Sunteți pe pagina 1din 25

Cahiers de civilisation médiévale

Relations entre les Slaves méridionaux et Byzance aux Xe-XIIe


siècles
Ivan Dujčev

Citer ce document / Cite this document :

Dujčev Ivan. Relations entre les Slaves méridionaux et Byzance aux Xe-XIIe siècles. In: Cahiers de civilisation médiévale, 9e
année (n°36), Octobre-décembre 1966. pp. 533-556;

doi : 10.3406/ccmed.1966.1393

http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1966_num_9_36_1393

Document généré le 01/06/2016


Ivan DUJCEV

Relations entre les Slaves méridionaux et Byzance


aux Xe-XIP siècles

Après des contacts ininterrompus avec l'Empire de Constantinople au cours de quatre siècles, les
vSlaves méridionaux constituaient, au début du xe s., un élément ethnique bien connu des Byzantins
et revêtaient une importance singulière dans leur vie politique et culturelle. Depuis le VIe s.
— époque où cette race nouvelle avait entrepris ses invasions dans les territoires balkaniques et
avait réussi, par vagues successives, à s'y établir de façon définitive, — il s'était produit des
changements profonds dans leur vie. Ce n'étaient plus des envahisseurs sans patrie que le
gouvernement de Constantinople avait ses raisons de traiter comme des « barbares », dignes de mépris,
privés de tout élément de civilisation et hôtes passagers sur les terres de la péninsule balkanique.
Les Slaves méridionaux — Bulgares, Serbes et Croates — avaient déjà formé, au voisinage immédiat
de l'Empire et après des luttes acharnées contre ses armées, leurs États propres. Si le vine s. avait
été une époque de crise militaire pour une partie de ces peuples nouveaux et avant tout pour les
Bulgares, la situation allait radicalement changer pendant le ixe. Au cours de cette époque
s'accomplit, dans les rapports entre les Slaves du Sud et l'ancien Empire, une modification
fondamentale. L'équilibre des forces que le gouvernement de l'Empire d'Orient avait su maintenir,
depuis des siècles, dans les territoires au sud du Danube se trouva désormais complètement modifié
à son désavantage. On eut affaire, non plus à des tribus désunies et en lutte entre elles, mais à des
formations étatiques déjà bien consolidées. Pour parer à ces pertes dans le domaine politique et
militaire, l'Empire de Constantinople mobilisa toutes ses forces dans une autre sphère. Grâce à son
activité missionnaire officielle, ou même à titre privé, Byzance obtint une victoire dans le domaine
religieux : les Slaves méridionaux furent convertis à la foi chrétienne et, ce qui était plus important
quant aux conséquences politiques, ils passèrent sous la suprématie spirituelle du patriarcat
constantinopolitain. La victoire de Byzance allait cependant se révéler bientôt précaire. Autant
qu'on en puisse juger d'après certains témoignages et en conformité avec la politique religieuse
et ecclésiastique générale de l'Empire, on nourrissait dans la capitale byzantine l'espoir, non
seulement de dompter par la christianisation l'hostilité des nouveaux voisins, mais également de
les soumettre à la politique de Byzance. Loin de là ; le christianisme introduit chez ces peuples
slaves prit bientôt une physionomie propre et nationale ; le clergé — et en général la hiérarchie
ecclésiastique nouvellement constituée, — au lieu de devenir un instrument de la politique
byzantine, se transforma en propagateur d'une littérature slave nationale qui devait fortement contribuer
au développement culturel et à la formation des nationalités slaves.
Parmi tous les Slaves méridionaux, c'étaient les Bulgares qui habitaient le plus près des frontières
immédiates de l'Empire et, dès le premier quart du ixe s., ils s'étaient risqués à menacer
Constantinople même. A l'aube de ce siècle, avec l'accession au pouvoir d'un prince énergique et guerrier

533
IVAN DUJCÊV

comme l'était Krum (802-814), l'État bulgare avait pris son essor pour devenir, par des conquêtes
successives, une puissante principauté englobant sous son empire des territoires toujours plus
vastes. Au tournant des ixe et xe s. — c'est-à-dire entre 893 et 927, — le gouvernail de l'État
bulgare était dans les mains du prince Syméon, un ancien élève de la Magnaura de Constantinople1.
Cet important personnage historique incarna, dans son activité politique et militaire, une des plus
grandes contradictions de l'époque et, en même temps, contribua énormément au progrès de la
civilisation slave. On ne sait pas avec précision combien d'années il a vécu à Constantinople
pendant sa jeunesse, au temps du célèbre Photios. Grâce à un précieux témoignage transmis par
Liutprand, évêque de Crémone, qui visita la capitale byzantine quelques dizaines d'années après
la mort de Syméon, nous savons que le jeune prince y reçut une excellente éducation, tout à fait
en conformité avec l'esprit de Byzance. On narra au prélat italien, arrivé à Constantinople en 968
comme ambassadeur de l'empereur germanique Otton Ier, qu'on donnait à Syméon le surnom de
Emirgon id est Semigrecum, à cause de son instruction byzantine : eo qnod a puericia Byzantii
Demostenis rhetoricam Aristotelisque sillogismos didicerit2. Il n'est pas difficile de deviner les raisons
qui avaient poussé le vieux prince bulgare Boris-Michel (852-889) à envoyer son troisième fils
étudier à Byzance. Dans l'État bulgare nouvellement converti au christianisme venait de s'instituer,
à partir de la conversion officielle, en 865, une hiérarchie ecclésiastique qui, avec le progrès de la
nouvelle religion, augmentait son clergé et s'imposait dans l'État comme une puissance inconnue
à ces païens d'hier. Habitués à une concentration absolue du pouvoir temporel et spirituel dans les
mains du souverain et de sa famille, les Bulgares imitèrent de bon gré l'exemple instructif de
la Bible : Moïse et son frère aîné Aaron avaient partagé entre eux les pouvoirs temporel et
spirituel. La nécessité de concentrer le pouvoir et d'éviter toute scission interne obligea, vers la
même époque, les Byzantins à suivre les admonitions de la Bible3. On peut admettre par conséquent
que Boris-Michel, en envoyant son fils à l'école de la Magnaura, projetait de le voir un jour à la tête
de la hiérarchie ecclésiastique en Bulgarie4. C'est ainsi qu'on peut interpréter également le fait que
le jeune prince, après avoir terminé ses études — relidis artium studiis, au dire de Liutprand, —
entra en religion et devint moine (conversationis sandae habitum sumpsit).
La situation interne du pays était cependant telle que le prince-moine ne put pas s'en tenir à cette
décision. Après avoir pris le pouvoir en Bulgarie en 893, il fut un souverain parmi les plus énergiques
que l'histoire ait connus. Ce qui mérite d'être relevé d'une façon particulière, c'est son attitude
envers Byzance comme puissance politique et, d'un autre côté, envers la civilisation byzantine
en général. Instruit à Constantinople, se sentait-il aveuglé par la splendeur de la civilisation de
cette cité au point d'oublier son origine ethnique et de se « dénationaliser », si le terme convient à
cette époque lointaine ? A juger d'après les faits des temps immédiatement postérieurs, surtout
des guerres presque incessantes au cours de plus de trente ans, on pourrait affirmer que l'ancien
élève des Byzantins — ce Semigraecus — était devenu l'ennemi le plus acharné de l'Empire et de

1. Pour les détails, voir V.N. Zlatarski, Istonja na bùlgarskata dûrzava prez srèdnitê vêkove [Histoire de l'État bulgare
au moyen âge], t. I, ire p., Sofia, 1927, p. 278-515, avec indication des sources historiques et bibliographie. — Voir également A. Ram-
batjd, L'Empire grec au Xe siècle, Paris, 1870 ; Id., Hellènes et Bulgares. La guerre des races au Xe siècle, dans « Rev. des deux motides »,
t. ClyXI, 1900, p. 416-456. — En général, sur les rapports entre les Slaves du Sud et Byzance au x° s., on peut utiliser M. S. Drinov,
Juznye slavjane i Vizantija v X vêkê. Sûcinenija, t. I, Sofia, 1909, p. 365-520. — Une bonne information est fournie aussi par St. Runci-
man, A History of the First Bulgarian Empire, Londres, 1930 ; Id., Lhe Emperor Romanus Lecapenus and His Reign, Cambridge, 1929.
Il faut noter une brève esquisse biographique de V.N. Zlatarski, Syméon von Bulgarien, dans R. Rohden/G. Ostkogorsky, Menschen
die Geschichte machten, t. I, Vienne, 1930, p. 304-309 ; une œuvre de vulgarisation, G. Skrgheraert (Chr. Gérard), Syméon le Grand
(8<)}-Ç)2j), Paris, i960 cf. I. Dujcev, dans « Byzantinoslavica », t. XXIII, 1962, p. 318-319 ; P. Devos, dans « Anal. Bolland. »,
t. L,XXIX, 1961, p. 489-491 ; R. Janin, dans « Rev. et. byzantines », t. XX, 1962, p. 252-254.
;

2. I+iutprand, Antapodosis, III, 29, 6/7, M.G.H., SS, III, 309. Cf. aussi I. Dujcev, Medioevo bizantino-slavo, t- I, Rome, 1965, p. 476.
3. Deux cas typiques entre 886 et 893, le trône patriarcal de Constantinople fut occupé par le patriarche Etienne Ier, frère cadet
de l'empereur Iyéon VI. I^e patriarche Théophylacte, qui gouverna l'Église de Constantinople entre 933 et 956, était le fils de l'empereur
:

Romain I/:capène (920-944).


4. Cf. Zlatarski, Istorija..., p. 279 et ss.

534
RELATIONS ENTRE LES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

tout ce qui était byzantin. Une telle affirmation serait partiellement vraie : l'attitude du souverain
bulgare sur le plan politique et militaire s'écartait profondément de son attitude envers la
civilisation byzantine et chrétienne. Relevons avant tout le fait que l'influence de la civilisation
byzantine n'avait pas eu, chez ce prince, comme du reste chez certains autres hommes d'origine
slave5, un effet négatif quant à sa conscience nationale ; l'assimilation n'avait pas été totale.
Cette influence devint plutôt une force stimulante. Pour nous borner provisoirement au plan
purement politique, il nous faut rappeler la profonde crise que l'Empire de Byzance traversa
vers la fin du ixe et au début du xe s. I/empereur Léon VI le Sage était plutôt un homme de
lettres et un prédicateur ecclésiastique qu'un homme politique ou, encore moins, un chef d'armée.
Par suite de sa conversion au christianisme, la Bulgarie était entrée dans le système byzantin
de la « famille des souverains et des peuples6 », et de cette manière le prince bulgare devait
nécessairement rendre honneur et hommage à l'empereur de Constantinople comme à son « très
divin père7 ». Depuis son séjour dans la capitale de l'Empire, Syméon connaissait cependant
assez bien la situation générale et les capacités comme les goûts personnels de l'empereur.
Il était bien informé de son intérêt pour l'astrologie8 et, dans une lettre adressée à Léon
Choerosphactès, arrivé en 896 en Bulgarie comme ambassadeur du gouvernement byzantin, il
le traite avec mépris de [isTzopoXoyoç, c'est-à-dire : personne qui étudie ce qui se passe dans les
hautes régions de l'atmosphère, mais qui n'a pas le sens des réalités. « II y a deux ans — écrivait-il
à l'ambassadeur de Constantinople9, — ton roi nous a étonné en nous annonçant l'éclipsé de soleil
et l'époque où elle se produirait, en précisant non seulement le mois, la semaine, le jour, l'heure et
l'instant, mais encore en nous révélant le temps que durerait cette éclipse. L'on dit qu'il possède
également beaucoup d'autres connaissances concernant les mouvements et les révolutions célestes. »
Si tout cela est vrai, ajoutait avec une certaine ironie le prince bulgare, l'empereur Léon « doit
savoir également la vérité » sur les pourparlers diplomatiques entre les deux pays, et tout
particulièrement sur le sort des prisonniers byzantins qui se trouvent aux mains des Bulgares. Dans
une lettre suivante, Syméon déclarait ouvertement son opinion sur les capacités de l'empereur :
tout en restant un « météorologos », il n'a pas la notion du présent et ne peut pas prévoir l'avenir
dans le domaine politique et militaire...
A ces conceptions sur le caractère personnel de l'empereur, le prince Syméon joignait ses
informations sur la situation agitée de l'Empire pendant les premières années du xe s.10. Ces
faits n'étaient que trop propices à faire naître dans l'âme du jeune et énergique souverain bulgare
l'illusion d'une crise décisive dans la vie politique de Byzance, à attiser ses ambitions et à provoquer
son agressivité envers l'Empire. Le gouvernement de Constantinople tenait sous son pouvoir, à
cette époque, de vastes et riches régions en Orient, en Afrique du Nord, en Occident et dans la
péninsule des Balkans : c'était en effet un Empire au sens exact du terme. Pendant les deux
premiers siècles de son existence, l'État bulgare non seulement s'était consolidé, mais il possédait

5. Exemple typique pour l'époque postérieure le pritiee rusbe Ivan Vasiljevitch Groznij (1533-1584) [I. DujèEV, Vizantija i
vizantijskaja literatura v poslanijach Ivana Groziiogo, dans « Trudy Otdela drevnerusskoj literatury », t. XV, 1958, p. 159-176]. Citons
:

encore l'exemple de Constantin-Cyrille et Méthode, Slaves de Thessalonique (Dujcev, « Graed amantes cum a puera », dans « Wiener
Arch. f. Gesch. d. vSlaventums u. Osteuropas », t. V, 1966, p. 15-19-
6. Etudes fondamentales sur le problème Fr. Dolger, Byzanz und die curnpàische Staatemeelt, Ettal, 1953, p. 34-69 « Die Familie
der Konigc im Mittelalter » ; p. 159-182 « Die mittelalterliche Familie der Fiirsten und Vôlker und der Bulgarenherrscher » ;
: :

p. 183-196 « Der Bulgarenherrscher als geistlicher Sohn des byzantinischen Kaisers ».


7. Indication importante dans une lettre du prince Syméon à l'ambassadeur byzantin Léon Choerosphactès G. Kolias, Léon
:

Choerosphactès, maoïste, proconsul et patricc. Biographie, correspondance, Athènes, 1939, n° 2, p. 76-77. Cf. aussi Dôlgek, op. cit., p. 191,
:

n. 18.
8. Pour les détails DrjéEv, Medioevo bizantino-slavo, p. 211 et ss.
9. Kolias, Léon Choerosphactès, n° r, p. 76-77.
:

10. Pour les détails, voir G. Ostrogorsky, Geschichte des byzantinischen Slaates, 3e éd., Munich, 1963, p. 212 et ss. — Voir aussi le
livre ancien, mais toujours utile, de N. Popov, Impcrator Lev Vil Mudryj i ego carstvovuniev cerkovno-istorileskom otnosenij, Moscou,
1892.

535
IVAN DUJCEV

une bonne part des territoires balkaniques et étendait son pouvoir au delà du Danube et sur le
littoral septentrional de la mer Noire11. Si la capitale continuait à être séparée de l'État bulgare
par une vaste zone dans le S.-E. de la péninsule, la seconde ville de l'Empire, Thessalonique,
se trouvait menacée doublement : d'un côté par les tribus slaves qui habitaient dans ses environs
immédiats depuis quelques siècles, et d'un autre par l'État bulgare même, dont la frontière
S.-O. se trouvait, autant que l'on puisse l'établir grâce au témoignage d'une inscription
protobulgare12, à quelques dizaines de km. au nord et au N.-E. de cette ville.
Ce qui caractérise, au point de vue politique, les rapports entre l'État bulgare et l'Empire de
Constantinople à l'époque du prince Syméon, ce sont avant tout les guerres longues et presque
incessantes. On relève l'existence d'une guerre entre la Bulgarie et Byzance dès 894/96, pour des
raisons économiques13. Au début du xe s., en 904, les Bulgares entreprirent, de concert avec les
Arabes, commandés par le renégat byzantin Léon Tripolitès, une expédition contre la ville de
Thessalonique14. Après la brève occupation de la ville par les Arabes, le gouvernement de
Constantinople mit en œuvre tous les moyens de sa diplomatie pour empêcher que le grand centre de la
vie économique et politique ne tombât aux mains des Bulgares. Les conditions de la paix entre les
deux États15 furent assez favorables pour le souverain bulgare, de sorte que pendant une dizaine
d'années il n'opéra pas d'incursions sur les territoires de l'Empire. La mort de l'empereur Léon VI
(mai 912) et la nouvelle crise interne, à Constantinople, avec l'occupation du trône par l'éphémère
souverain que fut Alexandre (912-913) 16, attisèrent de nouveau les hostilités : une imprudence
de la part de ce dernier provoqua la rupture de la paix, si soigneusement ménagée au temps de
Léon le Philosophe. Les facteurs de la crise que l'Empire traversa pendant une dizaine d'années,
avant tout l'avènement au pouvoir de Constantin VII Porphyrogénète, âgé de six ans seulement
et non reconnu par tous comme héritier légitime du trône, le schisme qui déchirait le pays, une
rébellion périlleuse soulevée par un prétendant au pouvoir suprême (Constantin Doukas)17, tous
ces facteurs créèrent un changement d'équilibre au désavantage de l'Empire. Celui-ci semblait au
bord du précipice. En juillet 913, le prince bulgare apparut, avec son armée, devant la capitale
byzantine et tenta de dicter ses conditions à la régence, présidée par le patriarche Nicolas Ier
le Mystique. Impuissant à opposer une résistance solide aux exigences du souverain bulgare,
l'Empire confia sa défense moins aux armes qu'aux expédients de la rhétorique ecclésiastique et
à la plume du patriarche. Pendant plus d'une dizaine d'années, jusqu'à sa mort en 925, le chef de
l'Église de Constantinople chercha à persuader le souverain bulgare, en lui envoyant plusieurs
lettres18, de renoncer à ses intentions belliqueuses et d'accepter la paix avec l'Empire.
Pendant l'expédition du roi bulgare Syméon contre la capitale byzantine, au mois de juillet 913,
survint un épisode qui mérite d'être mentionné. On nous dit19 que le souverain bulgare s'était
dirigé vers la ville, à la tête de son armée, avec des machines de guerre et des engins destinés au
siège, mais que, étant arrivé devant la cité, il changea d'intention et entama des pourparlers avec les

11. Sur les frontières de l'État bulgare à cette époque : Zlatarski, Istorija..., p. 339 et ss.
12. V. BeSevliev, Die protobulgarischen Inschriften, Berlin, 1963, p. 215-219.
13. G.I. Bkatiaxu, Le commerce bulgare dans l'Empire byzantin et le monopole de l'empereur Léon VI à Thessalonique, dans « Sbornik
(Recueil) P. Nikov » = « Izvestija » (Bulletin) de la Soc. histor. bulgare, XVI-XVIII, 1940, p. 30-36.
14. OstroGorsky, Geschichte d. byzantin. Reiches, 3e éd., p. 213 et ss.
15. Fr. Dôlger, Regesten der Kaiserurkunden des Ostrômischen Reiches von J6J-14J3, t. I, Munich /Berlin, 1924, n° 542, p. 64
Zlatarski, Istorija..., p. 326 et ss.
;

16. Ostrogorsky, op. cit., p. 216 et ss. « der leichtsinnige Geniesser Alexander ». Cf. Sp. I,ambros, Léo und Alexander als Mitkaiser
von Byzanz, dans « Byzantin. Zeitschr. », t. IV, 1895, p. 52-98.
:

17. l<es faits sont narrés par le Continuateur de Théophane, éd. de Ronn, p. 381, 14 et ss.
18. Éd. de ces lettres P.G., CXI, 9-392. Pour d'autres indications bibliographiques, voir Gy. Moravcsik, Byzantinoturcica, t. I :
Die byzantinischen Quellen der Geschichte der Tûrkvôlker, 2e éd., Berlin, 1958, p. 455-456. A mentionner l'étude utile de J. Gay, Le
:

patriarche Nicolas Mystique et son rôle politique, dans « Mélanges Ch. Diehl », t. I, Paris, 1930, p. 91-101.
19. Continuateur de Tiiéophane, op. cit., p. 385, 5 et ss. Pour les autres sources historiques, Zlatarski, op. cit., p. 364, n. 2 ; un
exposé des événements ibid., p. 364 et ss.

536
RELATIONS ENTRE LES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

représentants de la régence. Ce n'était certainement pas l'aspect des fortifications imposantes de


la capitale de l'Empire qui l'avait détourné de son propos initial : il connaissait bien les murs et
tout le système de défense de Constantinople, cité où il avait séjourné pendant sa jeunesse. Mais il
avait trouvé un moyen pacifique pour réaliser au moins quelques-uns de ses projets ; le
gouvernement de Constantinople s'était déclaré prêt à satisfaire à certaines de ses demandes. Grâce à
une allusion du patriarche Nicolas20, nous sommes informés du fait que le souverain bulgare envoya
à la régence une épître qui servit de base aux pourparlers entre les Bulgares et les Byzantins. Un
ambassadeur de Syméon établit de concert avec le gouvernement de l'Empire les conditions
préalables, on échangea quelques otages ; le monarque bulgare, accompagné de ses deux fils,
fut admis dans la capitale et emmené au palais des Blachernes. Une miniature, conservée dans le
célèbre Cod. Vatican slave 2, de l'année 1344/45 et contenant la traduction en moyen-bulgare de
la Chronique de Constantin Manassès21, nous fait voir la scène du festin offert au roi Syméon et à
ses fils dans le vieux palais byzantin. Il y eut ici une brève cérémonie, dont le vrai sens n'est pas
tout à fait clair. On nous dit que le souverain s'approcha du patriarche Nicolas le Mystique et
s'inclina devant lui, que celui-ci, après une prière, posa sur la tête du Bulgare son eftirriptarion22,
au lieu d'une couronne. Le sens de ce passage des sources byzantines, presque contemporaines des
événements, a été largement discuté par quelques excellents spécialistes d'histoire byzantine23.
Il est clair que le souverain bulgare avait mis fin aux hostilités contre les Byzantins parce qu'il
avait reçu, de la part de la régence constantinopolitaine, des promesses qui semblaient satisfaire
ses désirs et ses plans politiques. Déjà, en 705, le prince bulgare Tervel (701-718), qui aida l'empereur
détrôné Justinien II à reprendre le pouvoir, avait obtenu le titre de caesar (kaisar) et les insignes
correspondants24. Si ce prince s'était contenté d'un tel titre, plutôt honorifique et tout à fait
momentané, comme les événements postérieurs et les hostilités ultérieures entre Bulgares et Byzantins
le prouvèrent, si d'un autre côté quelque prince occidental du haut moyen âge pouvait se contenter
d'un titre moins somptueux, comme celui de patrice25, les ambitions de Syméon allaient beaucoup
plus loin. En 913, voyant l'Empire dans une crise dangereuse, il ne se serait pas limité à l'attribution
d'un titre comme kaisar26, d'autant plus que ce titre fut conféré de manière irrégulière. Il ne
pouvait pas être question du simple titre de basileus, qui avait perdu son exclusivité byzantine
depuis un siècle, lorsqu'il fut reconnu, à Aix-la-Chapelle, en 812, à Charlemagne27. Il ne s'agissait
pas de la reconnaissance officielle, de la part des Byzantins, d'un État bulgare dont le souverain
aurait eu un tel titre. Il est évident que, dans la lutte cruelle où s'engagèrent, pour plus de dix ans,
les deux puissances voisines, il était question de l'existence même de l'Empire comme tel. Syméon,
devant le spectacle de la crise byzantine, conçut l'idée de constituer un Empire byzantino-slave,
ou plutôt byzantino-slavo-bulgare, pour remplacer le vieil Empire d'Orient qui lui paraissait

20. P.C., CXI, 60 D.


21. Reproduction de la miniature dans I. Dujcev, Les miniatures de la Chronit/uc de Manassès, Sofia, 1963, fis.;. 60.
22. Équivalent de epanokalymauchion (L- Clugnet, Dictionnaire grec-français des noms liturgiques en usage dans l'Eglise grecque,
Paris, 1895, p. 52-53 « sorte de coiffure ecclésiastique ») et de perikephalaia (ibid., p. 120 « grand bonnet qui sert de coiffure aux
moines ><). Cf. G. Ostrogorsky, dans " Bull. Inst. arehéol. bulgare », t. IX, 1935, p. 278, n. 1 « der Schleier, den der Patriarch, gleich
:

: :

den Bischôfen und auch den Monchen der ostlichen Kirche, ùher seiner Kopfbedeckung, dem Kamelauchion, tragt... ». D'autres
mentions chez Nicetas Choniata, Historia, éd. Bonn, p. 351, 3-5 ; Synopsis Sathas, dans K. Sathas, Biblinthcca gracca medii aevi,
t. VII, Venise/Paris, 1894, p. 332, 18-20.
23. Zlatarski, Istorija..., p. 364 et ss. Fr. DolGKR, Bulgarische Zartum und hyzantinische Kaisertum, dans » Bull. Inst. arehéol.
bulgare », t. IX, 1935, p. 57-68 ; ou Byzanz und die europàische Staatcnivelt, p. 140-158 ; G. Ostrogorsky, Die Krônung Symeons von
;

Bulgarien durch den Patriarchen Nikolaos Mystikos, dans « Bull. Inst. arehéol. bulgare », t. IX, 1935, p. 275-286 Id., Avtokrator i
samodrzac, dans « Glas de l'Acad. serbe », t. 164, 2e partie, 84, 1935, p. 121-137 I. Sxkgarov, Koronjasan li e bil knjaz Simon v
;

Carigrad prez pi 3 god., dans « GodiSnik >< (= Annuaire) Univers. Sofia, fac. de théol. », t. XXIV, 1946/47, p. 1-47.
;

24. Théophaxe, Chronographia, éd. C. de Boor, t. I, p. 374, 28-375, 3 — Nicephorfs Constantinopol., Opuscula historica, éd.
C. de Boor, p. 42, 20-25. Cf. Zlatarski, op. cit., t. I, 1, Sofia, 1918, p. 164 et ss.
25. A. A. Vasiliev, Histoire de l'Empire byzantin, t. I, Paris, 1932, p. 141 et ss.
26. Comme le supposait Zlatarski, op. cit., t. I, part. 2, p. 367 et ss.
27. Pour les détails, voir Dolger, Byzanz und die europàische Stuatenwelt, p. 45, 80, 146 et ss., 153 et ss., 160 et ss., 2S8 et ss.

537
IVAN DUJCËV

arrivé au bout de ses jours. La conception était née, sans doute, sous l'influence de Byzance, mais
pouvait se réaliser uniquement dans la lutte contre celle-ci28 : le premier pas consisterait à éliminer
la régence impuissante qui régnait à Constantinople, à mettre à sa place un souverain d'origine slave.
Les obstacles ethniques ne constituaient, en principe, aucune barrière infranchissable. Byzance
ne fut jamais, jusqu'à la fin de sou existence, un État national au sens strict et moderne du
terme. Le caractère plurinational de cet Empire se manifestait surtout dans le fait qu'au sommet
du gouvernement se trouvait, à ce moment, une dynastie qui portait le nom de « macédonienne »,
mais qui, en réalité, n'avait rien de grec et était d'origine arménienne29. Si cette raison écarte
ce qu'on a appelé le « rômisches Legitimitàtsempfinden30 », l'accusation ne peut être davantage
retenue selon laquelle on aurait agi contre la « conscience culturelle grecque » (griechisches
Kulturbewusstsein)31. Syméon était vraiment, sous plusieurs aspects, un hemiargos, comme l'avaient
dénommé ses contemporains byzantins. Qu'il fût profondément imbu de la civilisation byzantine,
il en avait donné des preuves tangibles. Ainsi nous a-t-il laissé, dans sa correspondance avec
l'ambassadeur byzantin Léon Choerosphactès, quelques brèves lettres qui — si l'on accepte
qu'elles aient été composées personnellement par lui — étonnent par leur langue et leur style
hautement byzantins32. Toute sa correspondance avec le patriarche Nicolas Ier, ainsi qu'avec
l'empereur Romain Lécapène33, est toujours rédigée en grec : nous n'avons aucun témoignage
que ses lettres aient été rédigées dans une langue autre. Les inscriptions que l'on lit sur les sceaux
en plomb de Syméon34 sont aussi toujours en grec. Les inscriptions datées du temps de ce souverain
bulgare35 — celles que nous possédons — sont composées immanquablement en grec. Relevons
enfin que même les acclamations de l'armée, exigées par le roi, étaient en grec36. Outre ces
manifestations de la culture byzantine, qui ont un caractère plutôt extérieur, on doit attribuer au
souverain bulgare une profonde et vaste connaissance de la littérature patristique grecque et
byzantine, comme cela est attesté par son activité littéraire. Les accusations qu'on lui adresse
parfois, d'avoir donné trop de preuves de préférence pour tout ce qui était byzantin, doivent
être écartées, quand on prend en considération les motifs profonds d'une telle attitude vis-à-vis
de la culture byzantine. L'Empire étant universel, cette culture devait être considérée elle
aussi comme universelle. Professer la foi chrétienne donnait accès à cette civilisation qui, en
son fondement, était une civilisation chrétienne. De la même manière que l'on avait accepté le
christianisme, sans que cela portât préjudice à l'appartenance ethnique, sans se « dénationaliser »,
ainsi l'on retenait l'appropriation de la civilisation byzantine comme obligatoire, et sans préjudice
pour la civilisation nationale, dans la mesure où elle existait à cette époque. Les prétentions du
souverain bulgare à instituer un Empire byzantino-slave étaient basées sur un fait de caractère
purement politique. Indépendamment du fait que parmi les Slaves de la péninsule des Balkans

28. Doloer, op. cit., p. 144 " Auch das bulgarische Zailum, in der erstcn Halftc des 10. Jalirhundr-ilb durch de 11 Bulgaren-Fursten
Sytneon ins I^eben gerufeu, ist unter der Einwirkuug dièses byzantinischen Vorbildes und im hcftigcn Widerstreite mit ihm entstanden. »
:

29. N. Adontz, L'âge et l'origine de l'empereur Basile 1er , dans " Byzantion », t. VIII, 1933, p. 475-550 IX, 1934, p. 223-260. Cf. aussi
Vasiliev, Hist. de V Empire byzantin, t. I, p. 398 et ss. " Si l'on s'efforce de découvrir une définition plus exacte de la dynastie
;

macédonienne du point de vue de ses éléments ethnographiques, on peut lui donner le nom, plus correct, de dynastie arméno-slave. >
:

Ostrogorsky, Geschickte..., p. 193, n. 3, exprime des doutes.


30. Dolger, op. cit., p. 154.
31. Ibid.
32. Kolias, Léon Choerosphactcs, n° 1, p. 76-77 ; n° 2, p. 78-79 ; n° 5, p. 80-81.
33. Sur la correspondance avec le patriarche Nicolas le Mystique, voir supra, p. 536, n. 18. Quant à la correspondance avec l'empereur
Romain
nos 606-608,
I,écapène,
p. 74-75.voirOstrogorsky,
les indicationsop.bibliographiques
cit., p. 179 et n. de2, Moravcsik,
parle seulement
Byzantinoturcica,
de deux lettres,
t. I,tandis
p. 502-503
qu'en réalité
Dôlgkk,ellesRegesten,
sont troist. etI,
datent de 925.
;

34. T. Gerasimov, Tri starobulgarski nwlivdovula, dans « Izvestija » (= Bulletin) Inst. archéol. bulgare, t. VIII, 1934, p. 350-360
II)., Olovni pecuti nu b&lgarskitê rare Simeon i l'etûr, ibid., t. XII, 1938/39, p. 354-357. Cf. Moravcsik, op. cit., p. 505 BeSevliev,
;

Die protobulgar. Inschri/lni, nos 88-90, p. 329-330 ; Dôi.ger, ttyzanz, p. 152, n. 29.
;

35. BeSevliev, op. cit., n0 46 a, p. 215-219.


36. Continuateur de Théopiiane, p. 407, 14-16. Cf. Zlatarski, Istorija..., p. 466.

538
RELATIONS ENTRE LES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

existaient déjà des groupes ethniques nettement différenciés : les Slavo-bulgares, les Serbes et
les Croates, l'État bulgare se présentait avec une insistance toujours plus grande comme la seule
puissance ayant la possibilité d'unifier ces populations d'origine slave. L'État bulgare avait en
son pouvoir des territoires plus vastes. Tout cela justifiait, semble-t-il, aux yeux de son roi
comme à ceux de ses compatriotes, des prétentions au trône de Byzance. Rappelons, plutôt à titre
d'analogie, que plus tard, au cours du xivc s., quand l'Empire de Byzance traversera une fois
encore une crise profonde, des tentatives seront faites pour instituer un Empire byzantino-serbe,
sous le sceptre du roi serbe Etienne Dusan37, tandis que quelques rois bulgares se donneront le
titre prétentieux d' " autocrate des Grecs et des Bulgares »38.
Poussé par de telles perspectives, le roi Syméon s'attribua, sans le consentement des Byzantins,
le titre de basilens des Bulgares39. Quoique touchés au vif par cet acte unilatéral, les Byzantins qui
depuis l'époque de Charlemagne déjà considéraient ce titre comme sacrifié, et qui avaient cherché
à le remplacer par le titre de basilens Rhomaionif) , acceptèrent le fait avec une certaine résignation41.
Tout en considérant les actes du souverain comme peu conformes aux règles de la vie
internationale qui avaient cours à cette époque, on reconnut à Syméou le droit de se faire donner,
dans son pays, n'importe quel titre42. Nous savons que Syméon, qui songeait à créer un Empire
byzantino-slave, fit un pas de plus : il prétendit au titre de basileus Rhomaion, titre qu'on lit, entre
autres, sur l'un de ses sceaux43. C'est ici qu'il rencontra la résistance la plus violente de la part
des Byzantins. On l'accusa ouvertement d'avoir institué une « tyrannie » (xupawîç)44, ce qui,
dans le langage des Byzantins, n'était rien d'autre que l'accusation d'usurpation45. Les indications
fournies par les inscriptions que l'on déchiffre sur les sceaux de Syméon sont très significatives
sous ce rapport. Non seulement il prenait le titre de basileus Rhomaion, mais il insistait également
sur son orthodoxie et sur le fait qu'il était un basileus fidèle, institué par Dieu : èx 0£oû46. Ce ne sont
pas seulement les acclamations habituelles aux Byzantins — les polychronia adressées aux
empereurs47 — qu'il s'était appropriées, mais aussi quelque autre formule encore plus significative.
Ainsi, sur un de ses sceaux, l'on trouve l'acclamation d'un polychronion adressé au roi bulgare
comme au basileus « pacificateur » (èoivo^uôç = eIpyjvotcoioç)48. La formule n'est pas inusitée dans
les cérémonies byzantines49, mais ici elle acquérait toute sa signification et devenait un vrai
programme politique, utilisé en quelque sorte pour des buts de propagande. Car, déchiré par les
luttes et les faiblesses internes, menacé par les attaques de ses ennemis du dehors, l'Empire byzantin
avait besoin, avant tout, de la paix à l'intérieur et sur ses frontières. Or c'était justement le roi
d'un État voisin et puissant qui se proclamait en ce moment même comme capable d'apporter

^7. Ostp.ogoksky, op. cit., p. 417 et s?. ; Dôlgî.f, Byz'.'nr. p. 1 V\ ztxj, 2';o d'aptes lui, - auch ihn [Etienne DuSanj trieb der < 'rManke,
Weltbeherrscher auf dem byzantinischen Kaiserthronf zu werden ».
;

38. Voir les textes dos divers documents octroyés par Us rois bulgares des xin° et xiv" s., dans I. DtïjCkv, Iz starcla bùl^arska
kniznina, t. II, Sofia, 1944, p. 41, 42, 43, 72, 76, 130, 134, 138 et passim.
39. Dolgkk, Byzanz, p. 146 et ss. Le même titre se lit sur les sceaux de Syméoti voir supra, p. 538, 11. 34.
\o. Dôlger, op. cit., p. 153, n. 32.
:

41. Ibid., p. 146.


42. Cette idée a été exprimée par Romain Lccapéne, dans une de ses lettre.-! adressées a Syméon voir Zlatarski, Istvrijn..., p. ]H6.
43. Gerasimov, Tri star obûlgar ski molivdovula, p. 351 et ss.
;

44. P.G., CXI, 49 B. Cf. DÔLGKR, op. cit., p. 147, n. 15.


45. Le petit problème que constitue le sens du terme dans le langage des Byzantins aurait mérité une note spéciale.
46. Cf. Besevliev, Protobulgar. Inschr., p. 330 et ss. texte de l'inscription. Pour l'interprétation, voir I. Dujër.v, dans « Byzantin.
Zeitschr. », t. LIV, 1961, p. 249.
:

47. Sur les polychronia pour les empereurs byzantins, voir O. Tkeitinger, Die ostrômische Kaiser- und Rcichsidcc nach ihrer Cicstallunç
im hôfischcn Zercmoniell, Iena, 1938, p. 73 et ss., 122 et ss.
48. L'épithète est mentionnée également dans un nouveau sceau du roi Syméon, publié par T. Gerasimov, Novootkrit oloven pecat
na car Simcon, dans « Izvestija » (— Bulletin) Inst. archéol. bulgare, t. XXTTI, i960, p. 67-70, où l'inscription n'est pas déchiffrée.
Pour l'interprétation, voir I. IX'jckv, dans « Byzantin. Zeitschr. », t. LIV, i960, p. 249 BeSevliev, op. cit., p. 331 et ss., sans mention
de cette interprétation. A retenir cependant son affirmation, ibid., p. 332 « Das Pràdikat z'zi^or.o'.ii; ist auch nieht zulallig gewahlt.
;

I\s hutte ohne Zweifel eine bestimmte politische Bedeutung. »


:

49. Trkitinokk, op. cit., p. 230 et ss.

539
IVAN DUJCEV

la paix : par le fait de cesser ses propres attaques contre l'Empire et ensuite, fort probablement,
promettant d'introduire une paix stable dans la vie intérieure de l'Empire.
vSurpris en état de faiblesse, le gouvernement byzantin réagit, en 913, avec une extrême souplesse
et prudence devant les prétentions du roi bulgare. Les longs pourparlers qui précédèrent l'entrée
de ce dernier dans la capitale byzantine aboutirent à un accord qui semblait satisfaire les deux
parties. Si la possibilité d'entrer à Constantinople par la force des armes était à peu près à exclure,
il existait une autre voie, apparemment plus facile : établir une parenté avec le jeune empereur
Constantin VII Porphyrogénète. On peut donc supposer, avec une grande probabilité, que l'on
consentit au mariage de l'empereur Constantin VII et d'une fille de vSyméon, ce qui aurait assuré
au souverain bulgare la position d'un basileopator, comme le fut plus tard Romain Lécapène. De
cette manière, le roi pouvait espérer réaliser ses projets50 par des moyens pacifiques. On a interprété
le geste que le patriarche avait accompli sur la tête de Syméon comme une sorte d' « adoption »,
effectuée en tant que gage de l'accomplissement de la promesse d'établir la parenté51. La
contradiction qui existe entre la position du roi comme « fils » de Constantin VII en raison de « cette
adoption » et, en même temps, la possibilité de devenir basileopator de l'empereur peut être
facilement éliminée si l'on prend en considération la conception byzantine de la compatibilité entre
une « parenté spirituelle » (« geistliche Verwandschaft ») dans l'esprit de la théorie de la « famille
des souverains et des peuples », et d'un autre côté, une parenté réelle. Syméon était cependant un
réaliste qui connaissait assez bien les subtilités de la diplomatie byzantine, et il paraît peu
vraisemblable qu'il se soit laissé éblouir par de pures apparences, sans entrevoir bien le fond. Il est beaucoup
plus probable que le patriarche accomplit là un véritable acte de couronnement (« Krônungsakt »)52,
qui fut imposé au gouvernement de Constantinople par des circonstances critiques pour l'Empire,
mais que les Byzantins considéraient plutôt comme un pur expédient, sans avoir l'intention
sérieuse de respecter les obligations qui en découlaient logiquement.
Peu de temps après cet événement, il y eut un grand changement dans la capitale byzantine : la
régence fut abolie, la mère de Constantin VII, Zoé Karbonopsiné (« aux yeux noirs »), prit le pouvoir.
Plus perspicace probablement que le patriarche et sa régence quant aux plans lointains du roi
bulgare, mais aussi moins adroite en diplomatie, elle abrogea immédiatement tous les accords
établis avec les Bulgares. Nonobstant tous ses symptômes de crise politique et militaire, l'Empire
était toujours très puissant et avait des ressources à mobiliser pour sa défense. Le plan de Syméon
— se faire proclamer empereur des Byzantins et des Slaves balkaniques — pouvait être réalisé
à la seule condition d'occuper manu militari, ou par voie pacifique, la capitale de l'Empire. Or,
c'était là une entreprise impossible : l'armée bulgare était constituée d'unités de cavalerie et
d'infanterie, sans aucune flotte qui pût assiéger cette grande ville maritime. Par la décision de la
mère-régente d'abolir les accords entre le gouvernement byzantin et le souverain bulgare fut
également barrée la voie pacifique par laquelle Syméon avait espéré réaliser son projet ambitieux
d'Empire slavo-byzantin. La prise du pouvoir suprême par Zoé, au début de 914, fut un tournant
dans l'histoire balkanique. Déçu dans l'espoir d'arriver à ses fins par un accord, le roi décida
de reprendre les armes — d'autant plus qu'après la cérémonie solennelle au palais des Blachernes,
il considérait ses prétentions comme fondées sur une base juridique53. Il n'était plus question
pour lui d'arracher au gouvernement de Constantinople un consentement plus ou moins sincère
à ses propres projets, mais plutôt d'imposer l'accomplissement des accords déjà passés qu'il
considérait comme étant tout à fait en sa faveur.

50. Dolger, Byzanz, p. 148 et ss.


51. Ibid., p. 149, 11. 18, in fine : « als Garantie fur das Versprechen der Eheverbindung ».
52. Ostrogorsky, Die Krônung..., p. 277 et ss. ; opinion contraire dans Dolger, op. cit., p. 148 et ss., 152, n. 29 in fine.
53. Ostrogorsky, ibid., p. 275.

540
RELATIONS ENTRE LES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

II

Après que les Bulgares eurent touché au zénith de la puissance, l'équilibre des forces politiques et
militaires joua de plus en plus au profit de l'Empire. L,e gouvernement de Zoé et de ses « eunuques »,
comme les a désignés un peu plus tard le patriarche Nicolas Ier le Mystique, manquait d'expérience
et de prestige, mais les menaces du souverain bulgare contribuèrent à réveiller l'énergie de la
résistance. L,es treize dernières années de la vie du roi Syméon ne furent qu'une suite d'efforts
réitérés pour briser la résistance des Byzantins. Ceux-ci avaient non seulement mobilisé leurs propres
forces et ressources pour leur défense, mais, en vue d'entreprendre une offensive, s'étaient attiré
comme alliés divers autres peuples et tribus et, ce qu'il faut relever d'une manière particulière,
une partie des Slaves balkaniques. Ce fut là un effort nouveau opéré contre les tentatives faites
pour grouper les Slaves méridionaux, ou au moins la plus grande partie d'entre eux, et les affronter
à l'Empire de Byzance. Quelques mois après la prise du pouvoir à Constantinople par Zoé, le roi
bulgare entreprit une nouvelle expérience en Thrace, assiégea et occupa pendant un certain temps
la ville d'Andrinople54. I,a situation de l'Empire aux autres frontières n'était nullement rassurante
et, tout en essayant de régler les problèmes pendants en Occident et en Orient, le gouvernement
constantinopolitain entama des pourparlers avec Syméon. I,a ville d'Andrinople fut arrachée
des mains des Bulgares contre le paiement d'une « très grande somme d'or et d'argent »55. Un
excellent connaisseur de l'histoire byzantine comme l'était feu Louis Bréhier avait comparé les
événements, pendant les six années qui suivirent la mort de l'empereur Alexandre, à trois actes qui
se déroulèrent « comme une tragédie classique »56. Or, si pendant le premier acte, c'est-à-dire
pendant les événements de 913/14, ce furent les Bulgares qui eurent l'initiative, immédiatement
après, ce fut le tour des Byzantins. Ils firent preuve d'une énergie surprenante dans l'organisation
d'une vaste coalition. Une ambassade adressée aux chefs de la tribu à demi sauvage des Petchénègues
réussit à réduire à néant un accommodement entre ceux-ci et le roi bulgare, et même à obtenir la
promesse d'une aide militaire contre lui57. Une autre ambassade fut dirigée à la cour du prince arménien
Asot II (914-928) avec de riches cadeaux ; elle avait pour but d'établir un traité de paix et d'amitié,
qui devait assurer la neutralité sur la frontière byzantino-arménienne et, probablement, l'aide
militaire des Arméniens contre les Bulgares58. A Bagdad vint une troisième ambassade byzantine, chez le
khalife arabe Muktadir, pour lui proposer un échange des prisonniers de guerre, ce qui ne signifiait,
en réalité, que la reprise des bons rapports entre les deux États voisins59. L,oin de s'arrêter devant les
sacrifices et même devant quelque humiliation, le gouvernement de Constantinople offrit, par
l'intermédiaire d'un stratège de la Calabre, aux Arabes fatimides de l'Afrique du Nord un accord,
en s'engageant à leur payer annuellement la somme de 22.000 nomismata60. Pour organiser une
expédition de représailles dans les territoires balkaniques, sur les arrières du roi bulgare, on se
servit habilement d'un autre prince slave, le prince serbe Pierre Gojnikovic (892-917).
Ce dernier était un vassal du gouvernement de Constantinople61, et les Byzantins appliquèrent
encore une fois une stratégie semblable à celle qu'ils avaient appliquée déjà, en d'autres occasions,

54. Pour les détails, avec l'indication des sources, voir Zlatarski, Istorija..., p. 375 et ss. ; Ostrogorsky, Geschichte..., p. 218 et ss.
55. J. Skylitzes et G. Cedrenus, Historiarum compendium, éd. Bonn, t. II, p. 283, 22 ; 284, 10-16 ; cf. Zlatakski, p. 379 et n. 1,
avec la mention des autres sources historiques.
56. I,- Bréhier, Vie et mort de Byzance, Paris, 1948 (« Évol. humanité », 32), p. 156.
57. Dôlger, Regesten, 1. 1, n° 575, p. 69 ; Zlatarski, op. cit., p. 381 et ss., 384. Cf. aussi l'étude de V. Grumel, Sur les coutumes des
anciens Bulgares dans la conclusion des traités, dans « Izvestija » (= Bulletin) Inst. archéol. bulgare, t. XIV-XV, 1937, p. 82-92.
58. Dôlger, op. cit., n° 577, p. 69.
59. Ibid., n° 578, p. 69.
60. Ibid., n° 579, p. 70.
61. Cf. K. JIREC.EK et J. Radonic, Istorija Srba, t. I, Belgrade, 1922, p. 144.

541
IVAN DUJCKV

envers les Slaves : désunir ceux-ci et les utiliser les uns contre les autres. I,e pouvoir de Pierre
Gojnikovic n'était cependant pas bien consolidé, et il n'était pas en état d'offrir une aide valable à
ses protecteurs. Sa position s'aggravait du fait qu'un autre prince serbe, son voisin, Michel de
Zachlumie, était un allié du roi bulgare et avait donné des preuves de sa fidélité envers cet ennemi
de l'Empire62. Grâce à une information provenant de Constantin VII Porphyrogénète63, nous
connaissons quelques détails sur la situation en Serbie à cette époque et sur les rapports des Serbes
avec Byzance et les Bulgares. Ainsi, pendant toute la première moitié de son règne, Pierre
Gojnikovic dut lutter soit contre les fils et les successeurs du prince Mutimir (f 890), soit contre ses
cousins, surtout contre Klonimir, fils de Strojmir, qui s'était enfui en Bulgarie, avait épousé une
Bulgare et, par conséquent, comptait sur l'aide des Bulgares. Quoique soumis aux Byzantins,
Pierre Gojnikovic faisait parfois preuve d'une certaine indépendance : il préférait la neutralité et
même faisait des efforts pour maintenir des rapports d'amitié avec le roi bulgare, qui était devenu
son parent par adoption64. Peu de temps avant la guerre entre Byzantins et Bulgares en 917,
le gouvernement de Constantinople chargea le stratège de Dyrachion, L,éon Rhabdouchos65, d'une
mission auprès du prince Pierre. Immédiatement après, le prince de Zachlumie Michel (env. 910-
930 ?) avertit son allié Syméon : les Byzantins insistaient, disait-il, auprès du prince serbe, en lui
offrant de riches cadeaux, pour mener une action commune avec les Hongrois contre les Bulgares66.
Iva proposition byzantine ne fut pas réalisée, mais le roi bulgare garda rancune au prince serbe.
Tout de suite après sa grande victoire sur les armées byzantines à la bataille d'Anchialos (20 août 917),
au lieu de poursuivre l'armée byzantine défaite, il dirigea ses forces contre le prince Pierre
Gojnikovic. 1/ allié de Byzance fut fait prisonnier et emmené en Bulgarie ; à sa place fut mis un de ses
cousins, Paul, le fils de Branas67, qui devait régner seulement trois ans (918-922). Une fois encore,
au moins pour une certaine période, le roi bulgare avait réussi à imposer sa suprématie au plus
grand nombre des Slaves méridionaux et à les réunir contre l'Empire de Constantinople. L,a
situation continuait cependant à être très compliquée et l'équilibre ainsi atteint fut précaire.
Il semblait cependant au souverain bulgare que le moment d'écarter du pouvoir, à Constantinople,
la faible dynastie des Macédoniens et d'instituer un Empire slavo-byzantin était venu68. Tandis
qu'il redoublait ses efforts militaires contre les Byzantins, à Constantinople des changements
décisifs s'effectuèrent, qui devaient créer des obstacles encore plus grands à ses ambitions. L,e chef
de la flotte byzantine, Romain Iyécapène, prit le pouvoir : reconnu comme césar, ensuite bastleopator
de Constantin VII Porphyrogénète, qui épousa sa fille, il fut bientôt proclamé empereur69. De cette

62. K. JireCek et J. Radoniô, Istorija..., p. 145 ; Zlatarski, op. cit., p. 394 et n. 2 ; I. Dujôev, dans Centri e vie di irradiazione
délia civiltà nelValto medioevo, Spoléte, 1964 (« Settim. studio Centro ital. Studi alto medioevo », 11), p. 189 et ss.
63. Constantin Porphyrogénète, De administrando imperio, éd. Gy. Moravcsik et R.J.H. Jenkins, Budapest, 1949 (= DAI),
cap. 32, 65 et ss. Cf. également la traduction serbe moderne par B. Ferjan£ic, Vizantiski izvori za istoriju naroda Jugoslavïje, t. II,
Belgrade, 1959, p. 52 et ss. ; F. Dvornik, Constantine Porphyrogenetos, De administrando imperio, t. II, Commentary, Londres, 1962,
p. 134 et ss.
64. DAI, cap. 32, 80-81. Cf. FerjanCic, op. cit., p. 53, n. 176 ; Zlatarski, op. cit., p. 393, n. 2.
65. DAI, cap. 32, 81 et ss. Cf. aussi M. I,ascaris, Deux notes sur le règne de Syméon de Bulgarie, Wetteren, 1952, p. 15-20 ; G. Ostro-
horsky, Lav Ravduh i Lav Hirosfakt, dans « Zbornik radova Vizant. Instituta », t. III, 1955, p. 29-36 ; Ferjancjc, p. 54, n. 178 ;
Dvokn:k, op. cit., p. 135 ; Dôlgkr, Regesten, n° 580, p. 70, sans détails et avec une datation à mon avis imprécise « Nach der Schlacht
beim Acheloos », c'est-à-dire après le 20 août 917, ce qui est peu probable.
:

66. DAI, cap. 32, 81-89. Cf. FerjanCic., p. 54 et n. 179 ; Dvornik, p. 135.
67. DAI, cap. 32, 91-99. Cf. Ferjancic, p. 55 ; Dvornik, p. 136.
68. C'est justement pour cette époque, et non pas tant pour celle qui précède, que prennent toute leur importance les constatations
d'OsTROGORSKY (Geschichte..., p. 217-218) « Als byzantinischer Zôgling war Symeon durchdrungen von der Erhabenheit der Kaiser-
wùrde und wusste ebenso genau, wie es die Byzantiner selbst wussten, dass es auf Erden nur ein einziges Kaiserreich geben kônnte.
:

Was er erstrebte, war nicht die Grùndung eines ethnisch und régional beschrânkten bulgarischen Kaiserreiches neben dem byzanti-
nischen, sondern die Errichtung eines neuen universalen Kaiserreiches an Stelle des alten Byzanz. » Ailleurs (Die Krônung, p. 275),
l'auteur insiste sur l'intention de Syméon, « Byzanz aus seiner Vorrangstellung im Osten der christlichen Welt zu verdrângen und
das alte Imperium durch ein neues slavisch-griechisches Kaiserreich zu ersetzen ». Dôlger, Byzanz..., p. 157, n. 46, parle de « bulga-
rische Strebens nach dem byzantinischen Weltkaisertitels ».
69. Romain fut créé césar le 24 septembre 920, proclamé empereur le 17 décembre de la même année. Cf. Ostrogorsky, Geschichte,
p. 220 et ss.

542
RELATIONS ENTRE LES SLAVES .MERIDIONAUX ET BYZANCE

manière, en suivant la voie que vSyméon avait si bien esquissée — devenir beau-père et, par là,
« Mitkaiser » du jeune empereur, — Romain Ier s'empara du pouvoir suprême dans l'Empire70.
La restauration de l'unité politique de l'Empire et, en même temps, de l'unité spirituelle brisée
depuis des années, à cause d'un schisme provoqué par le quatrième mariage de Léon VI, fut la
conséquence de la guerre byzantino-bulgare dans la vie intérieure de Byzance. Après une crise
qui avait duré plus de dix ans, l'Empire d'Orient mobilisait toutes ses forces pour résister à un
ennemi qui lui disputait sa position de puissance « universelle », pour employer la terminologie
de ce temps. Mais avant de consolider son pouvoir et d'organiser une résistance efficace, le nouvel
empereur recourut à tous les expédients possibles pour retarder le conflit. Chef d'une Église unifiée,
le patriarche Nicolas le Mystique reprit, avec plus d'insistance, sa correspondance avec le roi
bulgare, en lui proposant même une rencontre personnelle, ou bien en lui représentant les
conséquences funestes d'une nouvelle guerre. On en vint de nouveau à un vieux projet de mariage
politique qui aurait lié la cour de Constantinople à celle de Preslav, sans tenir compte cependant
du fait que la situation était totalement inversée, et qu'un tel projet ne pouvait plus servir les
intérêts du roi bulgare71 : une parenté avec l'usurpateur Romain Lécapène n'aurait pu jouer qu'un
rôle tout à fait secondaire dans les plans de ce souverain.
Dans son impuissance à opposer une résistance directe aux menaces du roi bulgare, lequel continuait
ses incursions contre les territoires byzantins et préparait une nouvelle expédition contre la capitale
même, Romain Lécapène organisa une diversion : pour créer des obstacles sérieux au Bulgare, il
utilisa les Serbes. Un contemporain bien informé, comme l'était l'empereur associé Constantin VII,
nous renseigne brièvement sur le jeu compliqué des influences bulgare et byzantine en Serbie
pendant cette période72. Après avoir pris le pouvoir au début de 921, Romain Ier entreprit un
pas décisif pour régler les rapports entre l'Empire et la principauté serbe, dans l'espoir de pouvoir
utiliser les Serbes comme alliés. Quand, en 918, Syméon imposa comme prince à la Serbie son
allié Paul, le fils de Branas, le cousin de celui-ci, Zacharie, dut s'enfuir à Constantinople. Le
moment venu, l'empereur Romain envoya en Serbie le prince Zacharie en tant que prétendant au
pouvoir. Celui-ci cependant échoua dans sa tentative, fut fait prisonnier par son cousin et envoyé,
cette fois, en otage à la cour de Preslav. La diplomatie byzantine ne renonça pourtant pas à imposer
son influence à la Serbie : elle sut persuader le prince Paul lui-même, qui abandonna son alliance
avec le roi bulgare. Au début de l'été 921, Syméon entreprit une nouvelle invasion en Thrace,
assiégea la ville d'Andrinople et organisa un assaut contre la capitale de l'Empire. Voyant les
forces bulgares engagées dans l'expédition, le prince serbe réagit contre la suprématie bulgare.
Nous ne possédons pas d'informations plus détaillées sur la forme qu'avait prise, cette fois encore,
le mouvement des Serbes : il eut cependant l'effet désiré par le gouvernement constantinopolitain.
En renonçant à l'invasion de la Thrace, Syméon se détourna de nouveau vers la Serbie il y
:

envoya l'ancien protégé de Romain Lécapène, le prince Zacharie, qui réussit, pendant la même
année 921, à mettre en déroute son cousin Paul et à reprendre le pouvoir. La prépondérance bulgare
se substituait, semble-t-il, à l'influence politique de l'Empire, au moins pour un certain temps.
Sans désespérer dans ses projets d'entreprendre une nouvelle expédition contre Constantinople,
où gouvernait à présent un empereur dont le pouvoir n'était pas encore bien stabilisé et que l'on
considérait comme illégitime, Syméon essaya de préparer la lutte sur un plan aussi large que possible
au point de vue politique et militaire. Pour se procurer une force navale qui eût pu assiéger la

70. Cf. OstroGorsky, Die Krônung, p. 285 et ss. ; Geschichte, p. 221.


71. La proposition vint du patriarche, avec le consentement sans doute de Romain Ier le texte est dans P. G., CXI,
108-113. Cf. Zlatarski, op. cit., p. 417 et ss.
:

72. DAI, cap. 32, 100 et ss. Cf. Ferjanôiô, op. cit., p. 55 et ss. ; Dvornik, op. cit., p. 136 ; Zlatarski, p. 426 et ss.

545
IVAN DUJCEV

capitale byzantine, il noua des pourparlers avec les Fatimides d'Afrique du Nord73. Les
ambassadeurs bulgares, à leur retour de la résidence du khalife fatimide — ils avaient bien réussi dans leur


mission, — tombèrent aux mains des Byzantins et furent envoyés à Constantinople. L'habileté

diplomatique du gouvernement constantinopolitain eut cette fois encore le dessus sur les projets
du roi bulgare : l'empereur traita si bien les représentants du khalife que l'accord entre les
Byzantins et les Arabes fut rétabli, avec des clauses plus favorables qu'auparavant pour Byzance74.
La politique byzantine devenait entre temps toujours plus active, organisant de nouveaux coups
contre son ennemi. On se servit encore une fois de la principauté serbe, où Syméon avait imposé
comme prince Zacharie, lequel s'était, on le sait, détaché de Byzance seulement sous la menace
bulgare. Constantin VII Porphyrogénète nous apprend75 que ce prince, qui avait passé quelque
temps à Constantinople, après avoir pris le pouvoir en Serbie, se rappela sur-le-champ (7iâpauxa)
les bienfaits reçus de l'empereur Romain et se révolta contre les Bulgares. La diplomatie byzantine
avait réussi cependant à exercer son influence même parmi les Bulgares : il y eut, vers la même
époque, une rébellion en Bulgarie76. L'armée envoyée par Syméon pour dompter la révolte des
vSerbes subit une défaite et, peu de temps après, le prince Zacharie présenta à la cour de
Constantinople les têtes et les armes des généraux bulgares. Bien qu'il fût arrivé, au début de l'automne 923,
devant les murs de la capitale byzantine, Syméon ne pouvait plus songer à assiéger celle-ci : dans
une rencontre personnelle avec l'empereur Romain Ier et le patriarche, il conclut un armistice et
retourna en Bulgarie, pour régler les affaires intérieures de son État et veiller aux frontières
occidentales. Une nouvelle expédition contre les Serbes, vers la fin de 923, obligea Zacharie
à abandonner son pays et à chercher refuge en Croatie77, où avaient trouvé asile aussi un certain
nombre de ses gens. L'unité des peuples slaves dans la péninsule des Balkans était définitivement
brisée. Les guerres du souverain bulgare et la politique du gouvernement byzantin, qui cherchait
ses alliés, avaient contribué à désunir ces peuples slaves, à les opposer les uns aux autres et à
accélérer leur différenciation ethnique vis-à-vis de Byzance et entre eux. Le succès particulier de la
diplomatie byzantine était la mise en jeu, comme ennemi des Bulgares, d'un autre groupe slave
de la péninsule, les Croates, lesquels avaient un État bien organisé et fort, sous le prince Tomislav
(910-vers 928)78. Ayant occupé les territoires serbes, le roi bulgare était devenu un voisin dangereux
pour la Croatie, et le conflit devait éclater inévitablement, au profit de Constantinople. Les
événements mêmes imposaient un rapprochement entre l'Empire d'Orient et l'État croate, contre
les projets du roi bulgare.
Proche était désormais — pour reprendre encore les termes de Bréhier — le dernier acte de la
tragédie slavo-byzantine du début du Xe s., le rêve irréalisable du roi Syméon d'anéantir
l'Empire de Byzance et d'instituer à sa place un Empire slavo-byzantin. Les deux plus puissants
États qui existaient à cette époque dans le Sud-Est européen — l'Empire de Constantinople et le
royaume de Croatie — s'étaient alliés contre la Bulgarie, la troisième grande puissance dans cette
partie de l'Europe. Tandis que la Serbie n'était qu'une petite principauté, située sur le cours
moyen de la Drina et de la Morava, dépendant soit de Byzance, soit de la Bulgarie, la Croatie était
à son apogée d'État souverain. Le manque d'informations précises et détaillées dans nos sources

73. Skylitzès-Cedrenus, Histor. compendium, t. II, p. 356, 6 et ss. Cf. Zlatarski, p. 431 et ss., 448 et ss.
74. Dôlger, Regesten, t. I, n° 604, p. 74, avec la datation « ca. 924 ». Cf. Zlatarski, p. 449 ; Ostrogorsky, Geschichte, p. 221
M. Canard, Arabes et Bulgares au début du Xe siècle, dans « Byzantion », t. XI, 1936, p. 213-223 ; Bréhier, Vie et mort de Byzance,
;

p. 162.
75. DAI, cap. 32, 104 et ss. Ferjancic, op. cit., p. 55.
76. Une information à ce sujet du patriarche Nicolas Ier P. G., CXI, 136 C ainsi qu'une mention dans une lettre de l'empereur
;

Romain Ier : Zlatarski, op. cit., p. 463, n. 2.


:

77. DAI, cap. 32, 110-120. Cf. Ferjanciô, op. cit., p. 55-56.
78. F. S1S1Ô, Geschichte der Kroaten, t. I, Zagreb, 1917, p. 121 et ss. ; Jirecek et RadoniC, Istorija Srba, t. I, p. 146 ; Zlatarski,
p. 477 et ss. ; Ostrogorsky, op. cit., p. 222.

544
RELATIONS ENTRE LES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

historiques ne nous permet de reconstruire les événements que d'une façon hypothétique. Orienté,
dans sa vie ecclésiastique, vers Rome, le royaume de Croatie ne pouvait être définitivement
subjugué par la politique de Constantinople malgré toutes les offres byzantines de titres honorifiques
et de riches cadeaux. En s' appropriant le titre somptueux de basiletis des Bulgares et des Byzantins
et, d'autre part, en instituant une Église nationale indépendante du patriarcat de Constantinople,
le souverain bulgare eut l'idée de chercher une sanction à Rome. C'est ainsi qu'il noua des contacts
avec le pape Jean X, lequel accueillit ses démarches avec sympathie79. Pendant la seconde moitié
de 926, une ambassade pontificale, composée de l'évêque Madalbertus et de Jean, duc de Cumes
en Campanie (Johannes dux illustris dux Cumas), atteignit, en passant par les terres croates et
serbes, la capitale bulgare de Preslav. Les détails de cette ambassade ne sont pas connus. On a
formulé cependant l'hypothèse que les représentants de Jean X apportaient avec eux les insignes
nécessaires au couronnement du souverain bulgare et à l'investiture du chef de l'Église de ce
pays.
Ce fut fort probablement par l'intermédiaire des messagers pontificaux que le roi bulgare fut
informé mieux encore de l'alliance politique et militaire établie entre les Byzantins et le prince
Tomislav de Croatie. En continuant ses pourparlers avec le gouvernement constantinopolitain,
il entreprit une grande expédition contre les Croates. Constantin Porphyrogénète nous dit tout
simplement80 que l'armée bulgare, qui se trouvait sous le commandement d'un chef nommé
l'Alogobotur81, fut totalement anéantie par les Croates. Quelques autres sources historiques
permettent de formuler une hypothèse assez plausible sur les conséquences de cette défaite. Un
auteur contemporain des événements, qui composa vers 963 la dernière partie de la « Continuation
de Théophane », et qui pourrait être identifié avec le secrétaire de l'empereur Romain Ier, Théodore
Daphnopatès82, nous dit quelque chose de plus. Après avoir mentionné, sous la date de mai 927,
les faits advenus pendant l'expédition bulgare contre les Croates, il ajoute un renseignement
légendaire sur la mort du roi Syméon. Retenons uniquement l'indication que le souverain bulgare
serait mort pris de « démence » (àvna) et à la suite d'un cordis morbo (vôaw xaxaxxpSia)83. Admirateur
et partisan de Romain Lécapène même après la destitution de ce dernier84, l'auteur avait voulu
rendre hommage à la mémoire de son ancien protecteur, en lui attribuant le mérite d'avoir tué
l'ennemi le plus dangereux de l'Empire. Les faits réels étaient plus que connus, et l'on savait à
Byzance qu'aucune armée impériale n'avait réussi à porter un coup mortel aux Bulgares ni à
leur roi. Conformément à la mentalité de l'époque, on divulgua alors la légende que cet ennemi
périt par magie imitative, sur l'initiative de l'empereur lui-même85. Si nous écartons les détails
légendaires qui sont liés à la propagande en faveur d'un empereur, restent les deux renseignements
fondamentaux mis par l'auteur byzantin dans un rapport chronologique. Sans pousser trop loin
les hypothèses qu'on peut baser sur ces renseignements86, on doit admettre avec une grande
probabilité que la défaite subie par l'armée bulgare du fait des Croates avait eu une
répercussion décisive sur les projets et sur la vie même du souverain bulgare : d'une façon indirecte ou
directe — en provoquant une crise cardiaque, — elle l'avait conduit au tombeau. Ceci se passa

79. F. Si§ic, PriruSnik izvora hrvatske historije, t. I, Zagreb, 1914, p. 221-222 ; Zlatarski, p. 502 et ss.
DAI, cap. 32, 126-128. — Cf. Ferjancic, op. cit., p. 56 ; Dvoknik, op. cit., p. 136.
81 Sur ce titre, voir Gy. Moravcsik, Byzantinoturcica, t. II Sprachreste der Tiirkvôlker in den byzantinischen Quellen, 2e éd., Berlin,
1958 p. 64.
:

82 Moravcsik, t. I, p. 540 et ss.


Continuateur de Théophane, p. 411, 13-412, 5.
Moravcsik, op. cit., p. 541.
Pour les détails, voir I. Dujcev, Medioevo bizantino-slavo, t. I, p. 207-212, 552.
Cf. D. Mandic, Razprave i prilozi iz stare hrvatske povijsti, Rome, 1963, p. 214-225 IX. « Hrvatski kralj Tomislav koje je godine
pobijedio bugarskoga cara Simeona Velikoga ? », qui propose une interprétation des événements sur plusieurs points beaucoup plus
:

vraisemblable que celle de Zlatarski, op. cit., p. 500, avec une datation également différente.

545
56
IVAN DUJCEV

exactement vers la fin mai o,2787, alors que, semble-t-il, les envoyés du pape Jean X étaient arrivés à
Preslav pour couronner Syméon et donner l'investiture au chef de l'Église bulgare. Le
couronnement fut accompli sur la tête du successeur immédiat au trône bulgare, le roi Pierre88. Le souvenir
de ces faits mémorables se conserva bien longtemps, soit dans les écrits de l'époque, soit dans la
mémoire populaire. Ainsi, le roi Kalojan (1197-1207), qui noua des rapports avec le pape
Innocent III, lui écrivit en 1203 :
Inquisivi antiquorum nostrorum scripturas et libros et beatae memoriae imperatorum
nostrorum predecessorum leges, unde ipsi sumpserunt regnum Bulgarorum et firmamentum
impériale, coronam super caput eorum et patriarchalem benedictionem. Et diligenter
perscrutantes, in eorum invenimus scripturis, quod beatae memoriae illi imperatores
Bulgarorum et Blachorum, Syméon, Petrus et Samuel et nostri predecessores coronam pro imperio
eorum et patriarchalem benedictionem acceperunt a sanctissima Dei Romana Ecclesia et ab
apostolica sede, principe apostolorum Petro89.

Dans une lettre ultérieure90, Kalojan demandera encore une fois au pontife romain de satisfaire
ses demandes, en mentionnant de nouveau ce qui était advenu vers 927 : ut compleret desiderium
imperii mei sanctitas tua — écrivait-il au pape — secundum consuetudineni predecessorum meorum
imperatorum Bulgarorum et Blachorum, Symeonis, Pétri et Samuelis... » Pendant que dans la capitale
bulgare s'effectuaient les changements de gouvernement imposés par la mort du roi Syméon, une
grande menace pesait sur l'État. De nouveau, le continuateur de Théophane, alias Théodore
Daphnopatès, nous donne une information fort importante : « Quand les peuples autour [de la
Bulgarie], c'est-à-dire les Croates, les Turcs [= Hongrois] et les autres peuples apprirent la mort de
Syméon, ils décidèrent d'entreprendre une expédition contre les Bulgares91. » Ce fut le mérite tout
particulier de l'évêque Madalbertus et du duc Jean d'avoir servi, à ce moment critique,
d'intermédiaires entre les Bulgares et les Croates, et d'avoir renouvelé la paix entre les deux États slaves
voisins. D'après une indication explicite de nos sources92, les deux légats pontificaux
retournèrent en Croatie, pour prendre part au concile de Split, peracto negotio pacis inter Bulgaros et
Chroatos. Une indication explicite dans le texte d'une version croate du Liber pontificalis, où est
mentionné, comme un mérite du pape Jean X, d'avoir établi la paix entre les Bulgares et les
Croates — hic fecit pacem inter Bulgaros et Chroatos, per legatos suos Madalbertum scilicet episcopum
et Johannem ducem93 — nous autorise à dater ce fait d'avant le mois de mai 928, c'est-à-dire avant la
mort du pape.
Avec la disparition de la scène historique de cet ennemi, le plus dangereux que l'Empire eût connu,
l'équilibre se rétablissait, à l'avantage des Byzantins. L'État bulgare constituait pourtant encore
un rival pour l'Empire. On tenait compte, à Constantinople, du fait que ce puissant État était à
présent en paix avec le royaume des Croates et — ce qui était encore plus inquiétant — s'orientait
vers Rome. On ne doit pas s'étonner que les conditions de la paix accordée par les Byzantins aux
Bulgares en octobre de la même année fussent assez favorables. Le successeur de Syméon obtint

87. Contre Mandic, op. cit., p. 222 et ss., j'accepte ici plutôt la datation traditionnelle (cf. Zlatarski, p. 513) de la mort du roi
Syméon. Il est hors de doute que le continuateur de Théophane (p. 411, 13) ainsi que tous les autres auteurs byzantins mentionnaient
la date du 27 mai 927 pour la mort de Syméon, non pour la défaite de l'armée bulgare en Croatie, événement dont la date tellement
précise aurait pu difficilement être aussi soigneusement conservée par les Byzantins.
88. Mandic, p. 223, contre Zlatarski, p. 513 et ss.
89. Innocenta pp. III epistolae ad Bulgariae historiam spectantes, éd. I. DrjëKV, dans « Godisnik » (= Annuaire) de l'Univ. .Sofia,
Fac. hist.-philol., t. XXXVIII/3, 1942, n° 15, p. 43-44.
90. Ibid., n° 18, p. 47. Cf. Zlatarski, op. cit., p. 507 et ss. ; Mandi6, op. cit., p. 223.
91. Continuateur de Théophane, p. 412, 9-11. Cf. Zlatarski, p. 518, avec d'autres indications de sources historiques ; Maxdic,
p. 216 et ss.
92. Zlatarski, p. 503 ; Mandiô, p. 224, n. 45.
93. L,e texte a été publié par V. Foretic., Korâulanski kodeks 12. stnljeca, dans « Starine », t. XL,VI, 1956, p. 30. Cf. Mandic, p. 224.

546
RELATIONS ENTRE LES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

en bonne partie ce que son père avait si obstinément poursuivi : la reconnaissance du titre de
basileus, l'autonomie de l'Église bulgare, la dignité patriarcale pour le chef de celle-ci, enfin, pour
lui-même, la main d'une princesse byzantine, nièce de Romain Ier Lécapène94.
Pourtant, après avoir atteint son point culminant, la grande crise entre la Bulgarie, Byzance et
les autres Slaves méridionaux avait pris fin en faveur de Byzance. Le gouvernement de Constan-
tinople avait surmonté heureusement sa crise intérieure et s'acheminait vers une stabilisation
progressive. Tout au contraire, les efforts énormes de Syméon pour réaliser un rêve impossible
avaient contribué à épuiser les forces et les ressources de son peuple. Le long règne du roi Pierre
ne fut qu'une période de dépérissement qui, vers la fin, prit les caractéristiques d'une brusque
décadence. Au point de vue politique, ce règne paisible préfigurait la catastrophe de la seconde
moitié du siècle. Une princesse byzantine — qui changea son nom de Marie en celui d'Irène,
symbole de la paix entre les deux États — gouvernait à la cour de Preslav. Byzance avait donc

pénétré au cœur de l'État bulgare, qui s'était naguère institué et consolidé uniquement par la
lutte contre l'Empire, et la princesse symbolisait autant la paix que l'influence politique et culturelle
de Byzance sur l'ennemi, hier encore tellement dangereux. Une révolte, qui éclata peu de temps
après l'accession de Pierre au pouvoir, procura aux Byzantins la possibilité d'accueillir dans la
capitale un prince bulgare, lequel pouvait être présenté comme prétendant au trône de Preslav
à la première occasion de désaccord entre le souverain bulgare et Constantinople95. Quelques
invasions des Hongrois dirigées contre Byzance à travers les territoires bulgares — en 934, en 943 —


contribuèrent, pour leur part, à créer une atmosphère de tension et de méfiance96. Quand, en 944,
le prince de Kiev, Igor, entreprit une incursion contre les possessions byzantines, ce fut le roi
bulgare qui avertit Constantinople du danger imminent97. Le gouvernement constantinopolitain
régla l'affaire par des pourparlers avec les Russes, mais les Petchenègues, qui formaient une partie
de l'armée russe, furent envoyés piller les territoires bulgares. Le long règne paisible de Pierre se
termina par deux invasions de Svjatoslav, prince de Kiev, et par une grande invasion byzantine,
entre 967 et 97298. Les éléments de résistance ne manquaient pas, mais ils étaient tout à fait
insuffisants pour repousser les envahisseurs et, en 972, la capitale dej Preslav ainsi que la plus
grande partie des territoires de la Bulgarie de l'Est tombèrent sous la domination byzantine. Le
centre de l'État bulgare, avec le patriarcat autonome, fut transporté dans les territoires de Bulgarie
occidentale et sud-occidentale. A côté d'un dernier représentant insignifiant de la dynastie de
Krum et de Syméon, le prince Romain-Syméon, Samuel et ses trois frères continuèrent la lutte
pour l'indépendance du pays pendant encore presque quarante-cinq ans. En 1018, tous les territoires
qui auparavant avaient fait partie de l'État bulgare furent conquis, grâce aux efforts d'un empereur
énergique, Basile II.
La mort du roi Syméon fut le signal d'une révolte serbe contre la suprématie bulgare. Depuis bien
longtemps, à la cour de Preslav se trouvait un représentant de la famille princière serbe, Caslav,

p. 94.
222 Sur
et ss.les clauses
« Es siegte
de ladiepaix,
Mittellinie
voir Zlatarski,
des einsichtigen
op. cit., p.Kaisers
525 et Romanos.
ss. ; Dolger,
Der Regesten,
Bulgarenherrscher
t. I, n° 612,erhielt
p. 75 ;den
Ostrogorsky,
Basileustitel,Geschichte,
aber mit
:

ausdrùcklicher Beschrànkung auf das Bulgarenreich ; er durfte auch ein Ehebùndnis mit dem byzantinischen Herrseherhaus schliessen,
aber nieht mit dem légitimer! Herrseherhaus der Purpurgeborenen, sondern mit den der Lakapenoi. »
95. Continuateur de Théophank, p. 419, 10 et ss. D'autres indications chez Zi.atarski, p. 536 et ss.
96. Pour les détails, Zlatarski, p. 541 et ss. ; I. Gherghel, Despre navala Ungunlor asupra cetâtei Constantinopoli la 934, dans
« Revista pentru istorie, archeol. si filol. », t. VII, 1894, p. 229-235 (cf. aussi P. A. Syrku, dans « Vizantijskij vrememiik », t. II, 1895,
p. 299-301) ; P. Mtttafciev, Madzaritê i bùlgaro- vizantijskitê otnosenija prez tretjata cetvûrt na X vêk, dans « GodiSnik » (= Annuaire) de
l' Univ. de Sofia, Fac. hist.-philol., t. XXX/8, 1935, p. 1-35.
97. Povest' Vremennych let, t. I, éd. D.S. LichaCev, Moscou /Leningrad, 1950, p. 33, 230-231 Zlatarski, p. 543 et ss. ; Dolger,
op. cit., n° 647, p. 80.
;

98. Pour les détails, avec les sources et la bibliographie, voir Zlatarski, p. 567 et ss. ; P. Mutafciev, Russko-bolgarskija otnosenija
pri Svjatoslavê, dans « Seminarium Kondakovianum », t. IV, 193 1, p. 77-94. Cf. G. Schlumberger, Un empereur byzantin au Xe siècle.
Nicéphore Phocas, Paris, 1890 ; L'épopée byzantine à la fin du Xe siècle, Paris, 1896-1905, 3 vol. Voir également Bréhier, Vie et mort...,
p. 224 et ss. ; Ostrogorsky, op. cit., p. 236 et ss.

547
IVAN DUJCEV

né d'une Bulgare et ayant reçu une éducation bulgare". Vers 920/21, il fut envoyé en Serbie contre
le prince Zacharie, mais il essuya un échec et revint à Preslav. Immédiatement après la mort de
Syméon, il s'enfuit avec certaines autres personnes d'origine serbe, prit facilement le pouvoir et
chercha sur-le-champ l'aide et la protection du gouvernement de Constantinople100. Constantin
Porphyrogénète nous dit, en outre, que d'autres émigrés serbes se trouvaient à Constantinople
et furent renvoyés dans leur pays. Le nouveau prince serbe reçut de riches cadeaux de la part
de l'empereur byzantin, avec le titre de prince reconnu par le gouvernement constantinopolitain
et, de son côté, promit une obéissance totale. La disparition du puissant roi bulgare mit fin aussi à
l'alliance entre la cour de Preslav et le prince serbe Michel de Zachlumie : celui-ci se détourna de ses
anciens alliés et passa du côté de l'Empire, qui lui reconnut, en récompense, le titre byzantin
presque insignifiant d' antypathos (proconsul)101, avec la dignité de patrice. Nous sommes très mal
informés sur toute la période suivante de l'histoire de la Serbie et de la Croatie, et nous ne
connaissons pas avec certitude les noms des princes qui y gouvernèrent alors. On sait cependant que
l'influence byzantine s'accrut. Le prince de Duklja (Dioclea), Jean Vladimir, qui était, vers le début
du xie s., sous la suprématie byzantine dut passer peu après du côté du roi Samuel et reconnaître
la suprématie bulgare102. Un prince croate, Kresimir, porta le titre de patrice byzantin103. Avec
tous les territoires bulgares, l'empereur Basile II conquit les régions de la Rascie, de la Bosnie et
de la Croatie. Comme on l'a remarqué104, « pour la première fois depuis Justinien, un empereur
régnait sur la péninsule des Balkans tout entière, du Danube à l'extrémité du Péloponnèse ». En
employant un autre terme de comparaison, celui de la conquête slave, il faut dire que depuis
l'établissement des Slaves dans la péninsule105 et depuis la formation successive des États slaves dans
ces territoires, ce fut le plus grand bouleversement et la victoire la plus glorieuse que l'Empire
eût remportée. Celui-ci avait anéanti les États slaves balkaniques, sans pouvoir cependant
aucunement changer leur physionomie ethnique ni effacer l'immense population slave qui habitait, de
façon tout à fait stable, les terres balkaniques. Les longues dizaines d'années de domination
byzantine ne changèrent que peu l'aspect général ethnique de ces régions, et pas toujours en faveur
de l'Empire. A côté de l'établissement d'une hiérarchie byzantine civile et ecclésiastique, ainsi que
d'un certain nombre de commerçants et d'autres personnes d'origine byzantine dans les plus
grands centres urbains, il y eut une infiltration de « barbares », c'est-à-dire des Petchenègues, des
Coumans et d'autres peuples et tribus, qui pénétraient par le nord dans les territoires balkaniques
et s'y installaient de manière pacifique ou après quelque conquête. Il s'établissait bientôt une
alliance entre ces éléments ethniques non-slaves et la population slave locale : contre l'Empire.
La conquête byzantine des territoires slaves des Balkans renversa radicalement l'attitude des
Slaves méridionaux entre eux-mêmes et par rapport à l'Empire. Quelques siècles avant Machiavel,
l'empereur Basile II le Bulgarochtone (« Tueur de Bulgares ») appliqua en partie, vis-à-vis de la
population slave balkanique, les principes fondamentaux que celui-ci formule à propos de la
domination stable sur un pays étranger nouvellement conquis : « Chi le acquista, volendole tenere,
deve avère due rispetti : l'uno, che il sangue del loro principe antico si spegna ; l'altro, di non

99. DAI, cap. 32, 62-65. Cf. FERjANCié, Vizantiski izvnri..., p. 53 ; Zlatarski, p. 539 et ss. ; Jirecek et Radonic, Istorija Srba, p. 147.
100. DAI, cap. 32, 128-137. — Cf. Ferjancic, p. 57. Pour l'interprétation, voir G. Ostkogorsky, Porfirogenitova hronika srpskih
vladara i njeni hronoloSki podaci, dans « Istoriski casopis », t. I, 1948, p. 24-29 ; Ferjancic, p. 57, n. 193. Zlatarski, p. 540, date les
événements de quelques années plus tard, notamment en 931. Cf. encore Ostrogorsky, Geschichte, p. 223, n. 1 « Caslav trat die
Herrschaft schon 927 oder 928 an und nicht erst in den dreissiger Jahren. »
:

101. DAI, cap. 33, 16-17. Cf. Ferjancic, p. 60 et n. 209, avec d'autres indications bibliographiques ; Ostrogorsky, Geschichte,
p. 223.
102. Jirecek et Radonic, op. cit., p. 150 et ss. ; Zlatarski, op. cit., p. 706 et ss., 760 et ss., 771.
103. Jirecek et Radonic, p. 152. L,e prince Michel KreSimir II a gouverné entre 948 et 969.
104. Bréhier, Vie et mort..., p. 232.
105. Cf. Ostrogorsky, op. cit., p. 257.

548
RELATIONS ENTRE L,ES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

alterare ne loro leggi ne loro dazii106... » L'attitude de l'empereur envers les anciens princes et
gouvernants des pays occupés fut un peu différente : les descendants de la dynastie bulgare furent
transportés à Constantinople ou anéantis ; les princes des Serbes et des Croates qui avaient été
des alliés dans la lutte contre les Bulgares reçurent une confirmation, plutôt limitée, de leurs
anciens privilèges et droits. Envers les uns et les autres, le gouvernement de Constantinople
fit preuve d'une véritable prodigalité, en leur reconnaissant des titres et des dignités
honorifiques de divers degrés. L'autonomie locale fut admise et tolérée dans la mesure où elle
n'était pas dangereuse pour les intérêts de l'Empire. Malgré tout, le gouvernement constantinopo-
litain ne réussit nullement à dominer ces populations slaves : après une brève période d'étour-
dissement et d'hésitation, elles se voyaient réunies dans leur opposition contre les conquérants
byzantins. La longue crise politique et militaire traversée par l'Empire entre la mort de Basile II
(1025) et l'avènement de la dynastie Comnène (1081) fut caractérisée par quelques grandes révoltes
des vSlaves méridionaux contre l'Empire107. On chercha alors l'alliance des Hongrois, ennemis
d'hier, des Petchenègues et des Coumans qui pénétraient en envahisseurs dans les territoires
balkaniques, des croisés enfin depuis la fin du xie jusqu'au début du xine s. Plus éloignés du
centre de l'Empire, et pour cette raison plus à l'abri des attaques de Byzance, possédant une
noblesse plus nombreuse et mieux épargnée par les Byzantins, avec une autonomie locale plus
large, les Serbes et les Croates profitèrent de la grande crise de Byzance vers la fin du xne s.,
après 1180/85, pour reconquérir leur indépendance nationale, sous une dynastie propre (en Serbie,
les Némanides). Peu après, les Bulgares se libérèrent de la domination byzantine (1185), sous les
Asénides, fondateurs d'une nouvelle dynastie108.

III

L'histoire de la civilisation des Slaves méridionaux aux xe-xne s. est étroitement liée aux grands
événements de l'histoire politique et aux rapports avec Byzance au cours de cette période. Il faut relever
tout de suite cependant que le développement de la civilisation suit une ligne tout à fait différente de
celle de la vie politique. Si les efforts politiques et militaires s'achèvent par une catastrophe totale, il
n'en est pas de même dans le champ de la civilisation. Tout comme dans le domaine politique, l'histoire
de la civilisation slave au xe s. a sa base dans les changements décisifs survenus pendant la seconde
moitié du IXe dans la vie des vSlaves balkaniques : avant tout la conversion officielle au
christianisme, l'institution d'une hiérarchie ecclésiastique, la création d'un alphabet slave spécifique et la
naissance d'une littérature slave. Sauf pour les régions les plus occidentales des Balkans, le
christianisme adopté par les Slaves méridionaux était lié à l'Église de Constantinople et portait tous les
traits caractéristiques de l'orthodoxie byzantine. Le processus séculaire de pénétration de la foi
chrétienne parmi les vSlaves dits bulgares avait eu son achèvement dans la conversion officielle
en 865109. Les unités ethniques n'étant pas encore constituées en tant qu'entités nationales, la
langue et la religion restant les caractéristiques les plus saillantes, l'abandon de la religion païenne
et l'adoption de la religion d'ennemis comme l'étaient, pour les Slaves et les Protobulgares, les
Byzantins, pouvaient signifier une capitulation sans merci devant l'adversaire. L'orthodoxie
byzantine avait cependant deux traits fondamentaux qui permettaient une conciliation entre l'adoption

106. Machiavel, // principe, éd. A. Oxilia, Florence, 1935, p. 8 et ss.


107. Pour les détails, voir Jirecek et Radonic, op. cit., p. 154-187 ; Zlatarski, Istorija, t. II, Sofia, 1934, p. 41 et ss., 119 et ss.
108. Indications des sources et bibliographie : Dt-jcev, Mediocvo, t. I, p. 341-348.
109. J'accepte, avec une petite modification, la date traditionnelle établie par Zlatarski, op. cit., t. 1/2, p. 27 et ss., contre l'hypo-
thése formulée par A. Vaillant et M. L,ascaris, La date de la conversion des Bulgares, dans « Rev. et. slaves », t. XIII, 1933, p. 5-15-

549
IVAN DUJCEV

de la nouvelle foi et les velléités nationales encore mal définies. Le patriarcat, tout comme le
pouvoir temporel de Byzance, était favorable à l'institution d'Églises locales dans les territoires
convertis grâce à l'activité missionnaire byzantine ou tombés sous la férule du patriarche. Une
conséquence de cette conception fondamentale était la tolérance envers l'usage des langues nationales
dans la liturgie, ainsi que la création d'une littérature religieuse spécifique110. Ces deux principes
fondamentaux de l'orthodoxie byzantine eurent une importance déterminante pour toute l'évolution
ultérieure des peuples slaves convertis par Byzance. Nous ne sommes pas suffisamment bien
informés sur le caractère de la hiérarchie ecclésiastique instituée dans les terres bulgares
immédiatement après la conversion en 865111. Le tréfonds chrétien qui existait dans les territoires
balkaniques dès l'époque paléochrétienne ne fut pas abandonné : quelques-uns des sièges métropolitains
établis dans les terres bulgares ne furent rien d'autre que des sièges anciens bien connus, tels que
Durostorum sur le Danube, Philippopolis en Thrace, Serdica, la capitale bulgare d'aujourd'hui,
Achris ou Lychnidos en Macédoine, etc. La grande majorité de la hiérarchie instituée dans les
territoires de l'État bulgare était, sans aucun doute, d'origine byzantine. Constantin VII Porphyro-
génète, dans la biographie de son grand-père, l'empereur Basile Ier, en parlant de la conversion du
peuple bulgare au christianisme, nous apprend, entre autres112, que les Bulgares avaient accepté un
archevêque et que le pays fut rempli d'un grand nombre d'évêques. On nous dit encore que
l'empereur byzantin envoya plusieurs anachorètes et moines pour effectuer une vaste œuvre missionnaire
dans le pays nouvellement converti. Autant que nous puissions en juger d'après certains
témoignages relatifs au monachisme en Bulgarie à une époque un peu postérieure, on doit admettre
que dès ce temps-là des couvents s'étaient établis dans le pays et que la vie monastique avait eu ses
premiers adeptes. Quelques renseignements donnés par les sources historiques contemporaines
nous autorisent à admettre également la présence de Slaves dans la nouvelle hiérarchie
ecclésiastique. Ainsi connaît-on le nom d'un évêque Serge d'origine slave113 ; nous possédons un sceau
en plomb avec une inscription paléoslave qui nous informe de l'existence d'un certain moine
Georges d'origine slave, qui occupait le poste de syncelle dans la hiérarchie bulgare vers la fin
du ixe s.114. Grâce à une inscription murale dans l'église dite de la Rotonde de Preslav, nous savons
que la charge de chartophylax dans l'Église bulgare d'alors fut occupée par un certain Paul, fort
probablement lui aussi d'origine slave115. La première capitale bulgare, Pliska, fut abandonnée
vers 893 pour Preslav, ancienne ville slave. Un texte hagiographique d'origine bulgare, qu'il faut
dater de la fin du ixe ou du début du Xe s.116, nous donne le nom du premier chef de l'Église bulgare :
l'archevêque Etienne. Malgré tout, il est plus qu'évident que la hiérarchie ecclésiastique bulgare
nouvellement instituée se trouvait sous la pleine dépendance du patriarcat de Constantinople. Aussi
cette nouvelle puissance dans l'État converti risquait-elle de devenir une arme toute docile dans
les mains, soit du patriarcat, soit du pouvoir temporel de Constantinople, pour la réalisation non
seulement de visées de caractère purement religieux et ecclésiastique, mais également de caractère
politique. Il y eut naturellement une forte réaction dès que le trône fut occupé par le prince Vladimir
(889-893), lequel succéda à son père, le prince Boris-Michel, devenu moine. Autant qu'il est possible
de reconstituer les événements sur la base des informations, assez maigres du reste, des sources

110. Pour les détails, voir I. Dtjjcev, II problema délie lingue nazionali nel medio evo e gli Slavi, dans « Riccrche slavistiche », t. VIII,
i960, p. 39-60.
ni. Zlatarski, op. cit., p. 206 et ss., avec l'indication de la littérature précédente.
112. Vita Basilii, dans Continuateur de Théophank, p. 342, 7-19. Sur le problème de l'auteur, voir Moravcsik, Byzantinoturcica,
t. I, p. 540.
113. lohannis VIII. papae registrum, éd. E- Caspar, M. G. H., Epist. Karoliniaevi, V, n° 66, 22-30. Cf. Zlatarski, op. cit., p. 215 etss.
114. Gerasimov, Tri star obûlgar ski molivdovula, p. 356-359.
115. K. Mjjatev, Simeonovata cûrkva v Preslav i nejnijat epigraficen material, dans « Bûlgarski pregled », t. I, 1929, p. 115-116;
I. GoSev, Starobûlgarski glagoliceski i kirilski nadpisi ot IX i X v., Sofia, 1961, p. 84-86.
116. I. Snegarov, Neizvesten dosega prepis ot razkaza « Cudo s hùlgarina Georgi », dans « Izvestija » (= Bulletin) Inst. hist. bulgare,
t. III-IV, 1951, p. 295-296. Pour d'autres informations sur ce texte, voir Di:jëi-:v, Mediocvo, p. 233 et ss., 553.

550
RELATIONS ENTRE LES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

historiques disponibles117, il faut supposer qu'il n'y eut pas de retour au paganisme, comme le
prétend un auteur occidental de l'époque118, selon une tradition probablement bulgare, mais
plutôt une tentative de rupture avec l'obéissance absolue due à l'Église de Constantinople et de
rapprochement avec l'Église de Rome. Une alliance entre le pape Formose, le roi allemand Arnulf
et le prince bulgare eut une durée limitée ; en Bulgarie, ce fut une période de persécution contre le
clergé byzantin. C'est alors que le chef de l'Église bulgare, l'archevêque Joseph119, fort probablement
d'origine byzantine ou au moins partisan du patriarcat de Constantinople, fut martyrisé.
Comme dans toute la vie culturelle, dans la vie de l'Église aussi la prise du pouvoir par Syméon
en 893 restaura la politique de rapprochement avec Byzance au plan spirituel. C'est sans doute
un des grands paradoxes de l'histoire du moyen âge dans ce Sud-Est européen : l'ennemi le plus
acharné, au point de vue politique et militaire, de l'Empire de Byzance était en réalité profondément
imbu de la civilisation byzantine, civilisation propre au monde chrétien en général, et non à une
entité ethnique déterminée. Dans le domaine de la vie ecclésiastique, cela se manifesta par quelques
actes de portée révolutionnaire. Le vieux prince Boris-Michel, après avoir renoncé au pouvoir,
entra dans un couvent fondé, semble-t-il, par lui-même120. C'est là aussi un trait caractéristique
du monde byzantin, où des souverains, des princes et des nobles abandonnaient le monde, à la fin
de leur vie, pour se retirer au monastère. Pendant la première moitié de son règne, Syméon — cet
ancien moine — resta en bons termes avec le patriarcat de Constantinople. Autant que nous soyons

informés, il ne changea rien, ni à l'organisation primitive de la nouvelle Église, ni à ses rapports


avec l'Église de Byzance. L'hypothèse formulée par quelques savants, selon laquelle une
assemblée nationale, à l'automne de 893, aurait, à propos du couronnement du prince Syméon,
aboli l'usage du grec et introduit la liturgie slave, manque de fondements solides. Une telle réforme
cependant, si elle était advenue, n'aurait pas vraiment fait empirer les rapports politiques entre
les deux États, étant donné l'esprit de tolérance de l'Église constantinopolitaine quant à l'usage
des idiomes nationaux comme langues liturgiques en général121. Quand l'équilibre politique entre
l'État bulgare et l'Empire fut rompu en faveur des Bulgares, on crut nécessaire en Bulgarie de
changer aussi les rapports de subordination hiérarchique entre les deux Églises. Le roi Syméon
proclama, suppose-t-on122, peu de temps après sa victoire sur le champ de bataille d'Anchialos
(20 août 917), l'autonomie de l'Église nationale et il attribua la dignité patriarcale à son chef.
L'autocéphalie lui semblait nécessaire autant pour des raisons de prestige que pour des
considérations pratiques, avant tout pour assurer l'indépendance totale de la hiérarchie ecclésiastique
vis-à-vis de Byzance, en matière religieuse et politique. Ajoutons tout de suite cependant que,
dans ce cas, comme du reste dans toutes les autres occasions où une Église slave se détachait en
quelque façon de Constantinople, il s'agissait toujours d'un acte d'insubordination administrative,
presque jamais d'une déviation dogmatique, sauf le cas d'un rapprochement avec l'Église de
Rome. Ni le gouvernement constantinopolitain, ni le patriarcat ne se montrèrent disposés à
reconnaître la nouvelle situation, mais l'acte du roi bulgare eut des conséquences plus lointaines.
Une des clauses du traité byzantino-bulgare du mois d'octobre 927 réglait la position de l'Église
bulgare : après une décision du « sénat impérial », le gouvernement constantinopolitain et l'empereur
Romain reconnurent au chef de l'Église bulgare la dignité patriarcale123, c'est-à-dire que l'Empire

117. Pour les détails, voir Dujcev, Vztahy mczi Cechy, Slovâky a Bulhary ve stredovèku, dans « Ceskoslovcnsko-bulharske vztahy v
zrcadle staleti. Sbornik vêdeckych studii », 1963, p. 30 et ss. ; id., Medioevo, p. 162, 191.
118. Réginon de Prùm, Chronicon, M.G.H., SS., I, 580. Cf. Dujcev, Medioevo, p. 161 ; Zlatarski, op. cit., p. 243 et ss.
119. M. G. PopruZenko, Sinodik carja Borila, Sofia, 1928, n° 139, p. 91.
120. Zlatarski, op. cit., p. 253 et ss.
121. Dujckv, // problema, p. 39 et ss., avec d'autres indications bibliographiques.
122. Zlatarski, op. cit., p. 399 et ss.
123. Le texte du document a été réédité par Jord. Ivaxov, Bûlgarski starini iz Makedonija, Sofia, 1931, p. 566 cf. Zlatarski,
529-531. Dôlger, Regesten, t. I, n° 612, p. 75, ne mentionne pas cette clause du traité de paix.
;

551
IVAN DUJCEV

lui cédait d'une manière officielle la dignité que le roi Syméon, une dizaine d'années auparavant,
avait arbitrairement conférée à l'archevêque de Preslav et Drûstur. Une quarantaine d'années
plus tard, en 972, lors de l'occupation de la Bulgarie orientale et de Preslav par les
Byzantins, on désavoua, cette fois sur l'ordre de l'empereur Jean Ier Tzimiskès124, l'attribution
de la dignité patriarcale au chef de l'Église bulgare. L'institution d'un patriarcat dans une ville
comme Preslav était visiblement contraire à l'esprit des canons ecclésiastiques : cette ville manquait
de toute tradition comme siège épiscopal. Afin de respecter les prescriptions canoniques, on ajouta,
dans le titre du patriarche, le nom du Drûstur, l'ancien Durostorum qui avait une longue tradition
dans l'histoire du christianisme balkanique. Pour conférer cependant au nouveau siège cette Xàpi;
(gratta) mystique qui, selon les conceptions du moyen âge chrétien, était nécessaire, on prit le soin
de rassembler à Preslav un certain nombre de reliques de saints ou de martyrs125, et de construire
un grand nombre d'églises. L'abrogation de la dignité patriarcale bulgare de la part du
gouvernement de Constantinople fut cependant un acte unilatéral et ne fut pas pris en considération par
les Bulgares, alors en guerre acharnée contre l'Empire. Le patriarche de Preslav échappa à
l'occupation byzantine de Preslav en 972 et déplaça son siège dans les territoires bulgares du Sud-Ouest,
tout d'abord à Sredec (Serdica, Sofia d'aujourd'hui), ensuite à Prespa et enfin à Ochrid, en suivant
toujours les mouvements du roi Samuel et de ses armées126. Basile II le Bulgarochtone, en brisant
la dernière résistance des Bulgares et en occupant en 1018 tous les territoires de l'ancien royaume
bulgare, supprima à son tour le patriarcat d'Ochrid, le réduisant au rang d'archevêché, et cet
archevêché, rapidement hellénisé, exista jusqu'en 1767127. Pendant toute son histoire, cette Église
bulgare resta fidèle à son modèle byzantin, bien qu'elle fût en lutte perpétuelle contre Byzance. Son
autonomie s'exprima dans ses rapports envers le patriarcat de Constantinople. Elle resta, autant
qu'on en puisse juger d'après les témoignages disponibles, strictement soumise au pouvoir temporel.
Suivant une habitude copiée sur Byzance, elle reconnut le titre de saint à deux souverains bulgares,
au prince Boris-Michel et au roi Pierre Ier, lesquels étaient acquis des mérites particuliers par la
propagation du christianisme, la protection des églises et des couvents et avaient témoigné d'un zèle
religieux personnel peu commun128. Ajoutons encore que, pendant toute la période de la domination
byzantine (1018-1185), le pays se trouva sous la souveraineté absolue du patriarcat de
Constantinople. Un épisode d'une insubordination armée contre le haut clergé byzantin, comme fut le meurtre
de l'évêque grec de Sredec, Michel, advenu en 1078, est lié au mouvement révolutionnaire
de la population locale contre l'autorité byzantine129.
Nous sommes insuffisamment informés quant à l'histoire de l'organisation ecclésiastique des
territoires serbes pendant cette période130, sauf naturellement ce que l'on connaît du christianisme
dans les régions du littoral adriatique, passées sous la suprématie de l'Église de Rome, et, de cette
façon, détachées de l'influence ecclésiastique et culturelle de Constantinople.
Ici également existait un tréfonds chrétien depuis l'époque du christianisme primitif, avec quelques
sièges épiscopaux actifs. La christianisation des régions serbes et croates s'effectua par voie

124. Ivanov, op. cit., p. 566.


125. Pour des renseignements plus détaillés, voir I. Dujcev, Problemi iz szednovekovnata istorija na Preslav (sous presse).
126. Zlatarski, Bûlgarski archiepiskopi-patriarsi prez pûrvoto carstvo, dans « Izvestija » ( — Bulletin) de la Soc. histor. de Sofia, t. VI,
1924, p. 49-76 Istorija, p. 639, 663, etc.
127. Sur l'histoire de l'archevêché d'Ochrid, voir en général H. Gelzer, Der Patriarchat von Achrida. Geschichte und Urkunden,
;

I^eipzig, 1902 ; I. SneGarov, Istorija na Ochridskata archiepiskopija ot osnovavaneto j do zavladjavaneto na Balkanskija poluostrov ot
turcitê, t. I, Sofia, 1924 ; Istorija na Ochridskata archiepiskopija-patriarSija ot padancto j pod turcitê do nejnoto unistozenie ( 1 394-1767) ,
Sofia, 193 1.
128. I^es détails concernant la canonisation du prince Boris-Michel ne sont pas connus. Quant à Pierre Ier, nous possédons deux
acolouthies en son honneur (texte dans Ivanov, Bûlgarski starini..., p. 383-394), des icônes (voir V. Ivanova, Obrazi na car Petra v dve
starinni ikoni, dans « Izvestija » (= Bulletin) de la Soc. histor. bulgare, t. XXI, 1945, p. 99-116), ainsi que certains autres renseignements.
129. Zlatarski, Istorija, t. II, 1934, p. 150-151, 162 et ss.
130. Jirec.ek et RADONié, Istorija Srba, p. 116-187 ; C. Jirecek, La civilisation serbe au moyen âge, Paris, 1920, p. 15-23, pour
l'époque immédiatement postérieure.

552
RELATIONS ENTRE LES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

d'évolution, mais surtout à deux grandes reprises, aux temps de l'empereur Héraclius et pendant
la seconde moitié du IXe s., sous l'empereur Basile Ier131. 1/ organisation ecclésiastique des
territoires serbes au cours du haut moyen âge nous reste presque inconnue. L'époque des
luttes contre Byzance provoqua une scission avec l'Église de Constantinople. Ce fut alors,
pendant la première moitié du XIe s., que fut fondé l'archevêché d'Antivari, lequel passa
sous la suprématie de Rome ; ses prélats jouèrent un rôle très actif contre les prétentions des
métropolitains de Durazzo, soumis au patriarcat de Constantinople132. Les sources historiques
mentionnent, pour la seconde moitié du xie s., les noms de quelques sièges épiscopaux, tels que
Tribuniensis, Bossoniensis et Serbiensis Ecclesia13*. Vers le xne s., l'archevêque de Raguse
(Dubrovnik) entra en concurrence avec celui d'Antivari quant à la suprématie dans ces territoires.
La partie orientale des régions serbes se trouvait alors sous la domination spirituelle de l'archevêque
d'Ochrid, et, par ce fait même, sous une forte influence byzantine. Comme en plusieurs autres
domaines de leur histoire, les territoires croates et surtout serbes constituaient une zone de
transition entre l'Orient et l'Occident, en matière religieuse et ecclésiastique : entre l'Église de
Constantinople et celle de Rome134. Parfois, les deux rites étaient en usage. Il suffit de rappeler le fait bien
connu que le premier représentant de la dynastie des Némanides, le grand zupan Etienne Nemanja
(1166-1196), reçut deux fois le baptême, une fois selon le rite latin, la seconde fois selon le
rite orthodoxe135. Malgré tout, l'influence de Byzance restait toujours très puissante. Etienne
Nemanja ne fit que suivre un exemple typiquement byzantin en abdiquant, en 1196, pour
entrer presque immédiatement dans un couvent ; il changea son nom laïque en celui de vSyméon
et passa les dernières années de sa vie comme moine, à côté de son fils cadet Rastko ou vSava.
Sa femme Anna fit de même, devint moniale et prit le nom d'Anastasie136.
Le zèle religieux d'une population slave récemment convertie au christianisme et, d'autre part,
les conditions de vie sociales et économiques qui devenaient toujours plus contraignantes furent les
causes principales du développement d'un large mouvement monastique parmi les Slaves
méridionaux, surtout chez les Bulgares, au cours des xe-xne s. On passa bien vite aussi à la forme la
plus extrême de la vie monacale, à la vie érémitique. On connaît assez bien la vie de l'un des
premiers qui fut aussi le plus grand des ermites parmi les Slaves méridionaux, saint Jean de Ryla
(né 875/80, t 18 août 946) 137. Ce qui mérite attention, c'est que nous ne savons absolument
rien quant à ses relations avec le clergé officiel du pays. Il était en opposition modérée avec le
pouvoir temporel : quand le roi Pierre, selon la légende hagiographique, exprima le désir
de rencontrer l'ermite, celui-ci refusa nettement. Ce sont ces éléments qui nous permettent de
formuler l'hypothèse que cette forme de vie érémitique n'aurait été qu'une sorte d'opposition à la
hiérarchie officielle, non point à cause de l'éventuelle décadence morale de celle-ci, mais sans
doute plutôt en raison d'une trop grande influence byzantine. La tendance est encore mieux
affirmée chez les grands continuateurs de saint Jean de Ryla, pendant les xie-xne s., tels
saint Prochor de Pcinja, saint Joachim de Osogovo (ou de Sarandopor) et enfin saint Gabriel de
Lesnovo, tous trois ayant résidé en Bulgarie sud-occidentale ou en Macédoine nord-orientale

131. DAI, cap. 32, 27-28 cf. Ff.rjancic, Vizanliski izvori..., p. 49, n. 154 ; Dvorxik, De admin. imp., Commcntary, p. 133. Voir en
outre G. Sp. Radojicic, La date de la conversion des Serbes, dans « Byzantion », t. XXII, 1952, p. 253-256 ; Dtijckv, Mediocvo, p. 221
;

et ss. ; G.C. Soulis, The Legacy of Cyril and Methodius to the Southern Slavs, dans « Dumbarton Oaks Papers », t. XIX, 1965, p. 38,
avec d'autres références bibliographiques.
132. Jirecek et Radonic, op. cit., p. 159 et ss.
133. Ibid., p. 160.
134. Ibid., p. 161.
135. Ibid., p. 189 ; St. Hafner, Serbisches Mittclaltcr. Altserbische Herrscherbiograpliien, t. I Stefan Xemanja nach den Vitcn des hl.
Sava und Stefans des Erzgekrônten, Graz, 1962, p. 76.
:

136. Jirecek et Radonic, p. 204 ; IIainer, op. cit., p. 45.


137. Sur l'histoire du saint et de son monastère en général, voir J. Ivanov, St. Iran Rilski i negdvijat monastir, Sofia, 1917; I. Drjé>:v,
Rilskijut svetec i negorata obitel, Sofia, 1947.

553
IVAN DUJCIÎV

d'aujourd'hui138. On doit se rappeler que ceci se passait justement à l'époque de la domination


byzantine dans les territoires des Slaves méridionaux. Ainsi donc, une opposition au clergé byzantin,
ou à un clergé bulgare subissant l'influence trop forte du patriarcat de Constantinople, semble plus
que concevable. On doit relever, en outre, qu'autour de chacun des anachorètes mentionnés, il se
forma immédiatement un monastère qui fut pendant les siècles suivants centre d'activité littéraire
et centre d'instruction, de caractère toujours slave, non byzantin.
Le développement de la vie monastique eut cependant bientôt d'autres aspects, tout à fait négatifs.
L'affluence toujours plus grande de personnes qui prenaient l'habit monacal, sans préparation
adéquate et sans motifs sérieux, contribua à un abaissement de la discipline et de la moralité dans
les couvents. Pour se dérober, d'autre part, à des prescriptions trop sévères, plusieurs, tout en
prenant l'habit de façon plus ou moins régulière, préféraient la vie des moines errants (gyrovagues)
qui, sans respecter les règles de la stabilitas, allèrent en Orient jusqu'à Jérusalem et en Occident
jusqu'à Rome. Une forte réaction contre ces excès se manifesta dans le monachisme, mais elle
n'aboutit ni à la monachomachia comme dans l'Empire byzantin à l'époque de l'iconoclasme, ni à
un vaste mouvement de réforme comme celui de Cluny. Dans l'état actuel de notre information,
le représentant le plus éminent de cette réaction et de cet esprit de réforme dans le monachisme
bulgare fut un évêque, Kozma, qui vécut dans la seconde moitié du Xe s.139. Tout en étant bon
religieux, Kozma fit preuve d'un véritable esprit laïque en luttant pour l'affirmation de la vie, soit
devant des hérétiques, soit auprès des ascètes outranciers. C'est ainsi qu'il prit la défense du mariage
légitime contre tous ceux qui prétendaient qu'il était « une souillure »140. On peut, disait-il, trouver
le salut de son âme en vivant dans « le monde » tout autant que dans un monastère, « car beaucoup se
sont perdus dans le désert et dans les montagnes, qui y pensaient aux choses du monde, et beaucoup
se sont sauvés dans les villes et en vivant avec leurs femmes141 ». Insistant avant tout sur la valeur
morale, il formule l'idée suivante, affirmée aussi par des penseurs de l'Occident médiéval : « Ce
n'est pas l'habit noir du moine qui nous sauvera, ni l'habit blanc du séculier qui nous perdra, si
nous faisons ce qui plaît à Dieu142 ». Il relève d'un autre côté, avec véhémence, la nécessité d'une
réforme fondamentale de la vie monastique, pour imposer une discipline plus sévère, un choix plus
rigoureux des sujets, une stabilité absolue dans leur vie. Il prêche contre l'orgueil, la paresse et la
luxure, pour imposer l'obéissance et la modestie.
Dans la vie religieuse des Slaves méridionaux à cette époque, d'autres maux, plus dangereux
encore, compromettaient gravement l'unité de l'Église et, par cela même, l'unité des États. Il
s'agit des mouvements hérétiques et, avant tout, de l'hérésie des bogomiles. Sans nous arrêter
ici à l'histoire primitive du bogomilisme143, rappelons-en au moins quelques traits caractéristiques,
et surtout ce qui liait cette doctrine à Byzance. Comme on l'a très bien relevé144, le bogomilisme
constituait « the first European link » d'une chaîne millénaire qui, partant de la doctrine de Mani,
aboutit aux albigeois de France méridionale, au xme s., et cette chaîne passait, en partie au moins,
à travers les territoires de l'Empire d'Orient. Les Slaves et les Protobulgares avaient hérité, dès
leur installation dans les terres balkaniques, d'un ancien fonds de conceptions dualistes, d'un

138. J. Ivanov, Sêverna Makedonija. Istoriceski izdirvanjja, Sofia, 1906, p. 83-109.


139. Une bonne traduction de l'œuvre de Kozma avec un excellent commentaire a été donnée par H.-Ch. Puech et A. Vaillant,
Le traité contre les bogomiles de Cosmas le prêtre, Paris, 1945. D'autres indications bibliographiques dans Dujcev, Medioevo, p. 254 et ss.,
317 et ss. Sur son titre d'évêque, voir J. GaGOV, Theologia antibogomilistica Cosmae presbyteri bulgari (saec. X ), Rome, 1942, p. 26 et ss.
140. Puech et Vaillant, op. cit., p. 106-110.
141. Ibid., p. 95-96.
142. Ibid., p. 98.
143. Parmi la littérature très riche dédiée au problème du bogomilisme, je me limite à indiquer uniquement ici D. Obolensky,
l'he Hoçoinils. A Study in lialkun .Xeo-Manicheism, Cambridge, 1948 St. Rknciman, The Médiéval Manichee. A Study of the Christian
Dualist Heresy, Cambridge, 194O. Pour d'autres informations bibliographiques, voir ljrjticv, Medioevo, p. 251-320.
;

144. Obolex^kv, op. cit., p. VII.

554
RELATIONS ENTRE LES SLAVES MERIDIONAUX ET BYZANCE

puissant mouvement religieux, le mithracisme, et de son successeur direct, le manichéisme. Ce


fonds fut renforcé par de nouvelles conceptions dualistes, apportées par les Bulgares, apparentés
aux Ouigours, parmi lesquels la religion de Mani domina, en tant que religion officielle, presque
jusqu'au milieu du IXe s.145. Un apport considérable d'idées hérétiques venues de Byzance contribua
à l'éclosion d'un fort mouvement hérétique en Bulgarie, immédiatement après la conversion,
en 865, et surtout pendant la première moitié du Xe s. La doctrine hérétique des bogomiles acquit,
dans les conditions sociales et économiques de l'État bulgare, certains traits nouveaux, avant tout
l'aspect d'une révolte de caractère politique et social. Notons enfin, sans pouvoir entrer ici dans
les détails, que, tandis que les hérétiques puisaient, d'une manière clandestine, aux mouvements
semblables répandus dans les terres dominées par l'Empire, surtout en Asie Mineure, le
gouvernement et l'Église empruntaient eux aussi à Byzance, surtout à la littérature antihérétique et
dogmatique, des armes pour combattre les conceptions hérétiques146. A partir de la fin du Xe s.,
le mouvement bogomile se répandit encore plus largement dans les territoires balkaniques. L'Empire
byzantin abolit, avec la conquête des terres bulgares, serbes et croates, les frontières entre ces
peuples, favorisa les mouvements de population et aida ainsi sensiblement à la diffusion de la
doctrine bogomile vers les régions occidentales de la péninsule, où, au cours des xine et xive s.,
elle parvint, sous la forme spécifique du patarinisme, à une nouvelle efflorescence147.
Une des innovations les plus fécondes en conséquences pour la vie culturelle des Slaves méridionaux,
ce fut l'invention et l'introduction d'une écriture slave. Ce fait, qui constitue un des traits
fondamentaux de l'histoire slave au IXe s., est assez connu pour ne pas être spécialement étudié ici148.
Ce qui mérite d'être rappelé, c'est la substitution de l'alphabet dit cyrillique à l'alphabet glago-
litique, inventé par Constantin le Philosophe (Cyrille) et son frère Méthode, substitution advenue
pendant les dernières années du ixe s. en Bulgarie. Selon nos sources149, cette nouvelle écriture
slave fut inventée par Clément d'Ochrid, vers 893/94, au temps de l'avènement de Syméon.
Le remplacement de l'ancien alphabet glaglolitique par cette nouvelle écriture, qui imitait de très près
l'onciale grecque exprimait sans doute le même désir de se rapprocher de Byzance dans la sphère
de la civilisation. En utilisant cet alphabet, on entreprit une œuvre littéraire qui consista, tout
d'abord, en traductions et adaptations, et c'est seulement plus tard qu'on produisit une littérature
originale. L'État bulgare était, tout comme dans la vie politique, « die fùhrende Macht » : les élans
vers une grandeur politique qui devait rivaliser avec la grandeur de l'Empire étaient doublés par
des efforts féconds dans le champ des lettres. La grande masse des traductions et des adaptations
qui apparurent déjà à l'époque dite paléobulgare, caractérisée parfois comme un véritable âge d'or
de l'histoire de l'ancienne littérature slave et particulièrement bulgare, sont d'une importance
singulière quand on désire déterminer les rapports entre la jeune littérature slave et celle de
Byzance. Quoique l'on connaisse cette production littéraire de manière plutôt indirecte, grâce à
des copies d'une époque postérieure, il n'est pas difficile d'en établir les traits fondamentaux par
rapport à Byzance150. Il faut noter avant tout l'apparition d'un nombre considérable de traductions

145. Pour les détails, Dujér.v, op. cit., p. 263 et ss. — Voir aussi l'étude fondamentale de M. Pkstalozza, // ma niche isnto pressa i
Turchi occidentali ed orientait. Kilievi c chiarimenti, dans « Rein lie. d. Istit. lombardo di Scienze c lett. >■, 2e s., t. LXVII, 1934, p. 417-
497. J'espère revenir bientôt à l'étude du problème.
146. Voir quelques indications chez DrjëEV, Mediocvo, p. 266 et ss.
147. L'étude fondamentale de I). Mandic, Bogomilska crkva Bosanskih krstjana, Chicago, 1962, contient aussi des
renseignements très riches sur les publications plus anciennes dédiées au problème du patarinisme.
148. Pour une information générale, voir l'r. Grivec, Kotintantin und Method Lehrcr der Slaven, Wiesbaden, 1960. D'autres
indications bibliographiques chez Soi 'Lis, The Lcgacy of Cyrill and Methodius..., p. 24 et ss.
149. Nous voulons parler de la Vita brevis de saint Clément d'Ochrid, composée par l'archevêque d'Ochrid, Démétrius Chomatianus,
et publiée par Ivaxov, Biilgarski starini, p. 314-321, notamment p. 320-321, cap. 14.
150. Pour une information générale, avec l'indication des œuvres principales traduites et la bibliographie moderne-, I. DrjCF.v, Les
rapports littéraires byzantino-slaves, dans « Actes XIIe Congr. internat, d'ét. byzantines. Ochrid, 10 i(> septembre 19(11 >. t. I, l'elgrade,
1963, p. 411-429 Id., Les rapports hagiographiques entre Byztince et les Slaves (sous presse). Voir aussi des informât tons utiles et récentes
chez Sor.'i.is, op. cit., p. 31 et ss.
;

555
IVAN DUjCliV

des Pères et, d'autre part, le manque presque total de traductions d'écrits d'auteurs byzantins
proprement dits. L/unique explication plausible de ce fait serait que les écrits patristiques, élaborés
à une époque où les Pères de l'Église devaient lutter pour établir les dogmes fondamentaux de la
religion chrétienne et, en même temps, contribuer à l'affermissement de cette religion contre les
menaces des doctrines hérétiques, païennes et hétérodoxes, pouvaient très bien satisfaire les besoins
des Slaves néophytes. On empruntait largement à la riche littérature patristique parce qu'elle était
considérée déjà comme le vrai patrimoine de tous les chrétiens en général. Nous pouvons parler d'une
très forte influence de la littérature grecque patristique, et non de la littérature byzantine, dans le
sens strict du terme, sur la jeune littérature slave. La conversion officielle au christianisme et
l'institution d'une vaste hiérarchie ecclésiastique devinrent une base solide pour une activité
culturelle féconde, quand on introduisit l'usage de l'alphabet slave pour une langue liturgique et
littéraire et, en second lieu, quand le clergé se slavisa toujours davantage.
L'introduction de la nouvelle religion imposa, d'un autre côté, la construction d'un grand nombre
d'églises, ce qui permit un développement rapide, inouï, de l'architecture, de la peinture et des arts
mineurs. Cette fiévreuse activité fut concentrée avant tout dans la capitale de Syméon et de son
successeur ; Preslav devait rivaliser, par ses palais et ses églises, avec la capitale de l'Empire151.
Dans l'art de bâtir, la sculpture et la céramique, on trouve cependant, outre l'influence de Byzance
et de l'art byzantin contemporain, certains autres éléments dont il faut tenir compte. Les Slaves
et les Protobulgares avaient gardé de leur patrie primitive les traces d'une forte influence de la
grande civilisation iranienne et ils continuèrent à être marqués par elle jusqu'à une époque assez
tardive152. D'autre part, pour l'architecture religieuse, ils imitaient parfois les formes des édifices
qu'ils avaient trouvés lors de leur établissement dans les Balkans, et qui dataient de l'époque
romaine et post-romaine. L'apparition d'une forme basilicale, comme celle de l'église de Pliska153,
ou bien celle d'une rotonde, comme à Preslav154, doit s'expliquer par l'influence d'édifices romains
ou post-romains qui existaient encore en Mésie, en Thrace, en Macédoine et ailleurs dans la
péninsule des Balkans. Tout cela était prébyzantin et avait la même signification que les œuvres de la
littérature patristique. On n'empruntait pas autant à la civilisation de l'Empire contemporain,
avec lequel on était en lutte presque incessante sur le plan politique et militaire ; on revenait à ce
qui était prébyzantin, à ce qui appartenait au christianisme primitif et constituait aussi le
patrimoine commun des peuples chrétiens. Les efforts pour rivaliser avec l'Empire sur les champs de
bataille pendant toute la première moitié du xe s. avaient échoué totalement : Byzance à la fin
réussit à établir son empire sur tous les peuples slaves de la péninsule balkanique. Ce qui resta, ce
furent les conquêtes dans le champ de la civilisation, les réalisations dans le domaine de la littérature
et de l'art. Elles survécurent de beaucoup à l'époque où elles furent accomplies et se propagèrent loin
de leur pays d'origine, parmi les autres peuples slaves, parfois même parmi des peuples non slaves
tels les Roumains, qui absorbèrent le riche héritage de l'ancienne civilisation des Slaves méridionaux.

151. Pour une information générale, B. Filov, Geschichte dcr altbulgarischen Kunst bis zur Eroberung des bulgarischen Reiches durch
die Tùrken, Berlin /L,eipzig, 1932, p. 25-45 ; Kr. Mijatev, Architekturata v srednovekovna Bulgarija, Sofia, 1965, p. 36-126 ; N. Mavro-
dinov, Starobûlgarskoto izkustvo. Izkustvoto na pûrvoto bùlgarsko carstvo, Sofia, 1959, p. 86-294. D'autres indications chez I. Dujôev,
Les Slaves et Byzance, dans « Études histor. à l'occasion du XIe Congr. internat, des Se. histor., Stockholm, août i960 », Sofia, i960,
p. 57-64.
152. Pour des informations plus détaillées, I. Dujcev, // mondo slavo e la Persia nell'alto medioevo, dans « Accad. naz. d. I,incei »,
t. LXXVI, 1966, p. 243-318.
153. Sur l'histoire et les monuments de Pliska, St. StanCev, Pliska und Preslav. Ihre archàologischen Denkmâler und deren Erfor-
schung, dans \V. BeSevmev et J. Irmscheu, Antike und Mittelalter in Bulgarien, Berlin, i960, p. 219-224, 226-233, 237-241, avec une
bonne bibliographie.
154. Voir les indications de Stancev, op. cit., p. 219-264.

556

S-ar putea să vă placă și