Sunteți pe pagina 1din 5

7/2/2018 Kenneth White et Gilles Deleuze

Philosophique
11 | 2008 :
Marx - L'image

Kenneth White et Gilles Deleuze


MICHÈLE DUCLOS
p. 97-103

Résumé
En 1980 dans Mille Plateaux (p.470) Deleuze exprimait la crainte que son celtisme et son intérêt
pour l’Orient ne mènent Kenneth White vers un aristocratisme fascisant et un folklore
fantasmant. Je montre dans cet essai que pour le poète écossais la celtitude est d’ordre mental et
culturel, pas du tout ethnique, et que sa vaste et précise connaissance des cultures tao-
bouddhiques débouche sur “un sol ontologiquement plus riche” (La Figure du dehors, p. 49)

Entrées d’index
Mots-clés : Deleuze, White Kenneth, Celtisme, Orient, géopoétique

Texte intégral
1 L’article de Pierre Jamet, « L’altercation entre Gilles Deleuze et Kenneth White »,
publié dans Philosophique 2006, propose une comparaison entre l’œuvre de Gilles
Deleuze (dont on nous rappelle qu’en 1979 il siégeait au jury de la thèse du second
intitulée le Nomadisme Intellectuel ) et l’oeuvre de Kenneth White, autour du concept
de « nomadisme » employé par les deux auteurs, avec en conclusion une préférence
non dissimulée pour le premier. Le point de départ est un paragraphe de Mille Plateaux
dont nous ne reprenons ici que les phrases qui concernent directement le poète
écossais :

White a récemment insisté sur cette complémentarité dissymétrique d’une tribu-


race (les Celtes) et d’un espace-milieu (l’Orient, lOrient, le désert de Gobi…) White
montre comment cet étrange composé , les noces du Celte et de l’Orient, inspire
une pensée proprement nomade, qui entraîne la littérature anglaise et constituera
la littérature américaine. Du coup l’on voit bien les dangers, les ambiguïtés
profondes qui coexistent avec cette entreprise [ ]Car : comment faire pour que le
thème d’une race ne tourne pas au racisme, en fascisme dominant et englobant,
ou plus simplement en aristocratisme, ou bien en secte et folklore, en micro-
fascisme ? Et comment faire pour que le pôle Orient ne soit pas un fantasme, qui

http://journals.openedition.org/philosophique/178 1/5
7/2/2018 Kenneth White et Gilles Deleuze
réactive autrement tous les fascismes, tous les folklores aussi, yoga, zen et karaté ?
Il ne suffit certes pas de voyager pour échapper au fantasme. (p. 469-470)

2 Notre intention dans les lignes qui suivent ne se veut ni argumentative ni polémique
mais plus modestement et concrètement de revenir sur les craintes, manifestées par
l’auteur de Mille Plateaux, de voir se développer chez White des dérives mentales et
surtout socio-politiques. Notre argumentation contre cette thèse s’appuiera sur des
citations et références très précises (elles pourraient être plus nombreuses) tirées des
ouvrages et de communications de White.
3 En 1980 Kenneth White est surtout connu comme l’auteur de plusieurs volumes de
poèmes et d’essais purement existentiels, biographiques, tels que Les Limbes
Incandescents marqués par une révolte et une quête ontologique. Sa période
d’inspiration ouvertement « celte » est dépassée mais jamais, bien au contraire, il ne
reniera son origine écossaise, géographique et culturelle – et surtout pas ethnique. Il
développe une approche révolutionnaire de l’anthropologie celte qui le pousse en
premier lieu à pourfendre toute la « celtitude » folklorique des châteaux hantés et de la
cornemuse, voire même des mythes fondateurs chers à l’Irlandais W B Yeats : « La
celtitude est une notion socio-politique moderne, une attitude de défense, tout le
contraire d’un élan originel » (Le Poète cosmographe, p. 78). Or White se veut, se fait,
le redécouvreur d’une Ecosse, d’un celtisme originaires, qui passe entre autres par
l’affirmation d’un isomorphisme entre le paysage physique et le paysage humain, et
qu’il baptise ALBA. Il dégage, redécouvre des virtualités ignorées par les Ecossais eux-
mêmes, se heurtant ainsi parfois à l’incompréhension dans son propre pays :

Si je m’intéresse à la culture celte, si je me suis engagé dans une exploration du


territoire celte, c’est parce que le celtisme, ou disons mieux le champ euro-celte,
en dehors de toute celtomanie et je dirais aussi en dehors de toute celtitude, me
semble offrir des perspectives qui peuvent inspirer nos recherches aujourd’hui,
contribuer à la réalisation de notre désir, nous aider à retrouver le monde. (3e
mill. n° 3, p. 24)

4 Depuis la France où il s’est installé en 1967, White ne cesse de développer cette


vision, dans des essais, lors de conférences et dans des articles qui lui sont demandés
par des revues axées sur les cultures celtes. Il l’a fait à nouveau récemment à l’occasion
de rencontres organisées par des institutions culturelles ou politiques telles qu’en juin
1996 une exposition au parc de la Villette intitulée le « Printemps celte » - il y intitulait
son intervention « Vers une Europe nouvelle », sous-titrée : « Où l’on perçoit que le
‘génie fervent’ des Celtes pourrait bien irriguer une culture européenne » (texte repris
dans Une Stratégie paradoxale, intitulé plus sobrement « Lecture de la culture
européenne : l’apport celte ») ; ou en septembre 1997 au Palais du Luxembourg à
l’occasion d’un colloque franco-écossais qui avait pour sujet « L’Ecosse
contemporaine ».
5 Le poète a entrepris un lent et obstiné travail pour retrouver les grandes forces
originaires, localement celtes, aujourd’hui bien enfouies ou dévoyées et aller vers une
culture première, potentiellement mondiale. Ces potentialités mentales ont, pour le
poète, déjà commencé à se manifester même très incomplètement, dans le Surréalisme
et d’autres mouvements culturels moins aboutis ; mais elles se manifestent aussi dans
l’esprit de découverte scientifique qui caractérise un James Clerk Maxwell « qui a
ouvert la voie non seulement à Hertz et à Marconi, mais encore à Einstein et à la
physique quantique […] (Ecosse, le pays derrière les noms, éd.Terre de Brume, 2010,
p. 8.)

Il faut renouveler les choses à la base, sortir des soi-disant « destins historiques »,
pour revenir à un sens de la migration, dépasser l’idéologie de l’identité et mettre
en place un nouveau jeu d’énergie […] Ce qui marque à mon sens les oeuvres
significatives surgies des champs de culture celtes, c’est le sens de la nature
(d’énergies premières, d’espaces premiers, de connexions subtiles), un élan
explorateur, une efflorescence intellectuelle, un humour exubérant, et une
poétique vigoureuse. Ce sont là des éléments dont une future culture européenne
aura besoin. (Une Stratégie Paradoxale, p. 154, « Lectures de la culture
européenne »)

http://journals.openedition.org/philosophique/178 2/5
7/2/2018 Kenneth White et Gilles Deleuze

6 Loin de se vouloir ethno-centré, le « celtisme » devrait désigner, pour White, une


mentalité, une culture, une attitude anthropologique (qu’il rattache au concept de nord
sorti de son pur contexte géographique) combattues, étouffées mais jamais détruites, ni
par les conquérants romains, ni par la métaphysique dualiste d’une civilisation qui a
dominé pour plus de deux millénaires notre mode de vie occidental et notre vision du
monde. A cette vision « continentale » massive, figée, il oppose un mode de vie et de
pensée « archipélagique », « océanique », non coupée du monde naturel, libertaire,
épris d’espace, qui recoupe le concept, ontologique et non plus seulement politique,
d’ « anarchie ».

Si l’on recherche la grande celtitude d’aujourd’hui, la grande celtitude actuelle, ce


n’est pas chez tel ou tel poète gaélique ou bretonnant qu’on va la trouver, c’est,
pour ne citer que quelques titres où ces « affinités électives » apparaissent en
filigrane, dans le Voyage au bout de la nuit de Céline, l’Ode à Charles Fourier
d’André Breton, la Prose du transsibérien de Blaise Cendrars, Anabase de Saint-
John Perse, Finnegans Wake de James Joyce, On a Raised Beach de MacDiarmid.
Quelquefois, on trouvera des traces de la tradition, évidentes pour ceux qui la
connaissent : chez Joyce, par exemple, le développement maximal et obsessif des
hisperica famina (6e, 7e siècles). Mais la plupart du temps, on trouvera la
« celtitude » à l’état diffus : centrifuge et erratique. (Éloge de la Grande Celtitude,
éd. Autres Rives, 1988).
- Que reste-t-il, aujourd’hui, du regard celte, de la pensée celte ?
- Dès que vous avez quelqu’un qui s’affirme en tant qu’individu, qui dénonce des
structures sclérosées et qui invente une nouvelle danse de l’intelligence et de
l’existence, vous pouvez être à peu près sûr qu’il y a du celte dans les parages. Peu
importe, au fond, que cela soit reconnu comme celte ou pas. L’essentiel, c’est que
ce levain continue à exister et à faire son travail. (Le Poète cosmographe, p. 189).

7 Ainsi défini, élargi, ouvert :

Le celtisme me semble offrir, justement pour nous autres Européens, un pont


entre l’Europe et l’Asie, d’une part, l’Europe et l’Amérique de l’autre [...] En fait je
ne puis concevoir l’esprit celte que comme un briseur de barrières, ouvrant un
espace au-delà de toutes les clôtures. (3e Millénaire, 3, p. 30)

8 C’est pour retrouver cette énergie potentiellement planétaire mais disparue, au moins
en surface, de notre Modernité, que le poète entreprend son périple mental et
multiplement géographique à travers d’autres cultures qui ont conservé dans leurs arts
quotidiens, leurs mœurs, leur langage, par fragments, un sens premier de l’unité
cosmique. Ce qui nous mène tout droit à l’Orient, un Orient précis, solidement
documenté, culturellement et géographiquement. Dès l’Ecosse, à peine adolescent,
White découvre les grands textes de la culture indienne puis chinoise et japonaise ; il
découvre aussi l’Orient tao-bouddhique chez nombre d’auteurs occidentaux de l’Ancien
et du Nouveau Continent, dont il nourrit son savoir, son savoir-vivre et son savoir-
écrire. Son attirance pour l’Orient n’est pas une fuite en avant ; il n’est la proie d’aucune
illusion, que ce soit vis-à-vis de l’Orient ou de l’Occident :

Ce n’est pas merveilleux du côté de l’Orient non plus. C’est vrai. On peut penser
que pendant que nous bâtissions nos gratte-ciel et nos lendemains qui chantent,
l’Inde, par exemple, a passé son temps dans la posture du lotus et qu’elle s’est
surnirvanisée, victime d’une overdose de sagesse. Mais il y a la Chine taoïste et le
Japon du zen, et partout des rires, des gestes, une démarche qui viennent de cette
millénaire non application.(Revue Vagabondage, n° 28-29 mars 1989, p. 9)

9 Il a pleinement conscience de l’affadissement, des déformations dont ces énergies


orientales sont les victimes dans ce transfert sur le sol occidental ; dans Les Limbes
Incandescents, il s’emporte contre les sectes, et se moque des « gagas du yoga » et des
« zozos du zen ». Mais, dans cet Occident dont « la culture est allée de plus en plus à
vau-l’eau, [où] l’économie humaine tout entière du séjour-sur-la-terre [...] est devenue
de moins en moins vivable », « l’Orient vient à propos – l’Orient conçu comme quelque
chose de plus que le ‘bouddhisme sentimental’ dont Nietzsche avait prévu qu’il
envahirait l’Occident au XXe siècle […] l’approche d’une source claire, d’une autre
manière d’être, d’un contact renouvelé avec la terre » (La Figure du dehors, p. 167). Au
poète « se pose le problème de la réanimation, non dans le sens d’un retour à la vie du
http://journals.openedition.org/philosophique/178 3/5
7/2/2018 Kenneth White et Gilles Deleuze

vieux cadavre, mais de la découverte, passé le bourbier culturel, d’un sol nouveau – je
dis bien un véritable sol nouveau, sur lequel un corps vivant puisse marcher dans l’éveil
de ses sens et de ses énergies, et pas seulement quelque contrefaçon intellectualiste »
(La Figure du dehors, p. 167).
10 Ce sol nouveau, « le sujet naissant à lui-même en tant que centre d’énergie […] sur un
sol ontologiquement plus riche » (La Figure du dehors, p. 49), le poète l’a foulé
mentalement d’abord, physiquement ensuite. Intellectuel, son nomade l’est, rappelle-t-
il à l’envi et particulièrement dans l’Esprit nomade, au sens que lui confèrent les
Chinois d’« homme de la pluie et du vent ». Il s’agit de « s’orienter » vers un lieu de
réconciliation entre un Occident et un Orient de la pensée), sur la voie d’une pensée
« originaire » arbitrairement scindée deux à trois millénaires plus tôt. Il ne s’agit pas
d’un « melting pot » de la fin, mais d’un creuset des commencements. (Vision d’Asie,
np)

Je dois dire tout de suite ma reconnaissance à l’Orient, car c’est la lecture de


certains textes orientaux qui m’a confirmé dans mes intuitions et mes premières
approches – intuitions qui avaient du mal à se frayer un passage, parce que la
culture occidentale moderne avait pris un tout autre chemin et était arrivée à des
impasses. Ces textes m’ont aidé à ouvrir une voie, et peut-être à mieux voir. Ils
m’ont aidé à me désencombrer (Le Poète cosmographe, p. 59).

11 White nous rappelle qu’au bon temps où les soixante-huitards partaient sur la grand
route de Katmandou et des ashrams indiens, lui, dans ses chambres de bonne
parisiennes lisait des textes bouddhistes ardus et s’imprégnait de leur message
ontologique, y inscrivant, y « brûlant » son vécu quotidien pour en produire Les Limbes
incandescents. Il menait conjointement ce « grand travail » dans son séminaire de
Paris VII (connu familièrement comme le « séminaire de la « Montagne froide »,
d’après Han Shan, ou le « séminaire du Vieil Etang », d’après Bashô), consacré à
l’influence de l’Orient sur l’Occident contemporain, et plus encore à travers sa propre
création.
12 Ce que son nomadisme trouve en Orient et particulièrement dans le taoïsme et dans
le bouddhisme, c’est le concept de « vide », c’est-à-dire l’interdépendance entre toutes
les choses du monde créé (et il n’en existe pas d’autre), un constat de non identité fixe
mais d’ouverture de la psyché sur le dehors auquel elle appartient. Chez White cette
épistémologie, qui est aussi celle de la pensée scientifique post-quantique, devient un
« champ blanc », son « monde blanc » ; cette cosmologie, récente en Occident, baptisée
par Manuel de Diéguez « cosmologie de l’énergie », devient dans son Esprit nomade
(p. 272-275) « chaoticisme », une « cosmologie chaoticiste » qui informe et « enforme »
son nomadisme géopoétique. Là, constate toujours White, énergies celtes et énergies
tao-bouddhiques se rejoignent, et l’on se retrouve sur un rivage auroral de la pensée où
Héraclite et Tchouang-tseu devisent sur le bord du fleuve.
13 Les conférences données par White à la Maison de la Poésie à Paris en 1983, 1984 et
1985 : « Hautes Lumières sur Segalen », « Les Chemins de la pensée poétique », « Crise
et création dans la culture occidentale » insistent, entre bien d’autres choses, sur la
nécessité pour l’Occident de réviser ses concepts et ses méthodes, guidé par des pensées
venues de l’Orient géo-culturel mais aussi de notre Orient intérieur :

Il s’agira […] à travers des paysages mentaux d’Occident et d’Orient, et quelques


figures exceptionnelles, de la recherche d’un archipel de pensée qui dépasse
l’opposition de l’Orient et de l’Occident , et qui puisse être reconnu par tous […].
En procédant ainsi on retrouve les énergies qui furent à l’origine de notre culture
[…].
Pour désigner l’activité globale, décloisonnée, qui est celle de la « figure du
dehors », j’ai avancé quelques nouveaux concepts… (La Figure du dehors, p. 18-
19).

14 Si pour Gilles Deleuze la philosophie est créatrice de concepts, pour Kenneth White la
poésie, la pensée poétique, elle aussi peut être créatrice de « nouveaux concepts ».
15 Il est hors de notre propos ici d’aller plus avant dans une comparaison entre la vision
du monde développée sous l’appellation de « nomadisme » par chacun des deux
penseurs ; ce terme d’ailleurs est aujourd’hui revendiqué plus ou moins légitimement

http://journals.openedition.org/philosophique/178 4/5
7/2/2018 Kenneth White et Gilles Deleuze

par une kyrielle de pseudo-créateurs en mal de publicité, comme le zen, comme en son
temps l’existentialisme, mis à beaucoup trop de sauces. Par contre il serait souhaitable
que le « silence retentissant » d’une « altercation » évoquée par Pierre Jamet entre les
deux créateurs appelle l’attention, en dehors de toute polémique, sur la pensée (à la fois
philosophique et poétique) d’un auteur qui, on s’en rend compte de plus en plus, est
l’auteur d’une des œuvres les plus marquantes de notre époque.

Bibliographie
Le Monde ouvert de Kenneth White, PU Bordeaux, 1995
Autour de Kenneth White, espace, pensée, poétique, PU Dijon, 1996
Kenneth White et la géopoétique, L’Harmattan, 2006
Olivier Delbard, Les lieux de Kenneth White, L’Harmattan, 1999
Pierre Jamet, Le local et le global dans l’oeuvre de Kenneth White, L’Harmattan, 2002
Michèle Duclos, Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, ELLUG, 2006

Pour citer cet article


Référence papier
Michèle Duclos, « Kenneth White et Gilles Deleuze », Philosophique, 11 | 2008, 97-103.

Référence électronique
Michèle Duclos, « Kenneth White et Gilles Deleuze », Philosophique [En ligne], 11 | 2008, mis en
ligne le 06 avril 2012, consulté le 07 février 2018. URL :
http://journals.openedition.org/philosophique/178 ; DOI : 10.4000/philosophique.178

Auteur
Michèle Duclos

Droits d’auteur
© Presses universitaires de Franche-Comté

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. En savoir plus

http://journals.openedition.org/philosophique/178 5/5

S-ar putea să vă placă și