ÉDITORIAL
La révision de l’ordonnance en gériatrie
Prescription update in geriatrics
Joël BELMIN1, 2, 3, Witold JARZEBOWSKI1
L
a révision de l’ordonnance est
une partie très importante du
travail clinique réalisé par les gé-
riatres. Elle concerne tous les nou-
veaux patients qu’ils sont amenés à
évaluer, mais aussi les patients qu’ils
suivent régulièrement. La révision de
l’ordonnance consiste à faire une ana-
lyse soigneuse de l’ordonnance d’un
Pr Joël Belmin
patient et à la revisiter avec un regard
critique en prenant en compte l’état
de santé, le contexte de vie et aussi les
éventuelles automédications. Sa fina-
lité vise à optimiser l’utilisation des
médicaments et à prévenir la surve-
nue d’effets indésirables des médica-
ments. Aussi, la révision de l’ordon-
nance fait partie intégrante des
bonnes pratiques à appliquer chez les
personnes atteintes de maladies chro-
Dr Witold Jarzebowski
niques et prenant de façon chronique
un ou plusieurs médicaments, et cela
quel que soit leur âge(1). Bien évidemment, la révision de
l’ordonnance concerne particulièrement les personnes
âgées puisque 86 % des personnes de plus de 75 ans pren-
nent un ou plusieurs médicaments de façon chronique. La
société américaine de gériatrie (AGS) a clairement exprimé
dans ses indicateurs de qualité de la prise en charge des
personnes âgées vulnérables (ACOVE) que toute personne
âgée vulnérable devrait bénéficier d’une révision de son or-
donnance de façon annuelle(2).
Quasiment tous les patients âgés relevant de la gériatrie sont
concernés par la révision de l’ordonnance, notamment les
personnes hospitalisées en gériatrie, celles vivant en institu-
tion gériatrique ou encore les personnes âgées dépendantes
bénéficiant de soins ou d’aide au domicile. La révision de
1 Hôpital Charles Foix, Ivry-sur-Seine, France.
2 Université Pierre et Marie Curie, Paris, France.
3 Laboratoire Educations et Pratiques en Santé (EA 3412), Bobigny, France.
© La Revue de Gériatrie, Tome 42, No 4 AVRIL 2017
l’ordonnance est d’autant plus complexe et difficile que le
patient prend un nombre élevé de médicaments et qu’il est
atteint de plusieurs maladies chroniques complexes. Autant
dire que chez les patients très âgés hospitalisés en gériatrie
qui prennent en moyenne 8 à 10 médicaments, cet exercice
est particulièrement difficile. Si tout le monde admet que la
révision de l’ordonnance des patients âgés ayant des mala-
dies chroniques est l’affaire de tous les médecins qui s’oc-
cupent du patient, le médecin généraliste devrait être le pre-
mier acteur de la révision de l’ordonnance. Toutefois,
l’expérience nous montre que cette tâche très complexe est
rarement réalisée par le médecin de ville et qu’elle relève
davantage du travail d’un spécialiste en gériatrie. L’apport
d’un regard nouveau et doté d’expertise est plus propice à
conduire une analyse critique que le médecin généraliste,
qui peut être submergé par une certaine routine et être tenté
d’allonger l’ordonnance à chaque nouveau symptôme sans
réfléchir à la dé-prescription. Il serait important que les or-
ganisations professionnelles concernées et les organismes
de santé soutiennent et formalisent la coopération entre mé-
decins de ville et gériatres autour de l’optimisation théra-
peutique(1). Les consultations qui se développent dans des
centres de gériatrie de plus en plus nombreux pourraient
utilement servir cette cause.
Depuis une quarantaine d’années, les travaux de recherche
clinique qui ont porté sur la polymédication chez les per-
sonnes âgées ont été nombreux et ont permis de faire pro-
gresser les connaissances et les pratiques en la matière. En
particulier depuis les années 1990, Hanlon et ses collabo-
rateurs, aux USA, ont publié régulièrement des travaux met-
tant en évidence l’utilisation non optimale des médicaments
dans la population âgée(2). Des journaux scientifiques spé-
cialement dédiés à cette thématique ont vu le jour comme
The American Journal of Geriatric Pharmacotherapy et
Drugs and Aging. En 1991, Beers a réuni un groupe d’ex-
perts qui a défini une liste explicite de médicaments inap-
Auteur correspondant : Professeur Joël Belmin, Hôpital Charles Foix, 7 avenue de
la République, 94200 Ivry-sur-Seine, France.
Courriel : j.belmin@aphp.fr
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Prescription update in geriatrics
propriés en gériatrie, ce qui a considérablement aidé le dé-
veloppement de la recherche sur l’optimisation des ordon-
nances(3). A l’aide d’une liste définie, il devenait possible de
déterminer le nombre de personnes âgées recevant un ou
plusieurs médicaments inappropriés ou encore de calculer
le pourcentage des médicaments inappropriés utilisés chez
les personnes âgées. Ces critères ont été depuis régulière-
ment mis à jour pour tenir compte des progrès des connais-
sances et des évolutions de la pharmacopée. Au cours de la
première mise à jour en 1997, Beers et al. ont tenu compte
du fait que les médicaments de la liste n’étaient pas toujours
inappropriés en gériatrie, notamment dans des situations
particulières de prescription en seconde intention, et le
concept est devenu celui de « médicaments potentiellement
inappropriés » en gériatrie(4). La Société américaine de gé-
riatrie les a adopté et ces critères ont été régulièrement mis
à jour par celle-ci(5), notamment après le décès de Beers en
2009, et ces critères ont été adaptés à la pharmacopée fran-
çaise(6). En 2008 Gallagher et al. ont enrichi le concept en
élaborant les critères START signifiant « Screening Tool to
Alert doctors to Right Treatment » : il s’agit de critères
explicites incitant les médecins à prescrire des traitements
utiles dont l’absence sur l’ordonnance serait une perte de
chance pour le patient(7). Ainsi, les critères START permet-
tent d’enrichir l’analyse critique de l’ordonnance et viennent
aider le médecin à ajouter des traitements utiles. Ces critères
ont été eux aussi adaptés à la pharmacopée française(8) et
aussi mis à jour(9). Ainsi on voit se dessiner les deux grandes
stratégies pour optimiser les traitements médicamenteux :
dé-prescrire d’une part et ajouter des médicaments utiles
d’autre part. Ainsi la révision de l’ordonnance ne conduit
pas forcément à diminuer le nombre de médicaments
consommés chez un individu donné.
Si ces progrès aident les gériatres à optimiser le traitement
médicamenteux des patients âgés, ils ne résolvent pas tous
les problèmes. En premier, il faut faire accepter au patient
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et à son entourage les changements proposés et surtout
faire adhérer les médecins de famille à ces changements.
La communication entre d’une part le gériatre et d’autre
part le patient, son entourage, son médecin de soins pri-
maires et son pharmacien est cruciale(10). Souvent faute de
temps, il y a peu de concertation entre les médecins/phar-
maciens et il y a alors un risque élevé que les changements
soigneusement réfléchis et proposés par le gériatre soient
rayés d’un trait de plume par le médecin traitant. Lorsque
les modifications sont accompagnées de justifications écrites
expliquant les changements, leur maintien est plus proba-
ble. Enfin certains médecins de ville se sentent remis en
cause dans leur compétence si les traitements de leurs pa-
tients âgés sont profondément modifiés par les médecins
hospitaliers. Dans ces situations si la communication directe
peut arrondir les angles et faire accepter les changements,
elle est rarement mise en œuvre faute de temps profession-
nels spécialement dédiés à des concertations.
Une autre question concerne l’efficacité de l’optimisation de
la thérapeutique médicamenteuse. Si la prescription optimi-
sée des médicaments est souhaitable car logique et ration-
nelle, on ne sait pas réellement si cette démarche améliore
le pronostic des patients âgés qui en bénéficient. Quelques
études ont porté sur la prévention des effets indésirables ou
encore d’autres bénéfices de santé, mais au global, les tra-
vaux sont plutôt décevants, comme l’ont indiqué deux méta-
analyses récentes(11, 12). Toutefois, il s’agit de recherches dif-
ficiles à conduire qui demanderaient d’être menées sur de
grandes cohortes, et il semble tout de même adapté en at-
tendant ces travaux de continuer à optimiser l’ordonnance
médicamenteuse des patients âgés que nous soignons. ■
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
rapport avec cet article.
Rev Geriatr 2017 ; 42 (4) : 195-7.
© La Revue de Gériatrie, Tome 42, No 4 AVRIL 2017
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