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Pierre Derlon

VOYAGE

AU - DELA

DU MENTAL

EDITIONS ROBERT LAFFONT


PARIS

Copy by Leviathan

UNE LETTRE POUR UNE DEDICACE.


Papa,

Voyage au delà du mental. 1


Je savais qu’un jour je me devais d’écrire cette lettre qui, arrivée au bout du temps qui la
construirait, ne serait que l’aboutissement d’une quête silencieuse ;
Je me suis construit dans l’ombre, avec une inquiétude nourrie d’espoirs, pour devenir ce que
je suis : un homme de sagesse pour les étrangers, mais aussi un étranger à sa propre famille .
Ne m’en veux pas !
Il est des hommes qui se construisent dans la solitude. Je suis de ceux là.
Compter sur soi est important. Il est certains déserts qui sont nourriture et des familles qui
sont des déserts certains.
Je me suis écarté de ceux de chez nous, en m’isolant dans un univers qui m’était particulier,
parce qu’imperméable à qui, croyant m’aimer, ne me connaissait pas.
Ou me connaissait mal.
Mes maîtres m’ont imposé trente années de silence pour faire paraître un premier livre qui,
avec ceux qui le suivirent, me valut une audience internationale.
Et pourtant, je n’ai pas changé. Je suis toujours le petit garçon que tu forgea à l’école de la
volonté, et c’est probablement parce que je tiens de toi cette vertu essentielle, que j’ai pu la
transmettre à mes fils
Ne m’en veut pas trop pour ce secret qui fit que je me suis construit dans la solitude.
L’important étant que les choses entreprises aboutissent aux plages faites pour les recevoir, où
m’attendaient des hommes ignorants de ce que j’étais, et qui pourtant me reçurent.
L’animal humain est ainsi fait, papa, je n’ai rien inventé.
Je n’ai fait que découvrir et, de ces découvertes, j’ai fait ma nourriture.
Ce livre ne traite que d’une thérapeutique particulière, destinée aux troubles de la
personnalité. Ce n’est pas, comme tu pourrais le croire, un ouvrage savant, mais seulement le
fruit d’un long apprentissage. Et ce nom « d’initié » dont m’affublent certains , instruits à des
sciences que j’ignore, est faux :
je ne suis pas initié,
car l’initié ne cherche pas,
il possède ;
or je ne fais que découvrir,
et chaque chose découverte
me conduit à nouveau à ce qu’il me faut encore découvrir.
Je ne suis qu’un pêcheur d’étoiles qui, croyant posséder la lumière, la distribue aux hommes
venus pour la recevoir : c’est seulement cela l’important.
Dans mon premier livre, Ainsi vivait le tzigane, je touchais de la plume l’âme désabusée des
derniers patriarches du voyage.
Dans Traditions occultes des Gitans, je dévoilais en partie les choses essentielles d’une
culture ignorée. Dans Je vis la loi des Gitans, je décrivais l’enfer journalier d’une minorité
écrasée par cet Etat policier qu’est la France.
Dans Secrets oubliés des derniers initiés gitans, je tentais de révéler ce que les vieux sages
itinérants m’ont enseignés sur des énigmes qui, jusqu’alors, paraissaient indéchiffrables.
Dans Gitan, je mêlais l’historique au présent de la longue migration de mes frères de la route,
dont la résistance est telle que cinq siècles de génocide international ne purent aboutir à leur
extermination.
Dans mon dernier ouvrage, Médecine secrète des gens du voyage, je donne la bonne vieille
thérapeutique millénaire de la pharmacopée naturelle.
Dans celui-ci, Voyage au-delà du mental, je découvre une dimension supplémentaire, où
VOIR, c’est franchir les barrières de la chair. Car la VUE, parfois, est encore plus encore
qu’un TOUCHER à distance.
Ce ne fut qu’à mon retour d’Espagne et de Sicile, que la rencontre avec des médecins
pratiquant une médecine PARALLELE me décida à écrire cet ouvrage. Il relate les
expériences que j’ai tentées sur des hommes et des femmes dont le physique était détérioré

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par une agression du psychique.
Des docteurs de quelque chose aux hommes politiques, des vedettes aux figurants, des
psychiatres à ceux qui les consultes, des grands de ce monde aux caissières de supermarchés,
des chefs d’industries aux manœuvres arabes, des femmes du monde aux putains, je crois que
mes mains ont tout vu de l’échelle sociale humaine, j’ai bien dit VU. Peut-être même ont-
elles voyagé sur le bourreau et le supplicié, la victime et l’assassin.
C’est fou, papa, ce que les hommes se ressemblent lorsque, nus devant moi, ils n’aspirent plus
qu’à l’harmonie du physique à travers l’équilibre du mental.
Cette qualité de vivre que possèdent certains Tibétains, des Indiens que je connais, et ces
patriarches gitans qui furent mes maîtres, Tziganes authentiques, que ne réussit point à
détruire notre civilisation, immunisés à vie contre les dépressions nerveuses, les idées
suicidaires, les dysharmonies sexuelles.
C’est un esprit sain dans un corps sain qui t’a mené au seuil de ton quatre-vingt-troisième
printemps.
Tu représentes pour moi « l’homme type » que j’essaye de reconstruire à travers l’esprit et la
carcasse d’êtres désemparés.
Ah ! nom de Dieu, papa, si tu pouvais savoir, ce que cela peut être dur, parfois.
En plus de ce que mes maîtres m’enseignèrent, c’est aussi à toi que je dois chaque réussite.
Ce livre n’est que le pâle reflet de ce que tu m’as donné à te regarder vivre.
A maman qui me donna la vie, et à toi qui me révéla le souffle même de l’harmonie, les pages
qui vont suivre.

Ton fils Pierre,


en son atelier, 3 décembre 1978,
jour du premier anniversaire
de ta petite fille, Sandra.
Il est deux heures du matin.

POST CRIPTUM
J’ai dédié ce livre à la chaleur humaine de mon père. Qu’il me permette de lui voler ici le
point final, pour quelques uns, de suspension, que j’offre, en vrac : au procureur de la
République, défenseur des droits de l’homme, au président du tribunal qui, sur plainte de
l’Ordre des médecins, auront peut-être un jour à me juger pour l’exercice d’une médecine qui
me fut transmise, et sur l’ « illégalité » qu’il y a prendre en charge ceux que l’officielle
impuissante a rejetés de ses hôpitaux.

1
A LA DECOUVERTE
Il y a des moments, comme celui-ci, où je crois vraiment avoir touché le fond du gouffre des
vanités humaines, comme si l’homme que je suis prenant enfin conscience de ce qu’il est
vraiment, s’en voulait retourner dans le ventre de sa mère.
Oui. Il est des soirs où le regret me vient de ne pas être un autre, un anonyme, perdu comme
un pion sur le grand échiquier de la foule, d’être un homme qui, chaque matin en se levant,
n’ait plus la hantise de découvrir parmi son courrier un cri.
Un cri venu d’un point quelconque de mon pays de France, ou d’un autre.
Car il est des cris qui franchissent les océans, les montagnes, et qui aboutissent là, sur ma
table de travail, comme autant de souffles projetés au bord du désespoir, étapes inscrites dans
des vies se propulsant vers ma propre existence.
Ecoute-moi bien, lecteur inconnu, toi qui m’écrivant me nomme : maître, professeur, docteur,
dis-toi bien que je ne suis rien de tout cela.
Je ne suis qu’un voyageur qui, ayant quitté l’abécédaire des sciences humaines dans sa

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treizième année , est devenu sans le vouloir, une sorte d’explorateur à qui des bergers, des
nomades, ont appris l’essentiel de ce qu’il croit savoir.
Ces hommes m’ont donné la dimension exacte de ma joie de vivre et fait découvrir la
profondeur des désespérances humaines.
Sans alors le vouloir, presque malgré moi, je me suis engagé vers une connaissance que la
plupart des gens rejettent, parce qu’aucun parchemin ne vient sanctionner le pont auquel
aboutit la quête.
L’homme est ainsi fait.
Il y a bien longtemps qu’il a perdu le sens de la marche qui le conduisait aux sources où il
pouvait apaiser sa soif.
Qu’y puis-je ?
Rien !
Et pourtant… si tu savais ce que cela peut faire au cœur, le regard d’un homme désespéré à
qui tu as fait reprendre le sens de la marche, les pleurs d’une jeune fille à qui tu as redonné le
souffle de la vie. Lorsque tu la vois revenir femme au seuil de ta demeure, un gosse au creux
des bras, ces joies là, je les ai souvent possédées.
C’est le beau côté du mur…
Mais il y a l’autre.
Car le mur a deux faces : et il y en a toujours une à l’ombre
J’ai aussi possédé le mortel ennui de la désespérance des choses entreprises qui avortent dans
un hoquet de mort.
C’est le coté du négatif.
Il fait peur aux exorcistes trop bien nourris, ne voulant pas suivre le chemin de leurs aînés qui,
au moyen âge, ne dépassaient guerre leur trentième année, et se retirent entre deux pater et
trois ave, pour une fin de non recevoir qui laisse désespérés, cloués au pilori de la souffrance,
l’homme ou la femme venus trouver ceux que le catéchisme de leur enfance appelait les
bergers du Seigneur.
Je ne suis qu’un mécréant, et j’ai subi ce que redoutent les faux soldats du Christ :
Le choc en retour.
Je comprends aujourd’hui pourquoi, dans les temps anciens, les exorciseurs ne dépassaient
pas leur trentième année : plus jamais je n’entreprendrai de réaliser à tâtons ce que les
religieux instruits à la chose ont peur de réaliser dans le savoir.
Je peux,
je me dois même de dire que peut-être seule la volonté de réussir me fit entreprendre de telles
choses.
La soif de l’inconnu ?
Sans doute.
De vaincre ?
Vraisemblablement.
Mais je le pense aussi, une soif de connaître et de démontrer le pourquoi, le comment de la
chose.
Il y a peu de temps que des gens avertis m’ont expliqué qu’il était imprudent pour un père de
famille de tenter de réaliser des choses qui font peur à des religieux célibataires, n’ayant pas
de responsabilités familiales.
Pourtant, je ne regrette pas les désenvoûtements entrepris.
J’ai fait le pont des choses exorcisées.
J’ai frôlé bien souvent la catastrophe, la mort. C’est à peine si je me relève du dernier choc.
Je connais aujourd’hui le poids de mes fatigues par rapport aux forces données.
La longévité des exorcistes ne tient qu’à cela me dit un jour Pietro Hartiss en se penchant sur
moi. Leur force, ils la gardent pour eux, pour le bien vivre de leur corps, et ne se soucient
guère de l’âme désespérée de ceux qui appellent au secours. Et ils se soucient peu du Diable.

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- Tu exagères, je fait
- Petit con !
- Ne m’as-tu pas déjà dit que le Diable n’existait pas ?
- Le mal existe, Pierre. Appelle-le comme tu voudras, peu importe. Mais ce qui est
important, c’est la force que cela représente, que tu l’appelle Diable ou maléfice. C’est
une force, mon petit, oui, une force qui tue
- Qui tue ?
- Oui. Qui peut tuer ! Pense que ce qui donne la vie peut tuer : Le soleil, la lune, les
étoiles sont des assassins en puissance. Ta propre vie ne tient qu’aux moyens que tu
emploies pour les utiliser. Un coup de soleil peut tuer ton gosse. Un coup de lune peut
dévorer la force de vie qui est en toi. Et il en est de même pour les soleils et les lunes
secrets qui véhiculent les forces inconnues, car le corps est le reflet de l’esprit. comme
ton ombre est le reflet de la lumière posée sur toi, l’aspect physique de ton visage est celui
de ce que tu es en puissance.
- Que veux-tu dire par là, Pépé ?
- Ecoute-moi, Pierre. Tu es ce que je suis, et certains de tes fils deviendront ce que tu es,
parce que c’est une loi inscrite dans la nature : elle touche des hommes particuliers qui
deviennent étrangers à leur famille dès leur naissance. Si tu étais né nomade, au lieu
d’être rejeté par les tiens, et cela dès l’enfance, tu aurais été pris en charge par ceux de la
tribu initiés aux secrets de vie. Tu n’a pas eu ce privilège et pourtant, je te le dis, tu s né
« sorcier ». que ce mot là ne te fasse pas peur, mon fils/ ce sont les hommes qui l’ont
sali. L’important est l’usage que tu fais du « pouvoir », surtout si ses « réalisations »
exécutent la « métamorphose » devant le regard de tes fils. Car il en est parmi eux, tu le
sais bien, qui continueront à parcourir la route que tu défriches pour qu’ils puissent poser
leurs pas derrière les tiens. Comme toi, ils seront guérisseurs et rebouteux. Leurs
méthodes ne seront pas les tiennes. Pas plus que celles que tu utilises ne ressemblent aux
miennes. Dis-toi bien que le guérisseur authentique ne peut apprendre aucune méthode.
Il est dans la position du peintre, du sculpteur, du musicien, que l’on ne peut reconnaître
qu’aux réalisations obtenues. Personne, mon fils, personne jusqu’à ce jour, lorsque je
ferme les yeux, donner à mon oreille le son de la guitare de Django Reinhardt.
Django ! pourquoi a-t-il prononcé ce nom ? Je marque un silence
- Tu ne réponds pas, Pierre ? fait-il en me souriant.
- Non.
- Pourquoi ?
- Parce que je me souviens de Django. Je me souviens d’une chose que j’ai vécue avec lui,
il y a bien longtemps, et cette chose rejoint celle dont tu me parles.
- Explique-moi, mon petit…
Je reprends un peu de mon souffle.
Je baisse les paupières, je possède la nuit, et la nuit me possède.
Le souvenir me vient au cœur, tellement présent, que Django n’est pas parti.
Il est là, je le sens, je le touche, je l’ai quitté hier.
Et ce hier vient d’avoir trente-cinq ans…
Nous sommes tous les deux chez « Curpely », au caveau des Abbesses, rue Germain – Pilon,
à Montmartre, à Paris, tout près de la place Pigale. Il vient de s’acheter une paire de
chaussures à boucles d’argent. nous sommes tous les deux dans la cave, l’aubergiste nous sert
du vin chaud. Django à déposé une bougie entre ses eux chaussures.
- pour voir briller les boucles, me dit-il avec un sourire d’enfant.
Il taquine sa guitare, je ferme toujours ma gueule lorsqu’il est ainsi. Je n’avais pas, en ce
temps, conscient de la grandeur des choses dont je fus le témoin. Avec Django, c’était
fantastique. Plus encore que ne pouvaient l’être les répétitions d’acrobates qui, à cette
époque, s’entraînaient à des sauts de la mort – et qui trouvaient la mort – ou la paralysie à vie.

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Il est important d’ouvrir cette parenthèse. Elle rejoint la voyance. J’ai connu des dompteurs à
l’entraînement qui se sont fait dévorer ou blesser par leurs fauves, j’ai vu des acrobates
mourir des risques qu’ils prenaient, sans pour autant lire dans le temps ce qui leur adviendrait
un jour.
Pour Django, qui ne prenait, de par son métier, aucun risque, l’ouverture de la lecture de vie,
quoique plus secrète, me fut à ce point visible qu’il m’était pratiquement possible d’en déceler
à la fois les constructions et la forme.
Mais revenons à ce jour d’il y a trente-cinq ans : Django improvise, puis pose sa guitare sur la
table, plonge la main dans la poche de son blouson, et en sort une poignée de petits bonbons,
gros comme des petits pois.
Il les poses alors par jeu, et sans y penser vraiment, entre les cordes de sa guitare. Du dos de
son autre main, il frappe le manche de celle-ci, ce qui fait sauter les billes qui à chaque fois,
sont arrêtées par les petites lames donnant l’intervalle de doigté qui construit la note.
Django vient d’inventer un nouveau jeu ; il rit, me tend sa guitare et tous les bonbons tombent
par terre. Il éclate de rire. Un rire qui n’en finit plus.
- Ah ! tu es bien le roi de ce que je pense, fait-il. Mais à ce point là, c’est pas possible …
Et soudain, sans même savoir pourquoi, je me saisis de sa main mutilée, et la tiens entre mes
deux mains.
Son rire cesse, mieux même il me semble que mon pote se transforme
- Qu’est-ce que tu tais, « narvalo » ?
- Rien, je touche.
- Tu touche quoi ?
- De l’ivoire…
- De l’ivoire ?
- Oui.
- Comment ?
- Tout plat. Oui, ta main c’est de l’ivoire tout plat.
- Tout plat comment, mon frère ?
- Je ne sais pas, moi !
- Force-toi ! Tu peux savoir si tu veux. Je te dis que tu peux si tu veux !
- Ça me fatigue…
- Dis-moi, ou toi et moi c’est fini…
- C’est pas possible…
- Je te dis que si !
- Je vois de l’ivoire plat comme des touches de piano, j’en vois aussi comme des losanges
qui soufflent…
- Qui soufflent ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
- L’accordéon. Oui. Je vois l’accordéon. Je vois le piano dans ta main, Django.
Alors, pour la première fois de ma vie, j’entends ce nom
- sorcier.
Ce nom-là ne me fais pas encore peur. Mieux, il me fait plaisir. Car Django est détendu,
heureux même. Chacun de ses gestes semble me protéger. Je pense vraiment, encore
aujourd’hui, que je ne suis devenu véritablement son frère que ce jour là.
Il n’était plus seul à posséder un des secrets du véritable moteur de son art. je ne sais pas si
d’autres que moi ont eu accès à ce secret.
En fait, ceci me révéla un Django prisonnier de sa guitare.
Il disait d’elle :
« Jamais elle ne me trompera, je la porte en moi »
Un des regrets de Django était de ne pouvoir jouer du piano, de l’accordéon, ces deux
contraires que lui interdisait son infirmité.
Mon Dieu qu’il est secret le cœur de l’homme à qui reçoit le poids des amertumes perçues !

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C’est parfois un lourd privilège, qui vous fait envier ceux qui, ne le subissant pas, s’en vont
dans la vie à la découverte des choses qui leur sont propres.
Cette appellation de « sorcier » m’a poursuivi toute ma vie, sauf dans ma famille, dont les
membres n’ont jamais été au courant de mes activités réelles et ne me jugeaient qu’à travers
le peu que je leur laissais percevoir : l’aspect d’un fantaisiste bohème qui, parfois, poussant
de petites pointes farfelues, les faisait se découvrir sous leur aspect le plus vrai.
Je sais, ce n’est pas très charitable de prendre pour cobaye sa propre famille, alors que celle-ci
vous aime, même si certains vous rejettent sous le prétexte que vous vivez comme un
bohémien, marchant ainsi à contresens de leur équilibre bourgeois.
En un mot, les deux familles de mes parents me rassuraient, elles me donnaient du
comportement humain une image logique que je pouvais interpréter à travers l’historique de
leur existence.
Elle fut, à travers tous ses membres et cela depuis que j’ai eu dix-neuf ans, la matière
première de la quête entreprise :
de mon père, je tirais le courage
de papa et maman, l’amour
de mon frère Guy, la truculence
de ma petite sœur Nicole, le pourquoi du désespoir à travers le renoncement.
Car ce fut d’abord sur mes parents, sur mes frères et mes sœurs, que Pietro Hartiss me fit
découvrir le moteur secret du mental, le comportement de chacun en fonction des accidents de
parcours. Leurs métamorphoses me devenaient perméables, au point de découvrir chez eux
ce qui, plus tard, les conduirait à la névrose, ou à la joie d’exister.
Et lorsque je dis que mon père me donna la notion du courage et de l’amour, ce ne sont pas
ses paroles qui me les firent découvrir, mais ses actes.
Papa mit cinquante années pour comprendre mon comportement. Et pourtant, l’homme que je
suis ne le put devenir qu’en partie grâce à cette respiration animale qui regarde agir la source
dont elle est issue.
Il est incontestable qu’à travers la parole des anciens, j’essayais de vivre mentalement dans la
foulée de mon père, et qu’il participa inconsciemment à ma volonté d’aboutir.
Ceci est fantastique de construction, car mon père, jusqu’à mon premier livre, ne m’a jamais
pris au sérieux, au point que je fus exclu du conseil de famille qui, à la mort de ma petite
sœur, se constitua pour prendre en charge le bébé qu’elle laissait à la vie.
Et pourtant ce fut à travers ce gosse que mon maître Pietro Hartiss me fit effectuer ma
première projection, de force, et cela en dehors des responsabilités que mon frère Jacques et
mon père assumaient.
Je ne devins pour cet enfant qu’une projection de chaleur mentale, qui ne pouvait se
manifester qu’aux repas de famille, c’est-à-dire deux ou trois fois par an.
Le grand savoir des gens du voyage construisit ces harmoniques particulières, qui, partant des
contraintes subies, aboutissent à la tranquillité, car l’enfant, grandissant, devint homme, et
c’est sur la plage de ma tribu qu’un jour il arriva.
Ces regards, ces petits mots jetés, avaient construit son comportement d’homme.
L’enfant s’était évadé de la contrainte, et vivait, devenu homme, ses aspirations initiales, sans
pour autant s’évader de cet amour qu’il porte au plus profond de lui pour son grand-père.
J’avoue que cette chose vécue avec ce gosse qui, à l’âge d’homme, me considère comme un
père, alors que je n’ai pas pris part à son éducation, me fait mieux comprendre les choses
entreprises.
Les pages qui vont suivre te feront peut-être mieux découvrir le cheminement secret de
certains comportements humains, conduisant l’homme à cette finalité que l’on nomme
harmonie, ou névrose.
Ne souris pas, c’est difficile à posséder, l’harmonie.
Dans le doute, fais le compte de celles que tu possèdes, et compare-le au chiffre que

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représentent les cinq doigts de ta main :
alors tu comprendras….

2
LE VAMPIRISME
« Tes yeux verront, tes mains toucheront
d’invraisemblables choses détruites
qu’il te faudra reconstruire
sans médicament, seulement avec les forces
que tu puiseras en toi, et des supports qui te sont encore étrangers »
Pietro Hartiss

- Déshabillez-vous.
- Complètement ?
- Oui, complètement.
Je la regarde. Ses yeux bleus semblent comme perdus, fixés sur un paysage qu’elle serait
seule à percevoir
- N’ayez pas peur, il est important que je fasse ainsi. Seul votre corps me conduira au
chemin qu’il me faut découvrir pour vous sortir de là
Elle a un pâle sourire. Ses lèvres semblent comme vidées du sang qui devrait en accuser la
ligne. Elle ébauche le geste de retirer son corsage. Je lui dis/
« Asseyez-vous d’abord, ça ira mieux après.
Elle acquiesce, me sourit encore et dit :
« J’ai confiance en vous.
Combien de fois l’ai-je entendue cette phrase ?
C’est la phrase du désespoir, celle que l’on dit sans presque même y penser.
C’est la phrase de la dernière porte que l’on a entrouverte pour essayer d’atteindre ce qui sans
cesse vous échappe :
La santé
La joie de vivre
Le soleil
« Mettez les bras le long du corps. Respirez lentement, fermez les yeux. Allongez vos doigts.
Elle s’exécute comme une petite fille.
Je prend mon souffle
Je le rythme sur le sien
J’appuie mes pouces sur ses tempes.
« Respirez lentement…
Mes doigts vont à la recherche du bulbe rachidien
J’appuie de toutes mes forces, mes pouces sont en rotation sur ses temporaux ; j’arrête d’un
seul coup ma respiration ; elle fait de même.
Plus rien ne compte que nos pulsations cardiaques, la sienne, la mienne.
Je me détend d’un seul coup
- Comment ça va ?
- Ça tourne un peu…
Je ferme les yeux. J’ai gagné.
Elle n’aura plus peur.
Cette femme qui va se dévêtir devant moi a retrouvé l’âme de la petite fille du temps de son
enfance.
C’est plus fort que moi. A chaque fois, c’est un émerveillement. Je revois mon vieux maître
m’enseigner la manière de réaliser ces choses sans pour autant m’en expliquer le mécanisme.
Car il faut bien l’admettre : ce mécanisme, il existe.

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Il n’est pas le fait du hasard, car selon les individus qui le subissent , il y a un temps de
réalisation qui dépend de ce qu’ils sont sur le plan psychique. Les gitans, je devrais dire les
« Maîtres Roms » qui m’enseignèrent ce que je sais, ne soignent le mental qu’après avoir
prospecté le physique.
Le diagnostic réalisé, ils n’emploient jamais aucune drogue qui annihile le conscient de
l’homme, tue sa volonté, régit son sommeil, et son comportement à travers le geste, le stimule
dans ses apathies en le réduisant à l’état de larve. Combien de fois, mes gosses en auront-ils
vu frapper au seuil de notre demeure, de ces pauvres frères humains à demi vivant, détruits ou
presque par des médicaments qui, à défaut de guérir leur dépression nerveuse, les endorment,
chrysalide vagissante, incapable de construire le papillon ivre de lumière, que d’autres
hommes ont détruits par des toxines monstrueuses, faisant la fortune des laboratoires qui les
fabriquent. Je m’était souvent demandé d’où provenait la force des sorciers gitans. Celle de
Pietro Hartiss qui à 96 ans, fait encore des corps à corps qui régénèrent ; celle de Pépé de Pise
qui, d’une seule main posée sur le plexus solaire, apaise les angoisses ; et celle de mon vieux
maître, Pierre le petit, Kakou en Arles qui, autrefois et jusqu’à son dernier jour de vie, apporta
à ceux qui venaient le voir la force d’un regard qui redonnait la paix, la vie.
Le destin a voulu que nos deux regards se croisent avant qu’il ne commence sa brève agonie.
Aujourd’hui encore, la lumière de ses yeux pour moi n’est pas éteinte. Elle devient parfois
mon souffle, et plus encore que la voix de ceux me portant leur présence authentique, faite
chair, de souffle, de chaleur, de contact.
Celle de mon vieux maître disparu guide certains de mes gestes, conduisant mes mains aux
sources de ce qui construit les certitudes de tranquillité.
Oui. Certaines fois, ces mains qui courent sur votre peau, qui s’arrêtent à des points précis et
repartent pour une autre recherche, ces mains-là ne m’appartiennent pas tout à fait.
Elles sont comme les derniers maillons d’une chaîne qui, un jour se noueront peut être aux
mains de l’un de mes fils pour continuer cette médecine de l’esprit qui fut celle des premiers
hommes. Le jour où, après le corps, l’âme à son tour tomba malade.
Car les idées suicidaires, les fugues, les dépressions nerveuses sont des maladies de l’âme, de
l’esprit.
Mais d’où vient donc qu’aucun gitan, rencontré en quarante années de route, n’ait jamais été
atteint par ces troubles psychiques, qui remplissent pour moitié nos hôpitaux ?
Quelle est donc cette panacée qui les immunise contre ce qui nous tue ?
C’est simple : ça coule comme une source, ça chauffe comme le soleil, ça danse comme les
étoiles, ça chante comme la guitare de mes gosses, cette panacée-là, c’est…
Le choc en retour.
De ce qu’ils doivent subir des citadins.
Ecoutez-moi. Vous allez comprendre.
Je suis en Arles, derrière les thermes de l’empereur Constantin. Mon camion, ma femme, mes
gosses, mes chiens, tous sont là sur la petite place où personne ne passe. Mon tout petit joue
sur les escaliers qui mènent au Rhône. Soudain, la police. Il est huit heure du matin. Une
demi heure pour déguerpir.
On part.
J’arrive sur la route des Saintes Maries de la Mer. Je fais halte au petit bois du château
d’Avignon – Ballarin. Il est dix heures. A onze heures, un garde me donne l’ordre de
déguerpir.
Je me fais un peu tirer l’oreille, et puis je pars. Il est quatorze heures.
Où allons-nous dormir ce soir ?
On verra bien…
J’arrête mon véhicule à Albaron.
Corvée d’eau.
J’achète trois pains. Ma romnie lave le petit à la fontaine.

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Il rit.
Dans le camion, Pat et Steph taquinent leur guitare.
En route !
« Où on va, papa ?
On verra bien…
Je prends la route de Saint Gilles, gare le camion devant l’église.
C’est la corvée de gueule.
Le boucher, l’épicier, encore deux pains.
« Où on va, papa ?
C’est la surprise…
Je prend la route du pont de Silvéréal.
C’est l’heure. la bonne heure.
L’heure où les flics pensent à la gamelle, avant d’entreprendre les patrouilles nocturnes de la
chasse au gitan.
La route, de chaque côté, nous borde de ses roseaux, souples au mistral.
« Il y a un feu près du pont, me fait Pat. La fumée monte derrière les vignes !
C’est bon ! Encore trois virages… et à gauche toute !
Ils sont là…
Déjà, le patriarche marche sur moi. Je gare mon camion à côté de la roulotte à Nigloo.
Ouf ! Que c’est bon !
Mes gosses courent déjà vers d’autres gosses, ma romnie, notre petit dans les bras, marche à
la rencontre des femmes étendant leur lessive faite au Rhône.
Voilà Nono. Le chef. Ça fait bien huit mois qu’on ne s’est pas rencontrés.
Que c’est bon !
Rien d’artificiel dans ces rencontres vouées au hasard des routes.
C’est l’amour, c’est la fête.
Car la fête des gitans n’est pas liée à des dates précises. Elle se fait chaque soir autour d’un
feu.
C’est ça LE CHOC EN RETOUR du gitan. Sa MONTAGNE SACREE, où viennent
s’échouer les tracasseries policières, le mépris des propriétaires cossus, la peur des paysans, la
violation des droits de l’homme à la vie, votée à l’unanimité par des municipalités racistes.
C’est aussi parfois le havre d’une place de séjour pour le sommeil de nos tribus, offerte par un
maire dont le cœur, sans doute, fleurit autre part que dans le plat désert de la haine.
Et c’est cette quête perpétuelle du repos à travers le mouvement, qui éloigne le gitan des
maladies psychosomatiques et mentales.
Sa disponibilité est permanente. Son esprit toujours en éveil, et, à travers ce qu’il vit, pas une
seule fois l’ENNUI ne trouve une faille pour se faufiler.
Car rien n’est artificiel dans la vie des gitans. Ces femmes qui chantent en ce moment où
j’écris, ce sont celles de la tribu qui viennent d’accueillir la mienne pour la lessive qui, faite
les pieds nus au Petit – Rhône, va devenir la FETE.
Dans cette fête-là, le corps entier est mouvement. Il suit le rythme naturel de la vie, lequel ne
permet pas le retour sur soi-même qui s’effectue parfois chez la citadine devant sa machine à
laver qui lui dévore les mouvements musculaires qui équilibraient son corps à travers une
fatigue physique bénéfique qu’elle ne connaît plus.
La tzigane qui prend soin d’un chevreau rôti dans la braise n’a pas la même occupation
d’esprit que la sédentaire préparant le même plat, à l’aide d’une rôtissoire robot à infrarouges.
L’une vit la vie sauvage qui régénère, l’autre la civilisation, qui peu à peu tue sa joie de vivre.
L’une est maîtresse du feu qu’elle construit, l’autre subit le mensonge d’un feu qu’elle doit
subir.
La gitane ne pense qu’à entretenir son feu qui se doit de bien flamber, puis à son chevreau qui
doit bien rôtir.

Voyage au delà du mental. 10


La sédentaire subit le temps de l’attente. Son robot programmé arrêtera seul le feu artificiel et
le mouvement.
« C’est dans ces heures-là, me fait Pépé en se penchant sur moi, que l’ennui trouve le chemin
du malheur qu’il construit au cœur des hommes. C’est également ce qui éloigne les hommes
du sol qui tue leur esprit. Les gadgés construisent des maisons où chaque étage les éloignent
de l’herbe. L’homme qui vit dans le ciel, au vingtième étage, ne participe pas au jeu naturel
de son environnement qui n’existe qu’au sol. Car mon petit, lorsque tu marches pieds nus au
creux d’un sillon de labour, tu ne fais que caresser le ventre de ta mère.
Plus tu t’éloignes de ce ventre, d’avantage tu tues en toi le principe élémentaire de vie. Tout
ce qui est artificiel tue la vie.
Jamais, mon fils, tu ne trouveras une souris, une araignée, une mouche, dans une maison où
l’air est conditionné.
Crois-moi mon fils, la souris, l’araignée, la mouche, c’est la vie.
Cette vie là est faite de vibrations qui se libèrent par un mouvement à travers le cosmos qui te
détruira si tu détruis ce mouvement.
Et ce n’est pas par une piqûre au cul ou une pilule dans la gueule que tu pourras reconstruire
ce mouvement. Par contre, le magnétisme et certains minéraux pourront reconstruire les
vibrations initiales de ce qui est l’essentiel du psychisme et, à travers celui-ci, reconstruire le
physique aux sources de l’animalité. Dis-toi bien, mon fils, que la putain qui prend du plaisir
à donner du plaisir est plus près de Dieu que l’honnête femme engendrant une promesse
d’homme dans le dégout de celui qu’elle subit par le devoir conjugal.
Ce n’est pas pour rien que les gitans authentiques, c’est à dire ceux qui, voyageant sans cesse,
ne sont pas accrochés aux murs des villes, copient leur manière de vivre sur celle des loups.
Car le chien, lui aussi, à force de fréquenter les hommes, par une sorte de mimétisme
monstrueux, a absorbé à part entière les névroses des pauvres humains dont il dépend. Car il
y a des chiens neurasthéniques comme leurs maîtres, et cons comme eux aussi, parfois.
Le chien du braconnier est braconnier.
Celui de police, cruel comme le policier. Les chiens de Buchenwald étaient meurtriers. Les
saint-bernard et certains chiens-loups dressés pour le sauvetage, suivent leur maître sauveteur.
Le chien est perméable.
Le loup, lui, suit depuis des millénaires la route tracée par le premier loup, sans jamais
s'arrêter, car si on le piège,
si on l’encage,
si on le met en réserve,
à défaut de devenir chien, il devient comme le gitan simulateur, mais reste loup.
Ainsi mourra le gitan.
Ainsi sont morts les Indiens, qui eux aussi prenaient le loup en charge dans le secret d’un
savoir particulier, engloutis à tout jamais au fond des rêves embués par les dernières vapeurs
de « l’eau de feu », que leur avaient fait découvrir les civilisés que nous sommes.
Les patriarches, les Kakous, qui ont su protéger leur vie animale instinctive, sont
pratiquement imperméables aux troubles de la personnalité. Leurs forces psychiques sont
intactes, leur magnétisme, en aucune sorte contré, garde toute sa valeur primitive, et les
« miracles » qu’ils réalisent, ne sont en fait, que des reconstructions logiques. Leur force,
c’est la joie de vivre.
Car l’ennui, la névrose, tout ce qui détruit l’homme dans son comportement, détruit
également ce potentiel de puissance qui est le propre des guérisseurs nomades. Il suffit que
ma femme ou qu’un de mes gosses soit malade, pour détruire cette force que je possède et que
je ne peux donner que dans la joie de vivre.
- Si tu savais, me dit un jour mon maître Pietro Hartiss, ce qu’un ulcère à l’estomac peut
transformer le comportement d’un homme! Que cet ulcère soit au repos ou en pleine activité.
Imagine que l’homme soit un juge: crois-mois, mon petit, la sentence qu’il va prononcer pour

Voyage au delà du mental. 11


condamner un autre homme, ne dépendra que du comportement de son ulcère. Il y a aussi des
mains de chirurgien assassines, parce que le réflexe de l’homme qui les possède, petit à petit,
sombre dans le gouffre d’amertume dont celui-ci ne peut se délivrer. Le maçon qui n’a pas le
coeur à l’ouvrage se doit pourtant de continuer l’oeuvre qui dépend de lui. Toi, Pierre, je te le
demande: n’entreprends jamais si ton instinct te fais douter de la réussite, car ce serait à la
fois te massacrer toi, et pour celui ou celle qui te subit, être inopérant, inutile, presque
parasite.
Mais revenons à cette femme qui, au début de cet ouvrage, commençait à se dévêtir.
La voici nue.
Les bras tombent le long du corps, la tête se penche légèrement,
le visage plonge sur une poitrine lasse,
les muscles des cuisses tremblent sitôt qu’elle remue un peu.
Toute rondeur semble avoir disparu.
Je devine le squelette. Et déjà à distance,
sans l’avoir touchée,
je sens l’angoisse qui la possède. Elle a vers moi un pale sourire.
Je lui parle.
Je ne me souviens pas des mots prononcés, mais j’attrape ses yeux, et ne les lâches plus.
Mon regard se marie au sien, et je parle
je parle
je parle
j’avance
et je la touche.
Mes deux mains sont posées sur ses épaules.
Son angoisse semble se transformer. Cela devient de l’inquiétude. Son corps tremble un peu
plus, comme une feuille sur la branche subissant un vent léger. Je lui dis:
- N’aie pas peur. Je te sortirai de là, je te redonnerai la joie de vivre. Il y aura encore des
fleurs,
du printemps, du soleil.
Ici intervient l’insolite. Cet insolite, c’est le verbe. Car c’est la première fois depuis notre
rencontre que je la tutoie, et ce tutoiement est une nécessité impérative, car c’est cela, et
seulement cela, lié au magnétisme du regard, qui entrouvrira la porte au seuil d’une
dimension voyageant dans l’inconscience du mental, me livrant la forme même de la névrose,
me permettant ainsi d’en connaître l’intensité et, après en avoir perçu la force, d’établir
d’abord un barrage à cette destruction, et d’essayer, je dis bien essayer, avec les seuls moyens
naturels que la nature a mis à ma disposition, que cette femme se régénère, se reconstruise, en
remontant aux sources,
sans psychanalyse,
sans psychologisme,
seulement avec la force infuse de l’animal humain se projetant à travers l’autre, d’une
manière magnétique.
Un magnétisme revalorisé par un minéral particulier, la turquoise, qui, employée d’une
certaine manière, devient un étonnant stabilisateur du plexus solaire.
Mais que peut-elle donc avoir, cette fameuse femme dont le corps tout entier traduit la
fatigue, la tristesse et la vieillesse?
Car la peau, le muscle, l’attitude, accusent facilement leurs soixante printemps.
Et pourtant cette vieille femme est une jeune fille... elle a vingt. Oui. Vingt ans.
Mais qui, ou quoi, a fait d’elle cette chose désolante que je vais tenter de reconstruire.
Car c’est bien d’une reconstruction qu’il s’agit.
C’est-à-dire raffermir les chairs flasques, reconstruire le buste, faire dur et souple le muscle
avachi, donner de l’éclat au regard, redresser la colonne vertébrale, rendre aux jambes leur

Voyage au delà du mental. 12


élasticité, l’assurance de la marche, retrouver la forme du geste, l’émotion musicale de la
parole à travers le verbe.
Puis, de l’inertie, tirer le mouvement, jusqu’à l’épanouissement du « moi » retrouvé à travers
une dimension extra-sensorielle restructurée dans sa réalité tactile.
Oui, cela est possible.
Quatre fois dans ma vie, j’ai réalisé ce faux miracle.
Les pages qui vont suivre, je les ai surtout écrites pour les spécialistes de l’étrange, les
circonspects, les increvables qui, continuant leur quête pseudo-scientifique, tentent par des
équations absurdes, de démontrer le naturel.
Faisons maintenant un saut dans le temps.
Je viens de quitter cette jeune fille, il y a quatre heures à peine. Je suis place de la Bastille,
assis sur un banc du boulevard Richard-Lenoir.
Je suis épuisé.
J’attends le vieux.
Il va venir. Il vient. Il est là...
Ah ! nom de Dieu, que ça fait du bien de le voir sourire...
- Ben mon vieux ! t’en fait une gueule... Par mes morts, mon frère, t’à accroché la jaunisse!
- Non Pietro, je vais t’expliquer.
Et me voilà à lui raconter par le détail ce que je viens de vivre avec cette jeune fille.
Il prend un temps, pose sa main sur mon genou, et prononce un mot:
- Vampirisme...
- T’es dingue?
- Non, mon petit. Ta môme est victime de vampirisme.
- Mais enfin, pépé, tu m’as toujours dit que le « mulo » était une croyance, pas un fait établi.
- Petit con, fait-il en me souriant, il suffit que certains hommes s’imaginent avoir attrapé la
variole pour se couvrir de boutons!
- Mais enfin, Pietro, ne me dis pas que toi aussi tu crois aux morts vivants?
- Non. Mais je crois aux vivants qui se détruisent le corps par le souvenir des morts qu’ils ont
aimés vivants.
Je le regarde.
Et, soudain, je comprends:
- Crois-tu que je vais la sortir de là?
- Bien sur, mon petit...
- Je veux dire qu’après, des hommes auront encore envie de faire l’amour avec elle?
- Sûrement, Pierre
- C’est impossible
- C’est sur...
- Tu te fout de ma gueule?
- T’es-tu moqué de son visage lorsque tu as pris son regard?
- Non. J’avais peur.
- Peur de quoi?
- De ne rien pouvoir faire.
- Tu peux tout, petit con. Tu sais tout ce qu’il faut pour l’arracher à ce qu’elle subit. Tu
possèdes le merveilleux que je t’ai fait découvrir, et jamais tu ne l’utilises.
- Qu’est-ce que tu dis?
- La turquoise. Le secret de la pierre qui stabilise l’homme et la bête, que tu rejettes parce
que tu te prends pour Superman!
- T’es dingue...
- Crois-tu, mon petit? C’est l’orgueil qui fait que tes forces disparaissent et que tes épaules te
paraissent lourdes. La nature a mis sur ton chemin des moyens gigantesques que tu veux
ignorer, t’imaginant qu’à toi seul tu peux réaliser les choses que tu tentes. Tu le peux parfois,

Voyage au delà du mental. 13


sans te détruire pour autant; mais si, pour cette petite, tu n’emploies pas la turquoise, tu te
détruiras. Et te détruire c’est t’enlever avant le temps à la présence de ta femme, de vos
petits. Car n’oublie jamais qu’avant de te devoir aux autres, tu te dois d’abord à ta famille,
ensuite à ta tribu.
C’est la loi, la notre;
c’est aussi celle des loups.
Et si tu t’écartes de la loi des loups, mon petit, ajoute-t-il tous bas, tu t’en iras crever dans la
merde.
Je bascule alors de l’autre coté de son regard, et j’y découvre cette petite étincelle particulière
qui me fait voyager vers des constructions de force.
C’est fou, ce que le regard de l’homme est capable de réalisations structurées.
Le premier voyage au-delà du mental que je pus accomplir le fut à travers ce regard.
Jamais un autre que celui-ci ne m’apporta la plénitude de la conscience à travers l’instinct.
Car ce n’est qu’à travers l’instinct que l’animal humain réussit à combattre la névrose.
Car la névrose n’est que la résultante de la réflexion débordant l’instinct. L’animal ne devient
névrosé qu’au contact de l’humain. Dans la nature, il est ce qu’il est,
bon ou mauvais,
mais jamais il ne meurt d’inquiétude, car l’instinct le mène aux sources du potentiel, jamais à
celles de la psychose...

3
DE LA NEVROSE
A LA TURQUOISE.
Si tu savais ce qu’il m’est difficile d’écrire, car l’écriture peut être mensonge ou bien alors
exaltation.
Elle est le reflet de l’ame du poète, elle a parfois la stricte tenue du verdict que balbutient de
sinistres légistes ou de faux prêtres.
Elle peut être mensonge ou sentence,
amour ou désespoir, haine ou espérance.
Elle peut être la nourriture de la foule, la survie d’un seul homme. Je veux dire d’un homme
désespéré.
C’est pour cet homme que j’écris ce livre, que lira peut-être une foule qui se reconnaîtra à
travers un seul frère humain.
Car ce frère-là existe. Il est ici. Il prend l’autoroute, le métro, ou le chemin communal, va au
restaurant, ou crève de l’envie de bouffer.
Il va aux chiottes, et, comme toi il est fatigué.
Il aime, qui sait?
Comme tu voudrais bien aimer.
Il peine peut-être au fond de la mine, au bout de son champ,
sur son lit d’hôpital.
Il jouit, va donc le savoir, au bordel.
Ou s’abîme en prières au pied de son dieu.
Ce frère là, c’est la foule. C’est toi.
Pour moi, c’est elle.
Oui, c’est elle.
Elle à vingt ans; et quand je la touche, elle en a soixante.
Ce n’est pas un rêve, une utopie, une construction de l’absurde,
non.
C’est fait de chair et de sang, d’amour et d’angoisses, de volonté et de désespoir,
ça vit, ça bouge, ça pleure et ça pense,

Voyage au delà du mental. 14


et ça meurt de trop aimer.
Ca vieillit d’amour, ça ne sourit plus, ça n’a même plus la force du désespoir, ça va
disparaître sans savoir pourquoi.
Sa maladie? C’est l’amour. Pas celui que tu crois, ce n’est pas l’amour du sexe qui veut
devenir fleur, ni de celui, désespéré de l’enfant que l’on va perdre, non...
Cet amour là, qui déjà voyage aux frontières du mental, un amour qui ne demande rien, un
amour qui donne à travers une dimension gigantesque, frôlant presque l’absolu, conduisant à
la mort d’une manière logique, inéluctable, parce que naturelle.
Je ne saurais trop répéter que je ne suis pas savant.
Mais qu’est-ce que les choses savantes ont à voir avec l’instinct? Ce n’est pas la logique qui
conduit le chien de chasse au terrier du lapin, c’est l’instinct.
Et c’est à travers cet instinct que les sages de la route, à défaut de subir, construisent la
thérapeutique.
Car, dans ces moments de vérité, la réflexion est inopérante. L’intelligence se doit d'être
détruite. Seules devront demeurer les constructions instinctives.
Ou alors, c’est l’impuissance, l’échec que subit la médecine officielle, qui, dans ces cas
particuliers, se contente de drogues monstrueuses comme panacées de massacre.
Ah ! si tu savais ce que j’ai pu en recueillir de ces rescapés de la drogue officielle, délivrée
sur ordonnance, remboursée par la Sécurité sociale.
Mais arrêtons ce soliloque, et installons-nous un instant sur une plage, une prairie, comme il
te plaira, car je vais t’entretenir de ce qui peut conduire à être victime du vampirisme.
Ne souris pas.
Il ne sera pas question de morts vivants se nourrissant du sang de leurs victimes. Non. Ce
vampirisme-là rejoint les étages secrets où le subconscient élabore la manière d’exister de son
support, c’est à dire l’homme dans son comportement physique, ses névroses et leurs
résultantes.
Car cette petite-là, qui prend sur sa peau la peau de sa grand-mère, n’a pu la prendre vraiment
que le jour où cette grand mère s’en est allée une fois pour toutes dormir dans la grande
rivière du silence pour rejoindre le compagnon qui, dans un dernier souffle, venait d’éternuer
dans la poussière des étoiles.
Car la clef, le pourquoi des choses, est contenu dans cette seule réalité:
un « pépé », une « mémé » qui, brusquement, s’en vont respirer de l’autre cité de nos
paysages.
Et cette disparition, ancrée comme un cancer au coeur d’une petite fille, va peu à peu
transformer son comportement, et jusqu’à sa façon de respirer, de se nourrir, d’aimer, de vivre
comme elle en avait « coutumance » avant cette double disparition.
Citons les faits, sans poésie, sans artifice:
laissons là les termes savants de neuropsychiatres bardés de diplômes. Suivons les obscurs,
les bergers, les Kakous gitans, les sorciers africains, les sages tibétains - en un mot, l’animal
humain.
Respirons ce que respire le loup.
Dans ce qui va suivre, pas de mots savant. Voyons d’abord ce qui fit que cette jeune fille
devint un jour l’habitacle d’une vieille femme.
Au départ, elle était la seconde fille d’un couple qui s’aimait, et la grande soeur d’une cadette
qui la suivait de près. Autour de cette famille, deux vieux.
Ceux que les gitans appellent les anciens. Le grand-père et la grand-mère de cette jeune fille.
Cette tribu, car c’est d’une tribu qu’il s’agit, vit la paix, l’amour et la tranquillité. Le père
tient un poste important à la radio. Puis c’est la fin de cette tranquillité, de l’amour qui se
déchire pour s’en aller rejoindre la paix de l’ombre. Le papa s’en est allé de l’autre coté des
prairies du soleil. Cette mort laisse une maman désemparée, mais forte. Se nourrissant du
souvenir du compagnon disparu, elle assure la tache.

Voyage au delà du mental. 15


Elle était femme et mère, elle devint mère à part entière.
Le vieux couple qui lui donna la vie la berce de sa présence. Le temps passe et la vie
continue jusqu’au jour où le vieux et la vieille, comme s’ils s’étaient concertés, s’en allèrent
de compagnie respirer le parfum des violettes qui ne meurent jamais.
Voici la maman seule avec les deux filles qui lui restent, la première étant partie du logis pour
fonder sa propre famille, et voilà qu’au milieu de ce chagrin vécu à trois, le coeur d’une des
jeunes filles reçoit comme une sorte de semence. Elle n’en a pas encore tout à fait
conscience, cela n’a pas de corps. Ce n’est que le reflet d’une chose floue, qui s’accroche à
un vague sentiment d’amour filial. C’est indistinct, irréfléchi, parce qu’involontaire. C’est
une respiration d’amour qui ne prend forme qu’au plus profond de l’ame, et qui va se
concrétiser par le geste à travers l’instinct.
Car c’est qu’elle en tenait une place, cette grand-mère!
Elle faisait partie de celles que je nomme fourmis.
Vacant toujours à la tache communautaire.
C’était à la fois l’eau et le feu.
C’était la flamme d’amour, le quinquet de la présence, qui un jour, devint absence, et cria la
solitude.
C’est un poison terrible, la solitude.
Imagine un peu, ou bien toi qui n’a pas besoin d’imaginer parce que la solitude est ton lot,
vois: le logis sans ce couple d’anciens qui l’animais, et qui reçoit au soir tombant la présence
de ceux, l’habitant, emploient le temps de la journée à des taches essentielles.
Imagine un peu, cette solitude. Elle tombe un soir, va donc savoir pourquoi, au coeur d’une
des deux soeurs, je ne sais pas comment, car n’étant pas psychiatre je n’interroge pas ceux qui
viennent aboutir aux plages que je fréquente. Tous les hommes du voyage font ainsi. Jamais
ils ne demandent à qui, le temps d’un repas, partage avec eux le pain et le couvert, d’où il
vient, où il va et ce qu’il fait. Pas plus qu’ils ne se soucient du pourquoi de la chose qu’ils
doivent combattre, si l’intéressé n’en parle le premier. Car l’impact du mental lié aux
perceptions physiques suffit pour détecter d’une manière extrasensorielle la transposition de
ce mental à travers le psychisme, se manifestant au niveau des constructions tactiles.
Et là, seulement, on rejoint l’instinct...
Rien de savant. C’est simple, informulable.
C’est la vie à son niveau le plus précieux: le souffle. Pas celui de la connaissance; celui de
l’animal, que l’homme a perdu.
Et merde!
Laissons passer le vent sur cette page d’écriture, et reprenons le souffle des analphabètes qui
m’ont appris le peu que je sais. Revenons à cette jeune fille. Le temps a passé. Elle a pris à
part entière, et cela en plus de son travail quotidien, les taches les plus importantes
qu’assumait sa mémé. La vie à nouveau s’installe entre cette maman et ses deux filles. On
prend des habitudes et, selon son tempérament, on se fabrique un univers. Le souvenir des
êtres disparus voyage au niveau d’affections particulières qui vibrent selon leur intensité. La
maman se laisse bercer par ces sollicitudes que la petite lui porte. Appelons-la Brigitte. Elle
s’installe dans un univers où l’on se distribue sans presque rien prendre, hormis le spectacle
des joies que l’on donne. Et puis un jour, le choc.
La chose subie qui se manifeste par le verbe. Un seul mot.
Maman.
Mais ce mot-là, ce n’est pas la fille qui le prononce à sa mère, non, c’est la mère qui le dit à
son enfant. Cette enfant dont le mental, sans même s’en apercevoir, s’est à ce pont construit,
je devrais dire projeté, dans ce transfuge, que même sa maman s’en est allée glisser aux
abysses secrètes des constructions hermétiques.
Hermétiques, peut-être, mais palpables.
Et palpables au niveau de l’esprit, puisque ce transfuge de la grand mère à travers la petite

Voyage au delà du mental. 16


fille est tellement criant d’authenticité, que la maman elle même tombe dans le piège de ce
cosmos gigantesque où le corps physique traduit les élans spirituels.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Je veux vous épargner le chemin parcouru par cette gosse avant que son corps ne vienne
s’échouer aux plages jumelles que sont mes mains.
Qu’importe.
L’important c’est ce chemin qu’il va lui falloir faire, cette marche arrière où dans le temps à
venir qu’elle devra effectuer, pour régénérer ce corps physique délabré et lui redonner sa
véritable dimension.
Mon vieux maître Hartiss réussit ce tour de force à travers moi. D’autres, depuis, sont venu
s’y ajouter, mais celui-ci m’a laissé au coeur cette joie qui, je l’imagine, doit rester au coeur
des chirurgiens réussissant une opération désespérée.
Les lignes qui vont suivre, je ne vais pas les écrire pour le profane. Elles sont destinées aux
savants, aux chercheurs, et aussi à ceux qui savent.
Et moi qui n’ai pas prêté le serment d’Hippocrate, je jure ici seulement devant les hommes,
que rien, absolument rien d’autre que ces moyens employés, réussit ce qu’aucune drogue
jusqu’ici n’avait pu réaliser.
J’ai la certitude que cette thérapeutique existe depuis le fond des âges et que les choses que
l’on m’a transmises le furent également à d’autres horizons. Je connais des Africains, des
Indiens, qu’ils soient des Indes ou d’Amérique, qui utilisent les mêmes procédés que mon
maître. Aujourd’hui seulement, après bientot quarante ans de route commune, il me permet
de le divulguer. Ce secret là, c’est la turquoise.
Cette pierre dite « précieuse », mais qui, pour ceux qui l’utilisent, n’est qu’un minéral vivant,
car l’esprit de l’homme malade le fait mourir.

4
DE LA TURQUOISE
A LA THERAPEUTIQUE.
La main dans la poche, mes doigts triturent sans conviction, avec lassitude, une poignée de
turquoises brutes. Autour de moi, la foule de dix-huit heures promène aux couloirs du métro
parisien une nostalgie qui suit le train-train quotidien.
Mon Dieu, qu’il parait triste le regard de l’homme sur qui pèse la nostalgie de choses
indéfinissables! Sous mes doigts, les pierres roulent; et dans cet inconnu d’un minéral éclaté,
mes doigts font un choix. Une pierre, dont la forme angulaire a heurté leur sensibilité, roule
maintenant entre mon pouce et mon majeur.
Et soudain, cette pierre se met à vivre.
Parmi toutes les autres, c’est elle que je sens.
Station Opéra. L’asphalte du quai absorbe ma marche, puis le dos appuyé au mur de faïence,
marque un temps d'arrêt, sors la turquoise de l’assemblée de ses soeurs, et la découvre dans le
creux de ma main.
Ah ! l’étrange construction...
Il a existé, ce jour dont je parle. Il a laissé sa trace dans le temps. Oui. Ce jour-là, un
homme, un inconnu, dans le métro, station Opéra, retirant la main de sa poche, en sort une
turquoise brute de quinze grammes. Et cette turquoise dans le creux de sa main, il lui semble
qu’elle vit. Une étrange sensation lui paralyse le poignet. Il n’a pas peur; il a rendez-vous
avec son maître, place de la Bastille.
Je te dis qu’il n’a pas peur! Car l’étrange est son lot. Rien ne sert de fanfaronner, et pourtant,
oui, pourtant, dans le creux de sa main, la turquoise se fait plus lourde.
C’est le rêve, sûrement c’est lui, ou bien alors une hallucination; car hormis le rêve ou
l’hallucination, rien d’autre ne peut faire que cette pierre dans le creux de ma main se fasse

Voyage au delà du mental. 17


plus lourde.
Mais qu’est-ce je fous sur ce quai de métro alors que le vieux m’attend à la Bastoche?
Je glisse la pierre dans ma poche et plonge dans le gouffre de la double porte du premier
wagon déjà bourré à bloc d’un groupe humain.
Enfin la Bastille. Evidemment, j’ai pris la mauvaise sortie. Je retrouve le vieux
confortablement installé à la terrasse du « Tambour ». Il me regarde arriver, le chapeau
rabattu sur le front, et ce sourire que je connais si bien.
- Alors, mon petit, ça va?
- J’ai les pierres, mon phral. J’ai fait comme tu m’avais demandé.
- Et alors?
- J’en ai trouvé une lourde.
- Vraiment lourde?
- Je pense! Et puis çà me chauffait dur. Ç’a me chauffe même encore.
- Elle était lourde et ça chauffait?
- Puisque je te le dis!
- Fais voir, dit-il soudain en retirant son chapeau.
Il le pose à l’envers sur ses genoux. Les cheveux blancs qui encadrent son visage font à
celui-ci un écrin insolite.
Jamais Pietro ne retire son chapeau. Et, à bien y réfléchir, c’est la première fois que je le lui
vois faire devant des gadgés. Je comprend immédiatement que cet acte fait partie d’une
construction que j’ignore. Une construction importante, car un Kakou ne se décoiffe jamais
devant les étrangers. Seuls ceux de sa tribu, de sa famille, les enfants peuvent jouer avec la
chevelure de l’ancien.
- Vide ta poche, me dit-il simplement.
J’obéis. Les petits cailloux se retrouvent aussitôt dans le fond du chapeau.
- Comme pour la loterie, je dis.
- Non, petit con. Seulement pour mesurer la force qui donne le pouvoir d’atteindre et de
donner la vie.
Je ne dis plus rien. Je regarde sa main qui, dans le chapeau, semble exécuter un ballet avec
les pierres. Ses doigts vont de l’une à l’autre, et soudain il dit:
- C’est celle-là
Dans le creux de sa main je la reconnais. Oui, c’est bien elle.
- Ca te chauffe ? je fais.
- Non.
- Ca te fait lourd?
- Non.
- Pourquoi ça te fais pas comme à moi?
- Parce qu’elle t’a choisi. Tu es sa correspondance animale.
- Sa correspondance animale?
- Oui. Le contraire de ce qu’elle est sur le plan du minéral.
- Nom de Dieu, je ne comprends rien, je fais.
- Pourquoi veux-tu toujours chercher à comprendre?
Laisse la découverte à ceux dont le rôle essentiel est de découvrir. Contente-toi de subir ce
que tu réalises, ou bien alors la joie te sortira du coeur par le trou de l’ennui, et tes mains plus
jamais ne seront soleils à ceux dont l’ame et le coeur possèdent le froid.
- Je voudrais savoir pourquoi cette putain de turquoise s’est faite plus lourde au creux de ma
main, alors que toi tu n’a rien senti. C’est ça que je voudrais savoir, pépé.
- Rien que ça?
- Je te jure, rien que ça.
- C’est tout simple, petit con.
- Tout simple?

Voyage au delà du mental. 18


- Bien sur! Ecoute: lorsque tu te nourris, ton corps devient plus lourd de la nourriture
absorbée, puis celle-ci digérée, ton corps retrouve son poids initial.
- C’est normal ça, Pietro, tu le sais bien!
- Bien sur que c’est normal, petit crétin. Maintenant, ouvre ta main et prends-la, cette putain
de turquoise comme tu dis. Attends qu’elle te chauffe encore et qu’elle te pèse.
Dans le creux de ma main, la pierre précieuse, comme un vulgaire caillou, semble me
narguer.
- On dirait un gravillon pour bitume, je fais. Y a pas de quoi en faire un plat.
- Et pourtant mon fils, dit Pietro en prenant ma main dans les siennes, et pourtant que tu le
veuilles ou non, cette pierre s’est nourrie de toi. Elle est devenue soleil. Un soleil qu’il te
sera nécessaire de posséder pour redonner la jeunesse à cette petite fille qui l’a perdue.
Sans la turquoise, tu ne peux rien. Avec elle, tu peux tenter et réussir. Je dis bien tenter, car
tout dépend d’elle et de toi
-...
- Je veux dire, de ton magnétisme et de l’accumulation que la turquoise en fait. Car dis-toi
bien ceci: cette pierre est la seule du lot capable d’absorber ton magnétisme et de s’en nourrir
pour pouvoir donner ses propres forces. Ecoute-moi, mon petit, tu vas comprendre...
Le salaud, il a pris toutes mes turquoises! Il les enfouit au fond de sa poche, et de la main se
recoiffe d’un coup sec.
- Tu t’emmerdes pas avec mes cailloux, c’est pas facile à trouver, tu sais?
- Qu’est-ce que ça peut faire, puisque tu possèdes ce qui t’est nécessaire. De tous les
animaux, l’homme est le seul qui mange plus qu’à sa faim. Et puis, dans le tas, il y en aura
peut-être une ou deux qui me pèseront lourd au creux de la main.
Ah ! nom de Dieu, les paroles ne sont rien à coté de son sourire. J’aimerais bien, je sais que
c’est impossible, mais j’aimerais bien que chaque homme puisse au moins une fois dans sa
vie recevoir un tel sourire. Car il en suffit d’un seul pour meubler les temps de désespoir. Et
toi qui ai eu ce privilège d’en posséder plusieurs à travers des hommes différents, je pense que
le destin a su me couvrir de communions intérieures, m’ouvrant ainsi la porte aux
prescriptions particulières, vécues à travers des hommes particuliers. Et c’est peut-être parce
que j’ai rencontré à l’âge de dix-neuf ans, le premier de ces sourires, que la joie de vivre ne
m’a jamais quitté depuis, et cela malgré la misère et la faim, le froid et ce que certains d’entre
vous nomment la solitude.
Il fut un temps de ma vie où le Pont-Neuf à Paris, était le lit de mes nuits, et le square du Vert
- Galant - l’on brûla Jacques de Molay le grand maître des templiers - mon paradis terrestre.
J’y retourne souvent. J’y emmenais ma compagne avant qu’elle ne me donne les petits
qu’elle me fit, et nous les y avons conduits au fur et à mesure qu’ils naissaient à la vie. C’est
en ces lieux que je reçus les premiers souffles de ce que je crois posséder. Et c’est là que,
demain, je m’en irai coucher sur le papier le peu que je sais du grand mystère de la turquoise
qui, des monastères du Tibet, vint un jour échouer aux pieds des Indiens et des gitans, pour la
même thérapeutique: l’équilibre du corps à travers le mental.

Square du Vert - Galant


au Pont - Neuf, à Paris.
Je me suis pointé au bout de l’île. Le dos appuyé au muret de pierre qui ceinture le square,
devant moi la Seine dégueule son flot boueux qu’elle s’en va cracher à la mer polluée par la
marée noire. Et là, je me souviens de ce temps où Pietro m’enseignait les étranges vertus de
la turquoise, jamais travaillée par la main de l’homme, et que seuls emploient les maîtres
tziganes - à l’encontre des Tibétains et des Indiens qui, par des procédés différents, l’utilisent
polie, en bijoux savamment élaborés. Dans mon livre Secrets oubliés des derniers initiés
gitans, j’avais déjà conduit mon lecteur à la découverte des turquoises de lumière que
composait un certain vitrail de la cathédrale de Chartres, en restituant au sol de la partie sud la

Voyage au delà du mental. 19


couleur de ce vitrail projetée par le soleil.
S’agit-il d’un chemin initiatique? Je ne le pense pas.
J’imagine seulement que les hommes, l’ayant découvert, en firent profiter d’autres hommes
sensibles à une forme de couleur matérialisée par le soleil pénétrant une matière alchimique,
et cela à travers la transparence d’un verre coloré. Il est un fait certain, c’est que ce chemin
de turquoise touchant le sol est comme la lanterne magique qui fait toucher au mur l’image
qu’elle projette. Ces turquoises-là, transmises par le soleil, changent de couleur suivant
l’intensité de celui-ci, et là le soleil rejoint l’homme qui, portant une turquoise authentique, la
voit changer de couleur selon la somme d’angoisse ou de sérénité qui est son lot.
Ceci n’arrive jamais avec les turquoises polies, ce qui tendrait à prouver que les Tibétains et
les Indiens du Mexique utiliseraient un procédé différent avec les mêmes matériaux. Pour
moi qui ne suis qu’un profane, je puis dire que je comprend mieux le procédé d’utilisation des
tziganes. Sans doute parce qu’il est moins élaboré, plus brutal, donc plus efficace pour
l’emploi que j’en fais, parce que d’avantage lié à l’instinct qu’aux constructions réfléchies.
Mais revenons un peu en arrière:
j’ai dix ans de moins sur les épaules. Pour la première fois de ma vie, je viens d’utiliser mon
regard comme moyen de défense; il va au-delà de ce que je voulais, c’est à dire seulement me
défendre. (Voir Traditions occultes des gitans).
L’homme qui l’a reçu, dans les jours suivants, semble perdre tout contrôle de lui même: au
volant de sa voiture, il est incapable de faire une marche arrière, et dans la même semaine, il
totalise trois accidents, chacun d’eux quelques minutes après m’avoir vu ou avoir entendu
prononcer mon nom.
Je suis atterré. Je n’ai pas voulu cela. Je me rends vaguement compte que j’ai joué d’un
pouvoir qui, poussé à l’extrême, devient monstrueux.
Je cherche le vieux. Je le trouve, je lui explique ce qui vient de m’arriver. C’est tout simple:
un propriétaire qui, pour m’expulser, terrorise ma femme et mes gosses lorsque je suis absent.
- Comment ça s’est passé? Me demande Pietro.
- J’ai vu ma femme et mes gosses coincés dans le couloir de l’immeuble avec l’interdiction
d’en sortir.
- Et alors?
- Je suis venu, je lui ai fait le regard et je l’ai pris par le revers de sa canadienne.
- Et alors?
- Je n’ai pas compris... Mes mains ne pouvaient se détacher de son vêtement... Il me semblait
que j’étais devenu un autre, c’est à dire un homme fort, un athlète, car le vêtement se
déchirait, et il ne me resta bientot plus dans les mains que les deux moitiés de celui-ci.
Ceci se passait à Gentilly, rue Raymond-Lefebvre. La police alertée, ne put constater que les
faits. Le petit bonhomme que je suis avait proprement dépouillé de sa canadienne, en la
déchirant, un homme qui, d’un seul coup de poing, aurait pu le mettre K.O.
Je revois encore la gueule des flics constatant la chose. Aujourd’hui, cela me fait sourire,
mais en ce temps-là, c’était autre chose.
- Ainsi, c’est toi qui as fait ça? (Un flic, ça tutoie facilement)
- Oui. Mais il bougeait beaucoup, ça m’a un peu aidé...
A la mine qu’il prend, je comprend qu’aller plus loin ne ferait qu’empirer les choses. Je
grimpe avec ma femme et mes gosses dans le panier à salade. Nous voici installé sur un banc
du commissariat de Gentilly, où j’aide patiemment à élaborer le procès-verbal qu’un pauvre
agent commis d’office s’évertue à rendre lisible. Puis, c’est la suite logique... ma famille
recueillie par un habitant du quartier, avant que d’entreprendre un voyage vers d’autres
horizons qui, un jour, nous accueilleront...
- Mais cet homme, poursuivi par une malchance qu’il me semble avoir provoqué, qu’est-ce
que je vais en foutre ? fais-je au vieux.
- Petit con, me dit Hartiss, je vais te mettre à la turquoise: ça lui fera du bien aux tripes, et ca

Voyage au delà du mental. 20


t’équilibrera le cigare.
Et, il passe alors un doigt par le col de sa chemise, et en sort un bien étrange collier.
- C’est une chose que je te laisserai quand je m’en irai plonger dans le ventre de ma mère,
fait-il soudain d’un ton grave. Ces petits cailloux, c’est l’équilibre, c’est la tranquillité et bien
d’autres choses encore, que tu utiliseras un jour sur d’autres hommes comme je vais le faire
sur toi. Retirant alors son collier, il me le tend et dit:
- Mets-le un peu pour voir.
Intrigué, je m’en saisis et, le passant par-dessus ma tête, je le fais glisser entre ma chemise et
la peau.
- Te voilà habillé, fait Pietro.
- Habillé?
- Oui. Pour peu de temps. Deux heures seulement. Les choses, après, iront mieux.
- Qu’est-ce qu’on va foutre pendant deux heures?
- Rien!
- Quoi, rien?
- Rien d’autre que posséder le silence.
- Ici? T’es dingue?
- Ici, petit con, et pas ailleurs.
Il se passa alors une chose étrange: le bruit, petit à petit, semblait se fondre dans le silence.
Cela devenait murmure. On eut dit un bruit de source.
Au sourire que faisait le vieux, je me rendais compte que lui seul tenait en main la situation.
Sur la place, la ronde des voitures, la marche des piétons me paraissaient loin des perceptions
normales.
A mon cou, ou plutôt au niveau du plexus solaire, une chaleur aussi douce que la chaleur de la
main de mon dernier gosse, ne me quitte pas.
Mon maître a posé sa main sur la mienne. La chaleur disparaît, le bruit à nouveau meuble le
silence, et la ronde des voitures voyage dans une dimension retrouvée.
Le temps se normalise à travers une chose qui semble disparaître.
- C’est fini, Pierre, redonne-moi le collier, mon petit, tu n’en as plus besoin.
Je me laisse faire.
- Je pense même que plus jamais de ta vie tu n’en auras besoin. Car dans deux heures, tu
auras tout absorbé.
- Tout absorbé?
- Oui. Tu es devenu un homme tranquille qui distribuera la tranquillité.
- Et le mec?
- Ton mec suivra son destin, mais rien de ce qui pourra lui arriver ne viendra de toi.
- Comment peux-tu le savoir?
- Parce que tu viens d’apaiser ta colère.
- Mais je ne suis pas en colère contre lui!
- Plus maintenant, mais tout à l’heure tu l’étais. Involontairement, sans doute, mais tu l’étais.
Tu vivais le ressentiment du loup vis à vis du chacal qui attaque sa femelle et ses petits. Ce
n’est que ça, mon fils. En cet instant qui vient de passer, tu t’es libéré de la puissance de
destruction qui était en toi. Tu mérites à nouveau de plonger aux sources que sont les regards
de tes gosses et de ta romnie.

Je reviens au présent. Le muret de pierre du square du Vert-Galant m’offre son assise


inconfortable. Dans ma poche, la turquoise prend un visage, ou plutôt non, un visage me
vient au coeur à travers la présence de celle-ci.
Le visage d’une petite môme de vingt ans, qui porte dans le coeur et sur le corps le poids des
lassitudes de sa mémé disparue. Dans trois jours elle sera là, tel un gisant vertical, au bout de
mes mains, de mon regard.

Voyage au delà du mental. 21


Ah ! la solitude...
l’étrange solitude qui, à chaque fois, se fait mienne en cette attente où la réflexion, petit à
petit, s’en va grignoter les frontières de l’instinct.
Et cette peur, je te dis cette peur qui m’habite et qui chaque fois disparaît sitôt que mon regard
enveloppe l’AUTRE.
Car, au bout de l’attente, l’instant s’installe dans la perception devenue le REEL, et pour lire
cette construction, cette dégradation du psychique anéantissant le corps, je n’ai que mes
mains, dix doigts, une turquoise.
Comme un sculpteur devant un bloc de marbre qu’il va tenter de faire vivre, je m’en vais
essayer de construire la vie.
N’allez surtout pas croire que le sculpteur jette au hasard son premier coup de ciseau. Non. Il
y a des nuits qu’il y pense. Il n’en dort plus.
Et puis là, devant ce bloc minéral inanimé, il envoie au sol son premier éclat. La forme, à
travers ce premier geste, vient déjà de se construire.
Pour cette petite, ce sera la même chose. Je ne suis que cela: un sculpteur.
Un sculpteur particulier sans doute, mais je ne suis rien d’autre que ça.
Tout dépend de la « turquoise », et de l’instinct.
J’y vais.
Elle n’a plus peur.
J’y vais.
Elle est debout, toute nue, elle n’a plus peur, j’ai dit. Ma main gauche se pose sur son front,
la droite en fourchette, « index » et « majeur », part de la vertèbre cervicale et plonge vers la
sacrée. Un arrêt aux dorsales: c’est pas fameux. Les lombaires me chauffent: c’est pas plus
fameux. J’arrive à la sacrée: c’est la catastrophe!
La colonne vertébrale de la petite vient de ma livrer une partie du secret de son psychisme. Je
vais vérifier sur le recto. Je la fais doucement pivoter vers moi.
- Et alors, me dit-elle tout bas?
- Je cherche, ma petite fille. Ca va, ça va, ferme les yeux, respire lentement, les bras le long
du corps, n’aie pas peur.
Je suis planté devant elle comme si elle n’était qu’une statue à qui il fallait donner la vie. Je
contrôle ma respiration, joins mes doigts sur chaque mains et, lui faisant un collier de mes
bras, je lui prend le bulbe rachidien. Je descends sur la première vertèbre, je suis l’itinéraire
des muscles des épaules et du cou, puis je plonge vers la gorge.
Le plexus d’angoisses est bloqué.
Mes mains me chauffent. Je descends toujours:
le plexus solaire est bloqué.
Je continue mon étrange parcours, je m’arrête au niveau de l’estomac, mes mains me brûlent.
Nom de Dieu!
Je laisse tomber mon bras gauche le long de mon corps.
Ma main droite se promène sur le ventre.
Je cherche.
Les ovaires? Ca va.
Le foie? Ca va.
Les intestins? Ca va. Ma main remonte.
Les poumons? Ca va.
Le coeur? Ca va. La mécanique fonctionne.
Ma main gauche fait maintenant face à la droite. Le corps, entre elles, prête ses formes. De
la main gauche, je descends des lombaires à la sacrée; avec la droite, du plexus au pubis en
passant par le noeud de vie.
Et là, le froid. Rien que le froid.
C’est-à-dire: « mort de la sexualité ».

Voyage au delà du mental. 22


Je suis atterré. Car la sexualité, c’est la vie.
Je me suis peut-être trompé.
Je vais faire mon premier souffle; c’est peut-être trop tôt.
Oui, je verrai plus tard.
Je vais vérifier les réflexes de marche.
Je suis maintenant à genoux derrière elle, et je lui explique:
- Je vais tenir votre talon au sol entre le pouce et l’index, et vous allez essayer de marcher.
- Tout de suite?
- Non. Quand je vous le dirai.
Ma main droite s’est posée sur sa hanche. Je contourne la fesse et amorce de l’index et du
majeur un itinéraire partant du haut de la cuisse jusqu’à la pliure du genou qui résiste. « C’est
bon ». Je continue. Le muscle du mollet est dur: « C’est mauvais ». Entre le pouce et
l’index, je pince légèrement les tendons.
- Respirez lentement, faites un pas en avant.
Elle reste immobile,
je desserre l’étreinte:
- Allez-y.
Toujours rien. J’éloigne ma main.
- Et maintenant?
Elle reste là, plantée, incapable d’un geste.
J’essaye l’autre jambe: c’est la même chose.
Nom de Dieu! Il ne reste plus rien d’autre que la réaction du souffle.
Je reprends un peu ma respiration.
Je suis fatigué. Mes épaules me font mal. Cela me rassure, car lorsque les épaules me font
mal, c’est déjà pour moi l’amorce d’une construction.
Je lui explique doucement les choses qui vont suivre. Ses yeux bleus noyés d’un reflet de
tristesse posent leur lueur au fond de non regard.
Je l’aime bien cette petite.
Mon Dieu, qu’il est fragile l’homme devant la maladie et la mort! Il y en a eu, dans ma vie,
dans les temps de violence, qui sont morts dans mes bras, et d’autres qui s’en sont allés sur
des soupirs de lumières, comme mon vieux maître, Pierre le Petit. Mais cette gosse-là se
meurt d’amour.
N’allez pas croire que j’extrapole. Sa famille entière s’en rend compte et la voit disparaître.
Il ne me reste plus qu’une chose pour la sortir de là: le « souffle », et puis encore la turquoise.
Si le souffle passe, la turquoise passera, et la vie et la jeunesse retrouvées reviendront. Elle
écoute, tranquille, le chant de ma parole.
- je vais poser ma bouche ici, juste sur votre plexus solaire, puis mes deux nains posées en
griffe sur vos vertèbres lombaires vont vous appliquer de toutes leurs forces sur mon visage.
Je prendrais alors ma respiration. Le reste viendra tout seul.
C’est à peine si elle entend. Elle est là, posée, bien droite devant moi assis, qui, entre mes
deux genoux, lui serre les jambes.
Mes mains glissent derrière son dos. Les lombaires. Voici les lombaires. Je cherche la
position sur les vertèbres.
Voilà. Ca y est. C’est bon.
Mon visage s’approche de son corps. Mes yeux se ferment.
Mes lèvres cherchent.
- Là. Ca y est, n’aie pas peur ma petite fille, je vais serrer de toutes mes forces.
Je prends mon souffle; ma bouche se pose sur sa peau. Je retiens mon souffle. Je serre de
plus en plus fort. J’attend les petites étoiles, j’entends battre mon coeur, puis le sien.
Nom de Dieu, c’est long.
Les étoiles. Enfin, les étoiles au fond de mon oeil.

Voyage au delà du mental. 23


Je lâche tout, épuisé.
Ma tête repose sur son ventre.
Sa peau à mon front n’est plus qu’une plage.
- Comment ça va?
- Ca tourne...
- Beaucoup?
- Non un peu.
- C’est bon. Je vais recommencer encore une fois, après ça ira mieux.
Je me demande si je ne fais pas une connerie en lui faisant un deuxième souffle. Et je me
mets à penser à mon dernier gosse, que j’ai quitté tout à l’heure alors qu’il jouait avec ma
cavale. Fera-t-il lui aussi, un jour, le souffle sur ses frères humains? C’est drôle, il a suffit de
cette pensée vers ma femme et notre petit pour que mes forces reviennent.
Brigitte, puisque c’est ainsi qu’elle se nomme, s’est un peu éloignée. C’est à peine si ses
formes meublent le petit slip de dentelles qu’elle porte.
Et dire qu’elle a vingt ans!
- Allez, viens, petite fleur, la vie va après la vie.
Ces paroles que chantaient les vieux lorsqu’ils m’apprenaient le langage des Kakous me
viennent aujourd’hui presque d’instinct. La petite fleur arrive! Elle me sourit.
Ce n’est pas le franc sourire, mais ça vient.
Non seulement elle n’a plus peur, mais elle a confiance.
Son regard ne quitte pas le mien. Déjà mes mains sont bloquées sur sa colonne vertébrale, et
ma bouche, qui ne cherche plus, s’est posée sur le coeur, que mes lèvres tout à l’heure ont
imprimée sur sa peau.
Je prends ma respiration.
Elle ferme les yeux.
Je ferme les miens.
Je retiens mon souffle, et à nouveau, j’attends les étoiles, j’entend battre nos deux coeurs, puis
je lâche tout, exténué.
Elle vacille. Je l’allonge sur le canapé.
Je suis passé.
J’ai gagné la première manche. Mes épaules. Nom de Dieu, mes épaules! Ca me dégringole
de partout, et soudain je me rends comptes que faire deux souffles est plus épuisant que de
donner son sang. Lorsque je donne mon sang, j’ai faim.
Lorsque je fais le souffle, j’ai soif. Une chose bizarre, soif d’alcool.
Or, l’alcool est une drogue. Stimulante parfois, mais une drogue. La différence entre ces
deux fatigues, ne tient sans doute qu’à cela. Lorsque je donne mon sang, j’ai besoin de ma
nourrir physiquement; lorsque la nourriture que je donne s’en va voyager au niveau du
psychisme, celle que je prends à travers le whisky semble combler le vide que je viens de
donner. Etrange, sans doute. Mais je ne suis pas le seul à l’avoir constaté. Pour Hartiss, c’est
le genièvre; pour Pépé de Pise, l’alcool de riz.
Laissons aux savants le soin de rechercher le pourquoi de la chose, et revenons à cette petite.
Elle s’est habillée, sa maman est à coté d’elle. Toutes deux me font face. J’en suis à mon
deuxième whisky. Je n’ai pas tout à fait repris ma vitesse de croisière, mais je suis bien.
Fatigué, mais bien. Brigitte aussi.
- Ca ne tourne plus, me dit-elle.
Elle se sent reposée.
- Mieux, fait-elle dans un sourire. Il y a longtemps que je n’ai pas été comme ça.
C’est maintenant l’heure de la turquoise. Je la tiens là, dans le creux de ma main. Comme
elle me parait légère! Un flash de souvenir au seuil de ma mémoire... comme elle était lourde
dans le métro, et comme elle me chauffait, la garce.
Je la regarde. Une sorte de sentiment joyeux surgit du fond de moi. Une complicité semble

Voyage au delà du mental. 24


jouer entre nous deux, et puis, je le pense vraiment, une part de rêve, de merveilleux, est
venue se poser là, dans le creux de ma main.
Cette part de rêve, c’est la part de Dieu, s’il existe; c’est la part du grand mystère que
l’homme a oublié, et que moi, l’obscur, je manipule avec amour.
Car sans amour, rien ne serait possible.
« Car il ne suffit pas d’avoir le don, il faut aimer, me disait Pierre le Petit, Kakou en Arles.
On dit des jardiniers qu’ils ont la main verte lorsque les plantes leur poussent entre les doigts.
C’est faux, c’est le coeur, mon petit, qui porte la fleur, mais c’est la main qui construit. Il en
sera de même pour toi, un jour, mais les plantes qui te pousseront entre les mains ne seront
pas des mêmes jardins, et l’on dira de tes mains ce qu’on a dit des miennes. Elles seront alors
devenues les mains de la tranquillité, celles de l’homme soleil. Je souhaite que le coeur te
dure au ventre pour que longtemps puissent chanter tes mains dans le soleil, mon fils ».
Mais le moment est venu d’expliquer la turquoise. Comment faire? Rien d’autre que de
conter ce que Pietro me conta un jour où il décida que les temps étaient venus pour moi d’en
connaître l’essentiel.
Un peu de rose semble colorer les joues de Brigitte. Entre nous deux, la turquoise jette son
insolite géométrie. Je dis:
- Tout ce qui existe dans la nature possède la vie. Car la vie peut naître de la mort, et
l’homme qui disparaît à la vie apporte à la terre l’équivalence des choses qu’il y a puisées. Le
végétal suit également cette règle essentielle, et le minéral ne lui échappe pas. Le temps de
vie de chacun va en fonction du temps qui lui est imparti. Après c’est la mort. C’est-à-dire
une porte ouverte vers d’autres construction.

- Une goutte d’eau, Pierre, me disait Hartiss, une goutte d’eau qui meurt au soleil, c’est quoi?
- De l’oxygène et de l’hydrogène.
- C’est quoi?
- Des gaz qui sont dans l’air que tu respires.
- Ah ! bon, fait-il en me souriant. Tu en connais des choses, toi.
Je le regarde. Il ne dit pas ça pour rire. Il le pense. Oui, cet homme, ce puits de savoir,
ignore l’oxygène et l’hydrogène. Et lui qui voyage dans cette dimension que l’on nomme
irrationnelle, s’émerveille de ce que tout un chacun connaît. Là est le fantastique.
Ecoute-le, lecteur, cet homme ignorant de l’H2O, m’expliquer le grand mystère de la
turquoise. Car les lignes qui vont suivre ne sont que le reflet de cette parole que je recueillis
un jour, et qui pour moi fut nourriture.
- Dans tout ce qui nous entoure, Pierre, ce vide dans lequel nous allons de la route à la rivière,
de la foret au désert, ce vide qui t’ouvre son ventre pour que tu puisses y porter tes pas, ce
vide que tu nommes « espace », est habité par des choses invisibles, des serpents que n’arrête
même pas l’obstacle de ton corps. Toi et moi, en ce moment où je te parle, somme traversé
par de petits serpents qui traversent également les murs des maisons, les montagnes,
franchissent les océans, et s’en vont mourir sur une chose qui les digère ou les repousse selon
ce qu’ils sont, bons ou mauvais.
Ceux de chez toi, on réussit à les mettre en boite... Eh ! tu m’écoutes? C’est pas des
conneries que je raconte...
- Quand tu étais petit, les hommes de chez toi avaient réussi à attraper les serpents de la
musique. Pour cela, ils avaient fabriqués des petites boites que l’on achetait chez les
électriciens. Dedans, il y avait des bobines de fils, des petits carrés pleins de choses, et une
aiguille très fine qu’il fallait promener sur un caillou de la boite. Deux fils en sortaient, qui
étaient reliés à deux écouteurs posés sur une lame de ressort qui te les serrait sur les oreilles.
Et lorsque l’aiguille avait trouvé le bon endroit, tu entendait de la musique. C’était la T.S.F.
Et lorsqu’on voulait acheter une petite boite, on demandait un « poste à galène »
- J’ai connu ça, Pietro, j’avais dix ans. J’en ai même fabriqué, car à l’époque, on les vendait

Voyage au delà du mental. 25


également à construire.
- Ca t’a pas coupé le souffle?
- Quoi, pépé?
- Le petit caillou.
- Quel petit caillou?
- Celui qu’il fallait piquer avec l’aiguille.
- Non, je savais ce que c’était.
- C’était quoi?
- Du minerai de plomb. La galène, c’est ça, rien d’autre que du minerai de plomb.
- Je le sais, petit con, comme je sais également qu’aucune autre pierre que celle-ci n’est
capable de capter les ondes hertziennes. Parce que ça aussi, je le sais. J’espère maintenant
que tu as compris avec la turquoise?
- La turquoise?
- Ecoute-moi, mon fils, je viens un peu de jouer avec toi. Ca fait du bien lorsque le père et le
fils s’enseignent mutuellement les choses qu’ils possèdent séparément. Tu en auras de ces
joies-là lorsque tes petits devenus hommes, s’étant instruits à des choses que tu ignores,
t’apporteront cet émerveillement que, bien souvent, tu m’as fait découvrir. Ecoute-moi bien,
Pierre, lorsque la chair issue de ton sang t’apportera le secret d’un savoir que tu ignores, il te
faudra recevoir cela comme une nourriture. Peu d’hommes le supportent, parce qu’ils sont
détruits par l’orgueil. Moi, je te le dis, bienheureux l’homme qui recevant l’enseignement de
son fils s’en fait une nourriture. C’est ce que j’ai vécu avec toi, et c’est ce que je te souhaite
de vivre, en te disant: « Bon appétit », petit con...
Il éclate alors de rire, et reprend:
- Pense, mais pense un peu qu’il n’existe qu’un seul minerai sur toute la terre capable de
capter les ondes hertziennes; et que le diamant le plus fabuleux laisserait muette la petite boite
à musique.
Je le regarde, et il poursuit:
- Comme seule la turquoise, et la turquoise seulement, est capable de reconstruire la chose
secrète du moteur-vie que l’homme porte en lui. Car l’homme aussi, mon fils, est une petite
boite. Une petite boite compliquée, dont le mécanisme est si fragile, que son esprit à lui seul
est capable de détruire ce mécanisme.
- De l’autodestruction, pépé, c’est ça, hein?
- C’est pis que ça, mon petit, car il y a dans l’autodestruction une volonté d’aboutir. Or, dans
cette destruction dont je vais te parler, les facteurs agissants sont involontaires. Ils rejoignent
les zones d’ombres, les plages secrètes, où le conscient cède la place à l’inconscient, ce
mental qui vous échappe et que, pourtant certains hommes arrivent à déceler, à transformer
grâce à la turquoise. Le corps humain, comme la petite radio à galène, possède lui aussi son
aiguille chercheuse. Je devrais même dire que trois pointes, selon les cas, délimitent par la
douleur ou une gêne, l’origine de la névrose. Ce sont la nuque, la gorge, le plexus solaire.
Parfois les trois, surtout dans les cas de dépersonnalisation. Mais chacune des deux premières
a un rapport précis avec le plexus solaire. C’est donc sur celui-ci que le Tzigane va bloquer
toute son énergie. La première manifestation étant le souffle.
On verra dans mon prochain ouvrage, comment il traite les zones nuques et gorge.
Devant moi, Brigitte et sa maman écoutent la chanson de la route.
- Lorsque je serai parti, ma petite fille, vous mettrez cette turquoise dans un petit sac en tissu
naturel, puis vous le suspendrez avec un lacet autour de votre cou, de manière à ce qu’il
puisse se poser juste à la hauteur où tout à l’heure, j’ai posé mes lèvres sur votre peau.
Elle me sourit et dit:
- C’est drôle, je me sens bien. Je ne peux pas dire tout à fait, mais c’est bien; vraiment je ne
comprends pas, mais c’est comme ça.
Elle me sourit, tend la main vers la turquoise, s’en saisit. A nouveau, j’attrape son regard.

Voyage au delà du mental. 26


Je suis apaisé. Mes épaules ne me font plus mal, mais je n’arrive pas encore à surmonter ma
fatigue.
Alors commence à venir dans le coin secret des choses que je possède en moi, comme une
certitude que cette turquoise m’a pris d’avantage que mon souffle vient de donner.
Je ne tenterai pas ici d’en démonter le mécanisme. Car aucune certitude ne peut aboutir au
bout de ma plume.
C’est seulement du sentiment que j’éprouve que je vous entretiens. Un sentiment qui
n’emprunte rien à la logique, parce que, je le pense vraiment, essentiellement conduit par
l’instinct.
Aucune volonté ne conduit mes gestes, je les subis, je ne contrôle pas le mouvement, je le
suis, je ne mesure pas mes constructions dans le temps, je ne suis qu’une présence.
Une présence qui, dans le mouvement, conduit mes gestes à travers le temps, construisant
ainsi une force qui s’échappe de moi, sans que la raison, la volonté puissent en quoi que ce
soit en mesurer l’intensité.
Là et seulement là, est le mystère, qui bien souvent, vient me visiter.
Car si tu savais, lecteur mon ami, ce que cette main qui suit la marche de mon écriture, a pu
en voir de choses merveilleuses, lorsqu’elle fait par exemple, durer la rose que ma compagne,
dans le vase à long col où elle l’a posée pour le plaisir d’un soir et d’un matin, la retrouve le
temps d’une semaine, de deux, parfois de trois.
Mais d’où vient cette force, cette énergie, que l’homme la possédant distribue comme un
aveugle, un ignorant.
Où se trouve ce cosmos de l’irrationnel qui se manifeste par le concret?
Car ce ne sont pas mes mains qui prolongent l’agonie de la fleur, et la font durer au-delà de la
logique, c’est autre chose, et c’est cette même énergie qui va reconstruire jeune fille ce corps
épuisé par une construction de l’absurde.
Car cette petite fille-là qui, devant-moi, profile l’image désolante d’un corps enveloppé de
lassitude, elle chante aujourd’hui, elle danse, elle rit, elle vit, entraînant dans son sillage de
vie la vie entière de sa famille.
Que suis-je dans tout cela?
Rien d’autre qu’un spectateur.
Un spectateur un peu artiste, un artiste inconscient, toujours émerveillé du spectacle que lui
apporte ce qu’il a construit: une rose qui ne veut pas mourir, ou une petite fille qui,
ressemblant à la rose, suit le même chemin jusqu’à l’inéluctable, où l’homme et la fleur
construits d’une poignée de terre et d’un peu d’eau, s’en iront redonner à la terre ce qu’ils y
auront puisé de vie.
Dans la voiture qui me ramène vers Paris, je garde le silence. Au volant, la maman de
Brigitte égrène au fil de la route des souvenirs qui, je le voudrais bien, vont s’estomper dans
la grisaille des choses vécues.
- Je pense que ça va aller, dis-je pour meubler le silence.
- Je voudrais tellement que ma petite se sorte de là...
- Je ne suis pas le bon Dieu, je fais ce que je peux. Quelquefois ça réussit, ça réussit même
souvent, des fois aussi, ça lâche, ça disparaît et je ne peux rien faire. Mais pour votre petite,
si j’en crois la fatigue, je pense qu’il y aura encore du soleil sur son sourire.
Sur mes genoux, les roses de son jardin qu’elle a cueillies pour ma cavale, jettent une
harmonie de couleurs tendres. Et soudain, je pense que pour le vieux, c’est la fleur du
mensonge, qui fut créée par les hommes, mutilant la rosa simplex, pour fabriquer cette fleur
artificielle que créa un art particulier.
Car il est des inventeurs de roses comme il est des inventeurs de bombes.
Qu’importe.
Ce soir, avant que de m’en aller au repos, je magnétiserait une rose.
Je l’ai fait.

Voyage au delà du mental. 27


Elle a duré jusqu’à l’aube du jour où pour la deuxième fois je me dirigeai vers la demeure de
Brigitte.
A nouveau, l’inquiétude monte en moi.
Qu’il est petit l’homme et que court est le chemin où il pose ses pas le conduisant à ce qu’il
tente de réaliser.
Il aurait fallu deux années pour que Brigitte transforme son apparence et puisse, face à un
miroir, esquisser la forme d’un sourire retrouvé sur ce visage lui renvoyant l’image d’une
jeune fille éclatante de fraîcheur et de sérénité.
Et moi, qui ai assisté à ce miracle de la nature, inscrit à mes yeux comme il le fut pour
d’autres regards, j’ai essayé de faire la part des choses, de recenser les matériaux qui
élaborent cette construction, et je me suis aperçu que la turquoise, mon souffle, mon
magnétisme, ne furent pas seuls à réaliser ce miracle qui, à bien y réfléchir, ne put se produire
que parce que le mental, voyageant dans une dimension particulière, ouvrait l’esprit à l’esprit
de Brigitte des chemins où celui-ci s’en allait voyager vers un possible devenant saisissable.
Imaginez un peu ce que cette gosse fut pour moi. Elle bouffait littéralement ma manière de
vivre. Chaque séance me laissait épuisé. Le soir, à la table de famille j’étais comme absent.
Et puis u n jour, Pietro me dit:
- Regarde-la bien cette petite, elle va te rappeler quelqu’un.
- Elle ne me rappelle rien, ni personne, je fais.
- C’est parce que tu l’as mal regardée. Tu ne fais que toucher le corps et balayer l’esprit. Fais
le contraire la prochaine fois.
- Le contraire?
- Oui, tu balayes le corps, et tu touches l’esprit. Rappelle-toi ce que je t’ai enseigné.
- Et alors, et après?
- Eh bien, tu construiras, petit con!
Et un jour, je me souviens, c’était un dimanche, l’avant dernier dimanche où je lui fit le
souffle. Les muscles se reconstruisaient, la poitrine, menue mais bien faite, jetait les pétales
de ses deux fleurs à la vie. La courbe des hanches amplifiait le mouvement de la colonne
vertébrale, soutenant un visage où le sourire avait, comme le renard, retrouvé un peu de son
éclat. La grand-mère avait disparu aux yeux de ceux qui ne la portaient plus maintenant que
dans leur coeur, comme un souvenir tranquille ayant retrouvé sa place dans le temps qui fut.
Et là, en cet instant que je vous conte, au moment précis où elle enfilait son pantalon, l’image
de ma petite soeur vint se fondre sur elle comme en surimpression, et cette image, ce rêve
réalisé dans un état de veille, la reconstruisait à travers Brigitte vêtue d’une robe bleue à pois
blancs.
Pietro m’avait initié au décryptage de ces images fugitives.
Dans cet instant, je sus que celle-ci était une clef, que je me devais d’employer sur le champ.
Ce jour-là, les leçons de mon maître portèrent leurs fruits.
Ceux qui la connurent, savent ce que fut le poids des rires et des larmes qui bercèrent la vie
terrestre de ma cadette. Mais seul, je fus avec ma romnie et Pietro Hartiss à recueillir le
souffle de ses désespérances et ses dernières volontés qu’elle me communiqua dans le métro,
dix jours avant sa mort. Je n’aurais pas ici l’impudence de jeter sur le papier ce qui fut notre
secret; mais je peux dévoiler ce qui, pour elle, fut une harmonique mentale à travers une
couleur que je lui avais demandé de porter en un temps de sa vie, à savoir: une robe bleue à
gros pois blancs.
Une chose banale en soi, qui selon toute vraisemblance rejoignait davantage l’esthétique, sans
que j’y voie alors une autre motivation.
A bien y réfléchir maintenant, presque vingt ans après, cette robe, lorsque le souvenir de ma
petite soeur vient effleurer le seuil de ma pensée, à n’importe quel âge que je puisse me la
rappeler, c’est toujours cette robe qu’elle poète. Une robe bleue turquoise à gros pois blancs.
Fantasmes?

Voyage au delà du mental. 28


Sans doute.
Ou, peut-être, va donc savoir, autre chose. Une chose construite dans l’abstrait qui, se
décantant, devient perméable à certaines perceptions cachées. Et si cette robe avait été un
instrument, un outil, capable d’élaborer des constructions mentales, manipulant ainsi
l’intellect, pour une certaine manière d’exister, ou, à défaut, pour mieux percevoir le monde
extérieur, pour y voyager plus à l’aise.
Ou, si vous préférez, sentir le parfum des violettes sur un tas de merde.
C’était ça qui manquait à Brigitte: le parfum des violettes. Tout ce que j’avais pu lire en elle,
hormis l’amour des siens, était triste, désespéré. Dans l’instant, toutes les images dont je me
souvenais, voyageaient à coté du FEMININ.
Lui avoir redonné son aspect physique n’était rien. Ce qu’il fallait, c’était lui redonner la
respiration de la femme, et toutes ses aspirations.
Non seulement la forme, mais aussi le geste.
Et cela à travers tous les abandons, les forces, les créativités.
Quel aveugle j’étais!
Et quel con...
jusqu0ici, je n’avais été que mécanicien. Mais pour que cette mécanique puisse vivre, il lui
fallait le souffle. Et là, dans ce moment où l’image de ma petite soeur s’en était venue
effleurer le seuil de ma mémoire, je lui dis:
- Maintenant que la vie est enfin revenue sur toi, petite fleur, tu devrais également donner de
la gaieté aux vêtements que tu portes. Voudrais-tu me faire plaisir?
- Bien sur.
- Eh ! bien, la prochaine fois, j’aimerais que tu sois vêtue d’une robe bleue à gros pois blancs.
Une robe toute simple, une robe de jeune fille.
Une robe toute simple.
Mais il est des certitudes qui, dans le temps, à défaut de ne pouvoir se réaliser sur le moment,
exigent une quête invraisemblable, qui parfois s’avère impossible. Car jamais Brigitte ne put
trouver un tissu bleu à pois blancs; et cela malgré son métier, qui l’oblige à de nombreux
déplacements, comme, par exemple, suivre le Tour de France cycliste.
Ah ! ces constructions hermétiques qui paraissent logiques et qui ne le sont pas. Parce qu’en
fait, il existe, ce tissu.
Il existe quelque part.
Il a vêtu ma petite soeur.
Je l’ai cherché au pied de la butte Montmartre, marché Saint-Pierre où les Tziganes viennent
chercher leurs étoffes chatoyantes, tissées de fil d’or, dans lesquelles elles bâtissent leurs
robes de fêtes. Ma compagne non plus n’a jamais pu le trouver. Et pourtant, il est si simple
ce tissu, que certains d’entre vous en gardent le souvenir.
Parce qu’il fut avant de ne plus être.
Dans cette alchimie du mental, cette absence peut pourtant devenir construction.
- Ecoute-moi fils, me dit un jour Hartiss, à bien y réfléchir, cette petite lorsque tu y penses,
comment la vois-tu? En passe-partout, ou dans la robe que tu construis en rêve?
- Pourquoi me dis-tu que je construit en rêve, pépé?
- Parce que je sais que c’est ainsi que tu la vois.
- C’est vrai, je fais.
- C’est ainsi qu’également elle se voit. Lorsque le souvenir de toi lui vient à certains
crépuscules, crois-moi mon petit, c’est cette chose, pour le moment inexistante, qui fait se lier
vos deux souffles. Oui, cette robe existe, mon fils, elle voyage au niveau de la pensée, elle
n’est pas une construction équivoque, parce que le mental, le sien, le tien, l’a réalisée. Elle
voyage déjà au niveau du souvenir, et d’une manière tellement forte que le jour où le
fantasme se réalisera dans le concret, cette robe appartiendra déjà au passé. C’est ça le
miracle, Pierre. Le vrai miracle qui fera se continuer la vie telle, tu l’as rendue au souffle de

Voyage au delà du mental. 29


cette petite. Tu ne fus qu’un moyen employé. La turquoise continuera l’oeuvre commencée,
et ce fantôme de robe est le lien indispensable qui unit à travers sa pensée la dualité de ta vie
animale et du minéral qui absorba une part de ton magnétisme pour qu’elle puisse en décanter
l’essentiel.
C’est tout, Pierre.
Plus rien n’existe au-delà de cela. C’est le noyau d’une vie que peu de gens reconnaissent.
L’important est que quelques-uns puissent s’en servir pour ce que c’est: un instrument
fantastique, qui fait que se continue la vie.

L’étonnant dans cette transformation du corps à travers un trouble de la personnalité, est que
cette dégradation qui se manifeste au niveau du palpable, puisse se reconstruire
physiquement. Il est bien évident que les choses allant au fil du temps, leurs transformations
sont progressives. Les proches du malade ne perçoivent pas immédiatement un état de fait
qui s’élabore lentement. Il fut un temps où, pour préserver la tranquillité de ma famille, je
m’était décidé à recevoir dans mon camion-roulotte.
Celui-ci, garé au fond d’une impasse, me servait également de lieu de travail. Ma compagne
y avait laissé tous ces objets qui, sur la route, sont le décor de notre univers quotidien, et que
nous aimons tant. Mes enfants, bien souvent, y conduisaient des visiteurs, et depuis, il leur
est souvent arrivé de ne plus reconnaître certains de ceux-ci qui, guéris et passant par Paris,
viennent nous apporter leur présence amicale.
C’est dire jusqu’où peut aller cette dégradation lorsqu’elle aboutit à son point ultime.
Il peut vous paraître aberrant de faire ainsi participer ses enfants, de les prendre pour témoins
des choses qui se réalisent devant eux.
En fait, je les instruis seulement aux choses qui leur sont perméables. A dix-huit ans, mon fils
Patrick réalisait ce qu’à quarante ans je n’avais pas encore entrepris. A quatre ans, mon avant
dernier, Alexis, arrête les hémorragies. Et lorsque les quatre enfants que me donna ma
compagne allaient à son sein, tout bébés, pour y puiser le « sang blanc » de leur vie, il
suffisait à ma cavale de prendre leur petite main et de la passer sur son front souffrant de
migraine, pour que celle-ci disparaisse.
Un jour peut-être, qui sait, un généticien se penchera sur ces guérisseurs qui, de père en fils,
possèdent ce que les imbéciles nomment le « secret ».
Il n’est pas de « secret », et ce « Pouvoir » si discuté par des savants ignorants, n’est en fait
qu’un don naturel.
L’homme peut transmettre ses tares à ses descendants. Pourquoi ne pourrait-il, de manière
tout aussi naturelle, leur transmettre le « don »? Surtout lorsque celui-ci vient de branches
héréditaires différentes. Ma grand-mère paternelle guérissait les brûlures, ses cinq enfants
aussi, certains de ses petits enfants également. Du coté de maman, un de ses oncles guérissait
ce que les paysans de Sologne appelaient les « humeurs froides ». on disait de Maria Valenti,
grand-mère paternelle de ma romnie, qu’elle pouvait se noyer dans tout le sang qu’elle avait
ramassé dans sa vie. Or ma compagne elle aussi guérit. Mais jamais ses mains ne touchent
d’autres corps que le mien et celui de nos petits, rejoignant ainsi une loi bien connue des
guérisseurs authentiques du mental, qui veut que la compagne soit le creuset de la force qu’il
puise en sa présence.
Je l’ai déjà dit, il y a dans cette médecine du mental un processus de force extérieure
impérative pour que sa construction devienne opérationnelle.
Elle ne peut le devenir qu’à travers l’équilibre de cette joie de vivre que doit posséder celui
qui la pratique. Cette médecine de l’équilibre du mental, je l’ai appliquée à des médecins, des
chirurgiens, des chiropracteurs, etc...
Imaginez, ou tout du moins tentez de le faire:
imaginez un chirurgien fébrile, inquiet, parce que subissant une vie familiale impossible, et
retrouvant grâce à la turquoise une certaine forme de tranquillité lui permettant de vaquer à

Voyage au delà du mental. 30


des travaux dont dépend la vie de l’homme confié à ses mains. Car c’est ça aussi, la
turquoise.
A ce niveau-là, l’homme que je suis aurait-il le droit d’écrire ce qu’il écrit sans déshonorer la
famille qu’il a fondé avec sa compagne?
Il me faut cependant admettre une chose qui va à l’encontre des médecins qui savent ou
croient savoir où ils vont: je ne comprends pas... absolument pas, le processus d’élaboration
de ce que je construis.
Ce n’est pas la science, la chose savamment inculquée par de doctes professeurs, non: c’est
l’instinct.
Rien que l’instinct. Un instinct sauvage: celui de l’animal humain. Une chose qui sort de
moi, et que je respire, que je suis aveuglément, qui me pousse et que je subis, malgré moi,
mais que j’accepte, parce qu’elle se réalise devant moi.
Même si, à chaque fois qu’elle s’est produite, j’ai toujours été incrédule avant de voir le
résultat. Car il n’est pire incrédule que moi vis-à-vis de moi-même. Et c’est tant mieux.
Je dirais même que là est le fantastique: à chaque fois, c’est l’émerveillement.
Tiens, je vais te parler d’une chose toute simple, parce qu’elle ne rejoint que ce que je suis
aussi, le « rebouteux ». je vais te faire participer à une de mes joies de rebouteux. Tu sais, de
celles-ci que le hasard t’offre au gré de sa fantaisie.
Je suis au village équestre de Pompadour, invité par un club international pour y faire une
conférence. Avant celle-ci, un spectacle monté par une troupe jeune. Je suis heureux, entouré
de ma famille qui regarde les évolutions d’un groupe de gymnastes. Soudain, il me semble
que le meneur de jeu s’est mal reçu après un saut en grand écart.
Mais non, il repart. Tout semble aller.
Le lendemain, je le rencontre au manège, le mollet serré dans une jambière, et marchant avec
des béquilles.
Ainsi, moi qui n’ai aucune connaissance du muscle, j’ai vu.
Je ne me suis pas trompé.
Et il m’explique que le kinésithérapeute du club lui a donné un mois de repos, et qu’il devra
se faire masser tous les jours. Je ne sais alors ce qui me pousse à lui dire que, s’il veut,
j’aimerais regarder ce qu’il a.
Ma conférence de la veille l’ayant intéressé, il accepte.
Nous allons dans les loges d’artistes du théâtre du club, il s’assied et retire ce qui enveloppe
son mollet. Il s’étonne que je lui passe une caisse sous le talon, ce qui, dit-il, lui fait mal.
- Je sais, dis-je en passant ma main sur sa jambe.
La gauche soutient le mollet, la droite cherche... va donc savoir ce qu’elle cherche, puisque je
ne le sais pas moi-même.
Elle cherche et puis elle trouve.
C’est là.
C’est sur, je le sens.
Et lorsque je sens, rien n’y peut faire.
Mes mains ne mentent pas.
Elles savent, je ne sais pas comment, mais elles savent.
Alors je respire. Mes doigts se placent, mes paumes diffusent je ne sais quoi, le sang me
charrie aux tempes une musique de torrent, je serre, une fois, deux fois, trois fois.
Bon, j’ai chaud.
- Levez-vous!
Il se lève
- Marchez!
Il marche
- Courrez!
Il court. Il s’élance hors du théâtre, il franchit le couloir, il court dans le jardin. Il gueule...

Voyage au delà du mental. 31


- C’est fini... c’est fini!
Et je reste seul, moi et mes mains. Et une nouvelle fois, j’éprouve cet émerveillement de cette
chose réalisée dans l’inconscient - « malgré moi ».
Car cette chose partie de moi pour réaliser ce qui vient de se réaliser, l’a fait sans qu’aucune
pensée ne dirige cette énergie que l’homme possède sans pouvoir la contrôler.
J’ai presque guéri malgré moi.
Imagine un peu cette fabuleuse richesse que l’homme a perdue le jour où il s’est cru supérieur
à tous les animaux.
Le lendemain, l’athlète que j’avais soulagé de son claquage musculaire vint me dire que le
kinésithérapeute du club désirait me rencontrer.
J’y allai, je l’avoue, un peu gêné. J’avais déjà soigné derrière des kinésis, mais c’était la
première fois que j’avançais leur besogne d’une manière aussi impudente. Sitôt ouverte la
porte de la salle où il traitait ses patients, mon regard tomba sur lui. Et sur le champ, je sus
qu’il savait ce que je savais.
Je suis un homme qui voyage à travers le regard. Au niveau de ce voyage, si l’autre rencontré
utilise la même manière de se réaliser, l’harmonie sera au point de rencontre de ces deux
regards qui se croisent sans s’affronter, sans aucune recherche de l’intellect de l’autre, parce
que devenue lumière. J’étais délivré, déjà il me tendait la main:
- Enfin un homme comme moi. Ca fait du bien.
- Pas tout à fait, dit-il dans un sourire, sans quoi je l’aurais fait à votre place. Mais je connais
aussi des bergers, des Indiens, des Tibétains qui font ce que vous faites. Et c’est parce que
vous le faites que notre ami est allé vous chercher. Car j’ai besoin de vous tout comme
Jacques a eu besoin de vos mains.
Je reste perplexe. Il continue:
- Une douleur sur la cage thoracique depuis longtemps, vous comprenez?
- Je veux voir.
- Ah ! vous avez dit « voir »! C’est merveilleux. Vous savez que « voir » est un mot clef?
- Non, dis-je. Evidemment, dire que mes mains « voient », ça peut paraître imbécile.
- Non, ce n’est pas imbécile. C’est la différence entre vous et moi, car mes mains ne font que
toucher, les vôtres vont plus loin que le toucher.
Il y a dans cet homme quelque chose d’installé. Une force qui me paralyse un peu, mais qui
pourtant m’attire. Déjà il se dévêt, et le voici en slip, debout, les bras le long du corps, les
doigts allongés. Il a fermé les yeux, il prend son souffle.
Je suis médusé. Il sait.
Il connaît le mécanisme.
Déjà, mes mains courent au-devant du noeud des angoisses, puis descendent vers le plexus
solaire.
Rien. Une sérénité totale.
- Yoga?
Il me répond par un sourire. Mais quel sourire! Celui du Bouddha. Et soudain, je me rends
compte que l’homme que je tiens au bout de mes mains est un être exceptionnel.
- J’ai trouvé, je fais.
- Je sais, dit-il.
Ma main se pose sur le muscle dorsal gauche, la droite en vis-à-vis sur le pectoral, et je pars
sur son souffle.
C’est fantastique de construction: il se laisse porter, puis baisse le souffle.
- il ne faut pas exagérer, dit-il. Repos!
C’est lui, maintenant qui organise l’ordonnance de mes gestes.
- Allons-y!
Le voici à nouveau tel un sphinx vertical dont les connaissances, j’en suis sur, vont au-delà
des miennes. Maintenant, le dorsal et le pectoral du coté droit de son corps sont prisonniers

Voyage au delà du mental. 32


de mes deux mains.
Je maintiens mon souffle au maximum.
- C’est bon, et merci ! fait-il en ouvrant les yeux.
- Et le plexus, alors ? je dis. Je n’ai pris que le haut des deux poumons. Si je prends le
plexus, je vais étendre ce que j’ai fait sur toute la cage thoracique.
- Ca va comme ça, mon ami, et méfiez-vous: car vous donnez sans mesure, et c’est mauvais.
Vous avez une famille, de beaux enfants. Avant de connaître leur père comme je vous
connais, je voulais savoir le secret de la force que vous possédiez. Cette force-là c’est votre
femme, vos enfants, à qui vous vous devez d’abord avant que de vous donner aux autres.
Surtout en ce qui me concerne: une bronchite que je traîne depuis ma onzième année. Oui,
mon ami, depuis bientot cinquante ans. Grâce à vous, je passerai un hiver moins pénible que
celui de l’année dernière. Mais ce n’est pas pour cela que je vous ai fait venir.
Le voici vêtu à nouveau. Il s’est installé sur sa table de massage, et reprend:
- Ce qui m’a le plus étonné dans ce que vous avez fait sur Jacques, ce n’est pas la rééducation
du muscle pour la marche, mais qu’il puisse courir aussitôt. Car il y avait là, de votre part, un
gaspillage de forces inutiles. Peut-être provoqué chez vous par un besoin de spectacle.
- De spectacle?
- Enfin, je veux dire, d’orgueil!
Nom de Dieu, comme il a raison! C’est bien ça; l’orgueil du spectacle donné aux membres
du club par cette guérison. Il reprend:
- Ce n’est pas grave.
- Pourquoi?
- Parce que vous ne prenez conscience de l’orgueil qu’une fois que celui-ci s’est manifesté.
- C’est quand même de l’orgueil.
- Pas forcément. Cela peut être également de la peur.
- De la peur?
- Oui. Peur de ne pas réussir. C’est ce qui vous fait aller au-delà de ce qui est bonne mesure.
Ah ! comme je le regarde, cet homme! Et ce bien que je lui ai fait, comme il sait me le
rendre!
- Connaissez-vous les herbes ? fait-il soudain.
- Oui, un peu.
- Et l’argile?
- L’argile, oui, je la connais bien pour tout ce qui est le dessus du corps. Pour l’intérieur, j’ai
peur.
- C’est normal, Pierre - c’est la première fois qu’il m’appelle par mon prénom - c’est normal.
L’argile de l’intérieur, ce sont vos mains, seulement vos mains. Et les minéraux, employez-
vous les minéraux?
Et ce disant, il me fixe d’une étrange manière. Et je dis:
- La turquoise, j’emploie la turquoise.
- Pourquoi?
- Pour les maladies que ne peuvent guérir ceux qui parlent trop.
- Que voulez-vous dire?
- Les psychiatres.
Le voilà alors qui part d’un rire d’une sonorité éclatante:
- Ah! L’enfant que vous êtes! Ah ! mon ami, apprenez que le rôle essentiel de ces gens n’est
pas de parler, mais de faire parler les autres.
- Je n’ai rien contre les psychiatres, je fais. J’en ai connu des sympathiques.
- Et comment les soignez-vous, les psychiatres?
- Je fais comme pour les chirurgiens, les hommes politiques, les directeurs de société, et les
pauvres humains qui, comme vous et moi, forment ce que les grands de ce monde appellent la
« foule ». J’emploie la turquoise comme tranquillisant.

Voyage au delà du mental. 33


- Alors employez-la au maximum. Ménagez-vous, c’est le conseil que je vous donne. Et si
vous le suivez, ce conseil, il paiera au centuple ce bien qu’aujourd’hui vous m’avez offert
pour le plaisir de l’amitié.
Ce conseil, je le suis aujourd’hui, sans pour autant me distribuer avec parcimonie. J’essaie,
au fil du temps, d’évaluer la quantité d’énergie que je me dois de diffuser pour une
thérapeutique efficace.
Et, il me revient souvenance d’un cas semblable à celui de Brigitte, à cette différence près que
le moteur de la névrose n’était pas une mémé disparue, mais une maman vivante. Or, ceci se
passait bien avant cette rencontre avec le yogi kinésithérapeute.
Ma participation ne dura que le temps de trois souffles échelonnés sur vingt et un jours, avec
un port de la turquoise immédiat, qui termina ce que j’avais entrepris. Ce qui tendrait à
prouver que, parfois, la part de l’homme n’intervient que d’une manière infinitésimale, et que
cette pierre est capable, après un diagnostic de situation, d’élaborer un processus de
thérapeutique atteignant son but, c’est à dire: l’équilibre de la personnalité.
Il y a cependant des règles pour que, sur le plan curatif, la turquoise devienne opérationnelle.
Disons d’abord qu’il ne faut jamais s’en séparer, y compris pour le sommeil, le bain, et aussi
qu’il est important de prendre conscience de ce qu’elle est vraiment; surtout pas un gris-gris,
mais la résultante d’une alchimie naturelle. Car seule la nature l’élabora et assista à sa
naissance. L’homme ne fit que la découvrir et l’utiliser selon ce qu’il avait découvert.
N’oublions pas que l’or, suivant l’emploi qu’on en fait, peut devenir un bijou ou une
thérapeutique. Il en va de même pour la turquoise. Là est le fantastique.
Ce merveilleux-là est naturel. L’homme aussi, parfois, construit le merveilleux, comme les
stimulateurs cardiaques qu’il a inventés, et à qui des milliers d'êtres humains doivent la vie.
La turquoise, elle aussi, est un stimulateur. Mais il est naturel. Et si la condition physique ou
mentale du patient s’élabore dans le sens d’une santé retrouvée, elle ne peut le faire qu’à
travers ce stimulateur agissant sur le plexus solaire.
Cela, la médecine officielle veut l’ignorer. Elle n’admet que le médicament qui peut tuer ou
guérir selon l’emploi qu’on en fait, et utilise des drogues qui, à défaut de contrer les troubles
de la personnalité, tuent celle-ci lentement à force de dépersonnalisation. La turquoise n’a
jamais tué personne... Il est vrai que les hommes qui me l’ont enseignée voyagent dans une
dimension autre que celles dans lesquelles nous avons coutume de circuler.
Et pourtant, cette turquoise que la médecine veut ignorer, il y a des médecins, des chirurgiens,
qui la portent en permanence. Certains même envisagent de l’utiliser pour leurs patients,
comme d’autres, que je connais, emploient également les alliages métalliques du grand
guérisseur américain Edgar Cayce.
Qu’importe le procédé. Seul devrait compter pour la médecine officielle le résultat.
Hippocrate lui-même, qui sait, utilisait peut-être cette pierre que les hommes de savoir
employaient au Tibet bien avant qu’il ne vint au monde.
Mais revenons à cet autre cas de vieillissement prématuré.
Comme l’autre, il est psychosomatique. Mais celui-ci est provoqué par l’amour d’une maman
vampiriste et la présence d’une soeur religieuse, dont le mysticisme prend une forme
hystérique.
Brigitte fut la première petite fleur à respirer les parfums retrouvés de la vie.
La seconde à respirer sur la grande prairie de la tranquillité s’appelle Maria Luisa.
Elle est danseuse, et arriva un jour au seuil de ma demeure de son Argentine natale, entre
deux avions, pour une escale qui devait être fugitive, et qui dura trois semaines. Ce fut ma
femme qui la reçut.
Ceci est important pour ce qui va suivre; car ayant parfois tendance sur le plan du diagnostic,
à exagérer les choses, seul compta pour moi, ce jour-là ce que ma compagne avait vu.
Mais écoutons d’abord Maria Luisa: il y a deux jours qu’elle a quitté Buenos Aires.
Débarquant à Paris, elle savait que j’existait. La voici donc au creux de ma maison, avec le

Voyage au delà du mental. 34


feu flambant dans la cheminée, le dernier né sur les genoux de ma cavale, le café fumant dans
la tasse que je lui tends.
Cela me fait sourire, car je vis comme un ours au fond de son impasse, et les gens de ce petit
village - car une impasse est un village - sont loin d’imaginer ce que je suis vraiment. Je suis
bien tranquille. Car l’anonymat est de loin préférable à toute forme d’étiquette que l’on vous
fait porter. Aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait la même chose.
Voici donc Maria Luisa expliquant le pourquoi de sa visite.
- C’est la troisième fois que je voyage en Europe pour mon travail. Un ami chilien qui
revenait d’un séjour passé chez la guérisseuse mexicaine Patchita, m’a parlé de vous au sujet
des turquoises, alors je suis venue. Me voilà!
Elle sourit à ma femme, puis se tourne vers moi et me dit:
- Je ne sais pas ce que j’ai, ni ce que ma maman peut avoir, mais à chaque fois que je pars,
elle tombe malade. Je suis alors obligée de rompre mes contrats pour aller la soigner. Deux
fois déjà, j’ai du quitter l’Europe. Mais l’inquiétant, ce n’est pas tant la maladie de maman,
que les médecins, d’ailleurs, ne peuvent définir, c’est plutôt ce qui arrive à chaque fois que je
rentre en Argentine. A peine arrivée, maman va mieux. En moins de deux mois elle est
rétablie; et c’est au moment d’un nouveau départ, que tombe sur moi une étrange fatigue. Et
c’est à peine si je puis tenir le temps d’une heure d'entraînement.
J’ai d’autre part une soeur religieuse qui, sitôt que je parle de reprendre l’avion, semble elle
aussi tomber malade, et m’invective, me traitant de païenne, de pécheresse, et m’accusant de
renier ma famille en faisant un métier honteux.
Je lui souris alors, et lui dit:
- Savez-vous qu’en religion, la procession et les psalmodies qui accompagnent cette marche
processionnelle sont également une danse ? je dirais même une danse d'envoûtement.
Elle me regarde d’un air étonné. Je reprends:
- Je ne parle que de la religion, pas de Dieu. La religion n’étant qu’un moyen employé par
L'Église pour commercialiser Dieu. Car Dieu se vend à l’église comme les frites dans les
fêtes foraines. Et toutes deux sont nourriture à l’homme. Ce qui les rends aussi nécessaire à
ce que se doit de vivre l’animal humain.
Un petit toussotement de ma cavale me rappelle aux réalités présentes. Je renverse la vapeur.
Le vieil anarchiste est rentré dans sa coquille. Je ne suis plus que l’homme que l’on est venu
trouver parce qu’on a besoin de lui, et non pas un rêveur essayant de convaincre un disciple.
Et pourtant!
J’enchaîne alors, m’avance vers elle, et dis:
- Vous avez mal là!
Par dessus ses vêtements, je touche son plexus solaire.
- C’est terrible, me dit-elle.
Je remonte vers la gorge, lui prends, entre le pouce et le majeur, le dessous du maxillaire
inférieur, et redescends jusqu’à la pomme d’Adam.
- Et là?
- Oui, aussi...
Mettant alors ma main en conque, je lui emboîte la nuque.
- Ici?
- Moins souvent, mais oui, j’ai mal.
La flèche au complet!
- C’est bon, déshabillez-vous!
Je pense qu’étant danseuse, la présence de ma femme ne vous gêne pas, et puis il fait plus
chaud devant la cheminée que dans ma roulotte.
Elle rit, et dit:
- Mais bien sur.
Profitons du temps qu’elle va mettre pour se dévêtir, pour expliquer la « flèche »

Voyage au delà du mental. 35


La flèche de l’Indien qui va atteindre la cible vivante dont il va faire sa nourriture, se
compose de trois parties: la pointe, le corps, l’empenne.
La flèche que porte l’homme au niveau de son équilibre psychique, est également faite de
trois parties: la nuque, la gorge, le sternum.
Chacun de ces trois points correspond: au plexus de l’équilibre, au plexus d’angoisses, au
plexus solaire.
Ces mots ne sont pas savants. Les hommes qui m’ont expliqué la flèche ne savent pas lire.
La voici nue, cette Maria Luisa. Nue derrière mon dos. Et d’elle, je ne vois que le reflet de
ce qu’elle est, à travers le regard de ma femme. Dans l’instant, je comprend l’insolite de ce
que je vais découvrir en me retournant. Brigitte, comparée à cette jeune femme, ce n’était
rien. C’était à coté de ce que je vois maintenant « logique »
Oui, logique. Le corps de Brigitte, c’était le corps normal de la femme n’ayant jamais utilisé
de disciplines particulière pour le magnifier d’aucune manière.
Brigitte c’était la petite « pousse » sauvage.
Maria Luisa, la « plante » construite à cette école fantastique de la danse, qui modèle la
musculature. J’imagine un peu ce que dut être, en un autre temps, le corps de Maria Luisa,
avant que mon regard n’enveloppe ce qu’il vient de découvrir. Car je le connais, le corps de
l’homme. Je suis incapable de citer par leurs noms tous ces os, ces muscles, ces nerfs, ces
tendons que supporte sa carcasse, mais je les connais bien.
Des grands mères du faubourg Saint - Antoine aux danseuses des Folies - Bergères, des
maçons, des charpentiers, des mineurs aux acrobates du Cirque d’Hiver, des footballeurs, des
catcheurs, des rugbymen, des mannequins aux anonymes tombés sur les trottoirs, elles en ont
vu, mes mains.
Mais ce qu’elles réalisent au niveau du rebouteux, ça me parait normal, parce qu’il parait sans
doute plus logique à l’homme que je suis de rafistoler ce qui est détruit ou de reconstruire ce
qui fut à travers une dimension qui est la mienne. Mais là, comment je fais, va donc le savoir!
Et cette turquoise qui, a chaque fois que je l’utilise, me fait peur, non pas en tant qu’objet,
mais m’angoisse au niveau de ce qu’elle doit accomplir, et dont je doute toujours, et qui à
chaque fois, cependant, réalise dans le concret une réalité inscrite dans les trois dimensions où
l’homme se meut!
Il y a pourtant des échecs, mais dont seul l’homme est responsable. J’en parlerais plus loin.
Pour l’heure, regardons le gisant vertical qui a nom Maria Luisa. Laissons ce visage qui
reflète ce que vit l’ame de cette petite.
Voici le buste: équilibré ? oui.
Mais un affaissement au niveau des épaules et un dos qui se voûte légèrement. Ce n’est pas
grave.
La poitrine, maintenant: équilibrée, harmonieuse, jolie même, de cette beauté qu’aimait
Maillol, mais à qui il manquerait quelque chose, et ce quelque chose je le découvre
invraisemblable, qu’il faut que je le touche pour le croire. Imagine un peu ce qu’est la
musculature d’une danseuse, d’un gymnase, d’un rugbyman, lorsqu’il roule sous ta main, tu le
sens vivre. Il résiste aux attaches, il se coule comme une vague sur une plage, il résiste s’il
veut, et ta main ne peut plus rien contre lui. Ou bien alors, il se laisse aller, il se conduit lui-
même sous ton étreinte, il est une vie qui se laisse guider s’il est blessé, presque avec
intelligence, bien que ce soit l’instinct qui, sous sa main, le guide; le digère ou l’assouplit.
Ses contractions n’appartiennent qu’à lui. Pour moi, c’est ça un muscle. Et là, devant moi,
les bras, les jambes de Maria Luisa ne sont plus que les reflets de ce qu’ils furent.
C’est pitoyable, ç’a fait de peine, ca me fait peur.
Je n’ai même pas besoin de la toucher tellement c’est lamentable.
C’est pire que ça, ça n’existe pas.
C’est une chose morte, reléguée au rang des choses qui furent et ne sont plus. Imagine-la un
peu, cette danseuse à la barre, faisant face au miroir qui lui renvoie les imperfections ou les

Voyage au delà du mental. 36


progrès accomplis.
Mets-toi un peu dans sa peau. La jambe gauche bien alignée dans la verticale de son corps en
flèche, et la droite à l’équerre, laissant visible les muscles de la cuisse, du mollet, comme
subissant la loi de la pesanteur, plongeant vers le sol comme de flasques mamelles. Eh ! oui,
cette fille superbe, c’est ça, rien d’autre, et c’est désespéré, ça a peur, ça ne sait plus à qui se
vouer, et ça arrive chez moi, ça ne pleure pas encore parce que c’est fort.
Ah ! ces larmes de petites filles qui perlent au coeur des femmes qui les retiennent. Dans ces
moments-là, si tu savais ce que je suis près des médecins authentiques, de ceux pour qui la
maladie ne représente pas la voiture ou la résidence secondaire.
Car il est de bons médecins.
Il y a également de mauvais guérisseurs. L’homme, s’installe à tous les niveaux de la société,
est ce qu’il est: bon ou mauvais, triste ou joyeux, et selon ce qu’il respire on doit le prendre à
la mesure de ce qu’il est dans ces moments-là. Seul l’instinct le guide, s’il ne s’est pas détruit
au niveau de l’animalité.
C’est pour cela que le souffle que je fais, que font les Indiens, les Africains, les Tibétains, se
place d’avantage au niveau de l’instinct qu’à celui de l’intelligence. Car rien d’autre que le
souffle de la bête humaine ne peut aller dans le sol des constructions animales voyageant au
niveau du psychique.
Cela peut te paraître aberrant, mais c’est ainsi que je pense. Du moins, c’est ainsi que mes
maîtres font, et m’ont enseigné. C’est ainsi que je fais, et que feront peut-être mes fils.
Je dis « peut-être », car le maître n’instruit jamais son fils spirituel du souffle physique qu’il
devra accomplir, pour contrer le pernicieux des choses qu’il lui faudra combattre.
Tout dépend des formulations de l’instinct. C’est là le fantastique.
Et c’est bien ça que n’admet pas l’hypocondriaque médecine officielle. Et c’est bien
dommage. Car s’il existe des vétérinaires pour les bêtes dites domestiques, il y a aussi des
bêtes sauvages qui, puisant aux sources de la nature, savent recouvrer la santé et panser leurs
blessures par d’autres moyens que ceux qu’utilise la médecine des hommes.
Les bergers, les pasteurs, les gitans, savent depuis des millénaires que ce qui est bon aux
loups et aux animaux de pâture est bon à l’homme, et ce n’est vraisemblablement pas pour
rien que l’Indien et le gitan copient leur mode de vie sur la vie du loup, que l’Arabe dans les
déserts, qui sont les grandes plages où il circule, institua la fête du mouton.
Mais revenons à Maria Luisa. Je vais lui faire le souffle.
Ç’a y est, fait.
Elle est partie avec une turquoise cachée au creux de son soutien-gorge. Pour elle, je
t’épargne les détails. J’ai tellement de choses à écrire. Sept jours plus tard, je la retrouvais
chez des amis qui l’hébergeaient. Rien de changé.
Sauf le regard. Ah ! le regard.
Ce que cela peut être fantastique, le regard.
C’est la parole au niveau du silence, c’est le sourire de Dieu, s’il existe, à travers la tristesse
de te voir vivre, ou la joie de te sentir exister.
C’est ça le regard.
Et là, le regard de Maria Luisa commence à vivre. Je prends son corps entre mes mains, et je
lui fais le souffle une fois, deux fois, trois fois. Je suis sur mon cul.
Je ne bouge plus, figé sur ma chaise, avec mes bras autour de son corps, comme un arbre qui
me soutiendrait.
J’ai encore exagéré. Ses mains se posent sur mes épaules.
- Je comprends, me dit-elle.
Alors je me détache d’elle. Un whisky, puis un autre, et me voilà dans le métro, comme un
abruti.
Les couloirs, les correspondances, enfin la station Filles du Calvaire, qui me conduit sur le
trottoir, juste devant le Cirque d’Hiver où m’attend Pietro.

Voyage au delà du mental. 37


A voir ma gueule, il a compris.
- Petit con, tu as encore exagéré. Un jour, tu finiras par crever comme les vieux qui
s’envoient en l’air avec de jeunes putains
- C’est pas le même truc, je fais.
- Justement, c’est plus fort que la jouissance, Pierre, c’est le contrôle de la force diffusée
jusqu’à la perception du néant. Est-ce que tu te rends compte?
- Je souffle un peu, je fais. Les étoiles, ça m’a pas quitté depuis tout à l’heure.
- J’ai envie de te péter la gueule, qu’il me fait. Et si tu n’avais pas une femme et des gosses,
ma parole, je te la péterais.
Imagine un peu la colère au niveau de l’amour. Je crois bien que jamais de ma vie je n’ai
éprouvé une telle colère. C’est probablement pour cela, c’est même, je pense essentiellement
pour cela, que cet homme qui t’est inconnu est présent à travers toutes ces pages écrites pour
balayer le seuil de ta conscience.
Vois un peu comme les choses sont simples, comme elles peuvent lier deux êtres qui,
s’ignorant au niveau du tactile, se retrouvent à travers cette écriture qui ne fait que traduire les
émotions que j’ai subies, pour que tu puisses les recevoir.
Cela te parais tout simple.
Mais le miracle, pour Pépé de Pise, par exemple, qui toujours refusa d’apprendre à lire, c’est
qu’à travers cette page imprimée, toi et moi, puissions voyager de compagnie, alors que lui ne
peut rien posséder d’autre que le chant de la voix humaine.
- Et puis, me dit Hartiss ce jour-là, ne force pas ton corps à des projections hors de mesure.
La turquoise continuera ce que tu as entrepris.
Il respira fort en marchant à coté de moi. Je pense qu’il se fait vieux. Quatre-vingt-douze
ans, c’est vrai, c’est pas la jeunesse. Et pourtant, je connais des vieillards qui n’ont pas vingt
ans. Il reprend:
- Si tu ne laisse pas les forces qui sont en toi courir comme une source, ces forces-là vont te
détruire, Pierre. Dans combien de temps vas-tu faire le souffle sur cette petite?
- Dans une semaine, juste avant son départ.
- Pourquoi?
- Je ne sais pas, comme ça, pour rien!
- Non pas pour rien! Pour quelque chose que tu ignores, c’est tout. Essaye un peu d'être
moins con, tu seras plus animal et tu recevras davantage la vérité que tu te dois de vivre.
Alors, tes constructions seront plus instinctives, moins destructrices pour toi que celles
réalisées aujourd’hui.
- Je ne sais plus, je fais. Je pense toujours bien faire.
- Ne pense plus, Pierre. Surtout, ne pense pas lorsque tu réalises, laisse aller l’instinct au bout
de sa course. Ne construit pas au-delà de ce que tu sens. Seul l’instinct doit te donner le sens
de la mesure.
- La mesure?
- Oui, Pierre. Pense qu’il suffit de doubler la dose de morphine pour tuer au lieu d’apaiser
celui qui la reçoit. Dans ton cas, c’est toi qui te détruit. Crois-moi, mon petit, si tu donnes à
ta mesure, rien ne sera détruit, parce qu’équilibré.
C’est à tout ceci que je pense dans l’ascenseur qui me conduit à l’appartement où m’attend
Maria Luisa. Son avion ne part que dans six heures, j’ai le temps. Je lui avais dit que je
viendrais au coucher du soleil, parce qu’au coucher du soleil je me sens plus fort.
- Eh !bien, me dit-elle en m’ouvrant la porte, ce n’est pas encore le coucher du soleil!
- Non, je fais, mais il va bientot venir.
Elle me sourit, s’assied sur le lit où son déjà ses bagages, son manteau, ses gants, et me
répond:
- C’est bien ainsi. De toute manière je vous attendais, car savez-vous que cela m’intrigue;
chez nous, les hommes et les femmes qui font ce que vous faites, ne le font qu’au coucher du

Voyage au delà du mental. 38


soleil. Vous êtes le premier que je rencontre en Europe à le faire. Comprenez que cela
m’intrigue!
- C’est simple, pourtant. Le coucher du soleil, c’est l’heure de la grande bascule...
- De la grande bascule?
- Oui. L’heure où le minéral respire, où de la pierre de certains monuments placés en des
points telluriques, suinte une humidité particulière, l’heure où le végétal crache ses impuretés
par les gaz carboniques perlant par tous les pores de sa structure, alors qu’il absorbe au soleil
levant l’oxygène dont il se nourrit.
Elle me sourit et dit:
- Pourquoi avoir attendu cette fois-ci, juste le jour de mon départ pour faire ce que, jusqu’ici,
vous n’avez pas fait sur moi?
- Je ne sais pas. L’instinct de la bête. Enfin, je veux dire, de l’animal.
- De l’animal? Vous, Pierre?
- Oui. Celui du loup, sans doute! Mes maîtres, tout comme les Indiens, suivent la vie des
loups.
- Vous aussi, Pierre?
- C’est difficile. Je ne suis qu’un homme détruit par la civilisation. Mais les tziganes, les
Indiens, c’est autre chose.
- Eux aussi, Pierre, ont été détruits.
- Sans doute. Mais certains font semblant, comme mes maîtres. Eux sont toujours des loups.
Moi, j’essaie, et c’est difficile. Quelquefois, ça arrive.
- Ce soir?
- Il se pourrait que oui.
- C’est bizarre, je vous sens différent. J’ai un peu peur.
- De moi?
- Non de quelque chose.
- Du loup?
- Je ne sais pas. Peut-être bien.
Je la regarde alors droit dans les yeux, saisis son regard et dis:
- Je vais pourtant essayer de le devenir. Pietro m’a demandé de suivre mon instinct; et c’est
l’instinct qui m’a fait choisir ce soir le coucher du soleil.
- C’est la première fois?
- Non. Je le fais toujours à cette heure, lorsque j’essaie d’exorciser des envoûtements.
- Vous faites aussi cela?
- Plus maintenant.
- Pourquoi?
- Je suis venu pour toi, Maria Luisa, pas pour te parler des autres.
Le tutoiement la surprend. Il construit ce que tant de fois je l’ai se réaliser: une totale
transformation de celui qui le reçoit. Devant mon regard, la danseuse argentine ouvre ses
grands yeux étonnés.
- Ne crains rien, petite fleur. Les loups ne mangent pas les fleurs qui poussent dans la prairie.
Elle parait comme absente, puis se reprend un peu:
- Je n’ai plus peur, Pierre. Je n’ai plus peur.
- C’est bien. Mais si tu voulais, j’aimerais bien, ce soir, faire comme je fais pour désenvouter.
Car tu vas t’en aller, et plus jamais nous ne nous rencontrerons. Je voudrais que tu emportes
dans tes bagages un peu de joie de vivre et de tranquillité.
- Et que faut-il que je fasse?
- Te dévêtir seulement, laisser libre ta colonne vertébrale jusqu’à la vertèbre sacrée, retirer
tous tes bijoux, tes bagues, ta montre, et attendre avec moi dans le silence, que l’ombre
commence à noyer les reflets du soleil.
Alors tout s’installe.

Voyage au delà du mental. 39


Comprends-moi, toi, lecteur; car il faut la vivre, cette respiration de l’un qui va se projeter sur
l’autre. Elle va au-delà du mental, et rejoint la respiration du végétal, du minéral, de la bête.
C’est une respiration qui ressemble terriblement à celle de l’accouchement, au souffle de la
mère mêlé à celui de l’enfant.
C’est la mutation de l’oxygène en gaz carbonique pour la plante, qui fait se dilater les
structures du minéral et se transformer l’animal, qu’il soit diurne ou nocturne, et puis aussi
l’homme conscient de puiser au cosmos des forces qu’il rejette ou diffuse.
C’est l’heure de la vérité.
L’heure terrible de la transformation, l’heure dont le paysan dit qu’elle est « entre chien et
loup ».
Maria Luisa me parait absente. Elle est là, devant moi, bien droite. L’aube de la nuit tend
aux plis des rideaux son ombre crépusculaire.
Voilà le coucher du soleil.
Je la touche.
Son corps entier vibre sous mes mais posées sur ses épaules. Elle s’apaise, me sourit. Du
regard, je l’oblige au silence. Mes mains plongent à la taille. Bien calé sur mon tabouret, je
la tiens comme dans un étau.
Je noue mes mains comme à l’accoutumée, le parfum dont elle a oint son corps pour le
voyage m’entête un peu, l’instinct la fait se pencher un peu vers moi.
Je diffuse déjà le souffle sur son plexus solaire.
Et puis, aussi bizarre que cela puisse paraître, je me sens soudé à elle comme le gui sur le
chêne.
La dimension dans laquelle je voyage m’échappe totalement.
Cela pourrait être sexuel, ou filial:
ce n’est ni l’un ni l’autre, ça voyage à un niveau jamais parcouru, c’est l’heure du loup et de
la chouette, l’heure cosmique, l’instant.
Un instant que je vis et qui rejoint l’absolu.
Ca ne m’épuise pas, ça me régénère, ça me construit et ça laisse l’autre apaisée, souriante,
confiante, heureuse.
Il est vrai que je suis orgueilleux mais il ne faut point trop me juger sur ce que je suis, car seul
devra compter ce souffle réalisé au coucher du soleil pour une construction dont l’avenir
m’échappe totalement.
Et pourtant, le soir de ce jour, alors que Maria Luisa volait vers un pays dont j’ai perdu le
nom, ce soir-là sembla absorber ce qui était la hantise de cette danseuse argentine.
Un an plus tard, un homme me téléphonait, et me donnait rendez-vous à L'hôtel La Fayette,
place Maillot.
J’y allai.
Maria Luisa avait retrouvé le galbe de la danseuse. Elle dansait à nouveau, faisait partie
d’une troupe qui voyageait à travers les Etats-Unis.
Et sa turquoise?
Cette turquoise que je lui avait procurée, c’était sa maman qui la portait. Elle la lui avait
offerte avant son départ pour une autre tournée.
Et cette maman?
Eh bien, elle se portait à merveille!
Ah ! ces construction voyageant au-delà du mental, que la plupart des hommes rejettent, et
qui pourtant existent!
Combien sont-ils, et d’où venaient-ils, tous ceux venus se poser aux plages de mes deux
mains?
Hommes, femmes désespérés, m’apportant parfois leurs enfants.
L’enfant!
Si tu savais à quoi je pense lorsque mes deux mains se posent sur un enfant, comprenant

Voyage au delà du mental. 40


aussitôt qu’elles seront impuissantes. Oui, ces deux mains qui, hier, soulageaient un vieux
pépé, aujourd’hui sont incapables de faire que se continue la vie dans ce petit corps tout neuf.
Ah ! plonger au gouffre des incertitudes et essayer quand même.
Car, malgré tout, aussi bizarre que cela puisse te paraître, le « miracle », ça existe. Je l’ai
parfois vécu.
Pas souvent, mais quelquefois.
Cette chose réalisée que je croyais irréalisable.
C’est ça le miracle.
Nous sommes en 1976. Le cinéaste chilien Alexandro Jodorowsky, auteur de la Montagne
sacrée et de El topo, prépare à Paris un nouveau film. Il me téléphone: deux amis arrivent du
Brésil avec leur petite fille.
La petite est malade, les docteurs impuissants à détecter la maladie. Ce que les parents
savent, c’est que tout se passe dans le sang.
« Jodo » me parle vaguement d'envoûtement au Mexique.
J’aime pas ça, les envoûtements, j’y ai déjà laissé des plumes, mais une gosse de quatre ans,
c’est autre chose: j’accepte. Dans l’entrée des bureaux, déserts, il est dix-huit heures.
Jodorowsky m’accueille.
Ils sont là.
Chez lui, noir est l’oeil, le poil. Un sourire tout blanc, qui sur sa gueule basanée, le fait
ressembler aux Indiens dont il doit descendre.
Son métier? Musicien.
Sa renommée? Mondiale.
Elle? Longue, flexible, douce, presque effacée. Et puis, il me faut bien l’avouer, puisque
parfois mon regard s’en va voyager au-delà du visible, elle porte en elle toute la désespérance
d’une mère qui a peur de perdre ce petit qui lui est tombé du ventre.
Justement, elle est là, cette enfant.
Elle me regarde, elle m’attendait. On lui a expliqué que, dans ce pays où elle voyage, il existe
des pépés qui connaissent les mêmes choses que ceux qui vivent dans les grandes forets de
celui d’où elle vient.
Ma gueule doit lui plaire, elle me sourit et babille une langue que je ne comprends pas.
Ca n’a pas d’importance.
Elle se déshabille lentement, c’est une grande fille, elle a quatre ans.
La voici nue, debout sur une table à dessin.
Nue devant mes mains nues.
Je me ramasse au plus profond de moi.
Mon souffle, il faut que je tienne mon souffle.
J’ai peur, une peur animale, incompréhensible, mais tenace.
Il faut que je tue ma peur:
je contrôle les battements de mon coeur.
Nom de Dieu, c’est à croire que j’ai perdu le sens de ma respiration.
Mais non!
La voilà qui revient, elle arrive, elle est là.
Le rythme... il faut que j’attrape le rythme, il faut que je me sente vivre, ça y est...
Les mains me chauffent. La paix tombe sur moi, comme le soleil sur les fleurs d’avril.
Mes mains sont devenues soleil, elles se promènent, elles enveloppent, elles voyagent sur des
routes secrètes qui conduisent à la vie.
La sueur perle sur mon visage, je n’existe plus tout à fait dans ce réel qu’il me semble vivre
en rêve...
C’est fini.
La petite est rhabillée.
Dans une heure j’aurais retrouvé ma femme et mes gosses.

Voyage au delà du mental. 41


Le lendemain, voici que le musicien accompagné de sa femme s’en vient frapper à l’huis de
ma demeure. j’ouvre, je les accueilles. Il me dit:
- Hier, vous avez fait comme font chez moi ceux de la foret. Alors ma femme, moi, et puis
aussi pour la petite, on voudrait bien, pour la turquoise, à cause de l'envoûtement...
Il y a dans mon orchestre un homme qui ne m’aime pas et qui connaît les choses mauvaises
que font les Indiens à leurs ennemis. Alors j’ai peur pour ma petite, pour ma femme et pour
moi.
Je lui explique doucement que les désenvoutements m’épuisent, que c’est dangereux, et que
j’ai une famille.
- Moi aussi, dit-il comme perdu.
C’est bon... J’accepte.
Le voici torse nu.
Je fais la prospection de routine:
les temporaux, le bulbe rachidien, la colonne vertébrale, le noeud des angoisses, tout va bien.
Enfin le plexus solaire. Et là, seulement là. Je sens la « chose »...
A la saignée de mon poignet, entre la pliure et la veine, apparaît ce que les sorciers appellent
« le cercle de l’indien » (Les guérisseurs sioux utilisent ce procédé pour leur diagnostic;
certains l’accentuent par tatouage)
Un ami ayant voyagé au Tibet m’a expliqué un jour que certains hommes vivant dans les
lamaseries, possédaient eux aussi cet oeil qui, selon sa coloration, leur donnait une
appréciation de l’intensité pernicieuse qu’il leur fallait combattre. Et là, en cet instant, sur ma
peau, le cercle s’est inscrit.
Je suis médusé, car l’homme est sain, l’intellect, harmonieux, le porte aux constructions
artistiques qui sont le moteur de son existence.
Et pourtant, à la hauteur du plexus solaire, une chose imprécise, confuse, a déjà commencé
son lent travail de destruction.
C’est maintenant au tour de sa femme.
Le temps qu’elle ôte son corsage, la mienne lui parle gentiment. Elle en a tellement vu passer
dans notre logis, et vécu tant de choses, que les mots qu’elle prononce sont apaisants
d’instinct, et j’en connais qui ont oublié la chaleur de mes mains, pour ne conserver que le
souvenir du visage et le chant de la voix de ma compagne.
Car c’est elle qui accueille au téléphone les appels angoissés des désespérances humaines.
- Sans votre femme, me dit un jour une vieille dame, sans sa voix, je serais morte. Lorsque je
vous ai appelé, j’avais déjà tout préparé pour me suicider. Elle m’a apporté le reflet de ce que
vous êtes. Non pas vous seul, mais vous deux.
Cette vieille dame avait raison.
Sans ma petite « romnie », je ne suis rien.
Et je ne suis qu’à travers ce qu’elle « est ».
C’est ça la clef des constructions qui s’en vont voyager au-delà du mental, et rien d’autre ne
peut me faire aller dans le sens des découvertes où l’absolu se nomme « tranquillité ».
Bienheureux l’homme qui communie ainsi avec la mère de ses enfants, il peut voyager hors
des atteintes du pernicieux et de ce qui détruit le coeur. Il s’en va au fil du temps, possédant
des harmoniques qu’il peut diffuser jusqu’à son dernier jour. Comme un de mes maîtres,
Pierre le Petit, Kakou en Arles, le fit pour moi, le jour de sa mort terrestre, devenant ainsi
nourriture à travers un regard.
Imagine un peu, ami, cette mort qui s’installe sur ce qui, tout à l’heure, va devenir dépouille.
Ce corps qui fut tellement vivant à ce moment où, déjà, le froid du marbre envahit les
extrémités.
Ce corps, ce gisant, à travers un regard, un seul, a redonné à ma vie, ce jour-là, le sens de la
marche qu’elle devait emprunter pour rejoindre la sérénité.
Mais d’où vient-elle cette force, qui peut se manifester à travers un seul regard?

Voyage au delà du mental. 42


Est-il une autre projection que l’amour pour qu’elle puisse se réaliser?
Existe-t-il un seul appareil au monde, hormis le regard, capable, à travers ce voyage
particulier - car n’oublions pas que le regard est un toucher à distance - de faire voyager au-
delà de la matière et, à travers celle-ci, ce s’en aller vers des zones où le mental établit
l’ordonnance des gestes coutumiers?
Car c’est bien de cela qu’il s’agit: faire en sorte que la vie se continue.
Voici donc mon musicien, sa femme, sa petite fille, nantis de turquoises, repartant pour ces
voyages qui sont le propre des musiciens se produisant sur des scènes internationales.
Le temps passe et passe encore.
Et un jour, venu je ne sais d’où, le revoici. Son sourire d’Indien allume l’éclat cuivré de son
visage.
- Ma petite fille, monsieur, ça y est, c’est fini... Ma femme et moi, maintenant, c’est bien. Je
suis revenu pour vous le dire, mais aussi pour une autre turquoise, pour une fille de chez nous
qu’on aime bien, et qui ne va pas de là.
De la main, il indique son plexus solaire.
- Comment le savez-vous?
- Je le sais, c’est comme ça.
Ah ! ces Indiens! Et quelle lumière me jettent ses yeux!
- On n’en trouve plus à Paris, je fais, et j’ai donné toutes celles que l’explorateur Francis
Mazière m’avait rapportées d’Amazonie. Il m’en reste bien une, une toute petite, mais je ne
la donne pas, je la prête.
- A moi?
- Oui, jusqu’au jour où, sur le voyage, tu en auras trouvé une.
Sans même m’en apercevoir, je l’ai tutoyé. A chaque fois que j’aime, je ne peux plus dire
« vous », et le « tu » me sort du coeur comme l’éclat de rire sort de la bouche de l’enfant.
Trois mois plus tard, il était de retour.
- Elle était forte celle-là, me dit-il en me tendant une boite d’allumettes.
Ouvrant celle-ci, je découvre la turquoise:
- Elle a changé de couleur, je fais.
- L’autre aussi, mais c’est bon, c’est bon.
Il répète: « C’est bon ! c’est bon! », et je ne sais pas pourquoi, il me vient du plus profond de
moi comme une sorte de réminiscence des souvenirs de mon enfance, regardant partir de
Chartres des convois de malades pour le pèlerinage de Lourdes. Combien étaient-ils au retour
à prononcer ces mots: « C’est bon ! c’est bon! ».
Et il y en a de, de ces miraculés! Comme il y en a au centre des clairières initiatiques
africaines, sur la montagne aux vautours blancs, au creux des vallées que fréquentaient les
Indiens, et jusqu’aux neiges tibétaines, en passant par les solitaires du désert d’Arabie,
comme mon frère Mocta. Et il y en a au Mexique, où Patchita, qui pour certains, semble être
comme le nombril du monde, le pole attractif absorbant des quatre coins de la terre les vols
d’avions des compagnies internationales qui déposent leurs cargaisons humaines d'êtres
désespérés, qu’elle rafistole avec une chirurgie particulière, qui est sans doute celle des Incas
dont elle est l’héritière, et qu’elle enseigne au « fils » qui la suivra dans la « pratique »,
comme elle-même prit en main ce « tout » que lui avait laissé un homme soleil, dont elle est
la seule à conserver le souvenir.
Et moi qui ne suit rien d’autre qu’un homme parmi les autres hommes, cette Patchita, je la
respire comme elle me respire. De nous deux, elle est la seule à connaître les traits de mon
visage. Pour moi, les siens me sont inconnus.
Eh ! oui. Il existe une femme-soleil qui, parfois, m’arrive par la pensée, d’une manière si
forte, qu’elle me devient présence.
Il faut me croire, il existe au Mexique une femme qui se nomme Patchita, qui est guérisseuse
et chirurgienne, et qui reçoit ma longueur d’onde.

Voyage au delà du mental. 43


Un jour, je le sais, j’en suis sur, je ne le verrai peut-être pas, mais un de mes fils, ou bien
encore les enfants de leurs petits enfants, verront ce jour où les hommes expliqueront le
mécanisme de ces ondes capables de voyager à travers les océans, par-dessus les montagnes,
pour s’en aller rejoindre un autre frère humain. Et cela sans bobinages, lampes, transistors et
autres bricoles sophistiquées, construites pour créer l’illusion de ce qui existe dans le naturel.
Car l’homme à lui seul peut être ce « tout » à travers lui, comme son esprit créateur peut le
réaliser à travers le concret de ce qui lui vint d’abord, avant que d’en arriver à l’objet robot,
pale reflet de manifestations qui sont en lui depuis des millénaires et qu’il a oublié au fil du
temps, si bien que ceux qui le possèdent encore apparaissent comme des charlatans aux yeux
de ces savants aveugles, qui ont oubliés qu’il existe différentes méthodes pour faire pousser la
salade
Qu’importe la méthode, l’essentiel est que la salade pousse.

Je n’écrirai pas d’épilogue à ces pages que je viens de consacrer à la turquoise. Je laisse ce
soin à ceux qui, nantis de diplômes, vont démolir ou construire à travers les perceptions
reçues.
Je ne suis qu’un voyageur parmi tant d’autres, mais le hasard, la chance, le destin, m’ont fait
rencontrer des hommes exceptionnels.
La première vertu qu’ils possédaient était l’amour. Un amour fantastique, sans Dieu vendu
par ces religions inventées par les hommes.
Un amour comme seuls le pratiquent encore les loups, et que je m’efforce de suivre, avec
combien de difficultés, car il n’est pas toujours facile à l’enfant de poser ses pas dans
l’empreinte des pas de son père adoptif.

5
LE MAGNETISME
ET LES MALADIES POTENTIELLES.
Tout magnétiseur tentant de réaliser ce que la médecine officielle ne peut réussir, devrait
soumettre à une commission d’hommes de science la somme de ses travaux. Le présent
ouvrage n’est que le témoignage de réalisations à travers une quête perpétuelle.
C’est pour cela qu’il est important qu’il contienne également la somme de mes échecs.
Je vais t’entretenir ici du cancer. Mais avant, il faut que tu saches que je ne guéris pas le
cancer, sauf, bien sur, ceux qui n’en sont pas.
Ne ris pas, ça existe...
Non, je vais seulement te parler de séquelles ou d’évolution dans la douleur que le cancer fait
subir à l’homme. Car il y a des hommes, des femmes qui, par des disciplines différentes,
peuvent s’écarter de la douleur. Les autres se doivent de la supporter, puisqu’ils la subissent.
Les jeunes expériences de magnétiseur se placent presque toujours au niveau de la douleur.
Et les premières réalisations que me fit entreprendre grand-mère étaient seulement
analgésiques. A onze ans, je guérissais les brûlures, mais alors je ne voulais que faire
disparaître la douleur, la guérison de celles-ci m’échappait totalement. L’important pour moi
était d’avoir massacré la douleur.
Je veux dire que la guérison, sur l’instant, m’indiffère et que seule accapare mes forces cette
douleur que j’assassine. Et c’est là que l’étrange intervient: ce voyage au-delà du mental que
fut ma projection physique, devient opérationnel dans le sens d’une thérapeutique à ce point
efficace qu’elle laisse toujours pantois les hommes de science qui la constatent. Car il me
faut bien l’avouer, je ne pense jamais que je vais guérir la brûlure: mon but n’est que
d’apaiser.
Or, je guéris.
Là, et là seulement, se produit un des miracles dont j’ignore le mécanisme, comme la rose

Voyage au delà du mental. 44


ignore le parfum du crottin de cheval qui pourtant l’a faite si belle.
La voilà, mon ami, l’alchimie authentique, inscrite dans ce cosmos qui nous échappe, et dont
l’homme, pourtant, tel une étoile, transporte en cet univers dans lequel il voyage, des forces
qu’il ne peut contrôler parce qu’il ne fait que subir ce mouvement qui, justement, lui échappe.
Avant que d’aborder le cas du cancer, et des douleurs qu’il provoque, laisse-moi te citer un
cas de brûlure et essaye avec moi, non pas de comprendre, mais de réfléchir au gouffre
existant entre le médecin et le guérisseur. Il se peut que tu sois médecin. Alors, donne-moi la
main et essaye d'être avec moi, pour une fois seulement.
C’est un artiste peintre qui me téléphone de la rue Fondary dans le XVe arrondissement, à
Paris. J’habite le XIe. A cette heure de la journée, il faut bien une heure pour venir jusqu’à
mon impasse, et il y a déjà deux heures que sa petite fille, âgée de deux ans et demi, s’est
assise sur un fer à repasser...
Imagine un peu : elle est là, à plat ventre sur les genoux de son père, elle ne pleure même
plus, elle gémit seulement, la douleur s’est installée sur elle comme la pluie sur l’automne. Et
sur con petit cul tout rose, l’empreinte violette et triangulaire du fer à repasser.
Ce bébé-là est l’arrière-petite-fille de ma grand-mère à la quatrième génération. Son sang
véhicule une partie de ce que le miens transporte. C’est un handicap important pour une
brûlure de cette gravité.
Je connais deux méthodes: celle de notre aïeule commune, et celle des tziganes. Je les lie
toutes les deux, c’est-à-dire que je lui fais le souffle, et le signe comme grand-mère... Ma
main gauche soutient l’autre coté de son petit corps au niveau de la brûlure, alors que la droite
magnétise celle-ci.
Les réactions sont normales: accélération de la douleur, puis les gémissements, et enfin le
silence. Elle semble s’endormir sur les genoux de son papa, puis s’éveille et veut aller sur le
tapis où s’ébat mon dernier gosse, du même âge qu’elle. Une demi-heure plus tard, tous deux
rient aux éclats, assis sur leur cul, et c’est assise également qu’elle repart avec son papa.
La suite, que tu sois toubib ou pas, tu la devines: guérison totale, et sans médicament.
Mais alors, imagine un peu une médecine officielle un peu moins conne, ou aveugle, comme
tu veux, qui, dans les centres de traitements des grands brûlés exigerait de ses garçons de salle
et des aides soignantes qu’ils soient tous et toutes guérisseurs de brûlures. Il existe des
appareils mesurant le magnétisme humain. Que ne les utilise-t-elle, cette médecine arbitraire,
pour le bien de cette humanité à laquelle elle se doit, liée qu’elle est par le serment
d’Hippocrate. Car le malade, lui se fiche que la médecine soit parallèle ou officielle. Ce qui
compte, c’est le soulagement qu’il cherche à sa maladie, à ses souffrances: c’est tout.
Le jeudi 27 mai 1976, à trois heures de l’après-midi, je franchis la porte de l’hôpital de la
Pitié, à Paris.
Mon but?
La chambre 214 du deuxième étage du pavillon Cordier, où m’attend un homme opéré d’un
cancer du poumon depuis deux jours.
La raison de ma visite?
Lui ôter la douleur du corps. Le mal qu’il me faut vaincre c’est la douleur, rien que la
douleur. Les drogues qu’on lui donne par la gueule ou qu’il reçoit dans le corps, n’y peuvent
que peu de chose. A chaque fois que je me glisse dans un hôpital, à la sauvette, comme un
vendeur de trottoir ne pouvant exercer dans un magasin, j’ai un peu peur. Car pris ici, en
flagrant délit de soigner mon semblable, c’est la prison de droit commun. Exercice illégal de
la médecine.
Je frappe donc à la porte de la chambre 214 du pavillon Cordier. Il est assis, le corps calé par
des oreillers, et ce regard que je connais si bien:
celui de la souffrance.
Assise près du lit, sa grand-mère.
Debout, sa femme; elle est jolie.

Voyage au delà du mental. 45


A mes cotés, la maman de sa femme, tendue, angoissée comme par un dédoublement de
l’amour qu’elle a pour son enfant et qui se porte aujourd’hui vers cet homme qui, un jour, la
lui enleva.
A quoi pense-t-il ce gosse de vingt-huit ans qui me regarde sans véritablement se rappeler
pourquoi je suis là?
Pour lui, les guérisseurs sont des charlatans.
Cet homme qui me regarde ne croit pas en mon pouvoir. Il s’est confié aux bistouris des
chirurgiens avec confiance, il va subir mes mains sans trop y croire, et parce que sa femme
me l’a demandé.
J’aime ça. Toujours l’orgueil, sans doute; mais j’aime ça! Quelquefois même, ça me rend
plus fort. Vraisemblablement parce que, dans cette construction étrange que je vais tenter de
réaliser, je sens d’avantage le poids de ma solitude.
Passons sur ma manière de faire, tu la connais déjà, et retournons, trois heures plus tard, dans
cette chambre où Jean-Jacques repose. Il n’a plus mal.
La douleur est partie...
Essaie un peu d’imaginer les réflexions de cet homme. Pour lui l’étrange s’est formulé.
Il existe. Il s’est installé sur lui dans la tranquillité. Une tranquillité qu’il subit comme. Tout
à l’heure, il subissait la douleur.
Imagine un peu, pour un incrédule, un « scientifique », dont la réalité ne tient qu’aux
équations « résolues », mets-toi un peu dans sa peau.
Essaye d’imaginer, et comprends qu’il soit devenu mon ami.
Ah ! le cheminement obscur des rencontres humaines. Mais écoute à présent Jean - Jacques,
et abordons l’autre.
Un homme, la quarantaine, condamné par la médecine à ne pas dépasser janvier 78, nous
sommes aujourd’hui le 27 juin, c’est-à-dire six mois de survie au delà de ce qu’avait prévu la
médecine officielle.
Pourquoi?
Seulement grâce à la solution de désespoir?
Peut-être! Va donc savoir...
La solution de désespoir, une fois que la grande médecine ne vous offre qu’un lit pour y
mourir, c’est la porte du guérisseur.
C’est fou ce qu’elle en voit passer, cette petite porte. Tous les chemins y conduisent. Par
n’importe quel moyen, le train, le bateau, l’avion.
C’est l’avion que choisit Philippe - appelons-le ainsi. Sa destination? Le Mexique.
Et sur ce vaste territoire, une femme, une seule:
Patchita.
Patchita, la chirurgienne du désespoir.
On fait la queue dans l’enceinte de ce qu’elle doit appeler « le Grand Soleil ». On y parle
tous les langages du monde, c’est la dernière plate-forme de la tour de Babel, l’officine de la
survie.
Deux fois, elle se penche sur le cancer qui ronge le maxillaire inférieur de Philippe.
Et Philippe s’en sort, et rentre à Paris.
Mais la douleur s’installe, et une inflammation de la face s’opère du coté où le mal se
manifeste. Alors on cherche, et... on me trouve.
Ah ! ces coups de téléphone...
On m’explique tout, on n’omet aucun détail. Et je refuse...
Comprends-moi bien: je refuse, non pas parce que je ne veux pas le faire, mais parce que je ne
le peux pas. C’est impossible, je le sais. Mes maîtres me l’ont assez répété:
« Un magnétiseur, passant derrière un autre magnétiseur, n’accomplit que le massacre, car les
forces diffusées, au lieu de s’accoupler, se repoussent à travers celui qui les subit ». C’est une
loi inéluctable, inscrite dans les grands livres de la tradition orale des patriarches du voyage.

Voyage au delà du mental. 46


Cet inconvénient n’existe pas dans la médecine officielle, où le patient qui juge inapte le
docteur qu’il pratique va en trouver un autre dont le talent, associé à son diplôme, le soulage
au-delà de ce qu’il avait imaginé.
Car s’il est de doctes connards, et j’en connais, il est également des médecins de talent, dont
la sensibilité exalte le savoir accumulé au point d’en faire un art. Pour moi, le médecin
authentique est un artiste. Ce sont ceux-là qui soignent ma famille lorsque je suis impuissant.
Et pour les miens, je le suis souvent, et c’est normal: car l’amour rend impossible le
diagnostic.
Il en va de même pour les médecins et c’est bien souvent un confrère qui devient le médecin
traitant de sa famille.
Mais revenons à Philippe.
Voici à nouveau sa femme au téléphone. Je lui explique que c’est impossible, qu’il existe des
médecins diplômés pratiquant une médecine parallèle, et puis - la curiosité sans doute - je lui
demande quelles furent les sources qui la conduirent jusqu’à moi:
- Jodorowski, me dit-elle.
Or la femme de Jodorowski fut, à une certaine époque, l’assistante de Patchita. Les voies se
rejoignent. Mais n’allez pas croire pour autant qu’elles s’associent.
Et même si le souffle de Patchita rejoint le mien sur le plan de la spiritualité et des voyages
mentaux que nous faisons de compagnie, nos deux manières de réaliser ne peuvent se
conjuguer.
Sauf, bien sur, si l’un des deux entrouvre à l’autre la porte conduisant au chemin des
réalisations qui lui sont propres. En un mot, il est essentiel, pour que je devienne opérant, que
Patchita sache que je vais poser les mains là où elle à posé les siennes. Sinon c’est la
catastrophe. Ne souris pas, toi dont la santé n’a besoin ni de Patchita ni de moi; mets-toi
plutôt dans la peau de l’autre, de cet autre qui t’est inconnu, et qui ne rêve qu’à mes mains.
N’oublie pas qu’il sait qu’elles apportent la paix, que la douleur le ronge, et qu’aucun remède
n’est capable de le soulager en lui laissant la lucidité. Car, crois-moi, être lucide dans la
maladie, c’est important. Or, toutes les drogues tuent la lucidité, sauf le magnétisme, qui
n’est pas une drogue et qui est cependant interdit par notre médecine. Mais il est des pays
moins demeurés que la France, qui non seulement l’admettent, mais l’utilisent.
Le regard des hommes dans la souffrance est identique à celui des chiens battus. Rappelle-toi
de cette phrase qui vient de s’échapper de ma plume, elle est terrible de vérité, car ce n’est pas
seulement dans le meurtre que l’homme peut diriger son instinct, mais aussi à travers la
souffrance. Non pas à travers les gémissements qui lui échappent, mais à travers le regard,
seulement le regard.
Le regard qui traduit la souffrance est proche de l’hypnose.
Il peut annihiler votre volonté et vous faire aller à contresens des choses possibles, devenant
ainsi conducteur du massacre.
C’est ce que j’explique au téléphone à Valérie, l’assistante de Patchita. Or jamais pour elle le
problème ne s’est posé. Elle me rassure en me disant qu’elle va mettre la « Mamma du
Mexique » au courant, et qu’elle sera là-bas au début juillet et pourra lui parler de vive voix.
Je suis rassuré.
Trop même, le son de la voix de Valérie semble m’avoir rapproché de Patchita. Je me sens
plus fort.
Je téléphone à la femme de Philippe que je viendrai le soir même, quelques instants avant le
coucher du soleil. Nous sommes fin juin, c’est à dire dans les jours les plus longs de l’année.
J’ai le temps.
Je passe la soirée avec ma femme et les deux petits.
Les grands sont dans le camion et taquinent leurs guitares.
Je suis bien.
Je me laisse bercer par cette atmosphère de tendresse, je balaie du regards les regards de ma

Voyage au delà du mental. 47


femme, d’Alexis et de Sandra, qui tend vers moi ses petits bras.
- Ce soir, je me sens fort, je fais à ma romnie.
- Fais attention, ne fais pas le souffle.
- Non. Mes mains, rien que mes mains; n’aie pas peur.
- Souviens-toi de cet hiver, reprend-elle en me tendant la gosse.
Nom de Dieu ! c’est vrai, j’ai failli y laisser ma peau, cet hiver; mais pour l’heure j’y laisserai
bien ma moustache! C’est fou ce qu’un bébé de sept mois peut faire avec ses mains.
Ah ! les mains.
Quels instruments que les mains:
la main du chirurgien qui rafistole,
le main du bourreau qui fait justice,
la main de l’officier tenant le sabre, commandant les douze paires de mains du peloton
d’exécution,
celles crispées, du condamné à mort,
la main de la putain qui crée le rêve,
et celles de la bonne soeur jointes dans l’extase hystérique...
Et voilà que je repars vers cette vieille anarchie et que je pourrais écrire ici des pages de
mains, encore et encore, pour enfin aboutir aux miennes.
Mes mains...
Ca y est, me voilà dans le métro avec mes mains dans les poches.
L’escalier mécanique me crache boulevard Jaurès.
Je respire et regarde mes mains: à la saignée du poignet droit, je vois le cercle de l’Indien à
peine esquissé. Je suis prêt et en pleine forme.
C’est bon. Je remonte par le trottoir des numéros pairs. Je viens de traverser une rue,
l’endroit est proche.
Au deuxième étage, sur le balcon d’un immeuble cossu, ils sont deux à me regarder venir.
Ils savent que c’est moi.
Alors, l’angoisse tombe sur mes épaules.
J’ai l’habitude de délaisser l’ascenseur, et je monte à pied.
Déjà ils sont sur le palier. Elle m’accueille, et n’y croit pas encore. Lui s’efface. Il a cette
apparence de ceux qui voyagent à travers tous les renoncements.
C’est laid, c’est triste, ça m’échappe, ça me bouffe littéralement.
J’ai l’impression de ramper vers une bête monstrueuse, et là, dans l’instant, je me souviens
des paroles de Valérie Jodorowsky, l’assistantes de Patchita, qui m’a dit un jour:
- A chaque fois que Patchita s’attaque à un cancer, l’odeur devient insupportable...
Mais là, dans le grand salon, l’homme qui supporte ce cancer me parait si pitoyable que,
même si cette odeur me devenait perceptible, en aucune manière elle ne pourrait
m’incommoder, car je viens de franchir la dimension où l’odeur ne peut plus m’atteindre.
J’ai déjà commencé le voyage.
Une tache s’est inscrite à la saignée de mon poignet, les mains me chauffent, le parole ne
compte plus, la conversation, enfouie dans la terre de l’oubli, ne pourrait plus me parvenir.
Pour moi, il n’existe plus que ce visage.
Et quel visage!
Ce visage et mes mains...
Il arrive parfois, dans ces moments-là, de penser à mon neveu, Jean-Michel, chirurgien du
cerveau.
J’ai la certitude qu’il passe par les mêmes angoisses, et que nos émotions se situent sur le
même plan. J’ai bien souvent remarqué que le magnétiseur se sent beaucoup plus à l’aise
passant derrière un chirurgien que derrière un médecin. A chaque fois que je peux intervenir
de cette manière, j’ai l’impression de consolider l’acte chirurgical. J’ai même besoin que
celui qui a du subir ce chirurgien me parle de lui.

Voyage au delà du mental. 48


Et là, cet homme et cette femme me parlent de Patchita, la « chirurgienne » du soleil.
Contre toute attente, le trouble s’installe au fond de moi, et pourtant je communique avec elle
à certaines lunes. L’instinct, sans doute?
Sûrement, même, et moi je vais contre cet instinct. Cet homme est si désespéré, et cette
femme qui le veille tellement troublée, que je le tue, cet instinct.
Je laisse aller ma sensibilité , j’épuise mes forces pour ce massacre monstrueux.
Je voulais apaiser, je torture, j’accélère la douleur:
la brise est devenue cyclone.
Heureusement, je me souviens des fixations de transfert, car comme la médecine officielle, la
médecine parallèle possède également ses abcès de fixation, mais ceux-ci ne voyagent qu’au
niveau du psychique.
Le moment est venu de les utiliser. Et, dans ce temps qui passe, où il me semble être deux, je
détecte que ce cancer est psychosomatique; un cancer fabriqué par celui qui le supporte. Car
il est des femmes qui se forgent leur cancer du sein, et des hommes capables d’en faire autant
en des sièges différents.
Pitoyable découverte.
Ah ! certes, je ne suis pas savant.
Sur que j’en ignore des vérités premières!
Mais sur aussi que je sais où je vais dans ces instants de conscience d’une brutalité telle que
mon corps physique n’est plus qu’un récepteur recevant la forme des émotions de ceux qui le
subissent.
Car ce cancer, c’est le drame d’un couple dissocié au-delà de la présence, éloignés l’un de
l’autre des étreintes subtiles de l’esprit. C’est le radeau de la méduse, où l’un des deux
dévore l’autre sans que sa volonté y soit pour quelque chose. C’est pitoyable. Parce que la
volonté de cet homme est de vivre malgré tout, et celle de la femme de tout faire pour que
l’autre survive. La résultante ne rejoint pas les aspirations initiales. Prise en main qu’elle est
par d’indivisibles forces, elle chemine progressivement vers le gouffre des choses négatives.
Et je suis là, moi, nom de Dieu ! comme un voyant découvrant, non pas l’avenir de ce couple,
mais tout ce passé vécu, pour qu’il puisse un jour arriver à cet instant que nous sommes trois à
vivre.
Ah ! misère que cette vie d’homme!
L’animal, lui, ignore ce gouffre de destruction où seul l’homme, spéléologue du désespoir,
voyage sur les chemins où aboutissent ses courses.
Vois un peu, lecteur mon ami, mets-toi pour un instant dans ma peau, deviens avec moi ce
spectateur impuissant qui, pourtant, va tenter l’ultime.
Prends ton souffle en même temps que moi, écarte-toi de l’intelligence, deviens la bête, ne
fais plus corps qu’avec cette seule chose:
l’instinct.
Laisse-toi guider.
Déchiffre, ou tout au moins, avec moi, essaie de remonter jusqu’aux sources des constructions
maléfiques.
Nous y sommes: c’est étalé devant toi comme la pauvreté sur le monde, ça s’appelle:
contrainte et incompréhension. Et pourtant, ces deux entités se sont accouplées; l’une des
deux est assassinée et, désespérée, regarde l’autre disparaître.
Dans quelles contrées le mental est-il allé voyager pour que le conscient de l’un comme de
l’autre ne puisse jamais se rendre compte des aboutissements de cette maléfique résultante?
Car ce qui est en notre présence, ce que l’on touche, là c’est l'envoûtement, maléfique, au
stade du naturel, sans projection pensée, sans formation de force extérieure.
Cet envoûtement de destruction, jamais quelqu’un ne le construit volontairement.
Il s’est installé d’abord dans les replis les plus secrets de l’ame, avant que de se concrétiser à
travers une manifestation physique. Et cet envoûtement, je vais essayer de le contrer.

Voyage au delà du mental. 49


Essaie un peu de comprendre: la douleur physique que cet homme supporte, je vais la
transposer sur le plan du mental chez la femme, et essayer d’établir un équilibre du physique
et du psychique, cristallisé sur cette femme à la hauteur du plexus solaire.
- Déshabillez-vous jusqu’à la ceinture!
L’ordre, pourtant brutal, ne heurte même pas sa sensibilité. Elle s’exécute avec un naturel
conscient de la chose qu’elle doit réaliser.
Je me tourne alors vers l’autre, et je lui dis:
- Votre femme également est malade, presque autant que vous; alors, si je la sors un peu de
cet endroit où elle attend, elle sera plus efficace.
- Je comprends, me répond-il avec un regard comme je ne les aime pas.
Car ce regard-là voyage au niveau du presque imperceptible. Celui qui le projette réalise dans
le moment le concret de ce qu’il vient de pressentir.
C’est le regard du conscient à travers la logique que l’on vient de découvrir.
C’est le regard de l’enfant qui vient de découvrir le feu dans la douleur, c’est terrible de force,
et combien dur à supporter.
Et me voici la bouche soudée au plexus solaire de cette femme: elle vacille, elle s’accroche,
elle n’en peut plus, mais je tiens au maximum de mes forces.
Et je la laisse là, comme un bateau ivre sur une mer déchaînée. Elle dit:
- Ca me brûle.
Alors, et seulement alors, je sais que je suis passé. Le reste ne m’appartient plus, il dépend
des choses construites dans la nature qui voyagent dans une dimension dans laquelle je ne
voyage pas.
C’est immatériel, et pourtant capable de constructions. Or les constructions, qui paraissent
spontanées, ne sont que les fruits d’une longue élaboration. Si l’Ordre des médecins, au lieu
de passer sa hargne sur le dos d’hommes comme moi, passait son temps à déchiffrer le
pourquoi des choses, il honorerait mieux la médecine dont il se dit le défenseur.
Hippocrate, que de conneries on commet en ton nom! Les hommes qui suivaient tes pas
n’étaient-ils pas « un peu » guérisseurs?
Regarde-les, ceux qui ont prêtés serment en ton nom, regarde-les, ces hommes qui, comme toi
et moi, s’en iront un jour restituer au sol le poids des choses acquises durant leur vie. Que ne
se laissent-ils bercer au creuset des vérités essentielles pour mêler leur savoir avec le notre et
celui des bergers, pour une médecine universelle n’ayant qu’un but: celui que tu viens
chercher, mon ami, lorsque ma femme t’ouvre la porte, parce que ta main y a frappé, au bout
d’une quête devenue une course désespérée.
Et merde!
Tiens ! avant que de reprendre Philippe et sa compagne, fais un plongeon de vingt-huit ans en
arrière...
Je suis à cette époque chef de chantier dans une entreprise de décoration, dont le siège est au
11 de la rue Mazarine à Paris. Nous sommes au mois d’août 1955, chez un vieux tailleur de
pierres, à qui la maison de travaux publics qui l’employait vient d’offrir un pavillon et un
petit terrain pour sa retraite.
C’est insolite, ça.
Ca m’intrigue; et puis je me demande ce que peuvent faire ces hommes qui, une fois ou deux,
souvent trois dans la semaine viennent lui rendre visite. A chaque fois, le vieux tailleur de
pierres semble joyeux de les accueillir, et sa femme appelle ces inconnus par leur prénom,
Pierre, Louis, Guy, René, sauf un, que la vieille compagne appelle M l’Ingénieur.
M l’Ingénieur est replet de sa personne, heureux de caractère, il aime ce vieux tailleur de
pierres, qui, dans la société qui l’employait, faisait office de chef de travaux. Travaux
importants: ponts de chemin de fer avec courbes, viaducs et autres gros oeuvre.
Or, ce vieil homme est incapable de construire un plan, mais décèle le moindre défaut de ceux
qui lui sont soumis. C’est-à-dire qu’il sent la pierre au niveau de l’instinct. Pour lui, la

Voyage au delà du mental. 50


construction ne se formule que sur le plan de cet instinct, et cette société qui vient de lui offrir
un pavillon, ne le lui a offert que dans la mesure où cet homme peut lui servir encore
d’ordinateur de contrôle.
C’est fantastique, parce que arrivé à ce stade, c’est démontrer que l’homme à demi
analphabète est capable de résoudre une chose que d’autres, plus savants, ont élaborée dans
l’erreur.
Lui seul pouvait en démontrer les imperfection. Le diagnostic du pépé lui appartenait en
propre, et sa formulation était immuable.
Si le plan était juste, il disait:
- Quelle belle montagne!
S’il lui paraissait peu conforme aux choses dont il avait connaissance, il disait:
- Ca va se casser la gueule!
Plusieurs fois en quarante années, on passa outre et chaque fois...
ça s’est cassé la gueule.
Ne trouves-tu pas, toi qui me lis, qu’il y a entre ce vieux pépé tailleur de pierres et moi
quelque chose que nous avons en commun?
Nous sommes frères, nos sources furent identiques.
Chacun de nous l’a reçue le jour de sa naissance.
Cette chose-là, c’est l’instinct, que nos deux mamans forgèrent pour des projections
différentes.
Dis-moi un peu, toi, où est le savoir, le connaissance?
En quel trou gîtent ces deux entités?
Elles mènent d’avantage l’homme à sa perte, bien plus qu’aux plats rivages de la quiétude, et
aux vertes prairies où paissent les chevaux de mes frères indiens, avant que n’arrive sur eux le
sordide de notre civilisation. Or, certains Indiens n’ont pas oubliés le secret de la médecine et
de la turquoise, et cela malgré le tabac et l’alcool que les civilisés que nous sommes leur
avons fait découvrir.
Car c’est de la turquoise que m’entretint la femme de Philippe, trois jours après mon
intervention.

Ce livre sera terminé avant que je connaisse le résultat de la chose entreprise.


Que deviendront Philippe, sa compagne, pris dans cette monstrueuse machine née d’une
étincelle voyageant à travers ce cosmos gigantesque qu’est le mental de l’homme?
Cela, je le saurais un jour; expérience du fantastique que vaincra peut-être la turquoise,
parcourant un itinéraire particulier à travers le gouffre de l’inconscient, conduisant, je le sais,
à l’absolu des choses que l’on doit subir, jusqu’au point ultime où le solide se cristallise pour
devenir le souffle,
FEU FOLLET
QUI FUT MATIERE
EN REDEVIENT ESPACE.

6
LA PEAU ET LE MENTAL.
La médecine officielle admet que les verrues sont d’origine psychosomatique. Les méthodes
qu’elle emploie pour les combattre s’avère la plupart du temps inopérantes, malgré les
souffrances qu’elles font endurer aux patients. Que ne les dirige-t-elle pas, ces malades pour
lesquels elle ne peut rien, vers des ignorants qui peuvent quelque chose?

Paris, le 31. 10. 75


je soussigné, Boutard Mohamed, de nationalité tunisienne, certifie que le nommé monsieur

Voyage au delà du mental. 51


Pierre Derlon m’a guéri convenablement, pourtant j’avais fait le traitement en Tunisie, à
propos des verrues, avec des chirurgiens spécialistes, puis en France j’ai contacté l’hôpital
Saint Louis l’année dernière, 73 - 74. Ensuite, cette année à l’Hôpital américain. J’ai les
mains pleines de verrues et elles augmentent de façon considérable. Grâce à certains amis,
j’ai pu contacter monsieur Derlon qui a pris la responsabilité volontairement et sans prendre
même un sou. Au bout d’un certain temps, aux environs un mois, j’ai constaté une grande
diminution et actuellement j’ai guéri complètement.
Enfin, je remercie monsieur Pierre Derlon vivement d son travail qui rend service à
l’humanité, car je savais en lui l’homme qui est fait pour le bien de l’homme. « DIEU » vous
protège et bon courage.

Adresse: BOUTARD MOHAMED


42 rue LEPELETIER
75009 PARIS.

Cette lettre vous fera peut-être sourire. N’oubliez pas que l’homme qui l’a écrite est arabe. Il
a 18 ans, le style qu’il emploie est celui du coeur. Et moi qui l’ai reçue, elle m’a ému et,
parmi tant d’autres, c’est celle-ci que j’ai choisie de reproduire.
Et puis cette lettre a quelque chose d’insolite, elle est rédigée un peu comme un certificat de
bons et loyaux services; elle m’a paru ne m’avoir pas tout à fait été adressée.
Elle peut paraître puérile.
Mais pour moi, avec certaines autres, elle fait partie d’une panoplie qui rassurent mes
inquiétudes lorsque, devant moi, se plantent, tels des gisants verticaux, ces femmes et ces
hommes rejetés par la médecine officielle.
Imagine un peu:
tu as dix-sept ans.
Un jour, tu vois ta main s’habiller de petites boursouflures. Tu le dis à tes parents.
Ils regardent ta main et te disent:
- C’est rien, c’est des verrues, ça partira comme c’est venu...
Tu n’y crois pas. Et pourtant, ils ont raison, ça va foutre son camp comme c’est arrivé. Et
puis, ça prend du volume, ça envahit cette prairie qu’est le dessus de ta main. Alors, la honte
commence à frôler tes impressions secrètes, puis elle s’installe et te massacre. Car le mal,
sournoisement, se glisse sur la peau qui habille tes doigts. Et puis?
Et puis, dans le cas de Mohamed Boutard, frère tunisien voulant élever sa condition au dessus
d’un racisme imbécile qu’il supporte avec difficulté, c’est la catastrophe. Car ces verrues font
du gigantisme.
Certaines ont presque quinze millimètres de hauteur, leur couleur n’est plus celle de la peau,
elle ressemble à celle que revêtent certains champignons blanchâtres.
Ses parents le conduisent dans les hôpitaux tunisiens, c’est l’échec. C’est même pire, ça
prend de l’ampleur, ça s’étale et prend du volume.
Mohamed arrive à Paris pour poursuivre ses études. Il fonce à l’Hôpital américain, on le
traite à l’azote liquide.
A nouveau, c’est l’échec.
Alors il va à l’hôpital Saint Louis, le champion des maladies de la peau. Rien n’y fait, et
malgré tous les traitements.
Tout le monde le fuit, personne n’ose plus lui serrer la main. Il est désespéré.
A l’université, il porte des gants, les filles s’écartent de lui, et puis un jour quelqu’un, je ne
me rappelle plus qui, le conduit vers moi.
Et ce jour-là, je lui ai serré la main.
Ecoute-moi, toi! Surtout si tu es toubib...
Je lui ai serré la main, puis l’autre.

Voyage au delà du mental. 52


Et ce jour là, entends-moi bien ! j’ai commencé à le guérir.
Il n’était plus question d’azote liquide ni de drogue, non rien qu’une poignée de main.
Ça peut paraître imbécile, mais il n’est pas besoin de voyager dans une dimension particulière
pour comprendre ce mécanisme.
Les larmes viennent au bout de la peine et du chagrin que l’on soupçonne. Elles peuvent
même venir de la joie. Les larmes ne sont pas une maladie, elles sont la résultante d’une
émotion.
Les verrues aussi. Aucune thérapeutique n’est capable d’arrêter les larmes; il en est de même
pour les verrues. Car toutes deux sont liées à des émotions particulières, fugitives pour les
unes, installées pour les autres.
C’est ça, les verrues. C’est ce que m’ont enseigné mes maîtres. Il n’est pas toujours facile de
consoler de la peine, pour que se tarissent les larmes de celui qui la supporte.
Mais les verrues...
Avant de te dire la manière dont je m’y suis pris pour délivrer Mohamed, je vais te donner
deux méthodes qu’emploient mes frères du voyage pour combattre les verrues.
La première est liée au végétal. Il faut cueillir seulement la fleur ou la tige du pissenlit, et
déposer sur la verrue le lait sécrété par la blessure faite à la plante.
La seconde s’accroche à la vie animale.
Elle est cruelle et peut paraître bizarre. En fait, elle rejoint, à travers le visuel, une espérance
du mental qui consiste à savoir projeter son mal, en l’occurrence la verrue, ce que l’oeil
enregistre à travers le moyen employé.
Et quel moyen!
Je te le répète, il n’appartient qu’à mes frères du voyage et aux bergers. Je te parle de ceux
qui sont guérisseurs. Plus le temps est ensoleillé, plus il est opérant, car le soleil et le vent
sont les facteurs indispensables à la réussite. La pluie retarde la guérison, et si elle persiste,
elle annihile tout.
Cela commence au lever du jour, à cette heure où la limace et l’escargot, dégourdis par la
rosée du matin, s’en vont quérir leur nourriture, avant que ne plongent sur eux les rayons de
l’astre d’or qui, les réduisant à merci et les déshydratants, les enverraient voyager de l’autre
coté des chemins de la vie.
C’est donc au lever du jour que l’homme, ou la femme, atteint par les verrues, s’en ira à la
chasse de ces gastéropodes. Il devra laisser aller l’escargot, car l’escargot est nourriture, et ne
fera que cueillir la limace, la plus grosse qui aura croisé son chemin. Muni de celui-ci, il s’en
ira trouver le tzigane qui guérit les verrues. Celui-ci, prenant l’animal entre le pouce et
l’index. S’évertuera à le faire baver sur chacune des verrues habillant les mains de celui qui
est venu le consulter. Puis, la chose faite, il mettra le mollusque dans une boite emplie de
salade cueillie à la rosée. La matinée se passera à attendre que le soleil au zénith tombe à
l’aplomb de la roulotte. De temps à autre, cependant, celui qui efface les verrues, magnétisera
les mains de celui qui les possède.
Et puis voici le moment,
l’instant magique.
En lisant ce mot, pense que, pour moi, ce mot est synonyme de vérité. Donc, en cet instant de
vérité, où l’acte qui va s’accomplir voyage par le souvenir à travers l’inconscient du mental
de celui qui en est le témoin, cet acte va devenir construction thérapeutique.
Le Tzigane prend la limace, il la magnétise pour lui ôter la douleur qu’elle éprouverait
autrement à travers ce qui va lui être demandé d’éprouver, c’est à dire d'être clouée vivante à
cette paroi de bois de la roulotte où le soleil, basculant du zénith viendra la frapper de ses
rayons. Les rayons du soleil pour la limace immobilisée, c’est la mort... puis la
déshydratation, qui est l’essentiel de toute momification.
Patiemment, le magnétiseur tzigane explique à son patient que ses verrues vont s’amenuiser,
se dessécher et enfin disparaître, car sa main posée sur les verrues, accomplit les mêmes

Voyage au delà du mental. 53


choses que le soleil sur la limace.
Ne souris pas, toi qui n’est pas analphabète; émerveille-toi plutôt de cette construction. Pense
que jamais un Tzigane authentique n’entendit prononcer ces mots: psychiatre et psychologue;
que les voyages qui le projettent hors de l’animalité réfléchie sont essentiellement instinctifs.
C’est-à-dire hors de toute réflexions contraignant à une gymnastique élaborée du mental.
- La limace est morte, puis desséchée; mes verrues vont se dessécher pour mourir et
disparaître.
Et cette idée qui te parait simplette apporte aux savants d chez toi la preuve de ce qu’ils ont
découvert, à savoir que les verrues sont une maladie psychosomatique, c’est-à-dire qu’ils
savent que les traitements qu’ils emploient en toute connaissance de cause, sont souvent
inopérants. Et ceux qui supportent la douleur de cette thérapeutique doivent également en
payer le prix, bien souvent celui d’un spécialiste, remboursé par la Sécurité sociale. Et
merde!
Mais s’il n’y avait que la verrue. Tiens, voici une autre maladie de la peau. Je ne te dis pas
son nom tout de suite, sache seulement que je la détecte à cinq mètres, et qu’il faut une
multitude d’examens de laboratoire aux spécialistes qui la traitent, et qui savent à l’avance
que c’est intraitable, que tous ces examens sont inutiles, parce que, sans quitter le cul de leur
siège, ils peuvent, tout comme moi, faire le diagnostic de ce qu’ils aperçoivent, au fur et à
mesure que se déshabille leur client. Pour ces toubibs, cette maladie-là, c’est le vitiligo. Pour
moi, ce n’est pas une maladie, c’est seulement une projection matérialisée d’un déséquilibre
du mental au sous niveau de ce qui est perceptible du conscient. C’est pour cela que le
vitiligo est inguérissable, alors que les verrues le sont, le siège de celles-ci étant psychique.
J’ai dit tout à l’heure que le vitiligo n’était pas une maladie, de par le fait que sa manifestation
ne dérègle d’aucune manière, hormis le mental, tout le reste de la mécanique animale de
l’homme.
Or, il existe dans les maladies psychosomatiques des stades différents, allant du douloureux,
tel l’ulcère à l’estomac, à la manifestation visuelle, comme les verrues, le vitiligo et parfois le
psoriasis, qui provoquent une démangeaison cutanée.
Or, j’ai guéri des verrues, des psoriasis, mais jamais de vitiligo. Pourtant, je me suis attaqué
au vitiligo. Chaque échec, traité à la turquoise devint une réussite sur le plan psychique du
malade acceptant la thérapeutique.
Je vais tenter de démontrer cette fantastique gymnastique du mental qui apporte une forme
d’équilibre se situant au niveau du plexus solaire, se manifestant à travers l’équilibre
psychique de celui qui supporte le vitiligo.
C’est compliqué, lorsque l’on a quitté l’école à treize ans d’écrire des choses comme celles-ci.
J’essaie le plus possible de ne pas employer de mots savants, qu’utilisent ceux qui croient
savoir et qui se cachent derrière des phrases qui deviennent énigmes aux maçons, aux
laboureurs, aux terrassiers. C’est pour ceux-là que j’écris, et aussi pour toi, si tu es professeur
de quelque chose ou maître d’université.
J’écris pour l’homme, pour tous les hommes, pour ceux qui sont pour, ceux qui sont contre.
J’écris ma vérité pour toi, que tu sois maître charpentier ou carabin de faubourg. Je ne
possède aucun savoir particulier; ce que je sais, l’homme de Cro-Magnon le savait aussi.
Je ne suis qu’une fleur plantée sur une prairie sauvage, que tu as rencontrée.
Et je voudrais bien, je le jure par mes morts, mon frère, que mon écriture ressemble au parfum
de cette fleur et ne te quitte plus, comme je ne vais plus quitter ce vitiligo avant de t’entretenir
un peu plus tard du psoriasis, et de revenir aux verrues.
Ce jour-là, ma cavale, parmi toutes les lettres reçues, en a retenue une, et m’en a fait la
lecture.
En résumé, une femme d’ingénieur, mère de deux enfants, idées suicidaires à la suite de
taches marbrant son corps et partant maintenant à l’assaut de son visage. Elle a vu tous les
spécialistes des maladies de la peau, tous les professeurs, dépensé une petite fortune, souffert

Voyage au delà du mental. 54


pour les examens, et cela sans résultat. Au bas de la lettre, un numéro de téléphone.
J’appelle. Au bout du fil, je sens le souffle du désespoir.
Elle viendra demain.
Elle est là, accompagnée de son mari. C’est ma cavale qui la reçoit.
Elle me tend la main, j’ai déjà fait le diagnostic:
vitiligo.
Car cette main qu’elle me tend, est marbrée jusqu’au bout des doigts. Je sais que je suis
impuissant pour ce qu’elle vient chercher, et pourtant je sens que je vais tenter quelque chose.
Je n’ai pas encore conscience de ce que je vais faire, mais je possède la certitude que rien de
ce que je vais tenter ne sera inutile.
Ne crois pas cette fois-ci que je sombre en quelque pensée orgueilleuse, non: je sens vraiment
que je peux.
L’instinct, sans doute?
Sûrement l’instinct! Et pourtant ce que je lui demande est inutile:
- Déshabillez-vous.
Elle se déshabille, son mari, à coté d’elle, ne parait pas comprendre que je ne lui demande pas
d’aller dans la pièce à coté. Il ne sait pas, lui qu’il est important qu’il soit là. J’ai donc déjà
cette certitude. Il ne comprend pas que cette femme qui lui a donné deux enfants n’est qu’une
petite fille dont la pudeur souffre de se dévêtir devant un médecin diplômé. A plus forte
raison devant un homme que beaucoup d’entre vous considèrent comme un fumiste, un
charlatan.
La voici nue devant moi, tachetée comme une vache normande.
J’en fais le tour:
je ne sais pas pourquoi, mais je le sens, je veux que son anatomie au seuil du souvenir,
l’instinct me le fait vouloir.
Et c’est alors que je fais la prospection de routine. Le bulbe rachidien, le noeud des
angoisses, le plexus solaire... Bloqués tous les trois en flèche!
En un mot, la désolation de l’ame, se traduisant par cette manifestation inguérissable.
Nom de Dieu... Je lui fait le souffle.
Elle se sent bien.
Pour elle, cela représente quarante huit heures de tranquillité, trois jours si je suis passé au
maximum de ma force.
Mais va donc savoir, car en ce temps-là, je ne savais pas mesurer les choses que je donnais.
La voici maintenant qui s’en va accompagnée de son mari, avec cette certitude que j’irai chez
elle commencer le traitement.
Quel traitement?
Je ne le sais pas moi-même, mais ce que je sais, c’est que je vais vraiment commencer
quelque chose.
Nous sommes samedi, et demain, dimanche, j’ai rendez-vous avec le vieux au marché des
Arabes, place d’Aligre. Je lui raconte tout.
- Son corps, dis-moi comment est son corps.
- Chouette, je fais comme un con.
- Pas ça! Explique-moi les taches, fait-il en souriant, Mon Dieu, ce que tu peux être gosse!
A ton âge, ce n’est pas croyable, c’est comme une sorte de maladie. Il faudra pourtant bien
un jour que tu t’en sortes.
- Que je me sorte de quoi, pépé?
- Du rêve, mon fils, et dis-toi bien que si le rêve t’est permis, c’est seulement parce que
j’existe. Mais lorsque je ne serais plus là, il te faudra bien construire seul. Alors, essaye de
construire devant moi ce que tu vas tenter et dis-moi comment était son corps à tes mains, à
ton regard?
Je me ramasse alors un peu au creux de moi, et je dis:

Voyage au delà du mental. 55


- Je sais comment je vais faire, parce que je me souviens de ce que j’ai vu.
- Vas y, mon petit gars!
- Il y avait trois intensités de taches, avec des amorces en filigrane pour celles à venir. Le dos
était vierge, net, sauf les fesses et le dessus des épaules. Les plus foncées prenaient place sur
le dessus de la main droite et remontaient à la saignée du coude. Elles partaient ensuite vers
la gorge, s’étendaient sur les seins, au creux du plexus solaire, et s’estompaient sur le ventre
pour replonger sur les cuisses, accusant leur coloration au niveau de ce qui est visible sous les
bras, pour s’amenuiser sur les pieds. La main gauche était moins tachée que la droite.
- D’où tu conclues?
- Que la dimension et la coloration des taches sont proportionnelles à la facilité et à la
fréquence du regard qu’on porte sur l’endroit où elles se trouvent.
- Nom de Dieu, c’est pas possible!
Il me regarde comme s’il n’en croyait pas ses yeux. La joie illumine son visage et, en pleine
rue, au milieu des voitures des quatre-saisons, il passe ses deux mains sur mais épaules, me
serre tout contre lui, et répète:
- Mon p’tit gars, mon p’tit gars...
Puis il se reprend un peu et finit par dire:
- Viens, on va arroser ça!
Et nous avons arrosé ça.
Nous voici maintenant installés à la terrasse du bureau de tabac de la place d’Aligre.
- Et comment tu vas faire, Pierre?
- D’abord le souffle, trois fois à sept jours d’intervalle, et chez elle.
- Pourquoi?
- D’abords pour la stabiliser, la tranquilliser, et puis aussi pour lui laisser les traces de ma
présence.
- Et ensuite?
- La turquoise!
- Mais la turquoise ne fra rien au vitiligo!
- Non, mais elle réduira les angoisses au niveau du plexus.
- Et ça te mènera où, tout ça?
- A la transformation des taches dans le contour et la coloration.
- Qu’est-ce qui te fait croire ça?
- Rien, mais je le sens.
Il ne me dit plus rien, et me regarde. Une sorte de sourire découvre ses dents sous la
moustache couleur de neige. Je me rends compte que je viens de lui apporter une de ces joies
fugitives que possède les hommes qui fréquentent la sagesse.
C’est profond comme un lac, ça fout la chair de poule, et puis ç’a fait chaud, puis ça passe, ça
fout le camp.
Pour s’en aller où?
Et vers qui?
Va donc savoir. Mais qu’importe, l’essentiel étant de conserver intact le souvenir de ce temps
d’amour, pour que la mémoire, un jour me le restitue aux heures inconfortables des décisions
à prendre.
- Mon petit, reprend-il, tu viens de franchir une étape. Une étape importante. Tu viens de
respirer la médecine. Tu n’est plus seulement rebouteux et magnétiseur, tu es devenu autre
chose.
Mon Dieu, comme il me parait grave et tendu!
- Tu es devenu l’homme de la mort douce à ceux qui mourront dans tes bras, Pierre. Mais
jusqu’à la fin de ta projection sur terre, tu te devras d'être également le souffle qui prolonge la
vie au-delà de toi, pour que ceux qui te rencontreront te moissonnent.
N’oublie jamais que nous sommes nourriture. Il y a un instant, je pensais que, malgré ton

Voyage au delà du mental. 56


age, tu vivais celui, insouciant, de l’enfant possédant un pouvoir particulier. Je sais
maintenant que l’instinct est ton territoire, et que ta respiration animale suit celle du loup.
L’homme qui a posé sa semence dans le ventre de ta mère peut s’endormir tranquille, et partir
dans les prairies du Père. Et bien que je ne connaisse pas les traits de son visage, je sais que tu
es la continuité de son souffle. J’aurais aimé être ton père, mon fils. Mais je pense que celui
qui fit en sorte de te donner la vie à travers le ventre de ta maman mérite, à travers toi, d'être
ce qu’il est.
- Tu vois comment il est, Papa?
- Tranquille.
- Nom de Dieu, c’est pourtant vrai que mon vieux est tranquille! Comment peux-tu le savoir?
- Parce qu’il y a bientot quarante ans que je te regarde vivre, mon fils.
Et voilà! Comprends-tu les voyages que me fait vivre cet homme?
Imagine un peu le don que me fit le destin ce jour où il me le fit rencontrer et, par lui, aller au
devant d’hommes qui, étant ses frères, m’apportèrent la force d'être ce que je suis.
Mais arrivons à ce jour où j’arrive au douzième étage d’un de ces appartements inhumains,
dans cette tour immense qu’habitaient cette femme et sa famille. Appelons-la Christiane.
Elle a, en ouvrant la porte, ce sourire crispé de l’angoisse que je connaissait bien. Je saisis sa
main au passage, elle est froide.
- Tout ira bien, n’ayez crainte.
- Je n’ai pas peur, se force-t-elle à dire dans un pitoyable sourire.
Je la suis. Nous traversons un jardin d’hiver minuscule donnant sur un escalier intérieur, qui
nous conduit à l’étage.
Son mari nous attend dans le salon, ainsi que leur deux enfants, Fabrice et Patricia, neuf et
sept ans.
- Oh ! le monsieur de la télévision, fait la petite fille. Mais il n’a plus sa grosse moustache!
- Elle vous reconnaît, fait la maman un peu gênée.
- C’est la faute à mon petit garçon, dis-je en me penchant sur Patricia. Il est encore trop petit
pour attraper mes cheveux, alors chaque fois qu’il veut m’embrasser, il en arrache des
morceaux. Mais ça va repousser, et la prochaine fois que tu me verras, j’aurais de grosses
moustaches, c’est sur!
Une femme entre dans le salon.
- C’est l’heure de l’école, madame.
- Ah ! j’avais oublié.
Elle s’excuse, pousse les enfants vers moi pour des politesses, et je me trouve face à face avec
son compagnon:
On a tout essayé, dépensé presque le million, tout enduré: les prélèvements de peau, les
tranquillisants, les pommades, et puis rien, toujours rien. Et vous, que pensez-vous faire?
- Pas de miracles, mais quelque chose.
- C’est vague, ça...
- Peut-être, mais ça a l’avantage de ne pas coûter un sou. Et j’ai autre chose à faire que de
perdre mon temps.
Aussitôt, je pense que ce sont des phrases qu’il ne faut pas prononcer. Une gêne s’installe
entre nous, et puis la voici qui revient faisant diversion.
- Eh ! bien, dit-elle, qu’allez-vous faire?
- Parler, seulement parler. Mais si je me trompe une seule fois, il faudra m’interrompre...
Vous dormez sur le coté droit et, dès le réveil, vous regardez votre main droite. Puis assise
sur votre lit, votre bras jusqu’à la saignée du coude, ensuite vos pieds, puis vos jambes
jusqu’au genoux, et vous remontez ensuite sur vos cuisses après avoir caressé le devant de
vos tibias avec vos deux mains, en remontant sur vos cuisse lorsque vous êtes dans votre bain.
Car c’est un bain que vous prenez après vous être d’abord assurée de la coloration des taches
sur vos seins, votre cou, votre ventre.

Voyage au delà du mental. 57


- Et alors ? me fait le mari.
- Eh bien ! la coloration se fait en fonction de la fréquence du regard, et comme vous n’avez
pas de miroir à trois faces, le dos de votre femme est vierge des atteintes de ce mal.
Ils sont stupéfaits. Et lui finit par me dire:
- Quand je pense que nous avons été voir les meilleurs spécialistes de France, d’Allemagne,
de Suisse et qu’aucun d’eux ne nous a parlé comme vous...
- Pourquoi l’auraient-ils fait? On ne tue pas la poule aux oeufs d’or...
- Je comprends.
- On vous a donné des tranquillisants?
- Oui, pourquoi?
- Croyez-vous que l’on puisse guérir une maladie de la peau avec des tranquillisants?
Ils sont là tous les deux à ma dévisager sans dire un seul mot. A regarder leur visage figé par
la stupeur, je saisis qu’ils viennent d’avancer dans un univers qui leur échappait totalement.
Le monstrueux vient de les atteindre.
Elle pleure.
Un coup d’oeil au mari:
- Laissez-nous seuls.
Il acquiesce, et va vers la porte de la salle commune.
Je marche vers lui, et reprends:
- Seuls, elle et moi, dans l’appartement.
Il pose la main sur mon épaule. Je dis:
- On donne des tranquillisants que pour les névroses, les angoisses. Or le vitiligo vient des
angoisses qui peuvent aller jusqu’au suicide.
- J’ai confiance en vous, fait-il avant de disparaître.
Ce luxe dans lequel ils vivent me donne la dimension de leurs détresse. J’avance jusqu’à elle
qui pleure maintenant à gros sanglots, la tête dans ses mains, comme une petite môme qui
aurait perdu sa poupée. Je passe de l’autre coté de la table chinoise, m’agenouille sur l’épaisse
moquette anthracite.
Mes pouces se posent sur ses temporaux, les paumes de mes mains lui emboîtent le crâne.
- Ne pleure plus, petite fleur, je suis là.
Et voilà ! le miracle s’accomplit. Les spasmes s’estompent, ses yeux immenses engloutissent
la force de mon regard.
Pour un peu, je l’embrasserais. En ce moment où j’écris, il me vient ce regret de ne pas
l’avoir fait, et de l’avoir serrée contre moi, comme vous et moi faisons pour consoler un
chagrin d’enfant.
Car c’est presque une peine enfantine qui s’exprime devant moi. Une peine qui se transforme
en désespoir lorsque, face au miroir, on voit le lent progrès de ce mal étrange, détruisant
irrémédiablement l’harmonie, les traits du visage, du corps. Tout, dans cette maladie, se situe
au niveau du visuel, m’avait dit Hartiss.
C’est une sorte de lèpre mentale qui se manifeste sournoisement à fleur de peau, qui accapare
l’intellect de celui qui la subit, faisant ainsi fixation à une forme de névrose relégué au dernier
plan de l’inconscient.
C’est sournois à l’image du soldat rampant dans un fossé pour poignarder une sentinelle.
- Il faut faire diversion, m’avait dit le vieux.
- Diversion?
- Oui, faire voyager les taches en augmentant certaines, en accusant ou diminuant l’intensité
pour d’autres.
- Mais comment ça?
- D’abord en tranquillisant par des procédés habituels, souffle, magnétisme. Ne pas tenter de
soigner. Ce serait perdre son temps et se fatiguer pour rien. Faire en sorte, à travers cette
attente, que celui qui la subit accroche son attention à l’évolution de cette transformation.

Voyage au delà du mental. 58


- Et ça va le mener où?
- Il sera plus disponible, car la disparition problématique des taches ne l’obsédera plus,
attentif qu’il sera à guetter cette transformation.. c’est à ce moment là qu’il te faudra essayer
d’effacer la hantise et de construire la tranquillité.
- Ah ! pépé, comment veux-tu que je construise la tranquillité, alors que cette obsession
perpétuellement se nourrit à travers le visuel?
- En l’effaçant, mon petit!
- Mais effacer quoi, puisque tu me dis que c’est impossible?
- Effacer l’obsession, à défaut de pouvoir en effacer les effets.
- Tu crois?
- J’en suis sur!
- Mais comment vais-je faire pour effacer cette chose?
- En la faisant oublier et reléguer à un plan secondaire, puis en l’écartant du mental de celui
qui la supporte, faire en sorte de la rendre inexistante dans le contraire.
- C’est pas possible, ça!
- Si.
- Comment peux-tu dire ça?
- Je le dis parce que tu vas le faire.
- Moi?
- Oui, toi!
Et je le fait!
Pour être honnête, il faut bien que je dise que je l’ai fait sans conviction. Pas sans amour,
mais sans y croire vraiment. Sans contrainte non plus, mais sans chaleur authentique. J’étais
devenu une mécanique, une sorte de catalyseur, dont le rôle essentiel était, non pas de guérir,
mais de faire oublier cette étrange maladie qui n’existe qu’en fonction des troubles qu’elle
manifeste à travers la manière d’exister.
J’étais devenu un faussaire, aussi méprisable qu’un médecin délivrant une ordonnance bidon,
parce qu’incapable de faire un diagnostic logique.
C’était lamentable.
Et pourtant, en même temps que cette géographie picturale évoluait sur le corps de Christiane,
son esprit subissait également une évolution parallèle.
Plus d’idée suicidaires, et des sorties timides dans les grands magasins, en plein jour.
Christiane n’attendait plus la nuit pour sortir dans la rue. Elle portait ses turquoises, mais elle
les portait vraiment. Je lui avait expliqué que, dans cette médecine naturelle, le seul fait d’en
interrompre l’emploi, accélérait les troubles au lieu de les diminuer.
Nos rencontres, fréquentes au début, s’espacèrent de plus en plus, pour arriver au point où,
d’elle-même, elle me demanda de ne plus venir, pour me consacrer aux autres.
Et puis le temps passa. Six mois peut-être, et un jour un coup de téléphone joyeux à ma
femme, pour lui dire qu’elle était guérie, non pas de son vitiligo, mais de ces choses secrètes
que je lui avait fait combattre avec la turquoise, qui elle aussi, tout comme sa peau, changeait
parfois de couleur, et qui en ce moment où elle téléphonait, une coloration atlantique, à
l’image de cette tranquillité qui maintenant l’habitait.
Ah ! les étranges constructions...
Pauvre petit apprenti sorcier...
Et encore, bienheureux cet homme, toujours à manipuler ces forces qui lui échappent et dont
il tente avec peine de diriger la course, le conduisant parfois aux sources du positif,
bienheureux je suis, lorsque, au bout du voyage, je me retrouve abordant la plage de la
tranquillité, laissant l’autre à sa joie de vivre, pour entreprendre un voyage vers un autre
naufrage qui m’attend quelque part.
Ainsi je suis.
Puisse un jour un de mes fils, peut-être deux et, qui sait, les autres également, suivre mon

Voyage au delà du mental. 59


sillage et traverser l’océan de la vie en mettant le cap sur le grand soleil de la sérénité!
Abordons maintenant le psoriasis, ce casse-tête des spécialistes des maladies de la peau.
Car si la médecine actuelle connaît la thérapeutique pour soigner la lèpre, elle fait la brasse
papillon à lutter contre le psoriasis. Certains médecins réussissent à le neutraliser, à le
vaincre. Ceux-là sont des champions, et je me demande dans quelle mesure ne joue pas une
certaine forme de psychologie les portant à comprendre la dimension secrète du psychisme de
leur patient.
Car le psoriasis peut être également une maladie psychosomatique; ceux qui en souffrent, du
moins tous ceux venus aux plages de mes mains, avaient le plexus solaire bloqué, et leur
maladie s’amenuisait à l’emploi de la turquoise, puis finissait par disparaître.
Mais il n’est pas nécessaire toutefois de l’utiliser comme dans cette anecdote dont je vais
vous narrer l’essentiel.
Une comédienne désespérée me contacte sous le sceau du grand secret.
J’accepte. Ni ma femme, mes gosses, enfin personne n’est au courant de cette visite. Je la
reçois dans mon atelier, un peu amusé je l’avoue.
J’avais tort. Une sorte de regret me vint aussitôt que, l’ayant vue, je referme la porte derrière
elle.
- Vous me reconnaissez?
Un peu honteux, je dis que non.
Elle parait stupéfaite, et me demande:
- Vous êtes pourtant bien le frère de Jacques et de Guy Derlon, administrateurs de théâtres?
Je lui avoue que oui, mais qu’il y a presque deux ans que mon frère Guy a quitté le théâtre de
sa vie. Elle semble terriblement gênée, bredouille de vagues phrases, ce qui, ne la connaissant
pas, me fait penser qu’elle doit être dans la vie une très mauvaise comédienne. Mais peut-
être, pensai-je, a-t-elle du talent sur scène?
En un mot, à ce moment où je la reçoit, j’ai le coeur à la rigolade. Au fur et à mesure qu’elle
se dévêt, je me demande ce qu’elle vient faire chez moi. La peau est lisse, ambrée, nette, pas
la moindre boursouflure. La voici maintenant en slip et en soutien-gorge. Une vraie naïade.
Je pense à un canular, un pari, enfin quelque chose de totalement étranger à cette maladie
qu’au téléphone elle me disait avoir.
Et puis soudain, je l’entend chuchoter:
- Pour le reste, j’ai honte; retournez-vous, s’il vous plaît.
L’intonation de sa voix me trouble. Je me lève et vais vers la table où mon fils steph vient
parfois dessiner à la sortie du lycée. Derrière mon dos, je devine les gestes qu’elle fait.
J’attends, un peu anxieux.
- C’est fini, me dit-elle, vous pouvez maintenant.
Je me retourne alors, et reste stupéfait. Car elle semble vêtue d’un slip et d’un soutien-gorge
blanchâtres, rose rugueux.
- Le psoriasis, je fais.
Il faut bien me rendre à l’évidence: seul l’emplacement où se posent les deux pièces de
vêtement est atteint par le mal. Le reste est intact.
- Qu’avez-vous fait jusqu’ici?
Elle baisse la tête:
- Tout ce que la médecine à pu faire... Et comme vous voyez, elle n’a rien fait. Au début, on
croyait à une allergie au nylon, ou à d’autres matériaux de synthèse. Alors, j’ai porté de la
soie, du fil, du coton. Toujours rien.
- Qui vous à conduite jusqu’à moi?
- Une camarade de théâtre, désolée de me voir dans cet état.
- Elle a bien fait. Dans quinze jours, tout aura disparu.
Cela te fait sourire peut-être, toi qui me lis, et pourtant, tu peux me croire, c’est en moins de
quinze jours que cette comédienne se retrouva femme à part entière. En l’espace d’une

Voyage au delà du mental. 60


seconde, j’avais découvert d’où venait ce mal étrange: ce qui massacrait son harmonie
corporelle, c’était le sexe...
A l’origine, cette triste manifestation cutanée était sexuelle.
Une certaine peur des hommes, sans doute, ou bien encore le reliquat douloureux d’une
aventure désastreuse, avait fabriqué cette armure, dont la seule vue aurait fait reculer le plus
entreprenant des hommes. Etrange nature qui fait se réaliser d’aussi insolites constructions!
Imagine les bases fondamentales de cette machiavélique réalisation, hors de toute volonté, je
dirais même hors du conscient de celle sur laquelle elle s’est manifestée.
Pietro Hartiss m’avait enseigné que dans ce genre de maladie, la chaleur du verbe dans le
diagnostic établi à voix haute, choquait la malade, créant ainsi une ouverture, et qu’il fallait
par le toucher et par le geste, aller à l’encontre de cette construction.
Or, le but essentiel de cette manifestation exposée devant mes yeux, était de contrer le sexe
opposé, en provoquant chez lui le dégout. Plus de mains vagabondes, et le désir de l’autre
court-circuité, mis en déroute. C’est plus fort que la ceinture de chasteté des dames du
Moyen-Age.
Pour vaincre cette incroyable armure, il n’est pas besoin de turquoise. Pour une fois, je vais
suffire. J’en ai la conviction, à travers tout ce que mes maîtres m’ont enseigné, de Pierre le
Petit, Kakou en Arles, à Pietro Hartiss, en passant par le pépé de Pise. Tous les trois, j’en suis
sur, auraient accompli les mêmes gestes, appliqué la même thérapeutique.
Et ce souffle que je vais faire sur le corps de cette comédienne, c’est un peu le souffle des
anciens que je vais réaliser.
C’est du moins ce que j’ai pensé lorsque je l’ai fait.
- Eh ! bien ? me dit-elle. Le son de sa voix me semble altéré.
Je marche lentement, et lui pose mes mains sur les épaules en disant:
- Ce n’est rien, je vais commencer.
Mes mains se sont mises en mouvement. Mes doigts courent le long du cou, puis emboîtent
le bulbe rachidien. Mes pouces se détachent, et viennent s’appuyer sur les temporaux qu’ils
massent en allant dans le sens des aiguilles d’une montre. Les yeux bleus décontenancés me
jettent une muette interrogation.
- C’est commencé, je fais. Eloigne de ton coeur les sentiments de peur. Il faut rassurer ton
corps avant que ma bouche ne touche ta prairie. Elle va souffler le vent qui va chasser le
fumier qui couvre tes collines.
Je ferme les yeux. Les mots tant de fois entendus de la bouche de Pierre le Petit, Kakou en
Arles, sortent de la mienne comme une sorte de réminiscence, projetée à haute voix. Et
encore une fois, le miracle s’accomplit. Sa respiration prend le rythme de la mienne, mes
mains se détachent de sa nuque, elles plongent vers les dorsales. Je la renverse légèrement en
arrière, pour lui faire la mandala de la tranquillité.
Mes lèvres effleurent la petite fleur du sein gauche, puis se déplacent sept fois dans le
mouvement de la spirale; je m’arrête au plexus solaire, son corps entier frémit et tremble. Je
repars à contresens vers le sein droit, compte sept circonvolutions, et m’arrête sur la petite
fleur qui couronne les fruits de son corps.
Je suis en sueur, mes mains se détachent d’elle, elle frissonne.
- J’ai froid.
- C’est le signe que les choses vont bien.
- Vous avez osé ! fait-elle en remettant son soutien gorge. Je ne vous dégoûte pas?
Et soudain, elle se rend compte de la nudité de son ventre. La panique la reprend.
- Oh ! non, pas ça!
J’éclate de rire et lui explique que c’est inutile, que « là » aussi ça va disparaître, que le
souffle que j’ai jeté sur le haut de son corps montera vers son visage et descendra vers ses
pieds.
La petite comédienne ne joue plus la comédie. Ce qu’elle vient de vivre dépasse tout ce

Voyage au delà du mental. 61


qu’elle avait imaginé jusqu’ici. Je marche vers la fenêtre, et la laisse se rhabiller en silence.
Suspendues à la rampe du, les plantes qui m’indiquent le coucher du soleil jettent pour le
moment leur feuillage aux rayons de l’astre qui, sur elles, fait jouer une gamme de vert que je
contemple avec un émerveillement qui m’isole de ce que je viens de réaliser. Car il n’est pas
besoin de moyens compliqués pour retrouver un potentiel de forces dispersées pour un court
instant.
Il suffit de se laisser aller au rythme naturel de la vie, sans réfléchir, de respirer la plante, le
vent, le soleil, comme le font les vieux Kakous au crépuscule de leur existence.
Elles ne sont pas hermétiques, les constructions de la sérénité. Elles ne se formulent pas à
travers des équations de psychologues, mal vêtus par leur propre peau, ni au bout de la
seringue qui distribue la drogue tranquillisante.
Non! La sérénité, je te le dis, il faut me croire, il y a quarante ans qu’elle me colle à la peau,
malgré les deuils, le racisme, la faim, l’insécurité, la prison, la parole reniée que l’on bafoue
par le silence et la fuite, les brimades, le mépris. Ma sérénité, c’est celle des enfants du
voyage, de ceux dont on dit qu’ils sont « les fils de la pluie et du vent », c’est le soleil de mon
feu lorsque je campe aux tas d’ordures de tes décharges publiques. C’est ça, ma force: rien
d’autre, avec l’amour de ma tribu, ne peut la construire, et crois-moi, c’est la même force
qu’utilisent les sorciers africains ou indiens, lorsqu’on va les trouver pour apaiser les maux
qui vous affligent.
Et cette force, que l’on peut mesurer avec des appareils particuliers, et qu’interdit la grande
mafia de l’Ordre des médecins, à travers toutes ses manifestations, cette force-là, elle vient
bien de quelque part, et se nourrit bien de quelque chose.
Il n’existe pas de structure spontanée, même le vide se mesure...
Alors, pour ce psoriasis qui mit en échec la science confuse des dermatologues, et qui disparut
sur un souffle inscrit à travers ce parcours de la mandala de la tranquillité, comment peut-on
l’expliquer?
Qu’en penses-tu?
Quant à moi, je n’en pense rien! Je sais seulement que ça me fatigue comme une course en
montagne, que mes épaules sont lourdes d’une charge qu’elles ne supportent pas, et que le
choc en retour n’est rien d’autre qu’une joie d’exister lorsque je retrouve ma cavale, nos
gosses, nos chiens.
Eh !oui, cela ne se formule qu’à ce niveau: la joie de vivre!
Mais écoute-moi un peu: avant de m’en aller rejoindre Mohamed Boutard, qui illustra avec
ses verrues les premières pages de ce chapitre, laisse-moi te conter la suite de cet insolite
psoriasis.
Me voici devant cette comédienne, connue comme il est vrai du grand public, mais que
j’ignorais, vraisemblablement parce que mon vrai spectacle, c’est la vie.
Ce psoriasis, c’était le sexe, et c’est la sexualité qui vainquit ce psoriasis...
Souviens-toi de la mandala de la tranquillité: c’est, pour les magnétiseurs du voyage, une
reconduction vers l’animalité, donc vers la vie; c’est-à-dire: le sexe. Car la vie ne se
manifeste qu’à travers les épousailles des contraires.
Imagine un peu cette petite dont le corps construisit cette citadelle invincible au niveau du
dégout.
Voici son sein droit prisonnier du souffle de l’homme-soleil.
Elle ne comprend plus, elle se laisse bercer par le rythme de la respiration, du mouvement de
ces lèvres, qui lui laboure l’intellect au point que, soudain, elle s’évade, elle redevient femme,
femme à part entière.
La vielle racine de l’animal lui arrive à fleur de peau. Elle s’ouvre comme la fleur au soleil,
elle est déjà guérie.
Mes lèvres, après la course de la mandala, sont mortes pour elle, je le sens instinctivement,
elle ne reviendra plus.

Voyage au delà du mental. 62


Elle s’en ira à la quête d’autres lèvres capables de lui redonner le souffle de sa vie animale.
Ne crois pas que j’extrapole: c’est vrai!
C’est elle qui me l’a dit, lorsque, presque un an après, je la rencontrai à la sortie du Théâtre
Antoine, où se produisait Raymond Devos.
Alors, est-il vraiment nécessaire d’aller plus loin? Je ne pense pas!
Allons plutôt retrouver Mohamed Boutard qui va nous conduire jusqu’à la fin de ce chapitre.
Souviens-toi: j’avais laissé mon frère arabe au moment où je lui serrais les mains. Tu sais,
ces mains couvertes de verrues gigantesques, et je t’avais dit que cette poignée de main était
déjà thérapeutique.
La sensibilité de la peau d’un magnétiseur qui opère au niveau du toucher est telle que la
surface d’un petit objet laisse son empreinte à l’intérieur de sa main.
Il ne faut pas oublier qu’il existe plusieurs façons d’extérioriser la force du magnétisme.
Pietro Hartiss le réalise à distance, mon autre maître, Pierre le Petit, Kakou en Arles, le
réalisait au contact, moi de même. Pour Pépé de Pise, cela se manifestait également au niveau
du toucher.
Nos sources sont identiques, le résultat également, seul le mode d’expression diffère selon le
tempérament de chacun, comme l’écriture qui est différente selon la personnalité.
Voici donc Mohamed Boutard, regardant à l’intérieur de ma main droite l’empreinte du
dessus de sa main gauche. Essaye de faire ce transfert, et de devenir ce qu’il était à ce
moment, et fais avec lui la comparaison de ce négatif imprimé sur ma peau, qu’il compare en
ce moment avec ce positif qu’est le dessus de sa main. Puis, regarde avec lui les empreintes
disparaître pour une autre vision, lorsque j’aurais libéré sa main droite de l’étreinte que je lui
fais subir entre les deux miennes.
Et ceci le temps de sept jours.
Et puis le temps passe, et chaque journée apporte à celui qui subit ce temps un temps de
réflexion, parfois un temps d’angoisse, ou bien encore un temps d’incertitude ou de fol espoir.
Et moi, je te le dis, ce temps qui passe construit la chose secrète qui fera que les verrues du
dessus de la main de Mohamed disparaîtront, comme mes empreintes disparurent à ses yeux
sur mes paumes offertes à son regard. Il est d’autres manières que j’ignore, pour faire
disparaître ce parasite inesthétique, mais c’est à partir du regard que les tziganes manipulent
la psychose pour en déduire les effets. Car, entre la limace qui se modifie au soleil et ces
empreintes qui s’effacent à l’intérieur de mes mains, il n’y a d’autre différence que celle du
procédé employé. L’essentiel est le magnétisme, le moyen n’étant qu’un catalyseur de forces
agissant sur le psychisme.
Comment était-il, l’homme qui découvrit ce merveilleux mécanisme?
Combien de marches avait-il gravi sur l’escalier de la médecine?
Comme il me parait loin de moi!
Car je ne suis pas sur d'être arrivé au bas de la première pierre qui, peut-être, me conduira à la
deuxième marche de ce gigantesque escalier.

7
DE LA TURQUOISE
AUX CORDES DE LUNE.
Et me voici, jetant au papier la course de mon écriture, et ceci pour un chapitre qui eut été
vraisemblablement mieux en place au début de cet ouvrage.
La raison, la seule raison en est mon ignorance.
S’il me fallait parler de la turquoise comme en parlent les scientifiques, mon exposé serait
bref, inexistant. Je ne connais rien de sa structure, la seule chose qui, d’elle me parvint, fut
qu’elle était une pierre précieuse, et que l’art du bijoutier l’utilisait polie, sertie dans de
l’argent, et que, bien qu’elle ne soit pas une pierre rare, il existait des faussaires, et ceci

Voyage au delà du mental. 63


depuis l’Antiquité, capables d’en fabriquer des ersatz.
Mais ici intervient un fait bizarre:
seule la turquoise polie peut être réalisée en contrefaçon.
Jamais la brute.
Est-ce la raison qui fait que seule cette dernière est employée par les tziganes?
Car les Tibétains, les Indiens l’utilisent de préférence polie, en décoration sur des bijoux
d’argent savamment structurés.
Ici intervient un facteur particulier:
il existe un art indien du bijou. Cet art se retrouve dans les lamaseries tibétaines.
Dans un de mes ouvrages, j’avais déjà relaté qu’absolument rien ne différenciait la technique
de fabrication entre le Tibétain et l’Indien quant à la forme, au volume, et qu’ils vont jusqu’à
construire la même mandala au verso du bijou.
Etrange constatation, si l’on veut un instant s'arrêter à cette différence de vie entre celui qui
vit l’ascèse aux neiges éternelles d’un des plus hauts sommets du monde, et l’autre, qui passe
son existence au coeur même de l’enfer du soleil.
Pourtant, le tzigane est orfèvre, et rien, absolument rien, selon moi, sauf une chose que
j’ignore, ne pouvait le faire aller vers une construction différente.
Lorsque je compare un pectoral tibétain à un reliquaire indien, fais tous deux pour être portés
à la hauteur du plexus solaire, je me rends bien compte que la construction, la pose des
turquoises, les dessins en arabesques d’argent ciselés, sont identiques. Et cette construction
est inconnue des Tziganes.
Cette construction est intelligente. Elle suit certaines règles d’esthétique, elle est agréable à
l’oeil; mieux, elle attire l’attention du regard.
Mais dans les deux cas, celui du Tibétain, celui de l’Indien, elle fait office de bouclier. Selon
mon maître Pietro Hartiss, la turquoise tibétaine ou indienne ne fait qu’arrêter un processus de
destruction. La turquoise brute des Tziganes le digère, l’assimile, le détruit.
Or, il est un fait certain, la turquoise telle que l’utilisent les tziganes, peut mourir sur le corps
de celui qui l’emploie:
jamais les autres...
Pourquoi?
Nous rejoignons ici la vieille loi de la médecine naturelle utilisant l’argile, et qui veut que
celle-ci meure après son emploi.
Or la turquoise, comme l’argile, n’est efficace que dans la mesure où l’on respecte les moyens
de son utilisation.
On sait, par exemple, que sur un ulcère variqueux, à la première application, l’argile accélère
la douleur, et semble aggraver le mal.
En fait, le rôle de l’argile est de concrétiser ce qui est diffus, et de ramasser en un point précis
ce qui est épars. En un mot, l’argile agit comme un catalyseur, et malheur à celui qui se laisse
aller à interpréter le visuel de ce qu’il enregistre. Mieux eut valu pour lui ne rien comprendre.
Pour la turquoise, cela est plus grave encore , car la turquoise n’agit que sur le psychisme de
l’homme. Son parcours, à l’encontre de l’argile, suit un chemin particulier, lié
essentiellement au mental, alors que le premier l’est au physique. Et pourtant...
tous deux ont ceci de commun qu’ils font pratiquement corps avec celui ou celle qui les
utilisent. L’argile perd de sa radioactivité, et meurt; la turquoise change de couleur et, selon
l’état psychique de son support, c’est-à-dire de l’homme, peur mourir si elle ne réussit pas à le
stabiliser.
Ne crois pas que tout ceci soit compliqué. C’est simple, c’est forcément simple puisque je le
comprends, alors que je suis incapable de faire une division à trois chiffres...
C’est probablement pour cela que mes maîtres, qui ignorent l’écriture, utilisent la turquoise
brute, suivant ainsi la vieille loi animale de l’instinct.
J’essaye de construire, et c’est difficile, la construction.

Voyage au delà du mental. 64


Que tu sois ouvrier ou universitaire, baronne ou femme de ménage, juge ou prisonnier, putain
ou religieuse, peu m’importe, l’important c’est que je te rentre au coeur, que tu me suives, et,
à défaut de me comprendre, que tu me respires.
C’est ça ta turquoise des Tziganes.
Je la connais, voyageant au plexus solaire de toute l’échelle humaine, du ministre et du
président de quelque chose, du toubib, du maquereau, de la femme d’affaire, et de celle de
petite vertu, des vedettes adulées aux m’as-tu-vu-au-café-théatre, du chirurgien habile au
clochard génial.
Elle est voyageuse, la turquoise, et ceux qui savent l’utiliser ne s’en séparent jamais.
Et je ne fais pas du lyrisme à discourir ainsi sur ce matériau, panacée de l’équilibre du mental.
Non, je ne suis que le témoin qui se contente de constater les effets cliniques d’une thérapie
particulière.
L’homme est ainsi fait qu’il reconnaît les effets de l’arsenic en tant que facteur de mort, ceux
du phosphate de chaux en tant qu’élément constructeur de la carcasse humaine et qu’il veut
ignorer la turquoise parce qu’elle agit au-delà du tactile, du concret et de ce qui peut être
analysé physiquement.
Mon Dieu, qu’il peut être con, l’homme! Il ne lui faut que des choses installées dans la
routine du quotidien, et tout ce qui dépasse son entendement s’en va rejoindre ce qu’il appelle
l’irrationnel, le surnaturel.
Le pauvre bougre! Mais qu’y puis-je faire?
Rien.
Sinon le regarder vivre, lui et cette certitude qu’il porte au plus profond de l’ame. Cette
certitude que seul peut authentifier un parchemin officiel, distribué par une confrérie dont la
puissance est telle qu’elle refuse ce qui se concrétise à coté des normes installées par ses
soins.
C’est ça, l’Ordre des médecins; rien d’autre. Pourtant cette médecine s’avère parfois
inefficace, jusqu’à ce point ultime où elle ne peut plus rien, même pas vous assurer une mort
tranquille.
Alors, que ne tend-elle la main à des hommes, des femmes comme ma grand-mère, mon
grand-oncle, la grand-mère de ma femme, mes fils, pour un relais qu’on ne leur demande pas
de comprendre mais d’en contrôler les effets. On contrôle bien les miracles de Lourdes,
pourquoi pas les guérisons d’un berger des landes, ou d’un pauvre type comme moi que tu
viens chercher quand cette médecine baisse les bras comme un haltérophile devant une charge
trop lourde.
Que veux-tu que je dise de plus pour leur faire comprendre?
Imagine un peu: un curé, deux curés, mille curés contre la puissance du pape. Et puis un
guérisseur, deux guérisseurs, mille guérisseurs contre la mafia de l’Ordre des médecins...
Quelle rigolade!
Et pourtant, à bien y réfléchir...
Ne réfléchissons plus.
C’est trop tard.
C’est interdit par le Saint-Siège et l’Ordre des médecins.
Ferme tes yeux sur ta souffrance.
Les curés ont oubliés que le Christ était guérisseur.
Un guérisseur qui ne portait ni la crosse ni la mitre, qui marchait pieds nus, un homme qui
avait la connaissance et s’en servait sans suffisance pour le bien des hommes présents et à
venir.
Pour les patriarches nomades, c’était ça le Christ.
Ces hommes m’ont appris que dire à un homme qui ne peut se mouvoir: « Lève-toi et
marche », ce n’est que l’aboutissement d’une construction logique qui n’a rien de miraculeux,
justement parce qu’elle n’est que logique. Cette turquoise, ne va surtout pas t’imaginer

Voyage au delà du mental. 65


qu’elle est un gris-gris.
Ce n’est pas une construction de l’esprit matérialisée à travers l’objet. Non.
C’est seulement un matériau naturel qui s’avère efficace aux constructions du mental, ce qui
est différent.
Classée dans la catégorie des pierres précieuses, son aspect brut, tout comme le diamant, est
loin de ce que tu peux imaginer.
On dirait un petit caillou, tout bleu, avec parfois de petites stries blanches, ou vertes. C’est
fragile, et pourtant c’est fort.
Lorsqu’il m’arrive d’en tenir une dans le creux de ma main, il me vient au coeur comme une
sorte d’émotion car, sachant ce que ce petit caillou est capable de réaliser, j’ai l’impression de
tenir comme autant de petits soleil, chacun appartenant en puissance à un de mes frères
humains, pour une meilleure respiration de l’esprit le conduisant aux harmoniques de la joie
d’exister.
Tout ceci peux te paraître aberrant: c’est normal. L’homme qui admet que l’on puisse
fabriquer du beurre à partir de la houille, puisqu’il fut un temps où l’on en fabriquait, admet
avec difficulté qu’un minéral naturel puisse l’équilibrer. Ce même homme utilisera l’aspirine
pour soigner ses migraines, ses maux dentaires et sourira au seul énoncé de ce mot:
« magnétisme ».
Poussant plus loin encore la stupidité, il prendra le chemin des somnifères, des stimulants, des
tranquillisants, qui, peu à peu, détruisant son intellect, le conduiront à cet état de larves
bêtifiantes que sont ces pauvres humains victimes de ces médicaments monstrueux.
C’est pas la joie, tu sais.
Cela, les médecins le savent.
Mais ils en vivent, comme en vivent tous ceux qui fabriquent ces drogues. On ne peut pas
leur en vouloir plus qu’à ceux qui élèvent leur famille en fabriquant des mitrailleuses.
C’est la vie... si l’on peut dire.
C’est inscrit depuis des millénaires dans le mode d’exister de cet animal soi-disant supérieur
qui a nom homme.
Surtout, ne crois pas que je sois amer. Non! Il y a longtemps que je me suis fabriqué mon
soleil.
Dans la vie, je me promène tranquille.
C’est cette tranquillité qui fait mon efficacité.
Elle est, tu le sais déjà, inscrite au coeur de ma tribu, elle te souris à travers le sourire de ma
cavale et celui de nos petits.
C’est une force installée au plus profond de ce moi qui m’est inconnu, mais c’est là, je le sens.
C’est ce que tu subis lorsque mes mains se posent sur toi.
C’est vieux comme le monde.
C’est la vie à son niveau le plus naturel.
Et c’est parce que c’est vrai que l’homme le dénigre, surtout lorsqu’il est en bonne santé.
Mais lorsque l’impondérable s’en vient le visiter au niveau du malaise psychique ou bien
encore au stade des troubles de la personnalité, son optique change totalement.
La grande peur animale lui pesant aux épaules, peu lui importe le moyen employé, l’essentiel
étant de s’en sortir, et parfois seulement de survivre un peu.
Alors, et seulement alors, qu’elle soit officielle ou parallèle, cette médecine, qu’elle
importance?
L’essentiel étant d’arriver à bout de course, au seuil de la tranquillité.
C’est triste.
Imagine un peu le résultat si, au lieu de s’ignorer et de feindre, ces deux médecines
s’épaulaient. Cela m’est arrivé avec des chirurgiens, jamais avec des médecins.
Pourquoi?
Va donc savoir. Probablement parce que la chirurgie rejoint un art tactile, voyageant au-delà

Voyage au delà du mental. 66


d’un savoir essentiellement mémorisé.
Il me faut pourtant avouer que beaucoup de médecins sont mes amis. Mais chacun d’eux
pratique une médecine particulière.
Alors, où est la médecine?
La vraie?
Est-ce une signature au bas d’un chiffon de papier, ou bien un petit soleil au creux de la main
d’un ignorant?
Si tu n’est pas bien dans ta peau, essaie la première.
Si ça ne va pas mieux, va trouver la seconde.
Tu verras bien, tu es seul juge, ta vie ou ta joie d’exister peuvent dépendre de l’une ou de
l’autre, parfois des deux.
Car ces deux peuvent s’associer.
Je me suis souvent demandé combien, de tous ces médecins venus se frotter à la bonne vieille
thérapeutique de la tranquillité des hommes du voyage, oseraient venir témoigner à ce procès
que l’on me fera peut-être un jour, et témoigner en leur âme et conscience de ce que la
turquoise leur a apporté.
Ah ! si tu savais combien je me méfie de la fragilité des sentiments humains. Mais ne vas
surtout pas croire que la turquoise est un stabilisateur miraculeux du comportement.
Mon.
Rien de miraculeux dans son emploi, et son efficacité ne se manifeste que si l’apport de ta
volonté suit le rythme des aspirations harmoniques. Prenons pour commencer, un exemple
négatif.
Je cite celui-ci, parce que c’est le plus répandu.
Dans ce cas, la turquoise est inefficace et ce serait gaspiller mon magnétisme que de le
dispenser.
Il s’agit d’un coureur cycliste. Il marche bien, et, petit à petit, franchit les étapes le menant à
une certaine notoriété.
C’est un paysan, il est heureux, et le voici arrivé au podium de la célébrité, sa vie se
transforme. Son amie d’enfance qu’il a épousée et qui l’a rendu père, ne lui suffit plus, sa
souche paysanne lui fait honte; il prend une maîtresse, et coupe ainsi sa vie en deux.
Avec le remords, la honte s’installe, et ce qui fut harmonie devient névrose.
Cet homme adulé par la foule n’est, au fond de lui, qu’une épave, dont le but n’est plus que la
victoire qui, peut-être, le conduira à un autre lit, à d’autre bras. C’est triste dans la solitude,
sordide dans le calcul, désespéré.
Et le chemin de cet homme un jour croise le mien, et je lui fais la prospection de routine: la
« flèche ».
c’est vrai qu’il a besoin de la turquoise, c’est vrai également qu’elle sera inopérante.
Je lui dit qu’on ne prend pas de calmants dans un verre de whisky, que la turquoise ne pourra
l’équilibrer que dans la mesure où lui-même tentera d’atteindre cet équilibre. Il passe outre et
s’en va, une turquoise pendue à un cordon de cuir.
Je souhaite qu’il la perde, car il s’y est tellement attaché qu’un accident comme celui-ci
pourrait lui faire découvrir la profondeur du gouffre dans lequel il s’assassine moralement, en
entraînant tous ceux qui sont liés à sa vie.
J’ai la certitude que ces lignes tomberont sous son regard: qu’il sache enfin, et qu’il veuille se
pénétrer, de ce que la turquoise est inefficace dans tous les cas de vie double, provoquant un
déséquilibre psychique.
Les vieux m’ont toujours dit que le rôle de la turquoise était de combattre la névrose à son
point d construction, à condition que celle-ci, à défaut d’avoir été subie, n’ait jamais été autre
chose qu’une construction spontanée, involontaire.
En septembre 1975, une femme aux idées suicidaires me demande un entretien. J’accepte.
Elle avait vingt-cinq ans en 1943. Elle en a soixante aujourd’hui.

Voyage au delà du mental. 67


Il aura fallu trois ans à la turquoise pour que la joie d’exister efface trente-deux années de
névrose panique, au point qu’il lui semble recommencer une autre vie avec le compagnon
qu’elle voulait entraîner autrefois dans la mort.
Ecoute un peu son histoire: mariée en 42, la voici attendant un bébé, qui sera là dans moins de
six mois.
C’est l’occupation. Voici quatre semaines que son mari a pris le maquis.
C’est dur à vivre. Puis une nuit, le voici qui frappe à la porte. La joie s’installe le temps d’un
soupir, pour un départ furtif... Il n’ira pas loin: une rafale de mitraillette arrête la course du
maquisard, puis c’est l’irruption dans la petite maison, et le viol.
Ils sont cinq, cinq soldats allemands.
C’est le ventre qui fait mal, c’est la honte, c’est le dégout.
La graine du malheur vient d'être semée, puis ce sont les interrogatoires, et enfin la porte qui
s’ouvre sur une liberté retrouvée.
Ah ! quelle liberté, et cet enfant qui arrive, qui est là.
C’est une fille, sur laquelle elle se jette pour un amour exclusif.
Alors s’installe la haine, puis la peur du mâle, et chaque année s’écoulant apporte le triple
anniversaire de la mort de son compagnon massacré, des viols et de « la naissance de la
petite ».
Et pourtant, au milieu de cet enfer, un « homme » arrive un jour. Un homme qui comprend et
sait peser le poids des choses supportées. Il prend la porte du coeur de cette femme
massacrée, la supporte de son amour, et la conduit au seuil d’une vie qui se voudrait normale,
pour un épanouissement total, qui jamais ne se réalisera.
Car tout se passe au niveau du sexe: ce viol subit a détruit non pas la fleur du désir, mais celle
du plaisir.
Pourtant, l’amour de cet homme voyage hors les dimensions du monstrueux. Il accepte,
mieux même, il réconforte.
Le petite grandit, puis se marie.
Et voici le couple de nouveau face à face.
C’est pour la femme, le temps de la ménopause, donc la névrose installée au maximum. Et
malgré les drogues que lui font absorber les médecins, les spécialistes, la petite femme du
maquisard abattu commence à plonger aux abysses des idées suicidaires, entraînant le
compagnon qui, par amour pour elle, accepte cette idée du suicide commun.
C’est fort l’amour, le vrai.
Et cet homme, la première fois que j’aperçut son visage, me donna de l’amour une image que,
jusqu’à lui, je n’avais encore vue qu’à travers ce regard que papa avait pour maman. Et je me
suis servi de l’amour que cet homme vouait à sa compagne pour en faire, à l’aide de la
turquoise, une force telle qu’elle serait capable de les faire se lever jusqu’aux vertes prairies
de la tranquillité.
Je sais que les psychiatres, les psychologues, les médecins lisent mes livres, et comme ils sont
traduits, il y a également des médecins étrangers qui correspondent avec moi.
C’est un peu pour eux que je vais, à partir du diagnostic, tenter d’expliquer la marche de ma
thérapeutique.
Donc, dans ce couple, tout se situe au niveau de la sexualité: ce désir jamais assouvi, et que
pourtant l’on cherche, est la base même de l’équilibre de l’animal humain. Peu à peu, ce
déséquilibre déteint sur le compagnon qui rentre en lui-même.
Un autre gosse serait le bienvenu, le destin veut qu’aucune promesse de maternité ne vienne
ensoleiller leur vie.
La graine semée par la soldatesque a germé, puis prolongé sournoisement ses ramifications
maléfiques, envahissant le subconscient de ce couple maudit.
L’homme, peu à peu, sombre dans l’impuissance, payant ainsi de trente années de sa vie le
débordement monstrueux de cinq soldats en rut, assouvis dans la bestialité. Mais l’amour

Voyage au delà du mental. 68


demeure, et puisque la vie parait impossible à sa compagne, comment pourrait-elle être
possible pour lui qui ne vit que pour elle?
Il lui offre la mort comme seul gage de sa fidélité; l’idée du suicide devient commune.
Interviennent alors les médecins, les drogues, les spécialistes, les psychologues. Malgré tout,
l’idée fait son chemin, d’autant plus que la maladie s’en mêle: à l’impuissance du mari,
s’ajoutent des malaises cardiaques. Sa compagne, pendant ce temps, subit l’assaut des
migraines, puis des douleurs à la nuque et aux reins. L’enchaînement logique de cette
construction qui s’échafauda en trente années d’existence commune, arrive à son point
culminant.
On hésite entre le gaz, le poison, le balcon.
On voudrait partir proprement à cause de cette enfant de la guerre, devenue fixation à travers
le souvenir de la chose vécue.
Et puis...
eh bien ! ils viennent à moi.
Je ne me rappelle plus très bien comment, mais ce dont je me souviens, c’est des regards de
Cécile et de Guy la première fois que je découvris leurs visages. Car ces visages n’étaient pas
désespérés. Il y avait au fond de leurs yeux de la lassitude, peut-être, mais aussi une telle
volonté de s’en sortir que j’eus dans l’instant la conviction que je les y aiderai.
Je compris sur-le-champ que j’étais une des dernières portes où ils avaient frappé, peut-être la
porte ultime avant le néant.
Deux moyens s’offrent à moi, à travers le magnétisme. Le corps à corps pour la femme, la
semi hypnose pour l’homme.
Je n’emploierai ni l’un ni l’autre, et pourtant c’est le contact physique sur la peau, qui serait
opérant pour Cécile, et le regard pour Guy.
C’est donc les deux que j’utilise, mais à ce niveau où le contact physique, et celui, plus fort,
de la projection du regard, devra être projeté par touches subtiles, librement acceptées.
J’avais cinquante-cinq ans lorsque je réalisai cette chose qui, quelques années auparavant,
aurait été irréalisable. Car avant ce temps, je n’avais pas encore atteint cette connaissance des
anciens qui est la mienne aujourd’hui.
Il est long, l’apprentissage de la sagesse chez les hommes du voyage.
Je ne vais point discourir ici du contact des mains sur la peau, que tu connais déjà.
C’est plutôt de Guy que je vais t’entretenir.
Chose bizarre, il fut le seul de ce couple à poser sur moi l’empreinte profonde de sa présence.
Elle demeure encore aujourd’hui, et c’est peut être pour cela que, sans l’amour de Guy, qui se
prêta à tout ce dont je l’entretenais, sans cet amour, je n’oserais affirmer que la turquoise et
moi, aurions sorti Cécile de ses névroses.
C’est en grande partie à cet homme qu’elle doit sa résurrection.
Je l’ai déjà dit, je ne suis pas médecin. Mais je sais que, vers la soixantaine, un homme qui
recherche son épanouissement animal à travers l’amour physique fatigue son coeur, et il le
fatiguera d’autant plus que l’autre ne fera que se prêter à ses appétits. Si, de surcroît, une
demi-impuissance l’empêche d’aboutir à cet épanouissement, imagine un peu ce qu’il peut en
résulter au niveau des accidents cardiaques.
Tu sais également que je ne suis pas psychiatre, et pourtant mes maîtres m’ont appris que,
dans la contrainte, la psychose se développe au niveau de ce qui la construit.
Pour Cécile, c’était le viol, donc aucune harmonie dans la plénitude, puisque chaque
possession lui rappelait le choc qu’elle avait subit, et cela hors contrôle, à travers cette
dimension voyageant au-delà du mental, parce que loin des constructions réfléchies.
Cécile, c’était un court-circuit permanent, Guy un commutateur qui usait sa santé à se
manifester dans cet acte d’amour qui est le propre de tout homme normal.
Pour lui, la névrose qui le détruisait à travers le mental, prenait sa source dans l’univers de
l’instinct, et cela essentiellement au niveau de la tactilité.

Voyage au delà du mental. 69


Il suffisait de combattre les deux pour, à défaut d’harmonie physique, faire que le couple
puisse se rencontrer au niveau de l’esprit.
Or à ce niveau, ils se rencontraient déjà.
Le force de l’homme était telle qu’elle pouvait remonter jusqu’aux sources des renoncements.
Cécile fut facile à stabiliser.
Là encore, la vieille loi des contraires joua comme à l’accoutumée.
Mais pour Guy, les choses furent plus difficiles, car, malgré la turquoise qu’il portait, les
ouvertures pour un homme agissant sur le psychisme d’un autre homme, sont totalement
différentes de celles-ci utilisées sur le sexe opposé.
Or, je te l’ai dit, je n’ai pas employé l’hypnose; je te dirais même que jamais de ma vie je ne
l’ai employée, mes maîtres m’ayant dit que ce qui détruit la volonté détruit l’homme.
Or, l’hypnose détruit la conscience du mouvement et, par là, massacre la personnalité.
Je voudrais que Guy reste Guy, et en aucun cas ne devienne un robot.
C’est donc le magnétisme à travers le regard que j’employai pour lui.
Dans le premier ouvrage de cette série, Traditions occultes des gitans, j’ai tracé les lignes
essentielles de ce qu’il faut réaliser avant que de pouvoir obtenir ce regard. Je ne m’étendrai
donc pas sur le sujet. C’est fantastique, tu sais, ce regard, surtout lorsqu’il est dirigé dans le
sens du positif. Il rejoint alors les harmonies secrètes. C’est une force formidable que
l’homme a oubliée, et c’est dommage. Il l’a remplacée par le dialogue psychiatrique, qui
force la réflexion, alors que le regard ne fait qu’ouvrir celle-ci à des ouvertures personnelles,
sans pour autant les étaler à quiconque.
Je pense que si les psychiatres étaient peu ou prou magnétiseurs, leurs paroles
s’amenuiseraient pour faire place à l’ouverture du regard.
Quelle magnifique thérapeutique de l’esprit cela ferait! Mais cette discipline n’est pas
inscrite au grand abécédaire de ce que l’on inculque, et c’est logique, puisque le magnétisme
ne découle d’aucun savoir, qu’il n’est qu’un don. Un don que dénigrent ceux qui ont la force
et le pouvoir de manipuler la foule...
Ça c’est pas triste , car il en est qui, trouvant la petite porte, la poussent, et tombent dans cet
univers soi-disant irrationnel, où fleurit la panacée de la tranquillité, venue d’un monde
voyageant dans une dimension particulière, capable cependant de leur apporter la sérénité.
Je me souviens de ce jour où j’avais donné rendez-vous à Guy.
Il arriva un soir, comme ça, chez moi, avec mes gosses pour accueillir, mes chiens aboyant, et
ma compagne marchant au-devant de lui pour le recevoir.
C’était chouette ! parce que sitôt là, il n’était plus l’inconnu!
En fait, cet homme était devenu mon ami; je m’étais tellement préparé à le recevoir que
probablement ce résultat n’était que l’aboutissement d’une préparation particulière, poussée à
son paroxysme.
Il ne faut pas oublier que les magnétiseurs voyageant au delà du mental ne peuvent être
opérants de but en blanc. Les ascèses qu’ils s’imposent sont indispensables à la réussite de ce
qu’ils entreprennent.
C’est ainsi que, pour qu’un corps à corps puisse être bénéfique à celle qui le subit, trois jours
d’un yoga particulier seront nécessaires à celui qui va le réaliser, et cela que la patiente ait
vingt ou soixante-dix ans.
Pour le regard, c’est la même chose: à cette différence près qu’en cas de danger, il peut être
employé comme moyen de défense, sans aucune préparation, comme ceci est relaté dans un
des chapitres précédents.
Me voici à présent face à face avec Guy, accoudé à une table d’un petit restaurant chinois.
J’établis sur son visage le point de fixation (Voir Traditions occultes des gitans). J’y arrive
avec facilité; je lui explique que mon maître m’a remis pour lui une corde de lune, qu’elle est
dans ma poche, que je la lui donnerai au moment de notre séparation.
Une corde de lune, pour lui c’est le mystère: une chose dont il n’a jamais entendu parler. La

Voyage au delà du mental. 70


turquoise, d’accord: il s’avait que les Tibétains l’associaient au corail, il connaissait
également tout le processus de ce qu’il subissait: c’est-à-dire le regard... prenant ainsi
conscience de ce qu’il vivait dans le moment.
Mais la corde de lune le faisait sourire. Ce n’était pas un sourire amusé, non. C’était autre
chose, car cet homme qui subissait mon regard se rendait compte de sa transformation. Ce
sourire-là avait quelque chose de grave, il rejoignait presque celui de la tranquillité.
Justement, elle arrivait, cette tranquillité, elle s’installait, si fort que mon regard reprit le
chemin des choses coutumières. Il fallut mes mains pour que Cécile se retrouve un peu, et
seulement mon regard à Guy pour qu’il se sente au mieux.
Ah ! cette respiration qui devient tienne au moment où l’instinct t’avertis que l’autre a
retrouvé la sienne!
C’est ça, le miracle.
Combien en aurait-il fallu, des séances de psychiatrie pour amener Guy au même niveau?
Imagine où elle s’en va voyager, cette chose que portent en eux les sages du voyage.
Il m’aura fallu deux heures pour que ce qu’ils m’ont enseigné en presque quarante ans de
route agisse sur le coeur d’un homme qui n’aspire plus qu’à la vie, alors qu’hier la mort était
son but.
Je ne suis pas savant, mais j’ai la certitude que tout se passe en tant qu’échange au niveau des
ondes, qu’en fait le regard est catalysé par l’oeil de celui qui le reçoit, le renvoyant à cet
ordinateur qu’est le cerveau qui en décante l’essentiel pour une transformation psychique
tendant à l’équilibre du mental.
Il ne faut pas oublier que l’hypnose se situe au niveau du regard.
La réalisation du regard telle que la pratiquent les hommes-soleils prend une autre dimension:
elle laisse à celui qui la subit une totale liberté d’expression.
Là, et seulement là, est le fantastique.
Car l’hypnose est au cerveau de l’homme ce que la drogue est à son corps: un poison qui,
tuant sa volonté, asservit son âme à ne percevoir que les effets du mensonge.
C’est ainsi que m’ont enseignés mes maîtres, c’est ainsi que je pense.
Ma vie jusqu’à ma mort ne suivra pas un autre chemin que celui qu’ils ont tracé. Puissent
mes gosses suivre la route que ma femme et moi n’avons jamais quittée.
Me voici devant Guy. Je suis épuisé, mais il ne peut s’en rendre compte.
Il est bien, détendu, heureux, et prêt à recevoir le secret de la corde de lune.
Je récupère lentement, j’attends encore un peu, on bavarde, il est emballé par ma femme, mes
gosses. Le temps passe. Et soudain, je me sens revenu au sens des constructions possibles.
Il m’aura fallu presque une demi-heure pour récupérer.
Merde ! je n’en reviens pas.
Cela aura été long aujourd’hui.
J’ai donc maintenant devant moi un homme normal, un homme qui, à défaut d’avoir digéré sa
névrose, l’a mise sur le coté de ce qu’il vit dans le présent.
Un homme prêt à recevoir, à entendre une conversation, qui trois heures avant, au lieu de lui
nourrir l’ame, l’aurait un peu plus détruit.
C’est sur le trottoir de la rue Saint Sébastien, à Paris, à la sortie du restaurant chinois, que je
sors de ma poche la corde de lune. Et là, je lui explique où cette petite cordelette va le
conduire.
A ce moment précis, ma voix ne fait que formuler la parole des anciens, et ce que vous allez
lire ne fut jamais inscrit dans un ouvrage quelconque.
Seul le vent, avant ce jour, avait pu entendre ce que m’enseigna Pierre le Petit, Kakou en
Arles, lorsque assis tous deux aux marches du Rhône, derrière les thermes de l’empereur
Constantin, il me disait:
- Le chapelet, mon fils, est le chose la plus monstrueuse que les hommes religieux ont pu
inventer. Tu le retrouves sous un aspect différent selon les cultes auxquels il est consacré.

Voyage au delà du mental. 71


Il mémorise la prière dans une comptabilité abjecte. Dieu, s’il existe, mon fils, a-t-il vraiment
besoin que l’on comptabilise les prières qu’on lui fait, à seule fin d’en retirer un certain
profit? Les religions sont tellement vouées à l’argent que le chiffre détruit la spontanéité. Il
n’en sera pas de même si ce chapelet mémorise la contrainte que, volontairement, tu t’es
construite pour atteindre un absolu qui t’échappe. Chez nous, depuis longtemps, peut-être
même depuis le premier jour de notre longue marche, la corde de lune a aidé les Tziganes à
survivre au milieu d’une humanité qui n’espérait que leur perte.
La corde de Lune force à l’ascèse par une construction qui apporte l’espoir. Elle peut
également te faire retourner au plus profond de toi pour mieux comprendre ces choses qui,
s’échappant de toi, échappent également à ton entendement.
C’est une construction logique, construite à travers le chiffre, dont le but essentiel n’est pas de
te rendre meilleur en tant qu’homme, ni abruti en tant que religieux, mais seulement de te
rendre perméable au niveau de l’esprit, donc plus vrai, et cela malgré les contraintes que te
fait subir une civilisation qui, ayant massacré ton instinct, a fait de toi une larve animale qui
jamais ne deviendra adulte.
C’est là ce que me disait Pierre le Petit, Kakou en Arles. Pierre le Petit était analphabète, et
pourtant, comparé à ce qu’il fut, combien aujourd’hui de professeurs de quelque chose me
paraissent ignorants.
Ce sont ceux qui disent de moi que je suis farfelu, alors que je ne suis que le porte-parole
d’une civilisation ignorée, que la notre depuis cinq siècles, essaie de massacrer. Pierre le Petit
disait que le calendrier de la lune était le seul capable de faire fleurir l’arbre du secret, et que
si, à la pleine lune, l’on plantait l’ail, le soleil lui-même ne pourrait pas empêcher que celui-ci
ne pousse comme l’oignon, c’est à dire sans gousse;
qu’il en était ainsi pour l’homme, et que c’était pour cela que les cordes de lune, dites
« chapelets de vérités », étaient construites sur le calendrier lunaire, sur lequel se réalisait le
cycle des menstrues de la femme: c’est-à-dire le cycle de la vie.
Ce n’est pas ce que je dis ce jour-là à Guy. Non, ces choses-là, je les porte au fond de moi,
elles me sont nécessaires pour mieux me faire comprendre le chemin sur lequel je conduis
ceux que la vie me fait rencontrer.
C’est important, tu sais, de savoir où l’on va; mais plus important de savoir où l’on conduit
l’autre.
Cet autre qui n’a plus que ta présence pour s’en aller au lieu où il espère aboutir.
Imagine un peu: tu ne sais plus où aller, vers qui te diriger, tu patauges dans la merde, la vie
que tu vis semble ne plus être la vie, et tu rencontres un homme.
Il te met une turquoise au cou, et il te dit:
- Ne gaspille plus tes forces à te chercher physiquement. Prend cette corde: regarde, elle à
vingt-huit noeuds. C’est le temps pour que la lune bascule de son autre coté. C’est le temps
de l’attente, celui de la réflexion et des constructions intérieures, c’est le temps de la vie, un
temps précieux qu’il ne faut pas gaspiller.
Renonce à ce qui te conduit au vide de ce que tu vis dans le présent.
Et l’autre te regarde avec des yeux tout ronds, et te jette à la gueule:
- Comment faire?
Alors, et seulement alors, tu lui expliques les choses qui sont en toi parce que d’autres les y
ont semées. Tu n’y vas pas par quatre chemins, et tu lui dis que lorsque le merveilleux cesse
d'être merveilleux, il devient une habitude. Que l’habitude peut créer l’ennui, et que l’ennui
est mère de la névrose, car celle-ci n’est pas toujours fille de la violence: ses sources peuvent
être multiples.
Il consacrera donc ces vingt-huit jours à l’ascèse, ce qui sera bénéfique à son coeur. D’autre
part, sa compagne, n’étant plus harcelée par les élans amoureux qui n’aboutissent pas, recevra
le choc en retour d’une harmonie inhabituelle. Les élans physiques étant ainsi freinés d’un
coté, et non supportés par l’autre vont créer au niveau du coeur une ouverture à la paix de

Voyage au delà du mental. 72


l’ame.
Pour prendre conscience de cette volonté d’aboutir à la joie de l’autre, il lui suffira chaque
jour de supprimer un noeud à la corde que je lui pose au creux de la main avant qu’il ne parte
vers sa compagne.
Je lui donne rendez-vous à la lune prochaine. Elle passe, et voici Guy à nouveau devant moi:
il est transformé.
Moins inquiet, plus lucide aussi. Ces vingt-huit jours lui ont donné la dimension exacte de
son nouveau mode d’exister. Il supporte bien sa turquoise, mais Cécile doit la quitter
fréquemment, une sensation d’étouffement lui venant quelquefois au niveau du plexus solaire.
Je vais vois Cécile, je la trouve mieux.
Elle me dit ne plus reconnaître son mari, que c’est merveilleux. Je lui fait le souffle, et un
corps à corps dorsal; la voilà tranquille pour un temps, et Guy reparti pour une nouvelle lune.
Les idées suicidaires de sa compagne ont disparu.
C’est alors que je lui explique que leur appartement est maléfique, que les choses qu’ils y ont
vécues leur seront toujours rappelées par leur environnement.
Alors ils organisent leur départ, et s’en vont.
Ils ont scrupuleusement suivi la sagesse des hommes du voyage.
Aujourd’hui, ils sont sauvés, et leur retraite dans un petit village d’Auvergne accueille les
Tziganes passant devant leur demeure.
Où en seraient Guy et Cécile sans la turquoise? Les psychiatres, les drogues, les
psychologues auraient-ils réussi ce sauvetage?
Car c’est bien d’un sauvetage qu’il s’agit.
Et combien en est-il qui, sur le simple conseil d’un homme comme moi, auraient osé à
soixante ans, renoncer à des habitudes, pour recommencer autre chose, sous le simple prétexte
d’un prétendu savoir qu’aucun parchemin ne venait attester?
Et pour cause.
Et pourtant tu sais, ce savoir, il existe vraiment.
Il va dans le sens des constructions intérieures, il est dans l’odeur du corps de ton gosse que tu
respires pour une joie sauvage.
Il est dans le sourire de ta compagne que tu cueilles comme une fleur précieuse, il est dans la
dernière larme de la souffrance, et de la joie.
Je l’ai distribué sur des hommes qui sont morts dans mes bras, il fut souvent la chaleur sur des
corps qui avaient froid, et le froid sur des brûlures atroces.
Je te l’ai déjà dit, je n’ai rien inventé, je ne fais que subir, non pas ce que l’on m’a enseigné,
mais seulement ce que l’on m’a fait découvrir pour que la joie se continue jusqu’au point
ultime de sa finalité, sur qui vient me trouver, qu’il soit noir ou blanc, victime ou assassin,
même s’il est chien, en quelque endroit que je me trouve, palace ou prison,
j’ai connu les deux.
N’oublie pas que tout en nous est animal, que, bien souvent, un chien vaut mieux qu’un
homme, et qu’il est peu d’hommes capables de vivre la loi des loups....

Refuge du bandit Cartouche.


Roué vif place de Grève en 1721
Paris le 1er septembre 1978
Il est trois heures du matin.

APPENDICES.

En toute honnêteté, je pense que je me devais d’écrire les lignes qui vont suivre.
Je l’ai déjà dit au début de ce livre, sa réalisation ne put exister qu’à travers des pressions
amicales qu’exercèrent sur moi des médecins pratiquant une médecine parallèle que je

Voyage au delà du mental. 73


rencontrai en France, en Espagne et en Sicile.
Mais il y a aussi derrière ces quelques pages le souffle d’un homme, de mon « maître » Pietro
Hartiss, qui depuis quarante années nourrit à la fois ma manière de vivre mais aussi une
certaine façon de m’exprimer.
Grâce à lui, le « verbe » est devenu « écriture ». Et les messages reçus qui vont suivre furent
élaborés le temps de la construction de ce livre, ils ne sont que la résultante d’un souffle que
je sus recevoir, pour qu’ils puissent sur toi apporter la paix, l’harmonie, et la tranquillité.

Pierre Derlon.

La superstition est l'envoûtement de l’homme à l’état pur, la religion aussi.


La superstition et la religion ne sont pas sorties du coeur de l’homme mais de son intelligence.
Le coeur est unité.
L’intelligence multiple.
Or, ce qui ne fait pas l’unité, crée la discorde.
De la discorde nait la guerre, et la guerre construit le massacre.
En vérité, si tu ne veux pas massacrer ton coeur pour être amour, reste unité, éloigne-toi de la
superstition, de la religion; alors tu deviendras le maître de l'envoûtement qui fait que les
hommes s’entre-tuent au nom de ces religions qu’ils ont inventées.
Que la vie soit légère à ceux de la tribu.

Ton moi mortel, c’est-à-dire « visible, ne sera capable de réaliser ce que les ignorants
appellent l’impossible que dans la mesure où ton moi « invisible » se sera construit à travers
le renoncement de certaines satisfaction physiques.
N’oublie jamais, mon fils, que toutes les limitations matérielles ne viennent que de l’homme,
que le mystère pour lui n’existe que dans l’idée palpable qu’il s’en fait, et que pour être
efficace dans cette médecine que je t’enseigne il te faudra d’abord posséder le coeur dans
l’ame, l’ame dans la pensée, la pensée dans la force, et devenir projection, comme la flèche
sur la cible.
N’oublie pas que les hommes incapables d’aller au-delà du palpable sont des hommes qui son
arrêtés en chemin.
Fais en sorte de les précéder, de ne jamais les suivre.
Ne te retourne pas sur eux, marche.
Car ceux qui sont derrière toi n’existent déjà plus.
Et que la paix caresse le sommeil de tes enfants.

Surtout ne t’attache pas l’esprit aux divagations de certains. Dis-toi bien que leur lumière ne
comprend pas les ténèbres, que pourtant beaucoup d’entre eux se prennent pour des lumières.
Ces lumières-là sont incapables de produire une ombre.
Pourtant, mon petit, toi et moi ne sommes que les ombres d’une certaine lumière qui, dans
notre espace de vie, nous anime, nous véhicule hors notre volonté.
Nous ne faisons que subir une force que nous projetons de manière inconsciente dans un
univers où certains hommes se meuvent comme des soleils particuliers.
Car si tout est matière, il en est qui voyagent au niveau de l’esprit et c’est seulement dans ce
sens que Pierre « le Petit », Kakou en Arles, était le soleil.
Alors ne t’attache pas l’esprit aux divagations d’ignorants diplômés qui se disent savants.

Voyage au delà du mental. 74


Que peut t’importer le jugement des hommes, la dimension en laquelle je te fais voyager n’est
pas la leur.
N’oublie pas que tout est en toi, que tu es le frère du chirurgien qui opère les mains nues, de
l’aveugle qui t’initie aux couleurs du rêve.
N’use pas tes griffes au grand marbre de l’intelligence humaine, n’oublie jamais que ce fut la
pensée qui créa l’outil, et l’intelligence qui en fit une arme.
Tout est en l’homme, mais seulement dans la mesure où il ne fait que suivre son instinct.
C’est l’instinct qui conduit le porc à la truffe, ce fut ce même instinct qui conduisit les Indiens
et les Tziganes à la turquoise.
Ce fut l’intelligence qui créa le tarot et le pendule, assassinant ainsi la pensée à l’état pur.
Car l’homme à lui seul est instrument.
Ses mains nues peuvent devenir soleils, recréer la vie au fond du même grand gouffre de la
bêtise, de l’ignorance, dans lequel barbotent tes frères de race.

Je comprends tes regrets, tout au fond de moi j’en reçois la résonance; mais je puis t’assurer
que tu n’a fait que suivre le chemin.
Si ton instinct te donne la mesure de ton incapacité, il te faudra le suivre, je te dirais même le
subir.
Avant toi mes mains, mon souffle furent bien souvent impuissants.
Aller plus loin serait semer du blé aux parvis des cathédrales; et sa promesse de vie piétinée
par une foule aveugle.
Il te faudra semer où naîtra la moisson.
Tout le reste n’est que vanité y compris tes regrets mon fils.

J’ai bien compris ton message, ce gosse qui te fatigue parce que tu le vois vivre à travers la
névrose de tes parents, ne t’épuise que parce que tu t’y prends comme un con!
Rappelle-toi:
plus le pouvoir est en toi, d’avantage tu pourra l’exprimer, d’avantage tu seras comblé de
force en retour, et jamais, entends-moi bien, mon fils, lorsque tes réalisations s’en iront
voyager à coté du matériel, jamais les réserves qui sont en toi ne seront épuisées; concentre
ton activité au niveau de la pensée.
N’oublie pas que la pensée est créatrice et que la main ne peut créer qu’à travers celle-ci:
Alors, mon petit, si tes mains aident à la vie, laisse aller tes mains, pense également que si
parfois la fatigue pèse aux épaules de la bête humaine, elle peut aussi lui réchauffer le coeur.
Fasse la vie que tes épaules deviennent lourdes et ton coeur léger...

Ne prends pas orgueil des gens qui du monde entier viennent te consulter, car ils sont maîtres
du chemin qui les conduisent vers toi, mais prends humilité et amour de l’enfant que l’on
conduit à ta présence, parce que son comportement jette le trouble dans le coeur de ceux qui
lui ont donné la vie.
Ne donne jamais ton regard à cet enfant, écarte-toi de lui.
Donner ton regard serait le détruire; contente-toi de le distribuer sur ses parents, n’oublie
jamais cette règle essentielle.
Lorsqu’un petit d’homme est mal installé dans sa coquille, c’est qu’il est bien souvent malade
de son père et de sa mère.
Et si entre deux tu ne rétablis pas l’harmonie, jamais tu ne guériras l’enfant.
Ecoute-moi encore:
de toutes les guérisons que tu réaliseras, la plus difficile sera celle-ci.
Elle n’est pas impossible pour toi, je te le dis. Tu le peux si tu restes propre en dedans de toi,
avant, pendant et après.

Voyage au delà du mental. 75


Je comprends que ce livre dont la parole court sous ta plume te fasse soucis au coeur.
Il y a presque quarante ans que je te dis qu’il te faudra un jour sortir de ta coquille.
Ce jour est arrivé.
Ceux qui n’ont fait qu’effleurer les possibilités humaines seront contre toi.
Ils seront suivis du grand troupeau de la bêtise, n’essaie pas de te défendre d’eux.
Contente-toi d’avoir le respect de la vraie philosophie de la vie pour la vie elle-même.
Alors viendront vers toi les aveugles et les paralytiques, certains parmi eux atteindront la
lumière, les autres le bout de la route, parce que pour eux ton corps en entier sera devenu
soleil.

Si tu veux que la force de vie par la volonté devienne « pouvoir » à ce que tu te dois de
réaliser, il te faudra entrer dans la maison secrète de ton âme, te retrancher hors du monde
extérieur, fermer ton regard de chair, découvrir ton moi spirituel, pour que cet oeil intérieur
t’indique le chemin de la dimension dans laquelle tu vas devoir te mouvoir.
N’oublie pas que ton corps physique est l’habitacle des énergies premières, que leurs
manifestations ne se peuvent réaliser qu’à travers la volonté et que la force de ton pouvoir ne
tient qu’en la découverte de ton moi spirituel à travers l’instinct et l’animalité.
Ce soir avant ton sommeil respire le corps de tes enfants endormis dans ton lit.
Tu retrouveras alors l’instinct du loup qui sur ses petits retrouve l’odeur de la louve.

Moi qui ne fis jamais rien d’autre que de parler aux feux de la nuit, je pense que pour toi il
doit être grave ce moment où tu poses, au bas de la dernière page d’un manuscrit, le prénom
que te donna ta mère, et ce nom que ton père lui donna avant que tu ne le portes toi-même.
Pense que ton écriture est comme la flamme d’une chandelle, le corps nourrissant cette lueur
n’est que ce tout qui fait la lumière.
C’est grave la parole, Pierre, l’écriture l’est plus encore. Car elle s’en va voyager dans le
coeur de ceux qui te sont étrangers.
Cette signature, mon petit, n’engage pas seulement ceux qui marchent devant toi, mais aussi
ceux dont la vie a fait que la tienne puisse exister.
Que l’on te massacre, que l’on te démolisse, que l’on abatte ce que tu construis est sans
importance.
Ce qui est important, c’est l’authenticité de tes constructions.

Certains hommes emploient quotidiennement des forces que de grands savants tournent en
dérision.
Les choses auxquelles s’accrochent ces hommes vont, au sens naturel du terme, bien au-delà
de la science infuse.
N’oublie pas que tu ne marcheras jamais sur l’eau comme le Christ si une seule fois tu penses
qu’elle te mouillera les pieds, tu ne marcheras jamais sur le feu comme certains hommes des
forets africaines, si une seule fois tu penses qu’il pourrait te brûler, tu ne guériras ni ton frère
ni ton chien comme je le fais, si tu penses que tous deux ne peuvent te recevoir.
Et n’oublie pas que le voile du mystère est essentiellement tissé par le sens matériel de
l’homme.
Ah ! l’imbécile ou l’ignorant, comme il te plaira de penser, mon fils!

L’ignorant construit le péché à travers les contraintes qu’il s’invente.

Voyage au delà du mental. 76


Le moine en sa cellule est hanté par la gourmandise et la luxure.
La louve en sa tanière, après s’être nourrie de la vie, crée la vie.
Du premier et de la seconde, lequel des deux possède la vie authentique?
Je te le demande, mon petit?
Tu pourras posséder toutes les connaissances intellectuelles, toute l’expérience possible des
inventions humaines, tu ne guériras pas si tu ne considères que le la plupart des maladies
résultent de ce que l’homme n’a pas su encore découvrir la véritable essence de son moi
véritable au point qu’il détruit son instinct en nourrissant son esprit des névroses qui
l’assassinent.
Allez ! va, mon petit.

L’occulte
le scientifique tuent le spirituel qui est le compagnon de la pensée à l’état pur.
De ce mariage naissent les vibrations issues de toi, dans cette dimension en laquelle tu
voyages.
Ceux de chez toi nomment ces vibrations le « magnétisme », ceux de chez nous « le souffle
de la vie ».
L’homme a, depuis longtemps, recouvert de sable le grand désert de son orgueil. Fais en
sorte, mon petit, que jamais ton pied ne quitte la verte prairie qui, un jour, se nourrira de cette
vie que tu moissonnes.
Tu auras alors atteint une dimension que peu d’hommes peuvent atteindre, et les enfants de
tes petits-enfants se nourriront du souffle que tu auras jeté sous le soleil, et cela bien après ton
départ dans le vent, sous la pluie.

Toutes vibrations émanant de toi, pour être efficaces se devront d'être délibérément
consenties.
Elles ne le pourront devenir que lorsque ton corps psychique se sera dépouillé de
l’inharmonie et de l’imperfection, car le message de la vie ne se réalise qu’à travers l’amour
de celui qui le distribue.
N’oublie jamais, Pierre, que ton corps en son entier n’est qu’un instrument aveugle qui se
meut dans la nuit pour éclater au soleil.
Il est des hommes qui deviennent cathédrales à qui savent les reconnaître.
Et souviens-toi, la cathédrale n’est qu’instrument.
Allez va, tel tu seras, tel on te reconnaîtra.
N’oublie jamais que tes fils te regardent vivre, et qu’ils se nourriront de toi.

Le Christ et le Bouddha étaient esprit à travers la chair. Tous deux guérissaient.


N’oublie pas qu’ils furent hommes, et que se sont les hommes qui en firent deux idoles,
fabriquant ainsi deux religions.
Ceux qui ne crurent pas en ces religions, s’abîmèrent dans la fausse morale.
Contente toi de la vérité spirituelle vécue à travers l’instinct, mais ne méprise jamais pour
autant le religieux, le moraliste.
Ce sont des frères qui ne connaissent pas notre chemin mais peut-être le cherchent à travers ce
que nous possédons.
Attends, je te le dis, il te faudra attendre: un jour viendra où tous trois réunis à travers ce que
chacun de nous possède, le divin, la morale, la spiritualité formeront le triangle.
De ce triangle naîtra l’équilibre; peut être ?
car il ne faut jurer de rien.

Il y aura bientot quarante ans que tu me parles de Dieu. Il y a autant de temps que je te dis
que tu le portes en toi, comme la fleur sur le tas de fumier!

Voyage au delà du mental. 77


La fleur est-elle capable d’analyser le parfum qui se dégage d’elle? Le fumier, tout comme la
fleur, peut-il savoir le pourquoi de sa pestilence?
Et pourtant, à bien y réfléchir, sans le fumier, que serait la fleur ? et sans la fleur, è quoi
servirait le fumier ? et ton nez, et tes yeux...
Ah ! mon petit, ne me parle pas de Dieu, il n’est pas plus sur l’autel que sous la mitre, il existe
aussi dans le parfum de la fleur, et du fumier que tu respires.
Dieu pour moi c’est la vie, et la vie c’est bien souvent la fleur qui nait sur la merde.
Ne regrette pas pour autant l’odeur de l’encens, car Dieu c’est aussi une manière de voir et de
respirer pour ceux qui ont des yeux et du nez.
Pour les autres?
N’essaie pas d’imaginer, car tu serais mensonge.

T’occuper exclusivement de ton esprit, c’est t’écarter de la spiritualité.


L’athlète qui dans l’effort ne pense qu’à accomplir son corps è travers un canon
« mensurentiel », s’éloigne de l’animalité.
Or tu le sais bien, il n’est de plus stupide individu que le naturiste, et le culturiste. Justement
parce qu’ils s’éloignent de la nature en la forçant au-delà de ce qu’elle est sur le plan
authentique.
Le berger des Alpes, des Aurès, des hauts plateaux des Andes, les Tziganes, les Indiens, les
Esquimaux et tous ceux que tu appelles sauvages, sont hommes véritables; les apollons de
plage, caricatures d’hommes.
Il faut me croire, mon petit, si tu t’occupes des esprits, le domaine spirituel te sera fermé,
comme la vie animale est fermée à ces pauvres garçons dont le but essentiel est les
mensurations de leur corps, les élevant ainsi au niveau du phénomène de foire.
Rappelle-toi: une des deux routes mène à l’inutilité; le choix est devant toi.
Ne te laisse pas pourrir par l’orgueil, échappe-toi le plus possible de ces hommes qui, venant
vers toi, ne cherchent ta présence que pour te vampiriser, pour des constructions où la
spiritualité et la pensée sont toutes deux exclues. Méfie-toi mon petit, elle sera difficile pour
toi la vie, maintenant que tu es sorti de l’anonymat.
Ta voix, ton image, ne t’appartiennent plus, toutes deux courent sur les ondes de la radio, de
la télévision.
Tu appartiens aux hommes, Pierre, et pour certains d’entre eux, tu seras nourriture.
Méfie-toi de tout, pense et agis comme le loup, tu suivras alors ma horde, dans le vent, sous la
pluie, vers le soleil.

Entre nous Pierre, que penserais-tu d’une perfection qui, après avoir créé la vie, s’en
désintéresserait, au point que ce qu’elle vient de créer soit obligé de la supplier pour survivre?
Que penserais-tu d’une perfection accordant ce privilège, s’en faisant remercier par la prière,
et l’humilité par le geste
cette perfection-là, c’est le dieu inventé par les hommes.
Le Dieu authentique, ou si tu veux celui que j’honore, se suffit à lui même.
Jamais une seule fois dans ma vie je ne lui ai fait l’injure d’une prière.
Pour moi, Dieu est un tout dont je fais partie, faisant partie de ce tout, je me dois à
l’ensemble.
Crois-moi mon petit, quand tu faisais l’amour à ta cavale, quand tu joues les jeux de tes
enfants, quand tu guéris et soulage les douleurs humaines, tu es au centre de la prière
authentique, la seule qui ne fasse pas injure à Dieu.
S’il existe.

N’oublie surtout pas ce que tant de fois je t’ai dit: bien souvent il ta faudra massacrer la cause
mentale de la maladie pour obtenir la guérison.

Voyage au delà du mental. 78


N’oublie pas que la pensée est un assassin en puissance, mais aussi un remède puissant.
Elle peut être également un médiateur entre le malaise physique et l’harmonie spirituelle: et
rappelle-toi, tu ne guériras jamais si tu laisses le sordide frôler ton esprit.
Pour être efficace, il te faudra être aussi « propre » que le jour où le corps de ta mère jeta le
tien à la vie.
Tu m’entends mon petit ? être « propre » en dedans, « propre » encore et bien plus si tu le
peux.
Alors tes mains seront comme le soleil, elles feront que se continue la vie.

Si l’enfant que l’on conduit vers toi te tend les bras lorsque ta main va frôler son corps, si le
chien te lèche la main lorsque tu manipules son membre blessé, c’est que tous deux t’ont
reconnu.
Il n’en sera pas de même pour ceux qui, possédant la peur, viendront pourtant vers toi.
N’oublie pas que leur univers n’est que matériel, qu’ils ignorent totalement ce spirituel dans
lequel tu voyages.
Il te faudra alors lier ces deux entités; les assimiler, les digérer, puis par une projection lente
et mesurée de l’esprit sur la matière, faire en sorte que la pensée et l’esprit, unis à travers ce
pouvoir que l’autre subit, puisse créer en lui des harmonies qu’il recevra sans contrainte parce
que son esprit se sera rallié à ta manière de voir et de réaliser, d’en comprendre les sources, et
de s’y baigner en toute sécurité.
Tout dépendra de toi.

Quand ta main sera lourde à ton bras, pense à l’oiseau


quand ton coeur sera lourd à l’amour, pense à la tendresse
quand ton corps sera lourd à l’ouvrage, pense à la volonté
quand tes pieds seront lourds à la marche, pense au bout de la route, car tu n’atteindras la
plénitude que par la volonté retrouvée, l’ouvrage accompli, la tendresse distribuée et l’amour
reçu; et alors, tout comme l’oiseau, tu ne seras plus qu’un trait inscrit dans l’espace.

N’oublie jamais, mon fils, qu’essayer de vivre à ma mesure c’est massacrer la tienne.
Essayer de me ressembler, c’est massacrer ce qui est en toi.
Faire que tes fils te ressemblent à travers ce que tu as vécu, c’est créer idole.
Chacun sur terre, mon petit, se doit de vivre à sa propre mesure.
Moi, je te le dis, l’homme régresse lorsqu’il porte au coeur le culte de son père: car vivre
l’idéal d’un autre, c’est massacrer le sien.
Ecarte-toi de moi, et fasse la nourriture que je t’ai apporté devenir le fumier qui nourrira la
fleur que tu portes au plus profond de ta terre.
Car ne l’oublie pas, nous ne sommes que cela: une poignée de terre mouillée d’un peu d’eau,
animée par l’esprit et que seul l’esprit demeure une fois l’eau échappée de cette pincée de
terre redevenue poussière.
N’oublie pas que je me suis nourri de l’esprit de mon père, sans pour autant lui ressembler.
Ainsi il te faudra devenir pour donner à tes fils ce que tu leur dois.

FIN.
Ouvrages du même auteur:
- Traditions occultes des gitans
- Secrets oubliés des derniers initiés gitans
- La médecine secrète des gens du voyage
- Je vis la loi des gitans

Voyage au delà du mental. 79


- Ainsi vivait le tzigane
- Gitan

Voyage au delà du mental. 80

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