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LE SACRO-SEIN

De la valeur sacrée de cet organe et de la sécrétion du lait maternel


Édith Thoueille

ERES | Spirale

2006/4 - no 40
pages 77 à 92

ISSN 1278-4699

Article disponible en ligne à l'adresse:


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Pour citer cet article :


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Thoueille Édith, « Le sacro-sein » De la valeur sacrée de cet organe et de la sécrétion du lait maternel,
Spirale, 2006/4 no 40, p. 77-92. DOI : 10.3917/spi.040.0077
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Le sacro-sein
De la valeur sacrée de cet organe et de la sécrétion du lait maternel
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Édith Thoueille

Selon Claude Rivière, le sacré dépasse le champ du religieux institu-


tionnalisé : c’est la croyance qui fabrique le sacré. Cette croyance peut se
retrouver au cœur d’une religiosité en dehors de toute attache à une reli-
gion : amour sacré de la patrie, liens sacrés du mariage, devoir sacré de
l’allaitement maternel… Notons également qu’il n’y a pas une essence du
sacré, mais bien, comme le soulignait Marcel Mauss, des formes diverses
de sacré dans l’espace et dans le temps comportant des représentations
(mythes, croyances, dogmes), des pratiques (actes et paroles), des organi-
sations (groupes d’affiliation, hiérarchies de rôles) fort différentes les unes
des autres.
Une déférence à l’égard de la supériorité du lait de femme est certes jus-
tifiée et s’impose à tout acteur de santé publique, mais en sacralisant son
pouvoir on institue un culte de l’allaitement maternel qui parfois peut
effrayer.
Les projections idéalisées et sublimées (bien souvent par les hommes)
de l’allaitement maternel ont, au cours de l’histoire, été désacralisées par

Édith Thoueille, puéricultrice, directrice du centre de protection maternelle et infantile de l’Institut de


puériculture et de périnatalogie, 26 bd Brune, 75014 Paris.
edith.thoueille@erenis.fr
Je remercie le professeur Michel Soulé qui m’a permis de bénéficier de ses réflexions lors de l’élabo-
ration de l’ouvrage édité aux éditions érès en 2003 : L’allaitement maternel : une dynamique à bien
comprendre, sous la direction de M. Soulé et D. Blin, avec la collaboration d’É. Thoueille, et de l’éla-
boration du DVD réalisé par A. Casanova et M. Saladin : Allaiter : une relation fondamentale, M. Soulé,
D. Blin, É. Thoueille, coll. « À l’aube de la vie », dirigée par B. Golse, Toulouse, érès, 2005.
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les femmes. Ce refus de la transcendance paradigmatique attribuée à l’or-


gane maternel constitue donc un retour au profane. Ne marque-t-il pas
une volonté d’accès à l’autonomie et à une sexualité libérée tant revendi-
quées par les ligues féministes ? Avec la « maternalisation » du lait de
vache le rôle vital obligatoire conféré à l’allaitement au sein a peu à peu
disparu. Dès lors certains comportements et certains discours dogma-
tiques prennent des allures de missions initiatiques. Dans ce cas précis
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l’initiation peut se vivre comme un rite de passage, accompagné

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d’épreuves destinées à incorporer certaines candidates dans un nouveau
statut. Certaines mères s’y refusent, non sans une blessure narcissique.

Représentation sacrée 1
Dès la préhistoire, le sein est objet de culte. Ainsi, sur certains monu-
ments néolithiques, des protubérances de pierre étaient sculptées que les
femmes touchaient dans un but de fertilité. On le retrouve aussi dans les
peintures rupestres et les sculptures. Les scènes d’allaitement apparaissent
très tôt, symboles de fécondité. Ainsi, dans l’Antiquité égyptienne, Isis allai-
tant son fils Horus. S’agissant de divinités, c’est là une scène éminemment
sacrée, Isis étant à l’époque considérée comme la mère universelle.
Dans l’Antiquité grecque et romaine, le sein ne bénéficie pas de cette
dimension érotique qu’on lui connaît de nos jours et est représenté dans
des proportions modestes. Il est alors remarquable dans les représenta-
tions de divinités féminines ou d’allégories. On trouve par ailleurs beau-
coup de représentations de déesses-mères allaitantes.
C’est, paradoxalement, avec le christianisme, qui exhortait les femmes
à ne rien dévoiler de leur corps, que le sein prendra une tournure plus éro-
tique. À partir de la Renaissance, la poitrine s’expose de plus en plus dans
les œuvres des peintres et sculpteurs, où le profane et le sacré se mêlent.
Ainsi, l’œuvre du peintre Botticelli en est une illustration majeure.
Parallèlement, le thème de la Vierge allaitante se trouve très répandu à
partir du XIVe siècle dans le monde chrétien, thème où le sein figure la

1. Paragraphe rédigé par Charles Demassieux, auteur du chapitre « Raconter l’homme. L’allaitement
dans la littérature française du XIXe siècle », L’allaitement maternel : une dynamique à bien com-
prendre, op. cit.

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Le sacro-sein Eugène Delacroix
sacralise le sein avec
au premier plan une
femme, figure par
excellence de la liberté,
à la poitrine nue.
pureté la plus sacrée. Mais en 1563, l’Église y
met un terme en prohibant la nudité dans la
peinture religieuse.
La Révolution use abondamment des allégo-
ries féminines pour mettre en avant ses valeurs, comme Marianne, dont la
poitrine exposée exprime à la fois la nourrice et l’émancipation. En même
temps, les femmes mettent plus en avant leur poitrine, tendance qui se
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confirmera sous l’Empire qui, par ailleurs, voit le déclin des allégories
féminines.
Au XIXe siècle, le caractère sacré du sein va perdurer, notamment à tra-
vers les révolutions qui émaillent ce siècle. Par exemple, avec son tableau
La Liberté guidant le peuple, qui est une allégorie de la révolution de
1830, Eugène Delacroix sacralise le sein avec au premier plan une
femme, figure par excellence de la liberté, à la poitrine nue. La liberté
étant une abstraction, elle est tout naturellement représentée sous les traits
d’une femme dans l’iconographie traditionnelle. Cette sacralisation du
sein se retrouve également chez Victor Hugo. Ainsi, dans L’homme qui rit,
un bébé est retrouvé dans la neige sur la poitrine de sa mère morte avec
une goutte de lait gelée, dit le texte. Le sein prend là toute sa dimension
sacrée. La mère nourricière accomplit l’acte nourricier jusque dans son
dernier souffle. Plus tard, dans son roman Quatrevingt-treize, Hugo
reprendra cette image du sein maternel, cette fois-ci tari. Le sein exprime
à lui seul le désarroi d’une mère qui ne peut nourrir sa progéniture. La
détresse qui s’exprime enveloppe là encore le sein d’une aura sacrée.
La littérature, comme la peinture, est remplie de scènes d’allaitement.
Dans le même temps, caricatures et affiches de propagande exposent la
poitrine féminine. En 1848, Daumier, dans La République nourrit ses
enfants et les instruit, charité d’inspiration romaine et chrétienne, réunit,
à travers une allégorie de la République, les attributs de la femme protec-
trice et de la mère nourricière pour le peuple.
Avec la Commune s’affirme le culte de la combattante révolutionnaire
qui symbolise, avec sa poitrine dénudée, l’abondance.
À notre époque cette dimension sacrée du sein perdure et connaît
même un regain depuis quelques années. La publicité, par exemple, l’a
bien compris. Ainsi ce film publicitaire faisant un parallèle audacieux
entre l’airbag d’un véhicule et la poitrine maternelle pour le bébé, avec ce
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Spirale n° 40

slogan choc : « Rappelez-vous votre premier airbag. » Dans nos institu-


tions aussi, le sein jouit d’une exposition sacrée. Marianne demeure l’un
des symboles les plus répandus de la République. Et combien de places
de nos villes sont-elles ornées de monuments avec des femmes aux seins
généreux, jusqu’aux tombes de nos cimetières.

Le blanc sacré
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La couleur blanche du lait représente par excellence le sacré, la pureté,
« vêtu de probité candide et de lin blanc » (le suaire du Christ est blanc,
la robe de baptême est blanche…).
De la bouche d’Hercule, suspendu aux mamelles de Junon, tombent
quelques gouttes de lait qui forment la Voie lactée. Cette nébuleuse à l’as-
pect laiteux a souvent été considérée comme une voie d’origine divine.
Les anciens créent une multitude de légendes à son sujet, la plus
connue : une partie de la création des mythes de l’Inde affirme que « le
lait des nuages » submerge toute forme de vie dans un océan de lait.
Airavata, un éléphant blanc sacré dont le nom veut dire « arc-en-ciel »,
est une des premières créatures à naître du lait.
Les taches laiteuses qui maculent les feuilles du chardon Marie sont
interprétées comme des gouttes de lait tombées du sein de la Vierge, alors
qu’elle fuyait les persécutions d’Hérode. Le chardon, image de force et de
protection, était réputé donner de l’esprit et du dynamisme. Les vaches
nourries au chardon Marie sont des vaches bien portantes et produisent
davantage de lait. Ce chardon, encore appelé « lait de la Vierge », est
recommandé sous forme de tisanes par le Dr Bouchet pour ses vertus
galactogènes. La magie blanche a un effet bénéfique comme une guéri-
son, elle s’oppose à la magie noire qui fait intervenir de mauvais esprits.

Pudeur sacrée
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir
Par de pareils objets les âmes sont blessées.
Et cela fait venir de coupables pensées. »

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Le sacro-sein La couleur blanche du
lait représente par
excellence le sacré, la
pureté, « vêtu de
probité candide et de
lin blanc ».
Molière montre bien au travers de ces vers
célèbres qu’il y a une hypocrisie (tartufferie) par
rapport à l’érotisme qui s’attache à cette partie
anatomique féminine. Seules la littérature 2 et la
psychanalyse vont présenter les seins comme un
substitut et un équivalent du pénis chez l’homme. Elles vont décrire les
mamelons et le téton turgescent (excitation érotique de l’allaitement)
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comme l’équivalent du sexe masculin en érection. On emploiera même

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le mot de « castration » pour le vécu de la femme qui a subi l’ablation
d’un sein.
On peut remarquer que beaucoup de ceux qui évoquent l’allaitement,
ou le préconisent, font très peu allusion aux sensations érotiques éprou-
vées. Et la femme fait du reste abstraction des sensations que lui procure
l’allaitement.
Bien que valorisé dans toute la statuaire antique, peu à peu le sein devra
être couvert même dans une vision purement laïque de l’organe.
Malgré la libération sexuelle de l’après-guerre et la dénudation
publique du corps de la femme avec le succès du Bikini, le sein reste
caché. Cette époque sera suivie d’une libération à outrance, mais la mode
du monokini est peu à peu remise en cause. Le corps médical met en
garde les femmes qui exposent leurs seins au soleil et de nombreux
décrets municipaux tentent de réintroduire par la loi (sous forme de sanc-
tion pénale) la pudeur sacrée.
Le sein doit donc être caché, et même dans les revues de music-hall les
meneuses de revue nues conservent le plus souvent des strass étoilés sur
leurs seins. La valeur érotique du montré-caché, c’est-à-dire de cacher le
mamelon pour mieux peut-être l’évoquer et le faire briller, est dans ce cas
flagrante.

2. Honoré de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariés : « Ce petit être ne connaît absolument que
notre sein, il n’y a pour lui que ce point brillant dans le monde, il l’aime de toutes ses forces, il ne
pense qu’à cette fontaine de vie, il y vient et s’en va pour dormir, il se réveille pour y retourner […]
Ses lèvres ont un amour inexprimable, et quand elles s’y collent, elles y font à la fois une douleur et
un plaisir […]. »

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Spirale n° 40

À certains moments la pudeur est extrême et allaiter en public est aux


yeux de certains inconvenant. Certaines cartes postales humoristiques du
siècle dernier mettent en scène des « voyeurs de nourrices ».
D’autres, à l’inverse, vont valoriser un aspect de l’allaitement qui
masque l’érotisme, c’est l’attendrissement devant le lien mère-bébé. La
mère allaitante devient une femme asexuée tout entière tournée vers un
bébé. Décrits comme sans sexualité, la femme allaitante et son sein peu-
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vent être montrés dénudés, à condition que tout le reste du corps soit soi-
gneusement caché. Par exemple, elle est exposée à la vue de tous sur les
autels (Vierge à l’enfant) ; le peintre, donc le public, voit le sein d’une
vierge et non pas celui d’une nourrice. Il y a là une certaine hypocrisie et
la situation d’allaitement est censée abolir la situation érotique et autori-
ser un certain voyeurisme malgré le caractère sacré de cette image.

Sacrilèges
La sacralisation suscite des sacrilèges. Le pouvoir de lactation chez la
femme est une source d’envie. Elle peut donc apparaître dans sa forme
contraire : la répulsion.
Le médecin janséniste Hecquet ne dit rien d’autre lorsqu’il « … s’inter-
roge sur la nécessité des traces de mamelles chez les mâles. Il y voit les
restes d’une fonction utile in utero : celle de servir de couloir et de
décharge dans les enfants pour le superflu du suc nourricier. Sorte
d’égout…, écrit-il, palliant les méfaits éventuels d’une absence de trans-
piration dans la matrice 3… ».
Selon les théories humorales de cette époque, le sang menstruel, liquide
impur par excellence, est à l’origine de nombreuses croyances. Le lait
maternel n’est rien d’autre que du sang menstruel blanchi. En cas de mon-
tée de lait avant la naissance, on parlera de sympathie ou de correspon-
dance entre la matrice et la mamelle, correspondance bien imagée par les
médecins physiologistes qui pensent que la « fièvre de lait » n’est qu’une

3. H. Parat-Torrieri, « L’impossible partage. La fougue du lait et les figures imaginaires de l’allaitement


maternel, dans le discours médical (XVIe-XIXe siècle) », Nouvelle revue de psychanalyse, « Les mères »,
1992, p. 23-47.

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Le sacro-sein

suite normale de l’accouchement, seul le reflux


du lait de la matrice aux mamelles 4 est respon-
sable de cet état fébrile qui peut s’aggraver en
raison d’un épanchement dans le péritoine, ce
qui réalise un tableau gravissime d’apoplexie lai-
teuse, dénommée aussi « folie du lait 5 ».
Certains saints puniront le manque de respect à l’égard de la femme :
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« On dit qu’une fois, il y avait un homme qui ne croyait jamais à rien et
se gaussait des femmes qui allaient à Saint-Mamant. Un jour cet homme
dit en se moquant : “Je veux aller chez le saint pour qu’il me donne du
lait.” Et ainsi, marchant et marchant, il arrive au pied du sanctuaire et là,
prie le saint pour qu’il lui fasse la grâce. Le lait lui vint vraiment et quand
il arriva chez lui, il dut aller chercher des femmes pour qu’elles lui don-
nent un petit enfant. Il était tout honteux 6. »
En dehors de l’hagiographie, la littérature a elle aussi désacralisé la
fonction de la mère nourricière. En 1916 Guillaume Apollinaire écrit un
drame surréaliste qu’il intitule Les mamelles de Tirésias – rappelons que
le devin Tirésias a été femme pendant une période de sa vie et ensuite
homme –, qui sera fort critiqué lors de sa première présentation le 24 juin
1917. Il faudra attendre l’année 1947 pour que Francis Poulenc compose
un opéra-bouffe à partir du texte initial qui voulait traiter du problème de
la repopulation. On se trouve en présence d’une suite de gags plus ou
moins réussis, qui n’illustrent que faiblement le dessein initial du poète :
exhorter les Français à faire des enfants.
On pourrait aussi qualifier de volonté de désacralisation toutes les
dénominations populaires : téton, doudoune, lolo, néné, nichon, pare-
chocs, airbags, roberts, roploplos, il y a du monde à l’avant-scène, au bal-
con, à l’étalage, œufs sur le plat, en calebasse, en gant de toilette, planche
à pain, etc.

4. Le mot « mamelle » ne désigne que la fonction nourricière du sein, il gomme toute la valeur éro-
tique de cet organe.
5. Hippocrate est le premier à avoir décrit les troubles psychiatriques liés à la périnatalité, mais il fau-
dra attendre le début du XIXe siècle pour qu’une conceptualisation de la psychiatrie périobstétricale
s’ébauche. Esquirol décrit en 1818 les états d’agitation physique et psychique postpuerpéraux. En
1858 Marcé écrit sa thèse : « Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des
nourrices. »
6. R. Lionetti, Le lait du père, Paris, éditions Imago, 1988.

83
Spirale n° 40

On y voit une volonté de rabaisser l’organe féminin dont l’homme est


privé et de rétablir une certaine familiarité : un tutoiement et un pluriel 7.
Mais finalement on restitue sans le vouloir un érotisme vulgaire et donc
on restitue de façon imagée le pouvoir attractif du sein. N’est-ce pas fina-
lement une autre forme de sacralisation lui rendant de manière imagée et
physique sa valeur érotique et son pouvoir attractif ?

Sacralisation scientifique
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La médecine est fondatrice d’une religion qui fait prévaloir par des obli-
gations et interdits l’instance sacrée définie par elle-même : Dignus intrare
in docto nostra corporé 8.
La médecine est le Savoir : « Elle ordonne, prescrit, certifie, expertise,
promet, menace 9. »
Dans les années 1950, on attribuait au lait de femme un rôle indispen-
sable au bon développement du système nerveux du bébé. Ce principe
dénommé « neurophylactique » n’était pas retrouvé à l’analyse chimique
et disparaissait au chauffage et même à l’air libre. Il fallait en somme que
le lait maternel passe directement du sein de la mère à la bouche du bébé.
On voit qu’à l’époque on ignorait tout du rôle eutrophique des interac-
tions précoces mère-bébé. Désormais, au contraire, la sacralisation de ces
relations précoces peut être utilisée pour sceller l’impératif de l’allaite-
ment maternel.
La référence aux vertus médicinales du lait se constate dans les
légendes des peuples à toutes les époques.
Le lait prend ainsi place dans la composition de médications. Pour
Hippocrate, « Le lait d’une femme qui vient de mettre un enfant mâle au
monde guérit du coryza mais aussi des ophtalmies » ; ces notions sont
encore ancrées dans certaines sociétés traditionnelles : « Le lait peut
servir aussi de médicament, par exemple si notre œil nous brûle ou nous

7. Le pluriel du mot « sein » n’est attesté qu’au XIXe siècle.


8. Molière, le ballet du Malade imaginaire.
9. F. Laplantine, Anthropologie de la maladie, Paris, Payot, 1992.

84
Le sacro-sein Le lait humain,
considéré comme la
nourriture naturelle des
nouveau-nés, est le bien
précieux de l’homme à
tous les âges.
pique, l’on peut y mettre des gouttes de lait »
(dessin de Nordine, 12 ans, enfant originaire
d’Algérie).
En Égypte, le lait médicament se verse dans de
petits récipients magico-pharmaceutiques en forme de femme accroupie
tenant dans ses bras un nouveau-né tout nu.
Le lait humain, considéré, de toute évidence, comme la nourriture natu-
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relle des nouveau-nés, est le bien précieux de l’homme à tous les âges.
B. Martin, apothicaire, édite en 1684 un traité de l’usage du lait. Les
laits dont la médecine fait usage sont ceux de la femme mais aussi ceux
de la vache, de la chèvre, de l’ânesse et de la brebis.
Le plus noble et le plus vertueux dans son pouvoir curatif est le lait de
femme, « … tempéré en toutes ses parties, destiné de tout temps à notre
nourriture, il atteint donc la perfection. Plus nourrissant que les autres,
engraissant davantage et réjouissant le cerveau, il est également bon pour
l’estomac et, mêlé à de l’eau de pavot, merveilleux pour les rougeurs et
les fluxions oculaires. Toutefois il doit être blanc, ni trop épais ni trop
liquide, et d’une odeur agréable. S’il n’en est pas ainsi, la nourrice n’est
pas saine ». Les malades qui useront du lait de femme doivent choisir leur
nourrice. « Si certaines nourrices fournissent jusqu’à une pinte (930 milli-
litres) par jour, il sera prudent d’en avoir plusieurs à la disposition des per-
sonnes âgées. » Le duc d’Albe, vieux et mal en point, avait deux nourrices
dont « il suçait le lait matin et soir 10. »
L’allaitement de la personne faible ou âgée persiste au XXe siècle. John
Steinbeck, dans Les raisins de la colère (1939), décrit ce moment émou-
vant où Rose de Saron, encore très bouleversée par le décès de l’enfant
qu’elle vient de mettre au monde, accepte de donner son sein à un
homme mourant de faim.
Dans la littérature, de nombreux exemples sont rapportés. La façon de
le pratiquer est commune à tous ces allaitements : pour que le lait garde
son pouvoir de remède, il doit être directement bu au sein.

10. D. Gros, Le sein dévoilé. Un monde à lui tout seul, chap. 9, Paris, Éditions Marabout, 1987,
p. 118.

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Spirale n° 40

Cet allaitement d’un adulte n’est pas toujours réservé aux hommes.
Selon l’origine géographique des récits, il peut se pratiquer en faveur
d’une autre femme, c’est ainsi qu’une femme d’honneur chinoise pro-
longe la vie de sa belle-mère en lui donnant son sein pendant plusieurs
années.

Liens sacrés de la filiation par le lait 11


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Dans presque tous les musées d’Europe on trouve un tableau représen-
tant la geôle d’une prison austère avec un vieillard, Cimon, attaché par
des chaînes. Une jeune femme l’allaite, les gardiens s’étonnent du main-
tien du bon état physique de Cimon. Péra, sa fille, a trouvé ce subterfuge
pour sauver son père.
Cette légende de Cimon et Péra, intitulée La charité romaine, pose le
problème de filiation dans l’allaitement mais aussi les formes particulières
de l’inceste. Péra en allaitant son père devient sa mère et Cimon le fils de
sa fille. Donner son lait équivaut à donner son sang : le lait, substance
autre qu’un simple aliment, intervient dans le processus de filiation. Le
langage populaire parle de « frères et de sœurs de lait ». Saint Bernard,
nourri par la Vierge Marie, devient le frère de lait du Christ. Cette légende
médiévale « … illustre la fonction phallique du sein. Saint Bernard, fon-
dateur de l’abbaye de Clairvaux, avait toujours eu un culte particulier
pour la Vierge Marie. Un jour que l’abbé priait, la Mère de Dieu lui appa-
rut avec son vénérable fils qu’elle allaitait. Pour récompenser son zélé
serviteur, elle pressa son sein et dirigea un jet de lait sur ses lèvres. Le lait
féconda la bouche de saint Bernard. Il devint apôtre éloquent et l’une des
belles intelligences du XIIe siècle 12 ».
Les éjaculations lactées et phalliques sont associées : le lait, tout
comme la semence masculine, transmet un patrimoine héréditaire.
Dans presque toutes les cultures, le fait pour un homme et une femme
d’avoir été allaités par la même femme crée un lien qui institue le tabou

11. On ne cite jamais, quand on rapporte l’histoire d’Œdipe, qu’il a été dans ses premières heures de
vie allaité par Jocaste sans nul inceste.
12. D. Gros, Le sein dévoilé, op. cit., chap. 8, p. 108.

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Le sacro-sein « Frère et sœur de
lait » est donc une
expression qui
instaure le sacré pour
soutenir l’interdit de
l’inceste.
de l’inceste au même titre, et parfois même de
façon plus rigoureuse, que le lien établi par une
commune procréation biologique. « Frère et
sœur de lait » est donc une expression qui ins-
taure le sacré pour soutenir l’interdit de l’inceste.
Désormais, dans notre civilisation occidentale le recours à la nourrice
mercenaire n’existe plus. Cependant la situation de coallaitement, bien
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qu’exceptionnelle, existe. Parfois il est évoqué par deux femmes de rela-
tion très proche. Pour certaines cela est vécu comme un inceste, pour
d’autres comme l’intimité la plus sacrée d’une relation homosexuelle.
Cette parenté par le lait continue d’exister dans certains pays musul-
mans. « Le droit d’État actuel (en Algérie et au Maroc), comme les anciens
droits coutumiers, comme encore la loi religieuse exprimée dans le
Coran, interdisent le mariage entres frères et sœurs de lait, considéré
comme incestueux 13. »
Tout en étendant son système de santé publique et en permettant à
la population féminine d’accéder à la scolarisation, l’Iran met en place
« […] le vaste appareil d’interdictions matrimoniales dérivées de l’allaite-
ment, que reformulera à l’aube de la révolution islamique l’ayatollah
Ruhollah Khomeyni 14. »
Connaître cette filiation particulière permet de comprendre certaines
conduites auxquelles nous pouvons être confrontés. Pendant la période
d’hospitalisation d’un enfant dans une unité de néonatologie, le don du
lait au lactarium est parfois refusé. Ce refus n’est pas un signe de déta-
chement de l’enfant, mais simplement un respect et une contrainte de la
tradition. L’interdit par la loi est renforcé par l’interdit sacré. Tout ce qui
est prohibé s’attache à une crainte superstitieuse. La transgression de l’in-
terdit peut occasionner un châtiment surnaturel et donc une menace pour
le bébé.

13. C. Lacoste-Dujardin, « La filiation par le lait au Maghreb », L’autre, cliniques, cultures et socié-
tés, Revue transculturelle, n° 1, Dossier sous la direction de Marie-Rose Moro et Taïeb Ferradji :
« Nourritures d’enfance », Éditions La pensée sauvage, 2000, p. 69-76.
14. E. Conte, « Énigmes persanes, traditions arabes. Les interdictions matrimoniales dérivées de l’al-
laitement, selon l’ayatollah Khomeyni », dans J.-L. Jamard, E. Terray, M. Xanthakou (sous la direction
de), En substances. Textes pour Françoise Héritier, Paris, Fayard, p. 157-181.

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Spirale n° 40

De nombreuses mères adoptantes, qui ont donc été privées des pre-
mières relations avec leur enfant, font le simulacre de mettre leur bébé au
sein pour vivre les émois précoces de cet allaitement virtuel. Certaines, à
qui des procédés adéquats ont été conseillés, parviennent à susciter une
montée de lait et établissent ainsi une « réelle » filiation.

Sacrifice
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La pratique clinique de groupes de mères dans la période postnatale
permet des notations fines comme celle-ci : à l’instant même où débute
l’allaitement au sein, la mère, même comblée, pense à l’inévitable
sevrage qui en sonnera la fin. Il y a donc dès les premières tétées l’émer-
gence d’un sacrifice sacré qui marquera la fin de l’intimité corporelle
mère-fœtus mère-bébé, qu’elle ne retrouvera plus jamais : c’est tout le
« Kleinisme » qui s’y retrouve.

Le rêve sacré
Isakower (1938) et Levine 15 (1942) ont développé la notion « d’écran
du rêve », c’est-à-dire le fond sur lequel se projettent les scènes du rêveur.
Ils ont ensuite indiqué que cet écran du rêve est une persistance de ce
que, bébé, il voyait en tétant le sein maternel. Spitz fait à ce propos une
remarque. Pendant la tétée le bébé ne voit pas le sein car il a le visage
enfoui dans celui-ci. Nos études récentes, notamment celles de Régine
Ganot 16 (2005-2006), démontrent que le nouveau-né a une acuité
visuelle très réduite et dispose d’un champ visuel très restreint. Certes à la
naissance, et même avant celle-ci, la maturation de ses cellules réti-
niennes est presque achevée, mais il n’a pas la capacité d’interpréter et de
donner un sens aux images très floues qu’il perçoit. La zone occipitale du
cerveau où se situera sa gnosie visuelle (c’est-à-dire sa reconnaissance des
formes) n’est pas mature et il manque aussi au bébé inexpérimenté tout

15. Cités par René A. Spitz, De la naissance à la parole. La première année de la vie, Paris, PUF, 1965,
p. 57-62.
16. Infirmière orthoptiste, Centre de rééducation pour déficients visuels (CRDV), 63 Clermont-Ferrand.

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Le sacro-sein « Le bébé sélectionne
les signaux qu’il
envoie en fonction des
récompenses qu’ils lui
l’apprentissage nécessaire au perfectionnement rapportent. »
de cette fonction. Depuis quelques années beau- Spitz
coup de clichés « poétiques » ont été décrits à
propos de l’image touchante du nouveau-né
découvrant le visage de sa mère. Ne s’agit-il pas
là d’une projection de l’adulte ?
Au regard des différents travaux des chercheurs il est plus logique désor-
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mais de décrire un développement neurologique et un investissement pro-
gressif de la vision, et pour ce que nous venons de décrire une émergence
progressive de la tache floue et la précision de sa netteté.
Dans toutes les réponses du bébé, Spitz se situe toujours dans une pers-
pective cybernétique, c’est-à-dire interactive. Le bébé sélectionne les
signaux qu’il envoie en fonction des « récompenses qu’ils lui rapportent ».
Ce vécu crée les premières étapes de l’interaction affective et la mise en
place de l’intersubjectivité.
Dans l’allaitement maternel les perceptions du bébé sont syncrétiques,
c’est-à-dire mélangées en même temps : les sensations de contact qu’il
sent sur sa peau, la qualité du holding et du handling, ses lèvres sur le
mamelon, le lait dans sa bouche avec une sensation de déglutition pha-
ryngée, la prosodie de la voix maternelle, la perception des différentes
odeurs de la peau du mamelon, du lait, etc. Les prémices du visage mater-
nel sont indissociables de toute cette sensorialité qui contient le visage
maternel. Mais dès ce moment la vision est privilégiée. En effet cette tache
floue qui constitue le visage maternel, cernée par la masse sombre des che-
veux, et qui est à la bonne distance, varie : mouvements des paupières, des
lèvres (repris dans le masque artificiel qui constitue le leurre inventé par
Spitz). Cette fine motricité stimule et excite la curiosité du bébé, c’est la
première perception à distance. Cette image réalise la « Gestalt » primitive.
Celle-ci est-elle innée, constituée très tôt ou progressivement ? Pour Spitz
cette toute première interaction, sa complexification et son aboutissement
constituent le « premier organisateur » qui structure les bases de la pre-
mière relation sociale : l’échange de sourires mère-bébé.
Le sein constitue une situation globale dès les premiers jours. Il n’est pas
étonnant que l’adulte qui la regarde et qui la revit la « sacralise ».
L’expression « sacro-sein » résume donc bien ce que nous venons de
décrire.

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Spirale n° 40

La sacro-sainte vocation
Au cours de l’allaitement maternel le professionnel agit, dit, impose,
suscite, tout cela sur un plan pragmatique (discours opératoires très codi-
fiés et recours à une technique très ritualisée) et sur un plan initiatique
(impact des croyances du professionnel sur la personnalité de la mère).
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Cela nous amène donc à parler de la vocation de ceux qui s’occupent de

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la maternité et de la périnatalité anté et postnatale. Pour quelles raisons
conscientes et inconscientes le professionnel s’est-il dirigé vers cette pro-
fession ? Est-ce pour imiter sa mère, s’identifier à elle ? Est-ce pour trou-
ver enfin les personnages de son roman familial ? Est-ce pour retrouver
son vécu de petit garçon ou de petite fille ? Est-ce pour vivre enfin le
contraire de ce qu’il a vécu ? Est-ce pour réparer son petit frère ou sa petite
sœur malades ? Est-ce pour apaiser la culpabilité qu’il a d’avoir souhaité
la maladie pour son petit frère ou sa petite sœur que sa mère a ramené de
la clinique ? Est-ce pour se rapprocher des mystères de la grossesse, de la
fécondation ? Est-ce pour s’occuper d’enfants sans en faire soi-même ? Est-
ce enfin pour rencontrer l’enfant imaginaire idéal ?
Tout cela, qui est bien entendu normal et général, va s’organiser, se
structurer de différentes manières, selon chacun mais selon deux modes :
– les sublimations, c’est-à-dire l’utilisation de toutes ses énergies en les
transformant pour accéder à des buts sociaux valorisants, reconnus
comme supérieurs par tout le monde. Dans ce cas, cette énergie passe à
un niveau supérieur et permet des actions valorisées et un certain
altruisme ;
– les formations réactionnelles, qui sont des aménagements de moins
bonne qualité, qui visent surtout à maintenir l’inquiétude, la culpabilité,
les tensions. Elles sont donc faites pour un but personnel et non social ou
à l’intention d’autrui.
Ce serait idéal si nos vocations, et plus tard nos actions, étaient toutes
d’ordre sublimatoire. Mais en fait, chez chacun de nous, les processus
selon les formations réactionnelles remplissent plus ou moins notre per-
sonnalité.

90
Le sacro-sein

Le professionnel est évidemment situé dans la


même problématique et il sera d’autant plus
contraint à prendre certaines positions qu’il doit
tenir compte de ses formations réactionnelles.
La formation de puéricultrice n’est pas aussi simple que pourraient l’in-
diquer les circulaires. Certes, il faut que soit enseignée à la puéricultrice
toute la technicité du métier, et c’est son rôle primordial, et elle se doit de
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bien la maîtriser. Il faut qu’elle connaisse aussi la vie affective des bébés,
c’est désormais dans tous les programmes, mais voilà que depuis
quelques années on lui demande de nouvelles compétences :
– savoir s’identifier au vécu de la mère. Certaines puéricultrices se sont
dirigées vers la technique, et uniquement la technique, pour ne plus avoir
à faire ce travail d’identification ;
– enfin, sans exiger que toutes les puéricultrices s’allongent sur « le
divan » du psychanalyste, on demande à celles-ci de voir plus clair dans
leurs motivations, dans leurs décisions, de ne plus croire qu’elles sont
rationnelles et logiques. Bref, on leur demande, comme on dit désormais,
« d’étalonner leur contre-transfert », de percevoir au moins certaines rai-
sons de l’origine de leur comportement : par exemple de comprendre que
l’inconscient des mères perçoit finalement l’inconscient du professionnel.
Certains professionnels seront naturellement plus doués pour cela que
d’autres, certains l’apprendront à cause des vicissitudes qu’ils auront tra-
versées, c’est-à-dire de leur expérience, de leur vie. Ils deviendront
experts en empathie dans des conseils non imposés, d’autres resteront
moins souples, moins aptes à cette identification. Plutôt que de les
contraindre, ne vaut-il pas mieux les dispenser de cet exercice qui risque
de les fragiliser et qui finalement est peu efficace auprès des mères ?
Admettre que l’accompagnement de l’allaitement au sein peut passion-
ner, rebuter, voire exaspérer, implique des investissements inconscients,
des valeurs qu’il est nécessaire de prendre en compte pour une prise en
charge objective du désir ou du non-désir d’allaiter, mais cette tâche est
parfois émotionnellement difficile.

91
Spirale n° 40

Conclusion
La valeur sacrée du sein maternel est prévalente dans toute l’histoire de
l’humanité, elle s’attache sans doute à la fonction essentielle de cet
organe et de sa sécrétion dans la survie de la race humaine. L’histoire et
la mythologie ont également évoqué l’érotisme qui s’attache aussi à cet
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organe. Érotisme valorisé dans certaines cultures et à certaines époques,

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dénié, masqué et culpabilisé à d’autres. Il est intéressant d’étudier ce qu’il
en est désormais dans notre culture actuelle occidentale. L’étude de l’al-
laitement maternel doit alors intégrer une interrelation de toutes les disci-
plines des sciences humaines. L’approche de ces différents champs de
réflexion nous livre les croyances insolites, les fantasmes, les discours qui
permettent de mieux comprendre, de mieux orienter nos recherches et
nos réflexions actuelles.
Ces modes de compréhension éclairent les difficultés vécues par les
professionnels de la puériculture. Eux aussi ont un rôle « sacré » que tous
ne peuvent pas investir.

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