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N°3 .
EDITIONS DE L'ACADEMIE
DE LA REPUBLIQUE SOCIALISTE DE ROUMANIE

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La correspondance, les manus-nts et 'es pubrcations (I;vres, revues, etc.)
envoyés pour comptes rendJs seront adressés à INSTITUT D'ÉTUDES SUD-EST
ELP,OqENNES, Bucarest sectorul 1 str. ! C. Fri-nu 9 pour la REVUE DES
'., TJDPS SUD EST EUPOPEE MES.

-es a-t cles seront rem s dact loorap és en tre s eyemplaires Les ollabo
teurs scnt or-16s de ne pa depasser les I mites de 25 30 pa-es dactylolra
hiées oour les arti les et de 5 à 8 paces poJr les comotes rendus

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1110-EST

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N°3
EDITIONS DE L'ACADEMIE
DE LA REPUBLIQUE SOCIALISTE DE ROUMANIE

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Comité de rédaction

M. BERZA, membre correspondant de I 'Acadérnie de la


République Socialiste de Roumanie rédacteur en chef;
EM. CONDURACHI, EMIL PETROVICI, A. ROSETTI, membres
de l'Académie de la République Socialiste de Roumanie
H. MIHAESCU, COSTIN MURGESCU, D. M. PIPPIDI, mem-
bres correspondants de l'Acadérnie de la République So-
cialiste de Roumanie ; AL. ELIAN, VALENTIN GEORGESCU,
FR. PALL, MIHAI POP, PAUL STAHL, EUGEN STANESCU;
AL. DUTU secrétaire de rédactton.

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REVUE DES ÉTUDES SUD-EST EUROPÉENNES

Tome VI 1968 NI° 3

SOMMAIRE
Page

Histoire éconornique et politique


FREDDY THIRIET (Strasbourg), Quelques réflexions sur les entreprises véni-
tiennes dans les pays du Sud-Est européen 395
EUGEN STÄNESCU, Byzantmovlachica, I Les Vlaques à la fin du Xe siècle
début du XIe et la restauration de la domination byzantine dans la Pénin-
sule Balkanique 407

Histoire des idées


ALEXANDRU DUTU, « Le Miroir des Princes » dans la culture roumaine 439

Histoire des langues


IIARALAIVIBIE MIHAESCU, Les éléments latins des « Tactica-strategica» de
Maurice-Urbicius et leur écho en néo-grec, I 481
DAMIAN P. BOGDAN, « Letopisetul de la Bistrita », la plus vieille des chroniques
roumaines Sa langue 499

Notes brèves
Sur la date de la lettre de Neacsu de Cimpulung (1521) (Matti Cazacu); Un épi-
sode des guerres de Byzance contre les Slaves et les Avares, au début du vile
siècle (E. Frances) 525

Chronique
FRANCISC PALL, Deuxième Conférence d'faudes Albanologiques (Tirana, les
12-18 janvier 1968) 531

Comptes rendus
AGATHIAE MYRINAEI, Historiarum libri quinque (H. Milläeseu); I. K.
HASIOTI, MaxecpLo4,0e6Scopo; met Ntx-ilcpópog MeXi.cra-ilvof (Matacroupyo()
(16og-17o4 od) [Makarios, Theodoros et Nikiphoros les Mélissènes (Mélis-
sourgues), (XVIe XVIIe s.)] (N. Tana5oca); CONSTANTIN C.
GIURESCU, Istoria Bucurestilor din cele mai vechi timpuri pind In zilele
noastre [Histoire de Bucarest des temps les plus anciens jusqu'à nos
jours] (Paul Cernouodeanu); CHARLES ASTRUC et MARIE-LOUISE
CONCASTY, Catalogue des manuscrits grecs. Troisième partie. Le supplément
grec (Cornelia Papacoslea-Danielopolu) 537
PAULINE JOHNSTONE, The Byzantine tradition in church embroidery (Maria-
Ana Musicescu) 546

Notices bibliographiques 549

REV. ÈTUDES SUD-EST EUROP., VI, 3, p. 391 552, BUCAREST, 1968

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QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LES ENTREPRISES VÉNITIENNES
DANS LES PAYS DU SUD-EST EUROPÉEN

FR. THIRIET

Dans les articles que le grand N. Iorga consaerait, il y a plus


d'un demi-sièele, à la politique vénitienne en Mer Noire, l'un des
mobiles essentiels de cette politique éta,it bien mis en évidence : la
nécessité de maintenir ouverte la navigation vers les Détroits et en Mer
Majeure, moins pour des raisons de prestige que pour des raisons de
ravitaillement en grains. Pour importantes que fussent devenues les
ressources en céréales des territoires romaniotes, de la Crète surtout,
il importait de disposer sans entrave des facilités offertes par les ports
du Bas-Danube, du Dniestr et de Crimée 2 Ce fait posé, qui demeure
incontestable, il est p.écessaire d'examiner la portée précise des inter-
ventions de Venise au-delà des Détroits comme en deçh, en Mer Noire
comme en Mer Egée. Un tableau d'ensemble peut révéler mieux la
place tenue par chaque secteur territorial. Une telle recherche s'inscrit
parfaitement dans les perspectives ouvertes par les travaux de l'As-
sociation Internationale d'Etudes du Sud-Est européen. Elle rejoint
certaines des données offertes par le bel article de P. Simioneseu sur
le Sud-Est européen dans l'historiographie roumaine 3. Il s'agit de
saisir l'unité du monde balkanique et, pour nous, de voir comment
Je reprends ici, sans le modifier au fond mais en le complaant sur certains points,
ressentiel de la conférence que j'at eu le plaisir de prononcer, le 4 aviil 1967, à l'Institut
d'études sud-est européennes de Bucarest. Qu'il me soit permis de remercier encore une fois
tous ceux qui m'ont si amicalement ret:u en Roumanie. En citer quelques-uns reviendrait
en °Libber beaucoup. C'est dire la chaleur de l'accueil et le souvenir qu'il me laisse.
2 N. Iorga, Venetia in Marea Neagra, in An. Ac. Rom., t. XXXVI (1914), pp. 1043
1118. V. notamment rail. sur Dobrolici, pp. 10-13-1070.
3 Paul Simionescu, Le Sud-Est européen dans l'histormgraplue roumame, in« Revue roum.
d'Histoire», 1966/5, Mélanges, pp. 815-861.

REV el-UM SUD-EST EUROP , VI, 3, p 395-405, BUCAREST, 1968

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396 FREDDY THIRIET 2

Venise a tenté de le pénétrer, la, de le dominer, ici de le contrôler.


Travail modeste : nous ne voulons pas reprendre l'histoire des Balkans
au moment oh les forces byzantines déclinantes s'affaissent sous les
coups systématiques des Turcs Ottomans. Ces événements sont connus
pour la plupart, correctement analysés et, si de nouvelles enquétes dans
les archives vénitiemies, génoises, voire espagnoles peuvent apporter
des précisions intéressantes, les travaux de N. Iorga, déja, cités, ou ceux
de G. Bratianu 4 ne sont pas fondamentalement ébranlés.
Plus exactement nous voudrions évoquer moins les aspects de la
politique balkanique de Venise que ses raisons. Certes, on a beaucoup
discuté autour de celles-ci, en partant de points de vue souvent discu-
tables parce qu'extérieurs au point de vue vénitien. C'est ainsi que,
exalta,nt l'unité chrétienne et l'importance du combat pour la foil on
dénonçait l'égoisme vénitien, la plasticité de la diplomatie de la Com-
mime, °sealant des Byzantins aux Turcs ; ou bien, affirmant sans me-
sure le primat des intérêts commerciaux, on louait le réalisme vénitien.
Cette seconde tendance, assez en honneur dans Phistoriographie italienne,
est évidemment plus proche de la vérité. Encore faut-il tenir compte
de la portée exacte des moyens dont disposait la Commune. Au treizième
siècle et encore au siècle suivant, ces moyens sont encore bien réduits.
Petite cité sans arrière-pays, relativement peu peuplée (quelque 50.000
habitants vers 1200, guère plus de 70.000 a, la veille de la Peste Noire),
cependant placée par le succès de la quatriéme croisade A, la téte d'un
vaste empire insulaire aux lignes fort étirées, Venise ne peut que com-
poser, sérier les difficultés et les résoudre les unes après les autres,
courant au plus urgent. Si réalisme il y a, il est donc avant tout dans
une très lucide conscience des moyens, au fond inédiocres. Mais
est aussi dans l'importance que les Vénitiens attaehent aux impéra-
tifs économiques : ceinturés aux abords des lagunes par des puissances
italiennes hostiles, Carrare de Padoue, Scaliger de Vérone, Patriarche
d'Aquilée et petits seigneurs du Frioul, les Vénitiens vivent du trafic
maritime. Truisme, dira-t-on, mais il faut prendre garde que les
nitiens ne recherchent pas seulement le profit sur mer ; d'une façon
plus nécessaire et contraignante, ils y quêtent le pain quotidien, l'huile,
les vins indispensables à leur vie et a, celle de leurs proches. Jusqu'au
début du quinzième siècle, la précarité des ressources continentales, au

4 Avant tout, Recherches sur le commerce Owns en Iller Nozre au XIII .siècle. Paris,
1929. Cet ouvrage, riche d'inléia pour la seconde moitié du treizième siècle, a mis bien en
évidence l'importance frumentaire des pays riverains de la Mer Noire pour les cilés italiennes.
V. aussi la Gronzque des Veneciens, par Martin da Canal, éd. Archivio storico ital , t. VIII,
pp. 231-707, accompagnée de notes, pp 709-766, et d'une traduction italienne ; on lira notam-
ment les pp. 648-651.

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3 SUR LES ENTREPRISES VENITIENNES DANS LE SUD-EST EUROPEEN 397

pouvoir de seigneurs généralement peu amicaux, oblige les Vénitiens


A, transporter d'outre-mer la majeure partie de leur nourriture.
Par suite, le but principal de la politique vénitienne dans les
pays du Sud-Est européen, précisément riches en eéréales, en vins, en
huile, mais en bois et en métaux également, est d'obtenir, puis de con-
server le libre accès A, des territoires si précieux. Au demeurant,
Commune a toujours regardé, au-delà de son « Golfe », vers ces régions.
Cette longue familiarité vient des liens qui ont longtemps attaché les
sujets vénitiens à leur souverain, le basileus de Byzance ; elle s'est
affermie à la faveur des privilèges obtenus dans l'Empire byzantin
des Comnènes. C'est au douzième siècle que Pactivité des marchands
vénitiens en Romanie byzantine s'est épanouie. Et les études récentes
ont montré que l'intérét de ces marchands allait aux produits alimen-
taires : les Voltani, le Stagnario, les Mairani achètent avant tout des
grains, de l'huile, des vins forts et sucrés ; les opérations portant sur
d'autres marchandises, comme le bois, l'alun, le coton ou la soie, sont
beaucoup plus Tares 5. En dépit du ralentissement apporté aux affaires
par le coup de force du basileus Manuel Comnène, en mars 1171, le ré-
seau commercial vénitien en Romanie grecque était si ténu qu'il résista ;
dès 1184, on constate que le mouvement des échanges a dépassé celui
antérieur à la crise. Toutefois, la sécurité ne paralt pas suffisante aux
marchands de Venise. C'est pour la rétablir et en bénéficier pleinement
que les croisés vénitiens participent avec cceur A, la déviation sur Cons-
tantinople, y rétablissent le prince légitime et, constatant que cette
solution reste mauvaise, aident leurs alliés francs à créer l'Empire latin
que, pendant près de soixante ans, ils feront vivre.

La guerre victorieuse de 1203-1204 n'a done d'autre but, pour


les Vénitiens, que de consolider leur emprise sur les march& d'appro-
visionnement du Sud-Est européen. Le traité de partage (la partitio)6
conclu entre les associés, barons francs et nobles vénitiens, devait faire
des premiers les garnissaires chargés de défendre les Détroits et la
Thrace, ainsi que la Macédoine et la Grèce centrale. Dans toutes ces
régions, le réseau commercial vénitien avait été très solide au temps
des basileis grecs ; il le redevient après 120-1. Avantage précieux pour
l'avenir, Venise dispose maintenant de la totale liberté d'accès à la
5 F. Thiriet, La Romanze véntlienne au Mogen Age (XII e XVe siècles), Paris, 1959,
pp. 40-61 ; aussi Silv. Boi sari, Il commerczo veneztano a Greta nel XII secolo, « Riv. stor.
ital.», 1961.
6 V. , en derider lieu, l'arLicle très solide et complet d'Antonio Carde, Partato terrarum
impera Romanic, « Studi veneztani», VII (1965), pp. 125-305 (avec d'excellents index).

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598 FREDDY THIRIET 4

Mer Noire, que les empereurs byzantins avaient toujours refusée. Dans
l'immédiat, la Commune ne s'intéresse guère à cet espace lointain 7.
En revanche, elle prend soin d'occuper toutes les lles grecques, notam-
ment eelles de la Mer Egée, soit directement, soit par ses patriciens
(ainsi Marco Sanudo à Naxos et dans les Cyclades). Dès le mois d'aoilt
1204, elle y adjoint la Crète, après avoir racheté les droits que Boni-
face de Montferrat avait sur la grande ile. Ainsi, très vite, la Commune
a constitué autour du Sud balkanique un vaste étau, dont les mà-
choires enserrent la Grèce continentale, de Durazzo au Bosphore. Peu
importe que des positions doivent être rapidement abandonnées, telle
l'ile de Corfou, telle encore la cité albanaise de Durazzo ; Venise a jeté
son dévolu sur les points et les bases qui Pintéressent. Chassée, elle
reviendra, parfois après deux siècles comme en Albanie.
Ce qu'il faut noter, c'est la détermination des Vénitiens que la
précarité et la modicitél de leurs moyens 'condamnent à Pessentiel. Délais-
sant pratiquement la 1VIer Noire, où leur action sera toujam assez secon-
daire, ils s'accrochent au triangle Constantinople-Crète-Iles Ioniennes ;
par Nègrepont d'Eubée, ils surveillent la Béotie et l'Attique ; par les petites
échelles qu'ils parviennent à conserver sur le rivage du golfe Pagésitique,
plus tard sur celui du golfe Thermaique (Phtéléon et Bodenitza ; Thessa-
lonique et Kavalla), ils peuvent se ravitailler en Thessalie et en Thrace.
Aucune de ces positions fortes n'est sériensement ébranlée avant le milieu
du quinzième siècle. En fait, il s'agit avant tout de bases commerciales,
destinées à faciliter les échanges. Lorsqu'un point parait sauter, Ra-
guse en 1358, Thessalonique en 1383 1387 puis, à jamais, en 1429-1430,
des relais sont organisés en retrait. Ainsi sont aménagés Corfou, avec son
annexe de Butrinto, sur la terre ferme épirote, et toute Pile d'Eubée, dont
la plus grande partie avait d'abord été abandonnée aux Terciers, sei-
gneurs d'origine lombarde. Settlement au cours du troisième tiers du quin-
zième siècle le dispositif est entamé, par la chute de Constantinople, oil
les Ottomans font désormais payer les profits réaliiés par les Vénitiens,
puis par la chute de l'Eubée, en 1470, qui entraine un déclin général du
trafic vénitien en Grèce centrale. Pourtant, il importe de ne pas exagérer
ce déclin. Venise a su rapidement border la péninsule balkanique de ses
bases romaniotes et dalmates, construisant une digue littorale visant
bloquer les Turcs sur le continent. Ce blocus maritime est tout militaire
et territorial ; il est si fermement bâti que les Tures ne l'ernporteront
jamais totalement. Surtout, le blocus n'est jama is économique. A maintes

Romarne 1)&111, op. cll., p. 100 : Soldaia conslAue alors le centre d'échanges le plus
aettf, (roil partent, vers 1260, les frères Polo, necolo, père de Marco, el Matteo, son onele,
pour se rendre en Asie centrale. Mais les Véntliens demeurent peu nombreux en Mer Alajeure.

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5 SUS LES ENTREPRISES VENITIENNES DANS LE SUD-EST EUPOPEEN 399

reprises, nous constatons que les guerres elles-memes ne semblent pas


avoir interrompu toutes les transactions, les limitant tout au plus. En
somme, comme nous allons le voir, la chaine roma niote a favorisé grande-
ment le trafic et les benefices.

En depit des crises, la valeur économique de l'Empire vénitien


n'a cesse de se developper. Au regard de la durée, on peut parfaitement
negliger certaines péripéties que les historiens d'autrefois ont souvent
exagerées. Ainsi en 1261 : cette reconquete de Constantinople par les sol-
dats de Michel VIII Paléologue ne fut ressentie qu'dn raison de l'alliance
gréco-genoise et des possibilites qu'elle paraissait offrir à la Commune
rivale. On sait qu'en sept ans, les principaux privileges vénitiens à Cons-
tantinople et à Thessalonique étaient retrouvés et affermis 9. Les frois-
sements d'amour-propre ne changent rien à cette réalité. IVIeme si le
podestat génois a conserve certaines prerogatives, le baile vénitien ne lui
est pas inferieur en fait, surtout apres 1320. Quant aux problèmes poses
par la question de la citoyenneté vénitienne à attribuer, malgre les do-
leances des agents impériaux, à des Grecs venus des territoires sous juri-
diction vénifienne, ou encore à des métis latino-grecs (les Gasmules), ils
demeurent mineurs. Les conflits qui s'elè-vent à propos de la vente du vin
ou des céreales ne sont pas plus graves. Après 1342, la Commune de
Venise devient la grande protectrice de Byzance 9. Au fond, le plus fort
peril reside dans l'opposition opiniâtre de certaines communautés
niques, en particulier de la resistance crétoise, redoutable au treizieme
siècle, encore dangereuse au XIV' et capable d'unir, en 1363-136, la
plupart des archontes autochtones aux patriciens feudataires 1° Mais ce
West pas le lieu de revenir sur ces faits. L'intérêt est d'exposer les ressour-
ces offertes par l'Empire vénitien, fournisseur de bois, d'alun, de coton,
de sucre, de vins et de ceréales (biale), et qui ménage des voies d'accès
faciles aux marches du Levant et de Romanie. Au sein de l'ensemble,
chaque port exerce une fonction bien déterminée : Chalcis-Negrepont est
un marché regional actif, pour lei créales et les toiles, ainsi que pour les
bestiaux ; Candie a un rôle plus complexe, où le transit est essentiel, mais
c'est aussi un entrepôt oft d'avisés marehands savent emmagasiner les
épices et les matières colorantes, dans l'attente d'une ascension des prix
qu'ils s'ingénient à favoriser 11 Le quartier vénitien de Thessalonique est
8 Les clnysobulles de 1265, jamais ratifié, et de 1268, plus modeste mats qui sauve-
gardalt les mléréts économiques de Venise. V. noire Romanic, vénil., op. cil., pp. 147-150.
9 Itad , p. 167. Nous nous propoons de revenir un jour sui les diffei ends peco-vénitielis
A propos du marché des pains (le 7cpoctp6ptov).
10 R01710111C vénil., pp. 173-175.
Sur les fonctions du port de Candle, F. Thinet, Candle, place murchande dans la pre-
mière moilié du XVe siècle, Kp-rrtxec Xpow.x1, XV (1961 62), t. 11, pp. 339-352.

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400 FREDDY THIRIET 6

avant tout consacré à Pachat des grains macédoniens. Quant à Constan-


tinople, son port demeure un grand centre de transit et un entrepôt
pour les produits de la Mer Noire oil le chanvre, les fourrures, l'alun pon-
tique et les céréales dominent ; il s'y tient également un grand marché
d'esclaves.
Tout ceci est eonnu. Mieux vaut considérer deux moments du trafic
maritime vénitien. Notts choisirons les périodes 1330-1345, done immé-
diatement avant la Peste Noire, et 1400-1410, done la première décennie
du XV' siècle, marquée par le ralentissement de la conquête ottomane
après la défaite cTe Bayezid par Timur (1402). On sait qu'il existe deux
genres de navigation : une navigation assurée par des convois de grandes
galées armées, que la Commune loue à ses patriciens, et une navigation
libre de navires de tous tonnages, dits désarmés (navigia disarmata),
allant et venant à leur guise et selon les hasards du fret. On suit très bien
le premier trafie des convois armés ou madae, puisque les registres du Sénat
donnent les modalités de Parmement et le total atteint par les enchère;
(ineanti); on ne peut qu'appréhender les mouvements de la navigation
libre, en dépouillant les lettres eommerciales et les actes des notaires ;
il est évident que les navires privés, fort nombreux, transportent un ton-
nage beaueoup plus considéra ble 12.

Période 1332-1345.

Si l'on tient compte des données (Mertes par les en.chères des galées
du voyage RomanieMer Noire (galee Romawie et Taw, la Tana) pour
ces quatorze années, dont quatre sans trafie organisé (en 1334, 1335,
1337 et 1341), on a:
en valeur (montant des ivecunti): 57.880 ducats d'or ;
en pourcentage 13 : 58% du trafie.
Le Sud-Est européen eonstitue done encore un centre d'attraetion
pour les armateurs et les transporteurs, qui escomptent trouver là-bas des
occasions de gain. La eonjoncture est favorable : exeellents rapports
avec le basileus Andronic III (1328-1341), relations assez correetes
avec les Tatars de Crimée, absence de tout conflit avec les Génois. Des
places importantes sont précisément eitées par Pegolotti dans son traité14 :
dans la Zagora ou Bulgarie, Asilo ou Anchialos, Vara, Vidin : plus au
12 F. Thiriet, Que/ques abservatIons sur le trafic des gulées vétuttennes d'aprés les chiffres
des incardt, in Shull in onore di Amintore Fanfunt, t. III, Aldan, 1962, pp. 493-522.
13 Ibid., p. 506. Le pourcentage est exaclement de 57,6% cont re 42.400 aux galées de la
muda du Levant (golee Cipri et Armenie, ici l'Arménie eilicienne avec le grand marché de Lajazzo).
14 Francesco B. Pegolotti, Pratteu delta mercutura. écl. A. Evans, Cambridge-Mass., 1936,
p. 42.

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7 SUR LES ENTREPRISES VENITIENNES DANS LE SUD-EST EUROPEEN 401

Nord, le centre actif, souvent cité, de Maocastro ou Maurocastro (Akker-


man ou Cetatea Alba). Tous ces ports sont des points de collecte des grains,
ott viennent charger les navires vénitiens, généralement des navires
privés d'un tonnage modeste. Beaucoup plus important, toutefois, appa-
ran le réseau ég en de.; échanges vénitiens. Il est très complet : à l'Ouest
de la Mer Egée, de la Clank à Nègrepont-Chalcis, par les 6-tapes de
l'Archipel (Mélos, Andros, Carystos dans le sud de l'Eubée) ; puis de N6-
grepont vers Volo et Thessalonique, avec des étapes à Oréos et it Phté-
Mon de Phthiotide. De nombreux a-wires privés circulent en permanence,
y compris les mois d'hiver, à la recherche d'un chargement intéressant.
C'est le vagabondage , le tramp qui consiste a, toucher tous les ports, sur
la foi de nouvelles transmises par les facteurs des hommes d'affaires.
En Thessalie et en Macédoine, il s'agit de trouver des céréales, des che-
vaux, voire un peu de bois du Pélion ; en échange, les Vénitiens apportent
des draps de l'Occident. Le trafic d'ensemble révèle une grande con-
tinuité et une relative sécurité de gains substantiels.
Ce trafic est cependant menacé après 1342 : la guerre de succession
qui éclate à Byzance, peu après la mort d'Andronic III, est un facteur
défavorable. 1VIalgré la générosité de la Commune envers Jean V et sa
mère, le mégaduc Apokaukos ne cesse d'importuner les résidents véni-
tiens à Constantinople ; les réclamations véhémentes présentées par les am-
bassadeurs de Venise a, la cour byzantine se font toujours plus vives 15
Peu après, le khan tatar Djani beg (Zanibech) prend des mesures destinées
à entraver le commerce vénitien en Mer Noire. Bien entendu, les Génois
de Péra accentuent leurs prétentions, torpillent un projet d'union élaboré
entre les deux métropoles contre les empiètements du khan, et en viennent
a, intercepter les convois vénitiens a, la sortie du Bosphore 16. Ainsi les
prix des blés montent beaucoup dans l'Empire romaniote et à Venise
même. Cette ascension des prix établit la preuve de l'importance du trafic
macédonien et pontique, compromis par les agissements d'Apokaukos,
par les troubles thessaloniciens, enfin par les mesures du khan. La crise
est d'autant plus cruelle que Venise se trouve aux prises avec les émirs
d'Aydin et, pendant de longs mois, avec la révolte de l'archonte crétois
Ca psocalivi.
Malgré cette crise, il importe de souligner un trait majeur : le trafic
de redistribution le long du rivage grec, de la Béotie à la Thrace, se main-
tient fort bien. Alors se déploie l'activité de marchands spécialisés comme
Marco Baseio qui, avec ses facteurs, assure un courant continu d'échanges

15 F. Thiriet, Régestes des délibérattons du Sénal de Venzse concernant la Romanic (= Déld).


Sénat), t. I, n03 153, 155, 156, 164.
16 Dél(b. Sénat, I, n°8 115, 159, 162. 165, 167-169 el 180 ; aussl Tafel-Thomas. Dtplo-
matarium veneto-levantInum, I, pp. 320-311.

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402 FREDDY THIRIET 8

entre Chalcis, Volo, Thessalonique et Kavalla, vendant des draps et des


toiles, achetant des céréales. En mitre, la Macedoine est atteinte par la
voie continentale : un certain nombre de marchands vénitiens et ragu-
sains sont signalés à Prizren, à Serrès 17. Signalons, à titre d'exemple,
le rôle de Francesco Spezier, Vénitien habitant Raguse (Dubrovnik) et
que l'on voit très lié avec le consul vénitien de Thessalonique Francesco
Soriano, de 1338 A, 1343. Tous les renseignements pour cette période
révèlent une crise frumentaire sérieuse, qui se prolonge jusqu'en 1346 is.
Vers 1400-1410.
Les premières années du quinzième siècle présentent un tableau dif-
ferent en ce qui concerne le trafic organisé par l'Etat, à peu près analogue,
bien que difficile à chiffrer, en ce qui concerne le trafic des navires prives.
L'aire de protection impériale demeure la côte orientale de l'Hellade, ainsi
que le littoral macédonien et thrace.
Les galées du trafic ont, au cours de ces treize ans (1400-1412),
trouve preneurs à bon prix. Mais l'intéret se porte avant tout vers le Le-
vant et l'Egypte. En effet, le convoi organisé ou muda d'Alexandrie,
comprenant chaque année trois ou quatre galées, l'emporte avec 51%
du trafien. Et il convient de noter que le convoi est armé tous les ans,
sauf en 1103. De mème, la muda de Beyrouth, que doublent pourtant
deux convois de coques destinées à charger les cotons, s'assure 27%
du trafie armé. En revanche, les galées de Romanie n'attirent plus gu , es
encheres sur dix ans, puisque trois années n'ont pas vu d'encheres (1400,
1102 et 1105), le total des incanti n'atteint que 20.590 ducats d'or, soit
22% du trafic armé. C'est dire combien l'espérance de gain a diminué
dans les terres du Sud-Est européen et en Mer Noire 20 La conjoncture
est évidemment très &favorable : l'expansion ottomane se fait forte vers
1400 et Constantinople parait devoir tomber sous les coups de Bayezid ;
en Asie, la puissance offensive de Timur et les raids frequents qu'il opere,
de 1396 à 1402, constituent un grave danger pour les transactions. A cet
egard, la victoire de Timur sur Bayezid à Ankara (juillet 1102) ne
tibia qu'imparfaitement 1 t tranquillité nécessaire au commerce. C'est
seulement en 1106, done après la mort de Timur, que le montant des
incanti pour les deux galées de Romanie approche à nouveau de 3000
ducats.
17 B Kt eliie, Dubrovnik et le Levant au moyen age, Paris, 1961, pp. 68-69.
18 Ce serait, pensons-nous, un bon sujet d'études que l'examen minutieux de cette crise
frumentaire qui frappe l'Europe méditerranéenne vers 1345-1347. Elle contribue à aggiaver
les effels de la Peste Noire.
18 F. Thiriet, Le trape des galées..., op. cit., pp 511-516.
20 Le nombre des galées armées n'a que peu d'importance; les grandes galéasses équi-
pées vers 1100 disposent d'une grande capacité, de 1000 à 1.500 bolle cbacune (800 à 1.1(10
tonneaux environ); un siècle plus töt, la capacité d'une galée du marché ne depassait pas 600
a 700 botte, soit quelque 500 tonneaux à peine. Une bona = 0,754 t.

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9 stru IES ENEREPRISES VRNITIENNES DANS LE SUD-EST EUROPLEN 403

Difficile et, en tout °as, périlleux à travers les Détroits et en Mer


Noire, le trafic reste assez paisible le long du littoral grec et dans le sud
de la Mer Egée. Là, les Vénitiens sont chez eux. Bien plus, ils com-
plètent leur réseau de comptoirs. En 1389-1392, ils organisent la base
nouvelle de Nauplie, débouché du sel de PArgolide. En outre, ils main-
tiennent à Thessalonique leur consul, qui gère les intérêts d'une impor-
tante colonic, tant sous Poccupation turque qu'après la reconquête by-
zantine, à, l'automne de 1402. Les documents établissent Pactivité des
marchands vénitiens en Macédoine ; ils affirment la ténacité des consuls,
la plupart appartenant à la famine gréco-vénitienne des Philomati. Plus
que jamais, les navires privés joignent Chalcis à Thessalonique, empor-
tant des toiles, des serges et des draps qui, livrés aux facteurs du grand
port macédonien, sont redistribués au meilleur prix. En retour, les navires
désarmés vénitiens chargent du blé, de l'orge et des bois. Et ce trafie,
fort régulier, est d'autant plus rémunérateur qu'il s'accompagne d'un ca-
botage tout au long du littoral thessalien.
Dans le sud de la Mer Egée, la pacification à peu près complète de
la Crète accroit de beaucoup les possibilités d'échanges. La grande ile
est mieux cultivée : de nouveaux terroirs sont ensemencés, même dans les
zones élevées des massifs centraux (le Lassithi, Anopoli, une partie des
Monts Blanes). Ainsi se développe la production des céréales et de la
vigne. En méme temps, des cultures plus rémunératrices mais plus exi-
geantes aussi, car il faut des sols riches et une main d'ueuvre nombreuse,
connaissent une extension considérable : la canne à sucre et le cotonnier
surtout 21 Et, si les ressources en bois paraissent diminuer, Pélevage
crétois s'étend, accroissant ainsi les exportations des fromages, si appré-
ciés en Italie. Les ressources traditionnelles de Papiculture, la cire et le
miel, fournissent un appoint à cette économie crétoise, de plus en plus
diversifiée. Des lors, Candie et la Canée disposent d'un fret de retour
important et précieux pour l'alimentation de la métropole. Ces ports s'or-
ganisent alors en grands centres de stockage, avec des magasins et des
entrepôts nouvellement construits. Là s'accumulent les épices, en particu-
lier le poivre et le gingembre, l'alun, les matières colorantes. A titre d'exem-
ple, en 1408, le Sénat fait envoyer à Candie deux galées pour en ramener
810 coni d'épices (environ 400.000 kg). Et ces opérations de ramassage
deviennent plus considérables à partir de 1420. La Crète tend à exercer,
dans les échanges vénitiens, une fonction qu'elle n'avait pas remplie jus-
que-là 22.

21 Je renvoie sur ce point A mon article sur les fonctions du port de Candle, op. cif.,
ICKs. Xpov., pp. 339-342.
22 Notre Romanie véntl., pp. 413-426.

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404 FREDDY THIRIET 10

Les témoignages paraissent à présent suffisants pour saisir l'im-


portance des pays du Sud-Est européen pour les intérêts vénitiens. D'em-
blèe s'est dégagé un fait : les Vénitiens ne sont vraiment actifs que dans les
territoires où ils se sentent maitres du jeu. Si animées qu'aient pu ètre les
transactions avec la Mer Noire, de Maurocastro h Caf fa et de la Tana à
Trébizonde, elles n'ont jamais joué un rôle de premier plan. C'est qu'elles
étaient trop aléatoires. En revanche se dégagent le rôle majeur de
Candie et de Nègrepont-Chalcis, le trafic de cabotage entre ces deux ports
et l'Archipel, la Thessalie, la Macédoine. Ce trafic revêt un caractère
de continuité qu'affectent peu les vicissitudes politiques et les aléas de la
conjoncture. Au quinzième siècle, la prospérité est à son comble. Les
documents abondent pour la mettre en valeur : les livres de comptes
d'Andrea Barbarigo, de Marino Badoer, des frères Cappello, des frères
Bembo, de nombreuses lettres commerciales, en grande partie encore
inédites 23 et, bien sAr, les archives publiques. Répétons-le : cette activité
se déploie sans interruption notable, elle se poursuit sous la domination
ottomane et, semble-t-il, pendant la guerre elle-même 24.
Plus que le trafic d'Egypte peut-ètre, le trafic égéen et circumhella-
dique exercé par les Vénitiens est le plus régulier qui soit. Vers la Syrie et
l'Egypte ne vont guère que des galées en convois armés ou, encore, des
coques également associées et naviguant de conserve. En Romanie, circu-
lent de très nombreux navires privés, errants certes mais dont les patrons
savent parfaitement ce qu'ils trouveront ici ou là. Nous pensons que cette fa-
miliarité et cette confiance à l'égard des lieux, du cadre et des hommes ont,
en dainitive, une importance essentielle. Plus que les autres peuples médi-
terranéens, plus que les Génois ou les Catalans, les Vénitiens aimaient
se sentir chez eux. Alors que les Génois et les marins de la Couronne
d'Aragon étaient, au fond, plus courriers et marchands que créateurs
d'empire, les Vénitiens, plus stables sans doute, entendaient s'installer
et exploiter tranquillement leur bien. La grande expansion océanique du
XVI' siècle allait le manifester plus encore. Les grands navigateurs qui
découvrirent les terres nouvelles furent précisément surtout Génois, ou
Aragonais, ou encore Portugais, très rarement Vénitiens. Même à l'époque
qui nous a retenu, on constate que les Génois s'enfonçaient et agissaient
plus en Mer Noire que les Vénitiens ; l'exception des frères Polo ne fait que
confirmer cet aspect saisis,sant. Assurément, les Vénitiens sont des Médi-

23 Nous songeons aux archives des Soranzo, assez éparpillées entre des fonds divers,
Miscellanea Gregolin, Miscellanea di pezzi non appartenenti ad alcun archivio, dont le reclas-
sement se poursuit lentement aux archives d'Etat de Venise.
24 C'est, selon nous, la plus importante donnée que dégage la lecture des lettres écrites
par les frères Bembo vers 1475-1493. V. notre article, Les lettres cornmerciales des Bembo
et le commerce vénitten dans l'Empire ottoman ti la fin du XVe siécle, in Mélanges offerts
A. Sapori, Milan, 1957, vol. II, pp. 911-933.

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11 SUR LES ENTREPRISES VnNITIENNNES DANS LE SUD-EST EIIROPREN 405

terrane ens et ce sont des marins. Mais ils sont aussi liés h la terre ferme ;
leurs entreprises sont done également continentales : relations avec la
plaine padane, les pays alpins et ceux d'outre-Alpes (Allemagne, Pays-
Bas), entreprises en Vénétie et en Lombardie, dans le Frioul, en Istrie,
en Dalmatie. En Romanie même, les Vénitiens ont voulu occuper, se
fixer : la Crète, les Iles Ioniennes, les côtes d'Albanie et de Dalmatie ont
été annexées et exploitées. Il nous parait fondé de dire que les Véni-
tens agissaient et réagissaient comme des fondateurs d'empires, des co-
loniaux au sens moderne du mot, et non pas settlement comme des mar-
chands.

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BYZANTINOVLACHICA
I : LES VLAQUES À LA FIN DU Xe SIÈCLE DEBUT DU Xle ET LA RESTAURATION
DE LA DOMINATION BYZANTINE DANS LA PENINSULE BALKANIQUE

EUGEN STANESCU

Le plus ancien événement historique à propos duquel il est fait men-


tion des Vlaques de la Péninsule Balkanique est celui relaté par l'histo-
rien byzantin Jean Skylitzès dans la rédaction de George Kédré-
nos , événement qui se situe au début du règne personnel de Basile

IT le Bulgaroctone, touchant les circonstances de l'insurrection connue


dans l'histoire sous le nom de celle des quatre Comitopoules. Jean Skylit-
zès, jugeant nécessaire de préciser le destin de chacun des quatre frères
David, Moïse, Aaron et Samuel tente d'expliquer comment ce der-
nier est devenu le seul maitre du nouvel Etat bulgare, à la suite de la mort
tragique des autres. Au sujet de David, il relate : « Mais de ces quatre
frères, David est mort aussitôt, tué entre Castoria et Prespa et le lieu
nommé les Beaux-Chénes, par des Vlaques voyageurs »1, après quoi
Skylitzès passe aux autres frères, à MoIse, tué alors qu'il assiégeait la
ville byzantine de Serrès, puis à Aaron, exécuté par les Bulgares eux-
mêmes pour avoir tenté de négocier un accord avec les Byzantins.
apparait ainsi dès l'abord que l'événement qui nous intéresse n'est pas
mentionné isolément, mais fait partie d'un contexte essentiel pour la
1 Skylitzès, C.S.II.B., Bonn, 1939, II. p. 433 : ai -:(73v Teacie,cpwv dc3eXcpi3v
6Aptsiv dinq Ceitepto eevaipe,ki.g *soy KocaToptag x Hpianccr; xcci. Tckg Xeyotiivocq licadtg
8p-6q =ape<cov 13Xoczi.3v 68tri3v Ce passage a été cité comme première mention sur la
présence des Vlaques dans la Péninsule Balkanique, pour la première fois, par W. Tomaschek,
dans liber Brumcdia und Rosalza nebst Bemerkungen uber das bessische Volkstum, dans« Sitzungs-
bericbte der Philosophisch-Flistorischen Masse der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften»,
tome 60 (1868), P. 401, fait que soulignent tant R. Roesler, dans Romanzsche Stuchen. Unter-
suchungen zu alteren Geschichte Romciniens, Leipzig, 1871, p. 107, que J Jung, dans Romer and
Romanen in den Donaulandern. Histortsch-ethnograplusche Shzdien, Innsbruck, 1877, p. 211.

REV. ETUDES SUD-EST EUROP., VI, 3, p. 407-438, BUCAREST, 1968

2 e 5767

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408 EUGEN sTANEscu 2

compréhension des événements successifs qui ont abouti a, la formation


de l'Etat de Samuel.
Nons avons tenu à préciser s'agit du plus ancien événement en
rapport avec les Vlaques de la Péninsule Balkanique, et non de la plus
ancienne mention, car l'histoire de Skylitzès a 60 écrite un siècle environ
plus tard et entre temps c'est-à-dire b. partir de la fin du XP siècle
est apparu, dans les sources documentaires ou narratives, d'autres mentions
concernant les Vlaques, antérieures à Pceuvre de Skylitzès et, effective-
ment, les plus anciennes comme telles 2. Mais si l'on veut reconstituer
Pentrée en scène des Vlaques dans l'histoire de 13yzance et les circonstances
de leur développement, on doit adopter comme jalons chronologiques non
pas les dates des mentions, mais celles des événements auxquels ces men-
tions se réfèrent, indifféremment de l'ordre chronologique des sources. Ainsi
done, le problème qui se pose au sujet de Phistoire des Vlaques de la Pé-
ninsule Balkanique est de savoir si sur la base des sources les débuts
de cette histoire peuvent ou non être assignés à la fin du Xe siécle, s'ils
peuvent ou non être mis en rapport avec la guerre byzantino-bulgare
qui, au bout d'un demi-siècle (968-1018), prendra fin par la restauration
de la domination byzantine dans la Péninsule tout entière et le rétablisse-
ment de la frontière du Danube.

En ce qui concerne les données que nous venous de mentionner,


il convient en premier lieu de rapporter le passage de Skylitzès a, la réalité
historique. Qu'y a-t-il de vrai dans la relation de cet événement ? S'agit-
il d'un simple épisode dans la succession d'événements qui ont constitué
la guerre byzantino-bulgare de la fin du X siècle et du début du XP
siècle, ou, au contraire, projette-t-il une lumière plus intense sur ce cha-
pitre si intéressant de l'histoire des Balkans ? Une telle analyse est d'au -
tant plus nécessaire que la concerdance entre l'épisode qui nous intéresse
et la réalité historique peut être mise en doute, vu la contradiction qui
existe entre la tradition écrite byzantine, contemporaine des événements
que nous venous de rapporter, et celle bulgare, qui leur est postérieure
2 Cf , dans ce sens, Dimitrie Onciul, Tradifia istoncü in clieshunea origirulor romcine [La
tradition historique dans la question des originis roumaines], dans Opere complete, I. Ortgtmle
Principatelor Romeine [CEuvres completes, I. Les origines des Principautés Roumaines]. Buca-
rest, 1946, P. 326, qui montre clairernent que le clnysonulle de 1020 de l'empereur Basile II
pour l'archeveché d'Ochrida, d'après lequel, parmi les ressorlissants de cet aichevéehe se trou-
vaient aussi « les Vlaques de toute la Bulgarie», en est la première mention historique. En
échange, G. Bratianu adopte comme critère pour l'étahlissement de l'ordre chronologique des
mentions l'ancienneté de l'événement relaté ; aussi le ehrysobulle de Basile II ne représenle-t-il
pour lui que la quatrième mention des Vlaques dans la Péninsule Balkanique, volt. Tradaut
istorica' despre Intemeterea statelor romanesti [La tradition historique au sujet de la fondation
des Elals roumains], Bucarest, 1945, p. 56. Certaines considérations au sujet du méme problè-
me, aussi chez Eugen St6nescu, Les Mixobarbares du Bas-Danube dans les textes byzanlms du
XI siècle, dans « Nouvelles Etudes d'Histoire», III, Bucarest, 1965, p. 49

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3 LES VLAQUES À LA FIN DU Xe SIECLE DEBUT DU xte 409

selon cette dernière, non seulement David, la soi-disant victime des


Vlaques, n'aurait pas été tué par ceux-ci, mais, après un règne de quelques
années, il aurait abdiqué et, poussé par sa piété, se serait retiré dans un
eouvent 3.
A cause de cette contradiction, les historiens plus anciens ont eu
tendance au début à ne pas prendre en considération ce passage de Jean
Skylitzès ou à ne lui accorder que peu de crédit, le plaant sous le signe
du doute et lui déniant toute valeur probatoire quant aux débuts de l'his-
toire des Vlaques dans la Péninsule Ballmnique 4. Une attitude aussi sé-
vèrement critique et qui risquait de paralyser toute tentative de faire pro-
gTesser l'étude du problème n'était guère justifiée à l'égard de Skylitzès
(même dans la rédaction de Kédrénos), cet auteur étant connu pour
l'exactitucle des détails qu'ilrapporte ; du reste, pour les événements de la
fin du Xe siècle et du début du XI' siècle, il se fondait sur Pouvrage con-
temporain consacré au règne de Basile II par l'évé'que Théodore de Sé-
basteia, auteur en mesure d'avoir une connaissance sérieuse des faits 5.
Le passage de Skylitzès doit, par conséquent, étre pris en considération
et, en premier lieu, nous tâcherons d'analyser les éléments du passage sus-
ceptibles de déterminer le temps, le lieu et les circonstances ott se situe
l'épisode vlaco-bulgare du meurtre de David.
Determination du temps. Ce problème soulève des difficultés par le
fait que la narration de Skylitzès ne respecte pas toujours l'ordre chrono-
logique des événements. Le passage qui nous intéresse doit done are
examiné à la lumière du contexte général des événements parmi lesquels
il figure, et cela d'autant plus que ce n'est peut-être pas sans raison que
Skylitzès le mentionne à cette place. On peut, dans ce problème, distin-
guer trois corps de données. Le premier révèle que « lors de »elp.a la mort
3 Une opinion représentative poui celte traffition est celle de Patsie Hilandarski lequel,
au XVIIIe siecle, dans son Ilisloire, a mlerprélé des informations putsées dans des sources plus
anciennes « Ho a apeste HopqmporenuTa Haim mama= ca 6onrapH OT
rper.w. II ITOCTaIBIJIII Ha itpcma gimna, CI:411a KomucTononosa. Ho AT:mg Mano Hew°
npe6Hom Ha ITCTBO OCTaBILTIT, npecToal li ripmiani HHogecHH ratio CEOIOIBJ11
firy yromio Ii CTO ;Hume. Ho npecTaHneHne ero IIMBHJI1 MOILUI HeTaem4», Sofia. 1961,
p. 84. Pour la tradition écrite bulgare sur ce problème, voir Mathias Gydni, Skylilzés el les
Vlaques, dans « Revue d'Hisloire Comparée», XXV (1947), Nouvelle Série, VI, n° 2, pp.
163-164.
4 Un auteur caractéristique pour cette position est G. Munn], qui dans Cind i unde
se iuesc romeinii oard in mime [Quand et où l'on rencontre pour la première fois les Rou-
mains dans l'histoire], dans « Convorbiri Literare», XXXIX (1905), pp. 101-102, dit au sujet
de ce passage : « Il ne petit absolument pas servir de point de départ pour l'histoire des Bon-
n-mills ; non seulement 11 ne s'appuie sur rien lustoriquernent, mais il est hésitant et peu clair
sous le rapport chronologique, topogt aphique et ethnogiaphique.» A cet égard, G. Mu rnu a
été en bonne mesure influencé par Gustave Schlumberger, L'épopée byzantine à la fin da Xe
szécle, I, Paris, 1896, pp. 605-606, qui a cherché à mettre en valeur la tradition histori-
que bulgare.
5 B. Prokie", Die Zusatze in der Ilandschrift des Johannes Skylitzes codex Vindobonensis
hist. gr. LXXIV, Diss. Mtinchen, 1906, pp. 23-24; G. Moravcsik, Byzantinoturceca, I, Berlin,
1958, p. 336.

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410 EIIGEN sT,INEsen 4

de l'empereur Jean Tzimiscès, les quatre Comitopoules c'est-à-dire les


fils du comte Nikola6prirent possession des régions bulgares qui avaient
été occupées par les Byzantins 7. Cette prise de possession a-t-elle eu
lieu pour toutes les régions bulgares ou seulement pour celles de l'Est
Certains historiens considèrent, en effet, qu'en 971 la domination byzan-
tine consécutive à la victoire de l'empereur Jean Tzimiscès ne se serait
pas étendue à la Bulgarie occidentale et à la Macédoine, où il se serait
formé un Etat bulgare indépendant, point de départ du futur empire de
Samuel. Ce point est encore controversé 8 d'ailleurs il ne coneerne notre
propre problème que tangentiellement et à un seul point de vue, sur lequel
nous reviendrons. Ce qui demeure valable, c'est que ce premier corps de
données peut étre daté de faon précise, puisqu'il se rattache à la mort
de Tzimiscès, laquelle a eu lieu en 976.
Le second corps de données se réfère à la fuite de Constantinople
des deux tzars légitimes Boris et Roman, fils de Pierre et petits-fils de Si-
méon, faits prisonniers et déposés par Jean Tzimiscès au cours d'une cé-
rémonie conçue comme une mise en scène pour marquer la fin de jure de
l'Empire bulgare. Les deux fugitifs essayèrent d'enrayer l'influence crois-
sante des Comitopoules, mais en vain : Boris fut tué par un Bulgare qui
le prit pour un Byzantin à cause de son habillement, cependant que Roman
dut finalement renoncer à toute action et retourner d'où il était venu 9.
Ce second corps de données ne peut étre daté de manière précise, les
dates proposées variant entre les années 976 et 980 10.
Le troisième corps de données se référant au sort des quatre Comi-
top oules et, en premier lieu, à l'épisode concernant David, l'ainé des frères,

6 C'est un fait bien élabli aujoui d'hui que le pere des Comitopoules fut Nikola, et non
pas Chichman, cornme le croyaient les historiens plus aneiens ; voir la discussion chez W. Zla-
tarski, IIcToptin Ha 6.LitrapcnaTa Thr,ipHana npe3 epeginne Hemme, Sofia, 1927 II, p. 637.
7 Skylitzes, II, pp. 434-435.
g Le point de vue principal de la théorie selon laquelle Jean Tzirniscès a conquis toute
la Bulgarie et done il n'y a eu formation d'un Etat bulgaro-macédonien ni en 969, après la
mort du tzar Pierre, ni en 971, après la victoire sur le Danube du basileus byzantin, a été
exposé par D. N. Anaslasijevie, L'hypothèse de la Bulgane Occidentale, dans Beetled Théodore
Ouspenskt, Paris, 1930, pp. 20-26 Ce point de vue a été soutenu de nouveau derrièrement
dans Istorija Norodov Jugoslamjia [Histoire des peuples de Yougoslavie], Belgiade, 1960, t. II,
p. 276. Le point de vue piincipal de la conception selon laquelle un Etat bulgaie occidental
aui ait commencé à se former en 969 dans la région macédomenne, processus gut n'aurait pas
éle influencé par la victohe de 971, a été exposé par W. Zlatarski, op. mi., pp. 640-644.
Cette thèse a été reprise récemment par D. Angelov, dans nonopua na Buaanmun, Sofia, 1963,
pp. 88-89 G. Ostrogorski, dans Gescluchte des byzantiruschen Retches, 3e éd., Munchen, 1963,
pp. 250-251, note 2, formule une opinion modérée, à savoir qu'entre 971 et 976 11 aurait
existé dans la région macédonienne une domination nominate des Byzantins, rums non appuyée
par une occupation militaire. Dernièrement, J. Feiluga, dans Le soulèvement des Comilopoules,
« Zbornik Radova VizantoliAkog Instituta», Belgrade, IX (1966), pp. 75 84. soutient qu'il
n'a existé qu'une seule révolte des Comitopoules, celle de 976.
9 Skylitzés, II, p. 435
10 Voir la discussion sur cette datation chez W. Zlatarski, op. cll., II, p. 639 et chez
D. Angelov, op. cit., II, p. 90.

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5 LES VLAQUES A LA FLN D17 Xe SIECLE Di'muT DU xie 411

adopte dans sa partie initiale l'expression « aussitôt » sú.9-6q (sous-entendu


« après cela »). Mais aussitôt après quoi ? Après la prise du pouvoir par les
Comitopoules en 976 cas ott le début du troisième corps de données
se rattacherait :1 la fin du premier , ou aussitôt après la fuite en Bulgarie
de Boris et de Roman cas où le début du troisième corps se rattache-
rait à la fin du second ? Etant donné que le second corps de données
semble avoir été intercale clans le récit et qu'il rompt la rigueur de Pen-
chainement chronologique fait qui n'a lien d'étonnant de la part de
Skylitzès, dont les informations sont assez sAres mais ne respectent pas
toujours la succession dans le temps , étant donne aussi que dans un
manuscrit de la chronique de Skylitzès (Vindob. hist. 74 (S. XIIXIV),
ff 1r 106v), on trouve, ajoutée à l'expression « aussitôt », l'expression
« aussitôt après la révolte »0-il,"c;T:iq arcocrrasiotql-Cia, le rapport chronologique
de succession entre l'épisode du meurtre de David et la prise du pouvoir
par les Comitopoules parait évident, ce qui explique l'accord général des
historiens pour la date de 976 11 Il subsiste pourtant un léger doute,
dont certains historiens plus anciens se font l'écho 12 et qui nous oblige,
avec toute la réserve qui s'impose, h, nous demander si l'épisode du meur-
tre de David ne doit pas ètre place après la fuite des deux fils du tzar Pierre,
soit que le dernier corps de données se rattache au second, soit m'ème
qu'il fasse suite au premier, mais après un certain (Mai et non pas « aussi-
tôt » après la prise du pouvoir par les Comitopoules. Suivant cette inter-
prétation, la contradiction entre les traditions écrites byzantine et bul-
gare s'atténue ; les dates, qui selon l'une se rattachent A, la mort de David
et selon l'autre à son abdication, se rapprocheraient, la seule différence
essentielle entre les deux traditions étant la manière dont David a fini sa
vie : tué ou retire dans un convent ? 13
Détermination du lieu. Dès les premières discussions sur ce problème,
l'auteur qui a signalé pour la première fois l'importance de la mention a
proposé deux hypothèses quant A, la localisation del'épisode quinous inté-
resse : la localité de Biklista, située entre Kastoria et Prespa, dans un (16E16
montagneux, ou peut-ètre le villa,ge de Vlachokleisura, non loin de Kas-
toria 14. Ceux qui se sont occupés du probleme sitôt après la découverte de

135 B. Prokiì.i, op. cit., p. 28. Sur l'importance de cette vaiiante, voir M. Gyelni, op.
cit., p. 164.
11 Voici quelques exemples de cet accoid des historiens : R Roesler, op. cit., p. 107;
C. Jirecek, Geschichte der Bulgaren, Prague, 1876, p. 217; P. Hunfalvy, Die Rumanen und
zhre Anspruclze, Wien, 1883, P. 261 ; A. D. Xenopol, Une énigme historzgue. Les Roumains
au Mogen Age, Paris, 1885, p. 40; P. Mulafciev, Bulgares et Roumains dans l'histoire des pays
danubiens, Sofia, 1932, p. 79; M. Gy6ni, op. cit., p. 166; Tb. Capidan, Alacedoromdmz [Les
Macédo-Roumains], Bucarest, 1942, p. 152.
12 G. Schlumberger, op. cit., t. I, pp. 599-606.
13 Paisie Hilandarski, éd. cit., p. 84.
14 V. Tomaschek, op. cit., p. 401.

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412 E1TGEN STkNESCU 6

la mention, lors des premières discussions à son sujet, ont opté en gé-
néral pour la première hypothèse, celle de la localisation de l'épisode
Biklista, Vlaehokleisoura leur paraissant trop en dehors du chemin reliant
Kastoria à Prespa 15. Cette localisation parait étre la bonne, surtout à la
lumière de la correction du texte opérée par le manuserit mentionné plus
haut, qui relève que l'expression xcd Tex; Ayovç Koadcq Api% est dépour-
vue de sens et que, au lieu de xh , il aurait y avoir E -recc;, ce qui
confèrerait à toute la localisation un sens plus elair et plus pr6eis, la
phrase devenant : « EEq Tag XE-roplvc/4 Koc?aq Apt-4 entre Kastoria et Prespa,
aux Beaux-Chénes » 16. La localisation proposée se justifie aussi par sa
proximité de la grande voie commereiale du temps, plus ou moins la même
que la Mare Via Egnatia de PAntiquité 17.
Cette localisation est également confirmée par le fait qu'elle est com-
prise dans la région gouvernée direetement par David, dans le cadre d'une
espèce de confédération des quare Comitopoules, laquelle a existé jus-
qu'au moment oil Samuel, l'unique survivant, fut devenu seulmaitre des ré-
gions gouvernées auparavant par les quatre frères. Le territoire gouverné
par David eomprenait, semble-t-il, le sud-est de la Macédoine, entre les
cours inférieurs de la Bistrita et du Vardar, s'étendant jusqu'au voisinage
de la zone de Salonique et ayant comme centre principal Bodena ou Mo-
glena . En tant que Painé des quatre frères, c'est certainement dans le
territoire de David que se trouvait le siège de Parchevéque-patriarehe bul-
g Ire 18. A propos de l'étendue de ce territoire, il faut revenir paree qu'il
s'y rapporte directement, ainsi que nous l'avons déjà noté sur le pro-
blème de la date à laquelle a eu lieu la révolte ou les révoltes des Comi-
topoules. En effet, si une révolte couronnée de succès avait eu lieu en 969,
suivie de la constitution de l'Etat eonfédéral des quatre frères, l'épisode
de 976 serait pen vraisemblable, car après 7 à 8 ans l'autorité de David
aurait dl "ètre assez bien assise et les routes assez sé,res pour qu'il ne
gnat pas de tomber dans une embuscade, d'autant plus qu'il ne eireulait
certainement pas sans une puissante eseorte. C'est pourquoi il est plus
probable que la révolte victorieuse, suivie de la constitution de l'Etat eon-
féde,ral des quatre Comitopoules, n'a eu lieu qu'en 976; dans ce sens,
l'épisode décrit par Ioan Skylitzès peut étre assigné A, la période initiale de
la formation de eet Etat, lorsque la situation haft encore confuse et les
15 J. L. Pili, Ober die Abstanunung der Rumimen, Leipzig. 1880, p. 55; Hunfalvy, op.
cit.. p. 61.
16 Proki6, op cit., p. 28; M. Gytini ; op. cit., pp. 165-166. Voir également N. Iorga,
Istoria Rominilor din Peninsula Balcanied [Histoire des Rournams de la Péninsule Balkanique],
Bucarest, 1919, pp. 13-14 et id., Histoire des Roumains et de la Romanité Orientate, III, Buca-
rest, 1937, p. 70, qui explique ingénieusement cette toponymie par le système défensif carac-
téris lique des Roumains consistant à élever des fortifications par l'entassement de troncs de chêne.
17 M. Gyhni, op. cit., p. 168.
16 W. Zlatarski, op. cit , p. 640.

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7 LES' VLAQUES A. LA FIN DU Xe SIECLE uf:Bur Du Xle 413

forces en présence n'étaient pas encore fixées de fa e,on certaine et capables


de ce que nous pourrions nommer une option définitive.
Le fait que la m'ème source mentionne un nom de lieu authentique-
ment vlaque la localité litlAccMyyoq, qui représente la transcription en
grec du terme vla que « Campulung » ou « Campolong » et à proximité de
laquelle Basile II remporta le 24 juillet 1014 la -victoire décisive sur Par-
mée de Samuel 19 ne permet pas, de eonsidérer comme fortuite la mention
de Skylitzès concernant les Vlaques. En définitive, indifféremment de la
localisation précise de l'épisode les recherches principales à cet égard
semblent s'être fixées sur le défilé proche de la localité de Klidi (dans le
mémepassage de Skylitzès il est question aussi d'un EXELKov,près de la rive
occidentale du cours inférieur de la Strouma 20) le terme toponymique
employ(' atteste l'existence d'établissements stables d'une population qui
n'était là ni depuis peu de temps, ni par hasard 21.
Determiwation des cireonstavees. Ce problème est, lui aussi, assez
confus, du fait de l'épithète óaLT..(7),) choisi pour qualifier les Vlaques qui
ont tué David. Or, selon toutes les probabilités, dans le langage des tex-
tes byzantins ce terme parait ètre un 6'c.rca. Xerp.6vov 22
Que peuvent done ètre ces Wroct et pourquoi l'écrivain byzantin
a-t-il cru de-voir recourir à ce terme complètement inusité pour désigner
les Vlaques de l'épisode de 976 On est frappé, à cet égard, par la variété
des interprétations proposées pour la traduction de cet épithète : « va-
gabonds » 23, « malfaiteurs » ou « individus isolés i> « yadrouilleurs » 25,
« voyageurs » 26, « nomades » 27 », « pâtres nomades » 28, « passants » 29,
« réfugiés »3°. Un tel flottement n'était pas fait pour élucider le sens
véritable du terme. Aussi, la solution la plus logique, parce que
1° Sky1it.2.,ès, II, p. 457: ov ea; gDoq [3acracT. 8Lec roS XEyot.avou lif.p.[3oc
Myyou xcci. Toi5 IOel.8Gou noLETTacet Tag 8t.e),E6cret.q...V. Tomaschek, op. cit., p. 401; R.
Roesler, op. cit., p. 108; J. L. Pié, op. cit., p. 59; M. Gyóni, op. cit., pp. 170-171.
20 M. Gyóni, op. cit., pp. 172-173.
21 M. Gycini, op. cit., p. 174.
22 Ce terme ne figure pas dans les dictionnaires de Du Cange et de Sophoclés. On le
trouve, en échange, dans les dictionnaires de grec classique, avec les traductions suivantes
M. A. Badly, p. 1351, e qui voyage, voyageur o; H. G. Liddel, R. Scott, H. St. Jones, p.
1198, wayfarer, traveller o. Le Mire AcE,mbv T":1)q `Maevc.xilq DAGalg, t. II, Athènes,
136), s. v. 681,ms ne donne pas des précisions sur le sens des textes byzantins.
33 R. Roesler, op. cit., p. 107.
24 J. L. Pié, op. cit., pp. 54-55.
25 P. Hunfalvy, op. cit., p. 266.
28 B. P. Hasdeu, Etgmologicum Magnum Romaniae, Introduction, p XXXI.
27 A. D. Xenopol, Une énigme historigue. Les Roumains au Mogen Age, Paris, 1885, p. 40.
28 G. Murnu, Istoria Romanilor din Pind. Vlahia Mare 980-12,19 [Histoire des Rou-
mains du Pinde. La Grande Vlachie 980-1259], Bucarest, 1913, p. 13.
29 D. Russo, Elenismul tn Romdnia [L'hellénisme en Roumanie], dans « Simla istorice
greco-romdne e, II, Bucarest, 1939, p. 500.
3° I. I. Nistor, Originca Ronidnilor din Balcani si Vlahiile din Tesalia 5i Epir [L'origine
des Roumains des Balkans et les Vlachies de Thessalie et d'Epire], dans « Analele Academiei
Roma'ne, Memoriile Sectlei Istorice o, série, XXVI (1943-1944), p. 176.

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414 EUGEN STXNESCU 8

fondée sur la connaissance du contexte historique dans le temps et dans


l'espace, est celle considérant les Vlaques atToct comme des conduc-
teurs de caravanes commerciales, spécialisés dans le transport à des dis-
tances moyennes, ou même plus longues, soit de leurs propres produits,
soit de ceux d'autres personnes, exenant par conséquent une fonction éco-
nomique d'échange à la fois complémentaire et indépendante de la fonction
de production31.
Aussi peut-on considérer comme juste le rapprochement qui a été
fait entre les Vlaques 6F.T.w. de Jean Skylitzès et les Vlaques « kjéla-
tors » des documents serbes médiévaux 32. A cet égard, nous citerons comme
particulièrement significatif le chrysobulle accordé par le roi de Serbie,
Etienne Milioutine, en 1318, au monastère de Banska, où il est dit
« Quant à la loi des Vlaques, elle est celle-ci : ils n'ont pas à payer la grande
dime, mais la petite ; qu'ils donnent, chaque année, une brebis avec son
petit et une brebis stérile pour cinquante brebis et si, par leur faute, ils
perdent quelque jument de PEglise, qu'ils se cotisent, cinq d'entre eux,
pour restituer la jument dans le couraht de la première année, et rien
de plus ; et que chacun donne A, l'Eglise, par an, deux peaux de mouton
et que ceux qui ont des villages fauchent l'herbe trois journées sur les
Kiérisé ou dans un autre lieu voisin ; et qu'ils apportent chacun, chaque
année, un cheval de blé et un cheval de vin, et qu'ils transportent du sel
pour l'Eglise, d'où l'hégoumène le leur ordonnerait, dix chevaux de sel
par chaque quarantaine de cases ; et que celui qui est militaire et n'a pas
travailler la laine de l'Eglise, donne de sa part des vêtements ; et que le
militaire, de mème que le kjélator, apporte du froma ge de la montagne ;
et que le kjélator paisse (le troupeau) et tonde la laine, et le militaire ait
soin des pâtres ; et, en cas de mauvais temps, le militaire, ainsi que le
kjeator, s'en aille avec le troupeau ; le vol entre eux est puni de six
bceufs, et le vol de chevaux, six fois plus. »32 La lecture de ce texte révèle
Après K. Jirecek, Die Wlachen und Maurowlachen in den Denkmalern von Ragusa (Sit-
zungsberichte K. Bohm. Ges. der Wissenschaften Hist.-Phil. Klasse, Prague 1879), c'est Stojan
Nowakowitch qui a parlé largement de ces Vlaques transporteurs, o, et qui formaient
méme des associations de o Kiridzii *, Ceno, Belgrade, 1965, P. 50 sq. (nouvelle édition d'après
celle de 1891). Von. aussi N. larga, Notes d'un historien relatives aux événements des Balkans,
dans o Etudes Byzantines s, I, Bucarest, 1939, p. 24; id , Istoria Romdnilor din Peninsula
Balcanied, p. 13 ; id., Histoire des Roumains..., III, p. 8. Récemment le méme point de vue
a été adopté par H. Miluiescu dans Influenfa greceascd asupra limbit romdrie pirui in secolul
al XV-lea [L'influence grecque sur le roumain jusqu'au XV e siécleb Bucarest, 1966, p. 164.
32 V. Bogrea, Sur les Vlagues oóal-Tar. » de Cédrénus, dans It Bulletin de l'Institut pour
l'étude de l'Europe sud-orientale s, VIIe année, nos 7-9, juillet-septembre 1929, pp. 51-52.
32a La tracluction en langue francaise de ce document appartient à V. Bogrea, op.cit.,
PP. 51-52, d'aprés le document de 1318 donné par Etienne Uroch II Milioutine au monastére
St.-Etienne de Banska, publié par loan Bogdan dans les o Convorbiri literare », 2/XIV (1890),
p. 490, le texte original du passage qui nous intéresse étant le suivant : A ce 3anoirs
Tta 14M% nu ecerna BeJnim era, HT, manbiti. ;la gaio HO Beano JUSTO OT. H. OBIlOy
ca frnue'rems, a gpoyroy nraosoy. n alto no rpnxy narrnioy oy gpsune a netsit-e ITH a. n
u-ia gaso gpE.HHH Ha ron e Beam, naoHnx no. H. FIrnHeTHHH H HTO cena Hmalo na Hoce

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9 LES VLAQUES A LA FIN DU tie SIECLE nÉsu'r DU xte 415

l'existence en Serbie, au Moyen Age, de deux catégories de Vlaques


ceux qui exerçaient une fonction plutôt militaire et ceux exerçant une
fonction plutôt économique (les « kjélators »). Ces derniers n'étaient pas
seulement pâtres et éle-veurs de bétail, mais aussi agriculteurs et viticul-
teurs, ainsi qu'il ressort des premières lig;nes du texte ci-dessus, et en outre,
ainsi qu'ilressort tout aussi clairement du texte, transporteurs de produits33.
Il n'est pas exclu que le terme désignant les deux catégories de Vla-
ques aient eu aussi le sens de pay.ian.i libres pour les « militaires » et de pay-
sans dépendants, de serfs, pour les « kjélators »34, care il ressort clairement
du texte que les « militaires » avaient eux aussi des occupations économiques.
Il résulte de là que, très probablement, les Vlaques 6-. de Skylitzès
n'étaient autres que les Vlaques « kjélators » de plus tard, caractérisés par la
même situation économique complexe et non pas de simples transporteurs,
ainsi que certains l'ont soutenu récemment 35.Ii ne faut, par conséquent,
pas déduire de cette caractérisation que les Vlaques de Skylitzès étaient
forcément venus d'ailleurs, qu'ils étaient, par exemple, des « kj.élators »
du nord de la Péninsule de passage par hasard, en 976, aux lieux oil David
a trouvé la mort 36.
Une telle opinion est d'autant plus difficile à admettre que le terme
grec Wrriq n' est, visiblement, qu'un calque du terme vlaque et roumain
cdrátor », la racine des deux termes étant 6a 6g = cale, ce qui prouve leur
similitude absolue, ainsi qu'on l'a souligné catégoriquement 37 La chan-
cellerie s(rbe a préféré utiliser un ternie autochtone plutôt que de le tra-
duire en serbe, contrairement à la manière de procéder des Byzantins, qui
ont traduit en grec le terme autochtone les uns et les autres désignant
de la sorte la mkne sociale et économique.

Les observations formulées ci-dessus au sujet de la détermination


du temps, du lieu et des circonstances de l'épisode relaté par Jean Sky-
mina. gsnn Ha nun epeeripxs lijut IIIITOT Ha 6mmoy. H agonoce oy ropa H Tosaps
Ham a ppyrun mina. 14 pa gonoce COJIII lIp'131{0BHO OT Hop; IIMH n.noymens pene. M. Han-
THInb. H. Tromps. H ETO n-eur B0141111H1 II He time TetitaTn Hamm upsnonnepa pan-e OT
ce6e onpoto. ii Hontunts 14 tat-enaTops ga Hoce chipHeint-e C namunie. H im camps pa
nace n Hammy upnme. a B01111141{1 pa nace nactoyxe. a oy 3.Tio HpHme 14 B0141114141H mt-
enaTops pa rpepe Hs orataws 11 Hpaan menoco6na. "g. maws. a Hotiscna cam. Honb.»
33 Dans ce sens, cf. V. Bogrea, op. cit., pp. 52-53; B. P. Hasdeu commet une erreur
dans Artuva Istoricd a Romilniei [Archives Thstoriques de la Roumania III, p. 170, lorsque,
se fondant sur les données d'un document serbe du Moyen Age, 11 généralise le cas en attri-
buant aux Vlaques une activité strictement pastorale. Selon St. Nowakowitch, op. cit., p. 50
sq., c'est sans (Lou te que les Vlaques famlitaient les echanges de toute la région entre le Danube
et Raguse.
34 M. Gyéni, op. cit., p. 167.
35 V. Bogrea, op. cit., pp. 50-53; M. Gydni, op. cit., pp. 167-168.
34 Silviu Dragomir, Vlahii din nordul Perunsulet Balcanice in Evul Media [Les Vlaques
du nord de la Péninsule Balkanique au Moyen Age], Bucarest, 1959, pp. 111, 161-162.
37 V. Bogrea, op. cit., p. 52; M. Gyóni, op. cit., p. 167.

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416 EIIGEN sTAN-Escm 10

litzès justifient la prise en considération de ce texte comme la première


mention connue sur l'histoire des Vlaques dans la Péninsule Balkanique.
En effet, les éléments déterminants se combinent logiquement, donnant
un contour historique à la relation. Ainsi il semble etabli avec certitude
que Vlaques ont tué le fils ainé du comte Nikola durant la phase initiale
de l'action des Comitopoules, dans la région gouvernée par celui-ci, et qu'ils
faisaient partie de cette catégorie de la population qui s'occupait du-
rant une partie seulement de Pannée, sans doute du transport des pro-
duits. Mais quel est le sens historique de cet épisode ? Faut-il prendre le
texte de Skylitzès à la lettre et se contenter des donne:es qu.'il fournit, ou
doit-on tenter de déceler la vérité qui s'y cache au-delà du sens ?

Deux conceptions peuvent être relevées à cet égard


Selon les uns, la réalité historique était bien plus complexe et méme
autre qu'il ne ressort de la lettre du texte. L'Etat formé dans les régions
macédoniennes après les événements des années 971 976 n'était pas un
Etat de refuge, comparable aux Etats de Nicée ou de Trébizonde de plus
tard, mais un Etat de création originale et populaire, appuyé sur des 616-
ments ethniques locaux, parmi lesquels un r6le primordial était occupé
par les Vlaques et les Albanais. Compte tenu, d'autre part, des noms hé-
breux, et non pas slaves, des Comitopoules, il apparaitrait que ceux-ci
étaient des Vlaques et que l'empire de Samuel était clans son ensemble une
création vlaque, une création dont le caractère vlaque était prépondérant.
D'après cette conception done, l'épisode relaté par Skylitzès ne serait
qu'un faible reflet d'une réalité historique dont la portée est bien plus
ample 38
Selon les autres, l'épisode doit être interprété à la lettre, en tant qu'un
fait de guerre accompli contre les Comitopoules par les Vlaques, considé-
rés ainsi comme les « alliés », les hales sujets », les « hommes » des Byzan-
tins, une sorte d'agents des intérêts impériaux dans ces régions, dont on
se servait pour entretenir un esprit favorable aux Byzantins et méme pour
exécuter des actions violentes, telles que celle de 976. Pour cette raison,
le meurtre de David, l'aîné des frères, ne serait pas un fait divers, mais au-
rait eu pour but d'affaiblir dès le début la force de Paction déclenchée
contre Byzance. Dans ces conditions et selon cette conception, on

38 A. D. Xenopol, Istoria Romclnilor din Dacia Traiana [Histoire des Roumains de la


Dacie Trajane], 3e éd., Bucarest, 1925, t. II, pp. 225-226; N. Iorga, Notes d'un historien
p. 25; ul , Slrbi, bulgari si rorndru In Penin.sula Balcanic6 in Bout Media [Serbes, Bulgares
et Roumains dans la Péninsule Balkanique au Moyen Age], clans a Analele Academiei Române,
Memoriile Sectiel Istorice He Série, XXXVIII (1915-1916), p. 113 ; id , Formes byzantines
et réalités balkanigues, dans a Etudes Byzanlines , I, Bucarest, 1939, p. 109 ; id., Histoire des
Rournains, HI ,pp. 7-10; N. Bilnescu, Changements politigues dans les Balkans après la con-
quote de l'Emoire bizlgare de Samuel, dans i Bulletin de la Section Historique de l'Académie
Roumaine i, X (1923), p. 51.

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11 LES VLAQUES A LA FIN D1J Xe SILC LE DEBUT DU xie 417

ne saurait admettre ni le caractère vlaque de l'Etat de Samuel, ni méme


Pidée que les Vlaques aient pu y jouer le moindre rôle 39.
On se trouve done en présence de deux conceptions extrèmes, toutes
deux basées presque exclusivement sur le mème texte. Etant donné qu'au-
cun témoignage contemporain direct sur le r6le des Vlaques durant la guerre
de Byzance contre la Bulgarie ne vient compléter ce texte, on est obligé
de se demander si des données a ce sujet ne pourraient ètre fournies par des
sources ultérieures. Telle est d'ailleurs la méthode que nous nous sommes
proposé de suivre : examiner si les sources clu XI' et du XII' siècle ne
renferment pas des échos des événements de la fin du X' siècle, suscepti-
bles d'éclaircir le problème qui nous occupe.
*
Si l'on passe en revue les sources de différentes catégories de l'époque
qui fait suite a la reconquète de la Bulgarie par les Byzantins, jusqu'à
la période des bouleversements qui ont abouti vers la fin du XIIe siècle
a l'effondrement de la domination Byzantine entre les Balkans et le Da-
nube, puis au dé_but du XIII' siècle a la division du territoire byzantin en
de nombreux Etats, on perçoit clairement Pexistence d'une tradition con-
cernant les événements de la fin du Xe siècle et du début du XI° siècle,
et m'ème d'une certaine tradition sur les 1/laques dans leurs rapports
avec les Byzantins et les Bulgares. Confrontant les tendances de cette tra-
dition avec les renseignements sur les Vlaques qui se dégagent de l'épisode
relaté par Skylitzès en rapport avec les campagnes de Basile II, on remar-
que dès Pabord l'existence d'une ligne commune. Or celle-ci ne se réfère ni
a une allian.ce ou a une entente entre Vlaques et Byza,ntins, ni A, des con-
flits entre 1/laques et Bulgares, mais, bien au contraire, a la lutte commune
des 1/laques et des Bulgares contre Byzance, a leur haine commune d'une
domination dont ils ressentaient le caractère injuste et oppressif.
La tradition dans les « Conseils et Contes » de Kékauménos. Ainsi
qu'il est connu, une partie de cet ouvrage est consacrée a la description
de Pinsurrection qui éclata en Thessalie peu avant la mort de l'empereur
Constantin Doukas, probablement en 1066. Bien que dans cette descrip-
tion les 1/laques soient constarnment désignés comme les instigateurs, les
organisateurs et le principal élément de combat de l'insurrection, celle-ci
est présentée comme le résultat de la participation des 1/laques et des Bul-
gares, entre lesquels il régnait une parfaite entente et collaboration.
Les exemples sont suggestifs. 1/laques et Bulgares étaient liés, entre
autres, par une sorte de coopération économique, les premiers faisant
paltre leurs troupeaux sur les montagnes des seconds ; souvent les trou-
" W. Zlatarski, op. c.d., p. 650; P. Mutarciev, op. cit.. pp. 19G-212; M. Gyòni, op.
cd., pp. 168-169.

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418 EITGEN SMNEScIr 12

peaux étaient communs 4°.Au cours des différentes phases de Pinsurrection,


les Vlaques et les Bulgares sont montrés à plusieurs reprises comme me-
nant des actions concertées. Ainsi, il est précisé que les Vlaques et les Bul-
gares insistaient sans cesse pour attirer à leur cause la prineipale notabi-
HO locale : « . . ils allèrent de nouveau tons ensemble, Vlaques et Bul-
gares, à l'instigation de ceux de Larissa »41. Puis, après que ce notable
se fut mis pour la forme à la téte de la révolte et qu'il eut concentré les
forces dont il disposait et dont le noyau principal était constitué par les
-S-laques et les Bulgares, « établissant la son camp, il rassembla les
Vlaques et les Bulgares voisins de ce lieu et une grande foule se réunit
autour de lui » 42 Aussi n'y a-t-il rien de surprenant à ce que, en guise de
conclusion à la question des soulèvements vlaco-bulgares (ou, selon son
expression, des Vlaques de Bulgarie), l'auteur souligne que le danger re-
présenté par ceux-ci ait imposé aux autorités byzantines une prudence et
une vigilence de chaque instant : « ... et si jamais la révolte éclate en Bul-
garie, ainsi qu'il a été dit plus haut, et s'ils (c'est-à-dire les Vlaques, n.n.)
se déclarent tes amis et font des serments de fidélité, ne te fie pas A.
eux 43.

Compte tenu de la manière dont cette insurrection vlaeo-bulgare est


décrite par unécrivain byzantin de la fin du XI' siècle, il est permis d'aff ir-
mer que l'on ne décèle nulle part le moindre mouvement de surprise de-
vant une situation qui serait nouvelle ; on a, bien au contraire, le senti-
ment qu'il se trouve devant une hostilité et une résistance communes qui,
pour les Byzantins, ne devaient pas ètre de date récente. Il apparait clai-
rement que la description des événements de 1066 ressuscitait dans l'esprit
de l'écrivain byzantin des souvenirs plus anciens, qui pouvaient fort bien
dater, par exemple, de l'époque de Basile II. C'est peut-étre dans ce sens
qu'il faut comprendre l'importance de Larissa en tant que centre de l'in-
surrection. En effet, au cours de ses offensives de l'avant-dernière décen-
nie du X' siècle, le tzar Samuel avait déporté la plus grande partie de la
population de Larissa, qu'il avait colonisée en Bulgarie. El il se pourrait
qu'à la place de celle-ci, il efit installé une population bulgare qui s'était
mêlée à la population vlaque restée sur place ". Du reste, la tradition.

1° Kékauménos, éd. Wasiliewski-Jeinstedt, 1896, pp. 68-69. Wasiliewski considère


que le terme Tc7.)v BouXydcpcov (entre parenthCses dans le texte) est erroné, au lieu de. TC6v BXeczcov.
Nous ne pariageons pas cette opinion, estimant que le terme a été ajouté pour souligner que les
troupeaux appartenaient aux Vlaques et aux Bulgares.
41 Kékauménos, p. 69.
12 Kékauménos, p. 70.
43 Kékauménos, pp. 71-75: EL 8i x no-E yevire'rcet. &vs.cepaloc ELg BonXycepLocv, xx..aeoç
npodpirroct., xoci EL p(Xot 60U 61/.0),0y066EN EIVCCL -1) X00. 6/.1..VOWCOU., [131 7TOSTEISCrnq CO)TO-Cq. POUT
l'unportance de ce point en faveur de noire thése, voir P. P. Panaitescu, dans o Revista Aro-
maneasca n, I, 1929, p. 22.
44 Skylitzés, II, P. 436.

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13 LES VLAQUES A LA FIN DU Xe SIEC'LE DEBUT D1J Xle 419

écrite bulgare se réfère à certaines colonisations de Vlaques par Samuel,


peut-ètre dans le but de repeupler les rgions d'où avait été déportée la
population grecque 44a . Toutes ces circonstances expliquent le sort cornmun
des uns et des autres et, par voie de conséquence, les actions communes
dirigées plus tard contre les Byzantins.
La tradition dans 1'« Histoire » de Nicétas Choniate. Une référence cer-
taine , en rapport avec cette tradition, aux événements de la fin du Xe
siècle et du début du XI' siècle se trouve dans l'« Histoire » de Nicétas
Choniate oit, au sujet du déclenchement de l'insurrection de Pierre et
d'Assen, à la suite de laquelle la Bulgarie s'est libérée de la domination
byzantine, il est dit qu'une des principales causes du mouvement fut que
les règles de comportement à l'égard des Vlaques établies par Basile II
n'avaient pas été observées. Voici, en effet, les termes dans lesquels l'his-
torien parle d'un des conseillers de l'empereur Isaac l'Ange : « ... et alors
que l'un des juges, Mon le Monastériote, lui aurait dit que l'âme de Ba-
sile, le tueur de Bulgares, est triste de ce que l'empereur ne respecte pas
ses règles et ses décisions, déposées au monastère de Sosthène, et que pour
cette raison les Vlaques se sont soulevés... »45.
Nous ne saurions, cependant, poursuivre notre exposé sans soulig;ner
que tout le déploiement de la révolte conduite par Pierre et Assen, tel
qu'il est présenté par Nicétas Choniate qui évite systématiquement le
terme Bulgare » et n'utilise jamais que celui de « Vlaque » a servi
l'échafaudage d'une théorie selon laquelle Nicétas Choniate dans son
horreur du simple nom « Bulgare », aurait imité en cela par d'autres
écrivains byzantins remplacé sciemment ce terme par celui de «Vla-
que » 46. Nous reviendrons en détail sur ce problème au moment oh, dans
le cadre des présentes recherches, nous aborderons les événements de la
fin du XII! siècle ; mais nous ne pouvons remettre à plus tard quelques
44a Paiste Hilandarskt, op. cif., p. 84.
45 Nicétas Chomate, C.S H.B., Bonn, 1835, p. 488.
46 L'opinion qu'en écrtvant o Vlaques les écrivains byzantins de cette époque enten-
(latent Bulgares a été soutenue surtou L par Constantin Juecek dans Gesclzichle der Bulgaren,
Plague. 1876, p. 220; Th. Ouspenski, dans 06pasoeartue enzopozo 6o.rizapcsoao napcinea, extrait
de « IIMn. 14oBopoccutiettoro YultuepenTeTa», XXVII, (Ogecca, 1879), p. 153 sqq ; J. L
Piè, op. ca., pp. 87 92 ; I. Dujcev. Inocenlii PP. I II episiolae ad Bulgartae lustoriam
speck:ales, dans «roman-Hui Ha Caintlielilin YHIIB, IICT-011,TI.», XXXVIII (1941 1942).
pp. 85-86. Dès le début, cette thèse a 61.6 combatlue par des savants renommés, leis que
C. Hoefler, dans Die Walaclzen als Begrunder des =Men bulgarisclien Retches des Asse-
niden, dans u Sttzungsberichte der Kaiset lichen Akademie der Wissenschaften s, Pintos Histot.
Classe, Bd. XGV (1880), pp. 229-245, el W. Wasdiewski, dans son compte rendu pinta SéVèl e
de l'ouvrage susmentionné de Th. Ouspenskt, dans « Aiypuaa Mimucrepcnia Hapognoro
Hpocrtemetutri», jtullet 1879, pp. 175 177. Dans l'école lustortque roumame, les at guments
principaux contre cette thèse ont élé formulés pat A. D. Xenopol, Une enigme historigue
pp. 45-46; P. P. Panaitescu, dans son compte rendu de l'ouvrage de P. Mulafclev, dans
Revista Arom'aneasca u, I (1929), p. 124 ; N. Bilnescu. Un problimze d'histoire médiévale : créa-
iron el caractère du second empire bulgare (118;), Bucarest. 1943, passim. et G. BrMianu,
op. cii , pp. 59-62.

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420 EUGEN sTANEscu 14

brèves obervations it, ce sujet, étant donné que l'allocution de Léon le


Monastériote est la pièce essentielle dont eertains historiens ont cru pou-
voir se servir pour soutenir que, chez Nicétas Choniate, par « Vlaque »
il faut , le plus souvent, entendre « Bulgare » 47, ce qui du point de vue de la
tradition que nous thehons de dépister ôterait toute valeur au passage.
Or il n'en est pas ainsi.
Il est exact que les autres byzantins avaient coutume de désigner
par des termes archaiques les noms de différents peuples et que, dans
l'emploi de ces archaismes, on relève un incontestable manque de préci-
sion : Nicétas Choniate en fournit lui-même la preuve en se servant du
terme « Mysi » tantôt pour les Vlaques tantôt pour les Bulgares et méme,
nous semble-t-il, pour les deux peuples à la fois 48 Mais cette imprécision
est beaucoup moins grande lorsqu'il s'agit de termes nouveaux, désignant
des réalités contemporaines, où interviennent les connaissances ethno-
graphiques et linguistiques, sowvent assez solides, de la chaneellerie et des
écrivains byzantins. Etant donné que l'on ne relève aucune confusion en
ce qui concerne le terme de « Vlaque » chez les auteurs antérieurs à Nicétas
Choniate Kékaumenos, Anne Comnène, Jean Cinnamos nous ne
voyons pas pourquoi celui-ci, q_ui a bénéficié d'informations orales et
d'archives au moins dans la mème mesure que ses prédécesseurs, aurait
eu des connaissances ethnographiques et linguistiques inférieures aux
leurs, au point d'employer le terme « Vlaque » de manière imprécise et
impropre. Quant à, la raison qui fait éviter à eet auteur le mot « Bulgare »
et lui fait adopter plus d'une fois le terme « Mysia » pour désigner les réa-
lités bulgares, c'est un tout autre problème, que nous analyserons au mo-
ment voulu, ainsi que nous l'avons déjà dit.
Ainsi done, nous estimons que l'acception du terme « Vlaque »
adopté dans Pallocution du Monastériote ne doit pas 'are mise en doute
et que ce texte atteste, par conséquent, l'existence à la fin du XII' siècle
de la tradition qui nous intéresse. Trois éléments principaux de l'allocu-
tion confirment d'ailleurs cette opinion. Il faut noter, en premier lieu, que
Pauteur du discours est un juge, done une personne entemlue en lois et,
partieulièrement, en diplômes impériaux ; il devait done connaitre la te-
neur du texte de Basile II dont il parle. En second lieu, il n'est pas indiffé-
rent que celui-ci se trouvAt (161)086 au monastère de Sosthène, non loin de
Constantinople, probablement un de ces monastères dont les archives, vu
la garantie supplémentaire de sécurité qu'elles offraient, renfermaient sou-
47 Voir W. Zlatarski, op. cit , p. 488 sqq.; Bolls Primov, Cbaaanaeemo na emopanza
6bazapcka dbiparcaea u ynactnemo macume, In « Erharapo-PymialicEn n oTtioulemm rtpeu
Beuoue're», Sofia, 1965, I (XII XIX b.), pp. 26-27
48 MUG(); =-- Bulgares, Niketas Choniates, pp. 485, 515, 516, 520, 521, 614, 621, 622,
829. . 1uci.oi. Vlaques, ibidem, 482; v. G. Moravcsik, op. cit., pp. 208-209.

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15 LES N LAQUES À LA FIN DU xe SnCLE DEBUT DU Xle 421

vent aussi d'importants actes d'Etat 49. Il se pourrait mi'me que l'épithète
de « Mona stériot e » porté par le jugeL éon désignAt quelque attributien de
surveillance des monas t ères de fondation impériale, peut-étre eonceinant
justement leurs archives. Enfin, il s'agit d'un « typikon » ayant toils les
caractères d'un testament politique.
A notre avis, du reste, celui-ei a dà exister. Après sa victoire sur Sa-
muel et la soumission de la Bulgarie, ou peut-étre un peu plus tard, avant
sa mort, Basile II a di\ rédiger des Conseil; adressés à la postérité,
indiquait les moyens les plus adéquats pour assurer le maintien dans les
limites de l'emp ire, dans des conditions de tranquillité et de stabilité, des
territoires conquis. C'est en effet à ces Conseils que se réfèrent à la fin
du XIe siècle des auteurs tels que Jean Skylitzès et son continuateur,
lorsqu'ils voient dans l'abandon des dispositions de Basile II une des causes
des soulèvements qui ont lieu dans les Balkans à cette époque 50. En ce
qui concerne les allusions à ce testament politique, la transgression des con-
seils de Basile concernant les Vlaques est invoquée par Nicétas Choniate
comme cause de leur révolte tout aussi clairement que le fait de n'avoir
pas suivi les conseils du mème empereur concernant les Bulgares est in-
diqué par les auteurs respectifs comme le motif du soulèvement de ces der-
niers. Il n'y a done aucune raison de supposer que Léon le Monastériote
ne savait pas de quoi il parlait, ni que 1\Ticétas Choniate aurait modifié
sciemment les noms des peuples dans Pallocution de celui-ci.
Au surplus, la survivance d'une telle tradition à la fin du XII' siècle
est attestée, clans Pceuvre de Nicétas Choniate, non seulement par l'allo-
cution de Léon le Monastériote, mais aussi par d'autres passages de son
Histoire ». Ainsi, il y est précisé que l'insurrection dirigée par Pierre et
Assen était loin d'être la première, car les Vlaques « avaient déjà osé
tenir Cète aux Romées » 91. Les Vlaques étaient, du reste, considérés comme
un danger pour Byzance non seulement en raison de leur haine pour l'em-
pire, mais aussi parce gulls s'entendaient à transmettre cette haine à
leurs divers alliés dans la lutte menée en commun contre celui-ci, par
exemple aux Coumans, qui « avaient appris des Vlaques à nourrir
notre égard une inimitié mortelle, héritée sans fin de père en fils » 52. Mieux

En ce gm concerne l'importance du monastère de Soslhène, cf. J. Pargoire, Anaples


et Sostizène, dans « Izvestija Russ. Arch Inst. s, 3 (1898), pp. 60-97; R. Janin, dans Echos
d'Orient o, 33 (1934), pp. 43-46.
5° Skylitzès, II, p. 530 ; Skylitzès Continualus, p. 715. C'esl surtout ce sens que Dénnilre
Cantenur accorde au testament politique de Basile II, rappelé au souvenir des contempoiains
par la bouche de Léon le Monastériole. (« Leon AMnastreanul i, dans la traduclion (lu grand
humaniste roumain.) V lironicul vechunet a Romano-Moldo-Vlahilor, Bucarest, 1901, p. 403.
51 Nicétas Chomate, p. 482: xcd. dí.XXoTe [Liv xoc-róc `Pco[iodcov 4.eyoacciírlaccv*.
52 Nicétas Choniate, p. 831 . dc8civccrov rìv Trpk gzapo(v irrò BXeczaw gzetv
Seatyt.i.cqzivoL... 5.

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422 EIIGEN sTANEscur 16

encore : il est précisé que l'insurrection de 1185 avait un programme poli-


tique, dont le premier point était une sorte de retour à ce qui était considéré
comme une situation antérieure : « étant fermement acidés à porter
l'empire des Romées le plus grave des coups et à réunir l'Etat des Vla-
ques et des Bulgares, comme il l'avait été autrefois » 53. C'est peut-être
pour cette raison que les Vlaques et les Bulgares sont considérés par cet
auteur, dans un autre passage, comme formant un seul peuple 54 : encore
une preuve que, chez Nicétas Choniate, « Vlaque » ne pouvait signifier autre
chose que Vlaque.
Ce qui ressort clairement de toutes ces mentions, c'est le sentiment
manifeste d'hostilité des écrivains et des dignitaires byzantins de la fin
du XII` siècle ò l'égard des Vlaques le milme que nous avons déjh
noté pour le commencement de la seconde moitié du XI' siècle dans les
« Conseils et contes» de Kékauménos hostilité due à leur coopération
prolongée avec les Bulgares contre Byzance et exprimée sous forme d'une
tradition vieille de près de deux siècles, née sans doute du temps de l'em-
pereur Basile II.
La tradition days la correspondavce du tzar Kalojoannès. Nos observa-
tions exprimées plus haut sont confirmées par quelques passages de la cor-
respondance de l'année 1204 entre le tzar Kalojoannès et le pape
Innocent III au sujet de la reconnaissance de son titre impérial par le
Saint- Siège.
Ainsi, dans l'a cte intitulé « Instrument par lequel le roi de la Bulgarie
et de la Vlachie soumet son pouvoir à l'Eglise romaine il est spécifié
que le procédé est justifié par l'exemple des tzars antérieurs, à savoir par
« les empereurs des Bulgares et des Vlaques, Siméon, Pierre et Samu-
el... » 55. Il ne s'agit pas El d'une formule quelconque employée au ha-
sard, car peu de temps après, le tzar Kalojoannès, dans une réponse a-
dressée au pape, répétait ne faisait que suivre « la coutume de mes
prédécesseurs, les empereurs des Bulgares et des Vlaques, Siméon, Pierre

53 Nicétas Choniale, p. 489 o et Tcotictícov iar ;i4ovai


Tílv Tc7.)v Mucclv xcd Tait/ Boay&pcin, auvaareíav elq gv suvciouaiv nec),ou rroTè
54 Nicélas Chomate, p 185 . (14 ,9eòç Toi5 TEA) BouX-reepov xcd Trov
iXeu9spEciv 71686x-r,cre xc To13 zpovíou oyoS 7r6veuczy eiCITOCUZÉVLCIL1) 13)c-jo6vovq

55 Augushnus Themer, Velera illonumenla Slavorum llleridionullum II Islormm Plus-


lranlia, Rome, 1863-1875, II, pp 27 28 (n° XLIII) : o EL ddigenter persoutantes, in eorurr
invenimus scripturis guod beate mcmone illi unperatores Bulgaron in ct Blachoi um, Symeon.
Petrus el Samuel et nostri pi edecessore,, coronem pro impel io con-in el patriai chalem benedic-
tionem accepei unt a sanctissima Dei Romana eccicsia el ab apostolic° side, pi incipe apostoloi um
Petra. D'aprés une suggeshon de l'acadénucien C. Daicoviciu, l'explession peut aussi étre inter-
prétée comme la traduction en latin, par la chancellcrie de Kalojoannés du title d'o ernpereur des
Romées et des Bulgares i de Siméon, les Romées étant dans ce cas considérés comme les Ro-
mains et les Vlaques comme les successeurs ou les continuateurs de ces derniers. Dans ce cas
également, la tradition dont nous avons parlé plus haul, est confirmée.

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17 LES VLAQUES A LA FIN DIT Xe STEELE DEBUT DU Xle 423

et Samuel... » 56. D'où Pon peut déduire qu'au début du XIII° siècle la
chancellerie du nouvel empire considéré comme l'Etat des Vlaques et
des Bulgares, ainsi qu'il ressort de toute la correspondance entre Kalo-
joannès et Innocent III, sans mentionner d'autres sources estimait que
cet Etat n'était pas une nouveauté, mais ne faisait que continuer
le caractère d'Etat de Pempire de Siméon, de Pierre et de Samuel.
Evidemment, il ne résulte pas de là, que le premier empire était vé-
ritablement un Etat des Vlaques et des Bulgares, mais simplement qu'au
début du XIII' siècle l'ancien empire était considéré tel par certains, jus-
tement à cause de la force et de la persistance des réminiscences histori-
ques qui étaient à la base de la tradition qui nous occupe. S'agirait-il
non d'une tradition, mais d'une simple formule inventée pour les besoins
de la cause par l'esprit ingénieux de Kalojoannès, afin de se poser non seu-
lement en tzar des Vlaques et des Bulgares, mais aussi comme le succes-
seur légitime de ses prédécesseurs, tzars comme lui-même des Vlaques et
des Bulgares ? La prudence et la mesure apportées dans la rédaction des
actes mentionnant les anciens tzars, généralement considérés non comme
les ancêtres, mais comme les prédécesseurs du tzar actuel (qui aurait très
bien pu, d'ailleurs, se forger un arbre généalogique prestigieux), attestent
que le tzar Kalojoannès croyait jusqu'à un certain point à la véracité de
cette tradition, qui s'est certainement manifestée de multiples fa çons,
dont l'une est le passage susmentionné de l'acte émis par la chancellerie du
tzar 57. De la sorte, la correspondance de Kalojoannès vient confirmer
l'existence de la tradition qui apparait si clairement dans P« Histoire » de
Nicétas Choniate.
Ainsi done, depuis le commencement de la seconde moitié du X I
siècle jusqu'au début du XIII` siècle, on constate dans la société byzantine
Pexistence d'une tradition concernant les Vlaques et notamment les rap-
ports entre Vlaques et Bulgares et entre Vlaques et Byzantins, tradition
faite d'hostil& et de ressentiment contre ces Vlaques, considérés comme les
ennemis permanents de Pempire, soit seuls, soit en collaboration avec les
Bulgares. La continuité de cette tradition et la netteté avec laquelle on
peut en suivre la transmission ne permettent pas d'en mettre l'existence
en doute. Méme si les faits rapportés sont sujets A, caution, l'image que
s'en faisait la société byzantine est claire. 1VIais on arrive dans ce cas à la
conclusion qu'entre l'épisode du meurtre de David par les Vlaques, relaté
55 Augustinus Theiner, op. cit , II, p. 29 (n° XLVI) : a ... ut compleret desiderium imperii
mei sanctilas tua, secundum consuetudinem predecessorum meorum imperatorum Bulgarorum
et Blachorum, Symeonis, Petri et Samuelis progenitorum meorum et ceterorum ommum impera-
torum Bulgaroi um D.

L'existence d'une telle tradition a été suggérée il y a prés de 90 ans par C. von
57
Hoefler, op. cit., pp. 229-245.
3 C. 5587

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424 EITGEN sT.KNEscia 18

par Jean Skylazes, et toute la tradition relevée aux XIe Xne siècles
il y a contradiction flagrante. Cette contradiction doit être soulignée d'au-
tant plus que la tradition en question n.'était pas exclusivement byzantine,
mais aussi vlaque et bulgare ainsi qu'il ressort des actes de la chancel-
lerie de Kalojoannès. Par conséquent, contrairement à ce qui résulte indi-
rectement du texte de Skylazes, les Vlaques ne semblent pas avoir lutté
côté des Byzantins contre les Bulgares, mais contre ces premiers 58

La tradition mise en évidence dans les pages précédentes confère


un sens à des éléments qui autrement pourraient paraitre disparates,
mais qui se situent en réalité à côté du passage bien connu de Jean Sky-
lazes pour constituer, à eux tous, le premier chapitre de l'histoire des Via-
ques de la Péninsule Balkanique. Le fait est d'autant plus intéressant que
ces données proviennent de sources différentes et présentent d'assez sé-
rieuses garanties d'objectivité. En effet, elles sont soit contemporaines
des événements auxquels elles se réfèrent, soit relativement proches de ces-
événements (dont les sépare tout au plus un siècle) et émanent de person_
nes en mesure d'être bien informées sur les questions dont il s'agit.
Le problème de l'organisation militaire des Vlaques de l'Hellade. Dan-
Pceuvre intitulée « Paroles pour l'Empereur », attribuée par la plupart des
spécialistes à Kékauménos, connu par ses «Conseils et Contes » impropres
ment nommés « Strategikon », l'auteur se réf ere à l'un de ses grands-pa-
rents nommé Nikoulitzas, que Pempereur Basile II avait dédommagé pour
le fait de lui avoir pris la commande des Excubiteurs de l'Hellade ac-
cordée à un neveu du « roi de Germanie » lui offrant en échange « le
commandement (la possession ou la dignité) des Vlaques de l'Hellade . »59.
La mention peut être datée de maniere précise, car il est indiqué que ces
faits ont eu lieu au cours de la quatrième année du règne de Basile II (de
son règne personnel, pour silr), done en 980. Aussi, compte tenu du doute
58 Voir A ce sujet le compte rendu, écrit par N. Iorga, de l'ouvrage d'A.J B. Wace et
M. S. Thompson, The Nomads of the Balkans, London, 1914, dans o Bulletin de l'Institut pour
l'Etude de l'Europe Sud-Orientale o, lie année, 6 juin 1915, pp. 117-118, où Iorga montre
que les Mégléno-Roumains ne sont autres que les descendants de ces allies de Samuel, au sujet
desquels il dit dans Istoria Romdnilor din Peninsula Balcanied, p. 18 : i L'histoire de la révolte
de Samuel revet le plus souvent presque toujours, pourrait-on dire l'aspect d'une guerilla
vlaque et aussi albanaise. Voir également Th. Capidan, Meglenoromdrui, Bucarest, 1925, t. I,
pp. 56-57 et 117-118. Il n'est pas sans intérét de rappeler ici que les historiens gréco-rou-
mains du début du XIX' siècle, comme D. Philippide dans sa `Ia-coptoc -r71q 'Poup.ouviag
(Leipzig, 1816), et D. Photino dans sa 'Icrtoptoc T-7)g HcO,ca Actxtdcq (Vienne 1818-19) (surtout
chez celui-ci les pages 249 sq. et 265 sq. du premier tome) se caractérisent par la vision
historique d'une symbiose entre les Bulgares et la population romanisée des regions danu-
biennes et balkaniques contre les Byzantins.
Kékauménos, p. 96: iytvWcrxoucra 6è-;) (3occaetx p.ou ört. Cur?, T01-5 ti,xxocpl-rou ¡Lou
rcccrpòç gzELq Toi5-ro atdc zpusopotAXou ávri "r6v i;xoußí-ccov &cops:T.70a sot. Tip cipz-7p Tc7w
BXcfoccov 'EXXciaoq

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19 LES VLAQUES A LA FIN DL' Xe stRa..E DEBUT DII xr 425

soulevé par le passage de Skylitzès concernant le meurtre de David, cette


mention qui est en fait un fragment de lettre ou peut-être même d'un
diplôme impérial, constituant une source documentaire de premier ordre
a-t-elle parfois été considérée comme la nouvelle la plus ancienne au
sujet de l'histoire des Vlaques dans la Péninsule Balkanique 6°.
D'autre part, dans ses « Histoires » Jean Skylitzès insiste surles agis-
sements d'un certain Nikolitzas, qui semble avoir joué un rôle assez im-
portant durant une phase de la guerre byzantino-bulgare Ainsi, en 1001
ou 1002 il se trouvait à la ate de la garnison qui défendait la citadelle
de Serbia, assiégée par Basile II. Fait prisonnier lors de la chute de la
citadelle, il regut de Basile II la dignité de patrice et accompagna celui-ci
à Constantinople. Puis, trahissant l'empereur, il s'enfuit chez Samuel,
avec lequel il tenta de reconquérir la ville de Serbia. Mais la citadelle fut
dégagée par Basile II. Samuel et Nikolitzas durent se retirer et ce dernier
finit par ètre pris pour la seconde fois et emprisonné à Constantinople 61.
Un peu plus tard, en 1012, Nikolitzas est mentionné en rapport avec les
événements de la fin de la guerre : après avoir été pris et s'être échappé
à plusieurs reprises, traqué dans les montagnes, lâché par ses derniers hom-
mes, dont les uns avaient été pris par les Byzantins et les autres avaient
passé de leur côté, désespéré, il se rend à l'empereur, mais celui-ci refuse
même de le regarder et le jette en prison, cette fois-ci à Thessalonique 62.
Or on peut se demander si Nikoulitzas, le chef des « Vlaques de l'Hellade »
mentionné par Kékauménos, et Nikolitzas, 1'0E6 de Samuel connu par
Skylitzès, ne seraient pas le m'ème Personnage63.
Une telle identification n'a rien d'invraisemblable, si l'on considère
la similitude des noms et la concordance de temps et de lieu des événe-
ments relatés par les deux anteurs au sujet du ou des personnages en ques-
tion. En effet, les parages où évolue le Nikolitzas de Skylitzès ne sont
pas éloignés de la région qui devait se trouver sous l'autorité du Nikou-
litzas de Kékauménos et les événements respectifs ont lieu à des périodes
assez rapprochées pour qu'il ne soit point exclu que l'allié de Samuel Mt un
60 Gh. Murnu, Ctnd si unde se fuese Romdnii. . ., p. 109; H. Grégoire, dans « Byzantion s,
XIV (1939), p. 303.
61 Skylitzès, pp. 452-453.
62 Skylitzès, p. 474.
63 Gh. Murnu, op. cit., p. 102, et N. Iotga, .Histoire des Roumains. . ., III, p. 12, consi-
&rent que cette identification n'a pas besoin d'être argumentée. Il n'est pas sans intéiêt de noter
qu'entre les adjonctions de l'évêque Michel de Deabolis conceruant les deux épisodes oil il est
question de Nikolitzas il s'intercale une rencontre entre l'cmpereur et le « jeune Nikolitzas»,
qui, du temps de Samuel, a joué un rôle de premier plan : « gvaa crovi)v-rIclev cart-7 xat ó v6og
NtxoXE-rocq Tiiv 7-cpdyrIv xat tic4tp.6)Tcfcr-Ip. crv-cgLy -roi5 Eati.ouilX ircarSvcvoq, lad. iTtp.-01
7rpo.)Too-traD-c'eptoq xai aTpaT-fly6q. s Cf. B. Prokiè, op. cil , p. 33. Celui-ci pomi ait être soit le
fils de Nikolitzas, soit même le Nikolitzas de Skylitzès, considéré comme jeune par rapport
au Nikoulitzas de Kélcauménos, qui serait dans ce cas son père. Il se pourrait done que
Nikolitzas et Nikoulitzas ne soient pas la méme personne, mais péi e et fits.

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426 EITGEN STANESCII 90

transfuge de Byzance, peut-ètre un représentant de la grande aristocra-


tie byzantine mécontent de la politique de Basile II. Les raisons pour
lesquelles il aura trahi l'empereur destitution de ses fonctions ou crainte
de les perdre ne nous sont pas connues. Un argument en faveur de l'iden-
tification Nikoulitzas-Nikolitzas est le passage de Pceuvre susmentionnéel
de Kékauménos où il est dit qu'après avoir occupé Larissa, le tzar Samue
épargna la famine de Nikoulitzas, transfera ailleurs. C'est ainsi que
Nikoulitzas aurait rallié le camp de Samuel, hypothèse d'autant plus vrai-
semblable qu'il ressort du m'ème passage que ladite famille avait mani-
festé des tendances de collaboration avec Samuel dès le déclenchement de
l'offensive de celui-ci contre la Thessalie, poussant la population locale
rendre une sorte d'hommage de vassalité au tzar bulgare 64.
Il existe, de même, une concordance entre le caractère militaire des
actions de notre personnage aux côtés de Samuel et des fonctions
occupait auprès des Vlaques de l'Hellade. En effet, avant sa permutation,
en 980, Nikoulitzas cumulait les dignités de due de l'Hellade et de domes-
tique des Excubiteurs de l'Hellade 65. Or ces deux charges étaient indépen-
dantes : la seconde n'était pas subordonnée A, la première, car on a de la
peine à s'imaginer que Basile II ait placé le neveu de l'empereur allemand
sous l'autorité du « due de l'Hellade ». Toute l'opration de dédomma-
gement, du remplacement d'une dignité par l'autre indique une sorte
d'équivalence, ainsi qu'il est fort possible que cette fonction ou dignité
de commandant des Vlaques de l'Hellade ft un commandement militaire,
tout comme le « domesticat » des Excubiteurs, et peut-étre, tout
comme celui-ci placé non pas sous l'autorité des dues de l'Hellade, mais
directement sous l'autorité centrale de Constantinople. Pour cette raison,
nous sommes porté à croire que cette fonction présentait un caractère mi-
litaire et que l'opinion selon laquelle elle désignerait un corps militaire
spécial recruté localernent 66 est probablement exacte. Il n'est évidemment
pas exclu que les Vlaques de l'Hellade, organisés sur une base militaire,
aient formé en même temps une « Vlachie » ethniquement délimitée, ainsi
que l'ont soutenu dans le temps plusieurs historiens 67 Il est probable
même que la Vlachie thessalique mentionnée deux siècles plus tard dans la
relation de voyage de Benjamin de Tudela ait existé, sous cette forme,

64 Kékauménos, pp. 65-66: o rrpoak-rctcc ToT4 Aaptcrociot.q xcei eúqrig.ttsocv rey.r6v..


65 I{ékauménos, p. 96 : Ica/. 8oiA 'EXX&Sog cr.XoTtp.7)0ek eaç mrrTòç 7rapdc Tc'Sv
xptx-ro',Nrrov. goucrEav TOCI:17.7p axe» dcstasoxov 8vic xpucro13ol5XXou, cLcrco'yra4
xo:i. -rò 80/Lsavx8i-cov TEA) ixoupércav ..rr)g 'EXXecaoq.
" G. Schlumberger, op. cit., p. 636.
67 Gh. Murnu, op. cit., pp. 104-106; N. Iorga, La vie de province dans l'empire byzantin,
dans « Etudes byzantines», II, pp. 17-158; Th. Capidan, Itlacedoromdnii, op. cit., pp. 152
153 ; I. I. Nistor, op. cit., pp. 176--177.

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21 LES VLAQUES A LA FIN DU Xe SIRCLE DFBUT DTI xte 427

des la fin du Xe siècle et que la mention de 980 constitue une confirmation


cet égard.
Or l'organisation militaire des Vlaques de l'Hellade met en lumière
une similitude frappante avec certaines circonstances ultérieures. Car si
les Vlaques Wroct, peuvent être rapprochés des Vlaques « kjélators
des documents serbes du Moyen Age, considérés par ceux rédigés en grec
comme aaTpecreuTot, c'est-à-dire exemptés d-a service militaire, les Vlaques
de l'Hellade peuvent être rapprochés des « voiniks » des documents mili-
taires rédigés en serbe, caractérisés par leur statut militaire 68 On revient
ainsi à Pidée de l'existence probable de deux catégories de Vlaques, ceux
exerçant une fonction avant tout économique et ceux exergant une fonc-
tion avant tout militaire, ce qui démontre une fois de plus que les états de
chose relevés dans les documents médiévaux serbes n'étaient ni de caractère
strictement régional, ni récents, mais bien plus généraux et de date an-
cienne. En conclusion, tous ces éléments de concordance plaident pour
Pidentité du Nikoulitzas de Kékauménos et du Nikolitzas de Skylitzès.
En tant que titulaire ou ancien titulaire du commandement des Vlaques
de l'Hellade, il a joué un rôle assez important dans la guerre byzantino-
bulgare de la fin du X° siècle et du début du XI° siècle et semble avoir été
présent plutôt dans le camp bulgare que dans le camp byzantin. Pour
qu'elle ait été mêlée de si près ainsi que l'attestent les événements de
980 et de 1066 aux problèmes de la population vlaque, dans le sein de
laquelle elle jouissait d'une confiance manifeste, il est tres vraisemblable
et conforme A, tout Pensemble de circonstances que la famine dont
faisait partie Nikoulitzas f elle-même d'origine vlaque 69. C'est pourquoi
les épisodes se rattachant à Pactivité du dénommé Nikoulitzas-Nikolitzas
peuvent fort bien refléter, en lignes générales, la position et le rôle des Vla-
ques de cette région par rapport à l'Empire Byzantin, surtout en ce qui
concerne les opérations militaires en vue du rétablissement de la domina-
tion impériale dans toute la Péninsule Balkanique, de la Machloine au
Danube.
Il n'est point exclu que cette organisation militaire ait résisté et ait
survécu aux vicissitudes de la guerre, car dans la période qui suit la des-
truction de l'Etat bulgare, on enregistre probablement en 1027 une
expédition militaire byzantine, visant à, la reconquête de la Sicile, à laquelle
a pris part un corps sans doute important de Vlaques. Un détail qui peut
avoir son intérêt est que ce corps vlaque est mentionné entre les corps bul-

65 V. Bogrea, op. cit., pp. 52-53; Silviu Drag( mir, tber die Morlaken und ihren Ur-
sprung, dans a Bulletin de la Section Historique de l'Acad( mie Rci mair c », XI (1124). p. 123;
I. I. Nistor, op. cit., pp. 33-34.
Gh. Murnu, op. cit., p. 102 ; N. Iorga, Notes d'un historien..., p. 23; M. Mutafciev,
op. cit., p. 113 sqq.

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428 EIIGEN STXNESCIJ 22

gare et macédonien, ordre qui constitue peut-être une indication pour la


localisation du commandement des Vlaques de l'Hellade 7°. En tout cas,
cette mention qui ne peut étre postérieure comme redaction au milieu du
XI' siècle 71 atteste l'existence d'une organisation militaire des Vlaques
des Balkans, assez efficace pour avoir pu fournir une fraction importante
d'un corps expéditionnaire organise pour des operations d'outre-mer.
Comme telle, cette mention de 1027 ne fait que renforcer l'impression gé-
nérale qui se dégage des autres mentions de la fin du X0 siècle et du debut
du xr siècle concernant les Vlaques des Balkans, lesquelles, réunies,
constituent le premier chapitre de l'histoire de ceux-ci 72.
Le problème de l'organisation ecclésiastique des Vlaques de Bulgarie.
La conquète de la Bulgarie achevée, Basile II édicta une série d'ordon-
nances en vue de la reorganisation des nouveaux territoires annexes
l'empire. Si les mesures d'ordre administratif et militaire ne sont connues
que sous forme de reminiscences, trois ordonnances d'ordre ecclésiastique
peut-Atre parmi d'autres qui auront disparu se sont conservées en
entier, ce qui démontre une fois de plus les chances de conservation plus
grandes des archives de monastères. Le second diplôme de Basile II concer-
nant l'organisation ecclésiastique des territoires reconquis, datée de 1020,
se réfère aux Vlaques. Après differentes dispositions sur le ressort de Par-
chevêché d'Ohrid quant aux sièges épiscop aux qui devaient entrer sous
sa juridiction, il y est precise que non seulement les regions stipulées nomi-
nalement entrent sous cette juridiction, mais aussi tout le territoire com-
pris entre les « frontières bulgares », y compris ce qui aurait été omis. A ce
titre, Parchevèche d'Ohrid est autorise à recevoir la contriuution nominee
« Kanonikon » de « tous les Vlaques de toute la Bulgarie et de tous les
Turcs du bassin du Vardar, qui vivent à l'intérieur des frontières bulgares »73.

70 Anonymus Barensis, dans Pertz, Monumento Germantae Historica. SS, V, 53.


71 M. Gy6m,B.itaxu6aputicnoti Jenzonucu , in « Acta Antigua Academiae Scientiarum
Hungariae 0, I (1951), 1-2, pp. 235-245.
72 R. Roesler, op. cit., p. 108; P. Hunfalvy, op. cit., p. 167; N. Iorga, Histotre des
Rotzmains, III, p. 78; A. Sacerdoteanu, Conszderafti asupra Istortei Romdrulor in Evul Medtu
[Considerations sur l'histoire des Roumains au Moyen Age], Bucarest, 1936, pp. 236-237.
73 H. Galzer, Ungedruckte und wentg bekannte Bistamerverzetchnisse der ortentaltschen
Kirche, dans « Byzantimsche Zeitschrift 0, II (1893), p. 46 : « 1.(7.1 6ax gTepoc iircE:Xei.cp0--vocv
xótal-pcc iz 764 Teo'v crtytXXEcov T-71.; (3%at.).ELecç [LOU, TOCi5TOC Tcdorsoc zoc-r6zetv Tòv ccii-ròv Ceytdrr.ocTov
Cepxf.entaxorcov xcel Xccu.fldcvsLy xavovtxfiv cxúrg.)v nc'tv-rcov xsci. TiLv dcvdc nac'cotv BooXyceptav
BXeczcov xcd. Tc.7.r.) Trzpi. -còv Bxp8dcpeov To4xcov, elsoi iv-r6c; v BouX-rapty.(6v 6pc.ov ask,. »
A l'occasion du XIII' Congres International d'Etudes Byzantines, dans une commu-
nication tenue le 8 sept. 1966, St. Antolyak de Skopje (Yougoslavie) a attire l'attention sur
la probabilité que les célèbres diphlmes de Basile II soient des faux du XIVe siècle ayant
le but de justifier la politique ecclésiastique d'Etienne Douchan. M éme si cette hypothèse s'avère
conforme à la vérilé historique, il est difficile de croire à des faux fabriques de toutes pieces.
C'est plus plausible d'admettre qu'au XIVe siècle on a utilise comme « matière première o des
dipl6mes plus anciens dont les données sont entrées dans la composition des dipleanes fabriqués.
Entre ces données réelles doivent se trouver aussi celles sur les Vlaques dans leurs rapports
avec l'Archeveché d'Ohrid.

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23 LES VLAQUES A LA FIN DI7 1e DEBUT DIT Xle 429

D'après le contexte, cette indication vise à souligner l'étendue de la


solidité des droits de juridiction de Parchevêché d'Ohrid plutôt qu'à dé-
finir la situation ecelésiastique des Vlaques de Bulgarie, d'où le caractère
assez vague et imprécis de la définition du statut de ceux-ci. Cependant le
passage cité n'apporte des éclaircissements du point de vue territorial qu'en
apparence. En effet, comment faut-il entendre l' expression « de toute la
Bulgarie », complétée par l'expression « et ceux qui vivent à l'intérieur des
frontières bulgares » (laquelle désigne aussi les Vlaques, et non seulement
les Turcs du. Vardar) ? « Toute la Bulgarie » et « à Pintérieur des frontières
bulgares » peuvent signifier soit le territoire de la Bulgarie faisant partie
de l'ancien empire, soit le territoire du thème de Bulgarie institué après
1018, qui ne comprenait que les régions occidentales et centrales de l'an-
cien empire, meins que le territoire proprement dit de Parchevéché d'Ohrid
ou de Bulgarie, tel qu'il avait été délimité et placé sous la juridiction de
celui-ci. Les opinions sont partagées à cet égard, les points de vue variant
entre une extension maximum ou minimum de ce territoire 74.
Pour notre part, nous estimons que, dans l'expression « les Vlaques
de toute la Bulgarie », le terme Bulgarie ne peut avoir pour acception que
celle qui ressort de l'ensemble du texte, à savoir le territoire placé sous la
juridiction de Parchevéché d'Ohrid ou de Bulgarie, qui se rapproche de celui
de l'ancien empire, mais sans se confondre avec lui. Dans ce sens, l'expres-
sion « les Vlaques de toute la Bulgarie » pouvait désigner ceux vivant sur
e territoire compris entre les régions situées au sud des monts Balkans
et le Danube. Le fait que l'ordonnance de Basile II localise les Vlaques par
rapport A, « toute la Bulgarie » a été interprété comme un témoignage du
caractère dispersé de la population vlaque, de son manque de concentra-
tion territoriale, de la permanente transhumance des Vlaques, forme carac-
téristique de leur nomadisme 75. Or une telle explication ne peut être ad-
mise, car on ne voit pas très bien comment une population dispersée au-
rait pu étre soumise à une autorité régionale en passant outre aux autorités
locales, si l'on interprète ainsi le passage, ou, au cas contraire, pourquoi
le texte ne stipule pas qu'ils étaient subordonnés à ces autorités locales.
Du reste, la mention, A, côté des Vlaques, des Turcs du Vardar c'est-à-
74 A. D. Xenopol, op. cit., p. 40, considère que le territoire en question ne désigne
que les parties montagneuses, habitées par les Roumains, et non toute la Bulgarie. D. Onciul,
op. cit., p. 327 considère qu'il représente la zone placée sous la jundiction de l'archevèché
d'Ohrid ; A. Decei, dans Romcinii din veacul al IX-lea Mud In al XIII-lea [Les Roumains du IXe
au XIIIe siècle], Bucarest, 1939, p. 101, estime qu'il s'agit de toute la Bulgarie jusqu'au Danube ;
I. I. Nistor, op. cit., pp. 9-10, estimait que l'aire de juridiction de l'archevéché d'Ohrid coin-
cidait avec celle de la Justiniana Prima d'autrefois ; Silviu Dragomir, dans Vlalui din nordul
Peninsulei Balcanice in Evul Mediu, p. 162, soutenait que l'expression « les Vlaques de toute la
Bulgarie » désignait les établissements de l'Hémus et de la vallée de la Morava, du Rhodope
et de la vallée du Vardar.
75 P. Hunfalvy, op. cit., p. 75; M. Gynni, L'Eveché vlaque del' Archeveché bulgare d' Achris
aux XIIeXIlle siècles, dans a Etudes slaves et roumaines s, I, 1948, pp. 148-149, 151-155.

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430 El7GEN STSNESC17 24

dire d'une population stable et localisée de fa vn bien précise prouve


que les Vlaques sont mentionnés de la sorte non pas en raison de leur pré-
tendu nomadisme, mais paree qu'ils constituaient une population complè-
tement différente de celle au milieu de laquelle ils vivaient.
Pourtant on peut envisager aussi une autre explication. Une organi-
sation ecclésiastique comme cene dont il s'agit devait correspondre à une
certaine organisation administrative. Toute discordance entre l'une et
l'autre devait disparaitre tôt ou tard. Un exemple de ce fait est justement
la situation d'après 1018, lorsque la Bulgarie ecclésiastique (Parchevéché
d'Ohrid) ne s'est pas identifiée territorialement, un certain temps, avec la
Bulgarie administrative (le thème ainsi nommé), la première correspondant
en lignes générales A, rancien empire, tandis que le seconde n'englobait
que les zones occidentales et centrales de celui-ci, la zone du Bas-Danube
étant organisée séparément. Mais plus tard, par l'institution de la métro-
polie de Dristra, directement subordonnée au Patriarcat de Constanti-
nople, les organisations ecclésiastique et administrative ont coincidé dui
point de vue territorial. C'est pourquoi on est obligé de se demander s
l'organisation ecelésiastique des Vlaques de 1020, réglementée au fond
sui generis, ne correspondait pas en fait à une organisation administrative.
Il se pourrait que, pareillement à l'organisation spéciale des Vlaques de
l'Hellade, il ait existé une organisation spéciale des Vlaques de Bulgarie.
Quant à, la raison justifiant une telle organisation, mise en évidence indi-
rectement par celle d'ordre ecclésiastique, elle pouvait résider dans la f onc-
tion économique qu'ils accomplissaient, à savoir les transports de produits
qu'ils faisaient d'une région à l'autre : l'importance, la vitalité et la
persistance de cette population vlaque, dont la présence et le rôle historique
n'ont fait que croitre au cours des siècles suivants 76 A cet égard, le diplôme
de Basile II suggère la possibilité de l'existence de deux grandes organisa-
tions vlaques à la fois militaires et économiques (car il ne faut pas consi-
dérer leurs attributions de manière exclusive) qui se prolongent jusqu'au
temps de la Serbie médiévale : cene des Vlaques de Bulgarie, dont la situa-
tion est proche de celle des « kjeators », et celle des Vlaques de l'Hellade,
dont la situation est proche de celle des « voiniks ».
Ce que nous avons dit plus haut sur le manque de fondement de la
thèse du nomadisme et de la dispersion absolue des Vlaques est confirmé
par l'existence d'un évêché vla,que, attesté à la fin du xr siècle et au début
du XIP, mais qui existait peut-étre déjà dès le milieu du XI' siècle,
vu la mention d'un certain Jean, prêtre du saint évèché des Vlaques 77.
Gh. Murnu, Les Roumains de la Bulgarie médikale, dans e Balcania o, I, 1938, p. 11.
77 N. Popescu, loan Preotul", episcopul Aromdnilor cel mai bdtrtn preot romdn, pe
la anul 1050 [o loan le PrIkre o, év6que des Macédo-Roumains le plus ancien prètre roumain'
vers 1050], dans e Biserica OrtodoxA Romdn5 o, 52 (1954), pp. 457-460.

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25 LES VLAQUES A LA FIN DU Xe SIECLE DEBUT DU Xle 431

Il est, en effet, peu vraisemblable qu'un tel éveché ait été spécialement ins-
titué pour une population instable et nomade, tandis qu'il est normal
qu'il l'ait été pour une population habituée A, se déplacer entre un cer-
tain nombre d'agglomerations stables et, au surplus, assez dense pour que
l'histoire ait enregistre son existence, apportant sur elle des details qui ont
eu le don de retenir l'attention des contempora ins.
Le problème de la deseendance immédiate des Comitopoules. Ce problem°
est mal éclairci par les sources. D'après Jean Skylazes, à Samuel a suc-
cede son fils Gabriel-Rodomir, puis son neveu (fils de son frère Aaron),
Jean-Vladislav. Mais le nombre des fils de ce dernier ne ressort pas de
fa gon precise du texte des « Histoires » 78. Aussi n'est-il pas sans intérét
de noter que, parmi les interpolations faites sur un manuscrit de Vienne
par Peveque Michel de Deabolis, on trouve cites les fils suivants de Jean-
Vladislav : « ... Presian, Alusian7 Aaron7 Traian et Radomir ... » 78. La
presence de ce Traian est pour le moins singulière, car dans les regions
slavisées de la Péninsule Balkanique ce nom qui apparait le plus sou-
vent comme nom de lieu représente manifestement une reminiscence
de Pantiquité romaine 8°. Ne s'agit-il, ici aussi, que d'une simple influ-
ence, sans signification spéciale, de la toponymie sur Ponomastique, ou
bien ce nom exprime-t-il une sorte d'attache à la romanité balkanique,
représentée par Pélément vlaquel Dans ce dernier cas, la descendance
hypothétique des Comitopoules ne fait que souligner une fois de plus les
rapports vlaco-bulgares dans le monde byzantin. Nous devons nous con-
tenter ici de formuler les données essentielles de cette hypothèse.

Les elements du problème exposés dans le chapitre precedent confir-


ment que la tradition relevée au cours des XII° XIII° siècles n'était
pas le produit d'une simple fantaisie, car si elle est en contradiction avec
le sens de l'épisode de 976 narré par Skylitzès, elle est, en revanche, en
concordance a,vec toutes les autres données concernant la situation des
Vlaques à la fin du X' et au XI° siècle, qu'il s'agisse de Nikoulitzas et de
son gouvernement des Vlaques de l'Hellade, de l'expédition militaire
de 1027 ou du statut ecclésiastique des Vlaques de Bulgarie. Toutes ces
données attestent un caractère de concordance et non pas de contradic-
tion entre Pélément vlaque et Pélément bulgare. La symbiose vlaco-bul-
gare est un fait evident autant pour cette période que pour les siècles
suivants et elle fait preuve ainsi d'une remarquable continuité 81. Aussi,

78 Skylitzès, II, pp. 468 469.


79 B. Proki6, op. cit., p. 34.
CO
J. Jung, op. cit., p. 259.
81 Gh. Murnu, Chid si unde se ivesc romanii, pp. 108 109 ; id., Les Roumains de la
Bulgarie médiivale, pp. 9-17.

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432 EGGEN STXNESCIT 26

en ce qui concerne l'épisode relaté par Skylitzès, autant la présence des


Vlaques à l'événement de 976 ne peut être attribuée au hasard, autant le
meurtre de David par certains d'entre eux mérite de Pêtre. Compte tenu
de la pénurie des données dont on dispose, on ne saurait même exclure
Phypothèse que l'embuscade on David a trouvé la mort eftt été préparée
par Samuel, soit dans le but de rester seul maitre du pouvoir, soit parce
que Painé des Comitopoules avait manifesté, ainsi qu'Aaron, une dispo-
sition à pactiser avec les Byzantins. L'assassinat de David par les Vlaques
ne peut en aucun cas représenter un acte de guerre entre ceux-ci et les
Bulgares. La réalité historique doit, pour une fois, être envisagée au-delh
et même à Pencontre de la lettre du texte.

Ainsi que nous l'avons montré, les Vlaques apparaissent dans l'his-
toire de Byzance à la fin du Xe siêcle et au début du XI° siècle et leur
présence est signalée comme un des faits saillants de l'époque. 1Vlais pour-
quoi n'apparaissent-ils qu'à cette époque ? Cette question a préoccupé
dès le premier abord ceux qui se sont penchés sur le problème des Vla-
ques 82 Ce fait a constitué un arguraent de premier ordre contre la théorie
roesslérienne : en effet, de même que le silence des sources à l'égard de
la romanité sud-danubienne avant 976 ne prouve pas l'inexistence de celle-
ci, de même le silence des sources à l'égard de la romanité nord-danubienne
n'exclut pas l'existence de cette dernière dans l'espace carpato-danubien.
L'explication la plus simple et la plus convaincante de cette situation est,
évidemment, que les Vlaques n'ont pas pris part à des événements his-
toriques qui leur aient valu de se faire remarquer et d'être consignés dans
les sources écrites, si ce n'est h partir de la fin du Xe siècle. Un cas ana-
logue est celui des Albanais.
Il bait souligner pourtant que cette révélation n'est pas le produit
du hasard, d'une rencontre fortuite entre un groupe ethnique et un complexe
d'événements historiques, mais qu.'elle a eu lieu à un moment correspon-
dant à un certain stade de leur développement. Or, un fait intéressant
ce propos est que ce moment coincide justement avec celui où s'achève
Pethnogenèse du peuple roumain dans la zone carpato-danubienne 82a.
Ces deux processus auront-ils été absolument parallèles et dépourvus de
tout point de contact ? Le groupe dense et puissant de la romanité nord-

82 J. Jung, op. cit., p. 244; A. D. Xenopol, op. cit., pp. 73-74; Gli. Alurnu, op. cit.,
pp. 108-109.
82 a Le fait qu'à la fin du Xe siècle l'achèvement de la formation du peuple et de la
langue roumaine ne pouvait être sans liaison avec le stade de l'évolution de la romanité sud-
danubienne a été récemment signalé par C. Daicoviciu, Em. Petrovici, Gh. stefan dans Die
Entstehung des rumanzschen Volkes und der rumanischen Sprache, in a Bibliotheca Historica Roma-
niae », I, Bucarest, 1964, pp. 53, 67.

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27 LES VLAQUES A LA FIN DU Xe SIECLE DP.Bur ou xie 433

danubienne, une fois cristallisé en tant que peuple roumain, n'aura-t-il


pas concouru par un afflux de population a, la cristallisation de la romanité
sud-danubienne qui, développée et consolidée de la sorte, aura pu sortir
de son anonymat et faire son entrée sur la scène de l'histoire ? Nous ta-
cherons, dans ce qui suit, d'examiner s'il existe des éléments mettant en
évidence de tels liens entre les deux romanités, liens susceptibles d'expli-
quer ce brusque et spectaculaire jaillissement des Vlaques.
Une indication essentielle dans ce sens est la genèse même du terme
« Vlaque ». Les recherches effectuées jusqu'à ce jour ont révélé à cet égard
un mouvement dans deux sens : d'abord de l'Ouest à l'Est et ensuite du
Nord au Sud. Par les Slaves et les Germains, ce nom venait des Celtes,
car il existait en Gaule au I" siècle de n. 6. deux tribus nommées Vol-
ees = les Voices Tectosages et les Volees Arecomici. De là, le nom est
passé dans le germain primitif sous la forme walhal, acquérant dans les
langues germaniques les formes suivantes : en ancien allemand, walh,
walah, wal(a)hisc Roman, Celte, étranger ; en anglo-saxon, wealh
wielise = Celte, étranger ; en anglais médiéval, walsh étranger, en
haut-germain médiéval, Walch, Walhe --= homme de race romane, ita-
lienne ou française (adjectif, walchisch, weilhisch). Par cons qucnt, les
anciens Germains ont compris par ce mot tout d'abord les Celtes romanisé s,
puis les Gaulois romanisés et, finalement, tout voisin romanisé. De l'ancien
allemand le vocable est entré de bonne heure dans le slave commun, étant
attesté en vieux slave (vlah), en serbe (vloska) en polonais (Wloch = Ita-
lien, IV loehy = Italie, Woloch = Roumain), ruthène (voloch), russe (vo-
loh), tchèque (vlach) et bulgare (vlah, vlahinija, vlahinka, vlasce). Dans le
domaine slave il existe, ainsi qu'on le voit, deux formes : viaau Sud et
vio-vol au Nord et au Nord-Ouest. Ces formes sont le résultat d'une
&volution, alors que dans le slave commun il existait probablement une
forme unique 82b. Ce fait prouve que les Slaves ont connu les populations
romanisées dès avant le VII' siècle, lorsqu'a eu lieu le clivage dialectal
du slave commun. Du slave commun le mot est entré dans le latin médié-
val et dans le grec byzantin, avec le sens de population. romanisée 83.

82)3 On pent trouver les références aux principaux travaux lexicogiaphiques chez
I. Milidescu, op. cit., pp. 162-163, oft le problème est laigernent traité. Il faut signaler aussi
la précision très importante faite par C. Daicoviciu dans Brève Histoire de Transylvanie, Buca-
rest, 1965, p. 63, sur le fait qu'A la méme époque (Xe .XIe siècle) les Slaves de l'Est et les Slaves
du Sud nommaient différemment la romanité carpato-balkanique (Vlaques et Volochs, le premier
terme étant emprunté par les Byzantins aux Slaves du Sud).
83 W. Tomaschek, Zur Kunde der Hemus-Hallunsel, Wien, 1882, p. 46; P. Hunfalvy,
op. cit., pp. 76-77; Traugott Tarnm, Uber den Ursprting der Rumanen, ein Beitrag zur Ethno-
graphie des Sud-Ost-Europas, Bonn, 1891, p. 4; Aron Densusianu, Originea cuvintului vlah
[L'origine du terme Vlaque], clans o Revista GriticA i Literard s, Jassy, 1894, pp. 1-14 ; N. Iorga,
Istorza romdnilor din Peninsula Balcanied, p. 16 ; I. Gherghel, Cileva contributzuni la cuprinsul
noliuniz cuvintului vlah [ Quelques contributions au sens du terme Vlaque], Bucarest, 1920,
pp. 14 15 ; Gli. Popa-Lisseanu, Romdrui in izvoarele istorice medievale [Les Roumains dans les

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434 EIIGEN STANESCII

L'importance de la direction suivant laquelle a eu lieu la genèse du


terme n'a pas échappé à ceux qui se sont occupés du problème. Le fait que
les Byzantins l'ont reçu des Slaves prouve qu'à un moment donné les
Vlaques n'ont plus été confondus dans la masse slave, mais ont été con-
sidérés comme une entité distincte de celle-ci. Un tel moment a di': avoir
lieu au cours du Xe siècle et correspond aux mentions sur les Vlaques
qui apparaissent tout à coup A, la fin de ce siècle et au début du siècle
suivant. Cette prise de conscience a-t-elle été déterminée par un afflux
de population du Nord, attestant un lien entre les deux romanités On
relève à cet égard dans les textes des XI' XIIP siècles, certaines ré-
miniscences qui semblent le confirmer. Quant à la présence plus ancienne
de ce terme dans la Péninsule Balkanique et en contact direct avec la réa-
lité byzantine, sous la forme spéciale « Vlaherne » 84 ou d'une population
nommée «Vlahorynchiens »85, les hypothèses formulées A, ce sujet sont trop
contradictoires pour que nous nous y attardions. C'est pourquoi, en ce qui
concerne la genèse des réminiscences historiques de cette tradition histori-
que, pourrait-on dire il faut nous en tenir strictement au terme « Vlaque ».
Réminiseenees d'une migration du Nord au Sud dans .la « Des-
riptio Europae Orientalis ». Dans cet ouvrage rédigé autour de l'année
1308, le géographe anonyme auteur de cette synthèse des connaissances
livresques du temps, où il entre d'ailleurs aussi une part d'expérience
personnelle, dit clairement, au sujet de la population romanisée vlaque
de la Péninsule Balkanique, qu'elle est originaire du nord du Danube,
d'où elle est venue à la suite de l'invasion magyare. Il expose de fa çon
fort claire comment « un grand et noble peuple nommé Blazi », autrefoi,s
« pâtres des Romains », a transféré son habitat des régions de Hongrie où
il vivait autrefois et d'où il fut chassé par l'invasion magyare, vers une ré-
gion située entre « la Macédoine, PAchale et Thessalonique » 86 Ainsi
done, pour cet auteur du XIV' siècle, une région principale peuplée par
les Vlaques était la Thessalie (car c'est elle la région délimitée par la Macé-
sources historiques médiévales], Bucarest, 1939, p. 35 ; A. Decei, op. cit., pp. 97-98 ; Anto-
rnios Kéramopoullos, Ti etym. 61. BXáxot. 9 Athènes, 1939, pp. 9-13, d'après lequel les Vla-
ques seraient venus du Sud, de l'Afrique, le nom « Vlaque étant dérivé de # fellah ». Th. Capi-
clan, Macedoromdnii, etnografte, istorze, (maul [Les Macédo-Roumains, ethnographie, /ustoire,
langue], Bucarest, 1942, p. 146; cf. l'ouvrage plus récent de A. Katzouggiani, i IlEpi TC,Iv
BXeczcov Tc5v iX)von.xc7.)v xd.)pcav » ,()E.cracaovi.x-t), 1964, p. 16 sqq. qui soutient que les Vlaques
sont des Grecs, leur nom étant les Romées *
84I. Gherghel, op. cit., pp. 3-8; Gh. Popa-Lisseanu, op. cit., p. 135 sqq.
85 A. Sacerdoteanu, Vlalui din Peninsula calcidicd [Les Vlaques de la Péninsule Chal-
cidique], in Omagiul Vasite Pdrvan, p. 232; A. Decei, op. cit., p. 100; M. Lascaris, Les Vla-
chorynclzens, dans # Revue historique du Sud-Est Européen », XX (1943), pp. 182-189; G. Brd-
tianu, op. cit., pp. 55-56.
" Olgierd Gorka, Anonymi Descriptio Europae Orientalis, P. 13: # Notandum est hic
quod inter Machedoniam, Achayam et Thessalonicam est quidam populus valde magnus et
spaciosus qui vocantur Blazi, qui et ohm fuerunt Romanorum pastores, ac in Ungaria, ubi
erant pascua Romanorum, propter nimiam terre viriditatem et fertilitatem ohm morabantur.
Sed tandem an Ungaris inde expulsi, ad partes illas fugierunt.

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29 LES VLAQUES A LA FIN DIT Xe SIRCLE DEBUT DU Xle 435

doine, l'Achaie et Thessalonique), où ils se trouvaient depuis près de qua-


tre siècles, à la suite d'une migration du Nord au Sud. Le texte de la « Des-
criptio Europae Orientalis » est clair, mais il ne faut pas Pinterpréter uni-
latéralement, dans le sens que cette population vlaque serait venue en
entier du Nord. Ces réminiscences manifestent souvent dans leur mode
de rédaction une tendance à Pexagération, justement dans le but de sou-
ligner les idées du temps sur des problèmes tels que celui des origines de la
population vlaque.
RIminiseences d'une migration du Nord au Sud dans l'ancienne ehro-
-nique russe. Dans cette ehronique sous le nom de « Relation des temps
d'autrefois », se trouve, de même, en relation avec les circonstances sus-
citées par l'invasion magyare, un texte où il est dit : « En l'an 6406, les
Hongrois passèrent près de Kiev, franchissant la montagne nommée au-
jourd-hui encore « Oungourskolé », et arrivèrent au Dniepr, où ils dressè-
rent leurs tentes, car ils étaient nomades comme les Polovtziens. Venant
de l'Est, ils franchirent rapidement les hautes montagnes, dites hongroises,
et commencèrent a, se battre avec les Volochs et les Slaves qui habi-
taient la. Car auparavant les Slaves habitaient la et les Voloques avaient
conquis la terre des Slaves. Mais après, les Hongrois chassèrent les Vo-
lochs et prirent cette terre en possession et s'y établirent avec les Slaves,
après les avoir soumis, et depuis lors cette terre se nomme Hongrie. Et les
Hongrois se mirent à guerroyer avec les Grecs et ravagèrent la Thrace et
la Macédoine jusqu'à Thessalonique. » 87 La plupart des chercheurs ont iden-
tifié les Voloques aux Roumains et ont interprété ces données dans le sens
d'une migration roumaine vers le Sud 88. Pourtant, un nombre restreint
de chercheurs s'est maintenu à l'ancien point de vue, suivant lequel les
Voloques du texte cité ne sont autres que les Francs de la frontière orien-
tale de l'empire de Charlemagne 89. Mais l'équivalence des Volochs et
des Roumains est confirmée par d'autres sources, par les sources armé-
niennes par exemple 9°. Ainsi, la réminiscence qui se trouve dans « Des-
criptio Europae Orientalis » est renforcée par le texte de l'ancienne chro-

8 7 .1Theecmb epementibix diem, Mocium-JIeHHHrpag, 1950, I, p. 21: « BT3 MITO 6406.


FIgoma yrpn MHMO coposo, eace CH 30BeTb MaIlla YTOpbCH0e, H npHuiewmue HT, ,LIHfinpy
cTama Heamium ; 6Hma 6o xognige aHH ce Honosnm. ilpHmegme oT BICTOlia H ycrpemxmacH
tiepeci, ropas BeaHHHH Hate npommacH ropas Yropbcm4a, H notiama HoeHaTll Ha au4Hyman
ry BOJI0X14 H C3I0BHHH. CHAHxy 6o Ty ripeate CMOBHHH, runtopHume H 1101IT, ca, 14 OTTORe
npo3HacH aemaa YropbcHa. N Hatiama HoeHaTH yT1314 Ha rperix, Il non.HHHuma 3emalo (I)pa'iac-
a Mali gonbcxy goaie 14 go Cegyiln».
88 J. L. Piè, Zur rumanisch-ungarischen Streitfrage, Leipzig, 1886, pp. 59-61 ; A. D
Xenopol, op. cit , p. 82 sqq. ; B. P. Ilasdeu, Strat si substrat, dans Etymologicum Magnum
Romaniae, pp. XXXXXXI; Traugott Tamm, op. cit., p. 131; A. Deco, op. cit., p. 10.
89 R. Roesler, op. cit., p. 810 ; M. Gy6ni, Les Volochs des Annales primitives de Kiev,
dans i Etudes slaves et roumaines », 2, 1949, pp. 76-92. La persistance de cette thèse est «vi-.
dente aussi dans l'édition citée, Hoeecmb epemetataix ítem, I, p. 107-108, et note 1, p. 108
9° A. Decei, op. cit., pp. 30, 108-110.

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436 ElJGEN sTANEscu 30

nique russe et ce n'est sans doute pas par hasard que le chroniqueur russe
évoque la, pénétration des Hongrois jusque dans la Péninsule Balkanique,
jusque dans la région attestée par « Descriptio Europae Orientalis », comme
un des principaux habitats des Vlaques : Thrace, Macédoine, Thessalonique.
Réminiseences d'une migration du Nord au Sud dans les « Conseils
et Contes » de Kékauménos. Dans cet ouvrage rédigé peu après l'insurrec-
tion de Thessalie de 1066, entre autres données concernant ces événements,
l'auteur expose son point de vue sur l'origine de la population vlaque,
abordant à cette occasion l'idée du transfert de son habitat : « Ceux-ci,
dit-il (c'est-à-dire les Vlaques, n.n.), que Pon nomme Daces ou Besses,
habitaient autrefois dans le voisinage du fleuve Danube et du Saos, que
nous appelons aujourd'hui la Saya, oit vivent maintenant les Serbes, dans
des lieux inaccessibles et sauvages. »91 Ce texte se rapportant à une
population vlaque qui habite près du Danube atteste probablement une
étape intermédiaire dans cet afflux de population du Nord au Sud en com-
plétant par conséquent les sources mentionnées. Ainsi, ces trois textes con-
tenant des réminiscences d'une migration du Nord au Sud de la population
romanisée et dont la valeur est d'autant plus grande qu'ils proviennent
de sources indépendantes et rédigées à des dates différentes prouvent
tout le moins que ceux qui durant les XI' XIII siècles s'occupaient
de tels problèmes étaient pleinement convaincus qu'une grande partie de
la population vlaque sinon toute cette population était venue dans la,
Péninsule Balkanique des régions transdanubiennes. Cette conviction
nous oblige de nous demander si ce mouvement de population n'a pas été
provoqué par des circonstances concrètes précises.
De telles circonstances semblent avoir été suscitées par l'invasion
maygare. Autant la « Descriptio Europae Orientalis » que la Chronique de
Nestor l'affirment nettement. Il est done tout 6, fait possible que, sous la.
pression magyare, des vagues de la population roumaine aient gagné le
Sad. Mais plus tard, à savoir au X' siècle, lorsque l'invasion se fut trans-
formée en pénétration et établissement de colonisation, la population rou-
maine de l'espace carpato-danubien fut probablement obligée d'accompa-
gner les Magyars dans leurs expéditions au sud du Danube, tout comme elle
le fut postérieurement par les Petchenégues. Certaines fractions de cette
population, au contact d'une population presque de Tame race et de méme
langue, auront préféré rester en ces endroits. Leur exemple aura lame
été suivi par des groupes d'envahisseurs magyars. C'est ainsi qu'il faut
interpréter le cas de ces « Turcs » du Vardar mentionnés à c6té des Vlaques
91 Kékauménos, p. 74 : oryco1 ydcp claw ot Xeyeip.svor. Aecxxt. xcd. B6croL. (Lxouv
7cp6-repov 70.7)cd.ov TO ccvouptou 7curc4toi5 xcd. roi3Edcou66 v5v TcoTotttbv EgePccv xcaoi'imv, gy.5x
Eig3tot. 4'7E04 oixoi3mv, xcd suar3c'crotc,s67roLq. o Voir aussi le commentaire de W.
Tomaschek, op. cit, pp. 58-64.

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31 LES VLAQUES A LA FIN DU Xe SIECLE DEBUT DU Xle

par le diplôme de Basile II réglementant l'organisation ecclésiastique des


territoires conquis 92 Lesdits « Turcs » du Vardar doivent en effet être con-
sidérés comme étant des Magyars ou peut-être comme un mélange de
Maygars et de Petchenègues 93.
Du reste, les circonstances qui auront erg cette situation semblent
se rattacher plutôt à l'invasion des Petchenègues, connue pour son carac-
tère dévastateur. Et, en effet, les données archéologiques dont nous dis-
posons à l'heure actuelle attestent le processus de disparition des établisse-
ments au fur et à mesure que l'aire de l'invasion petchenègue avance. Les
données recueillies pour la région d'entre le Dniepr et les Carpates sont
particulièrement significatives 94. Il est A, supposer que les découvertes
futures confirmeront ces résultats. L'arrivée des Petchenègues au Danube
et l'expédition dévastatrice de 934 marquent certainement la détériora-
tion profonde des conditions de vie de la population sédentaire, en plein
essor, établie au nord du Danube et l'auront poussée à chercher refuge au
sud du fleuve. A ce point de vue, les découvertes archéologiques n'ex-
cluent pas la possibilité d'une migration de ladite population sous la
pression petchenègue 95.
Ce sont peut-être là les circonstances qui ont déterminé la migration
du Nord au Sud de la population nord-danubienne et qui ont contribué
par ce fait à, donner des contours plus nets à la population romanisée de la
Péninsule Balkanique, la faisant entrer ainsi sur la scène de l'histoire.
Ces circonstances soulignent une fois de plus le manque de fondement de
la théorie de Roesler et de ses partisans. Non seulement les sources ne con-
signent pas une migration massive de population romanisée du Sud au
Nord, mais, bien au contraire, elles attestent directement ou sous forme
de réminiscences historiques l'existence d'une migration dans la direc-
tion Nord-Sud. Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant que ceux qui au cours
d'une polémique presque séculaire se sont élevés contre la théorie de Roes-
ler aient souligné une telle possibilité 96. Cette position est d'autant plus

92 H. Gelzer, op. cit., p. 46; B. P. Hasdeu a remarqué ce sens, op. cit., pp. 33-34.
93 Gyula Moravcsik, Byzantinoturetca, II, pp. 86-87. C'est probablement à cette situa-
tion que se rapporte l'Alextade d'Anne Comnène en parlant d'un détachement de Turcs habitant
la region d'Ohrid, qui combattaient sous les ordres de l'empereur byzantin : «... -reov rrept.
TV 'Axi:g.Seo dx0O1J.6vcov Toúpxcov » (ed. B. Leib, I, p. 151).
94 Istoria Romcinzei, II, Bucarest, 1962, p. 67; P..Diaconu, Despre pecenegiz de la Dundrea
de Jos In secolul X [ Sur les Petchenègues du Bas-Danube au X° siècle], dans « Studii s, 18 (1965),
n° 5, pp. 1121 et 1124-1125.
95 La memo possibilité a été prise en consideration par Maria Coma, Die bulgartsche
Herrschaft nordltch der Donau wahrend des IX. und X. J11. im Lzehte der archaologischen For-
schungen, « Dacia s, IV (1960), p. 422; V. aussi P. Diaconu, op. cit., pp. 1121-1122, 1129.
96 J. Jung, op. cit., pp. 248-249; Traugott Tamm, op. cit., pp. 123-124; Hugo
Grothe, Zur Landeskunde von Rumanien, Kulturgeschichtliches und Wwsenschaftliches, Halle,
1907, pp. 20-21 ; N. Iorga, Istoria Romdnilor din Peninsula Balcanied, p. 16; Silviu Dragomir,
Vlahtz si Morlahu. ., pp. 57, 115; A. Sacerdoteanu, op. cit., pp. 275-276; A. Katzougiani,
op. cit., pp. 34-35, 56.

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438 EITGEN sTANEscu 32

justifiée que la migration Nord-Sud a fort bien pu avoir un caractère quasi


permanent. Il existe d'ailleurs des indices A, cet égard pour la période an-
térieure aux circonstances qui ont formé Pobjet de la présente étude 97.
*
Les quelques données exposées permettent de clore le premier cha-
pitre de l'histoire des Vlaques de la Péninsule Balkanique. Il est hors de
doute qu'il s'agit d'une présence ferme, nullement fortuite et comportant
l'accomplissement d'un rôle important dans Phistoire des événements de
ces temps. Les données recueillies permettent, h notre avis, de formuler
certaines conclusions sur la situation des Vlaques A, la fin du X' siècle et
au début du Xle. Compte tenu de la manière dont ils sont mentionnés,
ceux-ci apparaissent comme une catégorie ethnique possédant des carac-
tères sociaux et économiques spécifiques, de fait comme un peuple à part.
C'est ce qui explique la force de résistance qu'ils ont su opposer aux ten-
dances de dénationalisation exercées du dehors, résistance qui n'a pas
manqué de provoquer l'admiration des chercheurs 98 Une telle résistance
et.,t été impossible si la population vlaque de la Péninsule Balkanique n'avait
pas acquis un caractère de population établie, encore qu'obligée de se dé-
placer périodiquement de par la fonction économique qu'elle exergait.
Dans des études ultérieures, concernant d'autres périodes de l'histoire du
Moyen Age, nous examinerons dans quelle mesure les Ylaques de la Pé
ninsule Balkanique ont maintenu et consolidé les traits qui les caracté
risent dès leur première apparition sur la scène de l'histoire.

97 Voir a cet égard la question des informations contenues dans la légende de Saint Démè-
tre, chez Me Gherghel, Zur Frage der Urheimat der Rumanen, Wien, 1910 et celle qui se rattache
au territoire du premier Etat bulgare, voir N. Bänescu, L'ancien Etat bulgare el les Pays rou-
mains, Bucarest, 1947. On peut aussi consulter les données essentielles concernant les sources
et la littérature dans l'ouvrage récent de H. Mihäescu cité plus haut, pp. 72-73.
98 R. Roesler, op. cit., pp. 135-136; Traugott Tamm, op. cit., pp. 135-136; F. R.
Miklosisch, Uber die Wanderungen der Rumunen in den dalmatischen Alpen und den Karpathen,
VVien, 1879, p. 3.

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«LE MIROIR DES PRINCES » DANS LA CULTURE ROUMAINE

ALEXANDRU DUTU

S'il n'est guère probable que, sous Peffet de l'enchantement qu'il


aurait ressenti devant son ceuvre, Justinien se soit écrié lors de l'inaugu-
ration de la Sainte-Sophie : «Je t'ai vaincu, ô Salomon », en revanche,
Pédifice consacré à la « Sagesse divine » a soulevé depuis lors et soulève
encore une admiration unanime. La tradition n'a pas enregistré la moindre
exclamation de la bouche du prince de Valachie Neagoe Basarab qui,
mille ans plus tard, érigea l'église du monastère de Curtea de Arge§. En
échange tous ceux qui ont visité le monument ont pu se rallier à l'opinion
partagée par Gabriel, prôtos du. Mont Athos et témoin oculaire de la con-
sécration de l'église : « Et c'est ainsi que nous pouvons dire, qu'elle n'est
pas aussi grande ni universelle que Sion, que fit Salomon, ni que la
Sainte-Sophie, que fit le grand empereur Justinien, mais elle les dépasse en
beauté. »1 Expressions sublimées de la sensibilité et de l'esprit d'un
peuple et d'une époque 2, les monuments transposaient en pierre la conclu-
sion d'un effort de méditation et de création qui se déroulait ensuite plus
explicitement dans les ornements et la peinture, et plus clairement encore
dans l'autre variante de la graphie, Pécriture : les Proverbes de Salomon,
les Chapitres d'Agapet, les Enseignements de Neagoe transposaient par le
truchement de l'encre des conclusions propres à une maturité culturelle.
Parus sous une forme se rattachant à un Etat ou à un autre, les écrits que
nous avons évoqués se laissent encadrer dans le genre de large circulation
littéraire désigné en général du nom de « F iirstenspiegel ».

Gavriil Protul, Viala i traiul Sfintului Nifon [Vie et actes de Saint Niphon], éd. Tit
Simedrea, Bucarest, 1937, pp. 27-28.
2 Caractérisation, d'après un Worringer ou un Blaga n, dans l'article bien documenté
de Stefan Andreescu, Mineistirea Arge,suluz in ambianfa vremu [Le monastère d'Arges dans l'am-
biance de son époque], s Mitropolia Olteniei s, Craiova, 1967, 7-8, p. 514.

REV. ÉTUDES SUD-EST EUROP., VI, 3, p. 439-479. BUCAREST, 1968

4 C. 5587
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440 ALEXANDRII DIITII 2

Nous ne saurions prendre la liberté de décrire et de caractériser ici


ce genre littéraire, qui attend encore d'avoir son historien. Mais nous en
avons dressé une filiation qui nous semble acceptable. Nous mentionnions
tout à l'heure les ceuvres de Salomon, auxquelles on fait rarement allusion,
le modèle des écrits de la catégorie des « Fiirstenspiegel » se retrouvant
d'ordinaire dans les discours d'Isocrate, encore que, dans le cas de la tradi-
tion byzantine, on ne voie pas comment on pourrait ignorer les testes
bibliques, décisifs dans une succession qui se maintient de fa çon générale
dans le domaine du sacre (de méme que nous croyons que toute compa-
raison avec les écrits orientaux s'avérerait particulièrement féconde) 3.
3 11 n'existe pas encore d'étude sur les écrits appartenant au genre des « Ftirstenspiegel »
dans le Sud-Est européen ; C. Th. Dimaras, Alexandre Mavrocordato, Machiavel et La Rochefou-
cauld, (1'0 'EpavtaTilg e, Athènes, 1966, p. 2, note 2 remarque : e Cette belle page de l'histoire des
idées n'a pas encore trouvé son historien. » Ce genre n'a du reste pas encore été étudié pour
la littérature byzantine, l'ouvrage souvent cite de O. Treitinger, Die ostromische Kaiser- und
Reichszdee, Jena, 1938, n'abordant le problème que tangentiellement, de meme que celui de
Louis Bréhier, Le monde byzantin, vol. II, pp. 63-65 : Les devoirs de l'empereur (Paris, Albin
Michel, 1949), n'a fait qu'effleurer le sujet. D'utiles données A ce propos chez H. Hunger, Fur-
stenspiegel in der grzecluschen Lzteratur, dans Lexikon fur Theologte und Kzrche, 1960, vol. IV,
p. 474; on trouve, de meme, d'intéressantes interpretations chez Ernest Barker, Social and
political thought in Byzantium, Oxford, Clarendon Press, 1957 (qui remarque A propos d'Agapet :
u as it began in this genre, so it continued in it for nearly a thousand years » p. 20 ; en échange,
la constatatian pertinente : « Byzantine scholars were not specialists (on the contrary they
were, if anything, too broad in their interests) : they were not professionals, but rather men of
general experience in the life of church and State e p. 50). L'étude s'imposerait, A notre avis,
dans la mesure oil elle preciserait quelques aspects dominants de l'idéologie byzantine, surtout
que depuis l'article de Karl Prachter dans e Byzantinische Zeitschrift », I (1892), pp. 399-414,
II, pp. 444-460, XIV, pp. 479-491, de nouveaux textes ont encore été publiés (comme, par
exemple, L. G. Westernik, Le Basilzkos de Maxzme Planude, u Byzantinoslavica e, 1966). Nous
allons jusqu'A croire que, dans son ensemble, le genre pent etre traité de manière plus exhaus-
tive et approfondie que dans l'ouvrage, frequemment cité comme fondamental, de Robert von
Mohl, Die Geschichte und Lzteratur der Staatswissenschaften, Erlangen, 1855-1858, 3 vol.
Toute recherche portant sur ce genre littéraire A Byzance oil il a connu une particulière
longévité et d'où 11 a irradie non seulement sur tout le Sud-Est europeen, mais aussi sur l'ensemble
du continent, devra faire entrer en ligne de compte les contributions A ce sujet du byzantiniste
russe Vladimir Valdenberg (nous devons la bibliographie exhaustive de ses travaux A l'amabilité
de notre collegue Serban Tanasoca). Inclinant, peut-ètre excessivement, A établir la dépendance
des écrits byzantins des ceuvres de rantiquité (voir notamment Les discours politiques de TN-
mistius dans leur rapport avec l'antiquité, e Byzantion s, 1924, pp. 557-580), le regretté savant
a souligné d'une fa çon convaincante et compétente le fait que « la littérature politique de
Byzance ne contient pas uniquement une rhétorique sans lien avec la réalité, mais une matière où
se reflete une situation réelle » (Les idées politiques dans les fragments altribués a Pierre le Patrice,
e Byzantion », 1925, p. 76), etude ofi est déterminée la place de cet ouvrage par rapport A l'écrit
contemporain du diacre Agapet et ofi est discuté ce trait propre au systeme byzantin qu'est
l'association des principes théocratique et démocratique p. 69).
Quoi qu'il en soit, pour la zone sud-est européenne des renvois s'imposent aux ouvrages
orientaux, oil "« the Difirrors of Princes » tradition, taken over from Sassanian writings of pre-
Islamic Persia, was early on supplemented by Indian animal fables to which veiled political
meanings were attached. The « Kalila and Dimma », translated by the Persian Ibn al-Muqaffa'
out of the Pahlavi, itself a version from the original Sanskrit, achieved an immediate and last-
ing popularity though its unlucky author ended his days young in a furnace" Pr A. J.
Arberry, Tales from the Masnavz of Jalal al-Din Rumi, London, George Allen and Unwin, 1961,
p. 13. Dans a Unesco Collection of Representative Works, Persian Series » aussi Nizam al-Mulk,
The Book of Government or Rules for Kings. Translated by Hubert Drake, London, Routledge
and Kegan Paul, 1960,X1 + 259 p., et Ghazcill's Book of Counsel for Kings. Translated by F.R.C.
Bagley, Oxford University Press, 1964, LXXIV -I- 197 p. C'est 1à que convergent les sources

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3 'LE MIROIR DES PRINCES DANS LA CULICEE ROIIMAINE 441

Puis, nous nous sommes efforcé de suggérer que les écrits en question ont
paru à des moments de puissante affirmation culturelle, bien entendu,
toutes proportions gardées. Ces moments se rencontrent au sein de formes
étatiques ayant un caractère bien délimité et, enfin, chacun a inauguré une
tradition dans le cadre de l'Etat mentionné. En effet, les Enseignements
de Neagoe Basarab ouvrent une série qui se déploie sur près de trois siècles,
ses &tapes variées permettant de dépister des variations dans le fonds d'idées
et dans la forme d'expression.
Si nous avons préféré nous cantonner dans le XVIII siècle, ce n'est
pas le désir de présenter la fin d'un genre littéraire qui a déterminé notre
choix mais, bien au contraire, c'est que, tenant compte des conditions de
développement propre aux Pays roumains, nous nous sommes proposé
de surprendre dans le mouvement de flux et de reflux idéologique de cette
période une évolution et quelques constantes. En stoppant la fluctuation
du genre qui nous préoccupe entre le moment de l'affirmation de la « mo-
narchie culturelle » d'un Constantin Brancovan et les décennies qui pré-
cèdent la révolution démocratique bourgeoise de 1848, nous avons acquis
la conviction de pouvoir surprendre quasiment la totalité des exemplaires
constituant cette espèce et, de toutes fa çons, ceux qui sont les plus repré-
sentatifs dans le Sud-Est européen. Nous avons retrouvé des écrits byzan-
tins et grecs, des compilations orientales et des remaniements d'ceuvres
occidentales, des pages de littérature antidespotique d'inspiration fran-
çaise et des essais originaux de science politique. C'est précisément parce
que les formes étatiques se sont maintenues dans les Pays roumains que
'on peut retrouver dans leur tradition littéraire culte des alluvions prove-
nant des ruines de Byzance, des efforts tentés dans quelques milieux grecs,
des échos de tout ce monde sud-danubien dominé par un puissant empire,
qui s'ouvrait sur le monde arabe, de méme qu'il se dirigeait vers le cceur de
1 'Europe. L'on peut ainsi parler d'une littérature de Cour, de livres qui
deviennent populaires, de la confrontation entre tradition et innovation,
de système et d'esprit. Dans l'évolution, qui ne fut pas linéaire, nous
pourrons suivre le passage du sacré au profane, la transformation de la
« sagesse divine » en « sagesse humaine », avec l'évident effort, fourni par
un monde exposé aux calamités, de conserver en permanence, dans les
formes d'une cohésion imposée par la nécessité de répondre avec prompti-
tude à des questions majeures et de caractère urgent, Paccès aux essences,
la« philousie ».
mémes des romans de Barlaam et Joasaph et de t Archirios et Anadan s d'où les lecteurs rou-
mains extrayent des passages au XVIIIe siècle ms. 1867 par exemple. Mais n'est-il point
suggestif que Le Lwre des lumières ou la Conclude des rois, compose par le sage Pilpay,
traduit en fran pis par David Sahib d' Ispahan, ait été publié en 1644, puis réimprimé en 1698?
Nous n'avons pu consulter le travail de G. Richter, Studten zur Geschichte der alteren arabischen
Fizrstenspiegel, Leipzig, 1932.

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442 ALEXANDECT DIITII 4

Au fond, de tous ces traits dont surgiront de nouveaux problèmes


qui exigent argumentations et explications, il n'apparaitra dans les pages
qu'on va lire que les esquisses que le développement et la circulation des
oeuvres du genre des « Fiirstenspiegel » nous permettent de faire dans les
limites chronologiques que nous avons fixées.
Point n'est besoin de commenter le fait que les oeuvres que nous
oiterons sont, a, de rares exceptions près, demeurées A, l'état de manuscrits.
Le fait est en soi pleinement significatif. Si nous avons choisi pour limite
inférieure le règne du prince Constantin Brancovan, la chose est due aussi
à cette circonstance que c'est en 1691 que fut imprimée pour la première
fois une oeuvre de ce genre. Publiés en langue grecque, les Chapitres attri-
bués à l'empereur Basile le Macédonien sont introduits dans un large cir-
cuit, qui est celui de tout un monde qui utilisait le néo-grec comme langue
de culture. Le volume s'adresse à la couche des intellectuels de Valachie
qui organise maintenant une Académie princière grecque, avec pour langue
d'enseignement celle usitée par les eercles humanistes. A celté de Basile le
Macédonien se fera jour Agapet. Ils inspireront tous les deux le métro-
polite de Hongrovalachie, Anthime d'Ibérie, auteur de sentences du même
genre. Mais les deux écrits byzantins avaient été connus des lettrés rou-
mains depuis le milieu du XVII' siècle, lorsque l'ouvrage de Neagoe fut
traduit aussi en roumain. Aussi ferons-nous un retour de quelques décennies
pour mieux définir le phénomène. De même, nous remonterons de quel-
ques siècles afin de fixer la place que les écrits des Phanariotes occupent
par rapport aux oeuvres de Pantiquité grecque que l'on étudiait dans les
écoles grecques du XVIII' siècle. Quand nous aborderons la littérature
antidespotique d'inspiration fralnaise, Neagoe sera présent de même que
les projets de constitutions seront accompagnés de la copie assidue des li-
vres du Theatron politikon. Les fluctuations de mentalité pourront, néan-
moins, indiquer que la m'èrne oeuvre, à des époques différentes, a été A,
même de remplir des fonctions diverses. La cireulation des manuscrits
dans des milieux déterminés, ayant des préoccupations que l'on pourrait
&limiter aussi en fonction d'autres manifestations culturelles, peut fournir
des indications précieuses pour l'histoire des idé es et celle des transfor-
mations de la sensibilité.
I. La montée des intelleetuels. Lorsque Chrysanthe Notaras imprima
en 1691 à Bucarest les KE(páXoctoc HapouvETLx& de « Pempereur des Rho-.
mks Basile le Macédonien », il précisa avoir entrepris ce travail (à, savoir
l'impression du texte grec accompagné d'une version néo-grecque de sa
plume), par ordre du prince et à ses frais. L'ouvrage est sollicité par le
vo1vode moins par désir d'avoir à sa disposition les conseils d'un prédé-
cesseur auquel il ne pouvait guère se sentir très attaché, que pour inscrire

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5 6LE MrROER DES PRINCES DANS LA CTJLIURE ROIIMAINE 443

au nombre des livres imprimés sous son patronage généreux et évidemment


ostentatoire un corpus des normes éthiques et didactiques capable de
manifester son autorité sur ce plan également. En d'autres termes, le prince
roumain ne retrouvait pas dans cet écrit byzantin un ensemble de nor-
mes composées par un patriarche (Photius) à l'intention d'un empereur,
dans le dessein d'attirer son attention sur les limites de son pouvoir son
autorité ne pouvant dépasser les frontières assignées par l'Eglise mais
une série de recommandations ethiques utiles à un prince qui gouvernait
un Etat dans des conditions particulièrement compleres, aussi bien internes
(la noblesse accoutumait d'intervenir directement dans les affaires de l'Etat,
avec un esprit marqué d'indépendance et de ralliement antimonarchique)
qu'externes (la présence, aux frontières du pays, de trois empires : la Tur-
quie, la Russie et l'Autriche).
De même que l'on avait imprimé, quelques décennies plus t6t,
quelques corpus de lois byzantines dont le caractère éthique et didac-
tique est unanimement souligné 4 de méme on publiait cette fois les con-
seils rédigés à l'intention d'un monarque byzantin afin de le maintenir
dans la voie de la vérité ». Le prince valaque se fabriquait de la sorte un
miroir pour lui-méme, comme pour ses descendants, suivant du mkne
coup l'exemple d'un prédécesseur qui avait tenu à ce que son fils ef,t à sa
disposition un ensemble de normes dé duites de sa propre expérience,
Neagoe Basarab. Les ouvrages demeurés en manuscrits 5 nous r(vélent
toutefois une gamme bien plus variée de préoccupations au sein des cours
princières. De leurs pages, tant6t réduites à des fragments ct tant6t
cachées sous le masque de Panonymat, se détache sinon une évolution cer-
taine, du moins une confrontation vivante de tendances idéologiques.
Le livre réalisé par Chrysanthe Notaras marque, au fond, une ten-
dance majeure qui sé faisait jour dans le milieu culturel qui entourait le
prince, milieu qui s'exprimait à travers tout un contexte de pré occupa -
tions de ce genre. L'année Tame où Constantin Brancovan appuie la publi-
cation du texte édité et traduit par le prince de l'Eglise qui lui était si pro-
che, autrement dit en 1691 encore, les frères Greceni, connus pour leur
4 Voir en ce sens, Valentin Al. Georgescu, Le ,XIVe Centenaire de la r:ort de Justimen,
u Revue des etudes sud-est européennes e, 1967, 3-4, p. 552.
5 Nous avons énuméré succinctement les manuscuts (dont le stemma mérita t
établi) dans notre article Un livre de clievet dans les Pays roumains au XV II le siècle : « Les
dits des plulosoplies n, o Revue des etudes sud-est européennes o, Bucarest, 19C6, 3-4, p. 526.
Précisons ici que les fragments du ms. 3093, ff. 1-23, seiaient, croit-on, ernritnlí.s au code
de Justinien II, et que leur font suite les o lois e d'Etienne bien aimé, puiss.ant et empereur
chretien des Serbes 0. Nous désirons également noter ici que dans un ouvrage que not s avons
en preparation, nous avons groupé A la rubi ique des o Livres de sagesse une pie mière categorie
qualifiée de livres de compoitement e (Les Maximes des Orientaux, Fiore di virtil, etc.), et,dans
une seconde, les o Ftirstenspiegel 0.
Le present article ne reprend pas les precisions ni quelques notes critiques de l'article
precedent ; dans ce dernier le lecteur trouvera les sources de toute une set ie de nos affnmations

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444 ALEXANDRU DUTU

attachement au volvode, citent, dans la préface h. une traduction roumaine


de saint Jean Chrysostome, des fragments d'Agapet et de Basile le Mace-
donien dans un contexte qui mérite de retenir Pattention du lecteur. Fai-
sant l'éloge du patronage culturel exercé par le prince, Badu et Stefan
Greceanu tiennent à souligner expressément l'appui accordé par Constantin
Brancovan aux imprimeries d'où se répandirent de nombreux livres en
langue roumaine « en conseillant en pleine lumière ceux qui vivent dans les
ténebres de l'ignorance et du manque de science ». Le patronage princier
est appréeié comme une ceuvre de bienfaisance, de souci paternel à l'égard
de la communauté, caractéristique d'un bon monarque entièrement dif-
ferent d'un tyran, car « tous les maitres profanes et sacrés prouvent que le
prince monarque recherche le bien commun et considère la finalité qui
peut etre utile à tous, tandis que le tyran ne regarde que son bien propre
et ne s'efforce de gagner que pour lui seul un surplus et, pour aecomplir
sa propre volonté, il se propose et erige enlois et actes de justice ses propres
désirs ». Afin d'éviter absolument l'arbitraire et l'ignorance qui sont
le propre de la tyrannie, le prince a le devoir de suivre l'exemple du sou-
verain universel qui a souci de tous (Agapet est cite à Pappui de cette these),
et d'aimer la science (Basile le Macédonien fait ici les frais de la citation).
Si nous ajoutons que, un peu plus loin, les deux lettrés valaques rappel-
lent un passage de Georges Cédrenus relatant la réponse de Platon
kune question posée par Denys de Syracuse lequel, à 'Instar de tous
les tyrans simulait la justice « afin d'abetir le peuple ingénu » : « Quelle

politique est la plus utile ? » «Aueune autre que de rendre tout le monde
bon et digne », et si nous rappelons comment, sept ans plus tard, le savant
métropolite valaque Théodose citera dans la preface d'un Minei Synesius
(qui affirmait que la sagesse des princes apporte le bonheur « aux vines
et aux cites », à maints pays et à maints peuples)6, nous pourrons péné-
trer dans Patmosphère de la cour de Valachie oil se groupe dorénavant
toute une pléiade d'écrivains qui, dans les limites de la tradition, appro-
fondissent les concepts, ouvrent la série des ouvrages de questions et re-
ponses sur des sujets de foi et de philosophie, étudient la nature et, sur-
tout, entreprennent la recherche systématique des sources historiques.
afin de poser les bases d'une solide culture de langue roumaine qui s'épa-
nouit au sein d'un puissant elan culturel remarquable par les valeurs qui
lui sont propres. Dans cette atmosphere de « rationalisme orthodoxe », la

5 La preface aux Margù'ritare (Perles, i.e. Anthologie) est reproduite par I. Bianu et
N. Hodos, Mbliografta romdneascei veche (Bibliographic roumaine ancienne), 1903, Bucarest,
vol. I, pp. 316-321. La dédicace au prince, où est discutée l'importance de l'ceuvre culturelle,
est suivie d'un propos au lecteur où est présenté le livre. On apporte en mame temps cette
precision que les passages difficilcs ont élé tires au clair par les deux traducteurs grace A l'assis-
tance du stolnic Constantin Cantacuzène, dont les deux traducteurs mentionnent encore le nom
d'autres occasions, comme, par ex., dans Preface aux Minei (Ménées), idem, pp. 366-367.

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7 LE MIROIR DES PRINCES* DAN'S LA CULTURE ROIIMAINE 445

figure principale, à cété de celle du prince qui n.'est pas un simple patron
culturel mais se compose lui-méme une bibliothèque et, bien plus, écrit
des notes quotidiennes, est certainement Pérudit stolnic Constantin
Cantacuzène, son oncle (dont la bibliothèque nous fournit maintenant de
précieux indices de son horizon intellectuel 7) ; le prince revét la chlamyde
du monarque culturel qui tourne le dos, avec un mépris propre à l'huma-
niste, au tyran ignare et barbare. Tout naturellement, ce prince qui res-
taurait les antiques edifices religieux conformément aux normes d'un goa
nouveau où Pon ressent l'influence italienne, qui élevait des palais et trans-
formait la peinture, assumait l'obligation de soutenir le monde orthodoxe
balkanique et oriental au moyen de donations et de livres imprimés en
grec, slave et arabe, tout en portant son attention particulièrement sur le
peuple roumain disseminé sur tout l'espace des Carpates. On sait Peffort
de Brancovan pour installer sur le tréne de l'autre principauté roumaine,
la Moldavie, un prince à sa dévotion, de méme que l'on connait ses actions
pour patronner la culture roumaine en Transylvanie envoyait, par
exemple en 1699, un apprenti-typographe imprirner à Alba-Iulia des livres
roumains, ce qui fournit l'occasion à ce Mihail Istvanovici d'écrire en toutes
lettres dans la préface du Kyriakodromion que « le prince éclairé et sublime
de toute la Hongrovalachie, Jean Constantin Basarab le VoYvode », est
«le patron Writable de la sainte Métropolie d'ici de Transylvanie et de tous
ceux qui aspirent à la grace de Son Altesse » 8). Quels autres conseils ce
monarque pourrait-il quêter pour lui-même que ceux fournis par le « diacre
Agapet au grand empereur Justinien », comme le déclarent les frères Gre-
ceni, ou ceux rédigés par le patriarche Photius au nom de Basile le Macé-
donien ? Brancovan, du reste, qui avait appuyé l'impression de Pédition
de Chrysanthe Notaras, éprouva le besoin d'en avoir un exeznplaire en rou-
main pour son usage personnel, lequel doit étre le manuscrit aux miniatures
et A, la calligraphie splendides conservé dans la collection de la Bibliothèque
de l'Académie, A, Bucarest (ms. rom. 1805).
C'est alors encore que Pceuvre d'Agapet pénétra dans le circuit roumain,
probablement par le canal d'un intermédiaire slave 9. Elle ne vit pas la
7 Voir Corneliu Dima-Drägan, Biblioteca until umanist romdn : Constantin Cantacuzino
stolnicul [La bibliothèque d'un humaniste roumain : le stolnic Constantin Cantacuzène],Bucarest,
1967, 406 p. De l'abondance des informations que renferme ce catalogue il est bon de retenir
que le stolmc, tout comme son frère Mathieu, avait lu soigneusement le Theatrum poltlicum
d'Ambrosius Mailianus et que, de meme que l'autre frère Thomas, il connaissait Le Prince
de Machiavel. Notre collegue C. Dima-Drilgan prepare un catalogue similaire pour la bibliothèque
du prince Constantin Brancovan. Il a publié A ce propos, en collaboration avec M. Caratasu,
une note préliminaire concernant les ouvrages byzantins que possédait le voivode dans
la # Revue des etudes sud-est européennes », 1967, 3-4, pp. 435 445.
8 Texte reproduit dans Bibliografta rom. veche, vol. I, pp. 373-375.
9 Des données nouvelles et une recapitulation bibliographique dans l'ouvrage de Patrick
Henry III, A Mirror for Justinian : The Ekthesis of Agapetus Dzaconus, s Greek-Roman and
Byzantine Studies », Durham, 1967, 4, pp. 281-308. Nous n'avons pu consulter le travail

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446 AJ,EXANDRIJ DIITIT 8

jumière de l'impression mais joua un r6le particulièrement intéressant dans


le contexte culturel, en premier lieu du fait que la version roumaine appa-
rait dans un autre cercle que celui des lettrés groupés autour du prince,
comme le suggère le ms. 3190 écrit par un scribe du nom de Vlad, proba-
blement à Rimnic, où il copia encore d'autres manuscrits ; (ce ma-
nuscrit doit, d'ailleurs, s'être conservé dans ce centre culturel, étant
donné que, au XVIIIe siècle, on ajouta à ses derniers feuillets un fragment
de l'Histoire de Valachie du stolnic Constantin Cantacuzène, ceuvre multi-
pliée à Rimnic au cours de ce siècle 11). Le « grämätic » Vlad qui traduit
du slavon dédie ses manuscrits « aux Révérends Pères et à Vous, nobles
Seigneurs boyards » et les effectue sur l'ordre de l'évèque de Rimnic. Son
florilège nous réserve néanmoins une surprise ; outre qu'il renferme les 66
chapitres de « Basile, empereur des Grecs », les 72 chapitres du « diacre
Agapet », les enseignements sur la foi du patriarche Genade, et les « Dis-
cours » de Saint Jean Chrysostome sur Job, il inclut aussi un fragment de
littérature parénétique et un autre d'une ceuvre ascétique « l'ordonnance
impériale du grand Constantin » aux « très glorieux et honorés
Francs » , écrit qui renferme la célèbre et si contestée Donation de
Constantin.
Le problème particulièrement intéressant que soulève l'introduc-
tion dans le circuit roumain de ce faux historique fameux ne consiste pas
tant dans l'affirmation de la primauté du pape (que le texte roumain
n'élimine pas, ouvrant une question ayant à ce moment-là de multiples
implications confessionnelles et politiques), que surtout dans l'affirmation
catégorique du primat du pouvoir spirituel (exprimé expressément dans le
manuscrit par les mots: (<là ø il y a pouvoir épiscopal et le chef de la vraie
foi chrétienne qui a été instituée par le Souverain céleste, il n'est pas con-
d'Antonio Bellomo, Agapeto Diacono e la sua scheda regia, Bari, 1906, ni la contribution d'Ihor
gev'eenko, A neglected Byzantine Source or Muscovite Political Ideology, o Harvard Slavic Stu-
dies s, Cambridge, 1954, beaucoup plus proche de notre sujet. (La liste des traductions de Aligne,
PG, 86, 1, 1163, pour utile qu'elle soil, n'en est pas moms lacunaire). On trouvera des données
utilisables dans l'article de VI. Valdenberg, Hacmaimenue nucameast VI e, Aeanunza e pyccsoa
zuwb.ntenztocmu, i BmaairriiftcHrift Bpememmx 8, XXIV (1923-1924), pp. 27-34, recherche
continuée en 1928 par ce byzantiniste russe. Nous ignorons pour le moment si la version
roumaine dépend d'un texte imprimé en Russie ou à Venise, l'insertion de l'écrit d'Agapet
dans un florilège venant compliquer la question de l'identification.
Précisons encore que le ms. grec 577, renfermant les chapitres d'Agapet et dù A la plume
de Sébastos Kyminites, a été dédié A Brancovan, en 1707 par un élève de ce professeur grec
(et non par Kyminitès en personne, comme nous l'avons dit A la note 34 de notre article paru
dans celte revue, 3-4/1966, p. 524).
Il existe A. la Bibliothèque de l'Académie, A Bucarest, trois manuscrits qui, en dehors
du ms. 3190, ont 616 copiés par ce scnbe A Rimnic, entre 1690 et 1699 environ. Voir G. trem-
pel, Copisti de manuscrise romeinesti, Bucarest, Edit. Academiei, 1959, pp. 269-272
n Voir I. CrAciun et A. Dies, Repertoriul manuscriselor de cronici interne privind istoria
Romdniet, XV XVIII [Répertoire des manuscrits de chroniques concernant l'histoire de la
Roumanie, XVe _XVIIIe siècle], Bucarest, Edit. Acadennei, 1963, p. 163, oil sont également
decrits les ms. 1267 de 1778 et ins. 4650, de 1781, écrits A l'évéché de Minnie.

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9 LE MIROIR DES PRINCES* DANS LA CuLlURE RO1JMAINE 447

venable que règne le souverain terrestre »12). Si dans le premier cas on


peut trouver au besoin une explication dans certaines des convictions de
l'évAque Hilarion qui, après avoir été intronisé avec l'appui du prince Con-
stantin Brancovan, fut jugé par un synode que présidait Pintransigeant
patriarche de Jérusalem Dosithé (lequel polémisa toute sa vie avec les
« Latins ») et déposé sous accusation d'avoir manifesté trop de condes-
cendance aux catholiques 13, en revanche, dans le second cas, notre
quête nous mène plus loin, car on voit se profiler nettement l'attitude d'un
hiérarque qui entendait réactualiser l'attitude de la papauté envers l'Em-
pire et mettre en discussion le rapport du pouvoir spirituel et du pouvoir
temporel, ce dernier tombant sous la censure du premier 14 On pourrait
alors retrouver dans Hilarion un prédécesseur du métropolite Anthime,
sur lequel nous reviendrons plus loin en détail. Mais pour tirer au clair
avec précision cette intéressante étape de l'histoire des conceptions poli-
tiques dans les Pays roumains, une analyse plus serrée de la filiation
du texte et de Pactivité d'Hilarion de Minnie s'impose. Nous comptons
l'entreprendre dans un avenir proche. Cette analyse est d'autant plus
nécessaire que le manuscrit du scribe Vlad n'est pas unique, mais a pénétré
dans un circuit plus ample, du moment que le ms. 1788 a un contenu
presque identique (Jean Chrysostome, Basile le Macédonien, Agapet,
donation de Constantin) ; tout comme l'autre, ce manuscrit a probable-
ment ¿té copié à Rimnic, à en croire l'indication fournie par un livre im-
primé encore inconnu à l'histoire littéraire roumaine, et inclus clans le
volume relié à une date beaucoup plus tardive, à savoir une recomman-
dation d'observer le jene de Noël, datant de 1796 ou 1797, laquelle,
au fond, ne fait que combattre le luxe des boyards.
Cependant, avant de paraitre en tant que livre séparé, PouvragP
de Pseudo-Basile avait déjà circulé dans les Principautés Roumaines, en-
globé dans les chronographies. Compilées de fa çon originale d'après Pou-
vrage de Dorothee de Monembasie (Venise, 1631) 15 et celui de Mathieu

12 ü ubi principatus sacerdotum et christianae religionis caput ab imperatore coelesti


constitutum est, justum non est, ut illic imperator terrenus habcat potestatem i I( o Consti-
tutum Constantini », dans Antologia di testi per lo studio della storm medioevale, raccolta da Gino
Cerrito, Franco Nalale, Giorgio Spini, Roma, 1959, p. 26.
13 Voir Gli. Moisescu et collab., Mona bisericit romeine [Histoire de l'Eglise roumaine),
Bucarest, 1957, vol. II, p. 69.
Appréciant que cette constitution a cherché à donner une base légale à l'Etat papal,
Gabriele Peppe (Il Mull° Evo barbaric° d'Italia, Torino, Einaudi, 1942) affii me que l'une des
fonctions du document fut de : dare al potere ecclesiastico una sua autonomia che lo sot Lraga
a un eventuate cesaropapismo carolingo come l'ha sottratto a quell° bizantino » p. 313.
Nous adressons tous nos remerciements au professeur M. Berza qui a bien voulu nous inch-
quer et mettre à notre disposition l'anthologie citée précédemment ainsi que le travail men-
tionné ici m6me.
15 B. Kncs, L'histoire de la littérature néo-grecque, Uppsala, 1962, p. 409, croit qu'il
faut attribuer l'ouvrage à Dorothé, encore qu'il ait été mis au compte de Hiérothé, lui aussi
métropolite de Monembasie.

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448 ALEXANDRIT DU1U 10

Tzigalas de Chypre (Venise, 1637), ces versions roumaines 16, effectuées,


probablement au milieu du XVIIe siècle, directement sur les originaux
grecs, répondaient à une autre exigence du goe.t littéraire : la nécessité
de connaitre l'aventure de l'humanité, sous une forme un peu plus authen-
tique que celle qu.'offraient « le miroir historique » (dont a parlé Emile
Mhle) et les écrits on le fabuleux et l'extraordinaire étouffaient l'élément
authentique (comme dans le Roman d'Alexandre). Entretenu avec ferveur
Byzance, on la narration des faits se déroulant dans un univers dominé
par la Providence était plus importante que la logique du processus du
développement historique 17, ce genre connait un épanouissement parti-
culier aux XVII° et XVIIIe siècles dans les Pays roumains pour tomber
en decadence à l'époque des lumières, lorsque se profile l'acte historique
tel quel, lorsque se manifeste l'intérét pour l'histoire universelle rationnelle
et lorsque la légende s'unit à la littérature. L'intensité de la circulation
des Chronographies dans les Pays roumains à l'époque en question 18 &-
voile un important aspect de la mentalité des lecteurs du temps. De même
que les écrits des humanistes roumains commeinaient à définir le domaine
de l'investigation historique dans un esprit soutenu par l'aspiration
l'imlépendance, de meme les « romans » de l'humanité offraient un cadre
general de temps et d'espace A, la preoccupation majeure de conserver un
certain nombre de préceptes, un ensemble de normes à meme de protéger
dans sa durée l'existence d'une collectivité soumise A, de fortes pressions.
C'est dans ce sens qu'un eopiste tenait à expliquer en 1732 aux leeteurs
de sa chronographie : « la lecture d'histoires est d'un grand gain,
éveillant l'intelligence et partageant la science aux hommes A, venir comme
aux derniers aussi, chose que l'on voit dans tout le monde ; . car maints
maitres d'élite ont prig la peine d'écrire des histoires et les faits des empe-
reurs et des rois, des princes et des grands, comment chacun a réglé sa vie,
et ils ont honoré ces maitres-là et laissé la science à ceux A, venir afin qu'ils
y trouvent utilité et que chacun puisse régler sa vie, se garder de ce qui
est mauvais et suivre ce qui est bou et utile. Lis done ce livre qui s'appelle
Annales, car tu pourras, au moyen des enseignements et exemples que je
dis dans cet écrit, adoucir ta nature et te régler d'après les enseignements
dignes des faits d'armes antiques... » 18. Certes, de la lecture de ces exem-
19 Voir Istoria literaturti romeine [Histoire de la littérature roumaine], Bucarest, Edit.
Academic', 1964, tome Ier , pp. 503-511. De même, l'introduction de Dan Simonescu aux
Povestiri din hronografe [Récits tirés des chronograplues], publiés dans Ceirlile populare in lite-
ratura romdneascd [Les livres populaires dans la littérature roumaine], Bucarest, Edit. pt. Lite-
ratura, 1963, vol. II, pp. 237-265
17 Voir Ernest Barker, Social and political thought in Byzantium, p. 20.
L'étude fondamentale est celle, posthume et malheureusement machevée, de Iuhan
SteRinescu, Cronografele romdnesti: tipul Danovict [Les chronograplues roumaines : le type
Danovici], « Revista ',storied Romanii », IX, 1939, pp. 1-77, qui repose sur l'analyse de 36 ma-
nuscrils.
19 Notice reproduite par G. trempel, op. cit., p. 99.

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11 LE MIROIR DES PRINCES* DANS LA CULTURE ROUMAINE 449

pies, patinés d'authenticité, les lecteurs conservaient un ideal et se main-


tenaient dans les cadres de la doctrine traditionnelle, illustree ici par l'exem-
ple de personnages qui avaient reçu leur recompense ou leur punition ;
la resistance et Paspiration à l'indépendance maintenaient inchangée,
pour une bonne part, la conception qui avait persisté dans le monde byzan-
tin aussi 20 jusqu'au seuil du xviir siècle, quand devint manifeste la ten-
dance à « rationaliser l'orthodoxie » traditionnelle. Dans de pareilles condi-
tions, au milieu du XVII° siècle, les chapitres de Pseudo-Basile le Mace-
donien faisaient figure d'enseignement que l'un des auteurs du drame
pouvait offrir. Ils s'intégraient organiquement dans le récit sur l'événe-
ment du temps, sans s'estomper dans la suite implacable des ans. Parmi
les multiples copies qui se sont conservées en roumain et qui dependent
toutes de compilations effectuées sur les deux auvres grecques du milieu
du XVII' siècle, le ms. 1929 s'impose à l'attention. C'est une copie d'une
version réalisée sur l'initiative d'un lettré auquel revient le mérite d'avoir
soutenu l'affirmation de la littérature en langue roumaine à l'époque de
Mathieu Basarab, alors que le beau-frère du volvode écrivait, avec pre-
dilection, en slavon. Ce lettré était le métropolite Etienne, qui allait inter-
rompre son pontificat (1648-1668) pour un laps de temps allant de 1653
ui 1656, quand on l'écarta de la direction de ses ouailles pour avoir donne
son appui à la révolte des « seimeni » (mercenaires) dirigée contre le prince 21
C'est encore à Etienne que l'on est redevable de la parution du recueil
de lois de 1652 connu sous le n.om de indreptarealegii, pour Pédition duquel

20 Cp. A. Varagnac, Civilisations trachtionnelles, exposé dans « Annuaire, Ecole pratique


des Hautes Eludes Section des sciences économiques et sociales 0, Paris, 1967/1968, pp.
25 29 .
21Gh. Moisescu, op. cit., pp. 13-14. Sur l'activité d'Udriste Niísturel, P. P. Panai-
tescu, Inceputurile st biruznia scrisulut in limba romanci [Les débuts et la victoire de la langue
roumaine écrile], Bucarest, Edit. Academiel, 1965, p. 194. En méme temps, la traduction
en slavon d'un original latin s'inscrit au nombre des préoccupations permanentes (iappelons
le cas de Luca Stroici, o le père de la philologie latino-roumaine comme l'appelait B. P.
Hasdeu monographie de 1864) qui justifie l'allégation que « par le truchement du peuple rou-
main les cultures slaves orientales ont approché la Romanité, phénomène comparable en quel-
que sorte aux contacts des Slaves du Sud avec la culture italienne o Virgil CAndea, Echos
ele la culture roumaine chez les Slaves du Mogen Age, « Bulletin de l'Association Internatio-
nale d'1.--'tudes du Sud-Est européen o, Bucarest, 1965, 2, p. 40. Iulian 5tefànescu, art. czt ,
p. 31, mentionne ce manuscrit comme appartenant au XVIIIe siècle. Mais au verso de la
page du titre, sont reproduiles, à la plume, les armoiries du métropolite Stefan. Aux XVIIe-
XVIIIe siècles on ne connalt que deux hiérarques de ce nom, ma's 5tefan II n'a pas imprimé
de livres aux armoiries de son église métropolitaine : le Kgriakodroanon de 1732 présente les armes
de la Valachie avec des vers dédies a Constantin Maurocordato ; le Psaltzrea, de 1735, possède
au verso de la page du titre une gravure représentant le prophète David ; quant aux auLres
livres imprimés Anthologius, de 1736 ; Octoichos, de 1736, Acolouthoi, en langue grecque,
1736 , ils ont les armes accolées de Valaclue et de Moldavie de Constantin Maurocordato.
En échange, Mystirio, publié en 1651 par Stefan Pr, a les armes de l'église métropolitaine,
accompagnées de vers en slavon d'un contenu klentique. C'est ce qui nous fait supposer qu'il
s'agit en l'espèce d'une copie d'un manuscrit du temps de tefan I" ; conservé à la biblio-
thèque métropolitaine comme le dénote une série de notes des dermers feuillets, il est passé
par la suite dans celle du monastère de Cernica.

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450 A_LEXANDRIT MUTT 12

il s'adressa aussi à cet


il fit rechercher les manuscrits les plus autorisés
effet à la bibliothèque patriarcale de Constantinople , tandis que pour
d'autres de ses traductions il fit appel de façon conséquente non seulement
aux versions slaves, mais encore aux prototypes grecs.
Avant de s'individualiser, Pceuvre byzantine circula dans des
« romans », sous une forme récluite (en général la moitié des chapitres)
et elle fut embrassée par ces lettrés qui, unissant les impératifs de la.
conservation de la conception traditionnelle à ceu.x du développement de
la culture roumaine, so utenaient la nécessité d'asseoir sur des bases « légales»
l'autorité du prince Ainsi, avant de remplir la fonction de « conseils à.
soi-même » adressés à un monarque animé de préoccupations culturelles,
rceuvre attribuée à Basile le Macédonien a pu jouer un rôle de « Miroir
des prinees » entre les mains de eeux qui argumentaient de la légalité
moyen du prestige de la tradition. Diffusé dans les rangs des lettrés gens
d'Eglise ou boyards (comme le ms. 86 écrit en 1689 pour le grand « vistier )>
(trésorier) de Moldavie, Théodore Cantacuzène) 22 l'ouvrage continuera
de circuler dans le cadre des chronographies au XVIII' siècle ; mais
va restreindre petit à petit son audience, ce qui est arrive aussi aux copies
effectuées sur les versions individualisées.Ainsi, alors que les Chronographies
sont encore copiées en 1707 pour un stolnic du nom de Dimitrie Ursachi,
avant que trente ans plus tard l'exemplaire ne fía vendu au logothète
Sturdza par un de ses descendants qui avait pris le froc (ms. 108), ou encore
pour les boyards par l'habile calligraphe et miniaturiste que fut le pope
Flor au milieu du siècle (me. 2609 et ms. 4243), les Miroirs byzantins seront
lus, plus tard, davantage dans les monastères, comme il arrive aux copies
comprenant à part les conseils de Pseudo-Basile le Macédonien : le ms.
2352, trouvé par N. Iorga au convent de Ghighiu, emprunte ce chemin
car il renferme, à côté de l'ceuvre byzantine traduite d'après un livre publi6
en Russie, un écrit de polémique anticatholique. C'est dans cette voie que
procéderont également d'autres copies qui se trouvent aujourd'hui dans
le fonds de manuscrits de la Bibliothèque de l'Académie, à Bucarest:
le ms. 2338, copié par le maitre des pages Pascu pour quelque moine dési-
reux de posséder les chapitres attribués à l'empereur, à côté de discours
des Pères de l'Eglise, de Vies de saints et d'autres fragments caractéris-
tiques de la lecture pratiquée dans les monastères ; le ms. 2102, de Pan.
1801, de contenu monacal, exécuté par un scribe qui s'était fait moine ;
le ms. 1313, de l'an 1825, écrit pour Phigoumène Gherasim et qui renferme,
entre les fragments théologiques, une description acconapagnée de dessins
de l'église du monastère de Curtea de Arge§ ; le ms. 6061, qui remonte
22 D-scription du manuscrit, avec d'amples citations de son contenu, apud I. Bianu
Catalogul manuscrtpHor rometnutt [Cltalogue des manuscrits roumains], Bucarest, 1907, vol.
I, pp. 181-192.

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13 LE MIROIR DES PRINCES* DANS LA CuiduRE ROIIMALNE 451

au début du xviir siècle, lequel ne livre pas de renseignements sur


son passé.
C'est sur cette trajectoire que les ceuvres byzantines ont rempli
leur mission de « Fiirstenspiegel »; après avoir été adoptées par les lettrés,
puis par le prince, elles ont survécu un certain temps, à côté des prescrip-
tions concernant les offices, les jefmes, pour se fondre ensuite dans la
culture lalcisée entre temps.
Ce destin a été partagé pendant une certaine période par l'ouvrage
romnain les Enseignements de Neagoe ; après une ascension semblable,
les routes se sont séparées, séparation naturelle aussi bien du fait de leur
provenance différente, que de leur contenu quelque peu distinct. Une
investigation sommaire des idées renfermées dans ces écrits nous permettra
de fixer également la place qui revient à l'opuscule d'Anthime d'Ibérie
Antim Ivireanul dans l'historique que nous nous efforons de recons-
tituer, place qui se précise à son tour en rapport avec la version de Guevara
effectuée par Nicolae Costin.
Transformé en « question homérique » de la littérature roumaine,
l'ouvrage du prince roumain du XVI' siècle a longtemps fait l'objet de
discussions portant avant tout sur le problème de sa paternité et sa solu-
tion. Pour nous, cette paternité est incontestable du reste, une bonne
partie des contestations ont pris leur point de départ dans l'attribution
erronée du livre à un genre littéraire auquel il n'appartient point, ou bien
dans une méfiance exagérée des possibilités intellectuelles de la Cour
de Valachie qui avait cependant attaché son nom et son prestige A, un
monument aussi grandiose que celui de Curtea de Arge§ 23
23 En encadrant les Enseignements de Neagoe dans le genie littéraire auquel ils appar-
tiennent, on résout une grande partie des questions que Demostene Russo avait soulevées
A propos de la paternité de l'ouvrage, à partir de sa comparaison avec les écrits religieux et
ascétiques byzantins. La comparaison que nous établissons entre les Enseignements et les cha-
pitres d'Agapet et de Pseudo-Basile est, A notre avis, révélatrice et notre argumentation vient
s'ajouter à celle, convaincante, de Dan Zambrescu, invdttiturile lui Neagoe Basarab. Problema
autenticit6111 [Les Enseignements de Neagoe Basarab. Le problème de l'authenticité], dans
son volume Studii si arttcole de ltteraturd romdnti veche [Etudes et articles de littérature rou-
maine ancienne], Bucarest, Edit. pt. Literatuiù, 1967, pp. 69-182 (où l'on trouvera la
bibliographie de la question). Nous désirons toutefois attirer l'attention sur le fait que la dis-
cussion A propos du o sceau 0 (argument n° VII de D. Russo, largement combattu par D. Zam-
Tirescu, pp. 135-143) est manifestement oiseuse, vu que l'auteur des Ensugnements ne se rap-
porte pas au sceau appliqué par les chancelleries princières, mais A une image qu'il avait
retenue de la lecture de l'Apocalypse. De me'me, le propos sur les icemes n'est pas détaché de
l'unité du texte, étant donné que la recommandation faite h Theodose de rester ferme dans
Forthodoxie exigeait d'êtie appuyée par le rappel de toute l'ceuvre legislative de l'Eglise cecumé-
nique ; l'Eglise avait constitué un corps de canons des sept premiers conciles oecuméniques,fon-
clement solennellement honoré par l'Eglise orthodoxe lors du premier dimanche du Caréme appelé
le o Dimanche de l'Orthodoxie 0 et dédié à dessein au dernier concile (le 76 , scion la théologie
byzantine), qui avait restauré le culte des icòncs. Neagoe n'avait pas besoin des connaissances
(run moine pour le savoir, car il fréquentait les offices. Ce n'est pas la lutte exclusive contre l'hé-
résie (D. Zamfirescu, p. 120) mais surtout la référence à cette tradition o législative », sur la-
quelle était fondée l'orthodoxie, qui imposa l'insertion du discours sur les icones dans le texte
des Enseignements, A savoir exactement A l'endroit requis, selon l'argumentation en faveur de

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452 ALEx..-4ismEtr DITM 14

Will& en slavon, Pceuvre fut diffusée aussi en gree ; quant à la


traduction roumaine, elle fut effectuéa au milieu du XVII' siècle 24. 11 est
difficile toutefois de retracer la destinée de cet ouvrage avant la seconde
moitié du XVII' siècle, lorsqu'on pénètre sur le terrain ferme des faits
conerets. Jusqu'alors son destin s'avère peu clair et les hypotheses ont
beau jeu pour faire fortune. 11 n'est pas facile de préciser si l'original slavon
aura 60 traduit de bonne heure ou tardivement en grec et en roumain.
D. Russo attribue à Mathieu de Myres la version grecque, mais ce n'est
qu'une simple supposition 25. La plus ancienn.e version roumaine, conservée

la nécessité pour le prince d'obeir à l'Empereur, afin de remplir sa fonction avec dévouement
et en respectant la « loi e; laquelle ? celle condensée dans les canons des sept conches, recapi-
tulés dans la celebration du dermer de la série. L'argument de la nécessité d'honorer les 'canes
impliquait aussi des questions sociales et politiques. C'est ce que prouvaient les écrits mêmes
de S. Jean Damascene, qui, tout en figurant dans la littérature théologique, peuvent également
être inclus dans la littérature socio-politique. Ernst Barker s'en est bien rendu compte quand
il reproduisit le second discours de Jean Damascene contre les iconoclastes dans l'anthologie citée
supra (chapitre The period from the death of Heractius to the accession of Basil I); en prenant la
defense des icones, Neagoe exposait, à son tour, une conception sociale et politique.
En ce qui concerne l'atmosphere culturelle à l'époque de Neagoe, il convient de signaler
les precieuses contributions apportées à ce propos aussi bien par P. S. Nasturel (invd(dturite
lui Neagoe Basarab in lamina pisarailor de pe biserica mcindstirii de la Arges [Les Enseignements
de Neagoe Basarab à la lumière des inscriptions de l'église du monastere d'Arges], e Mitropolia
Oltemei s, 1960, 1-2, pp. 12-23), que par Stefan Andreescu, Mdndstirea Argesului in am-
bianta vrernit, oa est mis en evidence le degré d'instruction des clercs de la cour princière.
« La chancellerie princière s pouvait être considérée comme «la premiere école supérieure oa les his
des grands boyards parachevaient leur education i St. Andreescu, p. 514 et l'on y
saisit la transformation du goat artistique qui determine la reconstruction et la restauration
de bien des églises et des couvents. Un prince qui patronnait un mouvement culturel ; qui con-
centrait de grandes ressources économiques pour ériger une construction exemplaire ; qui ref u-
salt l'argenterie qui n'avait pas été exécutée conformément à son goat et qui avait fait son
stage dans l'apprentissage du slavon en commandant par la suite le splendide Tétraevangile qui
joint l'art de l'imprimerie à celui de la calligraphie (voir l'exemplaire découvert par Alexandre
Odobescu au monastere de Bistrita, fondation des boyards Craiovesci) pouvait incontesta-
blement adresser des conseils a son fils Théodose. A notre avis, le problème de la reconstitution
du texte initial continue toutefois de demeurer pendant. Nous avons en effet l'impression que
le propos à sa mere (qui constitue une lamentation, une page de littérature intime de confession.
dans la mesure oil l'on peut parler de confession, de toute fa çon un theme comparable aux pieces
inspirées des lamentations du prophéte Jérémie série dont il suffit de rappeler la Vita Nuo-
va. .), de même que sa prière, qui a l'air d'être un exercice théologique à la manière des exer-
cices classiques de rhétorique, sont bien distincts du corpus proprement (lit des Enseignements.
Pour une presentation d'ensemble du contenu des Enseignements dans Istoria literatura
romdne, pp. 281-283, on remarque p. 280 les analogies entre l'ceuvre de Neagoe, celles de Basile
le Macédonien, le De administrando imperio de Constantin Porphyrogénète, les Recommandations
du prince russe Vladimir Monomague.
24 Des indications sur les manuscrits de l'ceuvre, apud Vasile Grecu, inveildturcle
Neagoe Basarab, domnul Tdrii Romdnesti (1512-1521). Versiunea greceascd [Les Enseignements
de Neagoe Basarab, prince de Valachie (1512-1521). Version grecque], Bucarest, 1942, pp. 9
11, 16; des observations sommaires mais utiles, chez Dan Zamfirescu aussi, op. cit., pp. 88,
143. Pour le manuscrit slave de Sofia, du debut du XVIIe siècle, des données chez P. P. Panai-
tescu, Cronicile slavo-romdne din sec. XVXVI publicate de Ion Bogdan [Les chroniques slavo-
roumaines des XV XVIe s. publiées par Ion Bogdan], Bucarest, Edit. Academiei, 1959,
pp.215 218, qui suppose que la traduction grecque aura été effectuée sur la traduction roumaine.
25 « n'existe pas d'autre contemporain, que je sache, qui ait été capable de traduire
du slavon en grec les Enseignements . . affirme-t-il dans ses Studii istorice greco-ronidne
[Etudes historiques greco-roumaines], Bucarest, Fundatia pentru literaturà i arta, 1939, vol.
I, p. 161. Mais comme la version grecque s'est conservée au monastère de Dionysiou (Mont-

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15 .LE MIROIR DES PRINCES DANS LA CULTURE ROUMAINE 453

dans le ms. 464 écrit en 1682, a été copiée par le hiéromoine Jean pour
le monastère de Bistrita, la fondation des boyards Craiovescu, d'après
un original plus ancien. Le fait que le manuscrit renferme à la fois les
Enseignements et la Vie de saint Niphon et que dans d'autres manuscrits
il s'y ajoute le texte des inscriptions de l'église du monastère de Curtea de
Arges accrédite de plein droit l'assertion qu'un codex reflétant la politique
religieuse, littéraire et artistique d'un prestigieux prédécesseur fut constitué
au milieu du XVII' siècle. C'est bien ce qu'a fait remarquer P.
turel 26, qui a essayé de reconstituer les coordonnées du calcul qui a a
reposer à la base de ce groupement. Si nous apprécions que l'observation
selon laquelle « leur groupement avec les inscriptions d'Arges et la Vie
de Niphon suggère l'idée d'une traduction unitaire, répondant à un but
bien déterminé » correspond entièrement à la logique qui permet de recons-
tituer les données de l'histoire, en échange la tradition du genre littéraire
que nous étudions nous pousse à assigner à un autre milieu l'initiative de
la formation de ce corpus.
Pour revenir à, la constatation faite antérieurement, à savoir que du
temps de Mathieu Basarab le progrès de la culture en langue roumaine et
le développement méme des conceptions politiques appartenaient davan-
tage aux lettrés qu'au prince, nous penchons moins à attribuer l'initiative
dont nous parlions h, la princesse Hélène et à, son frère Udriste NAsturel,
qu'au métropolite de Valachie, Etienne, lequel, outre qu'il se détacha,
plus facilement qu'Udriste NA,sturel du prestige de la langue cultivée le
slavon en l'espèce pour soutenir assez vigoureusement le progrès de la
langue « vulgaire », c'est-à-dire du roumain, a aussi prouvé la préoccupa-
tion « d'enseigner le prince », en initiant la traduction en roumain
du Thdreptarea legii [Le guide de la loi] et en se procurant les chapitres
de Pseudo-Basile. C'est à lui, croyons-nous, qu'est due la réalisation du
codex qui s'est conservé par la suite à travers d'autres copies. Secon-
dement, si l'on part de l'affirmation de Phiéromoine Jean qu'il fit sa copie
Pitesti pour le monastère de Bistrita où pareille version n'existait done
point, on en déduit tout naturellement qu'il se sera procuré l'exemplaire
qu'il recopia au monastère d'Arges, la fondation de Neagoe, situé aux
environs de Pitesti. C'est done là-bas qu'aura été faite la traduction rou-
maine des Enseignements slavons (ou peut-être grecs si Mathieu des Myres
en est l'auteur) et c'est là-bas encore qu'aura été transcrite, à la suite
Athos), e monastère qui considère Neagoe comme l'un de ses grands fondateurs e (V. Grecu,
op. cit., p. 11), on peut se demander si une traduction grecque n'y aura pas 61.6 exécutée
sur un exemplaire de la version slavonne, envoyé par Neagoe en personne ou par l'un de ses
successeurs.
26 Voir l'article Recherches sur les I-Macho:1s gréco-roumaines de la a Vie de Saud Niphon
II, patriarche de Constantinople e, Revue des études sud-est européennes e, 1967, 1-2, pp.
64-68.

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45.4 ALEXANDR1J DUT1J 16

de la traduction des inscriptions, la version roumaine de la Vie de Saint


Niphon. Le travail, effectué sur l'initiative du métropolite Etienne, pou-
vait &re fort bien transmis ensuite au prince Mathieu Basarab. Il est
incontestable qu'une pareille traduction pouvait être faite à Argq, vu
la tradition de culture de ce centre monastique 27.

Si notre hypothèse trouve un jour sa confirmation, le caractère de


« Fiirstenspiegel » qu'a eu la première version roinnaine des Enseignements
de Neagoe ressortira davantage. L'ouvrage s'était peut-être imposé ant&
rieurement à l'attention d'un prince roumain, puisque Nicolae Iorga croit
avoir dépisté la présence d'un exemplaire dans la bibliothèque du prince
de Moldavie, Pierre le Boiteux, un siècle plus tard 28, et il pénétra dans
l'intimité du prince à l'époque de la « monarchie culturelle » qu'Etienne
Cantacuzène a essayé de continuer, au lendemain de la mort de Brancovan.
C'est ainsi qu'il commanda un exemplaire de ce corpus pour sa propre
bibliothèque et, comme le note C. Dima-Drägan dans le Catalogul Biblio-
tecii stolnicului..., il appliqua au bas de chaque page son cachet (ms. 115
de la Bibliothèque de l'Académie, à Cluj). L'ceuvre fut diffusée ces années-là
A la Cour et, en 1727, Radu Lupescu, scribe au conseil princier (« logofät
de divan ») en effectue une nouvelle copie (ms. 1062) qui s'inscrit dans
l'intense activité déposée par ce lettré qui s'avère préoccupé exclusivement
de littérature historique, puisqu'il transcrit, à la veille de cette année-là,
en Valachie, les chroniques moldaves, la chronique des Slovènes, la vie
du prince Nicolas Maurocordato, etc ... 29. C'est alors également qu'est
écrit le ms. 3488 qui comprend maintes corrections et ratures et qui repré-
sente effectivement « un essai original d'édition critique » ".
A ce point de vue, toutefois, la destinée des ceuvres sur lesquelles
nous nous penchons diverge. Les Enseignements de Neagoe n'acquièrent
pas un usage monastique ; bien au contraire, ils apparaitront dans le creuset
des mutations de la fin du XVIII' siècle et dans les années d'affirmation
de la conscience nationale du commencement du XIX' siècle. Quelle peut
étre l'explication de ce fait ? Et l'ouvrage de Neagoe se distingue-t-il par
quelque 060 des écrits byzantins ? Encore que le fonds d'idées ne puisse
ètre bien différent et que le prince valaque mette à contribution des sources
byzantines, on décèle dans les Enseignements des conseils qui se rattachent
étroitement à la vie de tous les jours et aux conditions historiques propres,
capables de les intégrer organiquement à la spiritualité roumaine. L'ou.-
27 L'importance accordée à la fonction d'higouméne d'Arges (dans la troisième décennie
du XVII e s. le titulaire figure au conseil princier avec le titre d'évéque), et les lettrés provenant
de ce centre monastique dont le métropolite Théodose préoccupent aussi *t. Andreescu,
art, cit., p. 525.
28 N. Iorga, Istoria literaturit romdnqti, 28 éd., vol. I, p. 216.
29 Voir G. trempel, op. cit., pp. 141-142.
39 Dan Zamfirescu, op. cit., p. 143, note 1.

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17 sLE MIROIR DES PRINCES DA.NS LA UULTURE ROIT5IAINE 455

vrage de Neagoe prolonge ainsi sa présence dans la -vie culturelle roumaine


La politique de prudence « dans le sens classique du terme de sagesse pra-
tique » se prolonge au XVIII' siècle et les lettrés de cette époque de périls
retrouvent dans les pages qu'ils pouvaient avoir sous la main les conclu-
sions « d'une pensée politique roumaine supérieure, d'une vision claire des
relations internationales et d'une pratique diplomatique fondamentale
soumise aux vertus de prudence, de courage et d'amour de la liberté» 31
Avant de delimiter ce moment de la réapparition de Pouvrage de
Neagoe, à la fin du XVIII' siècle, il con-vient de remarquer qu'à l'époque
de Brancovan on voit confluer aussi bien les ouvrages byzantins que les
Enseignements du prince valaque afin d'occuner une place particulièrement
intéressante dans le contexte culturel.
Lus par Constantin Brancovan et par son successeur au trône, Etienne
Cantacuzène, ces ouvrages confirmaient leur autorité qui découlait du
caractère personnel du pouvoir princier, fondé sur un charisme 32 La
continuité de cette autorité, que les princes valaques appuyaient aussi
sur une genéalogie établissant une parenté entre Brancovan et les Canta-
cuzène d'une part et Mathieu Basarab d'une autre, qui retrouvaient en
Neagoe Basarab un ancétre 33, maintenait Pactualité des recommandations
que le fondateur du monastère d'Arge§ avait données à son fils Théodose.
L'autorité du prince découlait d'un charisme et, à cette époque, le principe
&once par Neagoe : « c'est Dieu du reste qui t'a oint prince, et non pas les
hommes » continuait à ne pas être mis en discussion 34. La fonction confiée
au prince par la Divinité créait des droits et des devoirs qui se définissaient
dans les limites de la pyramide sociale ainsi élevée. «Pensez done, maitres
et frères, au de-voir dont nous devons répondre et rendre compte au terrible
et divin tribunal à propos de la fonction dont a été chargé chacuu de nous
dans le bercail du Christ pour éprouver notre amour de Dieu » 35. En vertu
de ce principe qui accentuait avec une note propre à la spiritualité orien-
tale, individualisée avec une force due a, Phésychasme la vertu unifiante

31 V. Candea, chapitre consacré aux Enseignements du volume signé par V. Candea,


Dinu C. Giurescu, Mircea Malia, Pagint din trecutul cliplornattet romeinett [Pages du passé de la
diplomatie roumaine], Bucarest, Edit. Politica, 1966, p. 113.
32 II faut noter a ce propos les observations pertinentes de H. G Beck, Byzanz. Der
Weg zu seinem gescluchtitchen Verstandnts, Saeculum », 1954,1, pp. 87-103 : ... Es ist bei
Kaiser und Patriarch der eine selbe Geist, gv rvei5p.cc nur die zapi.crgaTec sind verschieden...
Es gibt fur den Byzantinern im allgemeinen keinen sakularen Bezirk und deshalb auch nicht
den Konflikt zwischen Sakular und Getstlich. Was es gibt, ist allein die Moglichkeit des Kon-
flikts zwischen der gegebenen Ordnung und der Sfmde. Es gibt in der Geschichte der Kaiser-
idee Phasen, in denen man versucht hat, zu einem anderen als dem gewohnlichen Ver-
teilungsschlussel dei Charismata zu kommen, nicht aber eine Phase, die in der Ordnung des Be-
stehenden zwischen Charismatisch und Nicht-Charismatisch unterschieden hatte wenigstens
so lange nicht, als die Idee ungebrochen lebte.
33 Voir aussi P. S. Nasturel, art. cit.
34 Ed. V. Grecu, citée supra, p. 73.
35 Ibidem, p. 25.

5 o 5587

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456 ALEXANDRU DTITU 18

de la charité, notarnment (d'on également le poids accordé h la coópé-


ration de la volonté humaine avec la volonté divine, cette synergie destinée
h eréer une disponibilité permettant de saisir les essences et, en même
temps, une aspiration au total qui empêchait l'intervention plus active
de la raison, systématisant des domaines de Pactivité humaine, selon.
mesure de leur délimitation), étaient créés les droits et les de-voirs qui trou-
vaient leur sanction dans le jugement divin. C'est ainsi qu'il en découlait,
selon un système parfaitement unitaire, l'obligation de miséricorde à l'égard
des sujets, le devoir de vigilance et celui d'impartialité, la mesure. Les
préceptes relatifs à l'attention à accorder à ses propres serviteurs, à l'ad-
ministration du trésor et à l'ensemble de normes « diplomatiques » l'atti-
tude envers les ambassadeurs, la question de la paix et de la guerre se
manifestaient avec un caractère politique plus prononcé mais pas suffi-
sant pour individualiser le domaine de la théorie politique. Le monarque
s'imposait, en remplissant de favn adéquate sa fonction, par la dignité
et la justice, puisqu'il était une incarnation de l'esprit de la société. Or
« l'intelligence dans Phomme et ses forces spirituelles s'y trouvent comme
Pétendard au milieu de l'armée » 36 Les maximes insérées dans les Enseigne-
melds après la profession de foi exposée dans les discours sur les ieônes et
dans celui sur le jugement dernier, concrétisaient les résultats d'expériences
faites par l'homme en parcourant les trois degrés menant h la perfection
la pratique, la contemplation., la charité laquelle réalisait la coopéra-
tion de la volonté humaine avec la volonté divine ; l'homme accédait ainsi
la « connaissance simple et non partagée » (selon l'expression de S. Maxime
le Confesseur, dont les écrits ont circulé de faon intense dans le Sud-Est
européen), à « la Sophia » 37. Le mème système unitaire se retrouvait aussi
sous la plume d'Agapet et sous celle de Photius, Pouvrage de ce dernier
ayant mème un aspect encore plus abstrait que le premier, évolution que
l'on pourrait comparer au développement des écrits « qui soulignent les
vertus cardinales des gouvernants » et qui en Occident aussi « sont
l'origine des traités politiques en bonne et due forme qui se multiplient
Papogée du Moyen Age : IVIartin de Braga, Isidore de Séville, Jean de
Salisbury, Thomas d'Aquin, Smaragde, Jonas d'Orléans, Hincmar. ...De
conseillers, les clercs deviennent théoriciens ; la forme se fait moins directe,
plus abstraite » 38 C'est ainsi que l'on ne retrouve pas dans les conseils
de Basile le Macédonien les problemes qui sont énoncés avec clarté par
Agapet : ceux de l'inégalité des biens (chapitre 16), de la censure person-
36 Ibidem, p. 175
37 Voir la traduction roumame de la Phtlocalte par D. Stiimloae, Sibiu, 1947, vol. II,
p. 167, n. 1, où est reproduite Faffu main:in de Hans Urs von Balthasar Voir aussi T. Hatis-
herr, Pour cornprendre l'Orient chrétien : La prunauté du spirituel, Orientaha Christiana Perio-
dica », 1967, 2, pp. 351-369.
38 Jean Touchard, II istoire des idées poldiques, Paris, P.0 F., 1963, tome I, p. 166.

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19 .LE MIROIR DES PRINCES DANS LA CULTURE ROPMAINE 457

nelle (chap. 36), etc. Le devoir d'être le premier à respecter la loi, de dis-
tribuer la justice sans tenir eompte du rang et des affinités personnelles,
d'écarter les flatteurs et les trompeurs, de donner plutôt que de reeevoir
ce qui crée ainsi des obligations voilà ce qui revient sur un plan encore
plus abstrait dans les conseils composés quelques sikles plus tard, conseils
où l'on retrouve des préeeptes du genre de eeux relatifs à l'appui des amis,
préférable à celui des parents, à la mise en garde contre Fivrognerie, aux
amitiés à gagner en louant autrui, à l'évietion des méehants et des ambi-
tieux des dignités dont ils sont revaus. Tous ces préeeptes se retrouvent
réunis dans les Enseignentents de Neagoe, ce qui fournit une preuve de plus
que son ouvrage appartient à ce genre littéraire. Mais ce qui apparait en
plus dans Foul-rage du voivode roumain c'est le ehapitre de normes diplo-
matiques et, surtout, un sentiment y vibre qui ne se dessine pas dans les
écrits byzantins : le patriotisme, souligné au ehapitre consaer6 à la &lei-
sion dramatique d'accepter la guerre au lieu de la pa ix : « Si done vos
ennemis viennent contre vous et si vous les vovez plus forts que vous,
et si vos conseillers vous apprennent à vous mettre en marche contre
eux trop tôt ou s'ils vous effrayaient pour vous faire quitter votre pays
pour l'exil, de tels eonseillers, ne les eroyez pas, paree qu'ils ne sont pas
vos amis. En effet, j'ai gofité l'exil moi-même. Aussi je vous avoue, mes
frères, gull est difficile de vivre et l'on est la ris6e de tout le monde, et
même de tous les petits et de tous les méehants qui existent. Et deuxiè-
mement, ne te mets pas à faire cela, car c'est la honte de ton nom. Ne
soyez pas eomme Poiseau que l'on appelle le corteou, lequel dépose ses
ceufs chez d'autres oiseaux qui font éclore sa progéniture, mais soyez
eomme le faueon et gardez votre nid. » 39
Ce soni là des traits nouveaux les derniers évoquant des vers
émouvants de Dante 40 qui auront conféré à Pouvrage roumain un poids
spêcial, en lui assurant clii reste une permanence dont n'ont pas joui les
ouvrages byzantins analogues. Les traits nouveaux, à une comparaison
plus poussée de Pouvrage roumain avec ceux des Byzantins bien plus nom-
breux, expliquent aussi la place dêtenue dans l'ensemble par les trois écrits
de l'époque de Braneovan. En imprimant à ses EnReignements le earactère
de simples directives (ce que Pon déduit aussi bien de Pinsistance avec
laquelle revient la formule : « enseignements pour votre profit... dans la

39 Texte slavon et liaduction rot/II-lame chez P R Panaitescu, Cronzci slavo-romdae,


p. 290 ; cf ed. V. Gt eco, p. 161. Conccrnant lc s contacts de Fecrivain rournain avec les écrits
byzanlins on remaiqueta qu'il s main [lent pour beaucoup le thécnumétisme ) si caractéris-
tique à l'idéologie politique bzantine. Voir lii-dessus Patrick Henry 111. art. ell , p. 308.
49 0 Tu proverai si come sa di sale
Il pane altrui, e com'è dui o calle
scender e'l salir per Fall] ni scale.
)

(Par., XVII, 58 60)

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458 ALEXANDRU DuTu 20

mesure de nos possibilités et de nos connaissances » 41, que de Paffirmation


finale que ces conseils n'ont quelque valeur que dans la mesure oil ils
portent, à défaut d'un sceau de chancellerie, le sceau de la sagesse divine
« le sceau des justes, c'est de jouir de la félicité éternelle » 42), le prince vala-
que offrait à son successeur et à toute sa Cour un ouvrage de méditations.
Pourvu des conclusions tirées d'une expérience résultant de conjonctures
aussi variées et depuis longtemps situées dans le domaine des « situations
limite » existence ou anéantissement il ne pouvait avoir le caractère
de système clos. Or, à l'époque de Brancovan c'est précisément ce carac-
tère qui en accroit la réceptibilité, du fait toutefois que l'étape de l'évolu-
tion de la mentalité roumaine était entièrement nouvelle. Comme nous
Pavons fait observer a.0 début de ce travail, Pceuvre de Neagoe et des écri-
vains byzantins acquiert, dans le contexte de la culture Brancovan, le
caractère de « conseils à soi-même », en accentuant par conséquent la note
de méditation de la première et celle de consultation des autres. En tant
qu'ceuvre de méditation, les écrits de ce genre commencent à ouvrir un
nouveau domaine au sein du processus marqué par la diversification des
préoccupations des lettrés qui se produisit alors 43. La délimitation du
domaine de la recherche historique, telle qu'elle se manifeste chez le stolnic
Constantin Cantacuzène ou chez Miron Costin et Démétrius Cantemir,
qui éliminaient de l'investigation historique Pélément littéraire, contribue
nettement à donner du contour à la théorie politique ; la place accordée
à la coutume juridique, une certaine tradition en matière de « législation »
créée par les codes imprimés par le volvode de Valachie, Mathieu Basarab,
et par celui de Moldavie, Basile le Loup, et en premier lieu l'esprit dominant
de cette phase de « rationalisme orthodoxe » poussent les écrits apparte-
nant à la catégorie dite des « Furstenspiegel » vers le propre de la philoso-
phie politique dans les limites du domaine de l'esprit laique qui commence
à se dessiner et à s'étendre. Justifiant le pouvoir absolu, tout en accordant
attention au peuple, préconisant des concepts théocratiques mais sans
caractère de système, vantant une sagesse totalitaire mais sans
« le sceau », les éerits traditionnels du genre des Miroirs des princes modi-
41 Ed V. Green. p. 209.
42 Ibiclem, p. 219.
43 Aspect esquissé dtns notre etude Diverstficarea preocuptirttor dirturcirevti la umantsta
rotniini [Diversification ds preoccupations des humanistes roumains], s Limbd i literatura o>,
1968, XVI, pp. 13-21. L-s lettres laiques pouvatent Lrouver d'utiles idées dans l'écrit d'Agapet,
de mem,e que les clercs avaient l'occasion de rencontrer des préceptes susceptibles de servir la
thèse de la preeminence du primat de l'esprit dans la même ceuvre, qui alliait deux traditions
"The Ekthests provides a look at those elements of Greek political thought about kingship
which appealed to a member of the Christian clergy in the sixth century, and at the wa,- which
those elements were incorporated into the general Christian theological theory of empire that
had first been outlined by Eusebius of Caesarea. Agapetus mixes his traditions so that both the
Old Testament a fear of God o> and the o Know thyself » of the Delphic oracle and Socrates are
offered as the basic principle for the emperor" Patrick Henry III, art. cll., p. 304,

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21 « LE MIROIR DES PRINCES* DANS LA CULTURE ROUMAINE 459

fiaient petit à petit leur caractère de normes sacrées, pour devenir des
conseils découlant de la méditation de certains gouvernants.
L'évolution qui se déroule maintenant est soulignée par la partition
d'un autre ouvrage, qui se fonde sur les mémes écrits byzantins mais
pour en accentuer le caractère sacré. Il s'agit des Nou&scAoct zpurnavuto-
ItoXL-nxaí, conseils donnés par le métropolite de Hongrovalachie, Anthime
d'Ibérie, au prince Etienne Cantacuzène (Bucarest, 1715) Affirmant
n'avoir réuni que de « bonnes » pensées tirées des maximes des sages, hi
savoir celles qui « purifient Fame, honorent l'homme et parent le prince
tout jamais », le pontife intervenait dans ce processus en jetant dans la
balance le poids de son autorité spirituelle. Tout comme l'évéque lila-
non de Rimnic, Anthime essaye de stopper ainsi l'avance du pouvoir tem-
porel dans la vie sociale et politique, au nom de la primauté de la vie spiri-
tuelle. De méme que dans ses sermons oil il a combattu avec apreté les
&arts de la doctrine de l'Eglise, en critiquant une série de mesures et de
comportements du prince Constantin Brancovan avec une vigueur qui
explique le conflit qui finit par &later entre le prince et lui 44, Anthime
énonce dans cet opuscule des principes inéluctables. Détail intéressant,
il fait appel à Agapet (dont il reproduit presque totalement les chapitres
46, 51, 69, etc.) et aux Reeommandations de Pseudo-Basile (cf. chap. 57
on encore ce conseil : « le commencement de l'affection est la louange »,
etc... ) et, afin de souligner l'intention qui l'anime, il ajoute des prières
pour chaque jour de la semaine à l'intention du voivode. Certes, cette com-
position de Popuscule d'Anthime n'est pas étrangère à la structure des
Enseignements de Neagoe, dont les chapitres sont parsemés d'oraisons.
Mais en reprenant ce procédé, à près de deux siècles de distance, Anthime
allait, dirions-nous, plus loin, car le texte de ses prières ne présente pas
le caractère de compositions personnelles, vu qu'il consiste purement et
simplement en reproductions de textes empruntés A, des livres du rituel.
Mieux, l'autoritaire métropolite ne retient aucune maxime d'un livre qui
venait d'être publié en grec et en roumain, les Maximes des philosophes.
La traduction du recueil de maximes orientales d'Antoine Galland
avait, au fond, fourni matière de méditation aux lettrés, en raison de toutes
ces sentences et observations, mi-sceptiques et mi-ironiques, relatives A,
la vie de Pentourage d'un prince absolu. Les conseils au vo1vode, tirés
de la sagesse orientale qui pénètre maintenant dans la culture roumaine
en plein processus axé sur le thème du pouvoir politique, cherchaient,
leur tour, A, tempérer Pélan et Pinitiative de mauvais augure du monarque
revétu du pouvoir discrétionnaire. Publié par suite d'une initiative prise
par les lettrés que comptait la cour princière, Pouvrage oriental s'inscrivait

41 Voir Predici [Sermons], éd. G. Strempel, Bucarest, Edit. Acad., 1964, passim.

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460 ALEXANDRU DIJTII 29

naturellement parmi les préoccupations des humanistes. Mais Anthime


l'ignore et, quand il discute de l'autorité du prince, il ramène la question
sur le terrain des charismes.
L'opuscule d'Anthime resta sans lendemain ; il ne fut ni réédité
ni traduit en roumain. A notre avis, la seule explication de ce fait réside
dans la fonetion d'écrit oceasionnel qu'a remplie ce petit livre, à savoir
un r6le de frein, d'opposition à un processus que l'on ne pouvait plus arr&
ter ; la diversification des préoccupations ramenait au premier plan 'Inves-
tigation historique dorénavant destinée à soutenir les aspirations les plus
profondes et les plus ardentes de la conscience eulturelle roumaine :
lutte pour l'indépendance nationale et pour la justice sociale. En s'op-
posant à la délimitation d'un domaine de théorie de l'autorité laique
dont aurait pu se détacher l'idée de loi en tant qu'acte normatif, durant
l'évolution sociale et économique de la socihé roumaine Anthime a
tenté de maintenir l'aspiration patriotique à laquelle il ne fut pas
un seul instant étranger dans le cadre de l'institution culturelle qui
avait assumé jusqu'alors le reile de bastion devant le péril que représentait
la puissance ottomane qui pratiquait une autre religion. Son intervention
fut vouée à l'échec, la tendance principale des préoccupations de l'esprit
étant orientée vers le monde du rationnel.
Une preuve supplémentaire nous en est fournie par un contemporain
d'Anthime, le chroniqueur moldave Nieolae Costin, le propre fils du grand
chroniqueur qui avait exposé les arguments fondamentaux de l'origine
latine des Roumains, Miron Costin. Elevé chez les Jésuites, d'une érudi-
tion étourdissante, Nieolae Costin est attiré à son tour par ce sujet et c'est
ainsi qu'il adjoint à son ceuvre historique savamment ennuyeuse la tra-
duction d'une sorte de « Fiirstenspiegel » : le Libro aureo del gran, empe-
rador Marco Aurelio con el Relox de Privcipes d'Antoine de Guevara
Ceasornicul domnilor. Tout en effeetuant sa version sur la traduetion latine
que Johann Wanckel avait publiée de cet ouvrage en 1601 à, Torgau,
Costin retient 81 des 155 ehapitres de Guevara et adapte le texte espagnol
à la porté, des lecteurs roumains 45. Réaffirmant que « l'autorité et la domi-
nation du prince sur ses sujets s'appuient sur un commandement divin »,
la version, à bien des kards originale, du boyard moldave, sans renverser
la conception politique de son temps, exprimait indubitablement une série
de nouvelles données à ce propos. Par rapport aux ouvrages byzantins
traditionnels, eet écrit emprunté au monde roman étendait sensiblement

45 Voir les contributions de N Cartojan dans e R vista istoricA lornana s, 1933, et < Cer-
celari literare ». IV, 1910, Wage à part . Ceasornical Domndor de X Costin i orignialul sparuol
al tui Guevara [L'licnloge des princes de N Costin et l'original espagnol de Guevara]. avec bi-
bliographic relative. De inCme N foiga, Istoria Ineraturu romcinestt in secolul XVII!, Bu-
carest, 1901, vol. I. pp. 68 75.

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23 LE MIROIR DES PRINCES DANS LA CULT1JRE 1:0IIMAINE 461

le programme de la question. Menée entre philosophes, la discussion


produisait à la lumière de nouveaux arguments lorsqu'elle abordait la ques-
tion de la distribution de la justice, celle de Pautorité du prince dans ses
rapports avec l'aristocratie et aussi lorsqu'elle soulignait la place qui
revient dans la société aux savants et aux philosophes ; l'évocation de
l'« Age d'or » est édifiante à cet égard. Bien plus, Costin retient de l'original
les conseils relatifs à Péducation des garçons et des filles, partie qui marque
manifestement la dégradation du genre des « Fiirstenspiegel » dès le mo-
ment de leur implantation dans le domaine de la pédagogie. On peut
affirmer à ce propos que, depuis l'époque humaniste, le genre, dont nous nous
occupons atteint son apogée en pénétrant dans l'intimité du princeet
qu'il commence à entrer en décadence en prkant à l'aspect pédagogique
une attention qui augmentera ultérieurement. La réception de l'ouvrage
espagnol, par Pintermédiaire du latin, marque, en tout cas, un moment
particulièrement important dans l'évolution du genre, du fait de l'évoca-
tion du r6le imparti aux philosophes dans la vie de l'Etat. C'est pourquoi
cette réalisation de Nicolae Costin s'est maintenue présente à l'attention
des lecteurs du XVIIP siècle et plusieurs copies ont été tirées sur sa ver-
sion. Ce sont : le vis. 204 de la Bibliothèque de l'Université de Jassy, copié
pour Nicolas Maurocordato en 1114; deux autres copies dont l'une d'un
scribe moldave qui loue le livre de facon impressionnante dans la préface
d'une Chrovographie 46 qu'il écrivit au cours des années on il copia égale-
ment les Annales (Letopiset) de Nicolae Costin ; le ms. 3440, de 1736, et
le ms. 757, remontant à peu près à la même année, sont dus à la plume
du scribe Ioan, fils du dandra§ Pavel. Une copie, le ms. 295, date de 1731,
alors qu'une autre fut effectuée en 1792 (le ms. Kirileanu, à Piatra Neamt).
Ces interférences de Byzance, de l'Orient et de l'Occident manifes-
tent à souhait l'ampleur des préoccupations de l'époque du « rationalisme
orthodoxe » et la place accordée aux Miroirs des Princes dans les Pays
roumains au cours de ces années de « monarchie culturelle »; le destin
le plus intéressant est certainement celui des ceuvres byzantines utilisées
maintenant aussi bien par le prince (qui fait a,ppel aux méditations d'un
empereur) que par les représentants du pouvoir spirituel (qui s'efforeent
de ramener dans la sphère de Pactualité le r6le d'Agapet)47. La fin tragique
des Brancovans, puis d'Etienne Cantacuzène, de méme que l'exil de Démé-
trius Cantemir qui, dans son Histoire higroglyphique composait un roman
sur un sujet d'histoire politique, ne mirent pas fin à ce genre. La survi-

46 Voir G. Strempel, Copi,sti..., pp. 121-125.


47 Pareillement. l'Ectliesis est devenue une source de premier ordre pour l'absolutisme
d Ivan le Ten i ible, de inhne que pottr l'opposition russe libérale, dont les membres ( had only
to strengthen the admonitions and to weaken the praise s, comme le rematque I. SeWenko
apud Patrick Heniy III. art. cit., p. 304, n. 74.

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462 ALEXANDRU DUTIJ 24

vance des formes d'Etat et la direction politique confiée aux princes recrutés
au Phanar et envoyés par la Sublime Porte maintinrent le cadre nécessaire
cette littérature qui connait une évolution assez cohérente jusqu'à
fin de la période phanariote et un certain temps encore après. Mais le pro-
oTamme connait une certaine déviation.
II. Les détours de l'esprit laïque. Installés clans les Pays routnains
avec la perspective garantie d'y demeurer, les princes phanariotes se posè-
rent immédiatement la question de la nature et de la finalité de leur auto-
rité d'un caractère si spécial en raison de sa source, la Porte Ottomane,
et de l'objet inattendu, le milieu roumain et ses traditions culturelles.
Résoudre les questions générales soulevées par leur promotion et par le
contexte historique, voilà ce qui constitua le nceud même des questions que
rencontra le premier de ces princes, homme doué d'une intelligence peu
commune, Nicolas Maurocordato. Ce dernier toutefois n'était pas un inno-
vateur ; son père, le Mare Alexandre Exaporite s'était estimé obligé
de confier à sa succession les conclusions d'une dramatique expérience ,
condensées dans' ses Opov-datia-cos, publiés A, peine en 1805, près d'un
siècle après sa mort. Tout comme l'auteur de ses jours, Nicolas Mauro-
cordato confia ses recommandations à un cercle très restreint et elles demeu-
reront, pareillement, inédites. En revanche il tint à faire connaitre à l'Eu-
rope sa doctrine, dénuée en somme d'originalité, en publiant le Ilzp),
XOLD'XÓVTCJV à Bucarest en 1719, puis à Leipzig, en latin, en 1722, et
ensuite a, Londres, à Amsterdam, à Ausbach (sous le titre de Kurzgefasste
Al-oral). Ce qui retient l'attention dans cet ouvrage c'est le traité classique
pris pour modèle : le De officiis de Cieéron. Au chapitre XIX de cet écrit
réédité bien des fois étaient rappelés les sentences et les exemples des
saints, auxquels étaient adjointes, au ehapitre X, des citations des stoi-
ques. Ce même mélange de littérature patristique et hellénique se fait
jour derechef dans l'autre livre dont on lui attribue la traduction, mais
qui en réalité n'a été que patronné; par lui, le 06.7.-cpov TcoXL-ctx6v, sur lequel
nous reviendrons plus loin.
Bien autrement intéressants sont les conseils demeurés inédits, étant
donné qu'ils dévoilent la pensée intime de ce Phanariote qui régna longtemps
en Valachie et en Moldavie 48 La question principale qui se dessine dans
les Conseils adressés a Constantin illaurocordato est celle de concilier les com-
mandements de la Sublime Porte et les autochtones sur qui s'exerolt son
autorité. Créer une dynastie phanariote fut une préoccupation incontes-
table et Alexandre Deli-bey fut conscient des droits acquis au cours des
48 Les deux écrits, analysés plus loin, ont 61.6 publiés clans les Documente Hurmu=aki,
tome XIII, Bucarest, 1909 Sur les Maurocordato voir éplement B. lìlnos, L'Histoire de la
latérature néo-grecque, Uppsala, 1962, pp. 469-472.

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25 t LE MIROIR DES PRINCES DANS LA CULTURE ROUMAINE 463

ans par les Maurocordato. C'est lui qui -vers la fin du XVIII' siècle affir-
mait en présence de l'agent autrichien Raicevich :« Si le prince:de Kau-
nitz est prince du Saint-Empire Romain, je le suis du très-sacré Empire
Ottoman- Je suis le maitre ; je suis un prince né d'une famille qui règne
depuis deux cents ans, un Souverain régnant. Je veux dire ce qu'il me plait :
je ne crains ni l'Empereur, ni le prince de Kaunitz. » 49 C'est ainsi qu'ap-
paraissent dans les conseils de 1726 des iuvitation à connaitre « les habi-
tudes des boyards autochtones» de méme que les chroniques, et de savoir
de favm précise les devoirs à remplir envers l'empire et envers le Khan
des Tatars, de même que ceux à l'égard des «Polonais et des Allemands».
Nous ne voudrions pas souligner le fait que, dans ces textes inédits, 1' « Em-
pereur» est aussi bien le souverain de Neagoe Basarab, la divinité, que le
maitre de Constantinople, auquel le prince valaque n'avait jamais donné
pareille appellation. Mais il faut souligner que dans les Conseils et dans le
anu el comprenant des avis et des pensées au sujet des mceurs et du eompor-
tement, la question essentielle de l'époque de Brancovan celle des rapports
entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel n'apparait point. Re-
présentant du Phanar, de la nouvelle promotion de dignitaires qui domi-
nait aussi le patriarcat de Constantinople, IN_Ticolas Maurocordato n'envi-
sage pas la possibilité d'un conflit avec l'autorité ecclésiastique que ses
successeurs mettent à profit en installant à la the de l'Eglise métropoli-
taine de Valachie des gens attachés à la Cour. Ainsi s'explique pour une
part le fait qu'une grande partie du mouvement culture' roumain se con-
centrera non pas autour de la cathédrale de Bucarest, mais autour de 1'6-
véché de Rimnic détenu par toute une série de lettrés roumains remarqua-
bles Damaschin, précepteur de l'ex-prince Etienne Cantacuzène, Clé-
ment, etc. et en Moldavie, autour d'une église métropolitaine qui a
réussi à échapper aux tendances dominatrices de Pélément phanariote.
Cela ne signifie cependant pas que les Phanariotes essayent une nouvelle
forme de « césaro-papisme », mais que le problème sera évité, les princes,
alliés à Pautorité spirituelle, s'orientant vers Pidéologie du monde qui avait
précédé le christianisme, celle qui avait présidé à l'épanouissement de la
culture qui formait et animait la lutte pour la renaissance du peuple op-
primé : le monde hellénique. C'est par cet apport massif introduit dans la
culture roumaine, surtout par le canal de l'éducation scolaire, que les pro-
blèmes particulièrement intéressants de l'époque de Brancovan furent
évités et, tacitement, l'esprit laique, maintenant protégé par les divinités
de l'Olympe, marquera des progrès continus. Le fait est frappant dans
'Eyzet,Fatov où les allusions à la mythologie grecque foisonnent et où
les renvois à Socrate et A, Platon ont plus de poids que ceux à la Bible,
49 N. Iorga, Textes post-by:antins, Bucarest, 1939, p. 5.

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464 LExANDRu nuTu 26

sans compter les proverbes qu'on leur associe aussi. Mieux, une série de
comparaisons amènent la discussion au sujet du microscope, de la ducti-
lit6 des corps et de la résistance des cordes ; d'autres remarques se fondent
sur l'observation des mceurs de la société contemporaine du prince, de
mème qu'une suite de maximes font songer à Montaigne (« Phomme est
un étre changeant, vain, divers »), à La Roehefoucauld (« la méehanceté
paye son tribut à la vertu d'hypocrisie ») et mème à l'esprit du _xvirr
siècle : les considérations relatives h la loi (« la loi ou la force »), aux réfor-
mes, au conservatisme (« le présent se gausse de ceux qui tiennent à tout
prix à ce qui s'en est allé »). Il est incontestable que l'autorité princière
continue de demeurer fondée sur la con.ception religieuse, que la société
maintient sa structure pyramidale et que tous les membres luttent pour
la tête ». Mais, fidèle à l'esprit de son siècle, l'auteur proclame que l'a-
mour de soi est peut-ètre le véhicule lumineux de Fame », atteignant tan-
gentiellement la discussion si controversée au sujet du rôle de l'amour-
propre50. Et c'est dans le mème esprit encore qu'est condamnée la trom-
perie (de mème que le machiavélisme) à la manière dont Frédéric II
combattait le grand Florentin dans un livre qu'il retira quand il monta
sur le trône 51 vu que « la politique secrète était le pivot du système
despotique abhorré » 52, et qu'on pouvait la pratiquer mème sans grand
tapage autour de la perfidie. Non moins significatif est le fait qu'une série
d'éléments détachés de la spiritualité ehrétienne sont transposés sur le
plan politique (« ce n'est pas seulement dans le domaine du sacré que la
confession deS. fautes entraine le pardon, mais aussi dans celui du gouver-
nement ») de mème que l'éloge de la sagesse, qui s'achève par le cou-
ronnement de l'« humanité » (« l'huma nité est au-dessus de toute -vertu,
car elle porte l'image et le caractère pur de la nature divine »). C'est, pro-
bablement, dans ce mouvement permanent ressenti dans le fond des idées
que consiste l'intérét que présentent les conseils donnés par le fondateur
de la dynastie phanariote A. son fils : la fluctuation de la mentalité tradition-
nelle ressort avec évidence dans l'écrit qui ironise l'héroïsme pour louer
50 Voir Paul Hazard, European Thought in the Eighteenth Century. Translated by J. Lewis
May, Penguin Books. 1965, Pal t two, chap. 4. Une précieuse remarque t Never, to be sure,
was there such a busy band of moralists as now ; but not of the order that made the human
heart their study... they were moralistic theorizers, noL psychologists. p. 178.
51 Dans la Pléface à l'Antunacluavel le roi combattait l'écrivain gut s'était efforcé
non de corrompre le premier venu mais t Fursten, die berufen sind, Fuhrtr der Volker zu sein,
Verweser des Rechts. Vorbilder damn fur ihre Untertanen. sichtbai e Abbilder der Gottheit, die
ja erst ihre seelischen Eigenschaften, ihr innerer Welt zu Konigen macht. Fridericus, Koniq-
lidie Gedanken and Aussprache Friedrichs des Grossen, ausgewahlt von Hans F Helinolt,
Berlin, p. 27. Pour l'écrit de Nicolas Maurocordato combattant Macluavel.(1)0,o,kou Ilapipyce,
voir les articles (pour nous maccessibles) de C. Th. Dimaras pains dans o Tò Vid.tot », 14 aofit
4 sept., 1964. Sur l'odyssee du livre (1.2 Frederic II voir Charles Benoist, Le machlavélistne
de l'Antunachlavel. Paris, Pion. 1915.
52 Werner Krauss, Introduction a Est-il titile de tromper le peupte, Berlin, Akadenne Ver-
lag, 1966, P. 6.

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27 LE MIROIR DES PRINCES » DAN:, LA. CULTURE ROIJMAINE 465

ténacité ; qui proclame la suprématie de la loi en ajoutant que sa source


est le prince, qui recommande la justice et les réformes réalisées pour de
longs intervalles de temps et qui s'assigne pour point de repère la maxime
placée sur les vagues du sort : « Songe à quelle époque tu vis ».
Certes, le Theatrum politicum d'Ambrosius Marlianus, traduit en
1716 par Jean Avramios et diffusé sous le nom de Nicolas Maurocordato 5 3,
avait un caractère bien plus « scolastique » comparativement aux conseils
demeurés inédits. En recommandant au prince d'être un vivant exemple
pour ses sujets, de joindre la douceur h la justice, de veiller, sans relâche,
h se préserver de la débauche, à s'entourer de ministres capables et ver-
tueux, de faire dépendre les lois politiques des lois divines et d'honorer
les philosophes, Pceuvre ramenait une fois de plus au premier plan la cons-
tellation classique des vertus, en rappelant un autre « Farstenspiegel »,
connu depuis longtemps des Roumains : Ceasornicul Domuilor (« L'hor-
loge des princes »). C'est pour cette raison que les copies roumaines effec-
tuées entre 1758 et 1787 se sont répandues sur tout le territoire roumain,
it l'instar des manuscrits renfermant le livre de Guevara, et elles se retrou-
vent à Rimnic (ms. 1569 de l'an 1787), comme en Moldavie (ms. 2770,
de la même année) et ailleurs, h la fin du XVIII' siècle (mss. 4838, 4839
écrits par Vasile, de Valachie), et, encore plus intensément, semble-t-il,
dans les premières décennies du XIX siècle (mss. 434-433, écrits par
loan Burchi en 1805, lequel avait aussi sous les yeux le texte grec 54;
le ms. 1543 de 1806, le ms. 1708 de 1816, le ms. 2509 écrit par Phiérodiacre
Anthime en 1817, le ms. 3141 de la même époque, le ms. 5805 de 1803).
Le livre paraitra d'ailleurs en deux volumes, en 1838, par les soins de Gri-
gore Ple§oianu, avec les encouragements de l'évéque de Buau, Filotei.
Bien qu'il ait été affirmé 55 que la traduction est assez peu fidèle, la version
due à la plume d'un professeur illuministe qui diffusait en ce temps-lh
la littérature française à travers les Pays roumains est particulièrement
intéressante car, h travers les notes du traducteur, elle signale les muta-
tions idéologiques qui étaient survenues entre Pannée de la publication
de la version grecque et la décennie qui précèda Pannée révolutionnaire
1848. C'est ainsi qu'à la p. 229 du tome I", Grigore Pleoianu introduit
une note renfermant une Apre critique à Padresse des mceurs judiciaires

33 Volt. Ariailna Gamariano, l'raducerea greacd a "Teatrulut atribuild presil Inc


N. M tvrocordat ci verstantle ronz'ine. [Traduction giecque du o Thealion poli tilon iallribuée
toil à Nicolas Mlurocordalo el ses veisionsioutnaines]. s Revista 'storied RomeinA 1941-
1942. pp 216 260. Pour l'original latin you' aussi M Alarinescu-Hinui. dans ( Raze de
lumina >, 1937, pp 66 70 Pour l'édilion L,iecque de 1933. imprimée par &Aunt Shina-Dan
Simonescu, O natal editie din "Tealrul politic" tr alas de X. Marrocordat [Une nouvelle «di-
Don du Thealron Poli tikon tiaduil par N. Nlaurocordato]. Pc:vista Istorica Rornanii s, 1934,
p. 294.
34 A. Carnarlano, art ell , p. 250.
33 IdCM,

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466 ALEXANDEC DITTU 28

contractées à l'époque des Phanariotes ; de méme, à la p. 115 du tome II'


il remarque ceci : « décrit l'état de l'enseignement de son temps.
Mais le siècle présent a pris un vol qui le différencie beaucoup de celui-
la, ». En regard du texte du chapitre premier du torne r, ott l'auteur
déplorait le manque d'attention des monarques de son temps, le traduc-
teur ajoute encore ces mots : « L'auteur décrit, peut-étre, les souverains
de son siècle, car ceux de nos jours, surtout ceux d'Europe, leur sont
entièrement opposés. » (note, pp. 7-8). L'hommage rendu au despotisme
éclairé est évident.
Les qualités scolastiques imposèrent aussi le livre dans les écoles
grecques du xvirr siècle où il fut étudié avec application par les élèves
venus se préparer à l'école princière en Ivue de leur admission dans l'ap-
pareil administratif ; c'est l'époque où « le rève des jeunes Phanariotes
était comment accéder au trône de Valachie ou de Moldavie et, depuis
les banes de l'école ils se préparaient à cette carrière, en étudiant soigneu-
sement les auteurs qui écrivirent sur les devoirs des souverains »56. De
nombreux manuserits grecs, comprenant en majorité le texte grec accom-
pagné de traductions entre les lignes en néo-gree d'Agapet, de Pseudo-
Basile, de Théophylacte, de Synésius se joignent à cette ceuvre. La réae-
tualisation des diseours de ce dernier à Arcadius, avec la massive présence
d'Isocrate, semble indiquer le sens de ces appels ; en affirmant que « les
devoirs du roi résident là oil la sagesse antique rejoint la sagesse moderne »,
l'évéque de Cyrène recommandait de raviver la philosophie antique 57.
En effet, la réceptivité à l'égard de l'antiquité héllenique s'accroit et, cons&
quemment, le rationnel commence à étendre son domaine, cep endant que
l'affirmation de l'esprit laique, grâce à ce que nous avons appelé un proces-
sus de déviation, acquiert droit de cité dans la culture roumaine.
C'est sur ce domaine que pouvait faire son apparition la norme
juridique qui devait écarter l'effet moral et la sanction religieuse du
miroir du prince ». Les tentatives de ce genre se multiplient d'ailleurs
et une effervescence juridique apparait précisément durant ce siècle 58.
Les réformes elles-mémes, initiées par le bénéficiaire des conseils de Nicolas
Maurocordato, son savant fils, Constantin Maurocordato, rentrent dans
la préoccupation en continuelle évolution d'adapter le régime politique aux
exigences nouvelles : ainsi apparait le profil clu despotisme éclairé, lequel

56 D. Russo, Studii zstorice greco-rorndne [Etudes d'histoire gréco-rotimaine], vol. II,


p. 552, où est signalé le genre littéraire qui a dorm& maints produits gréco-roumains... les
Miroirs des princes ), avec énumération de quelques titres.
37 Voir Christian Lacombrade, Le discours sur la royauté de Synésios de Cyrène à l'em-
pereur Arcadios, These..., Paris, Les Belles Lettres, 1951, p. 44. Voir également les manus-
crits grecs signalés dans noire article paru dans la présente revue, 1967, 3-4, p. 480.
58 Voir Valentin Al. Georgescu, L'ceuvre inridique de Michel Fotino el la version roumaine
du 117e bore de droll cotztumter de son o Manuel de lois ), cette revue, 1967, 1-2, p. 121.

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29 LE MIROIR DES PRINCES DANS LA CULTURE ROUILA_LNE 467

doit étre néanmoins entendu « moins comme un ensemble de mesures déci-


dées par le Souverain que comme des solutions empiriques aux problèmes
nouveaux d'une société en pleine mutation ». C'est plus particulièrement
dans la seconde moitié du XVIII' siècle que Pon peut affirmer que « ceuvre
des rois, la politique réformatrice fut plus encore celle des milieux ouverts
aux nouvelles formes de richesse et du progrès » 59 c'est maintenant, en
effet, que font leur apparition dans la société roumaine les Lumières, non
en tant qu' « âge de la raison qui répudia le passé et chercha à innover »,
mais comme un « alliage de la tradition et de la volonté de renouveau » 6°.
L'entrainement des boyards dans de nouvelles formes de production
agraire et surtout l'ascension que la petite noblesse et la bourgeoisie en
formation font dans le domaine culturel provoquent une transformation
au sein du genre qui nous préoccupe et qui fait songer b. la phase du
XVII' siècle. Maintenant aussi, b. la fin du xviir siècle, ce genre est
pratiqué par les lettrés et il est opposé b. la mentalité de la cour princière
on a de nouveau affaire à d'authentiques « miroirs » placés sous les yeux
des princes. Sauf que dans les nouvelles conditions idéologiques qui accen-
tuent le programme social, ces miroirs renvoient les rayons dans un autre
foyer et leur sort est de faire ceuvre pédagogique, de nombreux éléments
essentiels disparaissant de l'esprit totalitaire du siècle écoulé. Remplissant
une fonction antidespotique, les ceuvres qui sont véhiculées maintenant
ne rappellent plus à l'esprit du prince l'ensemble de ses devoirs. Ce qui
constituait leur essence se déplace dans les domaines qui commencent à
se délimiter ceux des sciences politiques et de la théorie du droit. Si
le renvoi se fait au droit nature' plutôt qu'au contrat social 61, le fait serait
explicable dans ce féodalisme attardé 62 et il expliquera aussi la persistance
des « Lumières » dans la conception juridique et politique du XIX siècle,
b des étapes où celui-ci avait été dépassé dans l'art et la littérature. Autre-
ment dit, si dans l'intervalle écoulé depuis la fin du XVIII° siècle et le
commencement du XIX' nous retrouvons une symétrie avec la phase
qui s'est profilée dans la deuxième moitié du XVII' siècle, celle-ci équi-
vaut A, une montée et à une descente.
59 Denis Rochet dans la préface à Léo Gershoy, L'Europe des princes éclairés, 1763-
1789, Paris, Fayard, 1966, P. 6. Ii faut remarquer que Constantin Maurocoi dato, préoccupé
de la distribution de la justice. du redressement des habitudes immorales et de l'élévation du
clergé, lisait o les écrits de Jean Chrysostome et de Basile le Grand, ou encore de Macarios
l'Egyptien ou d'autres saints pères, en prenant note des propos qui s'y trouvaient au sujet des
princes o (ccw.et.d.)vovToc; ocú-ri3v T pri 're( 6706 cividcooacv elq Tok ilyszticívocq) Cronica
Ghiculestelor [Chronique des Ghikaj, édilee par Nestor et Ariadna Camariano, Bucarest,
Edit. Acad., 1965, p. 620.
69 Léo Gershoy, op. cd , p. 57.
1 Voir Growth of Ideas. . . Edited by Sir J. Huxley, London, 1965, p. 271.
62 Voir aussi Vlad Georgescu, Idées sociales et politIques dans la littérature historique des
Principautés Roumaines pendant la seconde moitié du XV I Ile siècle el au début du XIXe siècle,
cette Revue, 1967, 1-2, notamment chap. III: Les !dies sociales et politiques, pp. 176-189.

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468 ALEXANDRII DUTU 30

La variété des emprunts A, la culture européenne 63, les évidentes fluc-


tuations du gait littéraire A, la fin du XVIII' siècle trahissent une « crise
de conscience » 64. Maintenant les influences classiques et baroques ne
manquent pas, de mème que de nombreuses explorations sont abandonnées
pour en revenir parfois A, ce que la tradition offrait. Nous avons pu cons-
tater, dans l'histoire du genre dont nous nous occupons, que les écrits
byzantins ont restreint leur destination ; en reva,nche, dans cette fin
d'« ancien régime 6'5 on lit encore l'Horloge des princes et le Thédtre poli-
tigue. La réapparition d'une ceuvre d'Age vénérable fournira un indice de
plus pour l'intelligence de ce moment.
En 1781, A, RA,sinari, dans l'un des centres roumains les plus puis-
sants de Transylvanie, le prétre Saya Popovici achevait de recopier d'après
un manuscrit provenant du convent de Cozia, en Valachie, les Enseigne-
ments de Neagoe (ins. 3572). Accolé A, des -Vies de saints, Pou-vrage figure
dans un florilège intitulé par son auteur L'Abeille » (Albina), à l'imitation
d'un écrit ascétique bien connu. Aurions-nous A, faire A, un recueil de textes
ayant une destination religieuse ? La réponse, ce ne sont pas les notes
cachées parmi les feuillets du manuscrit qui nous la donnent, mais une
série d'admirables miniatures. Si l'une d'elles représente la Sainte Vierge
posée sur une fleur et une autre la roue de Fortune (exactement comme
ce motif figure sur le clocher de la vieille église de R4inari !), par contre,
le f. 4 v. nous montre le portrait fictif du voivode Neagoe, dans son impo-
sant accoutrement princier ; au f. 159 v. nous retrouvons Théodose, le fils
de Neagoe, qui réapparait au f. 182 v. splendidement vétu. L 'ouvrage
est done recopié pour l'expérience roumaine qu'il communique et le talen-
tueux ecclésiastique tient A, faire connaitre à ses concitoyens les traits du
prince et de son fils. La copie de Saya Popovici s'inscrit sur la ligne des
préoccupations de cet homme d'Eglise qui, interprétant en 1792, dans un
sermon, un verset biblique, argumentait l'origine latine du peuple
roumain 66. Ce manuscrit intéresse la communauté qui soutenait active-
ment l'affirmation culturelle roumaine de la ville voisine de Sibiu et, en
1809, Daniil Popovici le recopie fidèlem -nt, avec des miniatures identiques,

63 Voir notamment D. Popovici, La littératurc rotunarne à l'époque des Itintares. Sibiu,


1915.
64 NOUS avons deja pm le de cette ocrise de conscience dan', nos articles sur les lu-
rnières en Moldavie o Studii i, 1966, 5, eL les premiers contacts Idtéraires anglo-roumains
o Stuctii de IAN aturil universal5 , 1967.
65 i Aneten regime au sens de g samteuronasche G sellsehafts- und Lebensform. die
Liberal] auf der sozialer Abslufung von Besitz und I techt, auf ewer bunten Vielfalt landschaft-
licher Sonderheiten beruht und sich gerade hierlun von der o modernen -Welt der Gleichheit )
(Gerhardt) unterscheidet o Stephan Skalweit, Das Zeitatter des Absolutism-m.9 als Forschungs-
problem,s Deutsche Vierten. fur Literaturw. und Geistesg i, 1961, 2, p. 307.

66 Voir le texte édité par I. Lupas, Cronicari si istorici rom(Ini din Transilvania iGhro-
inqueurs et historiens rotimains de Transylvaniej, 26 écl., Bucarest, Scrisul Românesc, 1941,
pp 85-91.

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31 'LE MIROIR DES PRLNCES DANS LA CULTURE ROUMAIN E 469

tout aussi réussies artistiquement (nts. 3580). L'oeuvre de Neagoe conti-


nuera d'être vivante ; en 1816 est reproduite cette copie corrigée du XVIII'
siècle (nts. 2714) et en 1817 une autre copie (nts. 1069)1, est réalisée ; un
fragment en a été retrouve dans un registre, datant de février 1804 (ms.
3402). Et en 1844, l'historien et révolutionnaire que fut Nicolas Meese°,
en publiant son livre en roumain sur « La force armée et l'art militaire
depuis la fondation de la principauté de Valachie jusqu'à nos jours »,
rangeait en tête des sources qu'il avait consultées les Enseignements
de Neagoe 67.

III. L'éducation du prince. Capté par un autre filon de preoccu-


pations, cet écrit apparaissait ainsi au cours d'une phase oit le genre des
« Ftirstenspiegel » prenait un caractère de plus en plus pédagogique, son
but commençant à étre l'éducation d'un fils de prince, plut6t que d'exercer
une censure sur le pouvoir absolu du souverain. Le genre ne tombe pas
encore en decomposition en Moldavie, pays qui sur le plan des explora-
tions culturelles s'avère bien plus actif que la Valachie et la Transylvanie.
Lk, tout un groupe de lettrés se concentre sur le caractère du pouvoir
princier, et des ouvrages parus en France quelques dizaines d'années plus
tea, sont transposes en roumain pour composer un ensemble de normes
de conduite destinées au prince et aux boyards, ainsi qu'une veritable litté-
rature antidespotique : ainsi s'explique la circulation assez intense des
Aventures de Télémague de Fénelon dans le cercle des familiers du metro-
polite Leon Gheuca qui compose personnellement un pot-pouri à l'aide
de fragments de Pensées diverses.. . de Massillon, d'articles consacrés
aux elements naturels et de textes attribués à Cieéron, à Sénèque, etc...
l'ensemble regardant le droit et la justice. Sans insister sur les données
exposées à une autre occasion 68, nous nous bornerons à souligner qu'une
grande partie des conspirations antiphanariotes nees dans les cercles qui
s'intéressaient au mouvement franemaçon, ne revêtent pas un simple
caractère de revendications personnelles au tr6ne, mais s'inscrivent dans
une lutte dont les raisons et les buts sont autrement complexes. Les Pha-
nariotes choisissent du reste au cours de ces décennies entre appuyer le
mouvement de la libération du peuple grec ou organiser, fitt-ce au prix
de la conclusion de cartels 68, leur presence permanente sur les trônes des

67 Voir N. Balcescu, Opere alese ICE.ivres choisies], Bucarest, Edit. pl. Literalur5,
1960, vol. I, p 2.
68 Dans Particle de « Studii s, 1966, 5, et dins celtn de la o Revue Roumline d'Histoire o,
1967, 2. L'ouvrage de Fénelon a élé tradint aussi en turc : Mahmud Kaplan, Tanzer-i Telemak
Edebiyat Fakultesi Turk dil ve edebiyat dergisi s, Istanbul, III, 1948, 1-2, pp. 1-20.
69 Voir Andrei Otetea, Un cartel rananot pentru exploatarea (ardor ronnlne [Un cartel
phanariote en vue de l'exploitation des Pays roumains], o Studii 1959, 3, pp. 111-121.

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470 ALEXANDRU DuTU 32

deux principautés danubiennes, et c'est contre une pareille tendance que


s'oriente la lutte des « autochtones » (peimintevi) qui commencent à s'ap-
peler « patriotes ». La lutte revêt un caractère nettement national,
mesure que la gamme des questions sociales se precise.
Un fait qui West pas non plus dénue de sens, c'est que, tandis que les
lettrés moldaves font appel à l'ceuvre de Fénelon, une personnalité vivant
hors du milieu culturel roumain adresse au prince, à Bucarest, la traduc-
tion d'un traite de Bossuet 70. A la fin du XVIII' siecle, la distance entre
la cour princière et les lettrés autochtones s'accroit et l'opposition nobiliaire
se laisse entrainer par l'opposition des intellectuels pour revétir de plus
en plus un caractere national. Le mémoire rédige maintenant par d'Hau-
terive 71 se fait l'écho aussi bien des desks sincères que nourrissait ce seer&
taire particulièrement doué, que de ceux entretenus au sein de l'opposition
autochtone, lorsqu'il est recommandé au prince d'adopter des mesures
énergiques sur les plans économique, social et politique.
Si nous cherchions dans la société des Principautés, notamment dans
celle de Moldavie, un mouvement semblable à celui qui réalisa Pceuvre
la plus representative du XVIII' siecle nous avons nommé L'Encyclo-
pédie les résultats ne pourraient qu'être décevants. Les boyards, les
clercs et les intellectuels qui s'élèvent des couches urbaines et, dans une
certaine mesure, du milieu rural, n'ont pas la possibilité de se grouper en
sociétés, de discuter dans les salons, d'établir un plan de publications ou,
du moins, de faire appel à des éditeurs. Ce n'e st pas sur ce terrain de rallie-
ment en une action bien agencée que l'on peut retrouver la nouvelle
rature politique, mais bien dans le domaine general de la production &rite,
oil se font jour avec force des preoccupations communes et un remous des
esprits. De la totalité des manuscrits rédigés au cceur des trois dernières
décennies du XVIII' siècle, une statistique complete (et qui attend encore
d'être dressée) montrerait que les ouvrages où apparaissent des idées
sociales et politiques occupent une place appreciable. Ce coefficient aurait
besoin d'être complete ensuite à l'aide des allusions qui percent dans d'autre
écrits et révélerait une lecture assez ample d'ouvrages de ce genre. En Mol-
davie notamment, Fénelon, Marmontel, Voltaire, Montesquieu sont assez
bien connus.
70 o Le trait& de Bossuet. Politigue fir* de l'Ecriture Sainte, destiné au Dauphin de
France, fut traduit en grec pal Eugene Voulgaris qui en fit hommage en 1763 au voiévode de
Valachie, Constantin Racovitd. Nous en connaissons une copie à la bibliothèque de l'évéché de
Roman (ms. 64), dont nous nous occuperons à une autre occasion » P. Nasturel, art.
cit., p. 65, n. 80. « La théorie du droit divin des rois arrive avec Bossuet à des conclusions
beaucoup plus radicales que celle des auteurs du Moyen Age et des autres écrivains du XVI°
et du XVIII° siècle », remarque G. Mosca, Histoire des doctrines politigues, Paris, Payot,
1966, p. 154.
Mémoire sur l'état de la Moldavie en 1787, Bucarest, 1902, notamment chap. V:
gouvernement et du Prince, et chap. VI: De l'administration et des boyards.

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33 I LE MIROIR DES PRINC'ES DANS LA CULI URE RorrmAr/s-E 471

Par ailleurs, la circulation des ceuvres françaises et la signification


qu'elles acquièrent dans le milieu roumain indiquent une reconsidération
certaine de l'idée de monarchie de droit divin. Si antérieurement l'on avait
retrouvé les limites de l'autorité dans les préceptes évangéliques et dans
l'obligation d'« aimer » le peuple, maintenant le pouvoir monarchique en
soi est mis en discussion, la question étant de savoir si le roi peut admi-
wistrer arbitrairement ; s'il ne doit pas tenir compte de normes précises ;
si le devoir d'« aimer » le peuple n'implique pas l'adoption de certaines
mesures économiques ; si la responsabilité du roi ne s'exerce qu'en pl.&
sence de la divinité et de sa propre conscience ou mème encore devant
l'histoire ou le peuple qu'il conduit. La fonction que les ouvrages français
ou appartenant à d'autres littératures acquirent en cette fin de siècle
(par rapport à, l'opposition et à l'affirmation d'un commencement de cri-
tique du régime féodal) suggère que l'on a affaire à un phénomène similaire
celui qui se déroule en France où, vers l'an 1750 et après, « philosophes
et public font le siège de la monarchie absolue, par des détours savants
ou prudents, qui contribuent au prestige de cette longue discussion dans
laquelle les plus légers essais ont joué un rôle aussi important que les
trait& d'érudition historique ou juridique » 72. Pareils « détours savants
ou prudents » et non pas un gofit dominé par le hazard se retrouvent sur
les tracés où circulent les ceuvres de Voltaire, de Fénelon et de Massillon.
A cet égard, la composition elle-méme de florilèges (élaborés sous
les encouragements des lettrés patriotes) s'impose à l'attention comme
de véritables létours ». Nous nous référons à l'un d'entre eux, le ms.
1408, écrit à l'évèché de Roman (Moldavie), à la the duquel se trouvait
alors Léon Gheuca 73, en 1780, et complété avec d'autres fragments As
la fin du siècle. Les 33 premiers feuillets du manuscrit renferment un texte
sur les « innovations » des catholiques combattues « avec réprimande ».
Mais au feuillet 34 cette préoccupation d'ordre confessionnel n'est plus
continuée, car c'est à partir de là que commence l'insertion, d'après une
traduction faite vers 1772, de la version de la « prière du peuple grec
toute l'Europe chrétienne » par Giovanni del Turco et deux ouvrages de
Voltaire (Le Tocsin des rois et la Traduction du poème de Jean Plokof);
entre les feuillets 52-56 figure le Peal's des rois de Pologne, écrit suivi
de la version roumaine d'un opuscule dû à « Jean Sigismoncl von Titen
(sic) des Champs Elysées, 1791 », où est discutée la question orienta,le du
72 Robert Mandrou, La France au XVII et XVIIIe sleeks. Paris. P.U.F., 1967, p. 190.
Voir aussi la 4e partie, « Directions da racherches *, d'une valeut netimable pour le développe-
anent des recherches.
73 Le manuscrit à 61.6 ulilisé aussi, pour les ceuvres de Voltaire gull renfet me, par
Ariadna Camarlano, Spirant revolutionar francez .sz Voltaire in limbile greacil r rorneina [L'espril
ro- volutionnaire franots et Voltaire en grec et en roumain]. Bucarest, 1966, pp. 132-139.
Notre collègue, Paul Cernovodeanu, qui a examine ce florilège, nous communique n'avoir pas
réussi à identifiet l'otiginal.
C. 55S7

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472 ALEXANDRU DtTD 34

point de vue de la Prusse, qui ne désirerait pas que la Porte Ottomane


« s'écroule ». Si un tel manuscrit religieux « déguisé » n'a pu prendre nais-
sance des preoccupations d'un moine soucieux de combattre les égarements
dogmatiques des « papistes », il n'est pas non plus le fruit d'une curiosité
dispersée : on retrouve entre ses pages des écrits représentatifs concernant
la situation politique de l'Europe de l'Est et les nouveaux problèmes qui
retenaient l'attention des pays de cette région.
Le Palais des rois de Pologne nous intéresse au premier chef. Outre
qu'il denote une fois de plus les rapports du mouvement culturel et poli-
tique de Moldavie et des courants de pensée de Pologne, il pose le pro-
blème du monarque en invoquant des exemples puisés à Pantiquité, en une
allégorie agréable à la mentalité médiévale, mais en termes qui déplacent
la question sur le terrain de la critique politique. C'est ainsi que le palais
des rois à Varsovie montre sur chaeune de ses douze portes « un emblème :
une couronne impériale soutenue par « une multitude de mains d'hommes
de toutes categories », avec cette légende : « Un homme seul ne peut
porter »; un homme dont tout le corps est semé d'yeux, avec la légende
« de tous côtés »; un rideau qui cache les mystères : « Qu'on ne le voit
pas »; une tortue qui invite à plus de jugeote « Hâte-toi avec lenteur »;
un aigle qui répète l'invitation antique (aquila non capit muscas) : «
vole vers les cimes »; un oiseau qui « Voit aussi la nuit » (tout ce que
rempereur fait ne demeure pas inconnu du peuple) ; une représenta-
tion de la justice : « Elle ne voit pas les figures »; une composition qui
suggère qu'il faut maintenir la paix par les armes et non par la peur
« La guerre engendre la paix »; un motif qui remémore la chute de Phaé-
ton : « L'insolence entraine la chute »; une arabesque compliquée qui
recommande an prince la mesure : « L'autre aussi, je peux la déchiffrer »;
un soleil : « Je fais tout pousser »; une femme sauvage en trainant, sur
des cadavres, un jeune homme qui, en méme temps, ne veut pas obeir
une autre femme, qui voudrait le sauver : « La volonté esclave », avec ce
commentaire que les rois qui fuient la vérité et se laissent abuser par les
flagorneries de leurs ministres tombent dans le gouffre, après n'avoir causé
que des malheurs.
Si nous ne retrouvons point le plan d'une théorie politique et si
l'appel à la sagesse (particulièrement significatif dans les limites de notre
sujet) continue d'avoir une fonction pré.donderante, le fait que le problème
de la puissance politique est posé dans les termes maitre-sujets (que l'on
retrouve aussi chez Fénelon ou Massillon) n'en ressort pas moins limpi -
dement 74. Les derniers ne jouent plus le rôle d'un point de référence, mais
74 « It was now no long r a question of the sovereign's power in relation to a still
higher authority, such as the Church, or the Empire, but between rulers and ruled P.
Hazard, op. cd., p. 204.

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35 LE MIROIR DES PRINCES DANS LA CULTURE ROUMAINE 473

ce sont eux qui soutiennent la couronne avec « une multitude de mains ».


L'esprit démophile déplace l'ensemble des problèmes ; il reflète par lui-
même la mutation sociale qui se produit sur le plan de la création et de
l'action culturelle dans les trois dernières dkennies du XVIII' siècle et
les deux premières du XIX'.
La mutation sociale, considérée dans l'ensemble du mouvement cul-
ture' roumain, est évidente en Transylvanie où, A, la place des clercs, s'élè-
vent les intellectuels, hommes de lettres et professeurs (groupés autour
de « l'Ecole transylvaine ») ; leur ceuvre influencera considérablement le
processus culture' des Principautés. Le phénomène ne s'explique pas
seulement par l'intensification de la circulation du Eyre, qui active partout
le renouvellement du bagage d'idé3s. On ne pent le saisir qu'en étudiant
les transformations survenues dans la structure de la société. Si ce chapi-
tre, à le considérer notamment sous l'angle des créateurs et des bénéfi-
ciaires des biens culture's, nécessite encore des études pénkrant plus
profondément dans l'intimité de la société roumaine en comparaison
de l'« anthropologie culturelle » du Sud-Est européen et de l'Europe cen-
trale on pent tracer les grandes lignes d'un tableau schématique à l'aide
des témoignages produits par le livre.
L'évolution du livre imprimé et la circulation des manuscrits nous
incitent à dépister trois courants idéologiques au cours des trentes der-
nières années du XVIII' siècle et les vingts premières du suivant. Un
courant de conservation de la tradition chrkienne, soutenu par le haui
clergé dépendant de la cour des princes phanariotes et par les milieux
monastiques, qui interviennent maintenant sur le plan culturel grâce au
formidable effort de traduction de livres ascétiques fourni par le monas-
tère de Neamt oli ceuvre Pajsie Veliékovski ; un courant de restaurations
de l'autonomie des pays, des privilèges, soutenu par les grands boyar&
et un courant qui, sans renier les deux autres, poursuit l'intégration des
Pays roumains à l'« Europe éclairée », courant soutenu par les lettrés,
les clercs ou les professeurs laTques, les boyards de seconde et de troisième
classes, la bourgeoisie en formation. Ce dernier courant raffraichit conti-
nuellement le bagage d'idées, sollieite des livres et suit le mouvement des
esprits du continent, fait appel aux sources les plus diverses et donne le
ton à la vie spirituelle du moment, quand les privilégiés commencent
manifester des signes de fatigue 75 j grâce à ces atonnements incessants,
qui trahissent à leur tour une insatisfaction des anciennes positions qui,
pour le moment, ne sont pas complètement répudiks, l'étape peut ètre
caractérisée comme une « crise de conscience » et comme une phase des

Maxime Leroy, Histoire des idees sociales en France, tome Pr De Montesquieu


Robespierre, Paris, Gallimird, 1943, p 363.

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474 ALEXANDIM 'ATTU 36

« lumières » du fait des sources auxquelles on fait appel, de la nature des


arguments exprimés, en général, et de l'esprit réformiste prédominant.
Dans un tel contexte, « le miroir du prince» perd son actualité et les esprits
s'orientent vers l'examen du pouvoir politique en soi, en plaçant sous le
signe de l'interrogation l'absolutisme qui avait besoin dudit miroir.
Ce processus se dessine plus nettement en Transylvanie, où la « con-
science orthodoxe » maintenue méme après l'Union avec Rome revétit
davantage le caractère d'un bastion de la conscience nationale ; on l'aris-
tocratie autochtone avait été liquidée depuis longtemps et oil, enfin, Pen-
seignement laique marqua des points aussi grace A, la politique de Joseph
II. On peut affirmer qu'en Transylvanie les éléments qui dénotent une
« crise de conscience » sont bien plus insignifiants que dans les Principautés,
tandis que l'esprit philosophique y est beaucoup plus vigoureux.
C'est ici qu'apparait nettement la nouvelle direction que va prendre
Pidéologie roumaine : l'on y retrouvera le liant du genre littéraire des
« Furstenspiegel » et des nouvelles catégories de préoccupations. Si l'ou-
vrage de Fénelon attire Petri' Maior, tout comme le Bélisaire de Marmontel
trouvera un traducteur dans la personne de Samuel Mien-Klein, le mou-
vement transylvain, lui, va encore plus loin. S'adressant à l'empereur en
1791, les lettrés transylvains lui présentent un véritable texte juridique
exprimant des revendications d'orclre constitutionnel. Le Supplex Libellus
V alachorum représente un acte appartenant au domaine de la théorie juri-
dique, et l'esprit éclairé qui a présidé à sa rédaction donne droit de cité
dans ce domaine a, la raison, mème si la classe dominante continuait
refuser de les reconnaitre 76 Expression d'une conscience nationale avan-
cée, cet écrit, particulièrement important en raison de ses multiples
adhésions aux domaines qui constituent en bloc la vie d'un peuple, marque
la fin d'un genre littéraire, dont nous nous sommes proposé de retracer
l'histoire. Lorsque S. Mien rédige une Instruction politique d'après Bau-
meister, en 1781-1782, s oici ce qu'il affirme : « nous ne les écrivons pas
pour apprenclre à l'empereur à gouverner et A, diriger sa maison et l'empire,
mais pour donner des modèles de sagesse à quiconque désire savoir com-
ment se comporter et vivre » (paragraphe 3). Si ce texte s'encadre plus tôt
dans la catégorie des livres de comportement, chose déjà remarquée 77, en
échange il rnérite d'être mentionné ici précisément parce qu'il statue des
droits et obligations de l'individu dans une société qui se soumet à la raison.
La vie politique et sociale à laquelle est appelé le peuple commence

76 Voir D Prodan. Supplex Libellus Valachorum, Bucarest, Edit. *Litn[ificii, 1967,


notamment p 281 sq.
77 Patroiltu Teodor et Damitru Studzu tntroductiv h Samuil Alicu, Scneri No:o-
flee [Ecrils philosophiques], Bucarest, Edit. Stiintiftcil, 1966, p. 63.

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37 4LE MIROIR DES PRINCES 4 DAN.; LA CULTURE ROUMAINE 475

exclure les ecrits où l'autorité da monarque n'était pas, au fond, mise en


discussion.
Quelques écrits appartenant au genre des « Ftirstenspiegel » font
toutefois une apparition sporadique dans les Principautés, dans la première
partie du XIX' siècle, interessante en raison de ses « codes » rédigés sous
le patronage des princes (Callimachi, liaradja), ainsi qu'en raison des
projets de constitution qui se multiplient alors 78. Ces projets, accompagnés
frequemment de textes de critique sociale découlant de la mème plume,
donnent de plus en plus droit de cite au concept de norme juridique en
penetrant toujours plus profondément dans le domaine de la science qu'on
appelle le droit. Instructif à cet égard s'avère le projet de 1829 de ce per-
sonnage particulièrement intéressant qui fut IonicA räutu, projet compose
pendant une phase appelée à juste titre « le moment Filangicri »79. La
presse de l'époque pouvait publier encore « Les dernières paroles de Gus-
tave III, roi de Suede, à son fils Gustave IV » (« Curierul românesc » de
1837), mais elles n'ont plus le poids qu'elles auraient eu dans le mouvement
des idées du XVIII' siècle, car maintenant on publie Les devoirs du
gouvernement et des sujets de Iancu Voinescu (1829 ou 1830), « L'esprit
des lois » de Montesquieu dans la « Foaia pentru minte » de 1812 et d'autres
extraits non moins éloquents.
C'est de ces années, 1830-1835, que date un ouvrage qui n'a pas
encore été étudie, d'un auteur pas assez connu, Gheorghe Pesacov, qui
reconnaissait pour l'un de ses maltres Dinicu Golescu, écrivain et poli-
ticien éclairé, ainsi que son frère Iordache qui, à son tour abordait le pro-
blème du gouvernement dans un essai inspire également de Rousseau,
Aux gouvernants des peuples 8° Traduite probablement d'après un ouvrage
en slave qu'il reste à determiner la version de Pep,cov encore manuscrite
Imparäteseul sinual constitue un « miroir » typiquement illuministe.
Un « bon empereur » discute avec un « sage conseiller » des moyens de rea-

78 Voir 'storm Rorndniei, Bucarest, Ed.t. Acad , 1964, vol. III, pp. 603 605. Dans
le inémoire de 1802, proposant la creation d'une république o aristo-clémociatique ) on prévoyalt
l'organisation de trois o conseils (divanuri) ayant des attributions distinctes.
79 E. Virtosu, Les ulées politiques de I. Tanta!, candidat au trône de Moldavie en 1829,
o Revue Roumaine d'Histon e >, 1965, 2, p. 280, n 13 Voir aussi Gli Agavilloaie, lonicj
o Analele Stlintifice ale UnivA sild[ii A. I. Cuza Iassy, 1966, 2, pp 223-229
89 Sur l'essai de Iordache Golescu, quelques details chez Al. Puu, Literatura rornand
premodernd [ La littérature roumaine prémoderne], Bucarest, Edit pentru Literatin 5, 1964,
pp. 240-241 Pour Pesacov, voir Al. Ciordnescu, O scrisoare literard a lui Glieorglie Pc{acov
[Une lellre lilléiaire de Gheorghe Pesacov], Revista istolicd ), 1931, pp. 368-381 ; E. Vir-
tostl, Versuri inedite despre 1S'2l inedits sur 1821], i Revista Arhivelor s, 1939, n°8, tirage
part. D'amples données bibliographic/Lies sur ce Macédomen, revendiqué aussi par certains
historiens bulgares, et une analyse d- son activité avec mention du manuscrit cite par
nous dans le travail inédd d C Velichi, auquel nous exprimons ici riunic) nos remercie-
merits . Un poet slaveano-rorndn: Glreorglie Pesacov [ Un poète slavo-roumain : Gheorghe
13,!1acov] Nous croyons que la date o 1806 ,) qui figure en tae du manusci it pourrail edre celle
de 11 publication de Pouviage tradint par Pesacov.

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476 ALEXANDIZU DITTU 38

liser le bonheur de l'humanité puisque c'est a cette fin qu'a été créé le
pouvoir impérial « comme l'enseigne la nature elle-même ». Pour atteindre
ce but, l'empereur devra écarter les ministres hypocrites (Agapet le savait
déjà !), découvrir à tout prix la vérité (en se proposant un système com-
pliqué permettant de réunir les réclamations dans des boiles scellées)
et accorder une large place à l'éducation. L'ouvrage aborde aussi le pro-
blème de la croissance vertigineuse du nombre des citadins, phénomène
qui inquiète toutefois l'auteur, lequel propose de ne laisser dans les
que les vertueux et ceux qui ne sont pas des « exemples de toute sortes
de malignités ». Y font suite une seconde partie, consacrée aux lois, et une
troisième, où sont énumérées toute une série de règles (suppression de
l'esclavage, proclamation de la toléranee, lutte contre le luxe, etc...)
qui soulèvent à tel point l'admiration du philosophe que, enchanté de la
sagesse de son souverain, s'excla.,me : « Maintenant, Seigneur, ren-
voyez votre serviteur ». ii était utile, dans ces conditions, que le pliilo-
sophe sortit de l'utopie, que l'empereur s'exilht et que le spécialiste fit
son apparition. Ce dernier du reste apparut à la veille de 1848, quand les
« doléances des partis » étaient exposées avec un esprit scientifique. Aussi
l'ouvrage de Pesacov demeura-t-il dans ses cartons, encore qu'il se ftt
proposé de le présenter au prince Alexandre D. Ghica 81. Mais le prince
possédait dans sa bibliothèque un exemplaire de Antirnachiavel ou
Examen du Prince de Machiavel de main de maitre... »82.
On retiend.ra encore dans ce genre l'ouvrage, évidernment pédago-
gigue, de Condillae, Cours &etude... (au destin si agité 83) dont fut traduit,
en 1829, aux insistances de Grignre Bäleanu, le traité d'histoire jde même,
les Dialogues de Phocion, par Mably (connus, tout comme les écrits de Con-
dillac, grâce à des lectures remontant 6. une période antérieure 88), qui, en
1819, furent traduits en néo-grec par Catherine Soutzou avec le sous-
titre traditionnaliste « que la morale est en très étroits rapports avec la
politique », avant d'être replacés plus tard dans leur propre voie par l'au-
teur de la version roumaine : « Dialogues moraux sur la civilisation.... s
(ms. 6069). La version est contemporaine à celle imprimée par Simeon
Si C. Velichi, art. cit supra.
82 Voir P. Paltu, Catalogul cdrttlor bibliotecti dommtorultti Al. D. Gluca [Catalogue des
!lyres de la bibliotheque du prince Al. D. Gluca], i Revista Arhivelor 0, 1967, 1.
83 Voir Luciano Guerci, La Composiztone e le vicende eddortall del Cours d'études di
Condillac, dins IlltscellanPa Walter Illaturi, Torino, 1966, pp. 185-220. (Università di Torino,
Facoltà di Leitere e di Filosofta. Stoma Volume I. Istituto dt Storm Moderna e del Risorgt-
mento).
84 Annonce du ( Curierul Romilnesc o, 1829-1830, p. 37 Voir aussi Dan Bt1drirau,
Studiu introductly à Condillac, 2'ratté des sensations, Bucarest, Edit. Stiin[ihcfi, 1962,
pp. LXXIII IV.
86 Voir la correspondance de Daniel Philippidis et de Barbié d.0 Bocage dans 'AXX.qXo-
ypapfa, 1194-1819, Athenes, 1966

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39 .LE MIROIR DE i PRINCES DANS LA CULTURE ROUMAINE 477

Marcovici, en 1844, qui avait achevé son travail a, Constantinople en


1843 et le dédiait maintenant au prince Georges Bibesco en précisant que
« la politique est une science dont les principes sont stables et sa première
règle est de suivre les lois naturelles...
La vie économique en transformation et les nouvelles relations so-
ciales des Pays roumains, ainsi que celles des empires limitrophes qui en
avaient patronné la structure féodale soulevaient en face de Pabsolutisme
un nombre toujours croissant de problèmes auquel ce dernier n'était
plus à même de répondre qu'avee l'assistance de eette déesse obtuse qui
a nom la Force. Les intellectuels qui avaient pris la place des philosophes,
formulaient ces problèmes avec une vigueur et une ingéniosité qui de-
fonçaient les vieux sentiers de la parole ecrite ou prononcée. Le genre
dont nous venons de parler et sous l'égide duquel furent -véhiculés
jusqu'à la culture roumaine des écrits latins, byzantins, orientaux, slaves,
franais et allemancls tombe maintenant en décomposition, aussi bien
du fait des écrivains qui abordent une série de problèmes bien plus riche
que celle traitée dans les ouvrages qui avaient constitué le genre, que
grâce aux lecteurs qui appartenaient à d'autres catégories que les cleres
et les boyards lettrés, dont la mentalité et les objectifs culture's étaient
autres. Au cours de ces années qui précédèrent le milieu du sièele, le
miroir, dont l'eneadrement éta it encore doré mais terriblement poussiéreux,
se brisa...

La longévité de ce genre dans le Sud-Est de l'Europe et surtout les


idées que les ceuvres qui lui appartiennent ont véhiculées constituent de
nouveaux sujets d'étude, qui peuvent mener à de fructueux résultats. En
évoquant la circulation des ceuvres du genre des « Farstenspiegel » nous
ne nous sommes pas arrêté à certains écrits cantonnés dans des cereles
fermés, sans succession, comme ce fut le cas des eonseils de Mathieu des
Myres au prince Alexandre Ilia ou du Chresmologion de Nicola e Milescu.
Nous avons essayé de faire da-vantage de lumière autour des multiples
influences qui sont susceptibles d'être dépistées dans le milieu culture'
roumain et, en raison de la fonction acquise par ces écrits au cours de
diverses étapes, d'insister sur Poriginalité de la mentalité roumaine. Les
conditions qui president au passage de «l'esprit de système » à «l'esprit de
géornétrie »86 soulèvent le problème particulièrement intéressant du rapport
établi dans toute l'Europe par la pensée des Lumières entre « l'éternel
present » actualité continue de valeurs essentielles et immuables et
« le present historique » exaltation optimiste de la donnée contempo-

86 Ernst Cassirer, La phdosophie des lurruères, Paris, Fayard, 1966, p. 42 sq.

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478 ALEXAMRUDUTU 40

raine". Certes, il est difficile de résoudre cette question, qui dépend de


l'idéologie des écrivains liés à des milieux divers. Ici est impliqué aussi le
rapport, qui attend encore d'être étudié dans le Sud-Est européen, entre
littérature de Cour et littérature populaire (c'est-à-dire celle destinée aux
masses, à la différence du folklore88), ainsi que le rapport entre tradition
culturelle et lutte pour l'indépendance, dans le but de s'encadrer du
point de vue politique88 dans une Europe des nations. En énoinant ces
questions nouvelles nous nous bornons à consigner ici une réflexion jus-
tifiée par l'analyse que nous avons entreprise.
Devant l'ample diversification des préoccupations intellectuelles du
reste du continent, et notamment en rapport avec « les gTands courants
de la pensée individualiste, rationalisme, empirisme et Lumières » qui
ont séparé « deux modes de conscience individuelle : la connaissance
tionnelle et la valorisation »9°, la tradition littéraire roumaine étudiée
dans les limites du Sud-Est européen fournit au XIX' siècle une con-
ception unitaire du monde et de l'homme, assurée en premier lieu par la
stabilité avec laquelle on avait cultivé des sfecles durant la sagesse en
tant que recherche de l'essence, comme seul guide sur le chemin du bon-
heur et, en même temps, comme facteur unificateur de la conception
et de l'action. Maintenir un accès permanent A, l'essence pratiquer
philosophie et répondre, dans un esprit parfaitement pragmatique,
l'imprévu, en règle générale dramatique, c'est la, à notre avis, l'un des
traits essentiels de la culture roumaine des XVIIe et XVIII' siècles,
quand le content' de certains concepts se modifie, mais qu'il en apparait
de nouveaux, également « essentiels »; le présent historique , dans ces
conditions, ne repousse pas l'éternel présent. C'est pourquoi, s'il en est
effectivement ainsi (et Nieolae Iorga a produit bien souvent des arguments
en ce sens81), les historiens pourraient se pencher d'une fa ç'on particuliè-
L'abbandono dzAla trachzione porta gli illuministi al rifluto del concetto da "peren-
ride (el?) che resta vivo ed attuale nel mutare incessante delle vicende storiche : l'eterno pi e-
sente). Alla perennità, cioè attualita del valori essenziali ed inunodificabili dell'-
uomo e della vita, essi pretendo di sostituire la categoria della tempoi alità (i1 presente storico),
cioè l'esaltazione ottinustica e spregiudicata della mondanità e ddla naturalità, cadendo inevi-
tabilmente nel relativism° e nel fenomenismo Gianni M. Pozzo, Storza, tradizione e ragzone
nel penstero illuministico, o Le parole e le idee s, Napoli, 1966, 29-30, p. 9.
88 Il y a cette andenne distinction A reprendre, entre pour le peuple et par le peuple
C Th Dimaras dans Actes de la première ri;union de la Commission d'Histoire des 'Wes dans le
Sud-Est de l'Europe, 4 Bulletin de l'Association Internationale d'études du Sud-Est européen
Bucarest, 1965, p 41.
89 Durant la phase des lumières on a eu en vue l'encadrement politique de la question,
vu que celui culturel avait déjà préoccupé les humamstes roumams du XVII siècle ; cf.
P. P. Panaitescu, op. cit., p. 189.
99 Luden Goldmann, La pensée des LumiCres, Annales s, Paris, 1967, 4, p. 760.
91 On ne saurait récapituler ici la bibliographie des travaux ott le grand savant a men-
tionné cette permanence de la culture roumaine. Aussi nous bornerons-nous à mentionner La
place des Roumains dans le développement de la vie spirituelle des-nations romanes, Bucarest,
1920.

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41 LE MIROIR DES PRINCES DANS LA ClEYIAUEE ROITMAINE 479

rement instructive sur la tradition culturelle roumaine qui se reflète dans


les « Miroirs » que nous avons mentionnés. Mais nous ne faisons là que
formuler une simple réflexion.

Si 'lolls rencontrons ainsi l'un des traits de la civilisation byzanline (sur lequel Norman
Baynes, Byzantine Studies and other Essays, London, The Athlone Press, 1955, notamment
pp. 26, 458-459, attirait l'attention, et tout récemment Paul Lemerle dans Legon inaugurate
faite le vendredi 8 décembre 1967 au College de France), nous retrouvons encore une formule
plus nuancée du concept d'« humanisme 4 ; dans le cas surtout des civilisations du Sud-Est de
rEurope il ne convient pas d'opposer Renaissance et Moyen Age, humanisme et pensée me-
diévale, dater de la Renaissance la découverte de l'homme et du monde .. Si la Renaissance
avait annonce le triomphe d'un humanisme strictement naturaliste, en reaction contre l'esprit
chrétien, on devrait conclure que satisfait de l'état de nature déchue, l'homme aurait volon-
tairement impose un terme à l'effort que, depuis le debut des temps chretiens, il tentait pour
se connaitie et se dépasser s Claude Delmas, Histoire de la civilisation européenne, Paris.
P.U.F., 1964, p. 72 (A la page 73 a la sècheresse de la pensée <scolastique > masqua aux
yeux des humanistes l'humanisme de la tradition scolastiques). Il est probable que le chapitie
humanisme recevait une contribution considerable d'un examen fidèle du concept de e tradi-
tion s (qu'il ne faut pas confondre avec la tendance de conserver A tout prix un fonds donne
d'idées, ce fonds s'enrichissant continuellement d.ans le cas de la culture roumaine, tout comme
clans celui de la culture néo-grecque, grace à la dynamique d'une tradition incessamment renou-
velée et axee autour de la preoccupation de conserver une conception unilaire de l'homme et de
sa place au sein de la société) comme aussi de la modalité de survivance de certaines coordon-
nées de la culture hellénique (et, plus particulièrement de la culture latine, dans le cas de la
culture roumaine) au cours des siècles. C'est en partant de telles prémisses que l'on pourrait
aborder la question de l'apport du Sud-Est européen A la formation de « l'esprit européen s défini
trop souvent A l'aide de la formule : « fl est difficile de cléfinir un elephant , mais je le reconnais
quand je le vois s (cf. L'enseignernmt de l'histoire el la révision des manuels d'htstoire, Strasbourg,
Conseil de la cooperation culturelle du Conseil de l'Europe, 1967, p. 80, voir aussi page 104
« Notre vue occidentale (12 l'histotre en est faussée, non seulement celle des Turcs, mais meme
celle de peuples «orthodoxes » qui disent avoir hérité et transmis à l'Europe les principaux traits
des Empires romain et byzantin... s).

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LES ÉLtMENTS LATINS DES «TACTICA-STRATEGICA» DE MAU RICE-
URBICIUS ET LEUR ÉCHO EN NÉO-GREC

HARALAMBIE MIHAESCU

Le nombre des elements latins de la litterature byzantine se mon-


terait à 3000 termes approximativement, dont 207 ont survécu en grec
moderne. La catégorie la plus abondante renferme des termes militaires
(431, par rapport à 30 en néo-grec). Y font suite l'administration publique
(384 termes ; 14 en néo-grec), l'activité juridique (341; 2 en néo-grec),
le costume (145 ; 12 en néo-grec), la religion et le calendrier (118; 18 en
neo-grec), la flore (78; 1 en néo-grec), les poids et mesures (76; 10 en
néo-grec), la faune (73; 9 en néo-grec), la -vie de cour (67; 4 en néo-grec)
et divers autres domaines (1099; 103 en néo-grec). Les elements latins ont
pénétré petit à petit en grec durant plus d'un millenaire. Leur afflux a
commence bien avant la conquête de la Grèce par les Romains ; il s'est
accru au II' siècle de notre ere pour atteindre son apogee au VIe siècle,
connaitre un déclin aux VII' et VIII' siècles, reprendre aux
X' et XIe siècles et diminuer ensuite constamment jusqu'à la chute de
l'Empire byzantin au pouvoir des Turesl.
On a affirmé que le principal motif de l'emprunt de ces elements et
de leur survivance en néo-grec aurait été la nette supériorité des Romains
sur les Grecs dans certaines spheres d'activité : « Fiir eine grosse Zahl von
Kulturbegriffen kann der heutige Grieche nur la teinische WOrter anwenden
die ihm natiirlich nicht mehr als fremde erscheinen, und es ist lehrreich zu
-verfolgen, welchen Kulturgebieten diese angehòren. Man findet nämlich
die meisten lateinischen Bezeichnungen im Heer- und Verwaltungswesen
sowie im Handwerk und in der Technik, also gerade auf den Gebieten, in
denen die Griechen ebensoweit zunick wie die Romer -voraus waren. »2
La réalité est, en fait, plus complexe qu'il semblerait à première vue et
F. Viscid', I preslItt latzru nel greco antIco e bizantino, Padova, 1944, pp. 44-59.
2 K. Dieterich, in # Neue Jahrbucher fur das klassische Altertum », XIX, 1907, p. 484.

REV. BTUDES SUD-EST EUROP., VI, 3, P. 481 498, BUCAREST, 1968

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482 HARALAMBIE MIHAESCU

que ne la présentent les mots ci-dessus : les Grecs ont précédé les Romains
dans certaines inventions techniques et, parfois, ils les ont dépassés. Leur
organisation militaire avait une haute antiquité. Ils disposaient d'une
terminologie propre aussi bien dans le domaine de l'art militaire que dans
celui de l'administration publique. Mais après la réalisation de l'unité
politique au sein de l'Empire romain, les anciennes barrières tombèrent
et bien des énergies locales purent dire leur mot clans l'une des deux gran-
des langues de culture de l'époque, le latin et le grec. L'unité politique
détermina au fur et A, mesure l'interpénétration et la fusion dans le do-
maine des moyens d'expression.
L'Empire byzantin s'est longtemps considéré le continuateur de
l'Empire romain. Les dirigeants et les petites gens dans l'Empire byzantin,
tout comme les Grecs de nos jours s'appelaient et s'appellent encore « Ro-
mains » ('130110:"Eot, ToppE), leur langue étant « la langue ro-
maine » (Tuy..octxdc). Les éléments latins apparaissent en particulier dans les
textes byzantins d'origine populaire, à preuve gulls faisaient partie de
la langue usuelle. Pour des raisons de style, certains écrivains cultivés les
évitent, en les remplagant par des termes propres à l'ancienne littérature
grecque. C'est de cette fagon que les éléments latins constituent aussi un
excellent moyen pour l'étude des ressources stylistiques et des courants
d'opinion chez les écrivains byzantins. Aussi s'avère-t-il indispensable
de connaitre en détail les situations de fait afin de se rendre compte com-
bien de temps et dans quelles sphères de l'activité humaine les éléments
latins ont persisté da,ns la littérature byzantine, ce qui permettra de com-
prendre la raison pour la quelle certains d'entre eux seulement ont survécu
en grec moderne.
Les sources byzantines ne laissent planer aucune ombre de doute au
sujet de la vitalité et de l'opportunité des emprunts d'origine latine. Mal-
heureusement nous disposons de bien peu d'instruments lexicographiques
pour pouvoir connaitre le véritable état de choses et retracer l'histoire de
chaque terme en particulier. Nous avons en revanche certaines indications
de nature formelle qui nous aident à déterminer plus exactement les cri-
tères à me'ine de nous permettre de reconnahre l'époque de leur pénétra-
tion en grec. Ce faisant, nous obtenons de nouveaux points d'appui en
vue d'en esquisser une stratigraphie. Il eit très important de fixer la,
chronologie des éléments latins pour la critique des textes et pour l'éta-
blissement des éditions savantes. Cela permet de suivre l'époque jusqu'a
laquelle se sont prolongés ces échos de la culture classique da l'antiquité,
ainsi que le niveau de l'enseignement. C'est aussi une tâche indispensable
pour les historiens de la langue grecque de l'époque byzantine.
Bien des phénomènes phonétiques qui distinguent le grec actuel de
la langue grecque antique sont attestés au I" siècle de notre ère : co. = e,

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LES ELEMENTS EATEN'S DES .TACTICA-STRA.TEGICA. 483

= Z, ot = i, u = -= o, ocu et eu = av et ev, y, -Lo et -Loy -tq


et -LV l'article cd. = ot, le futur exprimé par le présent ; la disparition
du parfait. Au IP siècle, on rencontre des formes abrégées comme 116 =
=-- TpLOCVTOC Tpteotov-coc, -e;à l'accusatif pluriel au lieu de -ocg,
ou bien l' on constate la disparition de l'optatif. Aux IIP et I'Ve siècles
on renco ntre i; le génitif pour le datif ; la confusion des prépositions
ÉV et ei;, de Etií. et gw.., ainsi que d'importantes innovations lexicales.
Aux V' et VI siècles s'est produit la sonorisation des occlusives après
nasales dans des groupes comme yx > ng,117: > mb, VT >TT 3. Après
le VP siècle il s'est produit des changements importants dans le domaine
de la dérivation et du lexique : certains suffixes d'origine latine sont alors
devenus très Vconds et le contact avec la langue latine puis avec les
langues romanes et balkaniques mit en circulation de nombreux vocables
qui enrichirent le trésor du lexique 4. La langue grecque emprunta notam-
ment au latin des substantifs et des suffixes dérivatifs et A. l'italien sur-
tout des verbes 5.
Jusqu'au IV` siècle approximati-vement les lois de l'accent reposant
sur la quantité vocalique persistèrent. En grec ancien l'accent pouvait
reposer sur l'une des trois dernières syllabes du mot (clyoc,a6q, s6pov,
ecvDpo.nuoq) et il était conditionné par la quantité de la dernière -voyelle ;
quant au latin, l'accent principal du mot retombait sur l'avant-dernière
syllabe ou sur l'antépénultième (bonus, homines), mais, et cela obliga-
toirement, sur la pénultième, si elle était longue (canna, à la différence de
manca). Lorsqu'un mot latin pénétrait en grec, il s'adaptait au système
de cette langue et devait modifier bien des fois son accent, par
exemple : Augustus A6yotnsToq, centuria zev-roupEoc, macellum ÉleoteXXov,
praefeetus 7:pocEsoex-roc,-. Toutefois, vers l'an 500, la quantité des voyelles
n'était plus perpe et elle était devenue indifférente pour la position de
l'accent. Aussi rencontre-t-on dans le grec de l'époque des emprunts
latins sans modification de l'accent : mandatum ti.avac'ccov, manica
ttávota,, fossatu cpocralTov6. La place de l'accent constitue done
un eritère qui mérite d'être pris en considération pour déterminer si tel
emprunt latin est passé en grec à une époque plus lointaine ou après le
ive siècle.
3 G. Rohlfs, Neue Beitrage zur Kenntnis der unteritalienischen Grazitat, Munchen, 1962,
pp. 97 103, 172-174 (c Sitzungsberichte d:r Bayerischen Akadenue der Wissenschaften.
Philos hist. 1:l s. 1962, Heft. 5).
4 S G. I:Ipsomenos, Die griechische Sprache zunschen Koine and Netzgriechisch, in Be-
richle vim XI. Internationalen Byzantinisten-Kongress. Munchen, 1958, p. 36.
5 H. Pnnot, in s Krilischer Jahresb..richt ub.n. die Forlschritte der romanischen Philo-
logie », IV, 1900. I re partie. pp. 351-352.
6 M. G. Btrtoli. Rorminia e Poyi.xvbx : Scritti varit di erizdizione e di critica in onore di
Rodolfo Renter, Torino, 1912, pp. 981L999

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484 HARALAMBIE MIHAESCII

Un autre indice qui nous permet de parler d'emprunts tardifs est


constitué par le maintien de la voyelle a au génitif et datif singuliers dans
des formes comme "51:5 pEy?oc;, fr:íy?.?. ; 6p; 73)g csocy[T-coc.,;,
aocyET7n ; T."; 7F.,J77..;, 76 7LOTO,C oul'oscillation de l'accent dans des formes
grecques commeNat./.7(.6.p.)0,4 ou

L'ouvrage connu sous le nom de Strategicon de Maurice nous a


conservé un nombre considérable de mots d'origine latine et de termes de
commandement en latin. Son auteur a vécu au début du VIP siècle-
I1 a connu de près la vie des camps et s'e¡t proposé de rédiger un
mantle' pratique re,-êtant une forme adéquate, non altérée par les fleurs
de la rhétorique, en usant des moyens lexicaux accoutumes, en grande
partie d'origine latine, comme il a eu du reste soin de le déclarer lui-
méme dans la préface : =o-Acixv; V.73. 57.r.q orpomornx'?)
V

auvOsío!. 7.7.-7.N.Lgvxt; yp ?..gzat. Les cinq manuscrits de ce


travail se laissent partager entre deux groupes : d'une part, le
Mediceo-Laurentianus G-r. LX, 4 = M, de la fin du X' siècle, avec sa
refonte libre de l'Ambrosianus 139 (B 119 sup.) = A, du Xle siècle et,
,l'une autre, les manuscrits Borbonico-Neapolitanus 284 (III C 26)=N,
Parisinus Graecus 2442 = P et Vaticanus Graecus 1164 = V, du XI'
siècle. On trouve comme nom d'auteur et comme titre : dans le manuscrit
M: 06pP:xíou T7:47t-/.3'.-c7p7.-rtlyzet ; dans le manuscrit A, INI/upLzíou Tocxv.xl;
dans les manuscrits NPV, Alauptztou E7pa.:-/-(tx6v. La seule edition publiée
jusqu'ici s'intitule : Mauricii Arti. inilitaris libri XII ed. J. Scheffer,
Uppsala, 1664. Notre enquéte utilise à la fois l'édition de Scheffer et
les manuscrits ; pour les exemples cités nous renvoyons au livre et au
paragraphe respectifs, conformément aux divisions qui figurent dans
les manuscrits.
Si Pon prend un civil au recrutement, il faut d'abord l'habiller et
l'équiper. Le costume civil et militaire était sujet aux fluctuations et
passait facilement d'un peuple à l'autre. Pour désigner les différentes
pikes du costume on rencontre chez les Romains des termes d'origine
celtique, germanique ou orientale. Nombre de ces vocables ont em-
pruntés par les Byzantins et ensuite par certains idiomes chi sud-est de
l'Europe. C'est d'une population germanique appelée Armilausi ou Armi-
lausini que vient probablement le nom d'une chemise colorée, une sorte
de tunique que les soldats portaient :,0118 leur cotte de mailles : armilausa,
ou armilausia. Fendue par devant et par derrière, on l'attachait aux
épaules mais sans la porter à méme la peau. Elle était revètue aussi par
7 St. B. P.,altes, Gram7ntrk der by:antimschen Chronzken, Gotling-n, 1913, pp. 143
144, 182-183.

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5 LES ELÉMENTS LATINS DES TÁCTICA STRATEGICA 485

des pretres ou des moines8. Au commencement du VII' siècle Isidore


de Seville en donne une description sommaire suivie d'un essai d'étymo-
logie : armilausa vulgo vocata, quod ante et retro divisa atque aperta est, in
armos tantum cansa, quasi « armiclansa » e littera ablata9. On lit dans le
texte de Maurice (XII, 8 a) : app.eXou'iatn. gzouct zov8á «ils portent de courtes
tuniques par-dessous ».
Du latin vitis « vigne » a pris naissance le dérivé vitea, d'oil le roumain
vitei « cep de vigne Il est passé aux Byzantins ([3E-:,;cr.) et aux Slaves
(vitsa) et il a survécu en grec moderne « baguette mince »1°.
Les gloses arabo-latines expliquent bissa par corrigia et dans les textes
byzantins (3E-coc apparait au sens de « mince verge, fouet exécuté de
lanières tressées »11. Sous la plume de Maurice le vocable connadt Ceux
variantes : [3670C (MNN) et pe,'7. (P). Le manuscrit A l'évite et remplace
xetpLa. circò f36-ca4 iXcappci; par v_dcptoc iz azpp.átcov 77.por3I-rwv iXoccpg
(I, 2). Il en résulte que le terme (36-rD: oupgx signifiait une « mince
lanière de peau » et était populaire, puisque le manuscrit A réagit ordinai-
rement aux éléments populaires d'origine latine en les rempinant à l'aide
des termes correspondants du grec ancien. Le manuscrit A permet d'éta-
blir comme suit le passage en question de Maurice : zpi) gCilaEV 'TEN
f3oLe [coy 8-ixxpLcov Ttly gTep7. *r,x4ta. 17:6 [3,6-77.; i?ocpplç gzstv
« en dehors des poches en peau de bceuf des cottes de mailles il faut aussi
d'autres poches faites de minces lanières de peau tressées ».
Un mot d'origine latine était yovuxXlptov « protège-genou fait de
mailles de métal ». Le terme est formé à l'aide du latin genueulum
suffixe = -arium, contaminé par le grec y6vu «genou ». Bien qu'il
ne soit attesté que chez Maurice, le mot yovuxXet.ptov (pluriel yovuxXcfcpm)
est indubitablement populaire, la forme simple *gonuculum, ayant survécu
dans l'Italie méridionale sud-sicilien gunakju, calabrais gunukkjo".
Lat. gunna «fourrure, manteau de fourrure » (dhivé gunnarius
marchand de fourrures ») a été emprunté relativement tard à la langue
que parlaient des populations de montagne, probablement dans le sud-est
de l'Europe, selon l'opinion de Norbert Jokl ; il a passé chez les Byzantins
et a survécu dans certaines langues occidentales (fr. goune, engl. gowne)".
8 Paulin. Nol., Epist., 17 (13), § i : cum praeterea facie non minus guam armilausa ru-
beret ; 22 (7), § i : sibt ergo ale habeat arrnilausam suam; Seim!. ¡uy. 5, 143 armilausiam prosi-
nam ut simicie; Gloss. Scal. armilaus <a> : scapulare monachorum ; ThLL, II, 614, 65-76.
9 Isid., Orig., XIX, 22, 28.
10 M. Triandaphyllidis, Die Lehnworter der mittelgriechischen Vulgarliteratur, Strasburg
1909, p. 144; N. P. Andnotis ; 'ETup.aor,x6 XEF,tx6 xoodi",jr, Athènes,
1967, p. 52.
11 C. Ducange, Glossarium ad scriptores mediae et infimac graecitatzs, Lyon, 1688, p. 205.
12 G. BMWs, Lexicon Graecanicum Itallae Inferioris. Etymologisches Worterbuch der
unteritalienischen Grazitat, Tubingen, 1964, p. 112.
13 A. Walde J. B. Hofmann, Lateinisches etymologisches Worterbuch, Heidelberg,
1938, t. I, p. 626.

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486 HARALAMBIE MIHAESCIT 6

Chez Maurice on rencontre la forme du diminutif : yoUviOt 24youv *voßEpov Extoc


(I, 2). Au sens de « fourrure, pelisse », le mot se rencontre en
néo-grec (yoi.lvoc), dan8 le dialecte aroumain (Tune) et en albanais (gu,n0.4.
Les témoigna.ges montrent que ce vocable était chez lui daus l'Europe
du Sud-Est.
Zaba = lorieum et zabatus = eristatus, galeatus sont attestés en
bas-latin. On reneontre en grec les formes c;cPoc, c(f31.1-oq et .ccr3cAPe.i."
« atelier oil l'on exécutait des cottes de mailles ». Ordivairement on expli-
que c'cf3cc par ).capízcov15. Ce vocable a été emprunté quelque part
en Orient et la langue roumaine (za, pluriel zale) l'a hérité du latin. C'est
par l'intermédiaire des armées byzantines qu'il est parvenu jusqu'en
néo-grec (c'cpac ou Ufkoc) et en albanais (zavë), au sens de « agrafe, boucle,
fermoir »16. Le dérivé cicpc'c-coq a survécu dans les parlers grecs de Bo-va,
en Italie méridionale, dans le verbe zzavatteggo ou zzavatteo « je suis cons-
tamment occupé »17. Chez Maurice apparaissent U(30c et CCPC{Tor, j le
manuscrit A explique à l'aide de Xopf.xtov : c'cflotq Xcop txtot
7Cov ifiTor. 4.)pcxícov (I, 2).
Les dictionuaires latin et grec de Ducange citent quelques exemples
puisés à des textes tardifs où apparait le mot zuppa (01-3.7COL) « habit mili-
taire », emprunté à l'arabe (gubba) et conservé en frainais (juppe), en
italien (giubba) et dans d'autres langues romanes". Il existait également le
dérivé ounc!ot et l'individu qui confectionnait ce genre d'habit s'appelait
ruponarius. On lit dans les chroniques médiévales de Byzance les varian-
tes yvhrcoc, r.76vr. et Tn.p.ßoúw.19. On ne le rencontre chez
Maurice que dans le manuscrit A, ce qui nous permet de tirer au
clair un passage difficile des quatre autres manuscrits, à savoir : youv
1]youv *voßspovExr.cc (17:6 v.F.vTox.Xo.)v (I, 2). Le manuscrit A renferme
les mots : yot)vía 01j7C(Y.C.: zfrrouxXx ; il remplace done l'expression
corrompue et obscure *voPepov -z-Lx. par Que cache la corruptèle
*voßzpovExtot Probablement le terme v.sup:ztoc (singulier veupEy.Lov), un dérivé
de vEupv,c6v « gros vétement militaire fait de poils d'animaux et qui
servait de protection contre les flèches »20.

14 H. G Georgiou, Tò y).ey.Tacv.;:, (33f.r.a:./.x 174.tx Rixa7opiag, Thessalonique, 1962. p.


49; T. Papahagi, Dtchonartil dtalectulut arormin general si ettmologw, Bucarest, 1963, p. 507.
Ducange, Glossarium m.dme et infimae lattrutatis, Paris, 1938, vol. 'VIII, p. 425;
Corpus glossanortun latmorum. Leipzig, 1903. vol. III, p 505.
16 E. A. Bong'. TZ y).o.ymtr.ci 18,.(Lti.x-coc 77.,g 'Erczi.pou, Ioannina, 1964, vol. I, p. 124;
A. Leotti, Dinonarm albanese-italiano, Roma, 1937, p. 1668.
17 G. Rohlfs, o c., p. 164.
18 W. Meyer-Lubke, Romanisches etymologIsches Worterbuch, Heidelberg, 1935, n°
3951.
16 M. A Tiiandiphyllidis, Die Lehnworter der nuttelgriechtschen Vulgarlderatur, Stras-
bttrg, 1909, p. 134.
20 Ducange, Glossairegreccdé. p. 994.

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7
LES ELEMENTS LATINS DES TACTICA-STRATEGICA 487

De Udvl « ceinture » et du suffixe -arium d'origine latine s'est


formé c.ovcipt.ov ceinture min.ce de poches », d'on a résulté ensuite la
forme hypothétique *tilt<covecpLov, qui est à la base du roumain buzunar
« poche ». Le terme covciptov était populaire ; il s'est maintenu jusqu'à
présent dans les parlers grecs de l'Italie méridionale Zunári 21.
Les dérivés du verbe VdVVllp.!. « ceindre » sont : VocLq « action de ceindre »,
(.0crp.6q « lieu », .cors-r6q « serré autour du corps », (1)cr-rpoc « lien, bandelette »,
i_;')crcpov « ceinture », cocr--p (génitif 6)3..r-71po.,;) et (i)cs--rhptov « habit
militaire étroitement serré », où l'on a en réalité une base d'origine
grecque (Z,W6T k)Lov) soudé3 an suffixe -arium d'origine latine22. Maurice fait
mention de ce qu'on app3lait les '.,%).3.r.i)x For3-d (I, 2, et XII, 8 a)
Ce qui continue de demeurer obscur jusqu'à présent c'est l'origine
du mot xducnoo « manteau à capuchon porté par les chefs d'armées et par
les prêtres lors des grandes solennités »23. Le mot a survécu dans les lan-
gues romanes d'Occident, en n63-grec (xckrcot) et dans le dialecte aroumain
(capa). Maurice nous apprend qu'il existait dans Parmée byzantine un
militaire à qui incombait le soin de porter le mantean du général (6 Tip
XÓt7C7-COCV Poca-rcfc4ov, III, 1; XII, 8 tot).
Au latin cassis, -idis « casque » les textes byzantins sont redevables
des mots xmao-Eq, Eaoq et xasaE3tov, lesquels n'ont pas laissé de traces
en grec moderne.
De cento, -onis « couverture ou vêtement fait de différentes pièces
cousues ensemble » se sont form& les dérivés centonarius « fabricant de
couvertures faites de vieux morceaux d'étoffe » et centunculus « vêtement
d'arlequin, housse de cheval »24. Ce dernier apparait dans les textes byzan-
tins sous les formes x6v-rouxXov, xev-roXov, x6vTouxXoc, xev-roúxXoc, xeXacm'ixXce
ou xev-rhxXcc 25. Chez Maurice xivTouxXov a le sens de « feutre ou étoffe
confectionné à partir de chiffons »: crn*Lo-T4cce atalpac. 11 Cud) xewroúxXcov
(1,2) ; youvíot Intouv vEupf.xtot ecnò xevroúxXcov (1,2) ;c7L8ilp6:3 xev-roúxXoL (XI, 3).
En latin le mot cilicium « étoffe grossière en poil de chèvre, ainsi
nommée parce qu'elle était originaire de Cilicie »26 est attesté dès le
I" siècle avant notre ère. Ce terme technique apparait dans les papyrus
grecs à partir du 111e siècle de notre ère27, puis dans les textes byzantins
21 G. Rohlfs, o. c., p. 173.
22 F. Preisigke E. Kiessling, Worterbuch der griechischen Papgrusurkunden, Berlin,
1925, vol. I, p. 651, TatSpEcc ce.)a-r-lip(c.ce), Ile siècle de notre ère.
23 A. Walde J. B. Hofmann, o. c., vol. I, p. 162.
24 A. Ernout A. Mallet, DIctionnalre étymologigue de la langue latzne. Histoire des
mots, Paris, 1959, p. 113.
25 Ducange, Glossaire grec cité, p. 634; Triandaphyllidis, o. c., pp. 72, 75, 121 ; H.
Zilliacus, Zum Kampf der Weltsprachen im Oströmischen Reich, Helsingfors-Amsterdam, 1935
<1965), p. 166.
26 A. Ernout A. Meillet, o. c., p. 120.
27 F. Preisigke E. Kiessling, o. c., I, col. 795.

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488 HARALAMBIE YTAXEscu

après le V siècle. Chez Maurice il a l'acception de « tapis grossier en poil


d'animaux que l'on fixe au-dessus des murailles pour se mettre à l'abri
des flèches ou des coups de lance »: xabtLa xpep..61i.evm (X, 3), xL?axtc;)
(XII, 8 t.-1), CICTCÒ XLMXECOV (XII, 8 xa).
Le mot technique grec xípxo; ou xpExoq « cercle » a pénétré de
bonne heure en latin et il a donné naissance, entre autres, au dérivé cir-
cellus « anneau », hérité par les langues romanes. Ce circellus apparait dans
les textes byzantins sous les formes xtpx6XXtov ou xpLx6XXLov, en néo-
grec (xpLxéXL) et dans les dialectes grecs de l'Italie du Sud : krieèddi
(Otrante) et krueèOu (Reggio)28. Chez Maurice : XcoptoLq xoci. xpExe»Eot;
(I, 2). Le mot Xcopf,ov, du latin lorum « courroie, lanière de cuir » est
fréquent dans les textes byzantins et il a survécu en grec moderne
(Acopt, Xoupí) et dans les parlers grecs du sud de l'Italie (luri)28. Le terme
X(46croxxov (I, 2, dans le manuscrit M, Xop6croxov dans NPV) désignait
un « sac de peau attaché A, la selle du cavalier ».
Du participe latin rasus (radere « racler, raser ») on a dans les textes
byzantins le terme EScfccrov « étoffe en laine sans poils, vêtement monacal ».
On pouvait fagonner avec cette étoffe des costumes aussi pour les troupes.
C'est cé qui résulte d'un passage de Ma-arice i.p.óc-rta EtTe XLvec eistv, et-re
cdyvx, EiTe (Scicacc (I, 2).
Scapulae «épaule » a donné en byzantin axocrcMov (pluriel axotrcXía)
« capuchon militaire recouvrant la tête et les épaules et fixé à la cotte de
mailles ». Chez Maurice : Tck. axarcXEct Troy ocr3(7)v (VII, 15 a; X, 1; dans
certains manuscrits xocraía, dans M la forme axcotMacx; aussi). Le terme
s'est conservé jusqu'à nos jours en Epire sous la forme xcfcrac(30.
Toutes les formes grecques citées par Ducange, comme aT067C7C0C,,
atoolzEov, crrouTcíav 31, de même que celles rencontrées chez
cprourceovco,
Maurice ('e, crrourctov dans M; dans NPV : alone-Coy) et en néo-gree
(a-courcí) reposent sur des formes latines du type stuppa « étoupe »,
stuppare, stuppator et non sur le grec ancien a-rúrri)32.
Attesté en latin chez Végèce (De re militari, 3, 5) et dans la littérature
byzantine à partir du vr siècle, le mot tufa (Toúcpcc), « aigrette, étendard
a été probablement emprunté aux Germains et transmis par le latin aux
langues romanes et par le grec byzantin au grec moderne33. Chez Maurice
il a un sens technique, « plumet, Helmbiischel » (-coupicc [Lotpci, I, 2).
En néo-grec ('oltypa) et en roumain (tufd) on rencontre l'acception de
28 M. A. Triandaphyllidis, o. c., p. 66; G. Rohlfs, o. c., p. 278.
29 N. P. Andriotis, o. c., p. 189; G. Rohlfs, o. c., p. 303.
39 Bonga, o. c., I, p. 155.
31 Ducange, Glossaire grec cité, p. 1455.
32 S. B. Psaltes, o. c., p. 55; A. Walde J. B. Hofmann, o. c., pp. 608-609.
33 Sophocles, Greek Lexicon of Roman and Byzantine periods, New York, 1957, p.1087;
H. G. Georgiou, o. c., p. 337.

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9 LES 21tMENTS LLTINS DES TACTICA-STRATEGICA 489

« buisson. » qui semble extrêmement ancienne, et en albanais (tuft) celle


de « lien ». C'est par les pasteurs d'origine roumaine que ce vocable
s'est répandu sur de vastes aires du sud-est de l'Europe et il est présent
aujourd'hui dans la toponymie des Slaves du Sud.
Le latin manicae « manches, brassards, manchettes », figure dans
les papyri gTecs d'Egypte des II° et III' siècles sous la forme p.o'cvoce 34
et chez Maurice sous la forme p.w.,Exict (I, 2, youvía 17:Xcer6oc 7CÓCVU ËZOVTOC

Le terme a survécu en néo-grec (p.avf.xt) et dans les parlers


p.avíxtoc).
grecs de l'Italie méridionale (maw/6035. Le composé zsl.polio'cvmo: chez
Maurice (I, 2, remplacé dans A par zeLp64EX)a) est expliqué comme
suit dans le traité de stratégie attribué à Léon le Sage (6,3) : zetpop.Ivixal
XerSp.evoc ii.ovux6XXot .3) za.tp6,4)EXXa. La forme byzantine tic()) txkUoc im-
plique l'existence en latin d'un diminutif manicella, non attesté jus-
qu'ici, mais exigé par deux mots romans : fraiw. mancelle « Kummenhalter
am Pferdegeschirr » et waadtlandois mdsala « Hacken zur Verbindung
von Schlitten. und Deichsel ». Par conséquent Pexemple byzantin
[IC(%) ocF'.XXoc pourrait nous autoriser à effacer Pastérisque qui accompagne
le moemanicella dans le dictionnaire étymolo gigue de W. Meyer-Liibke36.
Les mots d'origine latine ou véhiculés par le latin et qui appartien-
nent au domaine vestimentaire on à l'équipement militaire dans l'ouvrage
de Maurice sont : Ccp[LeXaústa (armilausia), (36-va ou ßf.-cct (vitea), yoyo-
xXotptov (genuculum + -arium), yoï.5va (gunna), cc< (zaba),
(zuppa), covcfcpLov (c'ov-f] + -arium), cocr-rcicpLov (zostarium), xcinnot
01)7C0C

(cappa), xocrscrEg (cassis), x6v-couxXov (centunculus), xt.Mxtov


xpLx6XXLov (circellus), Xcoptov (lorum), (Scfccov (rasum), craytov (sagum),
axarcXíov (scapulae), a-rourrEov (stuppa), TourpEov (tufa) et zeipoon.xoc (zetp -I-
+manica). Certains d'entre eux ont été empruntés à des populations
d'Occident et d'autres sont venus d'Orient, mais ont été d'abord véhiculés
par la langue latine qui a constitué un facteur essentiel d'unification dans
les limites de l'Empire romain des six premiers siècles de notre ère.
Au cours des étapes , l'alimentation des soldats romains avait besoin
d'être simple et légère : biscuit (buccellatum), pain (panis), mouture de
blé (pistum), vin (vinum), lard (laridum) et viande de mouton fumée (caro
vervecina)37. La popularité de ces termes résulte aussi du fait qu'ils se
sont maintenus dans les langues romanes. Buccellatum (prononcé aussi
bucclatum)38 était un dérivé de bucca «bouche », par Pintermédiaire des
34 F. Preisigke E. Kiessling, o. c., ir, p. 50.
35 G. Rohlfs, o. c , p. 315.
36 W. Meyer -Laibke, o. c., n° 5302 a.
37 Cod. Théod. VII, 4, 6 (an 360); Cod. Inst. XII, 37, 1.
38 Amm. Marcell. XVII, 8, 2: frumentum. . . ad usus diuturnitatem excoctum bucclaturn,
ut vulgo appellant. . .

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490 HARALAMBIE MIEE kESCD 10

diminutifs buccella et buceulae « bouchée, miette ». Le biscuit était utilisé


aussi bien par la troupe que par les moines on les chrétiens pieux39. Pistum
est le participe passé du verbe pingo, pinsere « piler le grain ». Le doublet
pinso, pinsare, également un mot vulgaire, s'est conservé dans toutes
les langues romanes. Les mots buccellatum et pistum ont subsisté aussi
dans la terminologie militaire de l'époque byzantine, notamment chez
Maurice : 8an6v-t)v pouxEX?dcrou nía-rou elcUou Ttvòq Etaco4 (V, 3), 6a p
.3)

xcci pouxE),Àóc-rov (VII, 17 a), GCSTOV x pouxeXXecroc (XII, 8 g).


Pour désigner les récipients renfermant des liquides on connait les
termes buttis « petit vase », fiasca « flacon » et follis A sac ou ballon de
-cuir » et pour ceux destinés aux solides on avait le mot cophinus « panier ».
Buttis (avec les diminutifs butticula et butticella) , emprunté probablement
aux populations alpines°, apparu tardivement dans les textes et les inscrip-
tions, mais qui a connu une large diffusion dans la littérature byzantine et
a survécu en néo-grec et dans les parlers grecs de l'Italie méridionale41.
Chez Maurice on. lit : payraq -reXEíaq -m.rgEt.v nocToq Taq TrE8,otq
-3)pouTiotq (X, 4). Flasca « flacon », d'origine germanique, a survécu
dans les langues romanes (it. fiasca, vieux français flasche) et a passé
dans la littérature byzantine (pXoccrxtov) et de lb, en néo-grec (cpXdcaxa,
cpXmaxí). Les glossaires latins on.t enregistré aussi la variante pilasca42,
qui est à la base du grec moderne 1-cMaxa, comme du bulgare et du
serbo-croate ploska. On trouve chez Maurice Lo cpXoccrxíotq tiao.)p (II, 8),
cpXmaxtv taxpòv Uoc-rog -r6i.tov (VII, 11). La terminologie militaire latine,
conservéa dans la littérature byzantine de cette catégorie, est soit de
formation propre (buccellatum, follis), soit empruntée à d'autres peuples
(buttis, flasca) et devenue indispensable.

On peut s'attendre à trouver dans le domaine de l'armement by


zantin une terminologie provenant en partie du grec ancien, en partie
du latin et pour une autre part empruntée aux peuples voisins contem-
porains. A côté du vieux mot &Km, - Toq « attelage, char de guerre »
on rencontre Ipp.cc, -Toq « armes » qui remplace avec succès le terme 61TXov,
par exemple chez Maurice : zpiq &)c 7czpvc-roT5 . ..-ruipkpccpaocL Tòv a-Tpa-ngy6
Iptkovroc (I, 2, dans A önXoc), 8trcXec Ipprroc (XI, 3). Cet Ipp.oc est parfois
employé dans un sens collectif : T6 41,1..cc circoypcjapEcr&oct (I, 2), s,« -ròv
Par l'intermédiaire des soldats le néo-
C'yl.Lcccoq D,6pupov (XII, 8 Ls).
logisme C'cpi.toc « armes » est devenu populaire et il a survécu en grec

3D Paul. Nol., E pist., 7, 3, p. 45, 2 : de buccellato Christtanae expeditionts.


4° J. Hubschmid, Schlauche und Fasser, Bern, 1955, pp. 38-60.
41 G. Rohlfs, o. c , p. 95; N. P. Andriotis, o. c., p. 55.
42 Corpus glossariorurn latinorum, Leipzig, 1902, V, pp. 606, 49.

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11 LES ELEMENTS LATINS DES a TACTICA-STRATEGICA 491

moderne43. Du latin arniamentum on a cip[LocArrov dans la double accep-


tion de : 1. atelier d'armes, arsenal ; 2. armes. Ce dernier sens est attest6
sous la plume de Maurice : Mycp TO-13 Ccpp.ocp.ivrou ixdca-rou
cipL101-5 (XII, 8 g). Le Thesaurus linguae Latinae n'enregistre pas
armistatio (ou armistasio), mais l'existence de ce terme militaire est
prouvé3 par les emprunts faits par Maurice ou encore par d'autres textes
byzantins : iv Ta.T.q app.occrra-rEocm (II, g). La signification de ce vocable
semble être celle de « inspection des armes, tandis que Parmée est rangée
d'une certaine f açon », comme il résulte de ce passage du Chronicon
Paschale 718, 20: .-ròv iv -:5"3 Trait, 6v-ros al-poc-ròv app.occsToc-nvoq voLvYç
-0p6D--i)o-ccv ... Du latin armator, -oris, provint chez Maurice (XIII, 8
la forme d'accusatif pluriel app-ocroúpouq au sens de « fabricants d'armes ».
Le latin hasta « lance, pique », a donné 6'ca-ra dans les textes byzan-
tins : de hastile «bois de lance » on a chez Maurice (XII, 8 t4) óco-TEXt.ov,
qui n'est pas attesté ailleurs : p.e-ca TeLv ótc-riXEc.ov xov-rocptcov.
Du latin veru (gen. vents) «broche à r6tir, javelot » a pris naissance
en latin le dériv6 verutum « petit javelot ». Ce dernier apparait chez Maurice
sous les formes : si.c; -rò (SErc-rstv 7p&rTç xcet, ccpev86poXoc (XII, 8 y):
clq -rò (Sítl,ocLixov Pepú-rrocv (XII, 8 a), ç(3-1p6Trocq XO g ax6v-rtoc yu[Lvdci_
(XII, 8 x),
Le dérivé buccula (de bucca «bouche, joites ») signifie « mentonnière
de casque et tout objet en forme de joue, boucle, bosse, de bo uclier, tringle
de catapulte »44. En partant de ce sens connu par la langue latine on
peut comprendre plus facilement la signification de l'expression tg
poúxoXoc que l'on rencontre chez Maurice : iZg poúxoXac ócXXíiXotq iyyíwcnv .
ckvocnocúov-req Eig -rck poúxacc Trin gli,TrpocrD-ev (XII, 8 tg). L'expression eiq Tex.

poúxoXcx se laisse traduire approximativement par « vers le centre d' une


renflure, vers le nombril, au milieu du visage ».
On remarque une influence de la langue latine dans la présence rela-
tivement fréquente du suffixe aussi bien chez Maurice que
-cfcptov,
dans d'autres textes grecs ,D-f¡xcipLov et ilp.ta-rptcfcp Loy (I, 1; I, 2;
VII, 15 a; VII, 16 a) au lieu de et ly.E.O-41x1 ; xov-rócptov (I, 1;
I, 2 ; II, 9; III, 14; VII, 15 a et 17 a; XI, 2) au lieu de X6VTOV
(omrciptov « javelot » (XII, 8 !..g) du verbe (5EnTeLv '«jeter, lancer »; axou-ro'cpLov
(II, 7 ; II, 17 ; III, 5; 111,15; VI, 6; VII, 15 a ; IX, 2 ; XI, 2; XII
J. et 10) au lieu de crxo-ü-rov (scutum); cscoXi]vckpLov «petit tuyau, petit tube »
(XII, 8 e) ; ToUcptov « petit arc » (I, 2) ; -r<o4.)vecpt.ov (I, 2) et xocXLvápLov
((petit frein ». L3 suffixe d'origine latine - L4pLov est devenu productif et a

43 N. P. Andriotis, o. c., p. 34; G. Rohlfs, o. c., p. 56 à Bova et Otrente surtout au


pluriel armala outils, bagages ».
44 A. ErnoutA. Meillel, o. c., p. 77.

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492 HARALAMBIE MIHAESCII 12

survécu en néo-grec et dans les parlers grecs de l'Italie du Sud45. De


(Star-recpcov se sont ensuite form& les dérivés (SLTCTCCpf4etv «lancer un
javelot » et (SLTCTCCptcrr-hq « celui qui lance un javelot »46.
Le mot lancea «lance », d'origine probablement celtique, a donné
naissance en latin aux dérivés lanceare « lancer », lancearius ou lanciarius
« lancier » et lanceola « petite lance ». Parmi ces derniers on rencontre en
grec (Xocyxía 47 et ÀocyxLócptoq 48), et chez Maurice Xayxe66.) « lancer » et
Xocyxt8cov « petit lance » : cT ydcp(S4occ IITOG Xayxei5aaL yévirraL xv.p6q
(II, 9), pi,p6T-caq Irroc Xayxf,8ca ax?tocf3tvíaxta (XII, 8 e).
Le terme martiobarbulum « petit dard plombé à la pointe » (d'autres
manuscrits portent mattiobarbulum et mathiobarbulum) apparalt, d'abord
chez Végèce dans la première moitié du 175 siècle49. En grec, on le rencontre
dans des gloses sous les formes p.ocpop.cip.ouXov et ti.aproti.ócf3ouXov 80, et
chez Maurice : E14 VtImcc [1.1pLOD-CV p-ipúrrocv xai p.apropcfcppouXov (XII, 8 s),
I.Locpropc5cppouXu. dcvocpocar461.teva (XII, 8 e), o re,c4 polpúrrocq ifyrot.
1..tocprof3ócppouXcc gzovre4 (XII, 8 Lp), po?&pouX j(Strcrcipm (XII, 8 L4),
1-tarroßapPoaocs (XII, 8 x). En latin on appelait martiobarbulus le
militaire chargé de lancer l'arme dite martiobarbulum, dont on ignore
l'origine.
Le latin sagitta « flèche » est fréquent dans les textes byzantins ;
a survécu en néo-grec, dans les parlers grecs de l'Italie méridionale,
dans le dialecte aroumain et en albanais. A côté de amyírroc on rencontre
encore chez Ma-urice acxycrropaov « jet de flèche » et crocyLTTOTCOL6q «qui f abri-
que des flèches ».
Du latin scutum «bouclier » on a chez Maurice et dans d'autres
textes byzantins axo-ü-rov ou C/XOLYCÓCp LOV «bouclier », axoureústv « protéger
avec le bouclier » et (ACIXOUTOV « action de rapprocher les boucliers de
fagon à former une sorte de rempart de boucliers ». Le mot axoi5rov
n.'apparait qu.'une seule fois chez Maurice (III, 1), mais était indubi-
tablement populaire en grec byzantin., car il s'est conservé aussi en. grec
moderne (crxourE). Le verbe axoureúeLv (XII, 8 x) signifiait « protéger
l'aide du bouclier » et sHOU'VEISEC*OCI. au pa ssif (IX, 4) « étre protégé ».
Lorsqu.e les soldats unissaient leurs bouclie rs de fagon à constituer une
sorte de rempart on disait qu'ils formaient un aúaxoorov (XII, 10, tarav
aúaxoura gpirpoa.Bev). Ce terme hybride, formé à l'aide de la préposition
greque CF6V « avec, ensemble » et axoti-rov d'origine latine apparait seu-

45 G. Rohlfs, o. c., p. 180.


45 Ducange, Glossaire grec cité , p. 1301.
47 Diod. Sic., V, 30.
45 CIG 4004 (Icomum), Ioannis Lydi De Magistratibus, I, 46.
49 Veg., Mil. I, 17 : plumbatarum quoque exercztatio, quos martiobarbulus vocant ; III, 14
qui alacriter verutis vet martiobarbulis, quas plumbalis nominant, dimicant.
50 Ducange, Glossaire grec cité, p. 881.

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13 LES 2rAmF.,NTs LATINS DES eTACTICA-STRATEGICAI 493

lement chez Maurice, chez son imitateur Leon. le Sage et dans Pécrit
anonyme publié par A. Dain sous le titre de Sylloge TacticorumR.
De trahere « trainer violemment » a pris naissan.ce le verbe -cpcotTe6eLv
tirer de l'are, tirer la lance »: -rpocx-reúeLv T60V (11,7), X6VTOV
"CpCCXTE6E.L,V (III, 1). De falx, -cis « faux, serpe » on a cpcaxa, cpcaxíov et
pocXxEatov « sorte d'arme en forme de faucille ou de faux » (XII, 8 g).
Un terme tardif, probablement d'origine germanique, est zouíov
(pluriel zolg(.1 « fusées incendiaires »), attesté uniquement chez Maurice et
son imitateur Leon le Sage52 : s,ÓC rcupcp6pwv cpxyvra7w 7761.1,7Etv xoci, stec
-riLv Xeyoplvwv zolgícov Ccrcò rcE-rpopacov (X, 1).
On le voit, certaines denominations d'armes ont pénétré a une
époque tardive en latin et en grec après avoir été empruntées aux peuples
en migration : p.ap-ropo'cpPouXov « petit dard plombé a la pointe » et
zolgioc « fusées incendiaires ». Ces n.oms manqu.ant d'antres textes, on
peut supposer que les armes en question n'eurent pas une application
frequente et ne furent pas disséminées sur de trop vastes territoires.
La terminologie du harnachement est pour une bonne part d'origine
latine. Antela et avtilena « avant-selle, poitrail » sont des formations
obscures raises tort en rapport avec antesella53. Les glossaires traduisent
antilena par aniaLcr-ríip et l'expliquent par 4.64 LiTTCCOV 7cepi, a-r54
ou 4.1.1-cp6crata, avec les variantes antela, antella, antelina, antellina et
antilena54. Les chroniques byzantines connaissent le terme sous les formes
0,7cpocsaeXi.vcx,Ep.Tcpocr,a6acc,p.rcporsTEXEvoc et 7cpocrciaoc55 et il est expliqué comme
Brustriemen der Pferde, der verhindert, dass der Sattel n.ach hinten
rutscht »56. La partie posterieure « der Schwanzwiemen., das Hintergeschirr »,
s'appelle postilena on órcLaD-EXivo:. Chez Maurice : xocTa siLv órnmaeXtvv XCCI.
CoT£XLVWV T6V tTCTCWV (I, 2, d'après les manuscrits NPVA, dan.s M ecv-ceXt.vw.7.)v).
La courbure antérie-ure de la selle s'appelle xoúpPoc ou 4.7cpocr»o-
xo6pf3t,ov et celle d'arrière 67ccaD'oxoúppoc. On trouve comme explication dans
les glossaires Terc EóA.vo r9ç 0.6X?vxç xoúpf3tcc X6yowreq 57. Chez Maurice :
.rupòq TY) xoúpprt] órcus»oxoúppil (r"-4ç csaXccq II, 8).
En latin pedica désignait tout espèce de piège ou de trébuchet pour
prendre par la jambe ou la patte les animaux, quelquefois aussi «entraves,
Sylloge Tacticorum quae ohm t Inedita Leonis Tactica s dicebatur in lucem prolata curis
Alphonsi Dain, Parts, 1938, chapitre 43,7: 6v 11.6v n 8i 6Epx r-T) rijg xadw-i's xcaouttivn
Trocpcc-rget., ö 5i) xcct csúcrxowrov 811.46alg óvotxget. cpcovh.
52 Leon's VI Sapientis Problemata nunc primum edidit, adnotatione critica et iudice.
auxit Alphonsus Dain, Paris, 1935, cap. X, 6 : n4i.7retv xcei. 8iCe T(.7A) Xey0p.6vcov zo/Akav
Can!) 'MET poß 6Xcav xceì ccirriLv nuOg TrerrXiipcat.i6vc4v.
53 Isid. Orig., XX, 16, 14 : antella quasi antesella, sicut et postella quasi postsella.
54 CGL II, 21, 26 et II, 437, 47.
55 Triandaphyllidis, o. c, p. 70.
56 Zilliacus, o. c., p. 216.
57 Ducange, Glossaire grec cité, p. 737.

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494 HARALAMBIE miakEsou 14

fers attachés au pied »58. Pedica et le dérivé impedicare ont survécu dans
le roumain piedica « empêchement » et impiedica « empécher ». Le dérivé
pedicula a connu un sort particulièrement favorable en grec byzantin et
en néo-grec : 7rEatXX0-13V 011 'TCE8.0UXX0i3V, TCE1300XX6VELV, rceaoúxXoNioc,
7c6p8LxXoq, Tccp8oxXWvELv, plétiko, blédego, pletik6n6 ou plettic6 à Otrante59.
Chez Maurice : TÓT£ -roúç avocyxocLo-r6pouq [trucouq] xoc-czov-req xoc
weacxXoi3vreq 70c/críov Teo.%) TEVT.6V XI, 30; rceaLxXoi.5v -rocIfyroc; ";) aecrp.eúctv,
XII, 8 xp.
Punga, attesté tardivement en latin (et emprunté aux Germa ins),
a survécu en roumain (punga), en grec byzantin et en néo-grec, dans les
dialectes ombrien et vénitien. (ponga) d'Itaiie et dans les textes
slaves°. Maurice ne connalt que les diminutifs 7couyyíov et 0-EXXonouyyLov.
De ackytioc, -T04 «IAA, selle » et du suffixe d'origine latine -e(pLog
cn a les dérivés crocwócptoq et csayli.cmiptoq. Chez Maurice : t7T7T)
crocmovccfcpLot, (XII, 8 g) « bêtes de somme ».
Sella « selle » a donn.6 dans les textes byzantins 6-6XXoc (qui corres-
pond au grec ancien LpETcntov), crEXMov « petite selle », o-EXXócpLo « cheval
de selle », &7-ctaéatov « a horse's caparison, housing, a cloth over a horse's
saddle »61, CTEXXorcouyyEov « poche, bourse à côté de la selle » et 0-EXXoz(z-
XtvcopIvoq « avec selle et mors »62. Au hell de &TCLa-Daioc, le manuscrit P
de l'ouvrage de Maurice présente la variante &TELGeX?atcc.
De scala « échelle, marches d'escalier » on a chez Maurice axeacc T-7Ig
csaXocq (II, 8) « étrier » et cxáXoc 'tTOG xAw. « échelle » (X, 1). Au sens
de « lieu à jeter l'ancre, échelle pour bateaux » sxáXoc figure dans le
dictionnaire de Pollux (I, 93), et est général en grec moderne63. Le
verbe axocX6vco « débarquer sur le rivage » se rencontre au X' siècle chez
Constantin Porphyrogénete (De adm. imp., 9, 31) : axcac'ovouaLv arconrroc
el; yilv 6067cX6)pcx. On a à faire dans tous ces cas-là à des termes
techniques et le maintien du latin scala est parfaitement explicable.
L'adjectif dc86cr-rpaTo; « placé a droite, sous la main » provient du
latin. ad + dextratus. Chez Maurice (V, 5) dc86a-rpocTov signifie « cheval
de selle que l'on a sous la main, cheval de réserve »: ToT,q xoúpagiq
crxoaxaLq ótvocyxcdov gzetv -rác Cc8écr-rpcx-ra viúq cr-rpotv.6-rocq. Il résulte d'un_
autre passage que abs-rpaToc n'est pas équivalent à Tonaov ou Tonaoq «train

58 A. Ernout A. Meillet , o. c., p. 501.


Triandaphyllidis, o. c., p. 92, 104, 107; Bonga, o. c., p. 301 ; G. Rohlfs, o. c., p. 391.
6° M. Vasmer, Russisches elymologIsches Worterbuch, Heidelberg, 1956, II, pp. 459
460.
61 E. A. Sophocles, o. c., p. 509.
62 Actes de Xéropotamou, édition diplomatique par Jacques Boinpaire, Paris, 1964,
no 9, A 46 et B 68.
63 P. Kretschmer, i Byzantinische Zeitschrift VII, 1898, p. 400.

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15 LES ELEMENTS LATINS DES TACTICA-STRATEGICA i 495

des équipages » (XI, 2) : Tex n &Us-rpm-cm xal -ròv Tonaov 67CLaEV an'atyov
1-71q ITOCp(XTC;CECOq TcoteZ.v. Le mot Toilnov ou Tonaoq a été rapproché du vieil alle-
mand tuld et du bavarois moderne dult «foire » ou du latin tultus ou tuldus (de
tonere, tuli) 64. Quelle que soit l'origine de ce mot, il est apparu tardive-
ment en latin comme terme militaire pour passer ultérieurement dans
la littéra uro byzantine.
Pour exprimer la notion de « tente », on rencontre chez Maurice qua-
tre vocables différents, tous d'origine latine : xap.o'cpao: (V, 3), xov-coup6pviov
(I, 2 ; VII, 3; IX, 5), TcarcuXt6v (XII, 10) et T6vaoc ou -76v-roc (I, 2; V, 3;
VI, 17). Kocp.cfcpaoc est né probablement de camara « toiture voiltée,
vofite » suffixe -ata. Contubernium était un mot très usité dans le
langage des soldats romains et le dérivé contubernalis a un correspondant
en grec (xov-coupepv1Xtoq) à partir des premiers siècles de notre ère. Pa-
pilio, au sens de « tente », se rencontre d'a,bord chez le poète Ovide et est
attesté ensuite chez Végèce (De re militari, I, 3) : interdum sub divo, inter-
dum sub papilioni bus. Dans les textes byzantins apparaissent les
variantes 7tac7CuXt6v, TcocruXeWv 7COCTruXat.c6, et TcomuXEd)v 65. Le mot T6v-ra
ou T6vacx ne signifiait pas seulement « tente », mais désignait aussi une
« unité militaire d'approximativement dix soldats logés sous la mème
tente *. Camarda a survécu dans les parlers grecs de l'Italie méridionale et
en serbo-croate (komarda) 66.
Le latin subula « aléne », conservé dans le roumain sula , est attesté
en grec byzantin à, partir du IVe siècle (Go-Opa, GoußMov, GooPgEtv)
et a survécu en néo-grec (Goi53?a, GoúyXa, GooyM, aouy?o.óc)67. Chez Maurice,
I, 2: soupía.
Les noms port& par certaines unités romaines de l'époque classique
se sont maintenus aussi dans la nomenclature militaire byzantine, comme
par exemple : acies (axEa), cuneus (chez Maurice : XI, 3 ; xouvEa.
XII, 1), leg io (Xeysc6, Xeyt.6v), num,erus (voúp.Epoq, voúp.epov) et vexil-
latio (pLWaaTt6v). D'autres ont pénétré tardivement dans Parmée
byzantine en qualité d'emprunts faits A, divers peuples avec lesquels les
Romains entrèrent en contact, puis ils fluent transmis a, la civilisation
byzantine : bandum (pcIvaov) et sculca (axonxa) d'origine germanique,
et drungus (apoilyyoq) d'origine celtique. Le terme drungus est expli-
qué chez Végèce (3, 16 et 3, 19) par globus « foule dense, masse » et

64 Ducange, Glosscure latm, VIII, p. 205 ; P Golltnet, Mélanges Charles Diehl, Paris,
1930, t. I, pp. 49-54; A. Datn, Mélanges Henri Grégoire, Bluxelles, 1950, t. II, pp. 161
169.
65 S. Psaltes, o. c., p. 183.
66 G. Rohlfs, o. c., p. 203 ; P. Skok, o Zeitschrift fur romanische Phtlologie o, LTV,
1934, p. 484.
67 G. Rohlfs, o. c., p. 471.

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496 HARALANBIE MIHIESCU 16

Maurice le traduit par 6rc,apoLati.cc «rassemblement, agglomeration » ou


par ti.ipoq «partie d'une armée ». On le sait, l'unité militaire ainsi de-
signee comptait environ 3000 hommes Chez Maurice on rencontre encore,
A, eke de spoi.Iyyog, l'adverbe spouyyLaTí. « en masse, en grand nombre,
par grandes -mites »: spoDyytcrci, 6pp.av ou TácscreaD'at (III, 5). Le chef d'un
(3poi5yyoq s'appelait spouyylpto; le root est atteste dans les sources
byzantines jusqu'à la fin de l'empire 68
De seulea (d'origine germaniqu.e), signifiant « garde militaire, unite
chargée d'infiltrations en territoire enn.emi » sont nés les derives seuleator
(exeuleator, seultator) et proseulcator, et l'on rencontre chez Maurice axoi5Xxa
et axouXxel'istv que le manuscrit A remplace ordinairement par píyXcc et
Une autre formation, attestée chez Maurice sous la forme
fityXEltieLv.
yoUxov (c,00axy nspirca-rei:v, XII, 8 tq), a été rapprochée du latin furea
« formation de bataille en forme de fourche » 69 Leon. VI le Sage explique
dans sa Tactique (7,66) ce terme par « manceu.vre que font les
soldats lorsqu'ils s'approchent ou se massent en vue de l'ennemi, en pla-
eant leurs boucliers les uns contre les autres, telle une muraille, afin de se
protéger contre ses coups au moment où l'on commence à lancer des jave-
lots ou des flèches ». Il y aurait par consequent à la base de cette defini-
tion l'idée d'« amoncellement »; aussi Ducange a-t-il exprimé l'opinion que
yoUxov serait un terme d'origine germ.anique (v. all. * fulka, anglais
folk, n. all. Volk « foule, agglomeration » 70. Le De re militari d'un anonyme
du X' siècle publie par R. Vári, entend par cponxa certaines unites com-
battantes qui ont pour mission de protéger les soldats qui paissent les
chevaux ou rapportent du fourrage pour les bêtes (cponxcc el; cpaax-'iv
eig auXXoyip z6p-rou ispz0p.6vcovXOCL TV Tok tTcrrouq vep.6vTo)v crreaia-
,kocrav)71. Chez Théophane le Confesseur cpoúpxa et cpoupxí stv se rencontrent
avec les significations de « fourche » et de « pendre A, une fourche, tuer » (ot 8i
a60 x -c-^4q cpoúpxaq, p. 283, 3). Ce sens apparait aussi chez Ps.
Kodinos (áveaxoÀ67ctsev LtET.cra.- aúTok iqx:axLasv 65-ev xat 6 vínoq
ixki10-7) lootAx6Xls-coq, pp. 85, 2). On a probablement à faire à des mots
differents : d'uno part epoi3Xxov (au pluriel cpoi5Xxoc) « formation militaire
en rangs serrés » d'origine germaniqu.e, et d'autre part cpoúpxa (pluriel
yoi5pxat) et cpoupxtetv ou cpouXxtetv, derives de cpoúpxa, signifiant «fourche »
et « tuer à coups de fourche ».

68 Ilndem, p. 132.
69 Zilliacus, o. c., p. 144 :
Dem cuneus entsprach ungefahr die keilfcrmige Anfalls-
formation cpo5Xxov Auch dieses Wort dtirfte latemischer Herkunft sein : furca kommt
jedoch in der romischen Militarterminologie nicht vor. *
79 Ducange, Gloss, grec cité, c. 1694; Kluge Mitzka, o. c., p. 825.
Incerti scriptoris Byzantini saeculi X Idber de re militari recensuit Rudolfus VAN,
Leipzig, 1901, chap. 22, pp. 41, 10.

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17 LES ALkmENTs LATINS DES TACTICA-sTRATEGICA 497

De ordo (ordinis) « ligne, ordre de bataille », ordino (ordinare) « mettre


en ordre, ordonner », et ordinatio (ordinationis) «rangement, disposition »,
on a, chez Maurice, les termes'ópaLvov ou 6p3tvoq (xoc-C6paLvov, I, 5; IV, 5;
XII, 8 x; v ópaívcp XII, 8 La), 6paLveúer.v (1,5; 1,6; 111, 5; XII, 8-0,
et cipat,vocrío)v (43Lvccríovcc rcoter.croct I, 5 ; XOCT' ¿par,-
7Cp0OpaLVEÚELV (XI, 5),
vccríwv, XII, 8). Certains d'entre eux ont survécu en néo-grec : óp8Evi,
6e8EvLoc, oúpaivigo.), oúp8ívt,c(cp.oc72.
Le latin pedatura signifiait : 1. une mesure de pied, mesure prise avec
2. un certain espace mesuré avec le pied ; 3. unité
le pas (Tco8ta-p.6q) ;
militaire destinée à surveiller une zone donnée 73. Ce terme a connu dans
les textes byzantins les variantes TCEaCCToúpcc, rceavroúpoc et rcca8a-cotipoc.
On lit chez Maurice : Et n s-7,11,6q icrnv iv 76X, uov xaxeívouq crup,Aoct
iv Ta.T.q -cetzooq rcottaoc-706p0U.q Taq cr-cpcc.nd.rmq (X, 3).
Plammula, au sens de « petite flamme, bannière » (ainsi nommée
d'après sa couleur jaune) 74, a persité chez Maurice (soXci[LouXov I, 2 ; II, 13;
VII, 16 a; VII, 17 a) et dau.s d'autres textes byzantins, de même qu'en
roumain. (flamurä) et en. néo-grec (soXciq.L7coupc).
La bénédiction des troupes (ócr.ciceiv, était aussi
xccD-ocrtcocrtg)
une bonne occasion d'en faire l'appel ou de dénombrer les soldats. Pour
cette notion on trouve le terme d'origine latine aavoúp.tov (ad nomen)
et le verbe dcavoup.tcfc etv. Le substantif dcavol5p.tov avait encore le sens
de « distribution de la solde » (zplcs-ruci) (Serfoc).
Du verbe ambire « aller autour, faire le tour de » s'est formé en latin
le substantif ambitus « chemin qui fait le tour de, pourtour » et le verbe
*ambitare non attesté dans les textes, mais conservé dans certaines lan-
gues romanes (it. andare, provençal andá, catalan anar, espagnol andar).
L'existence et la popularité du terme supposé * ambit are sont également
prouvées par le byzantin rit.TE6ELv ou cigt-cpeúetv «faire le tour de, encer-
eler » que l'on rencontre dans certains textes tardifs et chez Maurice
Toívuv 7cp6 ye árceorrcov iv ¶cti% xcceocú-ciLv p.cfczcag eq./431.'76mo eiq a.r][..toaíaç
rocpccrecEeLg (XI, 4). Son éditeur, J. Scheffer, traduit dcgivrElímo par
impetum facere » 75.
Les mots latins cursus « course, cours », cursare « courir sans cesse »,
cursor «celui qui court », expliquent la présence en grec des termes xoïipaov
« incursion rapide en territoire ennemi » et xoupcseúew « pénétrer rapide-
ment en territoire ennemi dans l'intention de s'y livrer au pillage ou de
recueillir des informations ». Seul le premier terme apparait sous la plume
de Maurice : iv xcapq) -cob' xca iv xcapco xoúpacov (I, 2) ; iv 1.2.iv

72 H. G. Georgiou, TÒ yXtocrat,x6 igítap.cc r6pp.ce Kccs-ropíocg, Thessalonique, 1962, p. 162.


73 Vegeti De re mildari, 3, 8 : nam singulae centuriae... accipiunt pedaturas.
74 Ioannis Lydi De magistratibus, I, 8.
75 W. Meyer-Ltibke, REW, n° 409.

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498 HARALAMBIE MIHAESCD 18

TOT4 XOljpg0Lq ";] axoaxoctq (V, 5) ; xo5p j cponETEI:q iyzeLpilaeL (VII, 1).
On rencontre aussi dans d'autres textes mais sporadiquement le
composé np6xoupo-ov 76. Le verbe xoupaeústv au sens de kre,E0-oct connalt
également la variante XpOU6E6SIV 77.
Une tactique fréquemment usitée jusqu' à la Renaissance permet-
tait à l'infanterie se trouvant en péril de s'abriter derrière les charrettes
de transport disposées en cercle. Cette barrière de chariots (saepes carro-
rum) s'appelait en latin carrago, d'après le terme d'origine germanique
attesté d'abord chez Ammien Marcellin 78. Le mot se retrouve aussi chez
les stratégistes byzantins sous les formes xocppocríq ou xappocy6v, avec
la m'ème signification. Chez Maurice, XII, 8, 6 : xapayoï5.
Le manuel de Maurice recommande que pendant les exercices d'ini-
tiation au maniement des armes les recrues se servent, au lieu du sabre,
d'un baton de bois appelé (3spy[ov : yup.vgew eig ti.ovop.ocztocv axou-
-rocpkw xoci pc pykov dcwri.q Da.;)Xcov (XII, 8, 4), cup.paXeLv 0-x-r)[./cc-rtx6q,
[1ST& Tilïv pepyícov, 7COTÉ n i_LET« Gitxmov, (XII,8, 24). Ce pzpyíov est un
dérivé de p&p-roc, du latin
virga. Le mot latin a pénétré de bonne
heure dans les parlers grecs de l'Italie méridionale, à une
époque oil n'étaient pas encore passé à la phase ë (à Bova : virga
ctimone dell'aratro » et virguli «fuscello »), et, plus tard, dans les
textes byzantins sous la forme (36pyoc, conservée en néo-grec. Les diver-
gences formelles et sémantiques entre f3Epyoc de l'Italie du Sud et ßépyoc.
de la Grèce s'expliquent non seulement par le fait que le mot latin a pé-
nétré à des époques différentes, mais aussi en raison de la circons-
tance que l'Italie a connu une influence populaire directe, alors qu'en
Grèce le mot latin à été emprunté comme un terme technique militaire.
L'organisation militaire romaine et sa terminologie sont demeurées
en vigueur, et cela pendant longtemps, dans l'Etat byzantin : par Pinter-
médiaire des soldats cette terminologie pouvait atteindre de larges
masses populaires. Comme en réalité une bonne partie de ce vocabulaire
a survécu en grec moderne, il est tout indiqué d'étudier soigneusement
les écrits des stratégistes byzantins. Ce sont eux qui nous procureront
le fil d'Ariadne pour approfondir l'étude des éléments latins en néo-gree
et établir une stratigraphie relative.

Zilliacus, o. c., p. 230.


77Triandaphyllidis, o. c., pp. 66, 87, 131.
78 XXXI, 7, 7 : Gotiu vasta Lomas manus, quae ad carraginem, quam ita ipsi appel-
ant, regressae.

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«LETOPISETUL DE LA BISTRITA », LA PLUS VIEILLE
DES CHRONIQUES ROUMAINES SA LANGUE

DAMIAN P. BOGDAN

Parmi nos chroniques de jadis, la plus vieille est celle connue depuis
plus de sept décennies sous le nom de « Letopisetul de la Bistrita ». L'illus-
tre slavisant roumain loan Bogdan lui donna pour la première fois ce nom,
pensant qu'il s'agissait d'un ouvrage « &lit au convent de Bistritza, en
Moldavie »1. Depuis, ce nom s'imposa dans la littérature spécialisée, bien
que des recherches ultérieures eussent montré que ce n'est pas au convent
de Bistritza qu'elle fut rédigée 2 Partant de ce fait, le regretté professeur
P. P. Panaitescu proposait de l'appeler désormais Letopisetul anonim al
Moldovei [La chronique anonyme de la Moldavie] 3.
Le texte en question se trouve inséré dans la partie finale d'un ma-
nuscrit appartenant A, la Bibliothèque de l'Académie roumaine. Il s'agit
du manuserit n° 649 du fonds slave à savoir des feuillets 237-246'.
En tenant compte tout à la fois du contenu et de l'origine de ce manuscrit,
loan Bogdan le désignait sous le nom de Codex de Tulcea, le datant aux
XVI° XVII. siècles, notamment A, la seconde moitié du Yvr siècle
1 loan Bogdan, Cronice inedite atingeitoare de Istoria Romdnilor [Chroniques inédites
de l'hisloire des Roumains], Bucarest, 1895, P. VII. Dans son ouvrage, I. Bogdan appelle
aussi cette chronique : « cronica bistriteana » (loan Bogdan, op. cit , pp. 67-68, n. 11 et p.
70, n. 14).
2 V. par exemple Damian P. Bogdan, loan Bogdan. Activitatea stiznfificci si didacticti
Iban Bogdan. Activité scientifique et didactiquel, in 0 Romanoslavica s, III (1958), pp.
194-195.
3 P. P. Panaitescu, Cronicele slavo-romcine din sec XVXVI publicate de loan Bogdan
(Cronicele medievale ale Ron:1111cl, II) [Les chroniques slavo-roumaines des XV° XVI°
siècles pubhées par loan Bogd-in (Les chrontques médievales de la Roumanie, ID], Bucarest,
1959, pp. V, 1 et suiv Mais le professeur Panaitescu devait désigner la mèrne année ceLte chro-
nique sous le nom de Letopisetul zis de la Bistrita [Chronique dite de Bistritza], v. P. P. Panai-
tescu, Manuscrisele slave din Biblioteca Acadermei R P.R. [Les manuscrits slaves de la Biblio-
thèque de PAcadémie de la R. P. Roumaine], Bucarest, 1959, p. XIII.

REV. ETUDES SUD-EST EUROP., VI, 3, p. 499 524, BUCAREST, 1968

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500 DAMIAN P. BOGDAN 2

ou à la première moitié du siècle suivant 4. Plus tard, P. P. Panaitescu se


prononp, pour le xvr siècle 5. Des preuves à l'appui en sont fournies par
les trois filigranes sur lesquels, des 1895, loan Bogdan attirait l'attention
des spécialistes 6. En effet, le gant à l'étoile à cinq pointes au bout de son
médius 7, la balance A, plateaux ovales inscrite dans un cercle 8 et la croix
grecque 9 nous portent vers la fin du XVI' siècle (sa dernière décennie)
Le dessin de la balance notamment est presque identique à celui indiqué
dans le répertoire classique de Charles Briquet (n° 567) comme apparte-
nant A, uit manuscrit daté de 1588.
Des recherches ultérieures à l'étude de Ioan Bogdan, corroborées
par eelles poursuivies de notre temps par P. P. Panaitescu, ont montré
que cette vieille chronique roumaine a été rédigée à l'époque et à la cour
meme du célèbre prince moldave Etienne le Grand. I.Tn argument encore
non utilisé à cet égard serait que l'unique prince moldave auquel eette chro-
nique aecorde le titre de seigneur voivode » (domn voevod) et parfois celui
d'empereur est justement Etienne le Grand. Il s'ensuit done que le texte
dont nous nous oceupons ici et qui date de la seconde moitié du XVI' siècle
ne saurait être qu'une copie.
Si le eontenu de eette chronique a fait l'objet de longues études, par
contre, les spécialistes ont absolument négligé la langue de sa rédaction :
sauf quelques rares exceptions 1°, ils ne s'en sont guère occupés. C'est ce
qui explique pourquoi l'opinion généralement admise aujourd.'hui encore
ce sujet est celle avancée naguère par Ioan Bogdan, qui estimait que le
florilège de Tulcea - et avec lui notre chronique également - est rédigé
en médio-bulgare 11. Cela nous incita à en étudier les partieularités phoné-
tiques et morphologiques. Et, en fin de compte, nous y relevâmes des
traces du roumain.

4 V. cette précision, par exemple, chez A. I. Sobolevski, Slavjano-russkaja paleo-


grafija, St.-Pétersbourg, 19082, p. 19.
5 P. P. Panaitescu, Cronicele slavo-romiine..., p. 5; idem, Martuscrisele slave-, p.
XIII.
6 loan Bogdan, op. cit., p. 4, n. 1.
7 Le filigrane du gant se trouve placé au centre dela femlle de papier, ce qui fait que
vu le format in-8° du manuscrit - la marque se trouve dans le voisinage du verso, divisée
en deux : la première moitlé sur une feuille, la secondé moitié sur l'autre feuille (v. les ff.
7-9, 19, 37, 38, 43, 44, 46, 67, 72, 75, 76, 79-81, 86-89, 94, 95, 97, 99, 100, 102, 106, 110,
150, 151, 158, 160, 162, 166, 169, 172, 173, 179-182, 185, 187, 190, 192, 194, 195, 198, 199,
202, 205, 207, 209, 211, 214, 216, 219, 222, 224, 227-230, 234, 235, 238, 239.
a V. les ff. 51, 53, 130, 131, 133, 136.
9 V. les fi. 103, 112, 114, 119-122, 127, 128.
L'auteur de cet exposé s'est déjà occupé de certams éléments phonétiques de la Ian-
gue de cette chronique dans Slavjanskie nadpisi Valahii, Moldovg, Transilvanij i Dobrou2e,
Voprosy jazykoznamja o, 1961, n° 6, p. 74, n. 15, p. 77 et les un. 58-60, p. 77, ainsi que
les nn. 62, 65 et 66.
11 loan Bogdan, op. cit., p. 5.

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3 LETOPISETIIL DE LA BISTRITA * 501

LA PHONÉTIQUE

C'est un phénomène naturel que de découvrir des particularitéa


tenant au vieux slave dans les langues slaves du Moyen Age, puisqu'elles
tiraient toutes leur origine du vieux slave, langue littéraire des IX ° XI'
siècles. C'est ainsi que les vieux textes slaves connaissent les phonèmea
m et A, qui aux IX, X et début du XIe siècles étaient des voyelles na-
sales dans le vieux slave. Une fois dépassé le seuil du xr siècle, un pro-
cessus commence à se faire jour dans cette langue, qui devait finir par trans-
former les deux nasales en voyelles pures. Les exemples abondent en ce
sons, fournis surtout par les textes du Marianus et du Clozianus 12. Plus
de 300 eas similaires sont signalés dans l'Evangile célèbre d'Ostromir
(1057), par Pérudit N. Durnovo 13 C'est ainsi que sont nés les doubleta
x-oy, ,v-t, A-li et A-E 14. Pour les langues médio-slaves, ce processus de
transformation en voyelles pures était déjà achevé à cette époque. Le mé-
dio-bulgare prononçait le A comme l'actuel son bulgare a% ----- a; seule la
graphie alternait encore. Il répond au son roumain it, alors que le A se pro-
nonce e. Le russe, l'ukrainien, le biélo-russe transforment le A en u et ju,
alors que le serbo-croate le transforme en u. Par la suite, il fut remplacé
par les signes dont il représentait la valeur phonétique. Le A devient dans
les langues russe, ukrainienne et biélo-russe ja, soit en se conservant en
taint que lettre, soit remplacé par M. En serbo-croate il devient e et finit
par étre définitivement remplacé.
Outre l'usage des x et A coname dans le vieux slave, le médio-bulgare
connalt aussi l'emploi alterné de ces mémes signes, correctement ou non.
Un exemple d'emploi correct est lorsque le A apparait, pour remplacer lea
sons du vieux slave q et (2, après les sons notés par les lettres §, R, M;
après les consonnes palatales 1, n et r, au lieu du A ou du A on écrivait A
Partant de l'usage donné aux nasales après 6, on est arrivé à définir un
group e de textes d'Ohrida où le signe LIA remplace les tIA et LIA du vieux
slave. Après un i, certaines textes médio-bulg ares, parmi lesquels ceux
d'Ohrida, emploient un A, alors que les autres textes usent presque tou-
jours du A. Cette façon incorreete de faire alterner les A et A dans les textes
médio-bulgares se manifeste par le fait qu'on n'y retrouve plus l'ancienne
distribution des A et A après chaque consonne, comme dans le vieux
slave. Ici, c'est soit le x, soit le A qui domine, d'où il ne eonvient point

12 V. par exemple St. Kulbakm, Le vieux slave, Paris, 1929, p. 49.


13 V. 0 Jju2noslovenski filolog 0, IV, p. 89.
IA V. W. Vondrak, Altkirchenslavische Grammatik, Berlin, 19122, p. 144; St. Kul -
bakin, op. cit., pp. 22, 45, 47; A. M. Selis'dev, Staroslavjanskij jazyk, I, Moscou, 1954
pp. 277-279; André Vaillant, Manuel du vieux slave, I, Paris, 19642, pp. 29-30.

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502 DAMIAN P. BOGDAN 4

cependant d'induire l'ab ence totale des textes qui emploient un x, (A) d'un
type unique 15.
Les textes médio-bulgares oh l'on peut noter les parallélismes
et t : tt sont loin d'être rares. Dans ces mêmes textes, la graphic
wx<w atteste un processus de transformation en labiales 16, alors que
le parallélisme wt > wa, et jusqu'à un certain point le parallélisme 11110 > woy
indiquent plutêt le renforcement de la consonne faut aussi interpréter
dans le même sens les phénomènes suivants : l'alternance A présente
dans certains textes, ainsi que celles ou A k, l'alternance oti. le A
est le seul en usage, et enfin l'alternance e ou A 17.
Pres que tous ces phénomènes qui se rattachent à l'évolution des x. et A
sont également présents dans la phonétique de la plus vieille des chroniques
roumaines. Nous y avons noté une trentaine de cas avec l'emploi correct
du x, à commencer par le subst. wpxiiii (244°) 18, passant ensuite A, l'adj.
AAKdKOE (242), à l'ind. prés. III' pers. du pl. T(k), à l'adv. TAAs (242,
244°, 245, 245"), à la conj. NM (239, 240°, 244"), etc. Les exemples four-
nis par le A sont encore plus nombreux (67 en tout), à commencer par le
dat. pl. du subst. IIHTA3om(%) (240, 241, 242 et 245), les III` personnes
du singulier et du pluriel de l'ind. prés. rpAAET(11) rpAAAT() (244"
et 243), etc.
L'identité 11, du médio-bulgare se retrouve seulement dans le
subst. n. collectif gén. : wooKTH (244"), par rapport au nom wparoati
noté ci-dessus.
La transformation du A en u se manifeste dans le subst. (Trim,
oyrpFX*(%), ainsi que dans l'adj. srpognartecicoe (240°, 239 et 245"), et
leur origine pent être cherchée soit dans le vieux slave, soit dans le bulgare
ou le serbo-croate. Le ia remplaçant la lettre t est illustré par 43 exemples,
commencer avec le dat. pl. du subst. m. sonatpom(%) (245), le gén. pl.
du pr. m. KItcs0C(%) (240), le nom. sing. de l'adj. f. articulé KptriKaNt (245"),
l'aoriste sing. in. pers. HAAHli (245), etc. Mais une fois nous avons
rencontré aussi le phénomène inverse, c'est-à-dire le t au lieu du la, dans
flAAATk (237").
Le A remplaçant l'a mouillé ra est n.euf fois illustré, à commencer
par le gén. m. sing. r(o)cn(o)A(a)pia (245"), le gén. pl. du pr. m. KliCAX(%)
(241°, 242), le gén. sing. de l'adj. f. s(o),KTA (241"), etc.

15 V. Nicolaus van Wijk, Gescluchte der altkirchenslavzschen Sprache, I, l'édition russe


Istorija staroslavjanskogo jazyka, Moscou, 1957, p. 210.
16 V. par exemple Nicolaus van Wijk, op. cit., p. 212.
17 Ibulem, p. 212.
Comme l'édition du professeur I. Bogdan, ainsi que celle de P. P. Panaitescu
comporte quelques omissions, nous citons le texte directement d'après le manuscrit de la
chronique.

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5 LETOPISET1TL DE LA EISTRITA 503

L'influence du russe se manifeste dans l'usage de l'a mouillé à la


place du dans ta3h1K111 (24P; voyez d'autres formes flexionnelles aux
feuillets 238°, 240° et 241).
La langue dont usait le chroniqueur anonyme de Bistritza nous offre
quelques exemples de transformation de la lettre A en e, par exemple
le pronom ce devenu particule du verbe pronominal p43PHEHA ce (244) ou
la terminaison de la jjje pers. pluriel de l'aoriste sygmatique nouveau
type : HECOK : Bli3A111E, AAHM111, HASHAWE (242 et 245), etc.
Le phénomène de confusion entre le et le /A, abondamment illustré
dans le texte vieux slave du Psalterium Sinaitieum 19 et également présent
clans celui de l'Assemanianus 29 deviendra par la suite typique pour le pho-
nétisme propre au parler médio-bulgare. L'on peut noter dans notre chro-
nique six cas oil le est employé à la place du v; par exemple, dans le
cas général du subst. f. pl. THCAIVE (244), ou celui de Paoriste sygmatiq-ue,
III' pers. pl. sliWA C(A) (238°, 239°), etc. Les exemples montrant l'emploi
de la lettre la au lieu de la lettre A sont de beaucoup plus nombreux (au
total vingt), dans le f. instr. sing. ill&CTTA (243) ; on encore, avec une iden-
tité de genre, cas et nombre, dans s(o)%Yeat (244), g-kceia (239, 239°, 240),
HEAHKOA (245v) et le part. prés. untusimpu (245), etc. Le vieux slave con-
naissait deux voyelles ultra-brèves, appelées aussi pour cette raison
m6me irrationnelles, à savoir les jers : ris. et K. Solon leur accent, ces pho-
nèmes se divisaient en forts et faibles, et c'est le mérite de l'éminent lin-
guiste russe Filip Fortunatov d'avoir précisé leur position accentuée (for-
te) ou non accentuée (faible). Par exemple, le savant russe a montré que le
dans ClkHA est faible, alors qu'il est fort dans le mot ClaIKA1A, bien que placé
avant un k faible. De même dans C`KHEIAVIi, le final est faible et le Et est
fort, alors que dans la syllabe initiale le est faible. Dans MICTHFA, le
h est fort à cause de sa position avant un i bref 21. Les différences notées
entre les phonèmes accentués et ceux non accentués expliquent les trans-
formations subies par ces voyelles dans le vieux slave. Sous l'influence
de la faculté assimilative des sons voisins, le -11 est remplacé par k on par
k > 22 eomme dans le mot A-Kg4 et clans AhRt 23. La conséquence de ce fait
est la fréquente alternance 91k, phénomène découlant d'autres causes
aussi et non seulement de l'assimilation des palatales ou de l'affaiblisse-
ment des voyelles ultra-brèves k et h24. Vers la fin de l'époque d'épanouis-
sement du vieux slave, le is et le It accentués commencent a, se transformer

12 V. par exemple St. Kulbakin, op. cit., pp. 52-53.


20 Ibidem, p. 50.
21 V. F. Fortunalov, in o Izvestija otdelenija rousskogo jazyka i slovesnosti Akademij
nauk XIII, 2, p. 5, la note.
22 V. Nicolaus van Wijk, op. cit , p. 154.
23 V. André Vaillant, op. cit., pp. 35-41.
24 Ibidem.

0. 5587
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504 DAMIÁN P BOGDAN 6

en voyelles, le premier se muant en o et le second en e, et cette transfor-


mation est illustrée par les textes du Zographensis, de l'Assemanianus
et du Marianus 25. C'est vers la même époque que les jers faibles commen-
çaient à perdre leur valeur phonétique, pour devenir avec le temps de
simples caractères graphiques. La perte de toute signification phonétique
du rh et du h a eu pour conséquence : lo leur maintien, uniquement par
tradition, dans la position non accentuée ; 2°le signe d'un commencement
d'emploi non différencié, bien que les textes où prédomine de préférence
l'un ou l'autre de ces phonèrnes ne manquent point, ainsi du reste que les
textes qui se distinguent par la présence unique de l'une de ces deux for-
mes; 3° les jers non accentués sont remplacés par un simple signe
graphique : le paieric; 4° en fin de compte, les formes non accen-
tuées devaient disparattre complètement.
Ces phénomènes phonétiques connus par le médio-bulgare aussi
sont également présents dans la plus vieille des chroniques roumaines. Par
exemple, le 'h fort apparait dans la syllabe initiale tout comme dans le
vieux slave, dans 75 cas, dont : A-Kweph et Ail to (240, 237° et 24P),
KI&N<A0 (242° et 245), IIIICEAffitli (239v), IK%3Kp4TH CA (238°), IIIIHera (239°
et 241°), TIOCAV10 (240v), etc. ; au milieu du mot on ne le rencontre que dans
wsivhrei4(1) (243°). Le h fort ne se montre qu'au milieu du mot, comme
dans l'exemple fourni par le mot MI-10>KliCTII0 (240v). L'It faible final
résiste dans 67 cas, à commencer par fior(%) (239 et 240v), r(0)CH(0)A(H)li`k
(242 et 243) ; la préposition B11 dans 61 cas (237-246). Une sonic fois
PI% est remplacé dans la préposition par le paieric (238), mais cette
méme préposition se retrouve 43 fois sans (237-240), alors que dams
les prépositions Kgs. (243 et 245) et ris. (239 et 241-246) faible final est
toujours présent. L'h faible final se montre dans onze cas : r(OCEIOA)11
(241), A(k)14k (237° et 238v), ToTpswk (238v), etc.
L'h fort remplacé par dans la méme position est illustré par 32
cas : Au-Km-hcrto (242), ivticrTia (243), et le pronom lihCh emploie toujours
1'11 (238v 245).
La vocalisation de fort apparait seulement dans rua-rwic(1)
(239v), car l'o de Torra, si fréquent dans notre chronique (il y apparait
une trentaine de fois), est plut6t une forme indépendante d'après le thème
-to, selon l'opinion de l'éminent slavisant russe Kulbakin 26 Celle de l'11.
est un peu plus fréquente, puisque illustrée par neuf exemples, à commen-
cer par Aik (241°), et continuant avec : AtTomiceu,(K) (237), A11-10)KECTKO
(238-239v), nostAoHocfu,(h) (240° et 242), LIECTHA (243), UM (238v).

25 V. St. Kt0bakin, op. cit., pp. 20 22.


21 Ibidem, p. 67.

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7 .LETOPISETUL DE LA BISTRITA 505

L'influence russe livresque se manifeste dans les topiques : PERM


(246) et PEEHHK(9%) (241°), où l'e provient du fait quefort a été d'abord
remplace par l'k dans la meme position, qui s'est ensuite vocalise en e.
Le -k final non accentué est remplace par l'k dans la même position
30 fois : span (237), r(o)cn(o)A(H)Hh (245v et 246), pash (245v), C(61)11h (237,
238 et 246), flposh (238), POWHIs (237v), etc. Mais dans le eas de la con-
sonne finale n, notamment dans le mot rOCEIOAlii-lk qui a commence par
être un adjectif, il pourrait s'agir d'une palatalisation de cette consonne.
L'It final est remplacé par -k seulement dans deux exemples A(K)1-111 (243v et
244v). La perte de Prk non accentué dans la syllabe initiale est pleinement
illustrée dans 26 cas : KToRihk(%) (238, 239 et 242v), KHArl-11-114 (237), cspo-
smile (240), muosii (238, 239y, 240°, 242, 244v et 245), etc.
Le rk secondaire, employe en exclusivité dans les mots étrangers h, la
langue slave, ne se montre qu'une seule fois dans le mot csurrt,Tpil (246)
trois autres fois le meme mot n'emploie plus dans sa, graphie cette lettre
(238, 240 et 244").
Le phoneme ë (t) était prononcé dans le vieux slave comme ce
qui repond en roumain aux diphtongues ja, ea. L't, avec la valeur d'un
a mouille -m- se retrouve dans certains textes vieux slaves par exemple
dans l'inscription tombale de Samolle en 993 ou dans Savvina Kniga, oh
apparaît chaque fois à la place de ra après la lettre i et moins frequem-
ment après r27.
Toujours dans le vieux slave, notons l'alternance t e, quand
s 'agit de mots empruntés au grec, comme fla'Apta tEptli
ifpw, etc. 28 Pour les textes en médio-bulgare remarquable est non seu-
lement la transformation de ë en 'a, mais les variantes ë = é, e également 29.
Dans les textes russes du Moyen Age, l'ë était prononce comme un
ferme ou comme la diphtongue 1,6 (avec l'é fern:Le dans sa deuxième partie).
Au XIV' siècle, dans certains textes de la meme provenance 1'6 commence
être remplace par un e, lorsqu'il se trouve avant une consonne mourn& ;
du reste, l'e au lieu du '6 dans n'importe quelle position se manifeste aussi
dans quelques textes remontant au XIII' siècle.
L'i remplaant independamment de sa position, apparait déjà,
au XIII' siècle dans différents textes russes et tout d'abord dans les textes
ukrainiens 30 Dans les textes serbes egalement, devient également le
phoneme fermé 6 31

27 Itnclem, pp. 59-60.


28 Ibutem, p. 62.
29 V. Nicolaus van Wijk, op. cit., p. 190.
39 V. V. T. Borkovski et P. S. Kuznecov, Istord:eskaja grammatika rousskogo jazyka,
Aloscou, 19652, pp. 137-138.
31 V. Nicolaus van Wijk, op. cit., p. 190.

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506 DAMIÁN P BOGDAN 8

Ce processus de l'évolution de l'ë se laisse également surprendre, du


moins en partie, dans la phonétique de la plus vieille des chroniques rou-
maines. Ainsi, il y a bon nombre d'exemples qui montrent l'usage correct
de 1Y, c'est-à-dire comme dans le vieux slave : sontpom(11) (241 et 242),
iment (243v, 244' et 245), etc. L'm remplacé par l't est employé dans
le gén. sing. m. u,(4)pt (243v) et dans le nom. sing. f. seMAt (237). L'usage
de la lettre e a,u lieu de ë apparait dans dix cas, dont (246),
nne/MH141-111,1i

pm% (245v), Binorpm(k) (242 et 243), HEHHA (243 et 245v), SCTpEAEH(%) (239),
etc. L'i ukrainien a, la place de e est illustré dans H)Can(%) (243v et 244),
110HK1Wat(239v) et RHAHKA (241).
Le phoneme jery KI était une voyelle équivalente à l'y du vieux
russe et du polonais ou à 11 de la langue roumaine. Bien que composée,
cette lettre ne forme pourtant pas une diphtongue, étant antérieure
Palphabet glagolitique, c'est-à-dire remontant à l'époque ob. comme
le moine lirabr en témoigne les Slaves n'ayant point d'écriture propre
employaient les alphabets grec et latin. Pour noter le son y, ils usaient
de deux lettres grecques, usage qui a passé grace à la tradition dans les
alphabets glagolitique et cyrillique 32.
Certains textes vieux slaves à savoir : Savvina Kniga, Zogra-
phensis, Clozianus, Illarianus, Psalterium Sinaitieum, Euehologium Sivai-
tieum et Suprasliensis offrent des exemples nombreux de l'emploi in-
correct de H au lieu de rki ; faisons néanmoins la part des erreurs de trans-
cription dues aux scribes 33. Par la suite, l'usage de H à la place de ad allait
devenir caractéristique aux textes sud-slaves.
Il y a dans notre Chronigue de Bistritza 59 cas oti %I(ii) est employé
correctement. Ainsi : le On. sing. m. 110EKOALil (237v et 246), KhntiNtro
(238v, 241 et 245), iliWAAAKCKLilli (246), 612.1TH (avec différentes formes
flexionnelles, il apparait 44 fois, 237v 242, 245"), muck, (238), etc.
1VIais il convient de noter la fréquence de l'emploi de H a, la place de i, de
beaucoup plus importante (80 exemples) : le gén. sing. m. BOWAN
(237-245) le plus fréquent le On. sing. f. fitirrplium (243), le
nom. m. sing. Kt4H.H1 (246) et illOAAMICKTH (238), 4ETBV1TTH (238), 6HTH < 61ITH
qui apparait avec différentes flexions 17 fois (239-245), HAKH cinq fois
(239v, 240v, 243 et 245), etc.
Les syllabes voyelles liquides g. et 1 dont la graphie était dans le
vieux slave p-k, Ark, pi et AK donnèrent en russe les syllabes er, el,
or, ol auxquelles répondent dans les vieux textes russes les lettres
itp et 6A. L'unique langue slave qui maintient la graphie du vieux slave
la transformant en norme orthographique est le médio-bulgare. Ce

32 V. SI. Kulbakin, op. cil., p. 62.


33 Ibidem, pp. 63-64 et A. M. Seliséev, op. cit., pp. 307 308.

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9 .LETOPISETUL DE LA DISTRITA* 507

phénomène du vieux slave (soit de manière directe, soit par filière), ainsi
que celui qui lui a succédé dans la langue russe sont également présents
dans la phonétique de la première chronique roumaine. Ainsi pix est illus-
tré par 18 exemples, dont : Et-kcEAploKirrent (239), np-hRtueu,k (237°), npilK4-
nasii avec différentes flexions (242°, 238" et 240°), Tp-kra, $ (242 et 243°),
CKplkEk (241), Gpil-icturo (216), srp-kciiit avec différentes flexions (238°, 239
et 243), Ap-Knyhtow (237°), np-mali (237"), chKp rhuni CM (241"), etc. Les
formes russes Ep et op sont présentes settlement dans sept cas, à savoir
Repnma (240), grovpocoti (237), gEpHolicKom(%) (243") - qui est cependant
parallèle à Tphrs - et itErEtepToK(%) (238' et 239°), alors que existe
seulement dans un seul exemple : B1t'LrapEX) (242").
La voyelle dure a, qui remplace désormais le ra, phénomène typique
du médio-bulgare, se manifeste dans 20 cas dans la phonétique de notre
chronique : Aoc(To)atiTio (242 et 215), podia (242° et 245°), AitlurrpTa (244),
MA (239" et 245), Ettillati (237°), itro,t'AmicKaa (237), etc.
La palatalisation des consonnes r et 1, typique dans le vieux slave,
est également présente dans le « letopiset » : dat. sing. m. get-1()m (243"),
m. sing. r(o)cii(o)A(a)pia (215"), Aweph (240), gén. m. Kpania (243),
nom. sing. f. 3Militt (245"); dans (237 et 245"), la palatalisa-
llion'Aagova

tion du son / est not& par le paieric. L'on constate aussi le durcissement
du son 1, mais le phénomène n'est illustré que par lipliwincrKTE (246) et
il se peut fort bien qu'il s'agisse d'une simple omission graphique.
La palatalisation des consonnes s, ó, c et dz - typique dans le vieux
slave - se manifeste aussi dans notre chronique par quelques exemples.
Ainsi, il y a 14 cas oft l'on retrouve palatalisé, dont : lili3KpATNUJIA c(ia)
(240, 241°, 242° et 245), (238"), notinum (239°), pKaum (238°,
11.111LIAIDR%

243° et 244°), etc. Le son palatalisé est présent dans titomioe (240) et
le c, avec le même caractère, dans npligtvattk (237"). Plus abondants sont
les exemples fournis par dzealo (dix en tout), stno (245°), Apssit (245°),
MHO:31-1 - les plus fréquents - (238, 239°, 240, 240", 242, 244°, 245 et
245") et une fois aussi dans itirriasom(%) (242) - les autres flexions
sont celle de 3. Mais l'on constate dans les textes russes le durcisse-
ment du son §, trait typique du médio-bulgare. Bien que ce phénomène
apparaisse également dans la Chronique de Bistritza, les exemples en sont
fort rares ; notons toutefois celui du mot MAMA (239). Le durcissement
du son 6, également l'une des particularités du médio-bulgare, se mani-
feste dans notre texte dans HMI C(Rt) (237), HALIAWA (238°) et dans CEOFFIA
(238). De même, un autre phénomène typique au médio-bulgare, à savoir
le durcissement du son 8, persiste lui aussi dans rocTset (240, 241 et 245).
Les exemples d'un usage fréquent des groupes pris au vieux slave
:st et d ne font eux non plus (Want, employés absolument de la méme
manière que dans les vieux textes slaves des X' - XI siècles. Ainsi,
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508 DAMIAN P BOGDAN 10

y a: AlOgAIKE (245"), A'1,41011 et A1114111 (240, 237° et 241"), nut (243),


r(o)cn(o)mm (239°, 241° et 245°), le On. sing. m. et n. Tor(o)mm (239-242
et 245), le part. poxcAkwaro (240°), meacAs (237°), nptmAe (245°), TAKO>NAI
(239°), etc. Le phonétisme serbe memo (246) apparait lui aussi une seule
fois parallèlement àmemcAS, ainsi que les formes russo-ukrainiennes MOLI(0110
(244°) et nomoqk (242°, 244°).
La svarabhakti des langues slaves orientales et le u(e) > o avec la
même provenance, présents dans quelques-unes des chartes moldaves,
font complètement (Want dans notre chronique.

MORPHOLOGIE

Autant qu'au point de vue phonétique, la langue de la Chronique de


Bistritza suit sous son aspect morphologique aussi les particularités des
langues vieux slave et méclio-bulgare, tout en conservant dans une cer-
taine mesure les traits caractéristiques des langues slaves d'Est et du serbo-
croate. C'est ainsi que l'on pent constater la présence des trois genres que
la grammaire roumaine a conservés et des trois nombres connus dans les
langues slaves du moyen4ge : singulier, duel et pluriel. Il y a ensuite les
trois types de flexion. La flexion nominale que comportent les substan-
tifs et les noms, les adjectifs simples ou non articulés, les participes et
les numéraux de la même catégorie. La flexion pronominale, englobant
les pronoms personnels, démonstratifs, interrogatifs, possessifs et réflé-
chis. La flexion composée ou mixte, qui est cello des adjectifs, des numé-
raux et des participes composés ou articulés. Enfin, une flexion à part est
celle des verbes.
A la différence des langues : vieux slave, slaves d'Est et serbo-croate,
la langue de la vieille chronique roumaine en question comporte en plus
des cas habituels nominatif, génitif, datif, accusatif, instrumental et
locatif encore une fonction syntactique, à savoir celle du casus gene-
ralis. Les origines de ce dernier cas remontent aux nominatif, génitif et
accusatif masculin, ou à l'accusatif féminin, quand ces fonctions syntac-
tiques s'associent à des prépositions, selon la remarque de l'un des disci-
ples les plus doués de Jagie, le brillant savant slovène R. Nahtigal 34.
Le duel qui, déjà dans la langue commune indo-européenne, n'avait
que trois formes (la première pour le nominatif, le vocatif et l'accusatif ;
la deuxième pour le datif et l'instrumental ; la troisième pour le génitif
et le locatif), comme l'éminent linguiste français, Antoine Meillet 35, l'a

34 Rajko Nahugal, Slovanski jeziki, Ljubljana, 19522, l'édition russe : Slavjanskie jazykl,
Moscou. 1963, p. 261.
35 A Meillet, Le slave commun, Paris, 19342, l'éclition russe : Ob.,§Jeslavjanskij jazyk,
Moscou, 1951, p. 317.

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1.1 LETOPISETLIL DE LA B1STRITA 509

précisé du reste, garde ses fonctions dans le vieux slave, avec quelques
réticences en ce qui concerne la fréquence du nombre en soi.
Dans certains types de flexions masculines et féminines, il y a, au
singulier ou au pluriel, identité du nominatif et de l'accusatif ; parfois
même cette identité se retrouve dans les deux nombres. La flexion prono-
minale connalt une seule forme pour le génitif et le locatif pluriel.
Mais si du point de vue phonétique ce ne sont pas les éléments vieux
slaves qui forment la majorité dans le Letopiset analysé, on ne saurait
affirmer la méme chose pour ce qui est de la morphologie de sa langue.
En effet, la majeure partie des paradigines des déclinaisons nominales,
pronominales et mixtes, ainsi que ceux des conjugaisons sont encore
en fonction. C'est ainsi que le paradigme de la déclinaison des thèmes
masculins en -a (très rares, parce que leur déclinaison n'est que l'ana-
logie avec le féminin du même thème) se signale par KOEKOM (partout
dans le texte de notre chronique l' e simple remplace le If à l'exception du
Mot Ifpe wm(-11)), dans les cas suivants : gén. sing. HoeKoAki, dat. gogKoAt, St,
le cas général KOEKOM et le nominatif pluriel BOEBOAli (237° 246).
En ce qui concerne le cas général, il convient de remarquer sa fré-
quence : il apparalt dans plus de 70 exemples j néanmoins la fréquence
des autres cas est prédominante : les exemples not& dépassent le chiffre
de quatre cents, dont plus d'une centaine sans l'accord avec les préposi-
tions, alors que plus de 300 sont associés à des prépositions 37. Le même
paradigme en -a appartient au s. m. collectif rocnom, au datif rocno-
mm(%) (241).
Au paradigme du thème en -a se rattachent également les noms
féminins du même thème, qui composent le groupe le plus important
comme nombre de tous les thèmes féminins En plus des substantifs,
se rangent les adjectifs féminins dont la voyelle thématique est a. Le
paradigme des féminins au thème en -a apparalt lui-même ?KW existe
dans notre chronique à l'acc. sing. avec la terminaison russe awls (237v),
alors qu'au nominatif pl. nous avons MEI4H (240v). Parmi d'autres noms
du méme thème notons au On. sing. Attua (240v), Encrpnum (243), GtOlAftli
(2431, l'acc. rocTRA et CA6OTA (238, 242, 237"), avec la terminai-
son médio-bulgare, dans le cas général, de la méme origine : muse, rocnomm,
rocTu (242v, 238°, 239°, 240 et 241) ; avec la terminaison russe :
36 La La présence du cas général prend également une forte signification syntactique,

parce qu'il produit le d6saccord d3s mots composant la proposition. Par exemple :
OTt4s4n(k) ROEROA4 110XAHC49H AO KOAAX CROH RtOHHH COAROH (243), POCT64 RfATA ClaROOli (245), 114 HAT&

ROMO44 (237f), AO GTE4S4H4 ROMA/ (243), etc. Nous avons noté aussi le désaccord produit par le
fait que le numeral Arta est au duel, le substantif auquel il est lié est au pluriel, cf. no Ammo
Atrkl(-h) (238v), où le subst. est au loc. pl. Le désaccord est provoqué aussi par la transposi-
tion du genre roumain en slavon (v. ci-après le § Les influences roumaines). Cependant on ne
saurait affirmer que le désaccord constitue le trait caractéristique de notre chronique.
37 V. ci-aprés le § Mots et particules invariables.

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510 DA.MIAN P BOGDAN 12

RIMS, morHAS (244 et 246), l'instr. 110FICKOM - car c'est le féminin médio-
bulgare KOHCKA, du même genre qu.'en roumain, et 130HCKORt, PXKOA, CRAM
(238°, 239°, 241 et 239), etc. ; les loc. HOHCO, pìui,GsLiagt, "-,1-1 (243°, 245,
239 et 242°), etc. ; les nom. pl. rnatni, wAeavoi et H3h1 (240°, 242, 240)
le Om fop, (246); Pace. 1141(0-1111411 et ¡MICH (245°, 24r); l'instr BOHMINtli
et CHAAMH (243°, 240° et 243), etc. ; le loc. p2r.KaX(11) (240°). Les a,djectifs
suivants sont au nom sing. : BMA, EAHNOPOPIA, AAACKA, NO/14, NtHora, T1MCK6
et u,tn4 (243, 245°, 241, 240, 244°, 245, 240° et 244).
Le paradigme de la déclinaison des thèmes féminins en .ja est illus-
tré par amnia, dan.s les cas suivants : gén. sing. BIWA, dat. et loc. 3EM4I-1
(245°, 237 et 241) ; l'instrumental avec la termivaison russe ou serbe
ammo (237) et avec la terminaison serbe seaanuw (237°), ainsi que dan.s le
ca,s général (242, 244 et 245°). A ce même paradigme se rattaehent les
gén. ISHArtii-1115 II/WM (237v); les loc. BMW, KOAOMYI-1, hiladAirri et 111OXHAH
(239, 242°, 243 et 237), ainsi que dans les cas généraux KI4AriiHA et etrAoKra,
(238° et 239°).
Les paradigmes des flexions propres aux thèmes maseulins en -o et
sont également présents. Les premiers constituent le groupe le plus nom-
breux et ils comportent aussi le singulier des substantifs dont le suffix&
-141-11t indique le rang social ou la nationalité d'une personne, par
exeraple s0/1141-11-111, C131161-11-11x. Done les thèmes masculins en -o sont fort
nombreux dans notre chronique ; eri effet, mitre le paradigme pah, illustré
dans le On. sing. ¡ma et le dat. pass (241, 245 et 240), sigualons aussi
entre autres les On. flora, MSEldt4ii, KaarEpd, KOLIAHed. nr,kM, 1lAE3AHAPA,
&mop, pamSpbana (238-241, 244-246, 243, 237°, 244° et 237), le
dat. MFITONFIOAHTS (242), l'instr. Haposom(h), cr4Hom(4), Typom(k) Xpsrrom(h) (244°,
240, 237 et 242°), les loc. B.kitorpaAt, GliperR, (237° et 242°), les nom. pl. AtXti,
MHTP01104111TH (242, 243 et 240°), le On. M31-11<91. (2417), les dat. trnicKonwm(i),
FEIJEWM(1s), KA1MKOM(11), MliTfl0f1011HTOM(1) (238°, 240 et 241), l'instr.
(243-245), le loc. KepogliswkX(11) (238°), les nom. duels refmaibi, dIAKcilma,
flpliKAA464, aux c6tés du nom. pl. EIVIIKAAARH qui reclame lui aussi le duel,
l'instr. duel no-KKanasoma et c(w)Hom(a) (242°, 238° et 237°). Dans le même
thème en -o rentrent les adjectifs non articulés m. HeilliK'h et Nilitrit, qui
apparaissent au nom. duel : unliKA et MEd (239°).
C'est au même thème qu'appartiennent les adjectifs aux suffixes.
-ovii et -ing, dérivés des substantifs. C'est ainsi que l'on note dans
cette chronique les non'. sing. B Liatt m( -0 et IloALtu,o11(%), les gen.
tIAQAHAPOgt, KO3MHHA, ainsi que
lipSToRA,
Pomaioga, Pace. 4,11,moulgoileh) et le loe. Pomai-ou8 (245°, 241°, 244',
237, 238 et 242°). Sur le même rang que les thèmes masculins en -o et
constituant le même paradigme il y a les noras neutres ; le plus norabreux
groupe des neutres flexionnels a pour paradigme AT° exprimé aux

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13 eLETOPISETEL DE LA BISTEITA 511

sing. et pl., et A, l'acc. sing. (237-240, 241°, 242°, 243, 245 et 246).
Mais en dehors de ntTo nous avons aussi nvkcTo, ceno et 41-ICAO, le premier
et le deuxième au On., alors que le troisième est a, l'acc. sing. (238, 240°,
242°, 244°, 245 et 246). Il faut ajouter ici l'adj. n. Kpaneno au cas général
(224° et 245).
Le paradigme de la déclinaison des thèmes masculins en u(%) est
présent dans son type même chne%, aux nom. et gén. sing. (237°, 246
et 240°), auxquels il convient d'a,jouter le loc. sing. TrykrS (243°), nom. pl.
eTtrou (241, 239°, 240, 241 et 242), etc. Le paradigme flexionnel des thè-
mes en -jo - tous masculins - apparait dans l'acc. sing. Komi (243 et 244)
et aussi, entre autres, dans les gén. sing. rocnoAa, Kpania, t, mtciau,A, u,Apt ;
dat. Kpaneo, pasnoro et l'instr. rocnompem(k) ; les nom. pl. mtciau,a, gén.
MtCRill,k et loc. rocnompa(%) (239, 213, 242°, 244, 245, 245°, 238, 241,
246, 244°, 237°, 237 et 242). A ce paradigme appartiennent l'adjectif
KEAN, présent dans les nom. et acc. sing. m., f. et n. : K%H, et
KEATA (239°, 241, 244°, 242 et 245), dans soNcYli aux nom. et instr. sing. m.
et f. Romiui, somYa, et soaiTemb, (239, 242°, 239°, 245°, 238° et 237),
ainsi que le numéral ordinaire M. TPETHA exprimé dans la flexion Tpe-
Tom(h) (237°). Le paradigme de la déclinaison des thèmes masculins en
-jo, après la consonne palatale u,, est présent sous sa forme typique
WThil,k au gén. sing. (242). Le paradigme flexionnel des thèmes en -je,
tous neutres, apparait dans le On. sing. CK01-144114 le dat. AorroanYro, l'acc.
CPATEHTE, ClIMAIVEHI11, l'instr. H311011EH1EN1(k), MOAEH1EA1(k), le loe. FIPHWECTHIlli,
le On. pl. wpxaan (242, 245, 243, 244, 246 et 238°). L'adjectif compa-
ratif neutre sonee, qui apparait au nom. sing. (240), appartient au mème
paradigme.
La déclinaison masculine en (k) apparait dans son paradigme
mème (MTh, l'instr. sing. (239 et 244). La flexion féminine du même
thème et qui compose un groupe assez important est attestée dans le Le-
topisef, entre autres, par l'instr. sing. nerrnia, AlCTY les nom. et ace. pl.
pRtilli (pm), ainsi que par quelques substantifs faisant partie du groupe
qui comporte le suffixe composé -osti : l'instr. nuanocTTRi, avec la termi-
naison russe ou serbe MHAOCTTIO, ainsi que nptnmAporrin (245°, 243, 243°,
246, 244 et 239) - de cette méme provenance vieux slave modifiée par
la filière médio-bulgare que celle de nuanocrrTA.
Les thèmes consonantiques forment dans le vieux slave un groupe
assez nombreux. Ce groupe se compose d'abord des thèmes masculins en
-n ; à leurs formes plurielles s'ajoutent aussi les noms qui prennent au sin-
gulier le suffixe composé -ino (-H1-11a) - sontpuivni, sn-krApHirh. Les para-
digmes de la déclinaison des thèmes consonantiques en -n, mas culins,
sont KALWIil et Atalk, également présents dans notre clironique dans l'instr.
sing. KAMEHEA1(h) les nom., acc. et loc. A(k)Hk, r- at et A(h)HE, ainsi que dans
le cas général A(k)Hk (242T, 238°, 239, 243T, 244°, 237° et 245). Et dans

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512 DAMIAN P. BOGDAN 14

le même thème en -n se rangent aussi les noms neutres présents dans la


chronique étudiée ici par le paradigme HAMA, dans l'instr. sing. HMI-
.HEAA(h) (246).
Avec le suffixe composé -ino, notons le nom. pl. sontpii ainsi que
niAoali de l'Euehologium Sinaitieum 38, TelTdpi, [WANE, KJWICTTAHE, le cas
général Eoatpa, le gén. pl. noraNaT(%), le dat. sontpowh, (sonia)ponvh et
l'instr. sontpki, H (241, 238, 240°, 241-243 et 246).
Le paradigme flexionnel des thèmes consonantiques en -r, qui
se réduit A, deux unités, maTip- et Artkitap-, est également présent dans
la morphologie du Letopisetul de la Bistrita. Ces unit& apparaissent
dans notre chronique dans le On. sing. HoromATepe, le nom. Awi et l'acc.
,A%tilEpk (241°, 244, 237 et 240).
A la flexion nominale se rattachent aussi les formes non articulées
(simple et indéfinie) des participes actifs, présents et passes, ainsi que celles
du participe passé passif. La Chronique de Bistritza connait de cette cat&
gorie les part. prés. actifs nom. sing. m. SAHSCTHA, HOLIHILIN-I, SKIJOTAIKARt
et nclAii% (238°, 245" et 241°), ainsi que le méme participe au cas gé-
néral et au ILOM. m. pl. HAtH8170.11H, nomuraxitia, pfKAraHH, CAKRallH, SEHIKAIMIIH,
Enarocnostwe, noXfuntmtue et cnsacape (245, 243, 244°, 241 et 240°). Le
participe passé actif I apparait au nom. et dat. sing. et pl., m. et n.,
(301K1Ith, 110rOCTHKII, nntmune, CHHTAKIHE, 6611KWIA1(% RHHIHEM(k) (245, 243,
244, 240, 238, 241, 242 et 245). Le participe passé passif se manifeste par
exemple dans le nom. pl. m. nocpammua (239).
L'influence des thèmes masculins en -o, -jo, -I, et des thèmes conso-
nantiques, les uns sur les autres, est décrite dans presque toutes les grammai-
res du vieux slave. Et l'on peut surprendre certaines traces dans la mor-
phologie de notre chronique. C'est ainsi qu'en dehors du nom. pl. ,A,ApH
(241 et 242) du theme en -o, il y a aussi Aapoge (241) ; de méme, en dehors
de ckanTpH (240°) du méme thème nous avons également ocamrpoKe (244"),
ce qui montre l'influence du thème masculin en 42 sur le thème du
même genre en -o. De méme, au lieu du nom. pl. Arkmixi du thème
masc. en -jo apparait AilacAegE, sous l'influence du theme en -a ou le n.
pl. nolinHcapYe et u,apYt (243° et 237), ce qui atteste l'influence du theme
en -i sur le theme en -jo. Il y a aussi deux exemples de l'influence exercée
par le thème masculin en -o sur le theme masculin en -a, fruit de l'ana-
logie. Dans ce sens, il y a l'instr. sing. goEgoAwm(k) (239° et 244), égale-
ment présent, en dehors de PaAsnom(k) et GTE4SA4OAA(11). C'est donc que
le vieux slave se manifeste pleinement dans la flexion nominale de
la langue du Letopiset, alors que le médio-bulgare est assez peu attesté,
ce qui du reste s'explique aisément du fait que l'une des principales
38 V. St. Kulbakin, op. cit., p. 243.

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15 I LETOPISETIIL DE LA BISTRITA 513

particularités du médio-bulgare est justement la disparition progressive,


mais dans un bref dead, de la déclinaison nominale 39.
La flexion pronominale se distingue de la flexion nominale et main-
tes fois les grammaires du vieux slave la présentent comme partagée entre
la déclinaison des pronoms personnels et la déclinaison des pronoms im-
pers onnels .
Le paradigme du pronom personnel est illustré dans notre chronique
par le pronom composé (relatif) H-NCE, au thème en -jo, avec la mention
qu'au nom. et à l'instr. (HMHCE) sing., ainsi qu'au nom. pl. ce pronom
a la sigaification du roumain care (= quel) (237°, 238y, 239°, 240° et
242-245). Parfois, on emploie aussi le masculin NM pour le féminin tam
6tWE 3fAitlia u,tna (244) ou le neutre VICE, au lieu du masculin
HiKE VICE H mrpesui(%) nhic(Tek) (237°, v. aussi 239° et 242°), qui tiennent
d'une influence roumaine 40. Dans les autres cas HMI prend par contre
la signification d'un pronom personnel. Pour ce pronom, nous avons le
masc. sing. On. Ero, le dat. EMS; au pl., le On. nK(%), le dat. Pm(1) et
liMh. Au féminin, nous avons au singulier le dat. EH et l'acc. x, E 41 et
Rt (237-244, 246, 245 et 242°). Lorsqu'une préposition précède u
sa flexion prend ce qu'on appelle le n incidental ; nous avons dans notre
chronique les formes suivantes : le m. sing. IWO et HEMS, f. HA 42, le pl.
HHX('It), IIHM(1%) et HHMH, ayant pour prépositions de liaison no, KK, WT,14.1/
C11 et mErro (237, 246, 245, 239, 240, 242, 244, 243, 241, 244" et 246). Le
pronom réfléchi se manifeste au datif et à l'instrumental cent et cosoro,
cette dernière forme avec une terminaison russe (237°, 238°, 239" et 240).
Le pronom démonstratif au thème en -o se manifeste par le masculin T11
au On., au dat. et à l'acc., ainsi qu'au loe.; de même le m. et le n. :
Tor(o), associé à mAE, ToromAe, TomS et l'1%, au nom., au gén. et au
dat. f. pl. : Td, TOM et TON. (239-242, 245°, 243°, 245 et 244'). Le pronom
masculin OH% et féminin OHLI du même thème que Fl- apparait tant dans
son sens initial de pronom démonstratif équivalant les roumains aeel,
aceea [(eelui, celle) (242°, 239, 240, 246 et 243), que clans son sens ul-
térieur de pronom personnel à la TIP personne (243° et 244). Le pronom
possessif au même thème en -jo se manifeste seulement à la III' personne
m., f. et n. : CKOH, CK0/1, aloe, dans différents cas (237° 246). Il y a aiussi
(240°) ainsi que KixTO au gén. m. Koro (239°).
le nom. pl. n. 11.1111E
Le pronom démonstratif Ch, CH, ce, au thème en -jo, se manifeste seu-
lement au loc, f. sing. CEH (243 et 245°). Le même thème comporte aussi
39 V. Léon Beaulieux, Grammaire de la langue bulgare (Collection des manuels publiés
par l'Institut d'études slaves, VI), Paris, 1933, p. 3.
49 V. plus loin le § Les influences roumames.
41 e résulte de l'influence du genre roumain, v. ci-après le § Les influences roumaines.
42 Heft est la conséquence de l'influence du genre roumain, v. ci-aprés le § Les influ-
ences roumaines.

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514 DAMIAN P. BOGDAN 1r,

KECh, KECtl, KEtel, attest& au m. pl. nom. rrhoi, au On. KrixeRtX(lx), au dat.
whcRtm(1,),à l'instr. KlICAMH, au f. sing. dans le cas nom. K`KCA, le dat. et le
A, le nom. n. pl. KlICA (239', 240, 242, 241°,
loc. KlkCEH, l'instr. g-hcfx,
245, 241°, 238°, 241, 240° et 243). 11 y a ensuite les pronoms KlOKAlt
Ht CALWK et tAKoKil aux cas suivants : nom. sing. n. Kril>KAo, f. taKOKA,
nom. pl. HHH, dat.MOO, 10e. HHATIO, l'instr. pl. m. FitKHLIAH et le nom.
sing. m. CAMis, (242°, 245, 238, 239, 244, 242, 245, 237°, 240 et 241).
Le num6ral AKA se déeline comme le duel du pion. démonstr.
nous aurons done un nom. m. AKA, un fem. AKt et un loc. polo (239°, 244
et 238'). Neuf exemples attestent la présence du duel 43, qui est remplace
une fois pourtant par le cas general pluriel 44. Remarquons ensuite le fait
que le duel est present dans le Letopiset tantôt accompagné du numéral AKA,
tantôt en son absence (mais il ne saurait are question du duel, comme de
juste, que lorsqu'il s'agit de deux personnes). Notons l'absence du numé-
ral en question dans la proposition suivante : H HOCTJKH Hl(h) FICAHA rip],
KMA6WilAA H fiHX-T7A (238°).
A la dklinaison pronominale se rattache aussi la flexion des adjec-
tifs articulés au superlatif, comme le nom. m. pl. HOMEHIHHH atteste dans le
Letopiset (244°).
La déclinaison mixte comporte, entre autres, les adj. au nom. sing.
Kt4HTH, KAETTH, 111NACKTH (AtACKTH), Il OAAAKCKTH et les gén. rthrwritro (1111,1W-

il s'ensuit
NAPO), ,KHKAr0, aRtACKOPO, MlipOTOLIHKarO, CHAHAFO, CALIKHAPO, Gp-hscicaro ;
que la préséance revient 6, la terminaison médio-bulgare -tiro par rapport
celle russe -oro. Ajoutons-y également le dat. lIAAcKoms, l'instr. iliAAcku-
m(h), les nom pl. ROPLITHH, KtpHHH Ot KfitHLI,N, les nom. sing. f. KtimAA, iltAcKAa,
illOAAAKCKad, 110A0ACKAil, l'instr. avec la terminaison serbo-croate
le loc. illommicTkir (qui est une vieille forme) et dionAahocor (qui est la
forme russe), les nom. sing. n. fidCdpil6CK0E, AHKHOE, KOAHOE, AM.KAKOE, CUATOE,
1-110ANOE et le nom. pl. n. lltIoAAAKc-rmi, qui est une vieille forme (246, 242°,
243, 238, 241, 244, 245, 240°, 244°, 239°, 242, 239, 237°, 237, 245° et 240).
Entre les numéraux articulés il y a les nom. sing. n. eAliaoro et EAHoro, npli-
RTH et LIETKPliTTH (240v, 246, 237° et 238). Les participes articulés soumis
a la flexion se manifestent entre autres par le participe passé passif au
n.om. sing. m. : HdpEll(E)HIAH, HAPE4(E)HH et HEpEll(E)1-101, HapHaamui et Haptiu,aemTH,
n. Hapviu,amoe et par le dat. Hapt1(e)moxt8 (240°, 243, 237°, 238, 243°, 238',
241, 239° et 245).

43 Du reste, le duel est présent non seulement dans toutes les sources nairatives rou-
mano-slaves, mais dans toute une série de charles de cetle origine. 11 nous faut done constater
que de ce point de vue l'opinion du Pr P. P. Panaitescu, qui affirme la disparition du duel
dans la langue médio-bulgare employée dans les pays rournains, ne répond pas h la réalit&
(v. P. P. Panaitescu, Illanuscriseslavo-romeine..., p. X).
4 4 V. GTE/ILAN ROEFIOAd OOKAHC4OH AO KO.WItCOH lEtfAHH COAAPH (2 13).

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17 .LETOPISETUL DE LA BISTRITA* 515

Il faut mentionner à propos de Pétude des verbes que la méthodo-


logie de la recherche scientifique a imposé à l'éminent slavisant alle-
mand August Leskin de les diviser en cinq classes, selon le thème de l'in-
dicatif présent, avec des sous-divisions suivant le thème de l'infinitif.
Cette classification a été adoptée par la plupart des spécialistes qui se sont
occupés de Pétude de la flexion des verbes du vieux slave. Dans la mor-
phologie de notre chronique l'on retrouve les premières quatre classes,
appelées aussi les classes des verbes thématiques (la plus fréquente étant
la rr classe), ainsi qu'une partie des verbes de la V classe, athématique ;
cette dernière se manifeste par l'auxiliaire hITU (661TH) et MTH, qui apparait
dans les verbes à préverbe également. Parmi les formes temporelles simples
notons la présence du présent, de l'aoriste et de l'imparfait. Vu le carac-
Ore narratif de la source étudiée, le présent de l'indicatif est attesté seu-
lement par les verbes rnaronaTii, rpACTli et paaoymtTa, ainsi que par l'auxi-
liaire RItITH ce dernier exprimé à la III' pers. sing. EC(Th) et e, à la ir
pers. pl. ECTE et la III' pers. pl. CMT(11) (239, 244°, 243, 239v, 243v, 246 et
245). Le plus fréquent est l'aoriste, attesté par plus de 250 cas. Particuliè-
rement intéressante s'avère l'apparition de l'aoriste sigmatique vieux
type (aoriste composé, I) on de l'aoriste en -s, comme le clésigne
A. Meillet 45, par exemple, présent dans ses formes monosyllabiques de la
II° et de la III' pers. sing., qui signifient une désinence supplémentaire
Tit, un rapport de fréquence du temps en question rapporté aux formes
sans -T-h du même aoriste, dans la plupart des textes vieux slaves, donné
par St. Kulbakin'6. C'est ainsi que nous avons dans notre chronique dix-huit
exemples de la IIIe pers. sing. : AT(h) (Mm), accompagnés des préverbes
suivants : Krh3MT(k), 1-10/7tT(h), ElptatT(h), flpRatTh, ainsi que SMptT(Ix) (242°,
238, 237v, 240 deux fois 244, 238", 239", 240, 240v, 243, 244°, 238,
212", 246 et 237" deux fois). L'aoriste sigmatique nouveau type (ao-
riste composé II) ou l'aoriste en -ohil et en *ehú47 apparait dans le Leto-
piset plus de 240 fois, les verbes les plus fréquents étant : EIVH, nmaTii
nplitiTti, ChTKOPITH, KBSpdTFITFI C, rOCHOACTIMIATH, 110/1{HrATH, 13113110111TH, FlAt-
HHTH, flOrhAtITH, H411/ATH, OCTAIIHTH, IIMEATH, FIACTAKHTH C, Cla6p4Tii
pd3SIITH parmi ceux athématiques, nous avons, en dehors de 61%1TH, le
verbe AtITH et les verbes à préverbe : KATH, 113661TH, flptghlTH et flPtAATH.
Les désinences sont seulement pour la Ille pers. sing. et pl., comme suit
R61010 (EliCT h), 661W/A MAE, naAowm, ---- ChTIKOpH, CliT11001WM, 111%.1-
11pATI1 rOCEIOACTROIld, rioN<Eromm, Irk3A10M, trhamoratim,
nocna, flOCAAWA, C.Rt (WM Ca), (HdLIALLIt1), OCTLIKH,

45 A. Meillet, op. cit., p. 200.


46 St. Kulbaktn, op. cit., p 329.
47 V. A. Meillet, op. cll., p. 205.

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516 DAMIAN 1' BOGDAN 18

nosEnt, Ri, nptiim (npimm), npmnAowa, nptcwitn ci5 spa CA, C116p4111Rt
pAagHWA, AAAE, tritaAdC(T`b), 1,136111011), nptswc(m) (nptsncm), nptAam (passim).
A propos de 6"h1TH qui apparalt une fois aussi sous la forme tun(r%)
(244v), et près de l'aoriste KJKK, EISJ ou svrrh, KIXOM1, larre et glilillia
nous avons également l'aoriste au thème -*bé, qui avait au commence-
ment le sens d'un imparfait : Et et stuff (239, 242v, 244, 245v -deux fois-,
et 243e, de même). En ce qui concerne l'imparfait dans les textes vieux
slaves, ainsi que le faisait remarquer entre autres A. Meillet 48, l'hiatus
des voyelles de eette forme temporelle simple mène à une contraction, qui
transforme par la suite AtAAff-h en Atnan,, nEctaX% en utctX1, par exemple.
Cette transformation se retrouve dans les formes de l'imparfait présentes
dans notre chronique, car elles apparaissent à la lIP pers. pl. : stwe,
nAtKA, mutKA et st)CA (EAXA) (244, 239, 240v et 245v). nais nous avons
également des formes avec ta : Kimtawe (245). Comme il appert de ce que
nous venons de dire, l'imparfait est bien rare dans le Letopiset. Les formes
composées du verbe y sont attestées par le passé composé, le plus-que-parfait
et le subjonctif présent. Le passé apparait une seule fois associé au par-
ticipe passé actif II du -verbe conjugué avec Pauxiliaire RlTi : -W14() e
nXen(%) (245°), car autrement il est sans 6k1TH, à la Ille pers. sing. : -noEcoe-
114A(10, cTd%k, 83/AA(ls) et EliA11.1 (238v, 237 et 243"), ces formes étant les
seules présentes. Par rapport done à l'aoriste, ce dernier prédomine de
beaucoup. Le plus-que-parfait est plus fréquent - nous en avons plus
de vingt exemples. Il se compose des formes aoristique sisal% et st/C1, (le
second très rare) du verbe 661T1-1, et du participe passé passif du verbe
conjugué, comme il se manifeste, par exemple, dans les manuscrits russes
(c'est-à-dire : Paoriste±le participe passé passif). Cette forme du plus-q ue-
parfait apparalt à la pers. sing. et pl.,m. et f. : npliKemm(1) skic(m), norm-
seN (is) E hic(m), noimicen(b.) EkIC(Ti%), 8CiatiEH(1N) EitiC(M), Et we (i.ei le pluriel
stinf est influencé par l'auxiliaire roumain au) 49 1151HKEAti-IA, nosnenn KEIWA,
HOCAVIEHH sknibit, Snmpenn EHWA (242, 237v, 239, 245v, 238, 239v et 240v). Le
plus-que-parfait conaposé du participe passé passif et de l'aoriste sOC-t% se
manif este également dans les chroniques serbes, où nous avons compté plus
d'une centaine de cas (nptCTAMENK. EKICTk, UPHAM!, 66ICTII, Et 01^KflAWEEth, CI'KTENFI
swine) 5°, d'où il est passé dans la morphologie du Letopiset.

49 Ibtdem, p. 219.
49 V. ci-après, le § Les influences rotzmames.
5° V. l'édition de I.jub. Stojanovie, Star srpski rodoslovi i letopisi (0 Zborruk za isto-
riju, jenk i knI2evnost srpskog naroda », prvo odel'n'e, kn'iga XVI), Beograd - Sr. K.ar-
love', 1927, P. 112, n° 186; pp. 125, 131, 133, 141, n° 336; pp. 141, 148, 177, n° 429;
p. 192, no 497; p. 193. no 499; p. 198, n° 598; p. 201, n" 545, 546, 549, 550 et 551 ; p. 202,
no 556; p. 203, n°8 562, 563 et 565 ; p. 204. n°s 568 et 571 ; p. 206, n°s 576 g et e; p. 208,
n" 581 i et 582 e; p.210, n°9 583 v et 584 a: p. 211, no 583 v ; p. 212, n°8 583 g et d;
pp. 213, 214, n°8 584 et 590 d; p. 218, n°s 594 g et d; p. 224, n°8 620 a et 625 a ; p. 227,
nos 638 k, 639 v et g; p. 228, n°s 639 d, et z, 640; p.229, n° 643 a; p. 231, n° 659 v ;

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19 LETOPISETIIL DE LA BISTRITA 517

Extrémement rare s'avère ce temps formé du participe passé actif II


du verbe conjugué et de l'aoriste sous la forme shi/C-h - qui est carac-
téristique pour le vieux slave. Par exemple 61Awe npLan(%) (245") - l'au
pour l'a étant une influence de la langue roumaine 51.
Le futur composé I est lui aussi très rare. La forme EAmT(%) nomt-
HMTH CiA (242) en constitue l'exemple et elle se révèle formée comme dans
le vieux lave du futur simple de Pauxiliaire +Pinfinitif du verbe conjugué.
Le subjonctif présent se compose, toujours comme dans le vieux
slave, de la particule Aa et de l'indicatif présent du verbe conjugué.
est attesté trois fois à la Me pers. sing. m. : Att >1(1-1KfT(ll), Act AP113SHT(ls.),
Ati c ChMH01-1T(1%) (241 et 246).
Parmi les autres modes, le plus fréquent s'avère le participe passé
passif, qui se manifeste soit isolé : nom. sing. f. KrIs3M0341L1 et H36PAI-11-1t1, ainsi
qu'au nom. pl. m. nocpaamemi (245", 238" et 239), soit comme composant
du plus-que-parfait dont nous parlions ci-dessus.
L'infinitif se manifeste dans les formes suivantes : snaroAapHTH, sAaro-
CAOKHTH, RAFOCTH, POCHOACTKOKATH, 31-1AAT1-1, HCOOKEMTH, watcH 1'H, ChKINITH CAN

SEFITH CIA, KKAAHTH (238v, 242v, 245, 240, 242, 241v, 244, 243v et 244v). Quant
aux participes, nous en avons déjà parlé.

MOTS ET PARTICULES INVARIABLES

La langue du Letopisstul de la Bistrita comporte aussi, comme de


juste, des mots et des particules qui ne subissent pas la loi de la flexion ;
il s'agit des adverbes et des prépositions, des conjonctions et des parti-
cules invariables.
Bon nombre d'adverbes sont à l'origine des substantifs, pronoms,
adjectifs ou participes. Par exemple, l'adverbe marquant le temps TOPAA
est issu de TO roAa = en ce moment, roAa, étant le On. sing. m. du sub-
stantif roA% 52. C'est l'adverbe le plus fréquent de notre chronique,
il est attesté presque trente fois (237v, 239, 239", 240, 240v, 241, 242,
243, 243v, 244, 244" et 245). L'adverbe TV, qui indique le lieu, est lui aussi
fréquent (238v, 239v, 240, 241, 242 et 245) et il y a à sa base le méme
thème que dans le pronom T'1%, Td, TO. L'addition des suffixes particuliers
p. 235, n° 679 y; p. 236, no 686 b; p. 239. n° 705 a: p. 242. n° 725; P. 244, no 734 a;
p. 250, n° 768 a ; p. 254, n08 788 a et 794: p. 259, n° 852: p. 271, n° 983 el p. 272, n° 997
La mdme formation apparail également dans la morphologie du parler iusse medieval (cf., par
exemple, 1191144irk khicTis clans un manuscrit des XIIe -
XIIIe siècles, chez L. P. Jukoy-
skaja, Novye dannye ob onginalah russkoj rukopisi 1092 goda, dans Istoi'mkovedenije i isla-
rija russkogo jazyka (Akadenuja nauk SSSR, Institut russkogo jazyka), Moscou, 1964, p.103.
Cependant, il ne s'agit pas d'une particularité de la langue russe, car les grammaires classiques
de la langue russe médiéyale ne l'ont pas enregistrée.
51 V. ci-après le § Les influences roumaines.
52 V. A. Meillet, op. cd., p. 377.

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MS DAMIÁN P BOGDAN 20

-de, -da et -amo au thème pronominal donna les adverbes suivants, mar-
quant le temps et le lieu, et présents dans le Letopiset HHAE (239), qui
appartient au plus vieux type d'adverbes avec le thème en -de cf. au lat.
inde, erAa (242), et TAMO (238, 243°, 244°, 245 et 246), assez fréquent.
Les racines pronominales -1i, -le donnent les adverbes de temps : KOMI (243°),
TOmi (237°) et Tont (242° et 243°) - les deux derniers étant précédés par
la préposition M. Le thème 1:) .onominal -xAoy a donné l'adverbe de lieu
Tx.A8, qui apparait associé à la préposition WT1s (242, 244°, 245 et 245°)
assez fréquemment. Le nom. et l'acc. n. des adjectifs a donné : stno,
103H0, AMPHO, M0I1110, PdHO) PORNO, KAKO, TAKO - avec la variante TazoacAl -
et TisKM0 (245°, 243, 238°, 244°, 239, 240, 241°, 243, 243", 244-246 et
239°). Les adverbes HAKW (HLIKH) et Hato (238, 239°, 240, 243, 245 et
240) proviennent eux aussi d'un thème adjectival.
Les prépositions - mots auxiliaires - dont les unes sont des adver-
bes à l'origine, sont très fréquentes dans la langue de notre chronique,
par suite de leur rôle d'aider a, la manifestation des rapports syntactiques
des éléments composants d'une proposition. Elles s'accordent avec un,
deux ou plusieurs cas. Par exemple : se31i, KK WTK, S et - dérivée
du vieux slave K-hnnt (russe Hoax& et Koann) - s'accordent avec le génitif
ou le datif : sen(-1,) gliCAd (242), Kris nemS et Kris HHM(is) (245 et 243), WT fi(o)ra
(245), WT BHCTpHU,H (213), WT IllapamSpknua (237), WT alanrona (239° et 241"),
WT POM4HOKA Tp-hra (242°, passim); c'est une préposition des plus fréquen-
tes puisqu'elle apparait une cinquantaine de fois -8 wT(rh)u,a citogr4 (242),
S RO3MHHA CEAA (244°) et SBAH nptAtAa MEP° (243). Celle-ci s'accorcle avec
deux cas : S < His, Ao et o; Ell et S < apparaissent à Pace. et au
loc. : KTN A(K)1 is (244°), His ntTo (237-240, 242, 245 et 246), K'h px,K4X-(1,)
(240°), His TOPO A(k).-ie (245), s fitnorpaAt (237). Cette derniè,re est égale-
ment l'une des prépositions fréquentes puisqu'elle apparait près de 150
fois. La préposition Ao subit l'accord du On. et du loc. : Ao Kit-KOH (238°
et 239°) et Ao G8qaet (243°), et la préposition o, avec l'acc. et le loc. : W
P43EHEHHE KPAAEKO et W flpHWECTKTH KOHCLI,t (245). La préposition H4 est la
seule à s'accorder au gén., acc. et loc. : H4 PdASAA KOEKOAH (239°), HA KflAH
SEMAH illOWKCKOH (243) et HA XepognaatX"(-h) (238°). Les prépositions : 311
meatAS, no et c-h, bien que s'accordant avec trois cas, n'apparaissent dans
le Letopiset que dans un seul cas. C'est ainsi que aa, E;KAS - provenant
de l'adv. ME)KAS qui est à l'origine le loc, duel du subst. f. me3cAa (cf. le
latin medius) memo < nte>KAS et rh s'accordent avec l'instr. : 3a Tt3pont(h)
HA AOK(ls) (237), mexcAS c(hi)noma flilEaAHAPA KOEKOAH (237°), 1ECIO HHMH (246)
et Cis filsrhj3460M(6), Cis KEAHKOM 110EtA0115, Cris HHAAH, C'h Muorkum(h) vymonegem(k)
(239°, 245°, 243° et 246). Ces prépositions sont elles aussi assez fréquentes :
on les signale plus de 40 fois. Quant à la préposition no, celle-ci s'associe
avec le dat. : no AorroanTro, no crhmp-hrrn (242, 245 et 237°), etc. Les pré-

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21 LETOPISETUL DE LA BISTRITA 519

positions no,e,11, 1190THK"h, nfrkAil et npt3is, bien que s'accordant en deux


cas, n'apparaissent dans notre chronique qu'en association avec un seul
cas : noA-h et npt, avec l'acc. ; nporm%, avec le gén., et nptA-K, avec
l'instr. : MA% HAAHHHH (245°) ; flpiA3(1.) 6S<KO>101118 KO3MHHOKA (244), °porn(%)
AVCca(%) (243v) et riptA(i) rocnoAoAA(%) (242) ou FlpRtA(1%) C'hillECTIfffMk (238).
Les conjonctions qui sont, comme les prépositions, des mots auxiliaires
dont le rôle est de lier deux mots ou deux propositions avec la même
fonction syntactique, s'avèrent également fréquentes dans le Letopiset.
C'est ainsi que parmi les conjonctions copulatives le plus fréquemment
rencontrées il y a H et a (237, passim); la conjonction TA (245) est plus
rare. La conjonction adversative FIX eift attest& plusieurs fois (239, 240,
240° et 244). Les conjonctions explicatives sont attestées par so et Holum
(239, 240, 242, 245 et 246). L'on note aussi la présence de la conjonction
temporelle KI,Herm (239", 241° et 245" ici sous la forme Frialorm).
Entre les particules invariables, il y a Hte, He, HH, AA et CI. La première
est une particule non accentuée qui apparaît avec une grande fréquence ;
employ& en tant que mot auxiliaire, elle apparait après un mot jouant
un rôle indépendant, pour le souligner ou pour lui conférer cette nuance
d'indépendance. La particule mt, associée à H a créé le pronom relatif
IHME, mace et vice, dont nous venons de parler. Parfois, associée aux parti-
cules He et nli, elle donne HENCIAH (2401, formant ainsi le deuxième article
eomparatif. La particule He, simple négation très faible, est maintes fois
présente dans notre chronique (239, 241, 242, 243°, 244 et 245"). A cause
de sa faiblesse, on lui a ajouté la particule 11, identique à la conjonction
ce qui donna HH, une négation absolue que l'on signale dans le Letopiset
(239, 242 et 245), mais bien moins fréquemment que HE. L'acc. sing.
CA, où ensuite le at devient e, du pron. réfléchi cese, constitue, associé
un verbe, sa forme réflexive, transformée en particule. Nous avons aussi
AA, la particule qui entre dans la composition du subjonctif présent, dont
nous nous sommes déjà occupé.

LES INFLUENCES ROUMAINES

Des influences roumaines en bon nombre se sont glissées, comme


fallait s'y attendre, dans la langue du Letopisetul de la Bistrita, de même
que dans les Mares conseils du prince Neagoe Basarab à son fils Inv&
tAturile lui Neagoe Basarab dont nous nous sommes occupé en prépa-
rant une édition critique pour le Tr Congrès international d'études bal-
kaniques et sud-est européennes. C'est ainsi que la consonne fricative
sourde h employée à la place de la labio-dentale f présente dans le vieux
roumain apparait dans Panthroponyme Bihtea (filiXTt) (238°) < Buftea.
c. 5587
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g
520 DAMIAN P BOGDAN 22

L'u vélaire roumain au lieu de l'o vélaire slave apparait dans l'adj.
m. slave Gsgaudii (238, 240, 242 et 243°), résultat du méme son que
celui présent dans le subst. roum. f. Sueeava, au lieu du slave GO41gti.
Un élément typique pour l'esprit créateur roumain est l'attribu-
tion d'ime valeur phonétique, à savoir celle de roumain, à Pjer cyrilli-
que (i) accentué. Le phénoméne est attesté dans les toponymes fipl1AAA(1%),
AIIMEOKH1104 et 4%mgoglill,OR(11) iciIsiN est né du. x et Xfnnos(is) (238, 239",
240, 245 et 245"), ainsi que dans l'anthroponyme Kn-hqa (242').
A remarquer également certaines transpositions des genres. L'on
rencontre, en effet, maint mot slave prenant le genre qu'il a en romnain.
Par exemple : GT*Filt KOEK04,4 rflaA(%) H 111%HHAE h HiA (240) com-
porte l'acc. f. du pron. raí, exprimé par HA, qui est précédé par la prép.
in en association avec le substantif eetate cité), qui est du genre fémi-
nin en roumain, alors que le même mot en slavon, rpaA-k, est du genre
masculin. Le méme phénomène se retrouve dans KilaRtWE e (242°) qui
donne en roum. : « mat-o » (= et l'a prise), oh. E est le pron. f. lame
l'acc. sing., e résultant d'abord de Pidentité médio-bulgare des et m,
et ensuite de Pidentité du Ri avec Pe. L'acc. f. sing. wcTpnio avec la ter-
minaison russe, associé au. subst. tui (240"), résulte de ce que ce
substantif masculin en vieux slave est du genre féminin en roumain :
spadg, sabie » épée). Le nom, pl. m. CH FISWKH KEAHKHH (244") résulte
de ce qu.'en roum. « tun » (= canon) n.'est pas du genre féminin comme
en slavon. Le nom, f. sing. /1%CA associé à cKpogifipe (240) est la cons&
quence du gén. f. roum. « hazna, vistierie » (= trésorerie) par rapport
au gén. n. slavon. Un dernier exemple est fourni par le nom. f. sing.
C4(k) BEATA (244"), en roumain « mare tgiere » (= grande tuerie).
Il y a aussi une transposition du degré de comparaison roumain dans
no KHWE (245) : « mai [mai] sus » (=-- plus haut).
Le pronom roumain « care », qui dans cette langue est commun aux
trois genres, se retrouve transposé en slavon : H7KE et eme au lieu de tam et
NM pour semnia, pau, mtciau,k (244, 245", 237v, 238" et 242").
La III' pers. sing. de Pauxiliaire apparait parfois sous la forme au,
comme dans les vieux textes roumains. Par exemple : Entnerm ctAtwe
u,(A)pk HA WER0,() (239°) : « pe cind au sezut impgratul la mas g » (= alors
que Pempereur s'est assis pour déjeuner) ; goegom... AlIKAWE HOMOW(h) (242)
« Vlad voivod au dat ajutor » le voivode Vlad a prété secours) ; H poAT
i s-a n5,scut fiu
cia EMS C(i&I)Hh...14 HM1110111111111 ero Poman(k) (2371 :
nurait Roman. » (= et un fils lui est né et il l'a appel4 Roman) ; khmso-
ww,es(%) rpaA(1) smwe npTian(-b) (2451 : « au fost luatg cetatea Dimbovita
(= la cité Dambovitza a été prise) ; ram stwe noweAen4 (2451 : «care au
lost adusg » qui a été amenée). Nous avons aussi un exemple de
Pemploi _de l'a à la place de au : s-hcn cTtrose s-hs,vvr(n) ukic(-ra) (2391 :
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23 LETOPISETUL DE LA BISTRITA 521

« toate steagurile a fost luate » (= tous les drapeaux ont été pris). D'où il
résulte en ce qui concerne la syntaxe de notre chronique qu.'il s'agit
parfois d'un désaccord entre les parties composantes de la proposition,
mais ce désaccord est provoqué aussi par l'emploi du cas général.
Le lexique comporte la forme du nom. pl. roum. : « viteji » (= braves)
KHTROKH (239°, 241, 241°, 242 et 245), car le m s'identifie à Pe, corame
nous l'avons déjà vu dans la partie consacrée ci-dessus à la phonétique.
Peut-être l'a final dur de KOHCKIM exprimé dans MAYA KOHCKM (241)
représente-t-il l'articulation roumaine de « oastea cea mare» (=la grande
armée). Les anthroponymes comportent les formes roumaines : Alexcin-
drel (238), Iliias (238) et Tapalu (240° et 241°). De même les toponymes,
où il y a des formes entièrement roumaines, comme Botusani (238), Pipe-
restii (238) et Ratedzatii (246). Une prononciation roumaine pourrait
être exprimée par Doljesti (238) ; ilIOXHAH (237°) et X.IAHLIH (243°).
L'ordre des mots propre ä la phrase roumaine est également attesté
par les exemples suivants : H WCTIIKH P4A.V11(k) 110EROAA KitClit C110.31 (239°)
«0-a läsat Radul voivod toate ale sale » (= et le volvode Radu a
abandonné tous ses biens) ; WT wpxoNTH illomaKciaiX(%) (244V): « din partea
o§tilor moldovenesti » (= du côté des armées moldaves) ; WT KanSrfp4 (246)
« din partea Cälugärului » (= du côté du Moine) ; H HAE Krit CA/MN HHHX(%)
« si a mers pe urma altor domni munteni »
rocnompiX(1) 1/181-miztucKHX(%) :
(= et il a marché dans les traces d'autres princes valaques) ; KAAET(1t)
110A1tHMTH Ciit Toms passoto (242) : « se va pomeni aeel raboi »; mAiet Grezisati(h)
KOEKOAA MKO wEn-kraii(%) stic(Th) wr IIRtym('h) (243°) : « a vä zat Stefan voivod
ca a fost inselat de Lesi » (= le volvode Etienne a compris que les Polonais
Pont trompé) ; nptum ptKa Hp8roga et riptiim ROTA ptKA (244° et 245) : o a
trecut apa Prutulni » (= il a traverse le cours du Prut) ; rpm(%) MATH (241):
« cetatea Chiliei » (= la cité de Chilia).

CONCLUSION

Quelques points se dégagent de notre exposé.


La langue du Letopisetul de la Bistrita est l'expression d'un phéno-
mène assez complexe. Il y a dans sa composition des échos du vieux slave,
du médio-bulgare, du russe, de l'ukrainien, du serbo-croate, auxquels se
mêlent les influences inévitables de la langue maternelle de son auteur
le roumain.
L'influence slave s'est fait sentir par deux voies : a) par les textes
vieux slaves écrits par des Roumains et b) par les textes médio-bulgares.
Elle se manifeste dans : 1. La transformation deslnasales m et la en voyelles
pures. 2. L'emploi correct des M et Rt - 30 cas. pour le .y. et 67:cas po-ar le
Rt. 3. L'emploi dans 43 cas du m au lieu de Pe% 4. Le t A, la place du Rt.

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522 DAMIAN P. BOGDAN 24

5. L'jer accentué dans 75 cas. 6. L'jer final, non accentué, dans 67 cas.
7. Le final non accentué present dans 11 cas. 8. L'jer accentué est rem-
place par Pjerl, non accentué dans 32 cas. 9. L'jer final non accentué est
remplacé par Pjeri non accentué dans 30 cas. 10. La disparition de Pjer
non accentué est attestee dans 26 cas. 11. Il y a aussi d'innombrables
exemples pour l'usage correct de 1'6. 12. au lieu d'é apparait dans 10
cas. 13. L'usage correct de ii dans 59 cas. 14. L'usage des syllabes liqui-
des I et I. 15. Exemples de palatalisation des consonnes r et I. 16. Palatal i-
sation de :9" dans 14 cas. 17. Quelques exemples de la palatalisation du ô et
du 0.18. Exemples de la palatalisation du dzealo. 19. Plusieurs exemples
de l'usage des groupes 9"t et ` ci. 20. Le duel, dans neuf exemples avec le
numeral Asa, et quelques exemples sans ce numeral. 21. La fréquence des
cas ordinaires par rapport au cas général médio-bulgare est rendue par 400
exemples, dont plus d'une centaine indépendamment des prepositions et
plus de 300 associés aux prepositions susmentionnées. 22. La majorité
des paradigmes des déclinaisons : nominale, pronominale et mixte. 23.
Influence exercée par le thème m. en -A sur le thème du mème genre en
-o, ainsi que Pinfluence du thème en -11 sur le thème m. en -jo. 24.
Presence des exemples appartenant aux cinq classes des verbes, dont le
plus frequent est 6K1T1-1. 25. Le plus frequent des temps employes
(250 cas) est l'aoriste sigmatique nouveau type. 26. Presence dans 18 cas
de l'aoriste sigmatique vieux type, 6, la lilt pers. sing. 27. L'aoriste du
verbe EJTH apparait tantôt sous la forme sialt, tantôt avec le thème
*W. 28. L'imparfait est très rare. 29. Le parfait apparait une seule
foi accompagne de l'auxiliaire. 30. Le plus-que-parfait, tel qu'il est da,ns
le vieux slave, apparait une seule fois. 31. Presence du participe present
et du participe passé actifs, non articulés. 32. Presence du participe passe
passif soit dans sa forme articulee, soit non articule. 33. Emploi de l'in-
finitif et du subjonctif present. 34. Parmi les mots invariables, les plus
frequents sont : les adverbes, les prepositions, les conjonctions et les
particules.
L'influence du médio-bulgare se manifeste dans les traits suivants
1) L'identification du x au bulgare = le roum. et, et du A avec e. 2)
Alternances correctes et incorrectes des A et Rt. 3) Le parallélisme : :
A, et t a. 4) Labialisation et dureissement des 2r. et Rt. 5) L'alter-
nance - 'ti. ; i- ; -e et At - t. 6) Predominance dans 80 cas de la fre-
quence H par rapport A, Et,. 7) Durcissement de la voyelle a par le rempla-
cement dans 20 cas du m. 8) Durcissement des §, 6 et s; 9) Presence dans
plus de 70 cas du casus generalis. 10) Presence de l'instr. f. sing. HOHCK0A.
11) Presence de la II' peri. sing. et III` pers. pl. e et respectivement
ECTIà l'indicatif present du verbe MUTH.

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25 LETOPISETDE DE LA BISTRITA 523

L'influence du russe médiéval se manifeste dans : 1) Les y et to rem-


plaçant le x. dans certains éléments de la flexion nominale. 2) Le m rem-
placé par le M. 3) La vocalisation de l' jer et de Pjeri accentués. 4) ep,
-op et -on dans les liquides r et 1. 5) Terminaison en -u à l'acc. sing. des
paradigmes du thème f. en -a. 6) Terminaison en -ju de l'instr. sing. des
thèmes f. en -ja et -I. 7) L'instr. cosoro.
L'influence ukrainienne se manifeste dans : 1) L'usage de l'i au lieu
de l'e. 2) U au lieu de y. 3) U fricatif ukrainfen.
L'influence serbe s'exerce dans la présence de l'w comme terminaison
de l'instr. sing. du paradigme f. en -ja : 3MAlitV, ainsi que dans l'usage
de la préposition memo < mextAti.
Notons aussi les particularités suivantes, inconnues dans les langues
slaves : 1) L'analogie qui se manifeste par l'influence de la flexion nomi-
nale du thème m. en -o sur la déclinaison du thème m. en -a. 2) La for-
mation du plus-que-parfait de l'infinitif du verbe conjugué et de l'aoriste
shai.. Un autre élément assez peu connu dans les langues slaves est la
composition du plus-que-parfait du participe passé du verbe conjugué
et de Paoriste skinl.
Il y a enfin l'influence roumaine qui se manifeste dans les cas sui-
vants : 1) L'h fricatif sourd remplaçant la consonne labio-dentale f. 2) L'u
vélaire roumain remplaçant l'o vélaire slave. 3) Attribution de la valeur
phonétique de la voyelle médiale roumaine iàl'j er cyrillique (9..) accentué.
4) La transposition en slavon du genre propre aux mots roumains. 5) La
traduction telle quelle du degré du comparatif roumain. 6) La transpo-
sition dans le slavon de l'absence du genre chez le pronom roum. care. 7)
La transposition dans le slavon de l'auxiliaire roumain au, au lieu d'a.
8) L'emploi de la forme roumaine viteji. 9) La transposition de l'articulation
roumaine oastea dans le slavon. 10) L'usage des anthroponymes et des
toponymes roumains ou du moins avec un suffixe roumain. 11) Exemples
de toponymes roumains.
De toutes ces influences se détache nettement l'opinion que nous
avons déjà exprimée en 1938, dans notre thèse de doctorat concernant la
Diplomatique slavo-roumaine des XIV e et XV e siècles relative A, la formu-
lation des chrysobulles slavo-valaques, qui sont dans leur totalité et dans leur
harmonie un produit appartenant en propre et l'esprit roumain de l'époque.
Les éléments slaves sont importés du milieu byzantin, par le truchement
du sud-slave ou du milieu occidental, par l'entremise du serbe ou du hun-
garo-latin, mais modelés ensuite selon les besoins des chancelleries slavo-rou-
maines. Cet état de choses est le méme pour le Letopisetul de la Bistrita.
Là, comme dans les autres textes du même caractère et dans les chartes
roumano-slaves, la langue se compose d'éléments appartenant au vieux
slave, au médio-bulgare, ainsi qu'à d'autres langues slaves, mais le tout
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524 DAMIAN P. BOGDAN 26

mélé d'influences roumaines. L'esprit créateur du peuple roumain s'est


exercé à in.venter un langage propre, adapté aux exigences culturelles rou-
maines. L'éminent érudit Jagié a eu done une parfaite intuition du ph&
nomène A, la fin du siècle dernier quand il désignait la langue sla-
y onne des vieux textes roumains dans les termes suivants : « type moldo-
valaque du slavon ecclésiastique » 53. Le signe manifeste de cette inventi-
vité est la création du plus-que-parfait, dans la forme : infinitif + aoriste
shirk, ou du participe passé passif + aoriste sh0C-h, formes verbales que
la langue roumaine est seule à employer. Et pour finir, il convient
d'écarter l'affirmation du savant I. Bogdan, qui croyait, en 1895, comme
nous l'avons vu, que la langue de rédaction du Letopisetvl de la Bistrita
était le médio-bulgare.

5 3 Acad. I. V. Jagid, Razyskanija ju2no-slavjanskoj i russkoj staring o cerkovno-slav-


janskom jazyke, in o Issledovanija Po russkomu jazyku s, I, St.-Pétersbourg, 1885-1895,
p. 582.

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Notes breves

Sur la date de la lettre de Neacsu de Cimpulung (1521). Le premier monument écrit


de la langue roumaine qui puisse etre date avec une certaine precision à savoir la lettre
du marchand Neacsu Lupu de Cimpulung-Muscell adressée au maire de Brasov, Hans Benk-
ner a eu un sort moins privilégie que les textes contemporains du Maramures, qui ont
fait l'objet de minutieuses analyses historiques et linguistiques. La raison en est surtout la
brièveté du texte, bien que le Serment de Strasbourg (842) ou la Charte de Capone (960),
ayant approximativement les memes dimensions sont connus par bien des editions commentées.
De même, on n'a pas mis totalement en valeur les caractères diplomatiques internes
et externes de cette lettre : jusqu'A aujourd'hui, les historiens et les linguistes ont adopté
la date de 1521, établie par Nicolas Iorga depuis 1900 22 sans essayer de reprendre la ques-
tion en detail 3. L'analyse des événements dont elle fait mention la campagne de Soliman
le Magnifique contre Belgrade en 1521 nous permet de préciser le mois et presque le jour
de ce document, elements chronologiques qui manquent au texte. Et il n'est pas superflu
de souligner que ce premier témoignage écrit de la langue roumaine atteste la presence ac-
tive des Roumains dans revolution et les remous du Sud-Est européen4.

Neacsu était un marchand bien connu de répoque. Il entrelenait d'actives relations


de commerce avec Brasov. Son nom figure du temps du prince Vlad le Jeune (1510-1512)
dans des procès pour dettes avec des gens de cette ville (I. Bogdan, Documente si regeste privi-
loare la relafule Romdnesti cu Brasovul sz Ungaria In secolul XV si XVI [Documents et
regestes concernant les relations de la Valachie avec Brasov et la Hongrie aux XV e XVI'
siècles], Bucarest, 1902, n° CXLV, pp. 142-3). D'autres procès pour dettes en 1520-1532
(Idem, ibidem, n° CLXXXVIII, pp. 182-3) et jusqu'A 1545. Les registres de Brasov nous
fournissent le detail qu'il faisait surtout du commerce de poisson, mais qu'il apportait aussi
des marchandises turques (voir N. Iorga, Brasovul si romanzi [Brasov et les Roumains], Bu-
carest, 1905, p. 282, qui cite Quellen zur Gescluchte der Stadt Kronstadt, I, pp. 7, 9, 15, 21,
24, 58-59). Pour le commerce de Clnapulung avec Brasov, des chiffres significatifs chez Radu
Manolescu, Comer/al rdrii Romdnesti si Moldovei cu Brasovul (sec. XIVXVI) [Le commerce
de la Valachie et de la Moldavie avec Brasov (XIVe XVIe siècle)], Bucarest, 1965, passim.
2 Hurmuzaki-Iorga, vol. XI, p. 843, n. 1.
3 P. P. Panaitescu, inceputurzie si biruinfa scrisului in limbo romdrid [Les débuts et le
triomphe de récriture en langue roumaine], Bucarest, 1965, p. 117, avance sans preuves la
dale de février 1521.
4 N. Iorga, gut a decouvert la letire dins les archives de la ville de Brasov, est aussi
le premier historien qui a assure la circulation européenne de cette lettre, dans sa Geschichte des
Osmanzschen Reiches, II, Gotha, 1909, p 387; parlant du prince StefAniti de Moldavie, il dit
Sein walachischer Nachbar lag im Sterben ; einer seiner Bojaren ( ?) schrieb nach Kron-
stadt es ist dies der erste bekannte Brief in rumanischer Sprache dal3 der Sultan bis Sofia
gedrungen sei, diese Stadt schon verlassen habe, eine Flotte auf der Donau liege, ein Konstan-
tinopolitanischer Meister a sich anheischig mache, sie auch durch die Felsen des Eisernen Tores
bei Severin zu bringen, und Mehmed-beg, vor dem der kranke Basarab zittre, durch die Wa-
lachei in Siebenblirgen eindringen wolle s.

REV. tTUDES SUD-ES r EUROP., VI, 3, p. 525-530, BUCAREST, 1968

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526 NOTES BREVES 2

La phrase par laquelle commence le texte proprement dit de la lettre, aprés la salu-
tatio en slavon, constitue un element précieux pour sa datation : o Item5 je vous fais part
des menées des Turcs car j'ai oul dire que l'Empereur est sorti de Sofia, et il n'en est pas
autrement, et il est parti en amont du Danube 0. 6 On sait que c'est le 22 juin que le
sultan Soliman, après une halte de six jours A Sofia, se mit en marche vers le Nord. Cette
date nous est parvenue d'une manière tres precise grace au o Tagebuch » de la campagne,
traduit par Hammer 7.
Les trois informations suivantes de la lettre renferment des details concernant la
navigation de la flotte ottomane sur le Danube et la facon de surmonter les difficultés du
passage dans la zone des Portes de Fer 8.
La cinquième et la sixième information, d'un grand intérét pour l'histoire roumaine,
constituent en meme temps le principal element perrnettant de dater la lettre : o Item j'an-
nonce A Votre Seigneurie l'affaire de Mahomed bey, car j'ai oui dire A boyards qui sont voi-
sins et A mon gendre Negre, que l'empereur a permis à Mahomed bey de passer A son
gré par la Valachie. Item que Votre Seigneurie sache que Basarab a grand peur de ce bri-
gand de Mohamed bey, et surtout de Vos Seigneuries. » Ces deux informations, tout en se
complétant mutuellement, peuvent 'are datées de la manière suivante : la première, annon-
cant l'intention de Mahomed bey d'envahir la Transylvanie en passant par la Valachie, est
ulterieure au 27 juin 1521, quand l'armée d'Ahmed paella, le beylerbey de Roumélie, envoyée
vers SabaZ,', fut divisée en deux corps d'armée, dont un était celui commandé par Mahomed
bey9, apparenté aux boyards Craiovescu 19. Le terminus post quern de la lettre de Neacsu
est donc le 27 juin 1521 11. C'est précisément cet événement qui a poussé Neacsu A écrire
en hate aux gens de Brasov, qui adient les premiers vises par cette nouvelle. La deuxième
information, concernant la peur du prince de Valachie Neagoe Basarab envers les gens
de Brasov et les Turcs, denote par consequent que ces derniers n'étaient pas encore parvenus
pénétrer en Valachie. Neacsu connaissait depuis peu de temps cette nouvelle dont il
se hatait de faire part aux gens de Brasov. C'est en nous fondant sur ce detail que nous
essayerons de dater plus précisément la lettre de Neacsu.
Le 28 juin on ne savait rien à Buda du plan de Mahomed bey. Les nouvelles qui
arrivent A Venise le jour méme, enregistrées par Marino Sanuto, mentionnent seulement le
mouvement des troupes turques vers Timisoara et Belgrade 12. La situation n'est plus la

5 En original, en slavon H nag, que j'ai ti a dint par l'archaisme item.


6 Nous avons utilise le fac-siinilé paru dans I. Bianu et N. Cartojan, Album de paleo-
graft, romeineaseet (scriere chinned) [Album de paleographic roumaine (l'écriture cyrillique], 3e
edition, Bucarest, 1940, pl. XXIII; les meilleures editions du texte, Hurmuzaki-lorga, XI, p.
843; C. C. Giurescu, Istoria Romdrulor [Histoire des Roumains], II-2, Bucarest, 1937, pp.
602 603.
7 Hammer, Geschichte des Osmanischen Retches, III, Pesta, 1828, p. 622.
E s'agit du secteur des cataractes du Danube, qui disparalli a bientát englouti par
les eaux du lac de l'hydrocentrale des Portes de Fer. II arrive que Feat atteigne une vitesse de
16 A 18 m/sec. dans les canaux Slenka, Cozla-Doica, Elisova, Islaz-Tachtalia, Svinita,
Gervin, Sip et Portile Mici.
9 Hammer, op. cit., III, pp. 12, 622; le 27 juin.
1° St. 5tefanescu, Bù'nza In Tara Romdneasccl [La o bânia o en Valachie], Bucarest,
1965, p. 96; voir aussi d'autres parentés turques des Craiovescu, comme Ibrahim pasa et Mus-
tafa pasa, d'aprés A. Veress, Acta et eptstolae, I, Budapest, 1914, p. 137.
11 Le 27 juin 1521 est done le terminus post quern de la date de cette lettre, et non pas
le 22, comme essaye de le montrer I. AI [atei] dans la presentation du livre mentionné de P. P.
Panaitescu, dans Cdlduza bibliotecarului [Le guide du bibliothécaire], 11/1965, p. 696.
12 Marino Sanuto, I Diarit, XXXI, Venezia, 1891, c. 71 : o Da poi, si ha auto aviso
da li Valachi di la Transilvania et Moldavia, birch' esser intrati zA in quelli confini di Temesvar
et Nanderalba, zoé Belgrado ; per il che, essendo venuti noncii de ditti Valachi di tal occo-

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3 NOTES BREVES 527

même la 29 juin, quand la nouvelle du plan de Mahomed bey arrivant A Buda pousse le roi
Louis II de Hongrie, sérieusement menace par ce mouvement de flanc, à adresser des mes-
sages désespérés à Venise 13 et au pape Leon X14. Toujours le 29 juin, le roi Louis II en-
voyait une lettre aux villes saxonnes de Transylvanie, proches de la frontière valaque, pour
leur annoncer la nouvelle et leur promettre une aide immediate 1°. Les lettres du roi de
Hongrie ont été écrites immédiatement après l'arrivée a Buda des nouvelles concernant le
plan de Mahomed bey le 29 juin , car le 28 on y parlait encore de l'appui de 8000 sol-
dats valaques promis aux Hongrois par Neagoe Basarab 16. Le 30 juin 1521, le roi Louis II
pouvait annoncer que le prince valaque o metu compulsus » avait um ses forces (40 000.
soldats ") à l'armée turque et qu'ils se préparaient à attaquer ensemble la Transyl-
vanie 16.
La lettre de Neacsu date précisément de ces jours-la 19. Les villes de Transylvanie
entretenaient un grand réseau d'espionnage dans les Principautés Roumaines, car chaque
habitant ou marchand saxon était, tout comme à Venise, un espion plein de zèle ; elles étaient
done informées avant même les rois de Hongrie au sujet des événements de l'Empire ottoman,
d'autant plus dans ces temps troubles, quand on pouvait facilement suivre les espions de
Sibiu qui parcouraient la Valachie 26. Les gens de Brasov avaient eux aussi leurs hommes,
pour la plupart des marchands ou des boyards roumains, habitant près de la frontière, qui,
comme leurs contemporains allemands ou italiens, donnaient des informations conceinant
les événements d'une manière rapide et discrete. On peut supposer un décalage de deux
ou trois jours entre le déroulement des faits et l'arrivée des nouvelles à Brasov, étant donne
leur intéret vital pour cette ville. Donc, la lettre de Neacsu qui ne contient pas le detail
relatif à l'union des forces valaques aux Turcs (arrivé à Buda le 30 juin) mats connalt le
plan de Mahomed bey d'envahir la Valachie, se laisse dater vers les 29-30 juin 1521. La
distance entre Nicopolis sur la rive droite du Danube et Cimpulung-Muscel, dans les Car-

rentic, quelli comenzono a consultar, vedendo farsi da seno, et hanno expedito vaivoda
11

Transalpino a data impressa, quel si ha oferto dar homeni 8000 dil suo paese. Et de 11 si
manda le zente qual e sta intimate a prepararsi a li prelati e baroni secondo l'ubligation loro,
e fatoli comandamento vacuno in campo. »
13 Marino Sanuto, op. cit , XXXI, c. 37-38 : Mitta (Soliman) per Vallachiam in-
feriorem alium quoque exercaum octuaginta milm in Mehemet Bego duce in provinliam nostram
quam Transilvaniam vocant, cut praefectus eidem Valachiae licet nobis subditus, vi tamen et
metu coactus caciter quadraginta mila hominum in auxilium dedisse dicitur.
14 Hurmuzaki, II-3, pp. 359-361, n° CCLIV; Mahomed bey est qualifié de o vir rei
militaris peritissimus O.
15 N. Iorga, Geschichte des Osmanischen. Retches, II, p. 386, n. 6.
16 Marino Sanuto, op. cit., XXXI, c. 71 ; voir infra, n. 12.
17 Sur l'armée de Neagoe Basarab, voir sa lettre de 1520 aux gens de Brasov : s Ainsi,
quand besoin sera, que nous nous levions avec toute notre force et notre armée pour le Pays
Hongrois, à savoir, nous voulons y prendre part avec 40 000 cavaliers et fantassins. » A l'oc-
casion de la consecration de l'église métropolitaine de Tirgoviste, Neagoe voulatt passer en revue
ses troupes ; voir Hurmuzaki-lorga, XV, et N. Iorga, Scrisort domnesti [Lettres princieres],
Valenti de Munte, 1912, pp. 34-36.
Hurmuzaki, II-3, p. 362. La lettre est adressée au rot d'Angleterre, Henri VIII
* Qua ut superbissime iactat expugnata, ad Budam ubi nobis Regia est capiendam properabit,
instruxit et alium exercitum hominum octuaginta millium, qui Transilvaniam provinciam
nostram per Valachiam inferiorem duce Mehemet bego belicosissimo aggrediantur, Valachiae
Praefectus habeat in armis omnes copias suas ex quibus ad quadraginta hominum millia metu
compulsus Turcarum viribus adtunxit.
C'est la fa con logique de procéder de N. Iorga, Geschichte des Osmanischen Retches,
II, p. 387, qui range cette lettre parmt celles du roi hongrois. Volr du meme, Histoire des Rou-
mains et de la rornanité orientate, IV, Bucarest, 1937, p. 366.
20 Hurmuzaki-lorga, XI, p. 844.

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528 NOTES BREVES 4

pates, d'environ 200 km en ligne droite, pouvait are couverte aisément en deux jours, temps
sensiblement égal, ou méme plus court, que celui nécessaire à un courrier pour arriver de
Nicopolis A Buda.
L'emploi du roumain dans la redaction de la lettre de Neacsu (alors que la langue
usuelle de la correspondance avec Brasov était le slavon ou le latin) 21 souligne la hate avec
laquelle ce Valaque rédigea sa dépéche pour mettre en garde ses amis de Brasov contre
l'approche du péri122. (Matei Cazacu)

Un episode des guerres de Byzance contre les Slaves et les Avares, au début du Vile
siècle. La guerre de Byzance contre les Slaves et les Avares a commence selon l'opinion
fondée de G. Labuda, l'an 5951.
Quelques années auparavant, Byzance avait achevé avec succès le confht de longue
haleine contre les Perses et il était à méme de diriger toutes ses forces contre les Slaves et
les Avares qui pillaient continuellement la Péninsule Balkanique.
La situation des Avares à l'époque était assez critique ; ils étaient engages dans une
guerre contre les Bavarois et les Francs et peut-étre contre les Longobards2. Aussi, les
Francs envoient-ils immédiatement deux émissaires A Constantinople afin de proposer une
alliance contre les Avares3. Les luttes entre les Byzantins et les Slaves-Avares se poursui-
vent avec acharnement durant quelques années, jusqu'h ce que les Byzantins arrivent
pourchasser leurs adversaires sur la rive gauche du Danube.
Au printemps de l'an 600, l'empereur Maurice envoie Comentiolus nommé commandant
des troupes de Thrace. Comentiolus avait cependant avéré son Incapacité militaire lors de la
campagne contre les Perses, lorsque seule l'intervention de Herakleios a pu sauver les Byzan;
tins d'une défaite pénible4. De mème, Comentiolus a eu des insuccès dans les expéditions
contre les Slaves et les Avares. Le deuxième commandant byzantin, Priscus, se trouvait alors
en Scythie, afin de prévenir une attaque du chagan contre la ville de Tomis.
Théophylacte Simocatta relate avec profusion de details le comportement de Comentiolus
lorsque les troupes avares s'avancèrent vers les Byzantins, se préparant à surprendre le
moment favorable en vue d'une attaque.
La nuit, A la veille du jour que lui-méme avait fixé et que les Byzantins devaient abor-
der les Avares, le general en chef en prévient le chagan alors que ses propres troupes ne rece-
vaient que des ordres confus. Le matin, les Avares sont prêts h affronter la bataille, cependant
que les Byzantins, qui croyaient que le general voulait tout simplement passer en revue ses
troupes, n'étaient guère équipés pour la bataille. Profitant du fait que les Avares, peu confiants
en leurs propres forces, hésitent à attaquer, les Byzantins ont le répit de s'organiser en corps

21 La population saxonne des villes de Moldavie utiltsait la langue maternelle pour les
besoins de sa correspondance dès le XV° siècle. Le premier document connu ecru, en langue
allemande en Moldavte, à Baia, date du 9/16 mat 1421. Sur ce processus general, voir Radu
Manolescu, Cultura ordseneascd in Moldova in a doua jumdtate a secolulut al X V-lea [La culture
citadine en Moldavie dans la second?, moitié du XV° siècle], darts le volume Cultura moldove-
neascd in timoul lut Stefan cel Metre. Ctzlegere de studii sub ingrdtrea lui M. Berza [La culture
moldave cl irant le règne d'Ettenne le Grand. Re,cueil d'études publié par les soins de M.
Thrza] B tcarest, 1964, p. 64.
22 Neacsu s'exprime ainsi : «Item, que Votre Seigneurie tienne pour elle ces paroles,
quelles ne soient pas connues de beaucoup de gens. o
1 G Labuda, Chronologte des guerres de Byzance contre les Avares et les Slaves á la fin
du V le stecle, « Byzantmoslavica o, XI (1950), p. 170.
2 L. Htuptin Inn, Les rapports des Byzantins avec les Slaves et les Avares pendant la
seconde mottle du V P siècle u Byzantion s, IV (1927-1928), p. 167.
3 Theophylactus Stmoca tta, ed. de Boor, p. 225.
4 P. Goubert, Byzance avant 1' Islam, vol. I, Paris, 1951, pp. 116-117.

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5 NOTES BREVES 529

de bataille. C'est toujours Comentiolus qui provoque A nouveau le désordre dans les rangs de
l'armée, par des déplacements de troupes d'une aile A l'autre.
Après la bataille, il commande la retraite d'abord de l'aile droite et puis des troupes
d'élite. Enfin, sous prétexte d'aller A la chasse, il abandonne l'armée. En route vers Constan-
tinople, il vent faire halte dans la ville Drizipera, on la population, ayant eu vent de son
comportement, l'insulte et lui jette des pierreso.
Les troupes byzantines restées sans commandant, se retirent en désordre, pourchassées
par les Avares qui s'emparent de la ville Drizipera et la détruisent. Dès lors le chemin vers
Constantinople est ouvert aux Avares. Leur avancement n'est arrêté que par la peste qui décime
les envahisseurs. Dans la Capitale, la panique est si grande que l'empereur se voit obligé de
demander la paix au chagan. Les envoyés byzantins lui apportent maints et riches présents,
bien que celui-ci sache qu'on vent capter sa bienveillance et il refuse de les accepter, du moins
au début des négociations. En fin de compte, on conclut une paix, achetée par les Byzan-
tins rnoyennant des sommes importantes et les Avares se retirent du côté gauche du Danube.
L'armée de Thrace envoie une délégation A Constantinople porter plainte devant l'em-
pereur contre le commandant qu'elle accuse de trahison. Les relations des délégués produi-
sent des soulèvements populaires dans la ville°. Parmi les délégués se trouvait Phocas, le futur
usurpateur ; il se fait remarquer par la violence de langage envers la Cour et le Sénat6.
Comentiolus était l'un des amis intimes de l'empereur, ce qui apparait dans les efforts
que 'Maurice fait pour couvrir les fautes du général. Aussi, Comentiolus fut-il un des premiers
partisans de Maurice, tués par Phocas, lorsque l'usurpateur eut occupé Constantinople7. C'est
ce qui explique aussi le fait qu'aussitôt que Maurice eilt annulé le traité de paix et recom-
mend la guerre contre les Avares, ce fut toujours Comentiolus qui reçut le commandement des
troupes aux cdtés de Priscus. Il y joua le rôle d'un poltron selon l'expression de Bury (the
part of a poltron)°, se mutilant volontairement, afin de demeurer inactif A Viminacium9. L'autre
commandant, Priscus, est contraint d'affronter seul les attaques avares et réussit cependant A
remporter cinq victoires successives.
En voici les faits.
Leur relation mène indubitablement A la conclusion d'une trahison de la part de Comen-
tiolus, inculpation portée aussi par ses troupes. Théophylacte Simocatta l'accuse seulement de
négligence et de lAcheté. D'ailleurs, le chagan, quelque peu avant d'entrer en liaison avec Co-
mentiolus, avait cherché A corrompre aussi Priscus et son armée. A la veille des fêtes de Paques,
il lui avait offert un armistice de cinq jours et des aliments pour l'armée byzantine affamée.
Quand il eut vu qu'il ne pouvait les gagner A sa cause, le chagan chercha A se dédom-
mager pour les aliments envoyés et demanda en échange des épices variéesw.
Non seulement les Slaves, comme l'écrit Jean d'Ephèse, ont appris A faire la guerre
mieux que les Romainsll, mais aussi les Avares. A l'assaut de la cité de Drizipera ils employèrent
des machines de guerren et réussirent A conquérir avec assez de facilité cette cité après
la fuite de Comentiolus et même avant, en 583, Singidunum et Viminacium".

T heophy lactu s Simocatta, pp. 268 270.


5 lbidem, p. 284.
6 Theop 'lanes, éd. de Boor, p. 280.
7 Theophylactus Simocatta, p. 309; Chronicon Paschale, éd. Bonn., p. 694.
8 J. B. Bui y, A History of time Later Roman Empire from Arcadius to Irene, London,
1889 vol. II, p. 140.
9 Theophylactus Snnocatta , pp. 285 286.
" Ibidem, pp. 267-268.
1/ Die Kirchengeschichte des Johannes von Ephesos trad Schonfelder vol. II, p. 255.
12 Theophylactus Simocatta, p. 228.
13 Idem, p. 46-47.

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530 NOTES BREVES 6

Les faits ci-dessus prouvent que les Avares avaient appris non seulement A conquérir
des villes fortifiées. Ils s'étaient initiés dans les subtilités de la diplomatie byzantine et quand
ils se trouvaient dans une situation critique ils savaient corrompre les commandants mili-
taires eux-mémes.
Il n'est pas exclu que dans l'émeute des troupes byzantines du Danube, de l'an 602,
qui aboutit A l'abandon de la défense des frontières et permit aux Avares et aux Slaves d'en-
vahir et de piller en liberté la Péninsule Balkanique, les émissaires avares n'eussent joué, eux
aussi, un certain réle. (E. Frances)

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Chronique

DEUXIÈME CONFERENCE D'ETUDES ALBANOLOGIQUES


(Tirana, les 12-18 janvier 1968)

Le 17 janvier se sont accomplis 500 ans depuis la mort de Georges Kastnote Skan-
derbeg, le célèbre cornbattant pour l'indépendance de l'Albanie au XVe siécle. La resistance
glorieuse du peuple albanais, sous sa vaillante condulte, en face de l'expansion ottomane a
exerce une influence profonde sur toute l'évolution ultérieure de l'histoire de l'Albanie et elle
est restée comme un symbole toujours vivant de ses aspirations vers la liberté. En méme temps,
la lutte intrépide, A la téte de laquelle se trouvait Skanderbeg, contribua dans une importante
mesure h freiner et A retarder la merne expansion vers d'autres pays de l'Europe. C'est
pourquoi le légendaire héros albanais est devenu simultanément une figure illustre de l'his-
toire européenne, voire universelle, sa renommée s'étant répandue dans presque tout le monde.
Le peuple albanais gardant avec une ardente fidélité les traditions de ce moment exaltant
de son histoire tourmentée et les liant A son développement dans la vole de l'édification d'une
vie nouvelle, socialiste, a fete avec éclat, comme il se dort, l'accomplissement d'un demi-mille-
naire de la disparition de son grand fits. Au centre de la ville de Tirana, en presence des
dirigeants du Parti du Travail et des membres du Gouvernement de la R. P. d'Albanie, on a
inauguré un imposant monument équestre de Skanderbeg. Une médaille commemorative fut
frappée à l'effigle du hems. Une exposition fut organisée avec des ceuvres d'arts plastiques
inspirées de sa prodigieuse carrière. Une reunion solennelle a eu lieu au Théâtre de l'Opera
de Tirana, toujours en presence des autorités mentionnées, oil le president du Conseil des minis-
tres, Mehmet Shehu, a évoqué son glorieux souvenir. On a représenté en première un opera
portant son nom et on a donne un concert jubilaire. A Kruja, la capitale inexpugnable
de Skanderbeg, a eu lieu un meeting et A cette occasion Enver Hoxha, le premier secrétaire du
Comité Central du Parti du Travail d'Albante, a décerne A la meme localité le titre de * vine-
heros s. Le 17 janvier, enfin, un pèlerinage fut organise au lieu de sepulture du héros, découvert
durant les récentes fouilles de Lexha, et on a dévoilé une plaque de marbre A la mémoire de la
ligue formée dans cette ville, en mars 1444, pour l'union des forces albanaises ayant pourch ef
Skanderbeg.

Parmi les principales manifestations de cette commemoration compte la deuxième Con-


ference d'études albanologiques, organisée du 12 au 18 janvier par l'Université d'Etat de Tirana.
(La première Conference avait eu lieu en 1962, A l'occasion du demi-centenaire de la procla-
mation de l'indépendance de l'Albanie moderne).
La Conference a été ouverte par K. Ylli, recteur de l'Université de Tirana, en presence
des dirigeants du Parti du Travail et des membres du Gouvernement, au nom desquels un salut
fut ensuite adresse aux participants par le ministre de l'Education et de la Culture, T. Deliana.

REV. tTUDES SUD-EST EUROP VI. 3, p. 531-535, BUCAREST, 1968

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532 CHRONI Q UE 2

Le thème central des travaux de la Conference concernait Skanderbeg et son époque.


Mais une place considerable y était assignee aussi A d'autres sujets ayant trait a divers domaines
de la recherche historique, historico-juridique, historico-économique, demographique, philo-
logique, d'histoire littéraire, de folklore, d'etnographie, d'art, interessant l'Albanie des differentes
périodes, depuis l'antiquité jusqu'aux temps modernes. On a présenté et discuté dans les séances
plénières et dans celles des deux sections (1. des sciences historiques ; 2. des sciences philo-
logiques) plus de cent vingt communications appartenant a ces domaines varies des etudes
albanologiques ou bien, parfois, aux etudes sud-est europeennes en general.
Dans son ample rapport intitulé : « Georges Kastriote Skanderbeg et son époque »,
Buda, professeur a l'Université de Tirana, a mis en relief quelques problèmes fondamentaux,
tels que les conditions socio-économiques de l'Albanie au XV« siècle ; la fonction historique
de l'illustre héros qui a saisi la nécessité de l'union des forces morcelées de ce pays dans la
grande lutte pour l'indépendance dirigée par lui ; ses efforts sur le plan international de coordon-
ner cette lutte avec celle des autres pays menaces du méme peril ; l'examen critique des
principales interpretations données A sa figure et A son temps dans l'historiographie (avec
des references aussi aux recherches des historiens roumains). Le rapporteur a souligné surtout le
rôle décisif des masses populaires dans cette lutte, à laquelle elles étaient intéressées d'une
manière vitale ; par consequent, elles constituaient le soutien le plus important du heros dans
ses brillantes victoires, remportées souvent en conflit avec l'attitude versatile d'une partie des
seigneurs féodaux albanais, victoires grace auxquelles l'Albanie est devenue un facteur consi-
derable dans le Sud-Est europeen et dans la politique internationale. Enfin, A. Buda a attire
l'attention, entre autres, sur les questions qui restent encore A resoudre, soit dans le domaine
de la documentation*, soit dans celui de l'interprétation, pour une meilleure connaissance de
cette époque cruciale de l'histoire de l'Albanie et de grande importance pour l'histoire générale.
Un nombre impressionnant de communications se sont donne ensuite la tAche d'appro-
f ondir ce thème central, brossé par le rapport mentionné. Dans ce qui suit nous essayerons de
les grouper, autant qu'il est possible, d'après leur contenu
C'est ainsi qu'on a precise les limites ethnico-géographiques de l'Albanie au XV° siècle
(K. Frasheri) et analyse certaines données quant aux possessions originaires de la famille des
Kastriote (D. Kurti).
On a fait des considerations sur le rôle de la personnalité de Skanderbeg et sur celui
des masses populaires dans l'histoire de l'Albanie (Z. Mirdita).
Sur la base des sources documentaires turques, on a mis en lumière le rôle de la paysan-
nerie albanaise en tant que « principale force motrice dans la lutte pour la liberté durant les
années 30 du XV° siècle » (S. Pulaha) et on a fait ressortir les graves devastations souffertes
par les villages de certaines regions de l'Albanie A la suite des invasions ottomanes A l'époque
de Skanderbeg (H. Inalcik Turquie).
K. Bozhori a insisté sur les dates fournies par les historiens byzantins en ce qui con-
cerne les luttes turco-albanaises (11 est d'ailleurs l'auteur d'un recent recueil à ce sujet), tan-
dis que T. Kacorri et K. Treimer (celui-ci d'Autriche) se sont occupés de l'écho des mè-
mes guerres dans certaines mentions tardives sur quelques vieux livres ecclesiastiques slavons.
On a parlé, d'après des renseignements inédits, de c la façade maritime de la principauté
des Kastriote » et des relations commerciales entretenues a travers cette façade, de la fin du
XIVe siècle A la mort de Skanderbeg (A. Ducellier France). Dans la mème suite d'idées,
Hrabak (R. S. Tchecoslovaque) a trait& de i l'exportation des céréales de l'Albanie au XIV°

* En vue de la commemoration de Skanderbeg, l'Institut d'Histoire et de Linguistique


de Tirana a pris l'initiative de publier une collection de documents concernant l'histoire de
l'Albanie au XVe siècle, en plusieurs volumes, dont un pour la période 1479-99. Il s'agit
aussi d'une o Bibliographie de Skanderbeg o, occasionnée par cette commémoration (voir plus
loin).

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3 CHERONI Q1TE 533

siècle , qui fournit au hems albanais o d'importants moyens pécuniaires pour la lutte contre
les Turcs D'autre part, dans la communication : oQuelques problèmes de la métrologie turco-
ottomane a, J. Kabrda (R. S. Tchécoslovaque) a relevé, avec des exemples éloquents à l'appui,
les sérieuses difficultés que provoquent, pour l'étude de l'histoire économique et sociale des
peuples du Sud-Est européen pendant la domination ottomane, la grande diversité des unites
de poids et de mesure citées par les sources turques et il suggère qu'on entreprenne à cet égard
des recherches systématiques, simultanées et en étroite cooperation dans les pays intéressés.
Plusieurs communications ont été consacrées aux forteresses du système défensif de
Skanderbeg : o Stelush la forteresse de Yarosh = faubourg] de Mati a (S. Anamali); o La
forteresse de Skanderbeg au cap de Rodon o (P. Thomo); o Le chA'teau fort de Petrela a (D.
Komata) ; o Le rôle des forteresses de Sébaste et de Daule dans la guerre de Sk. contre les
vahisseurs ottomans » (L. Bajo). Les résultats des fouilles de Lexha, où, comme nous le disions,
on a découvert le lieu de sepulture du héros, ont fait l'objet de la communication de F. Prendi,
qui avait dirigé ces fouilles.
Une communication s'est occupée de l'art militaire de Skanderbeg (S. Isaku), une autre
de 4 Fusage des armes A feu par l'armée de Sk. o (R. Drishti).
On a mis en evidence la participation des Albanais de l'Est et du Nord-Est, surtout de
la region de Kosovo, aux guerres antiottomanes, à la fin du XIVe et au cours du XVe siècle
(T. Murzaku) ; la defense héraque de la ville de Shkodra en 1474 et 1478 (G. Shpuza) ; les
luttes pour l'indépendance des Albanais de la region de Himara, dans le sud du pays, A la fin
du XV° et aux premières décenies du XVI° siècle (A. Rapo) ; les soulèvements des Albanais
du Péloponèse au XVe siècle (T. Dilo); la tradition de Skanderbeg dans les mouvements de
liberation du XVIe au XVIIIe siècle (I. Zamputi).
Les rapports entre Skanderbeg et Georges Arianite, son beau-père, l'un des seigneurs
féodaux albanais les plus puissants, durant les années 1449-50, ont été examines par D. S. Shu-
teriqi.
Quelques communications ont étudié les relations extérieures de l'Albanie au XV8 siècle.
On a parlé ainsi des rapports bulgaro-albanais vers 1435 (S. Dimitrov R. P. de Bulgarie),
de la politique de Venise (F. Thiriet France, et K. Biçoku) et de l'attitude de la Papauté
A regard de Skanderbeg (S. Naçi), enfin de ses relations avec Iancou de Hunedoara, autre-
ment Jean Hunyadi (F. Pall Republique Socialiste de Roumanie)**.
Le droit coutumier albanais, avec ses caractéristiques essentielles, a fait également l'objet
d'un nombre de communications, dont nous signalons celles qui ont rapport A l'époque du
héros : o Le coutumier de Skanderbeg (Rr. Zojzi); L'ancienneté des institutions juridiques
albanaises A la lumière des coutumiers de Skanderbeg et de Leka Dukagjini o (V. Meksi) ; o Le
formalisme et la besa [= parole donnée] ... dans le coutumier de L. D. (S. Pupovci).
Toute une série de communications ont suivi l'écho mobilisateur de la tradition de Skan-
derbeg, reflété dans la poésie et les légendes populaires, anciennes et modernes, de l'Albanie
et des colonies albanaises établies en Italic A la suite de l'occupation ottomane. Nous en
citons Problèmes de l'épique populaire historique concernant la figure de Skanderbeg
(A. Fico); o Récits populaires sur la période de Sk. a (Q. Haxhihasani); o L'écho de la figure de
G. K. Sk. dans les chants populaires de la lutte de liberation nationale et de la période de l'édi-
fication socialiste du pays (A. Mustaqi); o La figure de G. K. Sk. dans la lutte de liberation
nationale o (V. Boshnjaku); o Sk. dans notre littérature du réalisme socialiste (L. Kokona) ;
L'époque et la figure de Sk. chez quelques-uns des poètes albanais d'Italie a (M. Xhaxhiu);
o La figure de Sk. dans la creation de Girolamo de Rada (K. Kodra).

** Le texte intégral de cette communication a paru dans la présente Revue, année


1968, n° 1.

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534 CHEUNI QUE 4

II convient d'ajouter encore en ce qui concerne la littérature et la presse albanaises de


la seconde moitié du XIXe et du début du XXe siècles : a Sk. dans la littérature de la Renais-
sance nationale » (K. Brahimi); i Sk. et son époque dans la presse de notre Renaissance
nationale » (Z. Reso).
Deux communications ont été dédiées à la fameuse biographie latine du héros, ceuvre
de l'humaniste Marinus Barletius au début du XVI° siècle. L'une, portant le titre : « La figure
de Skanderbeg, symbole de son peuple D, a Cache de demontrer que cette figure regardée
travers le prisme de ladite biographie est une expression concentrée et idéalisée de la figure
du peuple albanais * (S. Prifti, le traducteur d'ailleurs de cette ceuvre en albanais).
L'autre, intitulée : o Les idées didactiques dans l'histoire de Skanderbeg de M. Barletius D, a
cherché d'y découvrir les données d'ordre pédagogique (B. Dedja)
La conference a accordé une attention particulière à la figure du hems, telle qu'elle
s'est reflétée au cours des siècles dans la prose et dans la littérature de caractère philosophique
et artistique, publiée en plus de vingt langues, en dehors des frontières de l'Albanie, dont s'est
occupé A. Kostallari, directeur de l'Institut d'Histoire et de Linguistique de l'Université
.de Tirana, dans sa communication ayant pour titre : « La figure de Skanderbeg dans la littéra-
ture mondiale ». Cette littérature étrangère à cdte de la littérature albanaise et, en general, de
la littérature historique tient une place importante dans la o Bibliographic de Skanderbeg »,
vaste ouvrage élaboré par les soins de la Bibliothèque Nationale de Tirana, qui devra comprendre
trois volumes (dont le premier est déjà sous presse), d'après les precisions apportées par J. Kas-
trati : i Problèmes de la bibliographie retrospective de Skanderbeg ».
D'autres communications se sont attachées, selon les pays, à l'intéra passionné éveillé
par la figure du hems dans les litteratures : itabenne (H. Lacaj), francaise (N. Bulka), anglo-
saxonne (S. Luarasi), allemande (I. Irmscher R. D. Allemande), hongroise du XVI`
siècle (Gy. Daniel R. P. de Hongrie), bulgare du XIXe siècle (V. Georgiev R. P. de
Bulgarie), roumaine du XVIII` au XXe siècle (N. Ciachir G. Maksutovici D. Polena
Republique Socialiste de Roumanie).
La figure de Skanderbeg a inspire aussi de nombreuses creations d'arts plastiques, ce
qu'ont fait ressortir les communications : « La representation de Sk. dans nos beaux-arts *
(D. Dhamo) ; « La figure de Sk. dans les beaux-arts européens » (O. Paskali, auteur également
cl'un remarquable buste du hems et l'un des auteurs de la récente statue équestre de Tirana***).

Mais, inalgré ces preoccupations si riches et si variées autour du thème principal, on a


pu aussi entendre à la Conference toute une série de communications ayant trait, comme nous le
disions, à d'autres domaines. Par défaut d'espace, il nous est impossible de les enregistrer toutes.
Quelques-unes faisaient connaitre les nouveaux résultats des recherches sur les Illyriens,
ancêtres des Albanais. Par ex. : i Résultats des fondles archéologiques en Chaonie D (D. Budina) ;
-« La place et le rdle des Parthins dans l'Illyrie méridionale » (N. Ceka) ; o A propos des noms
illyriens a Dyrrachium et dans d'autres centres de notre pays D sur la base d'inscriptions inédites
<Va. Togi). D'autres communications ont porte sur les vestiges illyriens (M. Korkuti, S. Islami,
S. Abu). De meme, la Conference fat informée sur un monument que les fouilles n'ont pas
encore completement dégage et qui fait partie des ruines de la Mare colonic hellénique d'Apol-
Ionic : il s'agit de «la fontaine d'Apollonie * (H. Ceka).
La communication : « Le nom d'Albeigne Albanie et son extension au XI et au
début du Xlle siècle D, en prenant appui sur les mentions de la Chanson de Roland, apporta
une contribution au problèrne de l'ethnogenèse albanaise (K. Luka).

*** On a publie d'ailleurs un bel album commémoratif 1468-1968 Gjergj Kastrioti


Skenderben, avec des reproductions d'ceuvres d'art, des fac-similés d'ouvrages, etc., concernant
le hems et son époque.

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5 CIIRONI Q17 E 535

Pour ce qui est des communications se rapportant aux siècles qui ont suivi répoque de
Skandeibeg, nous citons : « L'opinicn publique sur les guerres antiottomanes dans la Ire multi&
du XVI° siècle (C. Gollner Republique Socialiste de Roumanie) ; o La lutte contre le feoda-
lisme dans la poésie populaire albanaise (M. Krasniqi) ; ( Les mouvements de la population
de Zadrima [region de l'Albanie du Nord] du xve au XXe siècle » (N. Yadahej) ; (Le develop-
pement du systeme des tchifliks en territoire albanais A la fin du XVIlle et au début du XIX°
siècle * (L. Mille) ; 4 La Renaissance albanaise une nouvelle étape de la lutte du peuple albanais
pour la liberte et rindépendance o (S. Pollo) ; o La lutte des milieux démocratiques albanais
contre les concessions impérialistes du pétrole durant les années 1920-24 » (Ven. To0) ; o La
victoire du 29 novembre 1944 couronnement de toutes les luttes du peuple albanais pour la
liberté, rindépenclance et le progiés * (N. Plasari).
Parmi les problèmes d'ellmogiaphie et de folklore figurant sur l'agenda de la conference
nous relevons a La xhublete (cotte) albanaise témoignage de rancienneté du peuple albanais
(B. Jubani) ; s Parures métalliques contemporaines provenant de la civilisation albanaise clu
haul. Moyen Age i (H. Spahiu) ; s L'évolution de l'habitation urbaine albanaise au cours du
Moyen Age o (G. Strazimiri) ; s La tour krutane » [type d'habitation fortifiée de Krujaj
(K. Zheku) ; s Elements communs dans le domaine des danses populanes en tint qu'expression
de runité nationale o (N. Agolli) ; o De quelques aspects de revolution du style méloclique
dans notre nouveau folklore o (B. Hiuta)
A la lutte patriotique de la fume albanaise ont été consaciées les communications
« Les traditions patriotiques de la finane alLanaise dans la lutte pour la liberté à paitir clu e
siècle i (A. Gjergp) ; s La figuie de la 'urn e dans les chants populaires de la lutte de 111,6ation
nationale » (K. Harto)
Du domaine dc la langue et de la littéiature il convient d'enregistrer encore s Moyens
et sources de l'albanais du .X.N siècle » (M. Domi) ; « Sur quelques groupes stables dans le
Missel de Gjon Buzuku et leur compaiaison avec l'albanais contemporain (J. Thomaj)
a Les derives dans le Dtchonarium lahno-epiroticum de Fiang Bardhi » (P Geci) ; i L'article
postpositif en albanais et les questions connexes * (V. Pisani ; « Les colonies albanaises
en Italie et leurs parlers o (E. Çabej) ; o En poème inédit de Nicolas Cheta » (G. Schirti Italic)
« Les influences de la langue et de la littératui e turques sur la langue et la littérature albanaises »
(N. Alpan-Turquie) ; o Sur les elements autochtones du roumain i (A. Rosetti Republique
Socialiste de Roumanie).
Des problèmes d'onomastique'(auxquels s'était 'Were d'aillems, on l'a vu, aussi Va. To0
et de toponymie ont forme le sujet des communications . s Notre toponymie et certaines questions
de l'histoire de notre peuple i (O. M3 &Him) ; s L'origine et le développement du toponyme
Dukagjmi » (K. Ulquini) ; s Obseivations sur quelques toponymes et anthroponymes du Catasta
Veneto di Scutaii de 1416-17 » (r. Osmani), etc.
On a atthe également rattention sur 'Importance des inscriptions turco-arabes des
X.VeX1Xe siècles, qui ont été trouvées en Albanie, pour l'histoire de ce pays (V. Buharaja).
Les etudes d'albanologie comme il résulte, nous respérons, aussi de cette
ésentation sommaire des travaux de la Conference prennent un essor de plus en
plus grand. Les spécialistes, en nombre cioissant, qui s'adonnent A ces etudes dans
la R.P. d'Albanie, de même que leurs collegues des autres pays, élargissent sans cesse
la sphere de leurs preoccupations pour enrichir le patrimoine de la science d'éléments
inédits. Cette Conference, adnurablement organisée, s'est déroulée dans les meilleures
conditions, dans un espiit de collaboration finctueuse entie les savants albanais et
lems confreres étrangers, ieunis sous le signe de revocation de la prestigieuse figure
de Skanderbeg, qui par Faction de sa puissante pet sonnalité et par les dimensions de sa carrier&
héroique appal-Lien' aussi bien A l'histoire de l'Albanie qu'à celle de l'Europe tout entière.
Francisc Pall

C 557
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Comptes rendus

A GATHIAE MYRINAEI Historzarum libri quinque recensuit Rudolf us Keydell. W. de Gruyter,


Berlin, 1967, XL, 232 p. (Corpus fontium historiae Byzantinae consilio Societatis
internationalis studiis Byzantinis provehendis destinatae editum. Series Berolinensis, 2).

L'Association internationale des eludes byzantines s'est propose de publier un nouveau


Corpus des sources nairatives byzantines d'après un système unitaire et en confornuté avec les
principes suivants : 1. Seront édités les ceuvres des historiens et des chroniqueurs byzantins,
y compris les chroniques anonymes, puis les textes biographiques, les mémoires, les ceuvres
rhétoriques et épistolographiques d'intéret historique ; 2. Chaque texte sera établi en tenant
compte de tous les manuscrits connus, et sera édité avec apparat critique en latin, selon les
regles fixées par l'Union Académique Internationale ; 3. Chaque edition sera accompagnée
d'une traduction (allemande, anglaise, francaise ou italienne), avec de breves notes historiques
et philologiques ; 4. Chaque volume sera precede d'une introduction rédigée dans la méme langue
que la traduction ; elle décrira la situation des manuscrits, fournira une liste des sigles utilises
dans l'apparat critique et consacrera une notice succincte à l'auteur ; 5. A la fin de chaque
volume figureront des index détaillés des noms propres, des termes techniques et des mots
présentant un intérét à part ; 6. Chaque volume sera sounus, avant sa parution, à l'examen
d'une commission de spécialistes ou d'un délégué de celle-ci (cf. sBulletin d'information et de
coordination de l'Association internationale des etudes byzantines s, III, 1966, pp. 20-21)
C'est avec un vif plaisir que nous saluons ici la publication d'un important volume de ce
Corpus, paru dans la Series Berolinensis et consacré à l'historien Agathias. L'édition a été
préparée par Rudolf Keydell, professeur honoraire à l'Université libre de Berlin. Malheureuse-
ment la série berlinoise du Corpus a néglige de donner une traduction de ce texte dans une langue
moderne.
L'ouvrage d'Agathias, imité d'après Thucydide, décrit en cinq livres les événements des
années 552-559. Parmi les editions qui ont été publiées jusqu'ici celles de B. Vulcanius
(1594, 1660 et 1729), de B. G. Niebuhr (1828 et 1860) et de L. Dindorf (1871) , seule celle
de B. G. Niebuhr a été le résultat d'une recherche faite sur un nombre assez important de
manuscrits mais elle ne correspondait plus aux exigences scientifiques contemporaines. Le nouvel
éditeur a utilise tous les manuscrrts, les extraits ou les citations de l'histoire d'Agathias et, au
terme d'une analyse attentive a dressé le stemma de la tradition manuscrite, qui lui a permis de
retenir huit sources importantes pour l'établissement du texte, sources noties des sigles M,
W, A, L, G, V, P, R. Aucun de ces codices ne se rapproche trop de l'archétype, mais on peut
distinguer à l'intérieur des manuscrits approximativement quatre groupes, à savoir M WAL
G et VPR. Le choix des variantes s'effectue done uniquement en vertu de critères formels et
demeure 6 l'appréciation de l'éditeur :s Die Auswahl der in den Text aufzunehmenden Varianten
ist daher zumeist frei und wird häufig nur durch den Sprachgebrauch bestimmt I (p. XXXV).
L'éditeur a préféré utiliser un apparat critique positif et a organise comme suit le bas de
REV. ÈTUDES SUD-EST EUROP., VI, 3, P. 537 548, BUCAREST, 1968

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538 COME'TES RENDIfs 2

pages de son ouvrage : 1. de brèves notices historiques nécessaires à l'intelligence du texte ;


2. une vue d'ensemble des manuscrits et des attestations ; 3. l'appaiat critique. L'idée de
l'éditeur de disposer o sur trots étages » bien distincts toutes ces contributions est excellente.
Nous nous permettrons de discuter certains détails du texte grec. Une question délicate
est Loujours le choix des variantes les plus adéquates pour les noms propres. Ordinairement ces
variantes sont nombreuses, sans ètre concluantes. La place de l'accent du nom en pourrait pro-
curer un critérium. On salt que jusqu'au IVe siècle de notre èle approximativement la position
de l'accent en grec et en latin dépendait de la quantité des voyelles. Après, la quantité n'a plus
constitué un moyen de distinction phonologique et l'accent s'est délivré de cette contrainte.
Les mots latins gemellus et macellum, reçus en grec à une époque plus ancienne, étaient accentués
y6i/eXXog et tdcxe)Aog, alors que rossalum et mandatum, qui étaient entrés plus tard dans
la langue, conservaient l'accent qu'ils avaient en latin (cpocrac'crov, u.avac'erov). Comment
écrivait au VIe siècle un atticiste comme Agathias le nom de la ville romaine Caesena? Pour la
forme de l'accusatif les manuscrits offrent les variantes Ktaaí.vav, Ktaaívv, Ktaaífp.av,
Klaatvccv, Cassiam; L. Dindorf propose la leçon Kaialvocv et R. Keydell opte pour la
variante licaaEvocv. Agathias écrivait et accentuait probablement Koaal]vccv (prononcer
Kestnan), Kdaucouctv (non Kcorrckv) et `Parifivvocv (non `PeePevvocv). Il est préférable de
suivre les manuscrits et d'écrire eloct3ivreLccv et IlAcop6voreitcv plutôt que d'introduire dans
les textes les conjectures de L. Dindorf, 043EvTíccv et 4:120)q.opEwríccv, puisqu'il existe
dans les textes byzantins contemporains d'autres noins semblables (d'après l'analogie des
mots ecrc'eDziav, ápiXELoc, kupávacc), par exemple MiAstx et Alec:v/114pm (cf. St. B. Psaltes,
Grammatik der byzantinischen Chroniken, Gottingen, 1913, p. 70 et 262).
Des variantes du type yíyvowm. - ytvovrocc, ytyve.)axetv - ytvaxav, les pre-
mières étaient savantes et les autres populaires. Pour élablir le texte d'un écrivain affichant
des tendances allicistes comme Agathias, il faut choisir les variantes savantes, alors que pour
un texte « popularisant », comme par exemple le Stratégicon de Maurice, il est pi éférable de se
prononcer en faveur des variantes populaires. Les manuscrits sont loin de présenter a ce point
de vue une parfaite unité. Aussi le choix demeure-t-il à la latitude de l'éditeur. La piésente édi-
tion a retenu les variantes ytyvovToo. (7, 2), ryvoi./.6vouq (46, 6), ytyvoSax.ELv (10, 12). II en
a été de mème du choix entre ig et eig 01 dinairement on a préfére la variante ig, mais
là oil elle n'apparait dans aucun manuscrit, l'éditeur a admis la variante ei.q, par exemple :
elg KLaatvip (36, 22), ciq rò 1.i)ast.v (94, 2). De mème, il s'est arrété habituellement aux
variantes en dans des exemples comme ôv (20, 3), gúp.popov (19, 3), uv.9.-1^,xocg, mais
il a laissé aussi dans son texte des variantes en a comme o-uyyvo.)a-rkov (195, 22), auXXoc43a-
vo6alq (85, 28), o-uXX6youg (86, 14), auti.popcag (160, 16), ai'Jv (93, 27; 98, 15), auvepyeTv
(102, 1), auvipccas (102, 8), aupp&Zat (106, 30), atia-cporretkaaccr. (135, 5). Méme chose pour
les variantes atliques en yr par rapport aux formes populaires en aa. L'éditeur s'est le plus
souvent prononcé pour les variantes attiques, mais a également admis des variantes en - au,
la où les manuscrits ne renfermaient que des formes de ce genre, par exemple : gXcer7o).
(129, 18) - gXocaaov, (66, 32), iTsTeu.Elvcp (153,15) - ilao-i18-7) (152, 7), Trpourron.6voiv (124, 7),
7rectaao1Livcov (120, 15), Tivrapaq (159, 24) - Tecractpo'cxovra (159, 29). Il a done adopté dès
le début le principe de n'admettre dans le texte que ce qui existe dans la tradition
manuscrite et a renoncé à niveler le texte à tout prix. La situation en fait était passable-
ment complexe : au Vie siècle, chez certains écrivains il existait la tendance à uniformiser
Ja langue et l'orthographe selon les modèles attiques s, ma's les modèles vivants apparte-
nant au langage contemporain influençaient leur activité et pénétraient dans la littérature.
Le mélange d.'ancien et de nouveau, du traditionnel et du contemporain se produisit sans
interruption à travers tout le Moyen Age byzantin. La présente édition reflète certains
aspects de la réalité byzantine.

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3 COMPTES RENDITS 539

On rencontre en grec classique des composes en -ápzog, comme tk6papxog, crrpocrtapzog,


TaZEccpxog. Dans la langue de la basse époque et surtout sous la plume des écrivains
tendance populaire apparaissent ordinairement les formes en -ápxylq, c'est-d-dire [Lepcipki[4,
crrpccrLótpx-qq, TocWspzrng(v. Psaltes, o. c., p. 354). On peut se douter que la dernière
catégorie n'était pas goatee d'un atticiste comme Agathias. Aussi considérons-nous justifie
le choix des variantes -roaxpzoç (85, 17), Ta'tc'epzor.g (21, 5; 23, 17; 67, 22) et TaWcpxoug
(34, 27), au lieu de T4GO'CpZ/q, TIX.FaCMCCLq, TCCF,LCipZ04. Pour choisir la Icon xca ccilpeuxe
ree. ilaaa(i.00TOC (4, 21, d'autres manuscrits [Lot.) l'éditeur a dispose de l'appui du parallélisme
1)peaxe Toci'yrce xxt 06Xtreyyov (90, 21), oa tous les manuscrits sont d'accorcl. II lui fut
plus difficile de se prononcer pour choisir entre les formes xLvauveúcocev (19, 6), 6cp6oLev
(24, 23), xcapilsor.ev (47, 23) et w.v8uveticretEv, iicpetev, zwkset.ev. Ailleurs il a préféré la
forme agetEv (84, 4), A agotev. Quelle aura Li la raison de son choix ? De même, je n'arrive
pas d me rendre bien compte du motif pour lequel l'éditeur a da proposer la leçon gurrcelScrag
(48, 6), lorsqu'ilpouvait se contenter de la variante i'imirocarl[Lcvoc; de la tradition manuscrite.
On trouve dans l'index (p. 200) la forme Koudcapccroc;, reconstituée sur le datif utilise dans
le texte Kouocapecrcp grrea9,2t (17, 13). Dans les inscriptions l'accent repose sur la pénultième
Ko8pEETog, CIL II 2052, III 4274, 6715, IG XIV, 1030. Cette accentuation était usuelle aussi
au we siècle.
La présente edition a soigneusement utilise tous les manuscrits exislants. De méme on
a consulté les sources supplémentaires et l'on a ajouté les notes indispensables A l'intelligence
du texte. L'apparat critique indique les variantes avec precision. Leur choix a été effectue avec
competence, conformément A des critères précis et d'une manière conséquente. L'index renferme
aussi bien les noms de personnes que les notions fondamentales de nature historique et philo-
logique. Abstraction faite d'un &rant regrettable (le seul I) l'absence d'une traduction dans
une langue moderne ce volume correspond aux principes fondamentaux énonces en vue de
['elaboration d'un Corpus des sources byzantines. Il représentera sans nul doute un stimulant
el un guide pour les futurs éditeurs de textes.
H. IlliMescu

I. K. HAS IOTI, Mcof.cipt.oç OzóScopog zoct NLx-frpópoç ot Mataalvot (MeXtocroupyot) (16K-1705K


at)] [Makarios, Theodoros et Nikiphoros les Mélissènes (Mélissourgues), XVI° XVII°
siecle], Thessaloniki, 1966, 260 p. + 7 pl. hors-texte (Eteria Makedonik&n Spoudon
Idryma Meleton Hersonisou tou Emou).

La première partie de l'ouvrage traite de la vie et de l'activité de Makarios et de son


frère Theodoros Melissinos. Makarios est le bien connu métropolite de Monémbasie, l'auteur
du Pseudo-Sphrantzes (Cronicon majus); Theodoros, son frère et collaborateur, a développé une
activité politique et diplomatique remarquable en faveur du mouvement anti-ottoman des
Grecs du Péloponèse (1571-1572). Contraints à émigrer en Italie A la suite de l'échec de ce
mouvement dont ils avaient tenté d'assurer la réussite en entretenant des rapports tres serres
avec les chefs de la Sainte Ligue (tels Don Juan d'Austria et Marcantonio Colonna), ils font des
&marches infatigables auprès des cours princieres de l'Europe afin d'en obtenir la protection.
On les trouve à Venise, A Rome, en Espagne, enfin A Naples oa ils vont mourir A. une date que
l'auteur établit en s'appuyant sur des documents inedits. Leur activité dans la communaute
grecque de cette ville a été assez importante. Les deux freres se sont rapprochés de l'Eglise
catholique, Makarios essayant meme d'obtenir un évéché, celui d'Avellino.
La seconde partie de l'ouvrage est dédiée à Nikiphoros Melissinos-Komninos, le fils de
Theodoros. Il a fait ses etudes au College St.-Athanase de Rome et api es avoir joué un r6le
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540 COMPTES RENDUS 4

de premier ordre dans la vie intellectuelle et religieuse de la communauté grecque de Naples,


nous le trouvons en Grèce et A Constantinople, où il prend part, à côté des catholiques, aux dis-
putes provoquées par l'arrivée des missions jésuites. Il jouit de la prolection du patriarche Ti-
mothée II qui le fit nommer métropolite de Paronaxie. Mais 11 doit quitter son siège A. la suite
des intrigues de son prédécesseur et aussi, semble-t-il, de multiples dettes qu'il ne pouvait pas
acquitter. Après des pérégrinations en Italie, en Frunce et en Espagne 11 devint professeur au
Collège St.-Athanase de Rome et enfin éveque catholique à Crotone. Niktphoros a écrit des vers,
des épitres rhéloriques, des homélies, une grammaire de l'hébreu (restie inachevée), etc. Sa fin
le trouve à Crotone.
L'auteur donne une interprétation plus critique et plus soignée que celle de ses devan-
ciers (y cornpris le grand historien Sp. Lambros) de deux codices (II C 3.5 et // C 36) se
trouvant A la Btbliothèque Nationale de Naples. Il s'agit des documents personnels
des trois Mélissènes. A ces codices s'ajoutent des documents 'necias, certains mente
inconnus jusqu'A présent, se trouvant dans des bibliothèques et archives d'Italic, d'Espagne,
de Grèce, d'Angleterre et d'Allemagne. Ii leste encore A fouiller dans les archives de la com-
munaute grecque de Naples et dins celles de l'archevèche qui n'ont pas ele accessibles
l'auteur, publie dans les annexes du livre certains de ces documents el ving-deux épi-
grammes, également Medites, de Nikiphoros Melissmos.
Nous dzwons à cet ouvrage des mises au point et des renseignements nouveaux sur la
famille des Mélissènes, sur ses origines, son histoire et mème sur son nom (l'auteur prouvant
que le vrai nom est celui de M4issourgos). Les événements de l'histoire grecque post-byzantine
auxquels les trois Mélissènes ont pris part seront eux aussi mieux connus gi Ace A ce livre.
Il s'agit de la révolte de Péloponèse, des disputes religieuses de l'époque, de la vie des Grecs
de Naples, de la politique en Orient de l'Europe occidentale.
La synthèse biographique que l'auteur nous offre est melle et systématique, constituant
elle-mème une contribution scientifique remarquable. Elle ne s'eloigne jamais du document
étudié. Nous gardons toutefois le regret de n'avoir pas trouvé dans les annexes un nombre
plus grand et plus varié de pages de rceuvre littéraire et philologique de Nikiphoros Mélissmos
et cela d'autant plus que l'auteur nous en donne une description délaillée et un catalogue des
manuscrits dans le chapitre 5 de son livre.
Les pages finales sont consacrées à l'immixtion mélissénienne dans rceuvre de Sphrantzes
dont le professeur V. Grecu de Bucarest vient de donner l'édition critique (Eddura Academiei,
Bucarest, 1966).
Parmi les planches hors-texte on trouve une carte sur laquelle sont traces les itinéraires
des Nlélissènes en Europe. La riche bibliographie prouve encore une fois l'érudition de l'auteur.
Il y a deux indices, l'un grec, l'autre concernant les noms étrangers, en caracteres latins.
L'ouvrage, qui est une thèse, a été elaboré sous la direction scientifique du professeur
M. . Manousakas. Il fait honneur en m'eme temps A l'auteur et a ses maitres.

N. .5'erban Tanasoca

CONSTANTIN C. GIURESCU, Istoria Bucurestilor din cele mai vechi ttmpuri pinet in zilele
noastre [Histoire de Bucarest des temps les plus anciens jusqu'A nos jours], Bucarest,
Editura pentru LiteraturA, 1966, 466 pp. + ill. +8 p1.+5 cartes.

L'histoire de la ville de Bucarest a commencé de nouveau à susciter Finté'« des cher-


cheurs, surtout depuis 1959, lors des festivilés dédiées à ses 500 ans d'existence attestee par les
textes. Ainsi jusqu 'a présent, toute une serie d'ouvrages plus ou moins étendus ont été consacrés
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5 COMPTES RENEE'S 541

au passé de la capitale roumaine, S ses institutions, à sa culture, à ses monuments at chitec-


turaux sans arriver, à peu d'exceptions pres, jusqu'a l'actualité. Le nouvel ouvrage du pi ofesseur
Constantin C Giurescu réussit cepcndant à nous presenter une ample histwre de la vale de
Bucarest, depuis les premiers lablissement s humains surgis sur son tenitoire actuel et jusqu'à
nos jours Dans la seconde partie de son travail, le professeur Giurescu s'occupe d'une manière
dans de petits chapili es a caractère monographique de l'élendue et de la popu-
lation de la ville, des caadins et dcs aitisans, des auberges, des vignobles, des rues et des fact-
bourgs, des jardins et des pares de la ville, etc.
Dans son introduction bibliographique (pp. 7 li), l'auteur enregislre les publications
consacrées jusqu'A present. Ala ville de Bucarest, depuis les simples evocations et articles occasion-
nets, jusqu'aux etudes plus fouillées el aux ouvrages de synthèse. Il passe ensuite à l'analyse
du cadre geographic-Inc de Bucaiest (pp. 15 24), dont l'influence sin les destins de la ville fut
incontestable. L'expos6 propronent dit de l'histoire de Bucarest est precede ainsi que nous
l'avons mentionné par l'examen des élablissements disperses depuis la haute Antiquité
sur le territoire qui deviendia plus tard celui du bouig medieval. Le passe tumultueux de la
capaale roumaine est reconstitué d'une maniète set upuleuse au coins de 16 chapares. Nous
n'avons pas l'intention de trop insister sur cette première partie de l'ouvrage qui développe un
sujet traité assez amplement dans des tiavaux antérieurs ; l'auteur suit in general la ligne d'ex-
position chronologique habituelle et accepte la périodisation suivie par la majot lie des cheicheuis
du passé de Bucarest. En échange, nous tacherons de soulignet les contributions originales et
les nouveaux points de vue du livre dont nous faisons le compte-i endu. Sans doute, un pi oblème
d'une importance capilale est celui des origines de la vale. La conclusion logique qui se détache
de l'analyse minutieuse de l'auteur est que Bucarest dolt sa lointaine oi igire oà un fondateur
du nom de Bucur, possesseur de l'endroit situé sin les lives de la Dim] evita, là où fi.t iondé
au commencement le village de Bucarest (p. 44). Les fouillcs archéclog,qucs effecte écs ces
dernières années, l'analyse attentive des sources et une logique seirée di ns la teconstitiacn de
la vérité historique viennent confiimer l'opinion judicicuse de l'auteur D'aillcuis, ce qui
concerne l'ancienneté de la légende du berger Bucur, le fondateur mylluque de la vale et de
l'église qui porte son flora, considérée jusque réccmment comme une crCation el u di te du X IXe
siècle, des recherches effectuées dernièrement vicnnent jeter une lemiir e noevelle. Selen l'in-
tuition jusle de C. C. Giurescu, la tradition concernant Bucur cii culait au sein du peuple avant
le XIX° siècle. La découverte récente par le chei cheur bulgare K. Telbizov d'une relation inéclite
due au missionnaire fianciscain Blasius Kleiner prouve que la légende était déjà répandue
Bucarest avant 1764, date à laquelle elle se it ouve enrcgistiée dans rapport presenté
par cet ecelésiastique aux autontés de Rome. Kleiner affiime formellcmcnt que la 'ale a été
fondée quelques centaines d'années auparavant par un pane du nom de Bucur qui y érigea
aussi une église ; il est cependant vial qu'il n'alcntifie pas cette église avec la chapelle de
S. Alhanase, qui se ti ouvait à c6té du monastère de Radti-Vodil La localisation de l'église de Bucur
constitue done encore un problème qui n'a pas reçu de solution. Mais rancienncte de cette
légende du fondateur de la ville et de l'eglise qui poite son nom, eirculant connne une tra-
dition populaire au xvIne siècle, ne pent plus &ire mise en doute.
Par corare, l'opinion de C. C. Giurescu nous semble plus hasardée lot squ'il declare que
Bucarest avaa passé du stade d'un simple village à celui d'un établissement développé au
XIIIe siècle déja et qu'ensuite, grfice à son importance économique et stratégique, il ne manqua
pas d'attirer rattention des princes iegnants qui transférèrent parfois leur résidelice sur les
rives de la Dimbovita à paitir méme du XIN'e siècle. Si les récentes fouilles archéologiques
ef fect uées sur une vaste zone en diffeients points de la ville et surtout dans le secteur de la
o Cui tea Veche a, suppoée avoir été le be) cuasi de la capitale, out prouve l'existence de certains
habitats isoles de type rmal aux Xe et xie siécles, en échange excepté les quelques man-

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542 COMPTES RENDUS 6

naies rouvées en différents points isolés aucune découverte importante des XIII° XIVe
stècles,pas méme de la première moilié du XVe siècle, n'a été enregistrée nulle parL
L'au teur essaye de nous convaincre qu'un habiLat A demi urbam d'une certaine importance
a existé au XIV* siècle, ce qui est impossible à concevoir, vu qu'il n'a latssé la moindre
trace matérielle. La supposition que Bucarest ait existé seulement en tant que village au XIV°
siècle et que son importance se soit accrue au fur et A mesure pendant le siècle smvant de
manière à determiner le prince Vlad l'Empaleur (1456-1462) A y établir sa residence (plus ou
moins stable) nous semble done beaucoup plus logique et plus prudente.
L'auteur décrit ensuite la vine de Bucarest après sa transformation en residence princière
par Radu le Bel (1462-1474) et par ses successeurs, il nous présente l'existence tourmentée
de cette ville au cours des XVIe et XVIIe siècles remplis de guerres incessantes, de devasta-
tions, epidemics et émeutes, nous introduit dans la période de transformations des Phanariotes
et insiste sur les profonds changements survenus au seuil de l'époque moderne (pp. 50-131).
A partir de cette époque, l'histoire de Bucarest commence A se confondre avec l'histoire méme
du pays, car lors des grands événements, comme par exemple pendant la revolution de 1848,
la lutte pour l'unification (1859), la guerre d'Indépendance (1877-1878), la population de la
capitale a apporté toujours une importante contribution. Des pages très intéressantes sont con-
sacrées à l'histoire de Bucarest entre les d.eux guerres et puis à la période striclement con-
temporaine. Ces clerniers chapitres qui évoquent la vie de la capitale après 1918 sont d'autant
plus précieux que ce sont les seuls qui traitent d'une manière détaillée les aspecLs et les événe-
ments esquissés seulement dans les ouvrages généraux sur l'hisloire de Bucarest pants jusqu'A
nos jours.
En passant maintenant àla seconde partie de cette monographie de la capitale roumaine
nous tenons à souligner l'intérèt qu'elle présente pour l'étude du développement de cet impor-
tant centre économique et de l'activité de sa population.
Dans le chapitre intitule L'étendue de la ville : Villages qui se trouvaient sur le territoire
de Bucarest et les villages environnants. Plans de la ville de Bucarest (pp. 249-264),
l'auteur apporte des contributions nouvelles dans beaucoup de secteurs. Ainsi, dans
la succession documentée des villages qui faisaient jadis partie du territoire de
Bucarest, nous rencontrons certains habitats inconnus auparavant, comme par exemple
PAndtesti, Stilpeni, Belesche, Salad, BAnesti, Furduesti et Beresti, noms qui ont disparu dès
le XVIe siècle (p. 258). L'information relative A. l'existence d'un très ancien plan de la
ville, dessiné à l'un de quatre coins d'une carte représentant la Hongrie et les pays environ-
nants, carte imprimée A Amsterdam en 1535 (p. 259), offre un intéret remarquable. Par contre,
celle d'Ulysse de Marsillac, reprise par C. C. Giurescu, concernant l'existence d'un plan de la
ville de Bucarest du XVIIe siècle ne correspond pas à la réalité ; elle est le résultat d'une con-
fusion de la part de Marsillac ; l'écrivain français se rapportait en réalité A une esquisse de plan
appartenant A Sulzer et qui fait partie de sa Geschichte des transalpinischen Daciens, imprimée
A Vienne en 1781. Parmi d'autres plans de Bucarest dresses au siècle dernier par les officiers
topographes russes, il aurait fallu que l'auteur mentionnAt aussi celui de Kuzmin et Sernskantz
de l'année 1828 (qui indiquait la division de la capitale en cantons) ou celui de l'année 1850,
représentant aussi les environs de la ville, tous les deux conserves en original aux Archives
Centrales militaires-historiques de l'Etat, à Moscou (en copies photographiées au Musée d'his-
toire de la ville de Bucarest).
En ce qui concerne le chapitre sur la t Population de Bucarest t (pp. 265-277) élabore
d'une manière très sérieuse surtout pour ce qui regarde la composition ethnique des habitants
de la ville (parmi lesquels se trouvaient des Aroumains, des Grecs, des Bulgares, des Serbes
et des Albanais appartenant pour la plupart aux compagnies commerciales de Kiprovo, Gabrovo,
Arnautkioi, etc.), nous trouvons justifiée l'identification faite par l'auteur de l'église des Mol-
(laves avec celle dénommée S.-IonicA (qui se trouvait derrière le Palais de la République),

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7 COMPTES RENDUS 543

vu qu'un document inédit du mois d'aont 1696 mentionne un faubourg des o Moldaves u
proximité de « Stejar u et u Brezoianu s. Pour les variations enregistrées au XVIII0 siècle par
la population de Bucarest, nous signalons l'intéret présenté à titre cornparatif par la
description statislique de la population de Valachie elaboi ée par les Autrichiens en 17371,
ainsi que par celles des détenteurs de terres, appartenanl au monastère de S.-Pantelimon,
de 1752 2.
Le chapili e intitulé o Artisans. Manufactures et fabriques » (pp. 278-299) est un des
plus réussis de tout. l'ouvrage. Différenls métiers y sont présentés par branches, cerlains étant
mentionnés ici pour la première tots (par exemple, les pollogari, artisans qui rapiecaient les
chaussures, ou les tavangu, qui ornaient les plafonds des habitations des boyards, etc.). Une
attention parLiculière a 0..6 accordée par l'auleur aussi à l'étude de l'organisation profession-
nelle des artisans. Un paragraphe A part est destine A l'évolution des entreprises industrielles
bucarestoises, A commencer par les manufactures jusqu'aux fabriques et usines de nos jours.
Nous pouvons y ajouter certaines informations trees de documents inédits. Ainsi, parmi les
installations rudimentaires de type # industriel u de Bucarest au XVIIe siècle se trouvaient
une povarna de racluu (distillerie d'eau-de-vie), qui fonctionnail dans le faubourg dit i Ste-
jarului » (du chene) et appartenait au juif Marco (12 mars 1688) et une bragarze (endroit
l'on fabriquail la braga, boisson alcoolique obienue par la fermentation du son), appartenant aux
boyards Dudescu, situ& sur la Colentina (18 mars 1678) ; un autre document inédit, du 10 mars
1699, mentionne, à proximité de l'église s S.-Gheorghe Vechi » un endroit l'on brise le
fer o 3, qui fait supposer l'existence à cet endroit d'un ateliei.
Deux autres chapitres de l'ouvrage de C.C. Giurescu contenant des details nouveaux sont
decides, le premier aux marchands, aux auberges et aux hôtels (pp. 300-316), le second aux
,s vergers et ruchers s, aux caves-cabarets, aux brasseries, etc. (pp. 317-332).
L'auteur analyse ensuite les organcs dirigeants de la ville, des temps les plus reculés
jusqu'à nos jours (pp. 333-340). Deux paragraphes séparés s'occupent de Papprovisionnement
de la ville (moulins et eau potable), ainsi que des impelts, des taxes et des budgets bucarestois
(pp. 340-351). La dernière partie du 'lyre traite des quartiers, des rues et des jardins de la
ville. Un index méthodiquement dressé rendra des services au lecteur ; 241 illustrations (en grande
partie inédites) et cinq cartes accompagnent le texte. Huit planches en couleurs d'apres des
estampes contribuent encore à la presentation graphique de qualité de cet ouvrage.
Paul Cernovodeanu

CHARLES ASTRUC et MARIE-LOUISE CONCASTY, Catalogue des manuscrits grecs.


Troisième partie. Le supplément grec, tome III, n°8 901-1 371. Paris, Bibliothèque
Nationale, 1960, XIII -I- 789 pp.

Le Supplement grec de la section des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale de Paris


forme le troisième fonds de la collection de manuscrits grecs. Décrit sommairement et en partie
seulement par Henri Omont, cet important fonds est présenté par les conservateurs des ma-
1 Papacostea, Populatia Tdrii Romdnesti In ajunul reformelor lui Constantin Macro-
cordat. Un document inedit [La population de la Valachie A la veille des réformes de Constantin
Maurocordato. Un document inédit], 4 Studii 19 (1966), n° 5, p. 934.
2L Ionascu, Aspecte demografice vi sociale din Bucuresti la 1752 [Aspects démographi-
pies et sociaux de Bucarest en 1752], o Revista Arhivelor i, nouvelle série, 11 (1959), no 2,
pp. 136-145.
3 Le souvenir de l'endroit où l'on 4 brise le fer a eté conserve aussi dans le nom d'une
rue Fringe fierul s (brise le fer ; c'est l'actuelle rue Elias, entre la rue Decebal et la
rue Lipscani).

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nuscrits, Ch. Astruc et M.-L. Concasty. Le catalogue a été reçu avec une grande satisfaction par
les hellénistes et les byzantinologues 1. Les explications si compétentes données par les auteurs
offrent une indispensable rinse à jour des problèmes soulevés par les manuscrits, un veritable
état actuel de la question.
Le trait caractéristique du Supplement grec est comme le remarque A. Dain dans la
preface du Catalogue la diversité de son contenu. i On y volt représentées les principales
branches de l'activité littéraire, historique, scienlifique et religieuse de l'Antiquilé, de Byzance
et de la Grèce, de la Turcocratie s. C'est dans cette dernière catégorie que nous trouvons une
serie de documents intéressant de près l'histoire des Roumains et surtout les relations culturelles
gréco-roumaines depuis la fin du XVIIe siècle jusqu'aux premières décennies du XXe siècle.
Nous signalons, pour l'histoire de l'enseignement et de la culture grecque en Roumanie,
la correspondance de Sévastos Kyminitès avec Alexandre Mavrocordat, Mihai Cantacuzino et
Dionisos Spandonis 2 datée de 1689 anclen recteur de l'Academie du Phanar et professeur
en Valaclue (ms. 1248), Les précieux cahiers de cours d'Eustathios Lambros, élève de Se-
vastos Kyminitès A Bucarest (ms. 1348), nous ont garde la paraphrase de ce dernier à rceuvre
d'Euripide, d'Homère et d'Hésiode 3. La correspondance de Néophytos Kavsocalivitis datant
de l'époque de son séjour A Brasov (1770-1771) avec Théotokis et Evgliénios Voulgaris
(ms. 1358) existe, partiellement, aussi à l'Académie de la Republique Soclaliste de Rounianie,
mais elle contient en plus deux lettres l'une de Néophytos (datee du 21 mars 1771), l'aulre
de Théotokis que le fonds roumain ne possède pas. Une copie de la version grecque de la
description du voyage de Nicolas Milescu en Chine (ms. 1042), très discutée par nos historiens 4
en ce qui conceine le manuscrit modèle, a été définitivement identifiée par le commentaire des
auteurs. Le ms. 1005 contient un fragment de l'éloge dédié A Alex. Mavrocordat par le célèbre
professeur constantinopolitain Jacques Manos d'Argos5 et publié au commencement du livre
de Mavrocorclat, L'Histoire Sainte «6. L'ancien drolt roumain est représenté par un o reper-
toire de droit civil et ecclésiastique, compile à l'usage des provinces vlaco-moldaves s (ms. 1323),
un de ces recueils de droit byzantm si repandus dans les principautés danubiennes pendant
les règnes phanariotes 7. La traduction néo-hellenique du livre de Bignon Les cabinets et les
peuples depuis 1815 jusgu'à ce jour, Paris, 1823, 3e edition augmentée (ms. 1350), provenant
de la btbliothèque de N. G. Dosios, est édifiante pour l'intéret que les Grecs portaient aux
ceuvres hostiles a la Sainte-Alliance. La copie faite par Villoison de quelques fragments de
la chromque d'Alexandre Amiras (ms. 930),s, ainsi que les riches archives de Minoyde Myna s9,

1 Nous citons parmi la vingtaine de comptes rendus sur le Catalogue : Herbert Hunger,
dans Byzantinische Zeitschrift *, 54 (1961), pp. 126-129; M. I. Manousakas, dans o 'ETre-
T7)pig 'Evoctpetaq Bgacv-rtm759 Throuac7iv *, 30, 1960, pp. 638-643; Franvois Halkin, dans
o Analecta Bollandiana s, LXXIX, 1961, 1-2, pp. 145-159; Jean Irigom, clans e Bull.
des Bibliothèques de France s, VI, 1, janv. 1961, pp. 21-23, etc.
2 Cléobule Tsomkas, Les débuts de l'enseignement philosophigue et de la libre pensée-
dans les Balkans. La me et l'oeuvre de Théophile Corydalée (1570-1646), Thessalonique, 1967,
p. 121.
3 Le ms. 1348 a été décrit par A. Papadopoulos-Kérameus sous le titre de KdiSe
N. Aoniou *, dans Hurmuzaki, Documente privitoare la istoria Ronulnilor, Bucarest, 1909, vol.
xnr, p. ; apud Astruc-Concasty, Catalogue p. 669.
4 P. P. Panaltescu, dans Nicolas Spathar 11,1zlescu (1636-1708), Paris, 1925, p. 133;
C. C. Giurescu, dans Nicolae Milescu Spcitarul, Bucarest, 1927, p. 13.
5 Directeur de l'Ecole patriarcale de Constantinople. Il a été le professeur de Nicolas.
Mavrocordat, v. Papadopoulos-Kérameus, op. cit., p. 256.
Apud. Astruc-Concasty, Catalogue ..., p. 74.
7 Borje Knos, Hzst. de la lilt. néo-hellénigue, Uppsala, 1962, p. 58.
Astruc-Concasty, Catalogue ..., 34, ms. 930, ff. 195-201v.
Ms. 1251, au f. 34, un brouillon de lettre A. un personnage originaire de Valachie
ins. 1250, aux ff. 50 981, une minute d'une etude historique sur la Macedoine, restée médite, etc..

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9 COMPTES RENDUS 545

nous montrent la place qu'occupait l'histoire des pays rournains et du Sud-Est européen dans
les preoccupations des hellénistes franeais.
Particulièrement intéressant pour l'histoire des Roumains est le ms. 1221. Forme de
deux series de documents, ce o recueil factice o contient dans la première partie des manusci its
dus A quelques hautes personnalités ecclésiastiques orthodoxes. Nous signalons pour les
relations des pays roumains avec le Mont Athos une note en grec ayant trait A un supérieur
du monastere de Xéropotamos, l'archimandrite Evghémos de Thessalie, gm fut supérieur d'un
métoque de ce monastère de Moldavie pendant 11 ans puts avait été To7ToTripiTil4 du trOne
patriarcal d'Alexandrie (f. 17 rv.). Aux ff. 2-3V se trouve une lettre de 1790 de Dionisos,
l'higoumène du monastère des Archanges, ad.ressée à Georgios Syphnos ou Georges l'échanson".
Une notice biographique en français (f. 18T°) nous renseigne sur le médecin du monastère d'Ivi-
ron, Georges Papadopoulos, né à Magnésie (Thessalie), en 1803, qui fit ses etudes à l'Aca-
démie princière de Bucarest, A partir de 1814, comme élève de Ghenadms, de Vardalahos et de
Iatronoulos, et lutla en 1821 dans le Bataillon Sacré (`Iep&-, AózoS).
La seconde parLic du manuscrit contient une série de lettres (ff. 19 35°)", adressées
en general, a Tzany Koutoumas de Paris, entre 1817-1820. Nous y trouvons les lettres de la
princesse Ralou Caragea (f. 21 et 35) envoyées de Pise à Koutoumas. La fondatrice du célebre
thatre de Bucarest Cismeaua Rosie s , fille du prince Jean Caragea, était A ce moment
au commencement de l'exil du la famine de l'ex-prince phanariote. C'est toujours à Ralou
Caragea 12 que nous semble appartenir la lettre adressée A une o liptvyxtrriacra. o (sic), le 8 oct
1818, par Georges Pappa, probablement l'ex-« serdar * et membre de la municipalité de Bucarest,
possesseur de précieux manuscriLs giecs 13. Son frere, Constantin Caragea, ecrit au mettle Ron-
tou mas le 22 sept. 1819 (f. 26). Koutoumas recommande A un ami, le 30 nov. 1819, de souscrire
au periodique bien connu A6roq s, tout en critiquant Aprement la revue « Moocielov *.
Quelques-unes de ces lettres sont transmises par l'intermédiaire du baron C. Sakellarios". Le
grand logothète Bellios est aussi mentionné dans cette correspondance, ainsi que quelques glands
dignitaires : « dpxo)v ii,e-yeac4 IloaT6Xvi.xoq s, « x1'.>(:4og Hea6 s, s. A juste Litre,
les auteurs du catalogue et ceux des comptes rendus soulignent l'importance de ces docu-
men ts15, qui évoquent toute une série de figures intéressantes de cette fin d'époque phana-
note, que rehent parfots de simples relations d'affaires16, mais aussi d'incontestables
affinités philhellènes, A la veille de l'insurrection hétériste. Leur presence A Pise puissant
centre de ralliement des Grecs exiles à l'époque précédant le mouvement révolutionnaire de
182117 ne fait qu'accroitre l'intérel dc cette correspondance.

10 Papadopoulos-Kérameus, op. cm!., p. 174. apuct Astruc-Concasty, Catalogue..., p. 383.


1/ Dont nous publierons quelques-unes.
12 La le are est donc adressée A la fille et non « A. la femme d'un prince phanariote o,
comme le croient les autewrs du catalogue.
13 N. Camariano, Catalogul mss. grec., tome II, Bucarest. 1940, pp. 14-15, mss. gr.
869 870 et 870 875 Astruc-Concasty, op. cit., rus. 1248, p. 455, par. IX, XII; v. les ma-
nuscrits de Minoyde Mynas, contenant le catalogue de la bibliothèque de Georges Pappa.
V. Elléni Koukkom, Konslantinos Vardalahos (1755-1830), dans Baz.-neugr. Jahrb., 19. Band.,
1966, p. 179. On y trouve une note de G. Pappa sur un manuscrit de Vardalahos (ms gr.
1172 de la Bibl, de l'Académie de la Republique Socialiste de Roumanie).
14 Le futur consul prussien A Bucarest (1833-1848).
16 Le ms. 1221 est caractérisé par H. Hunger s die zum Tell fur die Phanariotenprosopo-
graphie wichtige Sammlung ; M. Manousakas le considère « un intéressant recueil de diffe-
rentes lettres phanariotes S. Voir la note 1 concernant les comptes rendus.
16 Le contenu des lettres traite plutdt de questions d'argent.
17 A Pise, vivait à cette époque l'ex-métropolite de la Hongro-Valachie, Ignatios d'Arta,
actif prolecteur du s A6ytoq o (v. C. Tb. Dimaras, NcoEXX)Ivi,x4) 'ErnaToXoypapEot,
Athina. p. 139; y. N. V. Tomadakts, crupo)A Tiáv i))olvtx&iv xoLv6T-ivrcov ToZ) i(aTeptxoii
Tòv ecycívcc Ttq iXeu0epEccg, Athenes, 1953, pp. 14-15) ainsi que de nombreux Grecs, V. N. Iorga,

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546 COMPTES RENDUS 10

Au folio 24 nous trouvons un contrat roumain 18 de vente, tout A faiL insolite dans ce
recueil grec.
Nous signalons pour la vie culturelle des communautés grecques de Roumanie, le ms.
1367, dans lequel N. G. Dosios, sous le pseudonyme de Nousla Gianniotis et sous le Li re de
"Av,97) xo:%. (DaXx.s , a noté de nombreuses données autobiographiques concernant son activité
«en Grèce, en Roumanie eL en France, une bibltographie complète de ses ouvrages, ainsi que des
poésies et des léprul:s épirotes, pour la pluparL inédites.

Cornelia Papacostea-Danielopoltz

PAULINE JOHNSTONE, The Byzantine Tradition in Church Embroidery, London, 1967


144 pages, 120 planches + une planche en couleur.

Il s'agit d'un beau livre, très soigné et dont le texte, riche en informations nécessaires
pour rendre conipréhensible, aux non-spécialistes, un Art aussi particulier que la broderie byzan-
tine et de tradition byzantine, est soutenu par d'excellentes illustrations dont le choix fait
honneur au goett et A la compétence de l'auteur. Ce n'est pas une tAche facile que celle que
Madame Pauline Johnstone s'est proposée de remplir : s ... to describe in very general terms
for the western reader the scope of these embroideries, what they were used for, where and
how they were made, and their place in the historical and artistic background of their time *
(p. VII). Et il faut espérer que le public occidental auquel, au fond, ce livre est dédié, saura
récompenser l'effort de l'auteur en s'intéressant de plus près A un genre d'art depuis long-
temps révolu mais dont la perfection technique, la richesse et en somme la beauté n'ont
rien A envier, entre autres, au justement célèbre o opus anglicanum s. L'auteur, qui a connu de
près la broderie byzantine et post-byzantine, a su l'apprécier à sa juste valeur et son livre est
le résultat d'un enthousiasme sincère et d'une patiente étude. Il est juste, avant d'entrer
dans une analyse plus minutieuse, de souligner l'intérêt, du point de vue de l'information
culturelle, d'un livre qui, pour la première fois depuis la magistrate (et restée unique dans son
genre) etude de G. Millet (Broderzes religieuses de style byzantin, avec la collaboration de Hélène
des Ylouses. Texte et album, Paris, 1939), embrasse, dans quelques-uns de ses aspects essentiels,
le domaine de la broderie byzantine proprement dite, source de l'une des creations tres impor-
tantes, mais trop peu connues, des arts somptuaires du moyen-Age dans le Sud-Est europeen.
Car, en ce qui concerne les limites géographiques de cet art qui appartient exclusivement
l'Orient chretien, l'auteur avoue dans son Introduction avoir a ...ignored the other branches
of the eastern church, Coptic, Syrian, Armenian and so on D. C'est aussi le cas pour la broderie
russe, que l'auteur mentionne en passant, sans insister. Faut-il rappeler que l'Albanie, héritiere
elle aussi d'une broderie de tradition byzantine, méritait sa part d'intéret ? C'est, aprés la bro-
derie byzantine, celle serbe et surtout celle roumaine qui font l'objet principal de ce livre.
L'auteur a été un peu injuste envers la broderie serbe (méme en ce qui concerne les illustrations),
non pas seulement puisqu'il ne lui a pas accord& un chapitre spécial (comme à la broderie rou-
maine), mais puisqu'un nombre de piéces importantes n'ont pas até mentionnées.

Histoire des Roumains, Bucarest, VII (1940),p. 263: celui qui [Caragea] pensait A un refuge
de préférence en Italie et qui entretenait A Pise aussi d'autres Grecs exiles *. V. aussi
N. Camariano, Sur l'activité de la Societi littéraire gréco-dacique de Bucarest (1810
1812), e Rev. Etudes sud-est europ., VI (1968), 1, pp. 39-54.
is Décrit par les auteurs comme étant slave.

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11 COMPTES RENDUS 547

Néanmoins, la connaissance des pieces artistiques est directe et suffisamment riche. Et


ce n'est pas peu dire. Car il s'agit, en espèce, non seulement d'avoir vu ce materiel dont
la variété est aussi inattendue que sa complexité mais bien de le connaitre sous ses multiples
aspects, dans ses traits communs (qui justifient l'appellation de broderie post-byzantine), comme
dans ses traits distinctifs (qui permettent d'affirmer l'existence d'une broderie bulgare, serbe,
roumaine, etc.). C'est cette connaissance, ainsi qui l'information bibliographique (dont le choix
concernant les différents pays mérite d'être souligné) qui ont permis à l'auteur de fournir, sous
une forme accessible aux non-specialistes, les données essentielles concernant rambiance histo-
rique, la signification symbolique, revolution (moins marquee cependant), la technique, qui
définissent cet art spécifiquement medieval. Et c'est ainsi que la finalité didactique du livre
est pleinement atteinte. Le lecteur est informé sur les différentes categories de vètements litur-
gigues, sur riconographie, sur l'ornement, sur les inscriptions liturgiques et dédicatoires, sur les
artistes et les ateliers, sur quelques-unes des ceuvres les plus representatives de ce genre d'art.
C'est à juste titre que l'auteur insiste sur ce dernier point, en lui consacrant un chapitre (« The
pieces illustrated *). Chaque piece de broderie illustrée A la fin du livre a recu une ample descrip-
tion et a été en ineme temps mise en relation avec d'autres pieces appartenant au meme genre
ou au même groupe stylistique. Si la bibliographie genérate est celle essentielle, toutefois dans
ce chapitre quelques precisions sont nécessaires. En ce qui concerne la bibliographie roumaine,
n'ont pas été mentionnées certaines etudes récentes, qui complètent, précisent et souvent corri-
gent les informations fournies ptft les etudes plus anciennes. C'est le cas, par exemple, pour
le livre de O. Tafrali (Le trésor byzantin et roumazn du monastére de Putna, Paris, 1925), souvent
cite, qu'il est nécessaire de completer pour certaines raises au point de detail par deux
articles de P. $. Nästurel (Date noi asupra unor odoare de la mandstzrea Putna), publiés dans la
revue « Romanoslavica *, vols. III et IV, Bucarest, 1958 et 1960. En ce qui concerne l'étole,
perdue aujourd'hui, du prince Alexandre le Bon (p. 100), si importante pour connaltre les
débuts de la broderie roumain6, toutes les informations la concernant ont eté publiées recem-
ment et pour la première fois en entzer dans la revue o Studii i cercetAri de Istoria Artei *, I,
Bucarest, 1958 (Maria-Ana Musicescu, Date not asupra epitrahilului de la Alexandra cel Bun).
En ce qui concerne la broderie roumaine des XVeXVIe siècles, le livre de V. VAtAsianu,
(Istoria artei feudale in rdrile Romdne, I, Bucarest, 1958) constitue la synthèse la plus récente
et oa revolution de la broderie est étudiée en rapport avec revolution des autres genres d'arts
somptuaires du pays.
Parmi les details concernant certaines pieces de broderie roumaines décrites dans ce
chapitre, signalons quelques inadvertances : le rideau de Stdnesti n'est pas le don de Stroe
Buzescu, mais celui de son frere Preda Buzescu (4 Ban * d'Olténie) (p. 109) ; il n'y a pas
de parenté stylistique entre le voile funéraire de la princesse Marie de Mangop, A la figure extré-
mement stylisée et celui du prince Simeon Movirá, si réaliste dans l'ensemble (p. 113) ; rien
n'indique que les portraits brodés de Tudosca et de Ion, femme et fits du prince Basile le Loup,
soient des portraits funéraires (p. 114, pl. 83-84).
Dans le chapitre consacré à la broderie roumaine (4 The Rumanian principalities *)
laquelle, en fait, représente non seulement l'une des creations les plus parfaites de l'art rou-
main du moyen-Age, mais illustre admirablement la trés haute qualité artistique que cet art de
tradition byzantine a pu atteindre dans l'Orient chretien après la chute de Constantinople on
regrette l'omission d'une des plus remarquables broderies valaques (la plus artistique aussi de
cette province roumaine) : il s'agit du voile (dverd) représentant la 4 Descente de Croix *, du temps
de Neagoe Basarab (1512-1521) et se trouvant actuellement au musee de l'Oroujénaia Palata
du Kremlin de Moscou. La piece a été etudiée pour la première fois sauf une fugitive mention
de G. Millet dans la revue Studii i cercetdri de istorta artei *, II, Bucarest, 1958 (Maria-
Ana Musicescu, O dverd necunoscutd de la Neagoe Basarab). Ajoutons à la liste des noms d'artistes
mentionnés par l'auteur ceux de Mardarie et Zosim, vraisemblablement moines au monastère

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548 COMPTES REND-0 S 12

de Poutna, auteurs du voile de 1510 (v. P. $. NAsturel, Dale noi asupra unor odoare de la mciruls-
hrea Patna, dans 4 Romanoslavica i, III, Bucarest, 1958).
Dans un texte si dense (le souci de l'auteur de partager avec ses lecleurs tout l'acquis
de son savoir est evident) les quelques repetitions, lacunes, inadvertances ou erreurs (parmi ces
dernières nous ne pouvons pas nous empécher de remarquer le fait que l'auteur qualifie de
4 tribes i les organisations politiques roumaines des XIIe XIII` siècles), n'entament pas dans
son essence la valeur informative du livre, qui atteint plemement son but. Ce qui lui manque
chose d'ailleurs extrémement difficile A obtenir c'est de communiquer la beauté de cette bro-
derie. Car, au fond, c'est la beauté de ces pieces qui est l'unique qualité capable de parler aux
contemporains et de les convaincre de la survie d'une creation dont le rôle et auss, le langage
spécifique sont révolus depuis bientôt trois siècles. Et il ne s'agit pas settlement de la perfec-
tion technique (on l'obtient également de nos jours), ni de la somptuosité du materiel (gut est
propre A tout art sacré du moyen-Age européen), ni de l'harmonie des couleurs ou de l'élégance
du dessin (qui demeurent, malgré tout, des accessoires). Il s'agit d'une admirable cohesion,
d'une synthese parfaite et non dépassée depuis dans ce genre d'art, entre la finable très precise
de chacune de ces pieces de broderie, la culture de chaque peuple, sa sensibilité artistique, sa
manière spécifique de mettre en valeur la tradition par une force créatrice toujours renouvelée.
C'est le devoir des historiens de l'art de trouver le langage le plus précis et aussi le plus
significatif dans les moindres nuances et qui puisse transmettre à tous ce qui est unique
comme puissance d'émotion dans ces ceuvres qui gardent le privilege de fairc revivre l'histoire
par la beauté.

Maria-Ana Musicescu

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NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES

Rédigées par : MIHXESCU, HARAL AMBIE (H.M.) ; MSTUREL, PETRE (13.5.N.) ;


CLIMA, GRIGORE-CARP (G.-C.C.).

BOPFIC TEPOB, Jipo yneanua eapxy sanaanompasuach-ume semu npes pumcno e peme
[Recherches sur les territoires thraces de l'Ouest au temps des Romains], II,
Annuaire de l'Université de Sofia. Faculté des Lettres*, LXI, 1, 1967, pp. 1-102.

La première partie de cet ouvrage a vu le jour en 1961 dans le méme Annuaire de


l'Université de Sofia. L'auteur s'est livré A une analyse fouillée et approfondie des sources histo-
riques et des matériaux archéologiques : il apporte un grand nombre de rectifications de detail
et présente des conclusions d'ensemble fondées sur l'utilisation exhaustive des moyens d'informa-
tion dont on dispose dans les derniers temps. Dans la seconde partie de son ouvrage, laquelle
fait l'objet de notre presentation, il s'occupe de Serdica et de son territoire depuis l'époque
prehistonque jusqu'A la fin de l'antiquité. Un sous-chapitre présente le rede et les influences des
Celtes ; ces derniers ont laissé des traces importantes et, selon l'auteur, le nom méme de Serdica
leur appartiendrait (p. 100) : Die keltische Diaspora im ersten Viertel des III. Jhs. hat als
Ergebnis die Infiltration des keltischen Elements und die Entstehung kleinerer oder grosserer
keltischen Enklaven im ganzen Raum des mittleren und unteren Donaubeckens bis zu der
S chwarzmeerkuste im Osten und in Makedonien und Thrakien im Suden bis zum Golf von
Saloniki und dem Bosforus. i Un chapitre s'occupe en particulier des mines et de leur exploi-
tation et un auti e fait connaitre les frontièles et l'organisation administrative du territoire de
la ville de Serdica. Le dernier chapitre décrit les voies de communication. L'étude n'a pas
encore de conclusion, car une troisième partie, la plus importante, sera consacrée à l'élément
hu main.
Ce genre de monographie est le bienvenu et il est A souhaiter qu'une zone geographique
encore plus large en fasse l'objet.
L'auteur expose les faits ou les phénomènes culturels en suivant l'ordre chronologique
et leur dispersion géographique. Il décrit en méme temps les sources ou bien il se livre A des
observations critiques A leur propos. En évoquant les acquisitions du passé et en exprimant
des points de vue nouveaux qui résultent de l'analyse attentive des sources, B. Gerov réussit
A relever la complexité du processus historique. L'impression d'ensemble est que l'ethnogenèse
des peuples du sud-est de l'Europe est redevable aux elements multiples et varies qui y ont
longuement exercé leur action.
H. M.

REV. ftUDES SUD-EST EUROP , VI, 3, p 549-551, BUCAREST, 1968

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550 NOTICES BIBLIOGRAPHI QUES 2

JOHANNES KARAYANNOPULOS, Hauptfragen der Byzantinisttk der letzten Jahre. Tirage


A part de Frulunittelalterliche Studten. Jahrbuch des Instituts fur Friihmtltelaltersforschung
der Universitat Miinster, I, Berlin, Walter de Gruyter & Co., 1967, 170-185.

Le savant professeur de Thessalonique expose l'état actuel de quelques-uns des pro-


blèmes majeurs des ètudes byzantines à travers le monde. Il en fait le point et sème des sug-
gestions nouvelles ; les questions se réduisent dans les grandes lignes A la division de l'histoire
de Byzance, au régime des thèmes, A la loi agraire, aux aspects de la démographie de l'Empire,
A la responsabilité collective, A la ville byzantine et A la féodalité byzantine. La bibliographie
sur laquelle s'appuie cet exposé en fait un excellent précis pour l'étude de ces grands problémes
qui préoccuperont longtemps encore les érudits.
P. N.

MARIA S. THEOCHARIS, 'Ex -cEtív incarrlpEcov Tijg 1Çwvcrrav-rtvoun6Xewq.


'H xev-r-Irretce Eòcref3f.m. [De l'activité des ateliers post-byzantins de Constantinople.
La brodeuse Eusébie]. Tirage A part de 'Enz-r-qpíg 'ETcapeEctç Thgav-rtvv E7rouac7)v,
35 (1966), Athènes, 1967, pp. 227-241, avec 16 planches et un résumé français.

Les investigations méthodiques auxquelles se livre Mlle Maria Theocharis pour retrouver
les traces des différents ateliers de broderies religieuses et somptuaires avant et après 1453,
en faire connaitre l'activité et en évoquer les multiples aspects nous valent déjà une suite solide
de contributions, dont le présent article est, A notre connaissance, le dernier en date. Il
s'occupe cette fois des broderies qu'a signées une artiste du nom d'Eusébie et qui remon-
tent aux années 1723-1735. Ce sont un épigonation représentant La Transflguration (aujour-
d'hui au Musée de Sofia), un épigonation et une paire d'épimanikia (conservés A l'église métro-
politaine d'Hydra, en Grèce), un troisième épigonation (au Patriarcat de Constantinople)
et deux autres encore du monastère de S.-Jean le Théologien, à Patmos. L'étude stylistique et
technique de toute la série montre la reculade de la tradition byzantine devant l'apport de
l'art d'Occident ; ces pièces, comme en font du reste foi les belles photos qui accompagnent ce
travail, sont empreintes d'une grace mondaine, d'un esprit lalque, qui jurent avec la tradi-
tion séculaire du monde byzantin. Comparant ces productions avec celles contemporaines
d'autres artistes de la méme branche la brodeuse Despineta, sa consceur Mariora, ou encore
Sophie, fille et disciple de la seconde l'auteur aboutit à la conclusion qu'Eusébie a pratiqué
son métier dans l'un des ateliers de Constantinople. Peut-être l'étude des broderies post-byzan-
tines, conservées par dizaines en Roumanie, permettra-t-elle un jour d'augmenter la liste des
ceuvres d'Eusébie patiemment dressée par l'érudite athénienne.
P. N.

DOLFE VOGELNIC, Makrodemografski aspekti formiranja urbanih regija u Yougoslavip [Les


aspects macro-démographiques de la formation des régions urbaines en Yougoslavie],
Stanovnigtvo e, Beograd, nr. 4, octobar-decembar 1966, pp. 261-281.

L'auteur s'est proposé de mettre en relief les phénomènes de concentration de la popu-


lation dans les localités rurales des alentours des villes, c'est-A-dire la formation de zones pl.&
urbaines au sein du processus général d'urbanisation de la Yougoslavie.
11 a adopté comme unit& d'analyse de ce processus d'« urbanisation rurale les territoires
des communes (d'après la subdivision administrative de 1961) sur lesquels il existe une localité
de plus de 10.000 habitants, territoires déclarés communes urbaines s. On en compte 110 et
elles représentent 15 % de la totalité des communes et 40% de la population du pays (en 1961).

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3 NOTICES BLESLIOGRATHIQUES 551

Chaque commune comprend une partie urbaine la localité de type urbain dépassant 10.000
Ames et une partie rurale les autres localités.
L'étude est menée scion les méthodes statistiques, A l'aide de procédés macro-démogra-
phiques et géographiques. Pour determiner le degré de concentration de la population dans
les zones rurales des communes.on a eu recours A deux indicateurs quantitatifs de rurbanisalion
rurale : 1) le coefficient statique (du moment) la proportion de la population dans les localités
rurales A population active non agricole de plus de 50% par rapport A la population rurale
totale de la commune urbaine considérée (en 1961) ; 2) le coefficient dynamique (d'intervalle)
la proportion de la population dans les localités d'immigration par rapport A la totalité de la popu-
lation rurale de la commune (pour la période écoulée entre les recensements de 1953 et de 1961).
Le calcul de ces indicateurs par categories et regions permet de determiner une série de carac-
téristiques principales du processus d'urbanisation rurale.
Le niveau de l'urbanisation rurale en 1961 dans toute la Yougoslavie est exprimé par le
coefficient de 25% très réduit, comme du reste aussi le degré de rurbanisation générale
de 22,6%. Il est, en mème temps, extrêmement peu homogène : deux tiers de l'ensemble des
communes urbames ont un niveau très bas d'urbanisation (0 200) et un dixième seulement
atteint un niveau élevé (80 100 %). La variation territoriale du niveau d'urbanisation rurale
est particulièrement prononcée pour les républiques et les regions autonomes : le coefficient
statique oscille entre 75,20% en Slavonie et 8,9% en Macedoine.
Les tendances qu'accuse revolution de rurbanisation rurale pendant la période 1953
1961 sont exprimées A raide de la correlation établie entre le coefficient statique et le coeffi-
cient dynamique et au moyen de la determination consecutive d'une typologie du développement
constituée de quatre categories combinées de communes urbaines : A. niveau réduit et élevé,
A tendance stagnante et croissante d'urbanisation réparties par républiques et par regions.
La categoric des communes A faible niveau d'urbanisation et A tendance marquee A la croissance
est la plus répandue.
La part des localités rurales entrainées dans le processus d'urbanisation est exprimée par
le rapport entre le nombre des localités rurales en voie d'urbanisation et le nombre total des
localités rurales. Plus de la moitié des communes urbaines du pays se trouvent en plein processus
d'urbanisation, avec la valeur supraunitaire du rapport ci-dessus. L'existence dans certaines
regions d'un grand nombre de communes urbaines ayant une valeur sous-unitaire du rapport
s'explique en raison du degré réduit de l'urbanisation genérate et du rythme rapide de rin-
dustrialisation, ce qui a impose l'emplacement des nouvelles industries en dehors des centres
habités déjà existants.
L'influence de la dimension de la localité urbaine centrale sur le degré de rurbanisation
rurale de la commune en question determine par un indicateur corrélatif entre les deux coef-
ficients s'avère assez faible. Les vines yougoslaves, de dimensions réduites, ayant un fort
pourcentage de population agraire, ne peuvent exercer une attraction marquee sur les zones
rurales qui leur sont adjacentes.
Le développement économique general de la commune urbaine, exprimé par l'indicateur
de la population active non agricole, exerce une influence directe sur le degré d'urbanisation
rurale. Le coefficient statique et le coefficient dynamique croissent A peu près parallèlement au
niveau du développement économique, en marquant une acceleration plus forte dans les com-
munes comptant plus de 80% de population non agricole. La correlation directement proportion-
nelle entre la croissance du niveau économique et la dynamique de rurbanisation rurale est
démontrée de façon concluante.
Ce travail présente un intérét tout particulier du fait qu'il traite synthétiquement un
phénomène d'actualité, en fonction d'une abondante documentation, presentee sous forme
de nombreux tableaux statistiques, de diagrammes, de cartogrammes et de schémas.
G. C.-C.

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* , Ram histolre de la Transylvanie, collection e Bibliotheca Historica Romaniae *, III,
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cation, collection Bibliotheca Historica Romaniaa, 11, 1966, 128 p., 4,25 lei.
DAN BERINDEI, L'Union des Principautés Roumaines, collection Bibliotheca Historica
Romaniae o, 13, 1967, 228 p., 7,75 lei.
MIRON CONSTANTINESCU et V. LIVEANU, Sur quelques problèmes d'histoire, collection
Bibliotheca Historica Romaniae *, 14, 1966, 159 p., 5,50 lei.
A. PETRIC et GH. TUTUI, L'unification du mouvement ouvrier en Roumanle, collection
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ION POPESCU-PUTURÌ et AUGUSTIN DEAC, La première Internationale ella Roumanie,
collection e Bibliotheca Historica Romaniae s, 12, 1966, 155 p., 6,50 lei.
D. PRODAN, Bojaren und Vecini" des Landes Fogarasch im 113. und 17. Jahrhundert, collec-
tion e Bibliotheca Historica Romaniae o, 15, 1967, 179 p., 6,75 lei.
A. GRAUR, The Romance Character of Romanian, collection Bibliotheca Historica
Romaniae », 17, 1967, 75 p., 2,50 lei.
CORNELIA BODEA, Lupta romAnilor pentru unitatea nationala - 1834-1849 (La lutte des
Roumains pour l'uniti nationale - 1834-1849), 1967, 391 p., 23,50 lei.
* Marea rftscoalli a taranilor din 1907 (La grande révolte des paysans de 1907), 1967,
91.1 p., 51 lei.
Sous la direction de Iorgu Jordan, Crestomatie romanlefi (Chrestomathie romane), III° vol. ;
partie, 1331 p., 86 lei.

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