L'Homme

D. Maybury-Lewis & U. Almagor, eds., The Attraction of Opposites.

Thought and Society in the Dualistic Mode
Anne-Christine Taylor

Citer ce document / Cite this document :

Taylor Anne-Christine. D. Maybury-Lewis & U. Almagor, eds., The Attraction of Opposites. Thought and Society in the Dualistic
Mode. In: L'Homme, 1993, tome 33 n°126-128. La remontée de l'Amazone. pp. 539-540;

http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1993_num_33_126_369659

Document généré le 29/03/2016

Comptes rendus 539

G. Bogliolo Bruna remémore la fabrication du stéréotype de l'Esquimau « féroce et

défiant » dans l'imaginaire occidental à la Renaissance. À l'opposé domine sur son
piédestal Nanouk l'Esquimau, dont A. -M. Bidaud entreprend la lecture critique en repérant
les techniques d'« archaïsation » de limage de l'Inuk chez Flaherty. Les enjeux autour de
la conservation du patrimoine culturel demeurent cruciaux, comme en Alaska, État où la
société inupiaq tente de conserver son identité à travers la danse (T. Johnston), ou dans
le grand nord canadien, ainsi qu'en témoigne un article sur l'évolution du costume depuis
l'époque du contact (J. Oakes). Dans cette région, l'apparition des baleiniers a entraîné
la rupture des équilibres entre les Inuit et leur milieu et modifié leurs activités traditionnelles
(K. Coates & W. Morrison). Ce fut également le cas lors de la pénétration des trappeurs
négociants (promychlenniki) dans les Aléoutiennes, dont R. Liapounova minimise
l'importance dans le déclin démographique des autochtones. Au cours de la dernière décennie,
la présence russe en Amérique a fait l'objet de très fructueuses recherches. Dans cette veine
s'inscrivent l'enquête de N. Agustín qui relate l'histoire des missions orthodoxes en Alaska,
et celle de A. Chaoukenbaeva qui livre les impressions des premiers navigateurs et
commerçants russes en Alaska, éclairant les prémisses de la recherche ethnographique pré-soviétique,
prélude à la création de collections dont E. Okladnikova retrace l'historique dans un tableau
synoptique.
Destins croisés apporte une heureuse contribution à la Conquista du monde editorial
qui aura marqué l'année 1992, portant dans ses flancs des matériaux rares (songeons aux
témoignages russes, par exemple), évitant les écueils de la simplification et laissant au
lecteur, au terme de son périple, le soin de méditer, entre autre, sur la figure introuvable
de l'Indien générique. On reste cependant déconcerté par la logique de la construction du
livre et la juxtaposition parfois désordonnée des articles, ainsi que par des silences insolites
(correspondant vraisemblablement à des contraintes editoriales) touchant aussi bien les mondes
amazonien et andin que les relations afro-amérindiennes. Cette somme érudite n'en demeure
pas moins le reflet d'une recherche effervescente dans sa diversité, confrontée, à l'aube
du XXIe siècle, aux nouveaux enjeux que lui assignent les Nations indiennes.

Jacques Galinier
CNRS, Université de Paris X—Nanterre

David Maybury-Lewis & Uri ALMAGOR, eds., The Attraction of Opposites. Thought
and Society in the Dualistic Mode. Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1989,
XII + 365 p., index, fig.

La question du dualisme méritait-elle encore qu'on lui consacre un fort volume ? Peut-
être, à condition de prendre en compte, et de discuter sérieusement, les développements
théoriques consacrés à ce sujet depuis vingt ans. Ce n'est pas le cas dans ce livre qui
juxtapose une série de contributions ethnographiques, souvent excellentes, à des chapitres
théoriques décevants et, de surcroît, contradictoires entre eux. Maybury-Lewis défend —
paresseusement — l'idée que les moitiés, le dualisme, le binarisme classificatoire, bref, toutes
les formes d'opposition conceptuelle un peu systématisées (c'est dire qu'on cherchera en
vain une définition neuve et précise des organisations dualistes) sont une élaboration issue
d'une tendance psychologique (innée et universelle, doit-on supposer) à créer de l'équilibre
540 Comptes rendus

à partir de contrastes distinctifs ou de termes conflictuels. Son introduction s'intitule

d'ailleurs « A quest for harmony ». Almagor, en revanche, adopte implicitement une perspective
opposée puisqu'il cherche à limiter l'application du label « dualiste » à des organisations
sociologiques répondant à des critères qu'on veut croire précis, mais qui ne sont
malheureusement jamais clairement définis. Quant à Eisenstadt, il tente en conclusion, à partir d'un
point de vue résolument empiriste, de distinguer ce qui a été confondu (telle organisation
dualiste avec telle autre) et de regrouper ce qui a été séparé (l'organisation dualiste et le
binarisme, qualifié de « connotation of dual organisation »). Pas un mot, dans tout cela,
de l'apport de Dumont et de ses élèves ; aucun des trois auteurs, apparemment, n'est
familier de l'opposition hiérarchique, ou conscient des implications de cette idée pour l'analyse
des organisations dualistes...
Il convient, dans ces circonstances, de souligner l'intérêt de nombre des contributions
modestement « ethnographiques » réunies dans ce volume. S'agissant du domaine
amérindien, outre l'article de Maybury-Lewis sur le dualisme gé-bororo, on trouvera un article
de Seeger sur les différentes formes d'opposition à l'œuvre dans les classifications suyà,
renvoyant chacune d'elles à des domaines traités par la théorie mathématique, et un article
(vertigineux) de Zuidema sur les moitiés à Cuzco. À propos de l'Afrique (exclusivement
orientale), on lira Hinnant sur les organisations dualistes des Oromo Guji d'Ethiopie, Almagor
sur les moitiés générationnelles chez les Dassanetch, Lamphear sur celles des Jie et des Tur-
kana d'Ouganda et du Kenya, enfin P. Spencer sur les Maasai et la théorie des jeux. Le
domaine asiatique est traité par Fox (les types de classification dualiste mobilisés dans la
littérature orale indonésienne et leur rapport avec la hiérarchie politique), V. Valeri
(l'organisation dualiste et la chasse aux têtes dans les Molluques, à mon sens l'article le plus
intéressant de l'ouvrage) et E. Traube (complémentarité et hiérarchie chez les Mambai du Timor
oriental). L'Océanie bénéficie d'un article de Tuzin sur les Arapesh, d'une contribution
décevante de K. Maddock sur l'Australie, à laquelle s'ajoute celle de A. Yengoyan, l'une des
rares à faire appel — utilement — à des données linguistiques. Enfin un essai comparatif,
dû à A. Rosman et P. Rubel, tente d'esquisser une théorie évolutive de l'organisation dualiste
à partir de matériaux mélanésiens et nord-américains (côte nord-ouest).

Anne Christine Taylor

CNRS, EREA, Paris

Jean-Michel SALLMANN. s. dir., avec Serge GRUZINSKI, Antoinette MOLINIÉ FlORAVANTi,

Carmen Salazar, Visions indiennes, visions baroques : lès métissages de l'inconscient. Paris,
PUF, 1992, 224 p., bib., pi. (« Ethnologies »).

Pourquoi, dans un même mouvement, s'intéresser au mariage mystique d'Alfonsina Ris-

poli, jeune fille pauvre du diocèse de Naples, aux incandescences messianiques qui ont embrasé
le Pérou colonial et aux terreurs nocturnes d'un souverain aztèque ? La réponse est apportée,
sur un registre polyphonique, par un spécialiste de l'âge baroque (J.-M. Sallmann), un
historien mexicaniste (S. Gruzinski) et deux anthropologues andinistes (A. Molinie Fioravanti et
C. Salazar). Les lieux : l'espace de cette « plus grande Méditerranée » que constitua l'empire
de Charles Quint. Le projet : cerner, dans ces territoires, « l'imaginaire et ses rapports avec
l'inconscient » tel qu'il se donne à contempler à travers les hallucinations, rêves, apparitions