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Enquêtes, reportages, témoignages — Semaine du vendredi 9 février 2018 — 3,50 €

L’affaire
Nicolas
Hulot
2 K) Le dessin de Pierre Kroll

9 février 2018 / n°5 — 0

0 Parole contre parole
Cofondateurs Laurent Beccaria, enquête que nous publions dans ce numéro s’inscrit dans le dé-

L’
Patrick de Saint-Exupéry
Direction de la rédaction
Constance Poniatowski,
bat public de ces derniers mois, ce puissant mouvement de libé-
Patrick de Saint-Exupéry
Rédaction en chef
ration de la parole sur les abus envers les femmes.
Nicolas Delesalle, Gaëlle Macke
Direction artistique Quintin Leeds
La société change, ses repères et ses exigences aussi. Elle ne
Chef d’édition Isabelle Talès
Relation lecteurs, adjointe à la rédaction
tolère plus la domination et la prédation auxquelles trop de
en chef Anne-Sophie Jacques
Représentant lecteurs Damien Carême
femmes sont confrontées, ni leur impunité.
Rédaction Adrien Absolu, Alice Babin, Cependant, ces affaires sont complexes par nature. La mise au jour des
Mathilde Boussion, Charlotte Chaffanjon,
Seymourina Cruse, Samuel Forey, faits est rendue difficile par l’absence de témoins extérieurs et par la dif-
Arthur Frayer-Laleix, Tiphaine Honnet,
Anne Jouan, Frédéric Legrand ficulté qu’éprouvent les femmes à en parler et à porter plainte (à tel point
(à Marseille), Mathieu Lehot, Léna Mauger,
Estelle Maussion, Olivier Monod, que le délai de prescription est passé en 2017 de dix à vingt ans en matière
Emmanuelle Morau, Anne-Sophie Novel
(à Bordeaux), Mathieu Palain, Émile Rabaté de viol). C’est souvent la même histoire qui revient, tissée de silence et de
(à Lorient), Haydée Sabéran (à Lille),
Benoist Simmat, Thibaut Solano (à Lyon), douleur, de honte et de colère. L’onde de choc se répercute longtemps dans
Laurent Valdiguié, Sylvain Venayre
Photo Simon Danger (directeur), la vie des femmes et dans celle de leur famille.
Magali Gasperini Courroy,
Nicolas Foucher (assistant) Ebdo a eu connaissance d’un sombre été qu’une jeune femme, alors âgée
Maquette Sandra Fauché, Clémentine
Simonet, Léa Taillefert-Rolland de 20 ans, nous a raconté avoir vécu après s’être rendue pour son travail
Infographie Camille Beurton,
Charlotte Le Mogne chez Nicolas Hulot. Elle en est revenue, dit-elle, transformée à jamais. Que
Secrétariat de rédaction Safia Bouda,
Geneviève Caux, Bertrand Courrège, s’est-il passé entre eux ? Comment vivre avec le souvenir de ce qu’elle a ap-
Margaux Velikonia avec André Spiga
Directeur de la stratégie numérique pelé auprès des siens « un acte sous contrainte » ? La jeune femme a choisi à
Maxime Guedj
Numérique Adélaïde Michel, la fois de se taire et de parler. Elle a enfoui ce jour maudit pour elle afin de
Steven Sanséau, Marion Vasseur
Marketing Julie Musialek préserver sa famille au nom prestigieux. Et elle s’est régulièrement rappe-
Coordinatrice Raechel Isolda
Directrice de la diffusion
lée au souvenir de Nicolas Hulot pour « le punir » dit-elle.
Frédérique Nodé-Langlois
Vente au numéro Gestion et promotion :
Combien de femmes en France dans les usines, les ateliers ou les bureaux
Bayard Presse. Marchands de journaux et ont vécu le même dilemme que la « Marie » de notre enquête ? Comment
dépositaires, 0 800 29 36 87. Distribution
Presstalis. Relations abonnés établir la vérité des faits ? Faut-il parler ou se taire ? Demander réparation
Pour vous abonner : aboebdo.com, pour
toute question sur votre abonnement : judiciaire ou se reconstruire par ses propres moyens ?
abo@ebdo-lejournal.com, 01 76 41 05 95
du lundi au vendredi de 9h à 12 h et de 14h à De nombreuses questions se posent également dans l’exercice du journa-
17h. EBDO, Service abonnement : TBS BLUE
6, rue d’Ouessant, 35760 Saint-Grégoire. lisme, alors que les dénonciations d’abus sexuels se multiplient. Interrogé
Tarif de référence kiosque : 3,50 �.
Fabrication Philippe Martin Photogravure par Ebdo, le ministre conteste tout comportement répréhensible. Les deux
Key Graphic Impression, brochage,
routage SIEP, 77590 Bois-le-Roi. récits sont là : d’un côté l’honneur d’un homme et sa conscience, de l’autre
Papier de couverture provenance Italie ; taux de
fibres recyclées : 0 % ; eutrophisation : 0,029 kg/To
de papier. Papier intérieur provenance Italie ;
la douleur d’une femme et de sa famille. Parole contre parole.
taux de fibres recyclées : 0 % ; eutrophisation :
0,018 kg/To de papier. Fallait-il occulter cette histoire au nom du rayonnement exceptionnel de
Directeur administratif
et financier Laurent Regeffe Nicolas Hulot, animateur de télévision et inlassable militant d’une cause
Comptabilité Stéphanie Louchet,
Laurent Lefranc populaire, devenu en 2017 numéro 3 du gouvernement ?
Festival Les Rendez-Vous de juillet
Marie-Pierre Subtil, Thibaut Brugat-Dreux,
Ebdo est un journal indépendant, financé seulement par ses lecteurs,
Sharlie Minette qui raconte le monde tel qu’il est, avec ses lumières et ses raisons d’espé-
Ebdo est un hebdomadaire édité par
Rollin Publications SAS au capital rer, ses ombres et ses secrets, ses questions aussi. Nous ne pouvions pas
de 46 506 euros. 27, rue Jacob, 75006
Paris N° Siret 49950287000029 détenir ces éléments sur un homme public dans le contexte actuel sans en
Actionnaires BSA (Beccaria Sivry
et Associées) 41 %, Patrick de Saint- rendre compte. Ce temps-là est révolu. C’est pourquoi nous avons décidé
Exupéry 41 %, Charles-Henri Flammarion,
Marie-Pierre Subtil, Thierry Mandon, de publier l’enquête de Laurent Valdiguié et Anne Jouan.
Dominique Villeroy de Galhau
CPPAP 0120C93590; ISSN 2606-3573 ;
dépôt légal à parution. Laurent Beccaria
Président Laurent Beccaria
Directeur général, directeur
de la publication Thierry Mandon
17-19, rue Visconti, 75006 Paris.
Tél. : 01 85 73 63 60 Contacter Ebdo:
contact@ebdo-lejournal.com et sur les
Où est le H ? La disparition du « h » d’Ebdo sera compensée
réseaux sociaux @ebdolejournal chaque semaine par l’ajout d’un « h » en trop dans le journal.
Si vous le trouvez, rendez-vous sur leh.ebdo-lejournal.com.
Chaque jeudi, un gagnant sera désigné par tirage au sort
et recevra un cadeau. Dans le n° 4, le « h » était page 4.
0 — 9 février 2018 / n°5
 S)
Sommaire
S
2 k) Le dessin de Pierre Kroll
3 e) Édito
Parole contre parole

6 f) Focus
Supermarchés, la nouvelle donne
Pourquoi y a-t-il deux Corées ?
Le décollage de la fusée Falcon Heavy
Un plan de départ pour les fonctionnaires

16 E) Enquête
L’affaire
36 Reportage
Nicolas Hulot
Ebdo révèle le secret, enfoui depuis vingt ans,
d’une femme et de ses proches. Le ministre
de la Transition écologique et solidaire répond.

24 i) En images
Promenons-nous sur les rails !
La nature a repris ses droits en plein Paris,
le long des 32 km d’une ancienne voie ferrée.

32 v) La vie des autres

Pour des paysans du Cantal,
le bonheur est sur la scène
36 R) Reportage
Paris-Brazzaville,
24 En images
très chers amis
Le président congolais a ruiné son pays et fait
enfermer ses opposants. Mais il garde le soutien
d’un allié historique : la France.

46 p) Portrait
16 Enquête Marie-Françoise Gonzalez,
bouillonnante marchande de frites
Cette figure rebelle de Hénin-Beaumont a fermé
boutique, mais n’a pas prévu de se taire.
COUVERTURE ET DER : ÉTIENNE LAURENT/
EPA-EFE/MAXPPP/PHOTOMONTAGE EBDO
JÉRÔMINE DERIGNY/COLLECTIF ARGOS –
CARL COURT/GETTYIMAGES/AFP – AMÉLIE
50 • Votre ebdo
Toutes les infos pour s’abonner et participer
BENOIST/BSIP
SOMMAIRE : DESTIN POUR EBDO – ISTOCK
– MRZYK ET MORICEAU – ANDREW TESTA/
NYT/REDUX-REA – RÉGIS BAUDONNET
32 La vie des autres POUR EBDO – CLÉMENT FABRE – RAPHAËL
Retrouvez Ebdo sur les réseaux sociaux
DE BENGY/HANS LUCAS POUR EBDO –
CHRISTOPHE MORIN/IP3 – JÉRÔMINE
DERIGNY/COLLECTIF ARGOS @ebdolejournal
9 février 2018 / n°5 — 0
52 j) Jeux
56 ≤≥ L’histoire du soir
Panique au village des crottes de nez

58 t) Théma
Le miel
Tout ce qu’il faut savoir sur cette précieuse 58 Théma
denrée en trois coups de cuillère à pot.

70 m) Fait maison
Cabillaud rôti aux agrumes ;
56 L’histoire du soir
semis de tomates ; pouf

74 c) Culture
Les inspirations de la réalisatrice Ariane Doublet
Chronique sur « Un jour ça ira »
Notre sélection autour du mot « Ovalie »

78 é) On vous fait un dessin

C’est quoi, les ondes
gravitationnelles ?
82 s) Sciences
Le moustique OGM,
agent éradicateur
Des insectes ont été modifiés génétiquement
pour lutter contre leur propre espèce et les
maladies que celle-ci transmet à l’homme.

R)
70 Fait maison
88 À rebours
Jeux olympiques, joutes politiques
Dès leur origine, les JO modernes ont balancé
entre l’idéal d’une paix mondiale et la défense
des intérêts nationaux.

91 C) Chronique
Les passions amoureuses
82 Sciences

par Tobie Nathan

92 P) Paroles
“ Les gourous se font plus discrets mais pas
moins toxiques ” Camille raconte comment il
a vécu dix ans sous l’emprise d’un psychiatre.

98 P) Ma page
Une page blanche, pour écrire ou gribouiller

99 g) La BD d’Emmanuel Guibert
Le smartphone et le balayeur
78 On vous fait un dessin

0 — 9 février 2018 / n°5

6 f) Focus
Un projet de loi prévoit
d’encadrer les promotions
dans les grandes surfaces
La mesure va pénaliser
les clients sans forcément
profiter aux agriculteurs
Par Estelle Maussion 7 Olivier Touron/Divergence pour Ebdo
es bousculades dues à
L la ruée sur des pots de
Nutella à – 70 % ont fait
le tour des télévisions.
Derrière le buzz, une question :
comment Intermarché a-t-il
pu proposer cette promotion
monstre – dans quelques ma-
gasins du nord et de l’est de la
France –, alors que la vente à
perte est interdite en France ?
Seule l’enquête ouverte dans la
foulée par les services du mi-
nistère de l’Économie pourra y
répondre. En attendant, « les pro-
motions à – 70 %, nous sommes
maintenant dans l’obligation de
les arrêter », a indiqué le patron
d’Intermarché, Thierry Cotillard.
De fait, le gouvernement veut
mettre le holà à ces superpro-
motions sur les denrées alimen-
taires dans les grandes surfaces.
Après les États généraux de l’ali-
mentation, grand débat entre
tous les acteurs de la filière or-
ganisé par les pouvoirs publics
de juillet à décembre 2017, le mi-
nistre de l’Agriculture, Stéphane
Travert, a présenté le 31 janvier
un projet de loi pour l’équilibre
des relations commerciales dans
le secteur agroalimentaire. Le
texte prévoit notamment d’enca-
drer les promotions et aussi de
relever le seuil de vente à perte
de 10 %, c’est-à-dire d’obliger à
revendre au prix d’achat + 10 %.
Objectif de ces mesures expéri-
mentées pendant deux ans :
redonner de la valeur aux pro-
duits alimentaires et relâcher la
pression sur les prix, au profit
des paysans étranglés.
« Un leurre »
Mais est-ce bien ce qui va se
passer en pratique ? Déjà, alors
que les limites des promotions
semblaient fixées au sortir des
États généraux, à 34 % de la va-
leur (soit au maximum un pro-
duit offert pour deux achetés) et
à 25 % du volume annuel vendu,
ces bornes n’apparaissent plus
dans le projet de loi : il faudra at-
tendre une ordonnance pour les
préciser. Par ailleurs, ces restric-
tions sur les promos n’obligent
en rien les Leclerc, Carrefour, In-
termarché, Super U, Casino, Cora
et autres à se montrer moins fé-
roces dans leurs négociations
annuelles (traditionnellement de
décembre à fin février) sur les ta-
rifs « normaux » des produits.
Enfin, même si les grands dis-
tributeurs limitent la casse des
prix en magasins, rien ne garan-
tit qu’ils redistribueront bien
le surplus à leurs fournisseurs ?
Aucun dispositif dans la loi
9 février 2018 / n°5 — 0
 f) 7
Au Leclerc de Templeuve-en-Pévèle,
près de Lille, lundi 5 février.

0 — 9 février 2018 / n°5

8 f) Focus
ne les y contraint. La FN-
SEA, premier syndicat agricole,
n’y trouve rien à redire. Mais Ni-
colas Girod, à la Confédération
paysanne, est sceptique : « On
agit au niveau de la distribution
en espérant juste que cela pro-
fitera aux producteurs, c’est un
leurre. »
Jusqu’à 177 euros par ménage
D’autant que, entre les dis-
tributeurs et les agriculteurs, il
y a les industriels de l’agroali-
mentaire (Nestlé, Lactalis, Pep-
siCo, Bonduelle…) qui peuvent
aussi vouloir prélever leur dîme.
Au Leclerc de Templeuve, “si les promos
s’arrêtent, c’est la fin des petits plaisirs”
Dans cet hypermarché
du Nord, comme ailleurs
en France, impossible de
se passer des promotions,
pour plaire aux clients et
résister à la concurrence.
Dans son chariot, il y a du sham-
pooing, des biscuits, bientôt des
coquillettes. Comme toujours,
Annie a commencé par l’allée des
promos, face à l’entrée. « Quand
Seul point positif : la logique
des contrats entre les paysans et
ces industriels est inversée. Les
négociations devront partir du
prix de production des premiers
et non plus du prix de revient
qu’imposent les seconds, ce qui
devrait redonner de l’oxygène au
monde agricole.
Reste que, paradoxalement,
les gagnants à coup sûr de cette
loi seront moins les agriculteurs
que les distributeurs : l’encadre-
ment des promotions va aug-
menter leurs marges sans qu’on
les oblige à les partager.
À l’inverse, il y aura des per-
on est au smic, ça compte. Je dé-
pense 270 euros par mois en nour-
riture, pour deux personnes, dont
30 % de promos », dit cette femme
de ménage de 55 ans, payée
1 100 euros par mois. Elle fait par-
tie des 15 % de « promophiles » de
cet hypermarché Leclerc de Tem-
pleuve-en-Pévèle, près de Lille.
C’est comme ça que les appelle
Thomas Pocher, patron du maga-
sin. Ceux qui poussent la porte du
dants : les consommateurs. La
restriction des superpromos va
peser sur le pouvoir d’achat des
plus modestes, qui les chassent
dans les rayons pour tenir leur
budget. De même, en relevant le
seuil de revente à perte, on aug-
mente les prix, donc le montant
du ticket de caisse.
Selon les calculs de l’associa-
tion de défense des consom-
mateurs UFC-Que Choisir, le
surcoût pour les clients repré-
sentera entre 1,7 et 4,9 milliards
d’euros, soit, au pire, 177 euros
par ménage sur les deux ans de
l’expérimentation.
magasin pour les promos, et repar-
tiront peut-être avec plus.
Moitié prix sur les colorations
Schwarzkopf. Les coquillettes Pan-
zani sont à 1,79 euro les trois pa-
quets de 500 grammes, trois pour
le prix de deux. Le Nutella est à
4,97 euros le pot familial, mais avec
la réduction de 30 % de la carte de
fidélité, il revient à 3,48 euros. Ici,
les promos forment pas moins de
20 % du chiffre d’affaires du maga-
sin, alors qu’à Templeuve le taux de
pauvreté est deux fois inférieur à la
moyenne nationale.
Au Leclerc de Wattrelos, com-
mune bien plus populaire près de
Roubaix, que Thomas Pocher di-
rige aussi, il y a 30 % de « promo-
philes » et les promos font un quart
des ventes.
Presque une tonne
de prospectus par jour
Annie s’arrange. « Avec mes deux
filles, on partage. » Elle montre l’af-
fiche Panzani qui pend du plafond.
« Par exemple, les paquets de co-
quillettes à 1,79 euro les trois, là, on
va en prendre chacune un. Quand
9 février 2018 / n°5 — 0

Au Leclerc de Templeuve, les promos représentent 20 % des ventes.
il y a une promo sur les alcools,
on s’appelle : “Qui en a besoin, qui
fait une fête ?” On fait les comptes
après. » S’il n’y avait pas les pro-
mos de Leclerc, elle n’irait qu’à Lidl.
Elle s’inquiète : « C’est malheureux
qu’ils parlent d’arrêter tout ça. » Sa
fille Allison, 28 ans, mère au foyer
de trois enfants : « C’est vrai que la
promo de – 70 % sur les couches,
c’était beaucoup. Les gens se sont
précipités à Intermarché, une co-
0 — 9 février 2018 / n°5
pine à moi y est allée, il n’y avait plus
rien, et puis elle a vu les couches
sur Facebook à 10 euros le paquet,
elle était écœurée. Des gens ont
stocké pour revendre, et gagner
3 euros par paquet. »
Le patron du magasin dit ne
pas parvenir à se passer des pro-
mos, face au budget serré des
clients. « Dès la troisième se-
maine du mois, on ne vend plus
que 80 % de ce qu’on fait la pre-
f) 9
mière. » Il distribue presque une
tonne de prospectus par jour. « On
cherche à réduire. Mais si j’arrête
d’en déposer dans les boîtes aux
lettres, les promophiles ne sont
pas contents. » Et en face, c’est la
guerre : Auchan, Carrefour, les ma-
gasins hard discount. « Les enjeux
sont colossaux : un point de part
de marché, c’est de l’ordre d’un
milliard d’euros. »
Il donne un exemple : la plupart
des briques de soupe qu’il vend
sont au-dessous d’un euro le litre.
« Je vous mets au défi de cuisiner
une soupe à moins d’un euro le litre.
Des gens me disent : “Je peux pas
acheter plus cher, je suis à l’os.” Et
dans mes équipes, on me dit : “S’il
n’y a plus de promo, on fait quoi ?” »
« C’est un peu le couple
dealer-drogué »
Janvier est un mois difficile :
après les fêtes, on économise
pour les vacances. Octobre-no-
vembre aussi : on est à sec, après
les vacances. « Alors on sponso-
rise le business à coups de bons
d’achat », déplore Thomas Pocher.
Il y a des promos tous les mois :
« Si je ne propose pas ça, je suis
personne. C’est un peu le couple
dealer-drogué. » Il souhaite qu’on
soit « arrivé au bout », rêve de fa-
voriser l’approvisionnement local.
« Je vends plus de pommes sous
forme de Pom’Potes que de fruits,
c’est dingue ! » En tête de gon-
dole, à côté des yaourts en promo,
il a mis des yaourts aux fruits à
70 centimes l’unité, de la ferme
voisine. Ce n’est que 1 % des ventes
de yaourts aux fruits, « mais, au-
delà du symbole, c’est un engage-
ment. Ça, vous ne le verrez jamais
en 2 + 1 gratuit ».
Annie pousse son chariot et
glisse avant de dire au revoir: « Si les
promos s’arrêtent, c’est la fin des
petits plaisirs. » Sur le chemin du
retour, elle passera chez Lidl pour
le café, les boissons, la farine. •
Haydée Sabéran
10 f) Focus
f)
Les deux Corées
sous le même drapeau
aux Jeux olympiques
Nord et Sud, pourquoi
deux États ?
Par Camille Beurton et Charlotte Le Mogne
es athlètes des deux Co-
L rées ont décidé de défiler
ensemble lors de la cé-
rémonie d’ouverture des
Jeux olympiques d’hiver, organi-
sés du 9 au 25 février à Pyeong-
chang, en Corée du Sud. Une
équipe intercoréenne de hockey
féminin a même été formée.
Événement aussi diploma-
tique que sportif (lire p. 88),
les JO ont déjà été l’occasion
de rapprochements : les Coréens
ont défilé ensemble à trois re-
prises entre 1998 et 2006. Quant
à la formation d’une équipe
Des histoires opposées depuis soixante-dix ans
1939 - 1945
Seconde Guerre mondiale
Dirigeants nord-coréens
Corée
Province japonaise
Dirigeants sud-coréens
Avant 1945
Domination japonaise
Après une longue domination
chinoise, le Royaume de Corée
passe sous contrôle japonais
en 1895. Annexé en 1910, il
le reste jusqu’à la capitulation
japonaise, en 1945.
Corée, au sud, appelle à l’apai-
sement depuis son élection
en mai 2017. Mais les signaux
envoyés par le dictateur nord-
coréen, Kim Jong-un, n’étaient
pas rassurants (essais de mis-
siles nucléaires, échanges de
plus en plus belliqueux avec le
président américain, Donald
Trump...).
Le 1er janvier, Kim Jong-un a fi-
nalement fait un pas vers le Sud
en se disant prêt à envoyer une
délégation aux Jeux. Suspendus
commune, l’expérience avait été depuis deux ans, les contacts
tentée en 1991, aux champion-
nats du monde de ping-pong et
au Mondial de football junior.
Ce rapprochement inter-
vient après une longue période
officiels ont repris et des repré-
sentants des deux pays se sont
rencontrés au « village de l’armis-
tice », Panmunjeom.
Retour sur l’histoire de
de tensions. Moon Jae-in, le leur séparation, il y a soixante-
président de la République de dix ans.
Athlètes coréens Corée du Nord 19 participations
présents en 2018 10 aux JO
35 depuis 1948
Équipe commune
122
34 participations
aux JO
Corée du Sud depuis 1948
1948 1950 - 1953
Proclamation Guerre de Corée
des deux États
Kim Il-song
République populaire démocratique de Corée
1960 1970
République de Corée République autoritaire puis dictature
1945-1953
Une partition qui mène à la guerre
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, URSS et États-Unis divisent la Co-
rée en deux zones au niveau du 38e parallèle. Le Nord est administré par
les Soviétiques, le Sud par les Américains. En 1948, des élections doivent
permettre de réunifier la péninsule mais celles-ci ne sont organisées qu’au
Sud, qui proclame la République de Corée. Le Nord se déclare comme un
État un mois plus tard. Les tensions s’intensifient et dégénèrent en guerre
en 1950. Au moins un million de Coréens sont tués. Un armistice, signé
le 27 juillet 1953, définit la frontière actuelle.
9 février 2018 / n°5 — 0
 f) 11
Russie
Vladivostok
Vladivostok
divost
divostok
div ok

Chine Des niveaux de vie

très éloignés
Population
En 2016 25 millions
C. du Nord d’habitants 51 millions
Corée C. du Sud d’habitants
du Nord Espérance de vie à la naissance
Mer du Japon En 2015
71 ans
yongy
Pyongyang
ongyang
one démilitarisée (DMZ)
Zone 82 ans

238 km
Produit intérieur brut par habitant
Panmunjeom
anmunjeom
om Estimations 2016
38e parallèle
Gangneung 1 213 €
Séoul
oul
éoul
Zone économique 32 320 €
Sites P yeong
Pyeongchang
Pyeong
ongchang
spéciale de Kaesong dess JO
de O
(opérations communess Accès à l’électricité
suspendues à ce jour
jour)) En % de la population en 2014
Corée 32 %
100 %
du Sud
Mer Jaune Budget Effectifs
de la défense militaires
Estimations 2009 Estimations 2016
Japon en milliards d’euros
3,17 1 190000 militaires
24,11 630 000 militaires

Sources : CIO, Banque mondiale,

IISS (The Military Balance 2016) via CSIS,
100 km
ministère français des Affaires étrangères, OCDE

1991
Dissolution de lÕURSS
Kim Jong-il Kim Jong-un

Dictature communiste
1980 1990 2000 2010
Transition vers la démocratie Démocratie
Kim Dae-jung Moon Jae-in

1953-1991 1991-1998 1998-aujourd’hui

Un enjeu de la guerre froide
Les tentatives de déstabilisation
sont nombreuses de part et d’autre
de la frontière, mais la situation
reste relativement stable. La chute
de l’URSS à partir de 1989 laisse les
Coréens espérer une réunification,
mais ce sont deux pays qui font
leur entrée à l’ONU en 1991.
0 — 9 février 2018 / n°5
Le Nord en grande difficulté
Un pacte de non-agression et
de réconciliation est signé en 1991.
Mais, après la mort de Kim Il-song
en 1994, la Corée du Nord
s’enfonce dans la crise. Tandis
que l’appareil militaire devient
le pivot du régime, de graves
famines frappent la population.
Des tentatives de réchauffement
Élu en 1998, le Sud-Coréen Kim
Dae-jung met en place la « poli-
tique du rayon de soleil ». En 2000,
un accord mène notamment à la
création d’une zone économique
intercoréenne à Kaesong. Mais la
poursuite du programme nucléaire
nord-coréen gèle les discussions.
12 f) Focus
SPACE X/YOUTUBE

9 février 2018 / n°5 — 0

 f) 13
La fusée Falcon
Heavy a libéré
une voiture
dans l’espace
On a marché
sur la Lune,
va-t-on rouler
sur Mars ?

ne voiture qui flotte

U dans l’espace. L’image

est folle, paraît tru-
quée. Elle est vraie.
Mardi 6 février, la fusée géante
Falcon Heavy, de l’entreprise
privée SpaceX, a réussi sa mis-
sion. Le monstre a décollé, deux
de ces trois propulseurs sont
revenus sur Terre, et une voi-
ture pilotée par un mannequin
nommé Starman, en hommage
à une chanson de David Bowie,
a été lancée dans l’espace. Elle
naviguera infiniment dans
l’éther et suscitera peut-être un
jour l’étonnement des extrater-
restres. Hypnotisés, des millions
d’internautes ont suivi en di-
rect le balancement silencieux
de la voiture Tesla d’Elon Musk,
fondateur de SpaceX, autour de
la Terre, avant son départ vers
l’orbite lointaine de Mars. Mars,
dessein véritable du milliar-
daire né en Afrique du Sud, qui,
en cinq ans, est passé du statut
de zouave à celui d’épouvantail
d’un secteur spatial jusque-là
monopolisé par les États. On
pourra conspuer le coup de pub
faramineux de l’entrepreneur,
hurler à la pollution spatiale.
On pourra aussi regarder cette
image avec des yeux d’enfants.
Mars n’a jamais été aussi proche
des Terriens.
Nicolas Delesalle
0 — 9 février 2018 / n°5
14 f) Focus
Le gouvernement prépare
un plan de départs volontaires
pour les fonctionnaires
Le dispositif existe depuis 2009,
sans succès, car les conditions
financières ne sont pas assez attractives
omment réduire les
C effectifs de fonction-
naires alors que leur
statut interdit de les
licencier ? Malgré la contesta-
tion des agents dans les mai-
sons de retraite, les tribunaux,
les prisons, les hôpitaux, contre
le manque de personnel juste-
ment, Emmanuel Macron, pré-
occupé de réduire la dépense
publique, n’entend pas renon-
cer à sa promesse de campagne :
supprimer pendant son mandat
120 000 postes d’agents publics
(sur 5,48 millions de fonction-
naires au 31 décembre 2016).
Avant lui, seul Nicolas Sarkozy
avait affiché un tel objectif, choi-
sissant alors de ne pas remplacer
un fonctionnaire sur deux par-
tant à la retraite. De 2007 à 2012,
La France, un pays de fonctionnaires ?
Nombre d’agents publics pour 1 000 habitants
Norvège
Danemark
Suède
France
Royaume-Uni 79
Espagne 61
Allemagne 59
Italie 59
Sources : OCDE, calculs France Stratégie (chiffres arrondis)
150 000 postes avaient ainsi été
supprimés. Le gouvernement
aurait pu de nouveau miser sur
le non-remplacement de cer-
tains départs alors que plus de
100 000 agents partent en re-
traite chaque année. Mais à cette
politique du rabot, le président
préfère une « souplesse de gestion
contemporaine », inspirée des
méthodes du secteur privé. C’est
ainsi que le Premier ministre,
Édouard Philippe, a annoncé le
1er février un plan de réforme de
l’État « sans totem ni tabou » qui
va réviser frontalement les at-
tributs de la fonction publique.
Au menu : la réforme du statut
du fonctionnaire ; la rémunéra-
tion au mérite ; le recours accru
à des contractuels (qui sont, eux,
licenciables et occupent déjà
159
144
139
89
17,1 % des postes). Enfin, point
phare porté par le ministre de
l’Action et des Comptes publics
Gérald Darmanin, « le gouver-
nement veut imaginer, avec les
agents publics, un plan de dé-
parts volontaires pour ceux qui
souhaiteraient partir ». En clair,
il s’agit d’inciter les agents à dé-
missionner moyennant une in-
demnité de départ.
Ce dispositif est-il inédit ?
Non. Même si elle est peu
connue, cette possibilité existe
déjà dans la fonction publique
hospitalière depuis 1999, dans
la fonction publique d’État de-
puis 2008 et dans la fonction
publique territoriale depuis
2010. Elle est réservée à des
agents qui sont à plus de cinq
ans de la retraite (plus de deux
ans pour l’hospitalière). Les
conditions sont très restrictives
puisque ne peuvent y prétendre
que les agents dont le service
est restructuré, sauf dans la ter-
ritoriale, où les candidats qui
veulent créer leur entreprise
peuvent aussi y avoir droit. Mais
dans les collectivités, les in-
demnités (en fonction de l’an-
cienneté) sont plafonnées à un
maximum de 24 mois de salaire
brut hors primes.
Par exemple, la mairie de
Poissy (Yvelines) a signé des
9 février 2018 / n°5 — 0

Le chantier du plan de départs pour les agents publics, annoncé le 1er février, sera porté par Gérald Darmanin.
chèques allant de 15 000 à
70 000 euros pour le départ
de trois employés
(sur environ 1 000 agents), de-
puis l’entrée en vigueur de son
plan en 2016. Pour les deux
autres fonctions publiques, la
marge de négociation est un
peu plus large mais reste pla-
fonnée, encore bien loin des
conditions dans le privé, où il
n’y a pas de limite.
En fin de compte, les indem-
nités sont peu attractives pour
les fonctionnaires sachant
qu’il leur faut démissionner de
la fonction publique, et donc
perdre la garantie d’un emploi
à vie sans avoir droit au chô-
mage. Selon le secrétariat
d’État à la fonction publique,
CHAMUSSY/SIPA
entre 700 et 800 fonctionnaires
partent chaque année dans
le cadre actuel.
0 — 9 février 2018 / n°5
Tous les fonctionnaires
pourront-ils prétendre
à ce plan de départs ?
Non, car il ne sera ouvert
qu’aux agents des secteurs où
l’on cherche à supprimer des
postes. « Par exemple, l’utilisa-
tion de logiciels pour le contrôle
des déclarations de revenus ou
de cotisations sociales va ré-
duire le besoin humain dans ces
services », illustre le secrétaire
d’État à la Fonction publique
Olivier Dussopt, qui ajoute :
« Ce n’est pas : “Qui veut partir ?
Levez le doigt !” ».
Ainsi, les agents travaillant
dans des domaines jugés straté-
giques, comme l’Éducation
nationale ou la police ne seront
pas concernés par le dispositif.
Mais pour les autres, santé
et justice y compris, tout est
possible.
f) 15
Combien le gouvernement
est-il prêt à payer pour inciter
des fonctionnaires à partir ?
Le montant de l’indemnité
sera un facteur clé mais il est
trop tôt pour savoir qui pourra y
prétendre et combien il pourra
toucher. Le plan de départs s’ins-
crit dans une réforme plus vaste,
« Action publique 2022 », censée
remettre à plat les attributs de
la fonction publique, qui sera
l’objet toute cette année d’une
concertation avec les syndicats
(tous les citoyens peuvent aussi
donner leur avis sur www.fo-
rum-action-publique.gouv.fr).
Le débat s’annonce rude : la CGT
fustige déjà une « attaque » et
Sud-Solidaires un « dynamitage »
de la fonction publique. Même la
CFDT, plus conciliante, déclare
« [qu’] ils y vont fort ».
Charlotte Chaffanjon
16 E) Enquête

Le long silence d’une

femme et de ses proches,
comme une ombre dans la
vie d’une vedette devenue
numéro 3 du gouvernement.
L’enquête d’Ebdo révèle un
secret enfoui depuis vingt
ans. Le ministre répond.
Par Anne Jouan et Laurent Valdiguié
9 février 2018 / n°5 — 0

Nicolas Hulot
La parole
d’une famille,
la conscience
d’un homme icolas Hulot a-t-il re-
N noncé à se présenter à la
dernière présidentielle à
cause d’une affaire sur-
gie de son passé ? À l’été
2016, il prend tous ses
amis de court quand il
décide, pour la deuxième fois dans sa car-
rière politique, de se retirer de la course à
l’Élysée. Crédité pourtant de 11 % des in-
ÉTIENNE LAURENT/EPA-EFE/MAXPPP PHOTOMONTAGE EBDO
tentions de vote dans les sondages, il poste
sur Facebook, le 5 juillet 2016, un message
d’empêchement : « Je ne me sens ni suffi-
samment armé ni suffisamment aguerri. »
Yannick Jadot, candidat à la primaire du
parti Europe Écologie-Les Verts (EELV),
explique alors que « des rumeurs ont cir-
culé de manière pas très sympathique et il
a voulu protéger sa femme et ses enfants ».
Mais de quoi exactement ?
Première piste. Quelques semaines
avant cette annonce, une jeune femme de
0 — 9 février 2018 / n°5
E) 17
31 ans, ancienne salariée de la Fondation
Hulot et aujourd’hui chargée de mission
à l’Assemblée nationale, est entendue sur
procès-verbal dans « l’affaire Denis Bau-
pin »*, un cadre d’EELV accusé de harcèle-
ment sexuel. Au policier qui l’interroge, le
27 mai 2016, elle mentionne son « histoire
personnelle » : « J’ai connu des faits de har-
cèlement sexuel dans un emploi précédent,
où l’auteur avait sous-entendu que c’est moi
qui avais essayé de le séduire, me culpa-
bilisant. » Le harcèlement en question
concernerait-il des relations tumultueuses
avec l’actuel ministre de la Transition
écologique et solidaire ? Plusieurs sources
au sein de l’ancien groupe écologiste à
l’Assemblée nationale l’évoquent. Selon
certains, la jeune femme se serait confiée
sous le sceau du secret absolu à Cécile
Duflot, qui a dirigé le parti écologiste de
2006 à 2012. « Aucun commentaire », réagit
cette dernière.
18 E) Enquête L’affaire Nicolas Hulot
De la télé à
la politique
Nicolas Hulot s’est d’abord
imposé comme une
vedette de la télé dans
les années 1990 avant
de devenir une figure
de la cause écologiste
et d’être nommé ministre
en mai 2017.
1988 L’émission « Ushuaïa », que Nicolas Hulot a créée sur TF1
en 1987, le lance comme animateur-aventurier.
Interrogée par Ebdo lundi 29 janvier,
l’ancienne salariée de la Fondation Hu-
lot dément « complètement » tout lien avec
Nicolas Hulot. Notre coup de fil avec elle
dure quelques minutes à peine, mais il
suffit à déclencher un « vent de folie », selon
l’expression du ministre face à un journa-
liste. Mercredi 31 janvier, le numéro 3 du
gouvernement décroche en personne son
téléphone pour appeler plusieurs rédac-
tions et « démentir » à son tour. Une sorte
d’opération préventive. Maladroite et ner-
veuse à la fois.
Pudeur et colère
Car il y a une deuxième piste, une affaire
plus ancienne avec une autre femme. Se-
lon nos informations, recoupées auprès de
l’intéressée et de trois membres de sa fa-
mille, Nicolas Hulot aurait abusé d’elle du-
rant l’été 1997. La scène s’est déroulée dans
une des maisons du ministre. Sans témoin.
Comme souvent dans ce genre de cas
(seules 13 % des femmes déposent plainte),
la victime présumée a d’abord décidé de
ne pas en parler, ni à son entourage pro-
fessionnel ni à sa famille. Une grande fa-
mille française qui aurait été secouée par
« le scandale d’une plainte », selon un de
ses membres. « Nous avons mis longtemps
à savoir et, pour ma part, je ne l’ai su que
des années plus tard, incidemment, au dé-
tour d’une conversation chuchotée », confie
à Ebdo un oncle de la jeune femme. « Mais
si je croise Hulot un jour, je lui mets mon
poing sur la figure », ajoute-t-il.
Dans les récits des proches, il y a d’abord
une grande pudeur à évoquer la douleur
« d’une femme de la famille » et une souf-
france pour toutes « ces années de silence ».
Vient ensuite une colère sourde. Pudeur et
colère, deux sentiments contraires et en-
tremêlés. Avec, au milieu, cette difficulté à
prononcer le mot « viol ». Comme si nom-
mer les choses renforçait encore, vingt
PASCUCCI/TF1/SIPA - JEAN-BERNARD VERNIER/SYGMA VIA GETTY IMAGES
ans après, la douleur de tous ceux qui par-
tagent le secret. « Ma fille n’a jamais utilisé
le mot “viol” devant moi, glisse le père de la
jeune femme. Elle a toujours préféré parler
d’acte sous contrainte. »
Ebdo a pu s’entretenir longuement avec
celle qui est devenue mère de famille et a
choisi de « régler les choses » à sa « façon »,
comme elle dit. « Je ne veux pas apparaître,
ni maintenant ni jamais », commence-t-
elle dans une entrée en matière glaciale,
avant de livrer pendant près d’une heure
un témoignage bouleversant. Comment
ne pas respecter cette demande initiale ?
Ebdo a donc fait le choix de protéger l’ano-
9 février 2018 / n°5 — 0

1997 Nicolas Hulot (ici avec l’ex-ministre Raymond Marcellin et le maire de Marseille
Jean-Claude Gaudin) est fait chevalier de la Légion d’honneur par Jacques Chirac.
nymat qu’elle réclame. Ce qui nous im-
pose aussi, au nom de la protection des
sources, de ne pas livrer une série de dé-
tails qui rendraient possible son identifi-
cation. Fallait-il, dès lors, s’interdire tout
récit et choisir de taire un épisode occulté
de la vie de l’une des personnalités préfé-
rées des Français, une vedette des médias
et de la société civile depuis plus de trente
ans, devenue il y a dix mois un des princi-
paux membres du gouvernement ? Cette
enquête est notre réponse.
Une vedette du petit écran
Tout remonte à l’été 1997. Un été sans
histoire jusqu’à la mort de Lady Diana,
fin août. Pour des raisons profession-
nelles, Marie (son prénom a été modifié)
se retrouve dans une maison du présen-
tateur de l’émission « Ushuaïa ». Nicolas
Hulot est alors une des vedettes du petit
écran. Après le succès d’« Ushuaïa », née
en 1987, la première chaîne lui a confié
en 1996 une émission encore plus ambi-
tieuse, « Opération Okavango », dont la
mission est de dresser un état des lieux de
la planète. Sa fondation Ushuaïa, devenue
« Fondation Nicolas Hulot pour la nature
et l’homme », a été reconnue d’utilité pu-
blique un an auparavant. Cet été 1997,
0 — 9 février 2018 / n°5
E) 19
Marie a 20 ans et débute sa vie profes-
sionnelle. Nicolas Hulot en a 42, il est en
pleine ascension. « On aurait pu se rencon-
trer dans plein d’autres endroits, mais c’est
lui qui a insisté pour que cela se passe chez
lui », confie la jeune femme.
« Finalement, elle a raconté à sa mère ce
qui s’était passé, se souvient son père. Ce
n’était pas facile de déposer plainte, plus en-
core à l’époque qu’aujourd’hui, c’était parole
contre parole. Je crois qu’elle n’a pas eu envie
« Ma fille est devenue
différente. Moi, sur
le coup, je n’ai pas su
pourquoi »
Le père de Marie
d’affronter tout cela. Et puis, notre nom de
famille aurait encore tout amplifié. » Marie
décide néanmoins de « régler ses comptes ».
« J’ai fait ce que je devais faire au moment
où je l’ai fait », lance-t-elle, énigmatique.
Et sa vie va changer du tout au tout.
« Ma fille est devenue différente. Moi, sur
le coup, je n’ai pas su pourquoi, mais elle
20 E) Enquête L’affaire Nicolas Hulot

2007 Présenté comme un candidat possible dans la course à l’Élysée, Nicolas Hulot (ici à un rassemblement
« Votons pour la planète ») se contente de « peser sur la campagne » avec son « pacte écologique ».

s’est mise à détester son milieu profes- pour faire un tour du monde. « Ensuite,
sionnel », ajoute son père. Lors d’une ré- comme tout un chacun, elle a connu des
union en public, au mois de septembre hauts et des bas. Mais c’est vrai qu’elle est
suivant, elle prend la parole devant un partie loin de France suite à cet événement »,
parterre de collègues pour dénoncer « cer- poursuit son père, avec un mélange de
taines pratiques » inexcusables. « Elle a fait gêne et peut-être aussi le besoin d’évoquer
le nécessaire pour qu’il sache qu’elle était le « drame intime » de sa fille aînée.
furieuse », dit son père. Dans les mois qui « Je n’ai pas voulu déposer plainte, ré-
suivent, Marie abandonne une carrière pète la jeune femme. Mon but n’était pas
toute tracée et prend une année sabbatique de le faire juger, mais de le mettre devant sa
conscience. » En 2008,
l’année suivant la pres-
cription de dix ans et
Le principe de la prescription alors que la justice ne
pouvait plus ouvrir le
La prescription est le l’Assemblée nationale bition, etc.) le délai de dossier (lire l’encadré),
moment à partir duquel a adopté un texte dou- prescription est mainte- Marie décide de mettre
la justice ne peut plus blant plusieurs délais nant de six ans à comp- les points sur les i : elle
engager de poursuites à de prescription. ter des faits. pousse la porte d’une
l’égard d’une personne Si la qualification de l’in- En cas de viol, d’attou- petite gendarmerie de
soupçonnée d’avoir fraction est criminelle chements sexuels sur province et demande
commis une infraction. (viol), le délai de pres- un mineur de moins de que soit dressé un pro-
DENIS ALLARD/REA - JS EVRARD/SIPA

Le délai de prescrip- cription est désormais 15 ans ou commis par cès-verbal racontant sa
tion varie en fonction de vingt ans à compter un ascendant, une per- version des faits.
de la gravité de l’infrac- des faits, contre dix ans sonne ayant autorité ou « Tout était prescrit
tion commise. Jusqu’en auparavant. par plusieurs personnes, et elle était certaine que
2017, il était de dix ans Si la qualification de l’in- le délai de prescrip- cela ne donnerait pas
pour les crimes et de fraction est délictuelle tion reste de vingt ans à lieu à un procès, mais,
trois ans pour les délits. (agression sexuelle, har- compter de la majorité au moins, les choses
Mais le 16 février 2017, cèlement sexuel, exhi- de la victime. étaient dites », explique
9 février 2018 / n°5 — 0

2011 Il s’engage dans la campagne présidentielle (ici à Nantes) comme candidat à la primaire
du parti Europe Écologie-Les Verts. Il sera battu par Eva Joly.
son père. La jeune femme confirme sans
entrer dans les détails : « J’ai tenu à ce qu’il
sache la façon dont j’avais vécu les choses, et
je lui ai fait savoir. » Et voilà comment, tout
en répétant que « la page était tournée »,
Marie décida, onze ans après, de raconter
son séjour chez Nicolas Hulot à un officier
de gendarmerie. Parce qu’à l’évidence, la
blessure était toujours là.
Une épée de Damoclès
Faut-il voir dans cette déposition
un lien avec les intentions politiques
naissantes de l’ancien animateur
d’« Ushuaïa » ? Les rapprochements de
dates sont troublants. À partir de l’été
2006, son nom circule comme un « pos-
sible candidat à la présidentielle de
2007 ». Il crée le « pacte écologique » dans
le but de « peser dans la campagne », avant
de renoncer en janvier 2007.
Quoi qu’il en soit, Nicolas Hulot sera in-
formé durant l’été 2008 de la déposition de
Marie. Il est interrogé à son tour, dans une
gendarmerie de Bretagne. Un procès-ver-
bal est dressé le 16 août. Pour sa part, il
« conteste » la plainte (lire son interview
p. 23). Les choses en resteront là puisque le
parquet de Saint-Malo classe l’affaire sans
suite le 3 novembre suivant. « Hulot était
0 — 9 février 2018 / n°5
E) 21
littéralement furieux, je l’ai su parce qu’il
a essayé de me joindre, ainsi que quelqu’un
d’autre de la famille, confie le père de Ma-
rie. Mais ma fille nous a demandé de ne pas
lui parler, alors personne ne l’a jamais rap-
pelé. » Face aux sollicitations pressantes de
l’animateur, la famille de Marie oppose un
silence glacial.
Pour Nicolas Hulot, depuis cette déposi-
tion, le témoignage de la jeune femme sur
procès-verbal reste une épée de Damoclès.
À l’été 2008, Nicolas
Hulot est interrogé
dans une gendarmerie
de Bretagne
« Je crois que ma fille, à sa façon, lui a fait
quelques rappels. Un des derniers, je crois
deviner, était avant la présidentielle de
2012 », se souvient son père, qui ne serait
« pas vraiment étonné » que les renonce-
ments successifs de Nicolas Hulot à se pré-
senter à l’Élysée puissent être liés à cette
affaire. « Ma fille l’a tenu à bout de fusil »,
résume-t-il.
22 E) Enquête L’affaire Nicolas Hulot
2015 À la COP 21, la conférence sur le climat qui se tient à Paris, Nicolas Hulot achève sa mission
d’« envoyé spécial pour la protection de la planète » que lui avait confiée le président Hollande en 2013.
De fait, à l’été 2016, Nicolas Hulot
prend tous ses proches de court quand il
décide à nouveau de se retirer de la course
à l’élection suprême. À l’eurodéputé écolo-
giste Pascal Durand, Nicolas Hulot confie
« que c’était la décision la plus dure qu’il
avait eu à prendre de toute sa vie », qua-
lifiant même cette renonciation comme
« une plaie, une souffrance ». Un renonce-
ment à se lancer dans la plus violente des
compétitions politiques par peur d’un
éventuel « déballage » sur sa vie privée ?
« Multiples conquêtes »
La journaliste d’Europe 1 Bérengère
Bonte, qui a publié une biographie auto-
risée (Sain Nicolas, Éditions du moment,
2010) n’y croit pas. « C’est simplement un
grand séducteur, il a une petite collection
de nanas, plein de conquêtes, rien de plus »,
confie-t-elle à Ebdo, même si dans son
livre, au chapitre intitulé « Le séducteur »,
elle évoque le cas « d’une fille de ministre
courtisée à la limite du harcèlement ». Dans
la biographie, parue il y a sept ans, la jour-
naliste raconte ses « multiples conquêtes »
et rapporte les confidences de sa troisième
épouse : « Au début, je l’ai mal vécu. Main-
tenant, je relativise. Ou je fais l’autruche. »
Pour sa biographe, le renoncement de Hu-
lot à la présidentielle s’explique simple-
ment par « la panique de ne pas être aimé
des gens et de devoir choisir un camp ».
Serge Oru, le directeur général du WWF
(Fonds mondial pour la nature), un de ses
grands amis, se définit comme son « com-
pagnon de route ». Selon lui, Hulot n’a
pas été candidat car « ce sont des codes et
des armes qu’il n’a pas. C’est un honnête
homme, un homme intègre et courageux ».
Il ajoute : « C’est un homme seul, comme un
chevalier. » Tous font valoir que les renon-
cements successifs de Nicolas Hulot aux
présidentielles de 2007 et 2017 ne sont que
des « choix politiques ». Mais comme tous
ignorent le récit de Marie, peuvent-ils ima-
giner autre chose ?
« À mes yeux, il a été puni », dit la jeune
femme, refusant d’évoquer plus en détail
GILLES BASSIGNAC/JDD/SIPA - THOMAS SAMSON/AFP
ce qui ressemble à une vieille cicatrice.
« Surmontée », assure-t-elle. À l’heure de
l’affaire Weinstein et du phénomène mon-
dial #Metoo, Marie convient de « la diffi-
culté des femmes qui culpabilisent » à porter
des accusations contre des hommes. Avant
de conclure, comme une ultime sup-
plique : « Je ne veux plus, ni de près ni de
loin, être en relation avec lui. » •
*L’affaire Baupin a été classée en mars 2017 par le parquet
de Paris pour cause de prescription.
9 février 2018 / n°5 — 0

2017 Il accepte pour la première fois d’entrer dans un gouvernement, avec le titre de ministre
de la Transition écologique et solidaire, numéro trois dans l’ordre protocolaire.
Nicolas Hulot : « La prescription des faits
a été constatée par le parquet »
Sollicité par Ebdo mardi 6 février
au matin, le ministre de la
Transition écologique et solidaire
a dans un premier temps accepté
le principe d’une discussion
par téléphone. Avant de deman-
der à répondre par écrit à nos
questions.
0 Plusieurs sources
assurent qu’une ancienne sala-
riée de la fondation Hulot a été
victime de harcèlement sexuel
de votre part et que l’affaire
s’est soldée par une transaction.
Qu’en dites-vous ?
Nicolas Hulot C’est un pur
mensonge. Il n’y a jamais eu ni
harcèlement sexuel ni a for-
tiori transaction. Cette rumeur
nauséabonde circule depuis
des mois sans le moindre fon-
dement. Pour le vérifier, je vous
invite à vous mettre en relation
avec l’intéressée.
0 — 9 février 2018 / n°5
Durant l’été 1997, vous auriez
abusé sexuellement d’une jeune
femme dans l’une de vos mai-
sons. Qu’en dites-vous ?
Ces propos sont mensongers et
gravement diffamatoires.
Suite à la déposition devant les
gendarmes de cette dernière
durant l’été 2008, vous avez été
entendu par des gendarmes
d’Ille-et-Vilaine le 16 août de
cette année-là. Quelle a été votre
position devant les enquêteurs
concernant ces accusations ?
Lors de cette procédure, j’ai claire-
ment et fermement contesté l’en-
semble des termes de la plainte.
Le parquet de Saint-Malo a
classé l’affaire sans suite le
3 novembre 2008 pour cause
de prescription. Qu’en dites-
vous aujourd’hui ?
Puisque vous semblez être en
E) 23
possession de la procédure, vous
ne pouvez ignorer que sur le plan
juridique la prescription des faits a
en effet été constatée par le par-
quet. Et j’ajoute que l’enquête avait
permis de constater, suite aux
auditions de la plaignante et de
moi-même, l’absence de tout agis-
sement répréhensible.
Ces accusations secrètes
ont-elles joué un rôle dans
vos renoncements à l’élection
présidentielle ?
La réponse est non car je n’ai rien
à me reprocher. Je ne peux en re-
vanche que me demander qui ma-
nipule les médias en diffusant de
telles rumeurs mensongères qui
mettent en cause mon honneur.
Et surtout qui y a intérêt ?
Qui essaie de me déstabiliser moi,
et de faire barrage aux combats
que je mène ?
Propos recueillis par L.V.
24 i) En images Promenons-nous sur les rails !

La voie ferrée passant sous la rue de la Mare, dans le 20e arrondissement de Paris.
9 février 2018 / n°5 — 0
 i) 25

Promenons-nous
sur les rails !
En plein Paris, tout le long des 32 kilomètres
d’une voie ferrée abandonnée, la nature
a repris ses droits. Pour la plus grande joie
des habitants, qui envahissent les tronçons
de la petite ceinture ouverts à la balade.
Jérômine Derigny/Collectif Argos Texte Emmanuelle Morau

0 — 9 février 2018 / n°5

26 i) En images Promenons-nous sur les rails !

Les rails sont toujours propriété

En 1900, il était possible
de faire le tour de Paris
de la SNCF, qui souhaite garder
des tronçons en l’état. Les
installations des habitants doivent
via la petite ceinture,
soit une distance de
donc rester cantonnées aux talus,
comme ce jardin partagé dans le
18e arrondissement qui fait face au
bar La Recyclerie, avec ses tables 31,5 kilomètres, en 1 h 21
sous les arcades végétalisées.

9 février 2018 / n°5 — 0

 i) 27

En 2020, dix kilomètres de la petite ceinture

seront ouverts au public. En attendant, les
riverains – particuliers, collectifs – se sont
déjà approprié les espaces autorisés.
Villa du Bel-Air, dans le 12e arrondissement,
on tourne un clip au smartphone. Dans
le 14e arrondissement, le long de la rue
des Coulmiers, un jardin partagé organise
une journée portes ouvertes.

0 — 9 février 2018 / n°5

28 i) En images Promenons-nous sur les rails !
Sortir du
train-train
En 2015, la mairie de Paris signe un
accord avec la SNCF pour réamé-
nager la petite ceinture, à l’abandon
depuis 1991. L’entreprise ferroviaire
met gratuitement à sa disposition
certains tronçons de la voie, et la
Ville de Paris, qui a lancé une vaste
concertation auprès des riverains
et associations, prend en charge
l’entretien des lieux ouverts à la
balade. La photographe Jérômine
Derigny, qui travaille sur le lien so-
cial et l’espace public, a suivi pen-
dant un an, de l’été 2016 à l’été
2017, les réalisations des différents
projets des collectifs d’habitants
le long des voies. Des paysagistes,
des architectes, des artistes ont
réfléchi, avec les riverains des neuf
sites concernés, à la façon d’inves-
tir cet espace abandonné.
« Je trouvais intéressant de par-
ler d’une initiative par laquelle les
gens se réapproprient l’endroit où
ils vivent, explique la photographe.
J’avais envie de montrer d’un côté,
la concertation citoyenne, et de
l’autre, la volonté de conserver
l’esprit d’interdit qui plane sur ces
friches et ces rails inutilisés ; là, au
cœur de la cité, c’est la rencontre
entre la magie du lieu insolite et
l’étrangeté de la ville à l’abandon. »
À Paris comme ailleurs, les friches
sont de précieux espaces de biodi-
versité, leur protection relève de la
responsabilité collective.
Pour en savoir plus: le site de l’association
Sauvegarde petite ceinture,
www.petiteceinture.org, qui retrace
notamment l’histoire de cette voie ferrée

Le collectif d’architectes et de
designers YA+K organise une
séance de yoga avec les riverains
sur le quai de la Villa du Bel-Air,
dans le 12e arrondissement.
9 février 2018 / n°5 — 0
 i) 29

Promenade organisée par le

collectif Les Pipistrelles (pour la
reconquête de la Petite ceinture
Paris-14e), sur un tronçon de la
voie ferrée habituellement fermé.
Il passe sous l’ancienne gare de
Montrouge, au niveau de l’avenue
du Général-Leclerc.

0 — 9 février 2018 / n°5

30 i) En images Promenons-nous sur les rails !

En haut, une passerelle du

12e arrondissement surplombant
la voie ferrée. Ci-dessus,
un membre de l’association
Sauvegarde de la petite ceinture
présente un bout de la ligne dans
le 18e arrondissement. Et anime
régulièrement des conférences
sur l’histoire de la voie,
née au 19e siècle.

9 février 2018 / n°5 — 0

 i) 31

“ J’avais envie de montrer Près de la rue Petit, dans le

d’un côté, la concertation

19e arrondissement, des élèves
de l’école privée Living School
citoyenne, et de l’autre, participent à un chantier d’objets

la volonté de conserver
roulants (chariots, etc.), organisé
par le collectif Les Saprophytes.
l’esprit d’interdit qui plane Ces architectes, paysagistes,

sur ces friches ”

plasticiens se définissent comme
des « catalyseurs d’actions
La photographe Jérômine Derigny citoyennes ».

0 — 9 février 2018 / n°5

32 v) La vie des autres

L’équipe des Tr’acteurs au lycée agricole de Saint-Flour, mi-janvier. La troupe joue une dizaine de fois par an.

Pour des paysans du Cantal,

le bonheur est sur la scène
Éleveur de vaches salers, Dominique Chanut a choisi le théâtre
pour parler de son métier. Avec humour, la troupe amateur
les Tr’acteurs invite le public à mieux connaître les agriculteurs.
Par Thibaut Solano 7 Raphaël de Bengy/Hans Lucas pour Ebdo

l y a onze ans, Dominique Chanut créait avec théâtre-forum, pendant lesquelles les spectateurs

I neuf autres agriculteurs la troupe de théâtre

amateur les Tr’acteurs près de Mauriac, dans
le Cantal. La bande de copains (sept hommes
et trois femmes) donne une dizaine de représen-
tations chaque année dans des coins de cam-
pagne d’Auvergne, du Limousin et d’Occitanie,
pour montrer avec humour le quotidien des
paysans. Le célibat, les conflits entre citadins et
ruraux, la place de la femme… À chaque spec-
tacle, la compagnie propose trois saynètes de
montent sur scène pour réagir à la place des per-
sonnages. Cette démarche trouve son origine au
début des années 2000, au lendemain de la crise
de la vache folle, dans l’idée de redorer l’image
abîmée de la profession.
Guidés par leur coach, le comédien Philippe
Coudert, les Tr’acteurs remplissent les salles.
Ebdo était avec la troupe le 18 janvier, jour où Do-
minique et ses amis ont joué devant leur « relève »,
les élèves du lycée agricole de Saint-Flour.
9 février 2018 / n°5 — 0
 v) 33

6 h 30 Nourrir les vaches

Dominique commence toutes ses journées
aux aurores pour nourrir ses 48 vaches salers,
dans son étable d’Ally. Il leur donne le foin qu’il
a fauché l’été dans ses champs. D’ici à avril,
les vaches auront vêlé et il pourra débuter
888888888888
888 4 les traites. Étienne, son neveu de 20 ans, l’aide
à la tâche. Dans quelques années,
4 c’est lui qui devrait reprendre l’exploitation.

4
4
7 h 30 Petit 4
déjeuner rapide
Après le bétail, retour au
bercail : Dominique prend
4
son petit déjeuner dans
la maison qu’il occupe
avec sa compagne,
deux kilomètres plus
loin. Devant son bol de
café, ses yeux rieurs
trahissent une pointe de
lassitude : « L’exploitation
appartenait à mon père, et
avant à mon grand-père.
Je l’ai reprise en 1992.
Je n’ai eu qu’un seul métier
4
dans ma vie, éleveur.
Et j’en ai fait le tour. »
4
Il aura 57 ans cette année. 4
4
4
4
Brève titre
88888888888
10 h Dans les caves
Dominique se rend trois fois
Breve texte / Voloria conemqui do- par semaine à la coopérative de
luptium sequissita sae volorestior Saint-Bonnet-de-Salers, qui achète
reperum, ut quid quae cus simin cum son lait pour en faire des fourmes de
doluptio ium qui que sectotaspis que cantal. Ces tommes d’une quaran-
num, corepudio tem. Em doluptiore taine de kilos, les seules au lait cru
voluptatiam qui occab idus ent rem de vaches salers, sont très prisées.
eatqui conse eum nis expla volesto et La structure regroupe 65 éleveurs.
ium nihil maio. Ipsuntorion nit eles es « Chaque trimestre, on se réunit
cumquas earum eumquatiorit vitiam pour fixer le prix du lait. » Le calcul
ullorecuptas nullorendam, eum ape- s’effectue en fonction de leur coût
riatem nusant alianis de solendun. de revient et de la concurrence.
0 — 9 février 2018 / n°5
 34 v) La vie des autres Pour des paysans du Cantal, le bonheur est sur la scène

88888888888
13 h Plat du jour chez Marguerite
Pause déjeuner au seul restaurant de
Saint-Bonnet. Pendant que la radio chante
de la variété française, on parle de la pluie
et du beau temps autour d’un kir. Derrière
le comptoir, c’est Marguerite qui sert.
Tous les habitués en conviennent : 555
« Le jour où elle baissera le rideau, il n’y
aura plus de vie à Saint-Bonnet. » Sauf si 555
quelqu’un veut bien prendre la suite dans 55555554 555
ce village de 290 habitants.
55555554 555
55555554 555
55555554 555
222223
4 555
4 555
4 15 h Un tour chez le cousin 555
Jean-Marc
4 Petite visite chez Jean-Marc, cousin de
Dominique et président de la compagnie des
555
4 Tr’acteurs. Il élève ses vaches dans le secteur
de Mauriac. Cet après-midi, Jean-Marc
555
4 peste en agitant son téléphone pour capter
le réseau : depuis deux semaines, il n’a plus
555
4 Internet et le portable passe mal. Nous ne
sommes pourtant pas en zone blanche.
555
4 555
4 555
1222222 555
222

18 h Sur la route
Dominique rejoint le reste de la troupe pour
faire trajet commun, dans la voiture des co-
pains, jusqu’au lycée agricole de Saint-Flour,
où les Tr’acteurs se produisent le soir. Cette
petite ville est à l’autre bout du département
et la route est longue : une heure trente
de virages, parfois très sinueux. « Et encore,
on a de la chance, il ne neige pas… »
9 février 2018 / n°5 — 0

557888888
56
56
56
20 h 30 Sur scène
56 Dominique monte sur
scène pour la première
56 saynète : il joue un « jeune »
agriculteur tétanisé par
56 son père qui le pousse
à travailler toujours plus.
56 Son personnage préfé-
rerait rencontrer l’amour.
56 « T’as qu’à voir la fille des
Dupont, au village d’en
56 face, suggère son pater-
nel. Elle est mignonne. » Et
56 lui de répondre : « Mais elle
a 60 ans… » Éclats de rire.
56 Des adolescents lâchent
leur smartphone pour le-
56 ver les yeux. C’est gagné.
565
56
56
23
888888888888
0 — 9 février 2018 / n°5
v) 35
20 h En coulisses
Arrivée au lycée. Dans le vestiaire, le trac
apparaît sur les visages des comédiens
amateurs à mesure que la salle se remplit :
150 personnes attendent le début du spec-
tacle, dont beaucoup de jeunes. Un public
parfois difficile, rivé sur son smartphone.
Mais ces élèves incarneront demain leur
« relève ». « Beaucoup de jeunes ne pensent
qu’au boulot, déplore Géraud, l’un des co-
médiens (à droite). Pour certains, faire du
4 théâtre, c’est passer pour un fainéant. »
4
4
4
4
4
4
4
4
4
4
4
4
21 h Jeu de rôles
4 Principe du théâtre-forum : on re-
joue les trois saynèthes, mais des
4 volontaires du public prennent la
place des comédiens. Comment au-
4 raient-ils réagi dans la même situa-
tion ? Un garçon, Benoît, monte sur
4 l’estrade et se glisse dans la peau du
jeune agriculteur. Il tient tête au père
4 autoritaire : « Moi, j’ai envie d’aller
en boîte le samedi soir ! » Les spec-
4 tateurs applaudissent. Comme s’il
avait parlé en leur nom. •
4
88888
36 R) Reportage Paris-Brazzaville, très chers amis

Paris-Brazzaville,
très chers amis

9 février 2018 / n°5 — 0

 R) 37
À la tête d’un pays ruiné,
Denis Sassou-Nguesso se
maintient au pouvoir par la
peur. De plus en plus contesté,
le président de la République
aché derrière un du Congo

C kiosque à journaux,
Roland observe le bal-
let des gardes du corps
devant l’un des hôtels
les plus luxueux de Pa-
ris. Ils sont une cin-
quantaine, épais comme des armoires :
« Des miliciens ramenés par Sassou pour
nous casser. C’est une honte d’accueillir un
assassin pareil ! » Ce 11 décembre 2017, le
Bristol reçoit un vieil ami de la France.
peut compter
sur un allié
historique :
la France.
Par Mathilde Boussion,
envoyée spéciale à Brazzaville,
et Émile Rabaté
Son Excellence Denis Sassou-Nguesso,
7 Destin pour Ebdo
74 ans dont trente-trois passés à la tête
de la République du
Congo, est venu as-
Dans le nord sister au One Planet
de la capitale Summit, le sommet
congolaise, les sur le climat organisé
beaux quartiers par Emmanuel
acquis au pouvoir.
Dans le sud,
les bastions
déshérités
de l’opposition.

0 — 9 février 2018 / n°5

38 R) Reportage Paris-Brazzaville, très chers amis
Macron. Les opposants ont promis de
faire du bruit. Ils ne sont finalement que
huit à avoir osé le déplacement. Roland
Nitou est hors de lui : « Ça ne vous choque
pas qu’il dorme ici avec toute sa suite alors
que chez nous, les femmes ac-
couchent par terre ? »
À 9 000 km de là, la capitale,
Brazzaville, est mangée par les
ravins faute d’entretien et le
ministère de la Communica-
tion ne reçoit plus les e-mails.
Les routes ? Plutôt des pistes de
rallye dans les pires quartiers.
Brazzaville
Les jours de pluie, certains
taxis préfèrent abandonner le
client sur le bord du chemin
plutôt que d’affronter la boue.
Dans les maisons, l’électricité
fonctionne par intermittence, l’eau par ha-
sard : « On vit au bord du deuxième fleuve le
plus puissant au monde [le Congo] et on est
les plus mal lavés », résume un artiste.
Denis Sassou-Nguesso dort au Bristol et
les caisses de l’État congolais sont vides.
Tous les fonctionnaires cumulent les ar-
riérés de salaires à l’exception des mili-
taires et des policiers. Paralysés par des
grèves, l’unique université publique et
le plus grand centre hospitalier du pays
ont été fermés pendant des mois. Les
pensions de retraite ? Pas versées depuis
un an. Pendant ce temps, le privé licen-
cie en masse. Partout, « c’est la crise ». La
crise pour Jean-Guillen, qui a perdu son
job dans une compagnie d’électricité ;
pour Nadine, qui peine à gagner 40 eu-
ros par mois en vendant de l’huile d’ara-
chide, contre 300 auparavant. À la veille
de Noël, un opérateur de télécoms déses-
péré par l’absence de clientèle a lancé un
jeu concours : une carte SIM achetée, une
chance de gagner un panier de vivres.
« Comme ça, les gens auront un bon repas
pour les fêtes », sourit un agent de la com-

Plombé par
la chute des
prix du pétrole
et la gestion
calamiteuse
des élites, le pays
connaît sa pire
crise économique
depuis la
guerre civile
des années 1990.

9 février 2018 / n°5 — 0


pagnie en montrant un paquet de pâtes
et des oignons.
Petit pays pétrolier d’Afrique centrale,
la République du Congo, surnommée
Congo-Brazzaville pour la différencier de
sa grande voisine, la République démocra-
tique du Congo, est ruinée. L’État, dont le
budget dépendait à 75 % des exportations
Le caisses du Congo
sont vides. Les retraites
n’ont pas été versées
depuis un an, les routes
sont des pistes de rallye
0 — 9 février 2018 / n°5
R) 39
d’or noir avant la crise, blâme la baisse des
cours du brut et sollicite l’aide du Fonds
monétaire international (FMI) pour relan-
cer l’économie. D’abord favorable, l’institu-
tion s’est ravisée en découvrant que le pays
avait caché une bonne partie de sa dette.
Initialement évaluée à 77 % du produit in-
térieur brut, elle s’élèverait plutôt à 110 %.
Dilapider l’argent
public, sport national
Denis Sassou-Nguesso
avait pourtant loué les
services d’un conseil-
ler économique spécial :
Dominique Strauss-
Kahn. À la tête d’une
société de conseil, l’an-
cien directeur général
du FMI vend son
40 R) Reportage Paris-Brazzaville, très chers amis
expertise aux gouvernements qui le
désirent. Choix judicieux : il connaît le
système par cœur et était à la tête de l’ins-
titution quand le Congo a obtenu une géné-
reuse remise de dette, en 2010. Mais cette
fois, l’affaire s’annonce plus compliquée :
épinglant « la faiblesse des organismes de
lutte contre la corruption » et la mauvaise
gestion des fonds publics, le FMI exige des
réformes avant d’accorder ses faveurs.
Au détour d’une route flambant neuve
dans une zone quasi dé-
serte de Brazzaville, on
Sassou-Nguesso comprend mieux pour-
quoi. Ici, à Kintélé, le
le Françafricain pouvoir a fait construire
un complexe spor-
tif démesuré : stade de
60 000 places couleur or,
piscine olympique, palais
PATRICK ROBERT/CORBIS VIA GETTY IMAGES
de ces infrastructures n’a plus servi depuis
les Jeux africains de 2015. Dommage aussi
que le bijou, situé à plus de quarante mi-
nutes du centre-ville, soit inaccessible à la
majorité des habitants. Le président, lui,
s’est fait bâtir un nouveau palais juste en
face du stade. « Il ne voulait pas être en re-
tard aux matchs », grince un jeune.
On comprend encore mieux pour-
quoi quand Claver Lembouka Ebenga,
fan inconditionnel de l’animateur Cyril
Hanouna et directeur des arts et de la ciné-
matographie dans un pays qui n’a plus de
cinémas, expose son rêve pour le ministère
de la Culture : ouvrir des bureaux sur tout
le continent pour éviter de payer l’hôtel en
déplacement. « Comme ça, tu gardes l’in-
demnité journalière pour toi ! » Costume
Mao parfaitement taillé et belle montre au
poignet, le fonctionnaire de 38 ans explose

des sports, hôtel, boulo- de rire sans remarquer le malaise des uni-
drome… Dommage qu’en versitaires français qui l’écoutent.
dehors du stade de foot- Dilapider l’argent du contribuable pour
ball, pratiquement aucune se remplir les poches passe pour un sport

Denis Sassou-Nguesso,
74 ans, cumule plus de
trente-trois années passées
à la tête du Congo. Engagé
dans l’armée congolaise au
lendemain de l’indépen-
dance, en 1960, il tire ses
premières cartouches sous
les ordres d’instructeurs
français, passe par l’Algérie
et est formé en France. De
retour à Brazzaville, il prend
rapidement du galon et de-
vient ministre de la Défense.
Nommé « président provi-
soire » en 1979 par le parti
unique, il reste au pouvoir
jusqu’en 1992, date des pre-
mières élections multipar-
tites. Il reprend le pouvoir
par un coup d’État en 1997,
au cours d’une guerre civile
qui fait 400 000 morts. Le
conflit perdure aujourd’hui
dans la région du Pool. É.R.
9 février 2018 / n°5 — 0

national. La justice française enquête sur
un réseau présumé de blanchiment de dé-
tournement de fonds publics au profit du
clan Sassou-Nguesso. Elle s’interroge sur
l’origine des fonds qui ont permis à la fa-
mille d’acquérir une vingtaine de proprié-
tés en France. Appartement à deux pas de
la tour Eiffel pour le fils du président, hôtel
particulier avec piscine intérieure à Neuil-
ly-sur-Seine pour l’une des filles… Chez un
neveu, les policiers ont découvert des va-
R) 41
lises de billets, une montre à 60 000 euros
et des rivières de diamants, selon des docu-
ments publiés par Mediapart.
Le fils cadet du président, Denis-Christel
Sassou-Nguesso, est l’un des dirigeants de
la Société nationale des pétroles du Congo.
Cet établissement public est soupçonné
de siphonner une partie de la rente pétro-
lière au profit du clan. Avocat de la partie
civile dans l’enquête dite des « biens mal
acquis », William Bourdon dénonce « une
kleptocratie caricaturale » et souligne le
« sentiment d’impunité » du clan : « Ils ont
longtemps considéré la France comme un
havre de paix. Et c’était vrai. Sous Sarkozy,
tout a été fait pour ralentir la procédure. »
Depuis, cinq membres de la famille du pré-
sident ont été mis en examen.

« Si tu parles, tu vas en prison »

Denis Sassou-Nguesso dort au Bristol et,
dans les rues de Brazzaville, les militaires
profitent du couvre-feu pour rançonner
les véhicules plus souvent que d’habi-
tude. Leurs barrages quadrillent la ville
tous les soirs depuis que les combats font
rage à cinquante kilomètres de là, dans la
région du Pool. À l’origine du conflit, une
attaque de « rebelles »
sur la capitale la veille
Excédés par la de l’annonce des résul-
hausse des prix tats de l’élection prési-
et l’absence dentielle, au printemps
d’eau courante, 2016. « Aujourd’hui, il
beaucoup de est acquis pour tout le
gens regardent monde que cet épisode
avec défiance était monté de toutes
les hommes pièces », assure un intel-
en costume, lectuel congolais.
associés au Le lendemain
pouvoir.

0 — 9 février 2018 / n°5

42 R) Reportage Paris-Brazzaville, très chers amis
de l’attaque, Sassou-Nguesso est réélu
dès le premier tour avec 60 % des voix
– résultat contesté par l’opposition. Dans
la foulée, les troupes du gouvernement
sont envoyées mater le Pool rebelle. Près
de deux ans plus tard, très peu de témoi-
gnages parviennent de la région assiégée.
Le gouvernement refuse de parler de
« guerre ». L’ONU évoquait 80 000 déplacés
en juillet dernier mais ils sont probable-
ment bien plus, entassés dans les taudis
de la capitale comme Boris, sa femme,
son père de plus de 80 ans et ses huit en-
fants. Boris a passé sa vie à cultiver gom-
bos, piments et endives jusqu’à ce que des
hommes en armes attaquent les soldats
stationnés dans son village à l’automne der-
nier. « En partant, les rebelles ont dit que les
hélicoptères allaient bombarder et qu’il fal-
lait fuir. On était en train de partir quand les
militaires ont mis le feu aux maisons. »
La famille prend la route avec les vête-
ments qu’elle porte sur le dos. Cachée en
forêt, elle passe deux jours sans manger
avant que le père engloutisse ses écono-
mies dans onze tickets de bus pour la ca-
pitale. À Brazzaville, ils vivent dans une
poignée de mètres carrés aux murs cras-
seux. Sans aide du gouvernement ni d’au-
cune ONG, Boris gagne
à peine plus de 2 euros Alors que
par jour en ramassant du beaucoup
bois. Le propriétaire me- d’équipements
nace de les expulser si sont mal pensés
l’ardoise de 20 000 francs et difficilement
CFA, à peine 30 euros, accessibles,
n’est pas réglée. Deux les bars sont
mois de loyer. les seuls lieux
Peu avant Noël, le gou- vraiment
vernement a annoncé en populaires
fanfare la signature d’un de la capitale.
accord de paix avec la ré-
bellion. Cinq jours plus
tard, le chef des insurgés
assurait que le texte ne lui
avait jamais été soumis.
Depuis, des négociations
sont en cours. Reste que
les combats ont détruit la
voie ferrée qui acheminait
le pétrole jusqu’à la ca-
pitale. Brazzaville est ré-
gulièrement à sec. Les
jours de pénurie, les taxis
patientent des heures pour faire le plein.
« Pourtant, on est un État pétrolier hein,
lâche l’un d’entre eux. Mais il ne faut pas
parler. Ici, c’est la dictature, si tu parles, tu
vas en prison. »
Denis Sassou-Nguesso dort au Bristol et
à Brazzaville, depuis la rue, la prison cen-
trale bruisse de rumeurs. Des cris dont on
ne saurait dire s’ils sont des ordres ou des
plaintes. La route pour accéder à la prison
est fermée à la circulation depuis que les
principaux rivaux de Sassou à la dernière
présidentielle y sont enfermés avec leurs
équipes de campagne. D’après l’opposition,
une centaine de prisonniers politiques
croupissent derrière les barreaux.
Des tirs sur la foule
Maurice Massengo Tiassé, vice-président
de la Commission des droits de l’homme
du Congo-Brazzaville en exil, raconte ce
qu’il se passe derrière les murs : « Cette
prison a été conçue pour une centaine de
personnes, elle compte actuellement entre
800 et 900 détenus. Ils sont confinés de-
bout, assis, accroupis, dans des cellules sur-
peuplées et dépendent de leur famille pour
manger. Il n’y a quasiment pas d’accès aux
sanitaires. Tous les jours, des gens meurent
étouffés, malades ou torturés. »
Le pouvoir multiplie les arrestations
depuis l’automne 2015. Cette année-là,
Denis Sassou-Nguesso annonce un ré-
férendum sur une réforme de la Consti-
tution lui permettant de se représenter
aux élections. À l’approche du vote, des
dizaines de milliers de personnes enva-
hissent les rues de Brazzaville. « C’était la
première fois que je voyais des banderoles
dire “Non à la dictature” », se souvient
9 février 2018 / n°5 — 0

un manifestant. Un an plus tôt, en oc-
tobre 2014, au Burkina Faso, la population
avait réussi à mettre son président dehors.
En République du Congo, Sassou persiste.
Fin octobre 2015, les forces de l’ordre
tirent sur la foule. La répression fait quatre
morts selon le pouvoir, une vingtaine se-
lon l’opposition. Le lendemain, François
Hollande déclare : « Denis Sassou-Nguesso
peut consulter son peuple, ça fait partie de
son droit, et le peuple doit répondre. » Le
président français avait soutenu la tran-
sition démocratique au Burkina Faso. Pas
au Congo. Deux ex-manifestants n’en re-
viennent toujours pas : « Quand Hollande
0 — 9 février 2018 / n°5
R) 43
dit qu’il faut arrêter avec les dictatures et
que, six mois plus tard, il explique que le pré-
sident a le droit de consulter son peuple, la
position de la France est claire. Tant que les
intérêts français ne sont pas menacés, on s’en
fout que des Congolais meurent. »
Antoine Glaser, ancien rédacteur en chef
de La Lettre du Continent, une publication
spécialisée sur l’Afrique, confirme : « Sas-
sou a toujours vendu le fait qu’il défendait
les intérêts stratégiques de la France dans la
région. Il jouit d’une sorte de prime à la stabi-
lité, parce que c’est bon pour le business. C’est
affreux à dire mais c’est comme ça. »
Malgré les manifestations monstres de
2015, le changement de Constitution est ap-
prouvé à 92,9 %. Cette année-là, les entre-
prises d’armement françaises livrent
“ Tant que les intérêts
français ne sont pas
menacés, on s’en fout
que des Congolais
meurent ”
44 R) Reportage Paris-Brazzaville, très chers amis
pour 1,9 million d’euros de matériel
au Congo-Brazzaville et la France renou-
velle trois accords de coopération visant à
appuyer « la formation, l’entraînement et
l’organisation » des militaires congolais.
Côté pétrole, Total exploite la moitié des
gisements du pays. L’entreprise entretient
depuis longtemps des liens privilégiés avec
Sassou-Nguesso. Son ancêtre, Elf, l’a sou-
tenu pendant le coup d’État qui l’a ramené
au pouvoir en 1997. Selon la phrase d’un
député socialiste français à l’époque, « il n’y
a pas une balle qui n’ait été payée par Elf »
dans la guerre civile qui meurtrit alors le
pays. Dans la capitale, il y a aussi ces bus
électriques qui parcourent les quelques
routes asphaltées. Parfaitement incongrus
dans un pays pétrolier à l’agonie, ils sont la
propriété du groupe Bolloré, bien implanté
au Congo. Depuis 2009, l’industriel breton
exploite également le terminal de conte-
neurs du port de Pointe-Noire, sur la fa-
çade atlantique.
Des flashs crépitent. Denis Sas-
sou-Nguesso a quitté la suite du Bris-
tol pour la cour de l’Élysée. Emmanuel
Symbole de
l’extravagante
gestion du
pays, les bus du
groupe Bolloré
qui sillonnent la
capitale roulent
à l’électricité,
alors que, dans
les maisons, les
coupures sont
incessantes.
Macron le reçoit dans le cadre d’un repas
de chefs d’État organisé en marge du One
Planet Summit. S’accrochant à deux mains
au président français, Sassou fait durer
les salutations tandis que son hôte tente
ostensiblement de s’écarter. Plombé par
la guerre du Pool, sa réélection contestée,
l’enquête sur les biens mal acquis et ses
cachotteries au FMI, il semble devenu un
ami encombrant.
Aucun changement à l’horizon
Pour redorer son image, le président
congolais cherche désormais à vendre son
pays comme le nouveau leader africain
du développement durable. Sa dernière
création : le Fonds bleu pour le Bassin du
Congo. Officiellement, ce fonds rassemble
une douzaine de pays de la région en
quête de financements pour « des projets
concrets » visant à développer l’exploita-
tion responsable des ressources en eau.
Andréa Ngombet, coordinateur du ré-
seau d’opposition #sassoufit, y voit plu-
tôt une nouvelle lessiveuse d’argent sale :
« Le Congo-Brazzaville a la réputation de
ne jamais honorer ses dettes et ses contrats.
Qui voudrait y investir ? Aucune entreprise
sérieuse ! C’est juste un moyen de faire re-
9 février 2018 / n°5 — 0

venir l’argent des comptes offshore. Si Sas-
sou a X millions sur un compte à Macao,
subitement on voit apparaître une société
chinoise qui signe un gros contrat pour un
projet bidon que personne n’ira vérifier, et
l’argent revient sous forme de paiement au
Congo. »
Derrière le Fonds Bleu se cache un Fran-
çais à la réputation sulfureuse. Jean-Yves
Ollivier préside la Fondation Brazzaville,
qui a appuyé la création du Fonds. En af-
faires avec Sassou depuis la fin des années
1980, ce négociant en matières premières
est proche des services secrets français.
Dans les années 2000, il fut « consultant »
pour le groupe suisse de négoce de pétrole
Vitol, accusé par une société américaine
d’avoir effectué des versements suspects à
Pour redorer son image,
Sassou fait passer son
pays pour le nouveau
leader africain du
développement durable
0 — 9 février 2018 / n°5
R) 45
une société offshore appartenant à « Kiki le
pétrolier », le fils Sassou.
Avec un tel casting, l’initiative écolo a
du mal à convaincre à Paris. D’après un
diplomate français, la délégation « s’est
pris une veste » auprès des investisseurs.
Accoudés au zinc d’un café proche du
ministère de l’Économie, deux officiels
congolais font le bilan de la tournée pari-
sienne sans remarquer qu’ils sont écoutés :
« Sassou n’arrive à accrocher personne à
son agenda. Hier, il parlait même de chan-
ger d’hôtel parce qu’il avait la honte. Il se
rabat sur le ministre de l’Économie pour
qu’il soit son avocat auprès de Macron. »
Au même moment, le président congolais
est effectivement reçu par Bruno
Le Maire. Lui qui avait l’habitude de rece-
voir au Bristol a été
convoqué à 8 heures
du matin.
Vu de la résidence
de l’ambassadeur de
France à Brazzaville
pourtant, le soutien
de la France au ré-
gime reste ferme.
« Chaque pays a son
histoire. Le change-
ment peut venir de
la réforme portée par un
homme », assure Bertrand
Cochery. Sassou, un réfor-
mateur ? « Il y a des éléments
dans le changement de
Constitution qui vont dans
ce sens. »
La nuit est tombée sur
Brazzaville. Dans une ruelle
mal éclairée, l’un des fon-
dateurs du mouvement
Ras-le-bol, porté par une
partie de la jeunesse, ne
voit aucun changement à
l’horizon. Et résume d’un
trait le sentiment par-
tagé par de plus en plus de
Congolais : « Ça me fait mal
que le pays des droits de
l’homme soutienne les dic-
tatures en Afrique centrale.
On est des sacrifiés.
La Françafrique doit
disparaître ! » •
46 p) Portrait Sujet
À Hénin-Beaumont, on
aimait bien les frites de
Marie-Françoise Gonzalez.
Et ses coups de gueule
contre la mairie FN aussi.
Mais la marchande a fermé.
Sans regrets, ce n’est pas
le genre de cette rebelle.
Par Haydée Sabéran Ed Alcock/Myop pour Ebdo
e soyons pas dans la
N nostalgie ! » Elle dit ça à
toute vitesse, en répri-
mant un rire, comme
souvent. Les cuves de frites sont
vides, les frigos aussi, le rideau
est baissé. Il reste son nom sur
la devanture, Friterie Gonza-
lez. Marie-Françoise Gonzalez a
vendu des frites à Hénin-Beau-
mont pendant trente ans,
comme son père avant elle. C’est
fini, il va falloir s’y faire. Elle est
en liquidation judiciaire depuis
août 2017.
Cette brune à lunettes de
59 ans, au cheveu court et au
rouge à lèvres écarlate, pe-
tite-fille de combattant répu-
blicain espagnol, était la plus
célèbre marchande de frites de
France. Celle qui tenait tête au
Front national depuis son snack
de la place Carnot, dans la petite
ville du Pas-de-Calais qui a élu
Steeve Briois maire en 2014, et
Marine Le Pen députée en 2017.
La commerçante lançait « fa-
chos ! » quand elle croisait des
cadres FN. La chef du Front na-
tional l’appelle « la vilaine » et ra-
contait que ses frites étaient les
plus mauvaises de la ville.
« Ça m’égnieeerve »
Ceux qui l’aiment l’appellent
« Sas ». Une contraction de « Ma-
rie-Françoise », prononcée avec
l’accent de sa mère, arrivée d’Es-
pagne en 1948. Sas dit tout le
temps « ça m’énerve ». Passez une
heure avec elle, si elle ne l’a pas
dit trois fois, c’est qu’elle n’a rien
dit. « Ça m’égnieeerve. » Exemple :
la jeunesse « sacrifiée, sous-di-
plômée », engluée dans le bassin
minier, « qui se tape les logements
de merde, les salaires de merde,
les boulots de merde, corvéable à
merci » dans les entrepôts d’Ama-
zon à dix kilomètres, ça l’énerve.
La gauche locale divisée et loin
des gens, les détournements de
fonds de l’ex-maire socialiste, les
patrons voyous de Metaleurop
et de Samsonite, tous les ingré-
dients de la montée du FN, ça l’a
énervée aussi. Depuis sa friterie,
elle a assisté, effarée, au change-
ment de discours.
Ses sœurs sont bibliothécaire
et enseignante, mais elle, la plus
rebelle des Gonzalez, n’a pas fait
d’études. Elle a passé sa jeunesse
entre petits boulots et voyages,
en Amérique du Sud, en Grèce,
en Espagne, en Yougoslavie. Et
en Angleterre, « deux fois par an,
pour acheter des vinyles ». Elle
est boulimique de bouquins, de
films et de musique, sans frime.
« Julio Cortázar, t’as lu ? J’aime
bien Marelle. Et de Russell Banks,
Trailerpark. J’ai regardé les séries
The Wire et Breaking Bad avec
mon fils. Et moi qui ai horreur des
films en costumes, on s’est tapé
tout Game of Thrones. » Ses
9 février 2018 / n°5 — 0
 47

Marie-Françoise Gonzalez, à La Belle Anglaise, le café-concert d’Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais.

0 — 9 février 2018 / n°5
48 p) Portrait Marie-Françoise Gonzalez
nier des Mohicans qui râlait ». Et
maintenant ? « Je suis d’accord
sur les grandes lignes. Mais sur
les réseaux sociaux, quand ils se
mettent tous sur quelqu’un, ça
me gêne. » Durant les premiers
porte-à-porte, elle avait « honte ».
« On arrive quand il y a le feu
au lac. On ne peut pas se placer
au-dessus de la mêlée en disant
“c’est pas bien de voter FN”. »
Le jour de l’installation du maire
FN, deux malabars l’ont jetée
dehors. Elle avait juste crié
« résistance ! »

Fatboy Slim et Mélenchon

Elle appartient à plusieurs
À la friterie Gonzalez, les portions étaient généreuses. bandes. Ça peut créer des di-
lemmes. Le week-end où Mé-
enfants, entre études d’art Vaillant, son ancienne employée. lenchon, candidat face à Le Pen
et petits boulots, l’une à Berlin, « J’allais travailler avec le sou- aux législatives en 2012 à Hé-
l’autre à Bruxelles, l’influencent. rire. Elle me manque. » Sas met la nin-Beaumont, a organisé sa
« Le rap, je devrais plus m’y inté- faillite sur le compte des fins de marche, elle avait des places
resser. Mais le style chaîne en or mois difficiles des habitants, et pour l’artiste de bigbeat (un
et gonzesses, c’est pas mon truc. » de la concurrence des fast-foods genre d’électro) Fatboy Slim de
Elle écoute France Culture le du centre commercial voisin. l’autre côté de la Manche, à Bri-
matin. En râlant. « Cette vision Parfois, elle y va pour voir. ghton. « J’ai dit aux potes : “J’y
libérale du monde, c’est de plus « Ça m’égnieeerve. » vais pas, je dois faire de la barbe
en plus pénible. » Mais elle est Malgré sa méfiance envers à papa pour les gosses à la ma-
« accro, parce qu’ils sont moins les partis, elle avait pris sa carte nif.” Ils ont râlé. Alors on a fait les
dans le buzz ». Certains matins, chez Jean-Luc Mélenchon en deux, et on a pris le ferry retour à
à l’aube, elle écoute les cours du 2012, « pour ne pas être le der- 5 heures du mat’. »
Collège de France dans son lit.
On se régalait de ses frites. Dans sa cuisine, des photos de son père, François.
Cuites deux fois dans l’huile
d’arachide, pas trop salées. Ar-
rosées de vinaigre comme on
les aime dans le Pas-de-Calais.
« Il y avait toujours de la bonne
musique, des journaux à lire,
et quelqu’un à qui parler », ra-
conte Pascal Wallart, longtemps
journaliste au quotidien La
Voix du Nord. Elle lui offrait des
compilations. « Des mix made
in Marie-Françoise. Beaucoup
d’électro, de la soul, du funk an-
nées 1970. Des petites choses in-
connues. » Il a remarqué qu’après
le 15 du mois, quand les clients
prenaient des portions plus pe-
tites, elle offrait du rab. « Pas
vilaine du tout », confie Cindy
9 février 2018 / n°5 — 0

Depuis qu’elle a quitté sa friterie, Marie-Françoise donne parfois un coup de main à La Belle Anglaise.
Ça produit aussi des mé-
langes. Son ami graphiste : « On
n’était pas dans la même bande,
mais comme je venais de me sé-
parer, elle m’a invité au “tournoi
annuel intergalactique de bad-
minton” dans son jardin, avec
remise de coupes. On s’est marré. »
Il l’appelle Sas. Elle le traite de
« gauche molle » parce qu’il a voté
Benoît Hamon en 2017.
Un mythe local
Devant une bière à La Belle
Anglaise, le café de son ami Fa-
brice Guillaumet, l’autre cœur
battant d’Hénin-Beaumont, une
dame raconte qu’elle est de Mon-
tigny-en-Gohelle. « La tournée
de ma mère », dit Sas. La dame
Sa mère a vu la guerre d’Espagne.
Avant de la rencontrer, son père
avait été marchand d’oublies
0 — 9 février 2018 / n°5
ne comprend pas. « Gonzalez »,
insiste Sas. L’œil de la femme
s’allume : « Gonzaleeez ! » Le nom
magique. Un mythe local. Le ca-
mion de ses parents marchands
de frites et de glaces, lui de Cas-
tille, elle d’Aragon, « comme dans
la chanson de Boby Lapointe »,
se marre Sas.
Sa mère, Carmen, a vu la
guerre d’Espagne, « des trucs
durs, les pelotons d’exécution ».
À 20 ans, elle a traversé les Py-
rénées à pied, puis a vécu sans
papiers. Avant de la rencontrer,
François, le père, avait été mar-
chand d’oublies, ces biscuits
gaufrés en éventail. Puis, il a sil-
lonné le bassin minier avec ses
glaces, en camionnette. Sa fille,
p) 49
qui rêvait de voyages, loin d’un
père « adorable, mais patriar-
cal », a fait la tournée dans les
corons pendant dix ans. Et main-
tenant ? « Ma situation actuelle
n’est pas des plus brillantes » À
59 ans, il lui reste « entre trois et
cinq ans » à travailler. Une friterie
a proposé de l’embaucher. « Au
black. J’ai dit non. » Elle vit sur le
salaire de son mari, graphiste à
son compte. Elle n’a pas droit au
chômage et leur maison pourrait
être vendue.
Elle passe à la friterie chaque
jour pour voir sa mère qui vit au
premier. Elle lui fait ses courses
et l’emmène se promener. Elle
donne des coups de main à La
Belle Anglaise et fréquente tou-
jours l’Escapade, la salle d’Hé-
nin où elle a vu, à 16 ans, le
groupe de free jazz-rock Magma,
« pour nous, c’était Woodstock ».
Et cuisine des frites à la maison,
elle qui n’en faisait jamais.
50 •) Votre ebdo
7Écrire son histoire pour
4Ebdo ? Il n’y avait pas pensé…
4 endant dix ans, j’ai été
4 P sous l’emprise d’un
manipulateur. S’il
m’a fait découvrir de belles
4 choses, il m’a surtout humi-
lié, fait souffrir et dépenser de
4 grosses sommes d’argent. À
ma femme et moi. » L’homme
4 qui dépose ce message dans
La Source début décembre
4 nous demande si son témoi-
gnage peut intéresser Ebdo.
4 Intriguée, je lui demande
par mail s’il souhaite témoi-
4 gner auprès d’un journaliste
ou écrire lui-même un texte.
4 Ma question le surprend. Il
préfère me parler, pour com-
4 mencer. Alors nous parlons.
Écrire ? Il n’y avait pas pensé.
4 Il préfère réfléchir.
Quelques jours plus tard,
4 il me dit qu’il veut bien ten-
ter l’écriture, à condition de
4 rester anonyme. Il esquisse
deux hypothèses : « Je n’y
4 arrive pas et on passe à un
échange avec vous, j’y arrive
4 et vous m’aidez sans conces-
sion. » À Noël, il me rend
4 finalement trois pages ! Je
sais que ce sera trop long.
4 Constance, notre codirec-
trice de la rédaction, et moi
4 sortons donc les ciseaux.
L’homme doit passer
4 début janvier à Paris.
Rendez-vous est pris
4 pour terminer l’exercice
1 3
ensemble. Il débarque en
pleine conférence de ré-
daction. S’assoit aux cô-
tés des journalistes. Puis
nous nous mettons au
boulot. Je propose de sup-
primer les passages sur
son épouse, qui a aussi
été sous le joug du gou-
rou. Il soupire, accepte.
Puis avoue que d’avoir
écrit son histoire lui a fait
du bien. Une façon de solder
cette période compliquée.
On coupe encore, sans par-
venir à la bonne longueur.
Je suggère d’ôter un para-
graphe entier. Il n’est
pas satisfait. On laisse alors
le texte en suspens.
Un mois plus tard, bonne
nouvelle : la séquence des
Paroles s’agrandit, nous ré-
cupérons deux pages supplé-
mentaires pour accueillir son
histoire. Je préviens notre
témoin, qui accepte finale-
ment la publication avec son
prénom : Camille. Vous pou-
vez le lire pages 94-95. Nous
avons donc échangé pendant
deux mois avant de publier
son récit. Parfois, il faut sa-
voir prendre le temps.
Anne-Sophie Jacques, chargée
de la relation avec les lecteurs
Vous êtes abonnés et vous souhaitez
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La Source : source.ebdo-lejournal.com.
7 9
4Nous venons à votre 6
4rencontre ! 6
4L’équipe d’Ebdo sera jeudi 6
415 février à Lyon : au 6
4New Tree Café de 16 h à 17 h, 6
4et au Café de la cloche de 18 h 6
4à 20 h. Puis le vendredi 6
416 février à Beauchastel, 6
4en Ardèche, dans la librairie 6
94roulante de Pascale Girard : 6
4rendez-vous sur le parking 6
64de La Poste, de 17 h à 20 h. 6
4Enfin, le samedi 17 février 6
64à Romans-sur-Isère, dans 6
6
4la Drôme, à la librairie des
4Cordeliers, dès 19 h. Vous
4pourrez rencontrer Damien 6
6
6
64Carême, représentant des 6
4lecteurs, Raechel Isolda, coor-6
64dinatrice du journal et, selon 6
4les dates, les journalistes 6
64Thibaut Solano, Olivier Monod6
4et Geneviève Caux. 6
61 3
97
6
6
6 Comment
6 vous abonner ?
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www.aboebdo.com
6 Contactez-nous
6 par téléphone au
01 76 41 05 95
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et de 14 h à 17 h
6 Complétez et retournez
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9 février 2018 / n°5 — 0
 Votre 0 • 51
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52 j) Jeux
Facile Moyen

Menez l’enquête !
Au cours d’une soirée, cinq amies se remémorent la première rencontre avec celui qui est devenu leur
compagnon. Retrouvez le prénom et l’âge de chacune, le lieu de la première rencontre et l’année. Remplissez
la grille en utilisant les indices donnés. Procédez ainsi : lisez attentivement l’énoncé. Puis analysez les indices.
Ceux-ci vous fourniront des informations que vous reporterez dans la grille.
Exemple : Vous pensez que Myriam a 42 ans,

Restaurant
Entreprise

Vacances
Gymnase
alors portez 1 en D4 et 0 en D1, D2, D3, D5, A4,
40 ans

43 ans
42 ans
38 ans
37 ans

2004

2006

2008
2005

2007
Train
B4, C4, E4. Ainsi de suite jusqu’à avoir rempli
la grille et pouvoir lire les bonnes réponses.

A B C D E F G H I J K L M N O
Les indices
A. En 2004, la première Christine 1
rencontre a eu lieu dans Élodie 2
l’entreprise. Hélène 3
B. La femme de 42 ans,
qui n’est ni Élodie ni Hélène, Myriam 4
a rencontré l’homme de sa Viviane 5
vie en 2007, ailleurs qu’au
restaurant. 2004 6
C. La femme la plus âgée, 2005 7
qui n’est pas Myriam, a
rencontré son futur mari 2006 8
dans le train ; Hélène, 2007 9
qui a un an de moins que 2008 10
Myriam, connaissait déjà
son futur compagnon Entreprise 11
depuis un an. Gymnase 12
D. Christine avait
26 ans quand elle a Restaurant 13
rencontré son futur mari en Train 14
vacances, deux ans avant
Vacances 15
la rencontre de Myriam.

Prénom Âge Lieu Année

Christine
Élodie
Hélène
Myriam
Viviane

9 février 2018 / n°5 — 0

 j) 53
Difficile
Kemaru
Complétez la grille sachant qu’une zone
d’une case contient le chiffre 1, une zone
de deux cases contient les chiffres 1 et 2,
etc. Les deux mêmes chiffres ne peuvent
se toucher (par un côté ou un angle).

Moyen
5 3 6
6 8 9
Facile
Sudoku 8 1 5
Remplissez les cases 1 2 3
avec des chiffres 9 7 6 3
allant de 1 à 6 ou de 2 1
4 7
1 à 9 en veillant à ce
qu’un même chiffre 6 5
1 9 4 5
ne figure qu’une fois 2 5
par colonne, une fois 2 1 7
par ligne, et une fois 6 3 2 9 7
par carré de 6 ou
9 cases. 1 5 6 9 8 5

Exemple
7r889
3 1 2 4 Faites sauter les grilles
2/ 5+
Matoku La grille est constituée d’un nombre égal de lignes et de
42 556
4 3 1
6x colonnes contenant des blocs de 2 à 4 cases délimités par un trait épais.
12x
e4 3 1 d 2
Placez dans chaque case un chiffre de 1 à 4 (niveau facile), de 1 à 5
(niveau moyen) et de 1 à 6 (niveau difficile). Il ne peut y avoir deux fois
4x 4+
41 556
2 4 3
le même chiffre sur une ligne verticale ou horizontale. Le chiffre écrit en bas
à gauche d’un bloc est le résultat de l’opération (addition, soustraction...)
12x
qf223 effectuée avec les chiffres des 2, 3 ou 4 cases d’un même bloc.
4 Facile Moyen Difficile
ar889
4
e 556e
4 556
1f223

0 — 9 février 2018 / n°5

54 j) Jeux

En reportant les lettres numérotées, trouvez le mot mystère.

Tous
des flèches !
CERCLE FABLE AGIR SUR
1 2 3 4 5
COMPOSÉ
6 7
BEIGNET
8
DISPARI- AUQUEL
MÉTAL- SYMBO- TIONS DE LE ON NE CHIMIQUE DU INTRAN-
LIQUE LIQUE BILLARD PEUT RIEN MANQUE VIETNAM
VOYELLES REPRO- SIGEANTS
GENS DES SAUCE PORT DE C’EST
DICOS TAMISÉE CALCIUM ALGÉRIEN CHER SAVEUR FORT

5
IL OFFICIE QUI
À L’ÉTUDE DÉPASSE
CRI DANS LA
LE PRÉ MESURE 8
IRONIE
IL
CENTE- CIRCULE
NAIRE AU JAPON
ET PLUS
EMPOIS- C’EST
SONNÉ LA JOIE
IL A DES
BOULES IL DOMINE
À NOËL LA TERRE
ELLE FUT RACING- PRASÉO- SYMBOLE
VACHE CLUB DYME DE
POUR
ZEUS CAP SYMBO- L’ERBIUM
PATRON 6 À TENIR LISÉ RÉFUTER
ACCRO- INSULAIRE
SOCIÉTÉ CHAGE EN
PAR MÉNAGE GARNIR
ACTIONS QUI UN
PARFUME 2 HAMEÇON
BIEN ON
DEMANDE QUI MISE
ÉLEVÉE QU’ELLE LAISSERA EN ASSO-
SOIT DU BIEN CIATION
À CRAN SOLIDE
AVÉRÉ ILLUMINER
PAS
FAIT PAR LÀ,
GORGÉ PERDRE
D’EAU LA SORTIE !
LA TÊTE
C’EST RANGÉE
UN VRAI COMME
DES
LABYRIN- BÛCHET-
4 THE TES
PER- TÊTE DE
SONNEL PÈRE DE SÉRIE
IL TRA- LA PETITE HABITUER
VAILLE SIRÈNE AU
LA PIERRE COMBAT

PAS PEU MARQUE

FIER L’INTEN-
SITÉ
3
MÉDIA DE DISQUE CALMER
NOTRE MODERNE
TEMPS FLEUR IL EST
ARRO- DES PLUTÔT
GANT VENTS AMICAL
GRATTE COUCHE
LE FOND SUR LA
VITRE
SOUTIENS CRI DE
DE TÊTES GAUCHE
LONGUE ANIMAL BLONDE PRÉNOM
CORDE TACHETÉ ANGLAISE DE
POUR LE ESPÈCES CONÇU, MADAME
BÉTAIL D’ÂNES IMAGINÉ 7 BOVARY
FEMME ÉVÉNE-
DE DÉTAIL MENT
HEUREUX
FUT OU MAL-
FORCÉ HEUREUX
VITESSE CHANGE RADIO
DE D’ATMO- DU SUD
NAVIRE SPHÈRE PRÉCISE
IL ROULE BÊTE QUI UNE POS-
PARTOUT PARESSE SESSION

LINGE DE S’EXPRIMA
FANTÔME SANS
UN MOT

IL BÉQUILLE
S’ÉCLAIRE AU PERDIS
EN DE VUE
PREMIER CHANTIER
LE MATIN NAVAL 1

9 février 2018 / n°5 — 0

 j) 55
Solutions
LE MOT MYSTÈRE EST : ACROPOLE.

La chasse S
A
C
E G A R A
E
R E
M I M
R M
R
E
N
I
A
S T
T
T I
S U A
O E U D
E
V T
N

aux erreurs E
E
C I E R E

E
A L E
B U E
I
T
L
P
O
C
S S O E
O C E L
E R R A
L A
S
F I
Dans cette lettre, relevez les 5 – La marche à pied est un pléonasme.
4 – Châtaigniers.
R S S A G I A V D V D T
quatre anomalies, anachronismes 3 - On ne dit pas inclination mais déclivité.
T
N
I T A N
S E N U
R
E R
R B R I E
E A N D
M A
M
ou impossibilités et corrigez 2 – Gîtes.
1 – Hôtelière. E S T E R E H N F L E G O
les cinq fautes d’orthographe LES FAUTES : A I R E R C L E E L E R
ou impropriétés de langage. le Grand Nord.
4 – Le harfang est une chouette qui vit dans
S
E
D I
L I E N N
E E
I
H I S S
S C E N E
S A

L’office de tourisme d’Ajaccio Tyrrhénienne.

3 – La côte orientale est sur la mer
R P R E R C I I O G U
E L I E S S E L E V I N A
répond à une demande de Corse-du-Sud.
2 – Ajaccio est le chef-lieu de la V A S M E R C U H S A M E
renseignements. du 28 courant.
1 – On ne peut répondre le 25 à une lettre
E E N O R M E O T A I R N
S D I S T E P E C Y C L O E N
Ajaccio, le 25 avril 2018 LES ANOMALIES :
LA CHASSE AUX ERREURS
I I N O M E A
Cher Monsieur, TOUS DES FLÈCHES !

Suite à votre courrier du 28

S E S E A
E I N S E R

courant, vous trouverez ci-jointe

R S I E G E
TOURNOI.
A A L P A G
TALOCHE -
la brochure concernant les DES MOTS FAÇON PUZZLE

hébergements en Haute-Corse.
Sachez que nous avons une grande
capacité hotelière et beaucoup de 2 6 4 3 5 1
gites ruraux sur la côte orientale 5 1 3 4 2 6

(plages sur l’Adriatique) comme 6 5 2 1 4 3

sur la côte occidentale. Les visites

4 3 1 5 6 2
1 4 6 2 3 5
possibles sont très nombreuses, 3 2 5 6 1 4

tant historiques (Napoléon est né 1 2 5 6 3 8 7 9 4

à Ajaccio) que géographiques. Au

7 3 9 2 5 4 6 8 1
4 8 6 9 7 1 3 2 5
cours de vos balades sur le GR 20 5
6
4
9
2
7
7
8
9
1
3
2
1
4
6
5
8
3
qui parfois présente une forte 8 1 3 4 6 5 2 7 9

inclination, vous traverserez nos 2

3
5
7
4
1
1
5
8
2
6
9
9
8
3
4
7
6
forêts de châtaigners et apercevrez 9 6 8 3 4 7 5 1 2

peut-être des animaux protégés MATOKU SUDOKU KEMARU

comme le harfang ou le gypaète 2007

2008
Gymnase
Restaurant
42 ans
38 ans
Viviane
Myriam
barbu. Après la marche à pied, vous 2004 Entreprise 37 ans Hélène
pourrez apprécier nos spécialités 2005 Train 43 ans Élodie
2006 Vacances 40 ans Christine
culinaires et déguster un bon rosé. Année Lieu Âge Prénom
Nous espérons, cher Monsieur, MENEZ L’ENQUÊTE !

vous voir prochainement dans

notre île de Beauté.

Des mots façon puzzle En regroupant et en mélangeant

les lettres des deux mots de quatre et
Placez de trois lettres proposés, composez
E R E A L P
ces quatre un troisième mot de sept lettres.
pièces pour A S S I E
reconstituer TA LC + O H E = T
A G A I N S
une grille de
mots croisés. G E R E S E NOIR + OUT = R

0 — 9 février 2018 / n°5

56 ≤≥ L’histoire du soir à lire avec un enfant, ou avec vos yeux d’enfant

Panique au village des crottes de nez

l était une fois un pays, le Pays des Crottes ce doigt ? D’où venait-il ? Qu’allait-il faire de

I de Nez. Dans ce pays vivaient Monsieur

et Madame Loulou (Henri et Josiane) avec
leurs enfants (Mimosa, Tina et Bernard),
trois adorables crottes de nez.
Toute la famille habitait dans une maison,
la famille Boulette ? Et surtout : allait-il revenir ?
Les habitants se barricadèrent et organisèrent
des rondes de nuit.
La famille Loulou avait peur. Ce qui est bien
normal, tu ne trouves pas ? Si peur qu’elle décida
une très jolie maison-nez, située dans un très joli de partir très très très loin.
village au milieu d’autres maisons-nez.
Tout allait super bien.
Jusqu’au jour où… Les habitants découvrirent La nuit dernière,
Papy Boulette en larmes, devant sa maison un doigt géant a surgi
complètement saccagée.
Tiens-toi bien, voici ce qu’il raconta : « La nuit sans prévenir et s’est
dernière, un doigt géant a surgi sans prévenir et
s’est mis à fouiller partout, du sol au plafond.
mis à fouiller partout
Il a enlevé toute ma famille, mon fils, sa femme,
mes petits-enfants. » Papy reniflait sans pouvoir Ils arrivèrent dans une superbe région monta-
se calmer. gneuse. Là, ils firent connaissance avec une grosse
Très vite, la panique envahit le village. Qui était mouche bien habillée qui vendait des maisons :
9 février 2018 / n°5 — 0

un agent immobilier. La mouche leur dit :
« Suivez-moi les Loulou, j’ai un tas de chouettes
baraques à vous faire visiter. »
Ils commencèrent par visiter une
maison-bouche. Puis une maison-pomme,
une maison-brouillard, une maison-fesses,
une maison-moustache, une maison-oreille,
une maison-bûche, une maison-œil,
une maison-ananas, une maison-slip,
une maison-chapeau, une maison-coquillage,
une maison-pied, une maison-tuba et une
maison-banane.
Hélas ! Aucune de ces maisons ne leur conve-
nait. La mouche se gratta la tête puis déclara :
« J’ai une dernière maison à vous faire visiter.
Vous verrez, elle est un peu spéciale. D’ailleurs
personne n’en veut. »
Ils roulèrent encore, mais pas trop longtemps, ne
t’inquiète pas. Ils arrivèrent alors dans une prairie.
0 — 9 février 2018 / n°5
≤≥ 57
Là, leurs yeux s’illuminèrent. Au milieu des herbes
folles, des coquelicots et des pissenlits, se
dressait une maison magnifique, toute marron avec
des petites fenêtres. Une maison-crotte ! C’était
exactement ce qu’il leur fallait. Sûr que le doigt
ne viendrait jamais mettre les pieds ici ! Ils étaient
super heureux. Et plus heureux encore lorsque la
mouche déclara : « Savez-vous que j’ai d’autres
maisons-crottes à vendre ? Un village entier ? »
« Fantastique, s’écria Josiane Loulou. Appelons
immédiatement tous nos amis du village-nez. »
La suite, tu la devines ? Toutes les crottes
de nez quittèrent le village-nez… pour rejoindre
le village-crottes. Elles y vécurent heureuses
et n’entendirent plus jamais parler du doigt.
Ainsi, tout est bien qui finit bien.
Extrait de Panique au village des crottes de nez
de Mrzyk et Moriceau, aux Éditions Les fourmis rouges
 La lune de miel est finie.
La disparition des abeilles
sonne l’alerte et fait chuter
la production de nectar.
Mais l’or jaune reste une
denrée recherchée, tant
pour son goût que pour
ses vertus thérapeutiques.
À tel point que les hommes
vont parfois jusqu’à risquer
leur vie pour le récolter.
Dossier coordonné par Seymourina Cruse
7 Compositions de miel : Régis Baudonnet pour Ebdo

55 000 fleurs
butinées pour
1 cuillère de miel
Combien d’abeilles ont consacré
toute leur vie à la production de
10 g de miel (une cuillère à café) ?
Pour le savoir, comptez le nombre
d’abeilles dispersées entre
ISTOCK

les pages 58 à 69…

9 février 2018 / n°5 — 0
 t) 59

0 — 9 février 2018 / n°5

 Dans l’exploitation
d’un apiculteur
qui produisait
du miel bio en
Haute-Savoie.
Après la perte
des deux tiers de
ses abeilles, il a
AMÉLIE BENOIST/BSIP

décidé de revenir
à une apiculture
conventionnelle.

9 février 2018 / n°5 — 0

 Le péril
jaune
L’hécatombe des abeilles menace
plus du tiers des ressources
alimentaires. À commencer par
le miel. En vingt ans, sa production
a été divisée par deux en France.
Une chute qui a favorisé l’essor
d’un marché frauduleux.
Par Tiphaine Honnet et Emmanuelle Morau

n France, on consomme

E 600 grammes de miel par an

et par personne. Une gourmandise
devenue denrée rare : en vingt ans,
la production nationale a été divisée par
deux. La faute à la disparition des abeilles,
un phénomène mondial qualifié de « syn-
drome d’effondrement des colonies ».
Le taux de mortalité atteint 30 % sur notre
territoire : 300 000 ruches disparaissent
chaque année. Avec pour conséquence,
moins de miel mais aussi une pénurie de
nourriture, car plus du tiers de l’alimenta-
tion mondiale dépend des insectes pollini-
sateurs, et des abeilles en particulier.
D’où vient cette hécatombe ? Premier
responsable avéré : le réchauffement cli-
matique. Les saisons se dérèglent et, avec
elles, tout un écosystème. Les apiculteurs
déplacent les ruches selon les floraisons
pour que les abeilles butinent en conti-
nuité. Mais l’assurance de la récolte n’est
jamais là, ces voyages stressent les colo-
nies et les rendent plus vulnérables aux
parasites, comme l’acarien Varroa (prin-
cipal responsable de la perte des colonies)
ou le frelon asiatique (prédateur répandu
en Europe). D’autres préfèrent disséminer
les abeilles autour de monocultures in-
tensives de colza, de tournesol ou de

0 — 9 février 2018 / n°5


Vrai miel ? Faux miel ? En achetant au premier prix, on
achète le plus souvent un simple mélange de sirops. Une
raison pour privilégier l’achat en direct chez l’apiculteur.
Les ouvrières
au cœur du système
La vie d’une ruche est réglée comme du
papier à musique. Les abeilles butineuses
récoltent le pollen et le nectar des fleurs
pour les transmettre aux abeilles
ouvrières qui construiront et rempliront
les alvéoles, avant de nourrir les larves
pondues par la reine, jusqu’à 2 000 par
jour. Les mâles, appelés faux-bourdons,
ne servent qu’à la reproduction.
Ce système matriarcal fascine
depuis toujours.
céréales. Mais ces cultures, plus ren-
tables que les vergers, champs de luzerne
ou autres plantes fleuries, ne donnent pas
grand-chose à butiner.
Le coup de grâce est porté par les pro-
duits chimiques pulvérisés sur les champs.
Chaque année, au moins 6 millions d’hec-
tares sont traités aux insecticides néonico-
tinoïdes (produits agissant sur le système
nerveux central des insectes) qui déso-
rientent les butineuses et tuent les larves.
Alertés depuis longtemps, les différents
gouvernements avancent d’un pas puis
reculent de deux. Le projet de loi sur la
biodiversité, adopté en juillet 2016, prévoit
l’interdiction de ces produits en 2018, mais
accordera des dérogations jusqu’en 2020.
Fraude massive
Autre problème, la profession est très
peu structurée. « Aujourd’hui, déplore Joël
Schiro, président du Syndicat des produc-
teurs de miel de France, le dernier des clam-
pins peut se dire apiculteur ! » Et recourir
à des pratiques apicoles plus ou moins or-
thodoxes. Des traitements aléatoires, mais
aussi une importation d’espèces non adap-
tées qui demandent une alimentation ren-
forcée en glucose.
Une étude de la Direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes a fait grand bruit en
2015 : portant sur les miels premiers prix,
elle montre que 42 % des pots ne sont pas
conformes à la réglementation énoncée
par une directive européenne, soit une
« substance sucrée naturelle produite par
les abeilles de l’espèce Apis mellifera. »
La fraude, massive et indétectable au goût,
consiste à mélanger la récolte d’une ruche
à des sucres exogènes (canne, maïs, bette-
GOUHOURY/ANDIA.FR
rave, blé, riz) ou à de l’eau. « Denrée mon-
diale, soumise à des différences de prix très
importantes, le miel est un produit qui pré-
sente un risque élevé de falsification du pro-
9 février 2018 / n°5 — 0

La ruche
des chiffres
apiculteurs
perdent
50%
de leur ruche
chaque année
16 000
tonnes de miel
(8 % il y a 10 ans)
produites dans
l’Hexagone
contre
35tonnes
500
importées
en 2016
duit », note Éric Jamin, d’Eurofins,
premier laboratoire mondial d’analyses
agroalimentaires. À Nantes, ses
équipes vérifient que les échantillons
répondent à la définition officielle
du miel. Pour détecter les faux, impossible
de se fier à l’œil, ni au toucher ni au goût.
Le laboratoire utilise la résonance
magnétique nucléaire.
Made in China
En 2016, 16 000 tonnes de miel ont été
produites en France et 35 500 tonnes
importées. D’où vient celui que nous
consommons, si la production hexago-
nale ne couvre même pas le tiers de la de-
mande ? Le miel premier prix et le moins
cher du monde est le plus souvent chinois.
On trouve de bons miels en Chine, mais
aussi beaucoup composés de sirops tirés
de différents sucres. « Les Chinois ne s’en
cachent pas, explique Julien Henry,
à La maison du miel, à Paris, ils vendent
un produit qui correspond à la somme
que vous êtes prêts à payer. » •
0 — 9 février 2018 / n°5
En
20 ans
la production
Les
nationale a été
divisée par 2
Comment lire
une étiquette ?
Julien Henry, directeur de
30% La maison du miel, à Paris :
C’est le taux
de mortalité des
abeilles.
“ En grande distribution, il est
difficile d’avoir une vraie traçabi-
Il était lité, on se retrouve souvent avec la
de 5 % il y a
vingt ans formule « mélange de miels origi-
naires ou non originaires de l’UE ».
Ce n’est pas forcément mauvais
pour la santé, mais cela dénature
le produit et trompe le client. Il
faut trouver au moins l’indication
géographique sur le pot, pays ou
région. Un miel d’acacia de France,
par exemple. Quand ce sont des
petites récoltes, on peut les tracer
jusqu’au lieu-dit.
80%
des espèces
Sur le marché du miel, il existe
végétales trois labels encadrés : l’AOP
dépendent (appellation d’origine protégée)
des insectes avec son miel de Corse, l’IGP
pollinisateurs (indication géographique proté-
soit gée) avec son miel d’Alsace, et le
Label Rouge avec son miel de la-
10%
du chiffre
vande de Provence. Souvent, plus
il y a de mentions, plus il se cache
d’affaires autre chose derrière. Un miel « ré-
mondial de colté à froid », cela ne veut rien
l’agriculture, dire puisqu’il est toujours récolté
(153 milliards
d’euros) à froid, avant d’être chauffé lors du
conditionnement. Autres inscrip-
tions douteuses : miel « crémeux »,
« solide » ou « liquide ». Un miel se
compose de différents sucres,
mais il reste vivant. Il peut cristalli-
ser en fonction du pollen ou chan-
ger de texture au contact de l’air.
Éviter aussi les mentions du type
« miel cru » ou « miel pur » qui sont
des non-sens.
Enfin, l’apiculture bio reste très
floue. Son cahier des charges im-
pose seulement 50 % de culture
bio autour de la zone de la récolte,
mais rien n’empêche l’abeille de
butiner aussi des champs traités
aux pesticides. Cela dit, même
si elle ne garantit pas un meilleur
miel et reste peu encadrée, la dé-
marche bio est à encourager. ”
Un monde de récoltes
De l’Himalaya aux Cévennes en passant par la République du
Congo et la Russie, voyage en images chez les chasseurs de miel.
Textes et photos Éric Tourneret

Inde Then Mari

s’accroche à l’échelle
de corde à l’aide de sa
tête et de ses pieds
passés entre les barreaux
de l’échelle. Des millions
d’abeilles bourdonnent,
seule la fumée lui permet
de continuer sa tâche.
Il remplit la boîteen
fer-blanc de mielà
la force de ses braset
s’aide d’une deuxième
perche de bambou pour
couper la galette de
miel collée à la paroi.

Népal L’abeille géante de l’Himalaya a été observée jusqu’à

4 000 m d’altitude. Son nid est fait d’un unique rayon,
qui peut mesurer jusqu’à 2 m de long. Elle produit un miel
de rhododendron toxique mais réputé pour ses vertus
thérapeutiques, premier médicament pour hommes et bêtes
de cette région sans routes. La déforestation la menace.
9 février 2018 / n°5 — 0
 t) 65
Russie Issangugin Sentimir
récolte un arbre-ruche
(bortye). Le tronc de ce sapin
a été creusé il y a plusieurs
générations pour accueillir
une colonie sauvage.

République du Congo
Les Pygmées sont
des athlètes de la forêt.
En équilibre sur un tronc,
entouré d’abeilles en colère,
le chasseur plonge sa main
dans le nid pour récolter
les galettes. Dans la culture
Mbendjélé, la meilleure façon
de trouver une femme dans
un campement, c’est de lui
offrir du miel. Un homme doit
savoir grimper aux arbres
et ne pas avoir peur des
piqûres d’abeilles.

Allemagne Heinrich
Inselmann balaie les abeilles
avec une aile d’oiseau pour
ne pas les écraser en
remettant à sa place le panier
qu’il vient d’inspecter.
Son rucher de Neuenkirchen
est centenaire, comme
plusieurs de ses ruches.
France Situé au cœur d’une châtaigneraie
dans le Parc national des Cévennes, ce rucher
exceptionnel comptait 250 ruches-troncs.
Propriété de particuliers, il est aujourd’hui
entretenu par une association qui récolte le miel
de la vingtaine de ruches toujours peuplées.
0 — 9 février 2018 / n°5
 oi, je veux bien consacrer du
M temps aux sollicitations, mais
faut me donner plus de person-
nel ! » Marie-Laure l’a dit genti-
ment, mais fermement. Il faut avouer
qu’à chaque fois, c’est pareil : un journaliste
débarque et les semaines suivantes, les ap-
pels inondent le centre hospitalier univer-
sitaire (CHU) de Limoges : « Des médecins,
des infirmières, des particuliers, et même
des vétérinaires… Ils veulent tous le pro-
tocole d’application du miel ! » Une dame
est allée jusqu’à l’appeler chez elle le jour
de l’anniversaire de sa fille. Depuis, l’infir-
mière ne donne plus son nom en interview.
À Limoges, on est débordés mais bonne
pâte, alors on veut bien jouer le jeu, en-
core une fois. Oui, le miel aide à la cicatri-
sation des plaies difficiles. Dans le service
de chirurgie digestive, ça fait plus de
trente ans qu’on s’en sert. L’histoire com-
mence en 1984 sur l’intuition d’un éminent
chirurgien. En discutant avec un biologiste
des vertus des pommes utilisées pendant
les guerres napoléoniennes pour recouvrir
les plaies, le très respecté Pr Descottes se
Piqués
d’apithérapie
Le CHU de Limoges utilise le miel
pour la cicatrisation de plaies difficiles.
Pionnier longtemps ignoré, il est
aujourd’hui submergé par les demandes
et imité par d’autres hôpitaux.
dit que leurs bienfaits pourraient venir du
sucre. Or, « quoi de plus sucré que le miel ? »,
expliquait-il à la presse il y a vingt ans.
Les pansements au miel font leur entrée à
l’hôpital dans la foulée. Les résultats sont
spectaculaires, mais snobés. « À l’époque,
le service est extrêmement isolé. Il faut dire
qu’en face, il y a toute l’industrie pharma-
ceutique, alors ouvrir un pot de miel pour
soigner des gens… On a été pris pour des
hurluberlus », souffle le Pr Valleix qui a pris
la relève de Bernard Descottes, décédé en
2009. Connues depuis l’antiquité, louées
dans le Coran, les vertus thérapeutiques
du miel sont tombées en désuétude avec
l’avènement de la médecine moderne.
Les études menées au CHU sont pourtant
claires : en moyenne, la cicatrisation au
miel est deux fois plus rapide qu’avec un
pansement gras traditionnel.
Pourquoi ? « Le miel stimule la croissance
des cellules tout en étant anti-inflamma-
toire et anti-bactérien grâce à son acidité
et son sucre notamment », résume Denis
Valleix. Depuis les débuts, plus de 3 000 pa-
tients ont été traités dans le service. Utilisé
9 février 2018 / n°5 — 0
sur des plaies chirurgicales profondes ou
étendues, il est également « emprunté »
par d’autres services, en dermatologie par
exemple, pour traiter escarres ou ulcères.
En 2009, il a même sauvé le pied d’un alpi-
niste promis à l’amputation.
« Ni une mode, ni un remède miracle »
Acheté en pot de 1 kilo auprès d’apicul-
teurs rigoureusement sélectionnés, le miel
du CHU est 100 % naturel. Il est simple-
ment testé pour vérifier qu’il ne contient
ni bactéries ni champignons avant d’être
reconditionné en petits pots afin de limi-
ter les risques de contamination. Coût :
moins de 1 euro les 60 grammes de miel de
châtaignier, thym ou lavande, les plus effi-
caces. Mais le Pr Valleix met en garde : « Il
ne faudrait pas que ce soit une invitation à
aller chercher du miel au supermarché pour
soigner l’ulcère de la belle-mère. Ce n’est ni
une mode, ni un remède miracle, mais un
traitement délivré sur prescription. »
Si les soignants sont prudents, c’est que
l’apithérapie fait son grand come-back : du
« miel médical » est aujourd’hui vendu en
0 — 9 février 2018 / n°5
pharmacie et l’industrie cosmétique s’est
engouffrée dans la brèche. « Il paraît même
qu’une marque se sert de nous pour faire de
la pub… », raconte Marie-Laure. « Le corps
humain est programmé pour cicatriser. Le
miel devient utile quand la plaie s’ouvre ou
s’infecte mais raconter qu’une cicatrice sera
plus belle grâce au miel, tout ça, c’est du bu-
siness », tranche le Pr Valleix.
Le comble étant qu’à l’inverse de la ten-
dance générale, l’hôpital utilise de moins
en moins de miel. Si le coût reste bien in-
férieur à celui des pansements industriels,
le contrôle et le reconditionnement mobi-
lisent des bras là où le CHU en manque. À
l’autre bout de la chaîne, le filon est d’or :
la marque évoquée par Marie-Laure, c’est
Guerlain, qui vend 100 euros les 15 ml
de « crème yeux Abeille Royale ». Une
gamme développée « en s’appuyant sur les
travaux de recherche du professeur Des-
cottes », assure le parfumeur sur son site.
Une chose est sûre : à Limoges, on est dé-
bordés, mais on n’a jamais vu les cher-
cheurs de Guerlain.
Mathilde Boussion, à Limoges
Stock de flacons
de miel de lavande
au CHU de Limoges.
Acheté en pot de 1 kg,
il est reconditionné
en petits pots afin de
limiter les risques
de contamination.
YOHAN BONNET/HANS LUCAS POUR EBDO
 Acacia
Robinia pseudoacacia
Grand produit de consomma-
tion, le miel d’acacia se reconnaît
à sa texture liquide, à sa couleur
presque translucide et à son goût
floral très doux. On le trouve en
France (dans le bassin parisien, en
région Centre, en Aquitaine, en Al-
sace, dans la vallée du Rhône et les
Pyrénées) et dans les pays de
l’Est (Serbie, Hongrie, Roumanie).
On le déguste dans une boisson,
notamment avec les thés qu’on ne
sucre pas (thé vert, par exemple).
Le miel d’acacia fait partie des
miels qui ne les dénature pas.

Un essaim de saveurs
C’est le plus souvent sur une tartine qu’ils dégoulinent,
mais certains miels adoucissent le thé et prêtent
leur parfum aux fromages.
Par Tiphaine Honnet 7 Régis Baudonnet pour Ebdo

Châtaignier
Castanea sativa Mill.
Brun foncé, liquide pendant plusieurs mois avant
de cristalliser de façon grossière, le miel de châ-
taigner se caractérise par son amertume et ses
arômes boisés. La variété corse, labellisée AOP/
AOC, dégage une sensation de sucré très basse
par rapport aux autres miels. On le trouve
en Corse et dans les Cévennes, les Pyrénées,
l’Ardèche, la Bretagne et le Massif central.
On le déguste au dessert, ingrédient d’honneur
du pain d’épices et de la ganache au chocolat.
9 février 2018 / n°5 — 0

Rhododendron
Rhododendron ferrugineum L.
Liquide et épais, le miel de rhododendron
s’oppose au miel de châtaignier par son goût
très sucré. Loin d’être néfaste pour la santé, il
serait riche en oligo-éléments et recommandé
pour atténuer les effets des traitements par
chimiothérapie. On le trouve dans les Pyré-
nées, le Jura et les Alpes. On le déguste avec
un fromage ou tout simplement sur une tartine
beurrée pour apprécier sa finesse.
Carotte
Daucus Carota L.
Rouge orangé, le miel de
carotte ou de carotte sauvage
se distingue par son caractère
terreux et son arôme de carotte
crue. Il est l’un des rares miels
à faire la part belle aux légumes.
On le trouve en région Langue-
doc-Roussillon. On le déguste
dans une recette sucrée-salée,
un camembert rôti, par exemple.
Il peut aussi donner du peps
à la vinaigrette.
0 — 9 février 2018 / n°5
Mélilogie, l’art
de savourer le miel
comme un bon cru
Le miel se goûte comme un grand vin,
mais sa saveur ne change pas avec le
temps. Sa dégustation est un art, ap-
pelé « mélilogie », qui fait appel aux
quatre sens. La robe du miel doit être
uniforme, sans résidus ni écume à la
surface (vue). L’origine florale se re-
connaît à l’ouverture du pot (odorat).
Le miel ne doit être ni trop collant,
ni trop cristallisé (toucher). Avec la
langue, on écrase le miel contre le pa-
lais pour réveiller les arômes et on
avale lentement afin qu’ils perdurent
en bouche (goût). Pour « rincer le pa-
lais » entre deux miels dégustés, on
croque un morceau de pomme verte.
600 g
de miel
=
consommation annuelle
moyenne des Français
=
3 millions
de fleurs butinées
=
90 000 km parcourus
par les abeilles
70 m) Fait maison

Cabillaud rôti
aux agrumes
Ça ne baigne pas que dans l’huile.

Pour 4 personnes

4 filets de
cabillaud (800 g)

2 citrons jaunes
2 citrons verts

1 pamplemousse
rose
2 oranges

4 cuil. à soupe
d’huile d’olive

1 gousse de
vanille
30 g de câpres
sel, poivre

9 février 2018 / n°5 — 0


1 Préchauffez le four
(th. 6/180 °C). Pour la
marinade, pressez les
citrons, ajoutez l’huile,
les câpres, du sel et du
poivre. Fendez la vanille
en deux, récupérez les
graines et incorporez-les.
Déposez les filets dans
cette préparation, cou-
vrez d’un film et laissez
30 min au réfrigérateur.
2 Pelez les oranges
et le pamplemousse,
coupez-les en quartiers
en retirant leur peau.
Déposez le poisson et
la marinade dans un plat
allant au four. Disposez
les quartiers tout autour.
3
Couvrez d’un papier
sulfurisé et enfournez
20 min.
Variantes
Remplacez le cabillaud
par de la lotte ou de la
julienne. Utilisez d’autres
agrumes : mandarines,
yuzu, combava… Pour un
goût plus exotique, ajou-
tez à la marinade 2 cm de
gingembre frais haché ou
du curry doux en poudre.
Parfumez le plat avec du
thym ou du basilic.
Touche perso
Pour la présentation,
parsemez de zestes
d’agrumes et de pista-
ches hachées grossiè-
rement. Servez avec du
quinoa à la coriandre et
un vin blanc sec fruité.
Infos utiles
Un plat riche en oméga-3
et en vitamines, et le tout
sans gluten.
Jesiel Maxan
7 Régis Baudonnet
0 — 9 février 2018 / n°5
m) 71
7888888888888
4Jardin
4Les semis de tomates,
4ça commence maintenant
our déguster le plus tôt pos-
4P sible de bonnes tomates,
vous pouvez démarrer les semis
4 ce mois-ci si vous habitez au
bord de la mer. Sous un climat
4 continental, attendez mars,
et en montagne, avril.
4Collectionnez les culs de
bouteille en plastique (d’une
4 vingtaine de centimètres de
haut et percés dans le fond).
4 Disposez trois ou quatre graines
4 dans chaque bouteille, recou-
vrez d’une fine couche de terre
4 et tassez en douceur.
Arrosez légèrement en faisant
4 couler l’eau sur vos doigts pour
briser le jet.
4 Installez vos semis dans une
caisse, près d’une fenêtre bien
4Choisissez les graines d’une exposée ou dans une véranda.
variété de tomate précoce (bio Les plantules apparaîtront en
4 de préférence, pour pouvoir ré- huit jours. Au gré de la pousse,
cupérer les graines de vos fruits maintenez la terre légèrement
4Remplissez
et les réutiliser l’année suivante).
aux deux tiers
humide, ajoutez du terreau ou du
compost pour favoriser le déve-
4 les culs de bouteille d’un terreau loppement des nouvelles racines
léger ou d’une terre de jardin et le renforcement de la tige.
4 finement tamisée. Supprimez les pieds malingres,
Les premières racines doivent gardez les plus beaux de chaque
4 s’y épanouir sans obstacle bouteille. Une fois les risques de
(ni cailloux ni mottes). gelée écartés, découpez le plas-
4Tassez légèrement avec tique aux ciseaux et plantez les
le poing ou une planchette, pieds de tomates en pleine terre.
4 arrosez copieusement et laissez Henri Morel
l’eau s’égoutter. 7 Marie-Claude Eyraud
4
4C’est le moment !
Au compost En hiver, nos déchets manquent de variété. Pour rééquili-
4brer votre compost, qui s’est un peu tassé et dont la décomposition s’est
ralentie, aérez-le et ajoutez brindilles, sciure ou morceaux de cartons.
4Au balcon C’est le moment de s’occuper des vieux pots. Recensez ceux
dont les plantes sont mortes. Jetez la terre ou stockez-la dans un sac
4et brossez les terres cuites pour les réutiliser plus tard.
4
72 m) Fait maison
Matériel
8 7 bouteilles en plastique
8 du carton épais
8 un pull à col roulé (taille M)

Un pouf 8 du ruban adhésif large

8 un élastique
8 un moule rond

qui a de la 8 des clous

8 un cutter
8 des ciseaux

bouteille
Une idée 100 % récup’ pour
8 du fil et une aiguille

recycler vos bouteilles vides et

ce pull que vous ne mettez plus.
Super facile même pour les
allergiques à la couture.
Par Raphaële Vidaling

9 février 2018 / n°5 — 0


Assemblez les bouteilles et
maintenez-les ensemble avec
le ruban adhésif. Choisissez un
moule rond de même diamètre
que le lot ainsi obtenu.
1 2
4
Doublez chacun des disques
et fixez le tout avec du ruban
adhésif. Pour davantage de
confort, vous pouvez
recouvrir cette base de molle-
ton, de papier bulle ou d’une
vieille couverture découpée.
0 — 9 février 2018 / n°5
Découpez 4 disques de car-
ton au cutter, en vous aidant du
moule comme emporte-pièce.
Découpez aussi une bande
de carton de la hauteur
des bouteilles.
5
Retournez le pull à l’envers, cou-
sez les ouvertures des manches
découpées. Et fermez le col à
mi-hauteur avec un élastique.
m) 73
Entourez les bouteilles avec
la bande de carton. Fermez
le haut et le bas de la corbeille
en fixant deux disques dans
l’épaisseur du carton à l’aide
de quelques clous.
3
6
Disposez les manches
en rond afin de garnir l’assise,
retournez le pull pour en
habiller le pouf, puis cousez
les extrémités sous la base
de la corbeille…
74
c) Culture

Les inspirations d’Ariane Doublet

“ Il faut savoir regarder
les détails, les creux ”
La réalisatrice de documentaires travaille sans quitter sa région,
le pays de Caux, où elle a grandi. De son village normand, elle
a appris à voir loin, très loin, jusqu’à embrasser le monde entier.

9 février 2018 / n°5 — 0

 c) 75
0 Vous vivez et avez grandi à Vattetot-sur- catalogues d’expo de Bonnard, les lumières, les
Mer, dans le pays de Caux, en Normandie. Vous couleurs. Avec elle, j’observais les cadres et ce qui
tournez vos films dans la région. Et vous parlez se passait en dehors du cadre.
du monde entier…
Ariane Doublet L’écrivain portugais Fernando Et la culture de vos parents vous a rattrapée ?
Pessoa disait : « Dans mon village, il y a le monde Oui, je suis passée par la photo. Je suis allée
entier. » Dans Les réfugiés de Saint-Jouin, quand voir des expos. Cartier-Bresson m’a marquée. Il a
je filme l’accueil d’une famille syrienne, les beaucoup travaillé en Inde, il y avait une familia-
Hammoud, par les habitants et le maire, ou rité avec le travail de mon père. J’ai lu La chambre
quand je filme l’arrivée d’une délégation de com- claire de Roland Barthes sur la photo. Il décrit ce
merçants chinois venant acheter du lin textile au qu’il nomme le « punctum », la pointe vers laquelle
pays de Caux dans La pluie et le beau temps*, nous se dirige le regard. Un détail, quelque chose qui at-
sommes à l’autre bout du monde mais aussi dans tire votre attention et à partir duquel vous projetez
mon village. J’ai retrouvé cette proximité dans un peu de vous-même dans telle ou telle photo. Ce
L’usage du monde de Nicolas Bouvier, qui raconte détail, minuscule, essentiel, qui vous perce. Cela
le voyage de deux jeunes Suisses jusqu’en Afgha- m’a accompagnée dans ma formation, puis mon
nistan en Fiat 500. Ils tombent en panne la nuit travail. Grâce à ce texte, j’ai commencé à regarder
dans un village, trois hommes viennent les aider. différemment les photos et les peintures. J’ai com-
Nicolas Bouvier décrit tout ce qui se passe, il a pris que l’auteur éclaire volontairement son œuvre
une capacité à s’intéresser à tout. Il nous montre pour lui donner une consistance.
que la moindre action, le moindre geste peuvent
devenir passionnants si on sait bien les regarder. Réalisatrice de documentaires, vous avez bien
dû aller au cinéma ?
C’est de votre village que vous avez appris à voir Avant d’entrer à la Fémis [École nationale supé-
le monde ? rieure des métiers de l’image et du son], j’étais à la
Je refusais de lire, sauf des BD. J’aimais beau- fac de Censier à Paris, et j’allais au ciné-club deux
coup Gaston Lagaffe, un personnage hors cadre, fois par jour. Ce qui m’a marquée, c’est le sens
libre. Mes parents ont compris que je ne lisais pas, du détail, le souvenir sans nostalgie, sans rien
mais que je regardais tout autour. Je passais ma vie de spectaculaire. Comment la mémoire de Fel-
chez les fermiers à apprendre à conduire le trac- lini transforme les instantanés de la vie ordinaire.
teur. Je les accompagnais avec joie faire les courses La plus mince anecdote se trouve sublimée, par
chez Auchan. Je regardais la télé exemple quand sa mère étend le
chez eux, j’adorais le jeu « Inter- Son choix linge dans Amarcord. J’aimerais
villes ». Je connaissais tous les 2222222 faire découvrir les courts-mé-
commerçants du village : l’enca- 5a trages de Vittorio De Seta à ceux
dreur, le marchand de couleurs, 31 qui ne le connaissent pas encore.
le marchand de charbon… Je 788885588889 Ce cinéaste italien est parti seul,
savais comment ils travaillaient. 455555555556 Livres en Sicile et en Calabre, filmer
J’ai appris la culture des gestes, L’usage du monde
455555555556 des pêches au thon et à l’espa-
les métiers du monde rural, le de Nicolas Bouvier,
455555555556 don. Le regard qu’il porte sur les
vocabulaire. Dans une cuisine, dessins de Thierry Vernet
455555555556 gens qu’il filme et les gestes des
il y a un mot précis pour chaque (La Découverte)
455555555556 pêcheurs sont d’une humanité
chose, jusqu’à la manière Gaston Lagaffe
455555555556 bouleversante. Il est mon mo-
d’éplucher. d’André Franquin (Dupuis)
455555555556 dèle quand je filme les gestes des
Quand mon père, Pierre Dou- La chambre claire
455555555556 uns et des autres en Normandie.
blet, grand reporter, rentrait de Roland Barthes
455555555556 Il faut savoir regarder les gestes,
d’Inde, d’Éthiopie ou d’Afgha- 455555555556(Gallimard) les détails, les creux.
nistan, il projetait ses photos et 455555555556 DVD Propos recueillis par
me proposait de l’aider à choi- 455555555556Amarcord Colombe Schneck
sir. J’adorais ces moments très de Federico Fellini
455555555556 7 Jean-Luc Bertini/Pasco & Co.
formateurs. Il me racontait les (Warner Bros)
455555555556 pour Ebdo
cérémonies des femmes à pla- Le monde perdu
455555555556
*Les films d’Ariane Doublet sont disponibles
teaux, les enfants de Calcutta. de Vittorio De Seta
455555555556 dans un coffret DVD sous le titre Suite
Ma mère, elle, me montrait des ( Carlotta Films )
455555555556 normande aux éditions Montparnasse.

0 — 9 février 2018 / n°5

76 c) Culture Sujet

« Un jour ça ira » a pour héros un ado de 13 ans.

Un abri pour Djibi Par Anne-Sophie Jacques

e film a commencé depuis vingt mi- semble à un hôpital. D’ailleurs, dans l’entrée

L nutes. Je regarde la projection de

presse sans vouloir y plonger. J’ai
longtemps hésité. Il se trouve que je
connais Édouard Zambeaux, coréalisateur
avec son frère Stan du documentaire tourné
à l’Archipel, un centre d’hébergement d’ur-
gence du 18e arrondissement de Paris géré
par l’association Aurore et fermé depuis. Je
ne suis pas intime avec Édouard, mais il m’a
hébergée quelques jours alors que j’étais en
rade. Dilemme. Peut-on chroniquer le film de
quelqu’un qu’on connaît ? À première vue, non.
Puis il y a eu le message d’Ari déposé dans La
Source, notre plateforme numérique d’échange
il y a écrit “CHU”, pour centre d’hébergement
d’urgence. Tout le monde a besoin d’aide, même
les riches. Ils ont peut-être eux aussi un numéro
d’urgence, comme le 115. Mais je ne connais pas
le numéro ».
À cet instant, j’oublie mes réserves et je me
laisse toucher par la candeur de ces enfants
qui ont trouvé refuge en plein Paris. Voyage
dans un lieu où l’on découvre les douches vé-
tustes, les chambres improvisées, les fenêtres
brinquebalantes. S’imposent la chaleur des
notes du piano, le visage des parents fatigués
mais debout, et ce Djibi qui se vit comme un
« serial déménageur », cinq lieux différents

On suit en douceur ce petit

avec les lecteurs. Il nous
conseillait ce « documentaire
lumineux sur la résilience et
monde de déracinés qui devront
bientôt partir. Une fois encore
le pouvoir des mots, lorsque
des ados sans abri s’en em-
parent. Un condensé irrésis-
tible de sensibilité, de chaleur et d’humour : il y en treize ans, gamin sensible qui sait voyager
a des films, comme celui-ci, qui vous réconcilient léger. « Où sont mes racines ? » se demande-t-il.
avec (la dureté de) la vie ». J’échange alors par Au Sénégal, en Italie, et dans sa valise aussi.
mail avec Ari. Pas de bol, lui aussi est un ami Les réalisateurs suivent en douceur ce petit
d’Édouard. D’où la seconde question : faut-il monde de déracinés. L’Archipel va fermer et ils
s’abstenir de parler d’un film parce que son au- devront bientôt partir. Une fois encore. Quit-
teur a trop d’amis ? Là encore, non. Donc nous ter cet endroit où la vie de famille avait repris
voici dans la salle, mon dilemme et moi. ses droits. Partir encore en s’accrochant à cette
EUROZOOM

Jusqu’aux mots de Djibi, l’un des héros. Cet conviction : un jour, ça ira.
ado décrit le lieu d’accueil qui, pour lui, « res- Un jour ça ira, en salle mercredi 14 février.

9 février 2018 / n°5 — 0

 c) 77
Livre Boucherie Ovalie Film Invictus
Un océan d’eau plate bouillon- Afrique du Sud, 1995,
nait depuis des millions d’an- Coupe du monde de
nées quand soudain, quelqu’un rugby. Mandela vient
y ajouta du sel. L’océan, c’est d’être élu et compte
le rugby, ses valeurs sempiter- sur son équipe pour
nelles, ses règles obscures, le réconcilier un peuple
sel, c’est la Boucherie ovalie, un divisé par des années
blog devenu livre, puis deux, qui d’apartheid. Détails :
ne prennent rien au sérieux. On y les Springboks n’ont
pleure en contractant les abdos, jamais été soutenus
on y apprend. Absurde et beau par les Noirs et
comme un pilier qui réfléchit ou l’équipe est médiocre. Ils vaincront quand même. Bourré
un arrière courageux. N.D. de grands sentiments et de lyrisme, ce film pourra passer
Boucherie Ovalie, guide de survie pour angélique. Tant pis, semble dire Eastwood. Le seul vrai
au pays du rugby, éd. Marabout. vainqueur, c’est l’espérance. N.D.
Invictus, de Clint Eastwood, 2010. En DVD (Warner Bros).

Notre sélection culturelle autour d’un mot de l’actu

Ovalie
Les Bleus ont encore entamé le tournoi des Six-Nations avec une défaite encourageante
contre l’Irlande. Sans plan de jeu, mais avec un gros cœur, le XV de France
s’en ira dimanche 11 février tenter de perdre la tête haute face aux Écossais. À moins que ?
2009 WARNER BROS. ENTERTAINMENT IAND SPYGLASS ENTERTAINMENT FUNDING, LLC.

BD Les Rubipèdes
Pour Michel Iturria, légendaire
dessinateur de presse du quoti-
dien Sud-Ouest, le « ruby », c’est
l’Illiade de notre époque. Ses hé-
ros se nomment Achille, Patrocle
ou Diomède. Ils sont demi de mê-
lée ou trois-quarts aile. Comme
chez les Grecs, ils se livrent à
des batailles épiques suivies de
grands banquets (les fameuses
troisièmes mi-temps). Entre
deux matchs se posent parfois
« les questions graves et existen-
tielles » : « Qui sommes-nous ? »
« Où allons-nous ? » « Que se passe-t-il sous la mêlée ? » • É.R.
Les Rubipèdes, d’Iturria, 10 albums, sur Internet.
0 — 9 février 2018 / n°5
Polar Du bruit sous
le silence
Qui a tué l’un des rugbymen
vedettes de Toulouse une
semaine avant la finale du
championnat ? Pour le savoir,
la police ne suit pas une tra-
jectoire aussi rectiligne qu’un
drop irlandais. Les secrets de
vestiaires remontent à la sur-
face, les âmes apparaissent
plus cabossées encore que les
genoux et le final est aussi noir
qu’un maillot All Black. I.T.
Du bruit sous le silence, de Pas-
cal Dessaint, éd. Rivages/Noir.
78 On vous fait un dessin

C’est quoi, les ondes

gravitationnelles ?
Par Clément Fabre
... avec Albert Einstein

9 février 2018 / n°5 — 0

 79

0 — 9 février 2018 / n°5

80 On vous fait un dessin Les ondes gravitationnelles

9 février 2018 / n°5 — 0

 81

Fin
0 — 9 février 2018 / n°5
82
ANDREW TESTA/PANOS-REA

S) Sciences

9 février 2018 / n°5 — 0


Dans un laboratoire d’Oxitec.
La société britannique fabrique
des moustiques mâles modifiés
génétiquement afin d’engendrer
des descendants non viables.
0 — 9 février 2018 / n°5
Génétique
3
Le moustique
OGM, agent
éradicateur
Des insectes génétiquement modifiés
sont conçus pour lutter contre leur propre
espèce et les maladies qu’elle transmet
à l’homme, paludisme et dengue en tête.
Par Sabine Casalonga
aviez-vous que des
S moustiques trans-
géniques ont été in-
troduits depuis 2009
dans plusieurs pays pour lutter
contre les maladies transmises
par ces insectes ? Il s’agit des
moustiques mâles OX513A de
l’entreprise Oxitec. Le principe ?
Les mâles porteurs d’un gène de
stérilité s’accouplent avec des
femelles sauvages et engendrent
une progéniture non viable.
D’après leurs résultats* sur les
îles Caïmans, en Malaisie, au Pa-
nama et au Brésil, plus de 80 %
des moustiques Aedes aegypti,
vecteurs des virus de la dengue,
chikungunya et Zika, ont été
ainsi localement supprimés.
L’inconvénient ? Il faut relâcher
des millions de moustiques du-
rant plusieurs semaines, pour
un effet limité à une saison et à
un quartier de ville, ce qui sup-
pose un coût élevé. La descen-
dance des mâles sauvages, elle,
est bien viable et se redéploie la
saison suivante.
En 2017, Oxitec a annoncé
deux nouveaux projets de tests
en Inde et en Colombie. L’entre-
prise essuie toutefois des revers.
s) 83
En 2015, la Malaisie a renoncé
à sa stratégie jugée coûteuse et
inefficace. Fin 2016, un essai en
Floride a été suspendu à cause
de l’opposition de la population
locale. Enfin, aucune étude in-
dépendante n’a démontré une
réduction des cas de dengue à la
suite des lâchers de moustiques
OGM. L’association britannique
GeneWatch dénonce des ré-
sultats biaisés et le manque de
transparence des essais.
Un gène espion
Néanmoins, l’espoir soulevé
par les moustiques transgé-
niques reste fort. Et pour cause,
le moustique est responsable de
800 000 décès chaque année en
raison des maladies qu’il trans-
met, paludisme et dengue en
tête. Les méthodes de lutte ac-
tuelles, principalement à base
d’insecticides, s’avèrent large-
ment insuffisantes et néfastes
pour l’environnement.
Une nouvelle stratégie, dite
de forçage génétique, émerge et
promet une meilleure efficacité.
En 2015, des chercheurs de l’Im-
perial College de Londres ont
créé en laboratoire un mous-
84 s) Sciences
tique capable de rendre sté-
riles, en quelques générations,
toutes les femelles de l’espèce
Anopheles gambiae, porteuse du
paludisme. Ils introduisent dans
la population des moustiques
génétiquement modifiés por-
teurs d’un gène espion. Celui-ci
est capable, lors de la reproduc-
tion, de repérer un gène cible, de
le couper et de le remplacer par
une autre version. De génération
en génération, le gène espion se
répand et « force » la diffusion de
la version voulue du
gène cible. Les cher-
La puissance
cheurs de l’Imperial
College de Londres du forçage génétique
ont utilisé cette tech-
inquiète les défenseurs
nique pour rempla-
cer un gène de la de l’environnement
fertilité chez les fe-
melles et les rendre stériles.
Éric Marois, de l’université
de Strasbourg, utilise la même
technique pour éradiquer le pa-
ludisme sans faire disparaître le
moustique. L’idée est de diffuser
un gène de résistance à la mala-
die et non un gène de stérilité.
La puissance du forçage géné-
tique inquiète les défenseurs de
l’environnement. « Le transgène
se propage en théorie comme un
incendie dans toute l’aire de ré-
partition géographique de l’es-
pèce, il faudra donc s’assurer que
les bénéfices l’emportent sur les
risques », confirme Éric Marois.
Toutefois, d’après les derniers
tests en laboratoire, la technolo-
gie ne s’avère pas aussi efficace
que prévu puisqu’une partie des
moustiques résiste à l’action du
gène espion.
Les recherches sur le forçage
génétique sont soutenues par la
Fondation Bill et Melinda Gates
dans le cadre du projet Target
Malaria qui vise à conduire des
essais d’ici cinq à dix ans dans
plusieurs pays africains tels que
le Burkina Faso, le Mali et l’Ou-
ganda.
En France, dans son avis de
juin 2017, le Haut Conseil des
biotechnologies n’exclut pas le
recours aux moustiques trans-
géniques, notamment des tests
très encadrés avec la technique
utilisée par Oxitec. Mais il es-
time « prématuré d’envisager une
application de forçage génétique
sur le terrain ». •
*D. Carvalho et coll., PLOS Neglected
Tropical Diseases, 2015.
9 février 2018 / n°5 — 0

Grégoire Borst, professeur de psychologie du développe-
Une question à : ment à l’université Paris-Descartes (LaPsyDÉ - CNRS)
Pourquoi est-il
difficile de rester
attentif pendant
une heure ?
«
Que nous soyons en réunion, que
nous assistions à une conférence
ou que nous suivions un cours,
il est très difficile de rester concentré plus de
ANDREW TESTA/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA – ILLUSTRATION LAURENT DUVOUX
quelques minutes. Une expérience révèle que
plus d’un quart des étudiants déclarent avoir
du mal à se concentrer en cours une fois passées
les vingt premières minutes. Cette proportion at-
teint même 45 % après quatre-vingts minutes en
classe. Et suivre un cours en ligne, seul devant
son ordinateur, ne résout pas le problème : plus
de 54 % des étudiants ont des difficultés à main-
tenir leur concentration plus de trente minutes.
Nous avons du mal à garder un niveau d’at-
tention élevé pendant plus de quelques mi-
nutes car tout un réseau de neurones s’active
dans les parties frontales (à l’avant) et pariétales
(en haut) de notre cerveau quand nous nous
concentrons. Or, l’activation de ces neurones
requiert de l’énergie et plus particulièrement
0 — 9 février 2018 / n°5
s) 85
du sucre (du glucose) et de l’oxygène. Rester
concentré est une activité qui sollicite nos res-
sources cognitives mais surtout énergétiques.
Et bien que notre cerveau ne constitue que 2 %
à 5 % de notre masse corporelle, il consomme,
en continu, plus de 20 % des ressources éner-
gétiques de notre organisme. Il a donc du mal
à fournir un effort prolongé et cherche le plus
souvent à limiter sa consommation énergétique.
Pour rester attentif, il faut s’adapter aux wli-
mites physiologiques de notre cerveau en s’amé-
nageant, par exemple, des pauses toutes les
vingt minutes. Une autre possibilité est d’entraî-
ner son cerveau à être attentif aux informations
importantes dans notre environnement.
Certaines études suggèrent que la méditation
ou que certains jeux vidéo
permettraient d’améliorer nos
capacités de concentration.
Grégoire Borst
86 s) Sciences Sujet
Sociologie
3

Les cadres
récupèrent
mieux d’un
AVC que
les ouvriers
Selon l’étude d’une
sociologue, la vie menée
avant un accident vasculaire
cérébral a un impact sur
le degré de récupération
des capacités.
n France, l’accident vas-

E culaire cérébral (AVC)

fait des ravages. C’est la
première cause de mor-
talité chez les femmes et la troi-
sième chez les hommes. Elle est
due à une hémorragie ou à un
vaisseau sanguin bouché dans
le cerveau. Une personne sur
cinq qui en est atteinte décède
dans le mois qui suit, et les trois
quarts des survivants gardent
des séquelles définitives. Ils
peuvent se retrouver paralysés
ou soudain amnésiques, ne plus
savoir parler ni compter.
Comme à l’école
La récupération après un AVC
dépend-elle de notre sexe et de
notre classe sociale ? Oui, répond
la sociologue Muriel Darmon,
qui réalise depuis 2015 une en-
quête inédite sur le sujet. Se-
lon elle, les ouvriers récupèrent
moins bien que les cadres.
Muriel Darmon a passé plu-
sieurs mois dans des services
de rééducation pour personnes
ayant subi des lésions au cer-
Un patient victime d’un AVC lors d’une séance d’électrostimulation
avec une ergothérapeute, en 2014, au CHU de Bordeaux.
La vie menée avant l’accident a déroulent, comme à l’école, en
un impact sur le degré de récu- temps limité, avec un crayon et
pération physique et intellec- un papier. De plus, « les questions
tuelle. Même abîmés, le corps et renvoient à un mode de vie plutôt
l’esprit gardent en mémoire ce bourgeois et cultivé. On demande
qu’ils ont été. de réagir à des phrases qui font
Un ancien sportif paralysé référence au fait de passer des
profite ainsi davantage des vacances au ski ou de rédiger un
séances de kiné, parce qu’il a faire-part de fiançailles », sou-
l’habitude de faire souffrir son ligne la sociologue. Ce qui ne
corps pour progresser, mais renvoie pas à des événements de
aussi parce que le simple fait vie de tout le monde. En d’autres
d’écouter des consignes au mi- termes, pour que la rééducation
lieu d’un gymnase lui est fami- soit plus efficace, elle devrait
lier. De même, la rééducation faire référence à la vie et à l’his-
intellectuelle favorise les an- toire particulière du malade. Et
BURGER/PHANIE

veau. Sa rencontre avec quantité ciens bons élèves. si c’était ça, aussi, la médecine
de malades lui a permis de for- Les tests qui servent à exer- personnalisée ? •
muler et de tester son hypothèse. cer le cerveau des patients se Marion Rousset
9 février 2018 / n°5 — 0

Paléontologie
3
Un festin de
dents humaines
C’est un drôle d’article que co-
signe Bruno Maureille dans la
revue Paléo. Il décrit la transfor-
mation de deux dents d’homme
de Neandertal après leur pas-
sage dans… le système digestif
de hyènes des cavernes, ces
prédateurs qui les côtoyaient
il y a soixante mille ans. « Ces
dents peuvent être confondues
avec des dents de bovidés, à
cause des modifications dues
aux sucs digestifs », affirme le
chercheur. Sa publication va
permettre à ses collègues de
réexaminer leurs collections
de quenottes préhistoriques,
car certaines ont pu être at-
tribuées à tort à des animaux.
Bruno Maureille a fait sa trou-
vaille en Charente : « Il s’agit
d’une caverne qui était ouverte
par le toit et comportait un
étage. C’est là que les proies
mais aussi des hommes étaient
dépecés. » Dans cet atelier
d’équarrissage, les Néanderta-
liens prenaient ce qui les inté-
ressait sur les cadavres, avant
UMR5199 PACEA CNRS – ISTOCK
de partir dans une autre ca-
verne. Les dents des carcasses
abandonnées ont donc été
mangées puis évacuées par
des charognards. Charmant. •
O.M.
0 — 9 février 2018 / n°5
L’acanthaster pourpre, une étoile de mer dévoreuse de coraux.
Biologie
3
La Grande Barrière de
corail en eaux troubles
Le plus grand récif corallien
du monde est affecté par le
réchauffement climatique.
En témoigne l’évolution
de la population des tortues
vertes de la côte nord-est
de l’Australie.
n monde sans mâles. C’est
U le destin qui attend les
tortues de la côte nord-est
de l’Australie. C’est simple, 99,1 %
des jeunes tortues vertes sont
des femelles. Ce taux tombe à
68 % dans une autre colonie plus
au sud, selon une étude publiée
dans la revue Current Biology.
Le réchauffement climatique,
et particulièrement celui du
sable des plages, est le coupable
désigné. Le sexe d’une tortue
ne dépend pas de ses chromo-
somes, comme chez l’humain.
Il dépend de la température
du sable dans lequel l’œuf est
pondu et passe les deux mois de
son développement.
Ce résultat est une preuve sup-
plémentaire de la dégradation de
la faune et la flore de la Grande
s) 87
Barrière de corail, au large des
côtes australiennes. Après le
blanchissement d’une partie des
coraux ou encore l’invasion par
l’acanthaster pourpre, une étoile
de mer dévoreuse de coraux.
Le plastique est également
un terrible ennemi pour le co-
rail. Selon une étude parue dans
Science, la probabilité qu’un
corail soit malade passe de 4 %
à 89 % en présence de plastique.
Les chercheurs estiment que
11,1 milliards d’objets en plas-
tique sont présents dans les co-
raux de la zone Asie-Pacifique.
En 2015, le gouvernement aus-
tralien s’est engagé à dépenser
1,3 milliard d’euros d’ici à 2050
pour sauver la Grande Barrière.
Quelque 39 millions d’euros ont
été débloqués pour lutter contre
l’acanthaster. Son développe-
ment serait notamment dû au
ruissellement des eaux agri-
coles. Pour les tortues, le salut
pourrait venir d’un arrosage des
plages ou de l’augmentation des
zones ombragées.
Olivier Monod
88 r) À rebours

CARL COURT/GETTY IMAGES/AFP

55554
55554
4
55554
55554
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55554
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55554
2018 55554
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2008
22222235 22222235
55555595 55555595

Le fil de 55554
55554
55554
Les JO d’hiver, qui se déroulent
à Pyeongchang, du 9 au 25 février,
55554
55554
55554
Cérémonies grandioses,
stades spectaculaires,
l’histoire 55554
55554
55554
55554
sont l’occasion d’un rapprochement
55554
55554
55554
55554
succès sportifs…
55554entre les deux Corées. 55554Pékin 2008 est une vitrine
55554
55554de la puissance chinoise.

9 février 2018 / n°5 — 0


Jeux olympiques,
joutes politiques
Dès leur origine, les JO modernes ont balancé entre l’idéal
d’une paix mondiale et la défense des intérêts nationaux.
Par Sylvain Venayre
a cérémonie d’ouverture
L des Jeux olympiques
d’hiver à Pyeongchang,
ce 9 février, n’est pas
qu’un événement sportif. Le dé-
filé commun des athlètes des
deux Corées, pays séparés depuis
1953 après trois ans de guerre,
symbolise un rapprochement
inattendu entre Nord et Sud.
Preuve que les JO restent le reflet
voire le théâtre d’événements
politiques, comme ils l’ont été
dès leur origine.
L’affaire commence en 1894, à
Paris, lorsque le jeune Pierre de
Coubertin organise le congrès
fondateur des Jeux olympiques
modernes dans les bâtiments
de l’université de la Sorbonne.
Son idée est simple : profiter de
la grande exposition universelle
prévue dans la capitale française
en 1900 pour promouvoir l’athlé-
tisme à l’échelle mondiale.
Depuis le milieu du 19e siècle,
les expositions internationales
sont un moyen de favoriser la
55554
55554
1980
22222235
55555595
55554
55554 États-Unis en tête, des pays
55554
55554 occidentaux boycottent
55554
55554 les Jeux de Moscou pour
55554
55554 protester contre l’invasion
55554
55554 soviétique en Afghanistan.
0 — 9 février 2018 / n°5
paix entre les nations – ce qu’on
appelle depuis quelques années
le « pacifisme ». Pour Couber-
tin, le sport doit permettre cela
tout autant que les nouveaux
moyens de communication,
les progrès scientifiques ou le
libre-échange : « Exportons des
rameurs, des coureurs, des escri-
meurs : voilà le libre-échange de
l’avenir, affirme-t-il, et le jour où
il sera introduit dans les mœurs
de la vieille Europe, la cause de la
paix aura reçu un nouvel et puis-
sant appui. » Les Jeux rénovés
doivent aider à réaliser l’union
heureuse de l’humanité. Ce n’est
pas un hasard si Coubertin est
l’un des premiers Français à uti-
liser ce nouveau mot appelé à un
bel avenir, « mondialisation ».
Mais au congrès de la Sor-
bonne, en 1894, les choses ne se
passent pas exactement comme
le prévoyait Coubertin. L’émis-
saire grec, le linguiste Demetrios
Bikelas, obtient que les pre-
miers JO modernes se déroulent
55554
55554
1913
22222235
55555595
55554
55554 Le Français Pierre de
55554
55554 Coubertin crée le symbole
55554
55554 olympique : cinq anneaux de
55554
55554 couleur sur fond blanc.
r) 89
à Athènes, dès 1896. Bikelas
compte sur le « philhellénisme »
des congressistes, leur admira-
tion devant le combat mené par
la Grèce pour se libérer de l’Em-
pire ottoman.
Une terrible contradiction
Depuis le début du 19e siècle,
ce pays est un symbole puissant.
Pour la gauche, il incarne la li-
berté, victime du despotisme
politique. Pour la droite, le chris-
tianisme, victime de l’islam.
Partisan de la « Grande Idée »
de réunir tous les Grecs en un
seul état (« Megali Idea »), le roi
Georges Ier veut faire des Jeux
un instrument politique. Il les
organise au moment de la fête
nationale grecque et de la Pâque
orthodoxe. Lors de son discours
d’adieu aux athlètes, le roi ré-
clame même que les compéti-
tions olympiques se tiennent
désormais de manière perma-
nente en Grèce. Les Jeux sont
ainsi pris d’emblée dans
55554
55554
1900
22222235
55555595
55554
55554 Paris organise pour
55554
55554 la première fois les
55554
55554 Jeux olympiques.
90 r) À rebours Les Jeux olympiques
Les JO sont-ils sortis du Le moment fort de la compéti-
tion est d’ailleurs le triomphe
malentendu qui les faisait admirer d’un paysan grec dans le mara-

d’abord par les nationalistes ? thon. Cette victoire déclenche

une terrible contradiction.
D’un côté, une vision libérale hé-
ritée de l’universalisme des Lu-
mières, au 18e siècle, actualisée
par le libre-échange et le nouvel
imaginaire de la mondialisation.
De l’autre, une instrumentalisa-
tion par le nationalisme triom-
phant, au tournant des 19e et
20e siècles.
Le football ? Trop anglais !
Quand Coubertin écarte les
sports trop spécifiquement bri-
tanniques (football, golf) ou
américains (baseball, basket,
volley), lorsqu’il impose le sys-
tème métrique aux JO, c’est bien
dans une perspective universa-
liste même si, en bon Français, il
juge que la France est la nation
la plus universaliste du monde.
Mais le défilé des athlètes de
1896 montre bien que cette mon-
dialisation est très relative : sur
245 concurrents, 170 sont grecs.
À lire
Jeux olympiques.
Un siècle de passions, par
Patrick Clastres (Ed. Musée
national du sport, 2008).
un enthousiasme, loin des rêves
universalistes de Coubertin, qui
fait le bonheur d’un journaliste
français enchanté par le spec-
tacle de ces foules nationalistes :
Charles Maurras.
La défaite de la Grèce contre
l’Empire ottoman, en 1897, per-
met à Coubertin de reprendre le
contrôle du Comité international
olympique et d’imposer sa vision
de l’athlétisme. Selon ses vœux,
l’olympisme devient alors véri-
tablement international à Paris
d’abord, en 1900, puis à Saint-
Louis, aux États-Unis, en 1904.
International, soit. Mais mon-
dial ? Les JO d’aujourd’hui sont-
ils sortis du malentendu qui les
faisait admirer d’abord par le na-
tionaliste Charles Maurras ? En
1913, Coubertin crée le symbole
olympique : cinq anneaux entre-
lacés sur fond blanc, de couleurs
différentes (bleu, jaune, noir, vert
et rouge) mais de dimensions
égales. On y voit généralement
les cinq continents, égaux et soli-
daires. Mais Coubertin précisait
que les cinq couleurs associées
au fond blanc représentaient
aussi les drapeaux de tous les
états présents aux Jeux. L’olym-
pisme avait peut-être la forme du
monde, mais ses couleurs de-
meuraient celles des nations.

Sylvain Venayre est professeur

d’histoire contemporaine à l’université
54 Grenoble-Alpes.
55554
55554
55554
55554
55554
55554
55554
55554
1896 55554
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1894
22222235 22222235
55555595 55555595
INTERFOTO/LA COLLECTION

55554 55554
55554 Le premier Comité international 55554 Pierre de Coubertin préside
55554 55554
55554 olympique (avec Coubertin, assis 55554 à Paris le congrès qui relance
55554 55554
55554 à gauche, et Bikelas au centre) se 55554 les Jeux olympiques.
55554
55554 réunit à Athènes, qui accueille les
55554
54 premiers JO de l’ère moderne.

9 février 2018 / n°5 — 0

 Chronique c) 91

Les passions amoureuses, un rendez-vous de quelques semaines avec

Tobie Nathan, psychologue et écrivain

Ma sœur, mon épouse

C ’est une toute jeune femme, à la

fois insolente et pudique, fouineuse et discrète.
D’immenses yeux d’or illuminent son visage de
lune. Elle est belle ! Elle a 20 ans, épouse d’un
jeune homme incarcéré et déjà maman.
Unique enfant d’immigrés espagnols, d’un père
courageux maçon un tantinet alcoolique et d’une
mère gardienne d’immeuble et femme de mé-
nage. Ses parents se sont ren-
contrés en France alors qu’ils Plus question de départ en Orient,
étaient adolescents. Coup de
foudre les emportant dans ni de burqa, ni de respect de la
une passion totale. L’histoire
s’est mal terminée. Sept ans
charia. Reste cette passion intacte
plus tard, sa mère avait pris un amant, son père a
voulu la tuer puis tenté de se suicider. Elle se sou-
vient de la scène. Elle avait 5 ans. Le corps bascu-
lant du balcon, rattrapé en dernière limite par un
oncle qui passait là. Les cris, les pleurs, le chaos
du monde lorsque les policiers ont verrouillé les
menottes aux poignets de son père, accusé de vio-
lences sur sa femme.
Je regarde son gamin aux yeux si clairs, âgé de
18 mois à peine. Il rappelle étrangement l’enfant
espiègle de la Madone de Michel-Ange dans sa
crypte d’une église de Bruges. Lorsqu’un tout-
petit, lors d’une réunion avec des étrangers, s’ac-
tive ainsi calmement, sans crier, sans pleurer, sans
se précipiter dans les bras d’un parent, c’est qu’un
événement terrible s’est passé. Celui-là, pensai-je,
LÉA TAILLEFERT-ROLLAND
« Il doit faire ses dents », avait pensé sa mère. Et
ils l’avaient pris dans leur lit. Vers les 6 heures, il
ne faisait pas encore jour, il avait recommencé à
pleurer. La maman l’avait serré contre elle et c’est
à ce moment, très précisément, que le bélier a
défoncé la porte.
Les hommes en noir, casqués, masqués, armés,
ont surgi dans leur petit studio de 20 mètres car-
rés, ont arraché le père à ses draps, l’ont jeté face
contre le plancher, menotté. Et tout cela en hur-
lant, en claquant les portes, arrachant les tiroirs,
vidant sur le sol le contenu des placards, du frigo,
démontant la vasque des toilettes, les carrés du
faux plafond… Et lui, le petit, les yeux exorbités,
n’avait même plus la force de pleurer.
Eux, ses parents, s’étaient connus sur un forum
parlant de religion. Lui, Breton de Mayenne,
était passionné comme elle par les mondes
cachés, les histoires de dieux, de diables et de
démons. Ils se sont convertis ensemble à un islam
intégriste, ont rejoint un groupe de jeunes qui
avaient décidé de s’installer en terre d’islam et
s’étaient donné rendez-vous à Raqqa, en Syrie.
L’irruption des commandos du GIGN les a bruta-

a dû assister à un cataclysme ! lement ramenés sur terre. Plus question de départ

C’était un an plus tôt, l’enfant ne devait pas
avoir six mois. Ses parents s’étaient couchés tard,
comme tous les soirs. Mais sitôt qu’ils avaient
éteint la lumière, lui s’était mis à pleurer.
0 — 9 février 2018 / n°5
en Orient, ni de burqa, ni de respect pointilleux
de la charia. Reste cette passion intacte qui la ra-
mène quatre fois par semaine au parloir pour lui
déclarer son amour, encore.
92 P) Paroles
Ces pages Paroles
sont à vous.
Elles accueillent
vos témoignages,
vos récits, vos
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7
“ Je suis trop
4
4
4 triste, je n’arrive
pas à chanter ”
4
4
4En Haute-Savoie, Lison
4Rawas est bénévole dans une
association. Elle côtoie de
4jeunes migrants qui arrivent
d’Italie en grande détresse,
4etunsetitrebatdepour leur obtenir
séjour.
4 ier, sur Facebook, je tombe
4 H sur la vidéo d’un guide de
moyenne montagne qui
raconte le sauvetage d’un jeune
4 Guinéen. Il était perdu, pieds nus
dans la neige, dans un couloir
4 d’avalanche des Hautes-Alpes.
Heureusement pour lui, il avait le
4 numéro de téléphone d’un guide
(on ne sait pas trop comment il
4 l’avait eu), qui lui a envoyé un hé-
licoptère de secours. Il a été sauvé
4 mais reste traumatisé.
4En essayant de les aider
4et de leur donner espoir,
4nous sommes à la limite
de l’illégalité
4 ont vu mourir
Lors de sa visite à l’hôpital, le
4 guide explique qu’il lui a menti
en lui disant que tout irait bien
4 maintenant, qu’il serait pris en
charge, qu’on lui donnerait à
4 manger, qu’il serait au chaud.
En effet. Il a 22 ans et ne rentre
4 dans aucun cadre prévu par les
1
pouvoirs publics. Je suis béné-
vole dans une association et j’ac-
compagne des jeunes majeurs
étrangers dans leurs démarches
administratives (pour l’obtention
d’un titre de séjour entre autres),
et je sais aussi que c’est faux. À
sa sortie de l’hôpital, il va se re-
trouver dehors s’il n’est pas pris
en charge par des bénévoles de
la société civile. En tant qu’an-
cienne directrice de plusieurs Pôle
emploi locaux, j’ai souhaité faire
bénéficier ces jeunes de mon ré-
seau et de mes connaissances des
rouages de l’administration. Cela
fait plusieurs mois que je m’oc-
cupe de ce dossier, et franche-
ment, je commence à m’épuiser.
Je pense aux jeunes que j’ac-
compagne, ils sont tous dans des
situations très
compliquées.
Des histoires de
vie difficiles :
des secourus en
Méditerranée,
des jeunes qui
leur famille. Et en France, les dif-
férentes administrations se ren-
voient la balle. J’essaye de les
aider et de leur donner espoir.
Les autres membres de l’associa-
tion aussi. Nous sommes à la li-
mite de l’illégalité…
Ce soir, j’ai un concert dans un
9 février 2018 / n°5 — 0

centre de vacances. Il débutera
par deux chansons sur l’exil et
l’intégration : Je rêve d’ailleurs,
de Lady Sir, et Les bâtisseurs de
France, de Toma. Je chante et je
joue de l’alto, une sorte de violon.
En général, je dédie la deuxième
aux étrangers venus nous aider à
construire notre beau pays : à tous
ceux que je croisais dans le métro
à 5 heures du matin, ceux qui tra-
vaillent sur les chantiers. C’était
une autre époque, quand j’habi-
tais Paris. Maintenant, je vis à Sal-
lanches, au pied du mont Blanc,
et j’essaye de sensibiliser le public
de nos concerts à la cause
des étrangers en France. Sans
le dire, je dédicace ces chansons
à mon père, qui a fui la guerre
au Liban et qui m’a permis de
naître ici, dans le pays de la li-
berté, de l’égalité et la fraternité.
Je prends mon alto pour
m’échauffer et là je me rends
compte que je suis trop triste, je
n’arrive pas à chanter. Je peux
jouer de mon instrument, mais
c’est dur. Nous avons été embau-
chés pour donner de la joie au pu-
blic. Je ferai donc un effort pour
masquer ma peine, je dédierai
mentalement ces deux chansons
au jeune Guinéen.
Le soir venu, je joue et je chante
en regardant, dehors, les congères
de neige, d’un mètre de hauteur.
Je retiens mes larmes en pensant
aux corps que les promeneurs
vont retrouver en montagne cet
été… Le personnel du centre de
vacances passe une excellente
soirée, nous aussi ! Je repars heu-
reuse que tout se soit bien passé,
mais avec ma tristesse enfouie.•
Par Lison Rawas, texte issu
de La Source
0 — 9 février 2018 / n°5
9
6
76
4“6Ne me parlez plus
4de 6
super Lune ! ”
4Gérard
6Coutedes préside
l’Association
4astronomes
6 Pour amateurs
d’Auvergne. lui,
4les6événements lunaires
4dont les médias ont
tant parlé récemment
6 d’autres, une deuxième dans
4sont6insignifiants.
’ai beaucoup entendu
J
46
46
parler de la « super Lune
bleue de sang » du 31 jan-
vier. Ça m’agace ! Si cette ex-
pression décrit la simultanéité
46
de trois événements, les deux
premiers (super Lune et Lune
46
bleue) sont anecdotiques, et le
dernier (Lune de sang) n’était
46
pas visible de France. Pourquoi
donc en parler autant ?
46 L’expression « super Lune »,
pour commencer, a été in-
46
ventée en 1979 par un… astro-
logue ! Elle décrit une pleine
46
Lune quand notre satellite
est au plus près de la Terre.
46
La distance entre la Terre et
la Lune varie de 355 000 km à
46
410 000 km. Ce qui fait, pour
nous observateurs, une varia-
46
tion du diamètre de la Lune de
13 % maximum. À peine vi-
46
sible à l’œil nu ! La luminosité,
elle, peut évoluer jusqu’à 30 %,
46
mais pas de quoi s’extasier…
La Lune « bleue », ensuite.
46
Ce terme n’a rien à voir avec la
16
3
P) 93
9
6
6
couleur. On ne sait pas d’où il 6
vient. La Lune bleue décrit une
succession de pleines Lunes 6
dans une période donnée.
pleine Lune d’une saison. Pour
6
Pour certains, c’est la troisième
6
un même mois.
Enfin une Lune « rouge 6
sang » est une éclipse de Lune.
Quand la Terre se trouve entre 6
le Soleil et la Lune, celle-ci ap-
paraît rouge cuivré. La Lune 6
n’émettant pas de lumière, elle
reflète celle du Soleil. En cas 6
d’éclipse, les rayons du Soleil
n’arrivent pas directement 6
sur la Lune, ils sont déviés par
l’atmosphère terrestre (prin- 6
cipalement les rayons autres
que les rouges). La Lune prend 6
alors cette teinte de sang. En
janvier, le phénomène était vi- 6
sible aux États-Unis. Le 27 juil-
let, il le sera en Europe. 6
Je trouve dommage que l’on
ne parle de notre satellite qu’à6
travers ces phénomènes insi-
gnifiants. Avec un matériel as- 6
sez accessible, on peut voir sa
surface et apprendre des élé- 6
ments sur sa formation et son
évolution au gré des bombar- 6
dements météoritiques et des
éruptions volcaniques.• 6
Témoignage issu de La Source,
recueilli par Olivier Monod 6
3
94 P) Paroles
7
4
“ Les gourous se font
plus discrets, mais pas
4
4
4
4 moins toxiques ”
4On ne s’attend pas à être
4manipulé par une personne
dont le métier est de
4nous aider à aller mieux.
C’est ce qui est arrivé à
4Camille, 43 ans : il a vécu
pendant dix ans sous
4l’emprise de son psychiatre,
qui est devenu son gourou
4et l’a arnaqué.e dirige une entreprise
4
4
4
J que j’ai fondée en
2004, pour être plus
indépendant. Je suis
plutôt introverti, j’ai peu d’amis,
et je voulais transmettre à mes
enfants plus de vie que je
4 n’en montre habituellement.
4 Avec ma solide formation scien-
tifique, j’aime bien maîtriser
4 les événements de manière
rationnelle. Pour résoudre un
problème, on va chercher
4 une aide officielle. J’ai donc
4 ouvert l’annuaire, décroché
mon téléphone et pris ren-
dez-vous avec le premier psy-
4 chiatre qui m’a répondu :
le Dr D. C’est le point de départ
4 d’une période de dix ans qui va
marquer durablement ma vie.
4 Dès les premières séances
de psychanalyse, je vois bien
4 que ce n’est pas vraiment la
tasse de thé du Dr D. Pour des
séances de vingt minutes,
c’est cher (60 euros) surtout
quand on en enchaîne deux (on
falsifie les feuilles de soins,
car c’est interdit par la Sécurité
sociale). Mais comme c’est
remboursé, ce n’est pas très
grave. Le Dr D. est psychiatre,
inscrit à l’Ordre des méde-
cins, il faut bien que je lui fasse
confiance, tout de même !
Très vite, je suis invité à parti-
ciper à des séances de groupe
qu’il anime. On est une dizaine
assis par terre, les plus témé-
raires étalent leur vie privée.
De son côté, le Dr D. délivre ses
Le Dr D. est psychiatre,
inscrit à l’Ordre des
médecins, il faut bien
que je lui fasse confiance,
tout de même !
sentences. Il est capable en
quelques minutes de cerner
quelqu’un. Ces séances hebdo-
madaires vont être complétées
par des stages résidentiels
d’une semaine, pendant lesquels
nous passons à une autre
dimension : la thérapie analy-
tique et corporelle. Je découvre
là que le Dr D. est entouré de
plusieurs cercles plus ou moins
rapprochés. Le premier est
constitué de psychiatres hospi-
taliers et de psychologues
qu’il n’hésite pas non plus à hu-
milier en public. L’humiliation,
une de ses armes préférées.
En pointant en public mes fai-
blesses, réelles ou supposées,
il s’assure ma loyauté : puisqu’il
connaît ces faiblesses, je peux
m’en remettre à lui pour les
combler et lui laisser diriger
ma vie à ma place. Cette emprise
est largement amplifiée par
l’effet du
groupe.
Ces stages
mettent aussi
en évidence sa
dimension de
gourou. Il est
vénéré, on lui
offre des ca-
deaux. À table,
il est servi en premier. A poste-
riori, je me demande comment
je ne me suis pas posé de ques-
tions. Deux mots l’expliquent : la
supériorité et la peur. Le Dr D.
est tellement supérieur à nous
tous (y compris ses collègues)
9 février 2018 / n°5 — 0

que nous lui devons le plus
grand respect. J’ai essayé
une fois de partir en milieu
de séminaire. Il a alors utilisé
une autre de ses armes, le
chantage : « Si vous partez,
j’arrête toutes les activités
avec vous. »
Le bilan est impossible
à établir, à part le coût
financier, de l’ordre
de 100 000 euros
Je me joins bientôt au « groupe
entreprise » du bon Dr D.,
l’élite de ses groupes, sans
doute du fait de son tarif. Très
intéressé par le monde de
l’entreprise, et surtout par ses
aspects financiers, il a créé
très tôt un groupe d’entrepre-
neurs, de cadres supérieurs,
de professions libérales, pour
travailler sur leurs probléma-
tiques. Mais si les vrais coachs
peuvent arriver à de très bons
résultats en amenant la per-
sonne à trouver elle-même la
bonne réponse, la méthode
du Dr D. est tout autre. Lui est
fort, et nous sommes minables.
Il préfère donc nous donner la
solution. Si certains dans ce
groupe arrivent à progresser,
d’autres essuient des échecs
retentissants. Et ce malgré des
séances individuelles, bien
rémunérées, pour les aider.
En commercial habile, il
nous fait signer notre engage-
ment pour l’année suivante,
avec chèque de caution à
0 — 9 février 2018 / n°5
l’appui. Avec le recul, ce qui
frappe le plus, c’est le manque
de professionnalisme. La
comptabilité est catastrophique,
les conventions de formation
comportent des erreurs, les pro-
grammes de formation sont fac-
tices, mais permettent aux
participants
de se faire
financer par
leurs entre-
prises. Le Dr D.
n’hésite
d’ailleurs pas
à inciter à la
fraude puisque, selon lui, « c’est
le sport national ». Voilà un autre
aspect du gourou : il est au-des-
sus des lois. J’ai appris plus tard
qu’il avait eu des déboires avec
le fisc, l’Ordre des médecins, la
justice, l’Académie… À plusieurs
reprises nous avons eu la
consigne de ne plus échanger
par voie électronique, car il avait
peur que ses conversations ne
soient écoutées.
C’est grâce à un des aspects
positifs du travail avec le
Dr D. que je m’en suis sorti.
Il m’a poussé à suivre une
formation en management.
Finalement, cela m’a sauvé.
Une spécialiste des relations
au travail nous a enseigné
à détecter les cas de harcèlement
et d’emprise. Malgré le choc
de cette révélation, elle a mis
un an et demi à me faire lâcher
prise. Jusqu’au dernier moment
je pensais me tromper, et il
a fallu que je consulte des asso-
ciations locales d’aide aux
victimes ainsi que la Miviludes
P) 95
9
[Mission interministérielle 6
de vigilance et de lutte contre
6
les dérives sectaires] pour qu’ils
me confirment avoir depuis
longtemps un lourd dossier sur 6
cette personne. Et que je pouvais
m’estimer heureux de m’en tirer 6
à si bon compte.
6
Le bilan est impossible à éta-
blir, à part le coût financier, de
6
l’ordre de 100 000 euros. Au ni-
veau humain, je rattrape le
temps perdu, je suis beaucoup 6
plus disponible pour mes filles.
Avec ma femme (qui a aussi été 6
sous le joug du Dr D.), les rela-
tions sont bien meilleures de- 6
puis que personne ne nous fait
culpabiliser sur nos petits dé- 6
fauts. Mon entreprise, qui pro-
gressait lentement, voit une 6
évolution significative de son
activité, et j’arrive enfin à me6
projeter sur le long terme.
Aux dires des associations 6
d’aide aux victimes, les
néosectes du type de celles 6
du Dr D. sont de plus en plus
fréquentes. Les gourous se 6
font plus discrets, ce qui les
rend plus difficiles à détecter,6
mais pas moins toxiques.
La responsabilité de l’aide aux 6
victimes incombe donc à
l’entourage. La victime elle- 6
même, si elle lit ce texte, par
exemple, ne se sentira absolu- 6
ment pas concernée. Cela
renforcera sans doute même 6
sa dépendance car elle se
dira qu’elle a beaucoup 6
de chance d’être tombée sur
quelqu’un d’honnête.• 6
Par Camille, texte issu de
La Source (lire aussi page 50) 6
3
96 P) Paroles
7 9
4“ J’étais à “ça” de devenir
4la trentenaire dynamique ”
4 6
4Alice Emorine a refusé
4qu’à 30 ans sa vie soit
plus ou moins réglée.
4Elle a décidé de faire
“autrement”, de prendre
4son temps et d’étudier
pour avoir un travail qui
4lui plaît vraiment.
a grand-mère a 88 ans,
4
4
M mon grand-père de la
famille opposée, 92.
J’ai 28 ans. Si tout va bien et
que je mise sur 80 ans, il m’en
4 À l’heure de l’embauche,
reste donc 52 à vivre. Mais
4 si vous voyez au café
qu’est-ce que vais faire de tout
ce temps ? J’ai bien intégré à
quelqu’un qui invente, qui
l’adolescence qu’il fallait choi-
4 observe, qui écoute, c’est
sir une carrière professionnelle,
vite, passer le bac, vite, aller
4 probablement un “autre”
à l’université, vite, travailler,
vite. « Parce qu’après il sera trop
4 tard. » Après quoi ? Personne n’a
jamais été clair là-dessus. C’est
4 comme si on signait un accord
sur ce principe : à 30 ans, ta vie
4 doit être une affaire plus ou
moins réglée. Mais dans deux
4 ans, j’ai 30 ans et c’est la cata !
Je viens de comprendre
4 que j’avais le temps. Pourtant,
j’étais à « ça » de devenir la tren-
4 tenaire dynamique. J’ai arrêté
mon travail rémunérateur pour
4 me balader davantage entre
1 3
6
6
les continents, j’ai découvert prises ou dans du matériel. De 6
d’autres façons de vivre. Je
n’ai pas d’enfant, et j’ai décidé
quoi s’occuper puisque 30 ans
c’est loin d’être la fin. 6
d’étudier pour avoir un travail
qui me plaît. Seulement, j’ai
À l’heure de l’embauche, si
vous voyez au café quelqu’un 6
l’impression qu’aux yeux du
monde je suis finie. Depuis, je
qui dessine, qui réfléchit, qui
gratte sur un cahier, qui in- 6
me sens « autre », vous savez,
cette case à cocher sur les docu-
vente, qui observe, qui écoute,
c’est probablement un « autre », 6
ments : marié, divorcé, céliba- car nous, on a décidé de faire
taire… autre. Salarié, étudiant,
en recherche d’emploi… autre.
Locataire, propriétaire… autre.
autrement. Il y a ceux qui réus-
siront plusieurs fois, ceux qui
pensent avoir réussi et qui
6
6
chercheront
à s’épanouir 6
davantage,
ceux qui 6
tenteront
une nou-
velle aven-
6
ture, ceux
qui à 50 ans
6
Nous sommes toute une n’auront pas la Rolex mais le 6
bande comme ça. Nous temps, la satisfaction d’avoir
sommes « autres ». Nous errons vécu. Ceux qui auront huit en- 6
dans les rues en cherchant une fants, ceux qui n’en veulent
chance de recommencer notre pas, ceux qui aiment leur tra- 6
vie sans se presser, parce qu’on vail, ceux qui l’utilisent pour
l’a choisie, parce qu’enfin nous payer leur passion, ceux qui 6
avons trouvé ce qu’on voulait auront « réussi » à percevoir que
en faire. Nous payons nos for- la vie est longue. Et ceux qui ne 6
mations avec nos économies, seront « rien » que des robots,
nous investissons sans aides maussades et dépressifs.• 6
dans nos propres sociétés, dans Par Alice Emorine, texte issu
des tentatives d’autoentre- de La Source 6
9 février 2018 / n°5 — 0

7 9
4 “ Tout est très codifié
dans les quartiers ”
4 6
4 6
4 6
4Dans son boulot, il ne
maîtrise pas tout,
4etFaure
il adore ça. Emmanuel
est éducateur de
rue. Il raconte son quotidien
4avec des jeunes en
4difficulté de Dreux, dans
un coin assez costaud.
4 e bosse dans les quartiers
4 J depuis vingt-quatre ans
et suis éducateur de rue
depuis quinze ans. À Trappes
4 d’abord, dans les Yvelines,
puis aujourd’hui à Dreux, dans
4 l’Eure-et-Loir.
J’ai toujours été dans le so-
4 cial ou l’éducatif. Ça m’a chopé
à 14 ans. Je suis tombé sur les
4 livres de Guy Gilbert, le prêtre
qui éduquait des jeunes dans
4 des quartiers. Après ça, mon
souhait était d’intervenir dans
4 ces coins-là, avec les jeunes
en difficulté, en voie de margi-
4 nalisation. Dreux, c’est assez
costaud : le coin est une plaque
4 tournante du trafic de drogues.
Mon boulot est financé à 80 %
4 par le département et le reste
par la ville, sauf que, depuis
4 2013, les budgets ont baissé. À
Dreux, on est quatre pour un
4 peu plus de 10 000 habitants.
L’idée, c’est de bourlinguer
4 dans les quartiers, pour se faire
connaître des jeunes et des
4 habitants et établir le contact
avec eux. Le matin, je me lève,
4 et je ne sais pas trop à quelle
1 3
0 — 9 février 2018 / n°5
heure je vais finir. Je marche…
10 ou 15 km par jour ! On a des
véhicules de service mais, par
choix personnel, je préfère être
à pied, c’est plus simple.
Tout est très codifié dans les
quartiers. Les échanges ne se
font pas comme ça. On fonc-
tionne par signe : un clin d’œil,
un geste de la main, et je com-
On fonctionne par signe,
un clin d’œil, un geste de
la main, et je comprends
qu’il faut qu’on se voie,
qu’il y a un besoin
prends qu’il faut qu’on se voie.
Qu’il y a un besoin. Sinon, ça
peut être une demande qui
vient des missions locales, de
l’école, de l’assistante sociale,
d’une asso de quartier…
Les repères spatio-temporels
sont différents. Par exemple,
j’avais le cas d’un jeune qui se
levait assez fréquemment vers
17 heures. Et moi, lors de nos
entretiens, bah j’essayais de
lui donner des rendez-vous de
plus en plus tôt. On est arri-
vés à se voir à 14 heures, puis à
11 heures… Aujourd’hui, l’idéal
serait qu’on arrive à se voir
vers 8 heures. Pour pouvoir se
rapprocher au maximum du
rythme du monde du travail.
Le travail, c’est un manque
P) 97
6
et une des demandes les plus
fortes parmi les jeunes avec 6
qui je bosse. Sauf que, comme
ils trafiquent la nuit, ils sont 6
en décalage permanent. Il y a
donc un gros boulot à faire sur 6
le rythme.
Je suis parfois confronté à 6
des comportements violents
mais je n’ai jamais eu peur. Je 6
me souviens
d’un jeune, on 6
rentrait du tri-
6
bunal, il n’avait
pas obtenu ce
qu’il voulait.
Sur le retour,
6
6
sur l’autoroute,
à 110 km/h, il
a tiré le frein à main. J’ai tenté6
de lui parler. Il a enlevé les clés
du contact. Je l’ai plaqué et on 6
s’est arrêté. Une fois dehors, il
a saccagé le véhicule. On en a 6
reparlé plus tard, quand la ten-
sion était retombée. 6
Voilà. Dans ce boulot, on ne
maîtrise pas tout. Ça rebondit 6
en permanence, mais quand ça
arrive, il faut savoir faire face,6
pour rassurer le jeune et ras-
surer les habitants. Et en fait, 6
j’adore cette part d’incertitude
dans mon métier. J’aime arri- 6
ver seul dans un quartier, dé-
couvrir, observer, écouter. C’est 6
presque une démarche ethno-
logique finalement.• 6
Témoignage issu de La Source,
recueilli par Alice Babin 6
98 p) Ma page
Cette page est la vôtre. Presque blanche afin que vos notes, vos trouvailles,
vos émotions et vos gribouillages y impriment la tonalité de la semaine.

Mes notes

Mes trouvailles

Mes émotions

Mes gribouillages

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9 février 2018 / n°5 — 0
 La BD d’Emmanuel Guibert G) 99

0 — 9 février 2018 / n°5

 À la reconquête
d’une friche urbaine Page 24

Congo Brazza, un pays ruiné Page 36

Du rififi
dans le miel
Page 58

Des JO pour
rapprocher
M 05933 - 5 - F : 3,50 €
les Corées
Pages 10 et 88
BELGIQUE 4,20 € - LUXEMBOURG 4,20 € - SUISSE 6,30 CHF