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L'animal pense-t-il ?

« Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait ». Ainsi s'adresse le pilote
Henri Guillaumet à son ami Antoine de Saint Exupery après avoir marché seul cinq jours durant, en
plein hiver austral, dans les montagnes de la cordillère des Andes où son avion s’était écrasé. Pour
Saint Exupery, cette phrase qu'il retranscrit dans Terre des Hommes, « situe l'homme » et « rétablit
les hiérarchies vraies ». Fonder le propre de l'homme, lui permettre de s'identifier comme tel en
mettant les autres animaux à distance, telle semble également la fonction de ce que nous nommons
« l'animal » au singulier.
En effet, « l'animal » au singulier paraît se distinguer de l'expression au pluriel « les
animaux » qui, en désignant le règne animal constitué des êtres multicellulaires se nourrissant de
substance organique, inclut nécessairement l'homme. « L'animal » au singulier serait, au contraire,
moins une communauté biologique d'êtres vivants à laquelle l'homme appartiendrait que la manière
pour ce dernier de s'extraire du règne animal. « L'animal » devient l'altérité, le miroir que l'homme
se construit à travers le langage afin de se reconnaître et se différencier. L'homme est alors l'animal
capable de penser en première personne, de dire « je » grâce à sa conscience réflexive qui lui
permet de mettre le monde à distance et de penser sur sa propre pensée. En s'érigeant ainsi en
animal rationale, l'homme prive simultanément « l'animal » de raison, de conscience et donc de
pensée. Pourtant, un simple échange de regard avec un chat semble bien souvent nous rendre
illégitime à lui refuser toute pensée. Par ailleurs, l'éthologie moderne démontre que certains
animaux non humains seraient capables de résoudre des problèmes complexes comme l'ouverture
d'une serrure aux multiples mécanismes sans apprentissage préalable, de construire des outils ou de
développer une agriculture. Les animaux non humains nous apparaissent alors capables de mettre en
œuvre certaines formes de pensée, auxquelles il nous semble néanmoins presque impossible
d'accéder. On s'interroge alors : L'homme peut-il savoir si les animaux non humains pensent comme
lui ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous analyserons dans un premier temps les raisons
qui ont pu pousser les hommes à refuser la pensée à l'animal. Puis, nous chercherons à savoir si
l'absence présumée de langage chez l'animal l'empêche nécessairement de penser et si elle le
condamne à nous être inaccessible. Enfin, nous nous interrogerons sur la capacité de l'homme à
fournir une définition rigoureuse et objective de la pensée ainsi que sur sa légitimité à se l'attribuer.

Il convient tout d'abord de se demander de quel droit et dans quels buts l'homme refuse la
pensée à l'animal. Est-ce seulement pour instituer un propre de l'homme ?
Le discours de la modernité humaine qui refuse la pensée à « l'animal » semble dominé par
la théorie de « l'animal machine » du philosophe René Descartes. Selon lui, prêter la pensée aux
animaux non humains relèverait d'un pur anthropomorphisme, un « préjugé de notre enfance ». Ce
qui constitue pour lui sinon la preuve (impossible selon lui), du moins le signe d'une absence de
pensée est d'abord leur incapacité à communiquer avec l'homme à travers le langage. Les différents
signes que l'on pourrait observer chez eux ne seraient ainsi que des purs automatismes produits par
des automates. Par ailleurs, selon Descartes, si les animaux pensaient comme l'homme, ils
possèderaient comme eux une âme immortelle, ce qui n'est pour lui « pas vraisemblable »
notamment dans le contexte religieux et politique du XVIIème siècle. Comment expliquer le succès
de cette théorie jusqu'à la modernité alors qu'elle peut sembler ce que Montaigne appelait déjà, au
XVIème siècle, « une impudence humaine sur le fait des bêtes » ?
Dans son ouvrage L'animal que donc je suis, Derrida propose une explication à l'attitude
humaine qui « taille » et « distribue » les facultés aux animaux comme « bon lui semble » pour
parler comme Montaigne. Pour Derrida, l'utilisation de l'article défini dans l'expression « l'animal »
permet à l'homme d'enclore tous les animaux non humains dans « un territoire de chasse ou de
pêche, un terrain d'élevage ou un abattoir » en niant leur extraordinaire diversité ainsi qu'en les
privant de facultés telles que la pensée. Selon l'auteur, l'homme sépare alors ses semblables de
« l'animal », qui est exclu du « tu ne tueras point ». Le mot « d'animal » devient un outil
d’assujettissement des animaux qui légitime la production industrielle de viande et de peau comme
leur utilisation par la médecine. En refusant dans sa définition même la pensée à l'animal, le mot
« d'animal » autorise ainsi l'homme à rester dans un sommeil dogmatique et lui permet d'effacer
toute forme de culpabilité à exploiter l'animal. « L'animal » permettrait donc précisément à l'homme
de ne plus « penser » à ce qu'implique manger de la viande ou expérimenter sur les animaux.
En privant « l'animal » de la capacité de penser, l'homme fonde un propre de l'homme et
assied sa domination sur les animaux. A l'instar de Descartes, qui laisse aux animaux la charge de
prouver qu'ils pensent car « l'esprit humain ne peut pénétrer dans leur coeur », doit-on pour autant
renoncer à analyser les formes de pensée des animaux non pourvus de langage ?

C'est, nous allons le voir, contre ce « mystérianisme» qui décrète la question de l'esprit
animal insoluble, que tente de lutter Joëlle Proust dans son livre Les animaux pensent-ils ?.
Dans cet ouvrage, Joëlle Proust tente tout d'abord de faire éclater l'apparente homogénéité
contenue dans le terme unique « d'animal » en proposant une gradation des formes de pensée
animale. L'auteure démontre en effet en s'appuyant sur l'éthologie moderne que les animaux
peuvent agir soit par simple réflexe, soit au moyen de « proto-représentations » (simple covariations
du comportement) ou soit avec une réelle pensée. Cette pensée est définie par Joëlle Proust comme
« la formation d'une représentation structurée du monde extérieur avec des objets stables et porteurs
de propriétés ». Les animaux non humains dôtés de cette forme de pensée, seraient donc capables de
faire référence à un objet du monde, de lui associer une ou plusieurs propriétés et donc de lui
attribuer un concept. Le geai par exemple, serait capable de se rappeler où il a caché de la nourriture
mais aussi de revenir la cacher ailleurs s'il a été observé lors de la première cache par un autre
oiseau. Ce comportement prouve, selon l'auteure, que le geai a nécessairement une « pensée
détachée de son monde ».
Cependant, pour Joëlle Proust, l'animal non humain n'a pas pour autant la capacité de penser
sur sa propre pensée, de former comme elle l'appelle « une pensée de second ordre ». Cette
incapacité s'expliquerait, selon l'auteure, par l'impossibilité chez les animaux non humains de
former des méta-représentations qui leur permettrait par exemple de comprendre de manière
réflexive ce qu'ils voient ou ce qu'ils sentent. Cette incapacité serait d'ailleurs, selon elle, accentuée
par l'absence de langage complexe qui contrairement à une simple communication articulerait « la
sémantique sur la syntaxe ». Néanmoins, cette absence de conscience réflexive ne les empêcherait
ni de construire des concepts ni de ressentir de la douleur. Ainsi pour l'auteure, certains animaux
sont capables d'une « conscience phénoménologique implicite » dans le sens où ils peuvent vivre
une expérience douloureuse sans qu'ils aient pour autant « une faculté d'introspection » leur
permettant de se représenter la douleur « en tant que telle ».
Il est par ailleurs important de noter que cette mise en évidence chez l'animal de diverses
formes de pensée pouvant exister sans langage ni conscience réflexive, n'est rendue possible que
grâce à l'approche novatrice de l'éthologie moderne. Comme le montre Vinciane Despret dans son
article « Sheep do have opinions », dans lequel elle relate les méthodes d'observations d'un troupeau
de moutons par la primatologue Thelma Rowell, l'efficacité de l'éthologie tient avant tout dans son
attitude d'ouverture à l'égard des animaux. L'éthologie moderne considère en effet que l'absence de
pensée que l'on prête à certains animaux comme le mouton vient, peut-être et avant tout, de l'échec
de l'homme à les comprendre. Ainsi, tenter d'observer les modes de pensée du mouton impliquera
par exemple pour la primatologue, de ne pas limiter les observations des mâles aux périodes de rut
ou de ne pas mettre en place de compétition pour la nourriture.
En même temps qu'elle accorde une pensée silencieuse à l'animal, Joëlle Proust semble
attribuer seulement à l'homme la capacité de percevoir le réel « en tant que tel » au moyen d'une
pensée réflexive. Cette attribution est-elle légitime ?

Dans cette dernière partie, nous tenterons de répondre à cette question en analysant la pensée
de Martin Heidegger sur l'animal dans Les Concepts fondamentaux de la métaphysique ainsi que la
critique qui en est faite par Jacques Derrida dans L'animal que donc je suis.
Pour Heidegger, l'animal diffère de l'homme en ce qu'il n'est pas capable d'avoir un rapport
au réel comme « étant comme tel», de « laisser la chose telle qu'elle est ». Ainsi, il montre par
exemple que le réel est inaccessible au lézard « comme étant » puisque le soleil auquel il se chauffe
ne lui est pas « donné comme soleil, soleil à propos duquel il pourrait poser des questions
d'astrophysique et y répondre ». Heidegger semble donc rejoindre la vision de Françoise Proust
puisqu'il présente l'animal comme incapable de se représenter le réel « en tant que tel », comme
entretenant toujours avec lui un inéluctable rapport d'utilité. Mais on s'interroge alors : l'homme est-
il, lui même, capable de ne pas appréhender le réel à partir de sa « propre perspective »?
C'est en invoquant Nietzsche que Derrida semble répondre par la négative à cette question.
L'homme ne peut pas, selon lui, appréhender le réel en dehors de son propre « dessein vital »
puisque comme le montre l'analyse nietzschéenne, tout rapport à l'étant « est pris dans un
mouvement […] du vivant » et reste inéluctablement « un rapport « animal » ». La capacité
conférée à l'homme par Heidegger d'appréhender le soleil comme pur « étant » et comme sujet de
cosmologie peut donc être remise en cause. Elle pourrait l'être aussi, pour d'autres raisons, par
David Hume. En effet, pour Hume la raison qui pousse les philosophes à refuser la pensée à
l'animal est qu'ils « supposent une subtilité et un raffinement de pensée qui dépassent non seulement
la capacité des simples animaux, mais aussi […] des gens ordinaires de notre propre espèce ». Il
peut en effet sembler illégitime de dire que tout homme qui regarderait le soleil se le représenterait
non seulement « comme tel » mais se poserait nécessairement à son sujet des questions
d'astrophysique. L'illusion de porter sur le réel un jugement purement détaché et objectif, mais
également un certain élitisme, empêcherait donc l'homme de s’apercevoir qu'il peut, lui aussi, être
« privé » de cette même pensée qu'il refuse aux animaux.
Enfin, Derrida invite dans son ouvrage à se demander si l'homme possède le « concept pur,
rigoureux et indivisible » de se dont il prive l'animal, ici la pensée. L'homme s'accorde-t-il donc sur
ce que « penser » veut dire ? Vinciane Despret qui a notamment analysé les travaux de
l’anthropologue Catherine Lutz portants sur les habitants d'un atoll du Pacifique Occidental, les
Ifaluks, tente de démontrer le contraire. En effet, pour ce peuple, le même terme désigne à la fois
penser au sens de raisonner mais également au sens de percevoir, sentir et ressentir. Ainsi, alors que
notre culture « cartésienne » érige la seule raison en reine et considère toute émotion ou passion
comme un obstacle à la pensée, d'autres hommes comme les Ifaluks, les considèrent comme
indissociables dans l'acte même de penser.

En regroupant l'ensemble des animaux non humains dans le « singulier général de


« l'animal » », l'homme commet à leur égard une double forme de « violence » que dénonce Jacques
Derrida. En construisant le territoire de ce qui est « bête », l'homme les prive simultanément de leur
extraordinaire diversité et de toute faculté de penser. Il fonde ainsi son propre territoire et jette un
voile opaque sur le reste du monde animal pour ne pas voir ce qu'il lui fait subir, pour s'empêcher
d'y « penser ». Si les animaux pensaient, nous dit d'ailleurs Descartes, ils seraient capables de
manifester leur pensée dans une communication réussie avec nous et ainsi de nous donner tort.
Cependant, en inversant diamétralement la charge de la preuve, l’éthologie moderne nous montre
que l'absence de langage commun ne nous autorise pas à leur refuser la pensée. Les animaux
pensent, même sans parole, et tous différemment, nous dit Joëlle Proust qui propose une nouvelle
épistémologie. Beaucoup d'entre eux sont capables de se représenter des objets et de leur attribuer
des concepts, de produire une pensée détachée de leur monde. Difficile toutefois, même pour
l'éthologie moderne, de ne pas associer la pensée à l'intellect et d'envisager des formes de pensée
non teintée d'anthropomorphisme. Joëlle Proust, au même titre qu' Heidegger présente encore
l'homme comme seul capable d'une pensée réflexive lui permettant de se représenter les objets du
monde « en tant que tel ». Cela peut sembler, nous l'avons montré, en partie illégitime. Les hommes
pensent selon des degrés d'abstraction divers et ne s'accordent pas rigoureusement sur la définition
de ce qu'est penser. Enfin, l'homme entretient un rapport animal avec le monde et il n'est pas certain
qu'il puisse légitimement s'attribuer la pensée pure dont il prive l'animal. Doit-on pour autant
remettre totalement en cause la frontière qui séparerait l'homme et ce qu'il nomme « l'animal » ?
« L'animal » semble plutôt nous inviter à changer notre manière de « penser », notre manière
de le « voir » et peut-être ainsi notre manière de « nous voir ». Les animaux non humains ne
pensent peut-être pas exactement comme nous mais difficile de nier qu'ils « réfléchissent » en ce
sens qu'ils « nous réfléchissent ». « L'animal » apparaît en effet comme un jeu complexe de miroirs
qui nous réfléchit et nous invite à « penser ». En nous renvoyant parfois une image qui nous fait
honte, « l'animal » nous incite à «repenser » la souffrance animale et l'action juste face aux animaux
dans une nouvelle éthique. Par ailleurs, en nous renvoyant une image souvent multiple et floue,
« l'animal » nous met à l'épreuve de notre propre univers culturel et reflète la diversité de l'homme.
Il nous pousse à interroger la multiplicité des sens de ce que représente « penser » chez l'homme
pour les comparer aux multiples façons de « penser » des animaux. Autrement dit, à créer une
langue commune. Enfin, en nous renvoyant une image dont les contours s'entremêlent avec les
images animales, il nous oblige à « penser » le propre de l'homme sur le registre d'une diversité de
limites protéiformes, polysémiques et partagées avec la multiplicité du vivant. Peut-être s'agira-t-il
alors pour l'homme d'apprendre à créer comme une araignée, à écrire comme un oiseau ou même,
sait-on jamais, à penser comme un chien.

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