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Ngô-tiêng-Hiên . La philosophie morale de Frédéric Rauh. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 60,
n°68, 1962. pp. 542-572;
doi : 10.3406/phlou.1962.5172
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1962_num_60_68_5172
de Frédéric Rauh"
Il
II!
La méthodologie morale
W Ibid., pp. 6 et «v., 25 et sv., 132 et «v.. I9î efrtv.; L'expérience morale,
dans' Revue
pp. 1*6; déjà dans Encore quelque» mots sur la paix moral», de
Métaphysique et de Morale, t. 4, 1096, p. 710/
552 Ngô-Tiêng-Uiên
IV
d'« objectivité interne » (80), résidu qui reste après une information
critique et une exploration complète de l'imagination morale à
travers les temps et les civilisations différentes. Autant dire : il
n'y a aucun contenu absolument a priori.
Bref, l'œuvre du « moraliste spéculatif » <81), autre nom du
philosophe de la morale, n'est pas de chercher, comme jadis, des
vérités nécessaires, des principes qui permettraient de fonder la
morale, de l'engendrer tout entière dans ses normes et dans ses
lois ; aujourd'hui, il ne peut qu'extraire de la réalité morale certaines
vérités permanentes, en dégager les directions des idées morales,
confronter et trouver une unité systématique de ces directions. C'est
modeste sans doute. Mais ce doit l'être : ces vérités, ces directions
ne sauraient garantir la justesse du jugement pratique, ni fonder la
certitude de mon devoir. Ce n'est cependant pas inutile à savoir.
Car, dit Rauh, « l'homme est ainsi fait qu'il a besoin... pour être
rassuré sur la valeur et la portée de son action, de se sentir d'accord
avec la nature... de chercher dans les choses le côté par où elles
la justifient et, sans se faire illusion, de se tourner vers une
espérance fondée » <82). De ce point de vue, la philosophie de la morale
se présente comme une « apologétique » (le mot •est de Rauh) de
la vie morale. Rauh parle ici de « réalité morale », de « nature », de
choses » ; il ne s'agit pas de se méprendre, la réalité morale dont il
est question <83), est faite de croyances humaines, sociales, morales,
politiques, etc., qui débordent notre conscience, de telle sorte que
ceux qui ne pensent pas ne font qu'accepter cette réalité qui
s'impose à eux comme un ordre de nature ; or elle n'est que la raison
morale objectivée en chose et devenue une nature ; plus
exactement, ce sont nos affirmations morales du passé devenues une sorte
d'« instinct rationnel », de « sens moral », une habitude devenue
inconsciente.
Il serait sans doute superflu de dire, après cet exposé, que
Rauh reste tributaire des Critiques kantiennes et que, chez lui, la
métaphysique est, depuis la thèse, répudiée définitivement : la
morale ne permet aucunement de récupérer l'unité de l'être.
VI
Morale et métaphysique
Conclusions
une fin », pour poser une Fin dernière, corrélat ultime de notre
vouloir libre, laquelle Fin dernière est notre possession de Dieu,
— Dieu étant notre Bien suprême, Bien existant. Etant donnée et
admise une Fin dernière existante, on est en droit de déduire une
morale absolument normative, compte tenu bien entendu de la
syndérèse, du jugement prudentiel et de la situation concrète, bref
de la voltxntas ut ratio, norme quoad nos de la moralité, notre
conscience morale et son éducation à la lucidité par l'ascèse des
vertus. La régulation de la volonté joue sur deux plans, au niveau
de la conscience morale et au niveau ontologique, dans cette
confrontation de mes œuvres avec une hiérarchie des fins déterminées
par l'existence <Tun Bien ultime, — ce qui expliquerait pourquoi
on avait commencé par démontrer l'existence d'un « telos », suprême
garantie de l'ordre de moralité considéré quoad se.
C'est là une manière de rendre compte du dynamisme de la
volonté, d'expliquer et d'affirmer que la volonté, appetitus rationalis,
ne peut être « pour rien ». A notre avis, la philosophie transcendan-
tale n'en diffère pas fondamentalement, en ce sens et pour autant
qu'elle aussi pose un Absolu, Norme suprême, le Moi-formel, unité
des catégories et par là même au delà des catégories, régulatrice
de tout choix empirique.
Rauh se situe dans la ligne d'une philosophie de la conscience.
Celle-ci est avant tout vocation morale. Chez Rauh, l'inventivité
humaine n'est pas seulement projet des moyens, ni projet des fins
particulières en vue de la Fin dernière, d'un Bien ultime existant
comme « mon » Bien. La volonté entendue comme agir prospectif
est ici réalisation éthique, responsabilité de l'unification de mon
être et de l'unification du monde donnant par là sens et valeur
au monde en tant que celui-ci constitue mon lieu de vie, mon
« espace ».
L'intentionnalité (exercée) de la Fin dernière est ici tout aussi
nécessairement « objective » que dans une philosophie de l'être
ou dans une philosophie transcendantale. Mais, cette « objectivité m
ne relève que du projet normatif de ma liberté, projet décisif dont
elle n'a à rendre compte que devant elle-même : je suis celui qui
dois réaliser la tâche que je vois ; ce « voir » implique, faut-il le
répéter, une confrontation avec l'imagination morale et intellectuelle
de l'horizon qui m'est présent, et une épreuve de dissolution
critique que chacun doit entreprendre pour soi-même.
Au niveau de l'action concrète cependant, dans l'ontologie de
La philosophie morale de Frédéric Rauh 571
à poser ce qui est à poser pour que la moralité humaine ne soit pas
finalement vaine, est bien une nécessité d'option, la conscience
n'étant pas pure transparence à son exercice. On peut dire plus : ce
consentement, ce « parti pris » apparaît comme étant de l'ordre de
« l'obéissance » à cette « objectivité interne », qui n'est finalement
autre qu'une certaine structure affectant intimement notre intériorité
requérante. Si donc l'affirmation de Dieu comme « notre » Fin
dernière n'est pas requise pour fonder l'absoluité quoad nos de
l'obligation morale, dans l'ordre de la moralité cependant, admettre
l'existence de Dieu c'est affirmer que l'unification pratique du monde
comme la réalisation éthique du soi ne sont pas qu'une «
obéissance » à l'autorité de notre seule conscience.
Si cependant Rauh ne veut pas s'appuyer sur cette exigence,
sur cet appel d'exigence de la conscience morale norma sui pour
que la vocation morale de l'homme ait, en fin de compte, une issue
qui soit cohérente, s'il ne veut pas faire fond sur la raison pour que
la raison ait totalement raison, cela tient à sa théorie épistémolo-
gique, qui reste tributaire, comme on sait, des critiques kantiennes
de la raison pure spéculative.
L'inachèvement de sa pensée laisse sans doute ouverte la
question ; mais l'état de sa dernière pensée, exprimée dans cette
philosophie de l'expérience qu'il rédigeait lorsque la mort l'emporta,
n'a pas changé d'orientation : la métaphysique reste pour lui
irrécupérable.
NGÔ-TlÊNG-HlÊN.
Louvain.