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Le réel et la science

De tous temps, les philosophes ont observé que l'ordre de la


nature a été suggéré à l'homme par le fait que certains phénomènes
se reproduisent, que des circonstances analogues entraînent des
chaînes semblables d'événements. C'est donc la répétition de cer-
taines apparences qui est à l'origine de la recherche scientifique,
de l'espoir des hommes en l'intelligibilité de la nature.
Mais « répétition » est pris ici dans un sens encore tâche, flou,
qui résiste mal à l'analyse. Proprement, un phénomène ne se répète
pas. Un fait observé dans la nature présente toujours des conditions
si complexes que leur répétition identique et détaillée est infiniment
peu probable. Même l'observation dirigée qu'on nomme expérience
ne peut nous offrir la répétition d'un phénomène, du moins à ce
stade de la recherche où nous commençons à édifier la science
répéter une expérience, c'est en connaître tous les éléments constitu-
tifs, avoir éprouvé l'action de tous les facteurs externes ou internes
cela suppose une analyse complète préalable du phénomène c'est
le couronnement de son étude, ce n'en saurait être l'entreprise.
Ce que la nature offre au chercheur qui sait l'y découvrir, ce
que l'expérience précise, c'est la répétition, non d'un phénomène
dans sa complexité, mais d'une relation élémentaire relation entre
la hauteur d'un réservoir et la vitesse de l'eau qu'il débite, relation
entre le poids de cuivre dissous dans l'électrolyte et la chaleur
dégagée par le courant de la pile, relation entre les poids des corps
mis en jeu dans une réaction chimique.
Sans préciser davantage pour le moment, nous pouvons dire que
certains éléments mesurables des phénomènes ont entre eux des
relations quantitatives qui se répètent, c'est-à-dire qui peuvent
s'exprimer par un énoncé unique, valable pour tous les cas, par
ailleurs très divers, où ces relations apparaissent ainsi l'accélération
d'un corps, mesurée au chronomètre et au mètre, est toujours
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proportionnelle à la force qui le sollicite, mesurée au dynamomètre.


Parlant d'éléments~ mesurables », nous admettons la définition
de la mesure. L'accord est généralement fait sur cette définition qui
n'implique pas la connaissance de l'être, ni aucune hypothèse sur la
nature du monde extérieur, mais seulement comparaison entre des
apparences, qui remplit certaines conditions. L'opération de la
mesure nous fournit d'ailleurs les exemples les plus simples de
relations répétables ainsi le rapport des dimensions d'un corps
solide est constant.
Mais il suffit à vrai dire pour obtenir une relation répétable
d'éléments repérables, au sens connu de ce terme ainsi il y a deux
relations répétables entre la pression, mesurable, et la température,
repérable, de l'eau qui bout d'une part une valeur de l'une corres-
pond toujours & une seule valeur de l'autre d'autre part l'une et
l'autre sont constantes tant que l'eau bout.
Nous pouvons faire tout de suite une remarque qui sera essen-
tielle une relation qui se répète s'exprime par un énoncé unique,
avons-nous dit. Si nous cherchons à transcrire cet énoncé quantitatif
en langage symbolique, il lui correspond une formule, expression
mathématique de la relation élémentaire. Ainsi rien ne nous interdit
d'appeler F la force ci-dessus, y l'accélération, et de traduire la
F
relation par–= c~s. Ma:s nous voyons que l'énoncé unique recouvre
Y
une tft~Ktfe de formules, toutes celles qui correspondent aux diné-
rentes valeurs de la constante ou encore, la transcription en langage
symbolique de la relation répétabte entre éléments mesurables
nécessite l'introduction supplémentaire de paramètres arbitraires,
coefficients de proportionnalité ou autres.

B
La valeur fondamentale de la répétition pour la théorie de la
connaissance nous paraît due à ce qu'elle est la voie commune qui
conduit aux concepts si différents d'être et de loi.
La notion d'être implique la permanence mais la permanence
de t'être est une exigence métaphysique, ce n'est pas un concept
opérationnel (au sens de Bridgman). Sauf, pour chacun de nous,

1. C'est-à-dire qui, puisse être déuni en termes d'expériences, construit


par dos opérations réalisables (au moins virtuellement) ou Ertèbnisse ».
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notre moi, aucun objet d'expérience ne peut être soumis à une


observation continue. La permanence d'aucune partie du monde
extérieur ne peut être ni prouvée, ni éprouvée. La meilleure approxi-
mation que l'observation expérimentale nous donne de cette épreuve
impossible, c'est la répétition un objet (par là nous entendons une
portion choisie des apparences qui nous entourent) se manifeste
chaque fois que nous tournons vers lui notre attention par une
interpolation évidente, nous en induisons qu'il subsiste lors même
qu'il échappe à notre observation, qu'il « est )) en dehors et indépen-
damment de celle-ci.
Ainsi cette condition métaphysique et nécessaire de l'être, la
permanence, a pour traduction opérationnelle la répétition.
Que la répétition conduise aussi à la notion de loi, ceci paraît
bien clair. Ce qui s'est répété chaque fois qu'on l'a éprouvé se
répétera si on l'éprouve encore d'où la possibilité de la prévision.
D'où, par une démarche intuitive que nous préciserons tout à
l'heure, le concept de loi naturelle.
Ces passages nécessaires de la répétition assurée à la répétition
virtuelle ou permanence, de la répétition éprouvée à la répétition
attendue ou prévision, nous paraissent être des exigences de l'esprit
humain, des postulats qu'il impose à la réalité. On y verra peut-être
quelque analogie avec les a priori kantiens, soumis par suite aux
mêmes objections mais ces deux types d'induction (interpolation
du discontinu au continu pour l'être, extrapolation du passé au
futur pour la loi) nous paraissent d'une évidence intuitive bien supé-
rieure et le minimum, imposable à l'esprit, d'intervention dans
sa préhension du monde extérieur.
Nous pouvons remarquer enfin que la répétition de phénomènes
associés a été pour l'homme à l'origine du concept de cause, ce qui
est bien connu et n'entraînera pas de discussion de notre part.

C
Nous avons indiqué la valeur conceptuelle de la répétition.
Or celle-ci, nous l'avons vu, ne nous est présentée dans la nature
que sous la modalité de relation repe~aMe, c'est-à-dire sous une
forme non immédiatement perçue, impliquant recherche et mesure.
Recherche d'éléments qui se prêtent à la mesure (ou au moins au
repérage), puis recherche de mesures qui donnent lieu à des relations
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répétables deux étapes, où l'on reconnaît la démarche même de


la science. Mais la première ne suffit pas pour donner naissance à la
science elle n'en est qu'une condition nécessaire. Le propre de la
science, sa définition essentielle, c'est la recherche, la découverte,
l'exploration, le développement des relations répétables. Ne devien-
nent objets de science que les phénomènes qui fournissent une ou
plusieurs telles relations. La psychologie, terrain d'étude immémo-
rial, ne parvient pas à s'ériger en science faute de telles relations
car celles-ci sont le plus souvent cachées, demandent un long pro-
cessus de tâtonnements, d'approximations successives pour être
atteintes.
Tant qu'on fixe l'attention sur la forme des objets qui tombent,
ou leur matière, ou leur vitesse, ou leur « impulsion aristotélienne »
ou telle autre de leurs propriétés, ce qui dure des siècles, aucune
relation répétable n'apparaît. Pour l'électricité, un siècle de tâton-
nements, d'ambre frotté, de peau de chat, n'avancent pas le pro-
blème, avant que l'intuition d'un Ampère n'aille chercher très loin
les éléments mesurables si cachés, l'induction magnétique, le dépla-
cement électrique, qui donneront lieu à des relations répétables.
Il est inutile de multiplier les exemples on nous concédera sans
peine notre définition de la science. A savoir, dans son principe, ta
recherche de relations répétables dans l'ensemble des apparences
qui nous entourent. Mais il faut tirer la conséquence quelle inter-
prétation de ces apparences nous propose cette science ainsi faite,
quelle notion du réel nous donne-t-elle, quel être nous permet-elle
d'atteindre ?
La réponse nous paraît inéluctable le réel que nous apporte
la science, c'est le support de ces relations répétables qui sont son
objet essentiel. Parmi les phénomènes changeants, la répétition
atteinte désigne l'être c'est l'élément (induit) du phénomène qui se
prête à cette répétition, y joue un rôle qui caractérise le phénomène
observé. En un mot, ce sont les paramètres arbitraires qui figurent
dans les relations répétables qui représentent pour la science le
réel, l'être.
Relation répétable entre la force et l'accélération dans la dyna-
mique le coefficient de proportionnalité représente la masse qui
existe. « î! existe » des masses. Relation répétabte des dimensions
de certains corps la forme de ces corps (solides) existe. Relation
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répétable du potentiel de la pile et de l'intensité du courant dans le


fil le coefficient de proportionnalité représente la résistance qui
existe. En biologie, l'âge physiologique de l'individu, image com-
mode, n'a acquis l'existence que depuis qu'il figure comme para-
mètre dans la relation répétable entre la surface et la vitesse de
cicatrisation d'une plaie. Existence des masses, des formes, des
résistances, des charges électriques, et, en général, de tout ce qui
figure comme paramètre dans les relations répétables décelées par
l'observation et la mesure.
Existence aussi des objets individuels, lorsqu'une même valeur
du paramètre se retrouve dans une série successive d'expériences
répétant une même relation. La valeur de sa masse individualise le
corps soumis à un champ de forces, la valeur de ses dimensions le
corps solide, la valeur de sa résistance le fil conducteur.
Les deux aspects de la répétition, qu'on peut appeler.si on veut
répétition dans l'espace, et répétition dans le temps, sont ainsi
utilisés. C'eût été une véritable pétition de principe de les distinguer,
préalablement à l'analyse qui vient d'être faite, entre répétition
relative à des ensembles d'apparences différents, et répétition sur
le même ensemble. Car seule la variation ou.la constance des
paramètres des relations répétables permet de parler d'ensembles
différents, ou d'ensembles, objets, corps, qui soient « le même o à
travers le temps.
Cela est si vrai que lorsque deux ensembles sont tels que tous
les paramètres correspondants soient rigoureusement égaux pour
toutes les relations répétables à quoi donnent lieu ces ensembles
(ce qui ne se produit que pour des systèmes comme les électrons,
ensembles très simples, entrant dans des relations répétables unique-
ment par les deux paramètres qu'on appelle masse au repos m et
charge élémentaire e) il devient impossible de distinguer ces ensem-
bles leur individualité se perd. C'est le phénomène si important
en mécanique quantique de l'interchangeabilité des corpuscules
identiques.
Et l'on voit même que dans la définition toute opérationnelle
de l'être à quoi nous sommes conduits, le problème de la distinction
entre deux tels individus identiques perd son sens. Soit à étudier la
diffusion d'un électron par un atome. Pourrons-nous nous demander
si l'électron diffusé est le même que l'électron incident, ou si c'est
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un autre électron appartenant initialement à l'atome, et dont l'élec-


tron incident aurait pris la place ? Comment atteignons-nous l'exis-
tence de l'électron incident uniquement comme support des valeurs
constantes m et e des paramètres qui figurent dans les relations
répétables successives (par exemple, déviations électrique et magné-
tique), où nous pouvons faire entrer l'ensemble d'apparences observé
(par exemple, trajectoire ionisante de la chambre de Wi!son).
Après la diffusion, il y a, dans une autre direction spatiale, un nouvel
ensemble d'apparences possédant exactement les mêmes « propriétés
d'existence », ce que nous exprimons en disant qu'il existe un
électron diffusé. Rien dans tout ceci ne nous autorise à dire si
« l'électron existant avant diffusion » et « l'électron existant après
diffusion », sont un ou deux individus. L'électron, individu support
de m et e, existe indubitablement pour la science, mais pas au delà
des expériences qui permettent de répéter les relations où figurent
/n et e. A l'intérieur de l'atome, d'autres relations répétables que
nous appellerons internes, et qui sont très différentes de celles où
figurent les électrons libres, par exemple les relations spectrales,
comportent encore comme paramètre m et e, pris un certain nombre
n de fois d'où l'énoncé ordinaire, qui dit qu'il existe un nombre n
d'électrons dans l'atome. Il peut arriver (ionisation de l'atome)
que l'un des (m, e) qui figure dans les relations répétables internes
de l'atome disparaisse, c'est-à-dire qu'on trouve de nouvelles rela-
tions internes avec 2 (n-1) paramètres (m, e), et simultanément
apparaît un électron libre, c'est-à-dire la possibilité d'observer de
nouvelles relations répétables externes où figurent un couple de
paramètres (m, e) ceci paraît confirmer l'existence d'électrons
dans l'atome. Mais opérationnellement n'existent que des couples
(m, e) de paramètres figurant dans des relations répétables très
différentes suivant qu'elles sont externes ou internes, et comme
l'être support ne tire son existence que de ces relations, c'est un
abus de langage de prétendre qu'il est la même entité métaphysique
au dedans et au dehors de l'atome, en le désignant ici et là sous le
même nom d'électron. Mais cet abus de langage même nous démontre
à quel point la notion d'être que nous donne la science est indisso-
lublement liée aux paramètres des relations répétables, en tant que
l'être est constitué et défini par les réalités que représentent ces
paramètres.
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Remarquons que, pour les idées exposées ci-dessus, la contre-


épreuve est valable. Là où manquent les relations répétables, le réel
s'évanouit. En psychologie, les facultés de la philosophie classique,
mémoire, jugement, etc., peu de philosophes leur confèrent l'être
aujourd'hui, et y voient autre chose que des classifications sans
substrat réel ce n'est pas faute de les voir s'exercer chaque jour,
mais par défaut de relations répétables où elles figurent. Et il serait
facile d'étendre notre critérium à toutes les activités de l'esprit.
En sociologie, les recherches des statisticiens ont pour but de
donner l'être à certaines réalités sociales, en les tirant de relations
répétables.
Quel est donc en définitive le rapport entre l'homme et le réel,
tel qu'il nous est indiqué par la science, cette activité essentielle
de l'homme pensant ? Seul nous apparaît réel, du monde des
apparences extérieures, ce qui figure dans les relations répétables
et celles-ci sont elles-mêmes la récompense de recherches longues,
difficiles, d'approximations successives qui ne s'arrêtent (provi-
soirement) que lorsqu'elles satisfont notre quête de répétition.
Rejetant alors le reste des apparences changeantes, notre choix se
porte, pour leur conférer l'existence, la réalité, sur ces propriétés
support de la repe/t~o~.
Ainsi, contre l'école idéaliste qui dirait nous inventons le réel
contre l'école réaliste nous subissons le réel l'analyse de la
pensée scientifique nous répond nous choisissons le réel.

D
Si l'on admet cette doctrine, on obtient un moyen d'approche
nouveau, et non dépourvu de puissance, vers ce problème fonda-
mental de la théorie de la connaissance l'adéquation de la science
humaine au monde physique. En d'autres termes, comment l'ins-
trument mathématique qui apparaît comme une création arbitraire
de l'esprit humain, soumise aux seules règles de sa logique, se
révèle-t-il si puissant dans l'exploration du monde extérieur, dans
la prévision des phénomènes ? Question si profonde, qu'elle suggère
parfois l'exigence d'une harmonie préétablie, d'une construction
parallèle, concordante, de l'esprit humain et de la nature matérielle
somme toute, la preuve scientifique de l'existence de Dieu.
Ce n'est point notre propos de nous aventurer si loin. Nous
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voulons proposer de ce problème une solution provisoire, insuffisante


assurément, mais empirique, fondée sur l'analyse du concept de loi
naturelle. Une remarque préalable l'application des mathématiques
au monde physique s'est faite jusqu'à présent exclusivement par
l'intermédiaire de la théorie des équations différentielles (en faisant
rentrer sous ce mot, comme il est d'usage, les équations aux dérivées
partielles). L'exception apparente que constitue la mécanique quan-
tique (où entrent en jeu les algèbres non-commutatives, les groupes
discontinus, soit en bref la théorie des nombres) disparaît, compte
tenu de son équivalence parfaite avec la mécanique ondulatoire
et ses équations aux dérivées partielles.
Or, mieux que toute autre partie des mathématiques, la théorie
des équations différentielles, fondée sur l'analyse du continu, précise
et limite l'accusation de tautologie que de célèbres écoles de penseurs
ont portée contre les mathématiques. Sans doute, il n'y a rien dans
la solution (ou :~eg'a/e) d'une équation différentielle qui ne fût
déjà contenu dans l'équation elle-même. Et pourtant celle-ci qui
définit les propriétés différentielles (ou localesl) de la fonction sur
quoi elle porte, ne permet en général qu'après un grand effort,
où l'ingéniosité de l'esprit humain s'emploie toute, d'atteindre
aux propriétés intégrales, finies, de la fonction. Mais nous n'aurons
pas besoin d'entrer dans cette discussion ardue.' Il suffira à notre
propos de noter que ce reproche de tautologie provient du procédé
essentiel de la pensée mathématique, qui est la répétition, procédé
qui est particulièrement en évidence dans la théorie des équations
différentielles le passage du différentiel à l'intégral se fait par
addition, par intégration, donc par répétition de la propriété diffé-
rentielle. Laissant de côté la question philosophique de savoir si
cette sommation indéfinie, de l'ordre du continu, apporte quelque
chose de « nouveau », au moins n'apparaît-i! pas niable que le
processus même de l'intégration n'est autre que la répétition conti-
nue de la relation élémentaire représentée par l'équation différen-
tielle. La démonstration même (établie pour le cas des systèmes
différentiels proprement dits) de l'existence de l'intégrale se fait

1. Looa! !<désigne le voisinage d'un point c'est-à-dire d'un système


de valeurs bien déterminées attribuées à toutes les variables indépendantes en
question. Si le temps est la seule variable indépendante, on pourra dire <instan-
tané au lieu de locat s.
J. ULLM~. LE RÉEL ET LA S EN E 341

par le procédé ici indiqué, dans la méthode classique de Cauchy-


Lipschitz.
Dans la théorie des équations aux dérivées partielles du premier
ordre, la méthode de Huyghens ou des ondes-enveloppes (qui
correspond à la propagation des ondes, et couvre un grand nombre
des problèmes de la physique mathématique) n'est rien d'autre
que l'usage direct de la répétition de la relation locale pour cons-
truire la solution globale. De façon plus générale, le problème de
Cauchy correspond à une solution obtenue de proche en proche,
par répétition. Le fait (pour simplifier le langage nous envisagerons
le cas d'une seule fonction inconnue et d'une seule équation diffé-
rentielle, où la variable indépendante est le temps) que la relation
différentielle est vraie à tout instant suffit, par répétition continue,
à passer de cette relation à la fonction intégrale définie pour toute
valeur du temps.
Remarquons que cette possibilité est due à ce que l'équation
différentielle si elle ne définit la variation de la fonction que loca-
lement, c'est-à-dire lorsqu'on passe d'un point des points très
voisins, la définit de la sorte (sous les restrictions d'usage) en
tout point que! que soit le point considéré (et les valeurs initiales
données), l'équation donne la variation locale correspondante.
Or, les relations répétables que recherche la science expérimen-
tale peuvent être de deux sortes certaines sont statiques, c'est-à-
dire portent sur des éléments dont la valeur (mesurée ou repérée)
reste la même lors des observations répétées relation entre les
dimensions des corps solides, entre le spectre d'absorption de la
lumière blanche par un écran donné et le spectre d'un prisme. Ces
relations définissent les qualités fixes de certains objets individuels
grandeur du corps solide, couleur de l'écran. D'autres relations
répétables portent sur des éléments dont les valeurs elles-mêmes
(pour un phénomène étudié) ne se répètent pas, et dans ces relations
figurent alors en général les variations de certaines de ces valeurs,
ce qu'on exprime en écrivant entre tes symboles qui désignent ces
éléments mesurables, des relations variationnelles. Ainsi les phéno-
mènes mécaniques fournissent la relation entre la variation de la
vitesse d'un certain objet individuel (au sens défini plus haut pour
ce mot) et la valeur de la force qui s'exerce sur cet objet, ce qui
donne une relation variationnelle entre la position de l'objet et
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le temps, où figure la valeur de la force agissante, fonction de point


supposée connue partout par des expériences virtuelles faites avec
un corps d'épreuve.
En électromagnétisme, on a (par exemple) une relation entre le
champ électrique et les variations temporelles du flux de l'induction
magnétique. Mais que faut-il pour qu'il y ait là davantage qu'une
graphie sans portée, pour qu'on puisse effectivement conclure que
les éléments mesurés sont liés par une équation différentielle au
sens mathématique, dont la relation variationnelle écrite soit la
transcription lorsqu'on y substitue les dérivées aux variations
évidemment que cette relation soit vraie en tout point, (au sens
défini plus haut) comme l'est par définition l'équation différentielle.
Donc, condition nécessaire, que la relation expérimentale écrite soit
répétable et condition suffisante qu'elle le soit virtuellement en tout
point et à tout instant, ce qui est postulé, comme nous l'avons vu,
pour toute relation répétable.
En mécanique, la relation répétable exprime que a où que soit
le corps étudié et en quelque instant qu'ait lieu la mesure, son
accélération est proportionnelle à la force mesurée en ce point ».
L'équation différentielle

m dt2 = F (x, t)

(en se bornant au cas d'une coordonnée de position) exprime de


même que pour toutes les valeurs des symboles x, < (correspondant à
la position et au temps) la dérivée seconde de la position par rapport
au temps (correspondant à l'accélération) est proportionnelle à une
fonction de point connue (correspondant à la force mesurée).
En électromagnétisme, une variation spatiale du champ élec-
trique entraîne une variation temporelle du champ magnétique,
une variation spatiale de celui-ci, une variation temporelle de celui-là
et les relations, pour un milieu donné, sont les mêmes quels que soient
les temps, les positions et les valeurs initiales des champs pour
lesquels on répète l'expérience c'est pourquoi on peut traiter ces
relations comme des équations aux dérivées partielles.
Dès que la répétition nous a assuré l'équivalence de la relation
variationnelle entre éléments physiques et de l'équation différen-
tielle entre les symboles qui les représentent, elle nous donne
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 343

aussitôt l'équivalence entre le déroulement du phénomène qui est


l'effet résultant sur les éléments mesurés de la répétition continuée
de la relation physique qui les lie, et l'intégration de l'équation, qui
n'est que l'effet sur les symboles qui y figurent de sa répétition
continue. Une correspondance univoque s'établit entre les éléments
physiques et les symboles mathématiques, parce que, leurs valeurs
initiales étant les mêmes, la loi de leurs variations locales est aussi
la même en chaque point (et toujours identiquement formulée),
pour ceux-là par expérience (cette loi est la relation répétable),
pour ceux-ci par définition (ils sont soumis à une équation différen-
tielle bien déterminée).
Et cette correspondance univoque n'est rien d'autre qu'une loi
naturelle, c'est-à-dire la possibilité de prévoir la valeur mesurée
des éléments physiques en calculant la valeur des symboles corres-
pondants. Il y a loi naturelle dès qu'il y a prévision possible, il y a
prévision dès qu'il y a parallélisme entre les variations des mesures
de certaines grandeurs physiques et les variations des valeurs de
certains symboles mathématiques (ce qu'on exprime gauchement
en disant que le phénomène est « soumis à une loi mathématique »),
et ce parallélisme est assuré par la répétition recherchée, éprouvée
pour le monde physique, imposée par le mathématicien.
« L'harmonie préétablie que paraissait postuler ce parallélisme,
se ramène donc à la vérification par le succès de la prévision scienti-
fique des deux postulats que nous avons exposés en B interpolation
de la répétition au continu, extrapolation au futur. Le fait que la
science réussit, démontre, si l'on veut, la validité de ces deux
postulats.
Notre analyse nous a d'ailleurs montré la nécessité d'un troisième
postulat, aussi intuitif que les précédants le passage du réel au
virtuel. Une relation répétable nous a permis d'identifier un objet
(qui peut être un champ électromagnétique) par la constance des
paramètres correspondants cet objet ne se manifeste à nos sens
qu'en certains points du temps et de l'espace il y vérifie toujours la
relation (soit entre éléments internes à l'objet, soit entre éléments
internes et externes), avec les valeurs fixées des paramètres si
cet objet nous apparaissait en tout autre point, il y vérifierait
encore la relation répétable ce qui veut dire soit que les valeurs
(virtuelles) des éléments internes à l'objet que nous mesurerions,
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seraient reliées entre elles par la relation, soit qu'elles vérifieraient


encore cette relation avec les valeurs effectivement mesurées des
éléments externes qui se manifestent en ce point.
La distinction faite ici entre relations liant des éléments internes
à un objet, et relations reliant éléments internes et externes, a
surtout une valeur de commodité expérimentale. Pour un objet
(corpuscule matériel par exemple) soumis à un champ de forces,
par exemple le champ de la pesanteur, celui-ci peut être considéré
comme connu en chaque point spatio-temporel c'est la sommation
des effets de ce champ externe sur le corpuscule dans toutes ses
positions successives (effets représentés par la même relation répé-
table) qui détermine le mouvement du corpuscule. Si l'objet étudié
est une onde électromagnétique, définie comme objet par la cons-
tance, dans toutes les relations répétables où il participe, des para-
mètres représentant sa fréquence et son énergie totale, on aura un
type simple de relations entre éléments internes l'action des
variations du champ électrique de l'onde sur celles du champ magné-
tique, et réciproquement. On sait que la propagation de l'onde est
expliquée par cette action réciproque, qui se poursuit dans le temps
et dans l'espace, par cette relation toujours répétée dont les effets
s'enchaînent. a
En conclusion, si l'on dit qu'un phénomène est intelligible dès
lors qu'il est réglé par une loi naturelle, c'est notre choix, pour
caractériser ce phénomène, de ce qui en lui reste toujours semblable
à soi-même, de la relation toujours vérifiée, qui nous permet d'at-
teindre à son intelligibilité l'intelligible naît du répétable. C'est là
une idée que les hommes ont toujours admise intuitivement pour
les Anciens, le type du mouvement intelligible était la rotation
permanente, parce que tous les éléments en étaient à tout instant
semblables à eux-mêmes, répétés. Mais la science moderne a mis
l'accent sur la quête du répétable expérimentale, elle en a fait
l'objet de sa recherche théorique, l'instrument de son succès.

E
Nous avons vu comment il était permis de passer des relations
répétables aux lois naturelles. L'analyse que nous avons faite pour
les relations variationnelles comprend comme cas particulier les
relations statiques c'est une loi naturelle d'un type très simple
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 345

qui nous fait prévoir les valeurs toujours constantes des dimensions
d'un solide, la couleur inchangée d'un écran. On peut donc dire d'une
façon générale que les paramètres constants qui caractérisaient les
objets individuels dans les relations répétables, se retrouvent inchan-
gés dans les lois naturelles qui en sont tirées.
Ces paramètres, avons-nous dit, la science leur attache le réel
elle choisit comme réelle, elle donne l'être à la propriété qui est
représentée par eux. Elle nous fournit ainsi un premier critérium
du réel figurer comme paramètre dans une loi naturelle (tirée d'une
relation répétable). Ce critérium donne une condition nécessaire.
Mais ici apparaît une notion très particulière, et choquante sans
doute pour le métaphysicien ce qu'il appellerait la relativité de
l'être pour la science, à savoir une mesure plus ou moins grande de
réalité attribuée à une propriété, et qui lui apparaîtrait proprement
comme une antinomie l'être métaphysique est ou n'est pas, il n'est
pas susceptible de plus ou de moins. La science pourtant, qui est
tout empirisme, ne s'embarrasse pas de cette antinomie métaphy-
sique, et se satisfait de donner à la pensée une hiérarchie d'êtres
jouissant plus ou moins de cette qualité d'être.
Qu'on ne voie là aucun paradoxe l'histoire de la science a été
celle de la naissance, de la croissance, de l'accomplissement parfois,
ou aussi parfois de la mort, des êtres qu'elle a reconnus dans le.
monde mouvant des phénomènes. Les critériums secondaires qui
donnent lieu à cette évolution sont aisés à distinguer. Nous pourrons
les appeler concordance et non contradiction. o
Le critérium de concordance est la présence du paramètre qui
représente un être déterminé dans le plus grand nombre possible de
relations, ou de lois naturelles. Si l'existence de la masse ne fait
de doute pour personne, c'est qu'elle figure comme paramètre dans
toutes les relations auxquelles donnent lieu toutes ~es formes possi-
bles de champs de forces pour F donné de façon quelconque, par la
pesanteur, par la gravitation, par le champ électromagnétique, par
les tensions élastiques, etc. L'existence de la charge électrique
élémentaire est tout aussi certaine aujourd'hui mais dans ce cas,
nous avons assisté depuis un siècle à la découverte successive de
toutes les lois où elle entre en jeu à chacune son existence était
confirmée, ou plutôt accrue. Par contre, un être qui ne figure que
dans une seule relation, qui ne « sort pas de sa relation de définition
TOMECXXtI. – NOT.-DÉO. 1936 (N"' 11 ET 12) 22
346 REVUE PHILOSOPHIQUE

n'a pas droit au certificat d'existence réeMe c'est, transposée à l'être,


la question classique de la suspicion où la science tient les < hypo-
thèses ad hoc », valables pour l'interprétation d'un seul phénomène.
Le cas de la théorie atomique est frappant sous le rapport qui
nous occupe aucun physicien ne met en doute la réalité de l'atome
aujourd'hui. Elle a pourtant donné lieu, il n'y a pas tant, à des
discussions célèbres. Tant que les paramètres qui représentent l'atome
ne figuraient que dans certaines relations, comme la loi des propor-
tions multiples, on pouvait parler de « l'hypothèse atomique < et lui
dénier toute valeur d'existence. Avec la multiplication considérable
de ces lois, l'hypothèse est devenue certitude. On pourrait dire qu'il
est infiniment peu probable que l'atome n'existe pas. Mais, se réfé-
rant à la construction- du réel par la science, au développement de
l'être qu'elle implique par ses découvertes successives, il serait
préférable de dire que l'existence de l'atome tient dans la nature
une place de plus en plus grande, si grande que cette existence
entraîne une certitude absolue.
Si la science nous fait assister ainsi à l'épanouissement de certains
êtres, il lui est arrivé aussi de retirer l'existence à certaines parties
du réel qu'elle avait cru pouvoir identifier à un moment de son
évolution. C'est l'application du second critérium secondaire, la
non-contradiction qui entraîne ces disparitions un objet ayant
été défini par la valeur constante de certains paramètres pour
certaines lois, il ne faut pas que de nouvelles relations découvertes,
relatives à cet objet, impliquent la non-constance de ces paramètres
ainsi du paramètre qui définissait la quantité de fluide calorique,
pour les expériences ultérieures de thermodynamique, ou encore de la
masse newtonnienne indépendante de la vitesse (qui fut remplacée par
la masse au repos relativiste) lorsque des expériences pour de grandes
vitesses eurent démontré sa variabilité, et en particulier la nécessité
de considérer une masse longitudinale et une masse transversale.
Le principe de non-contradiction est si connu que nous n'aurons
pas besoin d'insister sur son application positive. Mais il faut remar-
quer qu'il doit être pris à la rigueur, et qu'il ne faut pas en tirer
davantage qu'il ne donne. Ainsi un objet est défini par la valeur
constante de certains paramètres, et non par les propriétés qu'on
serait tenté de déduire de ces valeurs, pour les attribuer à cet objet,
par analogie ou simple imagination. L'éther, avant l'expérience de
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 347

Michelson, subsistait, malgré ses propriétés « contradictoires o, qui


ne l'étaient pas à la rigueur il devait être analogue à un fluide par-
fait pour se laisser traverser sans résistance par la matière, à un solide
parfait parce que ses vibrations étaient purement transversales
mais rien n'imposait cette contradiction, sinon ces analogies arbi-
traires avec les propriétés connues des fluides et des solides. Aujour-
d'hui de même, c'est seulement l'intuition arbitraire d'un électron
comme un corpuscule analogue à un point matériel porteur de
charge électrique, qui ferait croire à une contradiction avec l'image
ondulatoire, non localisée qu'en propose l'expérience de Davisson
et Germer. En toute rigueur, l'intuition comme l'image ci-dessus
ne sont pas fondées l'électron, ici comme là, n'est rien d'autre que
le porteur du couple (m, e) (et en outre, dans les expétiences de

diffraction, le porteur de la fréquence propre rien de plus.


–,–),
Il a pu sembler commode de figurer ce porteur comme un point
matériel puis gênant de garder cette image qui ne parvenait pas à
porter aussi la fréquence propre indiquée. Et le défaut d'intuition
qui en résulte aujourd'hui pour la représentation mentale de l'élec-
tron est assurément regrettable. Mais l'existence de l'électron, au
sens opérationnel que nous nous sommes attachés à en donner,
n'en souffre pas tant que de nouvelles expériences portant sur
l'objet électron n'auront pas démontré la non-constance de ses
trois paramètres de définition, la masse propre m, la charge e, la
~~2
fréquence propre –,– la réalité de l'électron ne pourra être contestée
du point de vue scientifique.

Nous avons essayé de montrer comment la science nous désigne


le réel dans le monde des apparences qui nous entoure, en choisissant
comme tel ce qui est représenté par les paramètres des relations
répétables. Ainsi, du point de vue du réel, les éléments mesurables
des phénomènes ne sont que des intermédiaires par les relations
répétabtes auxquelles donnent lieu des mesures liées, elles fournissent
tes paramètres, attributs du réel. Les éléments mesurables eux-
mêmes, en général, ressortissent au contingent et non à t'être, sont
de la nature de « ce qui arrive » et non de ce qui est température de
348 REVUE PHILOSOPHIQUE

l'eau, courant dans un fi!. Mais il peut arriver que dans d'autres
relations répétables, ce qui était élément mesurable ailleurs devienne
paramètre et atteigne ainsi à l'être.
Un exemple intéressant est fourni par le champ des ondes
-lumineuses, qui figure comme élément mesurable dans de très
nombreuses relations répétables. Tant qu'on a cru à l'existence de
l'éther, ce champ a simplement été considéré comme un phénomène
contingent à l'éther, une propriété qualitative (vibration) de l'éther
élastique ses manifestations étaient justifiées comme propriétés
d'un être indépendant, l'éther, ce qui est satisfaisant pour l'esprit.
Nous reviendrons sur le besoin de causalité ainsi manifesté, si
impérieux pour l'esprit humain, qui lui fait exiger, derrière tout
phénomène, un être qui en soit la cause efficiente, c'est-à-dire le
support. Il nous suffit pour le moment d'admettre ce besoin intuitif
et de constater que, s'il était rempli par la théorie de l'éther porteur
des ondes lumineuses, il s'est heurté tout d'abord à la théorie du
champ électromagnétique de Maxwell beaucoup de physiciens ont
contesté, plus ou moins consciemment, la valeur de cette théorie,
en se fondant sur l'inintelligibilité, voire ~absurdité, d'un phénomène
(les manifestations du champ électromagnétique) dépourvu de
support. A quoi la physique moderne répond le champ é-m existe,
il est inutile de le justifier comme une modalité de l'existence d'un
être différent, l'éther.
Cette réponse n'a pas manqué de paraître obscure à bien des
physiciens, tout pénétrés encore de la métaphysique naïve des
images familières et des analogies verbales. Du point de vue exposé
ici, elle est pourtant rigoureusement justifiée le champ é-m figure,
représenté par des paramètres dans des relations répétables très
nombreuses, par exemple celles qui lient les mesures faites sur les
dimensions et le potentiel d'un circuit oscillant (émetteur), et les
mêmes éléments relatifs à un récepteur quelconque (par exemple
oscillateur de Hertz) ainsi que la distance de l'émetteur et du récep-
teur il a donc exactement le même degré d'existence que les formes
des corps solides, ou les masses des corps pesants, ou quoi que ce
soit que nous considérions comme réel, et à quoi par suite nous
attribuions la propriété d'être cause de phénomènes. Un champ
électromagnétique, objet individuel, est défini par la valeur cons-
tante prise par ces paramètres, qui seront par exemple (pour un
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 349

champ monochromatique dans le vide) la fréquence et l'énergie


totale.
Cet exemple nous paraît démonstratif du processus de la science
pour atteindre le réel. En même temps, il nous donne un premier
aperçu du rôle joué par l' « être )) dans la science ce rôle est essen-
tiellement provisoire. C'est une sorte de halte, un point fixe où
l'esprit se repose de l'agitation des phénomènes l'être est cause,
et, en tant qu'il est, il n'a pas besoin d'être expliqué, d'être causé.
II n'a pas besoin, disons-nous oui, pour autant que l'esprit se
résigne à cet irrationnel, à l'être dépourvu d'autre justification que
son existence même. Comment l'esprit tente d'échapper à cette
résignation, en expliquant l'être, en cherchant sous lui d'autres
êtres plus simples, moins nombreux, qui soient causes des êtres
provisoires désignés par l'expérience, nous voyons bien que c'est
là le but suprême de la théorie scientifique. Mais avant d'aborder
ce point, restant sur le terrain des lois naturelles indépendantes
jusqu'à présent dans notre exposé de toutes théories, nous voyons
qu'à ce niveau déjà, la science, qui a trouvé l'être dans la rela-
tion, ne fait pourtant pas de cette découverte son véritable objec-
tif, et subordonne l'être à la relation, à la loi même dont il est
issu.
II est bien connu que la théorie de l'éther de Fresnel rendait
compte de toutes les apparences de la propagation des ondes lumi-
neuses. Autrement dit, les relations répétables à quoi donne lieu C
cette propagation, ne comportaient comme paramètres que ceux
qui étaient attribués à un être, l'éther, qui devenait ainsi cause
des apparences observées. La théorie de Maxwell a remplacé cet
être par un autre, le champ électromagnétique des ondes lumineuses.
Avant même l'expérience de Michelson (qui ruinait l'existence de
l'éther), l'être K éther avait déjà été sacrifié par la science, ou du
moins négligé la relation importait plus que l'être qu'elle suggérait
or la relation pouvait être conservée sans que l'être subsistât.
Après l'expérience de Michelson, plus de doute une relation nouvelle
apparaît, qui est incompatible avec l'éther il faut sauver les
relations anciennes d'où il était né mais on ne peut les sauver qu'en
l'abandonnant la science n'hésite pas. Ce qu'il lui faut, ce sont
des relations sûres les êtres qu'elle y découvre, ne sont que des
points d'arrêt passagers, une cause irrationnelle provisoire qui fixe
350 REVUE PHILOSOPHIQUE

pour un moment la recherche, lui permet de soumer un point de


repère pour des explorations ultérieures.
Au cours du développement de la science, les relations qu'elle a
trouvées un jour ne changent pas, ou changent peu, dans la propor-
tion du progrès des méthodes de mesure. Les êtres qu'elles désignent,
par contre, changent de propriétés, de nombre, changent même
radicalement de nature où est aujourd'hui le phlogistique, que
deviennent l'attraction universelle de Newton (qui figurait comme

paramètre K dans la force exercée –~– entre deux corps célestes)



l'inertie électromagnétique de Lorentz, ou même les électrons plané-
taires de Bohr ? Et pourtant, les relations calorifiques où figurait le
phlogistique n'ont guère changé, les relations gravitationnelles qui
correspondent à la relativité générale diffèrent bien peu des formules
de Newton, les formules de Lorentz subsistent sans correction,
la formule donnant la loi de Balmer, obtenue par Bohr, et Sommer-
feld n'a été corrigée que de façon infinitésimale par la mécanique
ondulatoire.
On a fait souvent cette remarque, que, dans la science, les
expériences demeurent, les théories changent. Mais, sans nous
occuper encore de ces dernières, au stade positiviste des lois où
nous sommes encore, nous voyons qu'on peut dire les relations
restent, les êtres changent, le réel change, énoncé plus profond
peut-être, parce qu'au lieu d'opposer, de façon toute artificielle,
pensons-nous, on ne sait quelle solidité, quelle certitude_de la « réa-
lité » expérimentale (qui n'est pas définie), à l'infirmité de l'esprit
humain bâtisseur de théories trop orgueilleuses, il montre effec-
tivement, dans la lutte constante entre l'esprit et le monde des
phénomènes, que constituent aussi bien la définition du réel que
l'édification de la science, ce qui est provisoire (et c'est l'être)
et ce qui est permanent ou presque (et c'est la loi scientifique,
édifice de raison).
Que le développement séculaire de la science mette ainsi l'accent
sur la relation, plutôt que sur l'être, cela n'est pas douteux. Mais
cette tendance est si profonde qu'elle pénètre aujourd'hui jusqu'à
la science qui se fait, et n'est plus seulement une leçon tirée de la
science déjà faite. L'attitude actuelle des physiciens, moins marqués
que leurs prédécesseurs par la métaphysique naïve de l'être, est
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 351

de laisser l'être dans la relation qui le crée, de reconnaître constam-


ment sa dépendance absolue de celle-ci, à qui ils gardent la préémi-
nence. Une expression courante de la physique actuelle est « l'élec-
tron de Dirac », ce qui ne désigne pas un être doué de propriétés
particulières qu'aurait observé Dirac, mais rappelle seulement le
fait que la notion d'électron ne représente aujourd'hui pour le
physicien que l'équivalent exact, la traduction en terme d'être,
du système d'équations de Dirac qui régissent les phénomènes
à l'échelle atomique. Peut-être la cause de ceci réside-t-elle dans
l'incapacité où se trouve ce physicien de se faire de l'électron une
image dite intuitive, c'est-à-dire naïve, fondée sur nos représenta-
tions macroscopiques familières mais la mise au second plan de
l'être « électron x n'en reste pas moins dans la ligne générale du
progrès scientifique.

G
Nous sommes restés jusqu'à présent, dans notre analyse du réel
scientifique, sur le terrain strictement positiviste des lois naturelles
et de la prévision du déroulement des phénomènes. Le problème
du réel, tel qu'il se pose à la pensée humaine, est si étroitement lié
à celui du concret, à l'exploration du monde sensible, que la solution
que nous en demandons à la science doit être tirée principalement
de cette partie de celle-ci qui est directement aux prises avec le
monde sensible, l'expérimentation et la recherche des lois qui régis-
sent les phénomènes. Une analyse assez détaillée nous en a été
nécessaire en particulier, nous avons essayé de montrer la raison
de l'adéquation des lois mathématiques aux phénomènes naturels.
Nous avons effleuré ainsi le problème de la vérité scientifique,
le plus important pour la science, en dépit de certaines affirmations
positivistes. C'est la question de la valeur de la science, par opposi-
tion à sa seule utilité la valeur de vérité de l'explication de la
nature qu'elle nous propose. Nous n'avons pas l'ambition, démesurée
à notre propos, de traiter ici cette question pour elle-même nous
ne voulons envisager la théorie scientifique, et son instrument,
la causalité, que pour leur influence sur la définition du réel.
La théorie scientifique se propose de donner, de la nature tout
entière, ou, provisoirement, des portions les plus étendues possibles
de celle-ci (et en particulier il ne sera question ici que du domaine
352 REVUE PHILOSOPHIQUE

des sciences dites exactes, le monde matériel, laissant de côté l'esprit


comme la vie qui lui échappent encore), une représentation adéquate
en établissant une correspondance exacte entre l'ensemble des
phénomènes étudiés et un système cohérent de lois mathématiques.
Cette définition classique nous montre aussitôt que les lois naturelles
déduites des relations répétables, telles que nous les avons définies,
seront la matière première de la théorie physique, puisqu'elles
réalisent cette correspondance entre éléments observés et symboles
mathématiques qui est la condition nécessaire initiale du succès
de l'entreprise. Et de même qu'un phénomène a été dit intelligible
dès qu'une telle correspondance est établie entre lui et une loi,
on peut dire que la correspondance entre l'ensemble des phénomènes
et un système de lois entraîne (ou entraînera) l'intelligibilité de
la nature.
Une fois obtenu, sous forme des lois naturelles, un lexique tra-
duisant en symboles mathématiques les éléments observés, la théorie
utilise exclusivement ce matériel symbolique. Elle trouve, dans les
équations différentes, des symboles identiques (provenant des êtres
identiques reconnus dans des phénomènes différents par différentes
relations répétables). Les mathématiques, par leur mécanisme
propre, savent manier de mille façons un ensemble d'équations, par
intégration, généralisation, combinaisons. La théorie utilise cette
puissance des mathématiques pour chercher à coordonner et hiérar-
chiser les équations dont elle dispose. Toutes les équations nouvelles
auxquelles elle parvient par ces méthodes algorithmiques de déduc-
tion et d'induction, elle leur donne, par une retraduction inverse,
la forme de lois de la nature, auxquelles elle attache la même valeur
qu'aux lois tirées de l'expérience elle les soumet d'ailleurs, quand
elle le peut, à la vérification expérimentale. Elle dispose à ce stade
d'un ensemble étendu de formules liées elle applique alors un
procédé mathématique classique, qui est la recherche,, dans un
ensemble d'équations ayant lieu simultanément, de celles qui sont
indépendantes, c'est-à-dire de celles, en nombre minimum, dont
toutes les autres ne sont que des conséquences mathématiques,
procédé qui est ici appliqué dans son extension la -plus générale.
Il y a une analogie évidente entre cette notion de conséquence
mathématique et celle de causalité physique. Considérons par
exemple la théorie cinétique des gaz l'existence et les propriétés
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 353

des molécules étant supposées acquises (par exemple par l'observa-


tion de la chambre de Wilson et du mouvement brownien), on peut
dire que l'agitation moléculaire, c'est-à-dire l'accumulation des
actions élémentaires de chocs des molécules individuelles, cause
les phénomènes de température et de pression du gaz traduction
du fait que la combinaison des lois connues qui correspondent à ces
chocs (combinaison par la méthode inductive de la sommation et
de l'application de la statistique des grands nombres) a pour consé-
quence les lois qui correspondent aux phénomènes de température
et de pression.
On voit que ce procédé de construction de la théorie scientifique
pose deux questions préalables disposons-nous de lois en nombre
suffisant pour espérer que le travail mathématique de leur asso-
ciation et combinaison couvrira une portion suffisante du monde
phénoménal trouverons-nous effectivement un nombre d'équa-
tions indépendantes moindre que celui des relations que l'expérience
nous fournit, et pourquoi ?
La science répond à ces questions en se faisant la découverte
d'une loi naturelle nouvelle donne une chance nouvelle à la théorie,
un pion nouveau dans ce jeu de combinaisons et déductions où elle
s'essaye de générations en générations. La théorie a rendu à l'expé-
rience ses bons offices en lui proposant des lois nouvelles à vérifier,
soit déduites de la simple combinaison mathématique des lois
existantes, soit parfois, cas plus frappant encore, postulées comme
vraies parce qu'elles étaient capables, par le processus de générali-
sation ou d'accouplement avec d'autres lois connues déjà décrit,
de donner comme conséquence un grand nombre de celles-ci, et de
réduire ainsi le nombre total des relations indépendantes. Ces rela-
tions postulées sont les hypothèses. L'exemple le plus typique est
l'hypothèse ondulatoire de Louis de Broglie, créée pour entraîner
comme conséquence les relations spectroscopiques, et donnant lieu
à la vérification directe par l'expérience de Davisson et Germer.
Reste à expliquer pourquoi la théorie scientifique a réussi,
pourquoi le nombre des relations indépendantes est allé diminuant,
cependant que le champ couvert par les relations connues n'a fait
que s'accroître, au point de recouvrir aujourd'hui presque toute
la nature matérielle. Ou plutôt, il nous reste à montrer comment
la science elle-même envisage la raison de son succès, et par là
354 REVUE PHILOSOPHIQUE

nous sommes ramenés au problème de l'être dans ses rapports


avec la science, qui constitue notre objectif.
Une première remarque s'impose la possibilité même de la
hiérarchisation des relations, le fait que certaines apparaissent
comme des conséquences d'autres plus profondes, entraîne natu-
rellement une hiérarchie des « êtres » qui figurent dans ces relations.
Ils se distingueront aussitôt suivant que les paramètres qui les
représentent se trouvent dans les relations indépendantes fonda-
mentales, ou ne se trouvent que dans les relations conséquences
ces derniers pourront être appelés « êtres dérivés ». Ainsi toutes
les propriétés existentielles que l'on avait pu reconnaître dans
les métaux (qui définissaient l'être métal) résistance, chaleur spéci-
fique, etc., se déduisent, par la théorie électronique des métaux,
des propriétés existentielles des électrons (gaz électronique) et des
réseaux cristallins l'être métal et ses paramètres sont donc des
dérivés ils rentrent dans le monde des apparences, mais se trouvent
« expliqués », c'est-à-dire causés. Dans le même temps, leur réalité
se parfait, puisque tous les phénomènes dont ils sont le siège s'ex-
pliquent et se déduisent, se comprennent en un mot, et les
apparences, lorsqu'elles tombent dans les cadres rigides de l'intelli-
gence et de la prévision, nous persuadent alors facilement de leur
réalité objective, parce qu'elles nous paraissent échapper aux
fantaisies ou aux défaillances de notre perception sensible et de
nos états de conscience. Mais aussi leur « être » se dissout, parce que,
comme nous l'avons remarqué, l'être métaphysique est un irration-
ne! pur, dont les qualités sont arbitraires et justifiées par là même
qu'il existe. Nous voyons se produire une dissociation entre « être ))
et « réalité », que nous avait déjà laissé prévoir une remarque faite
plus haut dans sa conquête du réel, l'être n'est pour la science
qu'un point de repère provisoire, un obstacle sous lequel elle cher-
chera plus tard à passer.
Un autre cas typique de la disparition d'un « être », ou si l'on
veut de son passage au rang d'être dérivé, rationnel, était fourni
par la théorie de l'inertie électromagnétique dans cette conséquence
de l'électromagnétisme de Lorentz, la masse avait une explication
électromagnétique. La charge électrique, et le champ électroma-
gnétique, qu'elle crée, gardaient leur qualité d'êtres, donnés, arbi-
traires mais la masse devenait une notion dérivée.
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 355

Or, quoique la théorie de l'inertie électromagnétique soit aujour-


d'hui abandonnée, elle avait été saluée à son apparition comme un
progrès décisif de la science.
Aujourd'hui la masse m et la charge e,de l'électron, «êtres », qui
figurent dans les équations de Dirac, sont d'ores et déjà admis comme
provisoires. Le physicien Darwin a dit. « tel phénomène ne pourra
être interprété que lorsque nous saurons ce que veulenl dire m et e
dans les équations de Dirac ».
La tendance fondamentale de la science, et son succès le plus
éc!atant, ont été la réduction successive du nombre des « êtres u
fondamentaux, des irrationnels purs qu'elle devait bien considérer
comme donnés dans la nature, mais sans trouver aucune « raison »
à leur existence. Tout concourt à faire de cette réduction l'objectif
premier de la science pratiquement, la commodité d'atteindre un
nombre minimum de relations indépendantes, donc de bâtir toute
la structure de la théorie physique avec le moins d'arbitraire possible;
théoriquement, d'assurer à la raison humaine la plus grande victoire
possible en retranchant tout le possible à l'inconnaissable, à l'irra-
tionnel.
Et l'on voit ici la réponse à notre question comment la science
justifie-t-elle le succès de la théorie physique, en termes de réalité.
C'est parce qu'elle pense que le nombre des êtres irréductibles, des
irrationnels vrais, est en vérité très faible, que la science a réussi,
que les lois fondamentales sont devenues chaque jour moins nom-
breuses, c'est parce qu'il y a peu de causes sans cause. Si le monde
avait été celui des essences aristotéliciennes, le succès de la science
y aurait été impossible.

H
Avant de préciser cette réduction du nombre des êtres ultimes,
porteurs de causes et non causés, telle qu'elle est poursuivie par
la science, il nous faut répondre à une objection qui viendra natu-
rellement à l'esprit de ceux qui ont été nourris des doctrines posi-
tivistes. La théorie physique telle que vous nous la décrivez, diront-
ils, est conçue comme théorie explicative et déductive, elle se réfère
à des êtres ultimes, en petit nombre, et à leurs propriétés (qui
d'ailleurs les définissent), pour justifier les phénomènes. Nous ne
discuterons pas la question, que vous réservez, de savoir si sa
356 REVUE PHILOSOPHIQUE

possibilité ne postule pas sa vérité intrinsèque si les êtres qu'elle


désigne ne devraient pas posséder, pour justifier son ambition,
une réalité métaphysique qu'elle est bien incapable de démontrer.
Mais reconnaissez au moins que cette forme de théorie n'est pas la
seule qu'ait envisagée la science; pour respecter les limitations,
la défiance contre la métaphysique, du positivisme, bien des savants
ont préconisé, ont même parfois réalisé, une théorie physique
purement phénoménologique et inductive, dont l'ambition était
encore d'établir une correspondance entre l'ensemble des phéno-
mènes observés et un système cohérent de lois mathématiques
mais cohérence ne signifie plus ici subordination et déduction,
réductibilité à un petit nombre, mais bien, pour les lois naturelles
(outre la non-contradiction, bien entendu), ressemblance formelle,
possibilité d'en induire un ou plusieurs principes de valeur surtout
formelle en un mot, parallélisme et non plus hiérarchie.
Que deviennent l'être el le réel, pour de telles théories phéno-
ménologiques, comme la thermodynamique, sa généralisation, l'éner-
gétique, ou la première forme de la mécanique quantique ? Ces
théories se fondant encore sur les lois naturelles, l'analyse que
nous avons faite de la façon dont celles-ci nous désignent les êtres
dans le monde~des apparences conserve sa valeur. L'absence de
hiérarchie met tous ces êtres sur le même plan il n'y a plus d'êtres
dérivés. Et, par une conséquence évidente, tous les êtres ainsi atteints
sont macroscopiques ces théories se refusent systématiquement à
considérer des êtres miscrocopiques explicatifs des apparences sen-
sibles. Mais cette démocratie d'êtres, il faut l'avouer, n'entraîne
pas une bien forte adhésion. La modestie même de ces théories en
est la cause elles prétendent ne pas contenir le réel, en donner
seulement une copie conforme, une image schématique, et pragma-
tiquement adéquate. Conservant les lois naturelles, elles négligent
les êtres qui y figurent et nous portent à les négliger avec elles,
elles ne s'attachent qu'à la _forme de ces relations, et cherchent à les
ramener toutes à une même forme. Ces théories ne sont même plus
totalement causales pour elles, l'ordre de la nature est manifesté,
non plus par des causes hiérarchisées, mais par les formes communes
des différentes lois.
Mais nous ne pensons pas qu'il faille chercher dans ces théories
la réponse de la science au problème du réel, et prendre acte de leur
J. ULLMO. – LE RÉEL ET LA SCIENCE 357

abstention. Procédant par affirmation, parce que la discussion de


la valeur des théories phénoménologiques, que nous avons esquissée
ailleurs à propos de leur grand champion, Duheml, nous entraî-
nerait trop loin, nous dirons ces théories sont toujours provisoires.
Elles peuvent être utiles pour donner un aspect systématique,
ordonné, à un ensemble de résultats acquis (cas de la thermodyna-
mique) elles peuvent d'autre part, suggérer des relations nouvelles
par simple application de leur formalisme à des relations connueg
(par exemple, application du formalisme de la non commutativité
aux lois de l'électromagnétisme pour obtenir la théorie quantique
des champs). Mais elles font en général trop confiance au formalisme
mathématique la possibilité par exemple de donner à un type
très étendu d'équations différentielles, par des changements de
variables convenables, la forme d'équations résolvantes du calcul
des variations, en faisant de leur intégrale la solution d'un problème
de minimum, n'a aucune valeur autre, que formelle. Un problème
n'est pas modifié, encore moins résolu, parce que le formalisme
lagrangien a permis de l'énoncer sous forme de généralisation du
de moindre action, et c'est une véritable illusion mathé-
principe
matique que de croire atteindre des résultats nouveaux par un tel
maniement d'algorithme or il est à la base de la plupart de ces
théories phénoménologiques par la similitude de forme des relations
qu'il entraîne. Tout au plus ce formalisme attire-t-il l'attention sur
l'importance, du point de vue de la simplification et de la symétrie
des formules, de se servir des fonctions telles que l'action hamil-
tonnienne, sur lesquelles porte la variation à annuler.
Par ailleurs, ces théories sont impuissantes devant les dinicultés
n'apportant aucune raison que des raisons de forme, de ressemblance,
à leur édifice de relations, elles ne peuvent fournir, elles ne permet-
tent même, aucune hypothèse, pour justifier une relation nouvelle
trouvée par l'expérience qui s'écarte de leur formalisme ainsi les
phénomènes de fluctuations, tels que les fluctuations du rayonne-
ment du corps noir, ou le mouvement brownien, échappaient irré-
médiablement à la thermodynamique.
Enfin, l'histoire de la science montre que de telles théories trou-
vent toujours leur théorie explicative qui vient les doubler, les

1. Revue de Synthèse, octobre 1933.


358 REVUE PHILOSOPHIQUE

expliquer, guider leur formalisme aveugle (exemple du choix des


fonctions définissant le champ électromagnétique à qui appliquer
tes relations formelles de non commutation), permettre en un mot à la
science de les dépasser. Il est bien clair qu'il est plus facile de
modifier une propriété d'un être, ou d'en ajouter une que de
modifier pour l'adapter à des relations expérimentales nouvelles,
une théorie formelle dont toute la valeur repose sur le respect.
par toutes les relations connues, de certaines formes rigides.
En résumé, ces théories ne sont en général qu'une étape dans la
science, un moyen de classer les résultats acquis, et le plus souvent
un aveu provisoire d'impuissance. Pour la mécanique quantique,
présentée d'abord comme théorie phénoménologique, son équiva-
lence formelle avec la mécanique ondulatoire vint bientôt rendre
courage à ce besoin irrépressible de l'esprit humain de comprendre
la raison du succès d'une théorie qu'il a édifiée, qui le rend impatient
des théories phénoménologiques. Les analyses si pénétrantes d'Hei-
senberg, qui allaient le conduire au principe d'indétermination, et
celles, plus générales encore, de Bohr, ne visaient à rien d'autre
qu'à satisfaire ce besoin elles revenaient, en rapportant à des
propriétés de l'être (et de la mesure) les causes des relations de
non commutation, à faire passer la mécanique quantique du rang
de théorie phénoménologique à celui de théorie explicative, au sens
général que nous avons défini (et qui fait abstraction de l'intuition
grossière).

1
Nous admettons donc que le but de la théorie physique est de
chercher à réduire au plus petit nombre possible d'êtres les causes
des phénomènes, but vers lequel elle a déjà sensiblement progressé.
Ces êtres, qu'elle nous propose évidemment comme le substrat
du réel, qui constituent sa réponse à la question que nous lui avons
posée, quelle est leur nature nous ne voulons certes pas parler
de leur nature métaphysique, puisque les étapes successives qui
nous ont conduits jusqu'à eux nous en ont fourni une définition
purement opérationnelle quelle est la conclusion de ces opérations
successives ?
II nous apparaît deux catégories distinctes d'êtres irréductibles.
entre lesquelles la science hésite encore êtres physiques ou êtres
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 359

géométriques, éléments microscopiques doués de qualités, ou espaces


doués de structure.
Nous n'insisterons pas longuement sur les êtres microscopiques
doués de qualités, qui sont bien connus, et dont nous avons traité
ailleursl on sait que la plus grande partie de la physique et
toute la chimie sont reconstruits au moyen de quelques éléments
indépendants électron négatif, électron positif ou positron, proton,
neutron (l'un de ces deux derniers n'est pas indépendant, le proton
étant aujourd'hui regardé comme l'effet de la combinaison d'un
neutron et d'un positron), photon et éventuellement neutrino. Ces
êtres sont doués de qualités, la masse (à laquelle on ramène l'énergie),
la charge, le spin, la fréquence propre tous termes qu'il faut
entendre au sens strictement opérationnel que nous avons défini,
comme tirés des relations où ils figurent comme paramètres. Les
éléments mesurables directement ou indirectement, qui jfigurent
dans ces relations fondamentales, qu'on peut dire causés immédia-
tement par les qualités ci-dessus, sont le champ gravitationnel, le
champ électromagnétique, le champ d'ondes de de Broglie. Enfin.
ces êtres évoluent dans l'espace-temps euclidien de la relativité
restreinte, qui n'est qu'un cadre sans influence sur les phénomènes.
A côté de ces êtres microscopiques, et souvent concurremment
avec eux, la science considère des espaces doués de structure, espace
riemannien métrique particularisé de la relativité générale, espace à
jauge non intégrable de Weyl, espace riemannien à parallélisme absolu
de la théorie unitaire du champ, espace de la relativité projective.
On peut concevoir dans une première étape, une association de
ces deux sortes d'êtres. C'est le 'cas de la théorie de la relativité
générale l'espace-temps y est un être géométrique, espace rieman-
nien doué de courbure, à torsion nulte, dont la structure rend compte
de toutes les apparences des phénomènes de gravitation. Il fallait
d'autres êtres pour expliquer les phénomènes de la matière, de
l'électricité et du champ électromagnétique. La matière pouvait
se rattacher à l'être espace-temps, comme singularité ponctuelle.
Mais la charge et le champ é-m exigent l'existence d'êtres supplé-
mentaires situés dans l'être géométrique.
La théorie unitaire du champ va beaucoup plus loin en préten-

t. Scientia, L'Ëvohttion de la notion de corpuscule février 1934.


360 REVUE PHILOSOPHIQUE

dânt expliquer toutes les apparences par les propriétés géométriques


d'un espace riemannien à parallélisme absolu, c'est-à-dire doué de
torsion et à courbure nulle. Entre les éléments géométriques (cour-
bure, torsion, etc.) qui définissent entièrement la structure d'un tel
espace (la courbure y est toujours nulle) pourront subsister des
relations compatibles qui particulariseront un espace à parallélisme
absoiu parmi tous les autres. I! faut que ces relations soient équiva-
lentes aux lois naturelles, de la physique, c'est-à-dire qu'on puisse
établir une correspondance univoque entre les éléments géométriques
qui figurent dans celles-là, et les'fonctions représentant (comme
nous l'avons vu) des phénomènes mesurables qu'on trouve dans
celles-ci. Les paramètres des lois naturelles (fondamentales, dont
toutes les autres sont déduites), apparaissent alors, dans les équa-
tions géométriques, comme des constantes structurales de l'espace
envisagé.
Les valeurs, variables d'un point à un autre, des éléments
géométriques (mais données une fois pour toutes avec l'espace-
temps lui-même) suffisent à expliquer tous les phénomènes sensibles.
Nous avons exposé la forme idéale de l'explication du monde
des phénomènes par la structure d'un être géométrique pour le cas
de la théorie unitaire du champ, où ce but était explicitement
poursuivi. Mais nous choisirons des exemples des correspondances
fonctions-éléments géométriques, paramètres-constantes structu-
rales, dans des théories'ddnt les résultats ont été plus développés.
Les fonctions qui représentent le-champ gravitationnel, en relativité
générale sont identifiées au tenseur.gik des coefficients du ds"
riemannien. Dans une tentative récente d'Eddington\ le para-
mètre qui représente la charge de l'électron e dans les équations de
Dirac, apparaît comme lié au nombre de dimensions d'un certain
espace, 137 (plus précisément, un changement immédiat d'écriture
/:c
de ces équations y fait apparaître la combinaison et c'est elle
7re2 ~–~
qui est égale à 137 et se trouve identifiée à un nombre de dimensions,
exemple-type d'une constante structurale ainsi l'être irréductible

1. Voir Les idées d'Eddington sur la charge électrique et le nombre 137


par l'auteur, Aclualités scientifiquesel industrielles, n° 107, à Paris chez Hermann,
1934.
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 361

charge se trouve supprimé, puisque déduit d'une propriété géomé-


trique).
Dans une théorie comme celle du champ unitaire, plus rien
n'existe en dehors de l'être géométrique. Mais celui-ci a encore une
part de contingence, puisqu'il est particularisé, par certaines équa-
tions structurales compatibles mais non nécessaires. Selon M. Cartan,
le but ultime d'une théorie géométrique devrait être d'atteindre un
espace qui soit le plus général de sa classe, dont la structure ne
soit soumise à aucune relation limitative, et qui rende compte des
phénomènes par correspondance directe entre ses éléments struc-
turaux (vérifiant des relations intrinsèques, nécessaires à la défini-
tion de cette classe d'espaces) et les phénomènes mesurés.

J
II nous reste une question à poser le réel désigné par la science
dans ses lois naturelles, et creusé par couches successives jusqu'à
aboutir aux êtres ultimes explicatifs, comme nous l'avons vu, ce réel
est-il le seul possible ? A-t-il une valeur en dehors des expériences
particulières que l'histoire des sciences nous a amenés à faire, en
dehors du travail particulier que notre pensée a fait sur les relations
ainsi dégagées, par combinaison, généralisation, adjonction de
relations postulées ou hypothèses ?
Remarquons qu'il ne s'agit nullement ici encore du problème
métaphysique de la vérité du réel désigné par la science, de sa
valeur absolue, mais seulement de sa valeur relative, du degré de
confiance que nous pouvons lui accorder. Car si le hasard des décou-
vertes expérimentales nous avait conduits à découvrir d'autres
relations, si d'autres procédés de combinaisons des lois connues,
ou des combinaisons faites avec des lois aujourd'hui inconnues,
nous avaient permis de construire une théorie physique différente
de la nôtre ou même seulement différemment formulée, mais égale-
ment adéquate aux phénomènes et désignant dans le monde sensible
d'autres êtres dérivés et, au-dessous, d'autres êtres ultimes supports
des causes (ce qui prouverait la « non-vérité » de nos êtres actuels,
mais là n'est pas la question), les êtres définis par notre science
actuelle ne seraient guère que des étiquettes commodes pour désigner
certains coefficients des relations, de faux êtres suggérés par ces
désignations, lesquelles ne recouvriraient rien de plus qu'elles-mêmes.
TOME OXXTf. NOV.-DÉO. 1936 (?' 11 ET 12) 23
362 REVUE PHILOSOPHIQUE

Même du point de vue de l'être phénoménal, sa réalité phénoménale


ne nous apparaîtra convaincante que s'il n'est soumis à aucun
arbitraire, à aueun flou, à aucune indétermination.
Et sans doute au début de la science, l'indétermination est
grande. Un même phénomène peut donner lieu à plusieurs relations
répétables, suivant les éléments que l'on mesure, donc désigner
plusieurs êtres dont le rapport n'est pas précisé. D'autre part, dans
un ensemble de lois mathématiques dont un certain nombre seule-
ment sont indépendantes, il peut y avoir plusieurs façons de choisir
celles qui sont indépendantes et celles qui sont des conséquences,
d'où plusieurs schèmes possibles d'enchaînement causal. Si même
les lois naturelles prises comme indépendantes restent les mêmes,
il peut y avoir plusieurs façons d'en déduire un ensemble de lois
connues, en appliquant différemment les procédés de généralisation,
sommation, combinaison en particulier le choix des relations
postulées ou hypothèses qui servent à combler les lacunes de ce
« montage » déductif étant initialement arbitraire, p'usieurs « mon-
tages » ou théories peuvent être possibles pour coordonner et hiérar-
chiser les lois connues. Tant que cette quadruple indétermination
subsiste, le choix de la théorie explicative n'est guidé que par la
commodité, suivant un mot célèbre.
Mais le progrès de la science lève peu à peu ces indéterminations.
L'expérience atteint des relations si profondes que toutes celles à
quoi donne lieu un phénomène macroscopique en sont des consé-
quences, tous les êtres qu'il désigne sont des êtres dérivés des
mêmes êtres sous-jacents le phénomène est alors expliqué de
façon univoque par les relations profondes. D'autre part la richesse
de conséquences de certaines relations est telle qu'elles s'imposent
comme relations-sources, relations fondamentales. Ou bien c'est
le mécanisme mathématique lui-même qui cesse d'être réversible,
qui permet de déduire des lois d'une relation-source, sans jamais
donner celle-ci à partir de celles-là: c'est le cas, de plus en plus
fréquemment rencontré, où l'on emploie comme méthode de déri-
vation la superposition statistique des effets élémentaires, comme
dans la théorie cinétique. Enfin, les montages différents dus aux
hypothèses différentes rencontrent leurs expériences cruciales, qui
confirment l'un et font éclater les autres.
En définitive, la théorie physique devient chaque jour plus
J. ULLMO. LE RÉEL ET LA SCIENCE 363

nécessaire, plus déterminée de façon unique, plus imposée par le


monde extérieur qui ne se plie pas à nos édifices théoriques, mais
nous impose les siens, malgré parfois bien des résistances de notre
routine ou de nos besoins d'intuition qu'on pense aux luttes qu'a
suscitées « l'hypothèse atomique », l'Univers de la relativité res-
treinte, que suscite encore la'loi de complémentarité de Bohr. La
théorie physique s'objective dans la mesure où elle échappe à
l'arbitraire de nos constructions mentales. Elle nous désigne donc
chaque jour davantage un réel indépendant de notre pensée, bien
qu'explorable par elle au magistère de notre esprit, le réel résiste
il nous impose ses chemins propres pour se laisser découvrir.
En même temps ce réel s'enrichit non seulement tout le monde
ancien des apparences est expliqué, rentre dans l'intelligible, mais
nous découvrons chaque jour, nous créons de nouveaux phénomènes.
Ainsi la science éloigne sans cesse et réduit le nombre des êtres
ultimes porteurs de causes par une démarche inverse, elle élargit
le réel et rapproche de nous le monde des phénomènes en les rendant
intelligibles. Elle nous prouve donc la réalité du monde extérieur,
mais en même temps démonte le monde sensible, le concret elle
justifie et détruit en même temps le monde des apparences en
l'expliquant.
Jean ULLMO.

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