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et de botanique appliquée
Drouin Jean-Marc. Le "moral" des plantes : introductions, hybridations et monstruosités végétales au XIXe siècle. In: Journal
d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 37ᵉ année, bulletin n°1,1995. pp. 5-16;
doi : 10.3406/jatba.1995.3557
http://www.persee.fr/doc/jatba_0183-5173_1995_num_37_1_3557
Abstract
In 1852, Charles Naudin published an article in the "Revue Horticole" praising the close link between
botany and horticulture. In his opinion, the horticulturists of his day were particularly interested in the
"moral des plantes", which looks at the morphological and physiological characteristics that go beyond
the ornamental value of plants, and he found something philosophical in this feeling. Odd as it may
seem, the complementary of botany and horticulture was not obvious in the 18th and 19th centuries.
Three horticultural practices in particular provided botanists with food for thought : the introduction of
exotic species in European gardens, the search for new forms through hybridization, and the selection
of vegetal monstrosities. All three helped introduce unusual vegetal forms to the garden environment
and encouraged the rise of new theoretical approaches.
b
Journ. d'Agric. Trad, et de Bota. Appl, nouvelle série, 1995, Vol. XXXVII (1) : 5-16
DROUIN*
Jean-Marc
RÉSUMÉ.- Dans un article de la Revue horticole publié en 1852, Charles Naudin se réjouit
de l'union intime entre la botanique et l'horticulture. Il l'explique par l'intérêt que les
horticulteurs de son époque portent au "moral des plantes", c'est-à-dire à des particularités
morphologiques ou physiologiques qui ne se réduisent pas à leur valeur ornementale, et il
voit "quelque chose de philosophique" dans ce sentiment. Pour avérée qu'elle soit, la
complémentarité de la botanique et de l'horticulture au XVIIIe et XIXe siècles ne va pas de
soi. Trois pratiques horticoles en particulier ont donné matière à penser aux botanistes:
l'introduction d'espèces exotiques dans les jardins européens, la recherche de nouvelles
formes par hybridation et la sélection des monstruosités végétales. Toutes les trois
manifestent l'irruption d'une certaine étrangeté dans l'espace du jardin et toutes les trois
ont permis l'émergence de nouveaux problèmes et de nouvelles perspectives
scientifiques.
Mots -clés.- Histoire des sciences - acclimatation - hybridation - sélection
Le nombre des espèces qui croissent spontanément dans un pays donné est
limité. Toute choses égales par ailleurs, ce nombre est moins grand dans les zones
tempérées que dans les zones tropicales. Lors des dernières glaciations, la disposition
est-ouest des Alpes et de la Méditerranée a entravé les migrations nord-sud des
espèces végétales, provoquant ainsi une réduction de la diversité floristique sans
équivalent en Amérique du nord ou en Extrême-Orient1. Aussi très tôt l'introduction
de plantes en provenance d'autres régions du globe est apparu comme un moyen
évident d'accroître le nombre des espèces disponibles.
Ces migrations végétales qui ont commencé avec les débuts même de
l'agriculture sont entrées dans une phase nouvelle après la découverte de l'Amérique.
Elles sont connues des auteurs du XVIIIe siècle et leur offrent un argument pour
justifier l'utilité sociale de leur discipline. En 1752, un des étudiants de Linné,
Christophe Gedner, dans une dissertation dont le texte, selon l'usage des universités
suédoises de l'époque, est inspiré voire même rédigé par le professeur, défend l'utilité
sociale de l'histoire naturelle2. L'un des arguments avancés est le fait que la plupart
des plantes que nous utilisons pour notre alimentation ou notre ornement sont des
végétaux exotiques ce qui justifie l'intérêt des "curieux de la nature" à l'égard de ces
derniers. L'argument constitue un lieu commun de la littérature botanique et
horticole. On le retrouve utilisé en pleine Révolution, par Georges Toscan (1756-
1826), bibliothécaire du Muséum, dans la premier numéro de La Décade
philosophique3. Il revient en 1822 sous la plume d'Augustin-Pyramus de Candolle
(1778-1841) dans un article du Dictionnaire des sciences naturelles consacré aux
jardins botaniques. Le botaniste genevois explique que c'est à ces institutions "que
nous devons en grande partie et les arbres exotiques qui ornent nos campagnes, et
cette multitude de fleurs diverses qui décorent nos parterres". Et Naudin lui-même
dans l'article déjà cité, un siècle après Linné, évoque les "collecteurs intrépides et
"Combien y-a-t-il de plantes qui nous paraissent trop délicates pour résister à
notre climat & qui pourraient peut-être y vivre, si on les en approchoit par
degrés ; si au lieu de les transporter brusquement d'un lieu chaud à un lieu
froid, on les déposoit successivement dans des climats de température
4 MICHELET, 1868, les citations se trouvent pages 191 et 333 dans la réédition de 1983.
5 Humboldt, 1807 : 29.
6 Candolle, 1820 : 421.
moyenne, & si on leur donnoit le temps de se fortifier avant de les exposer à
la rigueur de nos hivers?"7
Bien que cette possibilité théorique lui paraisse très difficilement réalisable,
le schéma qu'il propose mérite de retenir l'attention par le rapprochement qu'il établit
avec une autre grande voie de création de formes végétales nouvelles : la sélection.
Comme l'ont noté les auteurs qui ont écrit sur l'origine des plantes
cultivées, les conditions particulières créées par la culture permettent à des
variations, intéressantes pour l'homme mais désavantageuses pour la plante, de
subsister (HAUDRICOURT & HÉDIN, 1987 : 16-17). Ceci est vrai en particulier pour
les plantes ornementales, ces "monstres agréables" selon l'heureuse expression
employée par Milena Rizotto (1993), de l'Université de Florence, dans une étude sur
les pratiques de sélection horticoles au XVIIe siècle. Objet de tous les soins de
l'horticulteur, ces plantes sont souvent perçues avec méfiance par le botaniste pour
qui elles ne font qu'embrouiller le tableau de la nature. Linné affirme sans ambages
dans la Philosophia botanica (1751) que les fleurs multiples n'ont rien de naturel et
ne sont que des monstres12. Dans ses Lettres sur la Botanique, Jean-Jacques
Rousseau, amateur éclairé et lecteur de Linné, reprend la même idée13. Il met en
garde le botaniste débutant contre les confusions que favorisent les plantes cultivées,
non sans manquer d'établir un rapprochement avec l'état de l'homme en société :
12 "Luxuriantes Flores nulli naturales, sed omnes Monstra sunt", LINNÉ, 1751 : 95.
13 Le 21 septembre 1771 Rousseau écrivait à Linné "je tire un profit plus réel de votre
Philosophia Botanica que de tous les livres de morale." Lettre citée dans DURIS,1993 :
103.
10
les a souvent défigurées, et que, quand, dans les œuvres de ses mains, il croit
étudier vraiment la nature, il se trompe. Cette erreur a lieu surtout dans la
société civile ; elle a lieu de même dans les jardins. Ces fleurs doubles, qu'on
admire dans les parterres, sont des monstres dépourvus de la faculté de se
produire leur semblable, dont la nature a doué tous les êtres organisés."14
Quelques années plus tard, en 1778, le thème des "fleurs pleines" offre à
Lamarck, dans les "Principes de Botanique" qui ouvre la Flore française, l'occasion
de rappeler qu'une grande partie des fleurs cultivées sont des "monstres végétaux" et
de mettre en regard le point de vue de l'amateur de fleurs - le fleuriste - et celui du
botaniste. Les deux approches qui sont peintes successivement, s'opposent en fait
terme à terme.
Leur but est différent : tandis que le fleuriste est "plus jaloux de jouir que de
connoitre", le botaniste est "uniquement attentif à étudier, à épier la Nature". Leur
échelle de valeur diffère également : alors que le fleuriste "appelle continuellement
l'art au secours de la Nature, pour exciter celle-ci à des efforts inconnus", le botaniste
"se plaît à la contempler dans sa naïve simplicité plus précieuse sans doute que ces
agrémens dont on ne l'embellit que par la contrainte". En définitive l'un et l'autre ne
se placent pas au même niveau de la réalité : le fleuriste néglige l'espèce, ne
s'intéresse qu'à "quelques individus qu'il a adoptés" et les "transforme en de nouveaux
êtres, qui, sous les dehors de la fécondité et de l'abondance, cachent une dégradation
réelle". Le botaniste au contraire voit dans l'individu isolé "comme le type et le
modèle de l'espèce entière" et aime à y retrouver "les traits unis mais vrais" que la
Nature a fidèlement prononcés dans les productions qui lui appartiennent tout
entières"15. Après cette présentation assez manichéenne, Lamarck se fait plus
conciliant : chez les végétaux, contrairement aux animaux, "les monstruosités ne
font qu'ajouter de nouvelles grâces aux individus ; au demeurant, la nature est assez
riche pour ne pas souffrir d'abandonner ses droits dans nos parterres".
Mais si la Botanique n'a "rien à craindre" de ses monstres végétaux, il
semble bien, pour Lamarck, qu'elle n'ait rien à en apprendre. On mesure par
contraste avec cette attitude le renversement de perspective que réalise Augustin-
Pyramus de Candolle16.
En 1805, lorsqu'il réédite la Flore française de Lamarck, il reprend à
quelques nuances près les formules de la première édition17. En 1813, dans la
Théorie élémentaire de la botanique - son livre fondamental dans ce domaine - il note
que sous "le nom de monstruosités, nous confondons en général tout ce qui sort de
l'état habituel des êtres" et ajoute que sur ce nombre, "il en est qui sont des retours
de la nature vers l'ordre symétrique"(CANDOLLE, 1813 : 97.)18. En 1817 il publie
dans les Mémoires de la Société d'Arcueil une étude consacrée aux fleurs doubles :
leurs pétales sont des étamines transformées ce qui permet de considérer les pétales
comme "un état particulier des étamines". La fleur double dévoile à qui sait la voir
14 Rousseau, [1771-1773], 1969 : 1188. Cette citation est tirée de la septième lettre sur
la botanique. Sur les œuvres de botanique de Rousseau, cf. l'introduction par Roger de
Vilmorin, dans l'édition de La Pléiade des Œuvres complètes.
15 Lamarck, 1778, t. 1 : 173-174.
16 Sur la philosophie d'Augustin-Pyramus de Candolle, cf. Drouin (à paraître).
17 Augustin-Pyramus de Candolle, "Description des organes", dans Lamarck et
Candolle, 1805 : 136-137.
18 II reprend la même idée en 1827 dans Y Organo graphie végétale, (vol. 2, p. 238), cité
dans ARBER, 1950 : 5.
11
l'identité des étamines et des pétales ; encore faut-il la penser comme anomalie ou
exception et donc d'abord raisonner sur les seules espèces sauvages :
19 Les circonstances de la rédaction de cet article sont racontés dans les Mémoires et
souvenirs d'Augustin-Pyramus de Candolle publiés par son fils (CANDOLLE, 1862 : 432-
433). Germaine de Staël était décédée depuis plus de dix ans à l'époque de cet exposé mais
de Candolle aimait rendre visite à ses enfants, Auguste de Staël et la duchesse de Broglie,
qui eux-mêmes étaient en relation avec Guizot.
20 Sur le rôle de la tératologie dans la pensée zoologique et anatomique du XIXe siècle, cf.
Fischer, 1985.
21 Le texte de Gœthe sur le Jardin de Palerme et ses réflexions sur la plante originelle ont
été évoquées dans la communication d'Olivier Salvatori. au Colloque de Cergy-Pontoise
(1994) : "Sur les conceptions morphologiques de Johan Wolfgang Goethe (1749-1832)".
Cf. aussi ARBER, 1950 : 40 et suiv. Callot, 1971 : 73-86.
22 La traduction est parue en 1831 sous le titre allemand de Versuch iiber die
Metamorphose der Pflanzen. Ùbersetzt von F. Soret, traduit par F. Soret, nebst
geschlichten Nachtràgen. Stuttgart. Cette traduction - moins connue que celle de Martins
de 1837 - est signalée par Henriette Brideau dans une édition récente de la Métamorphose
des plantes (1975) et par Guedes, 1969.
12
Aux auteurs cités par Mendel, il faudrait ajouter Naudin lui-même, dont le
nom revient constamment si on parle de rapports entre botanique et horticulture au
XIXe siècle. En 1861, dans un article intitulé "Sur les plantes hybrides", il présente
aux lecteurs de la Revue horticole certains résultats de ses travaux. Il y décrit deux
espèces de pétunias, le pourpre (Petunia violaceà) et le blanc (Petunia
nyctaginiflora). Les hybrides produits par leur croisement se ressemblent tous, et
sont fertiles. Ils ont une forme et une couleur intermédiaires. Quatre croisements
opérés en 1854 donnent l'année suivante 36 hybrides, dont 35 ont des corolles à peu
près semblables. En revanche sur 47 individus issus d'un hybride, il observe une
grande diversité : une seule plante ressemble à l'hybride, 10 sont semblables au
Petunia violacea, les autres présentant certains caractères de l'une ou l'autre espèce.
Enfin, à la troisième génération, sur 1 16 plantes, 12 répètent le type de l'hybride de
1854, 26 se rapprochent du Petunia nyctaginiflora et 28 du Petunia violacea , les 50
autres présentant des caractères variés qui les rapprochent de l'une ou l'autre espèce.
Pour Naudin, cette expérience démontre, qu'au moins dans le genre Petunia, "les
hybrides n'ont aucune constance, et qu'on ne peut pas compter sur le semis de leur
graines pour reproduire et conserver les variétés que le croisement y a fait naître".
D'une manière plus générale, il constate que les hybrides, lorsqu'ils ne sont pas
stériles, tendent à disparaître en quelques générations. Il ne croit pas pour autant à la
permanence des espèces, mais il pense que "la nature qui a fait les espèces, parce
qu'elle en avait besoin, et qui les a organisées pour des fonctions déterminées, n'a
que faire des formes hybrides, qui ne répondent pas à son plan" (NAUDIN, 1861).
C'est à ce dernier argument qu'Henri Lecoq (1802-1871), professeur
d'histoire naturelle à Clermont-Ferrand, répond lorsqu'il réédite en 1862 son ouvrage
sur La Fécondation naturelle et artificielle des végétaux dans ses rapports avec
l'horticulture, l'agriculture et la sylviculture... dont la première édition datait de
1845. Lecoq, qui a lui-même pratiqué l'hybridation et qui fait partie à ce titre des
auteurs cités par Mendel, apprécie en connaisseur la qualité scientifique du travail de
Naudin mais critique sa philosophie implicite. Lorsque ce dernier considère que la
nature "n'a que faire des formes hybrides qui ne répondent pas à son plan", il lui
répond que nous ne savons "ni pourquoi ni comment la nature a fait les espèces", ni
si elle a "un grand besoin de toutes celles qu'elle a faites"28. D'ailleurs pour Lecoq,
loin d'être contraires à la nature, les mariages entre espèces différentes s'y produisent
souvent. Il n'hésite pas à extraire d'un de ses propres ouvrages de vulgarisation, La
Vie des Fleurs, une description romantique des amours végétales :
"Souvent les insectes se plaisent à troubler les ménages les plus heureux, les
liaisons les plus assorties. Ils portent, le jour ou la nuit, la poussière
fécondante d'une fleur sur une autre, et avant que le pinceau intelligent de
l'horticulteur ait remplacé les hasards de leur course vagabonde, c'est aux
insectes que nous avons été redevables des panachures et des variations d'un
grand nombre de fleurs de nos jardins."(LECOQ, 1862 : 15).
28 LECOQ, 1862 : 64 et suiv. La première édition, celle que pouvait connaître Mendel date
de 1845, traduite en allemand en 1846.
14
CONCLUSION
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