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Catherine Kerbrat­Orecchioni

ICAR, Université Lumière Lyon 2
Institut Universitaire de France

Les genres de l’oral : 
Types d’interactions et types d’activités

1. Introduction

L’idée de l’organisation de cette journée consacrée aux “genres de l’oral” est d’abord liée au
fait   que   Véronique   Traverso   et   moi­même   avions   été   récemment   sollicitées   par   Simon
Bouquet pour participer à un numéro de  Langages  consacré à la notion de genre1, et plus
précisément pour réfléchir à la question de savoir comment on peut appliquer au discours oral
une problématique qui s’est élaborée dans la perspective de l’écrit, restant encore aujourd’hui,
malgré les proclamations de Bakhtine il y a tout juste cinquante ans, « sous­utilisée dans le
domaine de l’oral » (Brès 1999, 107)2.
Cela   dit,   mon   intérêt   personnel   pour   les   questions   de   typologie   ne   date   pas   d’hier.   Ces
questions ne peuvent que hanter tout linguiste dans la mesure où l’activité langagière est avant
tout une activité classificatoire : parler, c’est dénommer, donc classifier ; en énonçant “Passe­
moi   ton  stylo”,   j’étiquette  “stylo”  un  objet  individuel   doté  de  caractéristiques   propres,  je
l’insère donc dans une classe d’objets découpés par la langue dans le continuum référentiel,
sur la base d’un certain nombre de propriétés communes à l’ensemble des membres de la
classe — on sait que c’est ce qui permet à Roland Barthes, dans sa fameuse leçon inaugurale
au Collège de France, d’attribuer à la langue le qualificatif désobligeant (et d’ailleurs assez
malencontreux) de “fasciste” :

Nous ne voyons pas le pouvoir qui est dans la langue, parce que nous oublions que toute
langue est un classement, et que tout classement est oppressif.[…] La langue n’est ni
réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste. (1978, 12­14) 

La langue contraint le locuteur à faire rentrer tous les contenus de pensée dans des tiroirs
lexicaux   et   grammaticaux   préalablement   constitués,   parfois   en   forçant   un   peu,   parfois   en
rusant avec les catégories préexistantes, car dans sa grande sagesse la langue a aussi prévu
(sous   la   forme   des   modalisateurs,   des  hedges  et   autres   procédés   de   l’approximation),   la
possibilité d’assouplir les frontières catégorielles, afin que l’on puisse s’accommoder de la
tyrannie des catégories qu’elle nous impose.
Quoi qu’il en soit tout linguiste, en tant que “méta­locuteur”, est aussi par nécessité un “méta­
classificateur” (Barthes encore, 1985, 12 : « il y a, dans l’activité de classement, une sorte
d’ivresse créative […] »), qui doit dans un seul et même mouvement exhumer les catégories
1 No 150, “Linguistique des genres”.
2 Étant bien entendu qu’il n’y a pas de frontière opaque entre “genres de l’écrit” et “genres de l’oral”,
voir ici même l’article de S. Moirand.
établies pas la langue et constituer des catégories descriptives propres. En ce qui me concerne,
j’ai été dès le début de mon parcours confrontée à ce problème puisque c’est par la porte de
sémantique lexicale que je suis entrée en linguistique ; excellente école pour appréhender
concrètement cette activité classificatoire, et prendre conscience des phénomènes suivants :
1­ Cette activité s’effectue sur la base d’axes découpés en traits distinctifs.
2­ Ces axes peuvent entretenir deux types de relations, qui correspondent à deux grands types
d’organisations : les organisations taxinomiques, dans lesquelles les axes sont en relation de
hiérarchie (ou d’implication unilatérale), et qui sont réprésentables à l’aide d’un schéma en
forme   d’arbre ;   et   les   organisations  diacritiques,   dans   lesquelles   règne   la   “classification
croisée” (c’est­à­dire que toutes les combinaisons entre traits relevant d’axes différents sont
théoriquement possibles), et qui sont représentables par un tableau à double entrée. Or les
systèmes lexicaux sont des organisations hybrides à cet égard, en ce qu’elles comportent à la
fois   de   la   hiérarchie   (cristallisée   dans   l’existence   des   hyper­/hyponymes)   et   de   la   non­
hiérarchie (pour prendre l’exemple du champ des termes de parenté : l’axe du sexe et celui
des générations sont en relation de classification croisée). Et il en est de même s’agissant de la
classification des genres textuels.
Très vite en effet, sans abandonner les mots je me suis tournée vers les textes et les discours,
écrits bien sûr (nous sommes en France, à la fin des années 70). Et j’ai fatalement rencontré la
problématique des “genres”, notion « qui remonte à l’Antiquité » comme on le lit dans le
Dictionnaire  d’Analyse  du  Discours  de  Charaudeau  et  Maingueneau,  l’auteur  poursuivant
ainsi :

On la retrouve dans la tradition de la critique littéraire qui classe ainsi les productions
écrites selon certaines caractéristiques, dans l’usage courant où elle est un moyen pour
l’individu de se repérer dans l’ensemble des productions textuelles, puis, de façon fort
débattue dans les analyses de discours et les analyses textuelles. (Charaudeau 2002,
277).

De ces débats je ne dirai rien, si ce n’est que ces classifications en genres, dont l’utilité est
parfois mise en doute, sont pourtant “incontournables”, et ce n’est pas un hasard si l’« usage
courant » y recourt abondamment (ce n’est pas une invention des rhéteurs ou des linguistes) :
c’est en effet un indispensable « moyen de se repérer » parmi l’infinie diversité des objets du
monde3.
Il en est exactement de même pour les productions orales : on peut difficilement décrire une
interaction quelconque sans prendre en compte le genre dont elle relève, les genres  étant
définis comme des catégories abstraites qui regroupent, sur la base d’un certain nombre de
critères, des unités empiriques se présentant sous forme de “textes” ou de “discours”. Si la
définition des genres est la même pour l’oral et pour l’écrit, les problèmes posés sont à la fois
communs et spécifiques, ainsi que je vais l’envisager maintenant.

3 On classe les textes, mais aussi les films (Lyon-Poche admet par exemple les catégories suivantes :
“comédie”, “comédie dramatique”, “comédie d’action”, “comédie policière”, “polar”, “polar psy”,
“aventure”, “thriller”, “drame”, “drame psy”, “aventure”, “légende”, “chronique”, “guerre”, “doc”,
“portrait”, “érotique”, “fantastique”, “épouvante”, “science fiction”, “dessin animé”, etc.). Or si le
classement en genres a la vie si dure, c’est qu’il doit bien avoir une certaine pertinence pour les
utilisateurs de ce magazine, et jouer un rôle plus ou moins déterminant dans le choix du film que l’on
s’apprête à voir.
2. Les genres de l’oral

Comme les textes écrits, les productions orales relèvent de genres divers, c’est­à­dire qu’ils se
distribuent en “familles” constituées de productions variées mais présentant un certain “air de
famille”.   Cela   est   attesté   par   l’existence   des   nombreux   termes   que   la   langue   met   à   la
disposition   des   usagers   pour   caractériser   tel   échange   particulier   comme   étant   une
conversation, une discussion ou un débat, du bavardage ou du marchandage, une interview,
un entretien ou une consultation, un cours ou un discours, une conférence ou une plaidoirie,
un récit ou un rapport, une confidence ou une dispute, etc., l’hétérogénéité d’une telle liste
(qui pourrait être allongée ad libitum) confirmant la remarque de Maingueneau (dans laquelle
se trouvent mêlés genres de l’écrit et de l’oral) :

Les locuteurs disposent d’une foule de termes pour catégoriser l’immense variété des
textes   qui   sont   produits   dans   une   société :   “conversation”,   “manuel”,   “journal”,
“tragédie”, “reality­show”, “roman sentimental”, “description”, “polémique”, “sonnet”,
“récit”, “maxime”, “hebdo”, “tract”, “rapport de stage”, “mythe”, “carte de voeux”…
On notera que la dénomination de ces genres s’appuie sur des critères très hétérogènes.
(1998 : 45)

La richesse du lexique utilisé pour étiqueter les genres n’a d’égal que la confusion qui le
caractérise,   et   la   situation   ne   s’est   guère   améliorée   cinquante   après   le   constat   teinté
d’optimisme (« Il n’existe pas  encore… ») que fait il y a cinquante ans Bakhtine (cité par
Dolinine, 1999, 27) :

Il n’existe pas encore de nomenclature des genres oraux et on ne voit même pas encore
le principe sur lequel on pourrait l’asseoir.

2.1. G1 et G2

Pour clarifier un peu la situation il peut  être utile de rappeler la distinction proposée par
certains   auteurs,   pour   les   textes   écrits,   entre   deux   types   d’objets   qui   peuvent   également
prétendre   au   label   de   “genres”.   Prenons   l’exemple   d’un   guide   touristique :   c’est   bien   un
“genre” de texte, mais qui relève de différents “genres” de discours — descriptif, didactique,
procédural, promotionnel… On commencera donc par admettre qu’il existe deux sortes de
genres, que l’on appellera faute de mieux G1 et G2 :
(1) G1 :   catégories   de   textes   plus   ou   moins   institutionnalisées   dans   une   société   donnée.
Certains   préconisent   de   réserver   le   mot   “genre”   à   cette   sorte   d’objets   (en   référence   à   la
tradition des “genres littéraires”) ;
(2) G2 : “types” plus abstraits de discours caractérisés par certains traits de nature rhétorico­
pragmatique, ou relevant de leur organisation discursive.
Ainsi   un   guide   touristique   serait­il   un   “genre”   constitué   de   différents   “types”,   les   genres
typologiquement purs étant en tout état de cause rares, voire inexistants.
C’est sans doute chez Adam (1992) que l’on trouve la formulation la plus vigoureuse de cette
distinction, ainsi que l’affirmation la plus forte que le véritable niveau pertinent pour une
typologie textuelle c’est celui des types et non des genres, les types se localisant au niveau de
la séquence et non du texte global : ce sont des « prototypes séquentiels » qui se trouvent à la
base   de   toute   composition   textuelle,   les   principaux   types   étant   le   récit,   la   description,
l’argumentation et l’explication4, Adam signalant toutefois que certains auteurs admettent en
outre la prescription ou l’optatif, mais on peut aussi penser à d’autres catégories comme le
procédural, le transactionnel, le délibératif, le didactique, le ludique, et bien d’autres types de
discours — si cette architecture à deux niveaux est généralement admise, les avis divergent
aussi bien en ce qui concerne les unités que l’on peut rencontrer à chaque niveau qu’en ce qui
concerne la désignation de ces deux niveaux, les usages pouvant être à cet égard fortement
divergents (voir par exemple Maingueneau 1998, 47, pour qui les « types de discours » sont
« associés   à   de   vastes   secteurs   d’activité   sociale »,   le   discours   télévisuel   constituant   par
exemple en ce sens un « type de discours»).
A l’oral, il semble pertinent d’établir une  distinction similaire. Par exemple, au sein de ces
G1 que sont les “interactions dans les commerces”, on trouvera du transactionnel mais aussi,
éventuellement, de l’argumentatif, du descriptif, du narratif, et autres G2. Plus généralement :
(1) Les  G1 correspondent  à des  types  d’interactions  ou d’événements de communication
attestés dans une société donnée (colloques, entretiens d’embauche, interviews, etc.). Ce sont
des unités qui relèvent du niveau  macrotextuel, et que l’ethnographie de la communication
(principal courant interactionniste à accorder une place importante à cette problématique des
genres) appelle speech events ou communicative events, lesquels sont associés à la fois à des
speech situations  et à des  speech communities  (les événements de communication  sont en
effet   culturellement   spécifiques).   Aston   (1988)   parle   dans   le   même   sens   de   “types   de
rencontres” (encounter­types), par opposition aux talk­types, correspondant à nos G2.
(2) Les G2 correspondent aux catégories discursives qui ont déjà été reconnues pour l’écrit
(narration, description, argumentation, etc.), auxquelles viennent s’adjoindre certains types
d’échanges ou de séquences tels que la plainte, la confidence, la “vanne”, etc. Ces unités,
intermédiaires entre l’interaction globale et ces unités de rang inférieur que sont les tours de
parole ou les  actes  de langage, relèvent  du niveau  “mésotextuel”. On les  appellera  types
d’activités (discursives)5.
D’une manière  générale,  les  “types  d’interactions”  sont  composés  de diverses  variétés  de
“types d’activités”, comme on le verra bientôt. Précisons pour l’instant que les G1 et les G2 se
différencient d’abord quant à la nature des axes distinctifs qui permettent de les opposer entre
eux, et donc d’effectuer leur typologie.

2.2. Critères “externes” vs “internes”

La   citation   précédente  de   Maingueneau   nous  le   rappelait   déjà :  « la   dénomination   de  ces
genres   s’appuie  sur des   critères  très   hétérogènes »6, critères   qui  s’opposent  d’abord  selon
qu’ils   sont   de   nature   “externe”   (concernant   les   différentes   composantes   du   contexte),   ou

4 Laissons de côté le dialogue qui n’est pas du tout pour nous du même niveau que les quatre autres,
ne serait-ce que parce qu’un récit ou une argumentation peuvent fort bien se réaliser sur un mode
dialogal alors qu’Adam les considère comme des “formes monologales” (1992 : 147).
5 Mais les activity types sont pour Levinson (1992 : 69) des unités correspondant à nos G1…
6 Les propositions de typologie des discours oraux et des interactions verbales sont nombreuses et
diverses ; voir entre autres Peytard (1971 : chap. 1), Kerbrat-Orecchioni (1990 : 123 sqq.), Vion 1993,
Clark 1996.
“interne”   (concernant   les   propriétés   linguistiques   et   discursives   du   genre   en   question).
Comme le rappelle Branca­Rosoff (1999b, 116)7 : 

La  notion  de genre  est  une  notion  biface  qui fait  correspondre  une face  interne  (le
fonctionnement linguistique) avec une face externe (les pratiques socio­signifiantes),

et   cela   vaut   pour   les   G1   comme   pour   les   G2.   Cependant,   ces   deux   “types   de   genres”
n’accordent pas la même importance à ces deux types de critères. D’un manière générale, on
dira que les G1 se définissent d’abord par des critères externes (lesquels ont des incidences
sur le fonctionnement linguistique de l’interaction), alors que les G2 se définissent  d’abord
pas des critères internes (lesquels se modulent en fonction du contexte).
Envisageons d’abord rapidement le cas  des G2, car ce sont surtout les G1 qui vont nous
intéresser dans cet article.

2.2.1. Les   types   d’activités   se   définissent   d’abord   par   des   critères   internes :   une
argumentation, un récit, une confidence sont reconnaissables comme tels indépendamment
des événements dans lesquels ils s’inscrivent, et qui peuvent être très divers (même si certains
types d’activités se rencontrent de façon privilégiée dans certains types d’interactions plutôt
que dans d’autres). Cette identification repose sur différents éléments du matériel linguistique
et de l'organisation discursive, comme l’emploi des temps 8, le fonctionnement des déictiques,
les types de connecteurs privilégiés, la forme des énoncés et leur organisation séquentielle, la
nature des actes de langage et des “routines”, etc. 9,  ainsi que sur d’autres paramètres  plus
spécifiques   de   l'interaction   orale,   comme   l'intensité   des   voix   (dispute  vs  confidence),   la
longueur des tours de parole, la fréquence des régulateurs ou des chevauchements de parole,
etc.

2.2.2. Les événements de communication sont définis d’abord sur la base de critères externes,
c’est­à­dire   situationnels   (la   typologie   s’inspire   généralement   du   modèle   SPEAKING   de
Hymes, plus ou moins revu et corrigé) : nature et destination du site (privé ou public, clos ou
de   plein   air ;   commerce,   bureau,   atelier,   mairie,   école,   hôpital,   tribunal,   etc.) ;   nature   du
format   participatif   (nombre   des   participants   à   l’interaction ;   existence   ou   non   d’une
“audience” ;   distribution   des   rôles,   symétriques   ou   complémentaires) ;   nature   du   canal
(communication en face à face, téléphonique ou médiatisée) ; but et durée de l’interaction,
degré de formalité et de planification de l’échange, degré d’interactivité, etc. Plus ces facteurs
sont   affinés,   plus   les   catégories   seront   également   fines :   on   peut   ainsi   distinguer   de
nombreuses sous­classes et sous­sous­classes au sein de ces grandes familles d’événements

7 Voir aussi Branca-Rosoff (1999a) sur la diversité des principes sur lesquels se fondent les
principales typologies qui ont été proposées des genres textuels.
8 Brès (1999) montre ainsi que ces trois genres que sont le “témoignage”, le “récit conversationnel” et
la “blague” se différencient entre autres par l’usage des formes de présent, de passé composé et
d’imparfait.
9 Biber (1994, 35) retient quant à lui : « phonological features (phones, pauses, intonation patterns),
tense and aspects markers, pronouns and pro-verbs, questions, nominal forms, passives, dependent
clauses, prepositional phrases, adjectives, adverbs, measures of lexical specificity, lexical classes,
modals, specialized verb classes, reduced forms and discontinuous structures, coordination, negation,
grammatical devices for structuring information, cohesion markers, distribution of given and new
information, and speech act types ».
communicatifs que sont les “entretiens”, les “réunions”10, les “interactions de service” ou les
“interactions de travail”11.
On voit que l’organisation de ce champ typologique est partiellement hiérarchique, mais elle
est aussi partiellement diacritique (par exemple, l’axe “échange en face à face  vs  échange
téléphonique” est en relation de classification croisée avec l’axe “interaction à caractère privé
vs  professionnel”). En ce qui concerne l’organisation hiérarchique, le problème se pose de
savoir jusqu’où l’on peut raisonnablement affiner la typologie, étant donné qu’il est possible
de   spécifier   à   l’infini   les   axes   classificatoires   — s’agissant   ainsi   du   vaste   ensemble   des
interactions dans les commerces on peut envisager entre autres : la dimension du lieu de vente
(petit commerce, supérette, supermarché, hypermarché) ; le caractère ouvert ou fermé du site
(cas particulier des marchés de plein air) ; la nature du produit, axe lui­même affinable selon
qu’il s’agit de denrées alimentaires, d’objets vestimentaires, de produits culturels, ou bien
encore,   de   produits   neufs,   d’occasion,   ou   anciens   (cas   particulier   de   la   brocante   et   des
antiquités) ; la durée de l’interaction ; le type de vente (libre­service ou non) ; le type de
clientèle (habitués ou clients de passage) ; le fait que le prix soit fixe ou négociable, etc. :
autant de facteurs qui sont à quelque titre pertinents, mais qui ne sauraient tous être pris en
compte   pour   fonder   une   typologie,   sous   peine   de   tomber   dans   un   “délire   taxinomique”
comparable à celui que l’on a parfois reproché aux classificateurs des figures de rhétorique.
Pour échapper à ce risque, on pourrait par exemple décider de s’en tenir aux seuls types qui
sont dotés d’un nom spécifique dans la langue ordinaire (le vocabulaire français est assez
riche en termes désignant des lieux commerciaux). Mais on sait combien il faut se méfier des
étiquetages que nous fournit la langue commune : ils  sont toujours passablement flous  et
arbitraires, comme on peut le voir  à partir de l’exemple du couple lexical “commerces  vs
services”,   dont   les   membres   entretiennent   des   relations   pour   le   moins   obscures ;   et   les
spécialistes des interactions ne nous aident guère à y voir clair, lesquels nous proposent des
définitions généralement plus précises que celle du dictionnaire, mais qui malheureusement
sont bien loin d’être convergentes d’un auteur à l’autre. En effet : 
1­ Pour Goffman, qui consacre dans Asiles (1968), à propos des institutions hospitalières qui
sont   au   centre   de   l’ouvrage,   un   long   développement   aux   activités   de   service,   celles­ci
recouvrent « toute activité destinée à satisfaire les besoins d’autrui » ; définition qui maintient
un certain lien avec le sens que prend le mot “service” dans les expressions telles que “rendre
service” :   un   “expert”   met   sa   compétence   “au   service”   d’un   demandeur.   A   partir   de   là,
différents cas de figure peuvent se présenter : l’activité peut être ou non institutionnalisée
(dans ce dernier cas, le spécialiste est un professionnel, et la relation de service se déroule
dans une “aire de service”) ; le service peut être de nature abstraite (information, conseil, etc.)
ou matérielle (garage, hôtellerie, etc.) ; enfin, il peut être rémunéré ou non : aucun de ces traits
n’est véritablement distinctif des interactions de service, qui se définissent uniquement par
leur but et par la nature du bien prodigué. Dans cette perspective, les interactions de service
s’opposent aux interactions commerciales, dans lesquelles l’objet fourni (moyennant finances
toujours) est un simple produit de consommation. Mais Goffman ajoute (1968, 350) :

10 Voir Bargiella-Chiappini & Harris 1997, chap. 7, “The meeting as genre”.


11 Les études sont relativement nombreuses sur cette famille d’interactions (voir, entre autres, Drew
& Heritage eds, 1992) du fait que le travail est “une composante majeure de la société actuelle”,
comme le note Branca-Rosoff (1999a, 10), qui ajoute que “les Grecs n’avaient que faire de cette
dimension qui ne concernait pas le citoyen” (en revanche, une typologie des interactions dans cette
société se devrait d’accorder une place prépondérante aux différents genres oratoires).
Dans toute société de quelque importance il existe des spécialistes, mais aucune n’a
donné autant de poids à leurs services que la nôtre. Notre société est fondée sur le
service, à tel point que même des institutions comme les magasins en viennent à adopter
ce style.

Donc : les commerces ne sont pas des services, mais étant donné que les services fonctionnent
dans notre société comme une sorte de modèle par rapport aux commerces, les commerçants
ont   parfois   tendance   à   mimer   le   comportement   des   “serveurs”,   en   se   présentant   comme
prêtant assistance au client (“Que puis­je faire pour vous ?”) — bel exemple de la façon dont
un   “cadre”   prédéterminé   peut   être   remodelé   par   les   interactants   dans   le   cours   même   de
l’interaction.
2­ Merritt   (1976),   un   des   premiers   chercheurs   qui   se   soit   focalisé   sur   les   interactions   de
service (service encounters), en propose une définition qui ressemble fort à celle de Goffman,
mais qui aboutit à une conclusion opposée ; pour lui en effet, non seulement les commerces
sont inclus dans les services, mais ils en constituent même la forme prototypique :

By a service encounter I mean an instance of face­to­face interaction between a server
who is “officially posted” in some service area and a customer who is present in that
service   area,   that   interaction   being   oriented   to   the   satisfaction   of   the   customer’s
presumed desire for some service and the server’s obligation to provide that service. A
typical service encounter is one in which a customer buys something at a store. (1976,
321)

3­ Aston enfin (1988), en tant que grand spécialiste des Public Service Encounters, et au
terme d’une sorte de synthèse des différents points de vue sur la question, conclut que les
frontières entre ces deux grandes familles d’interactions (et plus généralement les frontières
de genres) ne sont pas nettes12 ; qu’il faut éviter dans ce domaine une approche trop rigide, et
que l’on peut admettre une sorte de continuum (generic scale), allant des magasins (qui sont
de purs commerces) aux syndicats d’initiative (qui offrent de purs services), en passant par
ces sites intermédiaires (et plurifonctionnels) que sont les banques et les bureaux de poste,
ainsi que les agences de voyage, qui sont à la fois le lieu d’activités de conseil et d’activités de
vente.

2.3. L’“impureté” des genres de l’oral

Les G1 sont composés de G2. Il peut se faire qu’un G2 soit promu en  speech event  s’il en


vient   à   se   “dilater”   de   manière   à   s’étendre   sur   la   macro­structure   de   l’événement   (par
exemple : les termes “récit”, “négociation”, “conseil”, “éloge”, “explication”, etc., peuvent
désigner   aussi   bien   des   fragments   d’interactions   génériquement   homogènes,  qu’au   niveau
supérieur, des types d’interactions qui sont essentiellement constituées de ce seul type de
discours). Mais ce cas est plutôt exceptionnel. De même qu’à l’écrit, “la plupart des textes se
présentent comme des mélanges de plusieurs types de séquences” (Adam, 1992 : 195), de
même les interactions orales comportent généralement plusieurs sortes de G2.
12 Les interactions dans les commerces et les services posent d’autres problèmes de frontière, par
exemple avec les interactions de travail, ou les business transactions (Aston 1988, 33).
Reste à savoir ce qu’il convient d’entendre par ce “mélange des genres” — plusieurs choses
en   fait :   ce   métissage   générique   qui   affecte,   à   des   degrés   divers,   les   événements   de
communication peut être envisagé sous différents angles.
1­ Dans   une   perspective   séquentielle,   les   G1   se   présentent   généralement   comme   une
succession ou une imbrication de séquences relevant de différents G2. Par exemple :
– Les “entretiens de recherche” sont le plus souvent constitués, d’après Carcassonne­Rouif &
al.   (2001),   de   séquences   génériquement   hétérogènes   (discours   narratif,   argumentatif,
commentatif et évaluatif).
– Dans les interactions de vente en petit commerce, on note parfois la présence, aux côtés du
discours transactionnel, de “modules conversationnels”, la notion de “module” s’appliquant
dès lors qu’il semble possible d’établir une hiérarchie des G2 au sein du G1 (composante
obligatoire vs facultative, dominante vs dominée), cf. Vion (1993 : 149) :

On   parlera   de  module   conversationnel  pour   désigner   un   moment   de   conversation


intervenant à l’intérieur d’une interaction, comme la consultation par exemple, et de
conversation,   pour   désigner   une   interaction   où   ce   type   fonctionnerait   de   façon
“dominante” en définissant le cadre interactif.13

2­ Envisagés   dans   leur   globalité,   bien   des   événements   de   communication   ont   en   fait   un
caractère hybride14, relevant à la fois de plusieurs des catégories inventoriées — hybridité par
exemple de ces interactions dans un magasin de retouche analysées par Vosghanian (2002),
tenant au fait que le site s’apparente tout à la fois à un atelier, un commerce, et un salon où
l’on   cause ;   mentionnons   encore,   en   vrac   et   entre   autres :   à   propos   de   certaines  news
interviews, Heritage & Greatbatch (1989) parlent de “quasi­conversational institutional talk­
in­interaction”   et   s’agissant   des  talk­shows,   Gregori­Signes   (2000)   parle   de   “quasi­
conversational type of face­to­face interaction” ; de la même manière, dans Charaudeau éd.
(1984), il est question d’“interviews à effet d’entretien” vs “à effet de conversation”, et dans
Cosnier et Kerbrat­Orecchioni (1987), de “conversation­discussion  à effet d’interview” ; à
propos   enfin   des   OPI   (Oral   Proficiency   Interviews,   qui   ont   pour   objectif   d’évaluer   la
compétence des apprenants d’une langue seconde ou étrangère), Johnson se demande (2000 :
215) :

What   kind   of   speech   event   is   the   OPI ?   Is   it   more   like   an   everyday,   friendly
conversation, an interview, or something else ?

Les  G1 comme les  G2 sont typiquement des catégories  floues, c’est­à­dire que l’on peut


toujours  définir dans  l’abstrait certaines  catégories  idéales ou  prototypiques, mais que les
réalisations   concrètes   de   ces   unités   théoriques   vont   présenter   tous   les   degrés   de
conformité/éloignement par rapport aux prototypes ainsi définis15. 

13 Notons au passage que pour Vion, la conversation — comme d'ailleurs la plupart des types de
discours — peut selon les cas fonctionner comme un G1 ou comme un G2.
14 Le caractère hybride d’un genre peut venir se concrétiser dans la création d’un mot-valise, qu’il
s’agisse d’un genre de l’écrit (“autofiction”, “romanquête”), ou d’un genre de l’oral médiatique (anglais
“infotainment”).
15 Pour une application de la notion de “prototype” aux speech events et autres activity types, voir
Glover 1995.
D’un genre aussi bien circonscrit en principe que la consultation médicale, ten Have (1991 :
162) peut ainsi dire qu’elle s’apparente tantôt à l’interrogatoire, tantôt à la conversation, se
situant le plus souvent dans l’entre­deux,

zigzagging between the two poles in a way that is negotiated on a turn­by­turn basis by
the participants themselves.

Étant le plus souvent métissées, les interactions sont corrélativement flexibles et négociables
en   ce   qui   concerne   leur   appartenance   générique,   ainsi   qu’on   va   le   voir   rapidement   pour
terminer.

3. Le fonctionnement dans l’interaction

Précaution préliminaire : affirmer que les “événements communicatifs” se définissent d’abord
à partir de critères externes ne préjuge en rien de la méthodologie qu’il convient d’adopter
pour les décrire. On peut en effet distinguer, d’après Aston (1998, 26), deux façons d’aborder
les données interactionnelles, qu’il appelle respectivement  top­down et  bottom­up, et qui ne
sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre.

3.1. Approche top­down vs bottom­up

En gros : l’approche top­down part des traits situationnels pour décrire ce qui se passe dans
l’interaction, tandis que l’approche  bottom­up  cherche à reconstituer les caractéristiques de
l’événement à partir de ce qui en est “manifesté” dans le texte même de l’interaction — les
caractéristiques   externes   ne   sont   en   effet,   dans   cette   deuxième   perspective,   à   prendre   en
considération  que dans  la mesure où elles  sont  en quelque  sorte “internalisées” sous  une
forme   ou   sous   une   autre   (celle   par   exemple   de   ce   que   Gumperz   appelle   les   “indices   de
contextualisation”). C’est ainsi que les tenants de l’analyse conversationnelle pure et dure
(Conversation Analysis) préconisent d’éviter de recourir à toute considération externe, attitude
que   l’on   peut   trouver   bien   artificielle   et   inutilement   réductrice,   et   qui   en   outre   entre   en
contradiction avec l’affirmation selon laquelle la description doit être effectuée “du point de
vue des membres” : lorsqu’ils pénètrent dans un magasin ou une salle de classe, les membres
en question ont bien quelque représentation a priori du type d’événement dans lequel ils se
trouvent engagés, laquelle va déterminer au moins partiellement les comportements qu’ils
vont adopter dans l’interaction.
À cette attitude trop “unilatéraliste” pour mon goût on peut préférer la démarche consistant :
1­ à partir d’une spécification plus ou moins fine de la nature de l’événement communicatif
auquel on a affaire (nature du site, rôles en présence, but de l’échange, etc.) ; ce cadrage
externe   contraint   en   effet   fortement   (sans   évidemment   les   déterminer   entièrement)   les
processus de production/interprétation des énoncés, en créant chez les participants certaines
“attentes normatives” ;
2­ à voir comment cette “promesse de genre” se réalise dans l’interaction — et comment elle
est éventuellement détournée, comment les attentes préalables des participants peuvent être
déçues ou satisfaites autrement que le prévoit le “script” de l’interaction (on a précédemment
mentionné le cas des interactions commerciales qui peuvent être localement remodelées en se
donnant des airs d’interaction de service, mais pour pouvoir parler de “remodelage”, encore
faut­il admettre l’existence d’un “modèle” préexistant, ou d’un “schéma” pour reprendre le
mot d’Aston) ; comment aussi certaines divergences concernant la gestion de l’événement
peuvent   surgir   entre   les   interactants,   entraînant   l’intervention   de   certains   mécanismes   de
“négociation du genre” ; ce que Aston, dans le premier chapitre de l’ouvrage dont le titre est
précisément Negotiating Service, formule en ces termes (1988, 42) :

The   schema   provides   initial   presuppositions   and   expectations,   but   through   the
discursive process its instantiation may be modified and renegotiated on a bottom­up
basis.

On ne saurait mieux exprimer la nécessité qu’il y a, si l’on veut rendre compte au plus près de
ce qui se passe dans l’interaction, de concilier les deux approches top­down et bottom­up.

3.2. La négociation du genre

Ces négociations concernent rarement le type de G1 auquel on a affaire : le cadrage externe
est généralement suffisamment explicite pour que l’on sache dans quel type d’événement
communicatif on se trouve engagé, et avec quel rôle16. En revanche, des divergences peuvent
surgir   concernant   la   conception   que   les   participants   se   font   des  règles   du   genre,   et   en
particulier l’organisation interne du G1, c’est­à­dire ce que l’on appelle généralement le script
de l’interaction (Schank & Abelson 1977). À chaque type d’interaction correspond en effet un
script, qui peut être plus ou moins précis et contraignant selon les cas : dans les échanges
informels, le script se réduit à un vague canevas à partir duquel on peut broder librement,
alors  que dans les interactions “protocolaires” la marge de manœuvre des participants est
beaucoup plus réduite. Mais il est bien rare qu’elle soit totalement inexistante.
Généralement,   cette   structure   abstraite   qui   sous­tend   le   déroulement   de   l’interaction   n’a
d’autre  existence  qu’implicite  (on  parle  alors  de  hidden  agenda :  en ce  qui  concerne  par
exemple le Restaurant script envisagé par Schank et Abelson, c’est à partir de leur expérience
de cette situation communicative particulière que les sujets s’en construisent progressivement
une représentation). Il est donc fatal que cette représentation mentale puisse diverger d’un
participant à l’autre. C’est surtout à travers l’exemple des interactions de service qu’ont été
mis en évidence, et la pertinence de la notion de script, et le caractère éminemment négociable
de ces structures abstraites17, ainsi que le constate Guy Aston, que je cite à nouveau :

Our data suggest that such scripts are not simply followed in practice, and that the
sequential structure of the discourse and the form of single utterances themselves do not
merely reflect pre­existing plans of speakers and conventionalised normative models of
interaction, but are the outcome of a joint, dynamic process of negotiation. (1988 : 19­
20)

16 A titre d’exceptions, mentionnons : le cas des “genres émergents”, comme cette émission
télévisuelle analysée ici même par Atifi et Marcoccia, “Demain les jeunes”, qui inaugure un genre
médiatique nouveau ; ou bien encore le cas des “cadrages frauduleux” (Goffman 1974), par exemple
lorsqu’un “démarcheur” se présente comme un “enquêteur” (voir Lorenzo 1999).
17 Mais de tels décalages ont également été mis en évidence dans d'autres sites institutionnels,
comme les entretiens en tous genres, les interactions de service par téléphone (Lacoste 1991) ou les
appels téléphoniques en situation de détresse (Zimmerman 1992).
Plus précisément, les divergences peuvent porter :

1­ Sur la nature des G2 qui peuvent ou doivent être accomplis dans le G1.
Par   exemple :   en   site   commercial,   que   doit­on   faire   au   juste ?   simplement   procéder   à   la
transaction, ou se livrer aussi à d’autres activités annexes (bavarder, blaguer, etc.) ?
Il peut se faire que le vendeur et le client ne partagent pas exactement la même conception du
script idéal, comme le montre l’étude de Doury (2001) sur un “commerce d’habitués” (un
tabac­presse parisien qui tient aussi à certains égards du salon politique), étude qui met en
évidence l’existence d’un léger décalage entre les attentes des clients (pour qui l’activité de
discussion est aussi importante que l’activité d’achat), et celles  du commerçant (pour qui
l’activité de vente reste primordiale, et qui est de ce fait moins engagé dans la discussion, au
risque même de paraître avoir un comportement versatile et inconsistant aux yeux du client
— et d’un analyste insuffisamment au fait des particularités de ce site).
Les   risques   de   malentendu   s’aggravent   évidemment   en   situation   interculturelle,   comme
l’illustre par exemple l’étude de Bailey sur les interactions entre des commerçants d’origine
coréenne et leurs clients “afro­américains” : les deux groupes ont des “styles communicatifs”
fort différents, mais aussi

different ideas about the speech activities that are appropriate in service encounters”
(1997 : 352),

les premiers considérant qu’il s’agit d’une interaction de type purement transactionnel, et les
seconds qu’il y a dans un tel site place pour la parole “relationnelle” (blagues,  small talk,
récits conversationnels), cf. la formule de clôture utilisée par le client afro­américain : « Nice
talking to you », formule qui semble quelque peu “déplacée” pour le vendeur coréen, même si
cette divergence de conception n’est jamais thématisée ni même “négociée” sous quelque
forme que ce soit dans le corpus étudié.

2­ Sur l’ordre dans lequel doivent apparaître les différents types d’activités discursives.

Exemple :   interaction   de   type   “Commande   de   plats   (chinois)   par   téléphone”   (extrait   du


mémoire de maîtrise d’Abdelhatif Fahmi, 1997).

Sonnerie du téléphone
1­ R Luang bonsoir, Christine à votre service
2­ C oui bonjour ce s'rait pour une commande
3­ R oui
4­ C donc c'est hm ça f'rait deux repas à 89 francs
5­ R excusez­moi je vais d'abord prendre vos coordonnées, je commencerai par votre
numéro de téléphone s'il vous plaît
6­ C c'est le 04 78 00 00 00
7­ R 04 78 00 00 00 d'accord
8­ C donc c'est à Villeurbanne 8 route de Genas monsieur Buffe... c'est bon j'vais pas
trop vite ?
9­ R heu c'est à Lyon troisième ? 
10­ C non enfin d'un côté je suis Lyon troisième et puis en face c'est Villeurbanne
donc c'est entre si vous pouvez situer c'est entre la place des Maisonneuves et la
place ronde
11­ R d'accord d'accord donc vous êtes monsieur ?
12­ C monsieur Buffe B comme Bernard U deux F comme François et E donc au 8, y
a un code d'allée c'est le B 246 au troisième étage
13­ R 246 d'accord d'accord
14­ C bon je pense qu'on a fait le tour là ?
15­ R c'est bon donc j'écoute votre commande
16­ C alors c'est deux menus à 89
17­ R oui

C’est bien à un malentendu sur le script, et plus précisément, sur l’ordre des séquences qui le
composent, que l’on assiste ici : le client pense qu’on doit d’abord passer commande, puis
fournir ses coordonnées ; alors que pour l’équipe des restaurateurs (que l’on peut considérer
comme   les   dépositaires   du   “bon   script”),   la   séquence   “Coordonnées”   doit   précéder   la
séquence “Commande”. Ce malentendu se manifeste d’abord en 3R : le morphème “oui”,
simple accusé de réception pour R, est interprété comme une autorisation à passer commande
pour C, qui s’exécute aussitôt (“donc ça f’rait deux repas à 89 francs”), R étant alors obligé de
freiner   son   ardeur   en   mettant   le   holà   (“excusez­moi   je   vais   d’abord   prendre   vos
coordonnées”). Ce malentendu entre C (qui débite illico l’ensemble de ses coordonnées : il
“va trop vite”) et R (qui désire procéder pas à pas) se poursuit tout au long de la séquence
“Coordonnées”, qui s’achève en 14C avec l’énoncé­bilan à tonalité passablement ironique
“bon   je   pense   qu’on   a   fait   le   tour   là ?   (et   que   l’on   peut   donc   enfin   passer   aux   choses
sérieuses)”.
Cette divergence dans les représentations que chacun se fait du bon déroulement de l’échange,
en relation avec les intérêts respectifs des deux parties en présence (le client désire avant tout
se   restaurer !)   se   retrouve   dans   la   plupart   des   interactions   constitutives   de   ce   corpus,
engendrant des moments de tension perceptibles dans le texte même de l’interaction.

4. Conclusion 

Pourquoi   donc   se   pencher   une   fois   de   plus   sur   la   question   éculée   des   genres ?   Tout
simplement parce qu’ils existent, et qu’ils jouent « un rôle central dans l’usage du langage »
(Levinson, 1992 : 97 : « types of activities […] play a central role in language use »). À l’oral
comme à l’écrit, les discours se répartissent en G1 et en G2 ; ils sont soumis à des “règles du
genre”, lesquelles sont intériorisées par les sujets dont la  compétence générique  fait partie
intégrante de leur compétence communicative globale :

Any native speaker […] has the initial ability to […] recognize different types of texts.
We shall claim that this fundamental ability is part of linguistic competence (van Dijk,
cité par Adam, 1992 : 5),

que cette compétence soit envisagée du point de vue de la production ou de la réception des
énoncés.
– Du point de vue de la production, cette compétence générique est à considérer comme un
système de  contraintes  aussi bien que comme un réservoir de  ressources  communicatives :
elle nous oblige  à nous comporter “comme il faut” (comme un vendeur ou un client, un
professeur ou un élève), mais en même temps elle nous dit comment faire pour satisfaire aux
attentes normatives en vigueur dans la situation et la société concernées. C’est aussi pour les
locuteurs un facteur puissant d’économie18, ainsi que le note Bakthine (1984 : 285) :

Si les genres de discours n’existaient pas et si nous n’en avions pas la maîtrise, et qu’il
nous faille les créer pour la première fois dans le processus de la parole, qu’il nous faille
construire chacun de nos énoncés, l’échange verbal serait impossible.

Par exemple, un simple “Madame ?” (dans un magasin), ou un “Je vous écoute !” (au début
d’un   entretien   d’embauche)   suffisent   à   lancer   l’interaction,   et   point   n’est   besoin   à
l’interlocuteur   de   précisions   supplémentaires   pour   pouvoir   fournir   un   enchaînement
approprié19 : le cadrage situationnel y pourvoit, Borzeix & Gardin (cités par Müller 1997, 39)
notant de même à propos des interactions de service que le cadrage externe peut aider  à
« dispenser l’usager de la formulation linguistique de la finalité de l’interaction, et permettre
un certain laconisme de l’usager aussi bien que de l’employé ».
– Ces mêmes exemples montrent que les règles du genre jouent aussi, et à tous les niveaux, un
rôle décisif dans le  calcul interprétatif  qu’opèrent les récepteurs des énoncés qui leur sont
soumis, pouvant à l’occasion entraîner des “erreurs de calcul”, comme dans l’exemple analysé
ci­dessus du malentendu entre le client et le restaurateur chinois, concernant le déroulement
de l’événement communicatif qu’ils ont à construire conjointement.
Il en est de la compétence générique comme des autres compétences individuelles : elles sont
destinées   à   se   frotter   à   celles   d’autrui,   ce   qui   peut   dans   le   feu   de   l’interaction   produire
quelques étincelles, mais généralement se règle par l’intervention de ces processus adaptatifs
que sont les “négociations conversationnelles” (Kerbrat­Orecchioni 2004).
Les règles du genre préexistent, tout en étant en permanence réactualisées, voire reformatées,
dans le jeu de l’échange verbal — ou pour reprendre les termes de Mayes (2202 : 19), elles
comportent à la fois des aspects “schématiques” et “émergents” :

Another important characteristic of genres is that they have both schematic aspects (i.e.,
aspects that are predictable based on experience with typified patterns) and emergent
aspects (i.e., aspects that change as interaction occurs).

Dans cette mesure, la réflexion sur les genres permet exemplairement de mettre en évidence
cette tension qui existe au sein de tout discours, mais qui s’exacerbe en contexte interactif,
entre connu et inconnu, reproduction et innovation. 

18 Ciliberti (1988, 71) parle à ce sujet de script-reduction.


19 On le voit a contrario lorsque le récepteur ignore, ou a oublié, les règles du genre : rien de plus
embarrassant que de se trouver dépourvu de la compétence générique exigée par la situation. Ainsi,
dans le film de Valeria Bruni-Tedeschi Il est plus facile pour un chameau…, voit-on l’héroïne se
précipiter soudain dans un confessionnal, mais elle en a oublié le mode d’emploi. Ce qui donne le
dialogue suivant (restitué de mémoire) :
Le prêtre — Alors ?
Frederica — Je ne sais plus comment ça se passe, excusez-moi…
Le prêtre — Parlez simplement… Parlez à Dieu…
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