patients commettent des erreurs dans les
tâches arithmétiques à cause d’une désorganisation des traite-
ments spatiaux. L’acalculie est ici considérée comme secondaire à
un trouble spatial plus général (par exemple lorsqu’un côté, droit
ou gauche, d’une opération posée par écrit est négligé), comme
l’attestent les difficultés de ces patients dans de nombreuses autres
tâches visuospatiales.
Les patients présentant des troubles du maniement des nombres et
du calcul souffrent souvent de lésions des régions postérieures, parti-
culièrement du lobe pariétal, et plus fréquemment dans l’hémisphère
gauche. Selon Cohen et Revkin (in Lechevalier et al., 2008), celui-ci
est « le siège d’un système complet de traitement numérique » mais
cette spécialisation n’est pas exclusive. L’étude des difficultés consécu-
tives à des lésions de l’hémisphère droit (acalculie spatiale, difficultés de
comparaison de nombres, etc.), ainsi que des performances de patients
souffrant d’une déconnexion inter-hémisphérique, signalent une impli-
cation de l’hémisphère droit et donc que les deux hémisphères auraient
la capacité à manipuler la quantité.
Deloche et al. (1994) ont développé la batterie EC301 pour l’évalua-
tion des difficultés des patients selon les multiples aspects du traitement
des nombres et du calcul et en tenant compte des effets des facteurs
démographiques jusque-là assez négligés (le sexe, l’âge et le niveau
socio-culturel). Différents sous-tests ciblent plus particulièrement le
comptage, l’estimation des quantités, le transcodage, la connaissance
des signes arithmétiques et le calcul mental.

3.2 L’approche cognitive du calcul et de ses troubles


Des troubles du calcul proprement dits (échec à additionner, à diviser)
peuvent survenir chez des patients qui conservent une compréhension
normale des nombres, et inversement. Mais au sein même de ces deux
catégories d’acalculies (primaires), de nombreuses dissociations ont été
décrites. Ainsi, au sein du traitement des nombres écrits, des déficits
spécifiques peuvent toucher l’un ou l’autre des deux principaux sys-
tèmes de notation (arabe et verbale) ; la lecture des signes arithmétiques
(+, –, /) peut être perturbée chez des patients dont la capacité à lire les
nombres est préservée (Hécaen et al., 1961). L’acalculie n’est donc pas
un syndrome unitaire, différents aspects du traitement des nombres
Les grands syndromes neuropsychologiques 169

pouvant être perturbés sélectivement. Ces observations de dissociations


et doubles dissociations chez les patients cérébrolésés ont permis de
décrire différents processus et types de représentations impliqués dans
le calcul et le traitement des nombres. Ces « habiletés de base du trai-
tement numérique » (Cohen et Revkin, in Lechevalier et al., 2008) ren-
voient à :
– trois formats ou codes distincts : une séquence de mots ; une série
de chiffres arabes, une représentation d’une quantité abstraite indé-
pendante des symboles conventionnels ;
– des processus de mise en relation entre ces trois « codes cérébraux »
et les objets externes ;
– des processus de transcodage qui permettent de passer d’un code à
l’autre ;
– le calcul.
Les trois principaux modèles de l’architecture fonctionnelle du cal-
cul et de la compréhension-production des nombres chez l’adulte ont
été proposés par Deloche et Seron, McCloskey et collaborateurs, et
Dehaene et collaborateurs. La plupart, à l’instar du modèle élaboré par
McCloskey et ses collaborateurs en 1986, proposent une architecture
fonctionnelle modulaire. Plusieurs composantes de traitement sont
distinguées, principalement un système de calcul, et deux systèmes de
traitement des nombres, un pour leur compréhension, un autre pour
leur production. Tous les auteurs retiennent l’idée que les notations
des nombres ou codes les plus fréquemment utilisés (verbal et arabe)
sont organisés comme un système linguistique : chaque type de nota-
tion serait caractérisé par un lexique, différents types de représenta-
tions (phonologique, graphique, etc.), et une syntaxe, c’est-à-dire un
ensemble de règles d’organisation permettant de former des expres-
sions numériques comportant plusieurs mots (« quatre-vingt-seize »).
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Les modèles divergent en revanche sur la question du système séman-


tique (pour une revue, voir Pesenti et Seron, 2000).
Le traitement des nombres serait donc sous la dépendance d’un sys-
tème neurocognitif particulier et relativement indépendant d’autres
systèmes de traitements verbaux. Le modèle du triple code de Dehaene
et collaborateurs est souvent choisi comme référence (voir encadré 23,
p. 170). Ce modèle général du traitement des nombres tente de rendre
compte de la nature, du fonctionnement et de la localisation céré-
brale des différents mécanismes et types de représentations mentales
impliqués.
170 Manuel de neuropsychologie

Encadré 23
Modèle cognitif du traitement des nombres et du calcul de Dehaene
(d’après Dehaene et al., 2004)
L’imagerie cérébrale fonctionnelle chez le sujet normal montre que le cal-
cul exact et l’approximation activent des zones cérébrales distinctes : fron-
tales inférieures gauches pour le calcul, et pariétales, bilatéralement, pour
l’approximation. Les dissociations et doubles dissociations observées chez
les patients souffrant d’une acalculie indiquent elles aussi que certains
aspects du calcul et du traitement des nombres seraient sous la dépendance
d’un système cognitif particulier et relativement indépendant d’autres sys-
tèmes de traitement verbaux, et reposeraient sur des régions distinctes de
celles qui sous-tendent le langage.
Dehaene et ses collaborateurs ont développé un modèle général du traite-
ment des nombres qui vise à rendre compte de la nature, du fonctionne-
ment et de la localisation cérébrale des différents types de représentations
mentales impliquées. Il existerait trois types de représentations mentales
possibles pour les chiffres : une représentation analogique des quantités,
une représentation verbale des quantités (par exemple, les tables de multi-
plication seraient mémorisées sous la forme d’associations verbales) et une
représentation visuelle en chiffres arabes. La partie du modèle qui concerne
spécifiquement le traitement des chiffres arabes est schématisée ci-dessous
(d’après Dehaene et al., 2004).
entrée visuelle
par exemple 6 - 4

forme visuelle
forme visuelle des nombres
des nombres faits comparaisons,
arithmétiques soustractions

représentation représentation représentation


verbale de la quantité de la quantité

sortie phonologique

hémisphère gauche hémisphère droit

Les régions cérébrales impliquées pour chaque type de représentation


numérique seraient :
– pour la représentation visuelle des chiffres arabes, la région occipito-
temporale inférieure et médiane bilatéralement ;
À
Les grands syndromes neuropsychologiques 171

Â
– pour la représentation quantitative des nombres et la comparaison numé-
rique, la région pariétale inférieure bilatéralement ;
– et pour la représentation verbale des nombres, les aires périsylviennes
exclusivement dans l’hémisphère gauche.

4. Les apraxies

4.1 Ambiguïtés terminologiques et conceptuelles


L’apraxie est classiquement définie en neuropsychologie comme un
trouble acquis de l’exécution intentionnelle d’un comportement
moteur finalisé consécutif à une lésion cérébrale, qui ne peut être expli-
qué par une atteinte motrice, sensitive ou intellectuelle. Il s’agit donc
d’une pathologie du geste sans déficit sensorimoteur, sans trouble de la
compréhension et sans détérioration mentale importante. Elle corres-
pond ainsi à une rupture entre le but du mouvement et la réalisation
motrice. En suivant cette définition générale, nous aborderons les formes
classiques d’apraxies, puis d’autres formes cliniques parfois situées aux
franges d’autres syndromes. Nous mentionnerons les modèles récents
de l’organisation cognitive du geste qui permettent de clarifier certaines
ambiguïtés terminologiques (Blondel et Eustache, in Lechevalier et al.,
2008). Enfin, les principes de l’examen de l’apraxie seront exposés.

4.2 Les formes cliniques d’apraxie


Suivant les conceptions de Liepmann qui a réalisé les premières grandes
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études dans ce domaine au début du XXe siècle, trois grandes formes


d’apraxie gestuelle doivent d’abord être distinguées : l’apraxie idéatoire,
l’apraxie idéomotrice (toutes deux bilatérales à l’exception de l’apraxie
idéomotrice gauche des lésions calleuses) et l’apraxie mélokinétique
(généralement unilatérale). En dehors de ces trois « grandes apraxies »,
il convient de mentionner d’autres formes cliniques qui peuvent être
observées dans des contextes pathologiques différents.

4.2.1 L’apraxie idéatoire


Elle consiste en une difficulté ou une incapacité à réaliser une suite
d’actions orientées vers un but (allumer une bougie avec une boîte
172 Manuel de neuropsychologie

d’allumettes). Selon les auteurs, elle est interprétée comme une pertur-
bation du plan général de l’action à réaliser ou comme un trouble de
l’organisation séquentielle de l’action. L’apraxie idéatoire est d’autant
plus marquée que la complexité du geste est grande mais les compo-
santes élémentaires des mouvements sont correctement exécutées.
L’apraxie idéatoire témoigne donc d’un trouble moteur de niveau supé-
rieur en rapport avec une perturbation de la conceptualisation de la
séquence d’actions (l’idée du geste). Elle gêne la vie quotidienne du
patient. L’apraxie idéatoire s’observe lors de lésions étendues de l’hémi-
sphère gauche ou des deux hémisphères cérébraux, le plus souvent
d’origine vasculaire ou tumorale. Elle est fréquente également dans la
maladie d’Alzheimer.

4.2.2 L’apraxie idéomotrice


C’est une perturbation des actes simples intentionnels contrastant avec
une préservation de l’exécution automatique de ces mêmes actions. Les
troubles praxiques idéomoteurs sont observés dans les tâches exécutées
sur ordre et sur imitation. Contrairement à l’apraxie idéatoire, la pertur-
bation affecte les gestes simples isolés ou des fragments d’une séquence
gestuelle, mais le plan général de l’action est conservé. Ce type d’apraxie,
qui répond au principe de dissociation automatico-volontaire, apparaît
en situation d’examen, mais les mêmes gestes sont effectués sans dif-
ficulté dans leur contexte habituel d’exécution. L’apraxie idéomotrice
bilatérale résulte le plus souvent de lésions pariétales gauches. L’apraxie
idéomotrice unilatérale gauche est observée en cas de lésions calleuses.
Une déconnexion inter-hémisphérique peut également entraîner
une apraxie diagonistique, où les deux mains semblent présenter des
comportements antagonistes.

4.2.3 L’apraxie mélokinétique (ou motrice)


Elle affecte la réalisation des mouvements rapides et précis. Elle ne
perturbe généralement qu’un segment musculaire de façon unilaté-
rale (le membre supérieur et ses extrémités). Il n’existe pas de dis-
sociation automatico-volontaire comme dans l’apraxie idéomotrice.
Pour ces raisons, cette apraxie mélokinétique est considérée par dif-
férents auteurs comme un trouble moteur résiduel (au décours d’une
hémiplégie) et non comme une réelle apraxie. Les lésions respon-
sables de l’apraxie mélokinétique sont généralement situées dans le
lobe frontal et notamment à proximité de l’aire de Broca ou de son
homologue droit. Elle est observée dans des maladies dégénératives
Les grands syndromes neuropsychologiques 173

comme l’atrophie corticobasale et le syndrome d’apraxie progressive


primaire.

4.2.4 L’apraxie de l’habillage


Elle consiste en une difficulté à agencer, orienter et disposer des vête-
ments en relation au corps propre. Dans les formes légères, l’habillage
est réalisé au prix de nombreuses hésitations et les difficultés n’appa-
raissent que si les vêtements sont présentés de manière inadéquate.
Les lésions responsables se situent généralement dans les régions parié-
tales et pariéto-occipitales de l’hémisphère droit. En outre, ces lésions
entraînent fréquemment des désordres visuospatiaux et des troubles du
schéma corporel pouvant aller jusqu’à l’hémiasomatognosie. L’apraxie
de l’habillage est également fréquente dans la maladie d’Alzheimer,
dans ce cas, elle est le plus souvent associée à des troubles praxiques de
type idéatoire ou idéomoteur.

4.2.5 L’apraxie bucco-faciale


L’apraxie bucco-faciale est caractérisée par une dissociation entre
l’impossibilité d’effectuer des activités volontaires (souffler, tirer ou cla-
quer la langue) et la conservation des activités automatiques et réflexes
lors de la réalisation des gestes bucco-faciaux (par exemple la masti-
cation ou la déglutition). Des lésions frontales sont généralement à
l’origine de l’apraxie bucco-faciale ; celle-ci est fréquemment associée
à une aphasie de Broca en cas de lésion de l’hémisphère gauche (cha-
pitre 3 section 2).

4.2.6 L’apraxie constructive


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Elle ne correspond pas à un réel syndrome neuropsychologique mais


ce terme permet de rassembler une somme de perturbations observées
chez des patients victimes de lésions cérébrales. L’apraxie constructive
désigne un trouble de l’exécution des dessins (spontanés ou copiés)
mais aussi de la réalisation de constructions bi- ou tridimensionnelles
(utilisant des bâtonnets, des cubes ou diverses pièces à assembler). Les
troubles des praxies constructives sont classiquement différenciés selon
la latéralisation des lésions, même si la valeur « localisatrice » de l’apraxie
constructive est très controversée. Chez les patients atteints de lésions
hémisphériques gauches, l’apraxie constructive est parfois difficile à
examiner du fait d’une « apraxie gestuelle » idéatoire ou idéomotrice. Le
patient procède par juxtaposition de détails ; la copie est mieux réalisée
174 Manuel de neuropsychologie

que l’exécution spontanée. L’aide par le modèle est moins nette chez
les patients porteurs de lésions droites chez qui dominent les troubles
visuospatiaux et les phénomènes de négligence (chapitre 3, section 6).
Les lésions responsables de l’apraxie constructive peuvent être parié-
tales mais aussi frontales. Ces perturbations sont également fréquentes
dans la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer. Dans ce der-
nier cas, l’apraxie constructive se manifeste parfois par un phénomène
d’accolement au modèle (le patient dessine directement sur le modèle
ou en continuité avec celui-ci ; voir encadré 42, p. 363, chapitre 6).

4.2.7 Les apraxies sélectives


Ces dernières affectent un domaine particulier : l’apraxie de la marche,
l’agraphie apraxique (chapitre 3, section 2).

4.3 Les modèles cognitifs de l’organisation gestuelle


Les classifications des apraxies ont été discutées et le terme d’apraxie,
pourtant consacré par l’usage en neuropsychologie clinique, est pro-
gressivement délaissé dans la littérature scientifique au profit de celui
de « troubles de l’organisation des comportements moteurs finalisés ».
Ce changement de vocable suppose une démarche plus analytique cher-
chant à préciser la nature des processus de l’organisation gestuelle et de
leurs perturbations consécutives à des lésions cérébrales.
Le modèle fonctionnaliste proposé par Roy et Square (1985) figure
parmi les plus influents. Il distingue deux systèmes : l’un conceptuel,
qui fournit une représentation abstraite de l’action, et l’autre « de pro-
duction », dont dépend l’actualisation de l’action. Le système concep-
tuel repose sur trois grands types de connaissances : la connaissance des
objets et des outils en termes de programmes d’action, la connaissance
des actions indépendamment de l’utilisation de ces outils et objets, la
connaissance de la sériation logique des différents mouvements qui
constituent la séquence d’action. Quant au système de production, il
comprend deux niveaux : celui des programmes généraux impliqués
dans des actions dirigées vers une modification de l’environnement et
celui de l’organisation de la séquence de mouvements nécessaires. Ce
type de modèle, prolongé par des modèles plus récents, a généré des
protocoles d’examen plus élaborés que les classiques bilans de l’apraxie
(Blondel et Eustache, in Lechevalier et al., 2008). Même si des patients
présentant des perturbations sélectives ont été décrits, ces modèles et
ces méthodes sont peu utilisés par les cliniciens, qui restent attachés à
la terminologie classique.
Les grands syndromes neuropsychologiques 175

4.4 L’examen des apraxies gestuelles


Avant de préciser la nature des troubles, une première difficulté consiste
à affirmer l’existence d’une apraxie. Pour cela, il convient d’abord de
détecter d’éventuels troubles associés pouvant invalider la suite de l’exa-
men ou biaiser les interprétations. Un examen neurologique détaillé
constitue un préalable obligé (recherche de troubles moteurs élémen-
taires, de troubles sensitifs) mais certaines investigations neuropsycho-
logiques s’avèrent également cruciales : examen de la compréhension
du langage (le patient comprend-il les ordres qui lui sont adressés ?), de
la mémoire sémantique, des gnosies (le patient identifie-t-il les objets
qu’il devra ensuite utiliser ?). Le schéma corporel et les fonctions exé-
cutives (notamment les capacités de programmation motrice) doivent
faire l’objet d’une exploration minutieuse.
L’examen des apraxies gestuelles comprend de multiples tâches qui ne
peuvent être développées ici (voir Le Gall et Aubin, 2003, pour un proto-
cole détaillé et une synthèse actualisée sur les différentes formes d’apraxie).
Les subtests, proposés sur ordre oral et sur imitation, permettent d’analy-
ser la qualité des gestes (signifiants et non signifiants) exécutés avec les
membres supérieurs mais aussi avec d’autres parties du corps. Certains
gestes impliquent l’utilisation d’objets réels. La batterie proposée par
Mahieux-Laurent et al. (2009) propose un examen rapide de la capacité
à réaliser des gestes symboliques, des pantomimes et l’imitation de gestes
sans signification, et elle a été validée auprès de 419 sujets sains. Les pro-
tocoles s’appuyant sur les modèles cognitifs de l’organisation gestuelle
intègrent des présentations de séquences vidéo où le patient doit pointer
l’utilisation correcte d’un objet parmi des séquences erronées.

5.
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Les agnosies

L’agnosie (terme créé par Freud en 1891) est la perte, liée à une atteinte
cérébrale, de la capacité à identifier les stimuli de l’environnement à travers
une modalité perceptive donnée, en l’absence de trouble sensoriel ou de
détérioration intellectuelle notable. Ainsi, un patient agnosique visuel ne
reconnaît pas un stimulus qu’il a pourtant bien vu, un patient qui souffre
d’agnosie auditive ne reconnaît pas un stimulus pourtant entendu.
Des agnosies multisensorielles ont été décrites, mais nous étudierons
séparément dans ce chapitre les agnosies spécifiques à ces deux modalités
sensorielles, les agnosies concernant les autres modalités étant rares.
176 Manuel de neuropsychologie

5.1 Les agnosies visuelles


Au moins six types d’agnosie visuelle sont distingués selon les diffé-
rentes catégories de stimuli visuels dont le traitement est altéré (pour
une revue, voir Viader, in Lechevalier et al., 2008) : agnosie pour les
objets, des couleurs, prosopagnosie, syndrome de Balint, simultagnosie
et akinétopsie.
Un nombre important de travaux en neuropsychologie sont consa-
crés à cette capacité essentielle, et apparemment simple, que nous
avons d’identifier au premier coup d’œil des milliers d’objets. Les cas de
patients présentant une agnosie visuelle sont relativement rares, mais
l’analyse des troubles d’agnosie des objets notamment continue de four-
nir des éléments pour la compréhension des processus de « reconnais-
sance » (terme utilisé ici dans le sens d’identification) des objets et leurs
soubassements cérébraux.

5.1.1 De la distinction agnosie aperceptive/agnosie associative aux


approches actuelles des agnosies visuelles
En 1890, Lissauer a proposé de distinguer deux formes d’agnosie
selon la nature du déficit fonctionnel responsable des troubles de la
reconnaissance : agnosie aperceptive et agnosie associative.
L’agnosie aperceptive relèverait d’un déficit des processus perceptifs
(les processus de plus bas niveau, sensoriels, étant préservés), empêchant
de construire une représentation interne d’un objet. Certains patients
ont des difficultés à reconnaître des objets familiers présentés sous des
angles inhabituels, ou sous forme de silhouette ou d’ombre projetée,
alors que leurs performances sont normales lorsqu’il s’agit d’identifier
les mêmes objets présentés dans des orientations conventionnelles (vue
canonique) et sous des formes non dégradées. En référence aux modèles
cognitifs de la perception visuelle, le déficit fonctionnel touche l’étape
de structuration, alors que l’extraction et l’analyse des traits élémen-
taires du stimulus se sont effectuées normalement.
Dans l’agnosie associative, les processus perceptifs seraient préser-
vés, mais la représentation de l’objet « correctement construite n’est
pas “associée” aux propriétés fonctionnelles et sémantiques de l’objet »
(Bruyer, 1995, p. 415), d’où l’échec à comprendre sa signification. Les
patients sont capables de percevoir les objets en tant que tels, mais ne
peuvent ni les nommer ni en démontrer l’usage. Ainsi, ils n’ont pas de
difficulté particulière dans les tâches auxquelles échouent les patients
souffrant d’agnosie aperceptive, comme colorier un objet individuel
Les grands syndromes neuropsychologiques 177

lorsqu’il est présenté « mêlé » à d’autres objets, ou copier des dessins,


mais ils ne peuvent identifier ces objets. L’étape de structuration serait
préservée.
Les agnosies associatives seraient le plus souvent liées à des lésions
des régions occipito-temporales inférieures de l’hémisphère gauche,
tandis que les agnosies aperceptives surviendraient lors d’une lésion
pariétale droite.
La distinction établie par Lissauer est toujours considérée comme
recouvrant une certaine réalité, mais elle est maintenant jugée trop
générale. L’étude rigoureuse des patients met en évidence des atteintes
qui peuvent être très sélectives, avec par exemple l’observation de disso-
ciations à l’intérieur de l’étape dite perceptive. Plusieurs formes d’agno-
sies sont maintenant distinguées au sein de chacun des types aperceptif
et associatif.
Quatre critères doivent être réunis pour poser le diagnostic d’agnosie
visuelle (Bruyer, 1995) :
– le patient présente une déficience de la reconnaissance des stimuli
qui lui sont proposés ;
– le trouble se limite à la seule modalité visuelle (par exemple les
objets non reconnus par la vision sont immédiatement reconnus
et nommés lorsqu’on les place dans la main du patient qui a les
yeux fermés) ;
– il n’existe pas de déficit visuel élémentaire d’intensité suffisante
pour expliquer le trouble de reconnaissance ;
– le trouble de reconnaissance est observé en l’absence de trouble
majeur des autres fonctions cognitives (langage, mémoire) ou de
détérioration intellectuelle globale.
Le trouble agnosique peut toucher sélectivement une catégorie parti-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

culière de stimuli visuels. On peut ainsi observer, isolément ou en asso-


ciation chez un même patient, l’agnosie des objets, l’agnosie des visages
et l’agnosie des couleurs.

5.1.2 L’agnosie visuelle des objets


Certains patients atteints d’une lésion cérébrale sont incapables de
reconnaître visuellement les objets même les plus usuels (les couverts,
les outils). L’agnosie des objets est mise en évidence lors d’épreuves où
sont présentés visuellement soit les objets réels, soit le plus souvent leurs
images sous des formes variées, plus ou moins proches de l’objet réel
(photographie, dessin couleur, dessin au trait noir sur blanc). Des tâches
178 Manuel de neuropsychologie

spécifiques permettent d’évaluer chacune des étapes de la reconnais-


sance des objets : l’analyse perceptive élémentaire (appariement selon
la forme, description ou jugement sur la taille), le traitement séman-
tique (apparier des objets selon leur catégorie sémantique ; donner la
fonction d’un objet : « est-ce un outil ? »), l’accès au nom (reconnaître
le nom écrit parmi des distracteurs, dénommer oralement).
Des troubles visuels élémentaires (baisse de l’acuité, amputation
d’une partie du champ visuel) sont presque toujours associés au défi-
cit agnosique car, pour des raisons anatomiques, les lésions généra-
trices d’agnosie empiètent souvent sur le cortex visuel primaire. De ce
fait, la validité du concept d’agnosie aperceptive est souvent critiquée.
Ainsi, Shelton et al. (1994) décrivent un patient dont les performances
de copie et d’appariement sont détériorées, ce qui satisfait le critère de
Lissauer pour le diagnostic d’agnosie aperceptive. Mais l’acuité visuelle
du patient est faible ; elle serait cependant, selon les auteurs, suffisante
pour lui permettre de reconnaître des objets. Warrington et Rudge
(1995) critiquent l’interprétation selon laquelle les déficits visuels
primaires seraient insuffisants pour expliquer les troubles graves de
reconnaissance des objets et mettraient en question le fait que Shelton
ait démontré une agnosie aperceptive « pure » chez ce patient. Pour
leur part, Heilman et Bowers (1995) proposent à partir du même cas
de démembrer l’agnosie aperceptive en deux sous-types, l’un purement
perceptif, et l’autre avec perturbation de la représentation structurale.
Enfin, certaines agnosies visuelles d’objets sont spécifiques à une caté-
gorie sémantique (voir encadré 24). Les premières observations met-
tant en évidence un déficit catégoriel sont attribuées à Nielsen (1946)
et à Hécaen et Ajuriaguerra (1956). Ces auteurs rapportaient un défi-
cit spécifique de la reconnaissance des objets biologiques. L’existence
d’une double dissociation entre objets biologiques et manufacturés a
été depuis confirmée. L’analyse des observations d’agnosie sémantique
de spécificité catégorielle est particulièrement riche d’enseignements
dans la mesure où elle permet d’appréhender le problème de l’organi-
sation de la mémoire sémantique. Ces déficits catégoriels spécifiques
reçoivent des interprétations contrastées, où s’opposent différents
modèles de la reconnaissance des objets (Charnallet et Carbonnel,
1995).
La lésion la plus fréquemment observée dans l’agnosie des objets
intéresse le cortex occipito-temporal inférieur et moyen, en accord
avec d’autres données montrant que cette zone est impliquée dans le
système d’identification visuelle des objets. En outre, comme les expé-
riences de Mishkin l’ont montré, une lésion du cortex inféro-temporal
Les grands syndromes neuropsychologiques 179

chez le singe provoque des effets qui peuvent être assimilables à une
agnosie d’objets. Les animaux opérés ne peuvent plus discriminer les
objets (le « quoi ») alors qu’ils restent capables de localiser un objet dans
l’espace (le « où »).

Encadré 24
Une observation d’agnosie sémantique de spécificité catégorielle
(Marie-Noëlle Magnié et Michel Poncet)
Le patient J.M.C. a présenté à 58 ans, dans les suites d’un coma post-anoxique,
une amnésie bihippocampique et une agnosie sémantique des objets. L’ima-
gerie mentale du patient est sévèrement atteinte, comme en atteste la pro-
duction graphique de mémoire de J.M.C. (figure 1). Il est prosopagnosique et
présente une agnosie sévère des monuments ainsi qu’une agnosie modérée
des couleurs. Le patient n’est ni aphasique, ni apraxique. Son niveau général
de performance cognitive est inférieur au niveau antérieur présumé, étant
donné son niveau culturel.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Figure 1 – Dessins réalisés par J.M.C., de mémoire (à gauche)


et sur copie (à droite) (Magnié et al., 1999)

L’étude des capacités de J.M.C. à reconnaître les objets met en évidence


une agnosie associative plurimodale caractérisée par une atteinte sélective
de la reconnaissance de certaines catégories d’objets (aucun item reconnu
pour les animaux, les végétaux et les instruments de musique) contrastant
avec la préservation relative de la reconnaissance d’autres catégories (les
outils, les ustensiles de cuisine, les moyens de transport et les parties du
corps).
À
180 Manuel de neuropsychologie

Â
L’effet caté go riel est observé quel que soit le mode de pré sen ta tion des
objets, et que la pré sen ta tion soit réa li sée sous forme d’objets réels,
d’images d’objets ou du nom de l’objet. Le patron de performances de J.M.C.
n’est pas compatible avec une dichotomie stricte entre objets biologiques
et objets manufacturés. En effet, la reconnaissance d’une catégorie d’objets
manufacturés est sévèrement atteinte : celle des instruments de musique.
En revanche, la reconnaissance d’une catégorie biologique est étonnam-
ment préservée : celle des parties du corps. L’analyse des résultats réfute le
caractère artéfactuel de l’effet catégoriel observé dans le cas J.M.C. De plus,
l’étude des performances du sujet contrôle, normal de mêmes âges et quo-
tient intellectuel, confirme que l’effet catégoriel observé dans le cas J.M.C.
ne peut être mis sur le compte du niveau général de performance cognitive
du patient.
J.M.C. présente des capacités remarquables de reconnaissance des actions,
qu’elles impliquent ou non l’utilisation d’un objet. La reconnaissance des
actions qu’elles soient représentées sous forme d’images ou de mimes ne
lui pose aucun problème. Le patron de performances montre un meilleur
respect de la reconnaissance des actions n’impliquant pas l’utilisation
d’un objet. Ceci semble suggérer la possibilité d’une interférence entre
la reconnaissance de l’objet et celle de l’action proprement dite. J.M.C. est
capable d’évoquer un geste adapté de manipulation en présence d’un objet,
parfois alors même qu’il ne l’a pas reconnu.
Les capacités de J.M.C. à identifier les actions et à évoquer des gestes adap-
tés aux objets joueraient un rôle non négligeable dans la préservation de la
reconnaissance de certains objets chez ce patient. L’évocation de la mani-
pulation d’un objet permettrait d’accéder à un certain type de savoir sur
l’objet. Lorsque la manipulation est spécifique, elle permettrait dans certains
cas de reconnaître l’objet. Les objets reconnus seraient ceux pour lesquels
l’action jouerait un rôle critique comme le suggère la classification des caté-
gories selon la méthode des nuées dynamiques et l’analyse des normes de
manipulabilité proposées pour les objets présentés à J.M.C. (Magnié et al.,
2003). L’action paraît être un élément important de connaissance de cer-
tains objets, parmi lesquels les outils de menuisier. À ce titre, il est impor-
tant de noter que les performances de J.M.C. pour cette catégorie sont
relativement préservées. À l’opposé, le patient n’a reconnu aucun animal,
or la plupart des animaux n’évoquent que peu de gestes. La reconnaissance
d’une autre catégorie est sévèrement atteinte : celle constituée par les
végétaux. L’action ne semble pas constituer un facteur déterminant pour
la reconnaissance des végétaux, qui n’évoquent pour la plupart qu’un geste
similaire de préhension. Le respect relatif de la reconnaissance des parties du
corps ne paraît pas étonnant si l’on considère l’importance des actions faites
sur elles ou avec elles. Une catégorie pose problème, celle des instruments
de musique. Cette catégorie, bien que constituée d’objets manufacturés
À
Les grands syndromes neuropsychologiques 181

Â
évoquant des actions, donne lieu à de mauvaises performances lors de
l’épreuve de reconnaissance des objets. Le patient est capable de réaliser
des gestes adaptés aux éléments constitutifs de ces objets, mais il ne produit
pas la manipulation spécifique qui constitue le geste d’utilisation de l’instru-
ment. Les performances que J.M.C. réalise pour cette catégorie soulignent
un élément important. Plus que la notion de manipulation, c’est la notion
d’expériences sensori-motrices qui semble pertinente. En effet, J.M.C. n’a
pas vécu d’expériences sensori-motrices avec les instruments de musique.
Notre étude suggère que la préservation des expériences sensori-motrices
pourrait jouer un rôle déterminant dans les capacités de reconnaissance des
objets dans le cadre de l’agnosie sémantique de spécificité catégorielle.
Les travaux d’expérimentation animale (Ungerleider et Mishkin, 1982) réa-
lisés chez le singe ont permis d’individualiser deux voies de projections
cortico-corticales jouant un rôle dans les processus visuels complexes : un
système ventral de projection du cortex strié au cortex inféro-temporal, qui
serait impliqué dans l’identification des objets, et un système dorsal de pro-
jection du cortex strié aux régions pariétales postérieures, qui serait impli-
qué dans la perception spatiale et la localisation des objets. Les données de
la pathologie humaine (Goodale et Milner, 1992) suggèrent que le système
dorsal pourrait sous-tendre les transformations sensori-motrices néces-
saires aux actions visuellement guidées dirigées, par exemple, vers un objet.
Le système dorsal pourrait jouer, selon ces auteurs, un rôle dans le traite-
ment de l’information pertinente pour l’action, information concernant les
caractéristiques physiques des objets et leur orientation. Les capacités pré-
servées chez des patients tels que J.M.C. pourraient être le fait du respect
du système dorsal de traitement visuel ou système occipito-pariétal.
Le système dorsal de traitement visuel jouerait, selon nous, un rôle critique
dans le traitement visuel impliqué dans l’évocation des expériences sensori-
motrices liées aux objets. Jeannerod et al. (1995) distinguent l’analyse prag-
matique d’un objet, qui permet d’extraire les attributs pertinents pour l’action
et de générer la réponse motrice correspondante, de l’analyse sémantique
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de l’objet, réalisée dans le lobe temporal. Les auteurs considèrent que le sys-
tème sémantique peut influencer le système pragmatique. Notre étude sug-
gère que la reconnaissance d’un objet pourrait survenir grâce au transfert
d’informations du système pragmatique vers le système sémantique. Ce tra-
vail souligne l’importance de prendre en compte la manipulabilité des objets
dans les études portant sur le traitement cognitif des objets, facteur essentiel
comme en attestent de récentes données recueillies en neuro-imagerie fonc-
tionnelle mettant en évidence l’implication de différents réseaux de neurones
dans la connaissance et la reconnaissance des objets manipulables et non
manipulables.
182 Manuel de neuropsychologie

5.1.3 L’agnosie des visages : la prosopagnosie


La prosopagnosie est une agnosie visuelle qui affecte sélectivement la
capacité d’identifier les visages antérieurement familiers, en l’absence
de toute autre altération des fonctions perceptives élémentaires ou des
autres habiletés cognitives. Le patient prosopagnosique est très gêné
de ne plus reconnaître ses proches et il peut même arriver qu’il ne
reconnaisse plus son propre visage dans un miroir. Les mêmes diffi-
cultés surviennent lorsqu’il s’agit de dénommer des photographies de
personnes célèbres.
Le visage est une structure relativement simple et symétrique mais
c’est aussi un objet qui change, en fonction de l’humeur de la personne,
de sa santé et de son âge. Même si reconnaître un visage est une acti-
vité banale pour un sujet normal, elle implique de nombreuses compo-
santes cognitives. Différents modèles proposent un traitement sériel de
l’information, dans lequel différents processus se succéderaient pour
permettre finalement de reconnaître la personne et de la nommer (voir
encadré 25). Les travaux conduits en référence à ce type d’architecture
fonctionnelle ont permis de préciser les niveaux de traitement pertur-
bés et ceux épargnés dans la prosopagnosie et ont montré qu’elle n’était
pas un syndrome unitaire.
Les patients ne présentent aucun déficit majeur du langage, de la
mémoire ou de la reconnaissance des objets. Le niveau de la connais-
sance de la personne est épargné : les patients accèdent aux informa-
tions biographiques puisqu’ils peuvent identifier les personnes à partir
d’autres indices que leur visage, par exemple leur silhouette ou leur
voix, et les nommer. Il ne s’agit donc pas non plus d’un déficit du rap-
pel du nom de l’individu. C’est l’accès à ces informations à partir du
visage qui est perturbé.

Encadré 25
La reconnaissance des visages
Le modèle du système de reconnaissance des visages élaboré par Bruce
(figure 1) suppose d’abord une analyse perceptive du visage, effectuée en
deux étapes :
– traitement des caractéristiques physiques du visage, pour extraire une
configuration d’ensemble et diverses propriétés personnelles « inscrites »
sur le visage (âge, sexe, émotion…) ;
À
Les grands syndromes neuropsychologiques 183

Â
– analyse des traits faciaux, afin de dégager les caractéristiques physio-
nomiques distinctives et de constituer une représentation unique, indé-
pendante de l’angle de vue, de l’éclairage, et des changements liés aux
émotions, au vieillissement, à un changement de lunettes…
Cette représentation est mise en relation avec les représentations des
visages connus stockées en mémoire à long terme, les « unités de reconnais-
sance faciale ». Si la ressemblance entre le percept actuel et une unité de
reconnaissance faciale particulière est suffisante, celle-ci est activée : c’est
ce qui suscite le sentiment de familiarité et permet au sujet de déterminer
s’il a déjà rencontré ce visage.
Intervient enfin un traitement sémantique. C’est seulement après cet accès
aux informations biographiques sur la personne que le visage est per-
çu comme étant celui d’un individu particulier, avec son histoire, qu’il est
reconnu, et que la personne à qui il appartient peut être nommée.

Âge, émotion…
Encodage structural

Invariants physionomiques
Visage particulier

Unités
Visage familier
de reconnaissance faciale
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Personne identifiée
Informations biographiques :
sémantiques et Visage identifié
épisodiques
Voix, démarche…

Nom

Figure 1 – Représentation simplifiée du modèle de la reconnaissance


des visages élaboré par Bruce et Young (1986)

Ces traitements complexes reposent sur l’activité d’un réseau d’aires distri-
buées principalement dans l’hémisphère droit.
À
184 Manuel de neuropsychologie

Aires visuelles primaires

Aire occipitale des visages (OFA)

Jonction lobe occipital-temporal


inférieur (FFA)

Voie directe des aires visuelles


primaires au gyrus fusiforme

Interactions entre OFA et FFA

Figure 2 – Vue schématique des aires critiques du réseau de reconnaissance


de l’identité faciale dans le cortex occipital et fusiforme de l’hémisphère
cérébral droit (d’après Rossion, 2008)

L’étude des lésions des patients prosopagnosiques et de leurs conséquences


fonctionnelles (cf. chapitre 3, Section 5) ainsi que des activations dans le
cerveau du sujet normal qui traite diverses tâches requérant l’analyse du
visage a conduit Rossion (2008) à proposer le modèle anatomo-fonctionnel
présenté dans la figure 2. À l’issue du traitement visuel de bas niveau dans
les aires visuelles primaires, le signal est transmis à une petite aire à la jonc-
tion du lobe occipital et du lobe temporal inférieur, dans le gyrus fusiforme
(appelée aussi « aire fusiforme des visages », en anglais FFA pour Fusiform
Face Area), où le stimulus visuel peut être catégorisé comme étant un visage
(détection). Toutefois la représentation globale élaborée dans cette aire
aux champs récepteurs plutôt larges est relativement « grossière », et cette
voie de traitement direct (qui est en relation avec les aires de traitement de
l’information sémantique personnelle) ne suffit pas forcément à l’identifi-
cation. La représentation globale peut alors être affinée au travers d’interac-
tions avec une aire plus postérieure située dans le cortex occipital inférieur
(dite « aire occipitale des visages », en anglais OFA pour Occipital Face Area) :
ses champs récepteurs sont plus petits que ceux de l’aire située dans le gyrus
fusiforme, ce qui permet les processus d’analyse des traits de détail – yeux,
bouches, etc. – et contribue à l’identification du visage.

Les observations réalisées par J.-L. Signoret (Paris), M. Poncet (Marseille)


et J. Sergent (Montréal) chez quatre patients prosopagnosiques ont mis
en évidence que les déficits fonctionnels varient d’un patient à l’autre,
Les grands syndromes neuropsychologiques 185

« en degré et en qualité ». Deux des patients (R.M. et P.M.) sont inca-


pables d’extraire à partir des informations faciales les caractéristiques
qui permettent de déterminer le sexe ou d’identifier les émotions, tan-
dis que les deux autres patients (P.C. et P.V.) y parviennent mais moins
efficacement que des sujets normaux. Les auteurs posent que R.M. et
P.M. souffrent tous deux d’une atteinte des étapes initiales du système
de traitement des visages. Mais, alors que le déficit de R.M. se situerait
dès le niveau de l’analyse structurale (difficultés à reconnaître les émo-
tions, à estimer l’âge, à déterminer le sexe), celui de P.M. concernerait le
niveau ultérieur d’extraction des invariants physionomiques, avec une
incapacité à dégager une configuration faciale propre à chaque visage
en dépit d’une analyse structurale correcte. Les patients P.C. et P.V. pré-
senteraient des déficits des étapes plus tardives, celles qui donnent le
sentiment de familiarité et permettent l’accès aux informations biogra-
phiques sur la personne.
Le déficit prosopagnosique se manifeste de la même façon chez tous
ces patients par une incapacité à identifier les visages de personnes
connues mais peut donc avoir des bases fonctionnelles différentes : le
traitement des visages peut être perturbé à différents stades dans la série
d’opérations qui doivent être effectuées pour qu’un visage soit identifié.
Il est donc important, si l’on envisage une prise en charge, de cerner le
déficit sous-jacent. Mayer et al. (1999) conduisent une rééducation chez
une patiente, devenue prosopagnosique à la suite de lésions pariéto-
occipitales bilatérales, en référence au modèle de Bruce et Young (1986).
Le diagnostic cognitif incrimine essentiellement un « déficit spécifique
de l’analyse des traits internes du visage ». L’entraînement repose alors
tout particulièrement sur des tâches de description et de sériation de
visages sur la base de leurs traits internes. Il s’agit par exemple pour
cette patiente enseignante, qui éprouve des difficultés à reconnaître les
enfants de sa classe, d’ordonner cinq photographies de visages d’enfants
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

selon l’épaisseur des sourcils.


D’autres faits suggèrent que les processus de reconnaissance des
visages sont peut-être encore plus complexes. Par exemple, alors
qu’aucun des patients étudiés par Signoret, Sergent et Poncet ne peut
reconnaître les visages de façon explicite, dans des tests implicites qui
ne demandent pas directement d’identifier un visage, leurs perfor-
mances sont meilleures lorsqu’on leur présente le visage d’une per-
sonne familière que des visages d’inconnus (Sergent et Poncet, 1990).
Des indices non comportementaux corroborent ces données. La présen-
tation de visages familiers, non reconnus en tant que tels par le patient
prosopagnosique, donne lieu à une réponse électrodermale plus forte
186 Manuel de neuropsychologie

que celle recueillie pour des visages inconnus. Ces performances et ces
variations électrophysiologiques témoignent d’une reconnaissance
implicite, toutefois insuffisante pour donner le sentiment de familiarité
et accéder au nom.
Les données anatomo-pathologiques et l’imagerie morphologique
montrent que la prosopagnosie est causée par des lésions occipito-
temporales inférieures souvent bilatérales, mais parfois unilatérales
droites. Ces résultats et ceux de la neuro-imagerie fonctionnelle chez
le sujet sain sont très cohérents. L’intégrité du réseau formé principale-
ment par deux aires postérieures de l’hémisphère cérébral droit, l’aire
fusiforme des visages (FFA pour fusiform face area, dans le gyrus fusi-
forme moyen) et l’aire occipitale des visages (OFA pour occipital face
area, dans le cortex occipital inférieur) est indispensable au traitement
normal des visages, sans que l’on puisse ramener celui-ci à la seule acti-
vité de ces deux aires (pour une revue, voir Rossion, 2008).
Les analyses fines menées auprès de cas relativement rares mais
complétées maintenant par l’apport de la neuro-imagerie ont permis
d’affiner les modèles neurocognitifs de la perception visuelle et ont mis
en évidence aussi la spécialisation hémisphérique. Le cortex occipito-
temporal gauche jouerait un rôle prépondérant pour la reconnais-
sance des objets, l’identification des couleurs et la lecture, alors que les
mêmes structures du côté droit seraient impliquées dans la reconnais-
sance des « entités uniques », dont les visages sont l’exemple le plus
représentatif.

5.1.4 Évaluation des gnosies visuelles


Le Protocole d’évaluation des gnosies visuelles (PEGV ; Agniel et al.,
1992) et la Birmingham Object Recognition Battery (BORB ; Riddoch et
Humphreys, 1993) ont en commun de proposer chacune des sous-
ensembles d’épreuves qui permettent d’évaluer distinctement le degré
d’intégrité des traitements perceptifs (versant discriminatif/perceptif du
PEGV) et sémantiques (versant associatif/sémantique du PEGV). Le Pro-
tocole d’évaluation des gnosies visuelles comporte 4 épreuves. Sur le
versant perceptif, il s’agit :
– du test des figures identiques (repérer parmi des distracteurs le sti-
mulus identique au stimulus cible) ;
– du test des figures enchevêtrées (retrouver au sein d’un choix mul-
tiple les éléments qui constituent la figure cible, figure complexe
où se superposent plusieurs dessins d’objets au trait).
Les grands syndromes neuropsychologiques 187

Sur le versant sémantique, le PEGV comprend :


– un test d’appariement fonctionnel entre un dessin d’objet-cible et
un dessin d’objet qui entretient un lien associatif avec la cible (par
exemple vis/tournevis) et est présenté parmi des distracteurs, certains
entretenant un lien visuel mais non sémantique avec la cible ;
– un test d’appariement catégoriel (par exemple piano/violon).
La batterie d’évaluation de la perception visuelle des objets et de l’espace
(Visual Object and Space Perception Battery – VOSP ; Warrington et James,
1991) a été conçue pour dépister les déficits de la perception visuelle
et aider à distinguer ceux qui altèrent le traitement des objets versus
de l’espace (soit respectivement, les traitements spécialisés de la voie du
« quoi », ventrale, et de la voie du « où », dorsale). Quatre sous-tests éva-
luent la perception des objets (dont une reconnaissance d’objet parmi
des non-objets et l’identification d’un objet à partir de sa silhouette).
Les quatre autres évaluent la perception spatiale, avec par exemple une
épreuve de discrimination de positions où le sujet doit pointer le carré
qui, parmi les deux présentés, comporte un point en son centre (tandis
que ce point est décalé par rapport au centre dans l’autre carré).

5.2 Les troubles centraux de l’audition


Plusieurs syndromes doivent être distingués parmi les troubles de la per-
ception auditive d’origine centrale (Lambert et al., in Lechevalier et al.,
2008). L’agnosie auditive peut être définie comme l’impossibilité, à des
degrés divers, de reconnaître et/ou d’identifier les bruits de l’environne-
ment, la parole, la musique, que le patient déclare cependant entendre.
La surdité verbale pure est une forme particulière d’agnosie auditive qui
renvoie à l’impossibilité de comprendre le langage parlé, de répéter et
d’écrire sous dictée en l’absence d’autre signe majeur d’aphasie. Cette
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« pureté » de la surdité verbale ne signifie toutefois pas que la percep-


tion des stimuli musicaux et des bruits soit parfaitement normale. La
surdité corticale consiste en une impression de surdité avec altération de
l’audiogramme vocal mais sans altération importante de l’audiogramme
tonal, en rapport avec des lésions des hémisphères cérébraux. Les poten-
tiels évoqués auditifs corticaux y sont abolis alors qu’ils sont normaux
ou peu altérés dans les agnosies auditives et les surdités verbales pures.
Enfin, l’hémianacousie, ou « surdité d’un hémisphère cérébral », est
caractérisée par une abolition unilatérale des potentiels évoqués auditifs
corticaux du côté de la lésion et une extinction de l’oreille controlatérale
au test d’écoute dichotique verbal (chapitre 2 section 3).
188 Manuel de neuropsychologie

Cette terminologie montre que les tableaux cliniques des patients


présentant des troubles centraux de la perception auditive sont très
diversifiés. En effet, la pathologie peut affecter de façon relativement
sélective des grandes classes de stimulations auditives comme le lan-
gage, les bruits de l’environnement ou la musique (le terme d’amu-
sie peut être utilisé dans ce dernier cas). Les données de la littérature
insistent sur de grandes oppositions entre capacités perturbées et pré-
servées chez des patients atteints de lésions cérébrales. Une première
grande distinction porte sur la nature verbale ou non verbale des infor-
mations auditives. Présentée parfois de façon caricaturale en opposant
la dominance de l’hémisphère gauche pour la perception des sons du
langage et celle de l’hémisphère droit pour les sons non verbaux, cette
distinction a toutefois donné lieu à des développements théoriques
intéressants sous l’impulsion de Liberman et des chercheurs des labo-
ratoires Haskins aux États-Unis. Ces auteurs conçoivent deux grands
systèmes de traitement des informations auditives. L’un, qualifié de
phonétique, est spécialisé dans le traitement des sons du langage alors
que le second, ou système auditif général, est chargé du traitement des
autres informations sonores. Outre ses prolongements dans le domaine
psychoacoustique, cette conceptualisation a permis de différencier des
perturbations de l’un ou de l’autre système au sein des surdités verbales
pures. Des observations d’agnosie auditive avec atteinte relativement
sélective du système auditif général ont été également rapportées.
Une autre dissociation fondée essentiellement sur des données cliniques
et décrite de longue date dans la littérature est celle opposant le traitement
auditif du langage et celui de la musique. Si les observations d’« amusie
pure » sont rares et souvent controversées, les descriptions d’une atteinte
massive de la compréhension du langage (généralement dans le cadre de
« grandes aphasies de Wernicke ») sans perturbation de la perception et de
la production musicales sont beaucoup plus convaincantes (voir Signoret
et al., 1987). Les déficits peuvent être encore plus sélectifs Par exemple,
dans le domaine de la perception musicale, les troubles peuvent prédomi-
ner dans la perception des hauteurs, des rythmes ou des timbres. De telles
perturbations des traitements élémentaires peuvent affecter la reconnais-
sance des mélodies mais aussi la perception d’autres stimuli sonores en
dehors de la perception musicale (comme les voix ou la prosodie). Enfin,
au-delà des perturbations structurales et par domaines, certains troubles
de la perception auditive s’apparentent à ceux décrits précédemment
dans le cadre des agnosies visuelles. Ils s’expliquent alors par des atteintes
de niveaux de traitement qui s’appuient sur des modèles théoriques déri-
vés de la proposition princeps de Lissauer. De façon relativement sélective,
Les grands syndromes neuropsychologiques 189

des patients peuvent présenter des perturbations dans la discrimination


de certaines classes de stimuli sonores (agnosie aperceptive), alors que
d’autres se caractérisent par une atteinte de l’identification (agnosie asso-
ciative) de certaines catégories de stimuli auditifs (voir Eustache et al.,
1990).
Étant donné la diversité des troubles centraux de la perception audi-
tive, l’examen d’un patient susceptible de présenter de telles perturba-
tions est complexe. Des évaluations audiologiques et psychoacoustiques
fines, l’enregistrement des potentiels évoqués auditifs et les résultats aux
tests dichotiques contribuent à préciser l’atteinte physiopathologique.
Enfin, l’examen plus strictement neuropsychologique doit s’adapter
aux spécificités du patient, à savoir ses troubles actuels mais aussi ses
compétences et ses intérêts antérieurs (musicien ou non). L’examen de
la perception de la musique et des bruits de l’environnement nécessite
l’utilisation de nombreuses épreuves constituées de séquences sonores
enregistrées. Pour l’évaluation de la perception des sons du langage, des
tâches de discrimination et d’identification de syllabes sont proposées
au patient. Les résultats sont interprétés en tenant compte des opposi-
tions minimales (ou traits phonétiques) qui régissent la structure des
phonèmes comme le mode d’articulation (obstruction ou non du canal
de passage de l’air expiré) ou le voisement (présence ou non de vibra-
tions des cordes vocales).
Les troubles centraux de la perception auditive résultent le plus sou-
vent de lésions bilatérales des lobes temporaux, soit corticales, soit sous-
corticales. Toutefois, des atteintes unilatérales peuvent entraîner des
agnosies auditives relativement sélectives (par exemple certaines formes
de surdité verbale pure après une lésion de l’hémisphère gauche). Ces
lésions proviennent de diverses étiologies, les plus fréquentes étant les
accidents vasculaires cérébraux, parfois constitués en plusieurs temps.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Des troubles centraux de la perception auditive doivent également être


suspectés dans les séquelles des traumatismes crâniens. Chez l’enfant, le
syndrome de Landau-Kleffner peut réaliser un tableau d’agnosie auditive
relativement pur ; il peut être pris à tort pour un syndrome autistique.

6. L’héminégligence

Les patients qui souffrent d’héminégligence ont des difficultés à


détecter, à identifier, ou à s’orienter vers des stimuli situés dans la moitié
de l’espace controlatérale à l’hémisphère cérébral lésé. Il s’agit de l’une
190 Manuel de neuropsychologie

des entités les plus intrigantes de la neuropsychologie. Le syndrome


d’héminégligence peut se manifester dans les modalités visuelle, audi-
tive ou tactile d’appréhension de l’espace, et survenir en l’absence de
déficit sensoriel ou moteur élémentaire. Lorsque ceux-ci sont présents,
ils ne peuvent expliquer à eux seuls l’héminégligence (Viader et al.,
2000). L’idée selon laquelle l’héminégligence reflète l’atteinte de pro-
cessus de plus haut niveau est largement admise, cependant différentes
hypothèses sont proposées concernant les déficits cognitifs sous-jacents.
Nous nous limiterons ici aux trois principaux cadres interprétatifs incri-
minant respectivement une perturbation attentionnelle, une atteinte de
la représentation spatiale ou un trouble de la référence égocentrée.

6.1 L’héminégligence ou négligence spatiale unilatérale


Bien que la clarification soit rarement faite explicitement, les deux
expressions « syndrome d’héminégligence » et « négligence spatiale
unilatérale » renvoient à un même syndrome. La plupart de ses mani-
festations dans les modalités visuelle, tactile ou auditive peuvent être
détectées par la simple observation du patient dans son environne-
ment : les patients héminégligents heurtent fréquemment des obstacles
qui se présentent du côté opposé à l’hémisphère lésé (le côté gauche en
cas de lésion droite), mangent seulement la moitié du contenu de leur
assiette, ou bien encore peuvent ne raser, ou ne maquiller qu’une moi-
tié de leur visage. Ces différentes manifestations spontanées de l’hémi-
négligence, très handicapantes pour les activités quotidiennes, sont
caractérisées par ce qui semble être une inattention pour l’hémi-espace
controlatéral à la lésion.
L’héminégligence est plus fréquente, sévère et persistante en cas de
lésion de l’hémisphère cérébral droit qu’en cas de lésion gauche. Elle
est généralement associée à des lésions du lobe pariétal mais des cas
d’héminégligence par lésions sous-corticales ou frontales ont été décrits
(voir encadré 26).
Ainsi, des troubles d’héminégligence seraient présents immédiate-
ment après la survenue de la lésion cérébrale chez environ un patient
lésé droit sur deux (Gainotti, 1968). Selon les études et les tests utilisés, la
prévalence varie de 40 à 50 % chez les lésés droits, contre moins de 10 %
chez les lésés gauches. Dans cette phase aiguë, une déviation prononcée
du regard, de la tête et du tronc vers le côté ipsilésionnel est fréquem-
ment observée, et le patient semble irrésistiblement attiré par les stimuli
ou les événements qui surviennent de ce côté de l’espace, tout en étant
capable d’orienter son corps ou son regard vers le côté contra-lésionnel
Les grands syndromes neuropsychologiques 191

lorsqu’on le lui demande. Les difficultés régressent rapidement, mais


peuvent néanmoins persister pendant plusieurs semaines ou plusieurs
mois chez certains patients, en particulier en cas de lésion droite.

Encadré 26
Une observation d’héminégligence gauche
(Fausto Viader et Catherine Lalevée)
Un homme de 57 ans, traité pour une hypertension artérielle et une hyper-
cholestérolémie, est hospitalisé pour une hémiplégie gauche. Le matin au
réveil, le patient tombe en essayant de se lever du lit. Son épouse constate
alors une déviation de la bouche et une paralysie des membres gauches,
dont le patient lui-même ne paraît pas avoir conscience puisqu’il continue
à tenter de se relever sans comprendre pourquoi il n’y parvient pas. Le
médecin appelé constate l’hémiplégie, et fait hospitaliser le patient. Dans
le service de neurologie, l’examen clinique montre une légère tendance à la
somnolence, facilement réversible, une hémiplégie gauche totale, une dimi-
nution de la sensibilité au tact et à la piqûre sur l’hémicorps gauche, et une
absence apparente de réaction à toutes les stimulations visuelles portées
sur le côté gauche du champ visuel. Le scanner montre un infarctus cérébral
droit dans le territoire de l’artère cérébrale moyenne. Le Doppler met en évi-
dence une occlusion de l’artère carotide interne droite.
Dès le début de l’hospitalisation, l’attitude du patient retient l’attention. À
la moindre stimulation, dès qu’il ouvre les yeux, il oriente son regard, puis sa
tête, vers la droite. Prié de regarder vers la gauche, il ébauche un mouvement
du regard mais celui-ci ne franchit pas la ligne médiane, comme si son atten-
tion était attirée irrésistiblement vers la droite. Il ne paraît pas voir les objets
ou les personnes placés à sa gauche, mais même si l’on place deux objets
dans son champ visuel droit, il tourne les yeux vers celui qui est situé le plus
à droite. Devant une image, il n’en décrit que les détails situés à l’extrême
droite. Dans une tâche de lecture, il ne lit que les derniers mots de chaque
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ligne, et les dernières lettres des titres de journaux en gros caractères.


Interrogé sur les raisons de sa présence à l’hôpital, il affirme qu’il est là pour
sa tension, qu’il a fait un malaise. Il assure ne rien ressentir d’anormal au
niveau de son côté gauche, et se refuse à admettre en particulier la moindre
paralysie, disant qu’il ne peut se lever à cause des barrières placées le long
de son lit, ou à un autre moment parce qu’on ne l’y a pas encore autorisé,
mais qu’il pourrait marcher s’il le voulait. Si enfin on lui montre sa main
gauche inerte, il affirme qu’elle appartient au médecin. Après quelques jours,
le patient commencera à admettre un certain degré de faiblesse du côté
gauche, disant que sa main est « paresseuse », qu’elle ne veut rien faire.
L’héminégligence se manifeste également dans les activités graphiques.
Que ce soit dans le dessin spontané ou copié, on observe des imperfections
À
192 Manuel de neuropsychologie

Â
et des omissions dans la partie gauche des figures géométriques simples ou
du dessin de la maison ou de la marguerite, ainsi que dans les tests de bar-
rage. L’écriture est inégalement répartie sur la feuille, occupant préférentiel-
lement la partie droite de celle-ci. Seuls les mots figurant à l’extrémité droite
d’un texte sont lus.
En une dizaine de jours, l’héminégligence s’atténue progressivement. Le
patient prend peu à peu conscience de la partie gauche de son environne-
ment, ainsi que de son hémiplégie gauche. Les tests confirment cette amé-
lioration. En revanche, le déficit sensitivo-moteur reste important, avec un
début d’amélioration du membre inférieur mais une persistance de la paraly-
sie totale du membre supérieur et de l’hémianopsie.

Divers déficits sensorimoteurs tels qu’une hémiparésie ou une


hémianopsie sont fréquemment associés à l’héminégligence. Cepen-
dant, lorsque le trouble se manifeste dans la modalité visuelle par
exemple, le terme d’« héminégligence visuelle » ne doit pas laisser
Les grands syndromes neuropsychologiques 193

penser qu’il s’agit d’un trouble sensoriel. Beaucoup de patients


héminégligents souffrent aussi d’une hémianopsie : dans ce cas, un
patient souffrant d’une héminégligence gauche est aussi aveugle dans
le champ visuel gauche. Pourtant, l’hémianopsie ne peut pas être
considérée comme la cause de l’héminégligence : des patients qui
souffrent seulement d’hémianopsie utilisent des mouvements de la
tête et des yeux pour rechercher activement l’information et peuvent
ainsi compenser l’amputation du champ visuel. Bisiach et son équipe
ont apporté d’autres arguments concordants, montrant que des
patients héminégligents « ignoraient » aussi une partie d’une scène
imaginée.
La relation entre des troubles d’héminégligence et des difficultés de
récupération particulièrement prononcées a souvent été soulignée,
mais cette relation s’avère complexe et des difficultés attentionnelles
plus générales seraient en cause (Blanc-Garin, 1994). Des rééducations
ont été tentées dès les années 1960, mais celles inspirées des modèles du
fonctionnement attentionnel sont récentes et encore peu nombreuses
(voir Azouvi et al., 1999 pour une revue).
Enfin, le titre de cette section – « L’héminégligence » – pourrait laisser
penser que nous avons affaire à un seul et unique syndrome. Or, plusieurs
dizaines de décennies de littérature neuropsychologique dépeignent au
contraire un polymorphisme clinique (Jacquin-Courtois et al., 2009),
voire une « collection hétérogène de symptômes » (Karnath et Rorden,
2012). Ces auteurs critiquent l’utilisation à tout propos de l’unique terme
de « négligence spatiale » pour renvoyer en fait à une grande variété
de perturbations attentionnelles et spatiales. Leur synthèse dégage une
vue cohérente. En soulignant qu’il existe des symptômes centraux et
d’autres plus marginaux, elle distingue différents syndromes, qu’elle
relie à des bases anatomiques. L’association de symptômes de déviation
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du regard et de biais dans la recherche visuelle, sans prise de conscience


du trouble, constitue le symptôme majeur de « négligence spatiale » à
proprement parler ; il survient après des lésions des aires périsylviennes
plus particulièrement dans l’hémisphère cérébral droit. Ce réseau
comprend des aires du cortex temporal moyen et supérieur, du cortex
pariétal inférieur et du cortex frontal ventrolatéral. Les manifestations
qui apparaissent « centrées sur l’objet » (ou allocentriques, plutôt que
fondamentalement égocentriques comme dans le symptôme de négli-
gence spatiale tel que défini par eux) seraient dues à des lésions d’aires
plus postérieures. L’extinction survient lors de lésions de la jonction
temporopariétale.
194 Manuel de neuropsychologie

6.2 Les hypothèses concernant le syndrome


d’héminégligence
6.2.1 Un déficit de l’attention
L’hypothèse d’une perturbation attentionnelle pour rendre compte
de l’héminégligence est la plus souvent envisagée, cependant l’atten-
tion relève de multiples composantes ou sous-systèmes. Heilman met
l’accent sur la composante « énergétique » (non orientée) de l’attention,
l’éveil, et fait l’hypothèse d’une « hypoactivation » de l’hémisphère lésé.
Chaque hémisphère cérébral est doté de ses propres mécanismes acti-
vateurs et lorsque l’un d’eux est lésé, il ne peut organiser les réponses
d’orientation vers l’espace controlatéral. Pour d’autres chercheurs, ce
serait plutôt la composante orientée et sélective de l’activation qui serait
en cause (pour une revue, voir Siéroff, in Lechevalier et al., 2008). Posner
a ainsi fait l’hypothèse d’un déficit de déplacement du « faisceau »
attentionnel, et d’une difficulté de désengagement une fois que celui-ci
a été dirigé vers une localisation précise dans l’espace (voir encadré 27,
p. 196). Ces arrière-plans théoriques retiennent l’idée générale d’une
spécialisation de l’hémisphère droit pour les mécanismes attentionnels
ou les processus d’activation, expliquant ainsi la plus grande sévérité de
l’héminégligence après une lésion droite.
Kinsbourne (1987) suppose que chez les sujets normaux, chaque
hémisphère cérébral sous-tend le déplacement de l’attention dans
la direction opposée, aussi bien dans l’hémi-espace controlatéral
qu’ipsilatéral. Une lésion cérébrale unilatérale susciterait un déséqui-
libre de l’orientation de l’attention en faveur de la direction opposée à
l’hémisphère qui reste indemne : c’est le « biais » ainsi créé en faveur
de la direction ipsilésionnelle qui rendrait compte de l’héminégligence
spatiale. L’auteur souligne enfin que la plupart des situations de test de
l’héminégligence ont une composante verbale (consigne et/ou maté-
riel) qui, selon lui, activerait sélectivement l’hémisphère gauche. Ce sur-
croît d’activation de l’hémisphère gauche aggraverait les troubles après
lésion droite (en accentuant le biais favorisant l’hémi-espace droit) mais
tendrait à les compenser après lésion gauche (en contrebalançant le
défaut d’orientation vers l’hémi-espace droit).
Cette hypothèse en termes de déséquilibre de la balance d’activation
inter-hémisphérique a été récemment confortée par les effets des stimu-
lations cérébrales (e.g. par TMS ; voir chapitre 2, section 5) appliquées au
niveau des zones pariétales de l’hémisphère gauche versus droit. L’inhi-
bition de l’hémisphère sain (gauche généralement) et la stimulation de
Les grands syndromes neuropsychologiques 195

l’hémisphère lésé (droit) ont les mêmes effets positifs sur l’exploration
visuospatiale (pour une revue, voir Kandel et al., 2012).
L’attention n’est pas une fonction unitaire, elle renvoie à diffé-
rents processus attentionnels. Pour agir de façon adaptée dans un
environnement continuellement changeant, nous avons besoin de
deux mécanismes qui permettent à la fois le maintien d’un compor-
tement dirigé vers un but en dépit d’événements distracteurs et le
traitement d’événements nouveaux et/ou inattendus, qui peuvent se
révéler avantageux ou dangereux, afin de répondre de façon appro-
priée par des comportements d’approche ou d’évitement respective-
ment (pour une revue, voir Bartoloméo et Chokron, 2002). Le modèle
neurocognitif aujourd’hui le mieux à même de rendre compte du
fonctionnement normal et pathologique de l’orientation de l’atten-
tion a été élaboré par Corbetta et Shulman (2002) à partir des données
de la pathologie de l’attention et de la neuro-imagerie fonctionnelle.
Selon ce modèle l’orientation de l’attention est contrôlée par deux
systèmes en interaction. Le premier est sous-tendu par un réseau
fronto-pariétal dorsal bilatéral et impliqué dans l’orientation endo-
gène de l’attention (dirigée par les buts). Un second système, ventral,
fortement latéralisé dans l’hémisphère droit et centré sur les cortex
temporopariétal et frontal, est impliqué dans l’orientation exogène
(automatique et capturée par les stimuli) ; précisément, ce second
système détecte les stimuli pertinents pour le comportement et agit
comme un système d’alerte ou « coupe-circuit » pour le premier sys-
tème lorsque ces stimuli sont détectés hors du focus du traitement
en cours. Concernant l’héminégligence, les auteurs avancent que
les données lésionnelles, cliniques et expérimentales sont en faveur
d’une atteinte du système attentionnel ventral. D’une part, les lésions
qui causent l’héminégligence sont localisées plus ventralement que
les « épicentres » du réseau dorsal, et impliquent très fréquemment
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la jonction temporopariétale droite. D’autre part, les patients hémi-


négligents ont des difficultés qui renvoient plus à un dysfonctionne-
ment du système de détection de cible qu’à une atteinte du système
d’orientation endogène. Ils peuvent en effet diriger volontairement
leur attention, et utiliser des indices cognitifs pour ancrer leur atten-
tion dans l’hémi-espace contra-lésionnel dans la rééducation (par
exemple, Làdavas et al., 1994). L’ensemble des données disponibles
est bien en faveur d’une préservation des fonctions du réseau dorsal
et d’un déficit d’orientation automatique en lien avec une atteinte du
réseau ventral.
196 Manuel de neuropsychologie

Â
Encadré 27
Les réseaux cérébraux de l’attention
Le modèle élaboré par Posner distingue trois réseaux de régions corticales
et sous-corticales qui sous-tendent différentes opérations attentionnelles :
– le réseau postérieur est responsable de l’orientation de l’attention
visuospatiale et comprend notamment des aires du cortex pariétal ;
– le réseau antérieur sous-tend les aspects exécutifs de l’attention (volon-
tairement et consciemment orientée, et non simplement capturée par des
événements saillants) ; il est localisé dans le cortex préfrontal et exerce un
contrôle sur le réseau postérieur ;
– le réseau de la vigilance permet de maintenir un état suffisant et soutenu
d’éveil et comprend des aires frontales et pariétales dans l’hémisphère
droit (HD).

(a) +
(b)
alerter
indiçage périphérique

interrompre

loca liser +

déseng ager

déplacer

engag er

indiçage correct indiçage incorrect


inhiber
(cible du côté indicé) (cible du côté non indicé)

+ +

* *

Figure 1 – Modèle (a ; d’après Posner et Raichle, 1998) et paradigme expéri-


mental de l’orientation de l’attention visuelle, élaboré par Posner (b)
À
Les grands syndromes neuropsychologiques 197

Â
TR msec
1 000

9 00
cible
800
controlatérale
700
c ible
600 ipsilatérale
5 00
lésion HG lésion HD
400
correct incorrect correct incorrect
indice

Figure 2 – Performances de détection (temps de réaction en millisecondes)


avec indiçage (correct ou incorrect) chez des patients porteurs de lésions
pariétales gauche (lésion HG) ou droite (lésion HD)
(d’après Posner et Raichle, 1998)

L’existence de réseaux anatomiquement et fonctionnellement distincts est


étayée par l’expérimentation animale, et par l’étude de la pathologie et du
fonctionnement normal chez l’homme : une lésion des zones concernées
entraîne des troubles sélectifs de certaines opérations, et ces réseaux sont
spécifiquement actifs lorsque le sujet est engagé dans une tâche supposée
recruter une opération particulière. Cette conception « en réseaux » des
substrats de l’attention fait consensus. Toutefois, plusieurs modèles, outre
la « Trinité » de Posner, tentent de rendre compte des multiples modes selon
lesquels notre attention peut être allouée à l’espace visuel ainsi que de leurs
perturbations (e.g. l’héminégligence, chapitre 3, section 6).

Corbetta et Shulman (2002) ont développé un modèle qui est rapidement


devenu une référence. Ils posent que l’aire visuelle frontale joue un rôle
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans l’orientation attentionnelle, alors que celle-ci est l’apanage du


réseau postérieur dans la Trinité de Posner. Le rôle du lobe pariétal est
précisé : il assure le contrôle de l’attention pour la sélection de cibles peu
fréquentes, sur la base d’interactions entre les mécanismes de contrôle des-
cendant de l’attention (qui dépendent des régions pariétales supérieures) et
les traitements ascendants, dirigés par le stimulus (sous-tendus par la jonc-
tion temporopariétale).
À
198 Manuel de neuropsychologie

Â
Les auteurs insistent sur la distinction entre les « sources » de l’attention, c’est-
à-dire les systèmes neuronaux spécialisés dans le contrôle du flux de l’infor-
mation, et les « sites » où l’attention module les entrées sensorielles (dont le
cortex visuel). Le modèle suppose deux réseaux frontopariétaux sources de
l’attention (figure 3) :
– dorsal, bilatéral, qui sous-tend la sélection stimulus-réponse dirigée par les
buts du sujet et le traitement des cibles attendues ; c’est la source princi-
pale d’influence descendante sur le cortex visuel ;
– ventral, latéralisé dans l’HD et qui sous-tend la détection de stimuli, parti-
culièrement lorsque ceux-ci sont inattendus et/ou physiquement saillants ;
sa mise en jeu peut interrompre le set attentionnel en cours, en « court-
circuitant » l’activité du réseau dorsal, ce qui permet de réorienter l’atten-
tion vers une cible nouvelle et inattendue.

aire visuelle frontale


sillon intrapariétal (« FEF » : Frontal Eye Field)
lobule pariétal supérieur

gyrus frontal inférieur

jonction temporopariétale
- gyrus supramarginal
- gyrus temporal supérieur

Figure 3 – Épicentres des réseaux dorsal bilatéral ■ et ventral latéralisé


dans l’HD ■ (d’après Corbetta et Shulman, 2002)

Cette dichotomie dorsal/ventral ne renvoie pas simplement à celle entre


orientation endogène/exogène (Corbetta et Shulman, 2002) : le réseau dor-
sal joue un rôle dans le guidage de l’attention vers des stimuli sensoriels
saillants (et donc dans l’orientation exogène), et des stimuli inattendus sus-
citent des réponses dans le réseau ventral qui varient en fonction de leur
pertinence pour la tâche (orientation contingente, dépendante de la signifi-
cation comportementale du stimulus).
Les grands syndromes neuropsychologiques 199

6.2.2 La représentation de l’espace


Un autre cadre conceptuel met en cause la représentation spatiale plu-
tôt qu’un déficit de l’attention. Bisiach a demandé à des patients hémi-
négligents de décrire des scènes « imaginées » (et non réelles).
Dans l’expérience princeps (Bisiach et Luzzati, 1978), les patients
devaient donner une description verbale de la « place de la cathédrale »
de Milan, lieu dont les auteurs s’étaient assurés qu’il était familier pour
tous. Ils devaient d’abord s’imaginer faisant face à la cathédrale, puis
ensuite lui tournant le dos. Les éléments (monuments) négligés, omis,
selon un premier point de vue, étaient correctement décrits lorsque le
patient devait décrire la même scène mais du point de vue opposé. Les
patients lésés droits avec héminégligence gauche qui devaient imagi-
ner et décrire cette scène visuelle familière se montraient incapables
de « décrire exactement la moitié gauche des images revisualisées ».
À partir de ces données, Bisiach a suggéré que la négligence pouvait
résulter d’une incapacité à former une représentation complète de
l’espace : l’espace serait représenté de façon analogique dans les subs-
trats cérébraux, et l’auteur retient l’explication selon laquelle « la moi-
tié gauche du cadre des représentations visuelles est perturbée chez ces
malades ».

6.2.3 Une perturbation de la référence égocentrée


Cette explication de l’héminégligence repose sur l’hypothèse d’une
déviation ipsilésionnelle de la référence égocentrique. Celle-ci renvoie
à une représentation interne de la ligne médiane du corps qui permet
une reconstruction de la position du corps dans l’espace relativement
aux objets de l’environnement. Une lésion unilatérale des structures
cérébrales qui sous-tendent cette représentation causerait un déplace-
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ment des coordonnées égocentriques vers l’hémi-espace ipsilésionnel


et donc une négligence de l’hémi-espace contra-lésionnel (Bartoloméo
et Chokron, 2002). Le fait que certains patients négligents fassent des
erreurs systématiques vers l’espace ipsilésionnel lors du « pointage droit
devant » (pointer droit devant le bras tendu les yeux fermés) et d’autres
observations, dont les effets de différentes stimulations sensorielles
(e.g. lunettes prismatiques) visant à rétablir la référence égocentrée,
penchent en faveur de cette hypothèse. Cette idée de relation causale
entre déviation de la référence égocentrée et héminégligence est toute-
fois discutée. L’examen critique des observations a amené Bartoloméo
et Chokron (2002) à souligner qu’en effet, d’une part, une telle dévia-
tion est présente chez des patients qui ont une hémianopsie ou une
200 Manuel de neuropsychologie

hémiparésie mais ne sont pas héminégligents, et d’autre part, les diffé-


rentes stimulations pourraient en fait plutôt orienter l’attention vers
l’hémi-espace contra-lésionnel.
Peut-on départager les différents cadres explicatifs de l’héminégli-
gence ? La question est probablement mal posée dans la mesure où le
trouble n’est pas unitaire et que le terme générique recouvre des enti-
tés syndromiques distinctes comme souligné plus haut. Des dissocia-
tions ont été mises en évidence selon le type de tâche à réaliser, avec
par exemple un déficit dans des tâches de lecture et une performance
normale dans des tâches de dessin ; les troubles peuvent toucher sélec-
tivement l’espace personnel ou au contraire extra-personnel du sujet ;
enfin, des déficits distincts semblent impliquer plutôt les versants per-
ceptifs ou moteurs du comportement (voir Bartoloméo et Chokron,
2002, pour une revue).

6.3 L’examen de l’héminégligence visuelle


La Batterie d’Évaluation de la Négligence (Azouvi et al., 2006) regroupe
plusieurs tests classiques – papier crayon – de l’héminégligence décrits
ci-dessous (visuoperceptifs, visuographiques, comportementaux et
représentationnels) et inclut une évaluation du retentissement dans la
vie quotidienne avec l’échelle Catherine Bergego (ECB ; Bergego et al.,
1995). L’ECB permet l’évaluation du comportement de négligence et la
mesure de l’intensité du trouble : pour chacun des 10 items relatifs aux
activités de la vie quotidienne, le thérapeute observe le patient et cote
son comportement de 0 (absence de trouble) à 3 (trouble sévère). Cette
échelle fonctionnelle peut se révéler utile notamment pour le suivi
d’une rééducation et pour estimer le transfert des gains liés à la prise en
charge du comportement du patient héminégligent dans son environ-
nement familier (Samuel et al., 2000). Cette mesure de l’incapacité est
plus sensible que chacun des tests classiques que comporte l’EBN par
ailleurs, en particulier ses items relatifs à la négligence corporelle, les
collisions lors des déplacements et l’habillage.
De nombreuses tâches visuoperceptives, visuographiques, comporte-
mentales et représentationnelles permettent de mettre en évidence
une héminégligence. On distingue classiquement les épreuves dites
« cliniques », dont la cotation est délicate, et les tests qui ont été
spécialement élaborés pour détecter les troubles et en mesurer la
gravité.
Les grands syndromes neuropsychologiques 201

Parmi les tests cliniques traditionnels, on trouve le dessin « de


mémoire » ou d’après un modèle, ainsi que diverses tâches de lecture
et d’écriture. Les tests qui consistent à demander au patient de dessiner
de mémoire – une fleur, une maison, ou encore un cadran de pendule –
donnent lieu à des observations spectaculaires : le patient omet les
chiffres situés sur la partie gauche du cadran de la pendule, ou bien les
transpose sur la partie droite.
D’autres tests permettent de quantifier le trouble, notamment les
tests dits « de barrage », dont le principe général consiste à proposer
au patient un ensemble de stimuli répartis sur une feuille de papier
et à lui demander une tâche précise. Il est par exemple demandé de
barrer des segments de droite présentant une orientation particulière
parmi des segments différemment orientés (Albert), de barrer des
H dans un ensemble structuré de lettres (test de barrage de lettres,
Diller et Weinberg), d’entourer des « cloches » disposées sur la feuille
de papier parmi d’autres images d’objets (test des cloches ; test de
barrage des nounours pour l’enfant ; Laurent-Vannier et al., 2003).
Quelle que soit l’épreuve, le nombre d’items omis, au total, et surtout
en fonction de leur position droite ou gauche sur la feuille, est comp-
tabilisé. Dans le cas le plus fréquent d’héminégligence par lésion du
lobe pariétal droit, les patients « ignorent » les stimuli visuels situés
sur le côté gauche de la feuille. Les épreuves de « barrage » seraient
les tests les plus sensibles à la présence d’une héminégligence, avec
une fidélité test-retest variable selon l’épreuve. Dans l’épreuve clas-
sique de bissection de ligne, le patient doit cocher le milieu d’un
segment de droite horizontale de longueur variable. En cas d’hémi-
négligence gauche, la réponse se situe systématiquement à droite du
milieu réel.
Pour certains auteurs il est surtout important de caractériser chaque
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tâche selon le processus de traitement de l’espace plus particulièrement


requis. Kinsella et al. (1995) distinguent par exemple les tâches d’explo-
ration des stimuli dans l’espace extra-corporel (barrage de formes, bis-
section de lignes), et les tâches qui impliquent un traitement de la
représentation interne de l’espace ou d’imagerie (dessin de mémoire
d’objets figuratifs symétriques – un cadran de pendule – et épreuve de
labyrinthe tactile).
L’héminégligence ne se manifeste pas toujours de la façon specta-
culaire illustrée par l’encadré 26 (p. 191). Elle peut être réduite à un
phénomène d’extinction qui apparaît souvent au cours de la récu-
pération : le patient détecte un stimulus isolé dans l’hémichamp
202 Manuel de neuropsychologie

controlatéral à la lésion mais échoue en cas de double stimulation


simultanée, et ce phénomène peut survenir indépendamment ou en
association dans les modalités visuelle, auditive ou tactile. Toutefois,
l’extinction a aussi été mise en évidence en l’absence d’héminégli-
gence et pourrait constituer un trouble indépendant de cette der-
nière. Le test clinique de l’extinction est constitué par la situation de
« confrontation ». Dans la modalité visuelle, le sujet est assis en face
de l’examinateur et a pour consigne de fixer du regard le nez de celui-
ci ; l’examinateur rapproche lentement ses deux mains levées jusqu’à
ce que celles-ci entrent dans le champ visuel du sujet ; celui-ci doit
pointer de la main lorsqu’il détecte un mouvement de l’index gauche
ou droit de l’examinateur, ou des deux côtés à la fois.
Làdavas (1990) a mis au point plusieurs épreuves qui permettent de
mesurer plus précisément les troubles d’extinction et de négligence.
Dans la modalité visuelle, quatre carrés vides sont affichés dans les
quatre quadrants d’un écran, et, à chaque essai de la tâche, un ou
deux X apparaissent brièvement à l’intérieur d’un ou de deux des car-
rés. Deux conditions de stimulation sont comparées. Dans la double
présentation, deux X apparaissent simultanément soit dans le même
hémichamp (dans le carré du haut et celui du bas), soit dans les hémi-
champs opposés (droit et gauche) : cette condition permet d’évaluer
l’extinction visuelle. La condition de stimulation simple (un seul X)
permet d’évaluer la négligence. Pour la modalité tactile, l’épreuve
est conçue sur le même schéma, l’examinateur alternant de façon
aléatoire la stimulation simple ou double, en touchant avec un doigt
le dos de la main gauche, de la main droite, ou simultanément les
deux mains du patient qui a les yeux bandés ou dont les mains sont
cachées.
L’héminégligence est souvent accompagnée d’une méconnaissance
par le patient de ses propres troubles. Celui-ci ignore non seulement
sa négligence visuospatiale, ce qui l’empêche d’effectuer les mouve-
ments d’orientation du regard nécessaires (comme le ferait un patient
hémianopsique), mais parfois aussi le déficit sensitivo-moteur associé.
Ainsi, un patient atteint d’une lésion cérébrale droite étendue qui le
rend hémiplégique ignore l’existence de sa paralysie, affirme qu’il est
hospitalisé pour une raison accessoire, soutient qu’il est capable de mar-
cher, d’utiliser normalement son bras gauche. Cette anosognosie peut
présenter tous les degrés d’intensité, d’une simple minimisation du
déficit à un déni de toute pathologie. Dans certains cas, l’anosognosie
s’accompagne d’une hémiasomatognosie, dans laquelle le patient ne
reconnaît pas pour sien son hémicorps paralysé, attribuant celui-ci à
Les grands syndromes neuropsychologiques 203

une autre personne que l’on aurait placée dans son lit, ou bien à l’exa-
minateur.
Parmi les troubles cognitifs parfois associés, il faut encore mention-
ner le délire spatial, au cours duquel le patient affirme se trouver dans
un lieu différent, pouvant varier d’un moment à l’autre. Il se représente
parfois ce lieu, voire les personnes qui s’y trouvent (médecins, person-
nel soignant) comme des répliques du lieu et des personnes véritables
(reduplication). Enfin, on peut observer une impersistance motrice :
c’est l’impossibilité de maintenir une attitude imposée pendant l’exécu-
tion d’une activité mentale (garder les yeux fermés pendant la conver-
sation) ; ce trouble est considéré comme la traduction d’une défaillance
de l’attention soutenue.

7. Les troubles du transfert inter-hémisphérique

L’idée selon laquelle les deux hémisphères cérébraux ne sous-tendent


pas les mêmes fonctions, ou qu’ils ne les sous-tendent pas de la même
façon, est née peu de temps après celle de localisation cérébrale des fonc-
tions. Elle a d’abord été suggérée par l’observation des déficits consécu-
tifs à des lésions cérébrales : l’examen clinique de patients porteurs de
lésions de l’hémisphère gauche ou de lésions de l’hémisphère droit met-
tait en évidence des troubles différents. L’observation de patients chez
qui les commissures qui unissent normalement les deux hémisphères
ont été interrompues (chirurgicalement ou à la suite d’une pathologie)
a ensuite étayé de façon spectaculaire la notion de latéralité fonction-
nelle du cerveau, ou encore de spécialisation hémisphérique.
Après une brève histoire du « cerveau dédoublé », nous présenterons
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le syndrome de déconnexion inter-hémisphérique, puis les inférences


que son étude a permises sur la spécialisation hémisphérique. Mais
l’interprétation des données recueillies chez les patients split-brain reste
délicate et quelques questions ouvertes seront évoquées.

7.1 Le cerveau dédoublé


7.1.1 Histoire
La plupart des aires corticales des deux hémisphères cérébraux sont
reliées par différents faisceaux de fibres nerveuses, les commissures – le
corps calleux et la commissure antérieure principalement –, qui
204 Manuel de neuropsychologie

comprendraient au total plus de deux cents millions de fibres (voir


encadré 2, p. 10). Le corps calleux, de loin la plus importante de ces
commissures inter-hémisphériques, comprend quatre régions anato-
miques, qui sont distinguées d’avant en arrière, le rostrum, le genou,
le tronc et le splénium, et qui relient respectivement les aires corticales
droite et gauche du lobe frontal, du lobe pariétal, du lobe temporal et
du lobe occipital (Lassonde et al., 1987).
R. Myers et R. Sperry ont montré d’abord chez l’animal, dans les
années 1950, que la section du corps calleux, qui n’a pas d’effet visible
sur le comportement des animaux ainsi opérés à des fins expérimen-
tales, pouvait entraîner des modifications importantes dans la per-
ception et l’apprentissage. « Chaque hémisphère séparé semble alors
avoir son propre système cognitif ou sa sphère mentale indépen-
dante, c’est-à-dire ses propres processus perceptifs, d’apprentissage, de
mémoire […]. C’est comme si chaque hémisphère séparé n’était pas
averti de ce dont l’autre fait l’expérience […]. De ce point de vue-là,
c’est comme si les animaux avaient deux cerveaux séparés » (Sperry,
1961, p. 1749).
Ici prend son origine l’expression de « cerveau dédoublé », ou split-
brain. Dans les années 1960, J. Bogen et P.-J. Vogel ont réalisé des
sections chirurgicales des commissures inter-hémisphériques comme
traitement de dernier recours chez des patients souffrant d’épilep-
sie sévère et résistante à tout autre traitement. L’interruption plus ou
moins complète des connexions entre les deux hémisphères a pour but
d’empêcher la propagation de la crise épileptique d’un hémisphère vers
l’autre, c’est-à-dire à l’ensemble du cerveau via notamment le corps
calleux. Sperry et Gazzaniga ont publié dès 1962 les premiers résul-
tats des observations réalisées chez ces patients commissurotomisés et
décrit le syndrome de déconnexion inter-hémisphérique. La présen-
tation latéralisée de stimuli (palpation d’un objet d’une seule main,
présentation d’un mot ou d’une image dans un hémichamp visuel)
permet d’étudier le fonctionnement d’un hémisphère alors qu’il est
relativement isolé de l’autre (l’information perceptive est reçue par un
seul hémisphère et ne peut être transférée à l’autre). La stimulation
en champ divisé produit souvent de grandes différences de perfor-
mances. Les chercheurs américains s’intéressent alors aux capacités
cognitives des patients split-brain.
À peu près à la même époque, des observations concordantes réali-
sées chez des patients ayant souffert de lésions non chirurgicales du
corps calleux (voir encadré 28, p. 205 pour une illustration) ont été
publiées.
Les grands syndromes neuropsychologiques 205

Encadré 28
Élaboration des données perceptives dans un cas de disconnexion inter-
hémisphérique (Jeanine Blanc-Garin)
La patiente, Liliane, présente une disconnexion inter-hémisphérique en lien
avec une lésion calleuse par accident vasculaire cérébral.
Son comportement dans les tâches que nous lui avons proposées montre
les caractéristiques décrites classiquement chez les patients split-brain, en
particulier les faits de dissymétrie hémisphérique : chaque hémisphère uti-
lise son mode de traitement spécifique pour capter des données sensorielles
et élaborer des représentations. Cependant cette jeune fille (17 ans) étant
gauchère, on peut présumer une organisation cérébrale des capacités lan-
gagières différente de celle que l’on décrit comme normale chez les droi-
tiers. Nous savons que plusieurs aspects des fonctions d’expression orale
peuvent, chez les gauchers, être régis par l’hémisphère droit, mais l’activité
de dénomination est le plus souvent contrôlée par le gauche (Hécaen, 1984).
C’est cette organisation que Poncet et al. (1978) supposent chez Liliane.
Pour la plupart des split-brain droitiers, la sollicitation d’un système sensoriel
du côté gauche, lié à l’hémisphère droit, ne permet pas une expression orale
alors que les gestes de pointage parmi plusieurs objets montrent que le trai-
tement perceptif aboutit à une identification correcte. En revanche, dans
une telle situation, Liliane peut parler, mais ne parvient pas à dénommer.
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Figure 1 – Exploration unimanuelle et identification d’objets : la tâche pro-


posée consiste à identifier un objet caché derrière un écran, en le palpant
avec une seule main. Successivement, divers objets usuels sont présentés
(tasse, flacon de parfum, flacon pharmaceutique, stylo…). L’expérimenta-
teur observe les mouvements d’exploration et note ce que dit Liliane.
À
206 Manuel de neuropsychologie

Â
Dans la situation d’exploration unimanuelle, des comportements très diffé-
rents sont constatés selon la main en action et l’hémisphère ainsi sollicité.
La main gauche explore rapidement et, après quelques secondes, Liliane
sourit en disant : « je sais ce que c’est, je vais vous le dire », mais elle ne par-
vient pas à énoncer le nom. Elle répond sans erreur aux questions sur les
caractéristiques de matière ou de forme ; si nous lui proposons un terme
inadéquat, elle le refuse violemment, avec une mimique de contrariété. Elle
cherche du regard un objet semblable (pointant par exemple vers une lampe
pour indiquer une ampoule électrique). Parfois elle mime le geste et énonce
l’utilisation : « c’est pour servir le thé » (pour une théière). Elle distingue clai-
rement des flacons de taille semblable mais de forme différente et énonce
leur usage : « c’est pour le parfum » ou « on peut mettre de l’éther ». Ces
identifications descriptives, par le geste ou la parole, sont toujours exactes,
rapidement exprimées et avec une mimique de satisfaction. Les substantifs,
quoique peu nombreux, ne sont pas absents des verbalisations, mais ils ne
sont pas immédiatement fournis et ne correspondent pas à une dénomi-
nation de l’objet. Liliane indique souvent sa certitude et la présence d’une
image visuelle (« je sais, je le vois »), seul manque le nom.
Le même exercice avec la main droite déclenche un comportement bien
différent. Le plus souvent, la prise en main sans vraie exploration est
accompagnée d’une mimique maussade. Aucune indication n’est fournie
spontanément ; aux questions concernant des caractéristiques sensorielles
(dur/mou, lourd/léger), les réponses sont bonnes, mais concernant la forme
ou l’utilisation, elle répète « je ne vois pas, je ne sais pas ». Parfois au début,
et de plus en plus fréquemment au long de l’entraînement, elle énonce très
rapidement le nom ; celui-ci est toujours correct, mais correspond souvent
à une catégorie assez large, peu précise (pour les divers flacons elle dit tou-
jours « une bouteille »). Le traitement perceptif est donc adéquat puisque
l’étiquette verbale est juste, mais il semble « flou » et insuffisant, l’objet n’est
pas individualisé et, comme y insiste Liliane, l’image visuelle ne peut être
construite ; surtout il est accompagné de perplexité. Plusieurs fois même,
un sentiment d’incertitude est suivi d’une vraie dénégation du nom (correct)
qui vient d’être prononcé : palpant une pile de lampe de poche, elle énonce
immédiatement « une pile » puis, se ravisant, « est-ce une pile ? non, ce n’est
pas une pile ; je ne sais pas ce que c’est ». Ce type de comportement est aussi
observé chez Liliane dans des épreuves auditives (écoute dichotique) et il
est classique dans les cas de callosotomie. Il est interprété comme un effet
d’inhibition exercé par un hémisphère qui empêche le fonctionnement de
l’autre et « prend le dessus ».
Ces quelques faits, avec ceux présentés et discutés ailleurs (Blanc-Garin,
1983), nous autorisent à inférer un schéma d’organisation cérébrale qui
constitue une réalisation individuelle, propre à Liliane. Ce schéma ne peut
être généralisé aux gauchers, mais il obéit à des lois générales ; et l’analyse
À
Les grands syndromes neuropsychologiques 207

Â
des données comportementales permet de nourrir le contenu de quelques
notions classiques en neuropsychologie :
– l’organisation cérébrale du langage : moins focalisée dans l’hémisphère
gauche, plus « distribuée », chez les gauchers que chez les droitiers ;
– la dissymétrie hémisphérique : ici, l’accès lexical est réalisé à partir de l’hémi-
sphère gauche, l’élaboration de l’image visuelle à partir du droit. Chez le
normal, les constructions imagées sont plus probablement régies par des
contrôles complexes des deux hémisphères ;
– l’intégration inter-hémisphérique : elle est défectueuse en l’absence de
corps calleux. Chaque hémisphère traite alors les données indépendam-
ment et les informations élaborées sont ignorées par l’autre ; le conflit
peut être résolu par la dominance momentanée de l’un qui inhibe l’autre.

7.1.2 Le syndrome de déconnexion inter-hémisphérique


Jusqu’aux travaux de Sperry, Bogen et Gazzaniga, tout concourait à
occulter le rôle du corps calleux dans le comportement et la cognition,
en particulier les travaux d’Akelaitis dans les années quarante. Cet
auteur a en effet souligné que l’examen poussé d’une vingtaine de
patients commissurotomisés ne mettait en évidence aucun trouble
important. Il est possible, comme le proposent Lassonde et al. (1987),
que « les résultats négatifs observés par Akelaitis étaient probablement
dus à l’utilisation de tests inadéquats dans la mise en évidence du syn-
drome de déconnexion calleuse » (p. 185). C’est en effet dans des situa-
tions expérimentales où l’information à traiter est délivrée à un seul
hémisphère cérébral que se manifeste la condition de « cerveau dédou-
blé » (voir chapitre 2, section 3). Il faut aussi prendre en compte le fait
que les recherches d’Akelaitis étaient antérieures aux expérimentations
chez l’animal et manquaient de ce fait d’une « grille de lecture » pour
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décrypter le syndrome de déconnexion inter-hémisphérique dont cer-


tains traits étaient cependant déjà mis en lumière.

7.1.3 Examen clinique et plaintes des patients


Lors d’un examen superficiel, la section complète du corps calleux
chez l’homme ne produit pas de perturbation fonctionnelle évidente.
Il n’y a pas de baisse de l’efficience cognitive générale (des amélio-
rations sont même notées lorsque l’épilepsie est bien contrôlée). La
conversation et le comportement général sont normaux, et la plupart
des patients ont repris leurs études et une vie quotidienne autonome
(mais plus rarement une occupation professionnelle, surtout si celle-ci
208 Manuel de neuropsychologie

est très exigeante). Toutefois, immédiatement après l’intervention


chirurgicale, certains ne peuvent répondre à une commande verbale
en utilisant leur main gauche, et des conflits inter-manuels (apraxie
diagonistique) sont parfois décrits par les patients dans leurs activités
de tous les jours. Cependant ces signes discrets ont tendance à régres-
ser rapidement, quelques jours ou semaines après l’opération. Une des
rares plaintes qui persiste plus tardivement concerne des difficultés
de mémoire à court terme. Celles-ci seraient plutôt liées à la section
de la commissure antérieure qui unit les cortex temporaux des deux
hémisphères ; elles sont plus rares chez des patients dont seul le corps
calleux a été sectionné. Ces troubles de mémoire à court terme sont
parfois attribués à la coexistence d’atteintes de structures corticales
(extra-calleuses).

7.1.4 Les traits caractéristiques


Le syndrome de déconnexion inter-hémisphérique n’est mis en évi-
dence que dans des situations de test particulières, où les deux hémi-
sphères doivent partager l’information, et persiste pendant des années :
plusieurs patients opérés à Los Angeles ont été suivis pendant plus de
vingt ans après la callosotomie. Nous résumons ici les traits typiques
du syndrome de déconnexion inter-hémisphérique tels qu’ils ont été
décrits chez des sujets droitiers présentant une spécialisation hémisphé-
rique gauche pour le langage (pour une revue, voir Faure et Lechevalier,
in Lechevalier et al., 2008).
Le premier ensemble de signes reçoit une explication unitaire : lorsque
les stimulations sont adressées à l’hémisphère droit, leur transfert jus-
qu’aux régions spécialisées pour les traitements verbaux dans l’hémi-
sphère gauche est rendu impossible par l’interruption des connexions
entre les hémisphères.
¼ Anomie tactile gauche
Les patients sont incapables de dénommer des objets placés dans leur
main gauche, tandis que la réponse est correcte et immédiate pour les
mêmes objets explorés de la main droite.
¼ Agraphie unilatérale gauche
L’écriture manuscrite est préservée de la main droite, mais très
perturbée voire impossible de la main gauche. Lors de l’écriture, la
« commande » cérébrale de la main gauche – dont les mouvements
fins sont sous la dépendance de l’hémisphère droit – est déconnectée
des régions de l’hémisphère gauche qui prennent en charge les aspects
Les grands syndromes neuropsychologiques 209

linguistiques de l’activité. Ce mécanisme réalise un tableau d’agraphie


aphasique dans lequel toutes les formes d’écriture, y compris la dac-
tylographie, sont perturbées. L’agraphie apraxique unilatérale, dans
laquelle les lettres sont déformées, mais où la frappe à la machine
est préservée ainsi que la possibilité de composer des mots à l’aide de
lettres mobiles, relève d’un mécanisme très différent (Zesiger et Mayer,
1992).
¼ Extinction de l’oreille gauche en écoute dichotique
Lorsque des stimuli différents sont présentés simultanément aux
oreilles gauche et droite, le test met en évidence de très bonnes per-
formances pour les mots présentés à l’oreille droite (controlatérale à
l’hémisphère habituellement spécialisé pour le langage), tandis que le
patient ne peut répéter les mots présentés à l’oreille gauche (ce dont
il est tout à fait capable en écoute monaurale). Cette extinction totale
du stimulus présenté à l’oreille gauche a reçu plusieurs interprétations.
La plus souvent retenue est que le message auditif transmis de l’oreille
gauche à l’hémisphère droit ne peut plus ensuite atteindre l’hémisphère
gauche pour y être décodé, car la voie calleuse est interrompue (voir
encadré 12, p. 84). C’est l’interruption de la partie postérieure du tronc
du corps calleux – juste en avant du splénium – qui serait la cause de
l’extinction de l’oreille gauche.
¼ Anomie visuelle et alexie unilatérales gauches
Des dessins d’objets et des mots présentés en tachistoscopie et champ
visuel divisé (voir encadré 10, p. 78) sont parfaitement dénommés et
lus lorsqu’ils apparaissent dans le champ visuel droit du patient, tandis
que le test met en évidence une incapacité à nommer les dessins et à lire
les mots qui sont présentés dans le champ visuel gauche. L’image d’un
objet projetée dans le champ visuel gauche peut être analysée mais la
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dénomination, qui implique le partage des informations résultant de


cette analyse (forme, couleur, sémantique) avec l’hémisphère gauche,
est impossible. C’est le splénium du corps calleux qui relie les aires cor-
ticales postérieures et assure normalement le transfert des informations
visuelles d’un hémisphère vers l’autre.
¼ Apraxie idéomotrice gauche
Sur ordre, et quelquefois aussi sur imitation, le patient ne peut réali-
ser de la main gauche des gestes intentionnels simples, comme mimer
l’utilisation d’un marteau.
D’autres signes sont observés dans des tâches réalisées par l’hémi-
corps droit, qui se trouve déconnecté de l’hémisphère droit.
210 Manuel de neuropsychologie

¼ Apraxie constructive de la main droite


En dépit de l’utilisation de la main dominante – droite – par exemple
pour recopier un dessin géométrique, certains patients ont des produc-
tions rappelant celles de patients porteurs de lésion pariétale droite. Le
trouble visuoconstructif unilatéral (désorganisation du dessin) résulte-
rait de l’interruption des connexions entre les centres de commande
motrice de la main droite (situés dans l’hémisphère gauche) et le cortex
pariétal droit, spécialisé pour l’appréhension de l’espace.
¼ Négligence de l’hémi-espace gauche dans des activités qui sont
sous le contrôle de l’hémisphère gauche, comme dessiner ou
écrire de la main droite.
Quelquefois observée immédiatement après l’opération, elle régresse
rapidement. Selon certains, elle serait une séquelle opératoire liée à
une compression de certaines zones de l’hémisphère droit, tandis que
pour d’autres elle serait causée directement par une perte de la contri-
bution de l’hémisphère droit à l’exploration de l’espace en lien avec la
déconnexion inter-hémisphérique (Goldenberg, 1986).
Enfin, un symptôme caractéristique concerne l’intégration des activi-
tés de chaque hémicorps.
¼ Troubles de la coordination bimanuelle et apraxie diagonistique
L’activité coordonnée des deux mains est fréquemment perturbée
(ainsi que la coordination visuomanuelle). Le conflit inter-manuel,
dans lequel la main gauche contrarie l’action de la main droite, peut
être un des rares signes gênants dans la vie quotidienne. Il peut être
rapproché de ce que certains vivent comme un « conflit interne » : le
patient F.D.G. raconte avoir eu l’intention de se rendre dans une pièce
de son appartement mais s’être retrouvé ailleurs, ou encore avoir saisi
un couteau alors qu’il avait l’intention d’attraper une casserole (Habib
et al., 1990). Ces observations de comportements antagonistes entre les
deux mains ont alimenté les débats sur l’existence d’une « volonté »
duale chez le split-brain.

7.2 Syndromes de déconnexion secondaires


à des processus pathologiques spontanés
et autres troubles du transfert
inter-hémisphérique
Certains syndromes de déconnexion inter-hémisphérique sont liés à
la survenue de lésions cérébrales, d’origine vasculaire, traumatique ou
Les grands syndromes neuropsychologiques 211

tumorale, qui intéressent soit les commissures elles-mêmes, soit les


fibres commissurales lorsqu’elles prennent leur origine dans l’un ou
l’autre des hémisphères. L’encéphalopathie de Marchiafava-Bignami,
consécutive à une intoxication éthylique, peut par exemple occasion-
ner un syndrome de déconnexion inter-hémisphérique par nécrose
du corps calleux. Une des difficultés dans l’étude de ces cas est de
départager, dans le tableau clinique, ce qui relève de l’interruption
plus ou moins totale des fibres calleuses et ce qui est lié à des lésions
extra-calleuses. Les traumatismes crâniens et les pathologies alcoolo-
carentielles, par exemple, entraînent des dommages bien au-delà des
commissures cérébrales.
L’étude de patients qui présentent un syndrome de déconnexion
inter-hémisphérique d’origine spontanée est néanmoins d’un grand
intérêt, puisque, contrairement aux commissurotomisés, il n’existe
pas de pathologie cérébrale préalable à la survenue du syndrome de
déconnexion. Leur cerveau peut donc être considéré, en tout cas au
moment de l’apparition du syndrome, comme n’ayant pas subi de réor-
ganisation anatomo-fonctionnelle et donc plus « typique » du cerveau
normal que chez les épileptiques opérés (voir le cas de déconnexion
inter-hémisphérique d’origine ischémique, F.D.G. : Habib et al., 1990).
À la différence de nombreux cas de commissurotomisés chez qui la
destruction calleuse est totale, les syndromes d’origine lésionnelle
sont rarement complets ; la sémiologie ne comporte que certains traits
du syndrome, et le tableau de chaque patient dépend de la topologie
des fibres commissurales qui sont interrompues (pour une revue, voir
Michel et Hénaff, 2001).
Il faut mentionner enfin les cas d’agénésie calleuse. Ces cas d’absence
congénitale de corps calleux (près de 1 % des naissances) sont l’occa-
sion d’observations troublantes, puisque souvent ils sont découverts
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« au hasard » d’un examen médical, alors que ces enfants ont connu
un développement normal (pour une revue, voir Bayard et Lassonde,
in Poncelet et al., 2009).
Le rôle considérable du corps calleux dans la cognition, bien au-delà
du transfert d’information entre les hémisphères (notamment dans
l’attention ; voir infra), est maintenant largement pris en considéra-
tion dans les recherches fondamentales. Il n’en va pas tout à fait de
même dans la clinique neuropsychologique : or, selon Mayer (2002),
l’exploration du transfert inter-hémisphérique devrait, beaucoup plus
que ça n’est le cas de nos jours, faire partie intégrante du bilan neuro-
psychologique. C’est le cas particulièrement pour la sclérose en plaques
où des troubles sont fréquents, mais aussi dans les traumatismes
212 Manuel de neuropsychologie

crâniens et différentes pathologies développementales. Cette explora-


tion repose sur des tests comportementaux assez faciles à mettre en
œuvre (voir chapitre 2, section 3) comme l’écoute dichotique verbale
(où une extinction de l’oreille gauche signale une perturbation du trans-
fert entre les hémisphères) et les tâches de transfert d’information dans
la modalité haptique (tâches bimanuelles, etc.) ; elle peut bénéficier
aussi de différents indices électrophysiologiques (le temps de transfert
inter-hémisphérique et l’efficience du transfert peuvent être mesurés
individuellement grâce à certains protocoles en potentiels évoqués).
La sclérose en plaques est une maladie de la substance blanche carac-
térisée par une démyélinisation. Le corps calleux est souvent le siège
de plaques démyélinisées qui sont visibles sur des coupes sagittales
en IRM anatomique. Les publications sont rares, mais des études de
cas montrent que ces atteintes calleuses peuvent occasionner certains
des traits typiques du syndrome de déconnexion inter-hémisphérique.
Varley et al. (2005) ont décrit le cas d’un patient atteint de sclérose en
plaques chez qui l’un des premiers troubles cognitifs était une agra-
phie unilatérale ; l’imagerie anatomique objectivait une lésion de la
partie centrale du corps calleux. Soulignons enfin qu’une corrélation
inverse entre la durée de la maladie et la surface sagittale du corps cal-
leux a été notée. On peut donc s’attendre à ce que les troubles de la
communication entre les hémisphères s’aggravent avec la progression
de la maladie et le suivi des patients devrait être attentif aux éventuelles
conséquences sur les capacités d’attention : les travaux expérimentaux
chez les sujets normaux ont démontré l’implication des connexions
inter-hémisphériques dans la gestion et le maintien de l’attention
(Banich, 1998).

7.3 Transfert inter-hémisphérique et cognition


L’étude des patients split-brain a grandement contribué à une meilleure
compréhension de la spécialisation fonctionnelle hémisphérique et des
faits d’intégration et de collaboration inter-hémisphérique (voir enca-
dré 28, p. 205).
De multiples questions demeurent. Celle, complexe, de la possi-
bilité d’une conscience double (Gazzaniga, 1995) ne peut être trai-
tée en quelques lignes. Le débat sur les compétences langagières de
l’hémisphère droit chez le split-brain reste lui aussi ouvert (voir Zaidel,
1999). L’observation des patients commissurotomisés a conduit à
l’idée que l’hémisphère cérébral droit serait « muet », privé de toute
compétence langagière sur le versant expressif. La situation standard
Les grands syndromes neuropsychologiques 213

inventée par Sperry consistait à présenter brièvement un stimulus


signifiant dans le champ visuel gauche ou dans le champ visuel droit.
La dénomination était généralement immédiate et aisée pour les mots
ou les images présentés dans le champ visuel droit (stimulation reçue
par l’hémisphère gauche), contrastant avec une absence de réponse
pour les mêmes items présentés dans le champ visuel gauche. En
revanche, les patients étaient capables de choisir à l’aide de la main
gauche (commandée par l’hémisphère droit), parmi plusieurs distrac-
teurs, un objet correspondant au stimulus présenté brièvement dans
le champ visuel gauche (apparier par exemple un feu et une boîte
d’allumettes). Les conclusions concernant les capacités de compré-
hension d’un matériel sont donc plus nuancées. Toutefois, certains
patients ne manifestent aucune capacité verbale lorsque l’informa-
tion est adressée à l’hémisphère droit, ni en compréhension, ni en
production, tandis que d’autres cas révèlent des compétences linguis-
tiques certaines (traitements syntaxiques, phonologiques, sur les ver-
sants réceptif et expressif). Plusieurs explications sont possibles. D’une
part, les patients split-brain montrent une grande variabilité interin-
dividuelle : du point de vue des compétences préopératoires, du point
de vue des commissures sectionnées, et du point de vue de l’histoire
de la pathologie qui a motivé la commissurotomie. D’autre part, il est
possible que l’approche traditionnelle des faits de déconnexion inter-
hémisphérique ait conduit à sous-estimer les capacités langagières
de l’hémisphère droit chez le sujet split-brain. En effet, des données
expérimentales suggèrent que les performances lexico-sémantiques
très pauvres qui sont recueillies à partir de stimulations du système
champ visuel gauche/hémisphère droit (ou main gauche/hémisphère
droit) pourraient être imputées à un défaut d’activation des sous-
systèmes de traitement de l’hémisphère droit (Faure et Blanc-Garin,
1994b), plutôt qu’à l’absence de compétences lexico-sémantiques
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(voir chapitre 2, section 3).


Un ensemble de difficultés d’interprétation inhérentes aux carac-
téristiques des patients split-brain « chirurgicaux » doit être considéré
lorsqu’on tente de généraliser à la population normale les différences
de fonctionnement hémisphériques mises en évidence par leur étude
(Kosslyn, 1994). Tout d’abord, ces patients n’ont pas un cerveau « nor-
mal » : les commissures qui unissent normalement les deux hémisphères
ont été sectionnées afin de traiter une épilepsie sévère chez des sujets
qui présentent un trouble du fonctionnement cérébral souvent depuis
leur petite enfance. Certains ont ainsi connu des conditions anormales
de développement de la spécialisation hémisphérique ; il est donc
214 Manuel de neuropsychologie

possible que certaines fonctions qui n’ont pas pu être prises en charge
dans l’hémisphère où siège le foyer épileptogène se soient déplacées vers
l’autre hémisphère dans le cours du développement. Enfin, même si le
cerveau d’un patient split-brain peut être considéré comme normal « au
départ » (comme ce peut être le cas dans des syndromes de déconnexion
d’origine lésionnelle spontanée), il ne l’est évidemment plus après
l’interruption chirurgicale des commissures inter-hémisphériques.
Le corps calleux a tour à tour été considéré comme quantité négli-
geable – il aurait servi à maintenir les deux parties du cerveau –, ou
bien comme « siège de l’âme » en vertu de son caractère unique et de
sa position médiane. Les neuropsychologues attribuent actuellement à
cet énorme faisceau de fibres non seulement une fonction de transmis-
sion d’information entre les hémisphères, mais aussi un rôle dans la
régulation de l’activité du cerveau (voir Mayer, 2002, pour une revue).
Levy (1985) souligne aussi le rôle crucial du corps calleux dans l’orga-
nisation développementale du cerveau, notamment dans la mise en
place de la spécialisation hémisphérique, et dans la régulation des fonc-
tions d’éveil et d’attention par le jeu d’influences excitatrices et inhi-
bitrices d’un hémisphère sur l’autre. L’auteur a développé le concept
d’« intégration collaborative ». Le cerveau normal est un système inté-
gré ; lorsque certaines de ses parties se retrouvent isolées, il est possible
qu’elles n’opèrent plus comme elles le faisaient auparavant.

8. Le syndrome frontal

8.1 Lobe frontal et syndrome frontal


Les lobes frontaux (situés en avant des scissures de Rolando et au-dessus
des scissures de Sylvius) représentent environ un tiers de la masse des
hémisphères cérébraux et constituent la partie la plus récente du cerveau
humain. Chaque lobe frontal peut être divisé en trois zones anatomo-
fonctionnelles distinctes. L’aire motrice primaire (comprenant la cir-
convolution frontale ascendante), située immédiatement en avant de
la scissure de Rolando, est impliquée dans la commande de la motricité
élémentaire de l’hémicorps controlatéral. L’aire prémotrice sous-tend
l’organisation et le contrôle des mouvements fins et séquentiels. En
plus de la difficulté d’exécuter des actions séquentielles, le syndrome
prémoteur est caractérisé par un réflexe de préhension (ou grasping)
qui consiste en une flexion réflexe pathologique des doigts déclenchée
Les grands syndromes neuropsychologiques 215

par un stimulus tactile. L’aire prémotrice comprend l’aire motrice sup-


plémentaire, qui joue un rôle majeur dans l’initiation du mouvement.
Des lésions de l’aire motrice supplémentaire de l’hémisphère gauche
provoquent en outre des troubles du langage pouvant aller jusqu’au
mutisme. La troisième grande région des lobes frontaux est le cortex
préfrontal, partie la plus antérieure, qui comprend environ un quart
de la masse corticale. Ce cortex préfrontal gouverne les aspects les plus
élaborés du comportement. Dépourvu, contrairement aux autres lobes,
de connexions directes avec les voies sensorielles ou motrices, le cortex
préfrontal présente surtout des connexions importantes avec les autres
structures corticales et les structures sous-corticales comme le thalamus.
Ces dernières exercent une influence activatrice sur le cortex préfrontal
et des lésions de ces formations sous-corticales (focales ou plus diffuses
comme dans les « démences sous-corticales ») peuvent se manifester par
un syndrome frontal. Un jeu complexe de boucles activatrices et inhibi-
trices reliant notamment les noyaux du thalamus et diverses régions du
cortex préfrontal régule ainsi les fonctions intégratrices dévolues à ces
dernières. Le terme de « syndrome frontal » désigne en fait les troubles
liés à des lésions ou à des dysfonctionnements du cortex préfrontal qui
font l’objet de cette section. Trois régions sont différenciées au sein du
cortex préfrontal : la région dorsolatérale située sur la face convexe des
hémisphères, la région frontomédiane située sur la face interne, et la
région orbito-frontale ou ventrale.
Différents travaux utilisant notamment l’expérimentation animale
ou l’imagerie cérébrale chez l’homme ont cherché à délimiter plus pré-
cisément les différentes zones fonctionnelles du cortex préfrontal. Ces
études récentes ont montré que le cortex préfrontal et le syndrome
frontal étaient beaucoup moins homogènes qu’on ne l’avait supposé
durant de nombreuses années.
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Dans la suite de ce chapitre davantage situé dans une perspective cli-


nique, nous décrirons les troubles consécutifs à des lésions ou dysfonc-
tionnements des lobes préfrontaux, en mentionnant les localisations
cérébrales présumées. Nous développerons ensuite le concept de fonc-
tions exécutives et les principaux modèles qui s’y rattachent.

8.2 Émergence du syndrome frontal


Le syndrome frontal occupe une place particulière parmi les autres
grands syndromes neuropsychologiques. Ces derniers ont été décrits
de façon extensive à la fin du XIXe siècle mais précisés et intégrés à des
modèles théoriques élaborés plus récemment. Des observations de
216 Manuel de neuropsychologie

patients atteints de lésions frontales ont certes été rapportées à la fin


du XIXe siècle.
La plus célèbre est celle, publiée en 1868 par Harlow, de ce contre-
maître, très apprécié de ses collaborateurs, victime d’un accident ayant
provoqué une lésion préfrontale après la pénétration d’une barre métal-
lique. Cette blessure, sans provoquer de déficit neurologique évident,
a entraîné une modification drastique de la personnalité. Auparavant
« fiable et droit », le patient Phineas Gage devint grossier, facétieux et
irresponsable.
Pendant le premier tiers du XXe siècle, les descriptions cliniques ont
insisté essentiellement sur les perturbations de la personnalité, au sens
large du terme (humeur, comportement), consécutives aux lésions
préfrontales. Progressivement, l’existence de troubles intellectuels a
été suggérée, tout en étant loin de faire l’unanimité. Ainsi, au début
des années 1960, le rôle des lobes frontaux a été présenté par Teuber
comme une énigme.
C’est au neuropsychologue soviétique A.R. Luria que revient le double
mérite d’avoir isolé les caractéristiques fondamentales du syndrome
frontal et proposé la première grande théorie psychophysiologique du
rôle des lobes frontaux. Les troubles majeurs présentés par les patients
atteints de lésions frontales consistent en des difficultés d’anticipation
et de planification des conduites, qui se répercutent dans nombre de
comportements et d’activités sociales. Les conceptions de Luria sont
à la base de la plupart des modèles contemporains, notamment celui
développé par Shallice et ses collaborateurs (voir infra).

8.3 Les troubles consécutifs à des lésions


préfrontales
La classification sémiologique que nous proposons est incomplète
et arbitraire, certains symptômes pourraient figurer dans plusieurs
rubriques et notamment les « troubles des fonctions exécutives », abor-
dés à la fin de la section, qui se répercutent dans de nombreux compor-
tements. Nous espérons néanmoins que cette présentation clinique
permettra de bien rendre compte de la complexité inhérente aux syn-
dromes frontaux.

8.3.1 Les troubles de la personnalité et de l’humeur


Ils peuvent présenter deux grands versants. Le premier, quali-
fié de « pseudo-dépressif », est consécutif à des lésions de la région
Les grands syndromes neuropsychologiques 217

dorsolatérale. Le patient manque d’initiative, se désintéresse de son


entourage et de son environnement et est incapable de se projeter
dans l’avenir. Ce tableau clinique se différencie d’un réel état dépressif
par l’absence d’anxiété et de douleur morale. Le second pôle, eupho-
rique, est observé lors de lésions de la région orbito-frontale. Le patient
présente un comportement moriatique avec une excitation intellec-
tuelle et psychomotrice évoquant un état maniaque. Les conduites
sont impulsives et puériles avec une tendance exagérée aux pitreries
et aux calembours. Une désinhibition verbale conduit, dans certains
cas, à des propos grivois. Sur le plan alimentaire, un comportement
de gloutonnerie est observé parfois indépendamment du contexte
moriatique.

8.3.2 Les troubles de l’exploration visuelle


Ces troubles, observés lors de lésions du cortex préfrontal dorsolatéral,
se caractérisent par une inattention aux stimulations extérieures. Le
patient peut présenter une réduction de l’exploration pouvant conduire
à des phénomènes d’« aimantation » (ou agrippement) du regard. Ces
troubles de l’exploration sont parfois plus nets dans l’hémichamp
controlatéral à la lésion, réalisant alors une pseudo-hémianopsie. Dans
d’autres cas, le patient manifeste une distractibilité excessive et est attiré
par tous les stimuli qui se présentent à lui.

8.3.3 Les troubles du comportement moteur


Ils prennent différentes formes en dehors de l’excitation motrice ou
du ralentissement déjà décrits. Des persévérations (ou répétitions anor-
males d’un comportement spécifique) apparaissent notamment dans
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des situations complexes où le patient doit inhiber des automatismes.


Devant effectuer une séquence motrice complexe, le patient utilise
un programme plus élémentaire qui se répète de façon stéréotypée.
Les comportements d’utilisation et d’imitation, décrits par François
Lhermitte, s’intègrent également dans ce cadre. Le premier désigne
une tendance exagérée du patient à saisir et à utiliser les objets présen-
tés devant lui. Dans le second, le patient ne peut s’empêcher d’imiter
les gestes réalisés devant lui, malgré la consigne lui interdisant de le
faire. Ces comportements sont interprétés comme une abolition de la
fonction inhibitrice dévolue au lobe frontal ; ils peuvent être considé-
rés comme traduisant une dépendance vis-à-vis des stimuli du monde
environnant.
218 Manuel de neuropsychologie

8.3.4 Les troubles des conduites verbales


Ceux-ci diffèrent selon le tableau clinique présenté : logorrhée dans
le cadre d’une excitation pseudo-maniaque (lésions orbito-frontales),
réduction du discours avec adynamisme dans le versant opposé (lésions
dorsolatérales). La latéralisation gauche des lésions joue un rôle dans
l’occurrence et la sévérité des troubles du langage observés dans les
syndromes frontaux. Les déficits plus strictement aphasiques consécu-
tifs à des lésions frontales gauches (comme l’aphasie de Broca) sont
développés dans le chapitre 3, section 2. Il convient de les différencier
des troubles du langage observés chez les patients atteints de lésions
préfrontales. Deux perturbations méritent d’être soulignées. Ces patients
présentent une réduction de la fluence verbale, en particulier dans les
tâches d’évocation lexicale qui consistent à produire le maximum de
mots en un temps donné (généralement une ou deux minutes) en sui-
vant une contrainte sémantique (par exemple des noms d’animaux) ou
orthographique (mots commençant par une lettre donnée). Cette baisse
de la fluence verbale (qui n’est pas spécifique aux syndromes frontaux)
est interprétée comme un déficit des stratégies d’exploration du lexique
et de la mémoire sémantique. Par ailleurs, une deuxième caractéristique
des troubles des conduites verbales est la préservation d’un langage
« automatique » contrastant avec des difficultés pour générer des pro-
ductions verbales plus contraintes : formuler des phrases en utilisant
des mots fournis par l’examinateur, organiser un récit sur un thème
précis. Les productions du patient peuvent aboutir à des constructions
très éloignées du récit attendu et sans ligne directrice.

8.3.5 Les troubles de la mémoire


Les troubles de la mémoire consécutifs à une lésion frontale ont été
longtemps sous-estimés. Ils ont toutefois été signalés, à des degrés
variables, dans différents cadres pathologiques (par exemple dans les
traumatismes crâniens), mais des critiques méthodologiques ont été
formulées, concernant notamment la non-prise en compte des lésions
associées à d’autres structures cérébrales. Actuellement, les troubles de
la mémoire font partie intégrante du syndrome frontal, mais on les dis-
tingue nettement de ceux caractérisant les syndromes amnésiques.
Des troubles de la mémoire à court terme ont été décrits avec une
baisse de l’empan et de l’effet de récence. Le déficit est encore plus
net dans des épreuves mettant en jeu l’administrateur central de la
mémoire de travail (voir infra) comme le paradigme de Brown-Peterson
qui consiste à rappeler, après un délai n’excédant pas vingt secondes
Les grands syndromes neuropsychologiques 219

occupé par une tâche interférente, une triade de lettres ou de mots. Une
sensibilité accrue aux interférences a souvent été invoquée pour rendre
compte des troubles mnésiques consécutifs aux lésions frontales. Des
perturbations attentionnelles et de gestion des ressources en mémoire
de travail ont également été avancées.
Concernant la mémoire à long terme et plus précisément la mémoire
épisodique, le fait le plus constant est le déficit dans les tâches de rap-
pel libre et parfois de rappel indicé, contrastant avec des performances
normales dans des tâches de reconnaissance. Ce résultat est générale-
ment attribué à un défaut des stratégies de récupération : le patient
présente des difficultés à mettre en place des indices de récupération de
l’information ainsi qu’à extraire des éléments pertinents du contexte.
Il éprouve aussi des difficultés particulières lorsqu’il doit évaluer l’ordre
et la fréquence d’apparition des stimuli. Ce trouble de l’organisation
temporelle des informations pourrait, dans certains cas, être à l’origine
d’une amnésie de la source : le patient ne peut évoquer où ni quand
une information a été mémorisée alors que celle-ci n’est pas oubliée.
Les troubles de l’organisation temporelle peuvent également apparaître
dans les récits autobiographiques.
Différents auteurs ont souligné une concordance entre la latéralité
des lésions et le profil des perturbations mnésiques en fonction du
matériel utilisé (par exemple, troubles de la mémoire pour les informa-
tions verbales en cas de lésions gauches). Plus récemment, Tulving et
al. (1994) ont proposé le modèle HERA (Hemispheric Encoding/Retrieval
Asymmetry) à partir d’une revue de travaux utilisant l’imagerie fonc-
tionnelle cérébrale (voir chapitre 2, section 4). Selon ce modèle, le cor-
tex préfrontal gauche jouerait un rôle préférentiel dans la récupération
d’informations sémantiques et dans l’encodage en mémoire épisodique
alors que le cortex préfrontal droit interviendrait surtout dans la récu-
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pération d’informations épisodiques. Au-delà de ce modèle, de nom-


breux travaux suggèrent que les lobes frontaux jouent un rôle crucial
dans la recherche en mémoire. Dans la plupart des paradigmes, il est
toutefois difficile de distinguer la composante strictement mnésique de
la participation des fonctions exécutives.
De façon générale, les travaux réalisés en imagerie cérébrale fonction-
nelle ont souligné l’implication du cortex préfrontal dans la mémoire.
Lepage et al. (2000) ont ainsi proposé l’existence de sites REMO (pour
Retrieval Mode) localisés principalement dans le cortex préfrontal droit et
mis en jeu quand le sujet s’engage dans une activité de récupération en
mémoire, qu’elle soit ou non suivie de succès. Cette contribution du cor-
tex préfrontal s’oppose à celle de la région hippocampique, qui est liée
220 Manuel de neuropsychologie

à l’ecphorie, c’est-à-dire l’accès réussi et quasi automatique aux informa-


tions en mémoire. Dans ce cadre, des troubles massifs de la mémoire épi-
sodique s’expliquent parfaitement par une atteinte bilatérale de la région
hippocampique ou des structures associées. Des observations, plus rares,
d’amnésies consécutives à des lésions (ou à des dysfonctionnements) du
cortex préfrontal, prédominant parfois sur la composante rétrograde, ont
été décrites. Elles incriminent le plus souvent le cortex préfrontal droit et,
plus précisément, le faisceau unciné qui relie le cortex préfrontal au cor-
tex temporal (voir, par exemple, Levine et al., 1998 et encadré 29).

Encadré 29
L’amnésie rétrograde isolée : trouble de mémoire organique ou
psychogène ? (Pascale Piolino)
La perte d’identité est l’un des phénomènes les plus fascinants d’atteinte de la
mémoire humaine. Depuis quelques années, l’étude de l’amnésie rétrograde
isolée (ARI), c’est-à-dire sans amnésie antérograde, s’est intensifiée, soulevant
plusieurs questions, notamment sur son origine organique ou psychogène.

L’amnésie rétrograde peut-elle vraiment être isolée ?


Les pertes de mémoire consécutives à des lésions cérébrales sont le plus
souvent caractérisées par une amnésie à la fois antérograde et rétrograde.
Dans certains cas, l’amnésie antérograde semble régresser mais pas l’amné-
sie rétrograde. Cette perte peut concerner sélectivement la mémoire des
épisodes personnels (ARI épisodique), ou bien affecter plus largement
les connaissances sémantiques personnelles. En outre, l’ARI peut présen-
ter un gradient temporel de Ribot (relative préservation des informations
anciennes), ou bien concerner l’ensemble des périodes de la vie, plus rare-
ment une période très spécifique de la vie. Dans les cas extrêmes, l’amnésie
des souvenirs et des connaissances autobiographiques crée une perte totale
de l’identité personnelle. L’existence de troubles rétrogrades isolés suggère
une relative indépendance entre les mécanismes d’amnésie antérograde et
rétrograde. Toutefois, il est difficile d’écarter tout trouble antérograde car les
études, pour la plupart, comparent des déficits antérogrades et rétrogrades
avec des méthodes d’évaluation différentes, ce qui peut biaiser les résultats.
Quels dysfonctionnements cérébraux peuvent produire une ARI ?
La question des lésions anatomiques responsables de l’ARI est au cœur des
débats théoriques actuels sur les structures impliquées dans le stockage et
la récupération de la mémoire du passé lointain. L’ARI peut être associée
à des lésions cérébrales visibles au scanner ou à l’IRM chez les traumatisés
crâniens et des patients victimes d’encéphalite ou d’hypoxie par exemple.
À
Les grands syndromes neuropsychologiques 221

Â
La littérature souligne l’hétérogénéité des lésions impliquées : l’ARI étendue
peut résulter aussi bien de l’atteinte d’une que de plusieurs des régions clés
dans le réseau cérébral qui sous-tend la récupération des souvenirs du passé
lointain (régions frontotemporale, temporale antérieure, occipitale) que
de leur disconnexion (lésion du faisceau unciné causant une disconnexion
frontotemporale). L’hémisphère droit serait particulièrement impliqué dans
l’ARI épisodique. Cependant, une lésion bilatérale du lobe temporal anté-
rieur et du lobe frontal serait nécessaire pour produire une perte totale
d’identité. La relative préservation du lobe temporal interne expliquerait
l’absence d’amnésie antérograde.
Quelles sont les causes organiques et psychogènes de l’ARI ?
L’amnésie rétrograde isolée peut aussi se manifester en l’absence de lésions
manifestes. On oppose ainsi deux types d’ARI : une forme fonctionnelle,
appelée aussi psychogène, et une forme organique. Toutefois, l’attribution
de la causalité est une question complexe car il existe une concomitance
fréquente entre des facteurs organiques et psychogènes. Les formes orga-
niques et psychogènes de l’ARI partagent certaines caractéristiques, telles
qu’une attitude détachée eu égard aux troubles de mémoire, ou une indiffé-
rence affective, ce qui explique qu’il soit parfois bien difficile de faire la part de
l’organique et du psychogène. D’autant plus que dans les formes manifeste-
ment organiques, les facteurs psychologiques sont souvent sous-estimés. De
même, lorsque l’ARI est manifestement psychogène, des études montrent
des dysfonctionnements cérébraux, notamment un hypométabolisme
frontotemporal droit, qui correspond donc aux régions cérébrales impli-
quées dans l’ARI organique. Certains auteurs développent actuellement
l’idée qu’une situation stressante puisse affecter les systèmes cérébraux
via deux mécanismes : en générant par exemple des décharges massives
de glucocorticoïdes qui créent un dysfonctionnement cérébral à l’origine
des blocages mnésiques ou bien en interférant avec les systèmes exécutifs
frontaux, inhibant ainsi la récupération des souvenirs et parfois des connais-
sances sémantiques personnelles. Ainsi, on peut distinguer trois types d’ARI
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psychogènes selon leur degré de liaison avec des facteurs organiques :


– l’ARI purement psychogénique consécutive à un événement fortement
émotionnel ou stressant sans lésion cérébrale, ce qui n’exclut pas l’exis-
tence d’un dysfonctionnement cérébral ;
– l’ARI qui se produit en présence d’une pathologie cérébrale mais où les
facteurs psychologiques sont plus à même d’expliquer l’importance des
troubles que les facteurs organiques ;
– l’ARI consécutive à un traumatisme crânien mineur.
Cette complexité de la question de l’origine des troubles est illustrée par le
cas du patient C.L. (Piolino et al., 2005) qui, 8 mois après un léger trauma-
tisme crânien, présenta soudainement une perte totale d’identité.
À
222 Manuel de neuropsychologie

Â
C.L. est un homme de 42 ans dont la vie familiale et professionnelle est « sans
problème ». Lors d’une fête, il est victime d’un traumatisme crânien sans
gravité mais qui le laisse assez déprimé. Huit mois plus tard, un traitement
antidépresseur lui est prescrit avec une hospitalisation d’une semaine. Tout
se passe normalement au retour de C.L. dans sa famille. Mais le lendemain
matin, on le retrouve en pleurs devant le pas de sa porte ne reconnaissant
personne et ne sachant plus qui il est.
Un premier examen révèle une amnésie d’identité totale en l’absence de
lésion cérébrale manifeste (IRM normale). C.L. présente aussi une amnésie
sémantique (atteinte du sens des mots, connaissances didactiques), une
amnésie procédurale (habillage, rasage…), des modifications du compor-
tement et une indifférence affective envers ses proches. En revanche, les
capacités d’apprentissage sont relativement préservées. Très rapidement, le
patient C.L. s’est adapté à sa nouvelle vie sans passé et a réacquis les habile-
tés procédurales et réappris des connaissances sémantiques.
Une deuxième évaluation neuropsychologique, réalisée 18 mois après la perte
d’identité, montre que la mémoire de travail, le système de représentations
perceptives la mémoire procédurale et les capacités d’apprentissage épi-
sodique sont préservés. L’étude comparative des composantes rétrograde
et antérograde indique que la mémoire sémantique (générale et person-
nelle) et la mémoire épisodique autobiographique sont massivement per-
turbées dans l’aspect rétrograde. En revanche, dans l’aspect antérograde,
la mémoire sémantique est préservée ainsi que la mémoire épisodique, bien
que la reviviscence des détails épisodiques (réponses « se souvenir ») asso-
ciée au rappel en fonction des périodes testées de la plus récente à la plus
ancienne diminue anormalement avec l’intervalle de rétention.
En résumé, C.L. présente, 18 mois après sa perte d’identité, une amnésie
rétrograde épisodique et sémantique massive, disproportionnée vis-à-vis de
l’amnésie antérograde. Le profil de l’ARI de C.L. ne semble pas résulter de
la mise en œuvre de processus psychologiques conscients de simulation :
en effet, les éléments évoqués dans la littérature comme manifestation
d’une exagération de perte de mémoire ne sont pas présents (par exemple,
performances en reconnaissance inférieures au rappel libre, effet d’amor-
çage anormal, inconstance des performances…). Par ailleurs, les bénéfices
secondaires sont difficiles à établir chez ce patient, qui a perdu son travail et
n’a reçu aucune indemnisation ou prise en charge.
L’IRM ne révèle aucune anomalie anatomique alors que la TEP au repos
indique un hypométabolisme ([18F] fluoro-2-deoxy-D-glucose ; figure 1) loca-
lisé dans la région frontale inférieure (BA 11) de l’hémisphère droit. Cette
région cérébrale coïncide avec l’une des régions citées dans la littérature
sur les ARI organiques et impliquées dans l’établissement et le maintien de
la mémoire épisodique dans un mode de récupération lié à la reviviscence
du contexte d’encodage (conscience autonoétique). De plus, cette région
À
Les grands syndromes neuropsychologiques 223

Â
frontale inférieure est impliquée dans les processus émotionnels, la régula-
tion comportementale et la prise de décision. En référence au modèle HERA
selon lequel il existe une asymétrie hémisphérique des processus de récu-
pération, le cortex frontal droit étant impliqué dans la mémoire épisodique
et le cortex frontal gauche dans la mémoire sémantique, le dysfonctionne-
ment frontal droit est compatible avec le profil d’amnésie épisodique auto-
biographique, mais ne permet pas d’expliquer l’importance de l’amnésie
rétrograde sémantique. Ainsi, nous proposons que le patient C.L. présente
un profil particulier d’atteinte mnésique, d’origine mixte, à la fois orga-
nique et psychogène. En effet, certains éléments sont en faveur de facteurs
psychogènes contribuant au moins partiellement à l’ARI de C.L. :
– le délai de 8 mois entre le traumatisme crânien et la perte d’identité ;
– une perte de mémoire qui semble disproportionnée par rapport au dys-
fonctionnement cérébral observé ;
– la présence d’une dépression et d’événements potentiellement stressants
tels que l’hospitalisation ;
– le réapprentissage sélectif des informations.
En somme, des processus psychologiques inconscients ont pu participer à
l’installation et au maintien de la perte d’identité ou à l’intensification de la
perte de mémoire après le traumatisme crânien.
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Figure 1 – Résultat de la TEP au repos chez le patient C.L. indiquant


un hypométabolisme significatif, en comparaison d’un groupe de 10 sujets
contrôles appariés en âge, focalisé dans la région frontale inférieure
droite (BA 11). Coupes sagittale, coronale et transverse.
224 Manuel de neuropsychologie

8.3.6 Les troubles des fonctions exécutives


Différents auteurs ont utilisé le concept de « fonctions exécutives » proposé
initialement par Luria. Par extension, le terme de « syndrome dysexécu-
tif » est maintenant adopté pour décrire des patients atteints de troubles
des fonctions exécutives. Il a pour intérêt de se détacher de l’appellation
purement anatomique de « syndrome frontal ». Cela paraît d’autant plus
pertinent que les fonctions exécutives semblent, au moins en partie, sous
la dépendance de régions cérébrales postérieures (voir Collette et Van
der Linden, 2002, pour une revue). Un syndrome dysexécutif est égale-
ment souvent rencontré en cas de pathologie sous-corticale affectant le
striatum ou le thalamus. Les fonctions exécutives comprennent d’abord
l’intention d’agir (la volition), qui mène à la nécessité d’élaborer des
plans (la planification), puis d’effectuer l’acte envisagé (l’action dirigée
vers un but), et enfin de contrôler l’efficacité de celui-ci (le rétrocontrôle).
La volition, qui peut être définie comme la capacité d’initiative et de
formulation des intentions et des objectifs, nécessite l’intégrité de la
conscience de soi et de l’environnement. Les perturbations de la voli-
tion entraînent une apathie et un apragmatisme. Les patients peuvent
présenter des comportements d’errance et une restriction importante des
actions, qui ne sont déclenchées que par des stimulations. Dans d’autres
cas, l’activité du patient est restreinte à des tâches routinières. En cas de
trouble de la planification, les patients sont incapables d’anticipation et
d’élaboration des différentes étapes de l’action, ils ne parviennent pas à
choisir la stratégie la plus adaptée au contexte, ni à prendre des décisions
lors d’activités nouvelles. La réalisation de l’action dirigée vers un but
nécessite la transformation du plan, de l’intention en activités, le main-
tien de l’action en cours, et le réajustement de la stratégie en fonction de
l’évolution de la situation. Dans le syndrome frontal, il peut exister une
dissociation entre les intentions et la mise en œuvre des actions néces-
saires à la réalisation du but. L’action projetée est parfois commencée
mais elle n’est pas menée à son terme, le plus souvent du fait des persé-
vérations. Enfin lors de déficits du rétrocontrôle, le patient n’effectue pas
de comparaison entre le résultat obtenu et le but de l’action. Le patient
ne détecte pas ses erreurs et ne peut donc pas les corriger.

8.4 Les modèles des fonctions exécutives


À partir des travaux fondateurs de Luria, différents modèles ont été éla-
borés pour rendre compte de la complexité des fonctions exécutives.
Nous avons choisi de présenter certains des modèles les plus influents et
renvoyons le lecteur à des ouvrages spécialisés, comme celui de Van der
Les grands syndromes neuropsychologiques 225

Linden et al. (1999), ou au numéro spécial sur les fonctions exécutives


de la Revue de Neuropsychologie de mars 2009.

8.4.1 Le modèle de Shallice


Shallice et ses collaborateurs ont ainsi proposé un modèle de traitement
hiérarchique des activités mentales organisé en trois niveaux de contrôle
attentionnel. Le premier est un répertoire de schémas d’action déclen-
chés de façon automatique lors de situations routinières ne demandant
qu’un contrôle attentionnel minimal. Le deuxième niveau est le système
résoluteur de conflits intervenant dans les activités semi-automatiques.
Il permet la sélection du schéma le plus approprié à la situation parmi
plusieurs en compétition. Enfin, le système attentionnel superviseur
(ou SAS) intervient lorsqu’une activité nouvelle ou complexe nécessite
l’élaboration de stratégies sollicitant l’initiative du sujet. Il permet de
faire face à des situations nouvelles en utilisant des connaissances anté-
rieures, d’élaborer des stratégies, de planifier les différentes étapes d’une
action et d’inhiber des réponses non pertinentes. Ce SAS serait sous-
tendu par le cortex préfrontal. Son dysfonctionnement n’aurait pas de
retentissement dans la réalisation de tâches familières et routinières ;
en revanche, les difficultés apparaîtraient au cours d’activités plus
complexes, qui nécessitent des stratégies élaborées et la planification
des actions. Le SAS joue un rôle clé dans la mémoire de travail, instance
qui permet le maintien et la manipulation d’informations pendant la
réalisation de tâches cognitives.

8.4.2 Le modèle de Baddeley


Le modèle de mémoire de travail de Baddeley (1992) n’est pas à prop-
rement parler un modèle de fonctions exécutives, mais les fonctions
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qu’il attribue à l’administrateur central justifient ce rapprochement


théorique. L’administrateur central, de capacité limitée, est considéré
comme un système de contrôle attentionnel mais il est également impli-
qué dans la sélection des stratégies cognitives. Il coordonne l’activité
des systèmes satellites suivants : la boucle phonologique et le calepin
visuospatial. La première est spécialisée dans le stockage temporaire de
l’information verbale. Le calepin visuospatial, pour sa part, est respon-
sable du stockage à court terme de l’information visuospatiale mais aussi
de la génération et de la manipulation des images mentales. Baddeley a
proposé de formaliser l’administrateur central de la mémoire de travail
sur la base du modèle de contrôle attentionnel de l’action élaboré par
Shallice et ses collaborateurs.
226 Manuel de neuropsychologie

Deux évolutions importantes sont venues compléter récemment le


modèle de mémoire de travail de Baddeley, notamment ses liens avec
les fonctions exécutives et avec les systèmes de mémoire à long terme.
Le premier apport consiste en une formalisation des fonctions exécu-
tives sur la base d’analyses statistiques structurales (Miyake et al., 2000).
Les propositions qui découlent de ces travaux permettent de clarifier
le fonctionnement de l’administrateur central et de guider son évalua-
tion. Les auteurs ont retenu trois fonctions fréquemment décrites dans
la littérature : la flexibilité mentale, la mise à jour de l’information ainsi
que l’inhibition de réponses dominantes. Ils ont montré qu’elles pou-
vaient être distinguées, mais qu’elles partageaient aussi des caractéris-
tiques communes. Leurs résultats suggèrent également que la capacité à
coordonner deux activités simultanément est indépendante des autres
fonctions exécutives étudiées (voir Collette et al., in Meulemans et al.,
2003 pour une présentation des méthodes d’évaluation de l’administra-
teur central et des autres composantes de la mémoire de travail).
La deuxième grande innovation apportée au modèle de mémoire de
travail est proposée par Baddeley (2000) ; elle fait suite à une réflexion
approfondie sur le modèle initial et sur un certain nombre de phéno-
mènes qui n’y trouvent pas une explication satisfaisante (voir Eustache
et Desgranges, 2012, pour une revue). Plusieurs constats expérimentaux
ont amené Baddeley à postuler l’existence d’un nouveau système tem-
poraire de stockage, s’ajoutant à ceux proposés antérieurement. Ainsi,
le buffer épisodique est chargé du stockage temporaire d’informations
intégrées provenant de différentes sources. Il est contrôlé par l’admi-
nistrateur central, qui récupère ces informations depuis les systèmes de
stockage sous la forme de processus conscients, traite ces informations
et, si nécessaire, les manipule et les modifie. Le buffer est épisodique
car il stocke des épisodes dans lesquels l’information est intégrée dans
l’espace et dans le temps. Il est impliqué dans l’encodage et la récupéra-
tion en mémoire épisodique. Le buffer épisodique joue un rôle d’inter-
face entre plusieurs systèmes en utilisant un code multidimensionnel
commun. Le buffer épisodique ne constitue pas seulement un méca-
nisme permettant de modéliser l’environnement, mais il permet de
créer de nouvelles représentations cognitives qui, à leur tour, peuvent
faciliter la résolution de problèmes.

8.4.3 Le modèle hiérarchique de Stuss et Benson

Selon ce modèle, les fonctions exécutives sont impliquées dans la


réalisation de tâches complexes qui nécessitent la collaboration et la
Les grands syndromes neuropsychologiques 227

coordination de plusieurs fonctions cognitives, sous le contrôle du lobe


frontal. Le contrôle frontal est fractionné en trois niveaux. Le premier
niveau inclut les « systèmes fonctionnels postérieurs », automatisés
et indispensables à une bonne adaptation dans la vie quotidienne. Le
second niveau est constitué des « fonctions exécutives » proprement
dites qui sollicitent et coordonnent les fonctions cognitives nécessaires
à l’accomplissement de tout acte finalisé. Les fonctions exécutives
sont particulièrement impliquées dans les nouveaux apprentissages et
deviennent de moins en moins importantes au fil de l’apprentissage,
pour devenir inutiles lorsque l’acte est automatisé. Lorsqu’une routine
est établie, elle est transférée aux systèmes fonctionnels postérieurs et
les fonctions exécutives ne sont plus sollicitées à moins qu’une modi-
fication de la situation nécessite une adaptation du comportement. Le
troisième niveau, la métacognition, représente la fonction mentale la
plus évoluée et abstraite. La métacognition est la conscience intégrée de
soi en interaction avec l’environnement.

8.4.4 Le modèle des marqueurs somatiques de Damasio


Ce modèle se distingue des autres par l’importance qu’il accorde à l’élé-
ment affectif, qui est ici un facteur déterminant de la prise de décision :
la notion de « marqueur somatique » fait référence aux informations
neurovégétatives et émotionnelles issues d’expériences antérieures et
réactivées dans des situations similaires, afin de guider le comportement
du sujet. Le cortex frontal, plus précisément sa partie ventromédiane,
permet de faire le lien entre des situations particulières et des états émo-
tionnels spécifiques. Une situation est « marquée » comme positive ou
négative selon ses conséquences immédiates, et ce marquage permet-
tra ensuite de réagir efficacement en évitant les situations désagréables
ou dangereuses ou au contraire en choisissant la meilleure solution
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parmi plusieurs possibilités. Le marqueur somatique joue donc un rôle


facilitateur ou inhibiteur dans les prises de décision.

8.4.5 Le modèle hiérarchique en cascade de Koechlin


Un modèle du fonctionnement frontal a été plus récemment proposé
par Koechlin et ses collaborateurs (Koechlin et Summerfield, 2007).
L’organisation du contrôle de l’action y est décrite selon un axe hiérar-
chique antéropostérieur au sein du cortex préfrontal. Les mécanismes
de contrôle de l’action se répartissent en trois niveaux distincts, selon
la nature de l’information à contrôler et la région du cortex préfrontal
impliquée :
228 Manuel de neuropsychologie

– le contrôle sensoriel, sous la dépendance du cortex prémoteur,


est impliqué lorsque la réponse motrice appropriée est du type
stimulus-réponse (le téléphone sonne, je réponds, il s’agit d’une
réponse de routine) ;
– le contrôle contextuel, sous la dépendance du cortex préfrontal laté-
ral postérieur, guide la sélection de la réponse appropriée parmi plu-
sieurs possibilités, en fonction du contexte dans lequel survient le
signal sensoriel (je suis chez un ami, je ne réponds pas au téléphone,
tenant compte du contexte, j’inhibe ma tendance à répondre) ;
– le contrôle épisodique, qui dépend du cortex préfrontal latéral anté-
rieur, implique la prise en compte, non pas du contexte immédiat,
mais d’une information passée (l’ami est occupé, il m’a demandé de
répondre, information dont le souvenir guide le comportement) ;
– un quatrième niveau peut être individualisé, le contrôle branching
(ramification), le plus élaboré, qui dépend du cortex préfrontal
latéral polaire, la partie la plus antérieure du cerveau. Il suppose
la prise en compte d’une information supplémentaire, un sous-
épisode imbriqué dans l’épisode principal (l’ami attend un appel
important à une heure précise, c’est lui qui doit répondre).
Les différents niveaux de contrôle reçoivent l’information sur les
stimuli, le contexte et les épisodes des aires associatives postérieures.
Ce modèle permet de faire des prédictions sur les troubles cognitifs et
comportementaux provoqués par des dysfonctionnements du cortex
frontal. Il est également utilisé pour rendre compte des activations obser-
vées chez le sujet lors de la réalisation de différentes tâches exécutives.

8.5 L’évaluation des syndromes dysexécutifs


Il s’agit d’une évaluation difficile car les troubles sont très différents,
quantitativement et qualitativement, d’un patient à l’autre. En parti-
culier, les performances aux tests classiques d’efficience intellectuelle
peuvent être normales, notamment chez des patients atteints de lésions
unilatérales et peu étendues. Dans ce cas, il convient de rechercher des
signes spécifiques d’un certain type de dysfonctionnement frontal.
Quatre grandes catégories d’évaluations peuvent être distinguées. La
première est l’observation du patient dans ses conduites quotidiennes,
documentée également par l’entretien avec les proches du malade. La
seconde étape consiste à proposer, dans le cadre d’un examen neuro-
psychologique plus global, des tests « classiques » d’évaluation des fonc-
tions exécutives, dont la spécificité est plus ou moins établie.
Les grands syndromes neuropsychologiques 229

Le Wisconsin Card Sorting Test est le plus connu d’entre eux. Il est sen-
sible car il explore de façon globale les fonctions exécutives. Le patient
doit trouver successivement trois critères de classement de figures géo-
métriques dessinées sur une série de cartes (forme, couleur, nombre).
Lorsqu’il découvre un critère, le patient doit le maintenir durant six
réponses consécutives, puis en trouver un autre et le maintenir à nou-
veau six fois. Les patients atteints d’un syndrome frontal ont des dif-
ficultés à trouver un critère et surtout à en changer : ils ont tendance
à persévérer sur le même critère. Ce test a cependant été critiqué pour
sa nature multidéterminée, et s’il reste intéressant pour mettre en évi-
dence un dysfonctionnement de type frontal, il ne peut renseigner sur
la cause de ce dysfonctionnement.
D’autres tests lui sont alors préférés, qui ciblent des fonctions plus
spécifiques. Ainsi, différents tests se présentant sous forme de laby-
rinthes, de puzzles ou de « casse-tête » (la « tour de Londres ») sont plus
particulièrement destinés à la mesure des capacités d’anticipation et de
planification.
Le test de Stroop évalue la possibilité d’inhiber des interférences. Il
s’agit d’une épreuve constituée de trois séquences. Dans la première
(word), le patient doit lire des noms de couleur le plus rapidement pos-
sible. Dans la seconde séquence (color), il doit dire la couleur de l’encre
avec laquelle des croix sont imprimées. Enfin, dans le dernier sub-
test (word, color), le patient doit dénommer la couleur de l’encre avec
laquelle le nom d’une autre couleur est écrit, sans se préoccuper du
contenu sémantique. Le patient doit alors inhiber la tendance automa-
tique à lire le mot écrit (qui est aussi un nom de couleur).
Le test de Hayling, adapté de Burgess et Shallice, vise également à
évaluer les processus d’inhibition, le sujet devant compléter des phrases
telles que « Le fermier doit traire les… » par un mot aussi inattendu que
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possible.
Le Trail Making Test est volontiers utilisé pour évaluer la flexibilité
mentale, le sujet devant relier des lettres et des chiffres dans l’ordre,
mais en alternant les deux (1-A-2-B-3-C, etc.).
Le test « plus-minus » (Miyake et al., 2000) permet aussi une mesure
de la flexibilité mentale. Dans un premier temps, le sujet est entraîné
à faire une série d’additions sur des nombres à deux chiffres, puis il est
entraîné à faire une série de soustractions, et enfin, il doit alterner les
additions et les soustractions.
Enfin, la troisième fonction exécutive répertoriée par Miyake, celle de
mise à jour, peut être évaluée à l’aide de la tâche de running span proposée
230 Manuel de neuropsychologie

par Morris et Jones en 1990 dans laquelle le sujet entend des séquences
de consonnes de longueur différente (4, 6, 8 ou 10), de manière aléa-
toire, et doit rappeler dans l’ordre les 4 (ou 3, selon les populations de
sujets testées) dernières consonnes de chaque séquence. Le n-back éva-
lue aussi cette capacité de mise à jour : on présente oralement au sujet
une suite d’items (chiffres ou lettres) et il doit détecter si le dernier item
entendu est identique à celui qui a été présenté dans la position spéci-
fiée par le n (si n = 2, en avant-dernière position). Dans ces deux tests, le
sujet doit continuellement « mettre à jour » sa mémoire de travail pour
fournir les bonnes réponses.
Des procédures expérimentales dérivées de travaux chez l’ani-
mal (notamment chez le singe), parfois validées avec des méthodes
d’imagerie fonctionnelle cérébrale, sont censées renseigner sur des per-
turbations sélectives consécutives à des lésions ou à des dysfonction-
nements de régions précises des lobes préfrontaux. Ainsi, l’intégrité du
cortex dorsolatéral peut être évaluée au moyen de tâches d’apprentis-
sage conditionnel associatif. Dans ce type d’épreuve, les patients sont
exposés à des situations où un stimulus particulier doit déclencher une
réponse parmi plusieurs possibles. Au contraire, le test d’alternance
différée est particulièrement sensible aux lésions orbitolatérales. Dans
ce test, deux objets de couleur et de forme différentes sont présentés
devant le patient et une récompense est placée systématiquement sous
l’objet qui n’a pas été choisi lors de l’essai précédent. Le patient atteint
de lésions orbitolatérales ne peut alterner ses réponses et produit des
persévérations.
En fait, de multiples échelles de comportement, batteries générales
d’évaluation ou épreuves plus spécifiques, ont été proposées pour l’exa-
men des syndromes dysexécutifs (voir Godefroy et al., 2008b, pour une
revue). Le Groupe de réflexion sur l’évaluation des fonctions exécu-
tives (GREFEX) a mené, d’une part, un travail théorique sur l’évolu-
tion des concepts et l’adéquation des outils d’exploration existants et,
d’autre part, une validation des épreuves les plus utiles en pratique cli-
nique. Les épreuves retenues par ce groupe sont le test de Stroop, le Trail
Making Test, les fluences verbales, le Wisconsin Card Sorting test modifié,
le test de déduction de règles de Brixton, un test de tâches doubles et
le test des six éléments. Ce dernier fait partie d’une catégorie de tests
qui cherchent à concilier les exigences d’une analyse cognitive avec des
situations d’examen voisines de la vie quotidienne. C’est le domaine
des investigations « écologiques », particulièrement pertinentes pour
l’évaluation des fonctions exécutives. Le test des six éléments a été pro-
posé par Shallice et Burgess (1991) et adapté en France, et demande au
Les grands syndromes neuropsychologiques 231

sujet de réaliser six tâches simples en 15 minutes. Dans le même esprit,


le test des commissions (« errances ») multiples invite le sujet à réaliser
une série d’achats et à recueillir des informations dans une ville qu’il ne
connaît pas. Dans ces deux tâches, le sujet dispose d’une certaine liberté
d’action, tout en devant respecter des règles précises, d’où la nécessité
de planifier sa stratégie pour obtenir le meilleur score possible (Garnier
et al., 1998). De même, la Behavioural Assessment of the Dysexecutive
Syndrome (BADS), élaborée par Wilson et ses collaborateurs en 1996,
et adaptée par Allain et al. (2004), comporte plusieurs tests, dont la
planification d’une visite d’un zoo, et un questionnaire de comporte-
ment, le Questionnaire dysexécutif (DEX), dont une version est proposée
au patient et l’autre à son proche (voir chapitre 2, section 2).

9. Les syndromes amnésiques

9.1 Syndromes amnésiques, amnésies


et troubles de la mémoire
L’étude des syndromes amnésiques et plus largement des amnésies est
sans doute le secteur de la recherche pathologique qui a le plus contri-
bué à la modélisation d’une fonction psychologique. Les conceptions
de la mémoire en psychologie ont été profondément influencées par
les résultats des nombreux travaux réalisés en neuropsychologie depuis
près de cinquante ans.
L’intérêt porté aux syndromes amnésiques n’est pas dû à leur fréquence
car ce sont des pathologies relativement rares et, pour certaines formes
cliniques, exceptionnelles. La pertinence théorique de leur étude est liée
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à la sélectivité des perturbations observées. En effet, les syndromes amné-


siques sont caractérisés par des troubles de la mémoire isolés ou tout au
moins disproportionnés par rapport à d’autres désordres éventuels des
fonctions cognitives. Les syndromes amnésiques sont consécutifs à des
lésions cérébrales et doivent être différenciés des amnésies fonctionnelles
(ou psychogènes ; voir Markowitsch, 2000, pour une revue consacrée
aux amnésies fonctionnelles ; voir encadré 29, p. 220). Ils se distinguent
également des amnésies associées à d’autres perturbations cognitives et
comportementales dans le cadre d’un syndrome démentiel.
Si les syndromes amnésiques sont rares, les troubles mnésiques
constituent un motif de consultation très fréquent : plainte mnésique
du sujet âgé, symptôme révélant une dépression ou un début d’affection
232 Manuel de neuropsychologie

neurodégénérative (voir chapitre 6), séquelle de traumatisme crânien


où le déficit mnésique peut être associé à un syndrome frontal et à
d’autres troubles neuropsychologiques…
Il convient donc de différencier les syndromes amnésiques, toujours
organiques, où le déficit mnésique, isolé, est particulièrement invali-
dant, des amnésies qui peuvent être fonctionnelles ou organiques,
n’affecter qu’un certain type de matériel, ou encore s’inscrire dans un
tableau neuropsychologique plus complexe. Enfin, les troubles de la
mémoire constituent un terme générique qui s’applique autant aux
« désordres bénins » des sujets âgés qu’aux perturbations de la mémoire
s’inscrivant dans des tableaux sémiologiques très divers.
Les investigations ont d’abord porté sur les syndromes amnésiques
du fait de la sélectivité des troubles s’inscrivant bien dans la logique
d’une recherche de « syndrome cognitif » (chapitre 1, section 9 et cha-
pitre 2, section 2). Les modélisations et les méthodologies ont ensuite
été utilisées dans d’autres contextes pathologiques comme les syn-
dromes démentiels ainsi que dans le vieillissement normal.

9.2 Données historiques


Les études portant sur les syndromes amnésiques ne sont pas nouvelles
et plusieurs travaux importants ont été réalisés, à la fin du XIXe siècle
et au début du XXe, avec des thématiques parfois très voisines de celles
envisagées dans les recherches modernes. Le texte le plus marquant
est celui publié, dans un numéro de la Revue philosophique de 1889,
par le neuropsychiatre russe S. Korsakoff. L’auteur y décrit le syndrome
qui portera son nom, le syndrome de Korsakoff, devenu l’un des pro-
totypes des syndromes amnésiques. En plus de son intérêt clinique,
cet article énonce des faits et des hypothèses qui se révéleront d’une
importance théorique capitale : les troubles mnésiques sont isolés mais
n’affectent pas la mémoire dans son ensemble. Les patients conservent
notamment les souvenirs les plus anciens, cela en accord avec la « loi de
Ribot », formulée quelques années auparavant, selon laquelle les sou-
venirs anciens sont plus résistants que les souvenirs récents à différents
processus pathologiques. De plus, l’observation des patients suggère
une distinction entre le déficit massif de l’accès volontaire aux souve-
nirs contrastant avec la possibilité de modifications comportementales
sous l’influence de stimulations antérieures. Les patients amnésiques
semblent ainsi « mémoriser » certaines expériences qui influencent leurs
conduites, mais à leur insu, sans qu’ils aient conscience de faire appel à
leur mémoire. Ce contraste entre des capacités de mémoire perturbées
Les grands syndromes neuropsychologiques 233

et préservées dans le syndrome amnésique a été mis en lumière dès le


début du XXe siècle par É. Claparède (voir Eustache et al., 1996).
L’auteur genevois a examiné des patients atteints d’un syndrome
de Korsakoff à la fois dans le cadre d’expériences cliniques et en utili-
sant une méthode expérimentale de mesure de la mémoire empruntée
au psychologue allemand H. Ebbinghaus : la méthode d’économie au
réapprentissage. Claparède a clairement démontré, en utilisant pour la
première fois ces adjectifs dans la littérature, une dissociation entre des
capacités de mémoire explicite perturbées et des capacités de mémoire
implicite préservées dans le syndrome de Korsakoff. Claparède a éga-
lement proposé des hypothèses théoriques pour rendre compte de
ces faits. Cette thématique mémoire explicite/mémoire implicite est
aujourd’hui au cœur de nombreuses recherches et les suggestions for-
mulées par Claparède ne sont pas très éloignées des principaux modèles
actuels de la mémoire.
Après cette période féconde du début du XXe siècle, les travaux consa-
crés à la psychologie et à la neuropsychologie de la mémoire sont passés
à l’arrière-plan pour diverses raisons, notamment la prévalence du béha-
viorisme, délaissant l’investigation des processus mnésiques. Ceux-ci ont
connu un regain d’intérêt avec le développement de la psychologie et
de la neuropsychologie cognitives sous une forme plus structurée et sys-
tématique que dans les observations cliniques du passé. Ces dernières
ont été ignorées des cognitivistes dans les années 1960 car la mémoire y
est d’abord synonyme de souvenir conscient, et il faudra attendre vingt
années de recherches pour que l’on redécouvre, dans un « nouvel âge
d’or », les idées avancées par Ebbinghaus, Korsakoff ou Claparède.

9.3 Sémiologie et classification des syndromes


amnésiques
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Les syndromes amnésiques sont assez diversifiés et leur classification


n’est pas définitivement établie. Ils comportent tous des perturbations
sévères de la mémoire où sont associées une amnésie antérograde et
une amnésie rétrograde. La première désigne l’impossibilité d’acquérir
des informations nouvelles depuis la survenue de l’affection alors que
la seconde fait référence au déficit du rappel d’informations acquises
avant l’épisode pathologique. Il est parfois difficile de distinguer ces
deux formes d’amnésie quand les troubles se sont installés progressive-
ment. Quelle que soit l’étendue de l’amnésie rétrograde, les amnésiques
conservent leur « stock culturel » : ils utilisent correctement le lan-
gage, connaissent les règles de syntaxe et la signification des concepts.
234 Manuel de neuropsychologie

De plus, malgré l’amnésie antérograde massive, ces patients n’ont pas


perdu pour autant toutes leurs facultés mnésiques comme en témoigne
la préservation de leurs capacités de mémoire perceptive, à court terme,
et implicite (chapitre 2, section 2). De nombreux travaux ont cherché
à préciser la nature du trouble mnésique en termes d’encodage, de sto-
ckage ou de récupération et les résultats diffèrent en fonction du syn-
drome exploré (voir Eustache et al., 1999 pour une étude sur l’ictus
amnésique).
En dehors de nombreux traits communs, la sémiologie diffère en
effet selon l’étiologie et la localisation des lésions. Deux syndromes
amnésiques permanents paraissent bien individualisés : le syndrome
amnésique diencéphalique (les lésions atteignent les corps mamil-
laires et/ou les noyaux dorsomédians du thalamus) et le syndrome bi-
hippocampique (la destruction touche la région hippocampique). Dans
ces deux syndromes, les lésions sont nécessairement bilatérales sans
pour autant être symétriques, leur point commun étant d’interrompre
le circuit hippocampo-mamillo-thalamo-cingulaire ou circuit de Papez.
Cette classification restrictive ne rend pas compte de l’ensemble des
formes cliniques puisque les étiologies et les lésions responsables sont
très variées. Enfin, l’ictus amnésique, bien différent du fait de la briè-
veté de l’épisode, occupe une place originale au sein de la neuropsycho-
logie de la mémoire.

9.3.1 Le syndrome amnésique diencéphalique


Il a pour prototype le syndrome de Korsakoff dont l’étiologie la plus
fréquente est l’éthylisme chronique provoquant une carence en
vitamine B1. Le syndrome de Korsakoff alcoolo-carentiel fait géné-
ralement suite à une encéphalopathie aiguë de Gayet-Wernicke
caractérisée par un état confusionnel, des troubles oculo-moteurs et
de l’équilibre. Après dissipation de l’état confusionnel, les troubles
mnésiques sont au premier plan associant une amnésie antérograde et
une amnésie rétrograde massive, cette dernière pouvant s’étendre sur
plusieurs années ou dizaines d’années. Une préservation des souvenirs
très anciens est toutefois observée. Les autres éléments du syndrome
de Korsakoff sont la désorientation temporospatiale, les fabulations
parfois définies comme une libération anarchique des souvenirs et
les fausses reconnaissances. Celles-ci consistent en l’attribution d’une
identité erronée à une personne non connue du malade. Les fabu-
lations et les fausses reconnaissances, rarement spontanées, sont
plutôt induites par des questions de l’examinateur. Elles tendent à
devenir moins fréquentes au cours de l’évolution, parallèlement à un
Les grands syndromes neuropsychologiques 235

appauvrissement des contenus mentaux. Le patient atteint d’un syn-


drome de Korsakoff est anosognosique. Enfin, et cet élément sémio-
logique remet quelque peu en cause le caractère sélectif des déficits
mnésiques dans le syndrome de Korsakoff, l’occurrence de troubles
des fonctions exécutives est très fréquente. De même, l’imagerie céré-
brale montre que les atteintes morphologiques et fonctionnelles sont
loin d’être limitées aux régions diencéphaliques, mais concernent un
vaste réseau cérébral (Pitel et al., 2009a).
L’amnésie de type diencéphalique peut aussi s’observer chez des
patients atteints de lésions thalamiques ou d’une tumeur au niveau du
troisième ventricule. Le cas le plus connu est le patient N.A., devenu
amnésique en 1960 après un accident lors d’une passe d’arme au fleuret.
Ce patient ne présentait cependant pas les troubles additionnels carac-
téristiques des patients atteints du syndrome de Korsakoff : l’amnésie
antérograde portait principalement sur du matériel verbal et son amné-
sie rétrograde était moins prononcée.

9.3.2 Le syndrome amnésique bi-hippocampique


Ce syndrome est représenté classiquement par le patient H.M., devenu
amnésique à la suite d’une résection bilatérale de l’hippocampe et du
gyrus para-hippocampique destinée à traiter une épilepsie pharmaco-
résistante (Scoville et Milner, 1957). Le syndrome amnésique était défi-
nitif et particulièrement pur, sans autre trouble intellectuel ni de la
personnalité. L’amnésie antérograde était totale mais l’amnésie rétro-
grade était limitée à trois ans, donc moins importante que dans le syn-
drome amnésique diencéphalique (la durée était en fait sans doute
plus longue que celle mentionnée dans les publications car l’amnésie
rétrograde n’avait pas été évaluée avec des épreuves aussi exigeantes
que celles utilisées aujourd’hui). H.M. ne présentait ni fabulation,
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ni fausse reconnaissance, ni anosognosie. Ce patient a fait l’objet de


nombreuses études de neuropsychologie cognitive qui ont joué un rôle
moteur dans la description des capacités préservées dans le syndrome
amnésique.
Certaines encéphalites nécrosantes et lésions vasculaires, tumorales
ou traumatiques sont également susceptibles d’entraîner des états simi-
laires. Toutefois, ces pathologies n’entraînent habituellement pas de
troubles aussi sévères et aussi purs que ceux du cas H.M.
Le patient H.M. occupe une place singulière en neuropsychologie de
la mémoire car non seulement il est l’exemple type du syndrome amné-
sique et la preuve des capacités mnésiques préservées dans ce type de
236 Manuel de neuropsychologie

pathologie, mais il est aussi à la source de travaux qui ont orienté très
sensiblement certains modèles théoriques de la mémoire. Ainsi, la dis-
tinction entre mémoire déclarative et mémoire procédurale (voir infra)
s’appuie largement sur la sémiologie cognitive du patient H.M. Même
si cette distinction s’est révélée d’un grand intérêt et si la « pureté »
du syndrome ne peut être remise en cause, le cas H.M. associait des
troubles de la mémoire épisodique et de la mémoire sémantique (au
moins dans le versant antérograde). Cette association a conduit au
concept de mémoire déclarative et, pour Squire et ses collaborateurs,
à la non-pertinence théorique de la distinction entre mémoire épi-
sodique et mémoire sémantique. Cette opposition était au contraire
défendue ardemment par Tulving à partir de divers arguments expé-
rimentaux et cliniques. Dans le domaine des syndromes amnésiques,
des observations de troubles sélectifs de la mémoire épisodique ont
été décrites. Même si celles-ci sont très rares, elles présentent un inté-
rêt théorique indéniable ; elles complètent et relativisent en la situant
davantage dans une perspective historique la portée du cas H.M. (voir
Tulving, 2004, pour une description et une discussion du patient K.C.,
qui présentait un syndrome amnésique restreint à la composante épi-
sodique, tant dans la dimension rétrograde que dans la dimension
antérograde).

9.3.3 L’ictus amnésique, ou « amnésie globale transitoire »


L’ictus amnésique survient chez des personnes d’une soixantaine
d’années ou davantage et se traduit par un trouble soudain, massif et
isolé de la mémoire. Sa durée est brève (en moyenne quatre à sept heures),
n’excédant pas vingt-quatre heures. Le mécanisme physiopathologique
demeure inconnu même si l’hypothèse la plus probable est d’ordre vas-
culaire. Un terrain psychopathologique anxio-dépressif a été mentionné
dans certaines formes cliniques. L’ictus amnésique idiopathique doit être
distingué des amnésies transitoires symptomatiques qui peuvent révé-
ler un accident vasculaire, une épilepsie ou encore les effets secondaires
de certains médicaments (en particulier les benzodiazépines). L’ictus
amnésique et l’amnésie transitoire symptomatique ont souvent été
confondus jusqu’à l’établissement de critères diagnostiques reconnus.
Du fait de sa brièveté, l’ictus amnésique ne constitue pas un modèle
pathologique commode. Cependant, étudié dans le cadre de proto-
coles prospectifs, ce trouble de la mémoire massif et fugace, exempt
par conséquent des phénomènes de réorganisation qui caractérisent les
syndromes amnésiques permanents, contribue de façon originale à la
neuropsychologie de la mémoire (Quinette et al., 2006). De plus, le fait
Les grands syndromes neuropsychologiques 237

que le patient soit son propre contrôle dans l’ictus amnésique (après
retour à la normale, l’évolution étant favorable) est une situation rare-
ment observée en neuropsychologie et particulièrement précieuse dans
un domaine comme la mémoire, caractérisé par une grande variabilité
interindividuelle.

9.4 Les capacités préservées


dans les syndromes amnésiques
Les études qui se sont mises en place dans les années 1960 n’ont pas
seulement conduit à la description de syndromes cliniques. Elles ont
permis d’établir la nature composite de la mémoire. Formulées à par-
tir d’oppositions entre capacités perturbées et préservées dans les syn-
dromes amnésiques, des dichotomies ont servi de base à l’élaboration
de modèles structuraux de la mémoire.
La distinction entre une mémoire à long terme perturbée et une
mémoire à court terme préservée avait été proposée de longue date
par différents auteurs dont le psychologue W. James. Une organisation
sérielle de ces grandes formes de mémoire a été théorisée dans le cadre
du modèle d’Atkinson et Shiffrin (1968, voir chapitre 2, section 2).
Les travaux portant sur les syndromes amnésiques ont surtout permis
de proposer des fractionnements au sein de la mémoire à long terme
(voir chapitre 2, section 6 pour une description de l’organisation de
la mémoire de travail). Les distinctions présentent certains chevauche-
ments et des acceptions parfois différentes selon les auteurs.
L’opposition entre mémoire épisodique et mémoire sémantique for-
mulée initialement par Tulving (1972) est à la fois la première dis-
tinction proposée au sein de la mémoire à long terme et celle qui a
le plus évolué au cours du temps. La mémoire épisodique, perturbée
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dans le syndrome amnésique, correspond à la mémoire des événe-


ments inscrits dans un contexte spatial et temporel précis (« Je suis
allé à Rome à la fin de l’été de 1991 »). Les repères contextuels ne se
limitent pas au « où » et au « quand » mais comprennent aussi de
multiples éléments liés à la situation vécue au moment de l’encodage,
qu’ils soient d’ordre perceptif, affectif ou autre, et qui constituent
d’ailleurs autant d’indices phénoménologiques pour l’accès aux sou-
venirs. Au contraire, la mémoire sémantique, préservée dans le syn-
drome amnésique, est la mémoire des concepts, des faits n’appartenant
pas à un contexte particulier (« Rome est la capitale de l’Italie »). Pour
Tulving, un élément important qui différencie la mémoire épisodique
de la mémoire sémantique est le niveau de conscience associé à la
238 Manuel de neuropsychologie

récupération : la conscience autonoétique (ou conscience de soi)


caractérise la mémoire épisodique alors que la conscience noétique
(conscience du monde sans implication personnelle) caractérise la
mémoire sémantique.
Dans le syndrome amnésique, la difficulté, voire l’impossibilité de
former des nouveaux souvenirs, ainsi que le déficit d’accès à des sou-
venirs antérieurs contrastant avec une préservation des connaissances
sémantiques constituent des données bien établies. Toutefois, l’évo-
cation consciente d’épisodes porte généralement sur des événements
vécus depuis le début de la maladie alors que l’actualisation des connais-
sances générales est fondée sur des concepts structurés antérieurement.
Une évaluation valide de ces deux composantes hypothétiques de la
mémoire doit donc porter d’une part sur l’évocation des informations
épisodiques et sémantiques antérieures à l’apparition de la maladie,
d’autre part sur l’acquisition de nouvelles informations en mémoire
épisodique et sémantique. Ces explorations posent d’importants pro-
blèmes méthodologiques et les résultats des études restent contro-
versés. Pour Tulving, certains patients amnésiques seraient capables
d’acquérir de nouvelles connaissances sémantiques même si l’appren-
tissage est plus lent et laborieux que celui des sujets sains. En revanche,
pour Squire, la mémoire épisodique et la mémoire sémantique sont
toutes deux perturbées dans le syndrome amnésique (Squire, 1992).
Cet auteur reconnaît la valeur heuristique de ces deux concepts mais
sans les considérer comme des systèmes de mémoire à part entière
(voir infra et Eustache et Desgranges, in Meulemans et al., 2003, pour
la définition du concept de système et le numéro spécial de la Revue de
Neuropsychologie de juin 2011).
Le débat portant sur la distinction entre mémoire épisodique et
mémoire sémantique a été relancé depuis la publication de trois cas de
patients amnésiques atteints de lésions précoces des hippocampes. Ces
patients, examinés lors de l’adolescence, avaient acquis le langage et de
nombreuses connaissances, ce qui leur avait permis de suivre un cursus
scolaire quasi normal. Ces observations montrent donc la préservation
d’acquisitions de connaissances sémantiques, en dépit d’une mémoire
épisodique très perturbée (Vargha-Khadem et al., 1997 ; voir également
Tulving, 2004 ; Martins et al., 2006).
La deuxième grande dichotomie proposée au sein de la mémoire à
long terme oppose la mémoire déclarative à la mémoire procédurale
(Cohen et Squire, 1980). La mémoire déclarative, perturbée dans le syn-
drome amnésique, fait référence aux représentations des connaissances
Les grands syndromes neuropsychologiques 239

générales (de type sémantique) et spécifiques (de type épisodique).


Ces informations sont facilement verbalisables et accessibles à la
conscience. Au contraire, la mémoire procédurale n’est pas acces-
sible à la conscience et s’exprime dans l’activité du sujet. Elle permet
l’acquisition progressive et la rétention d’habiletés sans référence aux
expériences antérieures (voir infra pour les méthodes d’examen). Les
concepts de mémoire déclarative et de mémoire procédurale avaient
été utilisés dans le domaine de l’intelligence artificielle avant d’être
proposés par Cohen et Squire en neuropsychologie. Mais, sans utiliser
ces termes, B. Milner avait montré, dès les années 1960, que le patient
H.M. était capable d’acquérir de nouvelles habiletés sans avoir accès au
souvenir conscient de l’épisode d’apprentissage. La dichotomie entre
mémoire déclarative et mémoire procédurale a reçu une confirmation
dans le domaine de l’expérimentation animale et des résultats conver-
gents avec ceux de la neuropsychologie humaine ont permis de préciser
les structures cérébrales sous-tendant ces deux systèmes de mémoire.
La mémoire déclarative serait sous la dépendance des structures tem-
porales internes (incluant les hippocampes), diencéphaliques et de dif-
férentes régions néocorticales, alors que la mémoire procédurale serait
sous-tendue par le cervelet et un ensemble de structures sous-corticales
incluant le striatum.
Pour Squire et ses collaborateurs, l’opposition entre mémoire décla-
rative et mémoire procédurale est similaire à celle entre mémoire
explicite et mémoire implicite. Toutefois, pour de nombreux auteurs,
cette dernière distinction, proposée dans sa forme moderne par Graf
et Schacter (1985), présente un statut bien différent. Elle n’implique
pas l’existence de systèmes distincts pour en rendre compte, même
s’il convient de préciser la place de ces concepts au sein des théories
structurales de la mémoire. La mémoire explicite est mise en jeu lors
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du rappel volontaire et conscient d’informations. Elle est évaluée au


moyen des épreuves classiques de rappel libre, de rappel indicé et de
reconnaissance qui requièrent la récupération consciente d’une infor-
mation présentée antérieurement. Au contraire, le fait que des expé-
riences préalables facilitent la performance dans des tâches qui ne
nécessitent pas leur récupération consciente ou intentionnelle est
une expression de la mémoire implicite. Son évaluation repose sur la
recherche des effets d’amorçage qui sont préservés dans les différents
syndromes amnésiques. Dans les paradigmes utilisés, le traitement ini-
tial d’un stimulus-amorce biaise, et en général facilite, le traitement
ultérieur d’un stimulus-cible qui peut être identique au précédent
(amorçage par répétition) ou apparenté. Différentes formes d’effets
240 Manuel de neuropsychologie

d’amorçage (perceptifs et sémantiques) ont été décrites selon le lien


unissant le stimulus-amorce et le stimulus-cible et selon le type de trai-
tement effectué sur les items. Pour Tulving (1995), ces effets d’amor-
çage seraient sous-tendus par des systèmes de mémoire distincts. Les
effets d’amorçage de type sémantique seraient sous la dépendance de
la mémoire sémantique alors que les effets d’amorçage de type percep-
tif impliqueraient l’existence d’un système de représentations percep-
tives (ou PRS pour Perceptual Representation System).

9.5 Des concepts aux théories multisystèmes


de la mémoire
Les concepts issus des dichotomies entre capacités perturbées et préser-
vées dans les syndromes amnésiques ont ensuite été utilisés par diffé-
rents auteurs pour élaborer des théories multisystèmes de la mémoire
(Squire et Knowlton, 1995 ; Schacter et Tulving, 1996). Ces travaux de
modélisation ont d’abord nécessité une clarification de la notion de
système, certains auteurs ayant souligné le risque d’inflation de leur
nombre sur des bases théoriques imprécises. Les systèmes ne peuvent
être assimilés à des formes de mémoire, ni à des processus mnésiques, à
des tâches ou à des expressions de la mémoire. Les systèmes de mémoire
possèdent un certain nombre de propriétés et leur fonctionnement
obéit à différentes lois. Ils sont sous la dépendance de structures céré-
brales et/ou de mécanismes neuronaux spécifiques. Toutefois, plusieurs
systèmes participent au stockage et à l’utilisation de l’information dans
une situation donnée, ce qui souligne l’importance de l’analyse des
tâches de mémoire proposées, celles-ci relevant nécessairement de plu-
sieurs systèmes ou sous-systèmes. Même s’il n’existe pas de règle abso-
lue pour faire l’hypothèse d’un système de mémoire, la convergence de
dissociations constitue un argument clé. En neuropsychologie, celles-
ci doivent être fondées sur des cas multiples mais également être en
accord avec d’autres sources d’inférences : expérimentation animale,
imagerie fonctionnelle cérébrale, indépendance de variables en psycho-
logie expérimentale, dissociations phylogénétiques, ontogénétiques et
psychopharmacologiques.
Après l’identification de différents systèmes, l’étape ultérieure consiste
à proposer leur organisation d’ensemble et les relations qu’ils entre-
tiennent les uns avec les autres (voir encadré 30, p. 242). Le modèle
proposé par Squire et ses collaborateurs, à forte implication neurobio-
Les grands syndromes neuropsychologiques 241

logique, rend compte des principales dissociations observées dans les


syndromes amnésiques et plus largement dans la pathologie neuropsy-
chologique mais explicite peu les liens entre les différents systèmes.
Le modèle de Tulving suppose que les systèmes de niveau supérieur
sont emboîtés et donc dépendants des systèmes de niveau inférieur.
Cette organisation exclut certaines dissociations et de façon générale
les doubles dissociations. Aucun modèle ne rend actuellement compte
de l’ensemble des situations pathologiques.
Tulving (1995, 2004) a proposé le modèle SPI (pour sériel, parallèle,
indépendant), toujours fondé sur une organisation hiérarchique de
cinq systèmes mais en insistant sur les aspects fonctionnels. L’encodage
se ferait de façon sérielle, du PRS vers les autres systèmes de représen-
tation, situés plus haut dans la hiérarchie. Les représentations seraient
stockées en parallèle dans les différents systèmes et la récupération
s’effectuerait de façon indépendante. Cette adaptation du modèle
permet ainsi de rendre compte de certaines données occultées par le
modèle strictement hiérarchique, comme par exemple des troubles
de la récupération en mémoire sémantique sans troubles de la récu-
pération en mémoire épisodique. Si ce modèle SPI est intéressant sur
plusieurs points, il n’aborde pas certaines relations entre les systèmes
de mémoire. Ainsi, la mémoire procédurale, système d’action, n’est
pas intégrée à cette organisation structuro-fonctionnelle. Pourtant, il
s’avère essentiel de bien spécifier la coopération de différents systèmes
cognitifs lors de l’acquisition d’une procédure (Beaunieux et al., in
Meulemans et al., 2003). Un point original du modèle de Tulving est la
place de la mémoire sémantique dans cette organisation hiérarchique.
Alors que l’acquisition en mémoire sémantique est souvent considérée
comme postérieure à l’acquisition en mémoire épisodique, ce modèle
insiste au contraire sur le passage nécessaire de la mémoire séman-
tique à la mémoire épisodique. De nombreuses données maintenant
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disponibles montrent la possibilité de former de nouvelles connais-


sances en mémoire sémantique sans recours à la mémoire épisodique.
En revanche, la place de la mémoire de travail est bien moins spéci-
fiée, et les liens qu’elle entretient avec les systèmes de mémoire à long
terme devront être clarifiés. Enfin, ce modèle ne renseigne pas sur la
dynamique des représentations épisodiques et leurs modifications au
cours du temps (voir Eustache et Desgranges, in Meulemans et al.,
2003 ; 2008, et Eustache et Desgranges, 2012, pour une discussion de
ces différents points).
242 Manuel de neuropsychologie

Encadré 30
Les conceptions multisystèmes de la mémoire

Mémoire

Déclarative Non déclarative


(explicite) (implicite)

Sémantique Épisodique Procédurale Effets d’amorçage

Lobe temporal
interne Striatum Néocortex
diencéphale

Le modèle « paralléliste » proposé par Squire (version simplifiée)

Mémoire épisodique

Mémoire de travail

Mémoire sémantique

Système de
représentations
perceptives (PRS)

Mémoire procédurale

Le modèle « monohiérarchique » de Tulving


Les grands syndromes neuropsychologiques 243

Ces auteurs ont proposé un nouveau modèle, MNESIS (pour Modèle


NEo-Structural Inter-Systémique), qui prend en compte ces différentes
limites (voir encadré 31). Il comprend cinq systèmes de mémoire,
comme le modèle SPI de Tulving (1995) dont il est dérivé, mais il
intègre des interactions nouvelles entre les systèmes. Les trois sys-
tèmes de représentation à long terme (mémoire perceptive, mémoire
sémantique, mémoire épisodique) sont présentés en respectant l’orga-
nisation globale proposée par Tulving. Le terme de mémoire percep-
tive est préféré à celui de système de représentations perceptives, qui
sous-tend uniquement des expressions non conscientes de la mémoire.
Pourtant, un certain nombre de situations expérimentales mettent en
jeu des mécanismes mnésiques sur une base perceptive et de façon
consciente. Le concept de mémoire perceptive est donc plus large que
celui de système de représentations perceptives, puisqu’il inclut à la
fois les opérations conscientes et inconscientes. Dans ce modèle, les
liens qui existent entre la mémoire sémantique et la mémoire épiso-
dique sont bidirectionnels, d’une part de la mémoire sémantique à
la mémoire épisodique, à la manière de Tulving et, d’autre part, de la
mémoire épisodique à la mémoire sémantique, traduisant le proces-
sus de sémantisation des souvenirs au fil du temps. Ce processus ne
s’applique cependant pas à tous les souvenirs et il persiste de « vrais
souvenirs épisodiques », y compris pour le passé lointain. MNESIS
représente aussi des liens entre la mémoire épisodique et la mémoire
perceptive, qui reflètent les phénomènes de reviviscence, conscients
et inconscients, indispensables à la consolidation mnésique. Il s’agit
de processus très divers allant de la ré-évocation (spontanée ou induite
par des discussions, des indices) de la scène initiale émaillée de détails
sensoriels à des mécanismes moins contrôlés se produisant pendant
des rêveries ou certains stades de sommeil.
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Encadré 31
MNESIS
MNESIS pour Modèle NEo-Structural Inter-Systémique de la mémoire
humaine de Eustache et Desgranges (2008). Ce modèle comprend cinq sys-
tèmes de mémoire et intègre notamment les conceptions de Tulving et de
Baddeley. Il insiste sur les relations entre les différents systèmes pour rendre
compte du caractère dynamique et reconstructif de la mémoire humaine en
référence aux thèses proposées par Conway et Schacter.
À
244 Manuel de neuropsychologie

Â
Les grands syndromes neuropsychologiques 245

Au centre du modèle se trouve le système de mémoire de travail


avec, d’une part, les composantes du modèle « classique » de Baddeley :
administrateur central, boucle phonologique, calepin visuospatial et,
d’autre part, le buffer épisodique. Dans le cadre de MNESIS, le buffer
épisodique occupe une position stratégique et, en conséquence, place
la mémoire au centre du psychisme dans une conception résolument
mnémo-centrique. Il doit être rapproché de la notion de conscience de
soi (qui donne au sujet une impression subjective de soi dans le temps),
qui préside au sentiment d’intégrité et de continuité. Instance s’inscri-
vant dans le présent psychologique, le buffer épisodique est caractérisé
par sa flexibilité et son adaptabilité, tout en participant au maintien
de la cohérence de l’individu. Dans la tradition phénoménologique, ce
concept est héritier de celui de rétention, défini par E. Husserl, qui est
l’espace de conscience dévolu à la gestion du présent psychologique.
À droite du modèle est représentée la mémoire procédurale avec une
hiérarchie allant du support d’habiletés motrices et perceptivo-motrices
à celui d’habiletés perceptivo-cognitives et cognitives. Les interactions
entre ce système d’action et les systèmes de représentation doivent être
prises en compte. Les liens avec la mémoire perceptive sont privilégiés
pour la mémoire procédurale perceptivo-motrice, et avec les systèmes
déclaratifs pour la mémoire procédurale cognitive. Dans tous les cas, les
interactions avec les systèmes de représentation sont particulièrement
importantes lors de la phase d’apprentissage procédural. Les liens se dis-
tendent ensuite au cours du processus d’automatisation.
En mettant l’emphase sur les relations entre les systèmes, MNESIS
vise à mieux rendre compte du caractère dynamique et reconstructif
de la mémoire humaine. Dans cette perspective, il est nécessaire de
comprendre l’évolution des traces mnésiques au cours du temps, ce que
proposent les théories de la consolidation : la théorie dite standard, pro-
posée initialement par Squire et ses collaborateurs (Squire et Alvarez,
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1995), et la « théorie des traces multiples » de Nadel et al. (2000). Ces


théories possèdent des points communs, mais divergent essentielle-
ment sur le rôle du lobe temporal interne en fonction de la nature des
représentations en mémoire. Le modèle standard de Squire propose que
l’hippocampe et les structures adjacentes jouent un rôle lors de l’enco-
dage mais que leur contribution aux processus de consolidation et de
récupération décroisse progressivement et ne concerne donc qu’une
période de temps limitée. Selon ce modèle, les connexions tempo-
raires hippocampo-néocorticales sont progressivement remplacées par
des connexions durables cortico-corticales. De façon schématique, la
contribution hippocampique diminue avec le temps alors que celle des
246 Manuel de neuropsychologie

aires néocorticales augmente. Le lobe temporal interne ne serait qu’un


dépositaire temporaire du lien entre les traces mnésiques dans le sys-
tème de mémoire déclaratif. La théorie des traces multiples, quant à
elle, suppose que le lobe temporal interne joue un rôle permanent dans
la récupération des souvenirs, même très anciens, pourvu qu’ils soient
vraiment épisodiques, c’est-à-dire riches en détails contextuels. Dans
ce cas, le lobe temporal interne joue un rôle non plus temporaire mais
permanent dans la consolidation et la récupération des souvenirs. Au
contraire et en accord cette fois-ci avec le modèle standard, le lobe tem-
poral interne joue un rôle temporaire dans la consolidation des connais-
sances sémantiques qui deviennent, progressivement, dépendantes du
néocortex.
Enfin, les conceptions actuelles de la mémoire autobiographique per-
mettent une vision plus conforme à la réalité de la mémoire humaine.
Alors que jusque dans les années 1980, très peu d’auteurs s’intéres-
saient à la mémoire autobiographique, trop complexe à étudier et dont
l’évaluation était difficile à standardiser, ce domaine est devenu un
secteur très productif ces dernières années, permettant des développe-
ments théoriques nouveaux intégrant la modélisation de la mémoire et
celle de l’identité. La mémoire autobiographique est d’ailleurs définie
comme un ensemble d’informations et de souvenirs particuliers à un
individu, accumulés depuis son plus jeune âge, et qui lui permettent
de construire un sentiment d’identité et de continuité (Piolino et al.,
2009). Conway (voir Conway et al., 2004), a proposé un modèle for-
malisant les relations entre représentations mnésiques et identité (ou
self). La mémoire autobiographique est la mémoire à long terme qui
permet d’encoder, de stocker et de récupérer des informations dont
le self est le sujet central : il s’agit, en raccourci, de la « mémoire du
self ». Ce lien bidirectionnel entre représentations autobiographiques
et self (l’autobiographie nourrit le self et le self oriente et façonne le
contenu de la mémoire autobiographique) constitue la spécificité des
principales conceptions de la mémoire autobiographique. Le modèle
de la « mémoire du self », élaboré par Conway, met l’accent sur les pro-
cessus de reconstruction du souvenir autobiographique et s’appuie sur
l’interaction de trois composantes : le self à long terme, le système de
mémoire épisodique et le self de travail. Le self à long terme est une
structure dépositaire de connaissances sémantiques personnelles à dif-
férents niveaux d’abstraction qui comprend le self conceptuel et la base
des connaissances autobiographiques. Le self conceptuel regroupe les
connaissances sémantiques personnelles les plus abstraites qui spécifient
les scripts personnels (les habitudes), les catégories d’appartenance et les
Les grands syndromes neuropsychologiques 247

schémas socialement établis, les images de soi possibles ou désirées, qui


génèrent ainsi les attitudes, les valeurs et les croyances de l’individu.
Il peut ainsi être décrit sous forme de règles qui orientent les conte-
nus de la base de connaissances autobiographiques. Cette base abrite
des connaissances générales organisées de façon hiérarchique en trois
niveaux d’abstraction emboîtés : les schémas de vie, les périodes de
vie et les événements généraux. Les schémas de vie renvoient à des
informations très générales sur l’histoire de l’individu : la scolarité, la
famille, le travail, etc. Les périodes de vie sont associées à des connais-
sances sur les buts et des activités liées à de longues durées (la période
du lycée). Enfin, les événements généraux correspondent à des connais-
sances liées temporellement ou organisées autour d’un thème commun
sur des événements répétés et se mesurent en jours, semaines ou mois
(l’année de terminale).
Selon Conway, le système de mémoire épisodique sous-tend le
niveau de spécificité le plus élevé et stocke des informations de durée
brève. Il permet de retenir des informations sur les activités liées aux
buts actuels et contient des détails sensoriperceptifs, cognitifs et affec-
tifs liés à l’événement et organisés selon un ordre chronologique. Son
accès implique l’imagerie mentale et une expérience de reviviscence
du passé qui s’apparente à la conscience autonoétique de Tulving.
La nature épisodique d’un souvenir dépend de l’accès à ce niveau de
détails, sans quoi les souvenirs restent génériques. Un souvenir épiso-
dique est ensuite maintenu dans la mémoire autobiographique dès lors
qu’il est intégré au self à long terme. Plusieurs souvenirs épisodiques
seraient formés chaque jour mais seuls les plus pertinents en fonction
des buts actuels de l’individu seraient retenus. Selon cette conception,
la mémoire autobiographique épisodique n’est pas directement assimi-
lable à la mémoire épisodique en tant que système d’enregistrement
des événements en cours, puisqu’elle sous-tend des souvenirs d’événe-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ments sélectionnés par le self.


Le dernier élément du modèle de Conway est le self de travail (ou
Working Self) qui intervient dans la reconstruction des souvenirs auto-
biographiques. Il est constitué par un ensemble complexe de proces-
sus dirigés par les buts actuels du sujet, ses désirs et ses croyances. Il
est formé de processus exécutifs comparables à ceux impliqués dans
le modèle de mémoire de travail de Baddeley, et intervient à différents
stades de formation et de récupération du souvenir. Son rôle est essen-
tiel en cas d’accès indirect à un souvenir et quand celui-ci doit donner
lieu à un travail de reconstruction en recherchant des indices au sein
des périodes de vie ou des événements généraux.
248 Manuel de neuropsychologie

Le modèle de la mémoire autobiographique (la mémoire du self) éla-


boré par Conway a pour originalité de proposer une structure et un
fonctionnement cohérents de la mémoire autobiographique en rela-
tion avec le self. En mettant l’accent sur le self, perspective intéres-
sante qui rapproche mémoire et identité, il est davantage un modèle
de l’identité personnelle qu’un modèle de mémoire au sens strict. Par
ailleurs, en différenciant les souvenirs épisodiques des souvenirs auto-
biographiques épisodiques, ce modèle risque de conduire à des confu-
sions terminologiques, le terme « épisodique » se trouvant par certains
côtés appauvri.

9.6 L’examen de la mémoire à long terme


La plupart des investigations cliniques en neuropsychologie compren-
nent un examen plus ou moins approfondi de la mémoire à long terme
(voir Collette et al., in Meulemans et al., 2003 et, dans ce chapitre, la
section 6 pour des descriptions de l’évaluation de la mémoire de tra-
vail). Ce type d’évaluation prend des formes variées selon les situations
et les questions posées. L’examen de la mémoire peut répondre à diffé-
rents objectifs. L’un des plus fréquents est de contribuer au diagnostic
d’un syndrome démentiel où les troubles de la mémoire sont toujours
présents. En outre, un examen de la mémoire est généralement proposé
avant une rééducation neuropsychologique car les résultats peuvent
déterminer en partie le mode de prise en charge.

9.6.1 L’évaluation classique de la mémoire épisodique


Différentes batteries de tests permettent de chiffrer l’intensité des
troubles lorsque la pathologie est connue et de suivre l’évolution du
patient. Ces épreuves psychométriques reposent sur le rappel libre, le
rappel indicé ou la reconnaissance d’un matériel présenté antérieure-
ment (listes de mots, de figures, etc.). Classiquement, elles sont consi-
dérées comme des tâches de mémoire épisodique (voir Desgranges et
Eustache, in Meulemans et al., 2003 pour une présentation synthétique
des épreuves disponibles et leurs références). Elles sont toutefois réduc-
trices eu égard à la définition actualisée de la mémoire épisodique qui
insiste sur la capacité de « voyager mentalement dans le temps », de se
représenter consciemment les événements passés et de les intégrer à un
projet futur (Tulving, 2004 ; Wheeler et al., 1997).
La batterie d’efficience mnésique (BEM 144) de Signoret (1991)
constitue un exemple de ce type d’épreuve standardisée. L’une de
Les grands syndromes neuropsychologiques 249

ses originalités est d’être composée de deux séries d’épreuves indé-


pendantes construites de façon strictement parallèle. La première
comprend du matériel verbal et la seconde du matériel visuo-imagé
peu verbalisable, de difficulté équivalente. Chaque série comporte
un rappel immédiat et différé, un apprentissage sériel et associatif et
une tâche de reconnaissance différée. Les différents scores obtenus
permettent de calculer le taux d’oubli et d’analyser le trouble de la
mémoire (perturbation de l’encodage, de la récupération) pour diffé-
rentes formes de matériel.
Les échelles de mémoire de Wechsler constituent d’autres épreuves
« classiques » de la neuropsychologie. Plusieurs éditions en langue
française se sont succédé depuis plus de trente ans. Une quatrième
version de l’Echelle Clinique de Mémoire de Wechsler, publiée en
langue française en 2012 aux éditions ECPA, permet une évaluation
des capacités mnésiques des sujets de 16 à 90 ans. L’administration
débute par un examen cognitif rapide, permettant de dépister en
quelques minutes les difficultés du sujet. Il est composé d’items éva-
luant l’orientation temporelle, le contrôle mental, le dessin d’une
horloge, le rappel incident, l’inhibition et la production verbale. La
MEM-IV comprend deux batteries, l’une pour les personnes âgées de
16 à 69 ans (11 subtests) et l’autre pour les personnnes âgées de 65
à 90 ans (8 subtests) avec un temps d’administration plus court et
aucune manipulation de matériel. Cette échelle permet une évalua-
tion des compétences mnésiques mises en jeu dans la vie quotidienne
et plusieurs subtests sont nouveaux : Examen cognitif du sujet, Addi-
tion Spatiale, Mémoire de Symboles, Dessins I et II, tandis que 6 sub-
tests ont été conservés de la version précédente (MEM-III) avec des
modifications : Reproduction visuelle I et II, Mémoire Logique I et II,
Mots Couplés I et II.
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De nombreuses épreuves d’apprentissage de mots sont utilisées en


neuropsychologie mais rares sont celles à être éditées en langue française
sous la forme de tests psychométriques (avec un matériel standardisé,
des résultats normatifs, etc.). Le CVLT (pour California Verbal Learning
Test), devenu Test d’apprentissage et de mémoire verbale (Poitrenaud
et al., 2007) et l’épreuve de Grober et Buschke, devenue RL-RI 16 (pour
Rappel libre rappel indicé de 16 items ; Van der Linden et al., 2004)
constituent de ce point de vue des exceptions. Cette dernière est parti-
culièrement indiquée en clinique, notamment pour le diagnostic d’un
syndrome démentiel. Le paradigme repose sur les principes de la pro-
fondeur et de la spécificité de l’encodage selon lesquels le traitement
sémantique des items à mémoriser est le plus approprié, et l’efficacité
250 Manuel de neuropsychologie

des indices en rappel dépend des conditions dans lesquelles l’informa-


tion a été encodée. La version publiée en langue française comprend
16 mots appartenant à 16 catégories sémantiques différentes. Ces mots
donnent lieu à un encodage profond et à différentes conditions de récu-
pération.
Le contrôle de l’encodage, qui constitue une caractéristique et un
intérêt de ce paradigme, s’avère être en même temps une limite puis-
qu’il empêche l’étude des capacités d’encodage spontané du sujet. Le
paradigme ESR (pour encodage-stockage-récupération ; Eustache et al.,
2000) a été construit dans le but d’évaluer ces trois phases obligées de
toute activité mnésique. Il a été utilisé dans différents cadres patho-
logiques et notamment à la phase précoce de la maladie d’Alzheimer
(Chételat et al., 2003).
Parmi les épreuves standardisées, les tâches de mémoire des récits
présentent un intérêt particulier car, du fait qu’elles reposent sur un
matériel organisé, elles mettent en jeu des processus cognitifs diffé-
rents de ceux impliqués dans les tâches d’apprentissage de listes de
mots. Ce type d’épreuve est utilisé au sein de batteries plus larges
comme celles de Signoret ou de Wechsler. Les épreuves visuospatiales
de mémoire sont également intéressantes et pas seulement pour faire
le pendant aux épreuves verbales qui dominent les examens clas-
siques de la mémoire. En effet, différents travaux qui portent sur les
stades précoces de la maladie d’Alzheimer ont montré des perturba-
tions dans ce domaine ainsi qu’une atteinte précoce du métabolisme
cérébral dans la région temporopariétale droite. La figure de Rey est
utilisée depuis de nombreuses années, mais de nouveaux étalonnages,
réalisés chez 1 800 sujets de 3 ans à l’âge adulte, ont été publiés (Wal-
lon et Mesmin, 2009).

9.6.2 L’évaluation de la mémoire épisodique : pour aller plus loin


Même si leur utilité clinique est indéniable, les tests psychométriques
présentés précédemment évaluent très imparfaitement (ou très par-
tiellement) la mémoire épisodique. Ce problème est important car ce
système est altéré dans de nombreuses situations pathologiques (tout
particulièrement dans les affections neurodégénératives comme la mala-
die d’Alzheimer). Il convient ainsi de distinguer les tâches de mémoire
épisodique (les tests classiques de rappel libre, de rappel indicé, de
reconnaissance sur lesquels sont fondés les tests psychométriques) et le
concept de mémoire épisodique, qui met l’accent sur la subjectivité et
la phénoménologie du souvenir. Certaines évaluations de la mémoire
Les grands syndromes neuropsychologiques 251

autobiographique permettent d’approcher la spécificité de la mémoire


épisodique. Ainsi, le questionnaire TEMPau (pour Test épisodique de
mémoire du passé autobiographique ; Piolino et al., 2000), qui porte
sur cinq grandes périodes de vie du sujet, tient compte, dans le mode
de cotation, de la précision des détails ainsi que de l’impression sub-
jective du souvenir. Des tests « de laboratoire » intègrent également
cette dimension, tout en permettant de contrôler la situation d’enco-
dage, ce qui n’est pas le cas des tâches autobiographiques. Le test Quoi
Où Quand mis au point par Guillery et al. (2000) est fondé sur la dis-
tinction de deux processus impliqués dans des tâches de reconnais-
sance : la récupération consciente et le sentiment de familiarité. Ces
deux processus sont évalués au moyen d’un paradigme R-K (remember-
know pour « se souvenir-savoir »). Dans ce type de paradigme, les sujets
qui reconnaissent un item doivent de plus indiquer s’ils se souviennent
de l’événement correspondant à la présentation de cet item lors de la
phase d’étude, ou s’ils savent que cet item faisait partie de la liste initiale
à partir d’un simple sentiment de familiarité. Dans le cadre des théo-
ries multisystèmes, le paradigme R-K constitue une bonne approche
de la conscience autonoétique et de la conscience noétique associées
respectivement à la mémoire épisodique et à la mémoire sémantique
(voir Eustache et Desgranges, in Meulemans et al., 2003). Une autre
dimension de la mémoire épisodique qui n’est guère évaluée en cli-
nique en dépit de plaintes fréquentes est la mémoire prospective, ou
mémoire des activités à réaliser dans le futur. La réalisation de ces acti-
vités qui équivaut à la récupération de l’intention peut s’effectuer soit
lors de l’occurrence d’un événement défini (mémoire prospective de
type event-based), soit à un horaire déterminé ou à l’issue d’un laps
de temps prédéfini (time-based). Dans ce cas, le sujet doit auto-initier
l’action sans indice externe (Gonneaud et al., 2009 ; encadré 9, p. 65).
L’évaluation de cette mémoire, lorsqu’elle est réalisée, par exemple
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avec le test de Rivermead, est très sommaire. Ce test, créé par Barbara
Wilson et ses collaborateurs en 1987 et récemment réédité, comporte
quelques items de mémoire prospective, comme de demander au sujet
de confier à l’examinateur un objet personnel au début de la séance et
de penser à le réclamer à la fin de la séance. Des travaux de recherche se
développent dans ce domaine, et ils devront trouver des applications
cliniques.

9.6.3 L’évaluation de la mémoire sémantique


Elle est déterminante dans différentes situations cliniques. Ainsi,
la mise en évidence d’une perturbation de la mémoire sémantique
252 Manuel de neuropsychologie

peut constituer un argument diagnostique en faveur d’une maladie


d’Alzheimer. Par ailleurs, la mémoire sémantique est ou non perturbée
dans un syndrome amnésique et le résultat peut conditionner le choix
d’un mode de prise en charge thérapeutique. De nombreuses épreuves
sont utilisées pour mettre en évidence des perturbations de la mémoire
sémantique, même si certaines de ces tâches ne sont pas spécifique-
ment dédiées à l’exploration de cette fonction. Les plus classiques sont
les tests de dénomination et de désignation d’images, de fluence ver-
bale, de complètement de phrases et de vocabulaire. L’analyse qualita-
tive des erreurs s’avère pertinente pour orienter vers une perturbation
de la mémoire sémantique : production de réponses superordonnées
(animal pour chat) et de paraphasies sémantiques en dénomination
d’images, réduction de la fluence verbale plus marquée pour les cri-
tères catégoriels (évoquer des noms d’animaux) que pour les critères
orthographiques (évoquer des mots commençant par une lettre don-
née). Dans ces tâches de fluence verbale, l’analyse des regroupements
sémantiques peut être informative. Le Pyramids and Palm Trees Test,
qui consiste à juger du lien sémantique existant entre des images, a
été spécifiquement construit pour explorer les troubles de la mémoire
sémantique ; il a fait ses preuves dans différents cadres pathologiques
(voir par exemple Hodges et Miller, 2001) et une adaptation de ce test
a été réalisée par le GRESEM, groupe de travail sur l’évaluation de la
mémoire sémantique. Quelles que soient les épreuves proposées, l’inter-
prétation des résultats reste parfois difficile, même si des perturbations
sont constatées. Elles peuvent en effet signifier une dégradation des
représentations sémantiques ou une difficulté d’accès à ces représen-
tations. Shallice (1995) a proposé des critères plaidant en faveur d’une
perturbation des représentations sémantiques : constance des erreurs
lors d’examens répétés ou d’une épreuve à l’autre (le « chat » n’est ni
dénommé, ni désigné, ni évoqué dans une tâche de fluence verbale),
absence de facilitation par des indices sémantiques, atteinte préféren-
tielle des items peu fréquents, perte sélective des attributs spécifiques
des concepts (un chat voit la nuit, mange des souris) avec préserva-
tion des caractéristiques générales (un chat est un animal). Si la plupart
des épreuves de mémoire sémantique portent sur des mots, certaines
explorent d’autres types de connaissances, comme les visages connus
(familiers ou de personnages célèbres). Leur évaluation est particuliè-
rement pertinente dans les maladies dégénératives comme la démence
sémantique (voir par exemple le test SEMPER – pour sémantique des
personnes – de Laisney et al., 2009). Les épreuves mentionnées ci-
dessus nécessitent une attention soutenue et une recherche active en
Les grands syndromes neuropsychologiques 253

mémoire alors que d’autres épreuves impliquent au contraire un accès


automatique aux représentations lexico-sémantiques : ce sont alors les
effets d’amorçage qui sont analysés.

9.6.4 Les effets d’amorçage


Ils peuvent être de deux types : sémantiques (sous-tendus par la mémoire
sémantique) ou perceptifs (sous-tendus par le système de représentation
perceptive). Des paradigmes très diversifiés sont utilisés pour mettre en
évidence les effets d’amorçage mais ils présentent des caractéristiques
communes.
Lors de la phase d’étude, un stimulus est présenté et une tâche
d’orientation est demandée au patient (il ne s’agit pas d’une consigne
de mémorisation). Puis, après un délai généralement bref, le patient
doit effectuer une tâche : il s’agit alors de la phase de test sur le sti-
mulus ou un stimulus apparenté. À aucun moment, le sujet ne doit
avoir conscience de se livrer à une activité mnésique. L’effet d’amorçage
est mis en évidence par le fait que les items présentés lors de la phase
d’étude sont traités différemment des items nouveaux lors de la phase
de test.
Le protocole le plus classique pour évaluer ces effets d’amorçage est
le complètement de trigrammes. Lors de la phase d’étude, le sujet doit
effectuer une tâche d’orientation qui attire son attention sur l’une
des caractéristiques des mots. Lors de la phase de test, les trois pre-
mières lettres de ces mots ainsi que des trigrammes nouveaux sont
proposés au sujet, qui doit les compléter pour former « le premier
mot qui lui vient à l’esprit ». Les sujets sains comme les amnésiques
restituent préférentiellement les mots de la liste initiale. En revanche,
s’il est demandé explicitement de rappeler cette liste de mots en uti-
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lisant les trigrammes comme des indices (rappel indicé), les patients
amnésiques obtiennent des performances nettement inférieures à
celles des sujets sains. Le paradigme de complètement de trigrammes
met à la fois en jeu les effets d’amorçage sémantique et perceptif. La
variation des consignes permet d’orienter vers l’un ou l’autre type
d’amorçage. Ainsi, le traitement sémantique lors de la phase d’étude
(générer des phrases à partir de mots-amorces) renforce l’implication
des effets d’amorçage sémantique. Au contraire, un traitement superfi-
ciel (compter les voyelles dans le mot) est plus à même de susciter des
effets d’amorçage de type perceptif (voir Desgranges et al., 1996, pour
des précisions méthodologiques).
254 Manuel de neuropsychologie

Des effets d’amorçage sémantique sont également mis en évidence


quand le traitement d’un mot est facilité (lecture, décision lexicale)
par la présentation préalable d’un mot lié sémantiquement (lion –
tigre).
Les effets d’amorçage de type perceptif sont évalués dans le cadre de
paradigmes d’identification perceptive. Lors de la phase d’étude, des
images d’objets sont présentées au sujet puis, lors de la phase de test,
ces images sont présentées sous une forme dégradée ou très rapidement
(à l’aide d’un tachistoscope). L’effet d’amorçage se traduit par le fait que
le sujet est capable de dénommer les images, dans ces circonstances
difficiles, seulement lorsqu’elles ont été présentées (sous leur forme
complète) lors de la phase d’étude.
L’évaluation des effets d’amorçage, après une période d’engouement
dans les années 1990, suscite maintenant moins d’intérêt de la part des
cliniciens et des chercheurs. D’une part, la mise au point des paradigmes
s’est révélée complexe et l’importante variabilité inter-individuelle ren-
dait difficile l’identification d’un seuil pathologique et, d’autre part, les
résultats obtenus à ces épreuves contribuent peu à l’établissement du
diagnostic, tout du moins pour les effets d’amorçage perceptifs qui sont
très souvent préservés.

9.6.5 L’évaluation de la mémoire procédurale


Cette évaluation s’intéresse en réalité le plus souvent à l’acquisition
de nouvelles procédures. Elle repose sur différents paradigmes obéis-
sant à des principes communs. Une tâche inhabituelle est proposée
au sujet au cours de plusieurs essais. Les scores obtenus permettent
d’obtenir une courbe d’apprentissage en mesurant, par exemple, le
temps nécessaire à l’accomplissement de la tâche aux séances suc-
cessives. Les paradigmes peuvent être regroupés en trois catégories :
des épreuves perceptivo-motrices, des épreuves perceptivo-verbales
et des épreuves cognitives. Les épreuves perceptivo-motrices ont
été fréquemment utilisées pour illustrer la préservation de capaci-
tés mnésiques chez les amnésiques et certains déments. Leur proto-
type est une épreuve de poursuite de cible qui consiste à maintenir
un stylet en contact avec un disque mobile le plus longtemps pos-
sible. L’acquisition de l’habileté perceptivo-motrice se traduit par
l’allongement progressif du temps de contact. Les tâches de mémoire
procédurale perceptivo-verbale et cognitive sont illustrées respective-
ment par la lecture en miroir et la tour de Hanoï (voir Beaunieux et
al., 2003, encadré 32, p. 255).
Les grands syndromes neuropsychologiques 255

Encadré 32
Évaluation de la mémoire procédurale
L’une des épreuves de mémoire procédurale perceptivo-verbale les plus
couramment utilisées est la tâche de lecture en miroir qui consiste à lire,
lors de plusieurs essais répartis en au moins deux sessions, des mots fré-
quents présentés en miroir (voir infra). Le choix de la casse et de la police est
évidemment très important, les lettres majuscules étant par exemple beau-
coup plus faciles à identifier que les lettres minuscules. L’acquisition de la
procédure se traduit par la chute du temps de lecture des mots.

idram
eluob
ebolg

L’apprentissage d’une procédure cognitive est couramment évalué à l’aide


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de la résolution de problèmes, comme la tour de Hanoï (voir supra) ou la


tour de Toronto dont les règles sont similaires : le sujet doit déplacer les
palets, un seul à la fois, d’une tige à l’autre et sans jamais mettre un palet
sur un palet de plus petite taille (ou sur un palet plus clair pour la tour de
Toronto). Le nombre de palets détermine la complexité de la tâche. Le
nombre d’essais est également très important : selon Hubert et al. (2007),
un minimum de quarante essais semble nécessaire pour mettre en évidence
les trois phases de l’apprentissage et donc que les sujets accèdent à la phase
autonome (voir courbe d’apprentissage). Les performances sont évaluées
en termes de temps et de nombre de mouvements. La chute du nombre
de mouvements et du temps requis pour atteindre la solution au cours des
essais reflète l’acquisition de la procédure cognitive (voir infra).
À
256 Manuel de neuropsychologie

phase
cognitive
phase associative phase autonome

10. La pathologie neuropsychologique


des émotions

10.1 Un cadre d’étude encore imprécis


L’étude de la pathologie neuropsychologique des émotions est un
domaine moins structuré que celui des syndromes décrits dans les pré-
cédentes sections de ce chapitre. Des raisons d’ordre neurophysiolo-
gique et psychologique peuvent expliquer cette situation. Les systèmes
biologiques impliqués dans les émotions sont répartis de façon très dif-
fuse dans le cerveau et sont, de plus, étroitement mêlés à des réseaux
neuronaux assurant d’autres fonctions telles que l’attention, la percep-
tion ou la mémoire. De surcroît, peu de théories psychologiques des
émotions intègrent des liens avec le système cognitif. Certaines thèses
maintiennent une référence plus ou moins franche à la perspective évo-
lutionniste en soutenant que les similitudes observées dans l’expression
des émotions chez l’homme et chez les animaux ne peuvent s’expliquer
que par une origine phylogénétique commune. Ces « théories physiolo-
Les grands syndromes neuropsychologiques 257

giques » conçoivent les mécanismes de l’émotion comme innés, univer-


sels et asservis aux fonctions biologiques. Les réactions émotionnelles
ne résulteraient pas d’un traitement cognitif et il existerait un nombre
réduit de programmes spécifiques mis en place pour contrôler les
réponses musculaires et végétatives. Ainsi, selon la théorie James-Lange,
un stimulus extérieur provoque, grâce au système nerveux végétatif, des
réactions au niveau des viscères et ce sont ces changements qui sont res-
sentis comme émotionnels. Les modifications physiologiques précèdent
et surtout déclenchent l’émotion subjective. Face à cette théorie péri-
phérique des émotions, une conception plus centraliste a été dévelop-
pée au début du XXe siècle par Cannon et Bard, notamment grâce aux
observations de pseudo-rage chez le chat qui ont contribué à mettre en
évidence l’origine cérébrale du comportement émotionnel. Ce n’est que
beaucoup plus tard, au début des années 1960, que sera intégré pour
la première fois le facteur cognitif dans une théorie des émotions par
Schachter et Singer : pour qu’une émotion survienne, il faut l’existence
simultanée d’une composante viscérale et d’une composante cognitive,
cette dernière permettant une évaluation du stimulus pour que la sensa-
tion viscérale devienne sensation subjective émotionnelle.
Selon la définition proposée en 1981 par Kleinginna et Kleinginna et
reprise par Pichon et Vuilleumier (2011), « les émotions sont le résul-
tat d’interactions de facteurs subjectifs et objectifs, réalisées au sein de
systèmes neuronaux ou endocriniens qui peuvent a) induire des expé-
riences telles que des sentiments de plaisir ou de déplaisir, b) influencer
des processus cognitifs tels que mémoire, niveaux d’attention, évalua-
tions ou catégorisations, c) causer des ajustements physiologiques glo-
baux, d) induire des comportements qui sont, le plus souvent, expressifs
et adaptatifs ». Les auteurs, à la suite d’Eckman, s’accordent à reconnaître
six émotions de base ou primaires (la joie, la colère, la surprise, la tris-
tesse, le dégoût et la peur) qui s’expriment de façon universelle et sont
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probablement sous-tendues par des mécanismes innés. D’autres émo-


tions, dites secondaires ou complexes, ne seraient pas entièrement pré-
déterminées et leur interprétation correcte ne pourrait se faire que dans
les interactions avec les autres individus (e.g. charmeur, conspirateur,
coupable, amical, etc.), rejoignant ainsi le domaine de la théorie de
l’esprit affective (voir chapitre 2, section 2). Le degré d’éveil (très stimu-
lant versus peu stimulant) et la valence (positive versus négative) sont les
principales variables qui sont manipulées dans les études sur l’émotion.
Selon ses principes habituels, la neuropsychologie vise à distinguer les
structures cérébrales impliquées dans différentes formes et composantes
des émotions. Deux grands thèmes dominent ce secteur de recherche :
258 Manuel de neuropsychologie

le rôle des structures limbiques et néocorticales dans la production et le


contrôle des émotions, et l’implication différentielle des hémisphères
cérébraux.

10.2 Émotions : système limbique et néocortex


L’intérêt croissant pour la neuropsychologie des émotions va de pair
avec une connaissance de plus en plus précise des principales struc-
tures cérébrales qui sous-tendent les aspects comportementaux, per-
ceptifs et mnésiques des émotions. De façon convergente, des travaux
neurophysiologiques et des études cliniques ont permis de développer
cet axe de recherche qui oppose un « cerveau limbique », impliqué
dans les activités mnésiques et émotionnelles, et le néocortex, sous-
tendant les processus cognitifs et jouant un rôle de contrôle et d’inhi-
bition. La description et l’interprétation du syndrome de Klüver et
Bucy constituent un exemple de ces travaux. Ce syndrome a été initia-
lement décrit chez le singe macaque après l’ablation bilatérale du lobe
temporal lésant le système limbique. Il associe une agnosie visuelle,
une hypermétamorphose (préhension systématique des objets à por-
tée de main), des modifications émotionnelles avec disparition des
comportements de peur et d’agressivité, une activité sexuelle indiscri-
minée, une tendance à l’« oralité » et des troubles des conduites alimen-
taires. Des observations du syndrome de Klüver et Bucy ont ensuite
été décrites chez l’homme comme séquelles d’encéphalite herpétique.
Outre les symptômes décrits précédemment chez l’animal, les patients
étaient devenus indifférents affectivement et montraient une perte de
tout comportement émotionnel. Pour Mishkin et Appenzeller (1987),
le trouble fondamental serait une rupture du lien entre les stimuli et
les réactions émotionnelles. Les comportements pulsionnels seraient
déclenchés par des objets inadaptés, du fait d’un dysfonctionnement
du filtre sélectionnant les objets importants pour les pulsions. Cette
théorie pose les bases d’une explication en termes cognitifs de ces
perturbations, et cette hypothèse de disconnexion se trouve renforcée
par la situation anatomique du système limbique, inséré entre l’hypo-
thalamus et les aires du cortex cérébral qui procèdent aux analyses
sensorielles. Ces concepts rejoignent la « théorie des trois cerveaux »
proposée par le neurophysiologiste Paul McLean en 1970. Entre le
cerveau reptilien (le plus « ancien ») et le cerveau néomammalien (le
néocortex) s’intercale le cerveau paléo-mammalien, qui correspond
au système limbique. Le cerveau reptilien, qui comprend l’essentiel
du tronc cérébral, une partie du cervelet et des formations de base
Les grands syndromes neuropsychologiques 259

du cerveau (hypothalamus, thalamus, noyaux gris centraux), permet


d’assurer l’adaptation de l’individu au monde extérieur, ainsi que la
satisfaction des pulsions, mais avec des possibilités de discrimination
sensorielle et d’adaptation du comportement très médiocres. Le cer-
veau paléo-mammalien permettrait une meilleure discrimination des
objets spécifiques et une meilleure adaptation des comportements
aux conditions extérieures en fonction des expériences passées. Il est
impliqué dans la mémoire ainsi que dans les états affectifs. Enfin,
le néocortex, particulièrement développé chez les mammifères supé-
rieurs, permet d’améliorer les performances sensorielles et motrices
et gouverne les activités symboliques. Le rôle phare des émotions au
sein du système limbique a longtemps été exclusivement réservé à
l’amygdale, avec notamment son implication dans le conditionne-
ment de peur, l’identification des expressions émotionnelles et des
stimuli menaçants, ainsi que dans la mémorisation des stimuli émo-
tionnels.
L’effet bénéfique des émotions sur le fonctionnement de la mémoire
épisodique, ou effet de majoration émotionnelle, a été démontré à
maintes reprises. De façon générale, les mots ou images à connotation
émotionnelle sont mieux mémorisés que les items neutres (voir encadré
33, p. 261). Par exemple, les souvenirs flashes sont des souvenirs d’évé-
nements publics qui ont marqué le sujet et dont il peut ensuite rappeler
non seulement les détails, mais aussi les circonstances de l’événement,
le lieu où il se trouvait et ce qu’il faisait, ce qu’il a éprouvé à ce moment
(les événements du 11 septembre 2001).
Les études de patients présentant des lésions amygdaliennes et les
études de neuro-imagerie apportent des résultats convergents quant à
l’importance de l’amygdale et des structures limbiques associées dans
l’encodage, la consolidation et la restitution des informations émotion-
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nelles. Les patients avec lésion de l’amygdale – bien que manifestant


toujours une réactivité physiologique et subjective face aux stimuli émo-
tionnels – ne bénéficient plus de la charge émotionnelle des stimuli pour
leur mémorisation. En accord avec les études neuropsychologiques, un
grand nombre de travaux de neuro-imagerie indiquent une corrélation
positive entre l’activation de l’amygdale face à un matériel émotionnel,
c’est-à-dire lors de son encodage en mémoire, et la reconnaissance ulté-
rieure de ce matériel.
Cette persistance et cette précision des souvenirs émotionnels par
rapport à des événements plus neutres peuvent être expliquées par une
série de facteurs. Lors de la rencontre avec un stimulus émotionnel,
la capture attentionnelle exprimée est très importante, contribuant
260 Manuel de neuropsychologie

ainsi à la solidité de sa mémorisation et à une élaboration accrue, qui


plus est lorsque l’information est importante pour l’identité du sujet.
L’importance de cette capture attentionnelle concernant les stimuli
émotionnels a notamment été démontrée à l’aide du paradigme de
Stroop émotionnel, où le temps mis pour donner la couleur d’un mot
émotionnel est généralement supérieur à celui d’un mot neutre. Cette
capture attentionnelle et la perception accrue des stimuli émotionnels
qui en résulte seraient directement liées à l’influence de l’amygdale
qui exerce une action prioritaire sur l’encodage des événements émo-
tionnels.
Les études de neuro-imagerie ont constamment montré l’implica-
tion et le rôle modulateur de l’amygdale dans l’encodage, le stockage et
le rappel des souvenirs émotionnels négatifs et, mais moins fréquem-
ment, positifs. Il s’agit simplement d’un rôle modulateur, en ce sens
que l’amygdale n’est pas nécessaire à la formation des souvenirs épi-
sodiques des événements neutres ou émotionnels, mais plutôt qu’elle
permet de renforcer les souvenirs émotionnels dépendants de l’hippo-
campe.
Les études récentes de neuro-imagerie ont permis de repréciser les
nombreuses connexions de l’amygdale et les rôles spécifiques d’autres
structures limbiques comme le cortex cingulaire antérieur, l’aire septale,
l’insula, l’hypothalamus ou le cortex orbito-frontal. Des études cli-
niques et neurophysiologiques ont en effet cherché à préciser les rela-
tions entre le système limbique et les lobes frontaux, notamment la
région orbito-frontale. L’importance des connexions reliant ces struc-
tures ainsi que la sémiologie de certains syndromes frontaux suggèrent
qu’une des fonctions principales des lobes frontaux « consiste à modu-
ler et à contrôler les mécanismes émotionnels hébergés par le système
limbique » (Gainotti, in Seron et Jeannerod, 1998, p. 478). La théo-
rie des marqueurs somatiques de Damasio soutient l’idée d’un rôle
important du cortex orbito-frontal dans les processus de prise de déci-
sion, et plus précisément dans l’association entre un événement et sa
valeur émotionnelle. Pour influencer la prise de décision, les marqueurs
somatiques reposent sur les connexions très étroites unissant le cortex
orbito-frontal et d’autres structures du système limbique. L’hippocampe
intervient dans la formation des souvenirs alors que l’amygdale module
l’activité de l’hippocampe en fonction de la connotation émotionnelle
du souvenir. Ainsi, lorsqu’un stimulus active une représentation en
mémoire, les connexions entre le cortex frontal et le système limbique
activent les marqueurs somatiques, et la représentation est reliée à des
expériences émotionnelles.
Les grands syndromes neuropsychologiques 261

Encadré 33
Amygdale et mémoire des émotions (Bénédicte Giffard)
L’amygdale améliorerait la consolidation des événements émotionnels en
modulant, via l’action des hormones de stress, le stockage des informations
dans d’autres régions cérébrales. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’événements émo-
tionnels, le système hormonal interagit avec le complexe amygdalien ; plus
précisément, les hormones de stress activent les récepteurs ß-adrénergiques
contenus dans l’amygdale basolatérale, ce qui permet ainsi à l’amygdale de
moduler la consolidation des informations émotionnelles stockées dans
d’autres régions cérébrales. En revanche, lorsque les informations traitées
sont neutres d’un point de vue émotionnel, elles sont stockées sans qu’il
y ait activation des hormones de stress ou de l’amygdale et des structures
limbiques associées. Ce modèle explique pourquoi, en cas d’administration
d’un ß-bloquant comme le propranolol ou en cas de lésion de l’amygdale,
les performances de mémoire épisodique ne sont pas améliorées pour les
stimuli émotionnels.
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Figure 1 – Mécanismes mnésiques de modulation des événements


émotionnels (d’après Cahill et McGaugh, 1998).

10.3 Émotions et spécialisation hémisphérique


Les recherches réalisées dans le domaine de l’émotion permettent de
penser que les hémisphères cérébraux interviennent dans les émo-
tions de façon différente. Toutefois, les résultats souvent partagés, voire
262 Manuel de neuropsychologie

contradictoires, issus des études portant sur la latéralisation des émo-


tions ont mené à l’élaboration de théories parfois conflictuelles (Giffard
in Lechevalier et al., 2008, pour revue).
L’une des théories, à une époque très prisée mais actuellement très
nuancée, est celle d’une latéralisation de l’émotion dans l’hémisphère
droit. D’après cette théorie, les aspects du comportement émotionnel,
positifs comme négatifs, dépendraient principalement de cet hémi-
sphère. La première description allant dans ce sens est certainement
celle de Babinski au début du XXe siècle qui, grâce à l’observation de
patients présentant une hémiplégie gauche, a posé l’hypothèse d’un
lien entre des lésions situées dans l’hémisphère droit et certains « symp-
tômes affectifs » tels que l’anosodiaphorie (les patients semblent atta-
cher peu d’importance à leurs troubles). Cette hypothèse a plus tard été
en partie confortée par des études de patients avec lésion unilatérale,
notamment au niveau de la perception et de l’expression des émotions,
et par des études en champ divisé chez le sujet sain.
D’autres interprétations supposent que l’expression des émotions
est différemment sous-tendue par les deux hémisphères en fonction
de la valence émotionnelle. Les émotions négatives ou déplaisantes
seraient préférentiellement traitées par l’hémisphère droit et les émo-
tions positives ou plaisantes par l’hémisphère gauche. Cette théorie
est issue de travaux s’intéressant aux effets de l’inactivation phar-
macologique de l’un ou l’autre des hémisphères cérébraux par injec-
tion d’un barbiturique, l’amytal de sodium, dans la carotide droite
ou gauche des sujets (test de Wada). Terzian et Cecotto (1959) ont été
les premiers à remarquer que l’injection de barbiturique dans la caro-
tide gauche était suivie de réactions « dépressives/catastrophiques »,
alors que l’inactivation de l’hémisphère droit donnait lieu à des
réactions « euphoriques ou maniaques ». Les réactions dépressivo-
catastrophiques furent alors attribuées à l’inactivation d’un centre des
émotions positives situé dans l’hémisphère gauche, et les réactions
euphoriques à l’inactivation d’un centre des émotions négatives dans
l’hémisphère droit.
Toutefois, aucune de ces deux théories ne peut s’accorder avec tous
les résultats des travaux de latéralisation émotionnelle. Une concep-
tion plus nuancée que les deux précédentes suppose que ce n’est pas la
valence émotionnelle qui caractériserait la dominance hémisphérique,
mais plutôt la nature des conduites émotionnelles.
Ainsi, pour Gainotti (in Seron et Jeannerod, 1998), la différence
entre le comportement émotionnel des sujets atteints de lésions droites
et de lésions gauches serait mieux caractérisée par l’opposition entre
Les grands syndromes neuropsychologiques 263

« réactions catastrophiques » et « manifestations d’indifférence » que


par l’opposition entre « dépression » et « euphorie » rapportée dans les
études d’injection de barbituriques chez des sujets sains. Les patients
atteints de lésions gauches montraient au cours de l’examen neuropsy-
chologique des réactions catastrophiques (signes d’angoisse, crises de
larmes) qui semblaient tout à fait légitimes puisqu’elles étaient presque
toujours causées par des prises de conscience de leurs handicaps (dif-
ficultés d’expression verbale, d’utilisation de la main droite, etc.). Les
patients atteints de lésions droites ne paraissaient pas euphoriques ou
agités, mais indifférents à leurs handicaps et aux situations d’échec lors
de l’examen neuropsychologique. Ces manifestations d’indifférence
après lésion droite sont des conduites inappropriées, résultant du fait
que l’hémisphère lésé ne peut plus jouer son rôle critique dans l’éla-
boration des conduites émotionnelles. Gainotti va même plus loin en
posant que les deux hémisphères cérébraux participeraient de manière
complémentaire aux comportements émotionnels. L’hémisphère droit
serait impliqué dans un contrôle primaire et végétatif des émotions, ce
contrôle étant sous-tendu par une analyse globale du contexte envi-
ronnemental. Quant à l’hémisphère gauche, plus rationnel, il serait
impliqué dans la régulation et le contrôle intentionnel de l’expres-
sion émotionnelle et il permettrait aussi de donner du sens aux émo-
tions. Cependant, l’expression végétative de l’émotion pourrait être
dominante pour les informations négatives, et l’expression plus inten-
tionnelle et consciente de l’émotion pourrait être dominante pour les
informations positives, ce qui pourrait expliquer qu’une asymétrie en
fonction de la valence est souvent observée !
L’un des modèles qui offre un éclairage nouveau sur la question
de la latéralisation des émotions a été proposé par Richard Davidson
(2003). Il suppose que l’asymétrie émotionnelle dépend des compor-
tements d’approche et de retrait liés aux émotions. Les émotions sont
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ici considérées en termes de tendance à l’action associée : le système


d’approche facilite les comportements dirigés vers un but et génère
certaines formes d’affect positif, tandis que le système de retrait faci-
lite l’évitement d’une stimulation aversive et génère certaines formes
d’affect négatif. Il existe manifestement un chevauchement partiel
entre l’hypothèse de la valence positive/négative et celle des comporte-
ments approche/retrait, mais avec des différences qui sont fondamen-
tales (par exemple, la peur et la colère sont toutes deux des émotions
négatives, mais la première est généralement associée au système de
retrait, et la deuxième au système d’approche). Sur la base de mesures
électrophysiologiques auprès de sujets sains mais aussi de patients
264 Manuel de neuropsychologie

dépressifs, Davidson et son équipe ont pu déterminer que l’expression


et l’expérience émotionnelles seraient sous-tendues par les régions
cérébrales antérieures avec, plus précisément, le côté gauche pour les
conduites d’approche et le côté droit pour les conduites de retrait ; le
traitement perceptif des émotions dépendrait quant à lui des régions
postérieures, avec une supériorité de l’hémisphère droit, et ceci, indé-
pendamment de la valence émotionnelle ou du système d’action asso-
cié à l’émotion.
Enfin, une étape supplémentaire a depuis quelques années été fran-
chie grâce à l’utilisation des techniques d’imagerie fonctionnelle. Les
études d’imagerie, qui représentent aujourd’hui une littérature assez
considérable dans ce domaine, apportent à ce champ de recherche une
précision indéniable, au moins à deux niveaux : d’une part, elles per-
mettent de tester les hypothèses d’asymétrie avec une résolution spa-
tiale sensiblement améliorée par rapport aux observations de patients
cérébrolésés ou même aux mesures EEG. Les émotions liées à l’approche
(particulièrement la joie et la colère) sont préférentiellement associées
à une activation de l’hémisphère gauche, et plus particulièrement des
régions corticales antérieures. L’activité liée aux émotions négatives ou
de retrait serait au contraire beaucoup plus symétrique. D’autre part, les
études en imagerie fonctionnelle permettent plus aisément de prendre
en compte les émotions spécifiques (joie, colère, peur, etc.) sans se res-
treindre à la simple opposition entre émotion positive et négative ou
émotion liée à l’approche et au retrait. Les premiers travaux ont ren-
forcé l’idée que des structures spécifiques sous-tendaient des émotions
spécifiques : l’amygdale pour la peur, l’insula pour le dégoût, le striatum
ventral pour le plaisir, le cortex cingulaire antérieur pour la tristesse.
Cependant, les études récentes montrent que ces régions participent au
traitement de plusieurs émotions, suggérant qu’elles codent pour des
composantes plus élémentaires, même si elles interviennent de façon
privilégiée pour certaines (Pichon et Vuilleumier, 2011). Pour reprendre
l’exemple de l’amygdale, elle joue un rôle dans le traitement de la peur
et de l’anxiété, dans l’évaluation du danger, mais aussi dans des fonc-
tions plus « élaborées » comme l’aversion d’une perte monétaire, la
confiance accordée à un inconnu, la régulation de l’espace interper-
sonnel, intervenant par conséquent dans le comportement social et les
prises de décision. Si l’amygdale joue un rôle préférentiel dans le traite-
ment des émotions négatives, elle semble aussi être impliquée dans le
traitement d’émotions positives, conduisant à l’idée plus globale de son
implication dans l’estimation de la valeur d’un stimulus pour l’indi-
vidu.
Les grands syndromes neuropsychologiques 265

Des avancées considérables ont été réalisées ces dernières années, qui
contribuent ainsi à une connaissance de plus en plus fine du rôle des
hémisphères cérébraux et du système limbique dans les conduites émo-
tionnelles et de la neuropsychologie des émotions en général. Certaines
recherches se développent également en psychopathologie et utilisent
en outre, pour certaines d’entre elles, les méthodes d’imagerie fonction-
nelle cérébrale. Les données recueillies apporteront sans nul doute un
éclairage enrichissant et novateur à la neuropsychologie des conduites
affectives et de ses pathologies.
4
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LA NEURO PSY CHO LOGIE


DE L’ENFANT
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1. Le cadre général de la neuropsychologie de l’enfant ...................269


2. Les troubles des grandes fonctions cognitives chez l’enfant ...... 272
3. Les syndromes neurodéveloppementaux.....................................295
4. Spécificités de l’évaluation et de la prise en charge .................... 301
La neuropsychologie de l’enfant 269

1. Le cadre général de la neuropsychologie


de l’enfant

Un intérêt particulier pour l’enfant et son développement ne s’est fait


jour que tardivement en neuropsychologie. Les premiers travaux ont
appliqué à l’analyse de cas d’enfants présentant des troubles du langage
les concepts et les méthodes élaborés par l’aphasiologie de l’adulte. Par
la suite, les principales investigations ont été longtemps restreintes à
l’étude de la pathologie acquise des fonctions cognitives consécutive à
une lésion cérébrale chez l’enfant, après une période de développement
normal plus ou moins longue. Au contraire, un grand nombre de troubles
neuropsychologiques qui sont étudiés aujourd’hui renvoient à des per-
turbations qui apparaissent dans le cours du développement « sans cause
apparente » ou qui accompagnent des déficiences mentales.
Les objectifs particuliers de la neuropsychologie de l’enfant se sont
maintenant affirmés. Il s’agit d’élaborer des modèles spécifiques et de
mettre au point les évaluations et prises en charge adaptées à l’enfant
lors de difficultés diverses, que celles-ci surviennent en lien avec
une atteinte cérébrale (troubles acquis) ou sans cause neurologique
objectivable, tout du moins avec les moyens d’investigation usuels.
Cette démarche implique de décrire les aspects développementaux des
relations cerveau-cognition, c’est-à-dire comment s’édifient l’appareil
cognitif et les structures cérébrales ainsi que leurs relations complexes.
Plus précisément, pour comprendre comment l’enfant acquiert une
fonction particulière, il faut en identifier les différentes étapes, déter-
miner leur chronologie d’apparition ainsi que les contraintes cérébrales
dans lesquelles elles se construisent. Comme nous le verrons dans un
premier temps avec l’exemple du langage, ces différentes connaissances
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sont indispensables pour aborder de façon pertinente les troubles neuro-


psychologiques survenant chez l’enfant.
D’Souza et Karmiloff-Smith (2011) soulignent que les modèles de la
cognition adulte, dominés par une architecture modulaire, ne peuvent
pas être appliqués in extenso au développement normal ou atypique,
même s’ils constituent une référence utile. Le cerveau est chez l’enfant
hautement interconnecté et c’est seulement dans le cours du dévelop-
pement que les réseaux neuronaux se spécialisent de façon croissante et
deviennent ainsi relativement modulaires. Les modèles de la neuropsy-
chologie de l’enfant postulent qu’en cas de développement atypique,
même lorsque les performances sont dans la normale, elles sont sou-
vent sous-tendues par des processus cognitifs et neuronaux différents.
270 Manuel de neuropsychologie

En d’autres termes, le processus graduel de modularisation relative peut


échouer à se mettre en place dans les troubles neurodéveloppementaux.
Ceux-ci doivent être compris dans le contexte dynamique du dévelop-
pement plutôt qu’appréhendés comme renvoyant aux composantes
endommagées d’un système modulaire inné. À cet égard, l’interdépen-
dance entre psychologie du développement cognitif et neuropsycho-
logie de l’enfant doit être soulignée. En outre, la neuropsychologie du
développement précoce représente un enjeu pour la neuropsychologie
dans son ensemble : ses grandes thématiques – cerveau et cognition,
asymétrie cérébrale – ne peuvent être abordées sans des connaissances
sur l’édification et la maturation du cerveau ainsi que sur le rôle joué
par les stimulations environnementales.
Les études en imagerie fonctionnelle chez l’enfant sont encore peu
nombreuses mais en plein essor. Même si les bases physiologiques de
cette approche sont identiques chez l’adulte et chez l’enfant, il est indis-
pensable de tenir compte de facteurs spécifiques de la maturation céré-
brale postnatale chez ce dernier. La maturation cérébrale correspond à
un ensemble complexe de mécanismes physiologiques qui sous-tendent
la mise en place progressive de réseaux neuronaux stabilisés. La matu-
ration cérébrale postnatale comprend la poursuite du développement
de la sulcation (les sillons) et de la gyration (les circonvolutions du cer-
veau), de la réponse hémodynamique (mécanisme physiologique qui
consiste en une augmentation locale du débit sanguin afin de subvenir
au besoin énergétique des cellules en activité), de la myélinisation ainsi
que de la connectivité anatomique (liaisons entre les structures céré-
brales) et fonctionnelle (synchronisation du fonctionnement de diffé-
rentes structures). Le cerveau du très jeune enfant, par définition en
pleine maturation, n’est pas complètement myélinisé et, par exemple,
le contraste entre la substance grise et la substance blanche n’est pas
identique à celui observé chez l’adulte. La différenciation se produit
durant le second semestre de la vie. Un premier indicateur intéressant
est le volume cérébral total, qui représente en moyenne 1 300 cm3 chez
les enfants âgés de 7 à 11 ans alors que le volume cérébral total de
l’adulte est compris entre 1 200 et 1 600 cm3. Ainsi, 95 % du volume
total à l’âge adulte seraient atteints dès l’âge de six ans. Des travaux
récents montrent une diminution sensible du volume cérébral total au
cours de la seconde décennie de la vie. Les changements au cours du
développement diffèrent également selon le sexe, suggérant ainsi que
la puberté (notamment les aspects hormonaux) joue un rôle important
dans le développement cérébral. Le pic de croissance du volume total se
situe vers 11 ans pour les filles et vers 14 ans pour les garçons.
La neuropsychologie de l’enfant 271

Les travaux actuels s’accordent sur le fait que la maturation de la subs-


tance grise est également non linéaire. La trajectoire développementale
suit une courbe en « U » inversé avec une augmentation de volume
jusqu’au début de l’adolescence suivie par une diminution jusqu’à l’âge
adulte. Il s’agit toutefois d’une tendance globale avec des différences
notables selon la région cérébrale considérée. Il semble que les pre-
mières régions concernées par le processus de maturation soient celles
qui sous-tendent les fonctions élémentaires, à savoir les capacités senso-
rielles et motrices. Elles sont suivies par les régions qui régissent les fonc-
tions cognitives les plus complexes. Le volume hippocampique total se
modifierait peu au cours de l’enfance et de l’adolescence mais il existe
d’importantes différences régionales avec une augmentation de volume
dans sa partie postérieure et une perte dans sa partie antérieure. Enfin,
les études macroscopiques suggèrent que, contrairement à la matura-
tion de la substance grise, celle de la substance blanche serait linéaire
et relativement comparable dans toutes les régions cérébrales. Toute-
fois, les travaux récents en IRM du tenseur de diffusion, qui permettent
une étude de la microstructure de la substance blanche, montrent une
augmentation importante du degré de densité des faisceaux de fibres et
de leur myélinisation avant l’âge de dix ans, puis un ralentissement au
cours de l’adolescence, remettant ainsi en cause l’idée d’une trajectoire
développementale linéaire depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte.
Les premiers manuels en français consacrés à la neuropsychologie
de l’enfant sont parus seulement au début des années 2000 (Braun,
2000 ; Lussier et Flessas, 2001, réédité en 2009). Nous renvoyons le
lecteur à ces ouvrages de référence et à ceux plus récents (Hommet
et al., 2005 ; Lehalle et Mellier, 2005 ; Poncelet et al., 2009 ; Vauclair,
2004), ainsi qu’au chapitre précurseur de De Schonen et al. (in Seron
et Jeannerod, 1998). Nous nous limiterons à une présentation forcé-
ment schématique des troubles acquis ou neurodéveloppementaux
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des grandes fonctions cognitives – langage, mémoire, attention, calcul


et praxies – chez l’enfant. Les spécificités de l’évaluation et de la prise
en charge chez l’enfant seront aussi soulignées. Nous avons adopté
un découpage qui prend en compte essentiellement celui des grandes
fonctions cognitives et aborde principalement les troubles acquis,
mais nous y traiterons aussi, lorsqu’il s’agit du langage, des dyslexies
développementales. Il nous est aussi apparu nécessaire d’individuali-
ser les principaux troubles neurodéveloppementaux qui occasionnent
des atteintes cognitives et doivent être connus en tant que tels : l’épi-
lepsie, l’autisme et le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans
hyperactivité.
272 Manuel de neuropsychologie

2. Les troubles des grandes fonctions cognitives


chez l’enfant

Chez l’adulte et en dehors des pathologies neurodégénératives, l’étio-


logie la plus commune des troubles neuropsychologiques est l’acci-
dent vasculaire cérébral (AVC), qui occasionne des lésions stables
(relativement) et dont la taille et la localisation peuvent être détermi-
nées précisément par l’imagerie cérébrale anatomique. Chez l’enfant,
l’étude des lésions acquises et de leurs conséquences sur la cognition
soulève un certain nombre de difficultés. Notamment, les lésions
pré- et périnatales (liées par exemple aux anoxies de la naissance et à
la prématurité) et celles dues aux encéphalites bactériennes sont les
plus fréquentes et occasionnent des dommages diffus et/ou étendus.
Même lorsque les étiologies sont comparables à celles rencontrées
chez l’adulte, l’interprétation des données est plus complexe chez
l’enfant car la lésion survient dans un contexte de grandes capaci-
tés de plasticité cérébrale et de récupération fonctionnelle (Rosa et
Lassonde, in Hommet et al., 2005).
Van Hout et Seron (1983) ont insisté de longue date sur deux spé-
cificités de ces études. D’une part, la formulation d’hypothèses sur le
niveau d’acquisition fonctionnelle antérieure de l’enfant est confron-
tée au problème de la variabilité interindividuelle « des rythmes et des
niveaux de développement atteints ». D’autre part, les lésions cérébrales
précoces ont des conséquences comportementales qui peuvent n’appa-
raître que longtemps après leur survenue. L’évolution des symptômes
présente ainsi un caractère composite : une sémiologie acquise puis-
qu’il y a modification du tableau antérieur, mais aussi une sémiologie
développementale, puisque l’atteinte initiale peut amener un effet
négatif à long terme sur les conduites non encore présentes dans le
répertoire de l’enfant au moment de l’atteinte.

2.1 Le langage
Les troubles du langage chez l’enfant, qu’ils soient acquis à la suite
d’une lésion cérébrale après une période de développement langagier
normal ou qu’ils apparaissent dans le cours du développement sans que
l’on puisse les relier à une cause organique précise, suscitent beaucoup
de travaux à visée fondamentale et clinique.
La neuropsychologie de l’enfant 273

2.1.1 L’aphasie acquise chez l’enfant


Il s’agit d’« un trouble du langage consécutif à une atteinte du système
nerveux central et survenant chez un sujet ayant déjà acquis un certain
niveau de connaissance verbale » (Van Hout et Seron, 1983). L’aphasie
acquise chez l’enfant est ainsi clairement distincte, d’une part des apha-
sies « congénitales » – dans lesquelles la lésion cérébrale est pré- ou péri-
natale –, d’autre part des dysphasies développementales sans lésions
objectivables. Le tableau clinique de l’aphasie acquise chez l’enfant est
classiquement résumé en quatre points :
1. la compréhension du langage reste relativement préservée ;
2. les troubles prédominent sur le versant de l’expression : la fluence
est le plus souvent réduite, la perturbation pouvant aller de troubles
articulatoires jusqu’au mutisme ;
3. le discours est agrammatique (les troubles syntaxiques sont les plus
persistants) ;
4. jargon ou loghorrée sont rares.

Dans les cas de lésions précoces, le caractère relativement mineur des


signes aphasiques et le fait que le pronostic soit beaucoup plus favorable
que chez l’adulte, avec récupération des troubles du langage rapide et
souvent complète, sont soulignés. Une sémiologie comparable en nature
et en sévérité à celle rencontrée chez l’adulte n’apparaîtrait qu’en cas
d’atteinte postérieure à la puberté. Le pronostic est donc meilleur pour
les lésions acquises précocement : deux mécanismes distincts sont envi-
sagés pour rendre compte de ces possibilités de récupération fonction-
nelle. Lorsque les lésions dans l’hémisphère gauche sont limitées, les
fonctions langagières peuvent être prises en charge par les aires gauches
adjacentes, intactes. Si les lésions gauches sont plus étendues, l’hémi-
sphère droit, principalement au niveau des aires homotopiques aux
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aires périsylviennes gauches, prendrait en charge le langage. Dans cer-


tains cas, cette réorganisation des réseaux de l’hémisphère droit serait
susceptible de nuire au développement des fonctions qu’il sous-tend
normalement (Rosa et Lassonde, in Hommet et al., 2005).
Ce « transfert de fonction » a été étudié dans le cadre de l’hémis-
phérectomie quelquefois pratiquée comme traitement de crises épilep-
tiques généralisées (exérèse chirurgicale de l’hémisphère cérébral siège
du foyer épileptique). Lorsque celle-ci est réalisée chez de jeunes enfants,
elle permet d’étudier le développement cognitif avec un « hémisphère
unique ».
274 Manuel de neuropsychologie

Patterson et al. (1989) ont analysé les performances de lecture d’une


jeune patiente, N.I., chez qui une hémisphérectomie gauche avait été
pratiquée à l’âge de 15 ans, deux années après l’installation des crises
d’épilepsie. La période de développement précoce normal autorise les
auteurs à penser qu’une latéralisation fonctionnelle typique avait pu se
mettre en place. Après l’opération, N.I. est décrite comme aphasique,
ses performances en lecture sont très faibles et ressemblent à celles de
patients adultes qui présentent une dyslexie profonde. Elle reconnaît
parfaitement des lettres, mais les dénomme avec difficulté et ne peut
réaliser des tâches phonologiques. Elle discrimine bien des mots fré-
quents et des non-mots mais ses performances de décision lexicale
chutent pour des mots moins fréquents. Dans des épreuves d’apparie-
ment mot-image, elle manifeste une compréhension des mots mais
seulement pour les plus familiers et concrets.
Ce tableau clinique sévère contraste avec celui d’Anna, décrit par
Vargha-Khadem et al. (1985), qui a subi une hémisphérectomie gauche
à l’âge de dix ans et montre des capacités langagières remarquablement
préservées. Pour les auteurs, le facteur crucial expliquant cette préser-
vation est la précocité de la lésion : chez Anna, l’atteinte neurologique
(AVC gauche) est prénatale et s’est manifestée à l’âge de six mois. Ce
n’est pas tant l’âge auquel intervient l’hémisphérectomie qui compte,
que l’âge de début des lésions cérébrales (dans l’épilepsie, l’âge de début
des crises) et « le temps laissé à la réorganisation du langage dans l’hémi-
sphère droit ». Plus ce temps est long, meilleures seraient la réorganisa-
tion anatomo-fonctionnelle et les performances.
L’étude du développement normal des asymétries hémisphériques
apporte des données complémentaires à celles issues de l’analyse des
pathologies acquises chez l’enfant. Plusieurs approches comportemen-
tales permettent l’étude des localisations et des latéralisations fonction-
nelles cérébrales chez l’enfant normal : l’étude de la latéralité manuelle,
l’analyse des asymétries de performances en champ perceptif divisé
(tachistoscopie en champ visuel divisé, écoute dichotique, perception
dichaptique) et des interférences lors de doubles tâches (voir chapitre 2,
section 3). Depuis les années 1980, il est aussi possible d’analyser les
corrélats cérébraux des activités cognitives avec la neuro-imagerie fonc-
tionnelle et les potentiels évoqués cognitifs. Ces différentes sources sont
en faveur d’une latéralisation fonctionnelle assez précoce pour certaines
composantes de traitement.
Liégeois et de Schonen (2002) ont analysé les réponses de dénomi-
nation d’images chez des enfants âgés de 2 à 6 ans, dans différentes
conditions de présentation : une seule image, soit à droite soit à gauche
La neuropsychologie de l’enfant 275

du point de fixation, ou bien deux images différentes de part et d’autre


du point de fixation. Leur étude réplique tout d’abord les résultats de
la littérature en montrant que l’avantage hémisphérique gauche pour
les traitements cognitifs requis par la dénomination peut être observé
au tout début de leur développement, c’est-à-dire à l’âge de 2 ans. Elle
indique ensuite que les connexions inter-hémisphériques pour ce type
de traitements seraient fonctionnelles dès 2 ans (le transfert des don-
nées somesthésiques arriverait à maturité plus tardivement). Il faut
noter ici que d’autres traitements langagiers, par exemple l’accès lexi-
cal sans production comme dans la tâche de décision lexicale, se déve-
lopperaient de façon plus équitable dans l’hémisphère gauche et dans
l’hémisphère droit, avec toutefois la mise en place d’une asymétrie sem-
blable à celle décrite chez l’adulte – supériorité fonctionnelle et contrôle
hémisphérique gauche – dès le début de la deuxième décennie (Waldie
et Mosley, 2000 : encadré 13, p. 88).
Les techniques de neuro-imagerie non invasives comme l’IRMf et les
potentiels évoqués indiquent une spécialisation et une latéralité céré-
brales initiales, en tout cas très précoces (dès les premiers mois de vie),
pour les premiers niveaux de traitement du langage, en particulier la
perception des phonèmes. Dans sa synthèse, Dehaene-Lambertz (in
Hommet et al., 2005) souligne l’existence de réseaux pré-contraints
génétiquement, qui permettent à l’enfant « d’aller chercher dans son
environnement l’input adéquat », mais qui sont aussi plastiques.
Des contraintes éthiques limitent le champ des techniques de neuro-
imagerie utilisables chez l’enfant, mais l’approche comportementale
est, elle aussi limitée, en particulier avant que l’enfant maîtrise le lan-
gage. Pour l’étude du très jeune enfant, plusieurs techniques éprouvées
ont été empruntées à la psychologie du développement, comme l’ana-
lyse de la succion non nutritive, de la poursuite oculaire, du réflexe
d’orientation ou de l’habituation. En règle générale, l’analyse chrono-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

métrique est utilisée avec précaution car les temps de réponse sont très
longs et montrent une grande variabilité.
Si l’étude du développement normal des asymétries hémisphériques
semble indiquer une latéralisation gauche plus précoce que ce qui appa-
raît à la lumière des conséquences des pathologies acquises chez l’enfant,
les deux approches doivent en fait être vues comme complémentaires.
La première source d’information est en faveur d’une latéralisation
gauche plus précoce que ce qui apparaît à la lumière des conséquences
des pathologies acquises (outre les caractéristiques de l’aphasie par
lésion gauche chez l’enfant, il faut relever que des troubles du langage
par lésion de l’hémisphère droit sont plus fréquents chez l’enfant que
276 Manuel de neuropsychologie

chez l’adulte). En fait, les approches éclairent des facettes différentes du


développement neuropsychologique, et l’étude des troubles acquis met
en évidence les capacités remarquables de réorganisation fonctionnelle
et cérébrale (pour revues, voir De Agostini, 2002 ; Rosa et Lassonde, in
Hommet et al., 2005).

2.1.2 Les troubles développementaux du langage


De nombreux troubles neuropsychologiques surviennent dans le cours
du développement « sans cause apparente » et peuvent perturber les
acquisitions scolaires et les apprentissages fondamentaux. La plupart se
définissent par un écart aux normes de développement cognitif, qu’il
concerne le langage (dysphasie, dyslexie, dysorthographie…) ou d’autres
domaines cognitifs (dyscalculie, trouble attentionnel…). Le diagnostic
est basé sur la mise en évidence d’un déficit durable des performances
dans un domaine particulier. La perturbation n’est pas liée à un déficit
sensoriel primaire (par exemple de l’acuité visuelle), à une insuffisance
intellectuelle, à une lésion cérébrale acquise au cours de l’enfance, ni à
des carences affectives ou éducatives graves. Les enfants qui sont identi-
fiés comme « dys » le sont parce que leur profil développemental appa-
raît normal, ou presque, dans tous les domaines sauf dans le domaine de
dysfonctionnement considéré. Ce diagnostic par exclusion est considéré
aujourd’hui comme problématique. D’une part, il est souvent difficile de
distinguer échec scolaire « banal », retard de développement, et véritable
pathologie développementale. D’autre part, les troubles peuvent avoir
des origines diverses qui doivent être diagnostiquées pour proposer une
prise en charge adaptée (encadré 34). L’approche neuropsychologique de
la dyslexie/dysorthographie a débouché sur la description de sous-types
et sur l’élaboration de définitions qui visent à pallier ces insuffisances en
mettant l’accent sur le critère de durabilité du trouble.

Encadré 34
Remédiation des difficultés dans l’apprentissage de la lecture
(Bruno de Cara et Monique Plaza)
Lire est un processus intermodal qui requiert une prise en compte et un traite-
ment simultanés d’éléments visuo-graphiques et auditivo-verbaux. Nous pré-
sentons ici deux exemples de remédiation visant à améliorer la fluence dans la
lecture. La fluence est définie ici comme la capacité à lire un texte rapidement,
sans effort, sans à-coups, de façon automatisée, en ne portant aucune atten-
tion au décodage. La fluence permet la compréhension, but ultime de la
À
La neuropsychologie de l’enfant 277

Â
lecture. La fluence de lecture naît : (a) du développement en mémoire d’une
représentation phonologique, orthographique, sémantique et syntaxique
de haute qualité ; (b) d’un bon niveau de connexion entre les informations
visuelles et linguistiques ; (c) de la récupération rapide d’informations issues
de chacun des systèmes.
Intéressons-nous, dans un premier temps, à la vitesse de dénomination et
de lecture. Ces mesures correspondent au temps nécessaire pour mettre
en correspondance un stimulus visuel (image ou séquence de lettres) et la
production d’un mot. La vitesse de dénomination est précocement corré-
lée aux capacités de lecture, notamment dans les langues à orthographe
régulière. Néanmoins, il a été constaté dans plusieurs systèmes linguistiques
(anglais, allemand, espagnol, finnois, hébreu, chinois, français) que les capa-
cités phonologiques et la vitesse de dénomination sont des variables corré-
lées de façon indépendante aux capacités de lecture (Wolf et al., 2000). En
effet, la vitesse de dénomination est le produit d’un ensemble de processus
de bas et de haut niveaux (perceptifs, attentionnels, mnésiques, articula-
toires, lexicaux) qui se coordonnent et se chevauchent. Ainsi, en utilisant
la méthode de la double dissociation d’un point de vue clinique, Wolf et al.
(2000) font la distinction entre 3 types d’apprentis-lecteurs en difficulté
selon la nature des troubles : 1/ troubles phonologiques ; 2/ troubles en déno-
mination rapide ; 3/ troubles combinés en conscience phonologique et déno-
mination rapide. Ce dernier groupe atteint, selon les auteurs, « d’un double
déficit » présente un niveau de lecture plus faible que les 2 premiers groupes
atteints d’un seul déficit. Les entraînements envisagés pour ces lecteurs pré-
sentant un double déficit reposent sur un travail simultané à partir de mots
pivots analysés du point de vue phonologique, sémantique, morphologique,
puis retravaillés en contexte de phrases et de textes (Programme RAVE-O :
Retrieval, Automaticity, Vocabulary Elaboration, Orthography ; Wolf et al.,
2009, cf. figure 1).
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À
278 Manuel de neuropsychologie

Â
Changement dans les scores standardisés du Quotient
de lecture à voix haute en fluence et compréhension
(Gray Oral Reading Test 3, Wiederholt & Bryant, 1992)
82
Pré-test
Score Standard

79
Post-test
76

73

70

68
Contrôle Phonique seul RAVE-O
Modèle d’intervention

Figure 1 – Exemple de mot pivot et effet du Programme RAVE-O


sur un test de lecture orale (adapté de Wolf et al., 2009)

Au-delà de la vitesse de dénomination, la vitesse de lecture est au centre de


l’automatisation du processus de lecture. Un certain nombre de remédia-
tions vise à développer le meilleur compromis entre vitesse de lecture et
compréhension. À titre d’exemple, le paradigme de l’accélération forcée
mis au point par Breznitz (2001) incite le lecteur à augmenter sa vitesse de
lecture par le prélèvement d’indices visuels partiels. Dans une première
phase de l’expérience, 52 enfants dyslexiques (âge moyen : 9 ans 1 mois) et
52 enfants normo-lecteurs (âge moyen : 6 ans 9 mois), appariés en âge de
lecture, ont été invités à lire une série de 6 récits à leur vitesse de lecture
habituelle. Dans une deuxième phase, 6 autres récits ont été présentés aux
sujets selon un défilement plus rapide correspondant à une accélération de
20 % par rapport à leur vitesse de lecture habituelle. Le texte s’effaçait auto-
matiquement, lettre par lettre, selon la vitesse accélérée de chaque sujet.
Les résultats ont montré une amélioration du score de compréhension dans
la condition de vitesse de lecture accélérée par rapport à la condition de
vitesse de lecture habituelle seulement chez les normo-lecteurs (tandis que
la différence n’était pas significative chez les dyslexiques). Pour l’auteur,
l’accélération de la lecture permettrait de rendre plus efficients la mémoire
de travail, le recours à l’information orthographique et la prise en compte du
contexte. Pour les enfants dyslexiques, l’accélération de la lecture produirait
une amélioration seulement sous condition de saturation de la voie phono-
logique. En effet, en éliminant le fonctionnement lent et coûteux de leur
voie phonologique, les lecteurs dyslexiques compenseraient leurs difficultés
phonologiques (et diminueraient ainsi les erreurs liées au décodage) en se
focalisant davantage sur les indices orthographiques et contextuels.
Une réplication partielle du paradigme de l’accélération forcée a été propo-
sée à des enfants normo-lecteurs de CE1 et CM1 (De Cara et Plaza, 2010). Les
À
La neuropsychologie de l’enfant 279

Â
textes étaient cryptés. Une fenêtre mobile permettait un guidage visuo-
attentionnel de l’enfant lors du défilement du texte (figure 2). Dans une pre-
mière phase («guidage contrôlé»), l’enfant lisait une série de 3 récits à sa
vitesse de lecture habituelle en contrôlant lui-même le déplacement de la
fenêtre mobile. Dans une deuxième phase («guidage accéléré»), une série de
3 autres récits était présentée mais, cette fois-ci, la fenêtre se déplaçait auto-
matiquement selon une accélération de 20 % par rapport à la vitesse de lec-
ture habituelle du sujet. Enfin, dans une dernière phase («sans guidage»), prise
comme condition contrôle, 3 textes étaient présentés, de façon standard, sans
guidage, ni contrainte temporelle. A la fin de chaque récit, une série de ques-
tions à choix multiples (QCM) permettait d’évaluer la compréhension du récit.
Les résultats ont montré, premièrement, une supériorité du guidage visuo-
attentionnel par rapport à l’absence de guidage. Deuxièmement, entre les
2 conditions de guidage, le guidage contrôlé par l’enfant s’est révélé plus effi-
cient que le guidage accéléré, sauf chez les élèves de CM1 où guidage contrôlé
et guidage accéléré ne se sont pas distingués (cf. figure 2).

Julie et Valérie ### ###### ### ####### ######

##### ## ####### ont trouvé ### ####### ######

##### ## ####### ### ###### une vieille valise


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Figure 2 – Effet du guidage visuo-attentionnel (contrôlé par l’enfant


vs. accéléré) sur la lecture de textes chez les élèves de CE1 et CM1
(De Cara et Plaza, 2010)
280 Manuel de neuropsychologie

La dyslexie développementale se définit comme un trouble sévère et


durable de l’apprentissage de la lecture, pour lequel aucune cause parti-
culière ne peut être mise en évidence. L’enfant (plus souvent un garçon,
avec une sur-représentation de gauchers ou d’ambidextres) a été norma-
lement scolarisé, dans un milieu socioculturel propice à ces apprentis-
sages, ne présente ni retard mental, ni déficit sensoriel, et a un trouble
durable du langage écrit, avec un retard de lecture d’au moins 18 mois
par rapport à l’âge scolaire. Sa prévalence est de 3 à 6 %, les estimations
variant de 10 % pour la France et l’Amérique du Nord à 1 % pour le Japon
(Lovett et al., 2003). Ces incertitudes relèvent probablement en partie de
la définition par exclusion et trop peu précise retenue par le DSM-IV.
Ces différences de prévalence sont aussi à relier à des différences tant
interculturelles (notamment au niveau des attentes vis-à-vis de l’appren-
tissage de l’écrit) qu’interlangues. Celles-ci, principalement en termes
de régularité de l’orthographe – variations entre langues notamment
du point de vue du degré de transparence, faible pour l’anglais et fort
pour l’italien – font l’objet de nombreuses recherches interlangues qui
portent sur le versant linguistique (voir les propositions théoriques de
Ziegler et Goswami, 2005 ; pour une revue, voir Habib et al., in Hommet
et al., 2005) et cérébral.
Plusieurs formes de dyslexie développementale sont distinguées en
référence aux modèles cognitivistes de la lecture et de l’écriture élabo-
rés en neuropsychologie de l’adulte (et basés sur l’analyse de troubles
acquis). Cette référence pose problème, car ces modèles concernent l’état
mature et ne « spécifient aucunement la dynamique développementale
du système » (Valdois, 2001). Toutefois elle a permis de décrire deux
principaux profils de troubles, relevant de déficits fonctionnels sous-
jacents distincts (voir encadré 35), et qui sont à la base des classifica-
tions proposées dans les ouvrages de référence (Valdois et al., 2004 ;
Lussier et Flessas, 2009) :
– la dyslexie phonologique développementale représenterait deux tiers
des cas de dyslexie développementale. Elle est attribuée à une atteinte
sélective de la voie phonologique (ou d’assemblage) de lecture, tan-
dis que la voie lexicale fonctionnerait normalement. Les enfants se
montrent incapables de lire des non-mots alors que les mots fami-
liers, qu’ils soient réguliers ou irréguliers, sont lus sans difficulté ;
– la dyslexie de surface développementale concernerait environ un
enfant dyslexique sur dix. Elle est attribuée à un déficit sélectif du
développement de la voie lexicale (ou d’adressage), le traitement
de l’écrit reposant alors sur le système non lexical (voie phonolo-
gique) fonctionnel. Les enfants ont des performances de lecture
La neuropsychologie de l’enfant 281

des mots réguliers et des non-mots préservées, c’est-à-dire qu’ils


n’ont pas de difficulté particulière dans des tâches où la lecture
peut reposer sur la simple transcription des graphèmes en sons.
En revanche, les difficultés sont marquées pour la lecture des mots
irréguliers, pour lesquels une représentation doit être récupérée en
mémoire à long terme ;
– l’atteinte peut être mixte, l’enfant présentant des difficultés décrites
dans les deux formes phonologique et de surface. Les études de cas
mettent en évidence des dyslexies mixtes à prédominance phono-
logique et d’autres à prédominance lexicale (voir les cas décrits par
Lussier et Flessas, 2009).

Encadré 35
Dyslexie de surface et dyslexie phonologique : comparaison
de deux cas (Sylviane Valdois)
De nombreuses recherches ont démontré l’existence de sous-types de dys-
lexies développementales et ont analysé différentes observations de dys-
lexies de surface et de dyslexies phonologiques (Valdois, 1996). Les deux cas
présentés ont été évalués sur la base des mêmes épreuves, ce qui permet
de mettre nettement en évidence les performances très contrastées de ces
sujets.
Présentation des cas
Maxime et Frédéric sont deux adolescents de quinze et seize ans qui ont ren-
contré d’importantes difficultés d’apprentissage de la lecture et de l’ortho-
graphe. Ces difficultés persistantes étaient inattendues compte tenu du
niveau général de ces adolescents (QIG = 110 pour Maxime et QIG = 108 pour
Frédéric) et de leur intérêt pour ces apprentissages. En outre, leurs difficultés
ne relevaient d’aucune cause organique connue puisqu’ils ne présentaient ni
trouble sensoriel primaire (visuel ou auditif), ni trouble neurologique acquis.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Tous deux présentaient néanmoins un retard d’acquisition de la lecture


important puisque leur niveau était estimé à sept ans pour Maxime et douze
ans pour Frédéric. Chez ce dernier, ce trouble s’accompagnait d’une dysor-
thographie modérée et de troubles du langage oral (déformations de mots
en langage spontané et troubles de la répétition). Maxime, quant à lui, ne
présentait aucun trouble du langage oral mais une dysorthographie sévère.
Examen des aptitudes de lecture et de production écrite
Ces deux adolescents ont été soumis à des épreuves de lecture de mots,
réguliers et irréguliers, et de non-mots. Celles-ci avaient pour but de tester
l’efficience des procédures lexicales et sublexicales postulées par les modèles
« double voie ».
À
282 Manuel de neuropsychologie

Â
Maxime Frédéric
80 % 93 %
Mots réguliers
72/90 84/90
38 % 95 %
Mots irréguliers
23/60 57/60
66 % 72 %
Non-mots
60/90 65/90
Tableau 1 – Performances en lecture (pourcentage de réponses correctes)
Les résultats présentés dans le tableau 1 montrent que Maxime obtient les
scores les plus faibles en lecture de mots irréguliers alors que Frédéric ne
rencontre de difficultés qu’en lecture de non-mots.
L’examen des performances obtenues en production écrite de mots iso-
lés (tableau 2) confirme largement la spécificité des difficultés de ces deux
jeunes gens. L’épreuve met en effet en évidence des performances très
faibles en écriture sous dictée de mots irréguliers pour Maxime alors que les
difficultés de Frédéric ne concernent que la production écrite de non-mots.

Maxime Frédéric
85 % 90 %
Mots réguliers
17/20 18/20
20 % 80 %
Mots irréguliers
06/30 12/15
90 % 67 %
Non-mots
18/20 20/30

Tableau 2 – Performances en production écrite


(pourcentage de productions correctes)
Les performances de Maxime sont compatibles avec une atteinte des pro-
cédures lexicales et correspondent au profil caractéristique d’une dyslexie/
dysorthographie de surface. Au contraire, Frédéric semble présenter un
trouble au niveau des procédures sublexicales dans le cadre d’une dyslexie/
dysorthographie phonologique. À noter qu’il est fréquent de trouver dans le
cadre des dyslexies de surface des difficultés associées, quoique moindres,
en lecture de non-mots. Il est probable qu’une performance faible en lecture
de non-mots n’ait pas la même origine dans le cadre des dyslexies phonolo-
gique et de surface.
La recherche du trouble sous-jacent responsable de ces difficultés d’appren-
tissage nous a conduits à évaluer les capacités de traitement phonologique
de ces sujets. Pour cela, une épreuve de jugement de rimes et deux épreuves
de segmentation leur ont été proposées, l’une consistant à omettre le pre-
mier son d’un mot présenté oralement, l’autre à produire successivement
À
La neuropsychologie de l’enfant 283

Â
chacun des sons composant un mot donné. Les résultats (tableau 3)
montrent que Frédéric rencontre des difficultés dans toutes ces épreuves
alors que Maxime les réussit parfaitement.

Maxime Frédéric
Jugement de rimes 48/48 16/48

Omission 1 son
er 10/10 3/10

Décomposition 12/12 2/12

Tableau 3 – Épreuves métaphonologiques


(nombre de réponses correctes/nombre d’items proposés)

Ces derniers résultats suggèrent qu’un trouble phonologique sous-jacent


pourrait être responsable des difficultés de lecture et d’écriture de Frédéric.
Les difficultés d’apprentissage de Maxime ne peuvent quant à elles être
mises sur le compte d’un déficit phonologique.
En conclusion, les résultats présentés illustrent bien l’existence de sous-
types de dyslexies développementales caractérisées par des profils distincts.
Ils suggèrent que des déficits cognitifs différents pourraient être à l’origine
de ces différentes formes de dyslexies.

L’existence de sous-types de dyslexie développementale caractérisés


par des déficits cognitifs différents est admise. Les spécialistes soulignent
que la distinction dyslexie de développement de surface vs. phonolo-
gique n’est pas forcément la plus pertinente. Fondée sur la neuropsy-
chologie adulte, elle omet de prendre en compte que dans le cadre du
trouble développemental, les deux systèmes de traitement, lexical et
non lexical, sont en cours d’édification, et ce de façon interdépendante,
et que la plupart des enfants souffrant d’une dyslexie de développement
présentent des altérations des deux voies. Ainsi, l’approche neuropsy-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

chologique privilégie la recherche du déficit cognitif sous-jacent pour


définir des sous-types.
L’hypothèse « phonologique » implique un déficit du traitement des
unités phonémiques du langage (c’est-à-dire de la plus petite unité sub-
lexicale qui permet de distinguer deux mots par ailleurs identiques,
comme dans « pot » et « lot »). Dans ce cadre, la dyslexie est un trouble
langagier caractérisé par des difficultés de décodage des mots isolés et
une perturbation du traitement phonologique qui empêchent l’acquisi-
tion des associations graphème/phonème. De fait, d’une part les traite-
ments phonologiques sont centraux dans l’apprentissage de la lecture et
d’autre part une perturbation des capacités de traitement phonologique,
284 Manuel de neuropsychologie

en particulier une réduction de la mémoire verbale à court terme et une


altération de la conscience phonémique (c’est-à-dire la capacité à mani-
puler les unités sublexicales en mémoire de travail, comme par exemple
dans les tâches de rimes), caractérisent de nombreux dyslexiques.
Toutefois un pourcentage équivalent des dyslexies de développement
pourrait être causé par un déficit visuoattentionnel : l’enfant a des dif-
ficultés à identifier les lettres, à répartir l’attention de façon équilibrée
sur une séquence de lettres et à traiter simultanément plusieurs lettres.
Ces troubles visuoattentionnels sont observés en l’absence de perturba-
tion phonologique. Les aptitudes phonologiques et visuoattentionnelles
constituent chacune et indépendamment les unes des autres des
prédicteurs des performances de lecture (voir Valdois, in Hommet et al.,
2005, pour une revue).
Enfin, ces deux hypothèses semblent ne pas permettre d’expliquer les
cas, certes plus rares, où les déficits intéressent les traitements visuels
de bas niveau. La « théorie magnocellulaire » est basée sur la mise en
évidence d’une sensibilité anormalement faible aux stimuli caractérisés
par un faible contraste, une fréquence spatiale faible ou une fréquence
temporelle élevée (voir encadré 11, p. 80). Les troubles seraient dus à un
déficit de transmission des informations visuelles rapides et peu contras-
tées de la rétine au cortex visuel. Ils se traduiraient par une persistance
trop longue de l’image et un manque de sensibilité au contraste pour les
stimuli visuels rapides, entraînant ainsi une superposition des images
visuelles durant la lecture et une difficulté pour reconnaître les lettres
et les mots (Vilayphonh et al., 2009). Ces observations refléteraient
l’atteinte spécifique des traitements visuels du système magnocellulaire.
Ce système est normalement impliqué dans l’orientation de l’attention
visuelle, le contrôle des mouvements oculaires et la recherche visuelle,
trois capacités essentielles dans l’acquisition de la lecture et qui peuvent
être perturbées chez certains dyslexiques (voir Habib, 2000 ; Démonet
et al., 2004, pour des discussions critiques de ces théories).
Les recherches sur les bases cérébrales de la dyslexie développementale
ont principalement été menées auprès d’adultes, d’abord au moyen de
l’autopsie de cerveaux de sujets dyslexiques. Les travaux princeps de
Galaburda, Geschwind et leurs collaborateurs dans les années 1980 indi-
quaient une symétrie du planum temporale (alors que normalement cette
aire est plus développée dans l’hémisphère gauche) ainsi que des ano-
malies cellulaires plus particulièrement dans le cortex frontal inférieur
de l’hémisphère gauche (pour une revue, voir Habib, in Lechevalier et
al., 2008). Les recherches utilisent maintenant la neuro-imagerie fonc-
tionnelle mais celles menées auprès d’enfants dyslexiques sont rares.
La neuropsychologie de l’enfant 285

Elles ont mis en évidence une activation et une connectivité anormales


au sein des systèmes postérieurs et périsylviens du langage dans l’hémi-
sphère gauche. L’incertitude persiste sur l’interprétation à donner
lorsque les résultats montrent chez les dyslexiques une incidence plus
grande que la normale de symétrie ou d’inversion de l’asymétrie habi-
tuelle (celle-ci étant caractérisée par des activations à prédominance
gauche pour les traitements phonologiques et syntaxiques). Deux hypo-
thèses explicatives sont explorées. Ces « anomalies » pourraient ren-
voyer à un développement défectueux de l’asymétrie anatomique entre
les hémisphères. Toutefois, selon les études récentes, les activations
dans l’hémisphère droit et/ou dans les régions frontales, supérieures à
celles enregistrées chez le normo-lecteur, seraient plutôt dues à des phé-
nomènes compensatoires. Ces activations « atypiques » refléteraient des
tentatives de compenser l’échec de mise en œuvre des processus auto-
matiques sous la dépendance des aires corticales postérieures gauches
(voir Démonet et al., 2004, pour une revue).
La dysorthographie développementale correspond à des troubles
d’apprentissage de la langue écrite apparaissant au début de la scolarité
chez des enfants normalement intelligents et indemnes d’atteinte sen-
sorielle ou motrice pouvant expliquer les difficultés. Dyslexie et dysor-
thographie sont fréquemment associées chez un même enfant mais des
troubles spécifiques de l’apprentissage de l’orthographe sont décrits.
La dysphasie de l’enfant, ou « trouble spécifique du langage », touche
le langage oral (Majerus et Zesiger, in Poncelet et al., 2009). Le diagnos-
tic est confirmé si les difficultés se maintiennent chez un enfant au-delà
de l’âge de 6 ans. Il en existerait différents types, mais la dysphasie se
caractérise principalement par des troubles phonologiques et morpho-
syntaxiques. Un dysfonctionnement de la boucle phonologique de la
mémoire de travail, fortement impliquée dans l’acquisition de nou-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

veaux mots, est souvent incriminé dans les difficultés d’apprentissage


du vocabulaire des enfants dysphasiques. Ces difficultés langagières
peuvent entraîner un certain « retrait social », ce qui en retour va limi-
ter les occasions de développer les compétences langagières.

2.2 La mémoire
Jusqu’à une date récente, les travaux consacrés à la neuropsychologie
de la mémoire chez l’enfant étaient peu nombreux. Ils ont d’abord
concerné le très jeune enfant et les processus mnésiques « de plus bas
niveau ». À quelques exceptions près, et même dans des pathologies
où les déficits de la mémoire sont fréquents et parfois handicapants
286 Manuel de neuropsychologie

comme l’épilepsie temporale ou les séquelles de traumatismes crâ-


niens, la description de ces troubles mnésiques est longtemps restée
à l’arrière-plan. Jambaqué et ses collaborateurs avaient pourtant sou-
ligné, dès 1993, la fréquence des troubles de mémoire dans l’épilepsie
temporale au moyen de la « Batterie d’efficience mnésique 144 », mise
au point par Jean-Louis Signoret (Jambaqué, in Hommet et al., 2005).
Ces auteurs ont montré que la mémoire verbale était perturbée dans les
épilepsies temporales gauches alors que les troubles prédominent en
mémoire visuelle dans les épilepsies temporales droites. Toutefois, la
conception du fonctionnement cognitif qui a longtemps prévalu était
un modèle global insistant davantage sur le retard mental (ou sur des
difficultés de raisonnement et de synthèse) que sur les troubles spéci-
fiques de la mémoire. Un changement radical est survenu à partir de la
fin des années 1990 et du début des années 2000.

2.2.1 Le syndrome amnésique de l’enfant


L’appellation de syndrome amnésique de l’enfant est préférable, dans
de nombreux cas, à celle d’amnésie développementale car la présence
de lésions cérébrales est clairement documentée dans la plupart des
observations publiées. Le qualificatif de développemental est plus
adapté dans les pathologies où la survenue d’une lésion acquise n’est
pas démontrée (Guillery-Girard et al., 2008).
Plusieurs cas d’enfants atteints d’amnésie développementale – ou
de syndrome amnésique de l’enfant – ont été décrits dans les années
1980 et 1990, mais c’est la publication de Vargha-Khadem et de ses col-
laborateurs en 1997 qui a mis ces syndromes sur le devant de la scène.
Cette étude porte sur trois enfants dont les lésions étaient survenues à
la naissance chez deux d’entre eux. Plusieurs observations de patients
ont été publiées depuis cette date. Ces enfants ont en commun d’avoir
développé un syndrome amnésique en relation avec des lésions précoces
de la formation hippocampique. Plusieurs points, qui méritent d’être
soulignés sur le plan clinique, ont de plus des conséquences théoriques
importantes qui guideront les recherches ultérieures chez l’enfant sain
comme chez l’enfant malade. Le premier est la découverte tardive, vers
l’âge de 5 ans par les parents et les enseignants, du syndrome amnésique
alors que les lésions étaient néonatales dans certains cas. Les parents se
sont alors étonnés de l’incapacité de leur enfant à retrouver son chemin
dans un environnement familier ainsi que d’une désorientation tempo-
relle et de la nécessité d’un rappel fréquent des rendez-vous. De plus, ces
enfants étaient incapables de faire des récits détaillés des activités de la
journée et des vacances. Ces troubles ont été ensuite objectivés au moyen
La neuropsychologie de l’enfant 287

de divers tests psychométriques. Les déficits de la mémoire épisodique


constatés dans la vie courante, comme dans les examens neuropsycho-
logiques, constituent le cœur du syndrome amnésique de l’enfant.
Les autres éléments notables du syndrome amnésique sont les capaci-
tés préservées chez ces enfants qui concernent l’efficience intellectuelle,
les compétences langagières (langage oral et écrit) et les connaissances
générales sur le monde. Le point le plus remarquable dans ces des-
criptions est la possibilité, pour ces enfants, d’acquérir de nouvelles
connaissances sémantiques alors que leur mémoire épisodique était
très déficitaire. Ainsi, Jon, l’un des 3 premiers cas publiés, maintenant
devenu adulte, a fait l’objet de nombreuses investigations depuis plus
de dix ans.
Jon bénéficie de l’aide procurée par la reconnaissance par rapport au
rappel libre mais aussi de l’effet de répétition de l’item (les performances
sont meilleures si le stimulus est présenté plusieurs fois) et d’un délai de
rétention court. Tous ces éléments indiquent que Jon améliore ses per-
formances dans des conditions qui favorisent la mise en œuvre d’une
restitution basée sur un sentiment de familiarité et donc de la mémoire
sémantique. De même, en électrophysiologie, lors de la réalisation de
ces tâches de reconnaissance, il n’a été mis en évidence qu’un type
d’onde (la composante N 400) caractéristique des processus de familia-
rité et non les composantes plus tardives qui témoignent des processus
de recollection. En outre, des investigations utilisant l’IRM fonction-
nelle suggèrent qu’un phénomène de plasticité cérébrale, chez Jon, a
permis la création d’un réseau cérébral différent de celui des témoins,
sous-tendant une forme primaire de mémoire épisodique, qualifiée
« d’événementielle » et reposant en partie sur la mémoire sémantique.
Cette réorganisation cérébrale, insuffisante pour assurer un fonc-
tionnement normal de la mémoire épisodique, pourrait expliquer la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

moindre sévérité de l’amnésie dans certaines tâches par rapport au syn-


drome amnésique survenant chez l’adulte.
Les enfants souffrant d’une épilepsie temporale (surtout si elle est
bilatérale) peuvent présenter des troubles mnésiques massifs.
La jeune patiente K.F. est particulièrement démonstrative à cet égard
(Martins et al., 2006). À l’âge de cinq ans, elle avait présenté un état de
mal épileptique dans un contexte fébrile et a développé ensuite une épi-
lepsie bi-temporale associée à une atrophie bi-hippocampique. À ses sept
ans, un bilan neuropsychologique avait mis en évidence des capacités
cognitives très déficitaires (QI de 60) mais un bon niveau de langage. Ses
capacités mnésiques étaient en revanche extrêmement limitées. Ainsi,
K.F. était incapable de reconnaître la pièce dans laquelle avait eu lieu
288 Manuel de neuropsychologie

l’évaluation et qu’elle venait de quitter. Elle a bénéficié d’une procédure


permettant de lui faire apprendre huit concepts nouveaux, distribuée
au cours de plusieurs sessions. L’apprentissage portait sur le nom du
concept (par exemple « macareux »), sa catégorie superordonnée (oiseau)
et trois caractéristiques spécifiques (il fait son nid dans des terriers de
lapin…). Plusieurs méthodes de facilitation ont été introduites telles que
la méthode d’apprentissage sans erreur et une méthode dite « d’estom-
page des indices », qui consiste à présenter les noms amputés d’abord
d’un (macar…), puis de plusieurs (mac…) phonèmes. Dans cette étude,
l’acquisition de ces nouveaux concepts et le souvenir épisodique cor-
respondant aux différentes sessions d’apprentissage ont été évalués de
façon concomitante. K.F. a acquis les nouveaux noms associés à leurs
catégories générales et à leurs caractéristiques spécifiques (encadré 36) et
cela, en dépit d’un oubli à mesure en mémoire épisodique.

Encadré 36
Acquisition de connaissances sémantiques dans l’amnésie
développementale (Bérengère Guillery-Girard)
Un paradigme original a été élaboré pour tester l’acquisition et la rétention
des connaissances ainsi que l’intervention potentielle de la mémoire épi-
sodique. L’apprentissage porte sur 8 concepts nouveaux (voir exemple)
comprenant un nom (macareux), une catégorie superordonnée (oiseau) et
trois caractéristiques spécifiques (l’endroit où vit le macareux, comment il se
reproduit et la couleur de son bec).
À gauche, les courbes montrent que la jeune patiente K.F. est capable
d’acquérir de nouveaux concepts, même si cet apprentissage reste inférieur
à celui d’un groupe contrôle.
La neuropsychologie de l’enfant 289

Ce résultat montre que l’on peut élaborer des procédures permet-


tant à ces enfants d’acquérir de nouveaux concepts. K.F. apprend sans
doute grâce à un mode « lent », et plus coûteux en termes cognitifs, qui
s’appuie sur les structures para-hippocampiques et néocorticales, assu-
rant la sémantisation d’informations extraites de leur contexte (Pitel et
al., 2009b). Sur un plan théorique, ces travaux s’intègrent à la position
forte de Tulving selon laquelle l’acquisition de connaissances séman-
tiques (l’encodage en mémoire sémantique) est possible sans recours
à la mémoire épisodique (la dimension hiérarchique du modèle SPI,
voir encadré 30, p. 242). Tout en la confortant, ces études amènent
à nuancer cette proposition. Les rétroactions proposées dans MNESIS
(voir encadré 31, p. 243) entre la mémoire épisodique et la mémoire
sémantique sont une façon de représenter l’apprentissage « rapide », ou
tout du moins une contribution à ce mode d’apprentissage, médiatisé
par le système hippocampique.

2.2.2 Le développement de la mémoire chez l’enfant

Les travaux sur les syndromes amnésiques de l’enfant ont ainsi permis de
mieux comprendre les interactions entre mémoire épisodique et mémoire
sémantique. Toutefois, au cours de la prime enfance, des formes moins
élaborées de mémoire se succèdent, en lien avec la maturation cérébrale.
Durant les deux premières années de vie, les compétences mnésiques
sont inférées à partir de certaines réponses comportementales en utili-
sant des paradigmes spécifiques pour les enfants de cet âge. En confor-
mité avec les hypothèses hiérarchiques du modèle SPI, les premières
manifestations mnésiques impliquent la mémoire implicite (terme uti-
lisé ici dans le sens de mémoire perceptive). Dès la naissance, cette forme
de mémoire sous-tendrait les capacités de discrimination de la voix de la
mère et de préférence pour la nouveauté. La tâche la plus fréquemment
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

utilisée est celle de l’identification progressive de dessins fragmentés.


L’effet d’amorçage est révélé par une identification plus facile des dessins
vus au préalable in extenso que des dessins nouveaux. Plusieurs études
s’accordent sur le fait que l’amplitude de cet effet varie peu, entre trois
ans et l’âge adulte, tout du moins pour du matériel simple.
Cette première forme de mémoire serait accompagnée, entre six et
douze mois, d’une forme de mémoire explicite qui n’aurait pas encore
toutes les caractéristiques de celle des adultes. Elle permettrait le rappel
conscient d’événements uniques et de courte durée et serait sollicitée dans
diverses épreuves de reconnaissance et d’imitation de séquences d’actions.
Ces tâches sont considérées comme sous-tendant un apprentissage
290 Manuel de neuropsychologie

à long terme, explicite, impliquant la mémoire déclarative. Elles ne


mettent pas en jeu la mémoire épisodique telle que nous l’avons défi-
nie précédemment. Les progrès portent ensuite sur l’accroissement du
délai de rétention, la complexité des séquences mémorisées, la flexibi-
lité de la mémorisation des informations. Endel Tulving et ses collabo-
rateurs (Wheeler et al., 1997) ont rappelé que c’est autour de huit mois
que le jeune enfant parvient à se représenter un objet et à agir sur le
monde qui l’entoure, au-delà de la perception première de cet objet, ce
qui correspond au stade piagétien de la permanence de l’objet. À par-
tir de cette étape, l’enfant est capable d’incrémenter des connaissances
sur le monde, fondements de sa mémoire sémantique. Cette évolution
correspond à l’émergence de la conscience noétique, puisque l’enfant
commence à manipuler des représentations et acquiert des capacités de
rappel pour certains types d’événements. Le terme de mémoire événe-
mentielle est parfois utilisé pour qualifier cette forme de mémoire qui
n’implique pas encore la conscience autonoétique. Celle-ci signifie que
le sujet est conscient qu’un événement a été vécu. Cette capacité de
reviviscence semble concomitante de la mise en place de la « théorie de
l’esprit », qui permet à l’enfant de distinguer ses états mentaux de ceux
d’autrui et de faire des inférences sur les connaissances d’autrui.
L’apparition du langage au cours de la seconde année permet l’uti-
lisation de paradigmes de plus en plus complexes. Les changements
les plus remarquables sont observés entre deux et six ans, et les capa-
cités continuent d’augmenter jusqu’en cours d’adolescence, comme le
montrent les performances aux épreuves de reconnaissance et de rappel
indicé. Toutefois, de nombreuses tâches n’impliquent que la mémori-
sation d’informations factuelles et ne peuvent être considérées comme
des épreuves de mémoire épisodique stricto sensu, puisque l’accès à des
représentations perceptives ou sémantiques suffit pour générer des
réponses correctes.
La distinction entre mémoire événementielle et mémoire épisodique
tient à la prise en compte de deux caractéristiques essentielles : les capa-
cités de rappel du contexte d’encodage et l’état de conscience asso-
cié à la récupération. Les capacités de rappel indicé et de rappel libre
continuent de progresser jusqu’à la fin de l’adolescence, en lien avec
la maturation des fonctions exécutives, qui favorisent la mémorisation
par la mise en place de stratégies efficaces. Dans de nombreux travaux,
la mémoire qui est étudiée chez les enfants pourrait être qualifiée de
episodic-like, comme dans les comportements observés chez certains
animaux. Elle n’est toutefois pas épisodique, au sens plein du terme,
puisque sa composante la plus spécifique, le sentiment de reviviscence
La neuropsychologie de l’enfant 291

de la situation d’encodage, n’est pas intégrée dans l’évaluation. La


conscience autonoétique semble être lente à émerger, puis à atteindre
ses compétences optimales. Ce concept va bien au-delà de l’acquisition
de la conscience de soi attestée par la reconnaissance dans le miroir. À
partir de quatre ans environ, la conscience de soi commence à s’étendre
au-delà du temps présent. De grandes quantités d’informations peuvent
alors être acquises, des scripts formés, des événements du passé encodés
et récupérés, mais l’accès à ces représentations se fait encore sans réelle
impression de reviviscence. À partir de l’âge de cinq ans, les enfants par-
viennent à distinguer l’origine de leurs représentations parmi plusieurs
sources internes ou externes et parviennent à différencier leurs propres
états mentaux de ceux des autres. Le paradigme Remember-Know (voir
chapitre 3, section 9), qui demande à l’enfant de décider s’il se sou-
vient vraiment de l’événement ou s’il sait seulement qu’il s’est produit,
peut être utilisé à partir de cet âge. Les travaux montrent que l’accès
aux représentations mnésiques est, au cours de la période scolaire, de
plus en plus fréquemment le fruit d’une véritable recollection (réponses
Remember) et de moins en moins celui d’un simple sentiment de fami-
liarité (réponses Know). L’implication de la mémoire sémantique serait
donc progressivement complétée par celle de la mémoire épisodique,
mais cette évolution est lente, débutant vers l’âge de quatre ans et se
poursuivant jusqu’à 14 ans au moins.
Dans certaines études qui évaluent la mémoire autobiographique,
l’enfant est invité à vivre pendant plusieurs minutes un événement
au déroulement standardisé, puis il est interrogé sur le souvenir qu’il
en a plusieurs jours après. Ces travaux soulignent la propension aux
distorsions de la mémoire chez le jeune enfant et la façon dont les
productions peuvent être influencées par le type de questions posées.
Trois périodes majeures sont distinguées dans le développement de la
mémoire autobiographique : l’amnésie infantile « proprement dite »,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« l’amnésie de l’enfance », puis la période où le fonctionnement de


la mémoire autobiographique se met en place progressivement jusqu’à
l’adolescence. L’amnésie infantile recouvre les deux premières années
de vie et est caractérisée par une absence quasi totale de souvenirs
autobiographiques. Les enfants évoquent des bribes de souvenirs, sous
forme d’actions, de comportements, de sentiments ou d’expériences
sensorielles isolés. Entre deux et six ans, période de « l’amnésie de
l’enfance », les enfants fournissent peu de souvenirs et relatent le passé
essentiellement en réponse aux sollicitations des adultes. Des événe-
ments uniques du passé peuvent être évoqués, mais les narrations sont
centrées sur les faits et comportent peu de détails spécifiques. Entre sept
292 Manuel de neuropsychologie

et dix ans, les enfants rappellent des souvenirs assez riches, mais encore
incomplets. Si les activités et le thème général de l’action sont presque
toujours mentionnés, les autres informations (personnes présentes et
contexte spatio-temporel) le sont beaucoup plus rarement. Plus préci-
sément, la capacité à appréhender le temps implique de nombreuses
habiletés, lentes à atteindre leur niveau de fonctionnement optimal et
opérationnelles seulement à l’adolescence.
Les recherches cognitives sur le développement des capacités
mnésiques ont ainsi permis d’en préciser le décours, révélant la transi-
tion de processus implicites vers des processus explicites, et du rappel
de connaissances à celui de souvenirs. Les travaux récents révèlent que
la mémoire épisodique testée « en laboratoire » et la mémoire autobio-
graphique ne sont pas parfaitement fonctionnelles avant l’adolescence,
en lien vraisemblablement avec la maturation des lobes frontaux. Les
travaux d’imagerie cérébrale structurale apportent une dimension nou-
velle en permettant de préciser les trajectoires développementales de la
substance grise et de la substance blanche. Cette maturation se poursuit
tardivement, pendant l’adolescence et au-delà. Au moins pour la subs-
tance grise, les études s’accordent sur une évolution non linéaire avec
un profil de développement différent selon la région considérée. Ces
travaux, associés à ceux très récents d’imagerie fonctionnelle, devraient
nous aider à comprendre les liens entre développement cérébral et déve-
loppement cognitif. De plus, l’implication de différents paramètres phy-
siologiques, comme les modifications hormonales et neurochimiques,
tout particulièrement au cours de l’adolescence, donne lieu actuelle-
ment à de nombreux travaux. Il s’agit d’un secteur en plein essor qui
devrait connaître de multiples applications.

2.3 L’attention et les fonctions exécutives


Un domaine qui a connu également un grand développement depuis
10 ans est celui des troubles de l’attention et du fonctionnement exé-
cutif.

2.3.1 Les troubles visuoattentionnels


La perception visuelle et l’orientation de l’attention dans l’espace visuel
jouent un rôle fondamental dans le développement cognitif. Cette
place, en comparaison de celle reconnue au langage, n’a été prise en
compte qu’assez récemment. Les liens entre les difficultés de percep-
tion visuelle ou les troubles de l’attention visuospatiale et le risque de
La neuropsychologie de l’enfant 293

retard scolaire ou la survenue de véritables difficultés d’apprentissage


de la lecture sont pourtant maintenant établis (pour une revue, voir
Vilayphonh et al., 2009). Cette équipe est à l’origine de la première
batterie d’évaluation de la cognition visuelle chez le jeune enfant. Elle
comprend principalement un test de poursuite visuelle, de mémoire
visuelle des formes et des lettres, des épreuves classiques de barrages,
de figures enchevêtrées et de bissection de ligne, et une évaluation du
traitement visuel de scènes (histoires en images). L’outil permet de
dépister différents troubles neurovisuels (d’origine neurologique et non
périphérique, auquel cas on parle de trouble ophtalmologique) qu’un
examen neuropsychologique approfondi permet ensuite de caractéri-
ser : déficit du champ visuel, simultagnosie, ataxie optique, troubles de
l’orientation volontaire du regard, de la poursuite, de la stratégie d’explo-
ration visuelle ou encore de la mémoire visuelle. Ceux-ci doivent être
diagnostiqués, avec une recherche de la cause neurologique, de façon à
proposer une prise en charge spécifique.
En dehors de cette batterie, plusieurs outils expérimentaux et/ou cli-
niques classiques dans l’évaluation de l’attention chez l’adulte ont été
adaptés à l’enfant.
Le Test d’évaluation de l’attention chez l’enfant (TEA-Ch, Manly et
al., 2004) est un outil de diagnostic qui est conçu pour distinguer les
aspects d’attention soutenue, d’attention focalisée (ou sélective) et le
contrôle attentionnel.
L’Attentional Network Test (ANT) a été mis au point à partir du para-
digme d’orientation de l’attention visuelle par indiçage (Posner ; voir
encadré 27, p. 196). C’est une tâche attentionnelle visuomotrice qui
permet de mesurer indépendamment les trois fonctions majeures du
système attentionnel :
1. production et maintien d’un état de vigilance (ou alerte) ;
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

2. orientation vers les informations sensorielles ;


3. contrôle exécutif des tâches cognitives (c’est-à-dire l’attention exé-
cutive, incluant la capacité de gestion des conflits cognitifs).
La version de l’ANT adaptée à l’enfant, dans laquelle les flèches ont
été remplacées par des poissons, permet tout particulièrement d’évaluer
la capacité à résoudre des conflits : cette capacité se développe entre 2 et
7 ans puis connaît une phase en plateau. Ces travaux ont débouché sur la
mise au point d’une méthode d’entraînement informatisé de l’attention
pour le jeune enfant. Posner et son équipe ont ciblé l’âge préscolaire de
4 ans, car il correspond à une période critique du développement, et ont
choisi d’entraîner spécifiquement la gestion de conflit, car c’est à leurs
294 Manuel de neuropsychologie

yeux un aspect important de l’attention exécutive, elle-même au centre


du développement cognitif. Un entraînement bref de 5 jours chez des
enfants normaux de 4 ans aurait un effet positif sur une mesure globale
d’intelligence (voir Tang et Posner, 2009, pour une revue).
Le Test de barrage des nounours, analogue au Test de barrage des
cloches présent dans toute évaluation de l’attention visuospatiale chez
l’adulte (voir chapitre 3, section 6), a été élaboré et étalonné par Laurent-
Vannier et al. (2003) ; il permet la mise en évidence et la mesure de
troubles d’héminégligence chez l’enfant dès 2 ans.

2.3.2 Les troubles des fonctions exécutives


Même si la maturation du cortex frontal est particulièrement tardive,
une atteinte précoce peut occasionner un dysfonctionnement exécutif.
Ces troubles sont étudiés dans le contexte de lésions consécutives à un
traumatisme crânien, en lien avec l’épilepsie ou encore dans le trouble
déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité. Trois catégories de
difficultés cognitives sont distinguées, selon les modèles de référence
pour le fonctionnement exécutif : les difficultés de planification, de
flexibilité mentale et d’inhibition.
Les outils d’évaluation de ces trois composantes majeures du fonc-
tionnement exécutif sont principalement des adaptations des tests mis
au point pour l’adulte (voir Roy et al., in Hommet et al., 2005, pour une
revue). L’inhibition est évaluée avec le test de Stroop et ses variantes,
ainsi que les tâches de go/no go, la résolution de problèmes et la planifi-
cation, avec la figure de Rey et la Tour de Londres, et la flexibilité cogni-
tive au moyen du Wisconsin Card Sorting Test et du Trail Making Test.
La BADS-children (Emslie et al., 2003) a été élaborée pour solliciter ces
différentes composantes des fonctions exécutives dans des situations
qui miment celles de la vie quotidienne de l’enfant et en privilégiant
l’aspect ludique.

2.4 Le calcul
La dyscalculie développementale se définit comme un trouble de
l’apprentissage de l’arithmétique (calcul et traitement des nombres ;
voir chapitre 3, section 3 et encadré 23, p. 170) qui apparaît chez un
enfant ayant une intelligence normale et qui a bénéficié d’une scola-
rité appropriée ainsi que d’un contexte social équilibré, sans trouble
sensoriel pouvant expliquer le trouble d’acquisition. Environ 5 % des
enfants d’âge scolaire souffriraient d’un tel trouble développemental de
l’apprentissage de l’arithmétique (Pesenti et Seron, 2000).
La neuropsychologie de l’enfant 295

On rencontre une dyscalculie développementale, associée ou non à


d’autres troubles cognitifs (du langage, du traitement de l’espace, de
l’attention…), dans différentes pathologies d’origine génétique comme
le syndrome de Williams, le syndrome de l’X fragile ou le syndrome de
Turner (voir infra). S’il existe certainement des facteurs environnemen-
taux, l’implication des facteurs génétiques est soulignée par le fait que
si un des jumeaux d’une paire homozygote est affecté, l’autre l’est dans
environ 70 % des cas (Dehaene et al., 2004).
Selon l’équipe de Dehaene, le déficit primaire serait une perturbation
de la perception des nombres, en lien avec un développement anor-
mal du lobe pariétal (voir chapitre 3, section 3 pour l’implication de la
région intrapariétale dans le calcul).

2.5 Les praxies


La dyspraxie est un trouble de la conceptualisation, de la planification,
et de la coordination volontaire des séquences de gestes orientées vers
un but ; elle affecte 2 à 10 % des enfants d’âge scolaire. Comme pour
les autres troubles neurodéveloppementaux, le diagnostic doit exclure
l’existence de troubles moteurs ou sensoriels élémentaires, de déficience
intellectuelle, de troubles de la relation ou communication, d’une lésion
cérébrale, etc., ou de carence éducative.
L’évaluation repose sur des tests des praxies gestuelles motrices (imi-
tation de séquences de mouvements), idéomotrices (imitation de pos-
tures digitales ou manuelles), idéatoires (manipulation d’objets) et
constructives (reproduction de modèles avec cubes, reproduction gra-
phique de figures). L’encadré 37 souligne les insuffisances en matière de
modèles de référence ainsi que les liens entre trouble d’acquisition de la
coordination (TAC) et dyspraxie de développement.
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Encadré 37
La dyspraxie développementale
(Orianne Costini, Arnaud Roy et Didier Le Gall)
La dyspraxie est un trouble neurodéveloppemental qui entrave l’exécution
et l’automatisation des gestes volontaires, qui affecterait 2 à 10 % des enfants
âgés de 5 à 12 ans (4 garçons pour 1 fille). La dyspraxie ne possède pas de sta-
tut propre au sein des manuels diagnostiques classiquement utilisés, mais
est référencée comme « handicap » par la Maison départementale des Per-
sonnes handicapées (circulaire interministérielle du 31-1-2002).
À
296 Manuel de neuropsychologie

INCLUSION EXCLUSION
ß Trouble durable de la ß Troubles moteurs ou sensoriels
conceptualisation, de la planification, élémentaires
et de la coordination volontaire ß Déficience intellectuelle
− des séquences de mouvements qui ß Troubles de la relation ou
sont nécessaires pour réaliser une communication
action nouvelle, orientée vers un
ß Affection médicale générale (IMC,
but précis,
lésion cérébrale, ...)
− et qui permettent une interaction
adéquate avec l’environnement. ß Carences pédagogiques

Définition et critères d’inclusion et d’exclusion


de la dyspraxie développementale
L’étiologie neurologique de la dyspraxie est peu renseignée, le caractère
invasif de l’imagerie fonctionnelle (TEP ou SPECT) contribuant à limiter
les études. Les quelques données disponibles rendent compte d’anoma-
lies du « cerveau en action », avec notamment un hypométabolisme dans
les régions pariétales lors de la réalisation d’une tâche comprenant une
séquence motrice gestuelle. L’existence de facteurs pré et périnataux
(anoxie, hypoxie, brève souffrance cérébrale, prématurité) est discutée par
ailleurs (e.g. Gibbs et al., 2007).

Trouble constructif dans une copie de la Figure de Rey par un enfant


de 9 ans diagnostiqué « dyspraxique » et ne présentant pas de perturbation
des gnosies visuelles et spatiales ni de trouble exécutif par ailleurs.

Le Trouble d’Acquisition de la Coordination (ou TAC) est défini selon les cri-
tères diagnostiques du DSM-IV (tableau infra). Une conférence de consensus
internationale en 1994 (Polatajko, Fox et Missiuna, 1995) préconise l’adop-
tion de ce terme pour décrire les enfants avec troubles de la coordination
motrice importants. La conception du TAC demeure toutefois probléma-
tique de par sa dimension athéorique, le manque d’opérationnalisation des
critères diagnostiques, et l’absence de notion de durabilité des troubles.
À
La neuropsychologie de l’enfant 297

Â
A. Les performances dans les activités de la vie quotidienne nécessitant une bonne coordination motrice
sont nettement au-dessous du niveau escompté compte tenu de l’âge chronolog ique du sujet et de son
niveau intellectuel.
B. Interférence significative avec la réussite scolaire ou les activités de vie courante.
C. La perturbation n’est pas due à une affection médicale générale et ne répond pas aux critères de
Trouble Envahissant du Développement.
D. S’il existe un retard mental, les difficultés motrices dépassent celles habituellement associées à celui-ci.

Critères diagnostiques du Trouble d’Acquisition


de la Coordination selon le DSM-IV

Un débat persiste concernant l’assimilation ou non de la dyspraxie au TAC


(e.g. Polatajko et Cantin, 2005). Les distinctions et dissociations possibles
entre praxies et simple coordination motrice (Tableau 1) invitent toutefois à
distinguer ces deux entités cliniques.

Tableau 1 – Praxies versus Coordination motrice


PRAXIES COORDINATION MOTRICE

Repose sur les « gestes » = ensemble de mouvements Repose sur le « mouvement » = sous la commande
permettant la réalisation d’un projet moteur finalisé motrice des muscles, pré-câblée génétiquement
(avec ou sans signification)

Apprentissage explicite avec engrammation cérébrale Maturation naturelle des systèmes sensori-moteurs (via
stimulation, entrainement)
= inscription cérébrale d’une pré-organisation de
l’action (spécifiquement humain ; dimension culturelle) Niveau 1 : motricité pré-câblée et capacités
antigravitaires

Niveau 2 : interactions patrimoine génétique


et expériences

Configuration inédite explicitement apprise Patrons de coordinations

Action programmée Action régulée

Au niveau de la conception et planification du projet Au niveau de la commande et la régulation de la


moteur réalisation gestuelle
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Augmentation quantitative et qualitative du répertoire Développement psychomoteur par stades


des gestes de communication et d’interaction avec les
objets

Maturation dans l’ensemble des activités de la vie Coordination motrice fonctionnelle vers 4 ans
quotidienne et scolaire vers 11 ans

Les études de neuro-imagerie indiquent des anomalies du fonction-


nement des zones pariétales lors de la réalisation de séquences de gestes
moteurs.
298 Manuel de neuropsychologie

3. Les syndromes neurodéveloppementaux

Les syndromes qui représentent les causes les plus fréquentes de troubles
cognitifs chez l’enfant sont en premier lieu l’épilepsie, le trouble défi-
citaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, l’autisme et les syn-
dromes génétiques.

3.1 L’épilepsie
L’épilepsie recouvre plusieurs formes mais qui ont toutes un même
mécanisme sous-jacent, qu’elles soient associées ou non à des lésions
structurales : une anomalie du fonctionnement d’une population
de neurones (décharge épileptique) provoque une crise épileptique
(quelquefois cette décharge épileptique n’est objectivée qu’à l’électro-
encéphalographie sans traduction dans le comportement). Dans la
moitié des cas, l’épilepsie apparaît avant l’âge de 12 ans, avec une inci-
dence qui va en diminuant avec l’âge. On distingue classiquement trois
principales formes d’épilepsie chez l’enfant (voir Poncelet et al., 2009,
pour revue) :
1. l’épilepsie symptomatique, qui se définit par la présence de lésions
mises en évidence par la neuro-imagerie (accident vasculaire céré-
bral, tumeur, dysplasie corticale…) ;
2. la forme cryptogénique, où une lésion peut être suspectée sur la
base de la présence de troubles cognitifs et autres manifestations
cliniques mais n’est pas objectivée ;
3. l’épilepsie idiopathique, qui concerne plus d’un tiers des épi-
lepsies de l’enfant puis disparaît à l’adolescence, serait d’origine
génétique. En fait, cette catégorie d’épilepsie sans cause identi-
fiable renvoie elle-même à plusieurs formes : épilepsie-absence,
partielle-idiopathique, syndrome POCS et syndrome de Landau-
Kleffner.
Les troubles cognitifs les plus fréquents intéressent la mémoire,
comme nous l’avons exposé plus haut dans la section consacrée au
développement mnésique, et le langage. Concernant les troubles du
langage, ils sont au cœur du tableau du syndrome de Landau-Kleffner.
Il s’agit d’une aphasie acquise en lien avec l’épilepsie : les difficultés
sévères de compréhension du langage dans la modalité auditive, qui
vont retentir sur l’ensemble de la communication verbale, contrastent
La neuropsychologie de l’enfant 299

avec un développement intellectuel normal dans la sphère non verbale


et sont associées avec une épilepsie dans la plupart des cas.
Le traitement de l’épilepsie chez l’enfant est souvent chirurgical :
il s’agit de prévenir les conséquences délétères de l’activité épilep-
tique fréquente et sévère sur le développement cérébral et cognitif.
À ces risques s’ajoutent ceux liés aux médicaments anti-épileptiques
eux-mêmes. Dans les épilepsies focales il est en effet possible de sup-
primer par la chirurgie le tissu-foyer d’origine de l’épilepsie ou bien
d’empêcher la propagation de la décharge épileptique à l’hémisphère
sain en ôtant l’hémisphère siège de la lésion (hémisphérectomie) ou
en l’isolant de l’hémisphère sain (commissurotomie ; voir chapitre 3,
section 7).

3.2 Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans


hyperactivité
Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH
et TDA) est un trouble neurodéveloppemental qui touche environ 5 %
de la population d’âge scolaire, une incidence qui est comparable à
celle des dyslexies/dysorthographies de développement. Les premiers
signes cliniques apparaissent aux environs de la 4e année, mais c’est au
début de la scolarité que les comportements perturbateurs deviennent
patents. Trois principaux types de TDA/H sont actuellement distingués
(DSM-IV) : un tableau clinique où prédominent l’impulsivité et l’hyper-
activité, un tableau où le trouble de l’attention est prédominant, et un
tableau mixte avec hyperactivité et inattention.
Les déficits cognitifs et les difficultés fonctionnelles du TDA/H sont
moins bien compris que ceux qui affectent le langage. L’approche
neuropsychologique se révèle indispensable pour rechercher d’une
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

part, un déficit de l’attention et son éventuel retentissement sur


d’autres fonctions cognitives, en particulier sur la mémoire et, d’autre
part, l’association à des troubles des apprentissages, en particulier
du langage écrit. En effet, 30 % des enfants chez qui le diagnostic
de TDA/H est établi ont des troubles spécifiques de l’apprentissage
associés, parmi lesquels près de un sur quatre souffre d’une dyslexie-
dysorthograhie.
Au plan théorique, plusieurs hypothèses neuropsychologiques sont
envisagées. La plus influente est celle d’un déficit primaire touchant
les capacités d’inhibition (Barkley, 1997) et qui retentirait sur les fonc-
tions exécutives, en particulier la mémoire de travail et l’autorégulation
300 Manuel de neuropsychologie

de la vigilance et de la motivation. Un dysfonctionnement frontal est


incriminé dans ces perturbations du fonctionnement exécutif, mais
cette hypothèse rendrait compte surtout du type de TDA/H avec trouble
d’impulsivité/hyperactivité.

3.3 L’autisme et les troubles du spectre autistique


D’un point de vue clinique, l’autisme se définit par la présence chez
l’enfant de signes, plus ou moins nombreux, se rattachant aux trois
domaines distingués par le DSM-IV-TR (2000) et l’ICD-10 (1993) : « res-
triction des comportements sociaux », « restriction de la communica-
tion » et « comportements répétitifs et intérêts restreints ».
Les troubles du spectre autistique affectent approximativement un
enfant ou adolescent sur cent. Mottron (in Poncelet et al., 2009) sou-
ligne la grande hétérogénéité des profils cliniques que recouvre ce diag-
nostic, et qui se manifeste sur plusieurs dimensions, en particulier le
niveau intellectuel et le degré d’autonomie atteints par ces personnes. Il
faut donc parler de « spectre de l’autisme », plutôt que d’autisme, et dis-
tinguer 5 sous-types qui selon l’auteur relèveraient d’une continuité :
autisme de bas niveau, autisme de haut niveau, syndrome d’Asperger,
autisme savant et enfin « trouble envahissant du développement non
spécifié ». Aucune classification n’est consensuelle et le DSM-V qui
va paraître ne distingue plus l’autisme de haut niveau du syndrome
d’Asperger.
Un échantillon d’une centaine d’adolescents autistes a fait l’objet
récemment d’une analyse approfondie des forces et faiblesses sur
le plan cognitif (Charman et al., 2011). La batterie couvre 6 grands
domaines cognitifs : théorie de l’esprit, traitement des visages/émo-
tions, fonctionnement exécutif, traitement perceptif, mémoire et atten-
tion, et « cohérence centrale » (c’est-à-dire les capacités de synthèse
perceptive). Les auteurs soulignent sur la base de la littérature et de
leurs propres résultats que plusieurs idées couramment admises doivent
être revues à la lumière des travaux des 20 dernières années, qui ont
conduit à reconnaître l’hétérogénéité étiologique, comportementale et
cognitive. Environ 50 % de ces personnes (et pas 75 %) ont une défi-
cience intellectuelle au sens d’un QI ≤ 70. Les scores s’étendent dans
leur échantillon de 50 à 130 (une efficience intellectuelle inférieure à
50 rend impossible l’évaluation cognitive telle que prévue). Non seule-
ment le profil de supériorité du quotient intellectuel verbal (QIV) sur le
quotient intellectuel de performance (QIP) n’est pas retrouvé mais c’est
La neuropsychologie de l’enfant 301

plutôt l’équilibre qui est la règle générale. Les auteurs critiquent aussi la
démarche qui consiste à exclure les comorbidités alors que celles-ci font
partie du syndrome ; elles concernent en effet une personne sur trois.
L’étude conclut que « les troubles du spectre autistique sont rencontrés
aussi bien chez des individus ayant un QI faible qu’élevé, sont associés
avec des profils d’habiletés cognitives très variés, difficiles à caractériser,
et peuvent aussi être associés à un développement langagier retardé »
(p. 13).
Ces publications majeures et récentes mettent en exergue la place
passée, présente et future des outils théoriques et méthodologiques de
la neuropsychologie cognitive, avec ceux de la psychologie du dévelop-
pement. Il s’agit de comprendre ce qu’est l’autisme bien sûr, et aussi de
contribuer à établir les évaluations du fonctionnement cognitif qui per-
mettront de cibler les remédiations les plus appropriées. De plus, l’éva-
luation cognitive détaillée (et pas seulement la mesure de l’efficience
intellectuelle globale) pourrait améliorer la démarche diagnostique. Le
diagnostic repose en effet actuellement sur le recueil d’informations
comportementales et ayant trait au développement de l’individu ; les
mesures cognitives sont moins susceptibles d’être influencées par des
facteurs situationnels – comment l’enfant se sent ce jour-là, et comment
il se comporte dans un scénario social particulier – et sont beaucoup
plus faciles à coter et objectives que l’observation du comportement de
l’enfant (Charman et al., 2011).
L’encadré 38 illustre l’apport de l’étude des anomalies des poten-
tiels évoqués cognitifs pour comprendre la physiopathogénie et les
déficits sous-jacents aux troubles de la cognition sociale du spectre
autistique.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Encadré 38
Les mécanismes neurofonctionnels de la reconnaissance
des émotions faciales dans les troubles autistiques :
apport des potentiels évoqués cognitifs
(Galina Iakimova, Solange Mardaga, Sylvie Serret)

Les potentiels évoqués cognitifs offrent la possibilité d’étudier l’inscription


cérébrale des anomalies de la cognition sociale que l’on observe chez les
personnes autistes dans plusieurs domaines : la perception des émotions
faciales, la capacité d’attribuer une intentionnalité et des états mentaux
à autrui (théorie de l’esprit) et la compréhension de situations sociales. Une
À
302 Manuel de neuropsychologie

Â
exploration systématique de ces mécanismes constitue un enjeu
actuel pour la compréhension de la physiopathogénie de ces troubles
neurodéveloppementaux mais aussi pour mieux définir les cibles poten-
tielles et des stratégies psychoéducatives et de remédiation des troubles de
la cognition sociale dans l’autisme.
Les troubles de la compréhension des émotions faciales par les personnes
avec autisme contribuent directement à leurs troubles de la communica-
tion. La réduction de l’attention portée aux visages que l’on observe dès
le plus jeune âge chez les enfants avec autisme (Dawson et al., 2004)
entrave le développement et la spécialisation des circuits neuronaux
dédiés au traitement des visages et des émotions. Au niveau neurocogni-
tif, ces difficultés se traduisent par des anomalies de l’amplitude et de la
modulation des composantes des potentiels évoqués cognitifs sensibles
à l’attention portée à l’exploration du visage humain et aux émotions
faciales.
La composante occipito-temporale, P100 (figure 1a), est enregistrée sur
les régions occipito-temporales et son amplitude est maximale entre 100
et 120 ms après la perception d’un stimulus. L’amplitude de la P100 est
augmentée lorsque les stimuli ont une valence émotionnelle, en parti-
culier négative (ex. expressions faciales de peur). Cette augmentation
de l’amplitude de la P100 enregistrée sur les cortex sensoriels refléterait
l’amplification de l’allocation automatique de l’attention aux stimuli de
valence négative dès les stades les plus précoces du traitement visuel pen-
dant lesquels les cortex sensoriels reçoivent des stimulations de l’amyg-
dale au moyen de leurs relations bidirectionnelles (Vuilleumier et Pourtois,
2007). Les personnes autistes présentent des anomalies de l’amplitude de
cette composante (Batty et al., 2011), en particulier pour les émotions de
peur ainsi que des anomalies de l’activation des générateurs (Wong et al.,
2008).
La composante P100 est suivie d’une seconde composante occipito-
temporale, d’amplitude négative, qui se développe entre 150 et 200 ms
post-stimulus : la N170 (figure 1a) serait spécifiquement associée au trai-
tement des visages humains et résulterait de l’activation des circuits
cérébraux spécialisés dans ce traitement dans le cortex inféro-temporal
(Bentin et al., 1996). En référence au modèle de Bruce et Young (enca-
dré 25, p. 182), l’amplitude de cette composante refléterait l’étape de
catégorisation et d’exploration configurationnelle des visages (pour une
revue, voir Rossion et Jacques, 2011). Plusieurs études ont montré que les
personnes autistes présentaient une perturbation de l’étape de l’explora-
tion configurationnelle des visages et, par conséquent, une réduction de
l’amplitude de la composante N170, en particulier pour les émotions néga-
tives (Akechi et al., 2010 ; figure 1b).
À
La neuropsychologie de l’enfant 303

Â
(a)

Enfants Enfants
typiques avec autisme typiques avec autisme

(b) (c)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Figure 1 – Modulation de l’amplitude des composantes P100 et N170


par la présence ou non d’une émotion faciale exprimée par le visage
modèle (Radbout Database, Langner et al., 2010)
a) L’amplitude de la composante P100 est plus élevée (plus positive)
lorsque le modèle exprime une émotion de peur (tracé rouge) que lorsqu’il
exprime un visage neutre (tracé noir). De même, l’amplitude de la compo-
sante N170 est plus élevée (plus négative) lorsque le modèle exprime une
émotion de peur que lorsqu’il s’agit d’un visage neutre (tracé noir).
b) et c) Amplitude et localisation sur la partie postérieure
(occipito-temporale) des pics des composantes P100 (b) et N170 (c) : les
personnes avec autisme présentent une réduction des amplitudes des pics
de ces deux composantes par comparaison aux personnes avec un dévelop-
pement typique (Iakimova et al., 2012).
À
304 Manuel de neuropsychologie

Â
Certains travaux suggèrent que l’attention portée aux visages, en particu-
lier aux émotions faciales, ainsi que les stratégies d’exploration des visages
pourraient être améliorées par des programmes d’entraînement spécifique
destinés aux personnes avec autisme et que cette amélioration se traduirait
par une normalisation des composantes des potentiels évoqués (Iakimova
et al., 2012). En outre, l’engagement dans des interactions sociales augmente
l’expérience avec la confrontation d’expressions faciales variées dès le plus
jeune âge et permet de mobiliser la maturation de circuits neurocognitifs
nécessaires au développement de la capacité de reconnaissance faciale des
émotions (Dawson et al., 2004). Grâce à leur sensibilité à la plasticité des
mécanismes cérébraux suscités par l’apprentissage (Kujala et Näätänen,
2010), les potentiels évoqués pourraient à terme fournir des marqueurs
fonctionnels de l’amélioration des processus de traitement des émotions
potentiellement provoquée par ces remédiations.

3.4 Les pathologies génétiques


Plusieurs syndromes génétiques sont causes de troubles cognitifs.
Le syndrome de Turner concerne les filles uniquement et s’accompagne
de troubles cognitifs modérés. Le syndrome de l’X fragile, chez les gar-
çons, est caractérisé par un retard mental et des troubles d’hyperactivité
et d’attention. Le retard mental est associé généralement à des troubles
langagiers importants ; toutefois, l’étude comparée de deux autres syn-
dromes génétiques, le syndrome de Williams et la trisomie 21, ques-
tionne l’idée selon laquelle les processus cognitifs généraux seraient un
prérequis de l’acquisition du langage. En effet, les enfants atteints du syn-
drome de Williams présentent une dissociation marquée entre langage
et niveau cognitif : ils atteignent généralement une maîtrise du langage
bien meilleure que celle attendue compte tenu de leur niveau de dévelop-
pement cognitif (la plupart présentent un net retard mental, avec des QI
entre 40 et 50). Les enfants trisomiques montrent quant à eux un déve-
loppement langagier plus en accord avec leur niveau cognitif global.

4. Spécificités de l’évaluation et de la prise


en charge

4.1 L’examen neuropsychologique de l’enfant


La neuropsychologie de l’enfant s’est dotée d’outils d’évaluation spéci-
fiques (Noel, 2007) : plusieurs ont déjà été présentés dans cette section.
La neuropsychologie de l’enfant 305

La NEPSY (Korkman et al., 2012) a été adaptée en français. C’est un


bilan complet du développement neuropsychologique de l’enfant de 3
à 12 ans. Il couvre l’ensemble de la sphère cognitive et permet d’abor-
der un large spectre de perturbations : les difficultés d’apprentissage, les
déficits attentionnels, le retard mental ainsi que les conséquences neuro-
psychologiques acquises après un traumatisme crânien, une lésion ou
une maladie du cerveau, ou présentes dans les syndromes génétiques.
Les épreuves ont été conçues de façon à fournir les éléments indispen-
sables à la mise en place d’une rééducation ou d’une remédiation (péda-
gogie adaptée ; voir encadré 34, p. 276), en permettant notamment
de délimiter les capacités préservées et perturbées chez l’enfant pour
chaque grand domaine : langage, mémoire et apprentissage, attention
et fonctions exécutives, sensorimotricité et traitements visuospatiaux.

4.2 La prise en charge des troubles


neuropsychologiques de l’enfant
Une prise en charge vise un changement, et lorsqu’elle s’adresse à un
enfant, c’est dans un contexte où l’architecture fonctionnelle et les
réseaux neuronaux qui la sous-tendent sont en cours d’édification et
où ces composantes « bougent », probablement en interaction. Or, la
plupart des modèles de cette architecture ne prennent pas en compte
la dynamique développementale des fonctions cognitives. Le champ
des dyslexies développementales, le plus avancé aujourd’hui, permet
d’illustrer les spécificités et limites, théoriques et méthodologiques, des
prises en charge chez l’enfant.

4.2.1 Le manque de références théoriques pertinentes


La référence aux modèles à double voie de la lecture et de l’écriture (voir
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

encadré 7, p. 59) pour établir le profil cognitif de l’enfant dyslexique est


insatisfaisante, car ce sont des modèles du système cognitif du lecteur
expert et ils ne rendent pas compte de l’ontogenèse des processus en
jeu. Ce recours aux modèles neuropsychologiques de l’état mature est
cependant jugé le plus approprié car ils sont plus précis que les modèles
développementaux en ce qui concerne les différentes composantes
cognitives (Valdois, 2001).
Ce manque de références théoriques pertinentes pose particulière-
ment problème lorsqu’une rééducation doit être entreprise. La première
étape de « diagnostic cognitif » (voir chapitre 7) doit permettre de déter-
miner pour chaque enfant l’origine des difficultés d’apprentissage de la
306 Manuel de neuropsychologie

lecture et/ou de l’écriture. Il est maintenant admis qu’il existe plusieurs


formes de dyslexies développementales, avec des déficits cognitifs sous-
jacents différents, et qu’un traitement unique applicable à tous les cas
n’existe pas (voir l’ouvrage de Valdois et al., 2004). L’évaluation initiale
doit donc guider le choix de la méthode rééducative la plus appropriée
à chaque cas.

4.2.2 Le « déficit primaire » et ses différentes conséquences


Si une première composante de l’architecture fonctionnelle ne se met
pas en place – déficit primaire –, cela peut empêcher l’établissement
d’autres composantes dont le développement dépend de la mise en
place de cette première composante – déficit secondaire. Ainsi, comme
le soulignent Valdois et de Partz (2000), d’une part les inférences faites à
partir de l’analyse des performances de l’enfant sont moins directes que
celles basées sur l’évaluation de l’adulte, et d’autre part un même défi-
cit primaire n’entraînera pas les mêmes troubles chez l’enfant et chez
l’adulte.
Un déficit primaire peut retarder l’acquisition d’autres mécanismes
cognitifs. Il est important de pouvoir distinguer un retard d’apprentis-
sage et une déviance due à un déficit cognitif. L’approche habituelle
considère que l’on a affaire à un simple retard d’acquisition lorsque
l’enfant obtient des performances similaires à celles d’un enfant normo-
lecteur plus jeune, tandis qu’on parlera de déviance si les performances
se distinguent clairement de celles d’enfants plus jeunes et ne corres-
pondent à aucun profil développemental normal.
Valdois (2001) relève les limites de cette définition et propose de par-
ler de retard en cas de développement lent, le suivi devant montrer
alors que les difficultés s’atténuent avec le temps, et de réserver le terme
de déviance aux cas de handicaps à long terme.

4.2.3 Le dépistage et la prise en charge cognitive des troubles


de l’acquisition de l’écrit
Il est unanimement reconnu que le dépistage des troubles spécifiques
d’apprentissage de l’écrit est trop tardif. Une batterie de dépistage rapide
et de suivi des enfants dyslexiques est disponible (Jacquier-Roux et al.,
2005) ; elle a été conçue pour être utilisée par des professionnels formés
à l’approche de la neuropsychologie cognitive (psychologues, ortho-
phonistes et médecins). L’Outil de DÉpistage des DYSlexies (ODEDYS)
est basé sur l’approche de la neuropsychologie cognitive, c’est-à-dire
qu’il fait référence au modèle de lecture à deux voies pour déterminer
La neuropsychologie de l’enfant 307

les processus de lecture fonctionnels ou dysfonctionnels. L’examen, de


passation rapide (moins de 30 minutes), comprend un nombre restreint
d’épreuves qui permettent d’évaluer le niveau d’orthographe et de lec-
ture ainsi que les capacités métaphonologiques de mémoire verbale à
court terme et de traitement visuel. En cas de difficultés, il permet de
préciser si celles-ci concernent plutôt la procédure phonologique (voie
analytique) de lecture et d’écriture ou la procédure lexicale (voie d’adres-
sage) ; l’examen doit alors être complété par un bilan de diagnostic qui
permettra une orientation vers une prise en charge rééducative et des
adaptations pédagogiques. Les encadrés 35 et 34, p. 281 et 276 pré-
sentent respectivement une évaluation cognitive et des exemples de
prise en charge.
Ce diagnostic cognitif est essentiel car différents déficits cognitifs sous-
jacents peuvent occasionner un trouble d’apprentissage de la lecture et/
ou de l’écriture. Un déficit des traitements phonologiques (hypothèse
phonologique) est incriminé dans la majorité des cas, et l’encadré 34
(p. 276) présente plusieurs exemples de prises en charge qui ont la par-
ticularité d’être assistées par ordinateur mais qui sont basées sur des
techniques de remédiation des difficultés de traitement phonologique
maintenant « classiques ». Un déficit visuo-attentionnel, sans perturba-
tion des traitements phonologiques, peut être à l’origine des difficultés
d’acquisition des enfants dyslexiques.
Valdois et Launay (1999) décrivent la prise en charge d’une dyslexie/
dysorthographie liée à des difficultés attentionnelles. L’enfant de 10 ans
présente un tableau de dyslexie/dysorthographie de surface avec défi-
cit de la procédure lexicale. L’évaluation cognitive initiale conduit à
l’hypothèse qu’une perturbation visuoattentionnelle est à l’origine des
difficultés d’apprentissage de la lecture. Trois objectifs ont été poursui-
vis afin de réduire les difficultés visuo-attentionnelles :
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– entraîner les capacités de repérage visuel ;


– induire la création et l’utilisation d’une image mentale du mot ;
– favoriser la synthèse à partir de l’analyse de la séquence de lettres.
Le diagnostic cognitif initial se trouve conforté par l’amélioration
nette de la lecture des mots irréguliers, qui progresse de 49 % des mots
correctement lus initialement à 81 % à l’issue de la première année de
prise en charge, et à 97 % au bout de deux ans.
Cette étude illustre l’approche cognitive, qui s’efforce d’établir la
relation causale entre un déficit associé (ici visuo-attentionnel) et le
trouble de lecture : la démarche générale consiste à démontrer qu’une
rééducation portant spécifiquement sur le déficit associé améliore les
308 Manuel de neuropsychologie

performances de lecture. Elle souligne aussi le fait qu’une perturbation


phonologique n’est pas forcément en cause et qu’il faut être attentif à
une éventuelle perturbation du développement de la prise d’informa-
tion visuelle dans la survenue des difficultés d’acquisition de l’écrit.
La nécessité de ne pas cantonner l’examen aux batteries d’évalua-
tion du langage et l’intérêt d’une évaluation neuropsycholinguistique
qui s’inscrive dans une « approche aussi exhaustive que possible des
paramètres perceptivo-moteurs, linguistiques et cognitifs » a été souli-
gnée depuis longtemps (Chevrie-Muller 1992, p. 128) : il faut pouvoir
déterminer dans quelle mesure le trouble est causé par un dysfonction-
nement du système langagier per se ou trouve plutôt son origine dans
un déficit attentionnel, mnésique ou autre. L’approche neuropsycho-
logique a permis de faire progresser de façon spectaculaire ces dix der-
nières années le dépistage et le diagnostic des « dys » en général et, en
particulier, des dyslexies développementales.
5
Cha
pi
tre

LA NEURO PSY CHO LOGIE


DE L’ADULTE ÂGÉ
aire
m
So m

1. Cognition ..........................................................................................309
2. Modèles explicatifs du déclin des performances
cognitives dans le vieillissement normal ...................................... 327
3. Variabilité interindividuelle et réserve cognitive .........................330
4. Les études d’imagerie cérébrale chez le sujet sain âgé ............... 333
La neuropsychologie de l’adulte âgé 311

Pendant des décennies, les travaux portant sur la cognition chez les
sujets âgés ont insisté sur le déclin des capacités cognitives, et surtout
mnésiques, trouvant un écho dans les plaintes spontanées des sujets
âgés et dans les craintes suscitées par la médiatisation de la maladie
d’Alzheimer. Les études plus récentes ont cependant montré que le
vieillissement était caractérisé par une double variabilité : entre les indi-
vidus et selon les diverses fonctions cognitives étudiées. Cette variabi-
lité se manifeste y compris dans le domaine de la mémoire : la mémoire
épisodique est la plus sensible aux effets délétères du vieillissement,
la mémoire de travail l’est à un degré moindre, alors que la mémoire
procédurale, la mémoire sémantique et la mémoire perceptive sont rela-
tivement préservées.
L’objet de ce chapitre est de décrire le fonctionnement des différents
systèmes de mémoire au cours du vieillissement, puis celui d’autres
fonctions cognitives, comme le langage et les fonctions exécutives.
Ensuite, nous détaillerons les deux principales approches qui cherchent
à rendre compte des effets de l’âge sur la cognition : l’approche globale
et l’approche neuropsychologique. Un autre thème, qui donne lieu à
de nombreux débats, concerne les facteurs qui pourraient optimiser le
fonctionnement cognitif au cours du vieillissement. Dans ce cadre, nous
définirons les concepts de réserve cognitive et de vieillissement réussi.
Nous terminerons par les études d’imagerie cérébrale réalisées chez le
sujet âgé et leur apport à la compréhension du vieillissement cognitif.

1. Cognition

1.1 Mémoire épisodique


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Selon la conception des niveaux de traitement proposée par Craik et


Lockhart en 1972, la persistance de la trace mnésique est fonction de
la profondeur de traitement, les niveaux de traitement profond étant
associés à des traces mnésiques plus élaborées, plus résistantes dans le
temps, et plus robustes. Or, les sujets âgés ont des difficultés à utiliser
spontanément des stratégies de traitement sémantique au moment de
l’encodage. Ceci a été démontré dans des études qui demandent aux
participants de mémoriser des séries de mots appartenant à différentes
catégories sémantiques, les mots étant présentés dans le désordre. Les
sujets jeunes regroupent les mots par catégorie sémantique dès le pre-
mier rappel, tandis que les sujets âgés le font moins spontanément.
312 Manuel de neuropsychologie

En outre, les tests de reconnaissance avec distracteurs sémantiques


entraînent plus de fausses reconnaissances chez les sujets âgés que chez
les jeunes, ce qui pourrait provenir d’un encodage insuffisamment pré-
cis et distinctif. L’encodage chez les sujets âgés se ferait à un niveau
relativement global, leur permettant de rejeter des distracteurs non liés
sémantiquement, alors que la possibilité de discriminer correctement
des items proches sémantiquement exige un encodage plus élaboré et
plus coûteux en ressources attentionnelles.
Toutefois, des aides fournies par l’expérimentateur lors de l’encodage
permettraient de réduire, voire d’éliminer, les différences liées à l’âge.
La compensation serait d’autant plus efficace que la consigne demande
explicitement un traitement sémantique (par exemple, faire une phrase
avec le mot ou donner un synonyme). Cependant l’effet délétère de
l’âge sur la récupération d’informations encodées après un traitement
profond pourrait persister chez les sujets les plus âgés, comme le sug-
gèrent les études ayant inclus un groupe d’âge intermédiaire en plus des
sujets jeunes et âgés classiquement comparés. Par exemple, dans l’étude
de Kalpouzos et al. (2009b), les sujets d’âge intermédiaire profitent des
aides et obtiennent des performances équivalentes à celles des jeunes,
alors que si les plus âgés améliorent leurs performances, celles-ci restent
inférieures à celles des autres groupes. Outre les difficultés à mettre en
œuvre spontanément des stratégies de traitement sémantique des items
à mémoriser, des différences de stratégies d’encodage en fonction de
l’âge ont parfois été mises en évidence. Par exemple, si l’on autorise les
sujets à répéter l’apprentissage autant de fois qu’ils le jugent nécessaire,
on observe que les sujets âgés font moins d’essais que les jeunes, ce
qui suggère une mauvaise évaluation de leurs capacités mnésiques (ou
métamémoire ; voir chapitre 3, section 9).
Enfin l’hypothèse d’un déficit d’encodage du contexte a été proposée
pour expliquer le déclin mnésique lié à l’âge : les sujets jeunes encodent
les items cibles et les informations associées à ces items (la voix de l’exa-
minateur, la couleur de l’encre, ou le graphisme selon le mode de pré-
sentation, orale ou écrite), de façon automatique et ils pourront ensuite
s’appuyer sur ces éléments qui forment le contexte pour récupérer les
items cibles. Les sujets âgés, quant à eux, éprouvent des difficultés à
encoder ces informations contextuelles et ne peuvent pas s’en servir
comme indices de récupération. En réalité, les sujets âgés ont des dif-
ficultés à restituer non seulement les informations cibles mais encore
plus le contexte dans lequel elles étaient présentées.
Le stockage, ou maintien des informations en mémoire, est possible
grâce à la consolidation de l’information encodée. Les capacités de
La neuropsychologie de l’adulte âgé 313

stockage peuvent être évaluées en calculant un taux d’oubli entre deux


sessions de récupération d’informations. Cette phase de stockage est
moins étudiée que l’encodage et la récupération, considérés comme
plus sensibles aux effets de l’âge. Les études portant sur le stockage ne
montrent généralement pas de différence de taux d’oubli en fonction de
l’âge lorsque le délai est court, ce qui correspond à la situation habituelle
d’évaluation de la mémoire. En revanche, à partir d’un délai d’environ
24 heures, les informations encodées en mémoire sont oubliées plus
rapidement chez les sujets âgés que chez les sujets jeunes. Par ailleurs,
de nombreuses études ont montré l’importance du sommeil dans la
consolidation des informations épisodiques, particulièrement le som-
meil lent profond, même si le sommeil paradoxal intervient également
dans ce processus, en favorisant la consolidation des aspects spatiaux du
souvenir et des détails contextuels. Or, le vieillissement s’accompagne
de modifications importantes du sommeil, notamment une réduction
du sommeil lent profond, ce qui pourrait contribuer à diminuer l’effi-
cacité des processus de consolidation chez les sujets âgés. En effet, des
auteurs ont montré que plus la nuit est occupée par du sommeil lent
profond, plus les performances de rappel le lendemain sont élevées.
Cette étude a été la première à démontrer l’existence chez le sujet âgé
de troubles de la consolidation mnésique liés à la réduction du sommeil
lent profond (Rauchs et al., 2010).
En situation de récupération, les diminutions de performances chez
les sujets âgés par rapport aux jeunes varient selon les modes de rappel.
De façon générale, la diminution est d’autant plus importante que le
support environnemental est faible, c’est-à-dire que le sujet dispose de
peu d’aide externe et qu’il doit s’appuyer sur des processus auto-initiés.
Ainsi, la situation de rappel libre est celle qui entraîne le plus de dif-
ficultés chez les sujets âgés, alors qu’en reconnaissance, leurs perfor-
mances sont souvent équivalentes à celles des jeunes.
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C’est l’argument principal invoqué pour appuyer l’idée de déclin


des mécanismes de récupération. Cette interprétation est cependant à
considérer avec précaution. En effet, la complexité de ces deux types de
tâches est souvent inégale, la reconnaissance étant généralement plus
facile que le rappel libre et suscitant souvent des effets « plafond » chez
les sujets jeunes, qui peuvent masquer des différences entre les groupes.
Quelques auteurs ont tenté de résoudre ce problème en égalisant la dif-
ficulté des deux types de tâches (par exemple en introduisant un délai
uniquement pour la tâche de reconnaissance) et ils ont retrouvé une
absence d’effet de l’âge sur les performances en reconnaissance. Tou-
tefois des différences de performances peuvent être observées dans
314 Manuel de neuropsychologie

certaines conditions, par exemple si l’on prend en compte le nombre


de fausses reconnaissances (les sujets âgés ont tendance à reconnaître, à
tort, des items non présentés, surtout s’ils sont proches des items cibles)
ou au-delà d’un certain âge (environ 70 ans). De plus, ce profil de per-
formances (rappel libre perturbé et reconnaissance préservée) pourrait
provenir d’un encodage insuffisant, avec une trace mnésique trop peu
distinctive pour être réactivée lors du rappel libre, mais suffisante pour
la reconnaissance.
En effet, la récupération peut s’appuyer soit sur des processus automa-
tiques, soit sur des processus contrôlés. Dans le premier cas, elle aboutit
à un sentiment de familiarité, suffisant dans la situation de reconnais-
sance, contrairement au rappel libre. Il s’agit d’une récupération de
l’information mais non de son contexte spatio-temporel. Le sujet « sait »
que l’item faisait partie de la liste d’étude ou qu’il connaît l’information
mais il ne peut fournir les détails du contexte d’acquisition. Au contraire,
lorsque le sujet peut récupérer l’information et son contexte, il a le senti-
ment de « se souvenir » et pas seulement de « savoir ». Cette distinction
entre les deux types de récupération est très importante pour pouvoir
déterminer la cause d’un déclin mnésique. Elle peut se faire à l’aide du
paradigme remember/know, initialement proposé par Tulving, qui per-
met d’étudier la conscience associée à la récupération de l’information.
Avec ce paradigme, le sujet est invité à déterminer lui-même s’il se sou-
vient vraiment de l’item ou s’il sait simplement qu’il faisait partie de la
liste. Les réponses « je me souviens » relèvent de la mémoire épisodique
(reconstruction consciente de l’événement) tandis que les réponses « je
sais » relèvent plutôt de la mémoire sémantique (sentiment de familia-
rité). Dans le vieillissement normal, les réponses « je me souviens » dimi-
nuent avec l’âge, contrairement aux réponses « je sais », qui sont soit
stables, soit en augmentation avec l’âge, permettant ainsi de compenser
la diminution des premières. Ainsi, les effets de l’âge affectent les pro-
cessus de récupération contrôlée, mais non les processus de récupération
plus automatiques, fondés sur le sentiment de familiarité.
L’étude de la mémoire autobiographique épisodique, lorsqu’elle porte
sur plusieurs périodes de vie, montre une supériorité des performances
pour la période la plus récente, c’est-à-dire un effet de récence qui infirme
la loi de Ribot selon laquelle ce sont les souvenirs anciens qui sont les
mieux rappelés. En outre, on retrouve chez tous les sujets l’amnésie
infantile (pratiquement pas de souvenirs avant l’âge de 5 ans), le pic de
réminiscence pour les souvenirs encodés dans la période 20-30 ans (très
nombreux souvenirs vivaces de premières expériences) et la « fonction
de rétention », traduisant un déclin des souvenirs pour les années précé-
La neuropsychologie de l’adulte âgé 315

dant la période de l’effet de récence. Si cette distribution temporelle se


retrouve chez tous les individus, la comparaison de sujets d’âge différent
montre que le nombre de souvenirs strictement épisodiques diminue
avec l’âge. De plus, les sujets âgés ont besoin de plus d’indices et d’incita-
tions pour parvenir à l’évocation d’un souvenir spécifique et fournissent
moins de détails phénoménologiques que les sujets jeunes. La diminu-
tion du nombre de souvenirs épisodiques est compensée par des rap-
pels plus ou moins génériques, possibles du fait de la préservation de la
composante sémantique de la mémoire autobiographique. Ceci, ajouté
à la persistance de certains souvenirs strictement épisodiques, assure aux
sujets les plus âgés un sentiment de continuité et d’identité normal.
La mémoire prospective permet de se souvenir des activités à effec-
tuer, participant ainsi au « voyage dans le futur », l’une des dimensions
de la mémoire épisodique. Les données de la littérature sur les effets de
l’âge sur cette mémoire ne sont pas parfaitement consensuelles, avec
des résultats divergents selon que l’évaluation se déroule en laboratoire
ou en milieu naturel, et que les tâches soient de type time-based ou
event-based. Ainsi, en milieu naturel, les personnes âgées ont tendance
à obtenir des performances équivalentes, voire supérieures à celles des
sujets jeunes, contrairement à l’évaluation avec des tâches expérimen-
tales, qui mettent en évidence des effets délétères de l’âge. Ce résultat
n’est pas parfaitement compris, mais il pourrait être dû à des diffé-
rences de motivation ou de stratégies entre les groupes, les sujets âgés
utilisant davantage d’aides externes en milieu naturel que les jeunes.
Par ailleurs, les épreuves de laboratoire montrent des différences selon
la tâche employée. En effet, classiquement, les tâches de type time-based
(récupération fondée sur l’estimation et le contrôle du temps) montrent
un effet délétère de l’âge sur la mémoire prospective alors que les tâches
event-based (quand un indice externe, un événement, induit la récupé-
ration) rapportent des effets de l’âge moins importants. Ces résultats
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sont en accord avec le fait que les premières sont plus coûteuses en res-
sources attentionnelles et en processus auto-initiés que les secondes, où
l’événement déclencheur peut être assimilé à un indice qui facilite la
récupération du souvenir que quelque chose doit être fait, même si ce
qui doit être fait reste à déterminer.
Cependant, de rares études ont montré le résultat inverse, c’est-à-dire
un effet de l’âge plus prononcé sur les tâches event-based (par exemple
Gonneaud et al., 2011). En outre, des dissociations ont été observées au
sein de ces épreuves, selon la complexité de la tâche en cours, les effets
de l’âge étant plus marqués lorsque cette tâche est complexe que lors-
qu’elle est simple. De plus, l’existence ou non d’un lien entre l’indice
316 Manuel de neuropsychologie

et la tâche en cours peut aussi déterminer des effets différents. On parle


d’indice focal quand il y a lien et que la tâche en cours et la tâche
prospective font appel à des processus similaires (par exemple signaler
les personnes se prénommant Paul lors d’une dénomination de visages
célèbres). Le terme d’indice non focal correspond, à l’inverse, aux situa-
tions dans lesquelles tâche en cours et tâche prospective requièrent des
processus cognitifs différents (par exemple signaler les visages ayant des
lunettes lors d’une dénomination de visages célèbres). Lorsque l’indice
est non focal, l’effet de l’âge en mémoire prospective est plus fort que
lorsqu’il est focal, probablement du fait de l’implication plus importante
des fonctions exécutives dans ce cas. En effet, des liens ont été mis en
évidence entre la mémoire prospective et le fonctionnement exécutif,
la mémoire de travail, la vitesse de traitement et la mémoire épisodique
rétrospective, le poids et la nature de ces différentes fonctions étant dif-
férents selon les paradigmes de mémoire prospective (voir encadré 39).

Encadré 39
Influence des fonctions exécutives sur le déclin cognitif lié à l’âge
Le vieillissement normal s’accompagne d’un déclin des fonctions exécutives
et le cortex préfrontal, l’une des régions qui sous-tendent ces fonctions, est
sensible aux effets de l’âge. L’hypothèse exécutivo-frontale postule que ces
atteintes ont des répercussions sur le déclin d’autres fonctions cognitives,
telles la mémoire épisodique, la mémoire prospective et la théorie de l’esprit.
Dans l’étude de Gonneaud et al. (2011), la mémoire prospective a été exami-
née chez 72 sujets sains âgés de 18 à 84 ans répartis en 3 groupes (jeunes,
intermédiaires et âgés). Les sujets étaient impliqués dans une tâche de cal-
cul mental (ou tâche en cours) et devaient effectuer en parallèle une action
supplémentaire, soit à l’apparition d’un indice/événement (event-based),
soit en fonction d’une durée (time-based). Plus précisément, pour la condi-
tion basée sur un événement, ils devaient appuyer sur une touche spéci-
fique lorsqu’ils voyaient des nombres supérieurs à 100 et pour la condition
basée sur le temps, ils devaient appuyer sur une touche spécifique toutes
les 3 minutes. Par ailleurs, différentes fonctions cognitives étaient éva-
luées (mémoire épisodique, fonctions exécutives, attention, mémoire de
travail…). Les résultats montrent un effet délétère du vieillissement sur la
mémoire prospective, cet effet étant plus marqué lorsque la récupération
est basée sur un événement que lorsqu’elle est basée sur le temps (figure 1).
En réalité, cet effet semble indirect et s’explique par l’implication de pro-
cessus exécutifs, qui sont distincts en fonction du type de tâche (binding ou
capacité d’association en mémoire de travail dans le premier cas et inhibi-
tion dans le second ; voir figure 2).
À
La neuropsychologie de l’adulte âgé 317

Figure 1 – Performances des trois groupes de sujets d’âge différent


à deux tâches de mémoire prospective

binding
-.727*** .443***

mémoire
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éspisodique
rétrospective
-.644*** .285*
-.648***
MP basée
âge sur un
événement
-.143

À
318 Manuel de neuropsychologie

inhibition
-.525*** .266t

-.394**
MP basée
âge sur le temps
-.254

Figure 2 – Effets de l’âge sur les performances aux épreuves


de mémoire prospective : analyses de médiation. Les chiffres
indiquent les valeurs des corrélations (* : p<0,05 ; ** : p<0,01 ; *** :
p<0,001). Les lignes en pointillés indiquent les corrélations
entre l’âge et les performances de mémoire prospective,
après contrôle de l’influence des autres fonctions cognitives.
Elles ne sont plus significatives, ce qui montre
bien que cet effet est indirect.

Dans le domaine de la théorie de l’esprit, Duval et al. (2011a) ont évalué, chez
70 sujets sains âgés entre 21 et 83 ans, la théorie de l’esprit cognitive, à l’aide
du test d’attribution d’intentions de Brunet et al. (2000), et d’un test original
de fausses-croyances (voir encadré 8, p. 63) et la théorie de l’esprit affective,
avec le test des yeux adapté de Baron-Cohen et al. (1997). Les résultats de
cette étude ont révélé un effet significatif de l’âge sur les deux dimensions
(figure 3), ainsi que sur les autres fonctions cognitives évaluées (les fonc-
tions exécutives et la mémoire épisodique).

Figure 3 – Effet significatif de l’âge sur les performances


aux épreuves de théorie de l’esprit cognitive (fausses croyances)
et affective (test des yeux)
À
La neuropsychologie de l’adulte âgé 319

Â
fonctions
exécutives
-.67*** .36*

-.36***
fausses
âge croyances
1er ordre
-.09

-.67*** vitesse de -.14


traitement

-.67*** fonctions .20


exécutives

-.42*** mémoire -.19


épisodique

-.31** fausses
âge croyances
2éme ordre
-.39*

Figure 4 – Effets de l’âge sur les performances à l’épreuve des fausses


croyances : analyses de médiation. Les chiffres indiquent les valeurs des
corrélations (* : p<0,05 ; ** : p<0,01 ; *** : p<0,001). Les lignes en pointillés
indiquent les corrélations entre l’âge et les performances de théorie
de l’esprit, après contrôle de l’influence des autres fonctions cognitives :
dans le cas des fausses croyances de premier ordre, elles ne sont plus
significatives (en haut) et dans le cas des fausses croyances
de second ordre, elles le restent.
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Cependant, l’effet direct de l’âge n’est apparu que sur la théorie de l’esprit
cognitive de 2ème ordre, et un effet indirect, médié par les fonctions exé-
cutives, a été mis en évidence sur la théorie de l’esprit cognitive de 1er ordre
(figure 4). Aucun effet direct de l’âge n’a été observé sur la théorie de l’esprit
affective. Dans l’ensemble, cette étude atteste d’un impact négatif de l’âge
sur la théorie de l’esprit et montre que cet effet s’explique en grande partie
par les effets de l’âge observés sur les fonctions exécutives.
320 Manuel de neuropsychologie

1.2 Mémoire de travail


La mesure de l’empan est l’une des tâches les plus couramment utili-
sées pour évaluer la mémoire de travail, et elle offre un grand nombre
de variantes, même si l’empan de chiffres reste le plus utilisé. La réduc-
tion de l’empan endroit avec l’âge est débattue dans la littérature, les
effets de l’âge étant inexistants ou minimes dans certaines études, mais
réels lorsque l’échantillon est important ou comporte des personnes
très âgées. Quand ils existent, les effets de l’âge sur les tâches d’empan
peuvent être dus à plusieurs facteurs, liés à la nature des processus inter-
venant dans la tâche précisément utilisée. En effet, il s’agit avant tout
d’une épreuve de rétention « passive » d’un petit nombre d’informa-
tions, impliquant la boucle phonologique ou le calepin visuospatial
selon le type de matériel, qui sont peu sensibles aux effets de l’âge,
mais l’intervention de l’administrateur central et même de la mémoire
à long terme peut se produire, et dans ce cas entraîner un affaiblisse-
ment de performances chez les sujets âgés.
En revanche, l’administrateur central évalué à l’aide de tâches néces-
sitant à la fois la rétention et la manipulation d’informations, comme
l’empan envers ou l’empan alphabétique, se montre sensible aux effets
de l’âge. Le paradigme de Brown-Peterson, qui consiste à rappeler des
triplets de consonnes ou de mots après un délai occupé par une tâche
interférente de comptage, montre également un déclin lié à l’âge.
L’utilisation de tâches doubles ou de tâches impliquant la mise en
jeu d’importantes ressources attentionnelles, comme la génération de
séquences « aléatoires » d’items, est également en faveur d’une dimi-
nution des capacités de l’administrateur central dans le vieillissement
normal. Cette diminution des capacités de l’administrateur central
explique en partie les difficultés rencontrées par les sujets âgés dans des
activités cognitives complexes et, pour certains auteurs, elle en serait
même le principal responsable (voir infra).

1.3 Mémoire sémantique


Des effets de l’âge ont été montrés sur la capacité à dénommer des
objets ou des actions, ou à produire un mot correspondant à une défi-
nition, et le phénomène du « mot sur le bout de la langue » augmente
avec l’âge. Ces effets se manifestent par une moindre exactitude et par
un ralentissement des réponses, et apparaissent surtout chez les sujets
de plus de 70 ans. La fluence verbale diminue avec l’âge selon certaines
études, mais cela n’est pas systématique et la réduction de la production
La neuropsychologie de l’adulte âgé 321

est plutôt expliquée par un fonctionnement exécutif moins efficace que


par un déficit de mémoire sémantique à proprement parler. La dimi-
nution des performances des sujets âgés dans ces différentes épreuves
ne permet donc pas de conclure à l’altération de la mémoire séman-
tique per se, mais signale plutôt des difficultés d’accès à des représen-
tations sémantiques qui resteront longtemps intègres. Cette intégrité
est démontrée par des tests de vocabulaire, de connaissances générales,
de similitudes sémantiques, de définition de proverbes, les questions
sondes portant sur les caractéristiques générales et les attributs spéci-
fiques des concepts. Certains auteurs ont même décrit une améliora-
tion avec l’âge des performances dans des épreuves de vocabulaire et
de complètement de phrases, en particulier si l’on élimine les effets
du niveau d’éducation. Les effets de l’âge sur la mémoire sémantique
peuvent être évalués grâce à des tâches d’amorçage sémantique qui pré-
sentent l’avantage de ne pas exiger de capacités attentionnelles ou exé-
cutives. Ainsi, Giffard et al. (2003) ont utilisé une tâche de décision
lexicale où certains items étaient des mots précédés d’autres mots reliés
sémantiquement. Dans ce cas, l’activation de la représentation séman-
tique du second suscitée par le traitement du premier se traduit par une
diminution du temps de traitement qui correspond à l’effet d’amorçage
sémantique. Les sujets âgés présentaient des effets d’amorçage équiva-
lents à ceux des sujets jeunes.
Au total, l’organisation des connaissances sémantiques est préservée
au cours du vieillissement normal, mais l’exploitation de ces connais-
sances pourrait être moins efficace chez les sujets âgés. Autrement dit,
le stock de connaissances sémantiques s’accroît plutôt avec l’âge mais
l’accès à certaines de ces connaissances devient plus difficile, expliquant
ainsi les difficultés à effectuer spontanément un encodage profond des
informations en mémoire épisodique. De plus, si les personnes âgées
n’éprouvent pas de difficulté à rappeler des informations sémantiques
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acquises de longue date, certaines données de la littérature suggèrent


que l’acquisition de nouveaux concepts, comme les noms propres, serait
plus difficile, probablement parce que ce type d’acquisition implique
aussi la mémoire épisodique.

1.4 Mémoire perceptive


De nombreuses études ont souligné l’absence d’effet de l’âge sur les
effets d’amorçage perceptif sous-tendus par ce système de mémoire.
Ainsi, les sujets âgés sont aussi rapides que les jeunes pour identifier
des dessins dégradés lorsqu’ils ont vu les dessins dans leur intégralité
322 Manuel de neuropsychologie

auparavant (relativement à des dessins nouveaux). Quelques études ont


rapporté un déclin, et l’une des hypothèses proposées pour expliquer
ce résultat est que les sujets, lors de la phase de test (en présence des
dessins dégradés), se rendraient compte que le matériel a déjà été traité
lors de la phase d’étude (dessins entiers) et s’engageraient dans des stra-
tégies de rappel volontaire, impliquant donc la mémoire épisodique, ce
qui favorise les sujets jeunes. Quand des précautions sont prises pour
réduire au maximum la participation de cette mémoire, notamment
en administrant les épreuves d’amorçage avant toute tâche qui pour-
rait évoquer une activité mnésique et en choisissant des consignes qui
orientent vers un traitement non mnésique (par exemple, « dites-moi
si ces dessins sont orientés vers la droite ou vers la gauche »), les scores
des sujets les plus âgés sont comparables à ceux des jeunes. Des effets de
l’âge pourraient cependant apparaître s’il existe un délai entre la phase
d’encodage et la phase de test. Par ailleurs, une méta-analyse de La Voie
et Light (1994) a montré une diminution faible mais significative de
l’amplitude de l’effet d’amorçage perceptif chez les sujets âgés. La fai-
blesse de cet effet pourrait expliquer pourquoi il n’émerge pas dans les
études où les participants sont en nombre limité. Quoi qu’il en soit,
l’effet de l’âge sur les effets d’amorçage perceptif, s’il existe, est minime
par rapport à celui qui affecte la mémoire épisodique.

1.5 Mémoire procédurale


Les données de la littérature suggèrent que, de même que dans le cas de
l’amorçage, les effets de l’âge sur la mémoire procédurale sont minimes
et très inférieurs à ceux qui affectent la mémoire épisodique. Dans ce
domaine également, de nombreux paradigmes expérimentaux per-
mettent d’évaluer les capacités d’apprentissage procédural. Dans tous
les cas, il s’agit de proposer au sujet d’acquérir une procédure (qui doit
donc être nouvelle) grâce à la répétition des essais, et sans faire appel
au souvenir explicite. En revanche, la compréhension et la maîtrise de
ce que mesurent ces paradigmes sont loin d’être parfaites et les dif-
férences méthodologiques expliquent, pour une large part, les diffé-
rences de résultats selon les études. L’analyse des tâches proposées pour
évaluer la mémoire procédurale et la prise en compte des différentes
étapes de l’acquisition de la procédure sont cruciales pour comprendre
les éventuelles différences de performances. L’acquisition d’une pro-
cédure nécessite en effet la participation de composantes telles que
mémoire déclarative, mémoire de travail, attention, raisonnement, qui
interagissent avec la mémoire procédurale, en particulier au début de
La neuropsychologie de l’adulte âgé 323

l’acquisition (Beaunieux et al., 1998). En outre, il est nécessaire de bien


dissocier le niveau de performances mesuré en termes de temps, niveau
généralement inférieur chez les sujets âgés qui sont plus lents que les
jeunes, de l’amélioration des performances au cours des essais, qui tra-
duit l’acquisition de la procédure.
L’acquisition de procédures perceptivo-motrices a souvent été éva-
luée à l’aide du rotor test, qui consiste à maintenir un stylet en contact
avec un support mobile. La mise en évidence ou non d’effets délé-
tères avec cette procédure dépend des conditions dans lesquelles les
sujets sont testés : si la vitesse de rotation est rapide, ou si les ses-
sions d’apprentissage sont massées, les sujets âgés éprouvent davan-
tage de difficultés que les jeunes, mais pas dans le cas où la rotation
est lente et les sessions d’apprentissage distribuées. Des épreuves
perceptivo-verbales, généralement de lecture de matériel transformé
(comme des mots écrits en miroir), ont également été utilisées pour
évaluer la mémoire procédurale. Dans une étude où l’on mesurait le
temps de lecture de mots inversés et de mots dégradés présentés briè-
vement, les performances des sujets âgés étaient inférieures à celles
de sujets jeunes, mais, là aussi, les conditions expérimentales influent
sur les résultats de l’étude : les différences entre les groupes disparais-
saient lorsque des informations perceptives supplémentaires étaient
fournies aux sujets âgés. La nécessité d’opérer des traitements percep-
tifs complexes pourrait donc expliquer les difficultés des sujets âgés à
effectuer certains apprentissages procéduraux. Enfin, l’acquisition de
procédures cognitives a été évaluée à l’aide de différentes versions de
l’épreuve de la tour de Hanoï (encadré 32, p. 255). Des effets de l’âge
ont été rapportés avec une version complexe de cinq disques qui met
en jeu la mémoire de travail et les fonctions exécutives, dont l’affai-
blissement avec l’âge interfère avec l’acquisition de la procédure. Avec
des versions plus simples, il n’y a plus d’effet significatif de l’âge sur
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l’amélioration des performances avec la pratique.


Beaunieux et al. (2009) ont cherché à mieux comprendre la dyna-
mique de l’apprentissage procédural et la participation d’autres
composantes cognitives à la mise en place de la procédure chez des
sujets d’âges différents. La mémoire déclarative, la mémoire de tra-
vail et les capacités perceptives et psychomotrices étaient évaluées en
parallèle avec les capacités à résoudre le problème de la tour de Hanoï.
Il n’existait pas d’effet de l’âge sur l’amélioration des performances au
fil des essais, mais il existait une différence en termes de temps mis à
résoudre le problème et de nombre de mouvements nécessaires avant
d’arriver à la solution, au détriment des sujets âgés. De plus, ceux-ci
324 Manuel de neuropsychologie

présentaient un ralentissement de la dynamique de l’apprentissage,


parvenant plus tard que les jeunes à la « phase procédurale » qui signe
l’automatisation de la procédure et constitue la dernière étape de
l’apprentissage. Au terme des sessions d’apprentissage, les sujets âgés
semblaient encore se situer dans la phase dite cognitive de l’appren-
tissage procédural, nécessitant le recours à la mémoire déclarative et
à la mémoire de travail, alors que les sujets jeunes avaient automatisé
la procédure.
En résumé, les divergences de la littérature concernant les effets
de l’âge sur la mémoire procédurale proviennent essentiellement des
tâches utilisées, de leur niveau de complexité ou de la mise en jeu de
composantes cognitives non procédurales. Ces composantes inter-
viennent surtout au début de l’apprentissage, jusqu’à ce que la pro-
cédure soit automatisée, ce qui nécessite en général de très nombreux
essais, plus nombreux que les essais pratiqués dans les études clas-
siques sur l’apprentissage procédural. Les effets de l’âge se manifestent
donc lors de l’apprentissage des procédures, et ce d’autant plus qu’elles
impliquent d’autres processus cognitifs, phase qu’il faut bien distinguer
de la mémoire procédurale, qui elle, résiste aux effets de l’âge.

1.6 Liens entre émotions et mémoire


L’effet bénéfique des émotions sur le fonctionnement de la mémoire
épisodique a été démontré chez les sujets jeunes : les mots ou images à
connotation émotionnelle sont mieux mémorisés que les items neutres.
Cet effet de majoration émotionnelle est préservé chez les sujets âgés et
il semble même parfois plus fort (Guillaume et al., 2009b). Par exemple,
ils rappellent proportionnellement davantage de passages à connota-
tion émotionnelle dans une histoire que les sujets jeunes. Lorsqu’on
leur demande de rappeler un souvenir d’événement vécu, comme un
repas au restaurant, les sujets âgés ont tendance à mieux rappeler les
sentiments éprouvés que la décoration du restaurant ou les thèmes de
la conversation. De plus, des auteurs ont montré que l’effet délétère du
vieillissement sur la mémoire était réduit et pouvait même disparaître
en cas d’information émotionnelle. Plusieurs auteurs se sont intéressés
aux effets de l’âge sur les souvenirs flashes et les résultats sont quelque
peu contradictoires, ce qui peut s’expliquer par des facteurs méthodolo-
giques : le mode de rappel, le type d’événement, les critères de cotation
du souvenir, le délai entre l’événement et le rappel influent beaucoup.
De plus, la plupart des études n’ont pas inclus d’événement contrôle
La neuropsychologie de l’adulte âgé 325

sans portée émotionnelle. L’étude de Kensinger (2009) a comparé le


rappel d’un événement émotionnel (l’explosion de la navette spa-
tiale Challenger) et celui d’un événement non émotionnel survenu au
même moment. Dans ces conditions, les sujets âgés forment autant de
souvenirs flashes que les jeunes et, dans les deux groupes, les souvenirs
émotionnels sont de meilleure qualité que les autres.
Plusieurs études ayant utilisé des tâches classiques de laboratoire
ont montré un avantage pour les stimuli à valence négative par rap-
port aux stimuli à valence positive, chez les sujets âgés comme chez
les jeunes. Cependant beaucoup ont utilisé des images dont l’intensité
émotionnelle était différente (plus forte pour les images négatives), ce
qui peut avoir entraîné des biais. À l’inverse, certains auteurs montrent
que l’émotion positive favorise la mémorisation des adultes âgés plus
que celle des adultes jeunes (Mather et Carstensen, 2005). Tandis que
les jeunes retiennent mieux les items négatifs que les positifs et les
neutres, les sujets âgés retiennent mieux les négatifs et les positifs que
les neutres. Certaines études ont même montré que l’avantage pour les
émotions négatives disparaissait au cours du vieillissement. Cet effet,
appelé « biais de positivité », a été observé avec des épreuves classiques
de mémoire épisodique impliquant l’encodage et la restitution de mots,
d’images ou de visages (Guillaume et al., 2009b). De même, l’explora-
tion de la mémoire autobiographique montre que les émotions posi-
tives deviennent plus importantes et plus valorisées avec l’âge que les
émotions négatives et que ceci a des répercussions sur la façon dont les
sujets évoquent leur passé. Ainsi, les sujets âgés, non seulement rap-
portent plus de souvenirs positifs, mais évoquent aussi les souvenirs
négatifs de façon moins détaillée. Plusieurs études ont ainsi montré
qu’avec l’âge, les sujets âgés avaient tendance à reconstruire les événe-
ments de leur passé de façon plus positive que les sujets jeunes et attri-
buaient plus de qualités que d’inconvénients à leurs choix passés.
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Par exemple, une étude publiée en 2004 (voir Guillaume et al., 2009b)
a proposé le même questionnaire de santé une première fois, puis
14 ans plus tard à 300 religieuses d’âge divers. La deuxième fois, elles
avaient pour consigne d’essayer de se replonger 14 ans en arrière et de
retrouver les réponses concernant leur état de santé de cette époque.
Les reconstructions et les distorsions dans une direction plus positive
ont été plus fréquentes chez les religieuses âgées, qui ont par exemple
rapporté avoir souffert de maux de tête moins souvent que ce qu’elles
avaient évoqué 14 ans plus tôt. Les sujets âgés réévaluent donc leurs
souvenirs négatifs avec un prisme positif.
326 Manuel de neuropsychologie

La théorie de la sélectivité socio-émotionnelle (Carstensen, 2006) a


été invoquée pour rendre compte de ce phénomène. Selon cette théo-
rie, proposée dans le champ de la psychologie sociale, la perception que
les individus se font de leur durée de vie influence leurs motivations
et leurs buts. Les sujets jeunes et en bonne santé percevraient le temps
comme infini et traiteraient de façon indifférenciée les renseignements
positifs ou négatifs. À l’inverse, les sujets âgés percevraient le temps
comme limité et privilégieraient les expériences susceptibles de leur
apporter des satisfactions immédiates. Ils auraient alors tendance à
réduire leur cercle relationnel en sélectionnant les personnes proches,
famille et amis, et orienteraient préférentiellement leur attention vers
les informations positives au détriment des négatives.
Certaines études n’ont cependant pas retrouvé ce biais de positivité
dans le vieillissement normal, ce qui a conduit des auteurs à contester
son existence. Une hypothèse alternative pourrait être que la surve-
nue du biais de positivité sur les performances en mémoire dépend de
facteurs comme les consignes données au moment de l’encodage (des
consignes relativement libres semblent maximiser les effets de biais de
positivité), le matériel à mémoriser (les visages semblent plus à même
de le provoquer que les mots), l’intensité émotionnelle des stimuli (il
survient surtout pour de faibles intensités). En conclusion, le biais de
positivité, mis en avant surtout par Carstensen et Mather, se manifeste
de diverses façons sur la mémoire : rappel plus important des stimuli
positifs, moindre rappel des stimuli négatifs, reconstruction des souve-
nirs autobiographiques afin que les événements semblent plus positifs
qu’ils ne l’ont réellement été. Cependant, même s’il a été montré à plu-
sieurs reprises, ce phénomène peut paraître surprenant et pourrait être
exacerbé par un biais de sélection des sujets qui participent à de telles
études. Il existe en effet une importante variabilité interindividuelle
dans le vieillissement normal (voir infra).

1.7 Langage
La plupart des études portant sur le déclin du langage dans le vieillisse-
ment normal comparent des sujets d’âges très différents parfois séparés
de plusieurs décennies ; il est donc difficile de déterminer avec précision
le début d’un éventuel déclin. Cependant, il n’existe pas d’altération
majeure du langage liée au vieillissement et le déclin, modeste, affecte
essentiellement les capacités de production alors que les capacités de
compréhension sont plutôt préservées (Abrams et Farell, 2010).
La neuropsychologie de l’adulte âgé 327

Dans le domaine de la production, le manque du mot, l’incapa-


cité à produire le bon mot au bon moment, « l’avoir sur le bout de la
langue » sont des expériences dont la survenue s’accroît avec l’âge.
Ce phénomène est interprété comme un échec de l’encodage phono-
logique secondaire au défaut d’activation de la représentation pho-
nologique d’un mot correctement sélectionné. Il affecte surtout les
mots de basse fréquence et plus particulièrement les noms propres.
L’hypothèse du défaut d’activation de la représentation phonologique
est étayée par les différences entre sujets jeunes et âgés concernant
les mots qui font défaut : difficultés pour les sujets âgés à fournir le
nombre de syllabes, la première et la dernière lettre, production d’un
mot inapproprié. Trouver la première syllabe, ou fournir une série de
mots phonologiquement proches, est un moyen habituel de résolu-
tion du manque du mot mais ce mécanisme facilitateur devient moins
efficace au-delà de 80 ans. La dénomination d’images est moins pré-
cise et moins rapide chez les sujets âgés mais cet effet ne se mani-
feste guère avant 70 ans. Il reflète également la difficulté à accéder à
la représentation phonologique du mot. Il existe une grande variation
interindividuelle dépendant de la richesse du stock lexico-sémantique
susceptible d’avantager certains individus âgés, notamment pour des
items de basse fréquence, pour lesquels ils peuvent avoir une plus
grande familiarité.
Concernant la compréhension, les sujets âgés gardent d’excellentes
capacités mais quelques difficultés peuvent survenir, particulièrement
lorsque la tâche nécessite la mobilisation d’un maximum de res-
sources cognitives, ce qui est le cas dans des situations d’interférence :
bruits de fond ou double conversation, débit rapide, voix et accents
inhabituels, contexte inattendu, phrases longues ou de structure syn-
taxique complexe ou ambiguë. Des difficultés peuvent aussi surve-
nir pour le traitement de textes longs, lus ou entendus, où intervient
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la mémoire épisodique : beaucoup de détails spécifiques sont omis


mais la compréhension globale du texte est préservée. La compréhen-
sion des mots ne se modifie pas avec l’âge, comme l’indiquent les
effets d’amorçage et les performances obtenues à des tâches de déci-
sion lexicale. Ces capacités préservées s’appuient sur la robustesse des
connaissances sémantiques et leur accroissement est possible même à
un âge très avancé.
Dans le domaine de l’écriture, les sujets âgés se plaignent habituel-
lement d’hésitations concernant l’orthographe. Cette plainte est cor-
roborée par le constat d’un déclin de l’orthographe. En revanche les
328 Manuel de neuropsychologie

performances des sujets âgés sont équivalentes à celles des sujets jeunes
dans des tâches de détection de fautes d’épellation ou d’orthographe.
On retrouve ainsi la dichotomie entre préservation des mécanismes
de perception et atteinte des processus de production. Ces résultats
méritent néanmoins d’être nuancés car des différences entre sujets
jeunes et âgés ne sont mises en évidence que pour les individus de
faible niveau orthographique, les sujets âgés de bon niveau gardant
des performances orthographiques équivalentes à celles des jeunes. Par
ailleurs, l’écriture sous dictée de phrases comportant un homophone
dont l’orthographe est déterminée par le contexte montre que les sujets
âgés commettent moins d’erreurs que les jeunes. Parallèlement, pour
l’écriture spontanée d’un homophone présenté seul, les sujets âgés pri-
vilégient l’écriture du mot le plus couramment employé au détriment
de l’autre moins fréquent mais de forme orthographique canonique et
inversement chez les sujets jeunes, ce qui souligne encore une fois la
solidité et le rôle prépondérant des représentations sémantiques chez
les sujets âgés.
En conclusion, le langage peut être considéré comme une fonction
peu affectée par les effets du vieillissement mais son exploration doit
tenir compte du niveau socioculturel. Au total, en dépit de quelques dif-
ficultés de production, les sujets âgés sont considérés comme meilleurs
narrateurs et meilleurs lecteurs que les sujets jeunes (Abrams et Farell,
2010) : récits plus intéressants, plus vivants, structures narratives plus
complexes, débit moins rapide, prosodie plus marquée. Il faut souligner
la solidité du système lexico-sémantique, stock lexical et connaissances
sémantiques pouvant s’enrichir tout au long de la vie. Les processus
phonologiques et orthographiques sont en revanche plus fragiles, ce
qui explique l’accroissement avec l’âge du manque du mot, des lap-
sus et des fautes d’orthographe. Mais il s’agit davantage de difficultés
d’accès que d’une dégradation des représentations phonologiques et
orthographiques, ce qui peut s’expliquer par le déclin d’autres fonc-
tions cognitives, particulièrement les processus dépendant des fonc-
tions exécutives : vitesse de traitement des informations, mémoire de
travail, processus d’inhibition.

1.8 Fonctions exécutives et attention


Le déclin des fonctions exécutives est une caractéristique du vieillis-
sement normal (voir Isingrini et Taconnat, 2008, pour une revue). Les
perturbations liées à l’âge ont été classiquement attribuées au ralentisse-
ment cognitif ou aux déficits attentionnels mais, plus récemment, c’est
La neuropsychologie de l’adulte âgé 329

un déclin du contrôle exécutif qui a été avancé. À partir d’une batterie


neuropsychologique issue du GREFEX (Stroop, test des six éléments,
Trail Making Test, test de Brixton, double tâche de Baddeley, fluences
verbales et Wisconsin Card Sorting Test, voir chapitre 3, section 8) et
complétée d’un test de n-back, Etienne et al. (2008) ont décrit, dans un
groupe de sujets âgés sains comparés à des sujets jeunes, des perfor-
mances qui, lorsque elles sont altérées, le sont de façon mineure : des
difficultés surtout aux tests exécutifs globaux (sauf le test des six élé-
ments et les fluences), des temps de réponse allongés mais des réponses
exactes, une dégradation de la composante d’inhibition et à un moindre
degré de celle de mise à jour en mémoire de travail, en contraste avec
un respect de la composante flexibilité.
Une évaluation très poussée de la vitesse de traitement et du fonc-
tionnement exécutif, distinguant les trois composantes de mise à jour,
flexibilité et inhibition, chez des adultes jeunes et âgés, a mis en évi-
dence un effet négatif de l’âge sur toutes les mesures cognitives (Albinet
et al., 2012). De façon intéressante, les analyses révèlent qu’une des
mesures de la vitesse de traitement (codes : Digit Symbol Substitution
Test) implique des processus exécutifs chez les sujets âgés et pas chez
les jeunes tandis qu’une autre mesure (temps de réaction de choix)
implique des processus exécutifs chez les jeunes, mais pas chez les
sujets âgés. Ainsi, différents processus sont plus ou moins impliqués
dans la réalisation d’une même tâche. Ces résultats posent la question
de possibles changements dans la structure cognitive, qualitatifs, avec
l’avancée en âge. Les auteurs discutent les implications pour le débat
sur le vieillissement cognitif qui confronte les hypothèses de ralentis-
sement du traitement de l’information et de déclin exécutif (la théo-
rie exécutivo-frontale) : les deux ne sont peut-être pas exclusives, et il
faut tenter de décrire et de contrôler les influences réciproques entre
ces deux facteurs.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

2. Modèles explicatifs du déclin


des performances cognitives
dans le vieillissement normal

Deux approches, globale et analytique, cherchent à expliquer les modi-


fications de la mémoire au cours du vieillissement normal. Selon la pre-
mière, un petit nombre de facteurs généraux expliquent l’ensemble des
effets du vieillissement. Selon la seconde, très influente dans le domaine
330 Manuel de neuropsychologie

de la mémoire, les effets du vieillissement sont dus à la détérioration


de certains processus spécifiques au sein de la fonction concernée et/
ou des structures anatomiques qui les sous-tendent. Si les hypothèses
se situent dans l’un ou l’autre de ces deux courants, il existe indénia-
blement des liens entre les deux, par exemple entre l’hypothèse glo-
bale qui privilégie le déficit des capacités d’inhibition ou de la mémoire
de travail et l’hypothèse neuropsychologique « frontale ». Au total, les
deux approches sont complémentaires, aucune des deux ne permettant
à elle seule de rendre compte de l’ensemble des phénomènes observés
au cours du vieillissement normal.

2.1 L’approche globale


Selon cette approche, un facteur général expliquerait l’ensemble des
effets du vieillissement, qu’il s’agisse de la mémoire ou des autres fonc-
tions cognitives. Les arguments favorables à une telle approche sont
l’existence d’une relation négative entre l’âge et ce facteur (plus l’âge
augmente et plus ce facteur diminue), celle d’une relation positive
entre l’efficience cognitive et ce facteur (plus ce facteur augmente, et
meilleure est l’efficience intellectuelle) et une atténuation de l’effet de
l’âge après contrôle statistique de ce facteur. Il existe plusieurs variantes
de ce modèle, toutes basées sur l’idée que le vieillissement normal
s’accompagne d’une diminution des ressources disponibles pour le trai-
tement de l’information, avec des différences quant aux mécanismes
sous-jacents à cette diminution. L’hypothèse d’une diminution de la
vitesse de traitement de l’information, ou vitesse à laquelle les opé-
rations cognitives peuvent être réalisées, est défendue par Salthouse
(2009). Deux mécanismes distincts seraient responsables de la relation
entre la vitesse et la cognition. D’une part, les opérations cognitives
sont exécutées trop lentement pour être achevées en un temps limité,
et moins de traitement cognitif équivaut généralement à un moins bon
niveau de performance. D’autre part, le ralentissement réduit la quan-
tité d’informations disponibles simultanément, nécessaires à un traite-
ment cognitif de plus haut niveau. Les produits d’une première étape de
traitement risquent alors d’être perdus au moment où les traitements
ultérieurs sont accomplis. L’un des arguments à l’appui de cette hypo-
thèse est que le contrôle statistique de la vitesse de traitement réduit
considérablement l’influence de l’âge sur les performances mnésiques.
Selon cette approche, le ralentissement des sujets âgés agirait essentiel-
lement sur les opérations d’encodage, aboutissant à la création de repré-
sentations mnésiques faibles.
La neuropsychologie de l’adulte âgé 331

Une deuxième hypothèse se fonde sur la diminution des capacités


de la mémoire de travail avec l’âge. La perspective des tenants de cette
approche n’est pas de déterminer quelles composantes de la mémoire de
travail sont altérées dans le vieillissement normal mais de comprendre
les répercussions de cette diminution sur l’ensemble du fonctionne-
ment cognitif. Certaines études montrent ainsi que des mesures de
mémoire de travail sont de bons prédicteurs des performances dans des
tâches de rappel de phrases ou de textes, mais ce résultat a été contro-
versé. L’accent a également été mis sur l’effet délétère de l’âge sur les
processus d’inhibition des informations non pertinentes, qui serait en
retour responsable d’une surcharge de la mémoire de travail à l’origine
de difficultés cognitives chez les personnes âgées : celles-ci auraient ten-
dance à traiter toutes les informations plutôt que de sélectionner les
plus appropriées.
Plus récemment, la relation, proportionnelle à l’âge, entre le dysfonc-
tionnement cognitif et le dysfonctionnement sensoriel a été soulignée et
a donné lieu à « l’hypothèse de la cause commune ». Ces deux phéno-
mènes seraient sous la dépendance d’une même troisième variable, encore
indéterminée et liée à l’intégrité du système nerveux central. Le fonction-
nement sensoriel se réfère ici essentiellement à la vision et à l’audition,
plusieurs études ayant montré des liens entre l’acuité visuelle ou auditive
et le fonctionnement cognitif chez des sujets âgés, les variables senso-
rielles expliquant une part importante de la variance liée à l’âge (mieux
que le facteur vitesse de traitement) dans les performances cognitives
« générales ». Cependant, cette hypothèse a jusqu’à présent été très peu
appliquée à l’étude du vieillissement de la mémoire.
Toutefois, aucun de ces facteurs n’explique à lui seul le déclin
mnésique lié à l’âge, ni même la combinaison de plusieurs d’entre eux.
Ces hypothèses ne pourraient d’ailleurs pas rendre compte des dissocia-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tions observées entre les différentes capacités cognitives, et en particu-


lier mnésiques, contrairement à l’approche neuropsychologique.

2.2 L’approche neuropsychologique


La spécificité de cette approche est de permettre de comprendre
comment le vieillissement normal peut s’accompagner de l’atteinte
sélective de certains systèmes (ou de certains processus au sein des sys-
tèmes). L’idée centrale est que l’atteinte sélective de certaines structures
cérébrales est responsable du déclin de performances. La compréhen-
sion du fonctionnement mnésique du sujet âgé s’appuie sur les don-
nées de la neuropsychologie lésionnelle, en particulier celles recueillies
332 Manuel de neuropsychologie

chez les patients amnésiques, et, plus encore, chez les patients atteints
de lésions frontales. Le rapprochement avec les patients amnésiques
a été établi sur la base des dissociations entre les différents systèmes
mnésiques : altération de la mémoire épisodique et de la mémoire de
travail, et préservation des autres systèmes.
Certains auteurs ont également recherché des arguments anato-
miques, s’appuyant notamment sur l’existence de pertes neuronales
dans la région temporale interne chez les sujets âgés, ou de corréla-
tions positives significatives mises en évidence entre la taille de la for-
mation hippocampique et les performances de mémoire épisodique.
Cependant, il existe peu d’arguments à l’appui de cette hypothèse
(voir infra) et l’analyse du fonctionnement de la mémoire épisodique
chez des sujets âgés a plutôt orienté les recherches vers une comparai-
son avec les « patients frontaux ». En effet si ces patients n’ont pas de
véritable syndrome amnésique, ils éprouvent des difficultés de même
nature que celles notées chez les sujets âgés normaux, même s’il existe
des différences quantitatives : difficultés dans l’organisation du maté-
riel, stratégies spontanées d’encodage et de récupération insuffisam-
ment efficaces, difficultés d’inhibition et sensibilité aux interférences,
problèmes de jugement temporel, amnésie de la source et risque accru
de faux souvenirs. Un argument supplémentaire à l’appui de cette
hypothèse est que les différences entre les performances de groupes
de sujets jeunes et de sujets âgés s’expliquent au moins en partie par
les différences de performances aux tests de fonctions exécutives (voir
Isingrini et Taconnat, 2008, pour une revue, et encadré 39, p. 316).
L’examen de l’hypothèse frontale nécessite évidemment de considé-
rer les modifications cérébrales qui surviennent chez les sujets âgés
(voir infra).

3. Variabilité interindividuelle et réserve cognitive

L’existence d’une importante variabilité interindividuelle des perfor-


mances, à âge égal, a souvent été signalée dans la littérature et cette
variabilité augmente avec l’âge. Plus précisément, différentes études
suggèrent qu’elle augmente dans certains domaines cognitifs, dont la
mémoire, et davantage chez les sujets de bas niveau culturel. Certains
sujets âgés bénéficieraient d’un vieillissement « normal » voire même
« réussi » tandis que d’autres seraient plus sensibles au déclin cognitif.
Bien entendu, ce débat n’a de sens que si ces études sont menées sur
La neuropsychologie de l’adulte âgé 333

des sujets exempts de pathologie pouvant avoir un impact sur les fonc-
tions cognitives, mais ce point essentiel n’est pas toujours strictement
contrôlé.
Plusieurs caractéristiques semblent déterminantes dans l’apparition
de ces différences interindividuelles, parmi lesquelles le niveau d’édu-
cation. L’influence de cette variable sur les systèmes mnésiques n’est
pas homogène, la mémoire épisodique, la mémoire de travail et la
mémoire sémantique y étant plus sensibles que les effets d’amorçage
et la mémoire procédurale. De plus, le niveau d’étude des sujets peut
moduler l’influence de l’âge sur la mémoire. Ainsi, l’effet de l’âge sur
l’apprentissage d’une liste de mots et sur la capacité d’inhiber les mau-
vaises réponses est plus important lorsque le niveau scolaire est faible.
Plusieurs auteurs ont montré que des sujets en bonne santé, de bon
niveau culturel, actifs sur le plan intellectuel et bien intégrés sociale-
ment avaient plus de chances d’échapper à la détérioration intellec-
tuelle et au déclin de la mémoire.
Ceci rejoint le concept de réserve cognitive, proposé par Stern il y a
une quinzaine d’années, dont on s’accorde à reconnaître l’impact sur le
fonctionnement cognitif des sujets âgés, mais qui est difficile à appré-
hender, et plus encore à mesurer (voir Kalpouzos et al., 2008, pour une
revue). La réserve cognitive est définie comme la capacité d’un individu
(âgé dans ce cas) à optimiser ses performances en recrutant le même
réseau cérébral que les sujets jeunes, mais de façon accrue ou bien en
recrutant un réseau différent, reflétant le recours à des stratégies cogni-
tives alternatives. Deux types de réserve ont été distingués : la réserve
statique, ou réserve cérébrale, qui dépend de la quantité de neurones et
connexions disponibles ainsi que de facteurs génétiques, et la réserve
dynamique, que l’individu se constitue lui-même au cours de sa vie,
sous l’influence de son niveau socioculturel, de son insertion sociale
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et de ses activités quotidiennes. Les principales variables utilisées


aujourd’hui pour estimer la réserve cognitive d’un individu sont son
niveau d’étude, sa situation sociale, ses occupations ou loisirs. D’autres
facteurs sont parfois pris en compte comme le quotient intellectuel, le
niveau de dépression, et des mesures relatives à la santé physique de
l’individu. De plus, des facteurs génétiques, par exemple la présence
de l’allèle ε4 du gène codant l’apolipoprotéine (facteur de risque de la
maladie d’Alzheimer), sont considérés comme des facteurs importants
dans la réserve cognitive.
Le sexe peut également influencer les modifications mnésiques liées
à l’âge. Les plaintes concernant les fonctions cognitives et, plus par-
ticulièrement, la mémoire augmentent de façon significative chez les
334 Manuel de neuropsychologie

femmes au moment de la ménopause. Cet effet du sexe sur le fonc-


tionnement cognitif, et plus particulièrement sur la mémoire, au cours
du vieillissement, a été observé et parfois interprété comme la consé-
quence de la diminution des œstrogènes à cette période de la vie. Ainsi,
une étude réalisée en 2003, par Kramer et collaborateurs rapporte
qu’avant 50 ans, la mémoire épisodique verbale décline avec l’âge chez
les hommes mais pas chez les femmes alors que les sujets plus âgés pré-
sentent un déclin quel que soit leur sexe. Certaines études ont montré
des performances mnésiques plus basses chez des femmes ménopausées
que chez des femmes non ménopausées. Les différences sont toutefois
peu importantes et n’ont pas systématiquement été retrouvées. Ainsi,
l’étude longitudinale Betula réalisée en Suède a montré un avantage
pour les femmes dans le domaine de la mémoire épisodique verbale
et de la fluence sémantique, tandis que les hommes se révélaient plus
performants dans des tâches visuospatiales, mais ces différences étaient
stables sur une période de 10 ans et identiques dans tous les groupes
d’âge.
Parallèlement, des études se sont attachées à étudier l’effet de traite-
ments hormono-substitutifs sur la cognition. Les résultats sont contro-
versés. Toutefois, de façon intéressante, les études ayant observé un
effet bénéfique du traitement hormono-substitutif sur la cognition
sont celles qui ont utilisé une évaluation de la mémoire alors que la
plupart des études ne rapportant pas d’effet bénéfique ne l’avaient pas
évaluée. Des études longitudinales ont également rapporté une amélio-
ration des fonctions cognitives globales, et plus particulièrement de la
mémoire après traitement hormono-substitutif, mais elles concernaient
un nombre assez restreint de sujets. À l’inverse, un essai clinique réa-
lisé aux États-Unis chez plus de 4 500 femmes âgées de 65 ans et plus
(Women’s Health Initiative Memory Study : WHIMS) n’a pas mis en évi-
dence d’effet des œstrogènes sur les fonctions cognitives par rapport au
placebo. Cependant, dans cette étude, comme dans d’autres n’ayant
pas observé d’effet, le traitement était administré par voie orale, tandis
que les études ayant montré un effet bénéfique des œstrogènes sur la
cognition ont utilisé des traitements administrés par voie transdermale
ou intramusculaire. De plus, dans l’étude WHIMS, les femmes étaient
âgées de 65 à 79 ans, donc un nombre important d’entre elles présen-
taient des risques de maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires
ayant pu altérer leurs performances cognitives indépendamment de
leur statut hormonal.
Les données concernant les effets du traitement chez les femmes au
moment de la ménopause et en bonne santé sont encore insuffisantes.
La neuropsychologie de l’adulte âgé 335

Les traitements hormono-substitutifs pourraient avoir un effet pro-


tecteur, pour autant qu’ils soient administrés à des femmes jeunes et en
bonne santé ; ils pourraient au contraire entraîner des effets délétères
chez des femmes âgées. Cette idée s’accorde avec celle de l’existence
d’une période critique : un traitement à base d’œstrogènes serait béné-
fique pour les femmes au moment de la ménopause, mais ceci reste
l’objet de débats.
Enfin, le type de matériel utilisé peut influencer les performances des
sujets, non seulement sa connotation affective (voir supra), mais aussi
le fait qu’il s’agisse de stimuli verbaux ou visuospatiaux. La comparai-
son des effets de l’âge sur la mémoire verbale et la mémoire visuelle a
parfois montré des diminutions de performances plus importantes dans
le domaine visuospatial, conduisant à l’hypothèse d’une plus grande
sensibilité au vieillissement de l’hémisphère droit (right hemi-aging). En
réalité, ces résultats proviennent vraisemblablement d’une différence
non contrôlée entre du matériel verbal acquis de longue date et donc
plus résistant aux effets de l’âge et du matériel visuospatial, plus récem-
ment acquis et donc plus fragile. Les études qui contrôlent ce facteur
concluent plutôt à une absence de différence dans l’évolution des per-
formances avec l’âge. Par ailleurs, cette hypothèse n’est pas non plus
étayée par les données de l’imagerie cérébrale.
La compréhension des effets de l’âge sur la mémoire nécessite par
conséquent une approche multifactorielle où différentes variables
doivent être prises en compte à la fois. L’âge exerce une influence néga-
tive sur certains systèmes de mémoire, et cette influence dépend non
seulement du type de test mais aussi d’autres variables individuelles
que l’âge. Enfin, si la diminution avec l’âge de certaines performances
ne fait pas de doute, il est nécessaire de comprendre les mécanismes de
facilitation ou de compensation (notamment l’importance du support
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environnemental et des connaissances préalables).


La notion de « vieillissement réussi » est volontiers employée pour
qualifier ce qui se passe chez les personnes âgées dont le fonctionne-
ment cognitif est remarquablement préservé. Ce terme semble avoir été
proposé en 1961 et repris en 1987 par Rowe et Kahn, qui l’ont opposé
au vieillissement habituel ou normal, et au vieillissement pathologique
(voir Bouffard et Aguerre, 2009, pour une revue). Cependant, ce que
recouvre ce terme demeure encore imprécis et on trouve beaucoup
d’autres termes dans la littérature sur ce sujet (optimal, heureux, sain,
productif, hautement fonctionnel…) qui reflètent bien ce flou concep-
tuel. Malgré cela, la notion de vieillissement réussi suscite beaucoup
d’intérêt dans la communauté des chercheurs ainsi que dans la société
336 Manuel de neuropsychologie

en général. Les études des facteurs prédictifs d’un tel vieillissement, réa-
lisées à partir de larges échantillons de sujets, ont souligné l’importance
du niveau d’éducation, de la bonne santé, d’une nutrition de bonne
qualité, de l’exercice physique (voir Audiffren et al., 2011) et intellec-
tuel et du maintien des liens sociaux. Les informations collectées dans
le cadre de l’enquête internationale SHARE (Survey on Health, Ageing and
Retirement in Europe) ont montré que le fait de rester en activité, ainsi
que la pratique d’une activité non professionnelle ou d’activités phy-
siques sont favorables à la constitution de la réserve cognitive (Adam
et al., 2007).

4. Les études d’imagerie cérébrale


chez le sujet sain âgé

L’hypothèse frontale est volontiers posée pour expliquer le déclin lié à


l’âge de certaines capacités cognitives. Le cortex frontal, très impliqué
dans le fonctionnement cognitif, serait vulnérable chez les sujets âgés,
et son atteinte rendrait compte du profil caractéristique du vieillisse-
ment. Mais ce dysfonctionnement frontal est-il une réalité ? Le cortex
préfrontal est-il la région la plus sensible aux effets de l’âge ? D’autres
structures sont-elles concernées par ses effets délétères ? Et qu’en est-il
de l’hippocampe, structure clé de la mémoire épisodique et cible préfé-
rentielle des lésions de la maladie d’Alzheimer ?

4.1 Modifications cérébrales morphologiques


liées à l’âge
Les études portant sur les modifications cérébrales morphologiques
liées à l’âge, qu’elles soient réalisées à l’aide de la méthode des régions
d’intérêt ou voxel par voxel dans l’ensemble du cerveau, convergent
vers l’altération préférentielle du cortex préfrontal et fournissent ainsi
des arguments en faveur de l’hypothèse exécutivo-frontale (Desgranges
et al., 2008). Cette hypothèse est également appuyée par les données de
l’imagerie du tenseur de diffusion, qui met en évidence les anomalies
de la substance blanche prédominant dans le cortex frontal et le corps
calleux dans sa partie antérieure.
L’hippocampe a également fait l’objet de nombreuses recherches
dans ce domaine, mais les résultats sont divergents, certaines études
montrant une atrophie, d’ampleur variable, de cette région, d’autres
La neuropsychologie de l’adulte âgé 337

concluant au contraire à une relative préservation. Le large spectre


d’âges des sujets sélectionnés peut, au moins en partie, expliquer ces
divergences, puisque lorsque l’échantillon s’étend sur une large tranche
d’âge, les résultats sont plutôt en faveur d’une préservation tandis que
les études n’ayant couvert qu’une partie de la vie, en n’incluant que
des sujets de plus de 50 ou 60 ans, concluent plus volontiers à une
atrophie de l’hippocampe. Ces résultats suggèrent que l’atrophie de
l’hippocampe due à l’âge ne serait pas linéaire et qu’elle ne débuterait
qu’après l’âge de 50 ou 60 ans. Les quelques études longitudinales qui
ont été réalisées dans ce domaine ont également conclu à une atrophie
de l’hippocampe seulement à un âge relativement avancé.
Un autre élément important est la méthodologie employée, comme le
montrent les résultats obtenus en étudiant l’ensemble du cerveau voxel
par voxel, sans délimiter de région d’intérêt (Kalpouzos et al., 2009a).
En effet, cette étude a montré que la partie postérieure de l’hippocampe
était sensible aux effets de l’âge, mais qu’en revanche, sa partie anté-
rieure était l’une des structures qui résistaient le mieux à ses effets. Ce
résultat est intéressant à plusieurs titres : d’une part, il peut expliquer
pourquoi les données de la littérature divergent quant à l’évolution avec
l’âge du volume hippocampique (selon l’endroit exact où sont faites les
mesures) et d’autre part, il peut être mis en relation avec le modèle
HIPER (voir chapitre 2, section 4). En effet, selon ce modèle, la partie
antérieure de l’hippocampe est impliquée surtout dans l’encodage des
informations en mémoire épisodique et la partie postérieure, dans leur
récupération. Les résultats de l’étude de Kalpouzos et al. (2009a) sont
donc en accord avec le fait que l’encodage est mieux préservé chez les
sujets âgés que la récupération. Enfin ce résultat est très différent de
celui qui est observé dans la maladie d’Alzheimer (voir chapitre 6, sec-
tion 3). Les effets de l’âge sur les autres structures cérébrales sont moins
clairs, même si l’atteinte du néocortex pariétal semble de plus en plus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

admise, en parallèle sans doute avec l’intérêt que suscite le rôle de cette
structure dans le fonctionnement cognitif, en particulier attentionnel
et mnésique.

4.2 Modifications métaboliques liées à l’âge


La plupart des études du métabolisme ont utilisé une approche voxel
par voxel, permettant l’examen de tout le cerveau. Toutes s’accordent
pour conclure à un hypométabolisme des régions antérieures (cortex
frontal et gyrus cingulaire antérieur) du cerveau « âgé », rejoignant ainsi
les données des études morphologiques. Là encore, les données sont
338 Manuel de neuropsychologie

plus confuses concernant les autres régions du cerveau. Dans l’étude


mentionnée ci-dessus, les sujets avaient également bénéficié d’un exa-
men en TEP au repos et les résultats ont montré que les cortex fron-
tal et pariétal étaient les plus sensibles aux effets de l’âge, tandis que
les régions hippocampiques étaient parmi les mieux préservées, avec le
cortex cingulaire postérieur, structure la plus touchée dans la maladie
d’Alzheimer (voir chapitre 6, section 3).
Plusieurs hypothèses ont été proposées pour rendre compte des modi-
fications cérébrales qui surviennent au cours du vieillissement :
1. l’hypothèse développementale, selon laquelle les premières régions
cérébrales qui se développent sont les plus résistantes aux effets du
vieillissement, et les régions qui se développent en dernier sont les
plus fragiles ;
2. un gradient cortico-sous-cortical, tel que le néocortex, subirait un
hypométabolisme tandis que les régions sous-corticales seraient
relativement préservées ; ou encore,
3. un gradient antéro-postérieur, tel que les régions antérieures subi-
raient une détérioration tandis que les régions postérieures seraient
préservées.
Mais aucune de ces hypothèses ne permet de rendre compte de
l’ensemble des données de la littérature.

4.3 Études d’activation chez le sujet sain âgé


La majorité des travaux ont porté sur la mémoire épisodique, ce qui
s’explique bien sûr par la nature des diminutions de performances
observées chez les sujets âgés. De nombreuses études ont montré
une réduction de l’asymétrie hémisphérique mise en évidence chez
les sujets jeunes, asymétrie dont la description a abouti à l’élabora-
tion du modèle HERA (voir chapitre 2, section 4). En effet, chez les
sujets âgés, tant l’encodage que la récupération en mémoire épisodique
entraînent une activation frontale bilatérale, alors qu’elle est unilaté-
rale chez les jeunes. La même observation a été faite pour d’autres sys-
tèmes de mémoire que la mémoire épisodique comme la mémoire de
travail et la mémoire sémantique, et même pour d’autres domaines
cognitifs, comme la perception et l’inhibition. Ce constat a conduit
Cabeza (2002) à proposer un autre modèle, le modèle HAROLD (pour
Hemispheric Asymmetry Reduction in OLDer adults). Deux explications
La neuropsychologie de l’adulte âgé 339

ont été proposées pour rendre compte de ce phénomène : l’hypothèse


de la compensation et celle de la dédifférenciation. Selon la première,
qui implique que les performances des sujets soient améliorées en cas
d’activation bilatérale plutôt qu’unilatérale, ce phénomène pourrait
intervenir dans le but de contrer le déclin neurocognitif lié à l’âge.
Selon l’hypothèse de la dédifférenciation, cette réduction de l’asymé-
trie refléterait les difficultés à recruter les mécanismes neuronaux spé-
cifiques. Cette hypothèse, plus négative, suggère que la réduction de
l’asymétrie hémisphérique serait un effet de l’âge sans aucune fonction
démontrée. Elle s’appuie sur des résultats cognitifs montrant qu’avec le
vieillissement, les corrélations entre différentes mesures cognitives et
sensorielles ont tendance à augmenter, suggérant une diminution de
la spécificité des processus.
Cabeza et ses collaborateurs (2002) ont testé ces deux hypothèses en
comparant l’activité cérébrale de sujets jeunes, de sujets âgés présen-
tant les mêmes performances que les jeunes, et de sujets âgés présen-
tant des scores inférieurs à ceux des jeunes à une tâche de récupération
en mémoire épisodique. Chez les sujets jeunes, seul le cortex préfrontal
droit est activé, en accord avec le modèle HERA. Chez les sujets âgés,
l’activation bilatérale s’observe uniquement chez ceux qui ont des
performances similaires à celles des jeunes, favorisant ainsi l’hypo-
thèse de la compensation. En réalité, les deux hypothèses, compen-
sation et dédifférenciation, ne sont pas exclusives et il est possible
que les modifications physiologiques du cerveau qui accompagnent le
vieillissement provoquent une désorganisation neurocognitive, avec
diminution de la spécificité des réseaux neuronaux et mise en jeu
de réseaux supplémentaires, potentiellement efficaces. Les processus
compensatoires et les mécanismes neurocognitifs déficitaires pour-
raient d’ailleurs être sous-tendus par des parties différentes du cortex
frontal.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La modification des profils d’activation chez les sujets âgés comparati-


vement aux jeunes ne se limite pas à des activations supplémentaires du
cortex frontal. En effet, une diminution des activations corticales pos-
térieures a également été mise en évidence et la conjonction des deux
phénomènes a conduit à l’élaboration d’un nouveau modèle, dénommé
PASA, pour Posterior-Anterior Shift in Aging (Davis et al., 2008). L’étude en
IRMf de Ansado et collaborateurs (2012) indique que les modifications
compensatoires peuvent prendre des formes diverses et impliquer de
très vastes réseaux cérébraux (encadré 40).
340 Manuel de neuropsychologie

Encadré 40
Déploiement des mécanismes neurocognitifs adaptatifs
avec l’âge et réorganisation cérébrale (Jennyfer Ansado,
Sylvane Faure et Yves Joanette)

Nous proposons ici un paradigme qui permet de mieux comprendre la nature


des mécanismes qui sous-tendent la réorganisation cérébrale dans le vieillis-
sement normal. Inspiré de modèles récents (Stern, 2009 ; Reuter-Lorenz et
Capell, 2008), il se focalise sur les mécanismes neurocognitifs adaptatifs qui
permettent au cerveau de faire face à l’accroissement de la demande cogni-
tive lors du vieillissement normal, et avance des hypothèses explicatives sur
le phénomène de réorganisation cérébrale « PASA » (Davis et al., 2008).
Jusqu’à récemment, le domaine du vieillissement était dominé par une
vision uniquement défectologique, ne permettant pas une compréhension
fine des mécanismes à l’œuvre dans le vieillissement normal. Plus récem-
ment, les quelques études réalisées en neuro-imagerie dans le contexte de
l’attention visuelle sélective s’ajoutant à celles, plus nombreuses, portant
sur l’ensemble de la sphère cognitive, ont permis d’identifier deux phéno-
mènes de réorganisation cérébrale dans le vieillissement normal. Le premier,
situé sur l’axe interhémisphérique, se caractérise par une bi-latéralisation de
l’activité cérébrale impliquant le recrutement de la région homologue située
dans l’autre hémisphère et traduirait de la sorte une réduction de la latérali-
sation cérébrale fonctionnelle avec l’âge (HAROLD, Cabeza et al., 2002). Le
second (PASA, Davis et al., 2008) se traduit par l’accroissement de l’engage-
ment des cortex frontaux et préfrontaux illustrant un renversement sur l’axe
intra-hémisphérique dans le sens postéro-antérieur. Toutefois, même si l’on
assiste à l’établissement d’un certain consensus dans la littérature concer-
nant la description de ces phénomènes de réorganisation cérébrale dans
le vieillissement normal, la nature des mécanismes sur lesquels ils reposent
reste controversée et peu comprise.
Le modèle de la réserve cognitive (Stern, 2009), qui propose deux modes
d’adaptation à la complexité, celui de la réserve neurale et celui de la
compensation neurale, offre un cadre théorique qui englobe et articule ces
deux situations. Dans le cas de la réserve neurale, le réseau neurocogni-
tif préexistant commun à tous les individus et qui sous-tend la réalisation
d’une tâche pourrait s’exprimer différemment en fonction de son efficience,
de sa capacité et des exigences de la tâche. Alors que les individus jeunes
recruteraient en général cette capacité pour faire face à l’accroissement de
la demande cognitive, elle serait mise en œuvre chez les âgés dès les faibles
niveaux de demande pour aider à faire face au vieillissement. Dans le cas de
la compensation neurale, ces patrons reposeraient sur la capacité de cer-
tains sujets à compenser la défaillance des réseaux habituellement requis,
À
La neuropsychologie de l’adulte âgé 341

Â
liée au vieillissement, en sollicitant d’autres stratégies cognitives qui reposent
sur le recrutement d’autre(s) région(s) ou réseau(x) plus efficaces pour réa-
liser la tâche. Toutefois, aucune étude n’avait exploré à ce jour au sein d’une
même cohorte les relations entre les modes d’adaptation et la dimension sur
laquelle ces mécanismes pourraient s’illustrer.
Pour remédier à cette absence nous avons élaboré un paradigme d’étude
qui prend en considération conjointement ces 4 facteurs (figure 1) et nous
l’avons appliqué dans le cadre de deux études menées récemment en IRMf
dans notre laboratoire. Conformément à notre paradigme, ces deux études
ont exploré au sein d’une même cohorte de participants âgés les relations
entre les mécanismes neuraux d’adaptation (compensation neurale vs.
réserve neurale) et la dimension hémisphérique (intra-hémisphérique vs.
inter-hémisphérique) sur laquelle ces mécanismes pourraient s’illustrer. Dans
ces deux études, la complexité de la tâche a été manipulée afin de forcer le
cerveau à déployer ses mécanismes adaptatifs lors d’une tâche d’apparie-
ment de lettres impliquant particulièrement le réseau fronto-pariétal.

Réorganisation cérébrale

Intra-hémisphérique Inter-hémisphérique
(PASA) (HAROLD)

Mécanismes neurocognitifs Mécanismes neurocognitifs


adaptatifs adaptatifs
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Réserve Compensation Réserve Compensation


Neurale Neurale Neurale Neurale
Régions antérieures Régions antérieures Régions homologues Régions homologues
activées en C+ jamais engagées activées en C+ jamais engagées
chez les jeunes chez les jeunes chez les jeunes chez les jeunes
(même en C+) (même en C+)

Figure 1 – Paradigme d’identification des mécanismes neurocognitifs


adaptatifs sous-jacents à la réorganisation cérébrale ; C+ : condition
de demande cognitive élevée

Dans la première étude (Ansado et al., à paraître), 32 participants ont réa-


lisé une tâche d’appariement de lettres basée sur une similitude perceptive
(A-A) selon un devis événementiel en IRMf. Cette tâche comportait deux
À
342 Manuel de neuropsychologie

Â
niveaux de charge attentionnelle. Le faible niveau comportait un dispositif
de 3 lettres (i.e. 1 lettre cible et 2 lettres distractrices) alors que le niveau
de charge élevé comportait 5 lettres au total (i.e. 1 lettre cible et 4 lettres
distractrices). Les résultats ont montré que les participants âgés recrutent
plus que les jeunes les gyri frontaux supérieurs dès le faible niveau de
charge attentionnelle conformément au phénomène PASA et à l’hypothèse
de la compensation neurale. En condition de charge élevée se déploie alors
le mécanisme de réserve neurale commun aux deux groupes d’âge et qui
s’illustre principalement par le recrutement des régions pariétales. Ainsi,
en engageant le cortex pariétal postérieur connu pour être responsable du
déploiement de l’attention spatiale, l’ensemble des participants montrent
une manière commune de faire face à la difficulté de localiser la lettre corres-
pondant à la lettre cible parmi un nombre élevé de distracteurs.
La deuxième étude (Ansado et al., 2012) examine aussi les mécanismes
neurocognitifs adaptatifs dans le vieillissement normal selon le même pro-
tocole attentionnel (niveau de charge faible et niveau de charge élevé) que
l’étude précédente mais à un niveau plus complexe de l’attention sélective
du fait qu’il implique une opération d’appariement basée sur le nom de la
lettre (i.e. appariement nominatif, a-A). Les résultats confirment aussi la pré-
sence du phénomène PASA et l’hypothèse de la compensation neurale dans
le cas de l’appariement plus complexe. En effet, dès la condition de faible
charge, les participants âgés recrutent les régions frontales bilatérales pour
accomplir la tâche, alors que les jeunes recrutent exclusivement les régions
bilatérales occipitales. Les résultats montrent également une amplification
du phénomène PASA face à l’accroissement de la charge attentionnelle : les
âgés recrutent alors plus les régions frontales et les jeunes recrutent davan-
tage les régions occipitales. Ainsi, dans la situation de charge attentionnelle
élevée, les participants âgés sollicitent exclusivement le mécanisme de
compensation neurale en engageant massivement les régions frontales
pour faire face à l’accroissement de la charge attentionnelle.
Ces deux études confirment ainsi la validité et l’intérêt de notre paradigme
d’étude des mécanismes neurocognitifs adaptatifs avec l’avancée en âge
puisqu’il a permis de relier, pour la première fois dans la littérature, le
phénomène PASA au mécanisme de compensation neurale. Ainsi, l’action
compensatoire qui repose sur l’engagement des régions frontales apparaît
comme le moyen le plus efficace de faire face au vieillissement et à l’accrois-
sement de la demande cognitive. Toutefois, la prépondérance de l’implica-
tion du mécanisme de compensation neurale n’exclut pas le recours à la
réserve neurale puisqu’on observe que ces deux mécanismes peuvent être
impliqués de manière concomitante face à l’accroissement de la demande
cognitive au sein du phénomène PASA. En outre, d’autres travaux doivent
être menés selon ce paradigme pour explorer plus en détail le versant inter-
hémisphérique des mécanismes neurocognitifs adaptatifs.
La neuropsychologie de l’adulte âgé 343

En contraste avec le néocortex, l’hippocampe n’est pas le siège de


modifications importantes des activations au cours du vieillissement
normal. De nombreux travaux ont conclu à une absence de différence
significative entre les activations observées chez les sujets âgés et chez
les jeunes lors de tâches de mémoire épisodique. Par exemple, Bernard
et al. (2007), à l’aide d’un paradigme d’imagerie fonctionnelle pendant
une tâche d’encodage et de rappel indicé de mots, ont recherché les
corrélations entre l’activité cérébrale mesurée pendant l’encodage et
les performances de rappel ultérieures. Ils ont montré une corrélation
significative entre l’activité de la région hippocampique gauche et les
scores de mémoire, tant chez les sujets jeunes que chez les âgés, indi-
quant que l’hippocampe joue un rôle essentiel à la réussite de la tâche.
Il faut cependant noter que chez les sujets âgés, et non chez les jeunes,
une autre structure intervient : le cortex préfrontal, un résultat suggé-
rant le recours à des mécanismes compensatoires.
Dans certaines conditions, cependant, des modifications de l’activité
hippocampique lors de tâches de mémoire épisodique ont été mises en
évidence chez des sujets âgés. Ainsi, lorsque la tâche ne se limite pas à
la récupération de l’information, mais qu’on demande au sujet de préci-
ser dans quelles circonstances cette information a été encodée (à l’aide
d’un paradigme remember/know), l’activation hippocampique est plus
faible chez les sujets âgés que chez les jeunes (Daselaar et al., 2006). Ceci
est cohérent avec le rôle de l’hippocampe dans les aspects les plus éla-
borés de la mémoire épisodique ainsi qu’avec leur sensibilité aux effets
de l’âge. En revanche, l’activité d’une région voisine de l’hippocampe,
le cortex rhinal, est plus intense chez les sujets âgés que chez les jeunes,
là encore en accord avec le fait que cette région sous-tend un autre
aspect de la mémoire, moins fragile, le sentiment de familiarité. Ainsi
les études d’imagerie fonctionnelle ont permis de mettre en évidence
des modifications des patterns d’activation liées à l’âge, souvent inter-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

prétées en termes de mécanismes compensatoires. De tels résultats sus-


citent un engouement compréhensible, même s’ils ne sont pas encore
parfaitement compris à l’heure actuelle.

4.4 Études de corrélations cognitivo-morphologiques


et cognitivo-métaboliques
L’étude des régions cérébrales impliquées dans le fonctionnement
(et le dysfonctionnement) cognitif peut également se faire grâce à la
méthode des corrélations cognitivo-morphologiques ou cognitivo-
métaboliques. Cette méthode permet de mettre en évidence les régions
344 Manuel de neuropsychologie

cérébrales dont l’atteinte structurale ou fonctionnelle sous-tend le


déclin cognitif chez les sujets âgés. Un nombre non négligeable d’études
a cherché à montrer un lien entre les troubles mnésiques et le volume
de deux régions cérébrales, l’hippocampe et le cortex frontal, mais peu
d’entre elles ont obtenu des résultats significatifs. Cependant, la plu-
part des études ont utilisé la méthode des régions d’intérêt, tracées
sur l’ensemble de l’hippocampe ou des régions frontales très vastes,
méthode non appropriée si l’on considère que des sous-parties de ces
régions pourraient jouer des rôles différents. De plus, cette méthode
empêche évidemment de montrer l’implication d’autres structures
cérébrales.
Concernant l’aspect fonctionnel et non plus structural, à notre
connaissance, très peu d’études ont cherché à établir des corrélations
entre des données cognitives et la consommation cérébrale de glucose
évaluée au repos chez des sujets sains.
Dans l’étude de Kalpouzos et al. (2009b), 46 sujets sains, répartis en
trois groupes en fonction de leur âge (jeunes, d’âge intermédiaire et
âgés), ont été examinés à l’aide d’une tâche de mémoire épisodique
manipulant la profondeur de traitement à l’encodage. Les résultats
montrent un déclin non linéaire et variable en fonction de la condi-
tion d’encodage : après encodage superficiel (dire si la première et la
dernière lettres du mot à mémoriser sont dans l’ordre alphabétique),
les performances sont diminuées chez les sujets d’âge intermédiaire
et âgés par rapport aux sujets jeunes ; après encodage profond (faire
une phrase incluant le mot), les sujets d’âge intermédiaire norma-
lisent leurs performances, tandis que celles des sujets âgés restent
inférieures à celles des sujets jeunes. Grâce à la méthode des corréla-
tions avec les données cérébrales, les auteurs montrent que chez les
sujets d’âge intermédiaire et âgés, la diminution des performances
dans la condition d’encodage superficiel est principalement liée au
dysfonctionnement de la partie postérieure de l’hippocampe. En
revanche, la diminution des performances chez les sujets âgés dans la
condition d’encodage profond est liée à l’atteinte des aires frontales
et pariétales, suggérant l’utilisation de processus stratégiques ineffi-
caces. Ainsi, l’hypothèse frontale se trouve confortée par ces résultats,
mais s’applique aux sujets les plus âgés et dans la condition d’enco-
dage profond.
En conclusion, l’imagerie cérébrale a permis de mieux comprendre
la nature et l’origine des déficits cognitifs dans le vieillissement nor-
mal. L’hypothèse frontale, posée pour rendre compte des difficultés
cognitives des sujets âgés, se trouve confortée par de nombreux résul-
La neuropsychologie de l’adulte âgé 345

tats. Ainsi, le cortex frontal est la structure la plus sensible aux effets
de l’âge et son altération semble bien sous-tendre le déclin des per-
formances mnésiques lié à l’âge. Cette hypothèse « frontale » permet
également d’expliquer l’affaiblissement des capacités de la mémoire
de travail avec l’âge, tandis que l’intégrité du cortex associatif posté-
rieur, notamment temporal et occipital, est en accord avec la préserva-
tion de la mémoire sémantique et des effets d’amorçage. Cependant,
l’hypothèse frontale est quelque peu réductrice et ne doit pas masquer
le rôle d’autres structures cérébrales, notamment pariétales, ou tem-
porales internes, dont le dysfonctionnement pourrait contribuer au
déclin mnésique, notamment chez les sujets les plus âgés. De plus,
dans la mesure où le cortex frontal représente une vaste région céré-
brale sous-tendant de nombreuses fonctions cognitives et comporte-
mentales, cette hypothèse mérite sûrement d’être affinée. Ainsi, les
fonctions sous-tendues par le cortex frontal dorsolatéral, comme les
fonctions exécutives, sont plus sensibles aux effets de l’âge que celles
qui dépendent du cortex ventrolatéral, comme le traitement des émo-
tions et la cognition sociale. L’hypothèse frontale a été critiquée, peut-
être en réaction à un engouement excessif pour cette « métaphore
frontale ». Cependant, même si elle est à la fois trop imprécise (puis-
qu’elle doit mieux spécifier quelles sont les modifications « locales »
touchant telle ou telle partie du cortex frontal responsable de dimi-
nutions de performances cognitives) et insuffisante (puisqu’elle ne
permet pas de rendre compte de l’ensemble des phénomènes), elle est
à l’heure actuelle cohérente avec de nombreuses données tant cogni-
tives que cérébrales.
L’imagerie cérébrale a également contribué à l’élaboration de plu-
sieurs modèles intégrant les processus préservés et les mécanismes
compensatoires à l’œuvre dans le vieillissement normal. Ces modèles
tentent de rendre compte des capacités plastiques du cerveau à recru-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ter des réseaux alternatifs efficaces lorsque ceux normalement dévolus


à la fonction ne le sont plus. Nous avons vu précédemment le modèle
HAROLD proposé par Cabeza en 2002. Plus récemment, le modèle
STAC (Scaffolding Theory of Aging and Cognition ; Park et Reuter-Lorenz,
2009) et le modèle CRUNCH (Compensation-Related Utilization of Neural
Circuits Hypothesis ; Reuter-Lorenz et Cappell, 2008) ont été proposés
pour rendre compte de ces capacités d’« échafaudage » (scaffolding).
Les résultats de la littérature montrent cependant que ces mécanismes
compensatoires sont efficaces seulement jusqu’à un certain âge. Enfin,
la notion de réserve cognitive est déterminante dans ce domaine et
explique une part importante de la variabilité interindividuelle. Une
346 Manuel de neuropsychologie

réserve cognitive élevée chez les sujets âgés pourrait être à la base des
capacités à engager des processus de compensation neurocognitifs,
mais des études supplémentaires sont nécessaires afin de préciser les
éléments favorisant cette réserve. Il est nécessaire également de dispo-
ser d’un moyen fiable d’évaluer la réserve cognitive. À ce jour, la plu-
part des travaux ont utilisé le niveau d’éducation comme indicateur,
ce qui est insuffisant pour mesurer un phénomène aussi complexe. Des
facteurs comme les activités intellectuelles, de loisir, les interactions
sociales et l’exercice physique semblent avoir un impact dans cette
réserve et devront être considérés systématiquement dans les études
futures (Kalpouzos et al., 2010).
Pour conclure ce chapitre, il nous paraît important de souligner que le
vieillissement normal se démarque du vieillissement pathologique, en
particulier de la maladie d’Alzheimer, par un grand nombre d’éléments.
Le contraste existe sur le plan cognitif, où le déficit de la mémoire épi-
sodique n’est « authentique » que chez les patients Alzheimer. La dif-
férence est nette également sur le plan cérébral, particulièrement au
niveau de l’hippocampe et du cortex cingulaire postérieur (préservés
dans le vieillissement normal, altérés dans la maladie d’Alzheimer, voir
encadré 41). Pourtant, il n’est pas rare de trouver encore l’idée d’un
continuum entre vieillissement normal et pathologique. Bien sûr, l’âge
est le principal facteur de risque de la maladie d’Alzheimer, mais il
s’agit bien d’une maladie, dont les caractéristiques sont de mieux en
mieux connues, à défaut de son étiologie. Enfin, il ne faut pas considé-
rer le vieillissement comme synonyme de déclin, et il est important de
mettre en lumière les capacités cognitives qui résistent bien aux effets
du temps. Dans cette perspective, il faut se garder des stéréotypes néga-
tifs sur le vieillissement, stéréotypes qui peuvent conduire le chercheur
à rechercher plus volontiers des effets délétères que des effets positifs,
et qui peuvent également influencer les performances obtenues par les
sujets âgés lorsqu’ils sont placés dans une situation de comparaison
avec des sujets jeunes.
La neuropsychologie de l’adulte âgé 347

Encadré 41
Contrastes entre vieillissement normal et maladie d’Alzheimer

Figure 1 – Profils d’altérations cérébrales dans le vieillissement normal


et la maladie d’Alzheimer (inspiré de Kalpouzos et al., 2009).
Le cortex frontal et le cortex pariétal sont les régions les plus sensibles
aux effets de l’âge, sur le plan structural et fonctionnel au repos (à gauche).
En revanche les régions qui sont les mieux préservées (au centre)
sont l’hippocampe antérieur (structural) et le gyrus cingulaire postérieur
(métabolique). Ces régions sont au contraire celles qui sont les plus
détériorées dans la maladie d’Alzheimer.
6
Cha
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DÉMENCES
ET SYN DROMES
DÉMEN TIELS
aire
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1. Introduction à la neuropsychologie des démences ......................347


2. La maladie d’Alzheimer : maladie de la cognition ........................350
3. L’imagerie cérébrale dans la maladie d’Alzheimer ....................... 361
4. Les démences frontotemporales...................................................374
5. Démences corticales et démences sous-corticales .......................380
6. L’examen neuropsychologique des patients déments ................383
Démences et syndromes démentiels 351

1. Introduction à la neuropsychologie
des démences

Le concept de démence est polysémique et il est important d’en avoir


conscience, surtout quand il est utilisé auprès de non-spécialistes. Dans
le domaine médical, le terme de démence, pris dans un sens descrip-
tif, fait référence à un syndrome comportant une altération progressive
de la mémoire et de l’idéation, suffisamment marquée pour retentir
sur les activités de la vie de tous les jours, apparue depuis au moins
six mois, et un trouble d’au moins une fonction instrumentale comme
le langage ou le calcul. Dans la nosographie médicale, les démences
représentent une classe d’affections de causes diverses, par exemple les
démences vasculaires ou dégénératives, la maladie d’Alzheimer étant la
plus connue d’entre elles.
En revanche, dans le langage courant mais aussi juridique, le terme
de démence reste synonyme, comme par le passé, d’aliénation men-
tale (« un individu en état de démence »). Ce sens, qui peut être celui
perçu par les familles des patients, est très éloigné de la signification
actuelle du terme dans le vocabulaire scientifique et médical. De plus,
même parmi les spécialistes, qu’ils soient neurologues, psychiatres
ou gériatres, les conceptions oscillent entre deux pôles qui font réfé-
rence, explicitement ou non, à deux grandes théories psychologiques
de l’intelligence. Selon la définition encore prépondérante jusqu’à il
y a une trentaine d’années, la démence était considérée comme une
faillite globale des fonctions intellectuelles (en rapport avec une atro-
phie cérébrale diffuse). Elle correspond actuellement à la convergence
de plusieurs déficits pouvant affecter la cognition de façon modulaire.
Cette conception a conduit à l’établissement de critères de diagnostic
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans les années 1980, critères qui se sont révélés déterminants pour
mettre en place une recherche pluridisciplinaire cohérente. Celle-
ci s’est organisée après la prise de conscience du problème de santé
publique qu’allaient poser, dans un proche avenir, différentes affec-
tions pouvant conduire à un syndrome démentiel. Les critères de cette
époque tendaient à assimiler, plus ou moins implicitement, le diagnos-
tic clinique d’une maladie (par exemple la maladie d’Alzheimer) et le
processus physiopathologique sous-jacent. De plus, le diagnostic était
effectué au stade de démence.
Les critères de diagnostic ont été reprécisés récemment pour différentes
affections (maladie d’Alzheimer, démences frontotemporales, etc.). Dans
ces nouveaux critères (voir par exemple Jack et al., 2011 pour la maladie
352 Manuel de neuropsychologie

d’Alzheimer), la distinction est faite entre le processus physiopathologique


sous-jacent et le diagnostic clinique, les deux pouvant être en désaccord.
Un autre élément nouveau et important est l’intégration du fait que la
maladie d’Alzheimer est un processus très lent, qui se développe des
années et même des décennies avant l’expression clinique de la maladie.
Trois grands stades sont ainsi définis : le stade présymptomatique, le stade
symptomatique prédémentiel et le stade démentiel. Ces distinctions
prennent tout leur sens avec le développement de biomarqueurs (dosages
de protéines dans le liquide céphalorachidien, et techniques d’imagerie
cérébrale comme l’imagerie par résonance magnétique, la tomographie
par émission de positons, etc.), de plus en plus à même d’apporter des
éléments de diagnostic, y compris aux stades les plus précoces de la mala-
die. Certes, ces critères distinguent très soigneusement les situations de
recherche (l’utilisation des biomarqueurs est restreinte à la recherche cli-
nique pour le stade présymptomatique) et la pratique courante. Il existe
toutefois de nombreuses situations « intermédiaires » et les pratiques
vont rapidement évoluer avec l’accès de plus en plus aisé aux biomar-
queurs. Un autre élément capital sera la découverte de nouveaux traite-
ments permettant d’enrayer le processus physiopathologique, si ceux-ci
sont administrés suffisamment tôt.
Dans ce cadre, la place de la neuropsychologie se trouve à la fois
modifiée et réaffirmée. Le bilan neuropsychologique ne constitue pas
un « marqueur », au sens où il n’apporte pas de données sur la nature
des lésions. En revanche, il fournit des renseignements sur l’analyse
fine des déficits et permet en conséquence de poser des hypothèses
précises et étayées sur l’altération d’un ou de plusieurs systèmes céré-
braux. Ainsi, l’examen neuropsychologique procure des informa-
tions essentielles qui contribuent largement à la compréhension et à
l’interprétation du tableau clinique et paraclinique. Au-delà, la neuro-
psychologie est plus que jamais nécessaire sur le plan éthique, pour
éviter aujourd’hui, à l’heure où il n’existe pas de traitement curatif,
des diagnostics biologiques non fondés sur une plainte et un déficit
cognitif. Les neuropsychologues doivent aussi être parfaitement infor-
més des avancées technologiques (les biomarqueurs) et thérapeutiques
qui vont bouleverser prochainement tout un secteur et sa pratique avec
des conséquences majeures, y compris sur le plan de la société. Enfin,
notre discipline est amenée à jouer un rôle de plus en plus grand dans
la prise en charge structurée des patients déments dans leur environne-
ment journalier.
La prévalence des démences (nombre total des cas recensés ou esti-
més à un moment donné dans la population générale) varie, selon les
Démences et syndromes démentiels 353

études, de 5 à 20 %, ces chiffres concernant les pays industrialisés. L’inci-


dence des démences (nombre de nouveaux cas par an et par nombre
d’habitants), toutes étiologies confondues, est voisine de 0,5 % pour
la tranche d’âge 60-64 ans, passe à 10 % entre 80 et 84 ans et atteint
20 % de 85 à 89 ans. Les données concernant la population mondiale
en 2009 évaluaient à environ 31 millions le nombre de personnes souf-
frant de démence. Ces chiffres iront en augmentant et le vieillissement
des populations des pays en voie de développement conduit à estimer
qu’en 2020, 48 millions de personnes dans le monde pourraient souf-
frir de démence, et 90 millions en 2040. La proportion de maladies
d’Alzheimer y est estimée à plus de 50 %. Les données épidémiologiques
varient selon les études, qui sont soumises à de nombreux biais, mais
toutes s’accordent sur la croissance exponentielle de la maladie avec l’âge.
Ces chiffres prennent toute leur signification quand on les rapproche
de la modification de la pyramide des âges dans les pays industrialisés.
Le vieillissement de la population et son corollaire, l’augmentation de
la prévalence des démences, ont profondément modifié les pratiques
cliniques des neuropsychologues. Les examens et, plus récemment, les
prises en charge des patients déments deviennent des secteurs d’activité
importants alors qu’ils étaient modestes au début des années 1980. La
neuropsychologie des états démentiels n’a pas fait irruption unique-
ment dans les pratiques cliniques, elle constitue aujourd’hui une source
d’inférences notable sur un plan plus fondamental. En effet, les travaux
comparant différents syndromes démentiels ont apporté des données
novatrices en neuropsychologie avec d’importantes implications sur
l’organisation des fonctions cognitives et leurs bases cérébrales.
Diverses affections conduisant à un état démentiel ont été décrites
au début du XXe siècle mais, à quelques exceptions près, peu d’auteurs
se sont attachés à en proposer une analyse sémiologique approfondie
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jusqu’à une date récente. À la fin des années 1970, sans lien de cause
à effet entre les deux événements, la prise de conscience du problème
de santé publique posé par les états démentiels a coïncidé avec l’essor
de la neuropsychologie cognitive. Ses conceptions modulaires ont été
appliquées à l’étude d’affections qui semblaient, à l’époque, synonymes
d’affaiblissement intellectuel global. Dans des domaines comme la
mémoire ou le langage, les modèles cognitifs ont permis de décrire les
profils neuropsychologiques de différents états démentiels. Réciproque-
ment, les perturbations particulières (certains troubles de la mémoire
sémantique et implicite) observées dans les affections neurodégéné-
ratives et rarement rencontrées dans des pathologies par lésion focale
ont permis des avancées théoriques. Toutefois, ces approches modulaires
354 Manuel de neuropsychologie

ont délaissé, dans un premier temps, l’analyse de certains secteurs


où elles s’avéraient moins pertinentes : par exemple, les troubles de
l’humeur et de la personnalité. Aujourd’hui, ces éléments sont pris
en compte, tout particulièrement dans certaines formes d’affections
comme les démences frontotemporales, qui constituent la deuxième
cause de démence dégénérative primaire après la maladie d’Alzheimer.
L’approche cognitive a ainsi permis de dépasser l’acception globale du
terme de démence qui uniformise de multiples affections sans les diffé-
rencier. Elle autorise une nouvelle sémiologie adaptée à la description
de diverses maladies, mais aussi à l’analyse des perturbations présentées
par un patient singulier.
La neuropsychologie du vieillissement pathologique – l’étude des
états démentiels – constitue depuis une vingtaine d’années un domaine
particulièrement actif de la recherche. Dans ce chapitre, nous décrirons
les principales maladies neurodégénératives en insistant sur les aspects
neuropsychologiques, mais en abordant aussi l’imagerie cérébrale, qui
a beaucoup contribué à la compréhension de ces maladies, notamment
en mettant en évidence les atteintes structurales et fonctionnelles, et
en démontrant, de façon plus inattendue, des mécanismes de compen-
sation.

2. La maladie d’Alzheimer : maladie


de la cognition

La maladie d’Alzheimer (MA) est caractérisée par des troubles cognitifs


d’évolution lentement progressive. Comme dans la plupart des mala-
dies neurodégénératives, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de moyen
d’obtenir la preuve du diagnostic du vivant du patient. On doit donc se
contenter, tant pour la prise en charge que pour la recherche clinique,
d’un diagnostic de présomption. Des progrès considérables ont été
néanmoins réalisés ces dernières années grâce au développement des
« consultations mémoire » et à l’utilisation de techniques de neuropsy-
chologie et de neuro-imagerie de plus en plus performantes auxquelles
il convient d’ajouter la mise au point de différents biomarqueurs (voir
supra). L’effort est aujourd’hui porté sur le diagnostic précoce de la mala-
die, y compris à un stade infra-démentiel, c’est-à-dire chez des patients
avec Mild cognitive impairment (MCI) ou « déficit cognitif léger ». Ces
patients présentent des déficits cognitifs subtils ou isolés pouvant évo-
luer pendant plusieurs années, avant que le diagnostic de MA puisse
Démences et syndromes démentiels 355

être établi, chez certains d’entre eux, selon les critères actuels. Même si
ce concept fait l’objet de critiques, l’étude de ces patients, notamment
des patients « MCI amnésiques », qui présentent une perte de mémoire
objectivée par des performances déficitaires aux tests de mémoire épiso-
dique, a fait avancer les connaissances sur la MA, en particulier sur les
marqueurs prédictifs de l’évolution vers cette maladie.

2.1 La démarche diagnostique


Actuellement, le diagnostic de MA s’appuie toujours sur des critères qui
ont été définis pour les besoins de la recherche clinique, mais les efforts
des chercheurs convergent vers la reconnaissance de critères plus spé-
cifiques qui permettent un diagnostic plus précoce de la maladie, à un
stade qui ne peut être qualifié de démence. La place de l’imagerie céré-
brale dans la démarche diagnostique a évolué au cours de la dernière
décennie : auparavant utilisée pour exclure une autre cause de démence,
elle est maintenant recommandée « pour tout trouble cognitif avéré
de découverte récente », le but de l’examen étant non seulement « de
ne pas méconnaître l’existence d’une autre cause (processus expansif
ou occupant intracrânien, hydrocéphalie à pression normale, séquelle
d’accident vasculaire, etc.), mais aussi d’objectiver une atrophie asso-
ciée ou non à des lésions vasculaires » (Haute Autorité de Santé ; HAS,
2011). Les recommandations de l’HAS précisent que cet examen doit,
dans la mesure du possible, être fait par imagerie par résonance magné-
tique nucléaire, avec des coupes coronales permettant de visualiser
l’hippocampe. Les avancées de la recherche en termes de techniques
d’imagerie et de méthodes d’analyse des images devraient permettre
d’augmenter la contribution de ces examens au diagnostic de la mala-
die, tout en les intégrant aux autres données cliniques, comme le sou-
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ligne la récente redéfinition des critères de recherche de MA (Dubois et


al., 2010 ; McKhann et al., 2011).
L’examen neuropsychologique reste déterminant pour établir le diag-
nostic et préciser le profil des troubles observés. La MA est caractérisée,
dans sa forme typique, par des troubles de la mémoire et des troubles
d’autres fonctions cognitives (langage, praxies, fonctions exécu-
tives, etc.), mais le « classique » syndrome aphaso-apraxo-agnosique ne
survient généralement que tardivement. Les recherches menées depuis
une vingtaine d’années en neuropsychologie cognitive ont permis de
préciser ces perturbations aux stades légers et modérés de l’évolution.
Celle-ci, variable selon les individus, s’étend sur plusieurs années et
aboutit à des perturbations de l’ensemble des fonctions mentales. Des
356 Manuel de neuropsychologie

« îlots » de fonctions cognitives préservées peuvent néanmoins long-


temps subsister chez des patients atteints d’un syndrome démentiel
sévère.

2.2 Les troubles de la mémoire


Ils constituent généralement le symptôme inaugural et longtemps
prédominant. Ils existent même plusieurs années avant le début de la
démence, comme le montrent les études épidémiologiques longitudi-
nales. Les proches du malade rapportent des oublis d’objets, de rendez-
vous, d’événements récents. Un épisode inquiétant est parfois mis en
avant : le patient s’est égaré dans une ville qui lui était pourtant fami-
lière. En référence aux modèles structuraux, le trouble le plus constant
affecte la mémoire épisodique. L’amnésie antérograde, très intense, est
due en grande partie à un défaut d’encodage des informations, mais
des déficits associés du stockage et de la récupération ne peuvent être
exclus. Lors de l’examen neuropsychologique, les troubles sont bien
mis en évidence dans des épreuves d’apprentissage de listes de mots. Les
patients atteints de MA bénéficient peu des différentes présentations du
matériel (leur courbe d’apprentissage est en plateau). L’échec est mas-
sif dans des situations de rappel différé (par exemple trente minutes
après la dernière présentation du matériel). Les patients ont tendance
à commettre des intrusions, c’est-à-dire à rappeler des éléments (des
mots par exemple) qui n’appartiennent pas à la liste initiale. De plus,
leurs performances sont peu améliorées par des indices ou dans des
tests de reconnaissance qui sont généralement beaucoup mieux réussis
que ceux de rappel libre chez les sujets âgés normaux mais aussi dans
diverses pathologies fonctionnelles (la dépression) ou organiques (les
démences sous-corticales, voir infra). De ce fait, les troubles mnésiques
des patients atteints de MA sont qualifiés d’« authentiques » par oppo-
sition aux troubles « apparents » liés par exemple à l’utilisation de stra-
tégies inefficaces ou à des troubles attentionnels qui retentissent sur les
performances mnésiques (Grober et Buschke, 1987).
Outre les difficultés à acquérir des informations nouvelles, les patients
atteints de MA éprouvent des difficultés à restituer des souvenirs person-
nels. En début de maladie, les troubles de la mémoire autobiographique
sont caractérisés par un gradient de Ribot avec une meilleure préser-
vation des souvenirs anciens que des souvenirs récents. Toutefois, le
gradient temporel semble dû à la sémantisation des souvenirs anciens,
tandis que les souvenirs strictement épisodiques, situés dans le temps et
l’espace, riches de détails et empreints d’un sentiment de reviviscence,
Démences et syndromes démentiels 357

sont altérés, quelle que soit la période de vie explorée. Petit à petit, le
passé lointain est aussi altéré en lien avec l’atteinte progressive de la
mémoire sémantique personnelle. Ces troubles de la mémoire autobio-
graphique retentissent sur le sentiment d’identité des patients. Pour-
tant et y compris dans les formes sévères, ce sentiment d’identité peut
être en partie préservé et conduit, dans certains cas, à une situation où
le patient est conscient d’une identité qui était sienne plusieurs décen-
nies auparavant.
L’étude de la conscience autonoétique, grâce au paradigme R/K (pour
remember/know, ou « je me souviens/je sais »), est rare dans la MA. Les
quelques études publiées montrent que les patients atteints de MA ont
tendance à fournir moins de réponses « je me souviens », et surtout
qu’ils ont des difficultés à les justifier, c’est-à-dire à rapporter des détails
contextuels permettant de préciser leurs réponses. En quelque sorte,
les patients peuvent avoir l’impression de revivre l’événement initial
sans pour autant pouvoir accéder à l’ensemble des détails contextuels
de l’événement.
Au total, dans la MA, le déficit de mémoire épisodique se manifeste
quelle que soit la tâche employée. Plusieurs études se sont intéressées
à la mémoire épisodique des patients avec MCI, en soulignant l’intérêt
du rappel différé comme prédicteur d’une évolution vers le diagnostic
de MA. La mesure qui s’avère à la fois la plus sensible et la plus spéci-
fique est le rappel différé d’une liste de mots reliés sémantiquement, ce
qui peut s’expliquer par la difficulté des patients à organiser les items à
mémoriser par catégorie sémantique.
Les troubles de la mémoire épisodique sont associés à une désorien-
tation temporospatiale : le patient ne sait plus la date, a des difficultés
pour s’orienter spatialement, surtout dans des lieux nouveaux, et cette
perturbation peut s’étendre à son environnement familier. À ce stade,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

les déficits mnésiques sont insuffisants pour expliquer l’ensemble des


troubles spatiaux.
Des troubles de la mémoire de travail sont observés mais ils sont tou-
tefois inconstants au début de l’affection et les mesures classiques de
l’empan ne constituent pas un bon outil de diagnostic. Au contraire,
le paradigme de Brown-Peterson montre des performances très pertur-
bées dans la MA, y compris quand les tâches interférentes sont très
simples. Le paradigme de Brown-Peterson évalue l’intégrité de l’admi-
nistrateur central de la mémoire de travail mais met en jeu également
le système phonologique. L’équipe de Baddeley a également montré
des perturbations massives dans les situations de tâches doubles (par
exemple, une mesure de l’empan auditivo-verbal et une poursuite de
358 Manuel de neuropsychologie

cible avec un stylet sur un écran d’ordinateur). Ces résultats ont été
interprétés comme reflétant une atteinte de l’administrateur central de
la mémoire de travail. Cette perturbation pourrait constituer un déficit
fondamental ayant des répercussions dans un grand nombre de tâches
cognitives. Si les troubles de l’administrateur central sont maintenant
bien documentés et considérés comme au cœur des perturbations de
la mémoire de travail dans la MA, des travaux récents et la réinterpré-
tation de données plus anciennes, portant notamment sur des tâches
de mémoire de récits, soulignent l’existence d’une atteinte du buffer
épisodique.
La mémoire sémantique est perturbée très tôt dans la MA, alors qu’elle
résiste bien aux effets de l’âge, ce qui fait de son atteinte un argument
précieux en faveur d’une maladie neurodégénérative. Les troubles de
la mémoire sémantique se manifestent dans le langage spontané par
un discours vague et par des circonlocutions. Le manque du mot est
particulièrement net dans les tâches de dénomination, qui révèlent un
trouble parfois compensé dans le langage courant ; dans ces épreuves,
les patients produisent fréquemment des réponses super-ordonnées et
des paraphasies sémantiques. Le test des fluences verbales constitue
l’une des mesures les plus sensibles des déficits sémantiques. Toute-
fois, il s’agit d’une tâche complexe qui met en jeu non seulement des
connaissances sémantiques, mais aussi d’autres composantes cognitives
comme l’attention et les fonctions exécutives. L’utilisation combinée
d’une tâche de fluence à critère sémantique (noms d’animaux) et d’une
tâche à critère orthographique (mots qui commencent par la lettre P)
permet de mieux comprendre la nature des perturbations. En effet, les
patients atteints de MA présentent des performances déficitaires pour
les deux types de fluence, mais leurs troubles sont plus importants en
fluence sémantique qu’en fluence orthographique. Or, ces deux épreuves
requièrent les mêmes capacités d’attention et de fonctions exécutives et
la première implique davantage la mémoire sémantique, suggérant que
les troubles de la mémoire sémantique expliquent en priorité ce pro-
fil de performances. La fluence sémantique est d’ailleurs perturbée très
tôt dans l’évolution de la MA, puisque des déficits ont été mis en évi-
dence dans des études épidémiologiques plusieurs années avant l’appa-
rition de la démence (Amieva et al., 2005) et sont prédictifs du déclin
cognitif (Chételat et al., 2005). Chez les patients MCI, ceci a été montré
grâce à des analyses de groupes, alors qu’au niveau individuel, même
si leurs performances peuvent être inférieures à la moyenne, elles ne
sont pas pathologiques. L’analyse des types de réponses fournies lors
de ces épreuves renseigne également sur la nature des perturbations :
Démences et syndromes démentiels 359

les sujets sains regroupent leurs réponses par sous-catégories séman-


tiques (les animaux de la ferme, puis du zoo, etc.), alors que les patients
atteints de MA et les patients MCI font des regroupements sémantiques
de moins grande taille, ce qui témoigne de l’atteinte de leur mémoire
sémantique.
Les troubles concernent aussi la connaissance des personnes célèbres.
Les connaissances relatives aux personnes célèbres, aux édifices et aux
événements publics seraient même plus sévèrement affectées que celles
associées aux objets. Cette plus grande sensibilité face à la dégrada-
tion sémantique peut s’expliquer par la qualité de ces représentations
conceptuelles, composées essentiellement de propriétés uniques (c’est-
à-dire non partagées par les autres représentations), contrairement aux
connaissances sémantiques relatives aux objets, qui partagent de nom-
breux attributs communs et dont l’interconnexion au sein du réseau
sémantique les rendrait plus résistants.
Les différentes perturbations observées dans des tâches de mémoire
sémantique peuvent traduire soit un simple trouble de l’accès aux infor-
mations, soit une perte des concepts eux-mêmes. L’hypothèse de la
dégradation de la mémoire sémantique trouve des arguments dans des
études extensives utilisant des épreuves différentes (dénomination, dési-
gnation, définition) dans des modalités différentes (visuelle, verbale)
pour évaluer l’intégrité des mêmes concepts. Le déficit du stock séman-
tique est confirmé par les études ayant utilisé des paradigmes d’amor-
çage sémantique afin d’évaluer l’intégrité du réseau sémantique.
Les résultats des études ayant utilisé ces paradigmes d’amorçage
dans la MA sont, à première vue, hétérogènes (voir Giffard et al., 2002,
2005, pour une revue). Certains auteurs révèlent chez les patients des
effets d’amorçage inférieurs à ceux de groupes de sujets sains, alors que
d’autres ont rapporté des performances comparables ou même supé-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

rieures (hyperamorçage). L’hyperamorçage, initialement difficile à inter-


préter, a été clarifié par l’étude transversale et longitudinale de Giffard et
de ses collaborateurs. Ce phénomène survient essentiellement au début
de la maladie, lorsque les connaissances sémantiques commencent à
se dégrader, perdant d’abord leurs attributs spécifiques. En perdant les
attributs qui permettent de les distinguer, les connaissances proches
sémantiquement seraient confondues, amplifiant ainsi l’effet d’amor-
çage. À un stade plus avancé, lorsque les concepts se dégradent dans leur
intégralité, les effets d’amorçage deviennent inférieurs à ceux des sujets
témoins. La sévérité de la démence est donc un déterminant majeur de
l’ampleur des effets d’amorçage sémantique.
360 Manuel de neuropsychologie

Contrairement aux effets d’amorçage sémantique, les effets d’amor-


çage perceptif, quand ils sont mesurés avec des épreuves adaptées,
sont préservés dans la maladie d’Alzheimer. Enfin, l’acquisition et la
rétention de nouvelles procédures ont été étudiées à l’aide de tâches
perceptivo-motrices et perceptivo-verbales. Les résultats des études
de groupes de patients montrent une préservation de la mémoire
procédurale perceptivo-motrice dans la MA mais sont plus discutés
concernant les procédures perceptivo-verbales (comme la lecture en
miroir, où la complexité de la tâche semble un déterminant important).
L’apprentissage de procédures cognitives a été très peu étudié dans la
MA. Les rares travaux dans ce domaine indiquent que si la mémoire
procédurale, par elle-même, n’est pas perturbée dans les premiers stades
de cette maladie, la présence de divers troubles cognitifs (mémoire épi-
sodique, mémoire de travail, etc.) gêne les premières phases de l’appren-
tissage, avant que celui-ci soit automatisé (Beaunieux et al., 2012). En
revanche, les procédures acquises de longue date, comme jouer d’un
instrument de musique, faire des puzzles ou jouer au bridge, sont rela-
tivement résistantes à la maladie.
Au total, la mémoire épisodique, la mémoire de travail et la mémoire
sémantique sont des systèmes de mémoire de haut niveau qui sont pré-
cocement perturbés dans la MA. En revanche, les systèmes de plus bas
niveau, comme la mémoire perceptive (qui sous-tend les effets d’amor-
çage perceptif) et la mémoire procédurale, qui mettent en jeu des pro-
cessus automatiques, sont plus résistants, tout du moins aux premiers
stades de l’affection. En dehors de leur intérêt scientifique, les évalua-
tions des effets d’amorçage et de la mémoire procédurale sont de peu
d’utilité pour le diagnostic de la MA car si des études expérimentales
ont montré leur préservation dans des groupes de patients, leur explo-
ration en clinique se heurte à l’absence d’épreuves standardisées ainsi
qu’à l’existence d’une grande variabilité interindividuelle chez les sujets
contrôles. En revanche, une telle exploration peut se révéler pertinente
pour personnaliser la prise en charge du patient et aménager son envi-
ronnement quotidien.
Les troubles de la mémoire ne sont pas l’apanage de la MA, ni même
des états démentiels. Il est important d’en faire une analyse approfon-
die qui contribuera au diagnostic, permettra d’apprécier leur sévérité et
d’évaluer les capacités perturbées et préservées. Mais la MA comporte
d’autres troubles cognitifs, variables d’un patient à l’autre surtout au
début de l’affection, et leur examen est également déterminant à des
fins de diagnostic et de prise en charge.
Démences et syndromes démentiels 361

2.3 Autres troubles cognitifs


Les données de la littérature convergent vers une atteinte des fonctions
exécutives dans la MA. Leur perturbation est souvent précoce et peut
se manifester à un stade prédémentiel. La détection et l’évaluation des
troubles exécutifs sont un enjeu important compte tenu de leurs réper-
cussions dans la vie quotidienne des patients. Qui plus est, une atteinte
des fonctions exécutives peut gêner la prise de conscience des déficits
par le patient, ce qui peut compromettre toute tentative de prise en
charge.
Pour exemple, Stokholm et al. (2006) ont recherché des troubles exé-
cutifs dans un groupe de 36 patients atteints de maladie d’Alzheimer à
l’aide de 7 tests. Les déficits étaient variables d’un patient à l’autre, mais
présents chez 76 % d’entre eux à au moins un test.
L’épreuve de catégorisation de cartes de Wisconsin est parfois uti-
lisée et se révèle sensible, y compris dans le MCI, mais elle présente
l’inconvénient d’être « multidéterminée », ce qui conduit parfois les
neuropsychologues à lui préférer le recours à des tâches plus simples,
impliquant des fonctions exécutives « de base », comme la flexibilité
mentale ou les capacités d’inhibition. Des perturbations de la flexibilité
mentale ont été mises en évidence chez des patients atteints de mala-
die d’Alzheimer et MCI à l’aide du Trail Making Test. Des diminutions
des capacités d’inhibition ont été montrées à l’aide du test de Hayling
(qui demande de compléter des phrases en évitant les automatismes)
et du test de Stroop. Amieva et ses collaborateurs (2004) ont souligné
le contraste entre l’atteinte des processus d’inhibition volontaires et la
préservation des processus d’inhibition automatiques.
Dans certains cas, les troubles du langage restent le symptôme pré-
dominant pendant plusieurs années. Ils font partie intégrante de la
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symptomatologie de la MA. Toutefois, les différents aspects du langage


ne sont pas touchés dans les mêmes proportions. Les troubles lexico-
sémantiques sont marqués, contrastant avec une relative intégrité de la
phonologie, de la morphologie et de la syntaxe. Lorsque la démence est
encore légère, les troubles sont dominés par un manque du mot. Au stade
de démence modérée, le manque du mot est de plus en plus présent,
les paraphasies sémantiques, les persévérations d’un élément (syllabe
ou mot) ou d’un thème sont de plus en plus nombreuses. La compré-
hension orale devient déficiente et l’écriture contient des paragraphies.
À un stade sévère, les patients peuvent être mutiques ou conserver une
production restreinte à l’écholalie ou aux palilalies.
362 Manuel de neuropsychologie

L’examen du langage écrit revêt un intérêt tout particulier, d’une


part, parce que certaines perturbations sont précoces et, d’autre part,
parce qu’elles sont relativement spécifiques. Dans la MA, la lecture de
mots est généralement préservée jusqu’à un stade avancé de l’évolu-
tion, même si la compréhension est parfois altérée. L’écriture peut au
contraire être précocement perturbée. La plupart des études adoptant
une approche cognitive se sont intéressées aux processus centraux
(voies lexicale et phonologique), et rapportent une prédominance de
troubles lexicaux avec des difficultés à écrire des mots irréguliers. L’alté-
ration des processus périphériques (système allographique et patrons
moteurs graphiques) a été moins décrite car peu étudiée. Les patients
présentant des troubles périphériques ont tendance à écrire en lettres
majuscules d’imprimerie et à mélanger cursives minuscules et majus-
cules d’imprimerie au sein d’un même mot (voir Eustache et Lambert,
1996, pour une revue). Bien que l’atteinte de la voie lexico-sémantique
soit considérée comme la forme la plus fréquente en début de mala-
die, suivie par les troubles périphériques, cette succession des troubles
n’est pas systématique (Lambert et al., 2007). L’écriture sous dictée de
mots réguliers, irréguliers ou de non-mots ainsi que de lettres isolées
est particulièrement pertinente pour explorer ces différentes pertur-
bations.
L’apraxie fait partie de la sémiologie classique de la MA. Toutefois,
elle a donné lieu à beaucoup moins de travaux que les troubles de la
mémoire et du langage. Les patients atteints de MA présentent des dif-
ficultés à réaliser des gestes sur ordre, tels que des pantomimes ou des
gestes d’utilisation d’objets, avec parfois l’utilisation de parties de leur
corps comme objet. La réalisation de gestes transitifs (par exemple, le
geste de planter un clou), ainsi que la reconnaissance de gestes corrects
parmi des distracteurs peuvent être perturbées. Toutes ces perturba-
tions sont volontiers mises sur le compte de l’apraxie idéomotrice, qui
se caractérise par l’incapacité d’exécuter un geste sur demande, alors
que le patient peut effectuer ce même geste spontanément. Ce terme
fait référence à une terminologie ancienne mais toujours employée.
Pourtant, les déficits de reconnaissance s’inscrivent dans le cadre de
troubles du système conceptuel, tel qu’il est défini par le modèle de Roy
et Square (1985), qui distinguent système conceptuel et système de pro-
duction. Le premier fournit la représentation abstraite de l’action et le
second permet sa réalisation effective. Le système conceptuel est évalué
au moyen d’épreuves de détection de gestes corrects parmi des réalisa-
tions erronées alors que l’évaluation du système de production invite le
patient à exécuter certains gestes, le plus souvent sur imitation. Dans la
Démences et syndromes démentiels 363

MA, le système conceptuel est plus souvent perturbé que le système de


production (Blondel et al., 2001). L’apraxie de l’habillage constitue éga-
lement une perturbation fréquemment observée dans la MA aux stades
relativement avancés de l’évolution.
L’apraxie constructive est un syndrome fréquent et souvent précoce
dans la MA. Elle peut se manifester dans l’exécution du dessin sur ordre
oral, ce qui reflète souvent des troubles de conceptualisation (voir par
exemple le dessin d’une horloge) ou bien prédominer en copie, voire
prendre la forme d’un phénomène d’accolement au modèle, ou closing-
in (voir encadré 42). Des troubles visuoconstructifs ont aussi été mis en
évidence dans des groupes de patients MCI.
Les troubles gnosiques peuvent prendre des formes diverses et affecter
toutes les modalités sensorielles. Un épisode de prosopagnosie consti-
tue parfois un premier motif de consultation.

Encadré 42
L’apraxie constructive dans la maladie d’Alzheimer
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Apraxie constructive avec phénomène d’accolement


au modèle (closing-in) dans une épreuve de copie de dessins,
chez une patiente de 63 ans, atteinte de maladie d’Alzheimer
(dessins de la BEC 96 de J.-L. Signoret)
364 Manuel de neuropsychologie

Enfin, la sémiologie de la MA comprend des modifications de la per-


sonnalité et des troubles du comportement. Liées à des facteurs mul-
tiples, ces perturbations s’expriment de façon très variable d’un patient
à l’autre (anxiété, troubles dépressifs, hallucinations, idées délirantes,
souvent à un stade plus évolué) mais l’état qui caractérise nombre de
patients, au moins après un certain temps d’évolution, est une apathie
et une perte d’intérêt. Certains troubles du comportement pourraient,
au moins en partie, s’expliquer par des déficits de la théorie de l’esprit,
ou être majorés par eux. En effet, des études ont montré que les patients
souffrant de MA avaient des difficultés à inférer des états mentaux aux
autres. Que ces difficultés soient premières ou bien dues à l’atteinte des
fonctions exécutives fait débat à l’heure actuelle ; quoi qu’il en soit,
une mauvaise interprétation de l’attitude, des intentions ou des pensées
d’autrui peut conduire à une perturbation des relations interperson-
nelles et une meilleure compréhension de ce phénomène devrait être
bénéfique à la prise en charge des patients et des familles.

2.4 L’hétérogénéité de l’expression clinique


de la maladie d’Alzheimer
La MA a longtemps été considérée comme une démence présénile, mais
les classifications actuelles regroupent les formes préséniles et séniles
de la maladie, même si des discussions persistent sur le bien-fondé de
cette unité. Différentes études ont montré la prévalence de troubles du
langage chez les patients les plus jeunes (50 à 65 ans) et des troubles
de la mémoire et du comportement chez les plus âgés. L’hétérogénéité
de la MA n’est pas restreinte à l’âge de survenue de la maladie. Il s’agit
d’un domaine majeur de la recherche qui vise à identifier des formes cli-
niques (et neurobiologiques) de la maladie et dont il faut tenir compte
tant au niveau diagnostique que thérapeutique. Les atteintes peuvent
prédominer sur certaines fonctions cognitives (par exemple le langage)
tout en préservant d’autres secteurs (les fonctions visuoconstructives).
Les profils inverses sont observés chez d’autres patients. L’hétérogénéité
peut également se manifester au sein d’une même fonction cognitive
comme la mémoire. Enfin, des corrélations ont été observées entre ces
déficits cognitifs et des anomalies du métabolisme cérébral dans des
régions bien délimitées (voir infra), fournissant ainsi une double confir-
mation, cognitive et neurobiologique, aux théories modulaires de la
démence. Ces résultats suscitent des hypothèses pour la prise en charge
thérapeutique des patients, que ce soit dans le cadre d’aides cognitives
ou du développement des recherches pharmacologiques.
Démences et syndromes démentiels 365

3. L’imagerie cérébrale dans la maladie


d’Alzheimer

Outre son intérêt sur le plan diagnostique, l’imagerie cérébrale s’avère


aussi d’un grand intérêt en contribuant à la connaissance de la phy-
siopathologie de cette maladie. Les lésions neuropathologiques de la
MA conduisent au dysfonctionnement et à la mort des neurones, ce
qui se traduit au niveau macroscopique par une atrophie du cerveau
et une altération de l’activité cérébrale. Ces altérations macrosco-
piques sont étudiées in vivo, grâce à l’imagerie par résonance magné-
tique (IRM) et à la tomographie par émission de positons couplée au
fluorodésoxyglucose (TEP-FDG). D’autres techniques, comme l’IRM
fonctionnelle au repos, l’imagerie amyloïde ou l’IRM du tenseur de
diffusion (qui offre la possibilité de repérer des microlésions des fais-
ceaux de substance blanche), sont pour l’instant confinées au domaine
de la recherche, mais pourraient rapidement avoir des applications cli-
niques. L’imagerie cérébrale permet également de mieux comprendre
le rôle des altérations cérébrales dans l’apparition des troubles cogni-
tifs. Il est en effet possible de mettre en correspondance ces marqueurs
de la structure et du fonctionnement cérébral avec les troubles neuro-
psychologiques.

3.1 Anomalies morphologiques


Le profil d’atrophie dans la MA est maintenant bien décrit grâce à
l’IRM anatomique. Alors que les premières études se focalisaient sur la
région hippocampique, connue de longue date pour son atteinte dans
la MA, les études plus récentes, analysant le cerveau dans son inté-
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gralité (encadré 43), ont montré que l’atrophie concernait d’autres


régions, comme le néocortex temporal, le lobe pariétal et le gyrus
cingulaire (voir Villain et al., 2010, pour une revue). De même, chez
des patients MCI amnésiques, les études d’imagerie en IRM ont mis
en évidence une atrophie du lobe temporal interne, ainsi que d’autres
régions cérébrales, même si la perte de substance grise y est moins
marquée que chez les patients répondant aux critères diagnostiques
de MA. Des travaux récents étudiant les sous-parties histologiques
de l’hippocampe indiquent que le champ CA1 est le plus précoce-
ment et le plus spécifiquement altéré dans la MA (Chételat et al.,
2008). Avec l’avancée dans la maladie, l’ensemble du cortex présente
des altérations structurales et l’atrophie s’accentue dans les régions
366 Manuel de neuropsychologie

premièrement atteintes. Ces altérations semblent mimer la progres-


sion des dégénérescences neurofibrillaires, suggérant que l’IRM ana-
tomique serait assez sensible pour surveiller in vivo la progression de
la pathologie.

Encadré 43
Méthodes d’analyse en neuro-imagerie morphologique :
application à l’étude de l’atrophie dans la maladie d’Alzheimer
(Gaël Chételat)
La méthode d’analyse SPM (Statistical Parametric Mapping) a été créée il y a
une quinzaine d’années pour l’analyse, voxel par voxel (c’est-à-dire point par
point), sur l’ensemble du cerveau, des données d’activation en tomographie
par émission de positons (TEP). Environ cinq ans plus tard, la méthode a
été adaptée pour les données d’imagerie par résonance magnétique fonc-
tionnelle (IRMf), et la cartographie cérébrale a connu un essor considérable
durant cette période. Parallèlement, les modifications de la taille des struc-
tures cérébrales étaient étudiées via la méthode des régions d’intérêt (ROIs).
Cette méthode consiste à tracer le contour de structures cérébrales choisies
a priori sur toutes les coupes IRM où elles apparaissent afin de connaître leur
taille. Il s’agit d’une méthode précise et directe, mais qui présente les désa-
vantages d’être laborieuse, de nécessiter une expertise anatomique, et de
faire un choix quant aux structures à étudier.

Figure 1 – Approche VBM : les trois étapes de la procédure basique


À
Démences et syndromes démentiels 367

Â
Ce n’est que depuis le tout début du e siècle que les initiateurs de SPM ont
introduit une procédure permettant l’analyse voxel par voxel des données
en IRM anatomique de l’ensemble du cerveau. La figure 1 explique le principe
général de cette méthode appelée VBM (pour Voxel-Based Morphometry).
Cette procédure comprend les mêmes étapes que pour des données TEP
de 1) normalisation spatiale (déplacements et déformations des données
cérébrales individuelles afin de les faire correspondre à un modèle commun,
appelé template, pour permettre des analyses de groupe), et 2) filtrage spa-
tial (permettant d’augmenter le rapport signal sur bruit). Elle implique une
étape supplémentaire de segmentation, qui consiste à séparer les données
de substance grise (SG), de substance blanche (SB), de liquide céphalo-
rachidien (LCR) et du reste du cerveau, permettant d’étudier les modifica-
tions de volume au sein de chaque classe. Il faut noter que de nombreuses
améliorations ont été apportées à VBM depuis cette première version sim-
plifiée, et son évolution se poursuit encore actuellement. La version actuelle,
appelée « VBM optimal », inclut des étapes préalables supplémentaires pour
la création d’un template spécifique à la population étudiée, ainsi que pour
déterminer des paramètres optimaux de normalisation (cf. Good et al.,
2001).
Les études ayant utilisé cette technique VBM pour quantifier l’atrophie de
la substance grise dans la maladie d’Alzheimer (MA) confirment l’existence
d’une atrophie majeure et prédominante de la région temporale interne (ou
région hippocampique, incluant l’hippocampe, l’amygdale, et le gyrus para-
hippocampique), rapportée précédemment de façon systématique avec
l’approche des ROIs. De plus, les auteurs décrivent pour la première fois le
profil d’atrophie dans le reste du cerveau, soulignant notamment l’implica-
tion du néocortex temporal, du cortex cingulaire postérieur et du précunéus
adjacent, des régions temporopariétale et périsylvienne, de l’insula, du noyau
caudé et du thalamus (voir par exemple Baron et al., 2001). Une atrophie
est parfois rapportée, mais de façon moins marquée, au niveau du cortex
préfrontal, du putamen, du cortex cingulaire antérieur, du gyrus fusiforme,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

du thalamus et de l’hypothalamus.
Cette approche VBM a également été utilisée chez des patients MCI (Mild
Cognitive Impairment), qui présentent des déficits isolés de la mémoire
épisodique sans atteinte des autres fonctions cognitives, et dont le risque
de développer la MA est plus important que celui de la population âgée
saine. Même si tous les patients MCI ne développent pas la MA, l’étude
de cette population de patients est un moyen intéressant et actuellement
particulièrement porteur pour étudier le stade pré-démentiel de la MA. Ces
études ont permis de mettre en avant la similitude entre le profil d’atro-
phie observé dans la MA et celui mis en évidence chez des patients MCI
(figure 2).
À
368 Manuel de neuropsychologie

Figure 2 – Profils d’atrophie chez les patients MCI par rapport


à des témoins appariés, et chez les patients MA par rapport
aux patients MCI (d’après Chételat et al., 2002)

3.2 Anomalies fonctionnelles


La TEP-FDG, par la mesure du métabolisme cérébral du glucose chez des
patients au repos, permet de quantifier les modifications fonctionnelles
qui rendent compte principalement des altérations synaptiques. Ces
altérations peuvent concerner les synapses des inter-neurones et refléter
une altération fonctionnelle locale, ou toucher les synapses des neu-
rones de projection et alors refléter l’atteinte à distance d’autres struc-
tures cérébrales (par disconnexion). Le profil d’atteinte fonctionnelle
dans la MA est relativement constant à travers les études utilisant la
méthode des régions d’intérêt ou la méthode SPM (Statistical Parametric
Mapping), qui explore l’ensemble du cerveau de façon objective. Ainsi,
l’hypométabolisme du cortex temporopariétal et du gyrus cingulaire
postérieur constitue l’anomalie la plus précoce et la plus fréquente. La
baisse du métabolisme s’étend ensuite au cortex frontal, mais le métabo-
Démences et syndromes démentiels 369

lisme du cortex primaire moteur et sensoriel, des noyaux gris centraux et


du cervelet est relativement préservé (encadré 44). Ce profil métabolique
est en accord avec l’altération des fonctions cognitives et la préservation
des fonctions sensorimotrices observées chez la majorité des patients.

Encadré 44
Neuro-imagerie fonctionnelle dans la maladie d’Alzheimer :
hypométabolisme et corrélations cognitivo-métaboliques
L’utilisation de la tomographie par émission de positons (TEP) au repos dans
la maladie d’Alzheimer (MA) permet de quantifier les modifications fonction-
nelles dues à la perte neuronale ou à des dysfonctionnements synaptiques.
Ces modifications touchent essentiellement le cortex temporopariétal et le
gyrus cingulaire postérieur (voir figure 1).
L’approche des corrélations cognitivo-métaboliques permet de mieux
comprendre les troubles cognitifs et les mécanismes compensatoires qui sur-
viennent dans cette pathologie, en identifiant les régions cérébrales respon-
sables de ces phénomènes. Ainsi, nous avons examiné l’effet de la sévérité
de la démence en ciblant notre travail sur l’évaluation de la mémoire épiso-
dique, qui est le système mnésique le plus perturbé dans la MA. Au total, 40
patients, répartis en deux sous-groupes de 20 patients chacun, établis selon
le score obtenu au MMS, ont été étudiés. Les corrélations entre les scores
recueillis à un test classique de rappel d’histoire et les valeurs métaboliques
ont été calculées à l’aide du logiciel SPM (Statistical Parametric Mapping),
permettant de prendre en compte l’ensemble du cerveau.
Pour le groupe de patients les moins atteints sur le plan cognitif, les corréla-
tions sont limitées à la région hippocampique, région impliquée dans le fonc-
tionnement normal de la mémoire et cible privilégiée des dégénérescences
neurofibrillaires dans la MA débutante (figure 2, haut). Pour le groupe de
patients obtenant les scores les plus bas au MMS (figure 2, bas), les corré-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

lations sont très différentes et concernent le néocortex temporal gauche,


région impliquée dans le fonctionnement de la mémoire sémantique. Ces
résultats suggèrent qu’au début de la maladie, le fonctionnement de l’hip-
pocampe, bien qu’altéré, sous-tendrait les performances mnésiques rési-
duelles, alors qu’ensuite, d’autres aires seraient recrutées pour tenter de
compenser la progression des lésions hippocampiques.
Nos résultats confirment donc le rôle clé des lésions hippocampiques dans
la survenue des troubles précoces de la mémoire épisodique dans la MA. Ils
renseignent également sur la nature des mécanismes compensatoires per-
mettant aux patients plus atteints de fournir une réponse à un test classique
de mémoire épisodique. Ces mécanismes semblent reposer en partie sur les
structures dévolues à la mémoire sémantique.
À
370 Manuel de neuropsychologie

Figure 1 – Hypométabolisme dans un groupe de 40 patients Alzheimer.


L’hypométabolisme prédomine dans le gyrus cingulaire postérieur
et le néocortex postérieur, mais il semble épargner l’hippocampe

Figure 2 – Corrélations cognitivo-métaboliques : influence de la sévérité


de la démence. Résultats obtenus dans deux sous-groupes de patients ;
en haut : le groupe des 20 patients présentant une démence légère ;
en bas : le groupe des 20 patients présentant une démence modérée
(figure inspirée de Desgranges et al., 2002)

Le dysfonctionnement du cortex cingulaire postérieur existe également


chez des sujets sains porteurs de l’allèle ε4 du gène de l’apolipoprotéine E,
qui présentent un risque accru de développer la MA. Les patients MCI pré-
sentent aussi un hypométabolisme au niveau de cette région, y compris
à l’échelle individuelle. De plus, son atteinte est plus importante chez les
Démences et syndromes démentiels 371

patients qui développeront ensuite une MA avérée (les « converteurs »)


que chez ceux qui resteront stables (les « non-converteurs »), mais c’est
le dysfonctionnement du cortex temporopariétal qui différencie le
mieux ces deux populations de patients MCI. L’hypométabolisme du
cortex temporopariétal droit serait également prédictif du déclin cogni-
tif ultérieur : parmi les patients MCI, ceux qui présentent l’hypométabo-
lisme initial le plus important de cette région sont ceux dont le déclin,
estimé 18 mois plus tard, est le plus marqué. Cette mesure semble plus
sensible et plus spécifique pour prédire l’évolution clinique des patients
que les mesures en neuropsychologie et en IRM anatomique. Les études
longitudinales chez les patients MCI ont montré que l’évolution de
l’hypométabolisme concernait les cortex frontal, pariétal, temporal et
cingulaire alors que les MCI converteurs se distingueraient des non-
converteurs par une évolution de l’hypométabolisme plus importante
au sein du gyrus cingulaire antérieur et de l’aire subgénuale situés dans
la partie ventrale du cortex préfrontal médian.
Des études récentes ont souligné la similitude entre ce profil d’altéra-
tion fonctionnelle (impliquant notamment les cortex cingulaire posté-
rieur, temporopariétal et préfrontal médian) et le « réseau par défaut »,
initialement mis en évidence chez le sujet sain par les études d’acti-
vation montrant une augmentation de l’activité pendant la condi-
tion de repos par rapport aux conditions expérimentales (voir Mevel
et al., 2010, pour une revue ; chapitre 2, section 4). Étant donné la
concordance topographique entre les régions qui composent le réseau
par défaut et celles présentant des altérations métaboliques dans la
MA, de nombreuses méthodologies ont été utilisées afin d’explorer ce
réseau (désactivation, connectivité fonctionnelle de l’activité mesurée
au repos, etc.). L’altération du réseau par défaut est visible même en
l’absence de démence, comme chez les sujets sains porteurs de l’allèle ε4
du gène de l’apolipoprotéine E ou les patients MCI.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

3.3 Discordances des profils d’anomalies


morphologiques et fonctionnelles
De façon inattendue, alors que l’atteinte structurale de l’hippocampe
est précoce et marquée, son atteinte fonctionnelle est loin d’être
constamment observée, et lorsqu’un dysfonctionnement de l’hip-
pocampe est détecté, il est moins important que celui qui affecte les
régions néocorticales. À l’inverse, le cortex cingulaire postérieur est
hypométabolique et relativement peu atrophié. Nous sommes donc
en présence d’un double paradoxe qui suscite des débats dans la litté-
372 Manuel de neuropsychologie

rature : comment expliquer que le cortex cingulaire postérieur soit si


touché sur le plan fonctionnel alors qu’il ne fait pas partie des régions
les plus atrophiées ? Et comment expliquer que l’atrophie précoce et
massive de l’hippocampe n’ait pas un impact majeur sur son fonction-
nement et ne se traduise pas par une diminution importante de son
métabolisme ?
Pour répondre à la première de ces questions, l’hypothèse d’un effet à
distance (ou diaschisis) a été posée : l’atrophie de l’hippocampe exerce-
rait un effet délétère sur le fonctionnement du cortex cingulaire posté-
rieur. Cette hypothèse a reçu divers arguments expérimentaux, comme
l’existence de liens entre les anomalies de chacune de ces deux struc-
tures et le cingulum, faisceau de substance blanche qui les connecte. En
outre, ces liens suggèrent des relations de cause à effet, puisque l’atro-
phie hippocampique initiale est reliée au degré d’évolution de l’atrophie
du cingulum au cours du suivi de 18 mois, et que l’atrophie initiale du
cingulum est elle-même reliée au degré d’évolution du métabolisme au
sein du cortex cingulaire postérieur (voir Villain et al., 2010, pour une
revue). Quant à la relative préservation du fonctionnement de la région
hippocampique, elle pourrait résulter d’une compensation fonctionnelle
liée à la plasticité élevée de cette région. Cette idée n’est pour le moment
qu’une hypothèse qui trouve un certain support dans les travaux d’ima-
gerie cérébrale en activation avec des tâches de mémoire épisodique : les
patients MCI présentent souvent des activations hippocampiques plus
importantes que les sujets sains (voir infra). Les auteurs interprètent ces
activations accrues comme une réponse compensatoire à la survenue de
la maladie. Du fait de la perte importante de neurones et de synapses,
l’activité des neurones restants serait augmentée, expliquant ainsi la
préservation relative des mesures fonctionnelles effectuées dans l’hip-
pocampe à ce stade précoce de la maladie. Si la nature exacte de ce phé-
nomène reste à déterminer, sa découverte a engendré non seulement
de nouvelles recherches, mais aussi l’espoir que cette plasticité cérébrale
serait mise à profit pour élaborer des thérapeutiques à même de lutter
contre le processus dégénératif.

3.4 Imagerie amyloïde


Les années 2000 ont vu l’apparition de nouveaux marqueurs TEP
permettant de visualiser in vivo les dépôts fibrillaires de protéine
β-amyloïde, l’une des manifestations neuropathologiques de la MA.
Plusieurs radiotraceurs ont été développés, parmi lesquels le PiB (pour
Pittsburg compound B), marqué au carbone 11, radio-isotope de demi-vie
Démences et syndromes démentiels 373

courte (environ 20 minutes), est le plus largement utilisé. Le dévelop-


pement et la validation de composés marqués au fluor 18, radio-isotope
de demi-vie plus longue (environ 110 minutes) rendront possible une
utilisation de ces composés en pratique clinique dans un futur proche.
Dans la recherche, l’utilisation de ces marqueurs amyloïdes a permis
dans un premier temps de reproduire les données issues de la neuro-
pathologie, à savoir une augmentation globale de la quantité de dépôts
amyloïdes cérébraux chez les patients souffrant de MA par rapport aux
sujets âgés contrôles. Cette augmentation est prédominante au sein des
aires frontales, pariétales, temporales mais également au niveau du gyrus
cingulaire postérieur (encadré 45). Parmi les patients MCI, certains pré-
sentent le même profil de dépôts amyloïdes que les patients avec MA,
tandis que d’autres sont plus proches de ceux des sujets sains. Enfin,
20 % à 30 % des sujets âgés sans déficit cognitif présentent des dépôts
amyloïdes significatifs, posant la question de leur devenir. Cependant,
nous ne disposons pas à l’heure actuelle d’un recul suffisant. En effet, si
plusieurs études ont montré le caractère prédictif de la charge amyloïde
sur l’évolution clinique ultérieure des sujets sains et des patients MCI,
on ne peut affirmer, aujourd’hui, que tous les individus ayant un profil
PiB-positif ont une MA. Au total, il est fort probable que, utilisé conjoin-
tement avec d’autres mesures, ce marqueur favorise le diagnostic pré-
coce (Camus et al., 2012).

Encadré 45
Imagerie multimodale dans la maladie d’Alzheimer
L’utilisation conjointe de différentes techniques d’imagerie (IRM, TEP avec
le FDG ou le Florbetapir) permet de comparer la topographie des différentes
anomalies cérébrales qu’elles révèlent : respectivement atrophie, hypo-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

métabolisme et dépôts β-amyloïdes (ou Aβ).


Certaines régions présentent ces trois types d’anomalies : c’est le cas dans le
cortex temporo-pariétal, le cortex cingulaire postérieur et le précunéus. En
revanche, dans d’autres régions, il existe des discordances dans la topogra-
phie de ces anomalies cérébrales. Notamment, dans l’hippocampe, l’atro-
phie est majeure tandis que l’hypométabolisme est modéré et les dépôts
Aβ ne sont pas détectés. Au contraire, dans le cortex préfrontal, les dépôts
Aβ sont particulièrement importants alors que l’atrophie et l’hypométabo-
lisme le sont moins. Ces discordances semblent indiquer que la présence de
dépôts Aβ dans une région cérébrale n’est ni nécessaire, ni suffisante pour
provoquer une atteinte de la structure ou du fonctionnement du cerveau et
s’opposent à l’idée que les dépôts Aβ exerceraient une toxicité locale.
À
374 Manuel de neuropsychologie

Profils d’altération mis en évidence en imagerie cérébrale multimodale


chez 20 patients atteints de maladie d’Alzheimer à un stade léger à modéré.
Pour chaque modalité, le degré d’altération est exprimé en Z-score en
comparaison à un groupe contrôle constitué de 34 sujets âgés sains, en
chaque voxel du cerveau. Plus le score est élevé (et coloré en rouge),
plus l’atteinte est importante. Les résultats sont globalement symétriques
et, pour plus de clarté, seul l’hémisphère gauche est représenté
dans sa face médiane (ligne supérieure) et latérale
(ligne inférieure) (inspiré de La Joie et al., 2012).

3.5 Liens entre anomalies cognitives


et anomalies cérébrales
Deux types d’approches permettent d’étudier le rôle des altérations
cérébrales dans les troubles cognitifs : la méthode des corrélations
entre données comportementales et mesures d’imagerie cérébrale et la
méthode des activations. La première approche a pour objectif d’iden-
tifier les régions cérébrales dont le dysfonctionnement est responsable
de troubles cognitifs spécifiques. Des liens entre l’atrophie de l’hippo-
campe et des déficits de mémoire épisodique ont ainsi été mis en évi-
dence chez des patients atteints de MA, ainsi que chez des patients MCI
(voir Desgranges et al., 2004, pour une revue). L’approche corrélative a
surtout été utilisée avec des mesures métaboliques (voir Salmon et al.,
2008, pour une revue). Ces travaux ont montré que le dysfonctionne-
ment de différentes régions cérébrales était responsable des troubles de
différents systèmes de mémoire (Desgranges et al., 1998). Les troubles
précoces de la mémoire épisodique sont sous-tendus par le dysfonc-
tionnement de la région hippocampique, tandis que les troubles de la
mémoire sémantique sont liés au dysfonctionnement du cortex tempo-
ral gauche. Dans la MA à un stade modéré, cette approche a aussi per-
Démences et syndromes démentiels 375

mis de souligner l’existence de mécanismes compensatoires mis en jeu


dans une tâche de mémoire épisodique. Ces mécanismes seraient sous-
tendus par des régions néocorticales temporales normalement dévolues
à la mémoire sémantique (encadré 44, p. 369). Chez des patients MCI,
une étude a montré que les troubles de l’encodage et de la récupéra-
tion semblaient dépendre de deux structures cérébrales différentes, res-
pectivement l’hippocampe et le gyrus cingulaire postérieur (Chételat
et al., 2003), deux structures clés dans le fonctionnement normal de
la mémoire épisodique. Les relations entre les dépôts amyloïdes et les
troubles cognitifs sont quant à elles beaucoup moins claires. En effet,
à l’heure actuelle, les résultats sont relativement discordants ; certaines
études rapportent l’existence d’un lien entre la charge amyloïde céré-
brale et le degré d’altération cognitive tandis que d’autres ne trouvent
aucune relation significative. L’absence ou la plus faible corrélation entre
troubles cognitifs et dépôts amyloïdes pourrait être le reflet du décalage
dans le temps entre la présence de protéine amyloïde et l’apparition
des symptômes. En effet, l’hypothèse de la cascade amyloïde postule
que l’accumulation de la protéine Aβ précéderait les lésions neurofibril-
laires, la mort neuronale et l’apparition des troubles cognitifs. Ainsi
les dépôts amyloïdes seraient corrélés aux déficits cognitifs aux stades
prédémentiels mais pas aux stades plus tardifs, où apparaissent dégéné-
rescence neurofibrillaire et mort neuronale, qui deviendraient alors les
meilleurs corrélats clinico-pathologiques.
La plupart des études d’activation en TEP ou en IRMf dans la MA
s’intéressent à la mémoire épisodique, mesurant les modifications de
l’activité cérébrale pendant l’encodage ou pendant la récupération
d’informations. Elles convergent vers une diminution des activations
hippocampiques chez les patients par rapport aux témoins, tant lors de
l’encodage que de la récupération (voir Bejanin et al., 2010, pour une
revue). Chez des patients à risque pour la MA, l’activité de la région
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

hippocampique semble au contraire augmentée par rapport à des sujets


témoins. Ceci a été mis en évidence chez des sujets âgés sains porteurs
de l’allèle E4 du gène de l’apolipoprotéine, ainsi que chez des patients
MCI. Cette hyperactivation hippocampique pourrait jouer un rôle
compensatoire et être transitoire, ne se manifestant qu’à un stade pré-
coce de la maladie.
Un autre résultat émerge des études d’activation dans la MA : une
augmentation des activations chez les patients par rapport aux sujets
sains âgés, principalement dans le cortex frontal. Ce résultat a d’emblée
été considéré comme un support potentiel des mécanismes compensa-
toires. Cette idée était plausible, d’une part parce que le cortex frontal
376 Manuel de neuropsychologie

est atteint plus tardivement que le cortex associatif postérieur dans


cette maladie et, d’autre part, parce que cette région est impliquée
dans la mise en œuvre des ressources attentionnelles et des fonctions
exécutives, qui seraient davantage sollicitées chez les patients que chez
les sujets âgés sains pour effectuer la même tâche. Dans les premières
études, les « mécanismes compensatoires » étaient postulés mais leur
efficacité n’était pas établie. Quelques études ont conforté cette hypo-
thèse en montrant, d’une part, une corrélation négative entre le volume
hippocampique et l’activité corticale au sein du lobe frontal (moins
l’hippocampe est gros et plus l’activité frontale est forte) et, d’autre
part, des corrélations positives entre les activations frontales et les
performances mnésiques (plus les activations sont élevées, meilleures
sont les performances). L’imagerie fonctionnelle permet donc de mon-
trer qu’en dépit d’atteintes structurales majeures, les patients recrutent
des réseaux supplémentaires qui, à défaut de compenser les perfor-
mances déficientes, présentent une plasticité et une adaptation céré-
brales longtemps ignorées dans les pathologies neurodégénératives.
Concernant la mémoire épisodique, au stade précoce de la maladie
(MCI), la région hippocampique semble être le siège de modifications
fonctionnelles compensatoires, tandis qu’à un stade plus avancé, les
mécanismes compensatoires seraient pris en charge par des régions
néocorticales, principalement frontales, parfois pariétales. Ceci sug-
gère que les mécanismes compensatoires seraient sous-tendus par des
régions appropriées à un stade très précoce de la maladie, mais par
d’autres régions lorsque les patients présentent des troubles répondant
aux critères de MA.

3.6 Conclusion sur l’imagerie cérébrale


dans la MA
L’imagerie cérébrale morphologique et fonctionnelle a profondément
modifié la recherche et la pratique clinique en neuropsychologie. Elle a
permis de mieux comprendre la nature et l’origine des déficits cognitifs
des patients atteints de MA. Dans le domaine du diagnostic précoce et
de la prédiction du déclin cognitif, l’imagerie fonctionnelle est égale-
ment très informative. Même si les résultats obtenus à partir de groupes
de patients ne sont pas directement transposables au niveau indivi-
duel, ils ont mis l’accent sur des anomalies qui peuvent faire craindre
un pronostic péjoratif. La combinaison des approches d’imagerie et de
neuropsychologie est recommandée car elle s’avère plus efficace que le
recours à une seule technique. Les indices les plus pertinents identifiés
Démences et syndromes démentiels 377

à l’heure actuelle sont l’atrophie de la région hippocampique, l’hypo-


métabolisme du cortex cingulaire postérieur et temporopariétal et une
charge amyloïde cérébrale significative, associés à des troubles « authen-
tiques » de la mémoire épisodique. De nombreux articles concluent sur
les perspectives d’application au diagnostic précoce, quelle que soit la
méthode d’imagerie employée, notamment l’IRMf au repos ou en acti-
vation. Cependant, compte tenu des contraintes expérimentales impo-
sées par de tels protocoles, il est, à l’heure actuelle, difficile d’imaginer
leur faisabilité en routine. C’est donc l’utilisation de l’imagerie mor-
phologique en IRM qui reste la plus facile à mettre en œuvre à court
terme. Sa contribution devrait s’intensifier avec l’automatisation de
techniques de traitement d’image permettant de quantifier l’atrophie
cérébrale dans des régions jouant un rôle crucial dans la survenue des
troubles cognitifs. Parmi les autres méthodes, l’imagerie amyloïde grâce
à la TEP pourrait jouer un rôle important sur le plan clinique dans les
années à venir, en particulier en cas de diagnostic difficile, ou pour les
cas de formes jeunes de démence, même si le coût et la disponibilité de
cette technique en limiteront l’usage.

4. Les démences frontotemporales

La maladie d’Alzheimer est considérée comme le prototype des


démences corticales. Elle n’est toutefois pas, loin s’en faut, la seule
affection dominée par des lésions du cortex cérébral. Les démences
frontotemporales représentent environ 20 % des démences dégénéra-
tives.
Le terme de démence frontotemporale (DFT) décrit un syndrome cli-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

nique associé à une dégénérescence des lobes frontaux et temporaux,


qui se traduit chez les patients par des profonds changements de per-
sonnalité et des conduites sociales, des troubles des fonctions exécu-
tives et de la mémoire. C’est au début du XXe siècle qu’Arnold Pick a
décrit les symptômes de patients présentant d’une part des atrophies
lobaires frontales, s’accompagnant de troubles de la personnalité et du
comportement, et d’autre part des atrophies temporales caractérisées
par des troubles de la mémoire sémantique. Avec le temps, les scien-
tifiques se sont focalisés sur l’atrophie frontale, comme par exemple
Alois Alzheimer, qui avait noté chez un patient atteint d’atrophie focale
lobaire la présence de corps ou cellules de Pick (inclusions intraneuro-
nales). Avec les années, la maladie de Pick fut ainsi systématiquement
378 Manuel de neuropsychologie

associée à l’atrophie frontale. Quelques années plus tard, des scienti-


fiques britanniques tels que Neary et suédois comme Gustafson et Brun
ont redécouvert cette pathologie, en y apportant quelques nuances. Le
fait, par exemple, qu’il existe une grande proportion de patients qui pré-
sentent un profil d’atteinte frontale (de type non Alzheimer) sans avoir
de cellules ou corps de Pick, a poussé les auteurs à proposer une nou-
velle terminologie. Les termes de démence frontale ou démence frontale
de type non Alzheimer sont ainsi apparus. D’autres affections neurolo-
giques ont été décrites comme le syndrome d’aphasie progressive non
fluente (Mesulam, 2007) et l’aphasie progressive fluente, encore appelée
démence sémantique.
Dans le but d’homogénéiser les dénominations de ces différentes
affections, les groupes de Lund et Manchester (1994) ont proposé le
terme de démence frontotemporale pour regrouper les deux syndromes
que sont la démence sémantique et la démence frontale. En 1998, grâce
à Neary et à ses collaborateurs, la dénomination a de nouveau évolué
et le terme de dégénérescence lobaire frontotemporale (DLFT) a été
introduit pour englober la démence frontale, la démence sémantique
et l’aphasie primaire progressive non fluente. Enfin, Hodges et ses col-
laborateurs ont distingué deux variantes dans la DFT : la variante fron-
tale (ou comportementale) de la DFT (vf-DFT) et la variante temporale,
encore appelée démence sémantique.

4.1 La variante frontale de la DFT (vf-DFT)


La variante frontale, caractérisée par des lésions prédominantes du cor-
tex préfrontal, est la plus fréquente. Des troubles neuropsychiatriques
sont au premier plan avec des modifications de la personnalité et du
comportement qui peuvent prendre des formes différentes d’un patient
à l’autre. Ces modifications constituent les premières manifestations
cliniques de la maladie et surviennent le plus souvent chez des patients
âgés de 50 à 70 ans. Ces deux points permettent d’emblée de la diffé-
rencier de la maladie d’Alzheimer, où les troubles de la mémoire sont
inauguraux (les troubles du comportement et de la personnalité sur-
venant plus tardivement) et où les patients sont généralement plus
âgés. Les troubles du comportement de la vf-DFT les plus fréquents sont
une négligence physique précoce, une altération patente des conduites
sociales avec désinhibition comportementale, une rigidité mentale,
des conduites stéréotypées, une hyperoralité et gloutonnerie, une aug-
mentation de l’activité sexuelle avec parfois des conduites inadaptées,
des comportements d’utilisation (ou tendances compulsives à utiliser
Démences et syndromes démentiels 379

les objets à portée de main), une anosognosie précoce. Ces patients


peuvent présenter des éléments dépressifs, mais il s’agit plus souvent
d’une pseudo-dépression avec apathie sans réelle tristesse.
Ces modifications du comportement et de la personnalité, dont
l’entourage a parfaitement conscience, sont parfois évidentes dès le pre-
mier contact avec le patient, qui semble au contraire relativement peu
affecté par ses troubles. Le mode de survenue est donc bien différent de
celui de la maladie d’Alzheimer (ou du MCI amnésique), où le patient
se plaint de troubles de la mémoire parfois isolés. Les vf-DFT, en par-
ticulier en début d’évolution, ont été prises parfois pour des maladies
« psychiatriques ». Ceci est moins vrai aujourd’hui du fait de la mise en
place de consultations spécialisées et de l’amélioration de la formation
médicale dans ce domaine.
L’examen neuropsychologique contribue au diagnostic de la vf-DFT.
Si le patient est canalisable, il peut obtenir des performances dans les
limites de la normale à de nombreux tests. Des troubles des fonctions
exécutives et de la mémoire de travail sont généralement mis en évi-
dence, mais ils peuvent rester relativement discrets en début d’évolu-
tion et, parfois de façon surprenante, sans commune mesure avec les
perturbations du comportement. Ces perturbations ont été mises en
relation avec des troubles de la théorie de l’esprit, faculté qui permet
de se représenter les états mentaux des autres et de les utiliser pour
comprendre, prédire et juger leurs faits et gestes, ce qui est essentiel à
l’accomplissement normal des interactions sociales.
L’une des premières études concernant ce sujet dans la vf-DFT a été
publiée par John Hodges et ses collaborateurs au début des années 2000.
Ils ont décrit un patient de 47 ans présentant d’importants troubles du
comportement, contractant des dettes et dérobant l’argent de poche de
ses enfants pour acheter de façon compulsive des cigarettes, de l’alcool
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et des friandises. Il présentait aussi des troubles du caractère, était


devenu irritable et peu concerné par les autres. De façon étonnante, il
ne présentait pas de véritable détérioration cognitive ; en revanche il
éprouvait des difficultés importantes pour résoudre les tâches de théorie
de l’esprit, comme les fausses croyances de premier et de second ordre,
ou pour la détection de « faux pas », qui permettent de juger des capa-
cités à attribuer des états mentaux cognitifs et affectifs (voir chapitre 2,
section 2, et encadré 8, p. 63).
Ces résultats ont été reproduits par la suite par différents auteurs
sur de plus grands échantillons de patients. Un lien objectif entre les
troubles comportementaux présentés par ces patients et leur difficulté
de mentalisation a été mis en évidence, même s’il est peu probable que
380 Manuel de neuropsychologie

ce déficit de la théorie de l’esprit soit responsable de tous les change-


ments comportementaux observés dans la vf-DFT.
Des troubles modérés du langage et de la mémoire sémantique
(manque du mot, paraphasies sémantiques, fluence verbale diminuée)
complètent souvent le tableau clinique. Les troubles de la mémoire épi-
sodique, évalués avec les épreuves usuelles de rappel libre et reconnais-
sance d’items, ne sont pas au premier plan, mais ils ont sans doute
été sous-estimés dans la mesure où selon le consensus de Lund et
Manchester, des troubles mnésiques majeurs et précoces sont consi-
dérés comme un critère d’exclusion. Il est maintenant admis que ces
troubles de mémoire peuvent en fait survenir, selon les patients, à diffé-
rents stades d’évolution de la maladie. Il s’agit avant tout de déficits des
stratégies d’encodage et de récupération, lesquels se répercutent dans
les scores aux tests classiques de mémoire épisodique, mais aussi aux
questionnaires de mémoire autobiographique (Pasquier et al., 2001 ;
Matuszewski et al., 2006).
Les différents symptômes de la maladie ont été mis en relation avec
les anomalies cérébrales structurales et fonctionnelles qui prédominent
dans le cortex frontal. L’atteinte du cortex préfrontal (qui s’étend sou-
vent au pôle temporal) est bien mise en évidence par les examens en IRM
et en TEP. L’étude multicentrique de Salmon et collaborateurs (2003)
est intéressante car elle montre que l’atteinte métabolique dans le cor-
tex ventromédian frontopolaire est la seule qui soit retrouvée chez cha-
cun des patients inclus dans l’étude. À notre connaissance, une seule
étude a, jusqu’à ce jour, utilisé les deux méthodes de neuro-imagerie
dans le même groupe de patients atteints de vf-DFT, en comparaison
d’un groupe de patients atteints de MA (Kanda et al., 2008). Les pro-
fils d’atrophie et d’hypométabolisme dans ces deux pathologies sont
différents, caractérisés par une discordance dans la MA (voir supra) et
une bonne concordance dans la vf-DFT, avec une atteinte de la partie
antérieure du cerveau. Des études ont cherché à comprendre les réper-
cussions de ces atteintes sur les symptômes et montré que l’atteinte
du cortex orbito-frontal expliquait préférentiellement les troubles du
comportement, et celle du cortex préfrontal dorsolatéral, les déficits
des fonctions exécutives.

4.2 La démence sémantique


La démence sémantique, ou variante temporale de DFT, se caractérise
par des troubles majeurs de la mémoire sémantique qui contrastent
avec les aspects phonologiques et syntaxiques du langage, qui sont
Démences et syndromes démentiels 381

beaucoup mieux préservés. Même s’il est imprécis, le langage conversa-


tionnel reste possible à un stade de l’évolution où les troubles lexicaux
sont massifs. Pour cette raison, la démence sémantique se distingue des
aphasies dégénératives non fluentes où les troubles phonologiques et
syntaxiques sont au contraire au premier plan. Toutes deux font par-
tie du groupe des aphasies dégénératives primaires et, plus largement,
des atrophies focales progressives. Ces syndromes dégénératifs, dont
la classification n’est pas arrêtée, présentent une symptomatologie en
relation avec la localisation des lésions restreintes, parfois pendant plu-
sieurs années, à une région délimitée du cerveau.
Aux premiers stades de la maladie, les patients ont parfaitement
conscience de leurs troubles et s’en plaignent : il s’agit d’un manque
du mot massif associé à des troubles de la compréhension lexicale qui
conduisent à une perte des concepts. Les patients n’expriment pas de
difficultés à se souvenir des événements du quotidien mais rapportent
plutôt des oublis concernant les noms ou l’identité des personnes, ainsi
que des difficultés à trouver leurs mots. Le langage s’appauvrit progres-
sivement, et les patients ont tendance à employer des termes géné-
raux au lieu de termes plus spécifiques. Les troubles sémantiques de
ces patients peuvent s’avérer difficiles à observer dans la conversation
au début de la maladie mais deviennent évidents lors de la réalisation
d’épreuves de mémoire sémantique (voir encadré 46). La dégradation
de la mémoire sémantique affecte en premier lieu les connaissances
sémantiques les plus fines. Les concepts ne seraient alors sous-tendus
que par des caractéristiques générales expliquant les confusions intra-
catégorielles. Compte tenu de la rareté de cette affection, peu de
travaux ont été consacrés à l’étude des connaissances sémantiques
associées aux personnes célèbres dans la démence sémantique. Ils ont
rapporté des éléments intéressants tant pour le diagnostic que pour la
réflexion concernant la situation nosographique de cette maladie et
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’organisation de la mémoire sémantique. Le déficit sémantique n’est


pas confiné au domaine verbal ; les patients présentent des difficultés
dans la reconnaissance des visages, des sons de l’environnement, des
goûts, des odeurs. Les sujets de conversation des patients sont sou-
vent limités à leurs activités de la vie quotidienne, mais ils continuent
à gérer leur vie de façon autonome et gardent des connaissances sur
les objets, en particulier s’il s’agit de leurs objets personnels. Il semble
que certains « îlots » de savoir personnel, portant en particulier sur des
événements récents, puissent favoriser la préservation, au moins par-
tielle, de certaines connaissances conceptuelles. Ils reconnaissent aussi
mieux les personnes de leur entourage et celles ayant un rapport avec
382 Manuel de neuropsychologie

leur expérience personnelle que des personnes célèbres. Par analogie


avec le comportement égocentrique qui est souvent observé chez ces
patients (voir infra), le terme d’« égocentrisme cognitif » a été proposé
par Serge Belliard pour rendre compte du statut spécifique des repré-
sentations sémantiques préservées, teintées par l’expérience person-
nelle dans la démence sémantique.

Encadré 46
Troubles sémantiques (Jany Lambert)
Madame N.S., 74 ans, droitière, présente des troubles cognitifs mis en évi-
dence au cours d’une hospitalisation pour une crise d’asthme. La patiente
n’émet aucune plainte. L’examen médical, neuropsychologique, orthopho-
nique et l’imagerie (IRM : atrophie du lobe temporal antérieur et externe,
largement prédominante à gauche) conduiront au diagnostic de deux
pathologies dégénératives fréquemment associées : sclérose latérale
amyotrophique + démence sémantique.
Le langage spontané ou conversationnel est fluent, très informatif. La
répétition est bonne. En revanche la patiente présente des scores faibles
en fluence verbale (9 noms d’animaux et 9 mots commençant par P en
2 minutes) et en dénomination :
Dénomination (Lexis : De Partz et al., 1999) : 28/64 (m = 58,5 ; DS = 3,21).
Les erreurs consistent surtout en des absences de réponse et quelques
erreurs visuosémantiques et d’identification visuelle.
– Faon : un animal… c’est une petite… c’est pas un petit mouton ?
– Lama : c’est pas une chèvre mais…
– Guitare : un violon.
– Truelle : une pelle… on rassemble du sable.
– Journal : un cahier.
– Tomate : une pomme… une cerise ? Non.
– Hamac : … à mettre ce qu’on cueille.
– Bison : un animal… pas un éléphant ?
La compréhension orale est altérée : désignation du Lexis : 28/64 (m = 61,4 ;
DS = 1,51).
L’évaluation complémentaire du traitement sémantique montre aussi
d’importantes perturbations :
– connaissances sémantiques (Desgranges et al., 1994) : 8 erreurs portant sur
les attributs spécifiques ;
– épreuves d’appariements fonctionnels–modalité verbale : mots entendus
31/4 et mots écrits 31/40 ; modalité non verbale : images : 26/40.
À
Démences et syndromes démentiels 383

Â
La définition de mots entendus, portant sur les items non correctement
dénommés à l’épreuve du Lexis, confirme l’existence d’un déficit séman-
tique sévère : 3/26. La patiente dit ne pas savoir ce que signifie le mot. Ses
définitions sont très lacunaires et elle commet des erreurs même au niveau
de la catégorie :
– Faon : peut-être un objet.
– Igloo : je ne vois pas du tout.
– Couette : je ne sais pas.
– Guitare : un instrument de musique… (ne sait pas faire le geste d’utili-
sation). C’est en métal.
– Truelle : oui j’ai connu ça…
– Lama : un objet ?
– Tenailles : c’est pour tenir quelque chose ? Pour ranger ? (matière ?) C’est
en plastique ?
– Glands : une découpe dans les objets.
– Éléphant : un animal… dans les forêts… les champs… (vit en Normandie ?)
Oui.
– Cagoule : ça me dit quelque chose.
– Baleine : un objet pour mesurer peut-être.
– Hibou : un animal… je ne le vois pas.
– Kangourou : c’est un fruit… j’ai peur de me tromper… c’est rond…

L’altération de la mémoire sémantique de ces patients est associée à


une atteinte bilatérale et asymétrique du lobe temporal, le plus souvent
au détriment de l’hémisphère gauche (Desgranges et al., 2007). Cette
asymétrie a été rapprochée de dissociations entre des connaissances rela-
tives aux objets et celles associées aux personnes : les patients présen-
tant une atrophie du lobe temporal prédominant à gauche obtiennent
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de meilleures performances pour les visages que pour les noms, alors
que le profil inverse est observé pour les patients avec une atteinte pré-
dominante du lobe temporal droit.
La présence associée d’éventuels troubles de la mémoire épisodique
est l’objet de débats (voir Desgranges et Eustache, 2011, pour une
revue). Ainsi, l’équipe de Hodges a montré que des patients atteints
de démence sémantique, en début d’évolution, obtiennent des perfor-
mances normales dans différentes tâches de reconnaissance utilisant
un matériel non verbal. Les performances des patients avec démence
sémantique sont normales quand les stimuli sont strictement identiques
lors de la phase d’étude et lors de la phase de test, que ce soit pour des
384 Manuel de neuropsychologie

items connus ou non connus. Dans le cas contraire, par exemple avec
des photographies d’objets prises sous différents angles, le succès de la
reconnaissance est modulé par le statut sémantique du stimulus : une
bonne reconnaissance pour les items connus, mais une reconnaissance
perturbée pour les stimuli non connus. Selon Hodges et ses collabora-
teurs, la préservation des capacités de reconnaissance chez des patients
ayant des troubles sélectifs de la mémoire sémantique remet en ques-
tion le modèle SPI selon lequel l’acquisition en mémoire épisodique
repose nécessairement sur le système sémantique. Ces auteurs proposent
une hypothèse alternative qu’ils nomment modèle à entrées multiples,
selon laquelle l’information en provenance du système perceptif (ou
de représentations perceptives) peut entrer directement en mémoire
épisodique, ce qui explique les performances de reconnaissance nor-
males chez les patients atteints de démence sémantique. Cependant,
l’épreuve de mémoire utilisée est fort éloignée du concept actuel de
mémoire épisodique et la réussite aux tâches de reconnaissance par
les patients pourrait être liée à la mise en jeu de processus de plus bas
niveau, comme le sentiment de familiarité. Dans des publications ulté-
rieures, Hodges et ses collaborateurs ont utilisé des tâches de mémoire
plus complexes que la reconnaissance d’images et ont montré que des
patients atteints de démence sémantique peuvent acquérir des éléments
d’un souvenir épisodique (la source de l’événement, l’association de
deux stimuli). Dans un article publié en 2009, ils vont encore plus loin
en démontrant des performances normales à des tâches de mémoire qui
s’approchent de plus en plus de la notion de mémoire épisodique : les
patients étaient d’abord examinés à l’aide de tâches de mémoire séman-
tique (par exemple, placement de monuments célèbres sur des cartes
de géographie) et se montraient capables de raconter le lendemain ce
qu’ils avaient vécu avec l’examinateur, ainsi que le moment et le lieu
précis où l’événement s’était produit. Selon les auteurs eux-mêmes, ces
résultats ne sont pas forcément incompatibles avec le modèle SPI (voir
chapitre 3 , section 9), mais ils suggèrent que la formation d’un sou-
venir épisodique ne nécessite pas forcément une mémoire sémantique
normale. Encore une fois,
– les tests employés ne répondent sans doute pas complètement aux
critères de la mémoire épisodique puisque la conscience n’était pas
examinée ;
– la mémoire sémantique des patients n’est certainement pas tota-
lement abolie ;
– cette expérience ne permet pas de savoir si de tels souvenirs sont
durables ou non.
Démences et syndromes démentiels 385

Il n’en reste pas moins que ces données sont très intéressantes pour
mieux comprendre les relations entre mémoire épisodique et mémoire
sémantique, et questionner le modèle de Tulving.
L’étude des changements du comportement a longtemps été négligée
dans la démence sémantique, du fait de la prédominance des troubles
sémantiques. Pourtant les recherches actuelles montrent que ces
patients présentent une tendance au repli sur soi, un manque d’inté-
rêt pour les autres, une réduction significative de l’empathie et des
difficultés à se comporter de manière appropriée lors des interactions
sociales. Les conduites égocentriques des patients, qui se manifestent
par leur impossibilité à se décentrer d’eux-mêmes lors des interactions
sociales, ont conduit Serge Belliard à proposer le terme d’égocentrisme
comportemental (voir chapitre 2, section 2). Ces modifications pour-
raient s’expliquer en partie par des troubles de la théorie de l’esprit dont
les patients n’ont pas pleinement conscience (Duval et al., 2012).

5. Démences corticales et démences


sous-corticales

Les états démentiels peuvent être consécutifs à des pathologies extrê-


mement variées (neurodégénératives, vasculaires, traumatiques, infec-
tieuses). Toutes les entités cliniques s’attachant à ces multiples étiologies
ne peuvent être décrites dans le cadre de ce manuel. Nous mentionnerons
ici les troubles cognitifs rencontrés dans différentes affections regrou-
pées sous le terme de « démences sous-corticales » pour les opposer aux
perturbations de la maladie d’Alzheimer, prototype des « démences cor-
ticales ». Désignant d’abord les troubles cognitifs caractéristiques de la
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paralysie supranucléaire progressive (la maladie de Steele-Richardson-


Olszewski), le concept de démence sous-corticale a ensuite été étendu
à d’autres affections comme la maladie de Huntington et la démence
observée dans certains cas de la maladie de Parkinson. Ces concepts
ont été critiqués par divers auteurs : en effet, la maladie d’Alzheimer
comprend principalement des lésions corticales mais aussi des lésions
sous-corticales, et le même type d’objection peut être formulé à l’égard
des démences sous-corticales. De plus, il paraît réducteur d’« enfermer »
la sémiologie de différentes affections sous une seule appellation. Toute-
fois, cette opposition entre démence corticale et démence sous-corticale
s’est révélée pertinente au plan pratique et théorique même s’il faut
bien en mesurer les limites.
386 Manuel de neuropsychologie

Les maladies regroupées sous le terme de démences sous-corticales


ont comme point commun de comporter des troubles neurologiques,
en particulier moteurs (dysarthrie, tremblement, hypertonie) qui pré-
cèdent l’apparition des déficits cognitifs. L’examen neuropsychologique
de ces patients se situe donc dans un cadre bien différent de celui d’un
sujet qui consulte pour une suspicion de maladie d’Alzheimer, chez qui
le diagnostic repose sur les seuls troubles cognitifs. Dans la paralysie
supranucléaire progressive et dans la maladie de Huntington, le diag-
nostic est généralement posé avant la survenue des troubles cognitifs.
Le cas de la maladie de Parkinson est plus complexe car, chez la plu-
part des patients, l’affection ne conduit pas à un syndrome démentiel.
Cependant, beaucoup présentent des troubles cognitifs isolés (déficits
visuoconstructifs, mnésiques), trop discrets pour pouvoir être assimilés
à un syndrome démentiel. Enfin, la démence de la maladie de Parkinson
reste un problème très controversé, et l’hypothèse d’une démence sous-
corticale ne s’applique qu’à certains patients, une maladie d’Alzheimer
associée pouvant expliquer d’autres évolutions démentielles. En dehors
des troubles moteurs, les démences sous-corticales sont caractérisées
par une bradypsychie (ou ralentissement idéique) et des troubles de la
personnalité, de l’humeur et du comportement plus précoces et plus
marqués que dans la maladie d’Alzheimer. Un autre trait sémiologique
relativement fréquent dans les démences sous-corticales est l’existence
de troubles des fonctions exécutives. Ceux-ci s’expliquent par un méca-
nisme de « désactivation » du cortex préfrontal du fait de lésions attei-
gnant différentes structures sous-corticales. Pour ces raisons, certains
auteurs utilisent les termes de « démence fronto-sous-corticale ».
Quelques études comparant démence corticale et sous-corticale en
prenant soin de tenir compte de la sévérité de la démence dans les dif-
férents groupes de patients ont apporté des résultats intéressants. Dans
la maladie d’Alzheimer, les troubles de la mémoire sont au premier plan
et attribués, en majeure partie, à un déficit de l’encodage. En effet, les
performances sont très faibles, non seulement dans les tâches de rappel
libre, mais également de rappel indicé et de reconnaissance. Dans les
démences sous-corticales, les performances sont également faibles en
rappel libre mais nettement améliorées par des indices et dans les tâches
de reconnaissance. Les troubles mnésiques « authentiques » de la mala-
die d’Alzheimer s’opposent donc aux troubles de la mémoire « appa-
rents » des démences sous-corticales, les perturbations étant liées dans
ce cas à un déficit des stratégies de récupération. Une autre distinction
pertinente a été mise en évidence dans le domaine de la mémoire impli-
cite. Les patients atteints de maladie de Huntington ont une préserva-
Démences et syndromes démentiels 387

tion des effets d’amorçage mais une mémoire procédurale perturbée,


ce qui constitue le profil inverse de celui observé dans la MA. Sur le
plan théorique, cette opposition a conduit à différencier deux formes
de mémoire implicite et à préciser les structures cérébrales qui les sous-
tendent : régions néocorticales associatives pour les effets d’amorçage,
striatum pour l’acquisition et la rétention de procédures. Toutefois,
ces résultats schématiques méritent d’être nuancés de plusieurs façons
(voir supra pour l’amorçage perceptif dans la maladie d’Alzheimer). En
effet, les performances varient selon les populations de patients et les
épreuves proposées. Dans un certain nombre d’études, les performances
des patients parkinsoniens s’écartent de celles des autres patients
atteints de démence sous-corticale. De plus, des patients parkinsoniens
non déments conservent des capacités normales d’acquisition d’une
procédure perceptivo-verbale (la lecture en miroir) alors que l’acqui-
sition d’une procédure perceptivo-motrice est perturbée. Enfin, toutes
les études révèlent d’importantes variations interindividuelles. La signi-
fication réelle de cette hétérogénéité pouvant conduire à des doubles
dissociations au sein d’une même affection constitue l’un des enjeux
majeurs de la recherche pour les années à venir. Elle pourrait refléter
l’existence de différentes formes de ces maladies dont il conviendra de
définir les caractéristiques cognitives et neurobiologiques.
Même si le concept de démence sous-corticale a d’abord été décrit
pour rendre compte des troubles cognitifs de la maladie de Huntington,
de la paralysie supranucléaire progressive, puis de la maladie de Parkin-
son (avec les réserves mentionnées plus haut), d’autres auteurs l’ont
étendu à des affections très diverses, qu’elles soient dégénératives
comme la démence à corps de Lewy, vasculaires comme l’état lacunaire
ou les séquelles des infarctus thalamiques, métaboliques comme la
maladie de Wilson, démyélinisantes comme la sclérose en plaques ou
la démence du Sida. Dans ce dernier cas et dans d’autres, comme dans
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l’hydrocéphalie à pression normale, le concept est intéressant dans


une perspective clinique car il correspond à des troubles potentielle-
ment réversibles. Toutes ces pathologies ne peuvent pas être décrites
de façon extensive dans le cadre de ce manuel. Il faut souligner l’inté-
rêt historique de la distinction entre démences corticales et démences
sous-corticales. Sa pertinence clinique est une étape initiale permet-
tant de retrouver une ressemblance entre certaines modifications
cognitives et comportementales. Toutefois, la diversité des lésions, des
conséquences neurochimiques et des modes évolutifs propres à chaque
maladie nécessite une approche neuropsychologique spécifique et sou-
vent comparative.
388 Manuel de neuropsychologie

6. L’examen neuropsychologique des patients


déments

Cet examen peut répondre à des objectifs divers qui doivent être claire-
ment précisés car ils déterminent des stratégies et l’utilisation de tech-
niques sensiblement différentes. L’évaluation ne doit pas être menée « à
l’aveugle » mais répondre à des questions posées en fonction de l’ana-
mnèse et des données cliniques et paracliniques déjà recueillies. Dans
tous les cas, un entretien avec le patient et sa famille est indispensable
avant d’entreprendre des investigations plus approfondies utilisant des
épreuves neuropsychologiques (voir Hugonot-Diener et al., 2008, pour
une présentation détaillée de nombreuses épreuves adaptées à la mala-
die d’Alzheimer). Quatre grandes situations peuvent être distinguées.
¼ Le patient est susceptible de présenter les premiers signes d’un
syndrome démentiel
Il convient alors de vérifier si les troubles allégués par le patient et/ou
ses proches correspondent à un syndrome démentiel débutant ou sont
en faveur de modifications cognitives liées à l’âge ou encore à un syn-
drome dépressif. Cette situation exige le recours à un examen psycho-
métrique (chapitre 2, section 1) où les performances du patient seront
confrontées à des normes. La mémoire épisodique est souvent au cœur
du bilan neuropsychologique. L’une des épreuves les plus utilisées pour
l’évaluer (voir chapitre 3, section 9) est le test dérivé d’une procédure
mise au point par Grober et Buschke, intitulé « Le rappel libre – rappel
indicé 16 items » (Van Der Linden et al., 2004). Ce test permet de mettre
en évidence des troubles de l’encodage (les indices sont peu efficaces et
la reconnaissance est déficitaire), du stockage (taux d’oubli accentué) et
de la récupération (amélioration partielle des performances grâce aux
indices). Il a fait les preuves de sa sensibilité et de sa spécificité lors
d’une étude comparative entre sujets témoins et patients atteints de
maladie d’Alzheimer et il apporte des arguments intéressants dans le
diagnostic différentiel avec les autres démences.
Des effets plafonds ont cependant été observés au test de Grober
et Buschke, ce qui nuit à la discrimination entre les groupes. C’est la
raison pour laquelle un nouveau test de mémoire épisodique a été éla-
boré, le Double Memory Test, test de rappel indicé composé de deux
parties comportant chacune 64 mots, répartis en 16 catégories. Ce test
a été adapté en langue française par Stéphane Adam (RI 48 ou rappel
indicé 48 items) ; il présente les mêmes qualités métrologiques que le
Démences et syndromes démentiels 389

test original. La mémoire épisodique visuelle peut être évaluée avec le


test des portes (Greene et al., 1996), le DMS48, test de reconnaissance
mis au point par Barbeau et coll. (voir Van Der Linden et al., 2004), ou
le classique test de la figure complexe de Rey. L’examen des autres fonc-
tions cognitives dépend du contexte sémiologique. L’évaluation de la
mémoire sémantique est de première importance lorsque l’hypothèse
posée est celle d’une démence sémantique, et celle des fonctions exé-
cutives en cas de démence frontotemporale. L’examen des fonctions
instrumentales, telles que le langage ou les praxies, contribue égale-
ment au diagnostic.
Un questionnaire de statut mental comme le MMS de Folstein permet
ensuite de chiffrer l’intensité des troubles cognitifs et son utilisation
s’avère pertinente pour suivre l’évolution du patient. Ultérieurement,
des investigations plus sophistiquées, évaluant notamment la mémoire
implicite mais également d’autres fonctions cognitives, auront pour uti-
lité de préciser les capacités préservées. Cette évaluation globale pourra
servir de support à la prise en charge du patient et à l’aménagement de
son environnement familier.

¼ Dans d’autres cas, le malade présente des troubles neuropsycho-


logiques patents
L’examen psychométrique au sens strict n’est pas justifié car il met-
trait inutilement le patient en situation d’échec sans apporter d’infor-
mations supplémentaires. Des épreuves relativement simples évaluant
diverses fonctions cognitives, comme la Batterie d’évaluation cogni-
tive de Signoret (BEC 96), l’échelle de Mattis, le MoCA, l’ADAS ou
l’échelle élaborée par le CERAD sont indiquées pour préciser le profil
de l’atteinte cognitive. La BEC 96 présente l’avantage de rester brève et
relativement globale tout en intégrant des tâches particulièrement per-
tinentes dans le cadre de l’évaluation des démences, telles que le rappel
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libre et la reconnaissance d’un même matériel. L’échelle de Mattis per-


met d’évaluer l’attention, l’initiation, les capacités visuoconstructives,
la conceptualisation, la mémoire, en 20 à 30 minutes, selon le degré de
détérioration du patient. Le seuil pathologique indiqué par Mattis était
de 140, mais des études ultérieures ont montré que les performances à
cette épreuve étaient sensibles aux effets de l’âge et du niveau d’éduca-
tion, ce qui rend nécessaire un ajustement du seuil en fonction de ces
deux variables (voir la version diffusée par le GRECO). Le test MoCA
(pour Montreal Cognitive Assessment) a été créé pour évaluer rapidement
plusieurs fonctions cognitives : mémoire (rappel libre et indicé de 5
mots en deux essais), fonctions exécutives (adaptation du Trail Making
390 Manuel de neuropsychologie

Test), capacités visuospatiales (dessin d’une horloge et copie d’un cube),


langage (dénomination de 3 dessins, répétition de phrases, fluence ver-
bale, similitudes sémantiques), attention soutenue (détection de cibles,
répétition de chiffres), orientation dans le temps et l’espace. Ce test est
disponible en 34 langues ou dialectes, il existe en 3 versions différentes
en anglais et des normes sont disponibles sur le site (voir le site www.
mocatest.org). Il est plus complet que le MMS, mais reste facile à utili-
ser chez des patients déments, ce qui le rend adapté dans le cadre d’un
bilan mémoire. L’ADAS a été élaborée afin d’évaluer l’ensemble des défi-
cits cognitifs et comportementaux chez les patients atteints de maladie
d’Alzheimer. Le GRECO a réalisé une version en langue française de la
partie cognitive de cette batterie ou « ADAS-cog ». Les 11 subtests de
cette version évaluent l’intelligibilité du langage oral, la compréhen-
sion, le manque du mot, le rappel de mots, la dénomination, l’orien-
tation, l’exécution d’ordres, les praxies gestuelles et constructives, la
reconnaissance de mots et le rappel de consignes. Cette échelle est
surtout utilisée dans le cadre de l’évaluation de l’efficacité des médica-
ments. Enfin, la batterie du CERAD comporte une échelle d’évaluation
des troubles cognitifs incluant des épreuves de fluence catégorielle, de
dénomination d’images, le MMS, l’apprentissage d’une série de 10 mots
avec rappel différé et reconnaissance, et la copie de figures géométriques
simples.
Des épreuves ont pour vocation l’examen des fonctions cognitives
dans les démences frontales ou sous-cortico-frontales. Ainsi, Dubois et
Pillon ont proposé la Batterie rapide d’efficience frontale (BREF), compo-
sée des sous-tests suivants : similitudes sémantiques, fluence à critère
orthographique, recherche de comportement de préhension et d’imita-
tion, séquences motrices de Luria, épreuves de consignes conflictuelles
et de go-no go.
¼ Dans une troisième situation, le patient est atteint d’une affection
diagnostiquée pouvant conduire à un syndrome démentiel mais
les troubles cognitifs ne sont pas démontrés
C’est le cas de la maladie de Parkinson ou de la sclérose latérale
amyotrophique (voir Mondou et al., 2010, pour une revue des troubles
cognitifs dans cette pathologie et ses liens avec la DFT). L’interprétation
des performances aux tests psychométriques doit tenir compte de la
répercussion des troubles associés (par exemple les troubles moteurs).
Une bonne connaissance des affections neurologiques et des troubles
cognitifs qu’elles peuvent entraîner est nécessaire pour guider alors
l’investigation neuropsychologique.
Démences et syndromes démentiels 391

¼ L’évaluation des patients présentant une atteinte sévère


Elle est actuellement peu structurée mais prendra une place impor-
tante dans les années qui viennent, les neuropsychologues étant de plus
en plus présents dans les établissements hospitaliers pour personnes
âgées dépendantes (EHPAD). Ce type d’évaluation pose des problèmes
spécifiques et surtout place le neuropsychologue dans une situation
très différente de l’examen habituel. Il s’agit davantage de comprendre
comment le patient vit dans son environnement journalier, d’évaluer
certes les déficits mais surtout de repérer les capacités préservées et la
façon de les optimiser et de les mettre en valeur dans les différentes acti-
vités menées avec les patients. Cette évaluation « en situation » porte sur
les différentes fonctions cognitives qui sont classiquement du ressort de
la neuropsychologie (mémoire, langage, etc.) mais elle s’étend à la façon
dont le patient vit sa situation dans l’institution et sa maladie, c’est-à-
dire l’anosognosie et d’éventuelles modifications de l’identité person-
nelle et de la conscience de soi. Ces aspects sont importants à prendre en
compte dans le projet thérapeutique pour un patient donné ainsi qu’à
un niveau institutionnel plus large. Cette dimension de l’évaluation est
aussi essentielle à considérer sur un plan éthique dans le mode de prise
en charge à proposer à ces patients et la façon de les y impliquer.
Dans tous les cas, l’examen d’un patient dément ou susceptible
de l’être est une démarche complexe qui exige une grande expertise
et une formation spécifique. Le patient est mis en situation d’échec,
même s’il n’est pas conscient de ses troubles. Un choix soigneux dans
les épreuves utilisées et une stratégie d’examen adéquate doivent per-
mettre de minimiser un sentiment d’échec, par exemple, en propo-
sant des tâches de reconnaissance, mieux réussies ou perçues comme
telles, en fin d’évaluation. Un examen neuropsychologique appro-
fondi est pourtant indispensable car porter un diagnostic de syn-
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drome démentiel, ou de maladie entraînant des déficits cognitifs, est


une décision lourde de conséquences qui doit s’appuyer sur des don-
nées convergentes. Le diagnostic ne doit pas être porté hâtivement
et, dans certains cas, les données de l’examen neuropsychologique
sont insuffisantes pour conclure. Il convient alors d’effectuer des exa-
mens répétés à quelques mois d’intervalle. Ces examens répétés per-
mettront de différencier, à terme, des patients qui vont évoluer vers
un état démentiel des patients présentant seulement une plainte et
des troubles mnésiques isolés.
Quelle que soit la situation, des investigations plus approfondies
sous forme d’une analyse cognitive sont pertinentes si elles peuvent
392 Manuel de neuropsychologie

déboucher sur une prise en charge du patient et des conseils aux soi-
gnants et aux proches du malade. L’information et le conseil aux
familles constituent l’aspect complémentaire de ces consultations
auprès des patients. Parmi leurs multiples vocations, les associations
de familles comme France-Alzheimer jouent un rôle fondamental dans
cette action de soutien psychologique.
7
Cha
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t
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RÉÉDU CATIONS
NEURO PSY CHO LO GIQUES
ET PRISES EN CHARGE
DES PATIENTS
ET DE LEUR ENTOU RAGE
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1. Cadre général de la rééducation en neuropsychologie ...... 392


2. L’approche cognitive en rééducation .................................. 396
3. Quelques guides pour la pratique........................................409
4. La prise en charge des démences ........................................ 416
5. Vers une neuropsychologie de la vie quotidienne..............420
6. Rééducation et imagerie cérébrale fonctionnelle.............. 422
7. Entraînement, rééducation et neurostimulation................ 425
8. En guise de conclusion .........................................................429
Rééducations neuropsychologiques 395

L’ouvrage de Eustache et al. (1997) situait la problématique de la réédu-


cation neuropsychologique dans ses contextes historique, de santé
publique et théorique, plaidant pour une rééducation ancrée dans le
contexte général de la neuropsychologie d’inspiration cognitive. Le
livre édité par Azouvi et al. (1999) illustre les concepts et les méthodes
de l’approche cognitive en rééducation. La synthèse la plus récente
publiée par Adam et al. (2009) s’inscrit dans le même esprit en choisis-
sant d’illustrer les outils théoriques et méthodologiques qui sont main-
tenant largement partagés dans la discipline au travers d’études de cas
de patients souffrant de troubles du langage, de la mémoire, de l’atten-
tion et des fonctions exécutives, qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes,
et dans le cadre de pathologies acquises, développementales ou en lien
avec des maladies neuropsychiatriques. Les auteurs soulignent aussi les
évolutions marquantes, en particulier l’approche écologique en évalua-
tion et rééducation, et la question des aides aux accompagnants et soi-
gnants de patients souffrant de la maladie d’Alzheimer. Ce dernier point
est crucial car il ouvre le cadre des prises en charge à l’entourage du
patient : « l’aide aux aidants » des malades souffrant d’une pathologie
démentielle en est une illustration démonstrative. Enfin, ce domaine
relativement nouveau de la prise en charge des patients atteints d’un
syndrome démentiel, y compris à un stade sévère, s’accompagne néces-
sairement d’une réflexion éthique à laquelle notre discipline doit appor-
ter une contribution spécifique (Eustache, 2012).
Dans la période qui a débuté après la « révolution cognitive », dans
les années 1980, une évolution importante a été suscitée par l’adop-
tion de la référence au cadre conceptuel de la Classification interna-
tionale des Déficiences, Incapacités et Handicaps (CIDIH, voir Joanette,
communication personnelle). Une approche nouvelle en rééducation
neuropsychologique s’est ainsi dessinée, moins centrée sur l’existence
des déficits en eux-mêmes et plus sur la personne soignée et les consé-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

quences fonctionnelles de ces déficits.


Initialement, les rééducations neuropsychologiques ont porté sur les
troubles acquis du langage oral et écrit mais les domaines d’applica-
tion couvrent maintenant la quasi-totalité de la sphère cognitive : les
troubles acquis du langage (Lambert, 2004), les troubles de la mémoire
(Meulemans et al., 2003), les troubles de l’attention (Sturm, 1999), l’hémi-
négligence (Samuel et al., 2000), les troubles exécutifs (Pradat-Diehl et
al., 2006). Certains secteurs ont émergé récemment, comme les réédu-
cations des troubles de la mémoire prospective, un aspect de la mémoire
humaine très sollicité dans la vie de tous les jours. Ce chapitre présente
le cadre général des pratiques rééducatives et des prises en charge en
396 Manuel de neuropsychologie

neuropsychologie ainsi que quelques lignes directrices et recommanda-


tions issues des méta-analyses et revues critiques des publications dans
ces domaines. Parmi les secteurs qui ont connu les plus grandes avan-
cées récemment, celui des rééducations des troubles développementaux
a déjà été traité dans le chapitre sur l’enfant (chapitre 4) du fait des spé-
cificités de ce domaine émergeant, et une place particulière est consa-
crée aux prises en charge des troubles cognitifs et comportementaux
consécutifs à des pathologies diffuses et évolutives, en particulier la
maladie d’Alzheimer. Enfin seront aussi abordés les résultats très pro-
metteurs des études utilisant la neuro-imagerie pour mettre en évidence
les réorganisations cérébrales en lien avec une rééducation, par exemple
dans l’aphasie, et les abords thérapeutiques qui s’appuient sur la stimu-
lation du cerveau, en combinaison ou pas avec une rééducation.

1. Cadre général de la rééducation


en neuropsychologie

Des troubles cognitifs plus ou moins sévères peuvent constituer les


séquelles de lésions cérébrales, et venir en aide aux patients en tentant
d’atténuer ces troubles et leurs conséquences est une des missions pre-
mières des neuropsychologues.
Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) – pour ne prendre qu’une
des pathologies responsables de troubles cognitifs acquis, à côté d’autres
causes comme les traumatismes crâniens, les tumeurs ou les syndromes
démentiels – représentent un problème de santé publique important :
dans les pays dits développés, deux personnes sur mille chaque année
sont victimes d’un AVC. Parmi ceux qui y survivent, un sur deux pré-
sente un déficit moteur, des troubles du langage ou des autres fonctions
cognitives, et il est maintenant reconnu que les atteintes des fonctions
cognitives supérieures sont l’une des causes majeures de handicaps
sévères et prolongés. L’enjeu de la rééducation est donc important :
réduire le plus possible les handicaps physiques et cognitifs, et favoriser
l’intégration familiale et socioprofessionnelle du patient. Cet objectif
mobilise de nombreux spécialistes – kinésithérapeute, ergothérapeute,
orthophoniste, médecin-rééducateur, psychologue – dans différents
types de structures (centres de rééducation fonctionnelle, etc.).
Après un bref historique, ce chapitre exposera les objectifs et les prin-
cipes généraux des rééducations neuropsychologiques, et proposera
quelques guides pour les pratiques rééducatives. L’accent porté sur la
Rééducations neuropsychologiques 397

rééducation des troubles cognitifs consécutifs à une atteinte cérébrale


ne doit pas faire oublier que toute intervention doit prendre en compte
de multiples dimensions. De même, le succès d’une rééducation dépend
de nombreux facteurs, incluant, au-delà de la qualité du programme
rééducatif, la motivation et la participation du patient, et l’implication
de son entourage. Un programme complet de prise en charge neuropsy-
chologique doit donc tout à la fois comprendre des interventions qui
visent à améliorer les performances dans des tâches cognitives spéci-
fiques (lire, écrire, mémoriser…), et des aides qui permettent au patient
de se réinsérer au mieux dans son milieu familial et professionnel en
dépit de son handicap, et cela en agissant également sur l’entourage du
patient. Il doit être conçu aussi de façon à permettre une généralisation
des impacts de la prise en charge aux activités quotidiennes, au-delà de
la situation ponctuelle de la rééducation.

1.1 Aperçu historique


Si l’on peut dater de la deuxième partie du XIXe siècle la naissance de
la neuropsychologie, ce n’est que dans la première moitié du XXe siècle
qu’émerge le domaine de la rééducation neuropsychologique. Après
la Première Guerre mondiale, le développement de la rééducation des
troubles du langage oral et du langage écrit bénéficie des influences
de la psychologie et de la linguistique : les apports de ces disciplines
guident à la fois la description et l’interprétation des troubles. Au début
des années 1930 sont utilisées pour la première fois dans une optique
neuropsychologique les évaluations standardisées de l’intelligence, en
même temps que sont élaborées les premières batteries d’examen cli-
nique de l’aphasie. Après la Seconde Guerre mondiale, les rééducations
des diverses fonctions cognitives supérieures deviennent courantes,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

même si la pratique clinique est principalement orientée vers la prise


en charge des troubles du langage. Les stratégies de rééducation visent à
« stimuler » le langage et à favoriser son utilisation dans des situations
de communication variées. Sous l’impulsion notamment de Head, les
cliniciens prennent plus en compte la variabilité inter-individuelle au
sein de la « population aphasique ». Enfin, sous l’influence de Luria, les
interventions se veulent de plus en plus spécifiques à une sémiologie
et doivent donc prendre appui sur une analyse préalable et détaillée
des troubles et être individualisées. Nous trouvons dans cette démarche
deux traits centraux des rééducations cognitives actuelles. Qui plus est,
Luria contribue à motiver théoriquement l’entreprise de rééducation
des fonctions cognitives supérieures avec ses réflexions et travaux sur
398 Manuel de neuropsychologie

les possibilités de rétablissement ou de réorganisation d’une fonction


après lésion et le concept de plasticité cérébrale.
À ce moment de son histoire, la rééducation neuropsychologique est
largement confondue avec l’orthophonie. En France, à l’hôpital de la
Salpêtrière, B. Ducarne de Ribaucourt participe avec T. Alajouanine et
F. Lhermitte à la création en 1953 du premier centre d’étude et de réédu-
cation de l’aphasie. Cette création est suivie en 1958 par celle d’un
enseignement d’orthophonie. L’idée directrice est alors « qu’un même
signe pouvait incomber à des causes différentes et impliquer une théra-
pie spécifique à chacune d’elles » (pour revue, Ducarne de Ribaucourt,
1997) : des techniques de rééducation différentes sont proposées selon
la nature des symptômes.

1.2 Les grandes approches de la rééducation


1.2.1 L’approche dite empirique
L’expression fait référence à une longue période de l’histoire de la réédu-
cation neuropsychologique confrontée au manque de fondements
théoriques explicites et d’une méthodologie codifiée. La sémiologie
était prise en compte mais les modèles du fonctionnement cognitif nor-
mal étaient trop imprécis. En conséquence, l’interprétation des symp-
tômes, en termes de processus sous-jacents déficitaires, était difficile.
Cependant, le choix des stratégies rééducatives était déjà guidé par des
hypothèses sur le déficit fonctionnel. Ainsi, une stimulation plus ou
moins spécifique est proposée lorsque les connaissances ou compé-
tences paraissent préservées mais que le patient a du mal à y accéder,
tandis qu’un véritable réapprentissage est entrepris si l’hypothèse d’une
perte des représentations et/ou de la fonction est retenue. Ce type de
pratique contient en germe de nombreuses procédures de rééducation
employées aujourd’hui.

1.2.2 L’approche béhavioriste


Le caractère programmé et rigoureux des thérapies inspirées du béhavio-
risme ainsi que l’inscription dans ce cadre théorique qui a dominé la psy-
chologie pendant une cinquantaine d’années sont deux éléments qui,
dans l’esprit des neuropsychologues, pouvaient permettre de répondre
aux critiques formulées à l’égard d’une approche empirique « de terrain ».
Ce passage de Bruyer et al. (1982) illustre l’application des principes du
béhaviorisme et de ses concepts clés – stimulus, réponse, renforcement –
à la rééducation neuropsychologique : « Une telle analyse fonctionnelle
Rééducations neuropsychologiques 399

[…] des conduites perturbées sur le plan neuropsychologique consiste


à tenter d’isoler les variables qui en contrôlent la probabilité d’occur-
rence : on s’efforcera donc de préciser au moins les contingences de
renforcement, c’est-à-dire l’ensemble des relations existant entre la
conduite analysée, les stimuli discriminatifs qui en constituent « l’occa-
sion environnementale » et les événements renforçants qui la suivent
et qui en sont la conséquence. Il s’agit donc de rechercher, parmi les
événements qui précèdent et qui suivent la réponse, ceux qui exercent
un contrôle sur cette dernière ; la thérapie devrait alors consister en une
manipulation de ces phénomènes » (p. 79).
Il s’agit donc de tenter de modifier certains comportements du patient,
ou d’en instaurer de nouveaux, au moyen de techniques d’apprentis-
sage basées sur le conditionnement. Cette application des principes
comportementalistes a apporté plus de rigueur et de précision dans les
méthodes, tant dans la mise en œuvre de la thérapie qu’au niveau de
l’évaluation de ses effets. Les critiques principales qui lui sont adres-
sées portent d’abord sur le fait que les troubles ne sont pas analysés
en termes de processus sous-jacents perturbés. L’évaluation initiale vise
uniquement à délimiter le « registre comportemental » qui doit être la
cible de la rééducation. Or l’un des acquis de la rééducation neuropsy-
chologique d’aujourd’hui est de considérer que le thérapeute ne peut
tenter valablement de rééduquer un trouble sans le comprendre en fai-
sant référence à un modèle de l’architecture fonctionnelle normale,
apport majeur de l’approche cognitiviste. Ensuite, pour répondre au
souci de scientificité cher au béhaviorisme, des programmes de réédu-
cation standardisés à l’extrême ont été appliqués de façon rigide, sans
tenir compte de la diversité des tableaux cliniques et des ajustements
individualisés que ceux-ci appellent, ce qui a conduit à discréditer cette
approche.
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1.2.3 L’approche cognitiviste


Comme le soulignent Beauvois et Derouesné (1982), la recherche ayant
pour but de comprendre la cognition (dite « fondamentale ») et celle
visant à atténuer le plus possible les effets d’un déficit cognitif (dite
« clinique ») se sont longtemps ignorées. Cette situation, qui préva-
lait depuis les origines de la neuropsychologie, a changé : chacune des
perspectives exige en effet de comprendre précisément comment une
lésion cérébrale affecte la cognition. Une approche de la rééducation
« hybride » a pris son essor au début des années 1990. Les échanges
entre les deux perspectives y sont réciproques : les modèles cognitifs
400 Manuel de neuropsychologie

et les méthodes élaborées motivent et guident les approches thérapeu-


tiques, et les résultats d’interventions particulières sont utilisés pour
tester les modèles. Même si cette approche cognitive n’est pas toujours
utilisée dans sa forme d’origine, qui prônait des principes difficilement
défendables (par exemple l’absence de référence au cerveau ; voir cha-
pitre 1 section 9 et chapitre 2 section 2), ses apports sont majeurs et elle
constitue aujourd’hui la principale référence théorique, tout en étant
complétée dans le domaine de la recherche par des travaux novateurs
utilisant l’imagerie cérébrale fonctionnelle et la stimulation cérébrale.

2. L’approche cognitive en rééducation

À partir des années 1980 s’est mise en place en neuropsychologie la


rééducation d’inspiration cognitive ou « rééducation cognitive », qui est
définie par son étroite relation aux modèles de l’architecture fonction-
nelle normale. Cette référence aux modèles (voir l’exemple du modèle
de lecture à double voie, encadré 7, p. 59) guide avant tout la première
étape de la rééducation, c’est-à-dire l’évaluation des composantes de
traitement préservées et perturbées qui doit déboucher sur un « diag-
nostic cognitif ».

2.1 Les principales étapes


Toute rééducation implique d’abord une évaluation qui doit débou-
cher sur le diagnostic cognitif : il s’agit de tenter d’identifier le ou les
composants de traitement sous-jacents déficitaires responsables des
troubles du patient. Cette évaluation des processus perturbés ainsi que
des capacités préservées est guidée par un modèle de la fonction cogni-
tive normale : l’ensemble des épreuves qui sont proposées au patient est
conçu pour « tester » le degré d’intégrité de chacune des composantes
du système qui concourt à la fonction perturbée. Cette caractéristique
a pour conséquence une grande diversité des procédures d’évaluation,
chacune étant conçue pour l’analyse d’un cas particulier. C’est dans le
domaine de la production orale ou écrite d’un mot isolé que les modèles
d’architecture fonctionnelle sont le plus détaillés (voir Lambert, 1997,
pour le diagnostic et la rééducation des troubles du langage) et que peut
être déterminé le plus précisément l’état fonctionnel de chacune des
composantes du modèle de référence (voir encadré 47, p. 401).
Rééducations neuropsychologiques 401

La rééducation comprend, schématiquement, les étapes suivantes,


chacune devant permettre de répondre à une question spécifique :
− diagnostic cognitif : quels sont les processus sous-jacents défici-
taires et préservés ?
− choix de l’objectif thérapeutique : rétablir, réorganiser… ?
− ligne de base pré-traitement : quel est le niveau précis de perfor-
mances dans les activités sur lesquelles l’intervention va porter ?
− mise en œuvre du traitement : quel type de devis permettra de dis-
tinguer les effets de la récupération spontanée, les effets généraux
d’une prise en charge (stimulation, familiarisation avec les tâches
et matériels…), et les bénéfices liés spécifiquement à l’intervention
cognitive ?
− évaluation post-traitement : la ligne de base est ré-administrée,
des progrès ont-ils été accomplis ? À quelle hauteur ? Quelle en est
la nature ? Et notamment jusqu’à quel point les bénéfices sont-ils
généralisables à divers types de matériels et à diverses situations ?
− suivi : y a-t-il maintien des bénéfices à moyen et à long termes, et
à quelle ampleur ?

Encadré 47
Rééducation d’une dysorthographie de surface
L’utilisation de stratégies de traitement de l’information disponibles mais
« inhabituelles » est un des moyens de réorganisation ou de restauration de
la fonction défaillante. Une illustration intéressante en est donnée par de
Partz et al. (1992) qui décrivent, pour un cas de dysorthographie de surface,
le réapprentissage des conventions orthographiques au moyen, notamment,
d’une stratégie d’imagerie mentale visuelle.
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Le patient L. P. souffre de perturbations importantes de l’orthographe et de


la lecture : l’analyse cognitive se concentre sur les perturbations de l’écriture
et permet de conclure à une perturbation de la voie lexicale d’écriture. Les
troubles sont mis en évidence dans différentes tâches, d’écriture spontanée,
de dictée, d’épellation orale, ou de copie différée. Les réponses erronées
produites par L. P. respectent dans 93 % des cas la phonologie du mot cible
– il écrit par exemple « fame » pour « femme », « taust » pour « toast » – et
relèvent donc principalement d’une régularisation orthographique. D’autre
part, les erreurs restant constantes d’une séance à l’autre, les auteurs font
l’hypothèse d’une « perte des représentations orthographiques (lexique
orthographique de sortie) » plutôt que d’une « difficulté d’accès à ces repré-
sentations par ailleurs intactes ».
À
402 Manuel de neuropsychologie

Â
C’est le réapprentissage des représentations orthographiques des mots irré-
guliers et ambigus sur le plan orthographique qui est visé par la rééducation.
Plus précisément, il s’agit :
– de rendre optimale la procédure d’écriture la mieux préservée – c’est-
à-dire la procédure phonologique – en réapprenant au patient un
certain nombre de règles de conversion dépendantes du contexte.
La première étape de la rééducation vise donc le réapprentissage de
règles ;
– de permettre le réapprentissage des conventions orthographiques pour un
ensemble de mots à orthographe ambiguë et irrégulière. Il s’agit donc dans
un deuxième temps du réapprentissage d’items spécifiques, de connais-
sances.
Pour ce qui concerne la première étape de renforcement de la procé-
dure phonologique d’écriture, les auteurs ont réappris à L. P. des règles,
par exemple la règle de conversion des phonèmes /s/ et /z/ en SS et
S comme dans « poisson » vs « poison ». À l’évaluation post-thérapie,
L. P. écrit parfaitement des mots fréquents susceptibles de telles erreurs,
tandis que la ligne de base pour les mots irréguliers et ambigus reste
inchangée.
La deuxième étape vise le réapprentissage des mots irréguliers et ambi-
gus. La procédure choisie s’appuie sur l’imagerie mentale : il s’agit
d’aider L. P. à retrouver une information verbale qu’il va réapprendre
– les conventions orthographiques – à partir d’une information imagée.
L. P. est d’abord entraîné à générer des images mentales (après présen-
tation visuelle de l’objet, puis sans ce support, après que l’expérimenta-
teur a posé des questions sur la forme, la couleur de l’objet...). L’activité
d’imagerie est ensuite utilisée pour le réapprentissage orthographique :
à chaque mot incorrectement orthographié par L. P. est associé un dessin
présentant un lien sémantique direct avec la signification du mot à écrire
et s’adaptant à la forme des lettres ambiguës : c’est la phase d’apprentis-
sage des mots écrits avec dessins incorporés. Sur 120 mots sélectionnés
au départ, 60 sont entraînés par la technique d’imagerie (30 sont ima-
gés par le patient lui-même, 30 autres par le thérapeute), 60 servent de
contrôle.
Lors de chaque séance de rééducation cinq mots environ sont travaillés de
la façon suivante :
– L. P. doit copier le mot écrit avec le dessin intriqué dans celui-ci ;
– L. P. doit reproduire le même mot-dessin après un délai de 10 secondes (s’il
échoue la copie est à nouveau proposée) ;
– L. P. doit écrire le mot-dessin sous dictée.

À
Rééducations neuropsychologiques 403

Des progrès sont mis en évidence après quelques mois d’application de la


thérapie. Les performances d’écriture pour trois ensembles de mots de diffi-
culté similaire mais entraînés selon trois méthodes différentes sont compa-
rées : 47 % de réussite pour les mots non entraînés, contre 57 % pour les mots
ayant fait l’objet d’une méthode d’apprentissage traditionnelle et 77 à 83 %
pour les mots travaillés avec la stratégie d’imagerie mentale.

Pour susciter un transfert de l’aide à l’écriture spontanée, L. P. est aussi entraîné


à étendre l’utilisation de la stratégie aux mots morphologiquement dérivés des
mots appris, par exemple pour « flamme » : inflammation, inflammable, etc.
Cette rééducation a donc permis à L. P. de réapprendre les conventions
orthographiques. Lorsque l’ensemble du protocole est testé à nouveau six
mois après l’interruption de la rééducation, les performances sont restées
stables, montrant la validité de la thérapie à long terme.
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2.2 Les différents objectifs d’une rééducation


(ou d’une prise en charge)
Trois objectifs sont classiquement distingués, parmi lesquels le choix se
fait en fonction de l’évaluation initiale :
1. rétablir le fonctionnement dans son état antérieur (en renforçant
les mécanismes atteints) ;
2. réorganiser le fonctionnement en faisant appel à des mécanismes
qui ne sont pas habituellement mis en œuvre (en s’appuyant sur
des systèmes préservés) ;
3. modifier et adapter l’environnement du patient.
404 Manuel de neuropsychologie

2.2.1 Rétablissement ou restauration du fonctionnement


Une rééducation peut avoir pour objectif de rétablir le fonctionne-
ment normal du ou des composants déficitaires lorsque, à l’issue de
l’évaluation initiale, le thérapeute estime qu’il est possible de faire
réapprendre au patient les conduites perturbées et de l’aider à réactua-
liser des conduites normales (qui s’appuient sur les composants mis
en œuvre dans le fonctionnement normal) au moyen de stimulations
répétées.
Dans le domaine des troubles mnésiques, cette dernière option appa-
raît peu pertinente : les spécialistes de la rééducation de la mémoire sou-
lignent l’absence de bénéfice lié aux prises en charge non spécifiques,
c’est-à-dire qui consistent à essayer de restaurer la fonction mnésique au
moyen d’exercices mnésiques répétitifs. Ce type d’approche ne prend
pas suffisamment en compte la diversité des troubles de la mémoire.
Les développements récents montrent l’intérêt d’une rééducation adap-
tée spécifiquement à chaque patient souffrant de troubles mnésiques,
notamment en fonction du diagnostic cognitif, et qui s’appuie sur les
capacités d’apprentissage implicite souvent mieux préservées que les
capacités explicites aussi bien dans les syndromes amnésiques que dans
la maladie d’Alzheimer (pour une revue, voir Meulemans et al., 2003).

2.2.2 Réorganisation de la conduite


Cette option correspond à l’hypothèse selon laquelle la conduite défi-
citaire ne peut plus être rétablie dans ses modes de fonctionnement
antérieurs : la rééducation vise alors à permettre au patient d’accéder
aux mêmes fonctions mais en les faisant s’appuyer sur une organisation
différente des processus. La rééducation de l’alexie pure (défaut d’iden-
tification visuelle) consiste ainsi à réorganiser la lecture en entraînant le
patient à identifier la lettre sur afférence gestuelle (tracé du contour de
la lettre). Les exemples de prises en charge des troubles de la mémoire
s’appuyant sur les systèmes de mémoire préservés s’inscrivent aussi
dans ce contexte (voir infra).

2.2.3 Stratégies palliatives


Si le neuropsychologue estime d’emblée que le fonctionnement défi-
citaire ne peut être ni rétabli dans sa forme antérieure, ni réorganisé,
ou si ces deux options ont déjà échoué, la prise en charge peut viser la
modification et le réaménagement de l’environnement du patient de
Rééducations neuropsychologiques 405

façon à minimiser l’impact des troubles, ainsi que la mise en place de


moyens palliatifs.
Dans les prises en charge de patients déments qui seront abordées
plus loin, il s’agit souvent de mettre au point des aménagements de
l’environnement de façon à alléger les conséquences des déficits : mar-
quage à l’aide de couleurs, de panonceaux, de flèches pour aider l’orien-
tation.
Le terme de « prothèse mentale » désigne un « dispositif externe d’aide
ou de substitution au fonctionnement cognitif ». L’exemple typique
est le « carnet de mémoire », souvent utilisé pour la rééducation des
troubles de la mémoire. Van der Linden (1997) souligne que, quel que
soit le type de système compensatoire choisi, celui-ci ne peut être effi-
cace « que s’il est taillé “sur mesure” à partir des déficits spécifiques de
chaque patient » et qu’un programme d’apprentissage est indispensable
à sa maîtrise.
L’option palliative peut être choisie aussi en phase initiale de prise en
charge : une « prothèse linguistique » peut être vue comme un moyen
augmentatif, qui va permettre de maintenir la communication chez un
aphasique global et servir de support à la poursuite de la rééducation,
pour être ensuite abandonné.

2.3 L’évaluation des effets de la rééducation


Les études sur l’efficacité de la rééducation cognitive doivent être conçues
de façon telle que le neuropsychologue puisse distinguer, à l’issue de
l’intervention, une amélioration liée aux effets spécifiques de celle-ci et
une amélioration due à la récupération spontanée, aux effets généraux
de l’intervention, ou encore à la simple pratique des épreuves.
Mesurer les effets spécifiques du traitement est une des préoccu-
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pations majeures des rééducations d’inspiration cognitive. C’est en


fonction de cette évaluation que le neuropsychologue peut décider la
poursuite ou l’arrêt de la prise en charge et juger dans quelle mesure les
progrès sont transférés aux situations de la vie quotidienne. Comme le
souligne Seron (1995), « il est normal et même souhaitable sur les plans
éthique, social et économique que l’on établisse au mieux l’efficacité
des traitements proposés aux patients » (p. 254).
Le principe général pour déterminer si une rééducation a eu un effet
bénéfique ou non consiste à évaluer précisément les performances du
patient avant l’application du traitement et à renouveler cette évaluation
à l’issue de celui-ci. Si des progrès sont enregistrés dans les performances
406 Manuel de neuropsychologie

à l’évaluation post-traitement, le neuropsychologue peut les attribuer à


l’intervention. Toutefois, l’une des principales difficultés dans l’évalua-
tion d’une rééducation dans le cas d’une pathologie non évolutive (par
exemple consécutive à un AVC) est de savoir si les progrès enregistrés
sont dus aux effets particuliers du traitement ou bien à la récupération
spontanée. En effet, à un rythme soutenu pendant les six premiers mois
qui suivent la survenue de l’AVC, puis certainement plus lentement pen-
dant deux années encore, voire plus, des modifications cérébrales (phé-
nomènes de plasticité, de vicariance et de réduction des effets à distance
de la lésion) et une récupération spontanée, plus ou moins importante,
se mettent place. Plusieurs attitudes peuvent être adoptées face à la récu-
pération spontanée : dans certaines situations, n’entreprendre la rééduca-
tion que lorsque les déficits semblent ne plus régresser spontanément, ce
qui est rarement le cas en pratique clinique ; plus fréquemment, adopter
un plan d’étude qui permettra de distinguer les effets de la récupération
spontanée de ceux du traitement. Plusieurs étapes et aspects du devis de
rééducation doivent alors être soigneusement conçus et planifiés.

2.3.1 Étude de groupes de patients et étude de cas unique


Les recherches sur l’efficacité des programmes de rééducation cogni-
tive et la mise en pratique de la thérapie ont initialement fait appel
essentiellement à des études de cas uniques plutôt qu’à des comparai-
sons entre groupes de patients (voir le chapitre 1). Les démonstrations
rigoureuses des bénéfices sur le plan du fonctionnement cognitif des
patients ont été suffisamment importantes pour asseoir durablement
cette approche dans notre discipline.
Dans les faits, les études de groupes de patients ont cependant tou-
jours été nombreuses, mais leur validité dans ce contexte de l’évalua-
tion des effets des interventions a toujours fait débat. La méthode dite
de « comparaison intergroupes » consiste à comparer les performances
moyennes d’un groupe de patients rééduqués et d’un groupe de patients
non rééduqués, avant puis après l’application du programme dans le
groupe rééduqué, l’autre groupe poursuivant généralement les activités
habituelles proposées dans le service.
La comparaison intergroupes est quelquefois considérée comme per-
mettant d’évaluer un traitement dans sa globalité et d’écarter des expli-
cations alternatives aux changements observés : effets de la récupération
spontanée ou encore effets de la simple répétition des évaluations. Toute-
fois, ce choix d’analyser les scores de changement moyens obtenus dans
deux groupes de patients est critiquable et en partie inadapté à l’évalua-
Rééducations neuropsychologiques 407

tion des effets de la prise en charge. En effet, si, à l’issue de l’intervention,


une amélioration est notée dans les performances du groupe rééduqué
par comparaison avec le groupe non rééduqué, le neuropsychologue ne
peut pas départager deux explications. Ces progrès sont-ils dus aux effets
spécifiques de l’intervention sur les processus cognitifs ciblés, ou plutôt
aux effets généraux des stimulations, plus intenses pour le groupe réédu-
qué que pour le groupe contrôle « vide » (c’est-à-dire non rééduqué) ? La
comparaison de groupes auxquels sont appliquées des stratégies d’aide
différentes permet de pallier cette difficulté. Il est ainsi possible d’avoir
recours, en plus du groupe contrôle « vide », à un groupe contrôle « plein »
(ou « placebo ») auquel est proposée une activité toute aussi intense mais
moins motivée théoriquement que dans le groupe rééduqué (Làdavas et
al., 1994). Ces méthodologies posent toutefois des problèmes déonto-
logiques liés à la répartition des patients dans les différents groupes. De
plus, la comparaison de groupes apparaît limitée dans l’évaluation des
effets spécifiques du traitement. En effet, des tableaux cliniques similaires
chez deux patients (e.g. un manque du mot) peuvent être causés par des
déficits sous-jacents très différents. Avec une approche de groupe, il appa-
raît difficile de cerner les raisons du succès ou de l’échec de l’intervention
et d’identifier les variables pertinentes. Ainsi, ne pas mettre en évidence
d’effet positif du traitement (voir par exemple Lincoln et al., 1984, sur
l’efficacité de la rééducation orthophonique) n’établit pas son ineffica-
cité pour chaque patient. L’approche de groupe a donc ses détracteurs,
notamment car elle ne permet pas de mettre en place les ajustements
nécessaires à un patient particulier. Malgré ces réserves, elle conserve sa
légitimité, en particulier car elle fournit des arguments pour les autorités
sanitaires et sociales chargées de préconiser tel ou tel type de prise en
charge dans un contexte plus large de santé publique.
Étant donné leur intérêt pour la recherche mais aussi pour la rééduca-
tion des patients dans la pratique clinique, les « plans » ou devis appli-
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cables à une étude de cas (unique ou multiple) sont présentés ci-dessous.


Les traitements statistiques appropriés, qui sont moins couramment
enseignés que ceux applicables aux comparaisons intergroupes (même
s’ils ne présentent aucune difficulté particulière), ont été introduits au
chapitre 2 (section 6).

2.3.2 Établissement d’une ligne de base prétraitement


L’étape qui suit le « diagnostic cognitif » est l’établissement de la ligne
de base prétraitement : une mesure des performances du patient à dif-
férentes épreuves (le contenu précis de la ligne de base varie selon le
408 Manuel de neuropsychologie

type de trouble et les objectifs de l’intervention) est effectuée préalable-


ment à toute intervention, et le même ensemble de tests sera proposé
à nouveau au patient à l’issue de celle-ci. La ligne de base est donc une
composante cruciale pour l’évaluation de l’efficacité de la rééducation.
Plusieurs démarches permettent de départager les effets de la récupéra-
tion spontanée de ceux de l’intervention. Il est quelquefois préconisé
de ne démarrer l’intervention que lorsque les performances n’évoluent
plus spontanément alors que les mesures de ligne de base sont répétées
(à quelques jours ou semaines d’intervalle) : le fait que la ligne de base
soit stable indique que les progrès liés à la récupération spontanée sont
épuisés. Un traitement administré de façon précoce a toutefois plus de
chances d’être efficace, il convient donc de privilégier des devis de mise
en œuvre de l’intervention qui permettent de distinguer les progrès qui
seraient dus à la récupération spontanée de ceux dus spécifiquement à
la rééducation.

2.3.3 Les différents devis expérimentaux de mise


en œuvre de l’intervention
Les lignes de base multiples sont un des moyens de s’assurer que les
gains enregistrés dans le cours de la rééducation sont dus à celle-ci et
non à la récupération spontanée. Une performance cognitive particu-
lière (lecture, écriture) fait l’objet de l’intervention tandis que d’autres
sont seulement évaluées régulièrement : les effets de la récupération
spontanée sont mis en évidence si les performances qui ne font pas
l’objet de l’intervention s’améliorent, parallèlement à celles qui sont
rééduquées. Jacquemin et al. (1991) distinguent lignes de base multiples
entre différentes fonctions et lignes de base multiples entre différents
items à réapprendre : le choix entre les deux méthodes dépend du type
de stratégie de rééducation qui a été décidé pour le patient. Les lignes
de bases multiples entre situations permettent l’évaluation de l’efficacité
d’une intervention qui vise à faire acquérir à un patient un comporte-
ment donné dans des conditions ou situations variées. Bourgeois (1990)
a adopté cette démarche pour évaluer les effets de l’utilisation d’un aide-
mémoire sur la communication chez des patients atteints de la maladie
d’Alzheimer. Pour chacun des trois patients, un « carnet de communica-
tion » est élaboré, comprenant des photographies et des phrases relatives
à trois thèmes de conversation : « vous, votre journée, votre vie ». Lors
de l’intervention, le patient et un partenaire (bénévole formé ou théra-
peute) sont placés en situation de conversation et le partenaire explique
comment utiliser le carnet et encourage le patient. L’intervention est
Rééducations neuropsychologiques 409

initiée séquentiellement entre les thèmes pour chaque patient. Pendant


le traitement, les patients produisent plus d’énoncés reliés au thème
de la conversation que lors des mesures de ligne de base répétées qui
montraient une performance pauvre et stable. Le maintien des progrès –
amélioration du contenu et de la qualité des conversations – liés à l’aide
pour un thème donné (« votre vie ») est évalué pendant le traitement des
thèmes suivants. Lorsque l’intervention est suspendue, les performances
dans les thèmes préalablement traités se maintiennent au niveau atteint
pendant l’intervention. Les effets spécifiques de la prise en charge sont
mis en évidence dans cette étude par une amélioration des performances
de conversation pour un thème donné tandis que les performances pour
les thèmes non encore traités restent faibles et stables.
Parmi les devis d’application de l’intervention elle-même, les plus
fréquemment utilisés sont de type ABA et cross-over (voir de Partz, in
Seron et Jeannerod, 1998, pour une présentation générale des méthodes
d’évaluation des effets des rééducations).
Le devis dit « ABA » ou « ABAB » consiste à introduire, après établis-
sement de la ligne de base, le traitement (phase A) et à le suspendre
ensuite pour un temps variable (phase B) : les performances sont alors
à nouveau évaluées et le neuropsychologue note s’il y a arrêt des pro-
grès. Le traitement est alors repris (A) et le neuropsychologue note s’il
y a reprise des progrès. Lorsque les performances suivent ce schéma, les
progrès enregistrés peuvent être attribués à un effet spécifique du trai-
tement.
La plupart de ces devis classiques comportent à un moment ou à
un autre le retrait plus ou moins total de l’aide. Cette interruption fait
l’objet de nombreuses critiques, car si les performances chutent, cela
peut placer le patient en situation d’échec, et l’aggravation de troubles
dépressifs en réaction à une régression des performances peut compro-
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mettre tout bénéfice ultérieur du traitement. Plusieurs solutions per-


mettent de pallier cet inconvénient.
Des protocoles ingénieux ont été conçus pour qu’une partie de l’aide
introduite soit conservée au moment de l’évaluation des effets du trai-
tement : c’est le cas par exemple avec la « méthode d’estompage des
indices » appliquée à des tâches proches des activités quotidiennes. Dans
cette méthode mise au point par Glisky et al. (1986), une tâche parti-
culière est sélectionnée, pour laquelle des consignes et des indices très
détaillés sont initialement fournis au patient. La progression rééducative
consiste à retirer progressivement des éléments de l’aide jusqu’à ce que le
patient puisse réaliser la tâche avec un minimum d’indices (voir infra).
410 Manuel de neuropsychologie

L’alternance de différents types d’aide limite le risque de « retour à


zéro » en cas de retrait de l’aide. Le devis dit du cross-over « consiste à
faire se succéder dans un ordre prédéterminé des programmes de réédu-
cation qui portent sur différents aspects des déficits. À chaque change-
ment de programme, les différentes lignes de base seront réadministrées
de manière à évaluer les effets spécifiques de chacun d’eux » (de Partz, in
Seron et Jeannerod, 1998). Le profil de performances suivant démontre
de façon assez claire un effet spécifique de l’aide utilisée : amélioration
significative dans une tâche X mais pas dans une tâche Y lorsque le
traitement visait les processus requis par la tâche X ; et profil inverse
lorsque la tâche Y a été visée par le traitement.
L’évaluation des effets rééducatifs peut aussi avoir recours à la compa-
raison de deux stratégies d’aide différentes chez un même patient
(Lambert, 2004). Le paradigme temporel successif consiste à appliquer
chez un même patient deux méthodes de rééducation en succession.
Cependant, l’interprétation d’un paradigme temporel successif est déli-
cate lorsque les performances du patient sont instables. Si des progrès
sont enregistrés lors de l’introduction de la deuxième méthode d’aide, il
reste encore à écarter un effet possible de la récupération spontanée. Un
devis de type « traitements rapidement alternés » permet de contour-
ner cette difficulté. Le Dorze et al. (1994) ont utilisé cette méthode pour
évaluer les effets respectifs de deux aides dans un cas d’anomie : aide
sémantique vs aide formelle-sémantique. Au sein d’une même séance,
« le type de technique est alterné pour chaque nouveau stimulus : si
la technique d’aide sémantique est fournie pour le premier stimulus,
le second […] reçoit la technique d’aide formelle-sémantique, et ainsi
de suite jusqu’à ce que tous les stimuli soient traités. De cette façon,
aucune technique n’est favorisée » (p. 134). Cette alternance rapide des
traitements permet des comparaisons plus fiables que l’application suc-
cessive de deux stratégies différentes.

2.3.4 La question de la généralisation des effets de l’intervention


Doit-on attendre ou pas une généralisation des effets d’une rééduca-
tion ? La réponse à cette question dépend de l’objectif poursuivi.
Si l’intervention vise le réapprentissage de connaissances spécifiques
– par exemple l’orthographe de certains mots –, il n’y a pas de raison
théorique d’attendre une généralisation des effets de l’intervention à
des items qui n’auraient pas été traités. Par exemple, la technique de
« récupération espacée » est souvent utilisée pour faciliter l’acquisition
et la rétention à long terme d’informations nouvelles ou « oubliées »
Rééducations neuropsychologiques 411

par le patient. Un item cible – un stylo – est présenté au patient, qui


doit le nommer ; s’il échoue, le thérapeute donne le nom, que le patient
doit répéter immédiatement ; cinq secondes après, la cible est présen-
tée à nouveau et si l’essai de dénomination est réussi, l’intervalle de
rappel est augmenté ; après un échec, il est diminué ; les intervalles
de rappel sont ainsi progressivement augmentés dans une séance (voir
encadré 48). La dénomination est évaluée une première fois lors de
l’établissement de la ligne de base ; des items (par exemple des dessins
d’objets du DO 80) pour lesquels le patient échoue de façon répétée
et n’est aidé ni par indiçage sémantique, ni par indiçage phonétique,
sont sélectionnés. Parmi ces items, certains serviront d’items « cibles »,
c’est-à-dire qu’ils seront travaillés en séance de rééducation ; d’autres
constitueront des items « contrôles ». Le neuropsychologue peut alors
considérer une généralisation des effets de l’intervention sous deux
angles :
− on attend une généralisation de la dénomination pour un même
objet dans des formats différents de présentation (dessin au trait,
dessin couleur, photo), mais dans une même modalité ;
− en revanche, d’un point de vue théorique, l’intervention ne doit
pas faciliter la dénomination d’objets non traités : dans l’exemple
de la prise en charge du manque du mot, les effets spécifiques de
l’intervention sont démontrés par l’absence de généralisation des
progrès de dénomination aux items non entraînés.
Si la rééducation repose sur la mise en place d’une stratégie particu-
lière de traitement de l’information, une généralisation des progrès à
des items qui n’ont pas été « travaillés » dans le cadre de la thérapie est
attendue.
Seron (2000) expose de façon détaillée et illustrée les différentes
modalités de contrôle des effets de généralisation ou de transfert, selon
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

notamment que la rééducation est de type « item spécifique » ou qu’elle


vise à restaurer un mécanisme de traitement.

Encadré 48
La technique de récupération espacée
Dans la prise en charge d’une anomie, la technique de récupération espacée
consiste à allonger progressivement le délai de rétention imposé entre la
présentation d’un item à dénommer et le moment où le patient doit donner
sa réponse.
À
412 Manuel de neuropsychologie

Les intervalles de rétention courts sont occupés à une conversation tandis


que pour des intervalles de plusieurs minutes une activité, non reliée à la
prise en charge, est proposée au patient (par exemple un exercice ludique).
La récupération espacée utilise les capacités d’apprentissage implicite souvent
mieux préservées que les capacités explicites aussi bien dans les syndromes
amnésiques que dans la maladie d’Alzheimer. On s’efforce, dès le premier essai,
d’éviter la production d’une réponse erronée (apprentissage sans erreur).
Si la dénomination est correcte, l’intervalle de rétention à l’essai suivant est
augmenté ; si le patient échoue, on ramène l’intervalle à celui qui avait per-
mis précédemment une réussite.
Dans la figure ci-dessous qui présente un patron de performances théo-
rique, le patient ne parvient pas à donner le mot cible attendu (par exemple
« cerise ») à l’essai 5 ; l’intervalle de rétention est ramené pour l’essai 6 à
4 minutes (le délai qui avait permis une réussite à l’essai 4). On reprend
ensuite l’allongement progressif des intervalles.

1000

900

800

700

600
Intervalle sec.

500

400

300

200

100

0
1 2 3 4 5 6 7 8

Essais
Rééducations neuropsychologiques 413

2.3.5 Modalités de l’application de l’intervention


Une rééducation neuropsychologique a d’autant plus de chances d’être
efficace qu’elle est individualisée, précoce, intensive et poursuivie assez
longuement.
Démarrer la rééducation aussi tôt que possible après l’installation
des troubles permet à la fois de ne pas laisser s’installer les situations
d’échec, avec leurs retentissements négatifs sur le statut émotionnel du
patient, et de mettre à profit la période de plasticité cérébrale maximale
(avec des possibilités de réorganisation des réseaux neuronaux ; voir
infra, sections 6 et 7). Cela n’exclut pas qu’une rééducation puisse être
efficace même tardivement dans le cours de la récupération, parfois
quelques années après l’installation des troubles. Les séances devraient
être quasi quotidiennes, le programme rééducatif pouvant combiner
séances de travail avec le thérapeute et réalisation d’exercices par le
patient seul ou aidé de son entourage. Le recours à un programme
d’exercices de remédiation piloté par ordinateur peut constituer un
complément intéressant à condition que cela implique directement le
rééducateur. Ces préconisations générales sont complétées dans la sec-
tion suivante de recommandations plus spécifiques à la prise en charge
des troubles cognitifs les plus fréquents.

3. Quelques guides pour la pratique

Les revues de la littérature et les méta-analyses portant sur l’efficacité


des rééducations cognitives permettent de définir des recommandations
pour la pratique. Cette section présente des guides très généraux issus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

principalement de la méta-analyse de Cicerone et collaborateurs (2011)


complétée par les résultats d’autres publications récentes pour ce qui
concerne la rééducation des troubles du langage et de la communication,
de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives. Pour pratique-
ment toutes les fonctions, ces travaux établissent sur des bases objectives
– notamment les protocoles qui incluent des groupes et/ou des condi-
tions de contrôle adaptées – l’efficacité des rééducations cognitives.

3.1 Troubles du langage et de la communication


La rééducation des troubles aphasiques après lésion gauche dispose
maintenant du recul nécessaire pour que des bilans puissent être dressés
414 Manuel de neuropsychologie

sur des bases scientifiques. Ils rompent avec les controverses au sujet
des thérapies orthophoniques dans les années 1980 et indiquent que
la rééducation procure aux patients aphasiques des bénéfices qui
dépassent ceux liés à la récupération fonctionnelle spontanée (pour
une revue, voir Basso, 2003). De plus, l’approche cognitive fournit
un cadre théorique à l’explicitation de ces changements. Pour autant
elle n’exclut pas d’autres démarches, en particulier, l’approche prag-
matique, qui resitue le langage dans sa fonction première de commu-
nication. Dans cette optique, l’objectif rééducatif n’est plus tant
l’amélioration des productions linguistiques que la proposition des
moyens de communication les plus efficaces, qu’ils soient verbaux ou
non verbaux, de façon à réduire le handicap (pour une revue, voir
Lambert, 2004).
Les rééducations cognitives-linguistiques ainsi que des interventions
cognitives spécifiques ciblant par exemple les troubles de la lecture
sont recommandées dès la phase aiguë chez les patients qui souffrent
de troubles du langage après lésion vasculaire de l’hémisphère gauche.
Chez les patients traumatisés crâniens, les capacités de communication
en contexte social sont plus particulièrement ciblées, avec des inter-
ventions sur les aspects pragmatiques et interpersonnels des situations
de conversation, éventuellement en groupe. Quel que soit le contexte,
l’équipe doit considérer l’intensité de la rééducation (nombre, rythme
et durée des séances) comme un facteur central. Les auteurs de la méta-
analyse (Cicerone et al., 2011) n’évoquent pas les troubles de la commu-
nication verbale qui surviennent chez un cérébrolésé droit sur deux.
Ces troubles restent aujourd’hui mal définis, les outils d’évaluation
spécifiques rares, et seule une minorité des patients concernés bénéficie
d’une prise en charge adaptée. Moix et Côté (2004) proposent un « cadre
général d’intervention » qui prend appui sur un des rares outils d’éva-
luation spécifique, le protocole Montréal d’Évaluation de la Commu-
nication (protocole MEC, Côté et al., 2004 ; et MEC de poche, Joanette
et al., 2011). Cette batterie en français comprend un questionnaire por-
tant sur la perception par le patient de ses troubles de communication,
une grille d’observation du discours conversationnel, ainsi que des
évaluations spécifiques de la dimension lexico-sémantique, de la pro-
sodie émotionnelle et linguistique en compréhension et expression, et
des aspects pragmatiques (interprétation d’actes de langage indirects et
de métaphores). Les objectifs généraux de l’intervention sont essentiel-
lement de « maximiser l’efficacité de la communication » et d’« assister
le patient et sa famille dans les ajustements communicationnels ». Sur
ce dernier point, l’équipe souligne la pertinence d’allier approches psy-
Rééducations neuropsychologiques 415

cholinguistique et pragmatique. Les troubles du patient s’expriment


de façon variable selon les stratégies conversationnelles de l’interlo-
cuteur et un cadre de conversation très structuré (avec tours de parole)
peut minimiser les sources de difficultés. Des objectifs thérapeutiques
plus précis sont poursuivis selon la nature du déficit sous-jacent : par
exemple si le thérapeute retient l’hypothèse d’une limitation des res-
sources cognitives disponibles, l’intervention visera la mise en place de
stratégies adaptatives pour le patient.
Tompkins (2012) prend en compte dans sa synthèse les données théo-
riques et empiriques sur ces troubles de la communication, passe en
revue les différentes hypothèses et propose un cadre conceptuel pour les
prises en charge qui se situe dans la même optique que celle de l’équipe
de Montréal mais souligne qu’il faut incorporer dans la réflexion le lien
étroit entre les troubles cognitifs non langagiers des cérébrolésés droits
– attention, mémoire, fonctionnement exécutif – et leurs difficultés de
communication. Sa synthèse établit que la plupart des interventions
ciblant spécifiquement un trouble – interprétation des métaphores ou
aprosodie expressive – visent à restaurer la fonction, c’est-à-dire ciblent
le déficit lui-même. Par exemple, pour les troubles d’expression de la
prosodie émotionnelle, une des orientations rééducatives est de type
cognitive-linguistique et consiste à restaurer les associations entre
les représentations des émotions : étiquette verbale écrite-expression
faciale et prosodie.
Les troubles du langage et de la communication (et dans une
moindre mesure les troubles des autres fonctions cognitives) bénéfi-
cient aujourd’hui de perspectives thérapeutiques ouvertes par les stimu-
lations cérébrales non invasives. Ces techniques de neurostimulation
visent à modifier l’activation d’une zone circonscrite du cortex ou d’un
réseau cortical. Elles peuvent être utilisées conjointement avec des
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

rééducations du langage, ainsi qu’avec des techniques de neuro-imagerie


fonctionnelle qui facilitent notre compréhension des mécanismes de
réorganisation cérébrale sous-jacents à la récupération fonctionnelle.
Ces approches novatrices, qui sont encore du domaine de la recherche,
seront abordées à la fin de ce chapitre.

3.2 Troubles de la mémoire


Jusqu’au début des années 1980, la rééducation de la mémoire était sur-
tout envisagée sous l’angle d’exercices répétitifs dans la perspective de
restaurer la fonction mnésique déficitaire et les résultats n’étaient guère
concluants. Depuis, le domaine s’est largement développé, la recherche
416 Manuel de neuropsychologie

s’est intensifiée et les méthodes sont maintenant fondées sur le plan


théorique, avec trois grandes orientations :
1. la facilitation du fonctionnement mnésique et l’utilisation des
capacités résiduelles ;
2. le recours aux systèmes mnésiques préservés, comme la mémoire
perceptive ou la mémoire procédurale ;
3. l’utilisation d’aides externes et l’aménagement de l’environne-
ment.

La première méthode vise à optimiser l’encodage et la récupération


des informations, par exemple en suscitant un traitement sémantique
des items à mémoriser, en encourageant l’organisation de ces items
lors de l’encodage, en renforçant l’encodage par l’établissement de
liens avec les connaissances préexistantes ou en favorisant la similitude
des situations d’encodage et de récupération. Dans le cas où les trai-
tements sémantiques ne sont pas faciles à mettre en œuvre, avec des
items non signifiants, des méthodes sont préconisées pour établir des
liens entre ces items et des items signifiants, par exemple en recourant
à des moyens mnémotechniques ou à des procédés d’imagerie mentale,
comme dans l’exemple célèbre de l’apprentissage du nom de Xavier
Seron (Seron devient « rond », associé à une caractéristique distinctive
du visage, la calvitie de forme circulaire).
La deuxième approche repose sur la préservation de la mémoire
procédurale et de la mémoire perceptive. Elle ne vise pas à restaurer la
fonction, mais à améliorer l’autonomie des patients en faisant en sorte
que ces systèmes de mémoire, généralement mieux préservés dans les
amnésies, contribuent à la tâche à réaliser. L’intérêt est d’utiliser ces
méthodes dans des secteurs qui sont utiles au patient dans la vie quo-
tidienne (maîtriser l’utilisation d’une technique particulière, s’orienter
dans un lieu familier, retenir certains noms ou apprendre ou réap-
prendre certains concepts). Différentes techniques permettent d’exploi-
ter les capacités mnésiques préservées : la méthode de l’estompage
(Glisky et al., 1986), la méthode de la récupération espacée (Schacter et
al., 1985), la méthode d’apprentissage sans erreur (Baddeley et Wilson,
1994), qui peuvent parfois être utilisées conjointement (voir Martins
et al., 2006 pour une application chez l’enfant). Dans la méthode de
l’estompage, des indices sont fournis au patient pour faciliter la récu-
pération de l’information et ces indices sont progressivement estom-
pés (voir Schacter, 1999, pour l’histoire détaillée de Barbara, capable,
grâce à cette méthode, d’apprendre du vocabulaire informatique lui
ayant permis d’exercer un emploi à temps plein dans le domaine). Le
Rééducations neuropsychologiques 417

principe de la méthode de la récupération espacée est de faire varier le


délai entre l’encodage et la récupération, en l’allongeant progressive-
ment, mais en tenant compte des capacités des patients : si le patient
échoue à un délai donné, on raccourcit ce délai, et inversement (voir
encadré 48, p. 411). La méthode d’apprentissage sans erreur a été déve-
loppée dans la perspective de limiter le risque pour les patients amné-
siques de commettre des erreurs, dans la mesure où, une fois commises,
les erreurs sont difficiles à inhiber. Les patients sont donc exposés à la
réponse correcte autant de fois que nécessaire, et invités à ne répondre
que s’ils sont sûrs de leur réponse. Elle s’est avérée efficace chez des
patients amnésiques pour apprendre à programmer un agenda électro-
nique, à utiliser un téléphone portable, à apprendre des connaissances
complexes, comme du vocabulaire informatique (Glisky et al., 1986),
des procédures de traitement de texte (Van der Linden et Coyette,
1995), ou de nouveaux concepts (Pitel et al., 2009b).
La troisième grande orientation dans la prise en charge des patients
repose sur le recours à des aides externes (carnet mémoire, calendrier,
listes, téléphone programmé, agenda électronique, etc.). Cette approche
est également très utilisée pour tenter de pallier les troubles de mémoire.
Cette méthode nécessite parfois un long apprentissage et peut être faci-
litée par l’adjonction de la technique de l’apprentissage sans erreur : il
s’agit de forcer le patient à effectuer le geste adéquat et de l’empêcher
d’encoder des gestes erronés. Ce type d’aide semble particulièrement
pertinent dans la prise en charge des troubles de la mémoire prospec-
tive (pour une revue, voir Fish et al., 2010). L’aménagement de l’envi-
ronnement peut prendre la forme de calendriers, de plannings affichés
au mur, de flèches, d’indices colorés sur les endroits à retenir, de lignes
sur le sol, etc.
Ces différentes méthodes peuvent être employées de façon conco-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mitante et supposent une prise en charge individualisée, adaptée aux


besoins spécifiques et aux capacités préservées du patient. La méta-
analyse de Cicerone et ses collaborateurs (2011) souligne également la
nécessité d’adapter la stratégie de rééducation à la sévérité des troubles
mnésiques : entraînement visant la mise en place de stratégies compen-
satoires pour des patients avec troubles mnésiques modérés ; techniques
d’apprentissage sans erreur pour l’apprentissage de connaissances ou
habiletés spécifiques chez des patients qui présentent des troubles
sévères ; et utilisation d’aides externes pour des patients avec troubles
mnésiques modérés à sévères.
Enfin, si la majorité des travaux et des pratiques cliniques dans le
domaine de la rééducation ciblent la mémoire épisodique, il existe
418 Manuel de neuropsychologie

également des procédures qui s’appliquent à la mémoire de travail (voir,


par exemple, Vallat-Azouvi et al., 2009).

3.3 Troubles de l’attention


et des fonctions exécutives
La prise en charge des troubles de l’attention en phase non aiguë après
un traumatisme crânien doit comprendre un entraînement direct de
l’attention et une intervention sur la métacognition afin d’aider le déve-
loppement de stratégies de compensation et de promouvoir la généra-
lisation à des activités quotidiennes. Le traitement peut être complété
par un programme d’exercices pilotés par ordinateur à la condition que
celui-ci implique un intervenant. Les interventions visant l’améliora-
tion des capacités métacognitives (self monitoring et self regulation), ainsi
que les stratégies de résolution de problème et leur application à des
activités de la vie quotidienne sont recommandées.
Les troubles d’héminégligence régressent souvent spontanément
mais peuvent devenir chroniques chez certains patients cérébrolésés
et être cause de handicaps. Deux approches rééducatives peuvent être
distinguées selon qu’elles ont pour objectif la mise en place de straté-
gies d’exploration de l’espace, amenant le patient à porter son attention
volontairement vers le côté négligé, ou s’appuient sur des stimulations
sensorielles du côté négligé qui n’impliquent pas le contrôle volontaire et
conscient du patient (pour une revue des techniques dites respectivement
top-down et bottom-up, voir Urbanski et al., 2007). Ce sont ces dernières
qui sont les plus utilisées. Elles comprennent l’adaptation prismatique,
la stimulation opto-cinétique, la stimulation d’un côté du corps (le côté
contra-lésionnel, en règle générale le gauche : stimulation vestibulaire
calorique, vibration musculaire de la nuque ou d’un membre). Les effets
positifs de réduction de la négligence pour le côté controlésionnel sont
souvent limités dans le temps : ils cessent à l’arrêt de la manipulation ou
peuvent persister quelques heures voire quelques journées (pour l’adap-
tation prismatique). Ces rééducations classiques en neuropsychologie
seront peut-être complétées très prochainement en pratique clinique
courante par des programmes de stimulation du cerveau : la stimulation
de l’hémisphère sain visant à rétablir l’équilibre d’activation au sein du
réseau neuronal qui sous-tend l’orientation de l’attention permet de faire
régresser la négligence (pour une revue, voir Kandel et al., 2012). Le cas
du traitement de l’aphasie non fluente chronique par stimulation magné-
tique transcranienne offre plus avant dans le chapitre une illustration du
rationnel et des techniques de ces nouvelles approches thérapeutiques.
Rééducations neuropsychologiques 419

Tout le monde s’accorde à reconnaître l’ubiquité des processus de


contrôle et d’organisation dans nos activités quotidiennes. Un syn-
drome dysexécutif peut être une source de handicaps majeurs chez
de nombreux patients mais qui a été jusqu’à récemment peu prise en
compte en neuropsychologie, et les travaux portant spécifiquement
sur la prise en charge des troubles des fonctions exécutives sont assez
récents (pour une revue, voir Godefroy et le GREFEX, 2004). Les pro-
grammes de prise en charge spécifique combinent des rééducations
cognitives (e.g. interventions sur les stratégies de résolution de pro-
blèmes) qui ciblent le niveau du déficit et de l’incapacité, et des inter-
ventions plus globales, qui ciblent in fine le bien-être et la réintégration
sociale et professionnelle du patient, c’est-à-dire visent à réduire le han-
dicap. Ces approches dites « holistiques » (pour une revue, voir Mazaux
et al., 2006) sont centrées sur la personne du patient : son identité, ses
besoins, ses attentes. Leur efficacité implique une prise de conscience de
soi et des conséquences de sa pathologie par le patient. Outre les inter-
ventions cognitives classiques, elles reposent sur une prise en charge
psychodynamique au niveau de la personne, des relations interperson-
nelles et des interactions sociales. La littérature relate des améliorations
du statut des patients sur les plans cognitif (mémoire, attention, résolu-
tion de problèmes), métacognitif, de la prise d’initiative et de la planifi-
cation. Mazaux et al. (2006) soulignent en outre les effets bénéfiques sur
l’humeur des patients, qui sont du coup plus à même de mobiliser leurs
ressources résiduelles et de mettre en place des stratégies adaptées.

3.4 Pour aller plus loin


La référence aux modèles du fonctionnement cognitif dans la conduite
d’une rééducation en neuropsychologie a considérablement amélioré
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’évaluation des fonctions cognitives. Le fait de dépasser une description


des troubles en surface, pour formuler des hypothèses sur les compo-
santes de traitement perturbées, a été un facteur de progrès majeurs.
Plusieurs auteurs ont insisté dès les années 1990 sur la nécessité d’une
théorie de la rééducation (par exemple, Baddeley, 1993). Ils pointent
les limites de l’apport de la psychologie cognitive, dont les modèles
portent essentiellement sur le système cognitif parvenu à l’état stable,
et soulignent les manques théoriques en ce qui concerne l’apprentissage
et le réapprentissage. Baddeley (1993) plaide pour que la neuropsycho-
logie aille au-delà de l’identification des sous-systèmes hypothétiques
de l’architecture fonctionnelle (les « boites ») : il faut qu’elle propose
aussi des modèles des processus sous-jacents et pose la question de
420 Manuel de neuropsychologie

savoir comment les systèmes fonctionnels peuvent être changés par


l’expérience. Une théorie de la rééducation doit disposer d’un modèle
du changement et des moyens d’obtenir ce changement. Même si les
réponses à ces questions théoriques et pragmatiques sont loin d’être
immédiates, les méthodes nouvelles issues des neurosciences cognitives
(stimulation cérébrale, neuro-imagerie fonctionnelle) pourront appor-
ter des éléments en soulignant aussi la diversité et la complexité des
mécanismes en cause.

4. La prise en charge des démences

En dépit de publications, nombreuses à partir des années 1990, indi-


quant qu’il était possible d’optimiser voire améliorer les capacités de
communication des patients atteints de la maladie d’Alzheimer (Eus-
tache et Agniel, 1995), c’est l’idée pessimiste de changements négatifs
inéluctables qui a prévalu pendant plusieurs années. Cette situation
est maintenant dépassée (voir Holland, 2003, pour une revue) et les
recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) intègrent doré-
navant le recours à des interventions non pharmacologiques, élément
important de la prise en charge thérapeutique. L’une des mesures du
plan Alzheimer 2008-2012 vise à faciliter la prise en charge des per-
sonnes atteintes de maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée,
avec la création d’équipes spécialisées qui interviennent à domicile sur
prescription médicale. Ces équipes sont « composées de professionnels
(un psychomotricien ou un ergothérapeute et des assistants de soins en
gérontologie) formés à la réadaptation, à la stimulation et à l’accompa-
gnement des malades et de leur entourage ». La mesure fait mention
de « l’accompagnement des malades (à un stade léger ou modéré de
la maladie) et de stimulation de leurs capacités restantes ». L’objectif
principal de ces prises en charge n’est pas de rééduquer les fonctions
cognitives déficitaires, mais plutôt de favoriser l’expression de capacités
préservées, de susciter l’envie d’échanger avec autrui, de restaurer une
image de soi plus positive.
Différentes approches sont pratiquées en institution, en hôpital de
jour ou à domicile. « La revalidation cognitive est une méthode de
rééducation neuropsychologique visant à compenser un processus
cognitif déficient. Elle peut être proposée aux stades légers de la maladie
d’Alzheimer et jusqu’aux stades modérés dans certains troubles dégé-
nératifs focaux. Elle ne se conçoit qu’individuellement. Cette prise en
Rééducations neuropsychologiques 421

charge ne peut être réalisée que par un personnel spécialisé » (HAS). Des
études, certes peu nombreuses, indiquent que des ré-apprentissages de
connaissances utiles au patient sont possibles dans l’activité clinique.
Une des approches privilégiées est la technique de récupération espa-
cée, appliquée dans le syndrome amnésique par Schacter et ses collabo-
rateurs et dans la maladie d’Alzheimer par Camp et ses collègues (voir
Erkes et al., 2009, pour une revue, et l’encadré 48, p. 411). L’objectif
est d’amener le patient à acquérir des connaissances spécifiques. Par
exemple, en présence d’un manque du mot sévère qui handicape lour-
dement les capacités de communication, la prise en charge peut viser
l’apprentissage du nom ou des prénoms des personnes de l’entourage,
du numéro d’une chambre en institution ou de la localisation d’objets
usuels comme les lunettes. La technique de l’apprentissage sans erreur
est également préconisée dans cette maladie et s’avère efficace, par
exemple pour l’apprentissage de l’utilisation d’un téléphone portable
ou d’un agenda.
Bier et al. (2008) ont proposé à un groupe de 15 patients à un stade
débutant de la maladie cinq méthodes différentes d’apprentissage de
cinq associations noms-visages : la récupération espacée, l’estompage
des indices, l’apprentissage sans erreur, et deux méthodes d’apprentis-
sage par essais et erreurs, l’une avec des instructions explicites et l’autre
avec des instructions implicites de mémorisation. Les cinq méthodes
se sont révélées efficaces de façon équivalente. Cependant l’analyse des
profils individuels a montré que la méthode de récupération espacée
avait permis au plus grand nombre de patients d’obtenir des perfor-
mances identiques à celles des sujets sains contrôles.
La stimulation cognitive est une approche thérapeutique de groupe
qui vise à stimuler les capacités cognitives et les repères spatio-temporels,
et à ralentir la perte d’autonomie des patients. Les activités proposées
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sont des exercices diversifiés et ludiques (jeux de société, exercices de


langage, de mémoire, etc.) ou des simulations de situations de vie quo-
tidienne. « Elle peut être proposée aux différents stades de la maladie
d’Alzheimer et adaptée aux troubles du patient. » (HAS).
« La prise en charge orthophonique est recommandée, particuliè-
rement dans les maladies avec atteinte du langage au premier plan
(démence sémantique, aphasie primaire progressive). Cette prise en
charge vise à maintenir et à adapter les fonctions de communication
du patient (langage, parole et autres) et à aider la famille et les soi-
gnants à adapter leur comportement aux difficultés du malade. » (HAS)
Son objectif principal « est de continuer à communiquer avec lui, afin
de prévenir d’éventuels troubles du comportement réactionnel. Elle
422 Manuel de neuropsychologie

peut être prescrite à différents stades de la maladie, l’approche théra-


peutique devant être évolutive et s’adapter aux troubles du patient, à
son comportement, à sa motivation, à son histoire personnelle et aux
possibilités de coopération avec l’entourage. »
« L’exercice physique (et notamment la marche) pourrait avoir un
effet positif non seulement sur les capacités physiques et la prévention
du risque de chutes, mais aussi sur certaines mesures cognitives, d’apti-
tudes fonctionnelles et certains aspects du comportement. L’interven-
tion de kinésithérapeutes, de psychomotriciens et d’ergothérapeutes
peut être sollicitée. » (HAS)
Une prise en charge psychologique et psychiatrique peut également
être proposée « dès l’annonce du diagnostic et tout au long de l’évo-
lution de la maladie. Elle s’adresse également à son entourage s’il le
souhaite ». Les principaux objectifs sont « d’aider le patient à faire face
aux bouleversements intrapsychiques et au traumatisme que consti-
tue l’annonce de la maladie, de l’aider à maintenir une stabilité et une
continuité de sa vie psychique, en dépit des troubles qui, par leur évo-
lution, désorganisent de plus en plus ses processus de pensée […]. Le
suivi psychologique a également pour objet de travailler au maintien
d’une image de soi satisfaisante à mesure que la dépendance psychique
et physique s’installe et s’aggrave ».
Dans la mesure où la maladie d’Alzheimer bouleverse également
l’équilibre familial, le soutien des familles est devenu un élément cen-
tral de la prise en charge : « Il est recommandé que les aidants, familiaux
comme les professionnels, reçoivent une formation sur la maladie, sa
prise en charge et sur l’existence d’associations de familles. Un choix
d’interventions doit être proposé aux aidants : soutien et accompa-
gnement psychologique, groupe de soutien des aidants, formation des
aidants, psychothérapie individuelle ou familiale. ». « Les aidants qui
présentent une souffrance psychologique doivent bénéficier d’une prise
en charge spécifique. La souffrance psychologique de l’aidant et son
isolement sont des facteurs de risque de maltraitance du patient. Des
structures d’accueil de jour ou d’hébergement temporaire permettent
de soulager les aidants. »
Le recours à des aides externes simples (par exemple un carnet
mémoire) et l’aménagement de l’environnement du patient (marquage
à l’aide de couleurs, de panonceaux, de flèches…) sont des éléments
centraux de la prise en charge, permettant de réduire les conséquences
des déficits, facilitant l’orientation du patient et la récupération des
informations en mémoire.
Rééducations neuropsychologiques 423

Ces différentes interventions (voir Jacquemin, 2009, pour une revue


détaillée des différentes méthodes utilisées dans la maladie d’Alzheimer,
avec des exemples concrets) nécessitent évidemment l’adhésion du
patient et doivent être réalisées après une évaluation soigneuse de ses défi-
cits cognitifs et fonctionnels (Jacquemin, 2009 ; Wojtasik et al., 2009). Elles
doivent aussi être « pratiquées par un personnel formé et s’inscrire dans le
cadre d’un projet de soins, et le cas échéant d’un projet d’établissement ».
Les recommandations de la HAS s’accompagnent de réserves quant
à l’efficacité de ces interventions : « du fait de difficultés méthodolo-
giques, aucune de ces interventions n’a apporté la preuve de son effica-
cité », réserves partagées par les chercheurs spécialistes du domaine, dès
lors que l’on exige des preuves issues de l’étude de grands groupes de
participants, réalisées avec des méthodologies rigoureuses.
En effet, après la mise en place des classiques ateliers mémoire ou des
groupes de parole, ces dernières années, des approches non médica-
menteuses de toutes sortes se sont multipliées, comme la remédiation
cognitive, la rééducation de l’orientation, la thérapie par réminiscence,
la zoothérapie, la musicothérapie, l’aromathérapie, la luminothérapie,
la stimulation multisensorielle, ou l’activité physique.
Un grand nombre d’articles vantent les méritent de ces thérapies dans
la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. Un moindre déclin de cer-
taines fonctions cognitives, une amélioration de l’autonomie dans la vie
quotidienne et de la qualité de la vie, une diminution de la symptomato-
logie dépressive et une réduction des troubles psychocomportementaux
sont les effets les plus souvent rapportés. Ainsi, la musicothérapie est
très utilisée, et même si les recherches actuelles ne permettent pas de
bien comprendre son mode d’action, certaines études suggèrent qu’elle
exerce un effet bénéfique sur le rappel de souvenirs autobiographiques
et les capacités de communication ainsi que sur le comportement des
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patients, notamment en réduisant l’anxiété, la dépression, l’agitation et


l’agressivité (voir par exemple Guétin et al., 2009). La musique semble
également être un moyen favorisant l’acquisition de nouvelles connais-
sances chez des patients à un stade sévère de la maladie (Platel, 2011).
Beaucoup d’études portent sur de petits échantillons, et manquent
de rigueur dans le design expérimental (absence de véritable groupe
contrôle, absence de randomisation, manque de mesure de l’efficacité
à long terme). Ces limites ont conduit Hélène Amieva et Jean-François
Dartigues à mettre en place l’étude ETNA3 (évaluation de trois thérapies
non médicamenteuses dans la maladie d’Alzheimer), qui vise à évaluer
l’efficacité à long terme des interventions non médicamenteuses sur un
424 Manuel de neuropsychologie

grand groupe de patients. L’objectif de cette étude est de déterminer si


ces thérapies permettent de retarder l’entrée dans la phase modérément
sévère à sévère de la maladie. L’étude cible deux stratégies thérapeutiques
de groupe : la stimulation cognitive et la thérapie par réminiscence, qui
consiste à susciter l’évocation de souvenirs autobiographiques en propo-
sant des thèmes appropriés, comme le mariage ou la naissance des enfants.
Cette approche n’a pas pour objectif de faire recouvrer la mémoire, mais
de renforcer l’estime de soi des patients et leur sentiment d’identité. La
troisième approche repose sur une prise en charge individuelle qui peut
intégrer les deux premières, au gré du thérapeute et en fonction des réac-
tions du patient. Ces groupes sont comparés à un groupe ne bénéficiant
pas de prise en charge non médicamenteuse. Au total, 650 patients ont
été inclus dans l’étude, grâce à la participation de 40 centres hospitaliers
en France et les résultats sont attendus prochainement.
Le choix de ces approches semble d’autant plus judicieux que les
résultats les plus encourageants fournis par des études contrôlées
concernent la réhabilitation cognitive individualisée, les thérapies par
réminiscence et les interventions destinées aux aidants familiaux qui
proposent en parallèle une intervention aux patients (voir Dorenlot,
2006, pour une revue, et l’Expertise collective Inserm, 2007).

5. Vers une neuropsychologie


de la vie quotidienne

Les résultats des travaux spécifiquement menés pour évaluer l’efficacité


des rééducations sont encourageants, en tout cas du point de vue de
l’amélioration des performances dans un cadre bien délimité et de la
réduction de l’incapacité. La question du mieux-être des patients dans
leur vie quotidienne est plus ouverte. En effet, il ne suffit pas de montrer
que les troubles ont diminué en sévérité ou disparu dans les situations
de test ; il faut encore pouvoir mettre en évidence un effet positif sur la
qualité de vie quotidienne du patient (capacités d’autonomie et possi-
bilités de réinsertion socioprofessionnelle). « Il est ainsi évident que les
objectifs d’un traitement seront toujours in fine à mesurer à l’aune de la
dimension la plus globale […]. Un traitement efficace est, de ce point de
vue, un traitement qui permet d’améliorer la situation de la personne
considérée dans sa globalité » (Seron, 1995, p. 255).
La prise en compte du cadre théorique constitué par la Classifica-
tion internationale des Déficiences, Incapacités et Handicaps (CIDIH)
Rééducations neuropsychologiques 425

a modifié les pratiques cliniques en neuropsychologie. La distinction


notionnelle entre déficit, incapacité et handicap a en effet des implica-
tions fondamentales en matière d’évaluation des conséquences fonc-
tionnelles des troubles cognitifs et de rééducation neuropsychologique
(pour une revue, voir Seron, 1995 ; Ruff, 2003). Le déficit renvoie à
la perturbation (plus ou moins totale) d’un composant de traitement
de l’information dans le système cognitif et occasionne des troubles,
ou incapacités, dans certaines tâches et/ou activités spécifiques, et le
handicap renvoie aux conséquences de ces incapacités dans la vie du
patient (familiale, sociale, professionnelle). Ainsi, un déficit cognitif
sévère peut n’occasionner qu’un handicap relativement léger si la prise
en charge est adaptée.
Les conséquences fonctionnelles des troubles cognitifs sont mal appré-
hendées par la plupart des tests. Ruff (2003) prend l’exemple des troubles
des fonctions exécutives pour souligner que, plus encore que pour
d’autres domaines cognitifs comme le langage ou la mémoire, les scores
d’un patient aux tests exécutifs (par exemple le WCST) ne permettent pas
d’évaluer directement les conséquences fonctionnelles, c’est-à-dire les
difficultés quotidiennes de résolution de problème du patient, son han-
dicap. Il faut donc porter les efforts sur l’élaboration de tests ayant une
validité écologique, c’est-à-dire permettant d’approcher le handicap.
Le niveau du handicap – « expression sociale de la maladie » (Rode et
al., 2005) – est le plus difficile à évaluer car les multiples facteurs, envi-
ronnementaux (facteurs socioculturels) et personnels (niveau antérieur,
motivation, perception de ses déficits et de leurs conséquences, attentes,
habitudes de vie…), sources de handicap, sont difficiles à prendre en
compte.
Cela nécessite des outils d’évaluation des conséquences fonctionnelles
des déficits. Les tests « mimant » des activités quotidiennes dans leur
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complexité, comme le test des commissions (ou « errances multiples »)


ou le test des 6 éléments, ainsi que le recours à la réalité virtuelle (voir
chapitre 2, section 2), s’inscrivent dans cet objectif mais ne sont pas suffi-
sants, et plusieurs échelles conçues spécifiquement pour mesurer le reten-
tissement fonctionnel des déficits ont été mises au point ces dernières
années. Un grand nombre d’échelles de ce type sont recensées dans la
synthèse de Rode et collaborateurs (2005) : échelles globales d’évaluation
des incapacités, échelles génériques d’évaluation de la qualité de vie, et
de nombreuses autres spécifiques au traumatisme crânien, à l’AVC, à la
sclérose en plaques et aux troubles cognitifs les plus fréquemment ren-
contrés selon la pathologie. Les auteurs discutent plus particulièrement
des questionnaires d’auto-évaluation, qui occupent une place particulière.
426 Manuel de neuropsychologie

En effet, le patient est placé au centre de l’évaluation neuropsycholo-


gique dans cette nouvelle approche qui combine l’abord cognitiviste et la
prise en compte des facteurs environnementaux et personnels. De plus en
plus souvent, deux évaluations de l’importance des difficultés dans la vie
quotidienne sont proposées ; l’une au patient (auto-évaluation), qui est
susceptible de sous-évaluer ses difficultés s’il est anosognosique, et l’autre
à une personne de l’entourage (hétéro-évaluation). La différence entre
les deux mesures permet d’estimer le niveau de conscience des troubles
qu’a le patient. L’étude de Thomas-Antériou et al. (2005) montre que les
patients ayant subi un traumatisme crânien dont les séquelles sont les
plus sévères jugent leur situation plus satisfaisante que les patients dont
les déficits sont plus légers.
L’activité des neuropsychologues sera de plus en plus tournée vers la
sensibilisation de l’entourage familial ou professionnel du patient aux
nombreux facteurs qui peuvent « alourdir » le handicap : réalisation
simultanée de plusieurs activités, présence de nombreux éléments « dis-
tracteurs », nouveauté de l’activité, etc. La formation et le soutien de
l’entourage familial et des soignants ont été abordés dans la section sur
la prise en charge des troubles dans la maladie d’Alzheimer (pour une
revue, voir Adam et al., 2009).

6. Rééducation et imagerie cérébrale


fonctionnelle

L’imagerie cérébrale fonctionnelle permet d’approcher les substrats


cérébraux de la récupération fonctionnelle spontanée et/ou induite par
une rééducation. Par exemple, des mesures répétées en IRMf sont utilisées
pour suivre les réorganisations au niveau cérébral parallèlement à l’évo-
lution des troubles aphasiques. Les données disponibles indiquent que
l’amélioration des performances langagières peut être sous-tendue par
deux mécanismes neurophysiologiques distincts. Le premier est l’enga-
gement de régions corticales intactes adjacentes à celles lésées. L’acti-
vation ou la ré-activation d’aires péri-lésionnelles dans l’hémisphère
gauche (HG) refléterait une réorganisation interne du système linguis-
tique, avec redistribution des composantes du langage entre les aires du
système épargnées par la lésion (Vitali et Tettamanti, 2004). Léger et al.
(2002) ont étudié les modifications neurofonctionnelles, en particulier
celles intéressant les aires péri-lésionnelles, en lien avec une rééducation
du langage chez un patient aphasique « chronique ». La comparaison des
Rééducations neuropsychologiques 427

activations liées à une tâche de dénomination entre les enregistrements


pré et post-thérapeutiques révèle les changements suivants :
− une implication des aires péri-lésionnelles dans l’HG (cortex insu-
laire antérieur, portions du gyrus temporal supérieur et du gyrus
supramarginal) ;
− des activations des aires homologues dans l’hémisphère droit (HD)
mais qui étaient déjà présentes en pré-thérapie et dans un contexte
de performances très faibles.
La rééducation est basée sur l’apprentissage des aspects phonologiques
du mot à dénommer (apprentissage « par cœur » de dessins représentant
les positions articulatoires nécessaires à la production orale des syllabes
qui composent les mots cibles). Elle est donc orientée sur l’élaboration
phonologique des stimuli à dénommer : les régions cérébrales adjacentes à
celles dévolues normalement au traitement phonologique sont engagées.
Selon ces études, la réactivation d’aires péri-lésionnelles dans l’HG joue-
rait un rôle prépondérant dans l’amélioration de l’anomie. Le deuxième
mécanisme permettant l’amélioration des performances langagières est
le transfert des habiletés linguistiques vers des régions cérébrales qui ne
font pas partie normalement de ce système, notamment vers des aires
homologues (aux aires gauches du langage) dans l’HD. Ce mécanisme
serait surtout possible pour les traitements lexico-sémantiques.
Les rares études comportementales (notamment en champ visuel
divisé ; voir par exemple Ansaldo et al., 2004) livrent des résultats
concordants, en indiquant une participation accrue de l’HD en compa-
raison du fonctionnement normal dans une phase initiale de récupéra-
tion de certaines capacités lexico-sémantiques et le rôle de l’HG dans la
récupération de l’expression orale.
L’équipe de Pulvermüller a mis au point le programme CIAT (pour
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Constraint-Induced Aphasia Therapy), qui s’adresse à des patients souf-


frant d’une aphasie chronique et a été conçu à partir de quelques prin-
cipes issus des neurosciences cognitives :
− L’apprentissage est favorisé par une pratique répétée et intensive
(l’apprentissage survient lorsque des neurones se déclenchent
en même temps ; plus souvent c’est le cas, meilleur est l’appren-
tissage) : l’entraînement du langage proposé par le CIAT est très
intensif, plusieurs heures par jour pendant deux semaines.
− Les réseaux du langage et de l’action sont fortement interconnec-
tés dans le cerveau : le fait d’entendre un mot active automatique-
ment le système moteur, et le fait de réaliser l’action correspondante
428 Manuel de neuropsychologie

peut faciliter la compréhension du mot. Le CIAT entraîne le lan-


gage dans le contexte d’actions.
Au total, dans ce programme, le langage est utilisé dans des situa-
tions de communication, en l’occurrence des jeux – souvent de cartes
– qui amènent les participants en petits groupes à utiliser des habiletés
langagières de base ou plus élaborées comme formuler une demande,
répondre à une question, etc. Les patients en groupe s’entraident ; des
ajustements individuels sont proposés en fonction des besoins de cha-
cun. Un essai randomisé a montré que le programme avait amélioré le
langage chez 9 aphasiques chroniques qui, entre 2 et 11 ans après leur
AVC, souffraient toujours d’une aphasie non fluente par lésion gauche.
L’étude en potentiels évoqués cognitifs chez ces mêmes patients avant
et après l’intervention met en évidence une augmentation de la réponse
neurophysiologique à des mots tandis que celle à des pseudo-mots ne
se modifie pas (Pulvermüller et al., 2005). Ce changement neurophysio-
logique spécifique aux mots est corrélé positivement à la performance
langagière (mesurée avec le Token Test). Enfin, l’augmentation de l’acti-
vité cérébrale liée spécifiquement aux mots est mise en évidence dans
les hémisphères gauche et droit, suggérant que des réseaux neuronaux
distribués dans les deux hémisphères constituent le substrat de la réor-
ganisation du langage dans l’aphasie chronique. De façon schématique,
l’interprétation avancée par les auteurs est la suivante : les mots de la
langue sont représentés dans le cortex par des assemblées transcorticales
de neurones, comprenant des cellules étroitement confinées aux aires
périsylviennes gauches pour les mots fonctionnels, grammaticaux, et
largement distribuées dans les deux hémisphères pour les substantifs.
En lien avec la thérapie, les systèmes neuronaux du langage renforcent
leurs connexions internes, ce qui permet leur activation plus rapide et
plus forte après l’intervention qu’avant et facilite l’accès au lexique (voir
Pulvermüller, 2001, pour la théorie des assemblées transcorticales de
neurones ; chapitre 2, section 3).
Les résultats issus des études en neuro-imagerie ne permettent pas
de conclure quant à la question des réorganisations cérébrales dans le
décours d’une aphasie. Certains travaux mettent en évidence de nou-
velles activations dans l’HD après rééducation et en lien avec une amé-
lioration du langage, d’autres des activations de l’hémisphère gauche. Il
semble donc que ce soient les régions indemnes, péri-lésionnelles, dans
l’HG ou bien les aires homologues dans l’HD, ou les deux, qui sous-
tendent la récupération de l’aphasie (non fluente dans la plupart des
études). De plus, il est possible que des mécanismes différents soient à
l’œuvre chez les patients, selon le niveau de déficit dans le système ver-
Rééducations neuropsychologiques 429

bal, et que la contribution de l’HD soit d’autant plus importante que la


lésion est étendue dans l’HG. Depuis les années 2000, les travaux uti-
lisant la stimulation cérébrale se sont multipliés et apportent des élé-
ments de réponse, notamment pour ce qui concerne les mécanismes fins
des réorganisations des réseaux neuronaux qui sous-tendent le langage.

7. Entraînement, rééducation
et stimulation cérébrale

Parmi les méthodes de stimulation cérébrale présentées au chapitre 2


(section 5), la stimulation magnétique transcranienne (TMS, pour
Transcranial Magnetic Stimulation) est de plus en plus utilisée dans des
recherches menées à des fins thérapeutiques (pour une revue, voir Valéro-
Cabré et al., 2011). Les études dans lesquelles la TMS est utilisée pour
moduler l’activité corticale chez des sujets normaux ont mis en évidence
des effets de facilitation de la performance à court terme dans des tâches
de langage, d’attention et de mémoire (pour une revue, voir le dossier
spécial de la Revue de Neuropsychologie, éd. Faure, 2012). De nombreuses
publications récentes indiquent que la TMS est susceptible de contribuer
au traitement de l’aphasie, de l’héminégligence et, même si les résultats
préliminaires doivent être pris avec prudence, des troubles de la mémoire.
Toutefois, les mécanismes par lesquels la stimulation pourrait agir sont
encore mal compris. D’une part, elle pourrait, en augmentant le niveau
d’excitabilité de régions péri-lésionnelles, contribuer à activer des réseaux
« bloqués ». D’autre part, elle pourrait supprimer l’influence interférente
en provenance d’autres régions cérébrales : le rationnel de l’intervention
est alors d’inhiber l’activité de régions dont on pense qu’elles interfèrent
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

avec la fonction de l’aire qui sous-tend la fonction ciblée (dans le même


hémisphère ou dans l’hémisphère controlésionnel).
Naeser et al. (2012) ont récemment fait la synthèse des travaux utili-
sant la TMS dans le traitement de l’aphasie chronique, en particulier les
effets sur la dénomination chez des aphasiques non fluents. L’approche
est basée sur la deuxième hypothèse concernant les mécanismes d’action
de la stimulation magnétique. Elle consiste à supprimer l’activité d’une
région d’intérêt dans l’HD au moyen d’une stimulation à basse fréquence
(1 Hz) afin d’en diminuer l’hyperactivité et d’améliorer la modulation du
réseau de neurones bilatéral qui sous-tend la dénomination. Le raisonne-
ment est que, chez certains patients, l’activation de l’HD pourrait résulter
d’une plasticité inadaptée qui empêche ou freine la récupération. Des
430 Manuel de neuropsychologie

stimulations de 20 minutes sont appliquées sur une aire du cortex droit


déterminée préalablement pour chacun des patients, à raison d’une fois
par jour, cinq jours par semaine pendant deux semaines consécutives.
Les tests de langage sont administrés à la ligne de base, et 2 puis 6 mois
après l’arrêt des stimulations : des améliorations significatives sont notées
chez plusieurs patients à trois des tests de dénomination (e.g. le BDAE
« animaux » et « outils ») ainsi qu’en termes de nombre de mots dans les
énoncés produits. L’étude en IRMf montre chez ces patients de nouvelles
activations dans l’HG en comparaison de la ligne de base. Un patient avec
une aphasie non fluente sévère acquise 6 ans auparavant, consécutive à
un AVC gauche, a bénéficié d’une rééducation du langage combinée au
programme de stimulation cérébrale : des améliorations du langage sup-
plémentaires sont observées, supérieures à celles enregistrées à la phase
TMS seule. Leur revue de résultats de neurostimulation, de neuro-imagerie
fonctionnelle et relatifs aux bénéfices enregistrés dans les performances
verbales des patients ne permet pas à Naeser et ses collègues de conclure
sur les mécanismes à l’œuvre. Ils notent que la suppression (par la stimu-
lation basse fréquence) dans l’HD de la pars opercularis perturbe la déno-
mination tandis que celle de la pars triangularis la facilite, et discutent des
rôles respectifs de ces deux parties de l’homologue de l’aire de Broca dans
l’HD au sein des réseaux du langage. Toutefois, les résultats sont répliqués
dans une autre étude combinant TMS, rééducation du langage et TEP : les
patients placés dans la condition de « suppression de la pars triangularis »
dans l’HD et qui bénéficient d’une rééducation améliorent plus leur pro-
duction langagière que ceux qui reçoivent une stimulation du vertex et la
rééducation. Ces derniers, qui sont dans une condition contrôle pour la
TMS, conservent après l’étude une activation latéralisée dans l’HD pour
la production de verbes tandis que les premiers ne montrent plus cette
asymétrie droite et améliorent davantage leur langage.

8. En guise de conclusion

Ce dernier chapitre consacré aux rééducations neuropsychologiques


et aux prises en charge des patients dans leur environnement, lequel
comprend leurs proches, soignants ou aidants naturels, constitue une
bonne illustration de la neuropsychogie actuelle incluant ses évolu-
tions les plus récentes. Il se termine par les derniers développements des
neurosciences cognitives appliquées à des situations cliniques visant à
restaurer les fonctions cognitives : l’imagerie fonctionnelle et la sti-
mulation cérébrale. Ces méthodes sont abordées à plusieurs endroits
Rééducations neuropsychologiques 431

de cette nouvelle édition du Manuel, tant leurs apports sont essentiels


aujourd’hui en neuropsychologie. D’autres approches, encore limitées
au domaine de la recherche, comme les interactions homme-machine,
viendront à terme enrichir les possibilités de prises en charge des
patients souffrant d’un handicap.
Pour autant, ce chapitre insiste sur l’importance des rééducations d’ins-
piration cognitive qui, partant de l’aphasie, sont appliquées maintenant
à l’ensemble des troubles neuropsychologiques, développementaux ou
acquis consécutifs à des lésions cérébrales focales ou survenant dans le
cadre de pathologies neuropsychiatriques. Les pratiques de la neuro-
psychologie sont très diversifiées et c’est l’une de ses richesses mais qui
demande une formation de grande qualité. L’incidence grandissante
des pathologies neurodégénératives et plus largement des syndromes
démentiels, liée au vieillissement de la population, est l’un des princi-
paux changements de ces dernières années. Un chapitre complet leur
est consacré et cette thématique est aussi largement abordée dans ce
dernier chapitre consacré aux rééducations et aux prises en charge. La
neuropsychologie se doit d’innover et de s’adapter à de nouvelles situa-
tions cliniques, à des techniques parfois très étrangères à ses pratiques et
à de nouvelles demandes sociétales. Des avancées dans un domaine sou-
lèvent des questions parfois inédites auxquelles il convient de répondre
avec pertinence, dans l’intérêt du patient et de ses proches. Ainsi, dans
le domaine des états démentiels, nous avons souligné l’importance du
diagnostic précoce et de la place de la neuropsychologie à l’heure des
biomarqueurs. De même, la neuropsychologie des démences à un stade
sévère constitue une nouvelle pratique, qui nécessite d’innover dans les
procédures d’évaluation, dans les modes de prise en charge et dans leurs
objectifs, très différents d’autres situations cliniques. Elle confronte le
neuropsychologue à une relation avec un patient aux prises avec un
fonctionnement cognitif profondément modifié et aussi avec une ins-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

titution et des personnels où il doit savoir jouer son rôle d’explication


au quotidien. L’expression de « neuropsychogie de la vie quotidienne »
prend ici tout son sens. Elle doit mettre en avant la dimension éthique
formulée dans des questions concrètes (Eustache, 2012) : comment se
comporter devant un patient singulier et comment aménager l’envi-
ronnement d’un malade vivant en institution chez lequel le sentiment
d’identité se trouve « décalé » par rapport à son identité réelle (par
exemple un patient qui croit être âgé de plusieurs décennies de moins
que son âge réel) ? Comment peut-on intégrer cette personne dans
une réflexion la concernant directement ? En d’autres termes, quelle
est la meilleure façon de reconnaître l’autre dans son aptitude à la
432 Manuel de neuropsychologie

responsabilité ? Quelles méthodes neuropsychologiques sont perti-


nentes pour de tels patients ? Les conditions mêmes de passation des
tests neuropsychologiques sont-elles adaptées à ces patients ? Comment
rendre compatibles la situation d’évaluation et la relation de soin dans
ce contexte et au quotidien ? Sont-elles vraiment compatibles ? Les
finalités de l’une et de l’autre sont-elles toujours clairement explici-
tées ? Autant de questions, et tant d’autres, qui sont aussi des guides
pour la recherche clinique en neuropsychologie et pour une réflexion
sur l’évolution de notre discipline. Les situations, en partie nouvelles,
décrites tout au long de ce Manuel, soulignent le niveau d’exigence de
la neuropsychologie. Elle est d’une part scientifique et doit résolument
le demeurer, y compris en participant au progrès des connaissances, et
d’autre part elle tire sa spécificité d’une relation de soin singulière entre
un clinicien, spécialiste des troubles cognitifs et comportementaux,
et un patient qui en est affecté. Quelles que soient les évolutions des
connaissances et des techniques, la mission et même la raison d’être des
neuropsychologues est de pouvoir concilier les développements les plus
modernes des applications scientifiques et la qualité de la relation de
soin menée nécessairement en pleine connaissance de la situation du
patient et de ses aspirations, dans la perspective de modifier le cours de
la maladie en lien avec l’entourage et les différents dispositifs de soins.
Table des encadrés

Encadré 1. Pour ne pas se perdre dans les hémisphères cérébraux (8


coupes coronales d’avant en arrière)
Bernard Lechevalier (Caen)
Encadré 2. De la morphologie à la fonction
Bernard Lechevalier (Caen)
Encadré 3. La « petite maison » de Lichtheim (1885)
Encadré 4. Carte des aires corticales selon Brodmann (1909)
Encadré 5. Imagerie radiologique et morphologie cérébrale
Vincent de La Sayette (Caen)
Encadré 6. Simulation connexionniste de certains mécanismes de
la lecture
Encadré 7. Modèle cognitif de l’expression écrite
Encadré 8. Le paradigme des fausses croyances
Encadré 9. Évaluation de la mémoire prospective en réalité vir-
tuelle
Encadré 10. Organisation anatomo-fonctionnelle des voies visuelles
Encadré 11. Deux hémisphères cérébraux, un seul monde visuel
Sara Spotorno (Nice)
Encadré 12. Organisation anatomo-fonctionnelle des voies auditives
Encadré 13. L’interprétation des asymétries en champ visuel : accès
direct ou relais calleux
Encadré 14. Perception consciente du changement visuel et hémi-
sphères cérébraux
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Sara Spotorno (Nice)


Encadré 15. Electroencéphalographie et cognition
Patrice Clochon (Caen)
Encadré 16. Cerveau, langage et musique
Mireille Besson (Marseille)
Encadré 17. La méthode des activations en Tomographie par Émis-
sion de Positons (TEP)
Hervé Platel (Caen)
Encadré 18. L’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf)
Karine Lebreton (Caen)
434 Manuel de neuropsychologie

Encadré 19. « Fausses » dissociations


Encadré 20. Le système lexical
Jany Lambert (Caen)
Encadré 21. Manque du mot et interprétation cognitive
Jany Lambert (Caen)
Encadré 22. Une observation d’aphasie sous-corticale
Jany Lambert (Caen)
Encadré 23. Modèle cognitif du traitement des nombres et du calcul
de Dehaene
Encadré 24. Une observation d’agnosie sémantique de spécificité
catégorielle
Marie-Noëlle Magnié (Nice) et Michel Poncet (Marseille)
Encadré 25. La reconnaissance des visages
Encadré 26. Une observation d’héminégligence gauche
Fausto Viader et Catherine Lalevée (Caen)
Encadré 27. Les réseaux cérébraux de l’attention
Encadré 28. Élaboration des données perceptives dans un cas de dys-
connexion inter-hémisphérique
Jeanine Blanc-Garin (Marseille)
Encadré 29. L’amnésie rétrograde isolée : trouble de mémoire orga-
nique ou psychogène ?
Pascale Piolino (Paris)
Encadré 30. Les modèles structuraux de la mémoire
Encadré 31. MNESIS
Encadré 32. Évaluation de la mémoire procédurale
Encadré 33. Amygdale et mémoire des émotions
Bénédicte Giffard (Caen)
Encadré 34. Remédiation des difficultés dans l’apprentissage de la
lecture
Bruno De Cara (Nice) et Monique Plaza (Paris)
Encadré 35. Dyslexie de surface et dyslexie phonologique : comparai-
son de deux cas
Sylviane Valdois (Grenoble)
Encadré 36 Acquisition de connaissances sémantiques dans l’amné-
sie développementale
Bérengère Guillery-Girard (Caen)
Rééducations neuropsychologiques 435

Encadré 37. La dyspraxie développementale


Oriane Costini (Nice, Angers), Arnaud Roy (Angers) et
Didier Le Gall (Angers)
Encadré 38. Les mécanismes neuro-fonctionnels de la reconnais-
sance des émotions faciales dans les troubles autistiques :
apport des potentiels évoqués cognitifs
Galina Iakimova, Solange Mardaga et Sylvie Serret (Nice)
Encadré 39. Influence des fonctions exécutives sur le déclin cognitif
lié à l’âge
Encadré 40. Déploiement des mécanismes neurocognitifs adaptatifs
avec l’âge et réorganisation cérébrale
Jennyfer Ansado et Yves Joanette (Montréal)
Encadré 41. Contrastes entre vieillissement normal et maladie
d’Alzheimer
Encadré 42. L’apraxie constructive dans la maladie d’Alzheimer
Encadré 43. Méthodes d’analyse en neuro-imagerie morphologique :
application à l’étude de l’atrophie dans la maladie
d’Alzheimer
Gaël Chételat (Caen)
Encadré 44. Neuro-imagerie fonctionnelle dans la maladie d’Alzheimer :
hypométabolisme et corrélations cognitivo-métaboliques
Encadré 45. Imagerie modale dans la maladie d’Alzheimer
Encadré 46. Troubles sémantiques
Jany Lambert (Caen)
Encadré 47. Rééducation d’une dysorthographie de surface
Encadré 48. La technique de récupération espacée
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A amygdale 259
anarthrie 156
acalculie 167
anarthrie pure 13
accident vasculaire cérébral 147
anomie tactile gauche 208
action dirigée vers un but 224
anosodiaphorie 262
adaptation prismatique 418
anosognosie 149, 202, 235
ADAS 390
anxiété 70
administrateur central 218, 225, 320, 357
apathie 70, 224
adynamisme 159, 218
aphasie 6, 7, 15, 149, 273, 427, 429, 431
âge d’or 12, 30, 35, 233
aphasie acquise chez l’enfant 273
agénésie calleuse 211
aphasie amnésique 160
agnosie 175
aphasie anomique 155, 160
agnosie aperceptive 176, 189
aphasie de Broca 12, 13, 153, 156
agnosie associative 176, 189
aphasie de conduction 12, 13, 154, 158
agnosie auditive 187
aphasie de Wernicke 12, 13, 153, 157
agnosie visuelle 176
aphasie d’expression 156
agrammatisme 156
aphasie dynamique 158
agraphie 60, 126
aphasie globale 158
agraphie apraxique 166
aphasie motrice 12, 156
agraphie lexicale 165
aphasie progressive fluente 378
agraphie périphérique 165
aphasie progressive non fluente 378
agraphie profonde 165
aphasie sensorielle 12, 157
agraphie unilatérale gauche 208
aphasie sous-corticale 160, 161
aidants naturels 4
aphasies transcorticales 154, 158
aide aux aidants 395
aphasie transcorticale motrice 13, 159
aire de Broca 7
aphasie transcorticale sensorielle 13
aire motrice supplémentaire 215
apprentissage 39
alexie 164
apprentissage procédural 245
alexie-agraphie 164
apragmatisme 224
alexie lexicale 165
apraxie 171, 362
alexie phonologique 165
apraxie bucco-faciale 157, 173
alexie pure 164
apraxie constructive 173, 210, 363
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alexie sans agraphie 26, 164


apraxie de l’habillage 173
amnésie antérograde 220, 233, 356
apraxie diagonistique 26, 172, 210
amnésie de la source 219, 332
apraxie idéatoire 171
amnésie de l’enfance 291
apraxie idéomotrice 157, 171, 362
amnésie développementale 286, 288
apraxie idéomotrice gauche 209
amnésie d’identité 222
apraxie mélokinétique 171
amnésie fonctionnelle 231
apraxie progressive primaire 173
amnésie globale transitoire 236
asymétrie fonctionnelle hémisphérique 7
amnésie infantile 291, 314
atrophie 365
amnésie rétrograde 122, 220, 233
atrophie corticobasale 173
amorçage perceptif 116, 321, 360
attention 194, 214, 292, 299, 328
amorçage sémantique 321, 359
autisme 300
amusie 188
462 Manuel de neuropsychologie

B corps calleux 26, 84, 203, 204, 207


corrélations cognitivo-métaboliques 121,
batterie d’efficience mnésique 248, 286
343, 369
batterie du CERAD 390
corrélations cognitivo-morphologiques
batterie rapide d’efficience frontale 390
343
BEC 96 389
cortex frontal 214, 336
béhaviorisme 30, 233, 398
cortex orbito-frontal 260
biais de positivité 325
cortex préfrontal 119, 215
biomarqueurs 352, 431
cortex temporopariétal 368
Birmingham Object Recognition Battery 186
courant globaliste 14, 15
bissection de ligne 201
courant néolocalisationniste 29
blindsight 29
boucle phonologique 225, 320
D
bradypsychie 386
buffer épisodique 226, 245, 358 dédifférenciation 339
déficit cognitif léger 354
C dégénérescence lobaire frontotemporale
378
calepin visuospatial 225, 320
dégénérescences neurofibrillaires 366
California Verbal Learning Test 249
degré d’éveil 257
carnet de communication 408
délire spatial 203
cas unique 31, 133
démence 351
centre des images motrices des mots 7
démence corticale 385
cerveau dédoublé 203
démence frontale 378
cerveau droit 20
démence fronto-sous-corticale 386
cerveau gauche 20
démence frontotemporale 71, 351, 377
cerveau limbique 258
démence présénile 364
cerveau néomammalien 258
démence sémantique 72, 160, 378, 380
cerveau paléo-mammalien 258
démence sous-corticale 215, 385
cerveau reptilien 258
dénomination 55, 327
chronométrie mentale 74
dépression 70
cingulum 372
désintégration phonétique 156
circuit de Papez 120, 234
désorientation temporospatiale 234, 357
classification des aphasies 7
diagnostic cognitif 35, 55, 400
Classification internationale des Déficien-
diagnostic précoce 431
ces, Incapacités et Handicaps 395, 424
diaschisis 15, 372
cognition sociale 60, 301
disconnexion inter-hémisphérique 205
compensation 339
dissociation 34, 56, 133, 137, 139, 240
complètement de trigrammes 253
distance cérébrale fonctionnelle 87
comportements d’utilisation
DMS48 389
et d’imitation 217
dominance cérébrale 25
connectivité fonctionnelle 130
données normatives 134
conscience autonoétique 238, 247, 251,
Double Memory Test 388
290, 357
dyscalculie 276, 294
conscience de soi 238, 245, 391
dyslexie 276, 305
conscience noétique 238, 251, 290
dyslexie de surface 165, 280, 281
consolidation 243, 245, 261, 312
dyslexie développementale 280
Constraint-Induced Aphasia Therapy 427
dyslexie phonologique 280, 281
consultations mémoire 354
dyslexie profonde 36, 165
Index des notions 463

dysorthographie 276, 285 erreurs de régularisation 59


dysorthographie de surface 401 erreurs non phonologiquement plausibles
dysphasie 149, 276, 285 165
dyspraxie 295 erreurs phonologiquement plausibles 165
dysphasie développementale 273 étalonnage 50
dyspraxie diagonistique 208 étude de cas 133
dysprosodie 156 étude de cas uniques 19, 133
dyssyntaxie 159 études de groupes 19, 133, 140
évaluations psychométriques 49
E Event Related Desynchronization 100
Event Related Potentials 100
échelle comportementale dans la maladie
extinction 209
d’Alzheimer 70
échelle de dysfonctionnement frontal 71
F
échelle de Mattis 53, 389
échelle d’intelligence de Wechsler pour fabulation 234
adultes 51 facteur G 51
échelle neurocomportementale révisée faisceau arqué 158
72 faisceau unciné 220
échelles comportementales 69 fausse croyance 62-63, 318
échelles de mémoire de Wechsler 249 fausses reconnaissances 234
écholalie 159 faux pas 64
écoute dichotique 83, 206, 209, 212 fidélité 50
ecphorie 220 flexibilité mentale 226
écriture 126 fluence verbale 218, 320, 358
EEG quantitative 100 fonction de rétention 314
effet de primauté 58 fonctions exécutives 215, 224, 235, 290,
effet de récence 58, 314 292, 316, 328, 361
effets d’amorçage 253, 387 France-Alzheimer 392
effets de position sérielle 57 fréquences spatiales 82
égocentrisme 72
égocentrisme cognitif 382 G
égocentrisme comportemental 385
Gestalttheorie 17
électroencéphalographie 44, 99, 100, 102
gradient temporel de Ribot 220, 356
émotions 256, 301, 324
grasping 214
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empan 320
gyrus cingulaire postérieur 368
empathie 60
encéphalopathie aiguë de Gayet-Wernicke
H
234
encéphalopathie de Marchiafava-Bignami hallucinations 70
26, 211 hémianacousie 187
encodage 312 hémianopsie 192
épilepsie 298 hémiasomatognosie 202
épilepsie temporale 286 héminégligence 189
episodic-like 290 hémisphérectomie 273, 299
épreuve de Grober et Buschke 249 hippocampe 119, 245, 260, 336, 343,
épreuve de « barrage » 201 365, 371
erreur de type I 135 hormones de stress 261
erreur de type II 135 hyperactivité 299
464 Manuel de neuropsychologie

hyperamorçage 359 maladie de Parkinson 126, 166, 385, 390


hypothèse de la cause commune 331 maladie de Pick 377
hypothèse développementale 338 maladie de Steele-Richardson-Olszewski
hypothèse exécutivo-frontale 336 385
hypothèse frontale 344 manque du mot 154, 155, 327, 358, 361
marqueurs somatiques 227, 260
I maturation cérébrale 270, 289
mécanismes 339
ictus amnésique 234, 236
mécanismes compensatoires 122, 375
idées délirantes 70
mémoire 356
identité 246
mémoire à court terme 57, 237
Imagerie amyloïde 372
mémoire à long terme 57, 237
imagerie cérébrale 4, 44, 52, 336, 365,
mémoire autobiographique 246, 292,
376
314, 325, 356
imagerie cérébrale fonctionnelle 99, 219,
mémoire déclarative 236, 238
400, 426
mémoire de travail 58, 218, 225, 237,
imagerie moléculaire 123
241, 245, 320, 330, 332, 357
imagerie par résonance magnétique 29,
mémoire du self 246
31, 44, 112
mémoire épisodique 102, 119, 129, 219,
imagerie par tenseur de diffusion 130
236, 237, 247, 248, 287, 290, 311, 324,
inhibition 226, 330
332, 343, 356
intelligence 51
mémoire événementielle 290
intrusions 356
mémoire explicite 233, 239
inventaire du syndrome dysexécutif com-
mémoire implicite 233, 239, 289, 386
portemental 71
mémoire musicale 109
inventaire neuropsychiatrique 70
mémoire perceptive 116, 243, 289, 321,
IRM anatomique 365
416
IRM fonctionnelle 106
mémoire procédurale 236, 238, 245, 254,
255, 322, 360, 387, 416
J
mémoire prospective 65, 251, 315, 316
jargonaphasie 157 mémoire sémantique 42, 119, 236, 237,
240, 251, 287, 290, 320, 357
L mémoire sensorielle 57
mémoire subséquente 120
langage écrit 58
mémoire verbale 5, 335
lecture en miroir 254, 255
mémoire visuelle 335
ligne de base pré-traitement 401
métabolisme cérébral 44
lobes frontaux 260
métacognition 227
localisation cérébrale 3, 28
métamémoire 312
localisations cérébrales 12
méthode anatomo-clinique 3
logorrhée 218
méthode d’apprentissage sans erreur 416
loi de Ribot 232, 314
méthode d’économie au réapprentissage
233
M méthode de double tâche 87
magnétoencéphalographie 44, 106 méthode de la récupération espacée 416
maladie d’Alzheimer 4, 70, 121, 123, 159, méthode d’estompage des indices 409,
250, 337, 347, 351, 354 416
maladie de Huntington 385 méthode soustractive 74
Index des notions 465

micrographie 166 patient Jon 287


mild cognitive impairment 354 patient K.C. 236
Mini-Mental Status 53 patient K.F. 58
mise à jour de l’information 226 patient Phineas Gage 216
MNESIS 243, 289 persistance rétinienne 77
modèle à entrées multiples 384 perte d’identité 220
modèle CRUNCH 345 phasie transcorticale sensorielle 159
modèle d’Atkinson et Shiffrin 237 phrénologie 6
modèle HAROLD 129, 338 pic de réminiscence 314
modèle HERA 119, 129, 219, 338 Pittsburg compound B 123, 372
modèle HIPER 119, 337 planification 224
modèle PASA 339 planum temporale 23, 284
modèles anatomo-fonctionnels 25 plasticité cérébrale 372
modèles connexionnistes 38 potentiels évoqués 100, 102, 187, 301
modèle SPI 241, 289 présent psychologique 245
modèle STAC 345 principe de fractionnement 34
modèle standard 245 principe de modularité 34
mot sur le bout de la langue 320 principe de transparence 34
musicothérapie 423 profondeur de traitement 311
progressive matrices 51
N prosopagnosie 42, 182
prothèse mentale 405
négligence spatiale unilatérale 190
protocole d’évaluation des gnosies
néocortex 258
visuelle 186
neuromodulation hormonale 23
protocole Montréal d’Évaluation
neuropsychologia 4
de la Communication 414
neuropsychologie cognitive 12, 30, 34,
psychologie associationniste 12
55, 165, 235, 353
psychologie des facultés 5
neuropsychologie expérimentale 18
psychométrie 49
neuropsychologie fonctionnelle 43
psychopathologie cognitive 38
neurosciences cognitives 430
Pyramids and Palm Trees Test 252
noyau sous-thalamique 126

Q
O
questionnaire TEMPau 251
œstrogènes 334
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orthophonie 398
R
Outil de DÉpistage des DYSlexies 306
rappel libre – rappel indicé 16 items 249,
P 388
réalité virtuelle 64, 65
paradigme de Brown-Peterson 218, 320,
récupération 313
357
récupération fonctionnelle 273
paradigme ESR 250
récupération spontanée 401
paradigme Remember-Know 291
rééducation 122, 137, 248
paragraphies 157
rééducation cognitive 400
paralysie supranucléaire progressive 385
rééducation neuropsychologique 395,
paraphasies 56, 153, 157
430
paraphasies sémantiques 358, 361
réflexe de préhension 214
patient H.M. 57, 235, 239
466 Manuel de neuropsychologie

régularisation 165 surdité verbale pure 13


réseau par défaut 108, 371 symptômes psychotiques 70
réserve cognitive 54, 332, 340 syndrome amnésique 120
retard mental 304 syndrome amnésique de l’enfant 286
rétrocontrôle 224 syndrome amnésique diencéphalique
revalidation cognitive 420 234
reviviscence 243, 247 syndrome aphaso-apraxo-agnosique 355
Revue de Neuropsychologie 5 syndrome bi-hippocampique 234
running span 229 syndrome cognitif 232
syndrome d’Asperger 300
S syndrome de déconnexion
hémisphérique 21
saccade oculaire 76
syndrome de déconnexion
scanner 31
inter-hémisphérique 26, 203
sclérose en plaques 211
syndrome de Gerstmann 164
sclérose latérale amyotrophique 390
syndrome de Klüver et Bucy 258
self 246
syndrome de Korsakoff 122, 232, 234
sémantisation 243, 289, 356
syndrome de Landau-Kleffner 189, 298
sensibilité 50, 134
syndrome de l’X fragile 304
sentiment d’identité 357
syndrome de Turner 304
seuil pathologique 50, 135
syndrome de Williams 304
sites REMO 219
syndrome du tampon graphémique 59
Société de Neuropsychologie de Langue
syndrome dysexécutif 224, 419
Française 4
syndrome frontal 214, 224
sommeil 313
syndromes frontaux 260
souvenirs émotionnels 259, 325
syndromes neurodéveloppementaux 298
souvenirs flashes 259
syndromes périphériques 59
spécialisation hémisphérique 20, 73, 75,
système allographique 60, 165
79, 203, 214, 261
système attentionnel superviseur 225
spécificité 50, 134
système de représentations perceptives
split-brain 26, 91, 203, 205
240, 243
Statistical Parametric Mapping 366
système lexical 150
stéréotypie 156
système lexico-sémantique 328
stimulation cérébrale 123, 400, 429, 430
systèmes de mémoire 240
stimulation cognitive 421
stimulation dichaptique 86
T
stimulation électrique peropératoire 106
stimulation en champ perceptif divisé 75 tachistoscopie en champ visuel divisé 20,
stimulation galvanique vestibulaire 132 76
stimulation magnétique transcranienne taux d’oubli 313
106, 124, 128, 429 t de Student 136
stimulation par courant direct technique de l’apprentissage sans erreur
transcrânienne 124, 131 421
stimulation vestibulaire galvanique 131 technique de récupération espacée 411,
Stimulus Onset Asynchrony 96 421
stockage 312 techniques de stimulation électrique du
stratégies de récupération 219 cortex 28
surdité corticale 187 temps de réaction 74
surdité verbale 157, 187 temps de réponse 74
Index des notions 467

temps d’exposition des stimuli 96 V


test d’apprentissage et de mémoire
valence 257, 262, 325
verbale 249
validité 50
test d’écoute dichotique 187
variabilité interindividuelle 54
test de Hayling 229, 361
vieillissement 311, 347
test des six éléments 230
vieillissement normal 53, 102
test de Stroop 229, 361
vieillissement réussi 54, 335
test de Wada 83, 262
vitesse de traitement 328
test mental 50
voie dorsale 29
test MoCA 389
voie lexicale 164, 280
test « plus-minus » 229
voie lexico-sémantique 59, 165
test Quoi Où Quand 251
voie phonologique 58, 164, 280
tests cognitifs 50
voie ventrale 28
tests neuropsychologiques 50
volition 224
tests statistiques 133
Voxel-Based Morphometry 367
thalamus 215
théorie de la forme 17
théorie de la rééducation 39
W
théorie de la sélectivité Wisconsin Card Sorting Test 229
socio-émotionnelle 326
théorie de l’esprit 61, 63, 257, 290, 301,
318, 364, 379
théorie des traces multiples 245
théorie des trois cerveaux 258
théorie exécutivo-frontale 329
théorie James-Lange 257
théorie magnocellulaire 284
Tomographie par Émission de Positons
44, 106, 109, 365
tour de Hanoï 254, 255
Trail Making Test 229, 361
traitement hormono-substitutif 334
transfert inter-hémisphérique 203
traumatisme crânien 72, 211, 218, 221,
232, 286, 418
trisomie 21 304
trouble d’acquisition de la coordination
296
trouble déficitaire de l’attention 294, 299
trouble envahissant du développement
300
troubles articulatoires 153, 156
troubles d’extinction 202
troubles lexico-sémantiques 361
troubles neurovisuels 293

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