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Revue Internationale de Philosophie

KELSEN ET LES SOURCES DU DROIT


Author(s): Norberto BOBBIO
Source: Revue Internationale de Philosophie, Vol. 35, No. 138 (4), KELSEN ET LE
POSITIVISME JURIDIQUE (1981), pp. 474-486
Published by: Revue Internationale de Philosophie
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23945334
Accessed: 13-12-2017 10:47 UTC

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KELSEN ET LES SOURCES DU DROIT

Norberto BOBBIO

L'un des thèmes sur lequel Kelsen s'arrête davantage dans toutes ses
principales œuvres est la critique de la théorie traditionnelle des sources
du droit. On peut arriver à la compréhension du système général de la
Reine Rechtslehre de diverses façons : une de celles-ci est la critique de
la théorie traditionnelle des sources du droit. Je me propose de mettre
en évidence l'importance de cette critique pour la compréhension et
pour la reconstruction du système.
La première observation à faire réside dans le fait que dans le
système kelsénien la théorie des sources est étroitement liée à la notion
de création juridique (Rechtserzugung), qui est une notion fondamen
tale dans la théorie pure du droit. Kelsen, pour autant que je sache, n'a
jamais donné une définition explicite de «création juridique», mais un
lecteur assidu de son œuvre sait bien que cette notion prend une part
essentielle dans son système de pensée. Il s'agit d'une notion qui mieux
que toute autre permet d'attribuer à la théorie kelsénienne sa place dans
l'histoire de la théorie générale du droit au cours de ce siècle. En lisant
les œuvres de Kelsen, on tombe sur la notion de création juridique en
différents chapitres et à différents niveaux, à propos des sources du
droit, de la validité des normes juridiques, de la structure dynamique,
de la hiérarchie des normes, et même des différentes formes de gouver
nement. Rechtserzeugende Funktion est l'un des termes les plus fré
quents, il est, oserais-je dire, omniprésent.
Pourquoi la notion de création juridique est-elle si importante ? Ma
réponse est très simple et nette. La théorie pure du droit s'est d'elle
même présentée comme une théorie du droit positif, et d'ailleurs elle a
toujours été interprétée comme une théorie positiviste du droit, voire
comme le positivisme juridique poussé à ses conséquences extrêmes.
Eh bien, ce qui caractérise le positivisme juridique tout au long de son

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KELSEN ET LES SOURCES DU DROIT 475

histoire est la considération du droit, toujours entendu comme


ou ensemble de normes, sous la forme de quelque chose qui a ét
d'un objet et d'un effet d'une création humaine, historique, conv
nelle, ou même artificielle. Le principe d'origine du positivisme
juridique est auctoritas non veritas facit legem. Si je devais exprimer
par la plus brève des formules quelle est la différence entre l'attitude
face au droit d'un positiviste et celle d'un non positiviste, (soit un
théoricien du droit naturel, soit un disciple de l'école historique, ou bien
un partisan d'une conception sociologique du droit), je répondrais que
la différence peut se résumer par l'opposition entre la considération du
droit comme un créé et la considération du droit comme un donné.
Positiviste est celui qui croit fermement que le droit n'existe pas en
nature, n'existe pas dans la société, pourtant il ne s'agit point de le
découvrir et de le révéler, mais c'est chaque fois l'expression d'une
activité humaine consciente (inconsciente aussi), et il s'agit tout au plus
de l'interpréter, en tenant bien présent à l'esprit que l'interprétation elle
même est à son tour un acte de création ou de re-création permanente.
De ce point de vue la place de Kelsen parmi les positivistes ne laisse
pas de doute. Nous avons seulement l'embarras du choix pour détermi
ner les extraits à citer. Il suffit cependant de s'arrêter, à la première page
de l'essai sur le droit naturel :

«A la différence des règles du droit positif, celles de l'ordre naturel


qui gouverne la conduite humaine n'ont pas de force en tant qu'arti
ficiellement mises en place par une autorité humaine donnée, mais en
tant que dérivées de Dieu, de la nature ou de la raison, et donc elles sont
bonnes, droites et justes. C'est là qu'apparaît la positivité d'un système
juridique, à la différence du droit naturel .· il est une création de la
volonté humaine, un fondement de validité complètement étranger au
droit naturel car celui-ci, en tant qu'ordre naturel, n'a pas été créé par
l'homme et par définition ne peut être créé par un acte humain» (').
Sur la base justement de cette opposition, Kelsen a élaboré une
théorie générale des systèmes normatifs, selon laquelle on trouve deux
sortes de systèmes normatifs : les systèmes statiques, constitués par des
normes qui se déduisent les unes des autres, et les systèmes dyna
miques, constitués par des normes qui se produisent les unes par l'inter

(1) General Theory of Law and State, Harvard University Press, 1945, p. 392.

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médiaire des autres à travers un rapport de délégation d'un pouvo


supérieur à un pouvoir inférieur. Les systèmes juridiques appa
tiennent, selon Kelsen, à la seconde forme. Ce qui montre une fois
encore la place centrale qu'occupe la notion de création juridique dans
la théorie kelsénienne : un système normatif moral ou de droit naturel
est déduit ; un système normatif juridique est créé.
A ce point, je peux reprendre mon affirmation initiale : dans la
théorie pure du droit, la théorie des sources est étroitement liée à la
notion de production juridique. Si le droit est un produit de l'activité
humaine, il est évident que l'une des tâches d'une théorie générale du
droit est celle d'analyser, de décrire et de classifïer les différentes formes
sous lesquelles cette création se vérifie dans la société. Cette analyse,
description et classification, constitue l'objet du chapitre que les traités
traditionnels de droit intitulent «sources du droit». Mais «sources du
droit» est une expression métaphorique qui doit être éliminée d'un
discours rigoureux comme celui d'une théorie du droit qui prétend être
scientifique. Ainsi l'expression «sources du droit» a été remplacée dans
la théorie kelsénienne par «méthodes de création du droit» 0Methoden
der Rechtserzeugung). Ce que les juristes traditionnels, les juristes «im
purs», ont continué à appeler «sources du droit», le langage «purifié» de
Kelsen le nommera désormais «modes de création juridique». En
d'autres termes, on peut dire que le rôle d'une théorie des sources du
droit est celui de décrire, analyser et classifïer les diverses procédures à
travers lesquelles s'opère la création du droit. Je remarque encore qu'à
travers cette réduction de la théorie des sources à une théorie des
procédures pour la création juridique, le lien entre théorie pure du droit
et formalisme apparaît clairement, et qu'elle soit la raison pour laquelle
la théorie pure du droit a été considérée pour le meilleur et le pire
comme une théorie formelle du droit. Le critère à partir duquel il est
possible de distinguer ce qui est droit de ce qui ne l'est pas, est purement
et simplement le mode de sa création : il ne fait aucune référence au
contenu de la norme, mais tient compte exclusivement des procédures à
travers lesquelles naissent et meurent les normes.
Une fois résolu le problème des sources du droit dans le problème
des modes de création juridique, Kelsen se trouve devoir affronter deux
problèmes en ce qui concerne la théorie traditionnelle des sources. Le
premier concerne l'extension de la notion de création à la coutume.
Généralement, par «droit créé» on entend le droit législatif, le droit créé
par une volonté souveraine. Mais peut-on élargir la notion de droit créé

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KELSEN ET LES SOURCES DU DROIT 477

également au droit coutumier ? Réalisant la difficulté, Kelsen


position contre les théories qui ont nié le caractère d'acte créatif
à la coutume. Ce sont la théorie de l'école historique, selon laq
coutume a une valeur déclarative et non pas constitutive (keine
tutiven sondern nur einen deklaratorischen Charakter), et la t
sociologique de Léon Duguit, selon lequel source du droit est le
principe de solidarité sociale, et ce que les juristes nomment source du
droit a une fonction secondaire et subordonnée, la fonction de révéler,
ou mieux de constater, le droit préexistant, et non pas de le constituer.
Prenant position contre ces deux théories déclaratives de la coutume,
Kelsen entend affirmer à nouveau la thèse selon lesquelles la coutume
est un mode ou une méthode de création juridique et que, par rapport à
la catégorie générale des modes ou méthodes de création juridique, on
ne peut faire aucune différence entre loi et coutume. Il est intéressant
d'observer que face à la théorie de l'école historique et à celle de la
solidarité sociale, Kelsen n'hésite point à reprendre la critique déjà faite
aux théories du droit naturel : «Les deux théories ne sont au fond que
de simples variantes de la doctrine du droit naturel : le dualisme d'un
droit créé par la nature et d'un droit créé par l'homme se reflète en elles
dans le dualisme du droit produit par l'esprit du peuple ou par la
solidarité sociale, et du droit reproduit par la législation et par la cou
tume».

Pour confirmer à nouveau et renforcer sa thèse, il ajoute : «Une


théorie du droit positiviste ne peut accepter ni l'existence purement
imaginaire d'un esprit du peuple, ni davantage l'existence d'une non
moins imaginaire «solidarité sociale» ; et pour elle, il ne fait aucun
doute que la coutume ait un rôle créateur de droit - tout comme la
législation» (2).
Plus qu'une argumentation rationnelle, cette dernière affirmation de
Kelsen semble être un énoncé apodictique. C'est une affirmation en fait
qui se résout par cette simple proposition : il faut compter la coutume
parmi les modes de création juridique, car du point de vue du posi
tivisme juridique (où le positivisme juridique est ramené au positivisme
philosophique) il n'est pas possible d'admettre l'existence d'une réalité
précédant les comportements qui, dans leur répétition et dans leur
convergence, donnent origine à une coutume. La coutume est un fait.

(2) Théorie pure du droit, trad. par Ch. Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962. p. 306.

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un fait normatif, et il est de l'esprit d'une philosophie positive qu


s'en tenir aux faits, exclusivement aux faits. Pour le positivism
juridique, comme nous l'avons déjà vu, le droit est une création
l'activité humaine : par conséquent la coutume peut être considérée
comme une source du droit seulement si elle est interprétée comme
mode de créer le droit (et non de le déclarer simplement).
Si l'on ne peut établir aucune différence entre loi et coutume
rapport à la catégorie générale des modes de création, la différence
être recherchée à l'intérieur de la catégorie. Je n'ai pas besoin d'at
l'attention du lecteur de Kelsen sur l'importance que celui-ci attrib
la distinction entre les deux notions de centralisation et décentralisation.
C'est une distinction que l'on retrouve à divers niveaux : sur la base de
cette distinction, par exemple, Kelsen distingue l'ordre juridique de
l'Etat de l'ordre juridique international. Le droit international est un
ordre juridique où le principal mode de création juridique est la
coutume. Ce n'est pas un hasard alors que le même critère, la dis
tinction entre création centralisée et création décentralisée du droit, soit
utilisé pour mettre en évidence l'élément distinctif entre les deux
principales manières de créer du droit, la loi et la coutume : «Entre le
droit législatif et le droit coutumier, il existe une différence politique
ment importante : le premier est créé par une procédure relativement
centralisée, le second par une procédure relativement décentralisée. Les
lois sont créées par des organes spéciaux et spécialisés institués à cet
effet ; les normes du droit coutumier viennent au jour par un certain
comportement des sujets soumis à l'ordre juridique» (3).
Le passage n'a pas besoin de commentaire, si ce n'est pour l'ex
pression initiale dans laquelle la différence est définie «politiquement
significative». Pourquoi «politiquement significative» ? Je crois qu'une
réponse à cette question peut être trouvée par les mots suivants : «Dans
le premier cas, autorité créatrice de normes et sujets soumis aux normes
ne sont pas identiques ; dans le second cas, ils le sont, tout au moins
juqu'à un certain point(4).
Quiconque a une certaine familiarité des écrits de Kelsen reconnaît
immédiatement dans cette précision une autre dichotomie très utilisée
par le fondateur de la théorie pure du droit, celle entre autonomie et

(3) Ibid.. p. 308.


(4) Ibid.

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KELSEN ET LES SOURCES DU DROIT 479

hétéronomie. qui reproduit la fameuse distinction kantienne en


où celui qui la pose et celui qui la reçoit est une seule et même
personne, et la loi où celui qui la pose est une personne différente de
celui qui la reçoit. Cette seconde dichotomie est «politiquement
significative», dans le sens où elle est le critère fondamental qui permet
de distinguer les deux types idéaux des formes de gouvernement : la
démocratie et l'autocratie. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans les
détails, d'autant plus que le système conceptuel de Kelsen est rendu plus
complexe par l'introduction d'une sous-distinction entre centralisation
et décentralisation du point de vue statique et du point de vue
dynamique, mais je note qu'il existe une certaine superposition entre la
dichotomie dont Kelsen s'est servi pour distinguer le droit coutumier du
droit législatif et la dichotomie à partir de laquelle il a fondé la
distinction entre démocratie et autocratie. Parmi les différents extraits
que l'on peut citer pour montrer la superposition des deux critères, j'ai
choisi le suivant qui me semble extrêmement clair :
«Prenant notre point de départ dans le concept dynamique de
centralisation et décentralisation, la démocratie peut être décrite comme
une méthode décentralisée de création des normes (...) tandis que
l'autocratie peut être caractérisée comme une méthode centralisée de
création des normes» (5).
Pour notre démonstration est encore plus intéressant le passage
suivant où l'on trouve un curieux échange (historiquement sans fonde
ment) entre droit coutumier et démocratie :
«La distinction dynamique entre centralisation et décentralisation
pose donc sous un nouveau jour la différence entre droit législatif et
droit coutumier. La création du droit coutumier par le comportement
uniforme et continu des mêmes individus qui doivent être sujets au
droit, a un caractère décentralisé pour le même motif que celui de la
procédure démocratique ; il s'agit en effet d'une forme de création
démocratique du droit, puisqu'elle est basée sur une autonomie réelle
bien qu'inconsciente» (6).
Dans ce passage, la superposition entre les deux dichotomies décen
tralisation-autonomie et centralisation-hétéronomie est parfaite, à un
point tel que, d'une part, décentralisation et démocratie se trouvent liées

(5) General Theory of Law and State, p. 310.


(6) Ibid., pp. 310-311.

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480 Ν. BOBBIO

dans la définition du droit coutumier, qui est un droit à la fois


décentralisé et démocratique, et d'autre part centralisation et autocratie
convergent dans la formation du droit législatif qui est, au moins à
l'origine, centralisé et autocratique, comme il apparaît dans cette syn
thèse historique (à vrai dire, discutable) :

«Le développement technique qui mène du droit coutumier au droit


législatif créé par des organes spéciaux selon le principe de la division
du travail, signifie une centralisation dynamique et une atténuation
simultanée de la méthode démocratique de création du droit» (7). Bien
entendu, Kelsen ne veut pas signifier que le droit législatif est par
définition un droit autocratique. Il peut devenir démocratique du
moment où il est reconnu aux sujets le droit de participer, même indi
rectement, comme dans les démocraties représentatives, à la formation
de la loi. A ce point, la différence entre droit coutumier et droit législatif
d'un Etat démocratique réside dans le degré de conscience avec lequel
le sujet participe à la formation de l'un et de l'autre.
La seconde question que Kelsen soulève par rapport à la théorie
traditionnelle des sources du droit, concerne la limitation, qu'il con
sidère injuste, de la notion de source aux modes de création de normes
générales. De fait, quand la doctrine traditionnelle expose ses thèses sur
les sources, les deux sources prises en considération sont la loi et la
coutume, toutes deux méthodes de création de normes générales.
Cependant il faut reconnaître que même dans le langage commun, le
mot «norme» (comme du reste le mot «règle») est employé dans le sens
de règlement de la conduite d'une catégorie générale de sujets, et que
l'expression «norme individuelle» semble presque être une contradictio
in adiecto. Je note au passage que la question est un peu plus
compliquée, car généralement une norme juridique est caractérisée par
une double généralité, l'une se rapportant aux destinataires, l'autre au
comportement pris en considération. Par conséquent, outre la norme
juridique typique qui est générale dans les deux sens, un système
normatif peut comprendre des normes générales se rapportant aux
sujets et des normes individuelles se rapportant à l'action, individuelles
par rapport aux sujets et générales par rapport à l'action, enfin
individuelles par rapport aux sujets et à l'action. Je considère cette

(7) Ibid., p. 311.

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KELSEN ET LES SOURCES DU DROIT 481

précision comme nécessaire, car lorsque Kelsen oppose les normes


individuelles aux normes générales et prend l'exemple des décisions des
juges, les normes individuelles dont il s'agit sont doublement
individuelles, dans le sens où un jugement est par principe rendu à une
personne déterminée pour l'accomplissement d'une action déterminée.
Il semble que Kelsen lui-même se rende compte de cette double
opposition entre les normes de loi et les jugements là où, défendant sa
thèse sur la juridiction comme source du droit, c'est-à-dire comme l'un
des modes de la création juridique, il parle d'un double processus
d'individualisation et de concrétisation, s'accroissant constamment de la
norme générale, opéré par la décision du juge (ein Prozess stetig
zunehmender Individualisierung oder Konkretisierung) (8). Kelsen ne
précise pas la différence entre les deux processus de l'individualisation
et de la concrétisation, mais il semble que l'on puisse apercevoir
derrière l'utilisation de ces deux mots le double passage d'une norme
générale par rapport aux destinataires à une norme concernant une
seule personne, ce qui est le processus de l'individualisation, et celui
d'une norme générale par rapport à l'action à une norme individuelle
concernant le comportement à suivre, ce qui est le processus de
concrétisation.

Pour comprendre la raison pour laquelle Kelsen a considéré devoir


étendre la notion de source du droit aux normes individuelles - et c'est
justement cette extension qui représente l'innovation majeure de la
théorie kelsénienne des sources par rapport à la théorie traditionnelle -,
il faut revenir une fois encore à la notion de création juridique que nous
avons considérée comme l'un des piliers du système. Nous avons vu
que cette notion de création est toujours employée en opposition à la
notion de déclaration. A ce point nous sommes en mesure d'ajouter que
Kelsen se sert, toujours dans les mêmes termes, de cette même oppo
sition, création-déclaration, pour présenter sa thèse de la juridiction
comme source du droit : «La fonction juridictionnelle n'a en rien un
simple caractère déclaratif, comme l'indiquent les termes «juridiction»
et «recherche» du droit (Rechtsfindung) et comme la théorie l'admet
parfois, comme si le droit déjà accompli dans la loi, c'est-à-dire dans la
norme générale, devait seulement être exprimé et trouvé dans l'acte
d'un tribunal. La prétendue fonction juridictionnelle est plutôt

(8) Théorie pure du droit, p. 318.

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constitutive, elle est créatrice de droit dans le vrai sens du mot (.


le préjugé par lequel tout le droit s'épuiserait dans la norme gén
seule l'identification erronée du droit à la loi, ont pu obscurcir
conception» (9).
Il est superflu d'ajouter que cette solution est la seule possible
une conception du droit comme celle de Kelsen où la norme jur
proprement dite n'est pas la norme primaire adressée aux citoy
mais est la norme secondaire (qui chez Kelsen devient la pre
adressée aux juges, dans une conception du droit où la norme ju
établit un rapport d'imputation entre condition et conséquence,
condition est un acte illicite et la conséquence une sanction. Spé
ment, la juridiction n'est pas seulement une source du droit
mesure où elle est l'une des méthodes de création du droit, mais elle est
la condition nécessaire pour l'existence d'un ordre juridique. On peut
imaginer un ordre juridique sans législation (l'ordre international, qui
pour Kelsen est un ordre juridique, en est un exemple historique
concret). Il ne peut exister un ordre juridique sans juge, c'est-à-dire sans
les organes dont la fonction est d'individualiser et de concrétiser les
normes générales. Tandis qu'on ne peut pas imaginer un ordre juri
dique sans normes individuelles, on peut imaginer un ordre juridique
composé seulement de normes individuelles, sauf, naturellement, la
norme fondamentale qui ne peut être qu'une norme générale. Dans le
cas spécifique d'un ordre composé seulement de normes individuelles,
la norme fondamentale serait la norme générale qui établit que le droit
valide de l'ordre en question est le droit créé à chaque fois par les
tribunaux.
En suivant la critique kelsénienne de la théorie traditionnelle des
sources, nous sommes arrivés au seuil de la théorie dynamique de
l'ordre juridique, qui constitue, à mon avis, la contribution la plus
importante fournie par Kelsen à la théorie générale du droit. Mais nous
devons faire encore un pas pour franchir ce seuil et examiner toutes les
connexions possibles entre critique des sources et théorie dynamique.
Kelsen ne perd pas une occasion de dire que la notion de source du
droit est non seulement imprécise mais également ambiguë. Une telle
ambiguïté dépend du fait qu'elle est utilisée de manière indifférente
pour deux signifiés différents, pour indiquer les diverses formes qui

(9) Ed. orig. Reine Rechtslehre, Franz Deuticke, 1934, p. 79.

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KEINEN ET LES SOURCES DU DROIT 483

créent le droit, et c'est le signifié considéré jusqu'ici, et à l


indiquer le fondement du droit, par exemple lorsque l'on d
source du droit est la nature, ou Dieu, ou la raison, ou l'esprit du
peuple. Par conséquent une critique de la théorie traditionnelle des
sources ne peut concerner seulement la confusion entre création et
déclaration du droit ou seulement la réduction du droit aux seules
normes générales, mais elle doit investir aussi la notion de fondement
du droit. C'est justement à ce point que la critique de la théorie
traditionnelle des sources trouve son ultime justification et sa
conclusion dans la théorie dynamique de l'ordre juridique.
A la question quel est le fondement du droit (ou encore la source du
droit dans l'autre sens du terme, selon la théorie traditionnelle), Kelsen
donne une réponse en apparence tautologique : si par fondement du
droit on entend le fondement du droit positif (et du reste pour une
théorie positiviste du droit il n'y a pas d'autre droit que le droit positif),
il n'existe pas d'autre fondement du droit que le droit lui-même. «In
einem positiven rechtlichen Sinn kann Quelle des Rechts nur Recht
sein» (10). J'ai dit apparemment tautologique, car une telle affirmation
semble être tautologique seulement pour qui l'interprète en faisant
abstraction complète de la théorie dynamique et ne se rend pas compte
qu'elle prend un sens correct seulement dans le cadre de la théorie
dynamique.
Quel est le noyau de vérité de la théorie dynamique ? La carac
téristique d'un ordre juridique en tant qu'ordre dynamique est celle de
créer des normes qui ont pour fonction de régler la création même des
normes. Que le droit règle sa propre création signifie, en termes
kelséniens, qu'un ordre juridique est un système normatif où la
création des normes du système est elle-même réglée par d'autres
normes du système, par un processus, qui remontant d'une norme
inférieure à une norme supérieure, arrive nécessairement (là où en
outre la nécessité doit être entendue comme nécessité logique et non de
fait) à la norme fondamentale, qui du point de vue d'un positivisme
rigide et rigoureux est le seul fondement possible du droit : le seul
fondement possible d'un ordre qui, réglant sa propre création, s'auto
produit. Kelsen lui-même emploie le mot «autoproduction» (Selbster
zeugung·). par exemple dans le passage suivant : «La théorie de la

(10) Théorie pure du droit, p. 316.

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484 Ν. BOBBIO

structure hiérarchique de l'ordre juridique saisit le droit dans


mouvement, dans le processus constamment renouvelé de son auto
création (Selbsterzeugung)» (").
Quelles que soient les critiques que l'on puisse faire à la théorie
kelsénienne, on ne peut nier qu'elle a permis de considérer l'ordre
juridique comme un processus, c'est-à-dire dans son mouvement, et
plus précisément dans son double mouvement, qui est de haut en bas
un mouvement qui dérive d'un pouvoir supérieur à un pouvoir
inférieur, de bas en haut un mouvement inverse qui dérive d'une
norme inférieure vers une norme supérieure. Métaphoriquement, du
sommet à la base une cascade de pouvoirs, de la base au sommet une
escalade de normes. Kelsen aime à représenter ce double mouvement
comme une concaténation d'actes créateurs de droit en un sens, et
applicatifs ou exécutifs dans l'autre, et en à tirer la conséquence que
chaque acte aux niveaux intermédiaires est à la fois créatif et exécutif. Il
faut donc reconnaître que le fait d'avoir pris conscience du phénomène
de la normation comme phénomène caractéristique des ordres juri
diques, a ouvert la voie à une réflexion plus approfondie sur la struc
ture du droit (12) et a apporté la base pour faire avancer la connaissance
des systèmes normatifs complexes, où agissent des «mécanismes
réflexifs» C3).
Pour conclure, j'en reviens au point de départ, c'est-à-dire au posi
tivisme juridique et au lien que j'ai cru pouvoir relever entre la critique
kelsénienne de la théorie traditionnelle des sources et le positivisme
juridique. Il est hors de doute que la thèse ainsi formulée : «Le droit n'a
d'autre fondement que le droit lui-même», est une théorie positiviste, je
serais tenter de dire la quintessence du positivisme juridique. En quel
sens ? Dans le sens où pour un positiviste le problème du fondement du

(11) Ibid.. p. 370.


(12) Je me réfère de façon particulière à la théorie de Hart des normes secon
daires,qu'il appelle aussi rules about rules et parmi celles-ci aux rules for change, les
normes qui attribuent à des organes spécialisés le pouvoir de changer et même
d'abroger les normes du système (The concept of law, at the Clarendon Press, Oxford,
1961, p. 93 et suivantes).
(13) C'est l'expression utilisée par Niklas Luhmann pour indiquer un processus
appliqué à lui-même, dont par exemple le parler de paroles, la production des moyens
de production, l'apprentissage de l'apprentissage, l'enseignement de l'enseignement, le
décider sur le décider, et enfin la normation de la normation (Sociologia deI diritto.
Laterza, Bari, 1977, pp. 200-201).

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KELSEN ET LES SOURCES DU DROIT 485

droit se résout dans le problème du fondement de la validité des


juridiques. Le positivisme ne se préocupe pas de la justification
axiologique des normes, du fondement entendu comme problème de la
valeur des normes. Jus quia iussum non quia iustum. Il devient alors
parfaitement naturel, et parfaitement compatible avec la logique du
système, qu'une norme soit considérée valide si et seulement si elle est
imposée par une autorité qui a reçu le pouvoir d'émaner des normes
obligatoires, qui à son tour a reçu le même pouvoir d'une autorité
encore supérieure, etc. Puisque le problème du fondement du droit se
résout pour un positiviste par le problème de la validité, l'affirmation
que le fondement du droit est le droit lui-même devient légitime et
compréhensible : la validité est une pure et simple qualification
juridique, à la différence de la valeur qui présuppose la présence de
postulats éthiques ou bien de critères d'opportunité politique.
Ces dernières considérations me permettent enfin de conclure avec
quelques précisions sur la notion de création juridique que j'ai consi
dérée dès le début comme une notion clef de la théorie pure du droit,
interprétée comme une théorie positiviste du droit, voire comme le
positivisme juridique poussé à ses extrêmes conséquences. Peu avant,
j'ai rappelé la notion de «pouvoir juridique». Il s'agit d'une notion que
les spécialistes de la théorie kelsénienne ont généralement négligée et
qui, à mon avis a cependant une importance décisive pour la recons
truction du système ainsi que pour les autres normes qui se réfèrent à
des situations subjectives, comme droit subjectif et devoir. Du reste,
Kelsen lui-même, seulement dans la seconde édition de la Reine
Rechtslehre utilise une expression spécifique pour indiquer le pouvoir
de créer des normes juridiques. L'expression est Rechtsmacht. Seul
celui qui possède la Rechtsmacht est en mesure de créer du droit. Et
possède la Rechtsmacht seul celui qui l'a reçue par un acte d'attribution
de pouvoir que Kelsen nomme dans cette dernière œuvre Ermächti
gung. pour la distinguer de la Berechtigung, qui indique l'attribution
d'un droit subjectif. Par les mots mêmes de Kelsen, Ermächtigung est
définie comme le fait d'attribuer à un individu une Rechtsmacht, c'est
à-dire lui attribuer le pouvoir de créer des normes juridiques (einem
Individuum eine Rechtsmacht verleihen, das ist die Macht verleihen
Rechtsnormen zu erzeugen) 04).

(14) Théorie pure du droit, p. 181 et p. 186.

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486 Ν. BOBBIO

De ces citations apparaît clairement l'étroit rapport entre la no


pouvoir juridique et celle de création juridique : on est en cond
créer du droit dans la mesure où on a le pouvoir ou la force de l
Ce qui signifie que la création de normes juridiques est l'effet
cice d'un pouvoir, en d'autres termes que l'on peut parler correc
de création du droit, et donc on peut légitimement réduire le pr
des sources du droit au problème de la Rechtserzeugung, d
mesure où à l'origine de toute norme du système, soit supérieu
inférieure, soit générale ou individuelle, on suppose l'existen
pouvoir, que Kelsen ne désigne pas au hasard par le terme Mach
comprend alors pourquoi, selon Kelsen, le droit n'est pas déclar
posé, imposé, créé. L'existence (ou bien la validité) du droit
exclusivement de l'existence d'un pouvoir, ou d'une force c
d'imposer (ou d'autoriser) des comportements et d'en obtenir l'
plissement, ayant même recours en dernière instance à la cont
suprême manifestation de la puissance de l'Etat (Staatsgewalt).
Une fois encore, pour un positiviste cohérent, auctoritas non v
facit legem.

Université de Turin.

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