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ATTITUDE mentale dans le Budo

L’Etat d’esprit d’un pratiquant de sabre ou d’un autre art à but spirituel ou philosophique.

Ceci n’est pas un article, ici on passera d’une idée à l’autre au gré des questions. Seules seront à retenir les
lois que l’on peut découvrir par sa propre expérience ou par la lecture des enseignements de nos maîtres
de zen et d’escrime (ou de yoga).

Pour commencer j’aimerais tout de suite signaler que dans le Budo, le bouddhisme zen est mis en pratique
d’une manière différente selon chaque individu, mais on peut toutefois faire deux catégories distinctes :

1 – Il y a d’un côté le moine consacré qui se sert du zazen (méditation assise) comme moyen d’atteindre
l’état d’éveil parfait. Pour cela il respecte les très nombreuses règles de la communauté, les lois
universelles qui sont la base de son existence et du monde dans lequel il se trouve, et il apprend les
techniques méditatives (ou mécanismes de la conscience) qui vont lui permettre de sortir du cycle de vie et
de mort. C’est une approche globale qui est le minimum requis pour atteindre la conscience nirvanique.

2 – Il y a de l’autre côté les pratiquants de Budo qui utilisent le zazen sans pour autant entrer dans les
pratiques bouddhiques des trois joyaux que sont le Bouddha (le but), la Sangha (le groupe communautaire)
et le Dharma (le comportement éthique). La plupart des escrimeurs (pour ne parler que de cette branche
du Budo) se contentent d’une pratique de zazen et dans ce sens on ne peut parler de religion, puisque l’on
reste dans la maîtrise du principe mental qui n’a absolument rien de spirituel tant que ce mental ne
devient pas le reflet de la Buddhi. Le Zen, a dit un maître, n’est pas fait pour l’homme immature
spirituellement.

Le sixième patriarche, Houeï-Nêng, était un simple paysan sans instruction mais une vive intuition
transcendantale lui permit de passer outre les connaissances intellectuelles si appréciées des religieux.
C’est grâce à elle qu’il redécouvrit en lui-même, et par sa propre expérience, la vérité du zen qui est la
connaissance du Soi ou, comme le disent d’autres moines, la nature du Bouddha, toutes des définitions
d’une même vérité. Je dis cela car l’attitude mentale imposée au moine est bien différente de celle
imposée à un laïc ou à un budoka vivant la vie normale d’un européen moderne.

Pour le moine, qui est consacré à la bouddhéité, il est impératif de respecter les nombreuses règles
spécifiques imposées par cette méthode qui ne devrait en aucun cas être amalgamée à d’autres. Il est par
exemple déconseillé de s’instruire d’autres matières que par le bouddhisme car toute la méthode consiste
à réduire l’intérêt pour le monde des sens considéré comme une illusion porteuse des germes qui
empêchent notre émancipation. Pour ce qui est de l’action, le moine peut être occupé à la cuisine ou au
jardin, être seul ou avec d’autres, ce qui compte pour lui et retient toute son attention et sa concentration,
n’est pas une action mais la contemplation dans l’action. Je n’ai pas dit contemplation de l’action car celle-
ci est de l’ordre du monde. Il contemple sa propre nature de Bouddha en laissant le monde se dérouler
sans son intervention. Que contemple donc le moine zen assis devant un jardin de pierres dans un temple
fameux de Kyoto ? Certainement pas l’arrangement harmonieux des pierres, les nouveaux tracés faits par
le jardinier, ou la beauté du jardin au cours des différentes saisons, non ! Il ne contemple que sa propre
nature et laisse le mental s’apaiser devant cette merveilleuse et apaisante vision. Sa propre nature n’est
rien d’autre que son identité réelle qui est de la nature du Soi ou du Bouddha. Il s’efforce de Lui (le Soi)
laisser la liberté de se manifester dans toute sa gloire lorsque le fruit sera juste assez mûr pour cela. A
l’instar du ciel, qui est toujours bleu et ensoleillé, des nuages la voilent de temps à autre. Le rôle du moine
zen ou du budoka est donc limité à déblayer ou à purifier le ciel des nuages qui empêchent le soleil
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d’apporter lumière et chaleur. En revanche, on aura compris qu’il n’est pas de son pouvoir d’agir
directement sur le ciel et le soleil. Pour nous le soleil est le Soi, le mental est le ciel et les nuages nos
pensées. Cette métaphore est parfaite pour expliquer ce qui est de notre rôle ou volonté, et ce qui ressort
d’une vérité plus transcendante.

Les premières instructions du maître vis-à-vis de son élève ou disciple, (bien différentes de la relation
élève/professeur) vont consister à lui montrer qu’il n‘est pas ce qu’il croit être pour que se révèle ce qu’il
est réellement : non pas cette forme à laquelle la conscience s’est identifiée le court instant d’une
existence, mais sa nature fondamentale qui est divine. Même si une individualité persiste lorsqu’il est
incarné, son sens limité doit finir par disparaître pour être remplacé par une conscience universelle et
infinie, celle du Soi (l’âtma ou le purusha des hindous). Toute la finesse du maître instructeur va consister à
faire émerger dans la conscience de l’élève le principe d’intuition pour que l’élève, de lui-même, découvre
la vérité en soi et par soi-même.
Voici un exemple de cette sorte de finesse. Si le maître demande au disciple de ne plus réfléchir, celui-ci va
tout de suite réfléchir pour comprendre le sens de la phrase, et comment ne plus réfléchir. Si le maître lui
conseille de s’harmoniser avec le tao, celui-ci va s’y efforcer et de ce fait même, s’en éloigner puisque le
tao est une pure abstraction de la pensée ! Si le maître questionne, c’est pour solliciter l’intuition,
certainement pas le mental. Un jour Po-Chang posa sa cruche devant deux de ses disciples et leur dit :
« Sans l’appeler une cruche, dites-moi ce que c’est ? » Le premier disciple, n’ayant pas encore compris
l’utilité de mettre le mental au point mort, lui répondit : « on ne pourrait dire que c’est un morceau de
bois. » Po-Chang trouva la réponse sans intérêt et s’adressa à l’autre disciple. En réponse, celui-ci s’avança,
renversa la cruche et s’éloigna. » Il avait intuitivement senti le piège et montra l’inutilité et la non-
existence de cet objet illusoire que seul un mental actif pouvait nommer. Po-Chang, dit-on, le nomma
immédiatement son successeur. Un sensei devrait avoir lui-même réalisé en partie cette capacité à susciter
l’intuition de ses élèves et leur apprendre la nécessité impérative de se servir de leur intuition (pendant les
assauts) plutôt que de leur bourrer le crâne avec des notions intellectuelles.

Pour que la conscience du pratiquant de sabre soit aussi pure qu’un miroir au point d’être une avec les
pensées de son partenaire, il faut qu’il cesse de prendre l’illusion pour le réel. Et l’illusion est ici synonyme
de diversité. Le fleuve que l’on observe n’est pas un fleuve, la fleur que nous admirons n’est pas une fleur,
l’homme qui est en face de nous n’est pas un homme ! Une montagne n’est pas une montagne, a dit un
maître, mais un simple tas de pierres. De plus, toutes ces formes se transforment de minute en minute,
elles sont éphémères, elles ont un début et finissent par disparaître pour redevenir poussières, atomes,
énergie… En revanche, ce que le moine contemple est quelque chose d’unique et d’immuable, quelque
chose qui donne vie à toutes les formes. C’est cela que le moine et le guerrier recherchent, pour des
objectifs différents.
Voici un exemple de cette loi. Allez voir un potier un jour, il vous montrera des tas de belles formes en
terre, cuites et peintes. Il y a des bouddhas, des pots à eau, des vases, des assiettes, etc. Certains objets
vous repoussent, d’autres vous laissent indifférents, quelques-uns attirent votre attention plus que
d’autres et vous désirez les posséder. Bref, vous êtes perdu dans la diversité et le mental commence à
échafauder des plans pour obtenir le ou les objets désirés. Mais si vous regardez bien ces multiples choses,
vous verrez que ces formes sont illusoires, elles seront un jour détruites car elles ne sont toutes que des
formes différentes d’un même et unique élément de base : l’argile ! De la même façon, derrière toutes les
formes constituant notre monde et l’univers, il existe un principe divin unique sans forme (pour ce qui est
l’aspect conscience) qui lorsqu’Il doit se manifester de par la loi de périodicité naturelle et éternelle,
devient le monde avec forme (pour ce qui est de l’aspect énergie) sans cesser un seul instant d’Etre.
Appelez cet Etre, Dieu, Brahman, Adi Bouddha, Principe Suprême, Soi, etc., cela importe peu, mais c’est
bien Lui l’Unique principe de base de tout ce qui est et existe. C’est cela que cherche à contempler le
moine zen et l’escrimeur. Ce Soi n’est pas un vide ou une absence, mais une pure abstraction absolue. Par
commodité linguistique et philosophique, on a prétendu que ce Soi était en nous. En vérité il est partout
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mais seule notre conscience individuelle peut le saisir puisqu’il est notre identité vraie qui est un fragment
de Divinité et qui, au-delà du mental, se manifeste par le sens du « Je », pure expression de notre être réel.
Il ne s’agit pas de ce je ou moi identifié au corps et qui se croit untel ou une telle et affirme je suis cette
personne et cette personne c’est moi. Le seul élément de vérité dans cette affirmation est le « Je », du
moins lorsqu’il n’est plus identifié à une forme ou à une sensation quelconque à l’exception de la
perception d’être Soi. Ce sujet est développé dans le livre de l’auteur intitulé : Le Kyudô, Art de l’éveil, Ed.
Chariot d’Or, pp. 25 à 42.

Celui qui est familier des yogas hindous saura de quoi nous parlons lorsque nous évoquons la nature de ce
« Je », car celui qui veut en faire l’expérience le peut, il lui suffit de se centrer en lui-même, non en tant
que personne, mais uniquement en tant que conscience d’être soi, ici et maintenant. Celui qui fait ce
travail sérieusement, doit se fermer hermétiquement à toutes autres sortes de perceptions et suspendre
toutes pensées autres que le « Je ». Dans cet état, on transcende les trois états classiques du mental : l’état
de veille, de rêve et de sommeil sans rêves. Tel est le grand secret recherché par tous les experts de Budo,
les moines et tous les mystiques en recherche de vérité depuis l’aube de l’humanité. Par conséquent, et
pour rester dans la tradition zen, le seul moyen de connaître la vraie nature de Bouddha est, comme le
préconise le maître zen, « de ne point tenter de la saisir ou de la définir ». Le fruit mûr se détache de sa
branche sans volonté ni mouvement. Il tombe parce qu’il est mûr, tout simplement. Comme cela a été dit,
nous ne pouvons pas faire tomber le fruit, mais en revanche nous pouvons participer à son mûrissement et
c’est là toute la démarche technique du bouddhisme avec ses règles, ses lois et ses pratiques.

Comme nous le verrons plus loin à propos de la vertu essentielle du détachement, se centrer totalement
sur le Soi en tant que « Je », est difficile voire impossible pour l’homme encore imprégné de trishna, la soif
d’exister (dans le monde) et d’en jouir. Le plus souvent, l’homme oublie vite ses souffrances mais en
revanche il se souvient des plaisirs que lui procurent les cinq sens. C’est pourquoi, avant la concentration
et la méditation, le grand maître du yoga royal, le rishi Patanjali, conseillait la pratique de prathyahara,
c’est-à-dire le retrait des sens vers le dedans car, plutôt que de chercher à jouir des objets du monde qui
nous entoure et nous attire au dehors, mieux vaut se nourrir des vertus de l’âme. Sans cette pratique
préparatoire, le futur méditant risque des migraines et des frustrations car son intérêt pour le monde
l’empêchera toujours de s’intérioriser et donc d’apprécier et d’approfondir sa méditation.

Selon le tao, le monde est en perpétuel mouvement, fait d’actions yin et d’actions yang, nous faisant
passer de manière constante et répétitive par la vie et la mort, la joie et la souffrance, la lumière et les
ténèbres. Il n’existe pas d’éternel printemps et l’hiver vient toujours mettre fin à nos espoirs et à nos
ambitions. Mais nous savons aussi que la perfection est infinie, et que donc la mort sera toujours suivie
d’une renaissance. C’est par delà ce mouvement de construction/destruction que se trouve le Soi (qu’il soit
cosmique ou individuel). Ce Soi éternellement présent, qui ne bouge ni se transforme et dans lequel se
dissout l’univers une fois son dessein réalisé, devrait être le seul objet où porter notre intérêt et notre
concentration. L’homme a donc le choix : soit il est intelligent (le mental imprégné de prâjna) et cherche le
Soi divin au dedans de lui (même si le Soi est partout) ; soit il ne l’est pas et reste dans le monde matériel
de la dualité, subissant, au gré de son karma, l’alternance des satisfactions, plaisirs, et des souffrances.

De toute façon, le disciple (quelle que soit sa discipline) sait qu’il est arrivé nu et pauvre et qu’il mourra
nu ! Impossible d’emporter quoi que ce soit de matériel car rien, absolument rien n’est sa propriété,
puisque par définition, le propriétaire n’est qu’un ego illusoire s’imaginant être une personne alors qu’il est
une conscience universelle. C’est avec un tel état d’esprit qu’il est possible de se libérer et de se détacher
du monde sans pour autant déroger à ses obligations. Si vous parvenez à vous familiariser avec le Soi en
tant que « Je », vous resterez l’observateur serein et équanime d’un monde dans lequel vous pourrez jouer
votre rôle sans en subir les illusions et les conséquences : souffrance et misère. Vous serez comme les
disciples de Jésus, vivant dans le monde (pour le soutenir) mais hors du monde (perpétuellement
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changeant) car votre conscience ne sera plus un ego limité et attaché mais une âme libérée, une âme
omniscience et omniprésente. L’essentiel étant tracé, voyons ce qu’il en est des règles à suivre lorsque l’on
appartient à une école traditionnelle.

Un des conseils, qui me fut donné sur tous les tons, est celui de supprimer les causes de la peur car la peur
devient la cause de souffrances nouvelles, plus grandes et souvent imaginaires. Les gens qui ont de la peur
en eux veulent toujours s’agripper à quelque chose, ils sont attachés au monde comme un coquillage à son
rocher, comme une personne qui se noie et s’agrippe à son sauveur. Ces pratiquants craignent aussi le zen
car dans le zen on se doit d’être détaché de tout ce qui se rapporte au monde et cela afin de se laisser
saisir par l’Inconnaissable qu’il n’est pas possible de connaître avant que ce mystère ne se soit révélé en
tant que Soi.

Beaucoup pensent qu’ils doivent être lucides et présents en tant que « je suis moi » afin de ne pas se
perdre ! Etrange attitude en réalité de celui qui, étant le Tout absolu, a peur de se perdre ! On s’accroche à
des connaissances, à des amis, à son maître, à sa famille, à ses croyances, à son argent pour préserver son
identité d’être humain possédant nom et forme le temps très court d’une existence. En vérité la cause de
toutes peurs réside dans cette identification à notre forme humaine, à notre ego humain, sachant pourtant
combien il est fragile et éphémère. La bonne attitude consiste à comprendre (par l’étude éventuellement)
qu’il n’y a vraiment rien à craindre et que nous n’avons besoin de rien pour entrer de plain pied dans le
cycle de réintégration vers notre vraie nature qui est de l’ordre de l’unité et du tout. Une fois que l’on sait
d’où l’on vient et où l’on va, il ne reste plus qu’à se concentrer sur la plus importante de toutes les
questions qui soient : qui suis-je ?

Pour cela la méthode d’investigation ne concerne ni le passé ni le futur, cette fois il n’est plus question
d’apprendre, d’ajouter une connaissance supplémentaire, mais au contraire de cesser d’accumuler. On
peut agir, et c’est même indispensable, mais détaché de cette action comme le noyau de la prune bien
mûre est détaché de sa pulpe. Il n’y plus rien à prendre mais plutôt à se soumettre au Soi lorsque nous
serons assez vides de nous-mêmes pour que ce Soi puisse nous saisir, comme aimait le dire l’un de mes
amis épris de bouddhisme zen.
L’attitude d’être le noyau de la prune indépendant de sa pulpe rejoint celle de Dogen qui nous dit que
« pour voler, l’oiseau n’a pas besoin de savoir ce qu’est le ciel ou quelles sont ses limites ». C’est dans cet
état d’esprit qu’il faudrait toujours entreprendre la pratique de la méditation zazen, jusqu’à la disparition
de za et la contemplation en zen qui est le vide absolu de tout ce qui n’est pas l’Esprit du Bouddha.
Là se trouve notre véritable assise et là est la seule vérité à réaliser.

Pour ceux qui ont une attirance plus grande vers les yogas hindous, voici une parfaite définition de
l’esclavage, l’opposé de la libération. Elle nous vient du rishi Vyâsa, l’un des plus grands maîtres spirituels
de l’Inde antique. Voici ses divines paroles : « L’esclavage n’est rien d’autre que la situation de l’intelligence
(buddhi) lorsque le but ultime du Soi n’a pas encore été atteint, et la délivrance n’est rien d’autre que l‘état
où cette fin a été remplie. »

Je reconnais qu’il faut commencer par le commencement et ne pas brûler les étapes, par conséquent, j’en
suis conscient, le débutant commence forcément par utiliser son corps physique, au moins pour que cet
instrument d’expérimentation (il n’est rien d’autre) ne soit pas un handicap dans le processus d’éveil de la
conscience de l’âme (buddhi).1 Le premier travail consiste donc à apprendre à s’asseoir correctement. Ce

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Buddhi : la faculté de connaissance et d’intelligence éclairée. C’est le principe universel dont une partie se trouve dans
l’homme en tant que 6° principe, reflet immédiat de l’Esprit ou Soi divin. Cette buddhi ou âme spirituelle est le principe par
lequel l’Esprit manifeste sa divine splendeur, du moins lorsqu’elle imprègne le mental rationnel, lui conférant alors la
discrimination entre le réel et l’irréel, l’intuition et l’Amour pur. Dans son aspect « conscience », buddhi est la lumière de la
transcendance ; dans son aspect « énergie », elle est cette puissance purifiante et régénératrice connue des yogi indiens sous le
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point parait aisé mais il n’en ait pas ainsi. Une fois assis il faut s’immobiliser et calmer le corps. Le
pratiquant doit sans effort pouvoir se maintenir des heures durant immobile et droit (et pas forcément en
lotus) ! Cette première maîtrise du corps nous permet d’en savoir un peu plus sur nous-mêmes car certains
y parviennent en quelques jours et d’autres en plusieurs années d’effort. Certains sont patients, d’autres
s’énervent et ces réactions nous montrent clairement les limites de notre mental. Au niveau de nos acquis
(bons et mauvais) nous sommes tous différents les uns des autres. Cette constatation doit toujours
imprégner l’esprit du sensei afin qu’il puisse donner à chacun le conseil qui lui convient.

Une fois fermement stabilisé, comme est stable Fudô Myô-ô sur la montagne du Mérou, l’axe de rotation
de toute sphère (l’épine dorsale pour le méditant), il convient de s’attaquer au mental qui est chez la
plupart des hommes non engagés dans une discipline quelconque, c’est-à-dire sans contrôle de soi-même,
un véritable feu d’artifice ! La première action va donc être de réduire ce feu d’artifice à n’être plus qu’un
minuscule point de lumière. Je parle souvent en termes de lumière car elle suggère la beauté, la joie, le
retour à la vie, la connaissance sur l’obscurantisme, le bien sur le mal qui souvent se sert de l’obscurité
pour se manifester. Et puis, la lumière est un attribut de l’âme au point où le satori est souvent décrit
comme une sorte d’illumination.

Vous êtes donc maintenant confortablement assis et vous allez chercher un point sur lequel vous
concentrer. Jusqu’à ce jour, le sensei vous a préparé en vous conseillant d’être parfaitement concentré sur
chaque action de la vie quotidienne, en mangeant, en travaillant, etc. Désormais le monde extérieur doit
être momentanément oublié, abandonné de la même façon que le monde disparaît lorsque vous faites
l’expérience du sommeil sans rêve. Voilà la juste attitude. Elle ne projette rien, n’attend rien ! L’attitude
idéale est finalement de ne point en avoir et d’être, tout simplement : ici et maintenant, suivant la
fameuse formule !

Il n’existe aucune action, depuis celle de la mère au foyer, en passant par celle du savant, du business man
ou du mystique, qui n’ait besoin d’être concentrée pour réussir. Ce n’est pas là quelque chose de spirituel
puisque la concentration ne touche au début que le mental et par voie de conséquence, le cerveau.
Cependant sans la maîtrise de la concentration, l’accès à la méditation est impossible, celle-ci étant une
concentration soutenue plus de dix minutes. Je ne parle pas de la contemplation qui elle impose la maîtrise
de la méditation !
Nous n’en sommes pas là et nous devons chercher dans le monde des idées celle qui va nous inspirer le
plus, celle qui suggère la beauté, la grandeur, la pureté. Le savant se concentrera sur l’objet de sa
recherche, le pratiquant zen sur un koan, sur le souffle ou sur le Soi.

Réduire le monde à un seul point c’est un peu comme retourner à l’origine du big bang où, selon les
astrophysiciens, l’Univers était contenu dans une boule d’énergie originelle. Bien que cette théorie soit
contestable selon l’interprétation que l’on fait des textes antiques que nous ont légués les sages, l’idée est
la même et ce point de tension absolu est de suprême importance car soit cette boule d’énergie
s’intériorise et disparaît laissant l’Espace vide, soit au contraire elle s’extériorise vers le dehors et permet
l’apparition d’un univers. Le méditant est dans cette position, soit il approfondit sa concentration et
pénètre derrière le voile vers la réalité mystérieuse de Dieu, soit il en sort et retrouve son monde extérieur
avec tout ce qui lui est cher : lui-même, sa pensée, ses amis et ses plaisirs, ses ambitions et projets, sa
famille, sa maison, son argent, sa nation, etc. Par conséquent cette concentration sur un point, lorsqu’elle
est soutenues est « sagesse » car le point ne retient plus l’ego qui finit par se dissoudre dans le Soi et nous
permet de vivre prajnâ la suprême sagesse transcendantale. Lorsque la concentration est parfaite, la

nom de Kundalini. Celui qui manifeste pleinement la buddhi ou Sagesse est appelé un buddha (francisé en Bouddha), et le
système qui enseigne cette sagesse est le bouddhisme. Buddha ou buddhi dérive de la racine sanskrite budh : sagesse, éveil ou
connaissance de Soi. Cette même racine a donné le mot bodhi (jap. Bodaï) ou sambodhi (jap. Bodaïshin), c’est-à-dire le mental
lorsqu’il est libéré de l’ignorance. Lorsqu’un rayon de bodhi touche le mental, celui-ci s’illumine (satori) ou meurt (moksha).
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sagesse est acquise, d’où les paroles du sixième patriarche zen Houeï-Nêng : « La concentration est la
quintessence de la sagesse, tandis que la sagesse est la manifestation de la concentration ». L’une et l’autre
sont, disait ce maître zen, comparable à une lampe et sa lumière, ou selon un maître hindou, à l’océan et à
ses vagues. Les deux forment une parfaite unité lorsque concentration et sagesse sont activées. La
concentration vient d’abord, tout comme la lampe, puis apparaît la sagesse ou la lumière, mais on ne peut
dire que l’un vient avant l’autre car la sagesse et la lumière étaient déjà présentes avant que
n’apparaissent la concentration et la lampe.

Comment peut être utilisée pratiquement cette concentration ? Voilà une bonne question car trop de
pratiquants s’imaginent que la concentration s’acquière en restant tranquillement assis en zazen, en ne
permettant à aucune idée de surgir du mental. Cette attitude n’est pas fausse mais ne représente que le
tout premier pas de la pratique, c’est le stade où s’arrêtent ceux qui ne sont pas pourvus de vision
intérieure et qui, selon les paroles de Houeï-Nêng, « ont une intelligence limitée. ». La concentration dont il
s’agit dans le zen actif qui, soulignons-le, convient spécialement à un expert de Budo, consiste à maintenir
la concentration sur la vérité de trois grandes lois, et cela quelle que soit notre condition, assis ou couché,
actif ou inactif. Bien entendu cette forme de concentration est plus aisée pour le moine que pour un
homme de notre époque, mais c’est à chacun de s’adapter et d’utiliser intelligemment les connaissances
qu’enseignent les maîtres. Pour éviter toute erreur d’interprétation, je préfère citer entièrement les
paroles du sixième patriarche qui nous donne clairement les trois points de concentration essentiels pour
atteindre Prajnâ.

« Erudit auditoire, il est de tradition, dans notre Ecole, de prendre le « non-phénomènes » (wou-siang) pour essence,
le non-arrêt (wou-tchou) pour base, le non-attachement (wou-nien) pour principe fondamental.

1 - « Le « non-phénomènes » signifie : Ne pas se laisser absorber par les objets extérieurs et l’absence d’imagination
signifie : ne pas se laisser entraîner par quelques idées particulières dans l’exercice de nos facultés mentales.

2 – Le « non-arrêt », c’est considérer comme « vide » ce qui est bon ou mauvais, beau ou laid et même si,
occasionnellement, des querelles ou des disputes surgissent, nous devons traiter nos intimes et nos ennemis de la
même manière et ne jamais songer à nous venger ; à aucun moment la pensée ne doit s’arrêter en ces domaines. Si
vous permettez à vos pensées du passé, du présent et du futur de s’arrêter et de s’enchaîner en série, alors cela
signifie que notre pensée est liée et suspendue. Par contre si, à tout moment et envers toutes choses nous laissons
notre pensée en « non-arrêt », alors il n’y a plus de liaison (enchaînement), plus de suspension. C’est pour cette
raison que nous prenons le « non-arrêt » pour base.

3 – Erudit auditoire, la pensée qui ne se souille en aucun domaine, c’est là le « non-attachement » (wou-nien). L’être
même qui pense, doit toujours être détaché de tous domaines afin que sa pensée ne soit pas une source de
production (causes-effets) en aucun domaine. Mais ne penser à rien, puis abolir toute pensée, arrêter le cours de la
pensée, c’est la mort et, immédiatement après, nous serions tout de même réincarnés ailleurs. Voilà la grande
erreur. Arriver à être sans pensée serait donc inutile puisque cela ne nous libérerait pas des renaissances.
Erudit auditoire, laissez moi vous expliquer davantage pourquoi nous prenons le « non-attachement » pour principe
fondamental. Il existe un type d’homme illusionné, ratiocinant sur la nature propre et les pensées produites en tout
domaine. Là, naît l’idée surgie de vues erronées qui sont les sources de toutes sortes de notions fausses et de
souillures. Dans la nature propre (qui est quiddité toute pure) il n’y a, intrinsèquement, rien à atteindre. Dire que
dans cette nature on doit « atteindre » et parler inconsidérément de mérites ou de démérites, sont là des vues
erronées et des souillures. C’est pour cette raison que, dans notre Ecole, le « non-attachement » est notre principe
fondamental. »2

Je comprends parfaitement que ce texte demanderait à être développé et interprété en profondeur mais
je préfère laisser ce soin à ceux qui ont choisi le zen bien avant la pratique des Budo comme moyen de

2
Discours et sermons de Houeï-Nêng, pp. 85-86, Edition Albin Michel, 1963.
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parvenir au nirvâna, et me concentrer sur le non-attachement qui est la base de l’esprit et de la pratique
d’une école traditionnelle (comme le Kyudo, l’Aïkido ou le Iaido-ken-jutsu). C’est en effet l’attitude la plus
utile mais peut-être la plus difficile à appliquer au quotidien. Notre vie n’est pas celle d’un moine vivant en
contemplation dans un monastère, et de multiples agressions extérieures viennent constamment
perturber notre émotionnel et notre mental, lorsque ce n’est pas notre physique. Je n’ai pas dit « nous »
perturber, car ce que nous sommes vraiment n’est pas l’homme physique mais la conscience du Soi, et ce
Soi n’est pas affecté par les expériences du dehors. S’il y a une chose avec laquelle nous sommes tous
d’accord, c’est que nos cinq sens nous apportent quelques satisfactions (que nous recherchons
frénétiquement à renouveler), et surtout beaucoup de souffrances de nature physique, affective et
mentale. Cela persistera tant que notre conscience se croyant ce corps réagira à tout ce qui affecte ce
même corps. Lorsque je dis corps, je pense évidemment à l’ensemble de la personnalité humaine et
mortelle triplement constituée. Etre détaché signifie que la conscience de l’âme a mûrie et que nous
sentons au plus profond de nous que le corps n’est qu’un support éphémère à une conscience qui s’éveille
et nous apporte à chaque instant une « compréhension » toujours plus vastes et plus inclusive de ce que
nous sommes et du dessein de cette incarnation. C’est parce que cette conscience de l’âme (bodhi ou
prajnâ) s’éveille que nous commençons à changer de polarité : une légère répulsion apparait par rapport
au monde, et une subtile attraction nous amène vers ce qui na pas de nom ou d’existence, mais que nous
nommons paix intérieure, amour, béatitude. C’est une intuition encore très abstraite qui lentement nous
fait apprécier d’autres valeurs et d’autres intérêts que ceux qui attirent la plus grande partie de notre
humanité et que nous appelons argent, confort, bien-être personnel, gloire, distraction, etc. Celui qui se
détache du monde apprécie plus intensément les vertus de l’âme que sont la gentillesse, le courage,
l’honnêteté, le sens de la fraternité, la compassion, l’abnégation, la charité, la modestie, etc. Tant que
cette distinction entre l’homme et son âme n’est pas établie, la conscience vit dans les limites étroites du
corps et souffre avec lui.

Dans la pratique du ken-jutsu, il n’est pas rare de recevoir un coup de sabre sur les doigts, la réaction
« détachée » est de faire en sorte que la douleur reste douleur là où elle se trouve, sans la faire remonter
jusqu’au mental puis à l’émotionnel, entrainant les réactions bien connues de l’irritation, de la colère, des
cris et des grimaces. Celui qui a cultivé l’esprit de détachement ou de renoncement et a donc atteint un
certain état d’indifférence (sanskrit : vairâgya) ne s’attachera pas à cette douleur mais restera équanime et
continuera (si le coup n’est pas grave) ce qu’il était en train de faire. De cette manière la conscience est
active autre part et la douleur est beaucoup moins vive. Recevoir un mauvais coup ne devrait pas non-plus
engendrer une sensation de répulsion (on rejette tout ce qui n’est pas agréable). Le coup est enregistré et
la douleur canalisée sans plus. On enregistre le fait qui sera ensuite analysé pour savoir d’où vient l’erreur.
S’il s’agit de notre partenaire on lui fera respectueusement comprendre la nature du problème, si l’erreur
est de nous, on fera en sorte de ne plus la renouveler.

Sur le plan purement émotionnel, notre équanimité ou esprit de détachement est également sollicité mais
beaucoup moins que dans les sports de compétition. Tous les ans, on peut observer les compétiteurs de
judo pendant les championnats. En 2017, j’ai particulièrement apprécié la victoire par équipe des Japonais.
Pour moi cependant, la victoire n’était pas liée à la technique et aux estimations des arbitres, mais
uniquement à l’attitude de non-attachement et d’équanimité des compétiteurs. Ceux qui liront ces lignes,
et qui comme moi ont suivi cette compétitions, aurons observé combien les Japonais étaient calmes et
modestes après la victoire. Pas de cris d’enthousiasme ou de déception, pas de poings levés, pas
d’attitudes victorieuses. Le combat est gagné, on rejoint son équipe et on se tait en observant les autres
combats de manière sereine et sans passions débordantes. Nos compatriotes (à part quelques exceptions)
ont manifesté l’inverse, largement excités par des entraineurs fanatiques et vulgaires. Des exemples à ne
jamais suivre si l’on recherche le non-attachement. Et cet esprit d’équanimité n’étant pas présent, on
assista à des défaites pleines de souffrances, de déceptions, de larmes et de frustrations. Voilà exactement
ce qu’il faut éviter dans la vie de tous les jours et en Budo tout particulièrement.
8

Mon instructeur de zen, maître Sano Jushoku, disait souvent que dans le non-attachement « tout ce qui
vient du dehors doit glisser sur vous sans jamais s’arrêter ou pénétrer ». Si une personne vous injurie,
laissez passer l’injure dont les effets reviendront à son propriétaire. Ne vous sentez pas concerné. Si vous
étiez sourd, vous resteriez serein devant l’injure, et bien soyez donc sourd à la critique ou aux injures, et
faites cela pour les autres sens.
La non-pensée, comme le prônent les maîtres de bouddhisme zen, n’est pas de tuer son mental, ce qui
équivaudrait à mourir ou à devenir fou ! Non, la non-pensée est la conscience (Prajnâ) libérée des pensées
inférieures comme celles de l’attachement, de la peur ou du désir. Bien que nous soyons obligés d’utiliser
les pensées, il faut les observer sans illusion, pour ce qu’elles sont, et ne jamais s’identifier à celles qui
émanent du monde matériel. On peut les utiliser mais ne jamais s’y attacher. N’oublions pas que les
pensées émanent de l’ego et le renforcent. Sans pensée, l’ego disparaît ! A nouveau l’aspirant et le
débutant posent la question : mais si nous ne pensons pas qui va diriger la machine humaine ? La réponse
est toujours la même, le mental qui est la cause des pensées n’est pas une mauvaise chose lorsque c’est
l’âme qui l’utilise, en revanche, ce qui engendre la souffrance et l’emprisonnement dans ce monde jusqu’à
la mort, est l’utilisation des pensées par l’ego ou personnalité inférieure.
Voici quelques exemples de la différence entre l’ego et le Soi : L’ego prend, l’âme donne, l’ego accuse,
l’âme pardonne, l’ego peut haïr, l’âme jamais, l’ego vit dans le monde des effets, l’âme dans celui des
causes ! De tels exemples se comptent par milliers. Par conséquent, c’est la conscience inspirée par l’âme
qui doit conduire la personnalité, non pas la personnalité limitée à ses cinq sens et à son mental
rationaliste et matérialiste.

Etre détaché du monde ne signifie absolument pas que l’on s’en désintéresse, mais que notre bonheur ne
dépend plus du monde et de ce qu’il nous offre, notre seul intérêt étant de pouvoir apporter de l’aide et
du bonheur envers nos frères qui en sont prisonniers. Etre détaché a quelquefois incité des mystiques à ne
plus agir dans le monde. Les sages s’opposent à cette interprétation. Il faut agir pour le bien ou son
opposé, mais il faut agir ! Seulement il y a une manière d’agir pour qu’une action puisse être exempte de
karma3 : il faut impérativement qu’elle soit faite avec un mental détaché du fruit de la dite action. Si un
docteur voit dans son patient un client, le résultat de la supposée bonne action qui aurait dû entrainer un
karma positif, sera nul. Si en plus le docteur en question ne voit dans cette action qu’un intérêt financier, il
court aussi le risque d’un karma négatif. Le thème est très long et a déjà été développé dans un ouvrage de
l’auteur, je voulais simplement relever ce détail important. Du reste, tous les maîtres qui ont atteint la
délivrance furent avant tout des instructeurs qui se sacrifièrent et se sacrifient sans cesse, en s’incarnant
dans notre pauvre humanité déboussolée afin de lui montrer la porte qui ouvre sur les sommets de la
réalisation. Si nous devons cultiver l’indifférence, c’est uniquement celle qui se rapporte à nous-mêmes et
surtout pas l’indifférence aux autres. Au contraire, nous devons être très attentifs à la misère du monde et
faire tout notre possible pour le soutenir, soulager son fardeau et surtout tout faire pour éclairer ceux qui
souhaitent l’être. Je finirai par quelques belles paroles du sixième patriarche :

« Quand notre esprit (le mental - NdA) ne s’attache plus ni au bien ni au mal, nous devons veiller à ce qu’il ne
demeure point dans le vide (ici synonyme d’absence - NdA) ou dans un état d’inertie. Arrivés à ce point, ce qu’il
convient de faire, c’est de continuer nos études et élargir notre savoir de façon à connaître notre propre nature, de
saisir à fond les principes du Bouddha, d’être bienveillants vis-à-vis des autres dans nos rapports avec eux, de nous
débarrasser de l’idée du « moi » et du « toi » et que là, jusqu’au moment où nous atteignons l’illumination (bodhi)
nous ayons déjà compris que la vraie nature, c’est-à-dire la quiddité toute pure, reste constamment immuable. Telle
est l’essence de la Connaissance obtenue, conséquence de la délivrance (moksha) qui a été atteinte. »4

3
« Les mérites ne peuvent être acquis que dans le Corps de la Loi (Dharmakaya) et n’ont rien à voir avec les pratiques
apportant la félicité. » (Bodhidharma).
4
Ibid. p. 94-95.
9

Une autre question revient souvent : l’illumination (satori) arrive-t-elle soudainement ou au contraire cette
expérience est-elle progressive ? N’étant pas un maître de zen, je laisse la parole à mon instructeur Sano
Jushoku qui répondit à cette question selon sa manière si particulière :

« Plutôt que d’illumination je parlerais plutôt de la cessation soudaine ou progressive de l’ignorance, mais dans les
deux cas c’est toujours d’ignorance qu’il s’agit. Ces deux conceptions n’existent que pour celui qui est dépourvu
d’intuition car celui qui a reçu la lumière sait qu’elle était présente depuis toujours et que toute autre spéculation
sur son apparition lente ou instantanée est superflue. »

Selon tout ce que j’ai entendu dire sur le sujet, je dirai que certaines personnes ont beaucoup travaillé
dans leurs vies antérieures et obtiennent rapidement la lumière dans cette vie, alors que d’autres doivent
faire de nombreux efforts pour obtenir des résultats qui ne donneront des fruits que dans un lointain futur.
D’autre part, la qualité du mental n’est pas identique pour tous, et la lumière du Soi pourra se révéler
lentement ou spontanément selon cette qualité. Cette manière de se manifester n’a aucune espèce
d’importance car de nombreux disciples n’ont pas de satori mais sont intérieurement illuminés, agissant
avec amour et sans égoïsme pour le monde. Ils ont de ce fait mis de côté les pratiques spirituelles et
n’auront peut-être pas d’expériences objectives ou subjectives, mais seront tout de même imprégnés de
conscience bouddhique. Et puis l’attitude zen est avant tout de ne rien attendre d’une pratique zen étant
donné que cela donnerait naissance à l’idée de « futur », nous détournant ainsi du présent immédiat.

En tant que bouddhiste du vajrayâna, j’aime utiliser le terme de prajnâ à la place de buddhi, ce qui revient
pratiquement au même. Prajnâ, il faut le rappeler, est l’aptitude à percevoir le mental universel. C‘est la
sagesse vraie qui résulte de la réalisation de Soi ; c’est l’intelligence intuitive et discriminative qui reflète
clairement la nature de l’Esprit (Dieu en chacun). J‘utilise aussi l’expression Soi, qui est la sublimation du
petit moi égocentrique, mais qui fondamentalement a toujours été le Soi mais manifesté par une personne
atteinte de cécité ou de déficience de la vision spirituelle. C’est un peu comme une personne qui cherche
désespérément ses lunettes alors qu’elle les a sur le nez. L’œil, c’est le Soi, les lunettes, l’ego.
L’effort pour préparer le mental à disparaître est énorme et peut durer plusieurs existences, mais une fois
que le Soi ou l’âme imprègne ce même mental, le changement de l’un (mental) pour l’autre (le Soi) se fait
en un battement de cil ! Rien ne bouge ou ne change, rien d’extraordinaire ne vient interrompre votre
quotidien, le monde reste le monde mais tout est différent désormais, ce qui était noir reste noir (mais
blanc intérieurement), ce qui était obscur reste obscur (mais lumineux à l’intérieur), le mental est remplacé
par prajnâ, la vision de la réalité s’impose : vous devenez cette réalité et l’illusion cesse ! Selon D. T.
Suzuki5 :

« Ce quelque chose d’un ordre tout différent est ce qu’on appelle le satori. C’est de l’intuition, mais c’est autre chose
que l’intuition ordinaire ; je l’appelle intuition prajnânique. On peut traduire prajnâ par Sagesse transcendantale,
mais cela ne rend pas toutes les nuances du sens, car prajnâ est une intuition qui saisit à la fois la totalité et
l’individualité des choses. C’est une intuition qui, sans médiation d’aucune sorte, voit que zéro est l’infini et que
l’infini est zéro, et cela ne constitue pas une indication symbolique ou mathématique, mais un fait d’expérience
résultant d’une perception directe.
« Psychologiquement parlant, le satori consiste en un outrepassement des limites de l’ego ; logiquement, c’est voir
la synthèse de l’affirmation et de la négation ; métaphysiquement, c’est savoir par intuition que le devenir est l’être
et que l’être est le devenir. »

5
D. T Suzuki écrit encore : « … prajnâ voit à l’intérieur de l’essence des choses telles qu’elles sont (yathâbhûtam), que la prajnâ a
la vue des choses telles qu’elles sont en leur vide de nature ; qu’une telle vue des choses a pour but d’atteindre la limite de la
réalité, c’est-à-dire de dépasser le royaume de l’entendement humain ; que par conséquent la prajnâ saisit l’insaisissable, atteint
l’inatteignable, comprend l’incompréhensible ; que lorsque la description intellectuelle de l’œuvre de la prajnâ est traduite en
termes psychologiques, elle ne semble attachée à rien, que ce soit une idée ou un sentiment. » (Essais sur le Bouddhisme Zen,
série III, p. 245, Albin-Michel.)
10

Dans la pratique du Budo, cette imprégnation de prajnâ se traduit par une attitude nouvelle au cours de la
pratique, tout particulièrement si le style de l’école est rapide comme par exemple, les kata dans le style
de l’école Tenshin Shôden Katori Shinto qui, dans son expression réelle est très rapide, seul l’entrainement
est lent et rythmé. Or, celui qui gagne de la vitesse gagne de l’intuition, mais perd de la précision. On ne
peut donc faire autrement que de laisser à l’intuition le soin de s’occuper de la précision. En un mot, il faut
remplacer le mental par prajnâ. La vitesse est un attribut du temps, tuez le temps qui est un concept du
mental, et vous parviendrez à transcender la vitesse. En d’autres termes, le Soi vous unira aux actions du
partenaire et anticipera ce qui doit être anticipé. C’est une harmonisation résultant de l’unité. Pour
atteindre cet état, il faut faire confiance au Soi, ce qui n’est pas aisé tant est profonde la peur d’échouer.
On fait confiance à ses capacités mais on doute de celle d’un Soi que l’on n’identifie pas encore clairement.
Il faudra bien pourtant qu’un jour vous lui laissiez la responsabilité de faire à votre place ce qui doit être
fait et pour ce faire il faut apprendre à rester un simple observateur de l’action. Il faut être ancré ferme
dans le Soi silencieux pendant que l’ego fait ce qu’il lui semble utile de faire. En un mot, il faut absolument
donner la priorité au Soi et cesser ses bavardages mentaux. C’est l’action dans l’inaction, autrement dit
l’action dénuée d’intentions objectives puisque la conscience est entièrement unie et dirigée par prajnâ.

Prajnâ n’a ni forme, ni couleur, pas plus que de caractéristiques particulières. Ce n’est qu’un mot pour
désigner l’intuition de sa propre nature qui est universelle et infinie. Nous avons bien compris que la non
intervention de la pensée, trop lente et trop lourde, est la condition sine qua non pour atteindre
l’harmonie avec le partenaire, ou avec les adversaires comme cela était de circonstance dans les siècles
passés. Si le mental arrête son discours, le kata devient l’univers, et l’homme disparait dans prajnâ.
Puisque j’utilise maintenant se terme de prajnâ en remplacement de dizaines d’autres termes de
signification similaire, permettez-moi de donner quelques explications sur ce mot très usité chez les
bouddhistes du Zen ou du Shingon, aussi bien que chez les adeptes du Shugendô.

Etre dans le Soi immuable pendant que le film du monde se déroule sur l’écran du mental non identifié et
perçu désormais comme pure illusion, est l’attitude recherchée par tout pratiquant de Budo. L’une des
meilleures descriptions de cette attitude zen, est donnée par le maître zen Takuan tel qu’il l’enseigna à ce
grand maître d’escrime qu’était Yagyû Tajima-no-kami :

« Ce qui importe le plus dans l’art de l’escrime est d’acquérir une certaine attitude mentale appelée « sagesse
immuable ». Cette sagesse s’acquiert intuitivement après un entrainement pratique prolongé. ‘Immuable’ ne signifie
pas rigide, lourd et sans vie comme un rocher ou un morceau de bois. Il signifie le plus haut degré de mobilité autour
d’un centre immuable. Le mental atteint alors le plus haut point d’alacrité, et peut diriger l’attention partout où il
faut – à gauche, à droite, dans toutes les directions requises. Lorsque l’attention est engagée et mobilisée par l’épée
dont vous frappe l’ennemi, vous perdez la première occasion d’accomplir par vous-même le geste suivant. Vous
hésitez, vous pensez, et pendant cette délibération votre ennemi s’apprête à vous abattre. Il s’agit de ne pas lui
fournir cette occasion. Il vous suffit de suivre le mouvement de l’épée qui se trouve aux mains de l’ennemi, en
gardant votre mental libre de faire son propre contre-mouvement sans que votre réflexion intervienne. Vous vous
déplacez lorsque votre adversaire se déplace, et cela aboutira à sa défaite. »6

Il est grandement conseillé à tous les budokas cherchant la maîtrise de leur art d’étudier ce traité de
Takuan qui donne de multiples bons conseils. Comme le maître s’adressait plus à un guerrier, il dut adapter
ses conseils qui, nous pouvons le présumer, auraient été quelque peu différents pour un moine en quête
de réalité. En effet plusieurs points sont à éclaircir. Sa description est tout à fait convenable lorsqu’il parle
de sagesse immuable, c’est-à-dire notre Soi devenu un centre omniscient dans lequel le mental n’est ni ici
ni là-bas, mais partout à la fois. Je ferai juste une remarque. Lorsque l’on possède cette état de perception
intuitive, on n’est plus dans le mental mais dans le Soi, et il est alors impossible d’avoir notre attention
(notre mental) accaparée par l’épée de l’adversaire. Takuan dit qu’il faut suivre l’épée de l’ennemi en

6
D. T. Suzuki, Essais sur le Bouddhisme Zen, IIIe série, p. 362.
11

gardant un mental libre. Cela est impossible sauf pour un maître qui a fait de son mental, son esclave. Si on
est capable de suivre l’épée de l’adversaire, c’est que le mental est présent et vivant, et dans ce cas, à
moins d’être un escrimeur hors du commun ayant atteint les sommets de son art, le mental risque de se
prendre au jeu et de prendre l’ascendant sur le Soi immuable. A la vérité, être dans le Soi implique la totale
soumission du mental devenu de ce fait incapable d’intervenir de son propre chef, et ce qui se déplace
lorsque l’adversaire se déplace n’est pas un acte du mental puisqu’il n’est plus présent ! Seul reste le Soi ou
conscience prajnâ (l’attitude mentale de non-ingérence selon Takuan) qui ne fait plus qu’un avec l’autre
devenu une partie de soi-même.

Certes, il ne s’agit que de mots, mais ces paroles doivent être bien comprises pour un tel sujet. Maintenant
il est clair que nous n’avons plus d’ennemis à combattre au quotidien, sauf peut-être le plus terrible
d‘entre eux, notre mental. Par conséquent le texte de Takuan reste valable en mettant « mental » à la
place d’«adversaire ».

Le Sûtra du Cœur (Hannya Shingyô)

Dans l’école Shingon du Maître Kukaï (Kôbô Daïshi) qui fut la forme de bouddhisme pratiquée par le
fondateur l’école Tenshin Shôden Katori Shintô, prajnâ, la conscience omnisciente, assume une place
fondamentale et a fait l’objet d’une étude particulière du fondateur, ainsi que d’un riche commentaire sur
l’un des plus importants sûtra dont le titre en sanskrit est :

« Buddha Bhasa Mahâ Prajnâ Parâmitâ Hridaya Sutram »

C’est un texte très court exposant la nature de la sagesse transcendantale prajnâ. Il existe plusieurs sûtras
de la Prajnâpâramitâ traduits par différents moines érudits, mais celui qui est utilisé par Kukaï est le sûtra
qui fut traduit par le maître Kumarajiva7. Bien des critiques ont voulu voir dans ce court sûtra un simple
résumé du Mahâ Prajnâ Pâramitâ Sûtra incontestablement plus volumineux puisque D. T. Suzuki écrit à
son sujet : « En chinois, les quatre cents premiers fascicules de cet ouvrage correspondent grosso modo à
la Shatasahasrika-prajnâ-pâramitâ sanskrite qui comporte 100.000 versets. » Ce serait là la raison de
l’introduction du mot « cœur » dans le titre ! Kukaï, cependant, refuse ce point de vue qui accréditerait la
thèse d’un sûtra résumé et il proclame donc : « Je dirai donc qu’un dragon a des écailles similaires à celles
d’un serpent. » Cette phrase de Kukaï a été commentée de manières bien différentes mais à mon humble
avis, peu conformes à l’idée qu’avait Kukaï en écrivant ces mots.

Nous nous souviendrons qu’il existe dans le bouddhisme deux manifestations de la même doctrine. Un
grand initié nous explique :

« Les deux écoles de la doctrine du Bouddha, l’Esotérique et l’Exotérique, sont appelées respectivement La Doctrine
du Cœur et la Doctrine de l’œil. Le Bodhidharma, la Religion Sagesse en Chine – d’où les noms parvinrent au Tibet –
appelle ces deux Ecoles : Tsung-men (Esotérique) et Kiau-men (Exotérique). La première est ainsi nommée car elle
est l’enseignement qui émane du cœur de Gautama Bouddha, tandis que la Doctrine de L’Œil fut l’œuvre de sa tête
ou de son cerveau. La Doctrine du Cœur est aussi désignée sous le nom de « sceau de la vérité » ou « véritable
sceau », symbole qui se trouve en tête de presque toutes les œuvres Esotériques. »8

On comprend donc mieux pourquoi Kukaï, qui ne l’oublions pas reçu à 32 ans le titre de huitième
patriarche de la doctrine ésotérique (mikkyô), donnait une importance prédominante à la doctrine du
cœur qui, pour lui était l’essence même de ce sûtra. Le fait d’utiliser les noms de dragon et de serpent

7
D’autres traductions de ce texte hautement sacré et ésotérique ont été faites par Hsüan-chuang (600-664), I-ching (635-713),
Fa-yueh ( ? -741) et Prajnâ, l’un des instructeurs de Kukaï lorsqu’il se trouvait à Ch’ang-an, en Chine.
8
H.P.Blavatsky : « La Voix du Silence », p. 27.
12

n’est pas une coïncidence car ce sont là deux des symboles de l’Adeptat le plus élevé (Pareil aux Nagas
aryas de l’Inde archaïque) et cela Kukaï ne l’ignorait évidemment pas. Bien que la forme puisse être
différente (sûtra long et sûtra court), le fond (ésotérique) reste fondamentalement inchangé. Le sûtra
court contient cinq parties :

1. La première partie est une introduction générale de la personne religieuse et du dharma. En voici les
premières lignes :

« Lorsque le Bouddha Avalokitesvara pratiquait la profonde sagesse transcendantale (prajnâpâramitâ) il


discernait clairement que les cinq constituants psycho-physiques étaient vides, et par conséquent il devint
libre de toute souffrance. »9

2. La seconde partie traite des cinq différents véhicules (écoles, NdA) que sont le Kegon, le Mâdhyamika, le
Yogâcârya, le Hinayana et le Tien-tai.
- Par Kegon on entend l’enseignement du samâdhi du Tathâgata qui soutient la doctrine de
l’interprétation.
- par Mâdhyamika, on entend l’enseignement du samâdhi du Tathâgata qui est libre de toute
spéculation sans fondements.
- par Yogâcarya, on entend l’enseignement du samâdhi du grand Bodhisattva Maitreya, dans le vide
duquel il n’existe aucune forme.10
- Par Hinayâna, on entend ce qui se rapporte à deux types de croyants :
1) Celui qui reconnaît les cinq constituants psycho-physiques seulement et pas le Soi permanent
(sravakas).
2) Celui qui est libre de la racine du karma (Pratyeka-Bouddha). En d’autres termes, ce sont les
enseignements du samâdhi des fidèles du Hînayâna.
-
- Par T’ien-tai, on entend l’enseignement du samâdhi du Bodhisattva Arya Avalokitesvara ; ce
Bodhisattva dont le nom ésotérique est « Tathâgata dont la nature propre est pure révèle à tous les
êtres sensibles que l’unique voie est non souillée, tout comme est pure la fleur de lotus dans la boue, et
qu’elle élimine les obstacles de leurs souffrances. »11

3 - La troisième partie du sûtra traite des bienfaits que le disciple recevra ; elle correspond au texte
suivant :
« Le Bodhisattva n’a pas d’obstacles dans son Esprit grâce à sa dépendance de la Sagesse Transcendantale ;
parce qu’il n’a pas d’obstacle, il n’a pas de crainte. Libéré de toute vue pervertie, il atteint l’ultime Nirvâna.
Tous les Bouddhas du passé, du présent, et du futur, qui dépendant de la Sagesse Transcendantale,
atteignent l’illumination parfaite. »12

4 – Cette partie importante est un résumé exprimé en termes de dhâranis. (Récitation mantrique - NdA).
Elle correspond aux lignes suivantes :
« Par conséquent, on sait que la prajnâpâramitâ est le grand mantra, celui de la Grade Sagesse, le mantra
le plus élevé, l’incomparable mantra qui peut soulager toutes les souffrances ; il est vrai et non faux. »13

9
Kukaï Major Works, p. 267.
10
La samâdhi de Maitreya est caractérisé par la compassion infinie. Son principe directeur est de mettre en valeur la grande loi
du karma, de cause et d’effet, en discutant des différences qui existent entre le monde de l’essence et celui de l’apparence. Il nie
la validité du monde matériel, déclarant que ce qui existe n’est que l’expression dans le temps et l’espace de l’Esprit. Tout cela
est motivé par sa compassion et son désir de sauver les êtres humains.
11
Kukai Major Work, p. 271.
12
Ibid. p. 271.
13
Ibid. p, 272.
13

Maître Kukaï cherchera à démontrer que le plus grand mantra n’en est en vérité plus un en ce sens qu’il est
vide de tout attribut objectif et de toute définition quelconque, car la prajnâpâramitâ est
l’accomplissement parfait de la nature vide de toute l’humanité, c’est la connaissance absolue que réalise
tout moine grâce à la puissance des mantras.

5 – Enfin, la dernière partie concerne le mantra secret, la synthèse du sûtra, qui a intrigué certains érudits
(tel le professeur Suzuki en personne !). Ce mantra est le suivant :

« Gate Gate Paragate Parasamgate Bodhi Svaha!”

On peut le traduire par : « Parti, parti, parti vers l’autre rive, ô bodhi. »

Ce mantra résume ainsi la totalité de l’expérience d’éveil qui permet au disciple d’accéder à l’autre rive,
celle d’où l’on ne revient pas et qui est appelé nirvâna. Ce mantra peut être divisé en cinq segments selon
Kukaï : « Le premier « gate », révèle ce qui est atteint par les sravakas. Le second, « gate », indique le but
atteint par les pratyeka-bouddhas. Le troisième, « paragate », désigne l’aboutissement le plus élevé des
différents mahâyanistes. Le quatrième, « parasamgate », clarifie l’aboutissement dans lequel le monde de
l’illumination du mandala est pleinement réalisé par les bouddhistes Shingon. Le cinquième,
« bodhi svaha », explique la réalisation ultime de chacune des approches ci-dessus. »14

Ainsi, dans le sûtra du cœur, l’acquisition de prajnâ est intimement associée à la récitation des mantras.
(idem au Kototama de Maître Morihei Ueshiba). Tout cela est cependant purement théorique, bien que la
réflexion discriminante soit importante. Kukaï comme tous les instructeurs donnent plus d’intérêt à la
doctrine du cœur qui n’est plus théorique mais essentiellement de nature pratique. Dans le Dainichikyô,
Vajradhara pose la question suivante : « Comment peut-on atteindre le fruit ? » En d’autres termes,
comment passer de la théorie à la pratique essentielle ? Et la réponse tombe tout naturellement : « Ce fruit
est obtenu comme résultat de la pratique des mantras. »

Le rôle du sensei lorsque prajnâ est recherchée

Quelques mots s’imposent sur un des points fondamentaux qui font qu’un sensei est apte ou non apte à
enseigner, quelle que soit la branche du Budo.
Nous savons que l’école martiale Katori fut créée pendant les périodes mouvementées de la guerre ou la
maîtrise des armes était fondamentale pour survivre, aider sa famille, sa nation ou son seigneur. On peut
comprendre qu’au cours des siècles qui suivirent, le style s’améliora afin de rendre la technique katori
hyper performante. De fait, elle le prouva tout au long de son histoire. Depuis la fin de la guerre mondiale,
le bujutsu, tout en se maintenant dans certains ryu, changea de note et devint un art et un moyen de
réaliser sa nature de Bouddha. Le bujutsu faisait enfin place au Budo. Le judô et l’aïkido furent des
exemples de cette nécessaire mutation. Il n’empêche qu’aujourd’hui ces deux disciplines sont en train de
perdre leur âme. L’aïkido devient un art du mouvement sans ki et sans prajnâ, avec ou sans relation au
sacré, et le judo est devenu un sport de compétition ! Heureusement que certaines écoles, tout en vivant
l’esprit du Budo, ont maintenu la pureté de leur style tel qu’il s’exprimait avant la guerre mondiale.
Le katori ryu en fait partie, mais il génère aussi beaucoup d’incompréhension. Pour comprendre ce qu’il est
devenu, il faut admettre que même si un sensei sait que tel mouvement possède un but stratégique,
(déséquilibrer l’adversaire, le bloquer pour mieux le pourfendre, etc.) il est clair que nous n’avons plus
besoin aujourd’hui de cette stratégie car la règle est claire, un membre de l’école qui a signé le keppan de
son sang ne doit jamais se battre, ou en tout cas faire de son mieux pour l’éviter. Nous recherchons la paix
pas la guerre et ce sont des techniques de paix qu’il faut développer non pas des techniques permettant au
petit soi de gagner et de s’enorgueillir. Cette attitude doit ou devrait imprégner la conscience du sensei et
14
Ibid., p. 273.
14

conditionner sa méthode d’enseignement car ce qui est recherché n’est pas une victoire de l’ego mais de
l’âme, une victoire sur l’ignorance, la souffrance et la mort ; une victoire de prajnâ sur le mental ! Qui, dans
l’école Katori désapprouverait une telle attitude ? Personne, j’espère, car ce serait allé à l’encontre de la
philosophie du fondateur et de son Shihan le plus emblématique, Risuke Otake. Il n’est pas certain que
dans le futur, les instructeurs aient cette perspective en vue, mais ce qui importe ce n’est pas demain, mais
aujourd’hui même (ici et maintenant !).

L’instrument qui nous sert à déployer nos talents et à atteindre l’objectif est un sabre dont il faut
apprendre le maniement, mais bien plus important encore est l’ensemble des mouvements portant le nom
de kata que Maître Choisai Iizasa Uenao, il faut le rappeler, fut le premier à mettre au point pour qu’en
s’entrainant un étudiant puisse en même temps dompter son mental tout en évitant de se blesser ou
d’handicaper son partenaire. Un kata est un véritable organisme vivant constitué de la vie des deux
partenaires et irradiant un champ électromagnétique issu de leurs deux organismes biologiques en action
et dirigé par une certaine fusion de deux consciences. C’est une forme éthérique qui va naître entre nos
mains et devenir sublime, harmonieuse, voire transcendante ; une forme qui devrait irradier une lumière,
une vibration de paix et d’amour, et non pas une énergie agressive et ambitieuse, faite de peur et de stress
comme le sont toutes les actions associées au sport de compétition. C’est pourquoi la première chose à
respecter dans l’école Katori, hormis son instructeur, est celle de notre relation à l’autre. Un bon sensei ne
peut et ne doit jamais perdre son calme ou se mettre en colère contre ses élèves. Il doit leur expliquer
calmement les règles et se montrer toujours respectueux et courtois.
La seconde chose importante est le respect de l’intégrité du kata qui doit être parfait dans tous les détails.
C’est pourquoi on utilise toujours le terme de partenaire et non pas celui d’adversaire. Cela signifie faire
Un avec lui en termes de polarité (tori-uké), de souffle, de déplacement, de centralisation, le tout imprégné
de ki et d’amour. Or, la seule manière de parvenir à cette unité parfaite avec l’autre est le non-mental,
provoquant la non--mentalisation du kata. Tous les Budo partent de ce constat et tous les Budo savent que
le seul moyen d’y parvenir est de saturer le physique et le mental d’un mouvement parfaitement identique
mille fois répété jusqu’a ce qu’il soit entièrement intégré dans l’inconscient. La mémorisation puis
l’intégration du kata est assez similaire aux quelques mouvements appris par le chauffeur d’un taxi qui
peut se permettre d’écouter la radio ou de converser avec son client tout en effectuant les divers gestes de
conduite nécessaires et cela sans même s’en rendre compte. Quelque chose freine, quelque chose change
les vitesses, tout n’est plus qu’actions réflexes. Désormais le chauffeur peut mettre toute sa confiance dans
cet inconscient car il sait que certaines actions objectives de sa part seraient trop lentes s’il devait faire
confiance à son mental analytique via ses cinq sens. Il n’en reste pas moins vigilant car une partie de ses
actions requiert tout de même la présence de son mental objectif.

L’escrimeur va encore plus loin puisqu’il va jusqu’à intérioriser complètement ce reste d’objectivité. Il est
vigilant avant et à la fin du kata, mais dès que celui-ci commence, et du fait qu’il n’y a aucun danger réel, le
mental s’éteint et l’inconscient (le subconscient pour les plus avancés) prend le relais.
Une très bonne analogie de ce que je cherche à expliquer peut être donnée dans le phénomène de
somnambulisme. Dans cet état de conscience intermédiaire, le mental est en sommeil et c’est le
subconscient qui prend le volant, si je puis dire. Or, et tout le monde le sait, le dormeur peut faire alors des
choses extraordinaires qu’il ne pourrait absolument pas accomplir s’il était éveillé. On a vu des
somnambules marcher sans peur sur des toits glissants avec une maîtrise à faire rougir un ninja ! Mais cela
n’arrivera JAMAIS tant que le sensei empêchera les pratiquants de répéter encore et encore leur katas,
après avoir expliqué l’utilité de cette répétition lassante pour le mental impatient d’un débutant, mais
exaltante pour celui qui entre dans la dimension de l’expert. Ce n’est certainement pas à ce moment que le
sensei doit insister sur les détails de la stratégie. Qu’il laisse se dérouler le kata, ensuite seulement il pourra
expliquer le pourquoi de tel ou tel mouvement. L’érudition sur la stratégie du style Katori existe bien et il
est normal que les plus gradés en soient instruits, mais cela doit se faire en dehors de la pratique, comme
nous le faisions en étudiant les points faibles de l’armure lors des stages. Il est terminé le temps des omote
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wasa et des ura wasa, nous sommes au temps des wasa transcendés. Que diriez-vous d’un sensei qui
penserait à la manière de bien nettoyer sa lame pendant qu’il exécute ses katas ! Et bien, expliquer des
détails techniques au cours de l’entrainement au ken relève de la même aberration. L’élève doit atteindre
le vide inconditionné du mental (munen-mushin), et ce serait dommage, vu la difficulté d’y parvenir, que ce
soit le sensei qui soit coupable d’empêcher le mental de se TAIRE.

L’un de mes sensei au Japon me disait souvent que les pratiquants (même de Budo) sont des gens bavards
qui ne cessent jamais un instant de penser à ce qu’ils font au cœur d’un kata. Instinctivement le mental
commente toutes les actions, et plus le kata est lent, plus le mental à le temps de discourir : J’ai bien fait
mon mouvement, le partenaire m’a touché, il faut que j’aille plus vite, on nous regarde, etc. Dans un dojo
qui est un lieu sacré, il y a un temps pour se recueillir, un temps pour s’entrainer, un temps pour parler et
un temps pour méditer. Un bon sensei tient compte des rythmes qui imprègnent son dojo et lui confère sa
vie pulsative, sa vitalité, son harmonie. C’est lui et personne d’autre qui doit consacrer ce dojo sanctuaire
et en faire un lieu saint, un lieu vivant, un lieu qui une fois éveillé permet aux pratiquants de trouver
rapidement une certaine fusion des énergies. Saturé de ki, chacun donne et reçoit l’énergie qui permet au
groupe de s’harmoniser et de trouver la force de faire les efforts demandés. Chaque dojo a donc sa note,
sa couleur et son rythme. Un maitre qui visite un dojo n’a nullement besoin de voir s’entrainer les élèves
pour connaître la valeur du sensei et la qualité de la pratique.
Lorsqu’un membre de l’école katori entre au dojo, il s’efface en tant qu’individu profane et se met
immédiatement au diapason du dojo via le kamiza et ce qu’il représente. On peut dire qu’il entre dans une
véritable famille où chaque membre a le même objectif.
De même, lorsque le sensei entre dans le dojo avant les élèves, son devoir est de faire vibrer le lieu et
d’attirer sur lui la lumière et la paix. Il fait cela par sa propre volonté ou par une prière (shintô ou
bouddhiste). Le sensei doit faire extrêmement attention à mettre son élève au diapason de l’aura du dojo
et ne rien faire qui puisse briser cette harmonie et ce rythme. Si un moine zen frappe un gong, il attend
que le son ait parcouru toute sa gamme jusqu’aux ultra-sons. Il aura ainsi bénéficié de la valeur de ce son
particulier. Et bien sûr, il ne lui viendrait jamais à l’esprit d’arrêter le gong avant que le son n’ait terminé sa
fréquence ! Il en est de même pour le sensei vis à vis des élèves. Le sensei est identique au moine et le
gong est l’élève, par conséquent, le sensei doit permettre à cet élève de s’élever progressivement de la
note de sa personnalité et celle du dojo établie par lui et par la force du groupe. Il faut du temps pour
qu’un élève trouve le rythme et la cadence de l’aura du dojo, et les sensei japonais qui connaissent bien
tout ce que je viens de dire restent le plus souvent silencieux pendant l’entrainement, rectifiant de temps à
autre un détail sans jamais intervenir en brisant l’harmonie du dojo. C’est ce qui différencie grandement
les instructeurs occidentaux des sensei nippon. Le professeur occidental a souvent la détestable manie
d’arrêter le cours pour un simple détail, de briser le rythme du groupe pour s’exprimer sur quelques
problèmes techniques. Il oublie ou ignore que ce qui est ainsi donné au mental sera rapidement oublié. Le
plus grave, c’est qu’il y a violation du rythme, et perte d’un temps précieux pour l’élève. A l’opposé, le bon
sensei voit ce qui ne va pas mais qui se rectifiera de soi-même plus tard et naturellement au cours du
keiko ! Il insiste plutôt sur l’attitude intérieure (équanimité, respect, discrétion, humilité, courage, etc.). Il
fera toujours en sorte de maintenir la cadence, le rythme, la vibration spécifique du dojo dans laquelle sont
emportés les élèves, leur faisant faire des progrès qu’ils n’auraient pu accomplir seuls. De son côté, le
sensei nippon est patient et attend avec sagesse que l’étudiant « découvre » par lui-même les erreurs
commises. S’il donne un conseil ou rectifie une erreur, ce sera discrètement sans briser l’harmonie
générale. L’attitude de certains professeurs occidentaux est dangereuse : elle entraine de la part de l’élève
une frustration car ces arrêts fréquents l’empêchent d’aller jusqu’au bout de son effort et lui interdisent
d‘entrer dans la vie du dojo. Son élan est constamment brisé et rien n’est plus négatif que de briser l’élan
d’une bonne volonté. Ce n’est pas parce que l’instructeur a vu une erreur qu’il faut immédiatement la
corriger. Soyez vous-même patient et il viendra un moment où cette erreur se corrigera d’elle-même, ou
imposera une question de la part de l’élève, et là vous pourrez donnez un enseignement en fin de cours, un
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conseil qui sera apprécié et ne sera pas oublié. Ce qui compte avant tout, ce ne sont pas les détails du kata
(symbole de diversité), mais l’ensemble du kata (symbole d’unité).

Les infimes détails à corriger dans un kata n’avaient d’importance qu’à l’époque où la vie du soldat était en
jeu et où tout se jouait sur un tel détail. Il n’en est plus de même au jour d’aujourd’hui ! Aller à contresens
de cette attitude reviendrait à dire que le sensei est resté bloqué au Moyen-âge et qu’il n’a pas pris
conscience de l’avancement de l’humanité. J’ose croire que de tels sensei n’existent plus ! Aujourd’hui,
comme je l’ai dit plus haut, on ne sauve pas sa vie avec un sabre, mais avec de l’intelligence raisonnable et
de la sagesse intuitive. Ce n’est certainement pas en pratiquant du jutsu que l’on maitrisera le mental,
notre pire ennemi. Il n’y a pas de demi-mesure dans le domaine spirituel, soit vous cherchez le bien-être, la
gloire, les ceintures, la toute puissance et l’argent, soit vous vous détachez du monde avec un seul objectif,
trouver en vous-même la pure nature de Bouddha, comme le chercha de tout son cœur le fondateur de
notre école. Il ne sert à rien de chanter par cœur la Mahâ-Prâjna-Pâramitâ si vous ne la mettez pas en
pratique, des paroles de nourriture n’apaisent pas la faim. ! Si vous, le professeur, devez parler, faites-le à
la fin du cours ou lors d’un stage, mais laissez un peu temps aux élèves afin qu’ils puissent s’intégrer au
rythme du dojo.

Une autre attitude peut s’avérer utile pour un sensei. Certains professeurs pensent sincèrement faire office
de père au cœur de leur groupe d‘étudiants, souvent plus jeunes. Cela arrive forcément mais le sensei ne
devrait jamais entretenir ce genre de comportement. Croyant bien faire, le sensei écoute les plaintes et les
petites affaires de chacun, et entre, sans même s’en rendre compte, dans l’intimité de leur vie privée.
Cette intimité n’est pas une bonne chose. Le sensei peut quelquefois être une aide, voire un bon conseiller,
mais ce sera toujours exceptionnel. En venant au dojo, l’étudiant quitte momentanément le labyrinthe de
sa vie profane dans lequel il se débat et souffre, parce qu’il a trouvé ici une porte de sortie. Le professeur
ne doit donc pas entrer dans le labyrinthe de l’élève, mais faire en sorte que celui-ci se dirige vers la sortie
et atteigne ainsi son émancipation. Je sais bien que pour en savoir plus sur les problèmes de l’élève, le
sensei entre quelquefois dans sa vie privée. Mais là n’est absolument pas son rôle. Son seul but est de
permettre à l’étudiant de trouver en lui-même, et par lui-même, les remèdes à ses maux, c’est le dessein
fondamental du Katori, faire en sorte que ses membres deviennent des adultes et s’assument, devenant
des femmes et des hommes responsables et indépendants, même si tout naturellement, un sens aigu de la
fraternité unit les membres entre eux. Le sensei a pour mission de tourner le regard de chacun des élèves
vers son propre Soi, et non vers lui, le professeur qui sait tout ! Il y a trop de vénération envers le sensei
qui, à cause de la couleur de sa ceinture, centralise les attentions vers sa petite personne. S’il est bien le
centre du groupe, c’est en tant que centre vide (empli de buddhi) qu’il attire l’attention et les énergies,
non en tant qu’ego humain. Les choses sont aujourd’hui moins terribles qu’il y a 20 ou 30 ans, mais le fait
demeure encore car de nombreux sensei enseignent sans avoir les bases nécessaires. L’impersonnalité est
donc la note clé de cette attitude, et le copinage après le cours n’a jamais été porteur de justes relations.
Aller à l’encontre de cette loi est un risque pour tous, le sensei en premier lieu.

En revanche, et pour aider les élèves, il est bon que le sensei sache quelle est la chose la plus importante
dans la vie de l’élève, son but essentiel dans l’existence, ainsi il pourra donner à chacun la nourriture qui lui
convient. Certains viennent pour s’affirmer, d’autres pour du bien-être, d’autres encore pour se refaire une
santé ou apprendre à se défendre. Quelques rares viennent pour trouver au fond d’eux mêmes la source
d’une certaine vérité qu’ils veulent expérimenter. Il est donc clair que ce que je dis est toujours à mettre au
conditionnel. Ce sont des généralités qui ne tiennent pas compte de la réalité de chaque étudiant. Une fois
que l’on connaît les objectifs d’un individu, il est alors plus aisé de l’aider sans entrer dans les tortueux
méandres de sa vie psychologie ou psychique. Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’attitude d’un bon
enseignant, mais j’ai dit ce qui me semblait essentiel.
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Pour ceux qui veulent aller plus loin…

Pendant les katas constitués de mouvements yin (recul), yang (entrée) et statiques (kamae), animés par les
attaques et les défenses, les inspirs et les expirs, quelque chose reste « immobile ». La voie ou Dô se trouve
là et le devoir de celui qui cherche à dépasser la technique est de se concentrer sur ce principe immobile et
immuable. C’est là que se trouve le tao, là où les oppositions s’annulent. Cependant cet état d’immobilité
absolue en tout point similaire à la vacuité (sûnyatâ) ne peut être réalisé que lorsque les katas sont si bien
connus et assimilés qu’ils n’offrent plus aucune interrogations possibles au pratiquant. A partir de cette
nouvelle manière d’être pendant la pratique, ce dernier fera l’expérience d’une modification progressive
de sa conscience objective. Il pourra lui arriver d’être soudain l’observateur de ses actions ou anticiper
l’action, ou simplement être un avec le partenaire au cours du kata. Cela ne survient jamais (ou
accidentellement) si l’on ne cherche pas intensément la sagesse « immobile » que l’on nomme de noms
différents selon les systèmes, mais qui n’est rien d’autre qu’une approche progressive de notre propre
nature divine ou Soi.

Tous les élèves d’une école comme la Tenshin Shôden Katori Shintô savent évidemment que tout se joue
avec le principe mental et bien des images (métaphores, allégories, etc.) ont cherché à nous faire
comprendre ce que nous devions impérativement faire ou ne pas faire pour atteindre cette forme de
vacuité de l’Esprit. Par exemple, sachant que le mental ne peut être détruit mais seulement pacifié, il a été
comparé à la surface d’un étang limpide et immobile. La moindre pensée ou émotion est, tel le vent, la
cause de rides sur cette surface pure et ces ondes perturbatrices empêchent – comme dans la nature - de
voir le fond où gisent les perles de la sagesse. En Budo, ce fond est le miroir qui vous renvoie les intentions
du partenaire ou de l’adversaire en temps de guerre. Les grands maîtres de sabre, comme notre fondateur
ou maître Tsukahara Bokuden, par exemple, restaient au cœur du combat parfaitement « équanimes », le
mot clé d’un mental dont aucune vague perturbatrice ne trouble la conscience. Ce qui est alors perçu est
l’intention de l’adversaire, et le moyen de le vaincre. Là encore, seul celui qui a banni la peur de sa
conscience est capable de maintenir la surface de son mental serein et paisible. L’âme (buddhi) peut alors
prendre les commandes et faire ce qu’il faut pour maintenir l’harmonie.

Mais un minimum d’effort est requis pour maintenir le mental relativement immobile et paisible, et ce
minimum consiste à faire un effort pour rester silencieux, prendre un peu de recul avant toute discussion
ou action, éviter le bavardage inutile (surtout la critique de ceux qui sont absents), calmer la colère, la
jalousie ou l’orgueil. Tout cela impose une attitude nouvelle, non seulement au dojo, mais à tout moment
de la journée, en famille comme au travail.

Bien entendu nous sommes tous passés par cette interrogation : tout cela c’est bien, mais n’étant pas
moine, nous avons peu de temps à consacrer au Soi ! C’est effectivement la sensation que l’on a au début
de la conquête du monde intérieur de l’âme et qui nous fait différencier le monde objectif extérieur de
l’autre, le monde subjectif intérieur approché par ce même mental mais qui débouche sur une réalité
abstraite que l’on ne peut percevoir qu’après l’éveil d’un sixième sens, l’intuition. Pendant longtemps
encore nous seront ballotés entre ces deux mondes, celui des causes (interne) et celui des effets (externe).
C’est justement pour trouver le pont entre ces deux mondes opposés que l’on pratique l’art du sabre.
D’un côté nous avons une puissante discipline du corps, et en même temps une discipline tout aussi
astreignante du mental, l’un et l’autre devant nous mener à un troisième principe unifiant et synthétisant,
l’âme. Ce n’est que lorsque prajnâ est présent que la nature de l’âme se dévoile en intelligence d’abord,
puis en amour et en compassion ensuite. Enfin chez les plus grands, elle se manifeste en volonté divine,
bien différente de la volonté humaine qui n’est souvent que de l’entêtement. Lorsque l’âme prend
possession de notre petite personnalité, elle la prépare lentement mais sûrement, à recevoir un jour la
vision de sa réalité et le pratiquant ou le méditant fait alors l’expérience d’une certaine qualité de satori ou
de prise de conscience transcendantale. Cet éveil nous montre sans l’ombre d’un doute (lequel est un
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attribut du mental seul) ce que l’intellect est incapable de nous montrer : l’essence de l’être et du monde,
l’essence de l’infini, la nature de l’Esprit, en un mot la réalité de notre nature de Bouddha. Le chrétien
parlera, lui, d’essence christique, ce qui est exactement la même chose. Parvenu à cet état d’éveil, on ne
voit plus que l’unité qui anime la conscience aussi bien que la forme, et le monde double disparaît. Le Dieu
immanent dans chaque atome de matière se révèle dans le Dieu transcendant de notre perfection. Il n’y a
alors plus rien à dire, sinon « être » et irradier ce que nous sommes réellement : pure Vérité, pure
conscience et pure béatitude.

Les trois étapes de la conscience relative (avasthas)

Pour finir, et tout en restant fixé sur la maîtrise du mental, abordons une réalité qui est si proche de nous
qu’elle a fini pas demeurer invisible, je veux parler des trois états du mental par lesquels nous passons au
cours d’une journée, trois états considérés comme trois prisons dans lesquelles nous passons
alternativement et qui nous obligent à expérimenter trois états de consciences et trois mondes : à savoir :

1 - La sphère du monde grossier, matériel et objectif ou, en d’autres termes, l’état de veille ;
2 - La sphère du monde subtil et subjectif, l’état de sommeil avec rêve ;
3 - la sphère du monde de l’inconscient, la sphère de sommeil profond sans rêve.

Je ne prétends pas faire une analyse exhaustive du sujet, mais donner quelques idées pouvant permettre
une prise de conscience et une analyse intéressante du sujet qui nous occupe, celui de la transcendance de
ces trois états temporaires connus des hindous sous les noms de jâgrat, svapna, sushupti 15jusqu’à la
réalisation du substrat éternel représenté par la sphère la plus vaste qui, dans notre schéma ci-dessous,
symbolise la nature infinie du Soi ou de l’Esprit. Tout ce qui se trouve dans ce cercle unique (et infini) est
connu sous le nom de quatrième état, ou état turîya. Ce terme « quatrième » ne signifie nullement une
quatrième condition, car la conscience du Soi est une, mais l’état ultime et réel à l’arrière-plan des trois
états relatifs. La nature ou présence du Soi est donc le substrat inconnu de ceux qui sont encore
prisonniers de ces trois sphères d’activité du corps physique, du corps astral et du corps causal (Kârana
Sharîra). Voici un croquis qui nous aidera à visualiser notre propos.

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Ou selon la classification du Védanta : Vishva, Taijasa et Prâjna.
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1 - (Jagrat). Commençons par l’état de veille, le plus familier de tous ceux qui vivent dans le monde
matériel et le perçoivent au moyen du mental et des cinq sens. C’est le monde de l’expérimentation où
l’homme est actif et peut, de ce fait, travailler à sa réintégration. Il peut engendrer des causes de
transformation futures et atteindre certains objectifs, comme apprendre pour comprendre, puis mettre de
son côté tous les moyens qui lui permettront d’atteindre la libération. C’est dans ce monde grossier qu’il
est confronté à la présence de l’illusion (mâyâ) dans les trois mondes (le matériel, l’affectif et le mental) et
qu’il entreprend de s’en libérer. Nous sommes ici dans un monde (plus infernal que paradisiaque) de cause
qui génère des effets dans ce même monde, et à un moindre degré dans le suivant. Rien ne peut être
acquis autre part qu’ici-bas. C’est là que la purification du triple véhicule humain doit être accomplie car ce
qui est reçu de ce monde, en termes de choses mauvaises, sera répercuté dans l’état de rêve qui reflétera
des tendances mauvaises lesquelles réagiront sur la conscience de veille par des sensations ou des
suggestions malsaines qui empêcheront les connaissances supérieures d’êtres reçues au cours des rêves.

2 – (Svapna). L’état de rêve pendant le sommeil est un état passif pendant lequel la conscience reçoit des
impressions bonnes ou mauvaises résultant des activités dans le triple monde. C’est pourquoi le mot rêve
possède deux significations. Le Dictionnaire Webster donne au mot deux origines. L‘une le fait remonter à
une racine sanskrite signifiant « nuire ou faire du mal » ; l’autre le fait remonter à une vieille racine anglo-
saxonne signifiant le contraire « joie ou bonheur », probablement parce que chez la plupart des gens, les
rêves révèlent des impressions de la vie astrale du rêveur (désirs, haine, peur, frustration, etc.). Et à
l’opposé nous avons des rêves basés sur des projections imaginaires de ce que le rêveur souhaite et désire
ardemment.
Les rêves peuvent aussi être impressionnés par le mental et révéler des mirages, des ambitions, ou au
contraire des idéaux élevés. Il y a aussi des rêves basés sur l’activité trop intense du cerveau à cause du
stress et des soucis, ce qui empêche un endormissement profond et la régénération des systèmes nerveux.
Les conséquences sont soit l’insomnie soit des rêves de surface embrouillés. Certains rêves sont de
véritables perceptions du plan astral où le rêveur peut enregistrer certaines expériences de scènes vues et
entendues, sur ce plan ou sur le plan matériel. Les causes des rêves sont infinies et nous ne mentionnerons
que le dernier type, celui des rêves vrais, c’est-à-dire de l’enregistrement d’instructions transmises par un
Maître et reçues par son disciple. La nature du rêve est donc conforme à la qualité de la vie du rêveur et en
dépend, d’où l’importance de la purification et l’intégration des véhicules de l’homme sur le plan physique.
Plus la conscience du Soi se révèle, plus les trois sphères sont à même de transmettre des informations
d’un ordre supérieur de vérité, comme par exemple illuminer le troisième état, dit de sommeil sans rêve.
Tant que la soi-conscience ne se révèle pas, la zone de l’état de rêve reste inaccessible et le rêveur reste un
observateur passif ; lorsque l’état de vacuité du Soi commence à se révéler, le méditant parvient à
maintenir sa vigilance ou conscience lucide sur ce plan. Le yoga nidra est cet état où l’on demeure
conscient pendant la période de rêve. D’où des prises de conscience lucides pendant le déroulement du
rêve qui est alors différencié de soi-même.
Citons maintenant une réponse de Bhagavan Ramana Maharshi à propos des deux premiers états. A la
question : « N’y a-t-il pas de différence entre l’état de veille et de rêve ? », le maître répondit :

« L’état de veille est long et l’état de rêve court, à part cela il n’y a pas de différence. De la même façon que ce qui se
passe à l’état de veille paraît réel éveillé, ce qui se passe en rêve paraît aussi réel durant le rêve. En rêve le mental
prend un autre corps. Dans les deux états, les pensées, les noms et les formes se présentent simultanément. »

3 – (Sushupti). Il s’agit de l’état de sommeil sans rêve, ce qui ne veut pas dire grand chose. Celui qui sort de
cet état se sent toujours revitalisé, relaxé, bien dans sa peau, il déclare se sentir bien et avoir bien dormi
alors même qu’il ne se souvient de rien. Cette sphère est l’état dans lequel la conscience relative de l’ego
se réabsorbe dans la condition causale. C’est la condition la plus élevée, mais d’un niveau tel que la
conscience de l’homme non-initié s’y retrouve complètement inconscient. Seul le yogi qui a pu maintenir
sa conscience éveillée sur le plan astral, pourra la maintenir éveillée pendant la période de sushupti.
Traditionnellement, et en dehors du fait que sushupti est toujours associé à un état d’obscure ignorance,
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c’est là que le yogi fait l’expérience de la félicité qui est l’attribut principal de la gaine de félicité
(ânandamaya-kosha), laquelle appartient au corps causal ou kârana sharîra. Or, ésotériquement, le corps
causal correspond à buddhi et au mental supérieur (l’âme spirituelle).

C’est donc cet état qui est le mieux placé pour sortir du cercle infernal. D’où cette constante investigation
sur la nature du Soi appelée âtma vichara, qui consiste à rester centré en conscience sur notre identité
réelle en tant que « Je » suis Cela, principe que l’on trouve au cœur même du corps causal (le corps de
l’âme individuelle). Lorsque la recherche du « qui suis-je ? » et du « d’où est-ce que je viens ? », aboutit à
être tout ce qui n’est plus le mental, alors le méditant disparaît dans l’objet de sa méditation. Sans ego, il
n’est plus un tel ou une telle, mais la conscience pure et illuminée du Soi. Centrés sur l’identité « Je », nous
transcendons les deux états de veille et de rêve, et nous nous retrouvons dans la sphère de sushupti,
inconscients dans les premiers stades de la méditation profonde, mais progressivement illuminés à mesure
que nous nous maintenons dans cet état de pure étreté auquel nous nous soumettons sans peur, sans
appréhension mais avec confiance en l’Amour de Dieu ou du Soi. Sans que nous n’ayons un effort à faire, la
continuité de conscience émergera au fur et à mesure que le Soi se révèle.

Je suppose que tout cela n’intéressera pas ou peu les budokas dans leur grande majorité, mais notre
croquis aura peut être permis de visualiser une certaine condition de l’être, et certains des principes avec
lesquels œuvrent les maîtres du Budo. Dans notre croquis, les trois sphères se suivent, mais pourraient
dans certaines conditions se juxtaposer. Nous essayons de montrer de manière concrète combien l’homme
est emprisonné et esclave de ces trois conditions tout au long de son existence. Or, comme il impératif de
sortir de ce cycle infernal de vie et de mort, il faut obligatoirement nous arrêter dans la sphère de sushupti
avant d’entrer dans le grand cercle qui les comprend tous (qui est ici un symbole de l’infini) et que les yogis
nomment l’état turîya, comme nous l’avons vu plus haut. C’est en vérité la dernière étape, l’état
transcendé, la pure nature du Bouddha (en Dharmakaya), le Soi ou Brahman, ou l’un des multiples noms
donnés au Dieu inconnu et sans forme.

Les flèches dans le sens inverse des aiguilles d’une montre indiquent que ces trois sphères non contrôlées
nous mènent à la mort et à d’incessantes renaissances, alors que nous cherchons la libération de ce cycle
de vie et de mort. Les autres flèches allant dans le bon sens sont là pour nous montrer le retour à la source
et le fait que dans chacune des sphères, un certain travail de discipline peut contribuer à nous rapprocher
du grand Cercle de la libération nirvânique.

Dans l’art du sabre, il est clair que la plupart des pratiquants travaillent uniquement dans la seule sphère
de l’état de veille, par conséquent, ils n’auront jamais la chance de comprendre la nature du Zen qui est de
prendre la porte de sushupti pour atteindre le grand Satori de l’illumination parfaite. C’est à chacun de voir
ce qui motive son existence, et dans le Katori comme dans le monde, chacun trouve ce qui correspond à
son état de conscience, donc à ses aspirations du moment. J’espère seulement que ces quelques lignes
auront permis au lecteur, non pas d’avoir été éclairé, mais lui auront procuré quelques supports de
réflexion, et peut-être même de méditation !

Un dernier point à ne jamais oublier, nous n’atteindrons jamais la libération seuls ! Il est impossible de
transformer le personnel en universel si l’on pense en termes d’intérêt propre : ma liberté, mon nirvana,
mon bonheur ! Il n’existe qu’une seule conscience d’unité universelle en chaque être et ne pas penser ainsi
nous impose de rester dans les limites du moi égotique et égoïste. Un bouddhiste qui cherche la libération
aura toujours à l’esprit que s’il se libère c’est pour un jour pouvoir un jour libérer ses frères. Il est
impossible d’accéder à notre Esprit intérieur et spirituel sans voir émerger dans notre mental le principe
d’amour et cet amour est le germe de la compassion, une vertu de l’âme qui nous pousse irrésistiblement
à nous perfectionner pour éveiller nos frères, pour les aider et les soulager. Quelle plus belle action que
celle d’aider son frère, de lui apporter du bonheur, un peu d’espérance et pour certains les clés de la
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libération. Les renonçants qui vivent retirés du monde ne sont seuls que physiquement, leur Esprit est Un
avec le monde et avec ceux qui souffrent. Impossible d’aller seul au paradis car le paradis n’est ouvert qu’à
ceux qui se renoncent et réalisent que l’autre, c’est nous mêmes. Membres d’une seule et grande famille
notre vocation première, notre attitude fondamentale, c’est d’être Un et de tout faire pour emmener les
autres dans ce merveilleux pèlerinage vers l’unité. On ne peut atteindre la libération en solitaire !

Michel Coquet

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