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Octave Mirbeau
Une écriture novatrice
4
comme l’explique admirablement Mirbeau dans une lettre adressé à Tolstoï en
1903, constatant le rapport à la fois corrélatif et complémentaire de la
conception littéraire des deux auteurs russes.
5
des hommes et conteste son entourage. Il démystifie le pseudo-puritanisme des
prêtres. Par le biais de son testament, il lègue à titre posthume sa fortune au
premier prêtre du diocèse qui se défroquera. Cette provocation est comme un
syncrétisme qui fait la synthèse de la dialectique dostoïevskienne : Dostoïevski
est croyant, Mirbeau est athée ; le personnage dostoïevskien retrouve des
réponses dans la rédemption, L’Abbé Jules remet en question la morale
catholique et sa vacuité à appréhender l’être, livré aux plaisirs et aux impulsions
abjects de la vie. Et son indignation était de voir autour de lui des prêtres bourrés
de riches cadeaux, gorgés d’argent par les dévotes de la ville4. Le rapport analogue à
6
Présentation
On peut estimer la genèse de l’écriture mirbellienne comme le prélude
annonciateur d’un combat à la fois éthique et esthétique. Cette confrontation met
en lumière la naissance d’un paradigme mirbellien au tour duquel gravite une
aspiration à se libérer. Afin d’éclairer le lecteur sur le paradigme mirbellien et
les corrélations trompeuses qui renvoient Mirbeau à Zola, nous analyserons la
conception de la nature dans l’œuvre mirbellienne. Soumettre Le Calvaire où
l’Abbé Jules au lit de Procuste du réalisme ou du naturalisme c’est faire
abstraction de la logique même de l’œuvre, conjuguée à la vision d’une réalité
appréhendée à travers la visée subjective de Mirbeau. En effet, il existe une
réelle ressemblance quant à certaines caractéristiques qui régissent les
personnages de Mirbeau et Zola ; les tribulations qu’ils subissent sont en parfaite
corrélation. Nous pouvons citer l’Abbé Jules et l’Abbé Mouret perçus à travers
le prisme de la soutane et la chasuble. Ils encourent les appels recrudescents de
la contrition et la remonté des plaisirs charnels ; nonobstant les exigences de la
doxa, qui veut que ces prêtres soient des êtres hors du commun des mortels, à la
hauteur de leur instance social.
5
Octave Mirbeau, Le Calvaire, Edition du Boucher, p.19
7
Une adynamie dont les médecins ne concevaient l’intériorité insondable et
inexpliquée que dans « une sensitivité excessive6... ». Des phrases telles que
lugubre héritage, fatalité de race sont le terreau favorable à une dérive
hypothétique de lecteurs férus de romans naturalistes. L’Abbé Jules et l’Abbé
Mouret traversent des interférences sensitives. Leur combat s’annonce
implacable, voire inutile dans la mesure où la défaite est inévitable ; ils doivent
se plier au rôle de pseudo-puritain et de fantoche que la société leur impose. Par
contre, ce combat est différent dans le fond, car sous-entendre un naturalisme
patenté court-circuite l’enchaînement logique de l’œuvre et fausse la
compréhension du paradigme mirbellien, ainsi que le tempérament
philosophique de l’auteur quant à l’appréhension de la réalité sociale.
6
Ibid., p.18
8
I
Le Journal d’une femme de chambre et la dynamique du moi : une
interaction entre Mirbeau et Célestine
9
Le « moi » effectif de l’auteur
Le journal intime est le jardin secret des tribulations du bien-être et mal-être
d’un diariste. Il est le confessionnal par excellence car il permet au diariste la
mise en évidence des contraintes morales qui relèvent du réel. En amont le
diariste est le sujet de son vécu, il accomplit l’action et en aval il en devient
l’objet en racontant à son journal son vécu à sa manière. Que ses propos soient
édulcorés ou exagérés, qu’ils soient authentiques ou mensongers, le journal
véhicule cet équilibre relatif à l’intériorité du diariste. Si le journal ne fait
qu’écouter son confident et ne peut pas intervenir, le diariste va s’inventer un
autre « moi » comme l’explique Béatrice Didier : “ Le journal est un faux miroir ;
l’image qu’il donne est elle-même morcelée, falsifiée. Loin de se développer
harmonieusement pour devenir un être cohérent et unique, le diariste se voir devenir deux ou
plusieurs. Le dédoublement est en effet le phénomène le plus constaté par les auteurs de
journal 7
”. Dans le cas du Journal d’une femme de chambre, le journal de
double personnage car elle est sous l’hégémonie d’une création romanesque,
d’un « moi » effectif dont elle reflète partiellement les appréciations et les
contestations personnelles. L’absence du dédoublement dans Le journal d’une
femme de chambre nous incite à repenser le moi-sujet et le moi-objet. Pour que
le moi-sujet existe, il doit être confronté à un dehors et cette confrontation va
engendrer des remises en question de soi, des méditations sur les différentes
situations qui surviennent à l’improviste. Le moi-objet va se livrer à une
introspection, ce qui lui confèrera une supériorité sur le moi-sujet car il porte un
7
Béatrice Didier, « Le journal intime ». Éditions des Presses Universitaires de France, 1976, chap. II, p. 123-213
8
Ibidem
10
regard précis sur ce qu’il a vécu, alors que le moi-sujet improvise l’instant
présent ; mais pour Célestine, la situation est différente car son moi-sujet
n’improvise pas, il est alimenté par l’imaginaire de Mirbeau, ce qui fait que
Célestine est sujet et objet à la fois. Le journal de l’héroïne est une
représentation de la bourgeoisie du siècle de Mirbeau, l’effroyable parcours de
la femme de chambre est le reflet du long combat démystificateur auquel s’était
livré Mirbeau et ce, en pourfendant des institutions prépondérantes (bourgeoisie,
clergé, armée, factions d’extrême droite tel le boulangisme) et qui, dans sa
conception, étaient en déphasage avec la déontologie d’une société qui se
respecte.
9
B. Didier, « Le journal intime », chap. II, Page 126-213
11
chose… Des vieilles filles vierges, elle garde, en toute sa personne je ne sais quoi d’aigre et
de suri, je ne sais quoi de desséché, de momifié, ce qui est rare chez les blonds. Ce n’est pas
madame qu’une belle musique comme Faust-- ah !ce Faust !--ferait tomber de langueur et
s’évanouir de volupté entre les bras d’un beau mâle…Ah !non par exemple ! Elle n’appartient
pas à ce genre de femme… » (Page 25)
En effet, elle n’est pas une simple chambrière : elle appréhende, à travers un
regard circumspectif, la veulerie morale et la sournoiserie de ses maîtres. Cette
faculté à réagir promptement et adopter une réaction adéquate dénote la présence
d’un moi supérieur, tirant sa vitalité de la création mirbellienne. Célestine
analyse méthodiquement la situation et elle décide d’agir en fonction de la
situation vécue, avant même d’écrire sur son journal et trouve toujours des
subterfuges en adoptant le comportement typique à celui d’une femme de
chambre. Cette dynamique n’entraine pas une divergence10 du « moi » mais une
convergence qui se traduit par une situation réfléchie, voulue par notre
imprécateur au cœur fidèle11 et qui révèle sans ambages la veulerie morale de
l’individu bourgeois. Pour un diariste, détenir un journal témoigne d’un vouloir
vivre différent du réel; mais pour Célestine la situation est différente, car son
journal peint la réalité telle quelle, l’acceptant avec fatalité et n’aspirant point à
la changer : « D’être domestique, on a ça dans le sang.. »
Quand elle se livre à une réflexion profonde, relative à sa sexualité sans que
son « moi » se quadruple, elle cherche à comprendre ce qui a prématurément
éveillé ses pulsions et ses fantasmes en se confiant à son journal. Elle émet des
hypothèses et revient sur des épisodes de son enfance; la mort prématurée de son
père qui laissa sa mère en proie à une fatalité inexorable, une vie dissolue :
« C’est à partir de ce moment que ma mère s’adonna, avec rage, à la boisson « ... » elle nous
battait moi et ma sœur « ... » Moi je fuyais la maison, tant que je pouvais. Je passais mon
temps à gaminer dans le quai, à marauder dans les jardins « ... » A dix ans je n’étais plus
chaste. A onze ans je connaissais les premières secousses de la puberté. A douze ans j’étais
10
Ibidem : “Les divergences entre tous ces « moi » en présence peuvent être grandes ; et c’est justement dans la
mesure où elles le sont qu’il existe une tension, une distance et donc une plus grande réalité de ces « moi » ”
11
L'expression est de Jean Vigile, dans une série d'articles du Perche, les 17, 24 et 31 juillet 1981.
12
femme, tout à fait... et plus vierge...Violée ? Non pas absolument... Consentante ? Oui »
(p.112)
Notre soubrette ne se livre pas à une introspection, mais préfère évoquer des
souvenirs afin d’expliquer sa fatalité antérieure. La présence du « moi »
quadruplé a pour rôle d’apporter des explications plausibles car le diariste est
seul et cherche des réponses; or Célestine avance ses propres explications en
revenant sur son enfance et s’abstient du « moi » quadruplé.
12
Philippe Lejeune, « Le pacte autobiographique », Page 14-273
13
Les trois points avancés ci-dessus renforcent notre hypothèse du « moi »
autobiographique car on les retrouve dans le journal de Célestine.
14
autobiographiques, alors que le journal personnel dépend d’une improvisation
du temps présent, d’événements vécus dans un laps de temps éphémère. Avec
Célestine les évènements sont décrits minutieusement, quelle que soit la durée
de leur vécu.
‘‘On prétend qu’il n’y a plus d’esclavage...Ah! voilà une bonne blague, par exemple..., s’écrie
Célestine. Et les domestiques, que sont-ils donc, eux, sinon des esclaves?...”
« Madame ne se fend guère pour son papier à lettre, il est acheté au Louvre, moi qui ne suis
pas riche j’ai plus de coquetterie que Madame... j’écris sur du papier parfumé à la peau
d’Espagne, du beau papier, tantôt rose, tantôt bleu pâle.» (P 10)
Ce revers du sort la pousse vers son seul confident : son Journal. Octave
Mirbeau vivait dans des conditions misérables et a accepté des places qui ne lui
16
L’expression est du romancier et critique Eugène Montfort.
16
plaisaient guère. Il n’hésitait pas à le dire : "Il faut vivre pourtant, quoiqu'on ait du
talent17" En 1870, il a opté la mort dans l’âme pour la carrière notariale malgré
qu’il n’aimait pas cela, ce qui n’a pas altéré son ambition pour l’écriture.
Mirbeau n’a d’autre choix que d’attendre le messie, l’homme providentiel18 qui
le libérera de sa place de notaire. L’espérance est le trait d’union qui relit les
ambitions de Mirbeau à celles de Célestine. Le moi-qui-écrit nous révèle leur
relativité par le truchement de la domesticité; thème qui revient toujours dans
l’œuvre de Mirbeau.
Le journal d’une femme de chambre crée une homologie entre la réalité
sociale et la réalité romanesque, pour la bourgeoisie l’argent et la position
sociale deviennent des priorités absolues au détriment de la morale, un objectif à
atteindre; mais le bourgeois devient un individu dissolu et c’est par le thème de
la domesticité que Mirbeau le démontre. Il dénonce la domesticité inhumaine
dans laquelle est plongé tout individu de condition misérable et Célestine en est
le témoin principal car elle espère que l’homme providentiel la libérera.
17
Octave Mirbeau, « Les beautés du patriotisme », Le Figaro, 18 mai 1891
18
Pierre Michel, « Les combats d’Octave Mirbeau », page 20-220
17
transposition du « je » de Célestine. Le « moi » profond de Mirbeau se révèle
par l’intelligence secrète de Célestine, sa sagacité à percevoir la dégradation
morale et la conduite avilissante de ses maîtres ; Mirbeau dénonce un rapport de
soumission dans lequel l’intelligence est entravée par la condition sociale et
l’individu réduit à un état de domination ainsi que l’explique Anita Staron dans
la citation suivante: " L’indignation avec laquelle Mirbeau aborde ces problèmes est
hautement significative. Il est clair que ces questions le touchent profondément et qu’il ne
saurait rester indifférent à la relation dominant-dominé. Or il apparaît qu’il l’a vécue à son
propre compte, pendant les douze premières années de sa carrière. Moyennant des sommes
souvent ridicules, il mettait sa plume au service de ceux qui étaient incapables de composer
un texte par eux-mêmes ; aussi a-t-il rédigé des brochures de propagande bonapartiste pour
Dugué de la Fauconnerie et des chroniques d’art pour un journaliste à L’Ordre, Emile
Hervet. Il a été le secrétaire intime et particulier de Dugué de la Fauconnerie et d’Arthur
Meyer, le propriétaire du Gaulois ; on peut supposer qu’en cette qualité, il était souvent
chargé de besognes louches et honteuses. Cette expérience traumatisante l’a marqué pour la
vie : il n’a jamais clairement avoué cet épisode, mais il ressort du nombre de ses écrits19"
La condition sociale de Célestine ne lui a pas laissé d’autre choix que d’opter
pour la place d’une femme de chambre ; et ce malgré son intelligence et sa
sagacité qui font d’elle une femme cultivée et perspicace. Nous assistons à une
transposition de la relation « dominant-dominé », elle se traduit par le « moi »
subjectif de Mirbeau car lui aussi a travaillé comme nègre malgré son ambition
d’écrivain « Il a dû notamment, on l'a vu, écrire pour Dugué de la Fauconnerie trois
importantes brochures de propagande bonapartiste qui n'ont pas peu contribué aux succès
électoraux de l'Appel au peuple, au point de précipiter le ralliement des orléanistes à la
République, par peur d'une restauration de l'Empire, en janvier 187520 .»
Le journal d’une femme de chambre laisse deviner une analogie entre
l’exploitation littéraire dont Mirbeau fût victime entant que « nègre » et la
19
Anita STARON, « La servitude dans le sang / L’image de la domesticité dans l’œuvre d’Octave Mirbeau », in
Statut et fonctions du domestique dans les littératures romanes. Colloque international, 26 et 27 octobre 2003,
Lublin, Wydawnictwo UMCS, 2004, p. 129 -140.
20
Pierre Michel, « Les combats d’Octave Mirbeau », page 32-220
18
conditio sociale de Célestine; car si on s’en tient toujours à l’image de la
domesticité et qui sert d’appui à la transposition dont nous avons parlé, on en
retrouve une trace à travers laquelle Mirbeau laisse paraître son indignation
contre le mutisme d’autrui : "Je n'ai pas pris mon parti de la méchanceté et de la laideur
des hommes. J'enrage de les voir persévérer dans leurs erreurs monstrueuses, se complaire à
leurs cruautés raffinées. Et je le dis21"
En effet, quand Célestine assiste à l’avilissement moral de la bourgeoisie, c’est
Mirbeau qui fait preuve d’une lucidité pitoyable en dénonçant cette infamie et
les différentes caricatures que Célestine nous peint dénotent une forme de
dénonciation que Mirbeau n’hésite pas à mettre en évidence dans son roman .
21
Citation d’Octave Mirbeau, citée par Pierre Michel dans, « Les combats d’Octave Mirbeau », page 5-220.
22
Béatrice Didier, « Le Journal intime », page 167-213
19
En effet, cet événement a laissé Célestine en proie à un souvenir indélébile
car c’est dans un rapport intime avec elle que M. Georges mourut. Le rapport
événement-intimité dans le journal d’une femme de chambre dénote d’un
« moi » autobiographique dans notre corpus et Célestine raconte un
‘‘événement’’ qui est le résultat d’une relation qui s’est nouée dans le secret et
dont la mort a consumé Georges dans ‘‘l’intimité’’.
Dans le chapitre V, Célestine reçoit une lettre dans laquelle on lui annonce le
décès de sa mère. Comme tout être humain elle cherche à comprendre les
raisons de cette mort brusque et c’est à ce moment que le rapport événement-
intimité se noue :
" Ce qui ma rendu le plus malheureuse, c’est que j’ai vu une coïncidence entre la mort de ma
mère et le meurtre du petit furet. J’ai pensé que c’était là une punition du ciel et que ma mère
ne serait pas morte si je n’avais pas obligé le capitaine à tuer le pauvre Kleber... " (P107).
23
Béatrice Didier, « Le Journal intime », Page 171-213
20
II
21
a. L’absence de la fictionnalisation de soi
24
Biographie d’Octave Mirbeau sur Wikipedia.
25
Néologisme crée en 1977 par Serge Doubrovsky ; composé du préfix auto (du grec: « soi-même ») et fiction
22
effectifs. Selon la définition de Vincent Colonna26 " La fictionnalisation de soi
consiste à s’inventer des aventures que l’ont s’attribuera, à donner son nom d’écrivain à un
personnage introduit dans des situations imaginaires. En outre, pour que cette
fictionnalisation soit totale, il faut que l’écrivain ne donne pas à cette invention une valeur
figurale ou métaphorique, qu’il n’encourage pas une lecture référentielle qui déchiffrerait
dans le texte des confidences indirectes " En outre, dans le journal d’une femme de
23
amplifiant une idée - ne serait-ce qu'en vue d'en extraire une chronique ajustée
au format standard de trois cents lignes - , Mirbeau multiplie l'effet qu'il entend
produire sur son lecteur, le retient prisonnier dans les rets de sa rhétorique, lui
martèle une conviction communicative, et souvent aussi prépare le contraste qui
mettra en lumière le caractère aberrant, grotesque ou monstrueux de la pratique
ou de l'individu qu'il souhaite ridiculiser28’’ et pour Mirbeau, la fiction est "une
hallucination naissante29"
28
Pierre Michel, « Les combats d’Octave Mirbeau » Page 199-220
29
Phrase de Bergson tirée de la définition du mot « Fiction » dans Le Petit Robert
24
Marie est le prénom de la sainte Vierge de Nazareth qui donnât naissance à
Jésus. Le prénom Marie est symbole de chasteté et de vertu ; or Célestine n’est
point chaste et vertueuse mais infernale et vicieuse.
- Et toi... mon bébé... mon gros bébé... le seul gros bébé à sa petite femme... na !...
- Ah ! Non... c’est trop rigolo aussi, vos histoires... c’est trop bête... Oh ! La La !... (Page 330)
Les onomatopées telles que “ah !”, “ et zut !...”, “toc, toc !”, na!...” qu’emploie
Célestine renforcent la continuité du langage et permet d’éviter le bégaiement
30
Pierre Michel : « les combats d’Octave Mirbeau »
26
comme le font les personnes réelles dans la vie quotidienne, car l’emploi des
onomatopées témoignent de la spontanéité de la passion et du désir et les utiliser
est une manière de faire entorse à la poétique si bien ciselée des écrivains
réalistes.
Mirbeau ne cherche pas à peaufiner sa poétique par des métaphores
séductrices mais veille à ce qu’elle soit appropriée à la situation vécue, au temps
et à l’espace. Il ne censure pas le réel mais le prend tel quel sans l’objectiver car
il s’est toujours démarqué des écrivains réalistes et naturalistes de son temps.
Le style direct employé dans la majeure partie du roman met en valeur la
lucidité de son style mirbellien, afin que ses impressions ressenties soient
explicites et traduisent son dégout du réel:
‘‘Ecrivain fin- de-siècle, Mirbeau nous présente un moi éclaté, déchiré entre des pôles
opposés, il recourt naturellement à l'oxymore pour rendre ces états mal définissables, où les
contraires s'accouplent, où l'horrible et le beau se rejoignent, où Éros et Thanatos ont partie
liée31’’
Les quelques critères de la poétique mirbellienne que nous avons relevés ci-
dessus caractérisent une volonté de distinction par rapport aux styles des
écrivains réalistes et naturalistes, car rappelons que Mirbeau a toujours été
contre l’esthétique traditionnelle et son aspiration à toujours été de s’en
démarquer :
‘‘Je suis dégoûté, de plus en plus, de l'infériorité du roman, comme manière d'expression.
Tout en le simplifiant, au point de vue romanesque32’’
31
Jean Foyard, « Structure du moi décadent chez Barrès », dans Fins de siècle, Presses de l'Université de
Toulouse-le Mirail, 1989, p. 280
32
Correspondance avec Claude Monet, Éditions du Lérot, Tusson, 1990, p. 126.
27
III
28
a. La résonnance de deux paradigmes
29
s’occupant d’avantage. Un simple meuble tel que le ‘‘lit’’ génère la question
suivante : " Est-il un théâtre qui prête plus à l’imagination, qui réveille de plus
tendres idées, que le meuble où je m’oublie quelquefois ?"
Il est la germination hypogée de pensées agréables car ‘‘n’est-ce pas dans un lit
qu’une mère, ivre de joie à la naissance d’un fils, oublie ses douleurs?’’ Quant à Mirbeau,
il aspira par le biais de l’analogie entre le macrocosme (les lieux parcourus par
la 628-E8), et le microcosme (l’effet de la vitesse qui touche à même l’intériorité
des sentiments) à « introduire un élément fondamentalement nouveau dans la perception et
la restitution du monde extérieur par l’artiste : la vitesse33 » La 628 E8 – miroir du
33
Octave Mirbeau, La 628-E8, Edition du Boucher. Préface de Pierre MICHEL
34
Octave Mirbeau, La 628-E8, édité par Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), « Fin de Siècles », 1977 [1907], p. 40.
30
Mirbeau fait montre de son ambition à déconstruire les canons du roman
traditionnel par le biais de son récit de voyage, avec la présence d’une
«discontinuité perceptible dans ce papillotement d’images menues et parallèles, [et d’une]
tendance à l’inachèvement35 » par lesquelles se caractérisent le présent récit. Le
chauffeur se lie intimement avec son automobile, comme si elle était une
femme qui procure par le biais de la vitesse un ravissement cathartique, faisant
la transfiguration du réel et ajoutant à l’ascension d’élans sensoriels : «Il aime sa
machine, il en est fier, il en parle comme d’une belle femme36 » L’automobile devient un
- Elle nous brosse une double ambition en nous éclairant sur la dualité
philosophique et littéraire du paradigme mirbellien par l’effet de la vitesse
(le microcosme). Cette dernière est le vecteur d’émotions ressenties, ainsi
que la réactualisation d’une ambition romanesque de l’auteur ; car Mirbeau
ne respecte pas le cadre du roman en faisant de l’automobile son démon
familier ; voire le catalyseur de son « tempérament » d’écrivain réfractaire à
la charpente des romans réalistes ; il nous livre par le biais de son récit,
comme le développe clairement la préface du roman "un patchwork de textes
plus ou moins arbitrairement cousus les uns aux autres, comme il l’a déjà fait dans Le
Jardin des supplices, Le Journal d’une femme de chambre et Les 21 jours d’un
neurasthéniques, et sans davantage se soucier de cacher les coutures. "
35
Roy-Reverzy, Éléonore, « La 628-E8 ou la mort du roman », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4,1997, p.1.
36
Octave Mirbeau, La 628-E8, Edition du Boucher, p.18.
31
matière sans être matière, car elle fait son état d’esprit en le plongeant dans
une « volupté cosmique37 » à travers cette traversée européenne.
‘‘Cette découverte métaphysique influe tellement sur mes idées et sur mes actions, qu’il serait
très difficile de comprendre ce livre, si je n’en donnais la clef au commencement. Je me suis
aperçu, par diverses observations, que l’homme est composé d’une âme et d’une bête.38’’
37
Claude Pichois, Vitesse et vision du monde, La Baconnière, Neuchatel, 1973 (surtout pp. 82-84, 89 et 93-94).
38
Xavier de Maistre, Voyage autour de ma chambre. Edition Ebooks libres et gratuits, p. 13.
32
plus parfaits. Aussi loin que peut se poser le regard émotionnel de l’auteur, et
ce, nonobstant l’exiguïté de la pièce, l’esprit se meut d’idée en idée au moment
même ou il saisi machinalement un objet, comme par exemple le portrait de
Mme de Hautcastel, qu’il saisi afin de l’épousseter et laisse transparaitre une
conflagration passionnelle :
« À mesure que le linge enlevait la poussière et faisait paraître les boucles de cheveux blonds
et la guirlande de roses dont ils sont couronnés, mon âme, depuis le soleil où elle s’était
transportée, sentit un léger frémissement de cœur et partagea sympathiquement la jouissance
de mon cœur...39 »
39
Xavier de Maistre, op. Cit, p. 19.
33
b. La quête de soi et ses composantes dans le paradigme
maistrien et mirbellien.
La quête de soi s’affirme à travers le subjectivisme des deux auteurs ; car c’est
en s’arc-boutant sur leurs sensations qu’ils nous livrent un modèle de pensée
consubstantiel à leur intériorité. Ils laissent libre court à leur réflexion,
nonobstant la différence du cadre spatio-temporel : l’un est emprisonné et l’autre
parcours vallons et collines. Au fur et à mesure qu’ils se livrent à des réflexions,
une partie d’eux-mêmes s’implique dans le raisonnement. Xavier de Maistre fait
un voyage de trente-six pas de tour afin de laisser libre cours à l’expression de
ses émotions et de ses inspirations, toujours en corrélation avec l’atmosphère qui
constitue un aspect partiel de la réalité objective. Quant à Octave Mirbeau, il est
avant tout, on le sait, un démystificateur qui déconstruit l’image de la réalité
sociale vue à travers le prisme d’idéologies, revêtues d’un caractère idéal, et
aspire à titiller la conscience de ses lecteurs et à « éveiller leur méfiance à l’égard de
tous les mensonges40 » La quête de soi est inhérente à la personnalité des deux
40
Pierre Michel, notice « Mystification », dans le Dictionnaire Octave Mirbeau.
34
suscitées par l’effet produit à la vue circumspective de la chambre. Il laisse
paraître son enjouement quant à certaines habitudes, nonobstant sa condition de
prisonnier :
« J’ai dit que j’aimais singulièrement à méditer dans la douce chaleur de mon lit et que sa
couleur agréable contribue beaucoup au plaisir que j’y trouve.41 », ce qui atteste,
indéniablement une liberté de soi et « le libre choix » qui « élargit la sphère de la liberté [...]
Elle permet de distinguer l’indépendance (capacité de faire par soi-même) et l’autonomie
(capacité de vouloir par soi-même) – on peut être dépendant, et faire valoir son
autonomie42 »
La quête de soi est véhiculée par une dynamique de l’esprit, elle est l’unité
d’une multiplicité ; car elle est composée du libre choix, d’une capacité de
vouloir par soi-même et la non-réification de soi. Cette dernière est l’épicentre et
devient un impératif d’émancipation, voire le trait d’union entre de la volonté
d’être dans la réflexion maistrienne (la méditation sur le rapport qu’entretien
l’âme et la bête) et la volonté d’exister dans la réflexion mirbellienne (la
concrétisation constante d’une écriture engagée sur le terreau de la littérature
universelle).
41
Xavier de Maistre, Voyage autour de ma chambre, p.34
42
Agata Zielinski, Le libre choix. De l’autonomie rêvée à l’attention aux capacités, p.3
35
de Sartre : Mirbeau refuse de courber l’échine devant des courants littéraires, à
l’instar du réalisme et du naturalisme qui sont en déphasage avec sa vision
d’écrivain moderne ; le Don Juan de l’idéale, tel que le voyait Georges
Rodenbach.
43
Pierre MICHEL, Les combats d’Octave Mirbeau, p.7
36
IV
Mirbeau et Schopenhauer
La dynamique d’une éthique
37
Appréhender l’œuvre mirbellienne dans sa traçabilité diachronique dit
beaucoup plus sur une entreprise générée par une autorité auctoriale, tirant sa
source d’un rapport consubstantiellement littéraire et d’imprégnation
philosophique. Nous savons que Mirbeau a été profondément marqué par la
philosophie schopenhauerienne. Schopenhauer considère la philosophie non
seulement comme un mode de vie mais aussi une pratique spirituelle qui génère
une purification et dont il tire cette source transcendantale de la volonté qui « est
le principe absolu du monde. Cette volonté se situe au-delà du temps, de l’espace et de la
causalité qui sont formes diverses du principe de raison, n’est applicable qu’à un ordre
déterminé de représentations ; la distinction du sujet et de l’objet, au contraire, est le mode
commun à toutes, le seul sous lequel on puisse concevoir une représentation quelconque,
abstraite ou intuitive, rationnelle ou empirique44 »
Le volontarisme éthique de Schopenhauer s’articule au tour de la volonté de
vivre et d’être. Cette dernière émane de la volonté qui est le principe absolue du
monde et que l’homme est poussé par cette volonté vers les intrigues, l’égoïsme
et l’avidité que seul la mort finira par vaincre.
38
De Platon à Schopenhauer, en passant par Kant, la recherche de ce qu’appeler
Platon le réellement réel ; c’est-à-dire l’idée qui est « art de demander et rendre
raison » (République 533c), clef de la réalité et de la connaissance, est l’épicentre de
leur système de pensée. Les combats menés par Octave Mirbeau au cœur de la
scène sociale sont alimentés par l’idée du vouloir-vivre qui affleure à la
conscience et fait montre d’une implacable pusillanimité de la conscience
collective, réduisant l’homme à un simple fantoche, instrumentalisé par le
magistère de démagogues, affairistes qui visent à crétiniser et tromper le peuple
qui va « plus moutonnier que les moutons, élire le boucher qui le tuera et le
bourgeois qui le mangera45 »
Octave Mirbeau ne pouvait supporter d’être indéfectiblement sous la
l’hégémonie d’une société instrumentalisée par des institutions politiques et
idéologiques. Il le concevait comme une « effroyable aggravation de l’état, une mise
en tutelle violente de toutes les forces individuelles d’un pays46 »
Cette phase du pessimisme, s’exprimant par la souffrance, la colère et la
persévérance sécrétât une volonté d’exister qui se reflétait dans le volontarisme
éthique de Mirbeau ; différente de la volonté d’être qui dans la philosophie
schopenhauerienne. L’un et l’autre peignaient intensément le kaléidoscope des
tourments intérieurs, qui a fatalement généré la résurrection d’un individualisme
étouffé, qui remonte à la surface et décide de s’opposer, contre vents et marrés «
aux stupides, aux dangereuses, aux annihilantes doctrines sociales47», tant dis que
énormément et voyait en lui un génie, un homme a « loué dans tous les siècles des
siècles48 »
45
Octave Mirbeau, La grève des électeurs, Le Figaro, 8 Novembre 1988.
46
O.M, Questions sociales, Le Journal, 20 Décembre 1896.
47
O.M, Les littérateurs et l’anarchie, interview de Mirbeau par André Picard, Le
Gaulois, 25 Février 1894.
48
Safranski ( Rudiger), Schopenhauer et les années folles de la philosophie, trad. Hans Hildenbrand,
39
Qu’est-ce que l’homme ? Ce bipède condamné au supplice de « la roue
d’Ixion49 » – mythe qu’à toujours invoqué Schopenhauer pour décrire le dilemme
40
humain est un objet matériel ancrée dans le temps et dans l’espace, nous
pouvons en l’occurrence disposait d’une connaissance directe des appels
rythmés de nos sensations (la peur, le désir sexuel, la cruauté), sans chercher à
en expliquer la nature profonde ; car comprendre le fond de ses besoins c’est
vivre la perfection, en l’occurrence l’ennui.
Schopenhauer voyait dans l’appréhension de nos fréquences sensorielles le
succédané de notre sérénité car :
« Le travail, l’inquiétude, le labeur et le tourment sont sans nul doute le lot de presque tous
les hommes. Mais si tous les désirs étaient exaucés dès qu’ils se faisaient jour, de quoi les
hommes s’occuperaient-ils ? A quoi passeraient-ils leur temps ? Supposant que le genre
humain soit envoyé en Utopie, où tout pousserait automatiquement, où tous les pigeons
voleraient déjà tout rôtis ; où chacun trouverait sans peine l’élu de son cœur et n’éprouverait
aucune difficulté à le garder. Les gens mourraient d’ennui ou se pendraient immédiatement,
où alors ils se battraient entre eux, s’étrangleraient et s’entretueraient, s’infligeant plus de
souffrance que la nature ne leur en fait subir aujourd’hui50 »
In extremis, nous sommes inexorablement des frères de souffrance, voués par
la force primaire qu’est la volonté aux intrigues, à l’égoïsme et l’avidité que seul
la mort finira par vaincre. Cette volonté d’être dans la souffrance est
consubstantielle à celle qu’on retrouve dans les personnages mirbelliens,
condamnés éternellement à vivre une douleur d’ordre ontologique et
inexplicable. Voilà l’Abbé Jules, écœuré par la catholicité de l’église, oscillant
entre la déréliction et la contrition : Il tente de violer une jeune campagnarde,
fait du chantage à l’Evêque, avoue ses pêchés de manière éhontée, tantôt enragé
contre l’Eglise, tantôt enragé contre Dieu.
Désorienté dans sa vie, infortuné, il ne croit plus en sa vocation de prêtre qui
ne lui apporte pas la paix intérieure ; mais une perpétuelle intériorité en émoi.
Ni le remords, ni la rédemption ne sont capables d’apporter cette sérénité.
Loin de se limiter une représentation fictionnelle, l’irrigation du vouloir-être
auquel répond Schopenhauer par l’acceptation inexorable des émotions dans les
50
Arthur Schopenhauer, Pensée et fragments, trad. Jean Bourdeau, Genèves, Ressources, 1979, p. 55
41
personnages mirbelliens se concrétise dans la réalité par une volonté d’exister
dans l’engagement d’Octave Mirbeau. Cette dynamique de l’éthique se
cristallise dans son parcours d’écrivain démystificateur, anarchiste,
anticolonialiste et a pour noyau une volonté d’exister qui déplore la pression de
républicains, d’hommes politiques opportunistes dont le magistère vertueux
n’est qu’une poudre maléfique qui aveugle le peuple en lui jetant à la figure des
promesses qui « ne correspondent pas aux besoins et aux idées qui éveillent en nous un
rêve de justice, de liberté et de bonheur51 »
L’engagement social dont a fait preuve Octave Mirbeau touche la société,
dans ses multiples adhésions politiques et religieuses, traverse le temps et
l’espace, pour s’ancrer dans une résonnance universelle. Se proclamant athée
comme son ainée, Mirbeau dénonce le pharisaïsme aberrant de l’église
catholique. Voilà la volonté d’être du jeune Sébastien Roch, profondément
mutilé par le viol, victime d’une violente commotion qui sécrétât en lui une
sombre mélancolie et cherchant vainement à conjurer son mal-être. A mesure
qu’il grandit, Sébastien voit sa souffrance intérieure se projetait graduellement
dans sa constitution corporelle; il devînt « maigre et pâle. Son dos se voûtait
légèrement, sa démarche devenait lente, indolente même ; ses yeux conservaient un bel éclat
d’intelligence qui souvent se voilait, s’éteignait dans quelque chose de vitreux. À la franchise
ancienne de son regard se mêlaient maintenant de la méfiance et une sorte d’inquiétude
louche qui mettait comme une pointe de lâcheté dans la douceur triste qu’il répandait autour
42
dans le sens d’une concrétisation de la volonté d’exister. Celle-ci est
consubstantielle au subjectivisme de l’auteur et souligne son engagement, car il
a toujours « voulu dessiller nos yeux, et nous obliger à découvrir les êtres et les choses, les
valeurs et les institutions, tels qu'ils sont, et non tels que nous avons été conditionnés à les
voir — ou, plutôt, à ne pas les voir53»
53
Pierre Michel, Les mystifications épistolaires d’Octave Mirbeau, p.01, mis en ligne par la Société
Octave Mirbeau.
54
Schopenhauer, le monde comme volonté et comme représentation, p.391
55
Personnage de LESAGE dans le diable boiteux, il inspirât Mirbeau, quant à la mise à nue de la réalité abjecte
de certaines institutions qui régissent la société.
43
brandit sa plume et crie son indignation contre les exploiteurs de la misère
humaine. Il nous ouvre les yeux sur les institutions mystificatrices que sont
l’église, l’école, l’armée, le capitalisme industriel en les caricaturant à travers
des diatribes corrosives, poussant ainsi les bien-pensants à le considérer comme
un iconoclaste. La volonté d’exister de Mirbeau qui a pour assise son éternel
engagement libertaire, sauvegarde son volontarisme éthique et répond à la
dialectique de la convergence et de l’aboutissement. Les réminiscences
schopenhaueriennes corroborent l’éternel besoin d’exorcisation du mal-être
récurrent des personnages mirbelliens, désenchantés et sans la moindre
perspective de transcendance. La volonté d’être et la volonté d’exister abonde
dans le sens d’une non-réification de soi ; répondant à un besoin d’être dans la
philosophie schopenhauerienne et un besoin d’exister dans la conception
littéraire de Mirbeau. L’un privilégie l’universalité de l’être en tant qu’être dans
la souffrance, tant dis que l’autre aspire à exister, malgré l’infatigable règne des
instances corrompues qui régissent le pays à tous les niveaux de la hiérarchie
sociale. Le rapport symétrique réside dans la volonté individuelle des deux
auteurs. La thèse ontologique de Schopenhauer est une négation de la vie, non
dans sa déficience mais dans son désaccord avec la satisfaction inextinguible des
émotions humaines. L’être en tant qu’être est invariablement en contradiction
avec ses valeurs ; car il est victime de la passion dévorante qui l’avilit, à mesure
qu’il s’enlise dans son éternel vouloir-vivre. Celui-ci se traduit ainsi dans la
thèse schopenhauerienne car « La satisfaction, le bonheur, comme l'appellent les hommes,
n'est au propre et dans son essence rien que de négatif ; en elle, rien de positif56 »; mais
l’imprécateur au cœur fidèle le conçoit en contrepoint. Sa vision ontologique de
l’être est en adéquation avec celle du philosophe allemand car rien n'arrêtera le
broiement des peuples" et "l'immolation de l'individu", et que rien n'empêchera l'homme de
"poursuivre son rêve sanguinaire57.
56
Schopenhauer, Opus cité, Livre IV, p. 403
57
Octave Mirbeau, Tartarinades, Le Matin, 25 décembre 1885.
44
Mais c’est en Don Quichotte éclairé que Mirbeau se jette dans la lutte sociale,
conscient que la quête du bonheur n’est qu’une chimère. Ainsi la corrélation
avec le pessimisme Schopenhauerien aboutit à un optimisme mirbellien. Car
Mirbeau s’embarque en toute lucidité dans le ressort d’une lutte indéfectible
contre l’avilissement de la société, en brandissant le glaive de la justice et de la
vérité ; ne voulant plus être une instance sociale aliénée par les oraisons d’un
catholicisme à effet narcotique, qui endorme les consciences et aliènent les
esprits naïfs, d’où le magistère de l’éthique mirbellienne. Engagé dans l’affaire
Dreyfus, Mirbeau fait montre de son volontarisme éthique, en faisant vibrer la
corde de l’humaniste engagé. Il appréhende l’affaire Dreyfus, à travers la
lorgnette de son humanisme objectif dans Le Journal d’une femme de chambre,
où l’hostilité de Joseph est un élément évocateur, car Mirbeau prône, en
humaniste engagé l’innocence d’Alfred Dreyfus. Joseph est pour l’exécution de
Dreyfus ; Mirbeau nous esquisse l’image machiavélique d’un antidreyfusard,
laissant paraitre son humanisme objectif quant à la cause Dreyfusarde. Ainsi
Mirbeau ne cesse de nous étonner ; nonobstant la notoriété du philosophe
Allemand Schopenhauer qui a inspirait un grand nombre de philosophes à
l’instar de Nietzsche, l’inspiration mirbelienne semble dynamique car elle ne se
contente point de reprendre l’essence d’une pensée dans son exhaustivité mais
accouche d’un paradigme bien propre à elle et inclassable dans le temps.
45
TABLE DES MATIERES
Avant propos 3
Présentation 7
Bibliographie 47
46
Bibliographie
I. Ouvrages
-Emile Henriot, La manie du journal intime et le roman autobiographique, Edition Monaco (1924)
-Dominique Rincé- Bernard Lecherbonnier. Littérature XIXe Siècle, Textes et Documents, Nathan,
Paris (1986)
-Gérard Gengembre. Les grands courants de la critique littéraire, Seuil, Paris (1996)
-Paul Ricœur. Du texte à l’action, essais d’herméneutique II, Seuil, Paris (1986)
-Pierre V. Zima. Pour une sociologie du texte littéraire, Union générale d’éditions, Paris (1978).
47
II.Webographie
-Gaéton Davoult. « L’Ecriture du déchet dans le journal d’une femme de chambre », mémoire de
maîtrise, université du Havre, 2002, http://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancais/Davoult-
Ecriture%20du%20dechet.pdf
-Samuel LAIR, « La 628-E8 » : ‘‘Le nouveau jouet de Mirbeau’’, Cahiers Octave Mirbeau N°15.
- Yannick Lemarié et Pierre Michel. « Dictionnaire Octave Mirbeau », Société Octave Mirbeau, 2011,
1195 pages.
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/
- Yannick Lemarié. « Octave Mirbeau, l’affaire et l’écriture de combat », 2000
http://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancais/Lemarie-combat.pdf
-Pierre Michel. « Jean Paul Sartre et Octave Mirbeau », Société Octave Mirbeau, 2005,
http://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancais/PM-SartreetMirbeau.pdf
-Pierre Michel. « Lucidité, désespoir et écriture », Presses de l’université d’Angers – Société Octave
Mirbeau, 2001. http://www.scribd.com/doc/2383817/Pierre-Michel-Lucidite-desespoir-et-ecriture.
-Pierre Michel. « Octave Mirbeau et le roman », société Octave Mirbeau, Angers 2005,
http://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancais/PM-OM%20et%20le%20roman.pdf
48
-Pierre Michel. « Préface du Journal d’une femme de chambre ». Edition du Boucher.
http://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancais/PM-preface%20Journal%20femme%20de%20chambre.pdf
-Anita Staron. « La servitude dans le sang. L’image de la domesticité dans l’œuvre d’octave
Mirbeau », in Statut et fonctions du domestique dans les littératures romanes, Lublin, Wydawnictwo
UMCS, 2004. http://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancais/Staron-laservitudedansle.
-Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, Edition numérisée par Guy
Heff.
- Yannick Lemarié et Pierre Michel. « Dictionnaire Octave Mirbeau », Société Octave Mirbeau, 2011,
1195 pages.
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/
- Agata ZIELINSKI, Le libre choix. De l’autonomie rêvée à l’attention aux capacités. PDF.
49
50