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Mais la
nature se révèle elle-même souvent destructrice, et l’on ne sait que trop
qu’elle inspire des penchants nuisibles et criminels.
Pour Sade le mal doit exister dans la Nature. Rousseau envisageait un état
de Nature où l'homme parviendrait à une vie plus harmonieuse et heureuse et où
le mal s'évaporerait sous les lois de la Nature. Sade, par contre, propose qu'il y ait
un équilibre impératif entre le bien et le mal qui existe dans la Nature. Ce sont
deux éléments qui sont opposés mais qui coexistent de façon disséminatoire pour
créer une harmonie plus complète. Sade reconnaît que le monde où la vertu existe
sans le vice ne serait pas du tout une utopie. Il propose plutôt que la vertu sans le
vice est vide de sens. C'est le vice qui définit la vertu.
Sade fait souvent référence dans ses oeuvres à des animaux qui, à son avis, sont
restés dans un état de nature. Les animaux vivent par instinct et selon les lois déterminées par la
loi du plus fort. Si la domination d'un animal dans la nature est
contestée, alors une épreuve détermine le plus fort. Si dans cette épreuve, un
d'entre eux se fait tuer, alors c'est une fatalité naturelle et normale.
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De tout ce qui précède, il ressort que Sade, au nom de la Nature, rejetait les valeurs
morales chrétiennes. Des questions se posent alors : quelle est la Nature sadienne?
Qu’est-ce qui pousse l’homme au vice?
Nous avons vu, en premier lieu, que la Nature que Sade conçoit n’est pas une Nature
bienfaisante. Elle se caractérise au contraire par la destruction. Elle est en effet un
principe d’écroulement, de meurtres, de massacres. Son précepte est : il faut détruire pour
reconstruire. Dans cette perspective, le meurtre est une façon efficace de reproduire de
nouvelles formes. Sade l’appelle ainsi «transmutateur». (Justine, p.189.) Juliette, en expliquant le
rapport de la sodomie avec la Nature, insiste sur le fait que la Nature est
destructrice :
«Les lois de l’homme, toujours dictées par l’égoïsme, n’ont pas le sens
commun sur cet objet, et que celles de la Nature, bien plus simples, bien
plus expressives, doivent nécessairement nous inspirer tous les goûts
destructeurs d’une population, qui, la privant du droit de recréer les
premières espèces, la maintient dans une inaction qui ne peut que déplaire
à son énergie.» (Juliette, t.IX, p.87.)
Se pose ensuite la question de ce qui entretient le mouvement éternel de la Nature :
Sade est profondément convaincu que c’est son insatiable appétit de destruction qui
toujours lui permet de reproduire. Il en vient à affirmer l’aspect criminel de la Nature :
«Ce n’est que par des forfaits que la Nature se maintient.» (ibid., p.582.) C’est surtout
d’une Nature criminelle que s’inspire toute l’éthique de Sade. Dans La Nouvelle Justine,
après son analyse sur la Nature destinée à nuire aux hommes, Almani expose le résultat
de son observation :
« Le motif qui m’engage à me livrer au mal est né chez moi de la profonde
étude que j’ai faite de la Nature. Plus j’ai cherché à surprendre ses secrets,
plus je l’ai vue uniquement occupée de nuire aux hommes. Suivez-la dans
toutes ses opérations ; vous ne la trouverez jamais que vorace, destructive
et méchante. »(35)
Plus d’une fois, Sade affirme que la Nature ne s’achève que par le meurtre(36) et
qu’elle détruit insensiblement et horriblement.(37) Selon les «lois profondes de l’équilibre»
(Juliette, t.IX, p.582.), il y a autant de destruction négative que de destruction positive.
Dans La Philosophie dans le boudoir, Dolmancé présente bien cette loi de compensation :
« Le meurtre n’est point une destruction, celui qui le commet ne fait que
varier les formes ; s’il rend à la Nature des éléments dont la main de cette
Nature habile se sert aussitôt pour récompenser d’autres êtres. » (p.108.)
Le mouvement destructeur/créateur est ainsi garant de l’équilibre de l’univers et entretient
son dynamisme permanent.
Force est de constater que la Nature, dans l’ensemble de l’oeuvre de Sade, est criminelle et
qu’elle est de surcroît maîtresse de tous les vices. Tel est le sens de
l’antiphysisme selon lequel les libertins sadiens expliquent la volonté de maîtriser
absolument leur corps et la relation criminelle et destructrice entre l’homme et la Nature.