Petit duel-dissertation sur la question du politique-
esthetique .. Témoin : la beauté .. Duellistes : deux « acteurs » de l’art contemporain
Premier « acteur »
« La question politique est une question esthétique,
et réciproquement : la question esthétique est une question politique. Le terme esthétique est pris dans son sens le plus vaste, où l’aisthésis est la sensation, et où la question esthétique est donccelle du sentir et de la sensibilité en général. Il faut poser la question esthétique dans sa relation à la question politique, pour inviter le monde artistique à reprendre une compréhension politique de son rôle. L’abandon de la pensée politique par le monde de l’art est une catastrophe. Réciproquement, l’abandon de la question esthétique par la sphère politique aux industries culturelles, et à la sphère marchande en général, est lui-même catastrophique. Cela ne veut évidemment pas dire que les artistes doivent s’engager, cela veut dire que leur travail est originairement engagé dans la question de la sensibilité de l’autre. Or la question politique est essentiellement la question de la relation à l’autre dans un sentir ensemble, une sym-pathie en ce sens. Le problème du politique, c’est de savoir comment être ensemble, vivre ensemble, se supporter comme ensemble à travers et depuis nos singularités, (bien plus profondément encore que nos « différences ») et par-delà nos conflits d’intérêts. La politique est l’art de garantir une unité de la cité dans son désir d’avenir commun, sa singularité comme devenir un. Etre ensemble…un ensemble sensible. Une communauté politique est donc la communauté d’un sentir ensemble. Tel est le sens de la philia chez Aristote. »
Deuxième « acteur »
Cela veut dire qu’on pourrait ouvrir un bordel dans
un système politique? L’artiste serait la belle de jour et de nuit… dans un sentir ensemble avec les têtes esthétiquement illuminés de la communauté. Ca serait bien d'entendre une bouche sage dire en regardant un sexe de femme. .. « Définir la beauté dans les termes non les plus abstraits mais les plus concrets qu'on puisse trouver, chercher une formule non point universelle, mais qui exprime le plus justement telle ou telle manifestation spéciale de la beauté, voilà le but du véritable esthéticien. Il faut que l'esthéticien regarde tous les objets de son étude, toutes les oeuvres d'art, toutes les formes exquises de la nature et de la vie humaine comme des forces, comme des puissances capables de produire des sensations agréables, d'espèce plus ou moins particulière, plus ou moins unique. ».. Tel est le sens de la philia chez Walter Pater… le papa spirituel de Oscar Wilde. Et on continue (Ruskin et Wilde) : « Si l'oeuvre d'art unique et, par là, éternelle, se perpétue dans l'Etre alors que la nature se détruit sans cesse pour se créer à nouveau dans le devenir, l'art connaît dès lors une extraordinaire positivité. Il est ce qui peut fixer la nature dans l'Etre tout en s'inspirant d'elle dans le devenir…fixer la beauté éphémère de la nature… Puisque toute esthétique digne de ce nom se donne la perfection pour fin et que la beauté de l'éphémère ne saurait être parfaite: n'est parfait que ce qui représente une éternité. Et certes l'art est la solution à une telle fixation. L'art devient dès lors un recours désespéré qui aide à oublier le temps, non à s'élever au-dessus; il permet tout au plus de maintenir de brèves extases, de brûler plus encore car il sait le prix de l'instant qui est la vérité pour nous de ce monde ». En n'oubliant jamais que la vie est le premier et le plus grand de tout les arts, est-ce qu'on ose vivre, être naturel et artiste et paradoxal et beau et bien et politique et amoureux et chien et dauphin et aristotélicien et Wilde et divin et miracle païen et feu et eau et ici et là, et tout et rien?! L’artiste qui vit en moi se jette dedans. Est-ce que je vais le suivre?? » « Le beau est l’ennemi du bien ». On l’entends très souvent chez l’artiste contemporain « en guerre » avec les traditions, les classiques, le « déjà-vu ». Ou tout simplement avec le concept classique de la beauté dans l’art. On s’accroche au « pratique », à l’« utile ».. à tout ce qui sert à l’idée… l’idée « novatrice », « révolutionnaire ».. le nouvel utilitarisme culturel de notre siècle.. il n’y a qu’un petit pas jusqu’au commercial, bon à consommer.. On vit une nouvelle mise en question des liaisons profondes entre Art et Morale, Beauté et Vérité.. ligoter par leurs contraires, jusqu’à faire « un ».. un siècle « androgyne », au sens où les contraires vont très bien ensemble, on valide bien cette idée, on l’accepte, on la vend, on essaie l’équilibre à tout prix, contenter tous les goûts, tous les dégoûts, tous les désirs, faire exploser les cervelles blasées, on aborde une sorte de «religion inesthétique», qui n’est plus l’esthétique du laid.. l’art qui touche de plus en plus le cerveau.. rares chances que ça descende au cœur.. que ça produise des sentiments.. la recherche dans « la forme », il y a encore de la place pour ça ; on s’enfui du « simple » ; on a peur de la « répétition ».. et « le fond », c’était le travail d’autres siècles? On parle depuis longtemps de la « forme sans fond ».. comment coller l’idée de beauté sur ça ?
Qu’est-ce que nous dit le XIX-ème siècle ?
Fin XVIII-ème, tout début XIX-ème
Kant : « le Beau.. plaisir dans l’absence de l’intérêt, finalité dans l’absence du but, universalité dans l’absence d’un concept et ordre dans l’absence de la loi. On se réjouit d’une belle chose sans vouloir la posséder à tout prix ; on la regarde comme si elle fut programmée dans les moindres détails pour un certain but, et en fait, le seul but vers lequel cette forme tend est sa propre auto soutenance; on se réjouit de cette chose comme si c’était la véritable incarnation d’une certaine règle, et elle n’est rien de plus que sa propre règle.. jeu libre de l’imagination et de l’intellect.. » Le Sublime : mathématique (le ciel aux étoiles…espace illimité ; plaisir inquiet, « négatif », on sent la grandeur de notre subjectivité, capable à désirer ce qu’on peut pas avoir), dynamique (une tempête.. force illimité.. humiliation de notre nature sensible, une nouvelle sensation d’impuissance, équilibrée par le sentiment de notre grandeur morale, face à laquelle les forces de la nature ne valent rien.. Schiller (« Sur le Sublime », 1801) : face au Sublime notre nature physique sent ses limites, et en même temps notre nature raisonnable sent sa supériorité et indépendance devant toute limite.. Hegel (« Leçons d’esthétique, II, 2 »): le Sublime c’est l’essaie d’exprimer l’infini sans trouver dans le champ des phénomènes un objet qui se révèle adéquat à une telle représentation.. » On associe le Sublime aux arts.. Caspar David Friedrich.. peint « le sublime » La Beauté romantique.. ses formes « dictées » par la raison et le sentiment, liaison qui ne veut pas annuler les contradictions ou résoudre les antithèses (limite- infini, le tout-fragment, vie-mort, raison-cœur), mais les accueillir dans une solution unique de coexistence.. ça c’est la nouveauté du romantisme. Beauté-mélancolie (Ugo Foscolo, « Sonnets », 1802), la brillance de la Beauté (Shakespeare, « Roméo et Juliette», 1594-1597), Potion et sortilège (Baudelaire, « Petits poèmes en prose », 1869..), la Gorgone (D’Annunzio, « Isaotta Guttadauro et autres poèmes ».. la Joconde « macabre »)…la beauté romantique exprime un état d’esprit.. elle se coagule chez Shakespeare et Tasso et persiste jusqu’à Baudelaire et D’Annunzio, par l’élaboration de certaines formes qui vont être reprises à leurs tour par la Beauté onirique des surréalistes et du goût pour le macabre du Kitch moderne et postmoderne. Le « je ne sais quoi » (Rousseau, XVIII-ème), la beauté qui ne peut pas être exprimée en paroles.. chimérique, pittoresque, l’indéfini, le chaotique, le vague. . La Beauté romantique et la Beauté romanesque : un mélange de passion et sentiment.. la beauté de l’amour, une beauté tragique.. la mort peut être belle pour le personnage romantique.. le relativité de la beauté.. Rousseau introduit cette manière vague de s’exprimer dans le contexte d’une ample offensive contre la Beauté prétentieuse de l’esprit classique. Si l’homme moderne n’est pas le fruit d’une évolution, mais d’une dégénérescence de la pureté originaire, alors la bataille contre les progrès de la civilisation doit être menée avec de nouvelles armes, qui n’appartiennent plus à la raison (elle aussi un produit de la dégénérescence), mais avec les armes des sentiments, de la nature, de la spontanéité. Sturm und Drang en Allemagne s’oppose au pouvoir despotique de la raison représenté par les souverains illuminés et à la limitation de l’espace légitime dont une certaine partie de l’intellectualité déjà détachée de l’aristocratie par sa morale et un « sans-culottisme » littéraire (Goethe) qui se nourrit des contraintes extérieures pour vivre intérieurement la révolte. Et cette vie intérieure, parce qu’elle ignore les règles de la raison, est en soi libre et despotique. L’homme romantique vit sa vie comme un roman, traîné par la puissance des sentiments auxquels il ne peut pas résister. D’ici la mélancolie de l’homme romantique. Hegel considère que le romantisme commence avec Shakespeare (Hamlet, le héros pâle et triste). L’aspiration vers l’infini est associée à l’idée de « belle âme », un refuge illusoire dans la dimension de l’intériorité. Novalis, Friedrich Schlegel, Hölderlin (revue « Athenäum ») ne cherchent pas une beauté statique et harmonieuse, mais une dynamique, en cours de transformation, alors disharmonieuse, dans la mesure où (comme Shakespeare et les maniéristes l’ont montré) le beau peut jaillir du Laid, et la forme de l’amorphe, et vice-versa. On réduit la distance entre l’objet et le sujet en vue d’une discussion plus radicale sur limité-infini ; individu-totalité. On remet en discussion les antithèses classiques de la pensée, pour les juger dans un rapport dynamique. La Beauté donne naissance à la Vérité… plus de Vérité, plus de Réalité. . une nouvelle mythologie, qui propose un discours narratif moderne en contenu, avec une même ouverture communicative que celle des antiques.
Théophile Gautier et le « roman d’art »..
« Mademoiselle de Maupin », sa singularité dans le paysage littéraire du XIX-ème siècle
« Mademoiselle de Maupin » a été revendiqué par
les romantiques, il l’est aussi par les néo-classiques, puis par les défenseurs de l’art pour l’art. La critique a montré aussi comment il imprègne un grand nombre d’œuvres du XIX-ème et du XX-ème siècles, du « Portrait de Dorian Gray » aux « Enfants du Paradis », sans que les auteurs aient toujours voulu s’en apercevoir… Cette fortune étonnante témoigne à la fois de sa grande richesse et de son extrême singularité. « Mademoiselle de Maupin » présente une bonne trentaine de références à la peinture et à la sculpture, si l’on compte les noms d’artistes, les titres d’œuvre ou encore les sujets ayant été traités en art – les références pouvant se situer à la frontière entre la littérature et le pictural. Cette fréquence des références à l’art est exceptionnelle. Gautier a eu toute sa vie le goût de l’art, de ses débuts dans l’atelier de Rioult à ses derniers écrits en tant que critique d’art. Quand il se remémore son expérience de peintre, vers la fin de sa vie ; il y voit comme une clef permettant de comprendre le sens de son attachement à la beauté : « le premier modèle de femme ne me parut pas beau, et me désappointa singulièrement, tant l’art ajoute à la nature la plus parfaite. (...) d’après cette impression, j’ai toujours préféré la statue à la femme, et le marbre à la chair ». Les lecteurs de Gautier, arguant de cette fréquentation exceptionnelle de la peinture, ont entretenu l’idée que Gautier avait fait de la « peinture écrite » (les Goncourt) ou qu’il avait réalisé une œuvre toute de surface (Lanson et Zola). Il aurait en quelque sorte toute sa vie payé les conséquences d’une vocation contrariée… Gautier pose, à travers son personnage d’Albert, poète et esthète, la question, souvent débattue en son temps, de la spécificité de chacun des modes artistique, peinture et littérature. Le personnage, qui est l’auteur d’un recueil de vers que personne n’a lu, affirme sans cesse la supériorité de la peinture sur la poésie : « les langues ont été faites par je ne sais quels goujats qui n’avaient jamais regardé avec attention le dos ou le sein d’une femme et l’on n’a pas la moitié des termes les plus indispensables ». Pour l’admirateur d’art qui veut exprimer cet indicible, deux voies seulement s’ouvrent : « partir en Italie, voir les tableaux des grands maîtres, étudier, comparer, dessiner, devenir un peintre enfin » pour se « débarrasser de cette espèce d’obsession » ou convoquer inlassablement les chefs-d’œuvre de l’art. La première voie est suivie par Tiburce dans « La Toison d’or », la seconde est celle que choisit l’esthète d’Albert, pour qui citer équivaut (presque) à créer. « Trois choses me plaisent : l’or, le marbre et la pourpre, éclat, solidité, couleur », reconnaît d’Albert, qui admire dans une belle femme une statue de Cléomène, dans une forêt aux arbres centenaires une de ces « forêts touffues et sombres où se détachent admirablement les croupes satinées et blanches des gros chevaux de Wouvermans » et dans le voile blanc qui, tombé à terre, encercle les pieds de Madeleine, un lévrier couché aux pieds de sa maîtresse… Son « palais imaginaire » est une merveilleuse galerie de tableaux, où les Rubens, les Raphaël, les Véronèse aussi côtoient les plus beaux Titien et les Giorgione. Les références ouvertes laissent toute liberté de représentation au lecteur : si derrière les noms de l’Antiope et d’Endymion, on devine les tableaux de Corrège et de Girodet, il n’est pas aisé de savoir quels modèles sous- tendent les allusions à Sainte Ursule et à Danaé. La première fut représentée par Memling, Cranach et Rubens, la seconde par Carrache, Jules Romain, le Titien et le Corrège! Gautier est plus précis lorsqu’il décrit les costumes des acteurs (pour le spectacle « Comme il vous plaira » qu’ils jouent au château, Madeleine de Maupin – Ganymède et d’Albert – Orlando) qui s’inspirent des dessins de « Della Bella et de Romain de Hooge » ou celui de la femme rêvée, qui rappelle, avec sa « grande fraise à la Médicis », son « chapeau de feutre capricieusement rompu » et se « longues plumes blanches frisées et crespelées », le tableau d’Hélène Forman, mais alors il se trompe étrangement sur le titre du tableau, puisqu’il s’intitule « Helena Systerman ». Le vague de la référence artistique est, paradoxalement, le signe de l’intériorisation de l’œuvre : on ne se rappelle en effet jamais qu’une partie d’un tableau, un motif (un front, un pied), ou une manière (une ligne courbe, une atmosphère moelleuse ou une lumière), jamais une œuvre dans sa totalité. Gautier reproduit donc non pas le tableau mais l’effet qu’il suscite sur son admirateur. Madeleine et d’Albert insistent pareillement sur l’attraction suscitée par l’œuvre d’art : « J’aime passionnément cette végétation imaginaire, ces fleurs et ces plantes qui n’existent pas dans la réalité, ces forêts d’arbres inconnus où errent des licornes, des caprimules et des cerfs couleur de neige » ; « J’aime les larges fleurs et les cassolettes, la transparence des eaux vives et l’éclat miroitant des belles armes, les chevaux de race et ces grands chiens blancs comme on en voit dans les tableaux de Paul Véronèse ». Ce qui s’exprime dans « Mademoiselle de Maupin » est toujours l’idée de la jouissance provoquée par la beauté. Gautier ne sonde pas un savoir lorsqu’il multiplie les références artistiques mais il communique une sorte de goût de la beauté. On lit l’œuvre comme si l’on arpentait le « musée imaginaire » de d’Albert, le tableau tenant lieu de psychologie. Les références finissent par s’ordonner autour de deux grandes axes contradictoires ; i’idéal associe « un caractère de beauté fin et ferme à la fois, élégant et vivaces, poétique et réel ; un motif de Giorgione exécuté par Rubens », « les lignes d’une statue grecque du meilleur temps et le ton d’un Titien ». Soient les traits opposés, de délicatesse et de forces, que résume le figure de l’androgyne. La référence à l’art n’est, on le voit, ni gratuite, ni décorative, mais généreuse. Elle permet de caractériser des personnages habités par l’art, de donner au roman une couleur, une atmosphère et de chanter la beauté.