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Théorie et pratique
Cours de l'ENS-Ulm 1975-1976
Galilée
Jacques Derrida a tenu ce séminaire sur le rapport entre théorie et
pratique à !'�cole normale supérieure où il enseignait dans les années
1970. I.:intérêt philosophique e t historique des neuf séances du sémi
naire réside dans la discussion serrée de Marx, et notamment de la
fameuse onzième« Thèse sur Feuerbach », ainsi que dans l'analyse des
écrits d'Althusser. Jusqu'à présent, on a pu croire que, à l'exception de
quelques allusions, Derrida n'avait commencé à traiter de Marx de
façon systématique et approfondie qu'au début des années 1990, quand
il publia Spectres de Mm·x. Or, ce séminaire, qui date de 1975-1976,
montre qu'il n'en est rien.
<< Faut le faire>> : Derrida se sert de cette phrase idiomatique comme
fil conducteur de son séminaire. Il exploite toutes les ressources qu'elle
lui offre pour parler du rapport entre théorie et pratique. Ainsi, i l dis
tingue entre deux« accentuations» différentes de l'idiome : d'une part,
<< faut le faire » signale la nécessité de la pratique, le passage du contem
pler et du dire à l'agir et au faire, mais d'autre part,« faut le faire» peut
aussi renvoyer à une détermination pratico-révolutionnaire plutôt qu'à
une détermination théorique de la praxis, comme si, afin d'être révolu
tionnaire, la praxis devait déjouer l'opposition entre théorie et pratique,
et se déterminer à partir d'elle-même.
Théorie et pratique
Cours de l'ENs-Ulm 1975-1976
Édition établie
par Alexander Garda Düttmann
xa.'X.
x-i
Éditions Galilée
Note du responsable
de la publication
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1héorie etpratique
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Note du responsable de la publication
1. Fit 12 du tapuscrit.
2. Voir infra, p. 25-26.
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Théorie et pratique
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7hlorir rt pratiq�
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Premiére séance
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1hiorit: et pratiqut:
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Premiêrt séanct
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Théorie et pratique
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Premièrt stanu
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Théorit ttpratiqut
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Premiere séance
Nous aurons, pour notre part, dans un style qui n'est peut-être
pas celui des problématiques marxistes courantes, à interroger
autrement le statut de cet énoncé et à l'accentuer, à l'accentuer de
plusieurs manières, à analyser notamment le« es kommtdaraufan »,
difficile à traduire, le« ce qui importe» ne retenant qu'une portée
de la locution, même si cette portée est précisément importante. Et
encore faut-il bien comprendre ce que« important» veut dire, bien
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Théorie et pratique
comprendre le« faut le faire» qui s'y implique (s'agit-il de nécessité ?),
mais comment comprendre un« faut le faire » ou un« faudrait le
faire»- quel est ce type d'énoncé, comment le comprendre, en
analysant l'énoncé, en lui cherchant un sens ou un référent (mais
par définition il n'en a pas encore) ou en le« faisant», etc.?
Ce qui est remarquable, en tout cas, c'est que malgré son
caractère aphoristique de médaille frappée, la Onzième Thèse ne
se détermine que dans un vaste contexte ; et il est difficile de
manquer le fait que dans son contexte le plus immédiat, à savoir
les dix thèses précédentes -1 n'oublions pas que ce sont des thèses
mais ne nous pressons pas de comprendre ce que thèse veut dire
ici, pour deux raisons d'ordre différent: 1. peut-être que le carac
tère thétique de ces thèses (thèse philosophie, ni littéraire, ni
=
1. Cincise qui s'ouvre ici ne se termine que beaucoup plus loin, après « il
constitue la pierre d'angle de ces onze thèses ,,, mais la phrase ne trouvera sa
véritable fin que dans la dernière phrase du paragraphe.
2. « Chumanisme-réel o u socialiste ( ...) peut servir de mot d'ordrepratique,
idéoblgique, dans la mesure même où il est exactement adapté à sa fonction, et
non confondu avec une tout autre fonction ; qu'il ne peut en aucune manière
se prévaloir des attributs d'un concept théorique. » (Louis Althusser, Pour Marx,
Paris, Maspero, 1965, p. 258.) lei, hypothèse de reconstruction d'un ajout
manuscrit difficile à déchiffrer.
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Premiére séance
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Théotie et pratique
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Prmzièr� slanct
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Jhéorie etpratique
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Prnniërt slanu
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Théorie etpratique
Et Marx poursuit :
Ainsi, une fois qu'on a découvert par exemple que la fam ille
terrestre est le secret de la sainte famille, c'est la première qu'il faut
alors réduire à néant, théoriquement et pratiquement (mufl nun
erstere sefbst theoretisch undpraktisch vernichtet werdenY.
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Prmziére stance
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7hiom etpratique
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Prmziére séance
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Ihtorit ttpratique
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Premürt stance
1 . On verra plu� loin qu'il s'agit de� textes suivants : Martin Heidegger,
" La question de la technique » et • Science et méditation •· dans EssaiJ et
confirmees, tr. fr. A. Préau, Paris, Gallimard 1958 ; id., Lmre sur l'humanisme,
tr. fr. R. Munier, éd. bilingue, Paris, Aubier, 1964.
Deuxième séance1
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1héorit ttpratique
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Deuxième sance
é
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Théorie etpratique
« faut le faire » qui faisait porter l'accent sur le« faire » (qu'est-ce qu'il
faut ? le faire), nous étions en train d'explorer l'une des deux possi
bilités problématiques, celle que j'avais intitulée généalogie sémanti
co-philosophique. A l'intérieur de cette problématique philosophique,
j'avais tenté de justifier mon point de départ dans une conceptualité
marxiste, dans la forme actuelle du matérialisme dialectique. J'avais
proposé deux points de repère qui avaient en commun la référence aux
énoncés ou aux événements textuels énigmatiques intitulés « Thèses
sur Feuerbach », dont nous nous sommes demandé comment il
faudrait les interpréter ou les transformer. Le premier repère était la
critique de l'interprétation de Croce par Gramsci et l'affirmation par
celui-ci (j'entends l'affirmation pratique, comme optatif politique,
prise de position politico-philosophique) d'une philosophie marxiste
de la praxis. Le deuxième repère annoncé, j'y venais, èétait le trajet
non ponctuel d'Althusser. J'avais expliqué pourquoi il s'agissait d'un
« trajet>>, et que nous y analyserions surtout ce qui paraissait pertinent
à notre problématique, c'est-à-dire: 1. le rapport à l'événement de la
Onzième rThèse ; 2. l'investissement du couple« théorie/pratique ,,
comme motif philosophique majeur ou de dernière instance ; 3. la
question du bord philosophique et de savoir si le matérialisme
dialectique est ou non, et en quoi, une philosophie ou une pratique
philosophique.
Le texte d'Althusser intitulé « Sur la dialectique matérialiste »
(1963, repris dans Pour Marx dans la collection « Théorie ») porte
en exergue l'extrait suivant de la Huitième Thèse sur Feuerbach:
« Tous les mystères qui poussent la théorie au mysticisme trouvent
leur solution rationnelle dans la praxis humaine et dans l'intelli
gence de cette praxis1 >>. Lallemand dit:
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Deuxibn� stanct
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Thiorit ttpratiq�«
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Deuxième séance
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1hlorie etpratique
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Deuxième séance
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7héorie etpratique
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Deuxième séance
« durer >>, « rester tranquille >>, « perdurer >>, « s'arrêter >>, << se tenir
là >>, comme dans le vers de Goethe cité par Heidegger : « Die Fiedel
stockt, der Tiinzer weilt ["Le violon se tait, le danseur s'arrête", il
hésite, suspend son mouvement et s'arrête] ». À partir de quoi
Heidegger fait remarquer que « weilen >> (« demeurer >>, « durer >>,
« perdurer >> : wdhren, immerwdhren) est l'ancien sens du mot
« être ,, en allemand, si bien -j'abrège beaucoup, mais c'est seule
ment pour situer des directions problématiques - que le « weil »
nomme l'être comme fond2, puis le fond sans fond, l'être qui ne
procure le fond qu'à être lui-même sans fond, sans raison, etc.
Si nous revenons ici à Kant, et à 1'élucidation de cette raison
en général, à la fois théorique et pratique, donc en elle-même
pré-théorico-pratique, de cette raison dont l'unité théorico-pra
tique se manifeste mieux à travers cette forme d'intérêt nommée
« espoir >> (et vous voyez bien que l'espoir comme forme privilégiée
de la ma-raison en général et théorico-pratique, dans son intérêt
fondamental, ne désigne plus ici quelque vague pathos, affect ou
sensiblerie) ; si donc nous revenons à Kant et à l'élucidation de
cette raison dans son originarité pré-théorico-pratique telle qu'elle
se manifeste dans l'espoir ou plutôt dans la question « que m'est-il
permis d'espérer ? >>, eh bien, le « weil », ce qu'on traduit par
« par >> (« par-ce-que >>), en supporte bien le trajet, le parcours,
même, ne désire être vue. » Cité dans M. Heidegger, Le Principe de raison, tr. fr.
A.Préau, Paris, Gallimard, 1962, p. 1 03.)
1 . Ibid., p. 207 (Le Principe de raison, op. cit., p. 265) .
2. Cf M. Heidegger, Le Principe de raison, op. cit., p. 266.
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Théorie etpratique
que quelque chose est (sei) qui agit comme cause suprême (oberste
Ursache) parce que (weil) quelque chose arrive1•
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Deuxième sance
é
syntagme fixé mais articulé qui tantôt rapporte à l'avenir de l' événe
ment, tantôt au présent de l'événement, et qui donc est la raison, le
rapport de la raison à ce qui vient, à ce qui arrive en général, que ce
soit au présent ou à l'avenir. Non seulement le rapport de la raison,
mais le rapport de ma raison, l'intérêt de la ma-raison à ce qui vient,
et qui dès lors n'est plus un venir neutre au sens d'un venir abso
lument impersonnel ; c'est un venir au sens de ce qui, venant à la
ma-raison, est aussi interpellé par moi, par un moi non empirique,
le moi de la ma-raison qui doit quelque part dire « viens » à ce qui
vient ainsi, donnant lieu ici au savoir, là à l'espoir.
Naturellement, cet aiguillage du « par », son unité double, par
où passe toujours l'intérêt théorique et/ou pratique de ma-raison,
on le perçoit d'autant moins dans la traduction française, ou on en
perçoit d'autant moins l'unité aiguillante, que « weil>> y est traduit
une fois par << puisque », l'autre fois par << parce que >>.
<< Par >> est un de ces petits mots à travers lesquels, par lesquels
qui se passe ou ne se passe pas dans le partage de ces << par >>. Vous
vous rappelez peut-être - enfin, ceux qui étaient là l'an dernier se
rappellent -, tout ce qui s'était croisé dans le poème de Ponge :
1 . Francis Ponge, << Fable », Proêmes, dans Tome premier, Paris, Gallimard,
1965, p. 144.
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1héorie etpratique
etc.). Toutes les valeurs de « par >>, « per », « trans >>, « tra », nous les
retrouverons dans tous les motifs sémantiques indissociablement
liés par la modernité à la pratique, et notamment à la « trans-for
mation » ou, à travers des relais lexicologiques compliqués, au
« travail » (tripalium, torture : passivité, souffrance) , où chaque
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Deuxième séance
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Théorie etpratique
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Deuxième séance
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7héorie etpratique
c'est tout ce que je peux faire pour l'instant, deux textes de Kant,
deux autres textes de Kant1•
Au deuxième livre de la « Dialectique transcendantale », dans
la section du deuxième chapitre intitulée « De l'intérêt de la raison
dans son conflit avec elle-même », se trouvent un certain passage,
une certaine argumentation, dont il est peut-être signifiant de
les rapprocher de la Huitième Thèse sur Feuerbach, et cela et du
point de vue du concept, du discours conceptuel, et du point de
vue de la rhétorique, voire de la métaphorique. Il s'agit donc dans
ce chapitre de l'intérêt, encore, de la raison, mais du point de
vue des conflits qui l'opposent à elle-même. Je suppose connue
la dialectique transcendantale. Il s'agit d'une explication fonda
mentale, ici, sur l'origine de ce conflit. Ce conflit est malheureux,
dit Kant, du moins malheureux pour la spéculation, même s'il
est heureux pour la destination pratique de l'homme. Je ne peux
pas refaire tout le trajet complexe de ce chapitre qui considère
tour à tour le dogmatisme du côté de la thèse et l'empirisme du
côté de l'antithèse, et les considère tour à tour du point de vue
de l'intérêt pratique et de l'intérêt spéculatif ; puis Kant étudie
l'opposition entre épicurisme et platonisme. Je reprends donc les
choses aux deux derniers paragraphes, quand Kant affirme que
la raison humaine est, de sa nature, « architectonique2 » ; ce qui
veut dire que la préoccupation du système y est majeure. La raison
considère toute connaissance comme appartenant à un système
possible. Or les propositions de l'antithèse, dans chaque anti
nomie, ont pour effet de rendre l'architectonique, c'est-à-dire la
systématicité, impossible ; l'antithèse est ce qui pose qu'au-dessus
de l'état du monde, il y en a un encore plus originaire, plus ancien,
dans chaque partie, les parties étant à leur tour divisibles : avant
chaque événement il y en aurait un autre, sans qu'on puisse jamais
rencontrer d'« inconditionné » (Unbedingtes} ou de commence-
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Deuximu sianct
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7htorü �tpratiqr«
Mais s'il venait [un cel homme] à la pratique [« zum Tun und
Handeln » : faire, traiter, manipuler, et agir, passer à l'action] , ce
Après quoi, Kant précise que ce n'est pas une raison pour
renoncer aussitôt à l'exercice de la raison pure spéculative, un
tel exercice et le temps consacré à cet examen de la raison pure
spéculative, à ses thèses et antithèses, convenant à un être réfléchi
et inquiet de recherche. De plus, il est bon qu'on puisse librement,
sans menace, développer des thèses et antithèses et les soutenir en
présence de jurés de même rang, c'est-à-dire de faibles hommes
(démocratie, etc.). Pas plus que Marx, Kant ne veut ici disqualifier
le spéculatif, au moment même où il dit que la pratique en fait
s'évanouir les nuages mystiques ou visionnaires, l'onirisme. Quelle
que soit la différence du contenu conceptuel entre le concept de
cive s'évanouirait comme les fantômes d'un rêve, et il choisirait ses principes
seulement d'après l'intérêt prJtique. » (Ibid., p. 364 sq.)
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Dtuxième séanct
1 . Bien que J. Derrida répète par deux fois qu'il parlera de la préface et de:
l'introduction, c'est seulement de l'introduction qu'il s'agit par la suite.
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7héorit ttpratique
(tjfectus). » (I. Kant, Critique du jugement, tr. fr. A Philolenko, Paris, Vrin,
1968, p. 134.)
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Deuxième séance
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7héorit ttpratiq�
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Deuxième séance
gén éral qui nous a occupés ces deux heures. Cette pratique n'est
pas si délirante, d'ailleurs, et c' est aussi ce que je voudrais donner
à penser ici. Vous vous rappelez le recours que nous y avons eu
l'an dernier à propos du sexe et de la question « qu'est-ce q ue
c'est ? » dans le séminaire La vie la mort1• Voici pour aujourd'hui,
ce sera le dernier mot (je vous renvoie auparavant à un livre qui
vient de paraître, La Tour de Babil, de Michel Pierssens, qui dans
un chapitre sur Brisset analyse ce qu'il croit pouvoir déterminer
comme le phallogocentrisme qui perce à travers le délire philolo
gico-étymologique de Brisset2) :
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Théorie etpratique
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Troisième séance
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lhéorie etpratique
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Troisième séance
1 . Ibid., p. 1 8 sq.
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Théorie etpratique
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Troisitme séance
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Théorie etpratique
l. L. Althusser, « Aujourd'hui >>, Pour Marx, op. cit., p. 17. Ici, hypothèse
de reconstruction d'un ajout manuscrit difficile à déchiffrer.
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Troisième séance
1 . Ibid., p. 19.
2. Ibid., p. 20.
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7héorie etpratique
1 . L. Althusser, << Aujourd'hui », Pour Marx, op. cit., p. 21. C'est ] Derrida
.
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Troisième séance
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Troisième slance
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lhiom ttpratiqut
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Troisième séance
1 . Ibid., p. 23.
2. Ibid., p. 24.
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7héori� ��pratiqr«
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Troisième séance
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1héorie etpr'lltique
elle-même1 » . Quant à ce cercle qui veut que pour bien lire une
formation théorique comme le texte de Marx, il faille d'abord
hériter de lui une théorie des formations théoriques, un tel cercle,
dit Althusser, est « indispensable » , et c'est le « cercle dialectique »
d'une question posée à l'objet sur sa nature, posée à partir d'une
problématique théorique (anticipation) qui, mettant son objet
à l'épreuve, se met à l'épreuve de son objet (pro-anticipation),
etc. Et ce « cercle dialectique » de l'auto-responsabilité, en tant
que dialectique, est justement ce qui témoigne de la valeur philo
sophique de la démarche, c'est ce qui distingue, par exemple, à
l'intérieur même du marxisme, la science de l'histoire (le maté
rialisme historique) du matérialisme dialectique comme philoso
phie. C'est ce cercle de l'auto-fondation et de l'auto-responsabi
lité qui définit le philosophique comme tel. En ce sens le geste
que propose Althusser est, dans son schéma formel, du moins
- mais le schéma formel est ici celui du prédicat essentiel auquel
on reconnaît qu'une philosophie est une philosophie - celui de la
philosophie parlant d'elle-même et se posant elle-même comme
philosophie. D'une certaine façon Althusser l'assume, le dit mais
tout en disant en somme que le marxisme est une philosophie
qui prétend comme toute philosophie à l'auto-responsabilité (à
rendre compte d'elle-même), il précise qu'elle, la philosophie
marxiste, est la seule ou la première à vraiment affronter cette
épreuve et à l'affronter - voilà la différence spécifique sur laquelle
j'attire votre attention - théoriquement. Autrement dit, le para
doxe au moins apparent, c'est que ce soit le théorique qui fasse
comme tel la différence entre des philosophies traditionnelles et
la philosophie marxiste. Le théorique est donc placé une fois de
plus en position arbitrale - au-dessus en quelque sorte du philoso
phique au moment même où le marxisme se pose en philosophie,
c'est le théorique qui décide en droit si une philosophie est bien
une philosophie et si elle affronte comme elle le doit, c'est-à-dire
théoriquement, l'épreuve de l'auto-responsabilité. Autrement dit,
rendre compte de soi, répondre de soi, pour la philosophie, c'est
un geste, ce doit être un geste en dernière instance théorique,
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Troisième séance
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Théorie etpratique
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Trosième
i séance
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Théorie etpratique
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Quatritme stance
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Théorie etpratique
qui nous intéressent ici. Il écrit, et je cite parce que nous devons
être ici aussi très attentifs à la littéralité de son texte :
Tels sont les protocoles des définitions qui vont suivre. Trois
remarques brèves sur ces protocoles avant d'aborder les défini
tions, trois remarques plus ou moins secondaires selon le déve
loppement qu'on leur donne :
1. L. Althusser, << Sur la dialectique matérialiste », Pour Marx, op. cit., p. 167.
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Quatrième sance
é
avec son idéologie » et que c'est là un cas unique. Cette note des
Éléments d'autocritique, qu'il faudrait étudier de très près et que
je vais me contenter de lire, n'est pas une note autocritique. Elle
vise les philosophes qui ne soupçonnent pas la présence du droit
dans la philosophie même :
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Théorie etpratique
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Quatrimu slanct
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Théorit ttpratiqut
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Quatri�me stanct
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7htorie etpratique
1 . « Nous estimons que l'essence de l'agir est loin d'avoir été suffisamment
précisée. >> (M. Heidegger, Lettre sur l'humanisme, op. cit., p. 27.)
2. Ibid., p. 9 1 .
3. << [. . .] du fair que ni Husserl, ni encore, à ma connaissance, Sartre,
ne consentent à reconnaître que l'historique a son essentialité dans l'Être, la
phénoménologie, comme l'existentialisme, ne peuvent parvenir à cette dimen
sion dans laquelle seul est possible un dialogue fructueux avec le marxisme. »
(Ibid., p. 1 03.)
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Quatrième séance
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Théorie etpratique
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Quatrième séance
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Théorie et pratique
Vient alors la seconde définition. Elle porte sur l'un des niveaux
je ne dirais pas secondaires, ce serait faux, mais de non-dernier,
d'avant-dernier ressort, l'un des niveaux de la pratique sociale. Il
ne s'agit ni de la pratique politique ni de la pratique idéologique.
Althusser ne les définit pas ici, n'en donne pas une définition
proprement dite. Il s'agit de la théorie ou de la pratique théo
rique. Elle implique toujours, on va le voir, de l'idéologique et du
politique, mais elle n'est pas la pratique politique ou la pratique
idéologique qu'Althusser ne définit pas ici, considérant que ce
n'est pas son propos.
Qu'est-ce donc que la théorie ou la pratique théorique ? C'est
une forme spécifique de la pratique sociale, et elle rentre sous la
1 . L. Althusser, " Sur la dialectique matérialiste >>, Pour Marx, op. cit.,
p. 168.
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QU4trième séance
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Théorie etpratique
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Quatrüm� stanct
i ., p. 168 sq.
1. Ib d
2. Ibid., p. 169.
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Quatrième séance
l. Ibd.
i , p. 24.
2. fd., Réponse à john Lewis, op. cil., p. 55 sq.
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7hiori� �tpratiqu�
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Théorie etpratiq�
elle représente ou traduit ici des forces et des luttes qui ne sont
pas en elles-mêmes philosophiques, mais c'esr une philosophie
marxiste, existante ou à venir, qui doit déterminer la place, le site
et les rapports du théorique et du pratique, qui sont en ce sens des
philosophèmes. La nouvelle définition que donne Althusser de la
philosophie à partir de Lénine et la philosophie (« intervention dans
le domaine théorique1 » ou surtout, dans Éléments d'autocritique,
<< la philosophie est, en dernière instance, lutte des classes dans
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Cinquième sance
é
qui font l'histoire - mais les « masses », c'est-à-dire les classes alliées
dans une même lutte des classes1•
l . Ibid., p. 45.
2. Ibid., p. 24.
3. Ibid., p. 33.
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Cinquième séance
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Cinquième séance
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7héorie etpratique
Quel est alors le geste proposé par Heidegger et qu'il appelle ici
« pensée >> ? C'est de nous « libérer » (freimachen) de cette déter
mination « technique >>, de cette interprétation « technique >> de la
pensée qu'il fait remonter à Platon et à Aristote. C'est à l'intérieur
de cette détermination technique - qui se confond avec la méta
physique elle-même - que se produit l'opposition entre théorie et
praxis. En fait, selon lui, c'est parce que les Grecs depuis Platon
et Aristote ont pensé la pensée comme technè, parce qu'ils l'ont
mise au service depraxis etpoiesis, du faire et de l'agir, du produire,
llO
Cinquième séance
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Cinquitmt stanct
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7htorit tt pratiqut
originel er d'emendre ainst l'appel d une vérité plus initiale • (M. Heidegger,
<< La question de la technique •, dan� ibid., p. 38).
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CinquUmt stanct
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Ihéori� ��pratiqt�
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Cinquüme séance
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Sixième séance
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Théorie etpratique
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Sixibne stance
ment par « méditation >>, occupe ici une place qui serait distincte
1 . K. Marx, Le Capital, vol. I, tr. fr. J. Roy, revue par M. Rubel, dans
Œuvres, vol. I, op. cit., p. 728.
2. M. Heidegger, � Science er médication �, dans Essais et confirmees, op.
cit., p. 58.
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lhéorie etpratique
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Sixième séance
(Ibid., p. 54 sq.)
2. «Ergon est ce qui est présent au sens propre, qui est le sens le plus élevé. »
(Ibid., p. 55.)
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Sixième séance
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1héorie etpratique
« nach etwas trachten » : s'avancer vers, sur quelque chose, par son
travail, la poursuivre, l'élaborer, la traquer, lui tendre des pièges.
Nous retrouvons ici tous les traits sémantiques du trait, de la trace
(piste et piège) et de la traque que nous avions repérés, on peut
dire traqués au début de ce séminaire. Et suivre la trace ou le trait,
c'est aussi suivre le bord. La limite d'une bordure est d'un trait.
Alors, la théorie entendue comme Betrachtung serait cette « élabo�
ration du réel » (Bearbeitungdes Wirklichen) où nous retrouvons le
travail et la pratique de part et d'autre de l'énoncé. Est-ce que cela
ne va pas contre l'essence de la théorie en tant que celle-ci devrait
s'abstenir de toucher au réel, de l'élaborer, s'abstenir d'intervenir ?
Qui devrait être, comme on dit, « désintéressée » (zweckfrei) en
tant que science pure ? Or la science moderne comme Betrachten
est bien une « élaboration intervenante, agressive, agrippante »
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Sixième séance
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Septième séance
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Septième séance
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Septitm� stana
1 . " Cette volonté d'être le maître devient d'autant plus insistante que la
technique menace davantage d'échapper au contrôle de l'homme. • (Ibid., loc.
cit.)
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Stptihne stance
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uns in ein freies Verhaltnis zu dem, was uns aus seinem msen angeht
(commenter) 1•
1 . M. Heidegger, «Die Frage nach der Technik "• dans vortnïge undArifsiitze,
op. cit., p. 1 1 . (« C' est là seulement où pareil dévoilemenr a lieu que le vrai
se produit. C'est pourquoi ce qui est simplement exact n'est pas encore vrai.
Ce dernier seul nous établir dans un rapport libre à ce qui s'adresse à nous à
p arti r de sa propre essence. » Id., << La question de la technique », dans Essais et
conftrences, op. cit., p. 1 1.)
2. Id, « La chose •, dans ibid., p. 196 sq. Dans" Science er méditation »
il est question de la coupe d'argent qui apparaît juste après dans le séminaire
(infra, p. 149 sq.).
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Septième séance
etc. - commenter).
Donc espace de l'aition comme origine de l'instrumentalité
technique, etc. (toute notre problématique) : espace du Vér «
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Thlorit ttpratiqta
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Huitième séance
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Théorie etpratique
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Huitihne séance
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Th!orit tt pratique
informe en image. Laphysis, par laquelle la chose s'ouvre d'elle-même, est aussi
une pro-duction, est poitsis. La physisest mêmepoitsis au sens le plus élevé. Car
ce qu i est présent physti a en soi (en tautô) (cette possibilité de) s'ouvrir (qui
est impliquée dans) la pro-duction, par exemple (la possibilité qu'a) la fleur
de s'ouvrir dans la floraison. Au contraire, ce qui est pro-duit par l'artisan ou
l'artiste, par exemple la coupe d'argent, n'a pas en soi (la possibilité de) s'ouvrir
(impliquée dans) la production, mais il l'a dans un autre (enaiJIJ), dans l'artisan
ou dans l'artiste. » (M. Heidegger, • La question de la technique "• dans Essais
et confirmees, op. cit., p. 16 sq.).
1. « Du moins sous cette forme et thématique ,, : hypothèse de reconstruc
tion d un ajout difficile à déchiffrer.
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Huitième séance
général veut dire dans tous les cas faire venir à la présence, rendre
présent. Et là nous retrouvons la valeur de crypte, de cache à dé-ca
cher, à dé-celer. En tant que la production fair venir à la présence,
elle fait sortir hors du« caché >> {Verborgenheit) dans le« non-caché »
(Unverborgenheit). Cette arrivée du caché dans le non-caché repose,
dit Heidegger, et trouve son élan << dans ce que nous appelons
Entbergen1 ». (Pas de métaphore - ni pour chemin.) La traduction
française de ce mot en ce texte par « dévoilement » n'est pas assez
rigoureuse. Elle introduit une valeur de voile qui est ailleurs présente
dans le mot Enthüllungque Heidegger utilise pour nommer le même
mouvement, mais ici entbergen ne recourt pas à la figure du voile.
Il s'agit de faire sortir (ce qui ne va jamais sans une certaine force,
voire violence) de son être-caché (bergen : cacher ; sich verbergen : se
sauver, se cacher en se sauvant ou pour se garder sauf - le sauf !).
Entbergen, c'est faire sortir de l'abri, je dirai é-berger, non pas pour
jouer facilement en disant le contraire de « héberger », mais parce
qu'il s'agit ici de la logique de la Unheimlichkeit. . . etc.
Entbergen, nous dit Heidegger, c'est ce que les Grecs appelaient
la vérité : alètheia. Nous autres Allemands, poursuit-il, << nous
entendons couramment "vérité" {Wahrheit) comme "exactitude"
ou "justesse de la représentation" (Richtigkeit tks VorstellensJ ».
Mais . . . Heidegger feint alors l'étonnement : « Où nous sommes
nous égarés ? Nous questionnons sur la technique, et nous voilà
arrivés devant l' alètheia et l' é-bergement [sans h] ». L'é-berge
ou l'a-berge comme alètheia, l'a-berge, c'est encore mieux, c'est
le vieux mot pour « auberge '' qui vient du germanique et du
haut-allemand (albergo : hôtel, etc.). Si la physis est toujours en ses
quatre modes de production alètheia, nous ne sommes pas sortis
de l'auberge ou de l'a-berge malgré l'impression d'égarement. La
figure de l'égarement feint dans la rhétorique pédagogique de
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et feront rage, ne fait que commencer, elle n'aura engagé que deux
ou trois générations, mais sans même faire la liste de toutes les
frontières qui se trouvent mises en cause par cette histoire et cette
conflictualité de la société/des sociétés analytiques (le champ poli
rico-analytique, le champ dit théorique, théorico-didactique et
onto-encyclopédique (l'université), le champ médical, autant de
dbtinctions artificielles que j'évoque pour fàire vite), sans même
faire la liste de toutes ces frontières, il suffit au principe de retenir
ce fait que le projet psychanalytique ne se donne pas seulement
comme la conséquence ou l'application, la « régionalisation » de
schèmes concernant le théorique, le savoir ou la vérité, le pratique,
le technique, etc., mais se donne comme la transformation, le
déplacement et la réélaboration de cout ce que nous nommons
sous ces noms, et jusqu'au nom de nom. (Cela suffit pour recon
naître que la question de l'institution analytique n'est pas une
question 1.)
Dès lors - et c'est là le mouvement annoncé dès le début du
séminaire sur « théorie/pratique >> il faut prendre un nouveau
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1 . M. Heidegger, '' Die Frage nach der Technik "• dans Vclrtnïge undAufiiitze,
op. cit., p. 22 (<< La question de la technique >>, dans Essais et conférences, op.
cit., p. 25).
2. « Ainsi la technique moderne, en tant que dévoilement qui commet,
n'est-elle pas un acte purement humain. •> (M. Heidegger, « La question de la
technique », dans Essais et conférences, op. cit., p. 25 sq. - c'est J. Derrida qui
souligne.)
3. Ibid., p. 27.
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Table
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DU MÊME AUTEUR
Imprimé en France