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DOCTRINE

Revue
Revue d’études
d’études générales
générales
n° 07

DOCTRINE
DOCTRINE
La mutation
La mutation dudu cadre
cadre général
général
de l’emploi
de l’emploi des
des forces
forces

ETRANGER
ETRANGER
L’Armée de
L’Armée de terre
terre allemande
allemande
sur la
sur la route
route du
du futur
futur

LIBRES REFLEXIONS
LIBRES REFLEXIONS
“Parlez-moi de
“Parlez-moi de tactique”
tactique”

STRATÉGIE, “ OPÉRATIQUE ” ET TACTIQUE :


LA PLACE DES FORCES TERRESTRES

>> Retour d’expérience La redécouverte des 300 derniers mètres


Directeur de la publication :
Général (2s) Jean-Marie Veyrat
sommaire n° 07
Doctrine
Rédacteur en chef : La mutation du cadre général de l’emploi des forces p. 4
Capitaine Stéphane Carmès
Quelques rappels utiles en matière de stratégie, “opératique” et tactique... p. 8
Tél. : 01 44 42 35 91
Les principaux textes à connaître en matière d’emploi des forces
au niveau stratégique, opératif ou tactique p. 9
Traductions :
Les principes de la guerre, référents fondamentaux p. 10
Lieutenant-Colonel (CR) Jacques de Vasselot
La place des forces terrestres dans la résolution des crises p. 13
- article du Général de division
Les capacités des forces terrestres en phase de stabilisation p. 15
Michaël A. VANE
et du Colonel Robert M. TOGUCHI Le commandement Air (JFACC), poste clé auprès du commandement interarmées de théâtre (JFC) p. 18
- article du Lieutenant-Colonel Rollins La place des forces terrestres dans le soutien logistique des opérations p. 23
Le combat interarmes des forces terrestres - Evolutions en cours p. 25
Relecture des traductions : L’emploi des appuis feux artillerie en 2005 : fondamentaux et avancées p. 28
Colonel (US) Christophe R. Gayard A propos du niveau des actions militaires - Stratégique, opératif ou tactique ? p. 31
Maquette : Christine Villey
Tél. : 01 44 42 59 86

Création : amarena Etranger


Crédits photos : Le rôle des forces terrestres dans la doctrine militaire espagnole
CCH Jean-Jacques CHATARD/SIRPA Terre aux niveaux stratégique, opératif et tactique p. 35
(1ère et 4e de couverture) L’Armée de terre allemande sur la route du futur p. 38
La permanence du besoin en forces terrestres : souplesse et capacité p. 41
Photogravure : Saint-Gilles (Paris) d’adaptation aux opérations interarmées
Gestion du fichier des abonnés : La contribution de l’Armée de terre britannique aux opérations modernes p. 49
Adjudant Nathalie Dijoux : Tél. : 01 44 42 48 93

Diffusion : bureau courrier du CDEF


Impression : Saint-Gilles (Paris)
Libres réflexions
Tirage : 2 000 exemplaires L’ennemi comme un sytème ou le modèle des cinq cercles appliqué
à la description d’un ennemi générique p. 54
Dépôt légal : à parution
L’illusion de la destruction comme principe de la guerre p. 57
ISSN : 1293-2671 - Tous droits
de reproduction réservés. “Parlez-moi de tactique” p. 61
Armées et post-modernité p. 65
Revue trimestrielle La problématique air de l’appui aérien en zone urbaine p. 67
Conformément à la loi «informatique
et libertés» n° 78-17 du 6 janvier 1978,
le fichier des abonnés à
Retour d’expérience
DOCTRINE a fait l’objet d’une
La sous-utilisation des forces terrestres alliées, en Europe, pendant les deux guerres mondiales p. 70
déclaration auprès de la CNIL,
La réaction internationale lors de la révolte des Boxers en Chine (1900) :
enregistrée sous le n° 732939.
une intervention suivie d’une stabilisation p. 75
Le droit d’accès et de rectification
Le pouvoir au bout du fusil. Irak ou la redécouverte des 300 derniers mètres p. 79
s’effectue auprès du CDEF.
La Provincial reconstruction team (PRT) : outil de la phase de stabilisation et moyen
Centre de Doctrine
de désengagement des forces terrestres ? p. 82
d’Emploi des Forces -
BP 53 - 00445 ARMEES.

Fax : 01 44 42 52 17 ou 821 753 52 17


Web : www.cdef.terre.defense.gouv.fr “ Conformément aux règles en vigueur, seule la version originale des articles approuvée
Mel : doctrine@cdef.terre.defense.gouv.fr par la direction de publication (écrite en langue française ou, éventuellement, en anglais
pour les textes directement rédigés dans cette langue) fait foi ”.
éditorial
Les forces terrestres sont effectivement les
plus à même d’inscrire leur action dans la per-
manence et la durée grâce à des modes d’ac-
tion différenciés, allant des actions de force à
celles d’assistance aux populations, désor-
mais centres de gravité majeurs dans les
crises et conflits. Aussi la tactique des
grandes unités et formations terrestres s’est-
elle adaptée à ceux-ci et permet de mettre en
ès qu’ils évoquent, à l’occasion des application sur le terrain les grands principes

C•D•E•F D nombreuses actions militaires en cours,


la stratégie, l’opératique ou la tactique,
maints experts civils, et même certains mili-
définis par le concept d’emploi des forces
françaises de 1997, notamment la cohérence
des buts, la maîtrise permanente de la force,
taires, font volontiers référence aux concepts la supériorité focalisée, l’ascendant moral et
de sécurité et de défense américains ou bri- la prééminence de l’homme sur la technolo-
tanniques. Ignoreraient-ils, volontairement gie, qui fondent notre vision de l’action mili-
ou non, qu’il existe un corpus conceptuel et taire, de la “guerre à la française”.
doctrinal français, très complet, remis à jour
constamment depuis la fin des années quatre- Adaptation aux opérations actuelles - notam-
vingt-dix, en cohérence avec les documents de ment aux modes d’action rattachés au mode
l’OTAN et ceux de l’Union européenne ? opératoire de maîtrise de la violence - ne
signifie pas oubli des fondamentaux du com-
Tous ces documents des forces armées fran- bat interarmes, si difficile à mener et qui sup-
çaises - qu’ils soient propres ou non aux pose une préparation opérationnelle perma-
forces terrestres, maritimes ou aériennes - nente. Même si nos forces terrestres partici-
placent bien sûr les différentes actions pos- pent actuellement essentiellement à des opé-
sibles de ces forces dans un cadre résolument rations de stabilisation ou d’assistance aux
interarmées et multinational. Ils méritent populations et doivent toujours être en mesu-
d’être mieux connus de tous car ils définis- re de le faire, elles n’ont pas vocation à assu-
sent la vision française des actions militaires, rer le rôle des forces de sécurité et à se trans-
dans les interventions comme dans les opéra- former en unités lourdes de police et de sécuri-
tions de stabilisation ; ils proposent aux té civile, mais bien à se préparer à mener les
chefs militaires une gamme variée de modes actions dont seules des forces terrestres
d’action et d’organisations du commande- denses, bien équipées et entraînées, sont
ment, adaptables aux différentes situations et capables, avec l’appui des autres composantes
prenant en compte tant les principes des forces armées.
pérennes d’emploi des forces que les ensei-
gnements du terrain. Il nous appartient donc de continuer à nous
préparer à mener toutes les formes d’action
Ce numéro de Doctrine - consacré à la place prévues par nos missions, en appliquant sur le
des forces terrestres aux niveaux stratégique, terrain, lors de la préparation opérationnelle,
opératif et tactique - n’a pas pour but de rap- notre doctrine d’emploi, avant de le faire le
peler ou de commenter ces différents textes, cas échéant en opération.
mais entend plutôt apporter un éclairage nou- Fruit de la réflexion et de l’expérience, bien
veau sur les approches françaises et alliées adaptée au génie propre de notre Nation mais
des opérations passées, actuelles et futures parfaitement cohérente et “interopérable” avec
ainsi que sur la place des forces terrestres au celles de nos alliés, cette doctrine d’emploi est
cœur de l’acte militaire. un outil irremplaçable pour nos chefs, qu’ils
agissent aux niveaux stratégique, opératif ou
Il n’est pas nécessaire de rappeler le rôle tactique.
important de ces dernières, l’histoire, récente
en particulier, nous ayant montré qu’aucun
succès réel et surtout aucune paix durable ne
sont possibles sans une action au sol et au Général Vincent DESPORTES
contact, avec les unités robustes qui lui sont commandant le Centre de doctrine
indispensables. d’emploi des forces

3 DOCTRINE N° 07
La mutation du cadre général
de l’emploi des forces
Progressivement, les facteurs classiques de la puissance militaire se trouvent remis en cause.
La résurgence d’une opposition militaire de blocs ne peut être exclue et il est possible qu’une
confrontation majeure se livre encore au cours du demi-siècle à venir sur le mode frontal et
classique qu’a forgé le XXe siècle. En revanche, il est certain que les armées auront demain
beaucoup plus souvent à intervenir dans des conflits “gris”, sans réelles frontières - entre
combattants “ et “non-combattants”, entre “extérieur” et “intérieur” - des conflits sans “cibles
à détruire”, sans adversaires clairement identifiables, des conflits où il s’agira davantage de lutter
contre la “nuisance” que d’affronter la “puissance”, des conflits où les effets à obtenir tiendront
autant de l’immatériel que du matériel.

Dans ces circonstances nouvelles, les éléments - hier constitutifs à eux seuls de la puissance
des nations et du succès de leurs armes - voient leur pertinence se dégrader. Il faut donc repenser
les outils et conditions des succès politiques.

PAR LE GÉNÉRAL VINCENT DESPORTES COMMANDANT LE CENTRE DE DOCTRINE D’EMPLOI DES FORCES

De la violence d’Etat
à la violence sociale
Depuis le Traité de Westphalie,
la logique des Etats et de la
puissance réglait la dyna-
mique internationale et les
pratiques de la violence. Sauf
exception, les conflits identi-
taires se contenaient dans les
frontières étatiques, leurs
contagions se bornant à la
proche périphérie et les irré-
dentismes ne faisant guère
école. L’organisation du mon-
de issue du deuxième conflit
mondial a, davantage encore,
ordonné le modèle ; les crises
ecpad/coll.documentation française

majeures y venaient s’inscri-


re, parfois malgré elles, dans
le schéma simple de la conflic-
tualité bipolaire, tandis que
les moyens de communication
ne permettaient pas encore de
donner une dimension mon-
diale aux différends mineurs.

DOCTRINE N° 07 4 DECEMBRE 2005


Dans ce cadre désormais perdant son statut de péril tandis que les nouveaux
doctrine
gés de haute technologie pour
dépassé, les confrontations de dominant, elle n’est désor- conflits, marqués des vieilles s’opposer à des Etats dont la
puissance étaient des confron- mais ni la plus probable, ni la revendications revenues à la légitimité même s’affaiblit,
tations d’Etats, la guerre plus dangereuse pour les pays mémoire des peuples, échap- voient leur pertinence s’éro-
constituait un moyen de com- occidentaux, compte tenu du paient définitivement aux der.
munication politique au plus formidable déséquilibre des tutelles anciennes. Désormais,
haut niveau et ses outils arsenaux. les Etats - dont l’accroissement
avaient pour but essentiel de du nombre s’accompagne Evolution des dimen-
détruire soit les moyens symé- inexorablement de leur affai-
triques d’expression militaire Les forces centrifuges de l’uni- blissement - n’ont plus le sions militaires de la
de la puissance, soit les outils polarité ont supplanté les monopole ni de la violence ni puissance
d’organisation et de direction effets d’attraction de la bipo- de son emploi, et d’autres
de cette dernière. larité, tandis que nombre acteurs ont construit, aux yeux Sous les effets de la mondia-
d’Etats - victimes du supra et de l’opinion internationale, la lisation et des crispations iden-
de l’infra national - se dissol- légitimité de leur comporte- titaires1, la concurrence subie
Les affrontements chauds du vaient au même rythme que ment violent. par les Etats-Nations s’est tra-
XXe siècle, puis la Guerre froi- l’ancienne évidence simple duite par une évolution des
de, ont ainsi conforté le rôle d’être ensemble. La mondiali- dimensions utiles de la puis-
de la puissance dans sa ver- sation - vécue comme une Au monde global correspond sance. Dès lors que l’on est
sion la plus simple et valorisé ingérence, voire une agression ainsi à ses marges - inté- passé de l’ère de la guerre des
l’acte militaire dans ses dimen- par une partie du monde en rieures ou extérieures - un Etats à celle des nations, voi-
sions destructrices, rejetant grand mal de participation - a fourmillement de fragmenta- re des ethnies, dès lors que la
dans l’ombre le traitement engendré les mises à l’écart, tions et d’individualisations contestation s’est substituée
social des conflits, pourtant par rejet du modèle, tandis que infectieuses qui échappe à la à la compétition, il ne s’agit
partie de la tradition française se développait l’autonomie puissance militaire classique. généralement plus de détrui-
depuis la période de coloni- des nations, ethnies et reli- re les éléments de la puis-
sation. Ce faisant, ils ont ôté gions, dans un mouvement Les formes traditionnelles de sance de l’Etat, mais de
aux armées une dimension qui contagieux de fragmentation socialisation côtoient des convaincre en s’aidant de la
leur est pourtant essentielle : sociopolitique. Les défauts formes nouvelles, par l’affron- force et de concourir à la
l’homme s’est progressive- croissants d’intégration ont tement et la nuisance, qui reconstruction du contrat
ment retiré du cœur de l’effi- exacerbé les injustices - réelles répondent aux maladies de la social. Le dialogue politique
cacité militaire. Il s’est éloigné ou ressenties - d’un ordre mon- mondialisation. Attisée par les ne se fait plus par l’affronte-
du champ de bataille pour dial imposé ; parallèlement, le intégrismes religieux et libé- ment, il s’établit par la com-
devenir simple composant de puissant - cantonnant le diffé- rée par l’autonomie croissan- munication de contact, mus-
système d’armes, alors que, rent dans son image de “ hors te de ses acteurs, la violence clée si nécessaire.
longtemps, l’arme n’avait été la loi ”, c’est-à-dire refusant sociale se développe. Elle ne
qu’un des outils du soldat au son intégration - a souvent ren- répond plus aux mécanismes Plus l’adversaire s’écarte de la
contact, d’abord humain, de forcé son statut et ses straté- de régulation des Etats dont norme sur laquelle la force
l’Autre. La Guerre froide, pous- gies de contournement. le sens s’estompe peu à peu ; s’est traditionnellement fon-
sée par la technologie et les Finalement, hors l’espace pri- elle pervertit les conflits clas- dée, plus il se détourne de
intérêts des grands groupes vilégié de la prospérité occi- siques en les engageant dans l’étalon de la puissance occi-
militaro-industriels, a fini par dentale, c’est à une décom- des violences déréglées. Les dentale, plus cette dernière
placer la destruction - désor- position des anciens contrats anciennes guerres interéta- perd de sa pertinence. On peut
mais de précision et à distan- sociaux, nourrie du manque tiques, de plus en plus courtes, aujourd’hui aisément détrui-
ce de sécurité - au centre de la d’intégration des individus ou cèdent la place aux affronte- re, mais sans triompher, dis-
grammaire militaire, lui confé- de fragments entiers de la ments de recomposition socia- poser d’une technologie infi-
rant le statut d’argument société globale, que l’on assis- le, de plus en plus longs, tan- niment supérieure et ne pas
majeur de la grande et de la te ; elle produit l’affirmation dis que l’attentat-suicide gagner. La capacité de défen-
moins grande stratégie. des minorités ethnopolitiques atteste régulièrement du se ne se mesure plus unique-
et son cortège de micronatio- niveau que peut atteindre la ment au prix et à la sophisti-
Dans une accélération du nalismes identitaires. violence nouvelle avivée enco- cation des armes, ce qui
temps qui a conduit l’histoire re par les exploitants intéres- modifie d’autant la portée
à renouer brusquement avec Avec l’affaissement de l’ordre sés de la souffrance. même des nouvelles avancées
un passé interrompu et sou- ancien et l’émiettement des technologiques. L’action
vent oublié, ces schémas se entités politiques tradition- Dans ce nouveau cadre dont contre les nouvelles formes de
sont dégradés au cours des nelles, les populations sont le modèle se confirme et se menaces ne peut se limiter à
quinze dernières années jus- ainsi devenues à la fois durcit, la conflictualité perd leur seule élimination : l’écart
qu’à altérer les dimensions de acteurs et enjeux. Au paysa- son identité traditionnelle, les s’accroît donc entre la puis-
la puissance et la forme utile ge ordonné des Etats s’est sub- logiques de puissance cèdent sance militaire classique et les
de ses outils. La violence inter- stitué celui, beaucoup moins aux logiques de sens et les gains que l’on peut en
étatique n’a pas disparu, mais, stable, des nations et ethnies outils militaires classiques, for- attendre, d’autant que le

DECEMBRE 2005 5 DOCTRINE N° 07


BritischArmy

retour en force du local et du dotée des armes favorisant des et satisfaisantes un instant
tactique atténue de lui-même résultats techniques rapides, pour celui qui les conçoit : ce
l’utilité des armes du straté- détruit d’autant les équilibres faisant, elles ne règlent en rien
gique. patiemment établis. Dans ces les problèmes de fond et ten-
conditions, la dynamique de dent au contraire à engendrer
En aval, si la puissance conser- la discontinuité et de la pro- frustration, sentiment d’injus-
ve sa capacité destructrice jection d’effets s’avère sou- tice et regain de violence.
(comme lors des opérations vent contre-productive, oppo-
Allied Force au Kosovo en 1999 sée au temps long, à la
et Iraqi Freedom en 2003), compréhension des milieux et Face à la nouvelle réalité géo-
indispensable en particulier des hommes, à l’action en har- politique et conflictuelle, c’est
dans ses fonctions de dissua- monie avec les cultures donc bien la question de la
sion et de “réassurance”, elle locales. capacité limitée de certaines
affiche ses limites dans sa armes et de certains procé-
capacité à restaurer la stabili- La violence sociale trouve dés, donc de leur insuffisan-
té. Davantage même, elle com- même dans l’opposition à cet- ce, qui se trouve franchement
porte des effets pervers. te puissance qui la submerge posée et, inversant la ten-
L’intervention étrangère, usant des ressources renouvelées. dance moderne jusqu’ici res-
de la puissance de destruction Plus elle est combattue, plus pectée, impose la nouvelle
à distance de sécurité, pour elle se durcit ; à mesure qu’el- priorité donnée à la projection
mal adaptée qu’elle soit au le subit la puissance dissymé- de forces sur la projection de
traitement de la violence trique, elle se radicalise, puissance.
décentralisée, attise le dis- s’éloigne des expressions que
cours identitaire en s’opposant la puissance traditionnelle sait
à des expressions de violence combattre. Plus celle-ci s’op-
qu’elle avive plus qu’elle ne pose à la faiblesse, plus cette
maîtrise. dernière abandonne les règles
classiques de l’affrontement.
Parangon de la nouvelle puis- Par dépit, à défaut de savoir
sance de haute technologie, s’attaquer à la source même
l’intervention ponctuelle, sur de la violence, la puissance tra- 1 Sur les nouveaux rapports
de la conflictualité et de la
le mode “ tire et oublie”, bou- ditionnelle opte parfois pour puissance, on se rapportera
leverse les architectures des stratégies de punition col- avec le plus grand intérêt
sociales progressivement tres- latérale, apanage des armes à l’ouvrage du professeur
Bertrand Badie, L’impuissance
sées dans la durée séculaire. classiques agissant en “stand de la puissance, Paris,
L’impatience occidentale, off ” - à distance de sécurité -

DOCTRINE N° 07 6 DECEMBRE 2005


doctrine
Face à ces mutations, la tentation de l’ignorance peut apparaître rassurante. Et c’est
vrai que les investissements déjà réalisés, les dynamiques industrielles en cours, les
modes de pensée bien établis, les intérêts institutionnels poussent à cette facilité.
Mais il serait grave, pour l’avenir, de mésestimer l’évolution du monde et ses
conséquences directes sur les modèles de forces et leur mise en œuvre. Le recours à
la puissance brute est bien aujourd’hui un rejet de diagnostic, un déni de la
mutation du monde un moment estompée derrière le masque binaire de la Guerre
froide.

Naturellement, les tenants et servants des armes de la guerre d’hier, quelle que soit
leur armée d’appartenance, perçoivent le monde à leur manière. Plus on est doué
dans un savoir-faire, plus aisément on poursuit dans sa propre voie ; aussi, les
puissances classiques restent-elles conservatrices dans leur façon de concevoir
l’action militaire et celle d’administrer la force en supposant - ou laissant croire - que
l’adversaire d’aujourd’hui peut se traiter comme celui d’hier. Pour des raisons
compréhensibles, le réflexe est au maintien des établissements militaires tels qu’ils
existent, à la préservation des équilibres d’hier, d’autant plus que la difficulté à
comprendre les nouvelles menaces - plus abstraites et plus qualitatives - ne pousse
guère à quitter les certitudes rassurantes des logiques conventionnelles et
quantitatives. Les forces dont la technologie plus que l’homme fonde l’efficacité
perçoivent naturellement l’événement et la méthode à travers ce prisme ; elles
recherchent des solutions dans leurs propres gammes de capacités. Disposant
surtout des armes d’une guerre improbable, la tentation est même forte, pour elles,
d’en accréditer l’éventualité, quitte à nier la
vérité du monde et se priver ainsi de toute
capacité sérieuse de son remodelage.

Il peut être ainsi tentant d’ignorer la pathologie


réelle et d’en rester aux thérapies maîtrisées afin
de pouvoir user des remèdes possédés en masse.
Mais l’action militaire ne peut être la
“continuation de l’absence de politique par
d’autres moyens ” et se fonder essentiellement,
parce qu’on domine ce savoir-faire, à la
démonstration de forces de toute puissance et
de haute technologie. C’est donc bien dans le
renouveau du cadre général d’emploi des forces
qu’il faut replacer la réflexion sur l’évolution
des systèmes de défense et l’évolution
doctrinale.
ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA TERRE

DECEMBRE 2005 7 DOCTRINE N° 07


Quelques rappels utiles
en matière de stratégie, “opératique” et tactique ...

“Le niveau stratégique politique met en œuvre la stratégie globa- “Le niveau opératif est le niveau auquel des opérations sont pla-
le : c’est le niveau “auquel un Etat, ou un groupe d’Etats, fixe des nifiées, conduites et soutenues, en vue d’atteindre les objectifs
objectifs de sécurité à l’échelon national ou multinational et déploie fixés par le niveau stratégique sur des théâtres d’opération. Décrit
des ressources nationales, notamment militaires, pour les comme le niveau de coordination des actions interarmées, le
atteindre”1. Dans l’OTAN et l’UE, le Conseil de l’Atlantique Nord niveau opératif existe toujours. Il peut, dans certaines opéra-
(NAC : North Atlantic Council) et le Comité politique et de sécurité tions, être partiellement absorbé par les niveaux stratégique ou
(COPS), respectivement, exercent tout ou partie des responsabili- tactique”. (Doctrine interarmées)
tés de ce niveau”. (Doctrine interarmées)
Tactique : “Art de combiner, en opération, les actions de tous les
Stratégie générale militaire : “Conception, mise sur pied, organi- moyens militaires pour atteindre les objectifs assignés par la stra-
sation et mise en œuvre des moyens militaires en vue d’atteindre tégie opérationnelle”. (Glossaire interarmées)
les objectifs définis par le projet politique national ou multinatio-
nal dans le cadre d’une stratégie globale. “Le niveau tactique est le niveau auquel les batailles et les enga-
Note : ce niveau s’intéresse en particulier à la préparation et à la gements sont planifiés et exécutés pour atteindre les objectifs
conduite de la guerre”. (Glossaire interarmées) militaires assignés aux formations et unités tactiques. Ce niveau
est le niveau de combat des unités dans un domaine de lutte
“Le niveau stratégique militaire est le niveau de direction des opé- (...)”. (Doctrine interarmées)
rations militaires, de déploiement et d’emploi des forces dans un
cadre politique fixé. A ce niveau et dans un cadre national, le chef
d’état-major des Armées propose les orientations militaires qui
doivent permettre de satisfaire les objectifs politiques fixés. Il conduit
ensuite les opérations.
Dans l’OTAN, le Comité Militaire (MC : military committee) évalue La direction de publication
la contribution militaire à la satisfaction des objectifs définis par le
NAC, et le conseille à travers le Comité de planification de défense
(DPC : Defence planning committee). Pour élaborer ses recom- 1 Cf. AAP 6.
mandations, le MC consulte le grand commandement straté- 2 “operational” en anglais, ce qui provoque souvent des confusions et des erreurs
gique concerné (SC : strategic command) (...). Le plus générale- de traduction.
ment, le commandement opérationnel désigné conduit la
planification de l’opération puis l’opération elle-même sous la direc-
tion du commandement stratégique concerné. Celui-ci s’assure de
la conformité de l’opération avec les buts poursuivis”. (Doctrine ... avec une illustration tirée de la Doctrine
interarmées) interarmées d’emploi des forces en opération

Stratégie opérationnelle : “Partie de la stratégie générale mili-


taire qui définit les principes et les modalités d’emploi des forces”.
(Glossaire interarmées)

Opératique : mot non adopté officiellement dans le vocabulaire


militaire français. Peut être défini comme l’art de coordonner à
l’échelon d’un théâtre les actions de forces de nature différente.
Correspond au niveau opératif2.

Opération : “Ensemble d’actions militaires menées par une force


généralement interarmées, voire interalliée ou multinationale,
dans une zone géographique déterminée appelée théâtre d’opé-
ration, en vue d’atteindre un objectif stratégique.
Coordination à l’échelon des théâtres des opérations de forces de
natures différentes, pour mener à bien la manoeuvre stratégique
dans une aire géographique déterminée”. (Glossaire interarmées)

DOCTRINE N° 07 8 DECEMBRE 2005


^
doctrine
Les principaux textes à connaitre
en matière d’emploi des forces
au niveau stratégique, opératif ou tactique

Ces documents conceptuels et doctrinaux français, qui précisent les principes d’emploi des
forces et proposent aux chefs militaires de tout niveau des modes d’action et des organisations
du commandement possibles, sont bien sûr en cohérence avec les documents équivalents de
l’OTAN et de l’Union européenne que l’armée française a approuvés (et généralement contribués
à rédiger).

Documents interarmées
• Concept d’emploi des forces - Juillet 1997

• Doctrine interarmées d’emploi des forces en opération - Septembre 2003

• Doctrine interarmées du commandement en opération - Août 2001

• Concept du niveau opératif - Juillet 2004

• Concept national des opérations amphibies (Diffusion restreinte) - Mars 2003

• Doctrine interarmées des opérations amphibies (Diffusion restreinte) - Février 2002

• Concept national des opérations aéroportées - Janvier 2005

• Concept interarmées des opérations d’information - Mars 2005

• Concept et doctrine interarmées de la coopération civilo-militaire - Mars 2005

Documents de l’Armée de terre


• Forces terrestres en opération - TTA 901 (Doctrine d’emploi des forces terrestres) - Avril 1999

• Manuel provisoire d’emploi de la composante terrestre de niveau corps d’armée - Land Component Command/Army Corps
- TTA 902 / 1 - Novembre 2002

• Manuel d’emploi de la division - TTA 903 - Septembre 2001

• Manuel d’emploi de la brigade interarmées générique - TTA 904 - Mars 2004

La direction de publication

DECEMBRE 2005 9 DOCTRINE N° 07


Les principes de la guerre,
référents fondamentaux
Lorsque les bornes sont dépassées il n’y a plus de limites” disait le sapeur Camembert ; “lorsqu’on
“ ne sait pas franchement où aller, il est bien difficile de s’y rendre” aurait-il pu ajouter. Ces deux brèves
de popote me semblent assez bien illustrer les difficultés auxquelles le chef militaire est aujourd’hui
confronté pour percer le brouillard de la crise qui est pour le moins tout aussi opaque que celui de la
guerre : l’esprit cartésien s’accommode mal de l’ubiquité et de l’anomie des menaces, il ne supporte pas
l’irrationalité des comportements et s’irrite de ne pas saisir les intentions de son adversaire. Bien sûr,
il nous reste toujours nos méthodes de raisonnement bien huilées, des modes opératoires plutôt bien
maîtrisés, des mécanismes tactiques cent fois répétés, et bien évidemment les enseignements de ceux
qui, avec plus ou moins de bonheur, ont été ou sont confrontés à ces dures réalités.

Or à la lumière de ces retours d’expérience et du constat effectué lors d’exercices récents, il me semble
que nous avons tendance à oublier, dans le feu de l’action, un petit référentiel que nous connaissons
pourtant bien tous. Lorsque la tentation devient forte, après une MEDO aux conclusions incertaines,
de s’en remettre à son intuition (French touch pour les uns ou French nose pour les autres), pourquoi
ne pas apprécier la pertinence des modes d’action envisagés à l’aune des sacro-saints principes de la
guerre : la liberté d’action, la concentration des efforts et l’économie des moyens, tous trois enrichis
de préoccupations nouvelles ? “Légitimités politique et médiatique de nos actions, maîtrise des effets
militaires et gradation des effets” ?

PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION ELRICK IRASTORZA, ANCIEN ADJOINT DU GÉNÉRAL COMMANDANT LA FORCE D’ACTION TERRESTRE
ET ACTUELLEMENT COMMANDANT DE LA FORCE LICORNE
ecpad/France
vant de les revisiter suc- pas d’autre ambition que de ments ne nous en épargnera
doctrine
En revanche est-ce une faute

A cessivement, il n’est
peut-être pas inutile de
rappeler que le premier devoir
contribuer à la construction de
cet espace de liberté intellec-
tuelle, tôt ou tard confrontée
aucun- me paraît difficilement
justifiable. Lorsque le but
recherché est de frapper les
de ne pas donner de mission
à son artillerie dans telle phase
d’une offensive en zone urbai-
du chef est de ne pas dénier à aux interrogations fondamen- esprits en s’emparant par ne au motif d’épargner le cœur
son adversaire le droit d’ap- tales sur la légitimité de l’ac- exemple d’un objectif sans historique de la cité ? De nos
pliquer lui-même ces principes tion. Liberté d’action en grand intérêt tactique mais jours plus que jamais, le prin-
universels. Une bande dotée conscience et légitimité de possédant une forte plus-value cipe d’économie des moyens
d’une centaine d’AK 47 et l’action ont toujours été étroi- médiatique, le fait de n’en rete- ne se décline plus dans sa seu-
quelques RPG7 dispersés dans tement liées. Ce qui est nou- nir initialement qu’un me le acception militaire. La vie
la zone d’action d’une brigade veau aujourd’hui c’est que cet- semble enfermer le chef dans des populations tout autant
restent un adversaire maîtri- te légitimité conditionne plus un tout ou rien aux effets que les infrastructures y
sable, mais qu’il lui prenne de que jamais l’issue de l’action dévastateurs en cas de mau- concourant, ou témoignant de
concentrer ses efforts sur une à conduire. Le chef militaire vaise fortune. La définition l’héritage culturel et historique
seule section qui serait rapi- n’en détient pas toutes les clés d’objectifs alternatifs préser- dans lequel plongent leurs
dement massacrée, produira comme il ne détient pas toutes ve la liberté de choix en cours racines, doivent être préser-
en réaction des effets qui celles délimitant son champ d’action et permet générale- vées. Cela dit, entre le fait
feront inévitablement changer d’action. ment de “se raccrocher aux d’écarter d’emblée une possi-
de nature la bataille. Dans ce branches” pour employer une bilité d’infléchir le cours de la
type de conflit le problème En effet son échiquier ne se expression un peu triviale. bataille et décider en cours
n’est pas seulement d’imagi- réduit plus à son seul cadre d’action de ne pas utiliser tel
ner comment nous devons pro- espace temps. Un contexte Jusqu’à présent le principe type de moyens, il y a de la
céder pour rester les plus forts politique national et interna- d’économie des moyens2, par- marge. Mais le chef militaire
et l’emporter, mais bien de rai- tional toujours plus complexe fois mis à mal dans quelques d’aujourd’hui doit bien être
sonner en ayant toujours à l’es- tout autant que des règles épisodes douloureux de notre conscient qu’entre la réussite
prit nos propres vulnérabilités. d’engagement alternant par- histoire militaire, ne prêtait guè- de sa mission, la vie de ses
En effet, l’adversaire ne fois d’un théâtre à l’autre, flou re à discussion. Il ne viendrait hommes et le prestigieux édi-
cherche pas la victoire militai- artistique et pointillisme blo- plus à l’idée d’aucun chef mili- fice cultuel du XIe siècle, il lui
re qu’il sait hors de portée mais quant, viennent sérieusement taire d’exposer indûment ses faudra peut-être choisir un
plutôt un avantage ponctuel à border son espace de unités et la vie de ses hommes jour.
fort retentissement psycholo- manœuvre. Ce n’est pas for- en optant en toute connaissan-
gique et médiatique. Cela fait cément un mal lorsque l’on ce de cause pour un mode d’ac-
longtemps que ces organisa- mesure les conséquences tion faisant peu de cas de cet- La concentration des efforts
tions se sont pourvues de d’une incursion malheureuse te considération alors qu’un est souvent associée au génie
“ JEC ” 1 ! ou les dégâts provoqués par autre mode d’action lui per- des quelques tacticiens hors
les dérives comportementales mettrait d’emporter la décision du commun dont peut s’enor-
La liberté d’action est le prin- qui déchaînent la haine là où, à moindre coût. Là encore la gueillir notre histoire militaire.
cipe auquel le chef, fort de ses par exemple, il aurait fallu mise en réserve de capacités Elle se conçoit le plus souvent
prérogatives et responsabili- gagner les cœurs. En avoir une permet de réaliser localement avant même d’avoir poussé le
tés opérationnelles, fait le plus claire perception au début de un déséquilibre favorable ou de premier pion ou s’exprime en
volontiers référence. Mais si l’action est aujourd’hui indis- soutenir une unité en difficulté conduite par une habile bas-
commander c’est choisir, pensable pour faire avancer tout en économisant les cule des moyens voire l’en-
conserver cette liberté en ses pions sur l’échiquier, sinon hommes. Mais il n’y a pas que gagement opportun de
cours d’action est une autre à coup sûr du moins plus serei- le potentiel humain. La projec- réserves, lesquelles consti-
affaire. Par analogie avec le jeu nement. tion de puissance, surtout dans tuant peu ou prou le lien entre
d’échecs je dirai qu’elle peut sa phase initiale se fera géné- ces trois principes.
se décliner en trois niveaux. Le choix du bon mode d’action ralement à moyens très comp-
initial paraît beaucoup simple tés et le soutien logistique relè-
et pousser le premier pion guè- vera, un peu comme d’habitude, Mais la gestion des crises nous
C’est d’abord, me semble-t-il, re plus sorcier. Certes, mais il de l’exploit humain et tech- incite là encore à une lecture
la liberté de conscience du reste à préserver sa liberté nique. Il n’est pas raisonnable un peu différente d’un princi-
joueur, celui qui va prendre la d’action dans la durée et là de perdre un tiers de son ravi- pe qui s’inscrit désormais sur
décision, pousser ses pions et c’est une autre affaire qui ne taillement en carburant et muni- une échelle de gradation des
par-là même son avantage. Elle s’improvise pas. tions et avec eux les logisticiens efforts et des effets. Le but de
doit être solide, forgée au fil qui les acheminent, pour avoir l’affrontement armé n’est pas
du temps dans nos écoles et Engager d’emblée tous ses voulu recompléter quasiment tant de détruire que de sou-
à l’école de la vie et s’appuyer moyens sans conserver dans sur la ligne de contact là où des mettre une volonté à une
sur un socle de références per- sa main les réserves permet- plots sécurisés à distance rai- autre, le plus souvent doréna-
sonnelles et professionnelles tant de prononcer un effort ou sonnable auraient été acces- vant, celle de la communauté
fortes. Les textes fondateurs de réagir face à l’imprévu - et sibles sans grands problèmes internationale.
de notre Armée de terre n’ont l’irrationalité des comporte- par rotations successives.

DECEMBRE 2005 11 DOCTRINE N° 07


ADC Fabrice CHESNEAU/SIRPA Terre

Si l’état final recherché peut


être atteint sans monter aux Les principes de liberté d’action, d’économie des moyens et
extrêmes, bien irresponsable
celui qui priverait son adver- de concentration des efforts ont donc conservé toute leur
saire de toute sortie hono-
rable. Cela dit, il ne faut pas pertinence au fil du temps mais l’officier de ce début de
confondre maîtrise de la force
et pusillanimité. La concen- siècle ne peut plus en avoir tout à fait la même lecture que
tration opportune et détermi-
née des moyens constitue son grand ancien du siècle précédent. Cependant, il peut
d’ailleurs un moyen de pres-
sion psychologique puissant toujours puiser dans ce qui n’est rien de plus qu’un
capable de décider à lui seul
du cours de la crise. référentiel “ce goût du concret, ce don de la mesure, ce sens

des réalités qui éclairent l’audace, inspirent la manœuvre et

fécondent l’action ” 3. A ces trois principes il faut ajouter

1 Joint effect center. trois principes complémentaires que sont à la liberté


2 L’économie des moyens étant,
selon Foch, la répartition et
l’application judicieuses des d’action “ la légitimité de l’action ”, à l’économie des moyens
moyens en fonction des
objectifs poursuivis, et non le
simple fait de ne pas gaspiller “ la préservation des pertes et dommages ” et à la
les moyens.
3 in Le Fil de l’épée. concentration des efforts “ la gradation des effets ”.
Charles de Gaulle (1932).

DOCTRINE N° 07 12 DECEMBRE 2005


doctrine
La place des forces terrestres
dans la résolution des crises
ontrôle du milieu en Afghanistan, contrôle des foules à Mitrovica, évacuation de ressortissants
C au Libéria, rétablissement de la paix en Haïti, émeutes à Abidjan... Depuis quelques années,
les forces terrestres sont directement engagées au contact des parties en présence et de la population
pour le règlement des crises.

L’évolution récente de la nature des conflits et du contexte stratégique nous montre que dans les années
à venir nos forces armées seront confrontées à des menaces dissymétriques et surtout asymétriques.
Dans ce cadre, la place des forces terrestres sera privilégiée et elles devront bénéficier du soutien et de
l’appui des forces aériennes et maritimes.

PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION ALAIN BIDARD, SOUS-CHEF OPÉRATIONS-LOGISTIQUE DE L’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE TERRE

La nature des crises notions ne sont pourtant pas La phase de prise d’initiative même s’interroger sur l’effica-
nouvelles. Nos anciens ont lut- au cours de laquelle se dérou- cité et la légitimité du main-
té contre la guérilla et le ter- lent les engagements de coer- tien pour une longue durée de
La guerre froide est un rorisme à de maintes reprises cition se raccourcit singulière- forces armées sur un théâtre
exemple unique dans l’histoi- hors du sol national, lors de la ment. A l’inverse, la phase de où la violence relève quasi-
re, puisque les populations des campagne du Mexique, de la stabilisation où l’on doit maî- ment de troubles à l’ordre
deux opposants en sont sor- pacification du Maroc ou de la triser la violence s’allonge public.
ties positivement. Si l’on fait guerre d’Algérie par exemple. considérablement. Nos adver-
exception de la crise en saires potentiels ont vite com- Nous devons résoudre la cri-
Tchétchénie, les nations de Le véritable mérite de cette ter- pris que notre supériorité tech- se, c’est-à-dire repositionner
l’ex-bloc de l’Est et celles du minologie récente est de sus- nologique, numérique, le pays dans lequel nous
bloc de l’Ouest vivent en paix. citer un élan de réflexion pour financière nous rend invulné- sommes engagés dans un
Les analyses stratégiques redécouvrir - réinventer - la rables dans un face à face clas- référentiel de droit et de
convergent pour admettre que doctrine adaptée à la nature sique. Ils adoptent alors les “fonctionnement” permettant
cette situation paraît durable. des crises actuelles et à venir. techniques de guérilla dont la le transfert des charges de
Les nations modernes ont donc Les forces armées subissent la partie émergée est le terroris- sécurité aux forces de l’ordre
naturellement tourné leurs loi de l’offre et de la demande me et le harcèlement, mais et aux autorités locales.
centres d’intérêts et concen- et doivent adapter leur doctri- dont la partie immergée est la
tré leurs efforts sur la péri- ne, leur organisation, leur équi- conquête des populations. L’atteinte de ce stade passe
phérie de leur monde. La natu- pement pour être efficientes impérativement par un rallie-
re des crises qui s’y dans la résolution des crises ment de la population et des
développent est fort différen- pour lesquelles leurs diri- La gestion des crises dirigeants potentiels aux
te de celles que l’Europe a geants les engagent. valeurs internationales. Cette
connue sur son sol jusqu’à la vision politique est commune
fin de la seconde guerre mon- Parmi d’autres facteurs, la pau- Qu’attendent nos dirigeants aux nations occidentales, mais
diale. La doctrine occidentale vreté, la déstructuration et le de leurs forces armées ? Quel également depuis quelques
a formalisé la menace en la qua- fanatisme caractérisent les état final recherchent-ils ? années aux nations d’Europe
lifiant de “dissymétrique” et zones actuellement en crise, De nombreux commandeurs de l’Est : permettre l’assise
d’“asymétrique”. Catalysées créent des menaces très éloi- notent, à leur retour d’opéra- d’un régime démocratique qui
par les engagements améri- gnées de celles répertoriées tion, que cet état final n’était respecte les traités internatio-
cains post-11 septembre, ces pour les combats classiques. pas clairement défini. On peut naux et les droits de l’homme.

DECEMBRE 2005 13 DOCTRINE N° 07


deux armées apportent à la com-
posante terrestre, elle ont un rôle
essentiel à jouer pour désorga-
niser l’ennemi potentiel tant qu’il
est constitué et avant qu’il ne se
dilue et n’adopte des techniques
de guérilla. Il en est de même

ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre


pour les forces spéciales dont
l’acquisition du renseignement
sur le milieu est fondamental
pour préparer le déploiement de
nos forces à terre.

Mais, les autres composantes


conservent aussi un rôle pri-
mordial en phase de stabilisa-
tion tant en termes de soutien
logistique que de capacités de
Une fois fixé l’état final recher- phase de stabilisation. Il serait réaction.
ché, comment gérer la crise ? inepte de détruire, sans abso-
Importance des appuis Les crises récentes se sont pour
Le triptyque prise de l’initia- lue nécessité, ce que l’on devra et des soutiens la plupart produites sur des
tive - stabilisation - transfert reconstruire par la suite. Les théâtres d’opération éloignés du
mérite d’être approfondi car il responsables doivent donc La composante terrestre tient sol national. Non accessibles par
conditionne directement notre connaître parfaitement les ainsi une place primordiale dans voie de terre, en zone non sta-
doctrine, notre organisation et besoins des populations et une bataille à gagner sur le sol, bilisée, il est impératif de dispo-
notre équipement. ceux de nos ennemis poten- pour le sol. Et pourtant, il serait ser de moyens de transport
tiels pour ajuster avec une pré- extrêmement réducteur de croi- aériens et maritimes aptes à fai-
cision extrême l’emploi de la re que nous puissions agir seuls. re face à ces contraintes.
Puisqu’il faut éradiquer le ter- force à tout instant. De même Quelle place et quel rôle chacu-
rorisme et la guérilla, la lutte le comportement de nos ne des composantes de nos Mais surtout, nos forces ont
se place d’emblée sur un plan troupes est un aspect crucial forces armées peuvent-elles constaté qu’elles pouvaient être
psychologique. En annihilant de notre action. Il ne s’agit plus jouer ? Quelle est l’utilité des confrontées à tout instant à des
le soutien affectif et psycho- là de savoir-faire, mais de armes puissantes dont dispo- regains de violence extrêmes -
logique de la population on savoir être, d’éducation, de sent les forces aériennes et mari- par la nature même de l’action
supprime par le haut la volon- sensibilité et d’intelligence. times dans une phase de stabi- terroriste. Se priver des moyens
té de combattre, le recrute- lisation où l’effet à obtenir est de renseignement et de feu puis-
ment et l’ensemble du soutien l’inverse de la terreur et de la des- sants dont disposent les autres
logistique des mouvements En conséquence, l’impérieuse truction ? composantes serait incohérent.
activistes. Il est donc primor- nécessité de renseignement L’emploi de ces moyens capaci-
dial d’instaurer ou de restaurer sur le milieu dépasse de loin Les forces terrestres doivent dis- taires de réaction immédiate ne
la confiance des populations le simple recensement d’ob- poser d’appui et de soutien en s’improvise pas; il implique la
dans la force amie et dans les jectifs de targetting. Ce ren- continu tout au long de la réso- constitution de structures de
valeurs qu’elle représente. seignement, dans la bataille lution d’une crise. commandement permanentes
pour la conquête des popula- Il ne paraît pas nécessaire de en opérations et le déploiement
tions, cible essentiellement la développer l’importance de la de forces et de moyens dont la
Cette confiance passe par connaissance humaine des place des forces aériennes et mise en synergie se réalise en
l’établissement d’un climat mécanismes qui animent le maritimes dans la phase de pri- toute connaissance des don-
favorable au retour d’une vie pays. Seules des troupes se d’initiative. Outre le soutien nées complexes de gestion de
sociétale normale. La devise déployées en permanence au transport stratégique que ces la crise.
du commando Georges en contact de la population peu-
Algérie, “chasser la misère”, vent atteindre ce résultat.
montre à quel point les Seules les forces terrestres, Menaces asymétriques, crises complexes et
moyens de parvenir aux fins engagées dans la durée, sou- développées dans la durée, gain psychologique des
passent aussi par des voies mises aux mêmes difficultés populations, emploi adapté de la force et des armes,
éloignées de la coercition. géographiques et climatolo- renseignement tactique zonal; voilà l’environnement et
giques que les populations l’atout dans le jeu : des forces terrestres entraînées,
locales, partageant avec elles endurcies, rustiques, adaptées en structures et moyens
Ce serait alors une profonde une vie de promiscuité, qui, en nombre, s’installent au sein des populations
erreur de dissocier l’action de d’échanges et de découvertes qu’elles doivent protéger, dans un pays qu’elles
nos forces en phase de prise réciproques, peuvent remplir doivent repositionner en état de droit.
d’initiative de celle de la cette mission.

DOCTRINE N° 07 14 DECEMBRE 2005


doctrine
Les capacités des forces terrestres
en phase de stabilisation
ans une opération, la phase de stabilisation est celle où le choc initial de l’entrée dans la zone
D d’action se transforme en présence armée, plus ou moins durable, pour apaiser les tensions
et conduire une région en crise et sa population vers l’état final recherché. Il s’agit là d’une mission
spécifique et première des forces terrestres.

En effet, seules les forces terrestres peuvent créer les conditions nécessaires pour le retour à
l’état de droit, la paix des institutions et celle des cœurs. En charge de la sécurité, au contact
de la population et des autorités civiles, leur action se fonde sur leur capacité à simultanément
dissuader, contrôler, et si nécessaire réagir par un emploi maîtrisé de la force, l’ensemble créant
une part essentielle de l’environnement indispensable pour le retour à la normalité.

Dans ce cadre, les engagements récents, tant nationaux que multinationaux, sont très riches
en enseignements et autorisent à définir progressivement un corpus doctrinal visant à mieux
préparer les unités à ce type d’intervention. Mais ils posent aussi des questions de fond sur
les équilibres capacitaires qu’il convient d’assurer dès lors que l’on veut tout à la fois être
en mesure de créer le choc initial puis de stabiliser la situation dans la durée. Le concept
des “Three blocks war”, les options d’organisation en forces d’entrée en premier et en forces
de stabilisation, la spécialisation des forces à l’échelle internationale pour l’une ou l’autre
des missions, ont tous un lien fort avec le défi capacitaire à relever pour faire face aux exigences
propres à la différenciation des engagements entre coercition et maîtrise de la violence.
L’expérience acquise permet de mieux préciser les capacités nécessaires aux forces terrestres
en phase de stabilisation.

PAR LE GÉNÉRAL DE CORPS D’ARMÉE JEAN-CLAUDE THOMANN, COMMANDANT LA FORCE D’ACTION TERRESTRE

En premier lieu se pose la conditionneront le succès du liser, pour un meilleur entraî- mode d’engagement à un
question du commandement. second, il n’en reste pas moins nement, voire une plus gran- autre. Le concept de PCTIA est,
Il s’agit en fait d’une redou- que dans la stabilisation le de efficacité, ou mieux vaut-il à cet égard, une tentative de
table problématique car il est commandement à tous les retenir un schéma plus évolu- fusionnement, pour la gestion
clair que le centre de gravité échelons s’exerce en corréla- tif, en greffant par exemple sur des crises, de deux niveaux de
et les fonctionnalités d’un PC tion, plus ou moins étroite, un même noyau intangible les responsabilité (EMF et briga-
de stabilisation ne sont pas avec des autorités civiles dont cellules et fonctions addi- de) fortement différenciés dans
exactement ceux d’un PC de l’action est prioritaire pour la tionnelles requises par l’un ou le cadre des engagements
conduite d’un combat pour résolution effective de la crise l’autre des engagements ? dédiés à la seule coercition.
neutraliser ou détruire un et répond à des impératifs par-
adversaire. S’il doit exister une fois difficiles à concilier avec La réponse n’est pas évidente En matière de renseignement,
corrélation forte entre un PC ceux propres à la composante et repose en partie sur les la donne est également d’un
de bataille et un PC de retour militaire. Cette différenciation capacités culturelles des états- autre ordre. En stabilisation,
à la paix, ne serait-ce que par- pose la question des struc- majors à s’adapter et à déte- la priorité va au renseignement
ce que le premier doit condui- tures de PC à adopter selon nir la flexibilité nécessaire humain. Il ne s’agit pas de
re son action en ayant toujours les grandes phases de l’en- pour, au-delà des requis orga- repérer et identifier des
en filigrane les impératifs qui gagement : faut-il les spécia- nisationnels, passer d’un masses ayant une capacité cri-

DECEMBRE 2005 15 DOCTRINE N° 07


tique de manœuvre et de feu, des forces, des pics de violen-
action dans laquelle les cap- ce plus ou moins localisée pou-
teurs techniques jouent un rôle vant alterner sous très faible
essentiel, mais, par un mailla- préavis avec de longues phas-
ge complexe de capteurs es de calme relatif. L’expérience
humains, de surveiller voire dégage deux grandes options
pénétrer des réseaux, d’en sai- d’organisation des forces dans
sir les articulations et les objec- ce contexte :
tifs, de se mettre en mesure
d’en prévenir les actions dès • La première option est fon-
lors qu’elles s’opposent à la dée sur un maillage zonal,
volonté de paix. Ceci a des plus ou moins dense, d’en-
conséquences majeures pour tités interarmes relative-
la formation des spécialistes du ment autonomes et dans
renseignement et la nature des tous les cas capables, outre
moyens à déployer. Aujourd’hui leur mission de surveillance,
encore ces capacités spéci- de réagir très localement par
fiques sont mal maîtrisées. Elles la force à une agression
exigent un effort conceptuel et inopinée, si nécessaire dans
d’organisation qui doit être au l’attente d’éventuels ren-
cœur de nos préoccupations. forts. C’est le concept qui
Les systèmes d’information et prévaut désormais pour
de communication ne peuvent l’opération LICORNE.
être écartés de l’analyse, car
ils doivent permettre la saisie • La seconde option repose sur
et le traitement de données qui un maillage zonal très allé-
n’ont ni le même corps, ni le gé de seule surveillance,
même sens que celles de la n’ayant par lui-même aucu-
ADC Fabrice CHESNEAU/SIRPA Terre

bataille. Par ailleurs, le déploie- ne capacité de réaction en


ment des moyens de commu- force, celle-ci étant centrali-
nication relève de critères et sée dans des entités inter-
de modes d’organisation armes réservées, robustes
autres que ceux qui sont la et mobiles. LMT, PRT et
norme pour la conquête d’un autres équipes légères, asso-
espace de manœuvre, en par- ciées à des QRF, relèvent de
ticulier en termes de mobilité. ce concept, appliqué en BOS-
NIE et qui le sera à terme au
Il est aussi évident que les opé- KOSOVO dans le cadre des
rations de stabilisation doivent Task Forces.
accorder une importance très dès lors que l’on veut utiliser est limitée en volume de
grande et des moyens signi- toute la ressource humaine qui forces, conduisent à prôner
ficatifs aux fonctions telles Sur le plan capacitaire, le leur est affectée, à des réor- l’insertion dans le dispositif
que la coopération civilo-mili- contrôle de zone ne requiert ganisations structurelles et à global de petits modules rele-
taire, l’information opéra- pas dans l’absolu les mêmes des mouvements de matériels vant des modes d’action les
tionnelle ou les liaisons phy- outils de mêlée et d’appui que et d’équipements générateurs plus coercitifs. C’est pourquoi
siques de tout ordre avec les la bataille. Il est assuré selon de bien des difficultés, voire nos chars de bataille comme
très nombreux acteurs civils et un ratio de moyens puissants de désordres. Il y a là une limi- notre artillerie, tout en restant
militaires d’une stabilisation. et légers différent. Ceci induit tation à la polyvalence des uni- aptes à l’action d’ensemble en
bien évidemment de nom- tés qui, dans un contexte de grandes unités, doivent désor-
breuses interrogations sur les ressources comptées, interro- mais pouvoir être utilisés en
Dans le domaine des capaci- équilibres à réaliser entre ces ge sur l’équilibre optimal des éléments très réduits, capables
tés de mêlée et d’appui, la moyens et introduit en parti- moyens à réaliser au regard de s’intégrer avec une bonne
fonction “contrôle de zone ” culier le débat sur les forces des évolutions stratégiques et autonomie opérationnelle
au sens le plus large est la médianes dans lesquelles les des ambitions opérationnelles. dans des entités interarmes de
plus prégnante pour la stabi- Anglo-Saxons voient aujour- Toutefois ce constat est à faible volume.
lisation. Il existe plusieurs d’hui une réponse au dilemme nuancer car tout montre qu’en
manières de l’assurer, selon posé. Il faut noter qu’en l’ab- stabilisation, les impératifs
l’état de dégradation de la sence de doubles dotations, de maintien d’une présence Cette évolution capacitaire
situation. Elle doit être conçue l’inadaptation matérielle des dissuasive couplée à une n’est pas sans conséquence
pour permettre une très rapi- forces de décision aux mis- capacité de réaction réelle- sur les concepts et capacités
de réversibilité de l’attitude sions de stabilisation oblige, ment puissante, même si elle logistiques. Le soutien d’enti-

DOCTRINE N° 07 16 DECEMBRE 2005


doctrine
pour le soutien d’engagements
du niveau GAM alors que
l’émiettement actuel en déta-
chements engagés sur tous les
continents implique leur pré-
sence dans de multiples enti-
tés de faible volume où leur
expertise est requise mais non
rentabilisée.

Plus généralement, la logis-


tique de la stabilisation a un
caractère spécifique et il est
nécessaire de mener un pro-
cessus complexe d’adaptation
tant des organisations que des
moyens pour passer de la
bataille (ou l’entrée en pre-
mier) à la stabilisation.
Les critères de rentabilité et de
rationalisation divergent. La
tentation est ainsi grande en
phases de stabilisation de
rationaliser jusqu’à l’excès le
soutien et de générer de ce fait
une dichotomie entre tactique
et logistique pouvant mettre
en cause le principe d’unité du
commandement et de la
manœuvre, qui doit rester
d’autant plus la règle que les
situations acquises sont en
règle générale fragiles, voire
réversibles.

tés modulaires, composites, la bataille dans sa conception nombreux théâtres pose un


dispersées et de faible volume classique. C’est ainsi que l’ac- sérieux problème de mainte-
a des impératifs différents de tuelle dispersion de nos nance, les effectifs des spé-
ceux propres à la logistique de moyens aéromobiles sur de cialistes ayant été calculés

Ce bref tour d’horizon de la problématique d’ensemble des capacités nécessaires aux forces terrestres dans les
opérations de stabilisation met en évidence la nécessité de les situer dans un ensemble, tant doctrinal
qu’humain et matériel, beaucoup plus large que celui de la seule stabilisation. Mais celle-ci, de par sa nature,
est une mission prioritaire des forces terrestres, seules à pouvoir la conduire au sein des populations, dans la
durée nécessaire jusqu’à son aboutissement.
Il y a bien là pour les forces terrestres modernes un réel défi, qui induit des choix difficiles tant en matière
d’équipements que de structures ou encore de formation du personnel.

La professionnalisation, qui autorise les qualifications multiples, une certaine polyvalence des unités, nos
facultés d’adaptation et de flexibilité, produits de notre expérience et de notre formation, sont des bases
solides pour relever le défi, instaurer les équilibres capacitaires indispensables et in fine, agir en stabilisation
avec l’efficacité nécessaire et suffisante.

DECEMBRE 2005 17 DOCTRINE N° 07


Le commandement Air (JFACC1),
poste clé auprès du commandement
interarmées de théâtre (JFC2)

es opérations récentes démontrent, d’une manière évidente, qu’il n’existe plus d’opérations

L exclusivement aériennes suivies par des opérations terrestres voire aéromaritimes, mais
qu’aujourd’hui les opérations sont multinationales et d’essence interarmées. Dans ce
cadre, le commandant interarmées de théâtre (JFC), situé entre le niveau stratégique et tactique,
joue un rôle primordial, puisque c’est ce niveau de commandement sur le théâtre qui décide en
fonction de “ l’effet recherché ” du meilleur emploi des forces mises à sa disposition sur place,
c’est-à-dire du choix de la composante “menante” et des composantes “concourantes ”.

Afin de mieux comprendre le rôle joué par le commandant d’opérations air (JFACC), il convient
tout d’abord de resituer les trois niveaux de commandement puis d’insister sur l’importance
du commandement interarmées de théâtre et de montrer comment les quatre composantes
(terre, air, mer et forces spéciales) peuvent être employées alternativement suivant le schéma
décrit précédemment dans un tempo des opérations de plus en plus rapide. Au sein de ces
structures, le commandement air tient un rôle primordial pour donner à l’arme aérienne toute
sa puissance dans une campagne totalement interarmées et qui exige une très forte réactivité.

PAR LE GÉNÉRAL DE CORPS AÉRIEN JEAN-PATRICK GAVIARD, COMMANDANT LA DÉFENSE AÉRIENNE ET LES OPÉRATIONS AÉRIENNES (CDAOA)

Les trois niveaux de


commandement

Il existe trois niveaux de com-


mandement : le niveau straté-
gique, le niveau du commande-
ment interarmées de théâtre ou
opératif et le niveau tactique.
Plutôt que de faire appel à des
définitions complexes, il paraît
plus simple de donner quelques
exemples décrivant les trois
niveaux de commandement
(voir schéma I).

S’agissant d’une opération


exclusivement nationale (éva-
cuation de ressortissants par
exemple), le niveau stratégique
correspond aux plus hautes
autorités de l’Etat et du chef

DOCTRINE N° 07 18 DECEMBRE 2005


d’état-major des armées, le Ces enseignements ont été tirés
doctrine
niveau opératif à celui du géné- par les Américains, qui quelques
Le commandement Air
ral en charge de l’opération années plus tard (en octobre/ (JFACC) auprès du com-
interarmées sur le théâtre novembre 2001), lors de l’opé- mandement interarmées
d’opération et les niveaux tac- ration “Liberté immuable” en
tiques aux colonels comman- Afghanistan contre les Talibans,
de théâtre (JFC)
dant les différentes compo- ont fait jouer d’une manière très
santes sur place. complémentaire les forces spé- Aux côtés du commandant opé-
Autre exemple, pour une opé- ciales et les moyens aériens ratif, le commandant air joue
ration sous commandement de avec le succès que l’on connaît. également un rôle primordial.
l’OTAN, le niveau stratégique On notera que le niveau opé- Expert et responsable de l’es-
correspond au conseil de ratif était placé sous le ferme pace dans la zone d’opération,
l’Atlantique Nord (CAN), au comi- commandement du Général celui-ci envoie au centre de
té militaire et au commandant Tommy Franks. conduite (CAOC) ses directives.
en chef des forces de l’OTAN Directives qui seront déclinées
(SACO)3, le niveau opératif cor- Le deuxième exemple, il en ensuite, en tâches opération-
respond aux trois commande- existe malheureusement bien nelles (ATO6) à accomplir par
ments suivant : JFC Brunssum en d’autres, concerne l’opération les moyens aériens dédiés.
Hollande, JFC Naples en Italie ou “Anaconda” qui s’est dérou-
JC à Lisbonne au Portugal. Les lée début 2002. Cherchant à “L’élément nouveau, élément de
commandements de compo- lancer une opération exclusi- rupture, aujourd’hui, c’est l’ac-
sante sont quant à eux désignés vement terrestre le long de la célération du temps”. C’est ain-
par l’ensemble des forces de frontière afghano-pakistanai- si que le 19 novembre 2004, s’est
réaction rapide (terre, air, mer, se, le commandement Terre exprimé le chef d’état-major des
forces spéciales) en alerte, com- américain décida de se “priver” armées lors d’une présentation
me c’est le cas aujourd’hui dans de la composante air, le niveau devant un auditoire éminent.
le cadre de la NRF4. Les mêmes opératif pour diverses raisons Il s’agit là d’un point important
niveaux existent au sein de étant également contourné. Le mais familier pour un aviateur
l’Union européenne. résultat fut immédiat puisque, dont la culture est, bien évi-
à l’instar de ce qui se passa lors demment, fondée sur la connais-
Ces précisions effectuées, l’im- de l’intervention soviétique à sance de la 3e dimension mais
portance du niveau opératifpeut la fin des années 80, sans cou- aussi du temps et de son accé-
être illustrée au travers de deux verture aérienne, plusieurs héli- lération.
opérations récentes. Cette illus- coptères américains furent La chaîne de défense aérienne a
tration correspond plutôt à une abattus et les victimes alliées été construite autour de cette
démonstration “par l’absurde” nombreuses. contrainte, et les événements du
puisque c’est l’absence de ce 11 septembre aux États-Unis ont
niveau et des conséquences mal- Aujourd’hui le niveau opératif mis en exergue la nécessité d’an-
heureuses induites qui plaident est bien identifié. En France, ticiper encore les actions pour
pour l’existence voire le renfor- l’état-major de niveau opératif gagner cette course contre les
cement de ce niveau opératif. correspond à l’EMIAFE5 situé à minutes voire les secondes.
Creil. Les commandants des Parallèlement s’agissant d’opé-
Le premier exempleest tiré direc- composantes, experts dans leur rations extérieures la boucle
tement de l’opération aérien- domaine, apportent des solu- “observation - orientation - déci-
ne “ Allied force ” qui s’est tions, adaptées aux intentions sion - action ” s’est accélérée
déroulée au-dessus du Kosovo définies par le commandant au point que l’on parle aujour-
du 24 mars au 12 juin 1999. interarmées de théâtre. La com- d’hui en minutes là où l’on par-
Volontairement décidée com- plémentarité des moyens per- lait en heures voire en jours il
me une opération exclusivement met, alors de décupler les y a encore quelques années.
aérienne, le niveau opératif fut actions et de substituer à des Dans ce domaine, le comman-
“oublié” puisque le comman- effets de saturation des effets dement air peut aider égale-
dant air allié s’était installé à variés, précis complémentaires ment le niveau opératif. En effet
Vicenza dans son centre de dans le temps et l’espace et le maillage entre les différents
conduite (CAOC) situé au niveau donc décisifs. L’état-major de capteurs aéroportés voire au
tactique. Le ciblage essentielle- niveau opératif, pour jouer effi- sol (HUMINT) aboutit au centre
ment tactique, l’“oubli ” des cacement son rôle politico-mili- de conduite air (CAOC) et per-
autres centres composantes (en taire et interarmées, doit être met au décideur dans une
particulier forces spéciales) et strictement adapté à la taille boucle courte d’obtenir des
donc du niveau opératif ont de l’opération et distinct clai- informations essentielles. Ces
conduit à une opération longue rement des états-majors de informations sont analysées
et discutée. niveau tactique. rapidement.

DECEMBRE 2005 19 DOCTRINE N° 07


Parallèlement, les différents ces informations8 doit être syn- interpréter ses intentions et lui s’appuyant sur les capacités
commandants de composan- thétique, avec une granulari- proposer parallèlement des d’aéromobilité de la compo-
te proposent des modes d’ac- té des représentations des modes d’action air adaptés. sante air ou à partir des points
tion qui sont confrontés en composantes strictement ajus- d’appui indispensables aux
termes, de délais de temps, de tée dans le temps et dans l’es- Les campagnes interarmées opérations interarmées que
dommages collatéraux par le pace au niveau de décision sont aujourd’hui très com- sont les bases aériennes de
commandement de niveau requis. plexes et font appel à tout le théâtre.
opératif avant sa prise de déci- La visualisation fournie pour le spectre des modes d’action
sion (voir schéma II). suivi des opérations aériennes d’autant que le commandant En effet, les opérations multi-
située au centre de conduite de niveau opératif joue un rôle nationales et interarmées
S’agissant d’objectif à haute des opérations aériennes rafraî- politico-militaire primordial, récentes ont toutes débuté
valeur ajoutée (TST7) le niveau chie toutes les 10 secondes sur le théâtre. Aussi, les puis se sont appuyées pour le
opératif voire le niveau straté- représente, à l’évidence, la actions civilo-militaires repré- soutien logistique sur une ou
gique, à partir de l’ensemble colonne vertébrale de cet outil sentent dans l’ensemble des plusieurs bases aériennes (voir
des informations et des pro- de base interarmées. missions, en particulier de sta- photo) : Sarajevo, Mostar pour
positions fournies décidera du bilisation ou de maintien de la la Bosnie Herzégovine, Skopje
mode d’action retenu voire On l’a compris le commandant paix, un volet essentiel. pour le Kosovo, Douchanbe,
d’une combinaison de modes de la composante air (JFACC), Kaboul pour l’Afghanistan,
d’action désignant une com- expert de l’espace et du temps, Dans ce cadre, le commandant Entebbe, Bunia pour la
posante comme “menante” et doit se situer au plus près du air peut proposer des actions République Démocratique du
une composante “concouran- commandant de niveau opé- spécifiques, en complément Congo, Abidjan et Lomé pour
te”. L’outil de visualisation de ratif pour, à tout moment, d’actions plus coercitives, en la Côte d’Ivoire.

DOCTRINE N° 07 20 DECEMBRE 2005


Le commandement Air Si en temps ordinaire, l’état- débits importants pour relier
doctrine
major du commandant air l’état-major “avant” de son état-
et les forces de (JFACC) doit être ramassé pour major “arrière” (reach back).
réaction rapide être efficace, il convient de
réduire encore le nombre de La mise en orbite au printemps
Les crises se déclenchent rapi- personnels de cet état-major 2005 du satellite Syracuse III
dement, parfois sans préavis, projetés en “avant ” pour pri- dont les débits seront multipliés
l’OTAN et l’Union européenne vilégier la réactivité. Ainsi, com- par dix par rapport aux satel-
(UE) se sont adaptées en me cela a été testé lors de lites de communication précé-
créant des forces de réaction l’exercice AIREX en janvier dents présente un atout évi-
rapide dont le Nato Response 2005, la projection du noyau dent.
Force (NRF) pour l’OTAN et les d’état-major “avant” en même Le noyau d’état-major “avant”
groupements tactiques 1 500 temps que le commandant de peut, par la suite, être renforcé
pour l’UE. l’opération de niveau opératif autant que de besoin afin de
Dans ce cadre, le commandant a permis au commandant air couper ou réduire le lien avec
air doit pouvoir, à l’instar du de participer aux premières l’état-major “arrière” car c’est
commandant de niveau opé- décisions sur le théâtre (voir bien sur le théâtre d’opération
ratif, se projeter dans des schéma III). que doivent être élaborés les
délais très courts 9 au plus modes d’action.
près du théâtre. Or projeter à Toutefois afin de pallier la rup-
des milliers de kilomètres un ture de continuité due à la pro- Le centre d’opération (CAOC),
état-major “volumineux” dans jection, et à la nécessité de outil tactique, pourra être colo-
un court laps de temps, avec bénéficier de certaines compé- calisé par le commandement
des moyens de transport stra- tences maintenues en métro- air, mais il n’existe pas de dog-
tégique limités et consacrés pole, il faut s’appuyer sur des me en l’espèce et grâce aux liai-
en priorité aux forces vives, est moyens de communication sons satellitaires, son posi-
aujourd’hui illusoire. satellitaire possédant des tionnement peut être distinct.

DECEMBRE 2005 21 DOCTRINE N° 07


Les crises modernes et la lutte contre le terrorisme exigent des forces armées une plus grande flexibilité, une très
forte réactivité et un travail collaboratif afin de répondre aux effets recherchés qui exigent un spectre d’action très
étendu.

Dans ce cadre, le niveau opératif véritable miroir du niveau stratégique sur le théâtre d’opération représente un
niveau indispensable, comme l’ont appris à certaines occasions, et à leurs dépens, les forces engagées au Kosovo
et en Afghanistan.

L’action politico-militaire menée par le commandant opératif nécessite d’utiliser toutes les forces armées. Elles
seront alternativement “menantes ” ou “concourantes ” en fonction de la situation. La réactivité doit être forte. Le
commandant air doit donc se projeter rapidement sur le théâtre d’opération au côté du “commandeur ” pour être
en mesure de lui proposer immédiatement des solutions adaptées.

En effet, si le commandant air est par nature le spécialiste de la 3e dimension, il est culturellement un expert du temps
qui aujourd’hui s’accélère. Cette expertise doit impérativement être utilisée par le commandeur de niveau opératif en
particulier dans le cas délicat du ciblage.

Le commandant air (JFACC) a ainsi la tête au niveau opératif et son bras armé (CAOC) au niveau tactique.

1 JFACC : Joint Force Air 5 EMIAFE : Etat-major


Component Commander. interarmées de force et
2 JFC : Joint Force Commander. d’entrainement.
3 SACO : Supreme Allied 6 Air Task Order.
Command Operations. 7 Time Sensitive Target.
4 NRF : Nato Response Force : 8 Cet outil s’appelle la COP :
force de réaction rapide de “Commun Operational
l’OTAN. Picture”.
Pour la NRF 5 en alerte au 9 Les premiers éléments des
1er juillet 2005 pendant 6 mois, composantes dédiés à la NRF
le commandement de niveau doivent pouvoir se projeter en
opératif sera le JC Lisbonne, 5 jours !
le corps d’armée espagnol sera
en charge de la composante
terrestre, l’ ITMARFOR de la
composante marine et l’Armée
de l’air française pour la
composante aérienne.
CDAOA
doctrine
La place des forces terrestres
dans le soutien logistique des opérations

utre le contexte de la guerre froide où l’arme nucléaire a joué le rôle dissuasif que l’on sait, il existe
O peu d’exemples au cours des conflits auxquels la France a été confrontée, où les forces terrestres
n’ont pas exercé le rôle déterminant, qu’il s’agisse de la défense du territoire national ou des intérêts
stratégiques nationaux dans le monde. Participant grandement au succès militaire, elles sont chargées
de le consolider en assurant le contrôle du terrain le temps qu’il faut afin de marquer la volonté de la
France et de permettre le développement de la diplomatie et des politiques voulues par les autorités.

Que ce soit pour emporter la décision initiale ou pour “durer” sur le terrain, les forces terrestres
ont été amenées dès leur origine à déployer, parfois très loin du territoire national, un dispositif
logistique leur permettant de réunir, au bon moment et au bon endroit, toutes les ressources
nécessaires pour vivre et mener leurs missions opérationnelles.

Elles ont ainsi acquis, au fil des siècles, une expertise et un savoir-faire en matière de soutien
logistique opérationnel, sans cesse renouvelés pour s’adapter aux évolutions des modes d’action
et des systèmes d’arme. Pour des motifs tant stratégiques qu’organisationnels ou simplement
pragmatiques, cette compétence et cette capacité - initialement purement “terro-terrestres” -
sont, depuis longtemps déjà, exploitées au profit de l’ensemble des armées.

PAR LE GÉNÉRAL DE CORPS D’ARMÉE JEAN-LOUIS SUBLET, ANCIEN COMMANDANT DE LA FORCE LOGISTIQUE TERRESTRE

es opérations majeures voire plusieurs années, au D’une façon générale, le sou- s’agit tout d’abord sur le ter-

L menées par les forces


françaises, surtout depuis
la chute du mur de Berlin,
cours de laquelle il s’agissait
de garantir une paix durable
(en Bosnie, par exemple, cet-
tien logistique comprend deux
grandes étapes qui s’enchaî-
nent : à l’arrivée, le soutien en
ritoire national d’organiser
et piloter l’acheminement
des ressources, par les types
constituent autant d’exemples te mission se poursuit encore opérations, c’est-à-dire celui de vecteurs terrestres mili-
permettant d’illustrer ce rôle aujourd’hui plus de dix ans apporté aux forces et au sein taires et civils les plus appro-
que joue l’Armée de terre dans après le début de l’interven- de celles-ci sur le théâtre priés, jusqu’aux plates-
le domaine du soutien logis- tion). même d’engagement, et le f o r m e s p o r t u a i re s o u
tique opérationnel interar- soutien des opérations, réali- aéroportuaires d’embarque-
mées. sé celui-ci à partir du territoire ment. Les moyens de trans-
Dans le premier comme dans national au profit de la condui- port routier des formations
Dans la majorité des cas, ces le second cas, les forces ter- te générale de l’opération. logistiques de l’Armée de ter-
opérations se sont déroulées restres constituant générale- re y contribuent largement
en deux phases distinctes : la ment l’acteur principal sur le chaque jour ;
première, le plus souvent de théâtre d’engagement, l’Armée Cette séquence du soutien, en
courte durée, au cours de de terre a pris tout naturelle- amont de l’opération, se • il s’agit ensuite de faire assu-
laquelle l’emploi ou la démons- ment une part déterminante déroule elle-même en deux rer le transport de ces mêmes
tration de la force était requis ; dans la conception, la plani- phases : ressources jusqu’aux théâtres
la deuxième, dite de stabilisa- fication et la conduite du sou- • à partir des besoins exprimés par des vecteurs aériens mili-
tion et couvrant plusieurs mois tien logistique opérationnel. par le théâtre d’opération, il taires 1 ou civils et des vec-

DECEMBRE 2005 23 DOCTRINE N° 07


teurs maritimes civils 2, en logistique particulière à une 1 Cela est généralement le cas
fonction de leur poids et volu- seule d’entre elles (le soutien pour la phase initiale des
opérations dans la mesure où,
me mais aussi en fonction de pétrolier et le soutien santé compte tenu des enjeux, une
l’urgence que leur mise en constituent les fonctions les bonne part de la flotte de
place revêt pour les forces plus concernées par cette évo- vecteurs stratégiques et
tactiques de l’Armée de l’air
projetées. lution). Elles mettent en œuvre peuvent être mobilisés pour
aussi, quand la situation le acheminer les moyens humains
Autres caractéristiques et fait permet, le partage ou la et matériels ainsi que les
ressources logistiques
nouveau, les opérations mutualisation selon des nécessaires à l’engagement
majeures auxquelles les forces règles fixées dans des accords des forces. Cela est beaucoup
françaises participent depuis le plus souvent binationaux, moins vrai pour la phase
suivante au cours de laquelle
une quinzaine d’années sont, de certains types de soutien il s’avère plus difficile de réunir
pour la plupart, réalisées dans (hébergement, maintenance, des capacités comparables
un cadre multinational. Cela a transports, ...). dans la mesure où les forces
françaises participent
des implications multiples et simultanément au règlement
importantes dans tous les Les forces terrestres engagées de plusieurs crises dans le
domaines du soutien opéra- dans de nombreuses opérations monde.
tionnel. depuis trente ans au quotidien 2 Dans la mesure où la marine
ont donc aujourd’hui acquis une française ne dispose pas de
Pour les formations de l’Armée solide expérience du soutien navires dédiés, spécifiquement,
au transport des moyens et
de terre, le caractère multina- logistique multinational. ressources logistiques des
tional des opérations se traduit autres armées.
par le côtoiement au quotidien
des unités alliées dans le cadre
de leurs missions opération-

ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre


nelles mais aussi de leur vie cou-
rante et, donc, par le déploie-
ment d’un dispositif de soutien
cohérent avec le concept logis-
tique interallié retenu pour le
théâtre considéré.

En effet, si la logistique reste


placée, pour des raisons
d’ordre financier essentielle-
ment, dans le domaine des
compétences purement natio-
nales, les nations contribuant
à la constitution de la force
multinationale recherchent de
plus en plus régulièrement la
possibilité de confier la mise
en œuvre ou le pilotage de
tout ou partie d’une fonction

C’est pourquoi, l’Armée de terre, disposant des expertises requises et de l’expérience indéniable en matière de
procédures logistiques interalliées, est - sans doute - à même d’assurer la maîtrise d’ouvrage des processus de
multinationalisation du soutien opérationnel au bénéfice de toutes les composantes militaires françaises projetées sur
un théâtre donné.

Très clairement donc, l’Armée de terre se trouve toujours et durablement placée au cœur des engagements
opérationnels à longue distance. Ainsi, pendant l’année 2004, elle a été engagée, simultanément, dans cinq opérations
principales sur quatre continents et a soutenu ces opérations dans un cadre multinational.

Rien d’étonnant à ce qu’elle soit désignée armée pilote du soutien dans la quasi-totalité des cas. Elle dispose d’ailleurs
pour cela d’un état-major central spécifique, le commandement de la force logistique terrestre, que l’activité et
l’expertise installent de fait, d’ores et déjà, au centre du soutien logistique interarmées en opération.

DOCTRINE N° 07 24 DECEMBRE 2005


doctrine
Le combat interarmes des forces terrestres
Evolutions en cours
omme souvent, il n’est jamais inutile de revenir à la définition réglementaire d’un terme de tactique.

C Le TTA 106 nous enseigne que l’interarmes - entendu ici à la fois comme adjectif et comme nom -
consiste en “l’emploi synchronisé ou simultané de plusieurs armes (ABC, infanterie, génie,...)
pour produire sur l’ennemi un effet supérieur à la mise en œuvre indépendante de chacune de ces
armes”. A la différence donc de l’interarmées où les forces terrestres, maritimes et aériennes coordon-
nent leur action, le plus souvent aux niveaux stratégique et opératif, les forces terrestres coopèrent en
combinant l’action des différentes armes, le plus souvent au niveau tactique.
Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à quelques exceptions près la manœuvre interarmes au sein de
l’Armée de l’air ou de la Marine n’existe pas : les chasseurs et les transporteurs, tout comme les sous-
mariniers et les “aéros” travaillent rarement ensemble. Les premiers sont cantonnés dans des métiers
différents et les seconds dans des milieux homogènes et totalement distincts.
L’anglais nous éclaire sur ces différences puisque l’interarmées se traduit “joint” et l’interarmes
“combined arms”.
Cela étant précisé, la question se pose de savoir la place qu’il convient de donner à l’interarmes
au sein de l’Armée de terre, tant en temps de paix qu’en temps de guerre.La guerre n’étant pas une
science exacte, la réponse n’est ni simple ni dogmatique.

Dans un monde où peu nombreux sont ceux qui maîtrisent l’accélération des événements et donc
de leurs conséquences - que ce truisme soit pardonné - l’heure n’est peut-être pas venue pour l’Armée
de terre de bouleverser fondamentalement sa conception de l’interarmes. En revanche il serait peu
raisonnable de ne pas tenir compte des enseignements tirés des conflits récents tout comme
des contraintes budgétaires, donc d’effectifs, qui pèsent sur les armées. Quoiqu’il en soit les voies
dans lesquelles l’Armée de terre s’engage doivent préserver toute possibilité de réversibilité.

PAR LE COLONEL FRANÇOIS RICHARD, DE LA DIVISION EMPLOI ORGANISATION DU CDEF (MAINTENANT CHEF DE LA DIVISION RECHERCHE ET RETOUR D’EXPÉRIENCE )

N’oublions pas Le premier de ces principes premier de façon très claire de la violence relève davanta-
les fondamentaux demeure celui qui consiste au mais le deuxième aussi en rai- ge du savoir être et de l’intel-
combat à vaincre l’ennemi jus- son du caractère toujours ligence de situation. Somme
qu’à sa défaite, littéralement réversible d’une opération de toute dans le premier cas il faut
La connaissance et la mise en jusqu’à ce qu’il soit “défait ”, maîtrise de la violence vers une pouvoir vaincre et dans le sec-
œuvre des principes fonda- en réalité jusqu’à ce que l’ef- opération de coercition fusse- ond, il faut savoir.
mentaux de la tactique pré- fet final recherché par la coali- t-elle limitée et temporaire.
servent la force terrestre enga- tion soit atteint. De façon Maîtriser peut parfois signifier
gée de toute erreur mortelle. désormais communément éradiquer. Les Américains ont gagné la
Cette règle s’applique d’autant admise, on distingue aujour- première guerre du Golfe et l’of-
mieux que la situation devient d’hui les opérations de coerci- Schématiquement, on pourrait fensive aéroterrestre de la
complexe, ces fondamentaux tion de celles de maîtrise de la dire que la coercition relève de deuxième car ils ont pu vaincre.
constituant des repères aux- violence. Le sujet qui nous inté- la puissance nécessaire pour Leurs difficultés actuelles en
quels le chef peut se référer, resse, l’interarmes, concerne établir un rapport de forces Irak résultent peut-être du fait
voire s’accrocher. ces deux types d’opération : le favorable alors que la maîtrise qu’ils ne savent pas vaincre.

DECEMBRE 2005 25 DOCTRINE N° 07


Revenons-en à nos armes. Elles
existent dans toutes les
Armées de terre du monde en
se classant en armes de mêlée
(l’infanterie et l’ABC), armes
d’appui (le génie, l’artillerie et
les SIC) et armes de soutien (la
logistique). L’ALAT, l’arme la
plus récente, constitue un cas
particulier puisque ses hélico-
ptères légers participent au
combat des armes de mêlée et
d’appui et ses hélicoptères
lourds relèvent du soutien.
Chacune de ces armes possè-
de sa spécificité. Le fantassin
tient le terrain, le cavalier crée
le choc et l’artilleur délivre des
feux puissants et lointains.
Selon une mode bien françai-
ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre

se qui consiste à renommer


périodiquement des fonctions
ou des concepts, on parle
désormais de combat débarqué
ou embarqué pour l’infanterie et
l’ABC. Fondamentalement rien
n’a changé puisque le combat
interarmes consiste toujours à
combiner les effets de ces
armes.

A cet égard, le danger à éviter pour ne citer qu’elles. Ce sys- Faut-il réformer les tés PROTERRE au nom de l’im-
consiste à considérer que la tème mis en place depuis possible réversibilité évoquée
structures du niveau
nécessité d’engager sur les quelques années donne satis- précédemment en cas d’ag-
théâtres extérieurs un maxi- faction, mais ne nous leurrons régimentaire pour gravation de la situation. Ainsi
mum d’unités des différentes pas, lorsqu’une section ou une optimiser l’interarmes ? le GTIA constitue-t-il le niveau
armes pour leur donner de batterie est déployée à cet seuil générique de l’interarmi-
l’expérience, autorise la fusion effet, on ne peut lui demander sation, en opération. Il peut
des savoir faire de chaque de changer de posture instan- En opération extérieure, oui et exister des cas particuliers qui
arme. Le risque à terme serait tanément pour qu’elle repren- c’est désormais acquis. Le font alors l’objet de décisions
de disposer de soldats aptes ne son métier premier. Le choix faible volume de force requis sur de conduite prises sur place par
à tout donc bons à rien. Le opéré en planification est rare- les théâtres extérieurs où la le chef de l’unité considérée.
métier de logisticien est diffé- ment réversible notamment France est impliquée désigne le
rent de celui du sapeur ou du sur le plan des équipements groupement tactique interarmes
fantassin et la complexité des ou des munitions. Le CFAT comme l’unité la plus adaptée à A “l’arrière” il convient de dis-
systèmes d’armes contraint poursuit ses études dans ce remplir les missions qui lui sont tinguer la métropole des
inévitablement à spécialiser domaine et envisage à cet dévolues. Comportant toujours DOM/TOM et pays où nous
nos soldats. égard de projeter des unités des unités élémentaires des avons des forces préposition-
élémentaires dites de “métier” armes de mêlée et d’appui, ce nées.
Pour autant, la ressource aptes à l’emploi instantané- GTIA peut en fonction de la En France métropolitaine, le
humaine étant comptée, fort ment car structurées et équi- situation comprendre des élé- niveau organique le plus bas
opportunément l’Armée de ter- pées à cet effet. ments de soutien s’il est ame- d’une structure interarmes est
re a décidé qu’un certain né à agir seul temporairement. celui de la brigade, les régi-
nombre de missions simples Somme toute, sans s’interdire Les études sur la constitution ments étant homogènes par
dites communes de l’armée de des adaptations pragmatiques et l’emploi des BG 1500 armes. Le retour à des régi-
terre (MICAT) pouvaient être et de bon sens, le respect de (“ Battle Group ” européen) ments interarmes possèderait
remplies par des unités de quelques principes fonda- vont dans ce sens. davantage d’inconvénients (sur
toutes les armes, appelées mentaux du combat inter- le plan du soutien et de la for-
PROTERRE. Il s’agit des mis- armes préserve de toute erreur Le risque à éviter dans la consti- mation) que d’avantages
sions d’escorte de convoi ou fatale la force terrestre enga- tution de ces GTIA est bien celui (cohésion avant l’engagement
de contrôle de check-point gée en opération de coercition. de ne pas y inclure trop d’uni- par exemple).

DOCTRINE N° 07 26 DECEMBRE 2005


En revanche, au sein des forces S’agissant de l’entraînement Ne serait-il pas opportun de
doctrine
1 Centre d’entraînement de
armées dans les DOM/TOM ou interarmes, la montée en puis- rassembler en un même lieu l’infanterie au tir opérationnel.
des forces françaises à l’étran- sance du CPF (centre de pré- certaines écoles pour débuter 2 Centre d’entraînement tactique.
ger, la structure interarmes des paration des forces) à MAILLY l’apprentissage de l’interarmes
régiments trouve toute sa per- augure fort bien d’avancées au plus tôt : les armes de
tinence. Les unités élémen- significatives et fructueuses. mêlée ensemble comme les
taires qui composent ces régi- Le CPF, placé sous le com- armes d’appui mais pourquoi
ments sont considérées comme mandement d’un officier géné- pas l’infanterie et le génie ou
aptes instantanément à être ral, englobera le CENZUB l’ABC et l’artillerie. La logis-
engagées, ce qui réduit consi- (centre d’entraînement en zone tique illustre bien cette ten-
dérablement les délais de pro- urbaine de SISSONNE), le dance, puisque le regroupe-
jection à partir de la métropo- CEPC et le CENTAC de MAILLY. ment des écoles de la
le. Par ailleurs le principe des logistique et du train est pra-
unités tournantes permet tiquement achevé à TOURS.
désormais à toutes les armes L’Armée de terre disposera ain- Naturellement, tout ceci ne se
d’acquérir une expérience de si d’une structure cohérente - fera pas du jour au lendemain
l’outre-mer. Et c’est bien ainsi particulièrement sur le plan et la préservation d’une cultu-
car dans une Armée de terre géographique - au sein de re ou d’un esprit d’arme méri-
“concentrée” et “densifiée” - laquelle sera conduit l’entraî- te considération.
donc réduite - et surtout pro- nement interarmes du niveau
fessionnalisée, il n’y a plus de unité élémentaire initialement, Quoi qu’il en soit la réduction
monopoles. voire GTIA après la création du format de l’Armée de terre
d’une brigade d’entraînement et l’espace disponible qui en
Tant en métropole, donc, qu’en interarmes dont les premières résulte dans chacune de ces
opération ou outre-mer, il n’y études débutent maintenant. écoles d’application, autorisent
a pas lieu de bouleverser les Il restera - et ce ne sera pas le ce regroupement. De plus cet-
structures interarmes. Elles ont plus simple - à valoriser ce te réforme générera des éco-
fait la preuve de leur pertinen- centre en augmentant la fré- nomies dans les coûts de fonc-
ce au point même que nos alliés quence de passage des unités. tionnement, ce qui ne saurait
s’en approchent lentement. A ce jour, selon la revue échapper longtemps à tous
“ Fantassins ” du mois d’avril ceux qui surveillent de très près
2005, une compagnie passe cette aubaine financière.
au CEITO1 tous les 27 mois et Comme toujours, il vaut mieux
Faut-il réformer au CENTAC2 tous les 54 mois. organiser maintenant ce que
Même s’il existe de légitimes l’on ne pourra pas éviter dans
la formation et l’entraî- raisons pour expliquer la fai- un futur proche.
nement interarmes ? blesse de cette fréquence, il
n’y a aucune fatalité dans ce
domaine et ce taux doit aug-
Oui incontestablement, cer- menter. On note au passage,
taines de ces réformes sont en qu’à ce rythme pour un capi-
cours, d’autres auront à taine, ses cadres et ses sol- Résumons-nous : la nature des conflits dans lesquels
vaincre d’inévitables pesan- dats, la question ne se pose l’Armée de terre s’implique aujourd’hui et ce dans un
teurs parfois légitimes. pas de savoir s’ils se forment contexte contraignant sur le plan des effectifs requis,
ou s’ils s’entraînent. L’essentiel incite à adapter les structures interarmes d’une force ter-
Premier constat, il est heureux est qu’ils y aillent le plus sou- restre, de la formation de ses cadres et de ses hommes
que l’ambiguïté sémantique vent possible. jusqu’à son engagement en opération.
entre formation, instruction
individuelle ou collective et Ces réformes ne doivent jamais nous faire perdre de vue
entraînement, soit désormais En ce qui concerne la forma- l’objectif ultime, celui d’avoir la certitude que l’Armée
levée. tion interarmes le problème de terre conservera l’aptitude à conduire avec succès
est plus délicat. Aujourd’hui un combat terrestre classique, c’est-à-dire vaincre mili-
Honnêtement plus grand mon- l’apprentissage du métier des tairement l’ennemi qui lui fera face, demain au Moyen-
de ne savait situer précisément armes se fait dans les écoles Orient ou après-demain en Asie Centrale, dès lors que le
les frontières entre ces d’application. L’aspect inter- pouvoir politique le lui demandera.
domaines. Le CoFAT est désor- armes de cette formation n’in- Nous avons des comptes à rendre à la Nation française
mais en charge de la formation tervient de façon systématique et bientôt à l’Europe car tôt ou tard une Europe de la
incluant l’instruction indivi- qu’au stade du CFCU (cours de défense verra le jour. Toute faillite dans ce domaine serait
duelle, et le CFAT de l’entraî- formation des commandants impardonnable.
nement incluant l’instruction d’unité élémentaire).
collective.

DECEMBRE 2005 27 DOCTRINE N° 07


L’emploi
des appuis feux artillerie en 2005 :
fondamentaux et avancées

a fonction appuis feux de l’artillerie de l’Armée de terre comprend deux volets : défense
L sol-air et feux dans la profondeur. Les cultures d’arme correspondantes sont voisines,
et l’emploi est normalement défini dans une même cellule au sein des centres opérationnels
(CO). Les avancées conceptuelles expérimentées sur le terrain par la brigade d’artillerie
confirment une évolution tactique semblable dans ces deux composantes, notamment par
la constitution de groupements tactiques d’artillerie. Toutefois les moyens sol-sol et sol-air
visent des effets différenciés : dans un cas coup au but d’emblée et quasiment sans préavis
contre un mobile adverse en vol, dans l’autre cas neutralisation après acquisition d’un objectif
ponctuel ou étendu, sur préavis plus ou moins bref et avec choix préalable de la munition.
Pour ces raisons qui dépassent la seule approche technique, l’emploi et la mise en œuvre
de ces deux composantes comportent aussi des spécificités propres à chacune.

PAR LE GÉNÉRAL THIERRY OLLIVIER, COMMANDANT LA BRIGADE D’ARTILLERIE


ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre

Les fondamentaux
des appuis feux

Disponibilité tactique et réac-


tivité constituent des qualités
fondamentales recherchées
pour les plates-formes de lan-
cement terrestres, et ceci comp-
te quand on compare les
mérites respectifs des moyens
feux de l’Armée de terre et des
autres armées. La mise en
réserve de moyens est du res-
te proscrite dans l’emploi de
l’artillerie et les délais de répon-
se des lanceurs constituent une
obsession dès l’entraînement.
Tout aussi fondamentaux sont santes dans leur organisation
doctrine
Des réponses appropriées
les impératifs de coordination au combat, les engagements
qui vont croissant, aussi bien actuels exigeant des moyens
aux menaces 3D actuelles
pour des raisons de coopéra- calculés au plus juste, taillés
tion ou de synchronisation sur mesure. Même en considérant le haut
entre systèmes complexes, niveau technologique et opéra-
que pour des raisons de sécu- tionnel de nos armées et de
rité. Cette coordination s’exer- Dans cet esprit, la brigade d’ar- celles de nos grands Alliés dans
ce bien sûr en interne artille- tillerie a prouvé sa capacité à le domaine de la troisième
rie, mais également vers la mettre sur pied des groupe- dimension, de récents événe-
mêlée, le renseignement et ments d’artillerie multicapa- ments, particulièrement depuis
l’acquisition, la guerre élec- citaires, intégrant parfois des le 11 septembre 2001, nous ont
tronique, l’ALAT, l’Armée de moyens sol-sol et sol-air, com- rappelé que le ciel constituait
l’air, etc. Ces impératifs de me cela a été expérimenté et un espace difficile à verrouiller
coordination, s’ajoutant à la certifié OTAN, dans le cadre de contre les agressions.
spécificité de la manœuvre des la NRF4, à Canjuers fin 2004, L’automatisation, la diversifi-
feux, justifient la mise en pla- à tirs réels. L’aptitude au tir cation et la prolifération des
ce près des CO de niveaux 1 et coordonné et à la manœuvre aéronefs armés par des Etats,
2 de centres de mise en œuvre d’un groupement tactique sol- des terroristes ou des merce-
(CMO) travaillant en liaison air, connecté à l’Armée de l’air, naires, contribuent à faire peser
avec les CMO des autres fonc- a également été validé récem- des risques majeurs. La notion
tions d’appui, notamment le ment à Biscarosse en présen- de supériorité aérienne a du
CMO-RENS. En opérations hors ce du général COMFAT. plomb dans l’aile et les espaces
métropole aujourd’hui, cette lacunaires ont rejoint la troisiè-
coordination apparaît souvent me dimension.
à tort comme un élément de En matière de configuration de
complexité, ce qui hélas structures ad hoc, il faut noter
conduit parfois à éviter la pré- les facilités offertes par la Les systèmes sol-air, qui doi-
sence de représentants des numérisation, domaine dans vent assurer la sûreté des
appuis dans les CO, alors que lequel l’artillerie possède déploiements des forces ter-
des détachements de liaison, depuis vingt ans une avance restres, sont plus que jamais
réduits souvent à un seul offi- sous-estimée ; ATLAS, en cours tenus à la complémentarité
cier, font pourtant l’affaire. de mise en service, représen- entre eux afin d’assurer l’étan-
te la deuxième génération de chéité de la couverture anti-
Traditionnellement enfin, il faut la fonction sol-sol, et MARTHA, aérienne. La section Hawk
noter la culture du résultat en maintenant opérationnel pour vient d’expérimenter avec suc-
bout de trajectoire, qu’il s’agis- le niveau sol-air bas, va s’étof- cès une liaison numérisée avec
se du “flash” missile, ou des fer pour acquérir dans les l’Armée de l’air présentant la
coups “dans l’objectif ” des années à venir une capacité situation 3D interarmées. Sa
roquettes et obus, tant il est de coordination de tous les n o u ve l l e c o m p a c i t é e n
vrai que l’arme de l’artilleur moyens 3D de la défense sol- Guépard C a été éprouvée au
c’est la munition. On est par- air et de l’Armée de terre, en tir et elle devient un fédérateur
fois surpris de constater, ici ou interopérabilité avec l’Armée pertinent pour des groupe-
là, l’importance que des offi- de l’air dont elle pourra même ments tactiques sol-air allégés
ciers d’état-major accordent a intégrer les moyens de défen- projetables, comprenant en
priori à la définition de zones se sol-air. outre du Roland-cabine-VLRA
de déploiement d’unités d’ar- et du Mistral portable ou mon-
tillerie ou d’autres éléments té sous Gazelle. Un groupe-
sans intérêt en terme d’emploi, ment tactique à une section
alors qu’il convient prioritaire- Par ailleurs la double dotation Hawk, deux sections Mistral et
ment de réfléchir aux effets, est entrée dans les mœurs des une batterie Roland peut assu-
qui découlent d’abord des artilleurs professionnels, avec rer la défense aérienne d’une
types de munitions disponibles. l’intégration des contraintes surface équivalente au dépar-
d’un deuxième équipement, à tement du Finistère.
ne pas sous-estimer. Le mor-
Des capacités et postures tier de 120 est le langage com- L’existence et l’entraînement
opérationnelles nouvelles mun de l’artillerie sol-sol, et de “ forces avancées ” spéci-
le SATCP Mistral celui de la fiques permet de proposer, en
De nouvelles conditions dic- défense sol-air, avec les faci- amont ou en complément d’un
tent aujourd’hui une évolution lités correspondantes pour les dispositif antiaérien, des
commune des deux compo- relèves en OPEX et MCD. modules réduits à moins de

DECEMBRE 2005 29 DOCTRINE N° 07


Quant à la mise en concor-
dance de la manœuvre des
feux d’artillerie dans la pro-
fondeur avec les autres
effecteurs (Armée de l’air,
ALAT, guerre électronique),
elle s’effectue sous le contrô-
le du Joint effects center (JEC)
du CO de la force. Ce JEC
monte actuellement en
puissance au sein du
CRR/FR, il engerbe dans ses
responsabilités celle de pla-
ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre

nifier et d’ordonner ses mis-


sions à la fonction feux
dans la profondeur, donc
au CMO-artillerie.

30 hommes, selon les besoins Cette structure confère certes


en surveillance, en alerte, en des capacités de feux solides et
coordination 3D, en projection garanties par niveau. Toutefois
aéroportée, en accompagne- il ne faut pas qu’elle verrouille la
ment antiaérien d’un raid, etc. posture des appuis et doit pou-
voir s’adapter à : En conclusion, les appuis feux de l’artillerie présentent

- la gestion d’une “manœuvre une large gamme d’effets, souvent mal appréhendée par
de l’artillerie” globale, coor- les chefs opérationnels à cause du cloisonnement des
Vers une amélioration de donnée dans le cadre d’un tar-
capacités, réparties dans les structures-carcans de
la cohérence feux dans la geting ou d’échanges de feux,
centralisable pour marquer un l’organique. Ces structures conservent leur pertinence
profondeur
effort, tout en maîtrisant le pour l’apprentissage du métier et le soutien, mais en
déclenchement des frappes en
matière d’emploi, et grâce à la professionnalisation, on
temps réel,
La fonction feux dans la pro- - la nécessaire synchronisation prend l’ascendant sur les anciennes pesanteurs
fondeur est aujourd’hui très entre moyens de traitement et techniques et logistiques. Les compétences des EVAT,
structurée organiquement : d’acquisition,
- l’inscription des missions de l’ouverture des théâtres d’opérations aux artilleurs, même
- un régiment de canons de 155 feux sol-sol dans la manœuvre par le biais des unités PROTERRE, conduisent à des prises
dans chacune des brigades globale de la force. de conscience et à une volonté de répondre efficacement
interarmes (niveau 3). Ces
régiments disposent en aux exigences de la projection et du combat. L’évolution
propre de moyens d’acquisi- Ces actions sont conduites dans se fait dans le sens d’une meilleure adaptabilité par des
tion pour l’horizon visible des les CMO ou par les DLet rendues
structures polyvalentes à géométrie variable, avec
combats de mêlée ; interopérables grâce à la numé-
- deux régiments LRM au sein risation de la totalité de la chaî- apparition d’une émulation entre unités servant des
de la brigade d’artillerie pour ne de commandement des feux matériels différents. La coopération avec l’Armée de l’air,
les feux dans la profondeur via ATLAS. Des efforts sont en
l’ALAT ou la brigade de renseignement progresse. Enfin la
d’une force ou d’une division cours pour atteindre une
(niveaux 1 et 2). Ils sont en meilleure interopérabilité tech- cohérence d’ensemble en terme d’emploi demeure un
cours d’équipement avec le nique et tactique entre unités objectif important pour lequel les indispensables
radar Cobra pour surveiller, équipées de matériels diffé-
alerter, acquérir et observer rents (LRM/canon/mortier) et exercices Guibert, Fatextel et Opéra aident à trouver des
le traitement d’objectifs acquérir le savoir-faire des solutions pertinentes.
constitués d’artillerie. boucles courtes RENS/feux.

DOCTRINE N° 07 30 DECEMBRE 2005


doctrine
A propos du niveau des actions militaires
Stratégique, opératif ou tactique ?
e monde civil emploie de plus en plus le vocabulaire militaire, en particulier dans les

L entreprises, la presse ou même les partis politiques. Les mots de stratégie, de tactique ou
d’opérationnel y sont abondamment utilisés, souvent d’ailleurs avec un sens assez éloigné
de celui que nous militaires du 21e siècle lui donnons1, mais n’est-ce pas le cas aussi chez
certains militaires qui connaissent encore mal la doctrine d’emploi des forces et son volet
terminologie, mais aussi parfois l’histoire militaire ?

Certes notre vision de la stratégie et même de la tactique a évolué avec la généralisation


de la violence anarchique, du rôle grandissant des populations dans les crises et conflits,
l’influence des médias et le poids croissant des politiques au niveau tactique. Après de longues
années d’opérations de soutien de la paix et de stabilisation, ces militaires ont pu se persuader
que leurs actions étaient d’une importance “stratégique” au prétexte qu’ils pouvaient recevoir
directement, grâce aux technologies modernes, des directives des plus hautes autorités
du pays ou de l’Alliance.

C’est oublier un peu vite les textes actuels qui fixent les principes et les règles d’emploi
de nos forces armées, et terrestres en particulier, mais aussi les enseignements des conflits
et crises du 20e siècle, qui, dans ces domaines en gigogne de la stratégie, de l’opératique
et de la tactique, nous ont donné quelques références permettant de nous y retrouver un peu
et d’éviter d’attribuer une importance exagérée à certaines actions militaires.

En effet, normalement, pour ne pas dire théoriquement, on devrait lier l’importance d’une
action au fait qu’elle permet d’atteindre ou non un centre de gravité2 ou un point décisif 3.
En fait, ce n’est pas toujours aussi simple, car la détermination des centres de gravité
ou des points décisifs, qui débouche souvent sur une liste normalement bien adaptée à
l’opération et donc différente selon le type d’opération, change si l’on passe d’une phase
d’intervention à une phase de stabilisation.

Aussi faut-il se garder des idées reçues dans cette approche de l’importance d’une action
militaire, et, au contraire, se raccrocher aux principes généraux qui ont fait leurs preuves.
Et, avant de parler et d’agir, sans doute convient-il de méditer sur l’importance relative de
nos actions dans la pyramide des valeurs que nous nous sommes fixées et de faire preuve
de modestie en nous souvenant des terribles conflits qu’ont connu nos anciens.

Pour cela, nous allons revenir, dans les domaines stratégique, opératif et tactique, sur des
campagnes et opérations récentes et plus anciennes et essayer ainsi de mieux comprendre
l’importance relative de nos actions militaires actuelles et à venir.

PAR LE GÉNÉRAL (2S) JEAN-MARIE VEYRAT, CHARGÉ DE MISSION PUBLICATIONS AUPRÈS DU COMDEF

DECEMBRE 2005 31 DOCTRINE N° 07


Du niveau stratégique opinion publique 5. Quelques L’histoire est riche de crises ou Du niveau opératif
années avant, la France, dans de conflits heureusement réglés
sa guerre d’Indochine, pour- par la négociation assortie de
La stratégie opérationnelle tant aidée par les Etats-Unis, gesticulations diverses, dans les- Ce niveau “ plus militaire ”,
n’est bien sûr qu’un volet de avait dû, elle, renoncer à sa quels les moyens des forces désormais incontournable,
la stratégie globale d’une stratégie sur ce théâtre d’opé- armées, allant de la canonnière inventé au début du 20e siècle
nation ou d’un groupe de ration extérieur après la défai- à la force terrestre de plusieurs par les Allemands et les Russes,
nations, les actions militaires te de Dien Bien Phu. Ho Chi dizaines de milliers d’hommes ignoré longtemps par la plupart
étant de plus en plus interal- Minh et le Viet-minh avaient en passant maintenant par un des grandes armées et redé-
liées ou multinationales. Selon bien atteint un de ses centres groupe aéronaval ou aérien, ont couvert récemment par les
les conflits ou crises, la part de gravité, ce qui a conduit le surtout joué un rôle dissuasif. Américains et donc par l’OTAN
des forces armées dans le gouvernement français à Mais elle l’est aussi de vraies et nous-mêmes, et qui ne
règlement de ceux-ci est et res- Genève 6. guerres que seules l’action au concerne normalement qu’un
tera très variable, comme le sol et la destruction des forces seul théâtre d’opération et un
seront toujours les rôles res- Plus récemment, l’organisa- ennemies, avec souvent l’occu- seul objectif stratégique8, a été
pectifs (et effectifs) de leurs tion ou plutôt la nébuleuse Al pation du territoire de leur pays, et est souvent encore l’objet
différentes composantes, ter- Quaïda a provoqué “ l’entrée ont permis de gagner ou d’ar- d’incompréhensions et de dis-
restres, aéromaritimes ou en guerre” des Etats-Unis par rêter, même si toutes les forces cutions, y compris chez les mili-
aériennes. Certains historiens une action de niveau effecti- vives, industrielles, humaines, taires. Il ne doit pas en effet être
et, bien sûr, nos camarades vement stratégique en s’atta- morales des nations ont pleine- lié directement à la stratégie
aviateurs ont toujours consi- quant aux symboles du pou- ment donné dans le cadre d’une opérationnelle par confusion
déré les bombardements stra- voir politique et économique stratégie globale. entre les termes d’opération-
tégiques comme ayant un rôle de l’Amérique, lançant ainsi nel et d’opératif (traduit en
décisif dans la résolution d’un une véritable campagne amé- La dimension stratégique, avec anglais operational), mais bien
conflit ou la victoire finale. ricaine sur plusieurs théâtres ses différents volets et aspects, plutôt à un théâtre d’opération
Pourtant, les bombardements d’opérations (Territoire natio- y compris psychologiques et qui, bien qu’étant interarmées,
alliés sur l’Allemagne, par nal, Afghanistan, Irak, Moyen- moraux, reste celle qui décide interallié et même “ interser-
exemple, n’ont ni affaibli le Orient, ...), campagne 7 qui peut du succès d’une action militai- vices”, c’est-à-dire interminis-
moral du peuple allemand ou durer des années et dans re, quelles que soient la puis- tériel, ne représente qu’une par-
la volonté de ses dirigeants, ni laquelle, là aussi, la stratégie sance et la valeur des forces tie du grand puzzle qu’est la
vraiment bouleversé sa stra- opérationnelle n’est qu’un armées impliquées dans le stratégie globale d’une nation
tégie des moyens, davantage aspect des choses. conflit. ou d’un ensemble de nations.
touchée par la réduction pro-
gressive des territoires occu-
pés par le Reich et donc la dimi-
nution des matières premières
disponibles. L’Allemagne nazie
a été vaincue par la stratégie
globale des Alliés, dans laquel-
le la stratégie génétique, fon-
dée en particulier sur l’énor-
me puissance économique
américaine, a joué plus de rôle
que la stratégie opérationnel-
le proprement dite4.

En revanche, cette même puis-


sance américaine, avec bien
sûr un engagement moindre,
même si le tonnage de bombes
lancé a été supérieur à celui
de la 2e Guerre mondiale, n’a
pas permis de gagner la guer-
re du Vietnam face à un adver-
saire qui a su profiter des
contraintes politiques (nor-
males) imposées à l’armée
américaine et exploiter les fai-
blesses d’une démocratie en
s’attaquant à un centre de gra-
US Army

vité majeur des Etats-Unis, son

DOCTRINE N° 07 32 DECEMBRE 2005


Toujours nécessaire désormais fins manœuvriers, tels que Von Guerre froide. Les petits ruis-
doctrine
même si les feux notamment n’y
pour la planification et la Manstein, instigateur du plan seaux faisant les grandes rivières, ont pas la même importance. Là
conduite des actions militaires, “du coup de faucille” de 1940 ces actions limitées, dont l’im- aussi, pour juger de la validité
ce niveau opératif ou plutôt son et commandant victorieux du portance peut parfois échapper d’une tactique, en fait d’un mode
organisation doivent cepen- groupe d’armées Sud en 1943. à ceux qui la vivent ou la finan- d’action, il nous faut nous repor-
dant être adaptés au volume cent de leurs impôts, n’en ont ter à l’effet recherché au niveau
et à la nature de la force enga- Dans cette guerre devenue pas moins de l’importance pour considéré et à la réussite ou non
gée, notamment dans son mondiale, notre “campagne de la sécurité de nos nations et la de la mission reçue.
commandement, pour éviter un France” de 1940 n’était en fait paix du monde.
déséquilibre des fonctions opé- qu’une “opération”10 à l’échel-
rationnelles assurées et des le de la guerre qui commençait Est-il nécessaire de faire tuer des
moyens engagés, et bien sûr et même, pour le Général De milliers, sinon des dizaines de
une hypertrophie des PC. Gaulle, chef politique de la Du niveau tactique milliers d’hommes pour rem-
France libre, une simple porter un succès ? Souvenons-
Certaines opérations récentes “bataille” perdue, c’est-à-dire, nous de Valmy, fausse bataille
ou actuelles peuvent donner si l’on se réfère à la terminolo- Même si les forces terrestres mais vraie victoire, de Ulm en
une vision déformée de ce que gie actuelle, seulement un ont toujours un rôle majeur au 1805 où l’ennemi s’est déclaré
représente vraiment une opé- “ensemble d’actions coordon- plan opératif, elles donnent bien vaincu et a capitulé sans com-
ration militaire d’envergure ou nées de niveau tactique”11. Ce sûr, comme les autres forces, bat. La victoire sans combattre
une campagne. En nous repor- serait quand même oublier ce maritimes et aériennes, toute vraiment peut paraître frustran-
tant à la 2e Guerre mondiale, qu’a été pour la France le cata- leur mesure au plan tactique. te pour certains rares militaires
sans doute pouvons-nous clysme de la défaite de 1940 Les actions des unes et des ou stratèges en chambre, mais
mieux comprendre ce qu’était dont nous ressentons encore autres sont souvent décalées n’est-elle pas ce que recherchent
le niveau opératif alors non les conséquences politiques dans le temps et l’espace, la toutes les vieilles nations poli-
reconnu, même s’il est difficile dans nos relations avec certains “manœuvre opérative” étant cées qui connaissent mieux que
de comparer les théâtres d’opé- états. Le niveau d’une action surtout le cadencement de l’en- d’autres le goût du sang et des
rations d’alors avec ceux d’au- peut donc être différent pour gagement des moyens du com- larmes ? Nos manuels de doc-
jourd’hui, prévus dans les des pays appartenant à une mandement de théâtre, main- trine d’emploi des forces et uni-
textes doctrinaux ou réels. même alliance et ayant nor- tenant que le volume des forces tés prévoient désormais autant
malement les mêmes objectifs terrestres n’est plus celui qu’on de modes d’action ressortissant
L’immensité du Pacifique per- politiques. a pu connaître dans les grands au mode opératoire de la maî-
mettait une répartition entre conflits du 20e siècle. trise de la violence qu’à celui
plusieurs commandants en chef Dans un passé récent, sans dou- de la coercition de forceset c’est
alliés, tandis que le théâtre te peut-on placer à ce niveau En revanche, le chef tactique, et bien normal puisqu’il s’agit de
européen, plus restreint dans opératif les actions ponctuelles, en particulier le Land Component fournir aux chefs militaires de
sa partie occidentale n’en mais souvent médiatiques, appa- Commander, mène une véritable tout niveau et à leurs équipes
connaissait qu’un avec plu- remment de niveau tactique, qui manœuvre interarmes, combi- de commandement des modes
sieurs groupes d’armées. En ont pu faire évoluer la situation naison des fonctions opéra- d’actions et des organisations
revanche, le front de l’Est des sur le théâtre concerné. La repri- tionnelles assurée au niveau tac- des formations et commande-
Allemands et de leurs alliés cor- se du pont de Verbanja est de tique considéré. La vraie tactique ments possibles, quel que soit
respondait en fait à plusieurs celles-là. Faut-il la qualifier de est bien sûr interarmes et le contexte de l’action menée.
théâtres d’opérations, certes “stratégique” parce qu’elle signi- concerne toutes les formations
jointifs, sur lesquels fronts fiait la renonciation des Serbes allant de la grande unités LCC, Nous devons cependant nous
soviétiques et groupes d’ar- à leur stratégie sur le théâtre bos- corps d’armée, division, briga- préparer à des engagements
mées allemands s’affrontaient. niaque, mais aussi la fin de de) au sous - groupement et, futurs qui pourraient s’avérer
Les militaires allemands et l’époque du “soldat de la paix” pourquoi pas, à la section ou au plus difficiles et violents que
soviétiques, co-inventeurs du au moins en Ex-Yougoslavie et peloton renforcé, notamment en ceux des dernières décennies et
niveau opératif, s’y livrèrent des surtout pour l’Armée française, zone urbaine. peut-être s’apparenter à ceux
combats titanesques à la fin ou simplement d’“opérative” en que connaissent actuellement
desquels des armées ou même la liant à ce seul théâtre des D’aucuns pourraient être tentés nos camarades alliés en Irak.
des groupes d’armées entiers Balkans, bien secondaire pour de croire que la tactique ne s’ap- Aussi, pour les forces terrestres,
disparaissaient de l’ordre de les Etats occidentaux ? plique qu’au combat qualifié ce niveau tactique (qui reste sou-
bataille9. souvent de “haute intensité” vent un niveau “ technique ”
Une opération peut ne mettre en qui, effectivement, seul, met pour les forces maritimes et
Souvent supérieurs au niveau œuvre aujourd’hui que quelques pleinement en œuvre l’en- aériennes qui manœuvrent des
tactique, les Allemands ont été centaines d’hommes, dont l’ac- semble des fonctions opéra- ensembles de bâtiments et d’aé-
dominés et battus au niveau tion sera cependant détermi- tionnelles, y compris celles dites ronefs plus que des commu-
opératif malgré la valeur de nante pour l’atteinte d’un objec- d’environnement. Pourtant, les nautés d’hommes) est bien celui
leurs unités et celle de beau- tif politique, modeste bien sûr si actions de stabilisation per- où elles doivent jouer leur plein
coup de leurs chefs militaires on le compare aux enjeux des mettent aussi une véritable rôle, celui qui produira le suc-
parmi lesquels on trouvait de deux conflits mondiaux ou de la combinaison des moyens, cès durable sur le terrain.

DECEMBRE 2005 33 DOCTRINE N° 07


Après ce bref retour sur quelques campagnes, opéra-
tions et batailles du passé, la question peut encore se
poser pour certains, peu séduits par ces notions parfois
abstraites de centres de gravité, de points décisifs, etc.
Au-delà des règles fixées, qu’est-ce qui qualifie vrai-
ment le niveau d’une action militaire ? L’autorité qui
l’ordonne ? Sa résonance médiatique ? Ses effets sur la
situation locale, régionale ou mondiale, ou l’unité qui
l’exécute ? En fait, cette action et surtout son résultat
sont à lier à l’effet final obtenu, qu’il soit recherché ou
non12 et c’est bien a posteriori, parfois des mois ou des
années plus tard, notamment pour les opérations de sou-
tien de la paix, que cet effet sera constaté.

Aussi restons modestes dans l’estimation des résultats


de notre propre action et pensons toujours à la replacer
dans un cadre plus général. Au plan tactique, celui qui
concerne la majorité d’entre nous, le “En vue de” de l’in-
tention du cadre d’ordre, avec ce qu’il sous-entend sur
le long terme, est donc plus important que l’effet majeur
décrit dans le “Je veux”, puisqu’il reflète souvent en fili-
grane, même aux niveaux tactiques les plus bas, l’ob-
jectif réel de l’action, avec à terme le retour à une paix
durable.
ecpad/France

1 Voir plus haut “Quelques la doctrine interarmées stratégique et le niveau de l’affaiblissement, la


rappels utiles“. d’emploi des forces. responsabilité est opératif.” neutralisation ou la destruction
2 “Source de puissance, 6 Voir la deuxième partie (Cf Ins 1 000). d’une partie déterminée des
matérielle ou immatérielle, de de la note 2. 9 Avec sa VIe Armée, l’Allemagne forces, du potentiel de combat
l’adversaire d’où il tire sa liberté 7 “Une campagne est une série aurait perdu à Stalingrad ou de la liberté d’action
d’action, sa force physique et sa d’opérations interarmées et 268 900 hommes, dont adverses. La bataille est une
volonté de combattre“. (Cf TTA le plus souvent interalliées 13 000 Roumains et Italiens notion tactique. (Cf Ins 1 000).
106 ou glossaire interarmées). ou multinationales, destinées et 19 300 auxiliaires russes. (Ndlr : Elle est composée
S’applique au niveau à atteindre le but fixé par Cette VIe Armée reconstituée d’engagements, actions des
stratégique ou opératif (Ndlr). le niveau politique (national a été à nouveau entièrement groupements interarmes en vue
“L’atteinte d’un CG de ou multinational) aux forces détruite en août 1944 en de remplir une mission
l’adversaire a un impact majeur armées. Il est donc question Roumanie, lors de la débâcle (tactique)).
sur le déroulement des d’une campagne lorsque, du groupe d’armées “Ukraine 12 “Effet final recherché ou End
opérations. Au niveau pour réaliser l’objectif politique, du Sud“ qui a perdu en quelques State : Situation à obtenir
stratégique, cette atteinte plusieurs objectifs stratégiques jours 610 000 soldats allemands à la fin d’une opération, qui
provoquera son effondrement doivent être atteints, soit et roumains (Vingt et une indique que l’objectif politique a
ou le conduira à la table des simultanément, soit divisions allemandes rayées de été atteint. Note : déterminé au
négociations ; en tout cas, elle successivement”. (Cf Ins 1 000). l’ordre de bataille avec 150 000 niveau politique et stratégique,
le fera renoncer à sa stratégie“. 8 “Un théâtre de campagne tués, 80 000 disparus et 106 000 l’état final recouvre plusieurs
(Cf doctrine d’emploi des forces comprend plusieurs théâtres prisonniers). A comparer aux aspects (juridique, militaire,
- chapitre 4, page 11). d’opération lorsqu’il est effectifs de notre Armée de terre économique, humanitaire,
3 “Objectifs intermédiaires, nécessaire de mener plusieurs actuelle (133 169 militaires) ... social, institutionnel,
matériels ou immatériels, qui, opérations. Plus vaste que 10 Une opération est un ensemble sécuritaire). Inclus dans le
affaiblis ou détruits, rendent le théâtre d’opération, il en est d’actions militaires menées mandat donné aux forces
vulnérable le centre de gravité également différencié par la par une force généralement armées, il est arrêté avant
auquel ils sont associés”. nature des objectifs poursuivis, interarmées, voire interalliée ou la planification de l’opération
(Cf TTA 106 ou glossaire les niveaux de responsabilité multinationale, dans une zone et approuvé par l’autorité
interarmées). S’applique et la zone géographique. géographique déterminée initialisant la planification,
au niveau tactique (Ndlr). Sur le théâtre de campagne, appelée théâtre d’opération, ce qui permet de déterminer
4 Voir à ce sujet l’article du les objectifs sont politiques, en vue d’atteindre un objectif les critères de réussite de
CDT GUÉ dans la rubrique le niveau de responsabilité est stratégique. (Cf Ins 1 000). celle-ci. L’EFR peut évoluer
RETEX. stratégique. Sur un théâtre 11 La bataille est un ensemble avec la situation“. (Cf glossaire
5 Exemple cité dans l’Ins. 1 000, d’opération, l’objectif est d’actions coordonnées visant interarmées).

DOCTRINE N° 07 34 DECEMBRE 2005


étranger
u même titre que toutes les armées de son entourage, l’armée espagnole a dû s’adapter durant la

A dernière décennie à un changement stratégique radical. L’évolution des sociétés, l’apparition de


nouveaux risques et les possibilités que confèrent les nouvelles technologies ont dessiné des
scénarios multiples et complexes. Le maintien de l’efficacité des forces terrestres dans le cadre de ces
nouveaux scénarios dépend de la mise en oeuvre d’une doctrine réaliste et flexible, apte à fournir des
réponses aux enjeux soulevés par l’action interarmées, la multinationalité, et les adversaires asymétriques.
Dans cet article rédigé par le Lieutenant-colonel CALVO ALBERO du MADOC, les principales difficultés
auxquelles est confrontée la doctrine espagnole des forces terrestres aux trois niveaux de la conduite, sont
mises en exergue ; il s’agit de problèmes qui, sans aucun doute, ont beaucoup de points communs avec ceux
que connaît n’importe quelle autre armée européenne.

Général de Corps d’armée Manuel BRETON ROMERO


commandant le Commandement de l’entraînement et
de la doctrine de l’Armée de terre espagnole (MADOC)

Le rôle des forces terrestres


dans la doctrine militaire espagnole aux
niveaux stratégique, opératif et tactique

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL CALVO ALBERO, DU MADOC

es opérations terrestres ont connu une

L profonde transformation durant les


dix dernières années, en raison de
plusieurs facteurs liés entre eux. Il semble
inévitable de parler, en premier lieu des
changements géopolitiques, qui, dans la
pratique, ont évacué la possibilité d’un
conflit conventionnel en Europe. Le scéna-
rio le plus probable pour les forces terrestres
européennes s’est ainsi orienté vers des inter-
ventions à l’extérieur, interventions qui visent
dans une grande mesure à promouvoir la
stabilité davantage qu’à affronter une force
ennemie, et dont l’une des caractéristiques
ADC CHESNEAU/SIRPA Terre

fondamentales est la multinationalité.


Les progrès technologiques ont représenté
un deuxième facteur de changement qui a
bouleversé l’importance relative des fonc-
tions de combat traditionnelles, en aug-
mentant le poids spécifique à la fois du ren-

DECEMBRE 2005 35 DOCTRINE N° 07


seignement et du commandement et du souligner les faiblesses de sociétés pros- l’armée en un instrument plus adapté face
contrôle, et en provoquant en même temps pères, très sensibles vis-à-vis de tout ce au nouvel environnement stratégique. Le
des changements substantiels dans qui porter atteinte à leur mode de vie ; ain- processus de transformation se poursuit
d’autres domaines comme la manœuvre, si que des armées réduites, ayant des dif- actuellement dans le respect des lignes
les appuis feux, ou la logistique. Les nou- ficultés à affronter de longs conflits. établies dans la nouvelle directive de
velles technologies ont permis de discer- Défense nationale de 2004.
ner un nouveau champ de bataille, non Comme c’est également traditionnel, l’en-
linéaire, et caractérisé par l’aisance à accé- nemi potentiel s’est adapté à ces forces Du point de vue doctrinal, les changements
der à l’information et à la gérer de façon et à ces vulnérabilités, en façonnant un ont été également profonds. En 1996, était
adéquate. nouveau type d’affrontement, habituelle- adoptée une nouvelle doctrine d’emploi
Enfin, il est nécessaire d’évoquer les chan- ment qualifié d’asymétrique, qui cherche des forces terrestres, qui prenait en comp-
gements qu’ont connus les sociétés occi- à éviter les premières et à exploiter les te un concept intégré du champ de bataille
dentales, du déclin démographique à la deuxièmes. L’essor du terrorisme inter- dans lequel l’action des forces était celle
consolidation du processus de mondiali- national est la dernière et plus préoccu- d’un seul système. La doctrine fut révisée
sation. L’abandon de la conscription obli- pante manifestation de cette sorte de en 1998 et en 2003, afin de prendre en
gatoire, l’impact créé par les pertes et les conflit. compte à la fois les expériences espagnoles
dégâts occasionnés par les conflits, et l’in- et les concepts développés dans le cadre
fluence des moyens de communication, de l’Alliance atlantique ou d’armées alliées.
sont les conséquences de ces changements L’armée espagnole a lancé un processus Comme conséquence de tout ce qui a été
qui se répercutent notablement sur la de transformation en profondeur pour mentionné, le rôle que la doctrine militai-
conception des opérations terrestres. s’adapter à ces changements. Dans les re espagnole attribue aux forces terrestres
années 90, le Plan NORTE conduisit à une aux différents niveaux de la conduite des
Comme c’est fréquent, ces facteurs se sont modification radicale de l’organisation de opérations (stratégique, opératif et tac-
traduits en nouvelles forces et vulnérabi- l’Armée de terre, un des objectifs étant la tique) s’est sensiblement modifié durant
lités. Parmi les premières, il convient de constitution d’une force projetable et des la dernière décennie. Les modifications ont
souligner la supériorité acquise dans le éléments nécessaires pour la soutenir en affecté de nombreux aspects de l’action
combat conventionnel, issu des avantages opération. Mais le changement le plus signi- des forces terrestres, mais on pourrait
technologiques, dans l’organisation et dans ficatif a été le processus de professionna- considérer que les suivants sont les plus
la doctrine. Parmi les deuxièmes, on peut lisation, achevé en 2001, qui a transformé importants.

ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre


étranger
Au niveau stratégique, la capacité de pro- Ces situations peuvent conduire à devoir Enfin, au niveau tactique, un des enjeux
jection et de soutien des forces en opé- envisager simultanément des opérations pour les forces terrestres est d’éviter la
ration extérieure a remplacé la défense de maîtrise de la violence avec d’autres surcharge doctrinale produite par la décli-
du territoire national comme concept de où l’adversaire à combattre est conven- naison de la plupart des nouveaux
base. Cette capacité s’avère excessive- tionnel, ou asymétrique. La flexibilité des concepts mentionnés au niveau opératif.
ment exigeante, surtout si les opérations forces devient inévitable, et, à cet égard, La tactique doit être une discipline simple
se prolongent. Du point de vue doctrinal, le débat actuel sur la création de forces dans ses énoncés, car son application pra-
la capacité de projection exige la résolu- médianes peut s’avérer d’un grand profit. tique s’avère suffisamment complexe. En
tion de plusieurs problèmes : Par ailleurs, la doctrine terrestre au niveau ce sens, il importe de reconsidérer la net-
opératif est confrontée à deux enjeux te différence entre les niveaux tactique et
- Premièrement, la projection est une capa- notables. L’un d’eux est le fait d’assumer opératif, celle-ci ayant été, d’une certai-
cité interarmées. L’interopérabilité avec l’action interarmées dont la nécessité a ne manière, oubliée ces dernières années
la Marine et l’Armée de l’Air, avec la mise été déjà mentionnée en parlant du niveau en raison des vicissitudes provoquées par
en forme d’un système interarmées de stratégique, mais dont la mise en œuvre la multinationalité.
projection de forces, est une des préoc- s’effectue précisément au niveau opéra-
cupations principales de la doctrine ter- tif. L’intégration d’un grand nombre de Tout indique que les opérations à court et
restre. L’action interarmées a été une nouveaux concepts qui trouvent dans le moyen termes se dérouleront dans le cadre
nécessité évidente depuis la Deuxième niveau opératif leur cadre normal de déve- de scénarios très complexes, où prédo-
Guerre Mondiale, mais, en dépit de cela, loppement est le deuxième enjeu. Parmi mineront les actions dans les zones urba-
sa mise en pratique a été soumise à de ceux-ci, on peut citer les opérations de nisées et les adversaires fuyants qui se
graves difficultés dans toutes les armées l’information, indispensables maintenant diluent dans la population civile. La solu-
occidentales ; et l’armée espagnole n’a que l’information est devenue la clé des tion s’annonce difficile, car il existe des
pas été une exception. opérations militaires ; la coopération civi- contradictions entre la doctrine et la réa-
lo-militaire (CIMIC) et la communication lité. D’une part, il est évident qu’il impor-
- Deuxièmement, la multinationalité s’est locale, qui permettent d’envisager des te de donner une plus grande formation
imposée comme modèle habituel pour l’ac- scénarios complexes, dans lesquels les aux commandements intermédiaires et
tion militaire à l’extérieur. Bien que cette forces militaires doivent intégrer leurs acti- aux petites unités, et de leur accorder plus
situation fournisse des avantages poli- vités avec d’autres acteurs ; les opérations d’initiative, mais, d’autre part, les possi-
tiques et militaires indéniables, elle n’est basées sur les effets, qui reprennent l’idée bilités des nouveaux systèmes d’infor-
pas non plus exempte de problèmes. d’économie des efforts, obtenue grâce à mation, et l’omniprésence des moyens de
L’interopérabilité des procédures doctri- l’intégration de tous les outils disponibles communication des médias conduisent
nales revêt une importance capitale. Mais et à la volonté d’abattre l’adversaire dans fréquemment les échelons de comman-
d’autres questions n’en sont pas moins le domaine psychologique plus que dans dement supérieurs à exercer un contrôle
importantes, comme celle de savoir jusqu’à le physique ; ou la capacité d’action en ferme sur leurs subordonnés. Dépasser
quel niveau doit s’effectuer la multinatio- réseau qui suppose une mise à profit cette contradiction représente un des prin-
nalité dans la composition des forces, ou optimale des possibilités que génèrent cipaux défis doctrinaux pour les décen-
comment éviter que les postes de com- les technologies de l’information. nies à venir.
mandement multinationaux se transfor-
ment en des organismes démesurés et
lourds. L’Armée de terre espagnole main-
tient la doctrine de l’OTAN comme référen-
ce principale permettant de réussir l’inter- En définitive, l’Armée de terre espagnole est confrontée à des
opérabilité dans son action extérieure.
problèmes doctrinaux très semblables à ceux des autres armées, et
- Enfin, il faut rappeler qu’il reste impéra-
tif de concilier la capacité de projection considère la coopération et l’échange d’idées avec elles comme un des
avec les besoins de la défense territo-
riale, issus de la situation géographique moyens fondamentaux pour l’élaboration de la doctrine à tous les
du territoire national et de la possibilité
d’action d’éléments terroristes interna- niveaux de la conduite. Le mot clé pour l’avenir est la
tionaux sur ce même territoire. Une doc-
trine qui prend en compte les deux types “ transformation ”, même s’il convient de se demander si la
de scénarios est donc nécessaire.
transformation, ou peut-être l’adaptation, n’a pas toujours été une
Au niveau opératif, les efforts les plus
importants s’orientent vers l’organisa- constante dans l’art militaire.
tion et les procédures d’emploi de forces
opérationnelles qui seront confrontées à
des situations très variées et complexes.

DECEMBRE 2005 37 DOCTRINE N° 07


L’Armée de terre allemande
sur la route du futur
PAR LE GÉNÉRAL DE BRIGADE REINHARD KAMMERER, CHEF DE LA DIVISION DÉVELOPPEMENT DU COMMANDEMENT
DE LA FORMATION, DE LA DOCTRINE ET DU DÉVELOPPEMENT DE L’ARMÉE DE TERRE ALLEMANDE À
COLOGNE (HEERESAMT)

unique en son genre. Les tâches de la Bundeswehr


Actuellement et dans un
avenir prévisible, la zone Les forces armées allemandes, elles aus-
Centre Europe n’est pas si, doivent se confronter aux modifications
menacée par des forces de l’environnement de sécurité. Les tâches
armées convention- confiées à la Bundeswehr, passant de mis-
nelles. Néanmoins, les sions exclusivement axées sur la défense
effets déstabilisants du territoire à des missions opération-
engendrés par les crises nelles en témoignent clairement. La tâche
et les conflits régionaux, prioritaire et actuellement la plus probable
même ceux sévissant de la Bundeswehr est la prévention des
dans des zones très éloi- conflits et la gestion des crises à l’échel-
gnées, le terrorisme inter- le internationale, y compris la lutte contre
national et la proliféra- le terrorisme international.
tion des armes de
destruction massive Les autres tâches sont le soutien des parte-
constituent des facteurs naires de l’Alliance, la protection de
de risque de plus en plus l’Allemagne et de ses citoyens, le sauvetage
grands pour la sécurité et l’évacuation des ressortissants, le parte-
des pays membres de nariat et la coopération, ainsi que les pres-
l’OTAN et de l’Union tations d’assistance sur le territoire national
européenne. et à l’étranger.
BCH S. CHANTEMARGUE/DICOD

La Bundeswehr opérationnelle
L’Allemagne fait face à
ces défis et à ces La participation d’environ 7 000 militaires
risques en matière de allemands, hommes et femmes, dont 3 500
sécurité par la mise en appartenant à l’Armée de terre, entre autres
œuvre d’une politique aux opérations en Afghanistan et au Kosovo
de sécurité préventive, (la Bundeswehr y est le plus gros contribu-
Les paramètres prévalant concertée au niveau international et inter- teur), en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine,
en matière de politique de sécurité ministérielle. La préservation de la sécu- en Géorgie, dans la Corne de l’Afrique ainsi
rité à l’échelle multinationale dans le cadre que dans les régions d’Asie du Sud-Est en
de l’architecture de sécurité que sont les proie aux catastrophes fait ressortir claire-
L’environnement de sécurité allemand s’est Nations Unies, l’OTAN, l’Union européen- ment l’importance que revêtent les nouvelles
radicalement transformé depuis le début des ne et l’OSCE de même que le partenariat missions.
années 90. L’élargissement de l’OTAN et de transatlantique en constituent les fonde-
l’Union européenne, de même que la nou- ments essentiels. C’est dans ce contexte Cependant, ces opérations sont réalisées à
velle orientation de la Russie en matière de qu’est recherchée à long terme la création partir d’une structure des forces armées qui
politique étrangère ont permis la création d’une union de sécurité et de défense ont pour vocation principale la défense du
d’un espace de stabilité euro-atlantique européenne. territoire national. Le changement de natu-

DOCTRINE N° 07 38 DECEMBRE 2005


étranger
re des menaces de même que la pénurie des crivent dans un environnement multina- de stabilisation doivent être à même de s’im-
ressources rendent indispensables une tional de guerre réseau-centrée, l’Armée poser tant face à un adversaire organisé en
réorientation de cette structure et la mise de terre constituant le bénéficiaire princi- partie militairement que face à des forces
en place de capacités jusque là inexistantes. pal de ces feux ; asymétriques. Elles doivent être en mesure
• mise en place d’unités de reconnaissance de s’imposer en cas d’escalade de la situa-
qui englobent les capacités d’observation tion.
Le nouveau profil capacitaire aérienne sans pilote et terrestre, de ren- Ceci exige la capacité d’engagement des uni-
seignement de campagne et de recon- tés interarmes et une aptitude suffisante au
La réorientation systématique de la naissance lointaine. combat interarmes à l’échelon bataillon ou
Bundeswehr vers les opérations de préven- régiment. De plus, la capacité de mener des
tion des conflits et de gestion des crises, y opérations en milieu urbain revêt une impor-
compris la lutte contre le terrorisme inter- Catégories de forces tance considérable. Les forces de stabilisa-
national, exige l’établissement d’un profil de tion ne pouvant essentiellement remplir leurs
capacités adapté. La Bundeswehr et, par- La Bundeswehr et, partant l’Armée de terre, missions que dans un périmètre réduit et
tant, l’Armée de terre au premier chef, ont seront divisées d’ici 2010 en trois catégo- adossées à une zone urbaine, la capacité de
besoin de forces dont la disponibilité opé- ries de forces de manière à réaliser le profil produire des effets précis et appropriés contre
rationnelle et les capacités varient en fonc- de capacités requis : les forces d’interven- des objectifs terrestres sera une grande prio-
tion de leur mission et qui sont susceptibles tion, les forces de stabilisation et les forces rité, outre la protection individuelle des forces
d’être engagées avec rapidité, de concert de soutien. engagées dans ce milieu et en complément
avec les forces armées d’autres nations tout de celle-ci.
en étant à même de conquérir la supériori- Les forces d’intervention de l’Armée de ter-
té opérationnelle et en étant capables de re doivent être à même de mener des opé- La mission principale des forces de soutien
durer. A cet effet, la Bundeswehr devra se rations multinationales interarmées et consiste à assurer de manière globale le
doter d’un profil capacitaire comprenant six réseau-centrées dans toute la gamme des soutien des forces d’intervention et de sta-
catégories de capacités de même niveau missions, y compris les opérations des forces bilisation lors de la préparation et de la
imbriquées entre elles. spéciales et les opérations à caractère spé- conduite opérationnelle, tant en Allemagne
• capacité de commandement ; cial, les opérations en milieu urbain revêtant que sur les théâtres d’opération. Comptent,
• recherche du renseignement ; une importance croissante. Les forces d’in- entre autres, au nombre de ces missions de
• mobilité ; tervention de l’Armée de terre contribuent à soutien opérationnel interarmées devant être
• efficacité dans l’engagement ; l’application des mesures d’imposition de la remplies à tous les degrés d’intensité dans
• soutien et capacité de durer ; paix face à un adversaire dont les structures l’optique de durer, le renseignement, le sou-
• ainsi que survivabilité et protection. sont essentiellement militaires tout en limi- tien en matière géographique, le soutien san-
tant au maximum les pertes amies. Elles ont té, la logistique, l’aide au commandement,
notamment la capacité de mener la guerre la lutte anti-incendie et la neutralisation des
La réalisation de programmes individuels infocentrée dans le cadre d’opérations mul- munitions explosives. Les forces de soutien
confère à ces catégories de capacités plutôt tinationales de haute intensité ainsi que des continuent d’assurer l’instruction, l’entraî-
abstraites des contours plus nets ; voici opérations de sauvetage et d’évacuation. nement et la disponibilité opérationnelle des
quelques exemples de création de nouvelles Elles sont particulièrement aptes à agir à dis- forces d’intervention et de stabilisation, de
capacités : tance avec précision et profitent des capaci- même que le soutien opérationnel des uni-
tés des unités aéromobiles ainsi que des sys- tés dans les garnisons allemandes et l’orga-
• mise en place et développement de la capa- tèmes à longue portée de l’artillerie de nisation de la formation initiale.
cité de mener la guerre réseau-centrée ; manière à projeter rapidement leur poten-
• création et développement de la capacité tiel de combat, à varianter rapidement leurs Les forces de soutien sont tenues à disposi-
de projection stratégique et opérative grâ- efforts et à contribuer aux opérations inter- tion principalement au sein du service de
ce à l’Airbus A-400 ainsi que de l’aéromo- armées dans la zone d’engagement. Elles soutien interarmées, un domaine organisa-
bilité tactique grâce aux hélicoptères TIGRE doivent être en mesure de mener des opé- tionnel militaire à part entière jouant le rôle
et NH-90 ; rations initiales et finales rapides. de “pool” interarmées. Il s’en suit que les
• mise en place d’un nouvel élément opé- unités des forces terrestres allemandes n’ap-
ratif avec la brigade aéromobile qui per- Les forces de stabilisationde l’Armée de ter- partiennent pas toutes à l’Armée de terre.
met, avec des hélicoptères de combat et re doivent être aptes à mener des opérations Mais compte tenu du fait que seules les uni-
d’appui, le déploiement en force dans la multinationales interarmées de moyenne tés de l’Armée de terre sont optimisées pour
profondeur du dispositif ennemi d’unités et basse intensité ainsi que des opérations ne mener que des opérations terrestres, l’Ar-
d’infanterie légère rapidement projetables ; à caractère spécial. Elles fournissent sur le mée de terre, dans le cas d’une contribution
• développement du rôle de l’Armée de ter- plan capacitaire une contribution essentiel- allemande à des opérations terrestres mul-
re dans le cadre des feux interarmées (Joint le aux opérations de longue durée sur le lar- tinationales, continuera de fournir le gros
Fires) qui, en tant que feux concertés déli- ge éventail des mesures de stabilisation de des unités, assumant ainsi les fonctions
vrés par toutes les composantes des forces la paix. Ces opérations sont les plus pro- essentielles dévolues aux forces terrestres
contre des cibles situées dans toutes les bables et conditionnent de façon fonda- et devenant le protagoniste principal des
dimensions du champ de bataille, s’ins- mentale la réalité opérationnelle. Les forces opérations terrestres.

DECEMBRE 2005 39 DOCTRINE N° 07


Cependant, les unités de l’Armée de terre ne Pour toutes les catégories de forces, il sera Structure de l’Armée de terre
peuvent remplir en opération leur mission indispensable d’assurer une formation
qu’en étroite coopération avec les unités homogène des chefs au niveau tactique, Sur la base de ce qui a été dit, les effectifs
d’autres contributeurs (joint et/ou combi- (incluant l’apprentissage des principes du totaux de la Bundeswehr s’élèveront dans
ned). Ceci demande l’élaboration de concepts combat interarmes en tant qu’outil de tout la nouvelle structure à 252 500 hommes.
et principes communs de même que l’har- chef militaire, comme fondement du pro- L’Armée de terre en tant qu’armée la plus
monisation des procédures, tant au niveau cessus de commandement et également importante en personnel en alignera 105 000
national qu’international. comme lien entre le commandement, le répartis dans les trois catégories de forces.1
renseignement et l’efficacité opération-
nelle dans le cadre de la planification et
L’interdépendance opérationnelle de la conduite), d’utiliser des technolo-
gies permettant l’interopérabilité dans Perspectives
La répartition en ces trois catégories de forces le domaine du traitement et de la trans-
appelle une instruction et un équipement mission de l’information de l’information Les opérations menées dans le cadre de la
variant selon les missions de même qu’une ainsi que d’élaborer des procédures de prévention des conflits et de la gestion des
optimisation des capacités orientée vers l’en- commandement compatibles entre elles. crises, y compris la lutte contre le terrorisme
gagement probable à un moment donné, La prise en charge de missions sur une international, détermineront à l’avenir la réa-
qu’il s’agisse d’une opération de haute inten- base mutuelle suppose des équipements lité opérationnelle. La nécessité de n’affron-
sité (forces d’intervention) ou d’une opéra- et des matériels compatibles, mais pas ter les défis qui en découlent que dans un
tion de stabilisation de la paix de bas niveau nécessairement identiques permettant un environnement interarmées et multinatio-
d’intensité (forces de stabilisation). engagement interarmées et multinatio- nal entraîne une réorientation intégrale de
La complexité croissante et l’alternance rapi- nal. l’Armée de terre allemande. Celle-ci n’en est
de des situations opérationnelles de l’ave- qu’au début du processus de transformation
nir de même que la disponibilité limitée des mis en chantier, dont la flexibilité et la capa-
forces demandent qu’ait lieu entre les forces L’osmose entre les trois catégories de cité d’adaptation aux nouveaux défis consti-
d’intervention et de stabilisation un échan- forces doit être systématiquement assu- tueront les paramètres déterminants.
ge axé sur les capacités. Par “interdépen- rée dans le domaine du personnel par la
dance opérationnelle” sont dénotées la formation des cadres, partiellement par
conception commune et la coopération des l’instruction en corps de troupe ainsi que
états-majors et des unités des deux catégo- par une coopération étroite lors des acti-
1 Explication des abréviations utilisées sur le schéma :
ries de forces en opération. vités d’entraînement. Ce n’est qu’à cette KdoOpFüEingrKr - Commandement opérationnel des
condition que l’Armée de terre alleman- forces d’intervention ; HFüKdo - Commandement des
de conservera la souplesse nécessaire lui forces terrestres ; HA - Commandement de la forma-
tion, de la doctrine et du développement de l’Armée de
Aussi ces dernières doivent-elles disposer permettant de réagir rapidement aux évo- terre ; DLO - Division aéromobile ; LBB - Brigade aéro-
des capacités leur permettant : lutions de la situation et d’homogénéiser mobile ; HTr - Unités de soutien et d’appui de l’Armée
• d’opérer dans un environnement multina- tant la formation que le niveau de moti- de terre ; DSO - Division des opérations spéciales.

tional (combined operations) ; vation de ses personnels.


• de coopérer avec les unités d’autres armées,
avec le service de soutien interarmées et
le service de santé (joint operations) ;
• de réagir rapidement de façon crédible et
appropriée à des situations fluctuantes -
tant en mode “escalade” qu’en mode
“désescalade”, ainsi que de
• conduire avec souplesse et rapidité les mis-
sions imparties en dotant les unités amies
de la protection maximale et des moyens
d’acquérir la supériorité opérationnelle pour
ainsi déboucher sur le succès.

Les forces d’intervention, de stabilisation et


de soutien doivent, indépendamment de leur
catégorie respective, avoir une conception
identique de la doctrine et bénéficier, pour
ce qui est des chefs et des futurs cadres,
d’une formation initiale et continue globale
qui repose sur des principes communs.
L’instruction des unités et les activités d’en-
traînement devront donc être harmonisées.

DOCTRINE N° 07 40 DECEMBRE 2005


étranger
La permanence du besoin en forces terrestres :
souplesse et capacité d’adaptation
aux opérations interarmées
PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION MICHAEL A. VANE ET LE COLONEL ROBERT M. TOGUCHI DE L’ARMÉE DE TERRE AMÉRICAINE

Avant-propos1

ujourd’hui les Etats-Unis et leurs alliés ont à faire face à une large gamme de menaces qui entraînent une

A quantité de conditions d’opérations plus complexes que précédemment. Bien que ces conditions requièrent
des adaptations de la façon de penser et d’opérer, les permanences dans l’art de la guerre font que les
forces terrestres restent le cœur de toute campagne militaire cohérente et réussie. La nature fondamentale de
la guerre n’a pas changé - comme Clausewitz nous le rappelle, une fois que des êtres humains se lancent dans
le domaine de la violence organisée à des fins politiques, ils pénètrent dans une dynamique tout à fait
différente, celle du combat. Et au combat, la capacité de dominer un adversaire sur le terrain demeure la
condition sine qua non du succès militaire à la poursuite d’objectifs politiques.

Ce qui ne veut pas dire que les conditions de la guerre n’ont pas changé - comme elles l’ont toujours fait. Avec
l’émergence de forces aériennes et spatiales extrêmement puissantes - qui participent à renforcer les
composantes maritimes et terrestres traditionnelles, des concepts comme ceux de frappes de précision et de
manœuvre dominatrice, qui reposent sur une maîtrise la plus totale possible de l’information et de ses
technologies, deviennent caractéristiques des opérations interarmées modernes. Mais même si elles ne
constituent qu’un élément parmi un ensemble de moyens de combat souples et ultrasophistiqués, les forces
terrestres n’en demeurent pas moins l’ultime arbitre des combats.

Plutôt que de réagir au bouleversement de l’environnement stratégique, l’US Army (Armée de terre des Etats-
Unis) tend à tirer profit d’une chance qui s’offre à elle au niveau stratégique et a commencé par lancer un plan
dynamique de transformation basé sur quatre stratégies liées les unes aux autres. L’une d’entre elles qui
consiste à fournir aux commandements opérationnels une force de combat terrestre adéquate et
immédiatement disponible, inclut l’effort de transformation principal, à savoir la création d’une force modulaire.

L’US Army est en train de développer une force opérationnelle ayant des capacités interarmées et de corps
expéditionnaire et de la faire évoluer en une force de type modulaire, interdépendante avec les composantes
air et mer afin de permettre une synergie de l’ensemble telle que les capacités de la force interarmées
résultante seront supérieures à la somme des capacités de ses composantes. La force modulaire de l’Army
comprendra des unités bâties en fonction des capacités requises et qui consistent en des éléments
standardisés, faciles à renforcer, à réorganiser en fonction des missions, à découper en éléments de base
(concept “ plug and play ”) pour réaliser des déploiements opérationnels tout en leur garantissant l’aptitude
à durer afin de pouvoir obtenir le succès lors de combats terrestres.

Février 2005 Général (2S) Gordon R. SULLIVAN


Président de l’Association de l’US. Army (AUSA)

Ce qui suit est un résumé de l’étude intitulée “The Enduring Relevance of Landpower : Flexibility and Adaptability
for Joint Campaigns” rédigée par le Général de division Michael A. Vane (U.S. Army), et le Colonel Robert M.
Toguchi (U.S. Army), publiée en octobre 2003 sous la référence “Land Warfare Paper 44” par l’Institut d’étude
sur le combat terrestre de l’Association de l’Armée de Terre des Etats-Unis (AUSA)*.

DECEMBRE 2005 41 DOCTRINE N° 07


conservant la capacité de mener rapi-
Introduction dement et de façon décentralisée des
Les forces terrestres doivent changer pour opérations aéroterrestres interarmes
s’adapter aux défis du siècle qui com- dans la durée,
mence. Elles doivent être capables d’agir • des opérations continues, de jour com-
dans toutes les dimensions, de prévenir, me de nuit, dans des conditions de ter-
protéger et répondre efficacement aux rains complexes variés, ouvert ou non.
attaques qui pourraient être menées par
des forces conventionnelles ou non, par
des terroristes ainsi qu’à d’autres types Cette aptitude à conduire une manœuvre
de menaces, dans des zones géogra- dominatrice sur l’ensemble de la zone des
phiques très diverses qui incluent le Moyen combats devra permettre de disloquer, et
Orient et le Golfe Persique, l’Asie du Nord de faire disparaître la cohérence de la capa-
Est et du Sud, ainsi que les zones d’in- cité à résister de n’importe quel ennemi.
stabilité de l’Afrique sub-saharienne et de Au combat, les unités de niveau tactique
l’Amérique Latine. L’urbanisation gran- de l’Army seront capables de manœuvrer
dissante de beaucoup de ces régions sou- en position de force. Elles seront capables
ligne la nécessité d’avoir des forces ter- d’engager les forces ennemies au-delà de
restres souples et adaptables, capables la portée de leurs armes, de les détruire
d’opérer dans des environnements variés. par des feux de précision et la manœuvre
et, quand cela sera nécessaire, de lancer
Afin d’atteindre les objectifs politiques sur elles un assaut tactique au moment et
des Etats-Unis relayés par la stratégie à l’endroit de leur choix.
de sécurité nationale, l’US Army est en
train de se transformer en une force de
manœuvre aéroterrestre, intégrée, et Concepts interarmées
interdépendante avec les autres armées
(Air Force, Navy, Marines). Au sein de ce Le besoin d’une capacité de réponse de
grand ensemble interarmées, l’Army niveau stratégique à tous moments d’une
(Armée de terre) fournira aux comman- opération, depuis le déploiement jusqu’au
dements opérationnels une capacité ter- redéploiement en passant par toutes les
restre décisive pour leur permettre de phases décisives fait partie intégrante de ces
conduire : concepts. L’aptitude à pouvoir prendre rapi-
• une manœuvre opérationnelle à une dement l’initiative, illustrée lors de l’opéra-
distance stratégique, tion Iraqi Freedom est également essentiel-
• un déploiement utilisant des points le. Durant cette opération, les forces militaires
d’entrée multiples sur le théâtre tout en US ont rapidement acquis la domination
aérienne, et la phase terrestre a commencé
le troisième jour après le début de l’opéra-
tions. Cela s’est poursuivi par une manœuvre
dominatrice sans précédent menée par les
forces terrestres en conjonction avec des
frappes de précision massives depuis les airs
et depuis d’autres endroits qui s’est soldée
par l’arrivée des forces américaines au centre
de Bagdad en 20 jours.

Les capacités des forces terrestres pro-


curent aux commandants de terrain une
quantité d’options stratégiques et d’ou-
tils. L’histoire militaire américaine regor-
ge d’exemple de la capacité des forces ter-
restres à mener avec succès des combats
contre des menaces asymétriques ambi-
guës même lors de conflits qui s’éterni-
saient. Les forces terrestres sont capables
d’opérer sur des terrains difficiles, d’inté-
US Army

grer les capacités offertes par une coali-


étranger
tion, de maintenir, si nécessaire, une pré- Les forces terrestres constituent égale- La mise sur pied dans un futur proche de
sence sur le terrain, et de présenter des ment un élément catalyseur pour les opé- la Stryker Brigade Combat Team2 est en
types d’organisations souples et adap- rations menées au sein de coalitions. train d’ améliorer considérablement les
tables permettant d’accomplir une gran- Pratiquement tous les alliés et adversaires capacités de réponse stratégiques des
de variété de missions couvrant l’ensemble potentiels des Etats-Unis ont à leur dis- Etats-Unis. Aujourd’hui comme demain,
de la gamme des opérations. position des forces terrestres de différents les brigades blindées Stryker, capables
types. Les forces terrestres américaines d’apporter une réponse stratégique dans
sont le seul moyen qui permette de nouer toute la gamme des opérations possibles,
Les compétences essentielles des relations avec ces militaires étrangers modulaires en composition et en taille, et
sur le terrain, là où en commun ils ren- possédant une grande capacité de
des forces terrestres contrent les chefs politiques et militaires, manœuvre, ces brigades pourront arriver
où ils forment les administrateurs, les édu- sur un théâtre en quelques jours au lieu
Les missions des forces terrestres améri- cateurs, les policiers, là où ils se mêlent de plusieurs semaines et elles donneront
caines incluent la défense du territoire avec les populations et acquièrent une aux commandants interarmées des avan-
national, les opérations au profit des com- connaissance de la culture et de la géo- tages incomparables.
mandants opérationnels telles qu’elles en graphie de la région. De la même façon
conduisent actuellement dans le cadre de les forces terrestres interagissent avec les La future force de l’Army, en devenant la
la “guerre globale contre le terrorisme” organisations gouvernementales intermi- clé de voûte de la dissuasion terrestre de
et la préparation en vue d’autres missions nistérielles et les organisations non gou- théâtre accroîtra encore la capacité de
qui leur sont assignées dans le cadre de vernementales qui travaillent sur le terrain réponse stratégique de la force terrestre.
la défense des intérêts nationaux des pour remédier aux conséquences des Sans force terrestre, la dissuasion est pro-
Etats-Unis. Tout ceci doit se poursuivre conflits ou des désastres. Lorsque des blématique. Le facteur temps a toujours
pendant le processus de transformation. conflits naissent, les forces terrestres ont un rôle important au combat. Lorsqu’une
Les compétences essentielles des forces un avantage certain en raison de leur expé- crise apparaît, l’adversaire tente souvent
terrestres sont indispensables pour l’ac- rience du pays qui les rend mieux à même de faire mouvement rapidement afin d’être
complissement de ces missions de défen- de mener des opérations extrêmement pré- prêt à empêcher toute entrée sur le
se nationale. cises afin de se saisir, d’isoler ou de sécu- théâtre. Afin de parer à cette éventualité,
riser des objectifs adverses. Le fait d’être il sera essentiel pour toute campagne
Organiser l’environnement international familiarisé avec une zone étrangère pour- interarmées d’être capable de prendre et
de sécurité est l’une des compétences ra également faciliter l’accomplissement de pourvoir garder l’initiative. Le fait de
essentielles des forces terrestres. Dans de missions qui seraient menées dans un mettre en œuvre une vaste gamme de
de nombreuses occasions, la seule pré- cadre qui ne serait pas celui des combats. capacités interarmées dans les trois
sence de forces terrestres permet de dis- dimensions afin de pouvoir répondre rapi-
suader des menaces ou des crises régio- Une seconde compétence essentielle est dement à un niveau stratégique est bien
nales potentielles. On peut envisager, par celle qui permet de fournir une réponse préférable à la mise en œuvre de solution
exemple, un tout autre cours de l’histoi- rapide de niveau stratégique. Par le fait unidimensionnelle quand il s’agit de neu-
re si les forces terrestres alliées étaient qu’elles soient prêtes à fournir ce genre traliser les avantages temps et terrain
restées en Allemagne après la Première de réponse, les forces terrestres consti- qu’un ennemi serait à même d’acquérir
Guerre mondiale comme elles l’ont fait tuent un élément de dissuasion dans le rapidement. De la même façon, si elles
après la Seconde. On peut aussi consi- domaine terrestre. Nombreux sont ceux acquièrent une meilleure capacité de
dérer quelles auraient pu être les consé- parmi les adversaires potentiels qui croient réponse au niveau stratégique, les forces
quences si la présence de forces terrestres que les Etats-Unis n’ont pas la volonté ni des Etats-Unis obtiendront un avantage
suffisantes n’avait pas été une des l’engagement moral suffisant pour placer décisif leur permettant de menacer ou
constantes de notre posture de défense des troupes de combat sur un terrain dans d’attaquer les centres de gravités enne-
au cours de la seconde moitié du 20e siècle une situation à risques. Cette apparente mis et leurs points décisifs vulnérables
et des premières années du 21e, en parti- répugnance à engager des forces fait par- afin de les disloquer et de les détruire.
culier dans des endroits comme la Corée. fois croire, aux amis comme aux ennemis, Des forces terrestres rapidement
Organiser l’environnement de sécurité au que les Etats-Unis sont faibles. Des forces déployables donnent au commandant
travers d’activités de présence et d’enga- terrestres déployables rapidement appor- interarmées une telle capacité, en outre
gements est particulièrement efficace tent une extraordinaire souplesse et une elles présentent de nombreuses options
puisque cela rassure les alliés et démontre capacité d’adaptation qui permettent de quant aux opérations d’entrée sur le
l’engagement fort et durable des Etats- renforcer la perception que l’on peut avoir théâtre ou de préparation, permettant ain-
Unis. Cet engagement confirme notre cré- de la détermination et de la volonté d’en- si une transition plus rapide vers les opé-
dibilité et montre que les Etats-Unis gagement des Etats-Unis. La présence rations décisives.
demeureront impliqués dans le maintien d’une force terrestre crédible peut servir
de la paix et de la sécurité régionale. Les à surveiller et si besoin à faire évoluer dans De nouvelles capacités rendent les forces
forces terrestres ont été et continueront le bon sens une situation qui serait opérationnelles plus aptes à réagir. Grâce
à être le moyen principal et indispensable instable et qui risquerait de se transfor- à la mise en œuvre rationnelle d’un pré
pour organiser l’environnement de sécurité. mer en guerre généralisée. positionnement d’équipement sur mer et

DECEMBRE 2005 43 DOCTRINE N° 07


US Army
à terre, grâce à leurs capacités d’auto- des ressources supplémentaires en
déploiement, de transport par voie mari- matière de personnel ; ceci constitue une
time et aérienne, les forces terrestres sont autre de leurs compétences essentielles.
capables de mettre rapidement des La composante réserve peut fournir au com-
troupes au sol n’importe où dans le mon- mandement national une souplesse accrue
de. Les commandants de forces terrestres afin de lui permettre d’adapter d’une façon
comprennent bien entendu l’importance adéquate les forces à des circonstances qui
de la valeur que peuvent apporter les com- évoluent et d’en augmenter le volume si
posantes aériennes et maritimes aux nécessaire en cas d’opérations qui se pro-
réponses de niveau stratégiques. C’est longeraient dans le temps. Depuis 1990, par
pourquoi ils travaillent avec ardeur à pro- exemple, des soldats appartenant à la réser-
mouvoir l’interdépendance qui permet de ve de l’Army ont été déployés lors de chacu-
transcender l’exclusivité des compétences ne des opérations menées par les Etats-Unis.
de l’une ou l’autre des armées afin de réa- Plus de 84 000 soldats - citoyens américains
liser une synergie interarmes et interar- ont pris part à la guerre du Golfe (90-91), et
mées. Les forces terrestres dépendent quelques 30 000 réservistes de l’Army ont
dans une large mesure des capacités de servi en tant que “bâtisseurs de nations” en
transport fournies par l’Air Force et la Navy. Bosnie et au Kosovo. Depuis les attaques ter-
Mais, une fois arrivées, ce sont tout de roristes du 11 septembre 2001, 75 000 réser-
même ces forces qui marquent la pré- vistes de l’Army ont été engagés dans les
sence, qui occupent, qui prennent pos- opérations de “guerre globale au terroris-
session, qui contrôlent ou détruisent. Les me”, et près de 8 000 réservistes de l’Army
missiles sont capables d’interdire, mais ont été déployés pour l’opération “ Iraqi
seules les unités à terre peuvent à la fois Freedom”3
détruire et occuper.
La capacité à conduire des opérations
Lorsque le besoin s’en fait sentir, les d’entrée en force sur un théâtre consti-
forces terrestres sont à même de mobi- tue une autre compétence essentielle des
liser des réserves pour créer rapidement forces terrestres.

DOCTRINE N° 07 44 DECEMBRE 2005


étranger
présentent une quantité de capacités
Quand on étudie la nature des combats essentielles au soutien des autorités civiles

( de l’ère moderne, on s’aperçoit qu’ils ne peuvent


être qu’interarmées. ) en cas d’événements dans les domaines
des affaires intérieures et internationales.
Ces capacités contribuent à protéger les
gens et les infrastructures et à les prépa-
rer à des crises éventuelles. En cas de
Des forces terrestres capables d’agir dans longue période de temps. Les forces désastre national majeur, le soutien aux
plusieurs dimensions fournissent aux com- aériennes ne peuvent pas rester fixes en autorités civiles est considéré comme étant
mandants opérationnels une capacité d’en- position. Une fois que les appareils n’ont une mission militaire primordiale.
trée en force qui renforce les aptitudes inter- plus de carburant et de munitions, ils doi-
armées et permettent d’obtenir un effet de vent se désengager et être remplacés ou
surprise aux niveaux tactiques et opératifs. ravitaillés et réarmés. Les forces terrestres
Les forces terrestres peuvent également se sont prévues pour être soutenues sur pla-
saisir d’objectifs multiples de façon simul- ce sans avoir à quitter le voisinage immé- Le combat moderne
tanée et rendre ainsi plus difficile toute ten- diat du champ de bataille, elles peuvent est un combat interarmées
tative de réaction de l’adversaire. Enfin, les donc continuer à délivrer leur puissance de
opérations d’entrée en force procurent à la feu et à manœuvrer en vue de contrôler l’es-
force la protection dont elle a besoin pour pace terrestre et les actions de l’ennemi. Quand on étudie la nature des combats
conquérir, sécuriser et conserver des bases de l’ère moderne, on s’aperçoit qu’ils ne
opérationnelles avancées vitales pour la sui- peuvent être qu’interarmées.
te des opérations. A notre époque, où l’information est omni- Joint Publication 1, Joint Warfare of the
présente et alors que le public montre une Armed Forces of the United States4
sensibilité accrue et une inquiétude pour
Une cinquième compétence essentielle est tout ce qui concerne les dommages col- Les commandants de forces interarmées
celle qui permet à la force de conserver la latéraux, ce sont les forces présentes sur ont besoin de forces capables d’agir dans
domination terrestre et d’obtenir une déci- le terrain qui sont les mieux à même de les trois dimensions - ce qui inclut bien
sion durable. faire la différence entre combattants et entendu les forces terrestres - au sein d’un
non combattants, d’identifier les objectifs ensemble interarmées équilibré. Les forces
Une telle décision se produit quand les protégés comme les églises et les monu- terrestres fournissent la souplesse opé-
chefs arrivent à gagner des victoires déci- ments nationaux. Ceci est rendu possible rationnelle permettant d’adapter l’appli-
sives grâce à des combats rapprochés qui par le fait que les forces terrestres peu- cation de la puissance de combat à chaque
annihilent la volonté de résister de l’enne- vent parcourir le terrain, observer les traits type d’environnement, à chacune des
mi. Au cours d’opérations terrestres, l’ob- marquants, apprécier les particularismes phases d’un conflit et à chacune des situa-
tention d’une décision finale requiert la et les menaces locales, et réagir de façon tions opérationnelles. En raison de leur
capacité de conquérir, d’occuper, de conser- adéquate. Il est bien sûr que dans la cha- capacité d’adaptation intrinsèque, les
ver ou de contrôler le terrain, les hommes leur de la bataille, des erreurs peuvent forces terrestres fournissent de nom-
et les ressources par des destructions ou survenir mais, le plus souvent, il n’y a que breuses options ainsi que les meilleures
par une présence sur ce terrain ou par une les hommes sur le terrain qui soient capacités possibles pour accomplir des
combinaison des deux. Seuls des soldats capables de choisir les bonnes cibles et actions modulées qui vont bien plus loin
présents sur le terrain permettent de contrô- d’évaluer les effets des combats. Le que la seule destruction par le feu (par
ler l’environnement terrestre en s’assurant meilleur capteur demeure l’être humain exemple, l’objectif opérationnel consis-
qu’il n’existe pas un emplacement ou pas sur le terrain. tant à contrôler les points de franchisse-
une force qui soit hors d’atteinte de la for- ment du Tigre et de l’Euphrate). Les feux
ce terrestre. Lors de certains conflits, la Les forces terrestres sont aussi capables interarmées ne peuvent apporter qu’un
décision finale peut souvent nécessiter d’établir puis de maintenir un certain niveau seul type de solution pour détruire les
d’être capable de détruire certaines forces de stabilité à l’issue d’un conflit afin de per- sites en question. Alors que les forces ter-
spécifiques d’un régime politique (par mettre que la décision obtenue devienne restres peuvent les détruire, les rendre
exemple les forces terrestres de l’ennemi, sa durable. L’Army a à sa disposition un vas- inutilisables pour une certaine période de
police, ses unités de sécurité) avec précision. te éventail de sapeurs, de transporteurs, temps, en assurer le contrôle, les défendre,
Une telle décision peut être rapide mais elle de personnels du service de santé, des les utiliser ou en interdire l’utilisation, ou
peut ne pas garantir l’obtention des résul- affaires civiles, des opérations psycholo- alors mettre en place des moyens de fran-
tats finaux politiques souhaités pour la cam- giques, des transmissions ainsi que d’autres chissements temporaires pour les rem-
pagne ou la guerre. Des frappes de précision disciplines, tous nécessaires aux opéra- placer ou en augmenter la capacité. Les
à distance délivrées par des forces aériennes tions de stabilisation et de soutien. forces terrestres fournissent également
seules ne donnent pas cette capacité. Les au commandant interarmées la possibili-
forces terrestres sont entraînées, équipées La dernière compétence essentielle est té de réaliser les cinq types de manœuvre
et organisées pour contrôler le terrain, des celle qui concerne la capacité à soutenir fondamentaux - à savoir, l’enveloppement,
populations et des situations pendant une les autorités civiles. Les forces terrestres le mouvement tournant, l’infiltration, la

DECEMBRE 2005 45 DOCTRINE N° 07


pénétration et l’attaque frontale - qui ser- ronnement stable permettant à d’autres reconstruction du pays. Durant la cam-
vent à limiter ou à supprimer la liberté de organisations d’agir. Historiquement ce pagne d’Afghanistan en 2002, les frappes
mouvement de l’ennemi, à le repousser sont les forces terrestres qui constituent aériennes de précision ont été essentielles
de points clés du terrain, ou à le diriger l’élément de choix pour ces situations et mais elles ne sont pas parvenues à neu-
vers des zones où il sera possible d’ap- ces environnements complexes. C’est par- traliser un adversaire bien installé ni à fixer
pliquer des feux indirects ou aériens afin ce que les forces terrestres constituent la ni à en finir avec l’ennemi. Une intégration
de l’y fixer et de le détruire. plus importante des organisations mili- étroite de frappes aériennes avec la
taires des Etats-Unis, qu’elles peuvent manœuvre terrestre a été nécessaire pour
remplir ce type de missions pendant de détruire les forces d’opposition. Au cours
Dans des environnements difficiles, les longues périodes et avec moins de consé- des opérations au Kosovo en 1999, la cam-
forces terrestres peuvent interdire à l’en- quences négatives qu’il y aurait pour les pagne aérienne a créé les conditions pour
nemi la possibilité de sanctuariser des autres composantes des forces armées. que les négociations puissent commen-
zones urbaines et complexes comme des Un adversaire capable et déterminé ayant cer mais ce sont les forces terrestres qui
bâtiments, des ensembles souterrains, à sa disposition des forces armées puis- ont créé la stabilité qui aujourd’hui exis-
des grottes et des tunnels. Si on les lais- santes, une population nombreuse et un te. Les troupes au sol continuent à pré-
se faire, des ennemis astucieux peuvent vaste territoire est rarement battu rapi- venir toute intrusion des Serbes ou autres
utiliser des zones sanctuaires à leur avan- dement. Dans ces circonstances, obtenir qui souhaiteraient redessiner les fron-
tage et en augmenter l’importance. La plu- une décision durable requiert la capacité tières. De la même façon, en 1995, au cours
part du temps, ce sont les forces terrestres de conduire des opérations interarmées de l’opération “ Deliberate Force ” en
qui sont capables d’empêcher cela. Il y a longues et multidimensionnelles. Les Bosnie, la menace de frappes aériennes
besoin de forces terrestres pour extirper forces terrestres fournissent une part de l’OTAN n’a pas vraiment dissuadé la
l’ennemi de ces endroits puis le détruire importante de ces capacités essentielles Serbie de mener à bien ses objectifs mili-
tout en faisant un choix précis des cibles et souples à mener une campagne. taires. Il a fallu le déploiement de forces
à attaquer. Les forces terrestres fournis- terrestres pour que soient établies les
sent une capacité de combat surpuissan- Des expériences récentes confortent le conditions des accords de Dayton. Au cours
te pour faire la guerre et pour la gagner concept selon lequel il est nécessaire de l’opération “Desert Storm”, les mois de
ainsi qu’une variété de capacités permet- d’avoir à sa disposition des forces ter- frappes aériennes ont permis de démora-
tant de conduire tous types d’opérations. restres capables de remporter la décision liser l’armée irakienne, ont fragmenté son
La puissance de combat - ou l’aptitude à plutôt que d’établir seulement les condi- commandement et réduit notablement sa
combattre - est définie comme étant l’en- tions pour cette décision. Aujourd’hui en capacité de combat mais elles n’ont pas
semble des moyens de destruction ou de Irak, les forces terrestres assurent la sécu- remporté la décision. Ce sont 4 jours de
neutralisation, ou les deux à la fois, qu’une rité, participent à la construction des infra- combats terrestres qui ont conduit les
formation militaire est capable de mettre structures de transport, chassent les enne- Irakiens à la reddition et à la négociation
en œuvre contre un ennemi à un moment mis du peuple irakien et aident à la politique. Au cours de l’opération “ Just
donné 5, elle permet de réaliser des effets
surpuissants au lieu et au moment décisifs
afin de défaire un ennemi. Les comman-
dants interarmées utilisent les formations
interarmes de façon complémentaires, asy-
métriques ou en renforcement afin de for-
cer l’ennemi à se regrouper puis à l’enga-
ger de façon décisive au moyen des feux
indirects et des aéronefs.

L’étendue des capacités des forces ter-


restres des Etats-Unis offre aux com-
mandants opérationnels des options
nombreuses et souples leur permettant
de répondre aux besoins opérationnels
de théâtre immédiats ou à plus long ter-
me. Seules des forces au sol sont à même
de contrôler efficacement des terrains com-
plexes et séparer l’ennemi des éléments
amis ou neutres. Les Etats-Unis ont eu à
démontrer de façon répétée leur engage-
ment à mettre des troupes au sol dans le
but de faire de la dissuasion, d’obtenir un
US Army

changement de régime ou de créer un envi-

DOCTRINE N° 07 46 DECEMBRE 2005


étranger
Cause ” en 1989, au Panama, ce sont des Afin de pouvoir fournir la capacité de supé- tème de réseaux totalement intégrés dans
moyens de transport interarmées qui ont riorité de combat essentielle à moyen ter- l’environnement interarmées, inter-orga-
eu un rôle primordial pour la mise en pla- me à la mise en œuvre de la “ Strategic nisations et multinational. Les formations
ce dans le pays de forces américaines Vision ” et de la “ National Strategy ”6, appartenant à la force future de l’Army
capables de conduire des opérations effi- l’Army est en train de mettre en service apporteront leur contribution et feront usa-
caces, mais l’effondrement des défenses six Stryker Brigade Combat Teams ge du système “ Common Relevant
ennemies et la reddition de Noriega ont (SBCTs)7. Ces unités ont été optimisées Operational Picture” (CROP)9 interarmées
été le résultat d’actions de soldats sur le en vue de participer à des interventions afin de leur donner une bien meilleure assis-
terrain. A la Grenade en 1983, les trans- de niveau plus réduit et ont la capacité de tance à la prise de décision.
ports par moyens interarmées ainsi que gagner de façon décisive des opérations
l’appui aérien ont été nécessaires pour de combat majeures en étant renforcées Pendant la plus grande partie du 20e siècle,
permettre aux forces terrestres d’envahir de façon notable. Une SCBT a plusieurs les forces terrestres ont mis en œuvre des
l’île. Mais, une fois encore, ce sont les caractéristiques spécifiques qui lui pro- unités de combats ayant des structures
forces terrestres qui ont été l’élément déci- curent une souplesse opérative et tactique standards, comme le régiment, le bataillon
sif au sein de l’ensemble interarmées. accrue pour exécuter à un rythme rapide et la compagnie. Ces formations de com-
des opérations décentralisées dans des bats ont bien servi le pays. Cependant, au
zones lacunaires. Le régiment (au sens fran- 21e siècle, nombreuses sont les missions
çais) de reconnaissance, de surveillance et en cours qui couvrent l’ensemble de l’éven-
L’Army future au sein d’acquisition d’objectifs fournit à la fois des tail des opérations militaires. Ces missions
éléments de renseignement humain demandent des combinaisons de capaci-
de la force interarmées (HUMINT) et des appareils de reconnais- tés que les unités traditionnelles ne sont
sance sans pilote. Ses compagnies de ren- pas toujours capables de fournir. La nou-
Les commandants de forces interarmées seignement et de transmissions, utilisant velle stratégie de défense réclame de l’agi-
de demain pourront s’appuyer sur une des interfaces digitales, s’appuient sur les lité et de la souplesse. Il est donc essentiel
synergie qui inclura des chefs, des soldats moyens de théâtre et les moyens nationaux de transformer l’organisation des struc-
des capteurs et des armes reliés entre eux pour doter la force d’une capacité infor- tures. Le nouveau concept établit une orga-
par des systèmes de réseaux et qui leur mationnelle de haut niveau. nisation qui est plus souple, plus modu-
permettront de contrôler la situation ; ce laire, plus facilement adaptable en fonction
concept est déjà mis en œuvre dans une Ultérieurement, la transformation de la des besoins et capable de faire coïncider
large mesure en Afghanistan. En outre, structure de l’Army verra arriver des uni- les capacités des unités avec les besoins
ces commandants interarmées seront tés de la future force de l’Army qui seront changeants et la fluidité des situations du
capables de manœuvrer des forces pour modulaires et totalement intéropérables futur environnement global de sécurité.
qu’elles rejoignent des positions avanta- et qui fourniront au commandant interar-
geuses dans un espace de bataille décen- mées une capacité à contourner les gou- Ces nouvelles structures organisation-
tralisé et lacunaire puis pour qu’ensuite lots d’étranglement et les points d’appuis nelles constituent un élément clé de la
elles détruisent l’ennemi ou qu’elles l’obli- ennemis pour aller directement frapper future force de l’Army qui sera apte à four-
gent à quitter ses zones sanctuaires et ses objectifs tactiques et opérationnels. nir des réponses rapides au niveau stra-
finalement à être détruit par des feux inter- Les unités de la future force de l’Army tégique et qui donnera au commandant
armées de précision (feux souvent dirigés seront immédiatement capables de mener interarmées une capacité létale supérieure
par des forces spéciales). de façon simultanée des opérations inter- tout en lui assurant la capacité de durer
armes décentralisées, de jour comme de et l’adaptabilité. La transition vers la nou-
Les concepts opérationnels sont impor- nuit, par toutes conditions météorolo- velle structure qui s’appuiera sur les avan-
tants et ils participent à informer les giques ou de terrain. Les transformations cées dans le domaine de l’information se
acteurs sur la façon dont les combats dans le domaine de la logistique appor- fera aisément et en ne requérant que des
devront être conduits dans le futur. Les teront à la force interarmées un soutien ajustements minima, en fonction des mis-
changements de concepts affectent non égal ou même plus supérieur à celui d’au- sions, des engagements tactiques et des
seulement les forces terrestres mais aus- jourd’hui tout en réduisant de façon batailles. A son arrivée sur le théâtre, cet-
si les forces interarmes et interarmées. notable l’impact logistique sur le terrain. te structure sera logistiquement autono-
Les transformations de la force terrestre En tant que force s’appuyant sur des sys- me pour une période de trois à sept jours
participent aux efforts interarmées en tèmes d’information, les unités de la for- puis elle ne demandera qu’un effort logis-
cours relatifs aux concepts et aux expéri- ce terrestre apporteront leur contribution tique minimal sur le terrain pour assurer la
mentations. Les concepts de l’Army du au réseau interarmées C4ISR8 et l’utilise- continuité des opérations.10
futur participeront aussi pleinement au ront. En tant que force s’appuyant sur des
développement d’une force interarmées bases de connaissances, la force future La future force de l’Army mettra en œuvre
répondant aux besoins exprimés en termes de l’Army exploitera la puissance des tech- un réseau d’appuis feux, un système de
de capacités. Ces concepts fourniront éga- nologies avancées dans les domaines de systèmes qui fournira une capacité en
lement les éléments intellectuels néces- l’information et de l’espace afin d’avoir à temps réel à mettre en œuvre des feux de
saires pour répondre aux besoins exprimés sa disposition un système de comman- toutes sortes sur l’ensemble du champ de
dans le concept interarmées. dement de combat reposant sur des sys- bataille. Le système sera totalement inté-

DECEMBRE 2005 47 DOCTRINE N° 07


* L’étude originale intégrale peut être trouvée
sur le site web de l’Association of the United
States Army’s www.ausa.org. Des copies
peuvent aussi être demandées par E-mail
auprès de l’AUSA, (ILWPublications@ausa.org),
téléphone (001-703-907-2411) ou fax (001-703-
236-2929). Les demandes d’autorisation de
réimpression de ce document (version
intégrale ou résumée) doivent être adressées
par écrit à : AUSA’s Institute of Land Warfare,
ATTN : Director, ILW Programs, 2425 Wilson
Boulevard, Arlington VA 22201 (e-mail
sdaugherty@ausa.org, fax 001-703-236-2929).
1 Nouvel avant-propos du Général (2S) Gordon
R. Sullivan, U.S. Army, président de
l’Association de l’US. Army (AUSA), qui avait
également rédigé l’avant-propos de la
monographie originale.
2 Groupement tactique interarmes de niveau
brigade.
3 Source : Office of the Chief, Army Reserve,

US Army
The Army Reserve : An Overview
(www.army.mil/usar/pdfs/ArmyReserve-
Overview.pdf, 25 Septembre 2003).
4 Joint Publication (JP) 1, Joint Warfare of the
Armed Forces of the United States
(Washington, D.C. : Chairman of the Joint
gré et interdépendant avec la force terrestre sauts rapides et simultanés en des endroits Chiefs of Staff, 10 January 1995 edition), p. I-1.
et avec les capacités interarmées, multi- multiples. Le futur commandement inter- 5 See Joint Publication 01-2, Department of
Defense Dictionary of Military and Associated
nationales et inter-organisations. Cette armées sera capable de mettre en œuvre les Terms (Washington, D.C.: Department of
capacité mise en réseau tirera profit de l’en- futures unités des forces terrestres en diri- Defense, 12 April 2001, as amended through
semble des moyens interarmées afin de geant l’intégration continue de petites uni- 5 September 2003), p. 97.
6 2 directives stratégiques à moyen terme
délivrer des munitions de précision contre tés interarmées puissantes, se déplaçant le 7 Groupement tactique interarmes de niveau
les points décisifs et les centres de gravi- long de lignes d’opérations multiples et dis- brigade.
té ennemis. Le futur commandement inter- continues vers des zones d’objectifs de type 8 Command, control, communications,
computers, intelligence, surveillance and
armées sera capable d’orchestrer et de syn- forces, tout en engageant l’adversaire par reconnaissance.
chroniser toute la panoplie des moyens de des moyens feux, organiques ou non, sur- 9 Système commun de recueil et de
frappe à longue portée. puissants et précis, jusqu’au moment cul- présentation des informations relatives
au théâtre d’opérations.
minant de la manœuvre, lorsque le combat 10 U.S. Army Training and Doctrine Command
Les futurs engagements interarmées seront final à distance ou l’assaut rapproché per- Pamphlet (TRADOC PAM) 525-3-90, The United
caractérisés par une nouvelle organisation mettra la destruction des dernières forces de States Army Objective Force Operational and
Organizational Plan for Maneuver Unit of
opérationnelle qui fera évoluer la situation l’ennemi. Action, 22 July 2002, p. 6
au contact et à distance, et qui fera usage (http://www.atsc.army.mil/TSAID/
d’une combinaison équilibrée d’appuis feux UnitofAction.asp).
à distance, de manœuvre précises et d’as-

Conclusion

L’environnement géostratégique du 21e siècle nécessite la transformation de l’appareil militaire des Etats-Unis et en
particulier celui de ses forces terrestres. Personne ne peut prédire avec précisions quelle sera la menace future contre
les Etats-Unis et ses intérêts vitaux ou quelles seront les méthodes qui pourraient être utilisées par ceux qui mettraient
à exécution ces menaces. Attendre que l’ennemi frappe sans développer une capacité de défense américaine appro-
priée ferait perdre l’avantage et pourrait occasionner des conséquences graves pour les Etats Unis. La guerre globale
contre le terrorisme (“ Global War on Terrorism ” (GWOT ), les menaces actuelles contre le territoire des Etats-Unis, la
prolifération d’armes sophistiquées et de technologies, tout concourt à mettre l’accent sur la nécessité impérieuse de
transformer les forces terrestres. Il résultera de cette transformation une force interarmées, basée sur des capacités
spécifiques, préparée et prête à dominer n’importe quelle situation opérationnelle. Mais cette force devra s’appuyer
sur la capacité qu’ont depuis toujours les forces terrestres à être le cœur des opérations interarmées réussies. Alors
que l’environnement sécuritaire du futur demeure incertain, la nécessité pour l’Army d’avoir les soldats les mieux entraî-
nés, les mieux commandés et les mieux équipés au monde ne changera pas. Le fait d’être capable de mettre des com-
battants sur le terrain, “ les pieds dans la boue ”, continue à être la caractéristique principale d’une force capable de
relever les défis militaires globaux auxquels seront amenés à faire face les Etats-Unis.

DOCTRINE N° 07 48 DECEMBRE 2005


étranger
La contribution de l’Armée de terre britannique
aux opérations modernes

Ldeesinterconnectés
différents aspects de la défense britannique sont devenus tellement
que comparer les rôles respectifs en opération de l’Armée
terre britannique (Army) avec ceux de la Royal Navy et de la Royal Air Force
(RAF) n’est ni possible ni vraiment utile. Cet article va d’abord tenter de présenter
pourquoi il en est ainsi avant d’expliquer quel est le rôle de l’Army puis quels
sont les concepts principaux qui décrivent comment ce rôle doit être tenu.

Les références qui ont servi à la rédaction de cet article sont : le document
“ UK’s Army Plan for 2005 ” ainsi que le concept récemment adopté (Avril 2005)
“ Future Manoeuvre Sub-Concept (FMSC) for the Army ”. Il importe cependant
de commencer par décrire quel est l’environnement opérationnel actuel.

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL JOHN WILLIAM ROLLINS, OFFICIER DE LIAISON BRITANNIQUE AUPRÈS DU CDEF

L’environnement opérationnel multinationale. Ceci est également, plus


ou moins, vrai même lorsque ce sont des
actuel
intérêts nationaux qui priment ou lors-
qu’une coalition ne réunit qu’un petit
Il est vrai que ce n’est que récemment qu’a nombre de pays volontaires.
été mis en place un concept réellement Cependant, pour récent que soit ce
unitaire qui réunit non seulement les trois concept il n’en est pas moins le point
armées mais aussi les autres ministères d’orgue logique d’un mouvement consis-
du gouvernement dans une recherche tant à s’écarter progressivement de l’ap-
d’une stratégie de défense nationale. Il proche unilatérale et au niveau de chaque
s’agit du concept “ Effects Based armée et uni-service2 qui tendait à dis-
Operations1 ” dont il sera question ci-des- paraître depuis de nombreuses années.
sous. Ce concept a pour objectif corollai-
re de faciliter une plus grande coopéra-
tion multinationale dans le domaine de la
défense, ce qui reflète bien la nature de L’histoire opérationnelle récente
l’environnement au sein duquel les opé-
rations doivent être menées aujourd’hui. Si l’on examine l’expérience opération-
Ceci signifie, sans aucun doute possible, nelle britannique au cours des 35 der-
que la majorité des opérations qui seront nières années, il peut apparaître, à pre-
conduites par les démocraties occiden- mière vue, que l’Armée de terre a pris une
tales seront d’une nature interarmées, place prépondérante. Il est certain que,
interministérielle, inter-organisation et au cours de la campagne la plus longue à

DECEMBRE 2005 49 DOCTRINE N° 07


aux états-majors de chacune des armées, et
ce à partir des années 1980. Aujourd’hui, le
pouvoir réel se situe au niveau interarmées
et, au sein du ministère de la défense; il y a
plus d’affectations interarmées que de postes
d’armées. Cette prépondérance de l’état-
major central s’applique aussi bien en ce qui
concerne l’attribution des ressources que le
commandement des opérations. Toutes les
opérations sont commandées à partir de
l’Etat-major interarmées permanent
(Permanent Joint Headquarters) situé au
Nord de Londres. Les chefs d’état-major
d’armées ne sont responsables que de la
fourniture de capacités. Partout où cela a été
possible dans tous les domaines de la défen-
British Army

se, des structures interarmées ont été orga-


nisées (ex : la force interarmées d’hélico-
ptères, une structure médicale et une
logistique interarmées). Cette année, le centre
interarmées de doctrine et de concepts incor-
laquelle nous soyons encore en train de Dans les Balkans, au Kosovo, en Sierra porera ses équivalents qui existaient aupa-
participer, en Irlande du Nord, son rôle Leone, en Afghanistan, au Timor Oriental ravant au niveau de chacune des armées, ne
peut sembler prédominant. Cependant, et au cours des deux guerres du Golfe, les leur laissant en place que des éléments
ce rôle a toujours été d’agir en soutien opérations terrestres conduites par l’Armée réduits chargés de focaliser leurs recherches
rapproché de la police, y compris pour de terre britannique dominèrent le cours sur des points spécifiques à chacune des
l’instruction de cette dernière ; bien sûr il des évènements. Cependant, rien n’aurait armées, la plupart du temps sur des sujets
ne s’agit pas d’une “autre force armée”3, pu avoir lieu sans appui aérien ou naval et de niveau tactique.
mais c’est certainement une autre orga- parfois - certainement lors de phases par-
nisation dont les besoins étaient priori- ticulières - c’était la Navy ou la RAF qui avait
taires et avec laquelle les relations les plus la prééminence. Par exemple, lors des Le plan de l’Armée de terre
étroites devaient être entretenues. En phases initiales des deux guerres du Golfe,
outre, la majeure partie du soutien héli- lors de l’application des mesures de restric- Le plan de l’Armée de terre est rédigé non
coptères était apporté par la RAF, dont tions aériennes au-dessus de l’Irak, lors des seulement en tenant compte de l’environ-
nombreux étaient les membres qui avaient opérations au-dessus du Kurdistan, lors de nement général décrit ci-dessus mais plus
par ailleurs d’autres missions de sécuri- la campagne aérienne au Kosovo ainsi que directement de la mission générale de la
té. Bien entendu, les Royal Marines, une lors d’opérations moins importantes dans défense nationale, à savoir :
des composantes de la Royal Navy, opé- les Caraïbes. En résumé, nous avons appris Assurer la sécurité du peuple du
raient en Irlande du Nord de la même façon qu’en opération toutes les armées sont inter- Royaume-Uni et des territoires d’outre-
que les unités de l’Armée de terre. dépendantes les unes des autres, même s’il mer en les défendant, y compris contre
arrive parfois que l’une d’entre elles soit plus le terrorisme ; et agir en tant que force
La guerre des Falklands fut vraiment une utilisée que les autres. du bien en renforçant la paix et la
opération interarmées, avec la Navy qui stabilité au niveau international.
fut utilisée comme une base de combat
et une base logistique tout en agissant Les structures actuelles Dans ce plan, le chef d’état-major général,
également en tant que force de combat (CGS) établit la mission de l’Armée de terre
propre - au-dessus et en dessous de l’eau C’est cette histoire opérationnelle récente et décrit comment il envisage qu’elle appor-
- délivrant des feux directs et indirects à associée à la nécessité de rationaliser l’or- te sa contribution à la défense britannique.
tous moments. Pareillement, l’Armée de ganisation de la défense britannique et ain- Le plan pour cette année prend en compte
terre n’aurait pas pu s’engager sans l’ap- si d’obtenir une plus grand efficacité à un les décisions récentes qui affectent le pro-
pui direct de la RAF qui elle-même opérait moindre coût, ainsi que d’autres causes pure- gramme “Future Army Structures (FAS)2,”
à partir des bateaux simultanément avec ment liées à la gestion, qui ont conduit à la destiné à restructurer l’Armée de terre afin
l’aéronavale. C’est aussi à partir de ce création et au développement de structures de lui faire répondre aux besoins d’une défen-
moment que nos forces spéciales (Special toujours plus interarmées au sein de l’orga- se moderne. La mission de l’Armée de terre
Boat Squadron, Special Air Service et leurs nisation de défense du Royaume-Uni. Cela est la suivante :
appuis RAF associés) commencèrent à a commencé par la création d’un état-major
évoluer pour devenir ce qu’elles sont interarmées au sein de notre ministère de la Entretenir et développer les capacités
aujourd’hui une composante réellement défense qui, progressivement, a commencé militaires afin de garantir le succès
interarmées. à jouer un rôle prépondérant par rapport opérationnel aujourd’hui et demain.

DOCTRINE N° 07 50 DECEMBRE 2005


étranger
En termes opérationnels, cela signifie que brées et encore plus rapidement
l’Armée de terre britannique doit avoir la déployables. Ces transformations devront
capacité de mener victorieusement des avoir lieu alors même que pourront se
opérations à l’intérieur comme à l’exté- poursuivre de nombreux déploiements au
rieur du pays que ce soit à son seul niveau cours desquels les forces terrestres auront
(éventualité de moins en moins probable), à être optimisées afin qu’elles soient
ou dans un cadre interarmées ou multi- capables de conduire des opérations de
national. Ceci inclut d’être prêt à contrer type corps expéditionnaire dans toutes
le terrorisme international soit par des sortes d’environnements complexes. La
interventions focalisées, des interventions composante terrestre devra être apte à
pré planifiées ou des actions de contre- travailler en relation étroite avec les com-
terrorisme. Afin que l’Armée de terre ait posantes aériennes, terrestres et mari-
le niveau de préparation et de disponibi- times, nationales et multinationales. Il est
lité nécessaire pour accomplir ces mis- envisagé que les Etats-Unis seront le par-
sions, il faut que les forces qui la compo- tenaire principal d’une coalition, mais en
sent mènent à bien des tâches telle que aucun cas l’unique partenaire.
celles liées à la remise en condition, à l’ap-
titude à durer et à l’entraînement collec-
tif. Afin d’être sûrs que nous continuerons Caractéristiques des opérations
à être capables de mener à bien ces tâches de demain
dans le futur, le programme FAS doit être
mis en œuvre alors même que nous conti- Les adversaires potentiels appartenant à
nuons à respecter nos engagements des nations moins développées tenteront
actuels ; les capacités améliorées de tra- d’exploiter leur capacité à mener des com-
vail en réseaux doivent être développées bats de type asymétriques sur des terrains
pour que la transformation puisse s’ac- difficiles qu’ils auront choisi et sans se
complir grâce à FAS, de même il faut que préoccuper de considérations liées aux
des éléments nécessaires à la réussite de victimes potentielles, à des règles d’en-
cette transformation soient développés gagement et aux lois internationales. Il
afin de donner de la substance à ces chan- est envisagé que les opérations interar-
gements. Nombre de ces éléments par- mées les plus importantes seront
ticipant à l’efficacité de la transformation conduites principalement sur terre alors
incluront la création de davantage de struc- que les composantes maritimes et
tures interarmées. Il est intéressant de aériennes fourniront une contribution
noter que, dans cette démarche vers une majeure sous la forme d’opérations
posture de défense plus équilibrée, ce menées à partir des eaux littorales et de
sont la Navy et la RAF qui vont avoir à la délivrance de feux interarmées. Les
abandonner beaucoup plus de leurs forces doivent être tellement bien struc-
moyens existants que l’Armée de terre. turées de telle sorte qu’elles permettront
une transition rapide entre les différents
types d’activités militaires. Les forces ter-
La directive “ Future Manœuvre restres doivent être prêtes à contribuer
Sub-Concept (FMSC) 3” aux actions de la coalition de stabilisation
de crise et en promouvoir ou restaurer la
Généralités sécurité grâce à tout l’éventail de leurs
Le FMSC décrit comment la “British Army’s activités. En liaison étroite avec cela, il est
Balanced Force”4 émergeante, telle qu’el- nécessaire d’améliorer la coopération avec
le est envisagée dans la directive FAS, sera les organisations internationales et les
organisée afin de pouvoir conduire des autres ministères du gouvernement. Enfin,
opérations de type corps expéditionnaires, les éléments sophistiqués d’ISTAR 5 de
interarmées, inter-organisations et multi- même que les moyens de frappe de pré-
nationales. Bien que les réflexions qui par- cision risquant, dans un environnement
ticipent à ce concept soient déjà mises en difficile, de ne pas être aussi efficaces
oeuvre aujourd’hui, elles ne seront mises qu’on pourrait l’espérer, il deviendra aus-
complètement en application qu’à partir si nécessaire de développer les capacités
de 2010, époque à laquelle auront été HUMINT 6 basées sur une meilleure
prises officiellement les décisions, liées connaissance des éléments liés à la
au programme FAS, et qui conduiront à la culture. Les règles d’engagement (ROE)
définition de forces encore mieux équili- risquent de devenir extrêmement

DECEMBRE 2005 51 DOCTRINE N° 07


L’espace de bataille interarmées et inter-agences

multidimensionnel :

legal, éthique & moral

social & culturel

économique

politique

technologique

armées de terre, mer et air

une structure pour les effets

restrictives. Afin de combler ces lacunes, combinaison d’effets pour façonner la La réalité sur le terrain pour les
des capacités “Info-Ops” totalement inté- perception de l’adversaire, réduire sa formations et unités de l’Armée
grées ainsi que l’utilisation d’actions non volonté et faire éclater sa cohésion. Pour
létales devront être systématiquement réaliser ces effets, deux aspects sont pri- de terre
pris en compte aussi bien lors de la mordiaux : la protection de la force et le
planification que de la conduite des façonnage des perceptions de la popu- Jusqu’à présent, j’ai décrit les besoins de
opérations. lation civile. Comme cela a déjà été men- la Défense britannique comme un tout, la
tionné, de telles opérations ne peuvent place de l’Armée de terre au sein d’une
réussir que si elles sont conduites au structure de plus en plus interarmées et
Thèmes principaux sein d’un environnement interarmées, comment, en termes généraux, cette
interministériel, inter organisations et, Armée de terre va évoluer pour jouer le
Le FSMC comporte quatre thèmes si nécessaire, multinational. rôle que l’on attend d’elle dans cette struc-
principaux : ture. Mais qu’en est-il du soldat sur le ter-
• Une logistique dirigée (Directed Logistics : rain ? Pour lui, les principes fondamen-
• Agilité : cette qualité demande des chefs DL) : ce n’est que si elle est totalement orga- taux en fonction desquels il doit combattre
qui soient créatifs, qui sachent s’ac- nisée en réseau que ce type de logistique ne changeront pas beaucoup malgré tout
commoder de conditions incertaines et dirigée pourra être mis en œuvre. Une fois ce que j’ai décrit plus haut. Il est bien
qui, avec leurs états-majors, soient cela réalisé, la DL peut permettre l’établis- entendu que les quatre fonctions majeures
capables de faire preuve de disponibi- sement d’une organisation logistique opti- - trouver, fixer, frapper et exploiter - conti-
lité, de robustesse, de souplesse et de misée capable de mieux répondre aux nueront à s’appliquer aux opérations de
capacité d’adaptation aussi bien lors de besoins de la mission. combat. Il est également bien entendu
la planification que de la conduite des que ces fonctions continueront à s’appli-
opérations. • Des capacités optimisées par la mise en quer aux opérations de maintien de la paix
réseau (Network Enabled Capabilities bien que là, l’accent sera mis davantage
• EBO 7 : l’application des principes de NEC) : la nature durable des opérations sur les actions non cinétiques, en parti-
l’EBO par la composante terrestre est ne sera pas changée par les NEC mais culièrement en phase d’exploitation grâ-
basée sur une approche orientée vers la elles donneront de nouvelles possibili- ce aux actions d’Info Ops.
manœuvre utilisant la réalisation d’une tés de réaliser les effets recherchés.

DOCTRINE N° 07 52 DECEMBRE 2005


étranger
En fonction du niveau où il travaille, le sol- Bien entendu, pour la plupart des soldats directement compte au PJHQ de Londres
dat devrait pouvoir observer : sur le terrain, les opérations ne semble- où les trois premiers officiers de la chaî-
ront être interarmées ou inter-organisa- ne hiérarchique appartenaient à la Navy
- Une plus grande importance donnée à tions que lorsqu’il s’agira de conflits de et la RAF. Le moins gradé des officiers de
l’organisation de l’espace de bataille au très faible intensité. l’Army dans ma chaîne hiérarchique était
niveau des formations (principalement un général de corps d’armée.
à celui de la brigade), alors que ce seront En Irak, la plupart des soldats travaillent
des PC de division qui dirigeront les acti- dans ce qui semble être un environnement
vités des brigades et qui seront souvent dominé par l’Armée de terre. Cependant,
utilisés comme PC du groupement inter- nombreux sont ceux qui ailleurs se trou-
armées ou de la composante terre. vent devoir travailler de façon proche avec
des membres d’autres armées, d’autres
- L’organisation des groupements tac- nations et de diverses organisations
tiques de circonstance (adaptés à une civiles. Mon expérience opérationnelle la
mission ou à une opération) plus souples. plus récente a été de commander le contin-
gent britannique pour l’opération Artemis
- Une diminution des appuis de type orga- en République démocratique du Congo.
nique mais en revanche l’établissement Là, afin de satisfaire à la fois les objectifs
d’un système d’appuis garantis. britanniques dans les domaines de la 1 Opérations basées sur les effets.
défense et de la politique ainsi que pour 2 Structures de l’Army future;
- Une plus grande dispersion dans des répondre aux besoins exprimés par le com- 3 Sous-concept " Manœuvre future " -
Directive traitant de la manœuvre parue en
zones d’opérations plus vastes. mandant (français) de la force, nous avons avril 2005.
déployé une compagnie du génie qui a 4 La force équilibrée de l’Armée de terre
- Un type de manœuvre plus agile mais travaillé avec des personnels des Armées britannique
5 " Intelligence Surveillance Target Acquisition
une plus grande concentration de forces. de l’air et de terre françaises, deux avions, and Reconnaissance " = Renseignement,
leurs équipages et leur élément de sou- surveillance, acquisition des objectifs et
- Une coordination de l’effort ISTAR mieux tien ainsi que des officiers d’état-major, reconnaissance.
6 HUMINT = Renseignement d'origine
intégrée et plus interarmées. des personnels administratifs, logistiques humaine.
et transmissions appartenant aux trois 7 EBO (Effects based operations) = opérations
- Un rythme d’opérations plus soutenu. armées. Le contingent britannique rendait basées sur les effets.

Il devrait donc être évident que l’Armée de terre continuera à jouer un rôle prépondérant au sein de la défense britan-
nique. En effet, sur le terrain, dans la plupart des futures opérations, la majeure partie des forces continuera à être four-
nie par elle. Pour pouvoir jouer son rôle, l’Armée de terre doit continuer à se battre pour satisfaire ses propres besoins
et pour pouvoir développer ses propres actions au niveau tactique aussi bien que pour s’assurer qu’elle est en mesure
de contribuer de la meilleure façon possible au niveau opératif. Dans certains cas ceci requiert des installations spéci-
fiques pour l’expérimentation, le développement de forces et l’entraînement. Ceux-ci continueront à exister. Cependant,
il n’y a pas moyen d’échapper à la nature toujours plus interarmées (aussi bien qu’interministérielle, inter-organisa-
tions et multinationale) du contexte dans lequel les opérations modernes devront être conduites, ainsi que des opéra-
tions elles-mêmes. Par conséquent, il serait contre- productif de comparer les rôles de chacune des trois armées. On
doit plutôt se focaliser sur ce qu’une armée donnée peut apporter à l’effort de défense global. En ce qui la concerne,
ceci impose à l’Armée de terre qu’elle s’implique totalement dans ces structures de défense qui sont de plus en plus
interarmées plutôt que de tenter de défendre son pré carré.

DECEMBRE 2005 53 DOCTRINE N° 07


Avertissement du CDEF

Cette contribution rappelle utilement l’apport conceptuel du colonel John WARDEN qui est l’inventeur
de la théorie dite des “cinq cercles”. Ce colonel de l’US Air Force a acquis sa célébrité en 1991 en tant
que planificateur des frappes aériennes contre l’Irak durant l’opération “Tempête du désert”. Il a mis
en œuvre, à cette occasion, une conception exposée dans son ouvrage “The Air Campaign – Planning
for Combat” dont la traduction a été publiée chez ECONOMICA en 1998 sous le titre français “La cam-
pagne aérienne”. Cette réflexion sur “l’ennemi en tant que système”, marquée par la culture straté-
gique américaine, constitue une avancée théorique intéressante, même si on en perçoit bien aujour-
d’hui toutes les limites pour un monde où la conflictualité est en mutation constante et où l’action militaire
doit être toujours davantage réfléchie comme l’une des contributions à une démarche stratégique beau-
coup plus large. Sur ce thème, on lira avec intérêt l’article du lieutenant-colonel Benoît Durieux figurant
après l’article du Colonel GLIN.

L’ennemi comme un système


ou le modèle des cinq cercles appliqué
à la description d’un ennemi générique

ennemi d’aujourd’hui a changé de forme et il nous appartient de savoir comprendre son


L’ évolution en ne cherchant pas à nous accrocher à celui que nous attendions dans la trouée de
Fulda et le saillant de Thuringe et qui formata notre approche stratégique pendant plusieurs
décennies. Pour conduire une nécessaire “transformation” de notre définition de l’ennemi nous
devons raisonner du macro au micro, du général au particulier.

PAR LE COLONEL GILLES GLIN*

Privilégier la méthode déductive...


Il y a fondamentalement deux façons de raisonner : quement en terme de nombre de chars ou d’avions. Au
l’inductive et la déductive. La première nécessite la col- contraire, nous devons analyser l’adversaire comme
lection de nombreuses données pour être à même de un tout. Ensuite, il s’agit de s’intéresser à nos propres
définir un ensemble cohérent. La seconde est basée sur objectifs, puis à ce qui doit advenir de notre ennemi
la définition préalable de principes généraux à partir pour que nos objectifs deviennent les siens. C’est-à-
desquels s’élaborent les détails d’un tout. La premiè- dire lui imposer notre volonté. Quand tout cela est
re méthode est adaptée à la tactique, la seconde au conduit à son terme avec rigueur, il est possible de pas-
raisonnement de portée stratégique, voire opératif. ser à l’étude des effets à produire sur l’ennemi et des
Nous ne pouvons pas penser au niveau stratégique uni moyens de les produire.

DOCTRINE N° 07 54 DECEMBRE 2005


libres réflexions
Les planificateurs au niveau stratégique doivent donc Le concept des centres de gravité que les planifica-
se départir de l’idée selon laquelle l’élément clé d’une teurs utilisent est simple à appréhender mais diffici-
campagne est l’affrontement brutal de forces mili- le à mettre en œuvre et ce du fait d’avoir éventuelle-
taires. Cet affrontement peut néanmoins se produire, ment plusieurs centres de gravité à traiter et qu’une
mais il ne doit pas être considéré comme une fin en soi action sur l’un puisse avoir des conséquences non
mais comme un moyen parmi d’autres d’arriver à ses maîtrisées sur un autre. Il est aussi important de
fins. prendre en compte que certains centres de gravité
peuvent n’être qu’indirectement reliés aux capacités
de l’ennemi de conduire des actions militaires.
Une modélisation nécessaire...
Le cercle principal est celui de la direction politique
Aussi, devons-nous penser notre ennemi comme un ou du commandement parce que seul ce niveau peut
système composé de nombreux sous-systèmes. par définition prendre des décisions et réorienter la
L’appréhender comme un ensemble augmentera nos politique d’un Etat. Capturer ou neutraliser un res-
chances de lui imposer notre volonté au plus faible ponsable de haut niveau évoluant dans ce cercle peut
coût. Pour faciliter la compréhension de ce concept, être déterminant dans la conduite d’une campagne.
il est utile de décrire au préalable un modèle simpli- De plus, la dépendance du cercle des dirigeants de
fié. Nous utilisons quotidiennement des modèles et systèmes de communication pour transmettre leurs
sommes conscients qu’ils ne sont pas le fidèle reflet ordres facilite en revanche une action agressive à ce
de la réalité. Mais ils ont l’intérêt de nous rendre le niveau. Indirectement, les niveaux subordonnés cou-
monde qui nous entoure moins complexe et de pou- pés de leur direction ou chaîne de commandement
voir agir sur notre environnement. Au niveau straté- peuvent plus facilement se déliter. Lorsque le cercle
gique, le meilleur modèle est celui qui nous permet de direction ne peut être directement visé, il est néces-
une représentation globale de notre ennemi. S’il est saire d’avoir recours à une approche indirecte. Il s’agi-
nécessaire d’affiner notre étude, nous développerons ra de faire pression sur le niveau de commandement
une partie de ce système et ce autant que de besoin. de façon à le conduire à reconsidérer ses modes d’ac-
Mais il est important de partir du général pour condui- tion. A cet effet, les actions porteront sur les cercles
re de manière séquentielle l’étude du particulier. adjacents et leurs centres de gravité afin d’imposer
une paralysie stratégique de l’adversaire.
La modélisation la plus adaptée à la prise en comp-
te de notre ennemi “post-trouée de Fulda” est celle L’autre cercle critique est celui des besoins majeurs.
des cinq cercles. Ce modèle permet la description de Ces besoins majeurs sont satisfaits par la mise à dis-
la plupart des systèmes et ne s’oppose pas à une étu- position des sources d’énergie ou de matières pre-
de pénétrative de sous-systèmes. Le schéma ci-contre mières et de matériaux sans lesquelles un état ne
propose une représentation d’un système stratégique peut survivre. Au niveau d’une nation, l’électricité et
sous la forme de cinq cercles concentriques (ou
sphères) semblables au modèle utilisé pour repré-
senter une structure atomique. Il favorise la compré-
hension de la modélisation d’une entité stratégique
comme un système dynamique. Les sous-systèmes
gravitent sur des trajectoires s’inscrivant sur des
sphères, trajectoires liées à un état d’équilibre don-
né. Toute action sur le système peut entraîner une
modification de cet état et, par-là même, une modifi-
cation des trajectoires.

Les cinq cercles favorisent aussi la représentation des


centres de gravité d’une entité stratégique.

Applicable à la gestion stratégique


d’un conflit...
Ce modèle utilisé dans la gestion d’une crise, au niveau
stratégique, permet une approche systémique de la
conception de la planification opérationnelle. Repris de “La campagne aérienne”, ECONOMICA, Paris, 1998, p. 186

DECEMBRE 2005 55 DOCTRINE N° 07


les produits pétroliers sont devenus indispensables En effet, nos valeurs morales actuelles ne sont pas
du fait du développement de l’urbanisation et de partagées par tous. Et ce qu’un Etat ne peut faire au
l’emploi massif de machines. Les forces armées ne nom du droit international, il peut le pratiquer en uti-
peuvent rester opérationnelles que si elles dispo- lisant comme relais des structures opérationnelles
sent des ressources énergétiques nécessaires à leur non étatiques : réseaux terroristes, mafias, syndi-
fonctionnement. En fonction de la taille de l’Etat consi- cats, etc. Un passé récent nous a rappelé que le pire
déré, celui-ci sera amené plus ou moins rapidement pouvait encore arriver.
à reconsidérer ses objectifs stratégiques initiaux si
une ou plusieurs de ces sources d’approvisionne- Le dernier cercle est constitué des forces militaires
ment venaient à se tarir ou des centres de produc- de l’ennemi. Même si nous continuons de penser
tion énergétiques venaient à être détruits simulta- que les forces militaires sont essentielles à la vic-
nément. toire, elles ne sont que des moyens au service d’une
fin. Leur mission principale est de protéger les autres
Le troisième cercle critique est celui des infra- cercles concentriques et d’être capables d’attaquer
structures. Il est constitué des réseaux de transport ceux de l’adversaire. Ce cercle de défense entamé
de personnes et de marchandises à travers la zone ou inopérant, le cercle politique peut être conduit à
géographique contrôlée par notre adversaire. Il est accepter des concessions, voire à accepter notre
vital pour un Etat de maintenir opérationnels les cir- volonté car il sera conscient de la vulnérabilité des
cuits de distribution que ce soit au profit des forces autres cercles.
militaires ou au profit de sa population. Si les flux
sont interrompus ou perturbés, l’Etat qui s’oppose L’ordre des cinq cercles de l’extérieur vers l’inté-
à nos fins ne pourra longtemps maintenir ses efforts. rieur n’est pas défini au hasard. Tout d’abord, nous
Toutefois, comparé au cercle des besoins majeurs, partons du centre avec une poignée de leaders poli-
les redondances sont ici nombreuses en terme d’ins- tiques, puis quelques matières premières ou sources
tallations vitales au fonctionnement de l’ensemble. d’énergies essentielles, puis des centaines d’ou-
De ce fait, les actions à mener contre les centres de vrages constituant l’infrastructure du pays, et enfin
gravité propres à ce cercle seront-elles aussi plus des centaines de milliers d’habitants protégés par
nombreuses et seuls un cumul des dommages et une les forces armées. Le degré de vulnérabilité est cen-
répétition des actions produiront un effet. sé diminuer en fonction du nombre de cibles poten-
tielles, donc du centre vers l’extérieur. Bien entendu
Le quatrième cercle clé est celui de la population. les forces militaires sont moins nombreuses que la
C’est sans aucun doute le domaine le plus sensible, population mais elles sont supposées être moins vul-
car toute attaque directe contre la population peut nérables par définition1.
être considérée comme une action relevant du ter-
rorisme d’Etat. De plus, les cibles sont multiples et
dans des Etats totalitaires, la population peut long-
temps supporter privations et souffrances avant de
se retourner contre ses dirigeants. Les actions indi-
rectes contre la population peuvent se révéler très
efficaces en particulier quand la population consi- * Chef du bureau appuis CFAT-Division Plans.
1 Quelques bombes autour de la résidence du
dère que les enjeux du conflit ne sont pas vitaux. colonel QHADAFI l’ont conduit à une attitude conciliante
Mais il nous appartient dans le cadre d’une analyse alors que le même nombre de bombes sur un de ses
stratégique globale d’étudier les capacités de l’en- régiments de T55 aurait eu moins d’impact sur ses
décisions.
nemi à conduire des actions contre nos populations.

En conclusion, l’approche stratégique est la plus adaptée à la résolution des crises. Pour la mettre en œuvre nous devons
revoir notre schéma traditionnel de pensée car nous devons partir d’une analyse fonctionnelle d’un Etat. Il nous appartient
de l’appréhender dans son fonctionnement global en analysant ses systèmes et sous-systèmes de fonctionnement : partir
du général pour mieux cerner le détail. Nos actions offensives auront pour but d’infecter le système global en visant ses sous-
systèmes clés préalablement identifiés. Simultanément nous devons connaître nos propres maillons faibles afin de parer des
actions agressives de nature symétrique ou asymétrique sur ceux-ci.

Nous ne devons pas baser notre analyse sur des ratios de personnel, d’armes et d’équipements mais sur ce qui est utile
de faire pour que le système global que constitue notre adversaire finisse par se plier à notre volonté.

DOCTRINE N° 07 56 DECEMBRE 2005


libres réflexions
L’illusion de la destruction
comme principe de la guerre

S
i l’on devait résumer de façon lapidaire la façon dont le progrès technologique a fait évoluer les sys-
tèmes d’armes modernes, il faudrait sans doute retenir qu’il a essentiellement visé, depuis une ving-
taine d’années, à détruire l’ennemi plus loin, plus précisément et au moment exactement choisi. Cette
focalisation de la réflexion militaire sur le principe de destruction trouve son origine en Europe dès la fin
du 19e siècle dans le cadre du mouvement d’idées qui prépare l’avènement de la guerre totale. Il est ensui-
te nourri par deux phénomènes concomitants, la montée de l’arme aérienne dont l’avantage compétitif
consiste à frapper vite, fort et loin, et l’ascension de la puissance américaine, qui sous la triple influence
d’une opinion publique versatile, d’une culture industrielle dominée par l’impératif de productivité et d’une
tradition isolationniste a toujours exprimé sa préférence pour des guerres rapides et brutales. Cette fasci-
nation pour la destruction comme seul et unique principe de l’action militaire, si elle a été souvent le fait
de théoriciens de l’arme aérienne, n’a épargné ni la marine - les théories de la Jeune Ecole sont aujourd’hui
prolongées par les doctrines d’utilisation du missile de croisière - ni l’Armée de terre, dont les procédures
de ciblage rappellent la “bataille méthodique” de l’entre-deux-guerres.

Pourtant, la question s’est rapidement posée du lien entre la destruction militaire d’une cible hostile et
l’atteinte de l’objectif poursuivi, qui consiste toujours, en définitive, à faire plier la volonté de l’adversai-
re. La relation de cause à effet est loin d’être évidente ; l’histoire militaire enseigne d’ailleurs que dans la
plupart des batailles du passé, la majorité des pertes subies par le vaincu survenaient après que le verdict
ait été clairement établi, durant la phase de poursuite de l’ennemi défait, et que les pertes du futur vain-
queur avant cet instant décisif avaient souvent été supérieures à celles du futur vaincu.

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL BENOÎT DURIEUX*

La théorie de J. Warden :
l’ennemi en tant que système à détruire
De nombreux théoriciens ont tenté de répondre à cet-
te épineuse question. L’une des réflexions les plus
abouties est sans doute celle qui a été développée
par l’Américain John Warden1, dans son étude désor-
mais classique sur la campagne aérienne. Ce théori-
cien s’inscrit dans la lignée des penseurs de la puis-
ADJ Olivier DUBOIS/SIRPA Terre

sance aérienne qui, depuis l’Italien Giulio Douhet2, le


Britannique Hugh Trenchard3 et l’Américain Billy
Mitchell4, ont cherché à montrer comment l’avène-
ment de l’aviation militaire devait permettre de vaincre
grâce aux seules méthodes de bombardement.
Cherchant à atteindre la “paralysie stratégique”, la
doctrine proposée par Warden tente d’identifier les

DECEMBRE 2005 57 DOCTRINE N° 07


cibles dont la neutralisation provoquera l’effondre- nistes basées sur la relation de cause à effet. Il n’est
ment de l’adversaire. Pour ce faire, il modélise l’en- pas inutile à ce stade de relever que cette aporie de
nemi comme un système articulé en cinq anneaux la théorie de WARDEN a probablement été nourrie par
concentriques d’importance décroissante. Le com- la lecture déficiente d’un auteur dont on n’a trop sou-
mandement stratégique constitue l’anneau central vent retenu que la supposée prédilection pour la des-
autour duquel il place successivement l’anneau des truction, en particulier aux Etats-Unis. Le concept de
fonctions organiques essentielles telles que l’appro- centre de gravité a en effet été emprunté à Clausewitz
visionnement énergétique, alimentaire ou monétaire, mais régulièrement perverti. Ce concept, qui apparaît
l’anneau représentant les infrastructures qui permet- dans le Traité “De la guerre” dans un chapitre sur les
tent d’assurer cet approvisionnement, celui de la popu- guerres “visant à la défaite de l’ennemi”, c’est-à-dire
lation et enfin celui des forces armées. Warden pro- à son anéantissement, est en fait peu adapté aux opé-
pose alors de s’attaquer de façon prioritaire à l’anneau rations de guerre limitée. En développant cette idée,
central, véritable cerveau du système ennemi pour le général prussien souhaitait avant tout s’élever contre
éviter de devoir en venir à l’affrontement militaire et la tentation des générations qui l’avaient précédé de
notamment à l’engagement terrestre. Dans cette trouver des objectifs moins exigeants pour les forces
logique, il pourra ainsi être décidé de frapper une raf- armées ; au contraire, rappelait-il, il est illusoire de
finerie pour interrompre la production d’électricité et vouloir garder un conflit limité si l’on souhaite la défai-
par voie de conséquence de condamner les télécom- te de l’ennemi ; on devra se résoudre à attaquer le
munications adverses. En fait, les principes mis en gros des forces adverses ou un point qu’elles ne pour-
avant par WARDEN et plus largement par les prophètes ront éviter de défendre, tel que sa capitale. Aujourd’hui,
de la destruction sont de trois ordres. Ils peuvent viser la recherche du centre de gravité dans le cadre des
à paralyser le système ennemi en s’attaquant à ses différentes méthodes de raisonnement tactique ou
centres de communication, de décision ou à sa logis- stratégique aboutit fréquemment soit à l’identifica-
tique. Ils peuvent encore chercher à “punir” l’adver- tion d’un point de vulérabilité totalement étrangère
saire, le plus souvent en s’attaquant à la population à l’idée clausewitzienne, soit à un truisme du type
ou à ses symboles, pour l’amener à céder. Ils peuvent “atteindre la volonté de l’ennemi”. Il est d’ailleurs
enfin viser, plus traditionnellement, à détruire l’armée intéressant de remarquer que ce mouvement doctri-
ennemie, dans le cadre d’une stratégie “anti-forces”. nal visant à la paralysie n’est probablement pas très
Dans chaque cas, on cherchera à atteindre le centre nouveau, puisque le même Clausewitz jugea utile d’en
de gravité correspondant. critiquer l’équivalent dès le XIXe siècle. Il mettait en
garde avec une certaine prescience contre cette ten-
tative visant à obtenir dans le domaine militaire des
Le principe de destruction, un lieu commun résultats décisifs au moyen d’un faible investissement,
en s’élevant contre “cette idée extrêmement subtile
de la réflexion militaire contemporaine d’après laquelle il serait possible, grâce à une métho-
de particulièrement ingénieuse, d’obtenir par une peti-
Il est remarquable de constater que le principe de des- te destruction directe des forces armées une des-
truction est devenu un lieu commun de la réflexion truction plus grande, obtenue indirectement, ou de
militaire contemporaine à un point tel qu’elle s’inter- provoquer grâce à de petites attaques livrées de façon
dit de percevoir les nombreuses contradictions qu’il particulièrement intelligente une telle paralysie des
porte en lui. Il faudrait d’abord souligner la faiblesse forces ennemies, un tel fléchissement de sa volonté,
des analyses qui en découlent. Leur fondement épis- que ce procédé équivaudrait à un raccourcissement
témologique emprunte en effet à deux théories incom- considérable du chemin à parcourir.”5
patibles. La première est l’analogie mécaniste, qui
transparaît dans la notion de centre de gravité. Warden
ne doute pas qu’une action menée contre le centre de Les contradictions
gravité d’un des anneaux du système par lequel il
décrit l’ennemi conduise nécessairement à l’atrophie des théories de la destruction
de cette fonction puis à la chute du système tout entier.
Mais ce type de réflexions recourt dans le même temps Mais les contradictions des théories de la destruction,
à des analyses inspirées des théories de la complexi- dont celle de Warden est emblématique, ont surtout
té, dont le concept dominant est celui de non-linéari- trait à la façon dont elle prétendent conduire au but
té. Elles mettent en effet volontiers en évidence la pos- visé. Elles concernent chacun des trois principes de
sibilité d’obtenir des effets sans commune mesure paralysie, de punition et d’élimination des forces qui
avec la cause initiale, par exemple en détruisant une les sous-tendent.
installation électrique mineure, qui arrête la distribu-
tion d’énergie, pour finalement paralyser le pays. Or La première contradiction est la plus évidente. Elle
la non-linéarité est l’un des déterminants du principe montre la vanité du concept de paralysie stratégique.
d’incertitude qui enseigne la limite des théories méca- Si l’on admet que l’objectif d’une action militaire est

DOCTRINE N° 07 58 DECEMBRE 2005


libres réflexions
d’amener l’adversaire à la table des négociations dans commandement supérieur a décidé de se replier ou
des conditions favorables, il apparait indispensable de capituler. On sait qu’en mai 1940 la plus forte résis-
de laisser à son instance dirigeante, qu’il s’agisse d’un tance opposée aux blindés allemands dans les
gouvernement ou d’un commandement militaire, la Ardennes fut celle de sections ou compagnies cou-
possibilité d’assumer sa fonction. Non seulement il pées de leur régiment en repli et qui, animées par une
doit avoir la possibilité de procéder à sa propre éva- volonté farouche de se battre, décidèrent de tenir sur
luation de situation, non seulement il doit pouvoir place.

ADC Fabrice CHESNEAU/SIRPA Terre

manifester un agrément crédible aux exigences qui La deuxième contradiction des théories de WARDEN
lui sont faites, ce qui nécessite qu’il conserve une cer- est relative à sa composante “anti-force”. Plus préci-
taine autonomie, mais aussi et sans doute surtout il sément, elle concerne l’idée selon laquelle la des-
doit être en mesure de communiquer ensuite sa propre truction des forces armées ennemies aura nécessai-
décision aux entités qui dépendent de lui. La cam- rement un impact direct sur le commandement que
pagne irakienne est exemplaire à cet égard. La déca- l’on cherche à faire céder. La théorie de Warden repo-
pitation de l’Irak, si légitime qu’elle ait pu être au regard se sur une conception de la structure politico-militai-
de la nature du gouvernement dirigé par Saddam re dominée par la rigidité. C’est l’un de ses prémisses
Hussein, a conduit à l’émiettement d’une entité poli- essentiels, que l’action dirigée contre un des anneaux
tique cohérente, avec lequel il était possible de trai- a nécessairement un impact sur les autres anneaux,
ter, en une myriade de micro-entités qui ne recon- introduisant ainsi une notion de relation déterminis-
naissent pas la victoire américaine et qui posent un te entre les différentes composantes du système. Un
problème militaire sans commune mesure avec la corollaire important est alors que cette vue de l’en-
menace initialement représentée par l’armée ira- nemi comme un tout fortement intégré va nécessai-
kienne. Si le principe de paralysie appliqué au niveau rement refléter la conception de toutes les organisa-
tactique est sans doute plus prometteur, il n’est pas tions politiques engagées dans le conflit, y compris
sans risques. Le premier est bien connu. Il consiste à celle dont on cherche précisément à définir la straté-
voir le commandant ennemi mis hors de combat rem- gie. Le commandement et la force militaire étant consi-
placé par un adjoint plus capable, plus compétent, dérés comme parfaitement unis, chaque action militai-
plus déterminé. Ce risque est particulièrement avéré re individuelle sera planifiée en accord avec les objectifs
lorsqu’il s’agit de lutter contre un réseau terroriste. Le du plus haut niveau, alors que l’issue de chaque action
second est également régulièrement souligné par les militaire va déterminer l’évolution de la politique ou de
historiens. La mise hors d’usage des moyens de trans- la stratégie qui en est à l’origine. On aboutit à cette “tac-
mission adverses amène souvent des unités subor- ticisation de la stratégie” dénoncée par Michael Handel,
données à continuer à se battre alors même que leur un analyste respecté dans le monde universitaire amé-

DECEMBRE 2005 59 DOCTRINE N° 07


ricain6, c’est-à-dire à “la définition de la stratégie dans Cette contradiction est particulièrement apparente dans
la guerre par des considérations opérationnelles de la théorie de John Warden. Il soutient qu’ “à moins que
plus bas niveau” ; le même Michael Handel souligne les enjeux de la guerre soient très élevés, la plupart des
ainsi que “le ciblage est devenu de facto un substitut à Etats feront les concessions souhaités quand leurs sys-
une véritable planification stratégique7.” Impliqué dans tèmes de production électrique seront soumis à une
les détails de la tactique, le haut commandement court pression suffisante ou effectivement détruits8.” En fait,
non seulement le risque de perdre de vue l’horizon stra- on peut soutenir que c’est la frappe même des centres
tégique de son action, il va aussi être tenté de donner vitaux tels que les systèmes de production d’énergie qui
une importance démesurée aux résultats de l’action mili- élève les enjeux d’un conflit. Autrement dit, il y a une
taire locale qu’il aura déclenchée ; l’ennemi verra ainsi contradiction fondamentale entre la volonté d’influen-
les bénéfices d’un éventuel succès tactique démultipliés cer le calcul coût-efficacité du gouvernement adverse
par l’effet direct et disproportionné qu’il aura eu sur la et le fait de donner simultanément au conflit les carac-
stratégie générale de son adversaire. Le micro-manage- téristiques d’une guerre totale qui exclut précisément
ment des frappes aériennes par la Maison Blanche pen- toute analyse coût-efficacité.
dant la guerre du Vietnam est l’un des nombreux
exemples des effets pervers des conceptions que devait
expliciter Warden dans les décennies qui suivirent.

Enfin, la logique punitive qui sous-tend nombre de stra-


tégies de la destruction peut également être considé- * De l’EMAT/ICAP.
rée comme largement déficiente. Le fait que la des- 1 WARDEN, John. The Enemy as a System. AFELM at
truction d’infrastructures nécessaires à la population USACGSC, Fort Leavenworth (USA), 2000.
ou même des frappes contre les civils puissent ame- 2 DOUHET, Giulio. The Command of the Air in JABLONSKY,
David (Ed.) Roots of Strategy Book 4 Stackpole Books,
ner un ennemi à concéder sa défaite a été très large- Mechanicsburg, 1999.
ment démenti par l’échec historique de ce type de ten- 3 MEILINGER, Phillip Trenchard and “Morale Bombing”:
tatives, comme le prouvent suffisamment les exemples The evolution of Royal Air Force before World War II The
Journal of Military History (April, 1996) N°60. p. 243-270.
des bombardements sur l’Allemagne durant la secon- 4 MITCHELL, William. Winged Defense in JABLONSKY,
de guerre mondiale ou des campagnes aériennes de la David (Ed.) Roots of Strategy Book 4 Stackpole Books,
guerre du Vietnam. En fait une stratégie punitive produit Mechanicsburg, 1999.
5 CLAUSEWITZ, Carl von. De la guerre. Editions de Minuit,
des effets radicalement opposés sur l’adversaire : elle Paris, 1955 p. 244.
le conduit invariablement à accroître sa détermination 6 HANDEL, Michael I. Masters of War Classical Strategic
plutôt qu’à fléchir. Il y a en effet une contradiction entre Thought Third, revised and Expanded Edition. Frank Cass,
London, 2001. p. 353.
l’impact espéré, influencer le calcul coût-efficacité de 7 Ibidem, p. 358.
l’ennemi et le choix de cibles vitales pour la vie du pays. 8 WARDEN, John, Op. Cit. p. 7.

En résumé, la déficience principale des idées de WARDEN et de ses disciples consiste à ignorer la différence fondamentale qu’il
peut y avoir entre les trois entités principales que sont l’instance de commandement ou de gouvernement, la population, et la for-
ce militaire, ou, autrement dit à méconnaître la différence essentielle entre la stratégie, la guerre psychologique et la tactique.
Clausewitz avait surmonté cette difficulté en décrivant le corps politique à l’aide de la “paradoxale trinité”, composée de l’armée,
dont les attributs sont le courage et la chance, de la population caractérisée par la passion, et du gouvernement doué de rationa-
lité. Vouloir utiliser la compétence propre de la tactique, qui utilise la violence pour atteindre le courage ennemi, directement contre
le gouvernement dont l’attribut majeur est la rationalité ou contre le peuple animé avant tout par la passion est voué à l’échec et
relève d’une logique de guerre totale. Contrairement à ce qu’espéraient DOUHET et ses successeurs, le principe de destruction ne
conduit pas une solution plus rapide bien que plus brutale, elle conduit à l’ascension aux extrêmes. La destruction du potentiel
physique de l’adversaire est parfois nécessaire mais seule compte en définitive la destruction de son courage, qui ne s’obtient que
dans la durée. Ceci condamne l’illusion entretenue par les théories de la seule destruction, et parfaitement illustrée par l’expres-
sion de “tire et oublie” érigée au rang de philosophie.

DOCTRINE N° 07 60 DECEMBRE 2005


libres réflexions
“ Parlez-moi de tactique “
a création du CDE puis du CDES avait été l’occasion de souligner combien la transformation

L de l’Armée de terre, dans son aspect le plus emblématique, la professionnalisation, ne


devait pas se limiter à ses dimensions culturelle, humaine et organisationnelle mais devait
s’accompagner d’une “ refondation doctrinale”.
Le CDEF poursuit désormais cette tâche, toujours aussi essentielle. Mais cette réflexion et ses
travaux, aussi pertinents soient-ils, seraient vains s’ils ne s’accompagnaient pas d’un effort
pour replacer la tactique au cœur de la préparation à l’engagement opérationnel1 de nos
forces. Les études tactiques doivent, en effet, constituer le pendant nécessaire à la
normalisation et à la technicité croissante des procédures opérationnelles.
Après avoir analysé les raisons de leur affaiblissement, nous verrons successivement pourquoi
un sursaut est nécessaire et possible, et surtout à quelles conditions celui-ci doit être
entrepris.

PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION (2S) JEAN-MARC DE GIULI

Un certain déclin ... Pour quelles raisons ? comme notre adversaire potentiel, envisageaient la
bataille avec emploi5, notre doctrine la récusait et ne
Douter de l’enseignement et du contrôle ... lui accordait qu’une valeur de test6. De ce fait, toute
des niveaux élevés notre manœuvre était conditionnée par cet impéra-
Bien que notre armée ait très tôt compris l’intérêt de tif d’être en mesure d’effectuer la frappe préstraté-
l’étude et de l’enseignement de la tactique en créant gique sur le théâtre sur court préavis. Cet impératif
l’Ecole de guerre, certains n’auront de cesse de la figeait la planification opérationnelle en une succes-
railler puisqu’elle sera accusée d’être une des caus- sion de volets de manœuvre stéréotypés s’appuyant
es de nos pertes de 19142 et de la défaite de 1940. sur autant de lignes de cohérences. Celles-ci facili-
Cet ostracisme perdurera jusqu’à nos
jours puisque ne dit-on pas que pour
remplir une mission, il existe deux solu-
CDEF

tions la bonne et celle de l’Ecole de guerre.


Cette dichotomie, entre réflexion et
action, s’est prolongée par une opposi-
tion farouche3 à la notion d’évaluation
ou de contrôle notamment pour les
généraux4 dans leur commandement, au
prétexte que l’impossibilité de mesurer,
en temps de paix, les paramètres sub-
jectifs d’un affrontement enlevait toute
valeur aux résultats objectifs constatés.

Pour renforcer la dissuasion...


minimiser la tactique
La guerre froide, en raison de la dialec-
tique subtile introduite par la dissuasion
nucléaire et sa conception à la française,
a renforcé les effets de ces aspects cul-
turels. En effet, alors que nos alliés, tout

DECEMBRE 2005 61 DOCTRINE N° 07


taient, au plus vite, la définition d’une ligne de sûre- finalités à la résolution des crises, mais elles ont sur-
té nucléaire qui admettait difficilement des disposi- tout été caractérisées par une extension de l’emploi
tifs trop alambiqués. en tous lieux, y compris sur le théâtre africain, et par
Ainsi donc nos grandes manœuvres de la guerre froi- tous les belligérants, de ce qu’il était convenu d’ap-
de voyaient se dérouler un ballet bien réglé. Nos peler lors de la guerre froide les moyens convention-
grandes unités, après une transhumance opération- nels ou classiques.
nelle qui les avait amenées de ZDG en ZDI, de ZDI en Ces actions ne sont plus virtuelles, elles entraînent le
ZDA, de ZDA en ZDAE, puis en ZDO, entreprenaient “paiement comptant” dont parlait Clausewitz, c’est-
l’immuable manœuvre en piston de marche à l’en- à-dire l’épreuve de vérité que constitue tout engage-
nemi, prise de contact, manœuvre défensive, suivie ment réel. Ceci impose aux forces de détenir, d’em-
d’un ultime arrêt sur la grande coupure du moment. blée, une réelle marge de supériorité sur leur
La séquence nucléaire scellait traditionnellement le adversaire potentiel ou déclaré.
FINEX en apothéose7.

La phase défensive en constituait le point d’orgue tac- Une évolution culturelle aux effets accrus
tique8. Jamais notre vocabulaire militaire n’a été aussi par la technique
riche pour illustrer ce qui nous permettait “d’échanger
du terrain contre des délais” selon les justificatifs savants L’équilibre de la terreur avait figé les armées dans une
de l’époque. En effet nous savions doser à la petite cuillè- posture d’attente stratégique. Les centres d’intérêts
re toute la gamme subtile des procédés qui vont du frei- s’étaient portés sur la guerre dite révolutionnaire hors
nage dur à la défense molle, sans oublier les retours d’Europe et la surenchère quantitative et qualitative
offensifs, les contre- attaques9 et autres coups dont la des armements, dans les deux blocs. Aujourd’hui la
graduation allait ... d’épingle à ... d’arrêt, prolongé pour recherche doctrinale développe l’analyse et l’action
certains, mais souvent par essoufflement. sur les champs immatériels. La préparation de l’ave-
Au niveau des corps d’armée, les rôles de la pièce nir est passée d’une logique de renouvellement des
étaient connus, et alternativement distribués entre armements à une logique d’adaptation des équipe-
l’enclume et le marteau10 selon un schéma tout aus- ments selon les besoins en effets à produire.
si classique, dont la finalité ne visait pas moins à
concentrer les forces de l’ennemi pour optimiser les
effets de la frappe, dernier sursaut vengeur d’une Une préparation à l’engagement opérationnel
bataille ingagnable. plus professionnelle

Mais, les évolutions les plus sensibles ont porté sur


Privilégier les systèmes et les procédures la “professionnalisation” de notre préparation à l’en-
gagement opérationnel.
Ainsi donc, sous la double pression de l’interopéra-
bilité avec nos alliés de l’OTAN et de la gestion spé- Le bien fondé de la non - dissolution de l’Ecole de
cifique d’ensembles opérationnels complexes, s’est guerre, au prix de sa transformation en un CSEM à 5
progressivement mis en place un ensemble de pro- mois, puis le refus de sa disparition pure et simple pro-
cédures et de savoir-faire techniques que l’informati- posée il y a peu au sein de l’Armée de terre même (!), se
sation des PC n’a fait qu’étendre et renforcer11. Dès confirme chaque jour davantage. On a également été
lors la forme a pris le pas sur le fond, et la plupart de bien inspiré de ne pas toucher à l’Ecole d’état-major,
nos objectifs ont fait la part la plus belle à la maîtrise au moment où disparaissait la seule période de for-
des outils et des techniques d’état-major, au détri- mation au commandement d’un groupement tactique
ment de l’étude de la résolution d’un ou de problè- interarmes que constituait la préparation à l’oral du
me(s) tactique(s). concours au CSEM.

Parallèlement, les forces disposent désormais d’une


Un renouveau nécessaire et possible ... véritable école d’application de la doctrine et de la
tactique avec le CPF (CENTAC12 et CEPC, demain CEN-
Grâce à des atouts ZUB). S’appuyant sur un ensemble d’outils de simu-
Le retour des stratégies d’action lation qui augmentent sensiblement la rigueur et
l’objectivité des exercices tactiques, ils complètent
Ce besoin est dû en premier lieu au retour des straté- leur action de la mise en place progressive d’un
gies d’action. Ainsi les forces terrestres ont effectué concept d’évaluation à la française13 faisant une lar-
en 15 ans, 20 fois plus d’interventions et d’opérations ge part à l’analyse après action. Ce concept est
qu’au cours des trente années qui ont suivi la fin des aujourd’hui parfaitement intégré, il est non seule-
opérations en Algérie. Toutes ces opérations ont été ment accepté mais apprécié par chaque chef dans
marquées par leur diversité, l’élargissement de leurs son commandement.

DOCTRINE N° 07 62 DECEMBRE 2005


libres réflexions
Enfin l’accroissement des opérations et des expériences
opérationnelles s’est accompagné de la formalisation
et de la mise en place d’une vraie politique de retour
d’expériencequi, bien que perfectible, commence à four-
nir des enseignements validés en vue de l’adaptation et
de l’évolution des doctrines et des équipements.

Un renouveau ... A quelles conditions ?


Adapter les exercices

Il conviendrait tout d’abord de corriger un constat


récurrent portant sur une trop grande multiplicité et
quantité d’objectifs à atteindre lors des exercices. OTAN

Adapter l’organisation et le déroulement des exercices


devrait aussi conduire à dissocier ce qui relève de la
réflexion et de la maîtrise des méthodes, de ce qui résultat il manœuvrera peu, ne remaniera jamais ses
relève des savoir-faire techniques14. Il conviendrait dispositifs, ne tiendra pas de plan de manœuvre puis-
enfin de ne pas cumuler les buts d’expérimentation, qu’il sera rarement menacé.
d’évaluation et d’entraînement.
Les phases d’apprentissage et d’instruction pourraient
être faites “à la maison” à l’aide d’outils pédagogiques Capitaliser les expériences et expérimenter
adaptés. Les phases d’entraînement le seraient au
cours d’un exercice unique multiniveaux, tant il est Le RETEX et l’analyse après action qui en constitue
vrai qu’aujourd’hui la vieille notion qui veut que l’on la phase d’exécution à chaud sont des outils dont nous
n’instruit qu’un seul niveau à la fois15 est de plus en devons accroître l’utilité. Dans le prolongement de ce
plus battue en brèche par l’interaction de ceux-ci. Cette qui a été proposé sur la distinction à faire entre res-
interaction n’est, d’ailleurs, que la conséquence direc- ponsabilités de conception - décision et celles de mise
te du principe de modularité et d’affectation fonc- en œuvre ou exécution de la décision, Il serait inté-
tionnelle des tâches16 par niveaux. ressant de dissocier les équipes 3A selon ce clivage.
Ainsi l’analyse 3A du premier cercle pourrait essen-
En outre, les objectifs tactiques choisis ne devraient tiellement porter sur la tactique.
pas se contenter de faire répondre à des questions Rejoignant en cela les considérations exposées ci-des-
de cours telles que le recueil, l’attaque. Ils devraient sus sur la limitation des objectifs, il conviendrait de pré-
faire étudier des situations nécessitant l’élaboration voir l’exécution de “rejeu” au cours des exercices. Ce
de MA non décrits dans le manuel et posés par l’en- “rejeu” devrait permettre, soit de reprendre une phase
nemi (rapport de forces défavorable, ME atypique), dont le déroulement a été insatisfaisant, soit de rejouer
par l’environnement ami (situation atypique : unité une phase selon un mode d’action différent.
encerclée..), le terrain ou par la mission (cadre espa- On pourrait dès lors envisager de passer au stade ulti-
ce-temps contraint, moyens limités ou progressive- me et le plus stimulant de ce renouveau. Il s’agirait de
ment disponibles, objectif précis). formaliser dans la notation annuelle une appréciation
sur les dispositions particulières de l’intéressé vis-à-
Les problèmes à résoudre devraient aussi résulter vis du cœur de son métier de chef opérationnel : le
d’exigences plus pertinentes. Aujourd’hui les diffi- sens tactique. Cette proposition délicate aurait au
cultés posées aux joueurs proviennent trop souvent moins le mérite de renforcer l’impact des notations
d’une absence de représentation des échelons supé- intercalaires, celles obtenues en opération lorsqu’il
rieurs17. Ainsi l’échelon joueur reçoit une mission qui aura fallu, effectivement, faire preuve des plus spéci-
doit aussi prendre en compte les problèmes de l’éche- fiques qualités de chef militaire.
lon supérieur dans des fonctionnalités qui ne sont pas
toujours les siennes (gestion de l’espace, COMOPS
par exemple...) ; quand ce n’est pas l’échelon supé- Chercher et enseigner
rieur qui transpose directement sa mission18 à l’éche-
lon inférieur. On pose ainsi à ce dernier des problèmes Dans ce domaine, un rééquilibrage des efforts de for-
qui ne devraient pas être les siens et on simplifie à mation au profit de l’enseignement militaire supé-
l’extrême ceux de son niveau. Il aura, en effet, tou- rieur19 s’impose. La comparaison des ressources
jours la supériorité aérienne, un rapport de forces favo- (humaines, financières, temporelles) affectées à la for-
rable, une panoplie quasi complète de moyens en ren- mation tactique d’un cadre subalterne par rapport à
forcement, des pertes toujours recomplétées, etc. Au celles consacrées à un officier opérations de GTIA ou

DECEMBRE 2005 63 DOCTRINE N° 07


de grande unité, responsabilité qui sera souvent dou-
blée du commandement du corps de troupe ou de la Au terme de ce plaidoyer, dont nous avons bien
brigade correspondante, est largement en faveur du conscience qu’il est à la fois caricatural22, brutal23,
premier. Certes, il ne s’agit pas d’opposer les deux for- simplificateur et facile24, il nous apparaît qu’un
mations, mais on peut tout de même s’interroger sur renouveau de la tactique est possible. Les
la balance des investissements consentis au regard circonstances s’y prêtent, les esprits y sont
de l’importance et de la durée respectives des postes favorables voire le demandent. Et pour une fois,
tenus20. cette démarche ne devrait pas être perçue par nos
alliés comme une manifestation supplémentaire
Pour terminer sur une note d’optimisme, il faut saluer de “l’exception française”. Elle constituerait
mais surtout encourager le courant extrêmement enfin une condition inéluctable et, heureuse
positif qui se fait jour chez nos jeunes officiers supé- caractéristique décisive, relativement peu
rieurs et généraux en faveur de l’étude et de la onéreuse, pour accroître les performances
réflexion tactique et historique21. Le renouveau est opérationnelles de nos systèmes les plus
réel, il se traduit par un nombre croissant de publica- modernes à l’heure de la miniaturisation et de
tions de très grands intérêt et qualité. la numérisation.

1 Terme pris dans son sens le plus large qui inclut la doctrine, la formation, 11 Comme souvent d’ailleurs, nous avons voulu être plus “otaniens“ que les
l’instruction, l’entraînement et la mise en condition opérationnelle. “otaniens“ eux-mêmes en systématisant l’emploi des procédures OTAN à
2 Chacun sachant que la victoire de la Marne est due à la placidité et au calme tous les niveaux, alors que même dans la structure intégrée, elles ne sont
de Joffre, et celle de 1918 à la ténacité du poilu. obligatoires que pour le niveau CA et au-dessus, les échelons subalternes
3 Jugement à nuancer selon le niveau, plus celui-ci était bas, plus le contrôle conservant les procédures nationales.
était élevé et exigeant, et les armes, en particulier les armes techniques 12 Heureuse appellation en l’occurrence.
dont les savoir-faire étaient plus aisément modélisables, connaissaient des 13 Outil de pédagogie et de progrès et non de sanction.
contrôles impitoyables. 14 Les premiers concernent le commandeur, son premier cercle et ses subor-
4 Dont la susceptibilité était préservée par des règlements très sommaires donnés directs en charge de la planification, de la manœuvre future, et de
(30 à 40 pages) à l’aspect plus littéraire que normatif, s’arrêtant au niveau la conduite de l’action. Les seconds intéressent les cellules de l’état-major
division, et dont la liberté d’action était préservée par le respect jaloux du dans la mise en œuvre de leurs procédures et le service de leurs outils
principe qui voulait que le général mette à sa main son état-major, ce qui informatiques.
valait ainsi au 1er CA des années 80, 4 divisions aux PC aussi dissemblables 15 Qui d’ailleurs peut rester vraie pour l’instruction dans la mesure où elle
que la personnalité de leurs chefs (selon des formules, pour ne parler que n’est pas l’entraînement.
de la structure globale, qui allaient de la croix de Marmon-Bocquet camou- 16 Ainsi quand on veut faire jouer isolément le niveau de la brigade, on s’aper-
flée au fond des bois au chapiteau de cirque déployé sur la place principale çoit que la qualité et la valeur de cet entraînement reposent sur une forte
des petites villes lorraines). représentation du niveau 2 dont elle dépend pour la logistique, le renseigne-
5 Présentation raccourcie, car en fait les doctrines ont évolué avec l’adoption ment, les appuis feux, le NBC et la gestion de l’espace.
de la riposte graduée et du concept d’ “Airland battle”. 17 Constat surtout sensible au niveau de la brigade.
6 Il est à noter que le nucléaire avait monopolisé et pétrifié toute la réflexion 18 C’est souvent le cas dans des missions de contrôle de zone où la solution de
doctrinale. facilité consiste à répercuter en cascade la même mission à chaque échelon
7 Ce raccourci ne vise pas à décrédibiliser les responsables militaires de hiérarchique, en se contentant d’adapter le découpage de la zone par
l’époque, l’ensemble de ces dispositions et de ces choix tactiques étaient niveaux en fonction du nombre d’entités constitutives du niveau considéré.
dictées par les circonstances et notre position en deuxième échelon de 19 Encore que dans mon esprit, les mesures visant à unifier au niveau interar-
l’Alliance. Il ne s’agit que de mettre en lumière les conséquences de la chape mées la formation militaire du second degré se traduisent par un effort
de plomb nucléaire sur la manœuvre des grandes unités. conséquent mais mal ciblé, les promotions du CID sont trop nombreuses
8 Qui faisait effectivement travailler la tactique, mais au niveau du régiment, pour effectuer une formation de qualité dans le même temps où nous man-
puisque le sous-groupement jouait rarement et que la brigade n’existait que quons de tacticiens des grandes unités pour armer les PC, occuper les
par épisodes. chaires de tactique, étoffer les 3A.
9 Outre la nécessité d’entretenir le caractère dynamique et agressif de nos 20 Tout au plus deux à trois ans au commandement de trente à quarante
manœuvres retardatrices, ceci permettait également d’alimenter la dimen- hommes et de 3 ou 4 engins pour le premier, 3 à 4 fois 2 à 3 ans pour le
sion médiatique naissante de notre armée mécanisée moderne par le temps second au commandement de milliers d’hommes et de centaines d’engins.
fort télévisuel que constituait le “débouché“ du régiment de chars. 21 Pour ne pas mettre en exergue l’appétence pour jeunes et moins jeunes
10 L’apparition de la FAR et d’un troisième CA aurait pu offrir des combinaisons pour les “jeux de guerre” informatisés.
tactiques plus intéressantes mais soit on les groupait deux à deux ou la FAR 22 Notamment à l’encontre de nos anciens qui exerçaient de lourdes responsa-
jouait toute seule, dans son coin, une manœuvre classiquement novatrice bilités ces dernières années et dont l’action a tout de même contribué à
qui immanquablement voyait sa composante aéromobile devancer l’ennemi forger des forces terrestres d’une qualité reconnue tant par nos alliés que
dans la profondeur, se faire rejoindre par sa composante légère blindée, qui par nos adversaires.
elle-même, prenant le combat à son compte, menait une manœuvre retar- 23 Mais il faut, hélas, souvent forcer le trait pour émouvoir, parfois en vexant,
datrice en direction de la dernière grande unité d’infanterie qui elle, s’étant dans notre armée, sinon on a toujours tendance à se satisfaire de la situa-
enterrée 4 jours plus tôt, attendait un choc qui risquait d’ailleurs de lui tion ou à justifier l’immobilisme au nom de la préservation du moral, du res-
échapper, l’auteur de ces lignes ayant assisté comme chef d’état-major de pect sourcilleux du principe de précaution vis-à-vis des effets de mode, et
celle-ci à l’invention d’un nouveau concept tactique : la relève rétrograde, surtout de l’attention à ne pas blesser les nombreuses susceptibilités.
c’est-à-dire, non pas la relève d’une unité usée par une unité fraîche mais 24 Ne serait-ce que du fait des contraintes lourdes de nos forces en matière
le remplacement d’une unité fraîche par une unité usée. de temps et de moyens.

DOCTRINE N° 07 64 DECEMBRE 2005


libres réflexions
Armées et post-modernité
uelle est la place des forces armées et notamment celle de l’Armée de terre dans les sociétés
Q post-modernes ? Il n’y a pas de réponses aisées à cette question qui conditionne en large part
l’avenir des armées.
Il est généralement admis que dans les sociétés occidentales, l’apparition de nouvelles normes
sociétales, les bouleversements dans les moyens de production, la révolution dans la communication
transforment radicalement la relation entre État, Nation, citoyenneté et défense. Les contours mêmes
des nations se sont également dilués. Si les racines profondes (histoire, culture, langue, etc.) des
peuples européens demeurent fortes, ce socle est désormais affecté, depuis quelques décennies, tant
par la construction européenne que par l’afflux de populations ethniquement différentes qui
apportent avec elles des valeurs et des normes qui n’avaient jusqu’à récemment pas eu d’impact
significatif sur le corps social européen dans son ensemble. Cette évolution, dont on ne saurait mettre
en cause la réalité objective, aura des effets à long terme sur la façon dont pourrait être appréciée et
qualifiée la notion de menace, et avec elle la place et le rôle des forces armées.

La fin des grandes idéologies, la mise en cause de repères traditionnels (patrie, nation, etc.),
l’existence de nouvelles formes d’allégeance à l’égard de l’Europe, de mouvements ou organisations
transnationales, de la défense de l’environnement, des droits de l’homme, de certaines religions,
pourraient en outre conduire à la dilution du sens de la menace. Une menace majeure pourrait n’être
plus ressentie comme telle par d’importants segments de la population qui n’en éprouveraient pas la
réalité. A l’inverse, des dangers non pris en cause par l’État pourraient être considérés comme majeurs
et mobiliser des “militants” en dehors de tout contexte étatique et national.

PAR MONSIEUR YVES BOYER*, DIRECTEUR ADJOINT DE LA FONDATION POUR LA RECHERCHE STRATÉGIQUE (FRS)

ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre

i la Nation contre laquelle s’exercerait une mena- Dès lors, il est possible d’esquisser des hypothèses

S ce ne représente plus la même valeur que jadis


pour beaucoup de nos concitoyens, il est éga-
lement vrai que la notion de menace majeure s’est
quant au recours à la puissance armée dans les socié-
tés post-modernes. Il pourrait s’opérer suivant diffé-
rents modèles :
elle-même considérablement élargie. Dans la socié- - “l’outsourcing sécuritaire” : le découplage entre
té internationale post-moderne, elle devient le plus la fonction de défense et l’idée de citoyenneté
souvent “dé-territorialisée”. Elle englobe aussi bien conduirait, dans les sociétés post-modernes, à
des pandémies (le virus Ebola, la pneumonie atypique), l’extension du mercenariat et à terme à la privati-
des accidents industriels majeurs (accident dans une sation de la fonction militaire ; une situation qui
centrale nucléaire, pollution chimique de grande prévalait en Europe avant l’apparition de l’Etat-
ampleur, etc.), un afflux massif de réfugiés, que des nation ;
actions liées à des mouvements millénaristes ou ter-
roristes agissant en dehors de tout lien avec un État.
- “la militarisation sociétale” : à l’inverse de l’hypo- L’Armée de terre a tout à perdre dans le long terme
thèse précédente, sous l’effet d’une confusion à vouloir prétendre systématiquement “montrer le
croissante entre menaces externes et internes liées drapeau” pour justifier son rôle. Comparaison n’est
au terrorisme, on assisterait à une militarisation pas raison. Toutefois, le passé abonde en exemples
de la société sous la pression d’une demande sécu- où la meilleure armée n’est pas nécessairement cel-
ritaire croissante ; le qui s’est le plus fréquemment engagée dans des
- “la sécurisation globale” : la fin des armées tradi- opérations de “petite guerre”. Il ne faudrait pas, à
tionnelles s’opèrerait à travers la construction d’un l’instar de l’armée du second Empire engagée avec
ensemble de missions “ tous azimuts ” placées brio sur des théâtres extérieurs mais défaite sur le
sous l’égide d’une entité multinationale et du res- champ de bataille européen, que l’Armée de terre
sort d’une sorte de “milice” internationale. sacrifie avec trop d’empressement le long terme et
finisse par trop oublier et trop négliger, faute de
moyens supplémentaires, les conditions du combat
Si l’on n’y prend garde ces hypothèses pourraient de haute intensité et en paye alors, avec le pays, le
devenir, sous une forme ou une autre, réalité à plus prix fort.
ou moins longue échéance. En effet, un demi-siècle
de paix relative a conduit la population européenne
à devenir largement étrangère aux affaires de défen-
se. Le souvenir d’un passé méconnu et jugé parfois
trop militariste accentue la méfiance de l’opinion, si
ce n’est son aversion, pour les choses militaires. Sur
le long terme, une telle attitude aura sans aucun dou-
te des effets profonds. Une part importante de l’élite
de la jeunesse européenne ignore la carrière des armes.
Par exemple, seulement deux à trois jeunes
Polytechniciens choisissent par promotion la carrière
des armes, un renversement de tendance considé-
rable en une cinquantaine d’années. Les budgets de
la défense deviennent difficiles à justifier. Les obser-
vateurs les plus pessimistes vont jusqu’à partager les
vues de l’historien militaire britannique Sir Michael
Howard, selon lequel en Europe, “les vertus militaires,
fruit de siècles d’expérience finiront par être oubliées”1. * Egalement président de la Société française d’études
militaires. Responsable à l’École polytechnique
Les dirigeants politiques ne sont pas immunisés contre d’un enseignement magistral sur les problèmes
cette évolution. Parfois même, ils sacrifient le court contemporains de défense ; maître de conférence
terme par l’engagement trop fréquent des forces à l’Institut d’études politiques de Paris chargé
d’un séminaire portant sur les “ Concepts et doctrines
armées, et particulièrement les forces terrestres, militaires ”. Professeur associé à l’École spéciale
dans des opérations de basse intensité qui finissent, militaire de Saint-Cyr chargé de l’option “ La politique
du fait de leur coût et de leur durée, par porter pré- militaire américaine “.
1 Michael Howard, War in European History,
judice à l’entraînement et au renouvellement des Oxford University Press, 1984.
équipements.

L’action terrestre dans la résolution des crises a marqué la décennie qui vient de s’écouler. Il fallait en effet, pour
l’essentiel, solder en Europe et dans sa périphérie les suites de la recomposition de la scène internationale après
la disparition du monde soviétique. Ces actions se sont déroulées dans un environnement complexe et difficile
mais sans opposition militaire majeure. Cette situation n’est pas nécessairement la norme pour les 10/15 ans à
venir. Qui pourrait, en effet, prendre le pari que ce siècle sera épargné par les foudres de grands affrontements
militaires ? Il convient dès lors de continuer à moderniser l’Armée de terre en lui donnant en particulier puissance
de feux et davantage de moyens lourds pour se préparer à des affrontements majeurs et peser dans le cadre
d’une coalition européenne et atlantique. Les opérations de stabilité pourraient être davantage du ressort de
ceux de nos partenaires européens dont les efforts de défense sont modestes. A l’Armée de terre française, et sans
doute à son homologue britannique, reviendraient les actions militaires les plus vigoureuses qui s’inscrivent sur
le spectre le plus haut de la violence armée.

DOCTRINE N° 07 66 DECEMBRE 2005


essence interarmées par nature, une action d’un axe d ‘attaque qui permette à l’équipage de tou-

D’ militaire en zone urbaine doit être prise en


compte au niveau opératif comme une action
impliquant plusieurs composantes fonctionnelles
jours conserver le visuel de sa cible lors de sa passe
de tir. Les effets de l’armement utilisé doivent être par-
faitement connus du TACP qui seul peut juger des
simultanément (JFAC1, LCC2, MCC3, CJSOTF 4, etc.). Le risques encourus par l’environnement direct de l’ob-
commandant de l’opération (COMANFOR : COMmandant jectif et de la pertinence de l’effet de la munition vis-
des FORces) doit désigner la composante menante et à-vis de l’effet recherché. L’utilisation d’armement de
les composantes concourantes selon le principe du précision à guidage terminal humain (laser, caméra
“supported - supporting” (menant-concourant). Il est thermique, etc.) doit être systématiquement retenue.
essentiel dans ce choix de prendre en compte le besoin En cas d’utilisation de capteurs infrarouge, il faut
temps réel de la transmission des informations vers prendre en compte l’échauffement supérieur d’une
la structure de commandement déployée, afin de don- zone urbaine qui peut perturber la discrimination entre
ner au décideur une représentation claire du théâtre les différentes signatures infrarouge.
d’opération (COP : Common Operational Picture) et le Dans tous les cas il est absolument nécessaire de s’as-
maximum d’éléments pour qu’il puisse décider avec surer que la munition ira au but (trajectoire dégagée,
clairvoyance. masque d’illumination), car le milieu urbain est den-
Mais il est nécessaire, une fois ces considérations opé- se et la confusion entre deux immeubles ou deux rues
ratives établies, d’aborder le domaine tactique nous est aisée. Les données transmises à l’équipage (CAS
conduisant à identifier trois grands axes de réflexion control card) ne suffisent plus ; en dehors de repères
pour aborder la problématique de l’appui aérien en caractéristiques (grand immeuble, forme remarquable,
zone urbaine : les tactiques utilisées, le besoin d’in- etc.) la description de l’objectif est plus difficile que
formations précises et actualisées, et la nécessité dans une zone plus rurale (où il est plus facile de maté-
d’entraîner les acteurs (équipages et les TACP5). C’est rialiser pour le TACP et pour l’équipage une longueur
l’objet de cet article. de référence). Un besoin d’informations très précises
et actualisées est donc nécessaire à la réussite de la
mission.
La synergie des composantes
au niveau tactique
Le temps réel : réponse au besoin
C’est bien la synergie entre les composantes aérien- d’informations précises et actualisées
ne et terrestre (ou forces spéciales) qu’il s’agit de
mettre en œuvre pour réussir ce type de mission. La Ce besoin doit être centré sur l’objectif et son envi-
composante terre (ou forces spéciales) fait remon- ronnement direct. L’objectif doit être clairement iden-
ter en temps réel la présence d’ennemis dans la zone tifié par les acteurs (TACP, équipage) sans qu’il y ait
urbaine, dans le même temps la composante aérien- le moindre doute, l’environnement de l’objectif (pré-
ne propose l’armement adapté pour neutraliser la sence de civils ou de troupes amies) nécessite un sui-
menace. Ces informations sont transmises aux centres vi le plus fin possible de la manœuvre en cours. Il est
de commandement ce qui permet de décliner les donc de la responsabilité des structures C27 d’ac-
actions de niveau tactique. tionner leurs capteurs (satellites, avions de recon-
La première des tactiques à envisager concerne la naissance, drones, appareil numérique au sol...) et de
prise en compte de la menace antiaérienne. s’assurer de la transmission des images acquises en
L’environnement urbain présente une excellente cou- temps réel aux acteurs.
verture pour des systèmes d’armes, ce qui les rend dif-
ficiles à localiser et à prévenir. Le toit d’un immeuble L’identification claire d’un objectif en milieu urbain
est un site privilégié pour un missile sol-air, un véhi- peut se faire à l’aide d’une photographie renseignée
cule civil peut abriter de l’artillerie antiaérienne de ou grâce à l’extraction extrêmement précise des coor-
moyen calibre. Il faut donc réduire au maximum l’ex- données. Une photographie renseignée facilitera le
position des avions en limitant leur temps de vol au- repérage des lieux, limitera le temps d’exposition de
dessus de la zone urbaine. L’avion doit éviter de sur- l’aéronef, et si nécessaire, aidera l’équipage à l’ac-
voler la zone lors de son circuit d’attente, ce qui impose quisition visuelle de l’objectif une fois la photographie
au TACP d’être sur un point haut pour maintenir le brute réalisée. Son habillage peut se faire au moyen
contact radio et le visuel de la cible. Une attention tou- d’une grille de référence comme suit (extrait de l’AJP
te particulière doit alors être portée en cas d’utilisa- 3.3.2.1)
tion d’un “FAC airborne”6 à la verticale de l’objectif.
Il est alors nécessaire de disposer d’une boucle cour-
La proximité entre l’objectif, la population civile et/ou te entre les acteurs sur le terrain et les équipages en
les troupes amies doit toujours être présente à l’es- vol pour raccourcir les délais de transmission de cet-
prit. Cette exiguïté de la zone d’action impose le choix te image référencée.

DOCTRINE N° 07 68 DECEMBRE 2005


libres réflexions
Une attention particulière doit également être appor-
tée à l’extraction de coordonnées. Les armements
stand off ne nécessitant pas l’acquisition visuelle de QUADRILLAGE URBAIN
l’objectif par l’équipage, le système qui permet d’ex-
traire les coordonnées doit être le plus fiable possible.
“Bravo-1,
Quant à l’environnement de l’objectif, sa connaissan-
coin sad.
ce est indispensable pour éviter les dommages colla- Tireur d’élite,
téraux et les tirs fratricides. La situation en milieu fenêtre au dernier
urbain évoluant rapidement et de façon aléatoire, il étage”.
est nécessaire, afin d’évaluer au mieux l’environne-
ment et pour appréhender au plus vite les évolutions
du contexte de l’engagement, de disposer d’une cel-
lule air directement rattachée au PC mobile présent
sur le terrain. Les spécificités de l’appui aérien en zone
urbaine nécessitent un entraînement pertinent et réa-
liste pour atteindre un haut niveau d’efficacité.

QUADRILLAGE DE LA ZONE D’OBJECTIF

L’importance de l’entraînement

De même que pour les autres types de missions de


“Echo -2,
l’arme aérienne, la devise du “ train as you fight ” entrée principale
s’applique au CAS urbain. Si actuellement l’entraî- sur la rue Elm”.
nement aux missions d’appui aérien est régulier, il
n’existe pas de réelle possibilité d’entraînement en
milieu urbain.

A l’horizon 2006, le Centre d’entraînement aux


actions en zone urbaine (CENZUB) verra le jour sur
le camp de Sissonne. Ce site reproduira dans un pre-
mier temps un centre-ville, pour à terme constituer
un ensemble complet intégrant une zone pavillon-
naire ou encore une zone industrielle. Si ce centre
a pour vocation première l’entraînement des sous- * du Commandement de la défense aérienne et des opérations
aériennes (CDAOA).
groupements tactiques interarmes (SGTIA) de l’Ar-
mée de terre, il offre également d’excellentes possi- 1 Joint Force Air Component Command.
bilités pour effectuer des missions d’appui aérien en 2 Land Component Command.
3 Maritime Component Command.
conditions réelles (illumination laser par exemple). 4 Combined Joint Special Operation Task Force.
Cette plate-forme d’entraînement constitue un outil 5 TACP : Tactical Air Control Party : équipe de guidage avancée
unique pour appréhender les spécificités de l’ap- au sol.
6 FAC airborne : Forward Air Controller : guideur avancé depuis
pui aérien en zone urbaine qui place les acteurs, en un aéronef.
vol et au sol, en situation la plus réaliste possible. 7 Commandement et conduite.

Les opérations actuelles démontrent le besoin croissant d’intervention en zone urbanisée. Si l’appui aérien en zone

urbaine est une mission d’appui aérien à part entière, elle présente des particularités qui méritent d’être soulignées

de façon à préparer au mieux les forces qui le mettront en œuvre. La doctrine de l’appui aérien centré sur le feu en

cours de rédaction y consacrera d’ailleurs un chapitre particulier.

DECEMBRE 2005 69 DOCTRINE N° 07


La sous-utilisation des forces
terrestres alliées, en Europe,
pendant les deux guerres mondiales

Le progrès technique, extrêmement rapide, qu’ont connu les armées des pays industrialisés,
pendant la première moitié du XXe siècle, parait avoir relativisé le rôle des forces terrestres au
profit de la marine et de l’aviation pendant les deux guerres mondiales. La manière, dont les Alliés
ont chaque fois mené la lutte contre l’Allemagne, paraît d’autant mieux confirmer cette idée qu’ils
combattaient une puissance dont les bases étaient essentiellement terrestres.
La bataille décisive dans laquelle ils ont, comme leur adversaire, longtemps placé la solution au
conflit ne s’est jamais produite et, contrairement à ce dernier, ils ne sont pas davantage parvenus à
opérer une percée de quelque importance 1.
La suprématie navale britannique a, en revanche, fortement influencé l’issue de la guerre, en
permettant aux Alliés de disposer d’un abondant ravitaillement, tout en privant l’Allemagne des
ressources dont avait besoin son économie.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les forces aériennes ont joué un rôle tout aussi décisif dans
la victoire alliée. Dès la fin 1942, l’aviation tactique a sérieusement entravé la liberté d’action des
forces terrestres allemandes, en attendant que les bombardements stratégiques achèvent de les
paralyser en faisant chuter la production de carburant, à partir de l’automne 1944.
Cependant, les Anglo-saxons - qui furent les seuls belligérants de la Seconde Guerre mondiale à
disposer d’armées entièrement mécanisées ou motorisées - ne progressèrent qu’avec beaucoup de
peine en Italie, puis en Normandie. Malgré l’effondrement qu’y connut la Wehrmacht en août 1944,
ils ne parvinrent pas à empêcher celle-ci de replier une grande partie de ses forces, puis de se
rétablir sur les frontières du Reich dès septembre. Le déroulement des opérations n’était guère plus
satisfaisant que pendant la bataille de France de 1918, au cours de laquelle les Alliés avaient
repoussé le front allemand sans jamais parvenir à le rompre, en dépit de l’énorme supériorité
matérielle dont ils disposaient2.
Ce décalage entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus, amène à se demander si le
faible rendement des opérations terrestres menées par les Alliés, n’a pas davantage découlé de
leur difficulté à tirer parti du progrès technique que d’un réel amoindrissement de leur rôle.

PAR LE COMMANDANT CHRISTOPHE GUÉ, CHEF DU COURS D’HISTOIRE MILITAIRE AUX ÉCOLES DE ST-CYR - COËTQUIDAN

DOCTRINE N° 07 70 DECEMBRE 2005


UN RENDEMENT INSUFFISANT,
COMPENSÉ PAR LA PUISSANCE NAVALE
retour d’expérience
de feux - le succès ne peut être exploité. donnent les moyens de reprendre l’of-
(1914-1918) La lenteur avec laquelle les renforts et fensive en 1918. Les armées alliées sont
le ravitaillement sont acheminés inter- alors plus éloignées de celles de 1914
dit qu’il en soit autrement. qu’elles mêmes ne l’étaient des armées
L’échec des plans de 1914 et l’apparition napoléoniennes. Disposant d’environ
de fronts immobiles, constituent un Les Alliés espèrent que le blocus, dans 4000 chars et d’une formidable artillerie,
exemple frappant - valable pour les deux lequel ils enserrent l’Allemagne dès la fin elles sont soutenues par un parc auto-
camps - des conséquences du sous- 1914, les aidera à sortir rapidement de l’im- mobile de 200 000 véhicules et appuyées
emploi des possibilités offertes par le passe en affaiblissant ses défenses. C’est par 6 000 avions5.
progrès technique, en matière d’opéra- compter sans la capacité d’adaptation de
tions terrestres. l’économie du Reich. Celle-ci parvient, en Cependant, les difficultés que cause aux
effet, à différer les effets du blocus, grâce Alliés le maniement de ce formidable outil
Alors que les transports stratégiques, qui aux importations effectuées par l’inter- de combat permettent aux Allemands de
utilisent au mieux la vapeur, permettent médiaire des pays neutres limitrophes et se replier en bon ordre. Au moment où
de déployer d’immenses armées et de les à une gestion serrée de ses stocks, conju- une percée devient enfin possible, en
ravitailler de manière ininterrompue lors- guée à la production d’ersatz. Lorraine 6, l’armistice est signé.
qu’elles se tiennent sur la défensive, les L’annulation de cette opération a de
déplacements tactiques, qui ignorent pra- Le faible rendement et le coût des assauts lourdes conséquences : la défaite de leurs
tiquement l’emploi du moteur à explo- que multiplient les Alliés, les amènent à armées n’apparaissant pas de manière
sion, pourtant au point depuis plusieurs réaliser que la solution, à la situation de évidente, les Allemands l’imputent bien-
décennies 3, s’effectuent à pied ou au blocage qu’ils subissent, passe par une tôt au “coup de poignard dans le dos ”
moyen de convois hippomobiles. amélioration de la mobilité tactique de dont ils auraient été les victimes. Leur
leurs unités. Les efforts impressionnants volonté de revanche s’en trouve d’autant
En conséquence, dans les rares cas où la que soutiennent, à partir de 1916, leurs plus exacerbée que les conditions impo-
rupture des lignes ennemies est réalisée industries de guerres - alimentées par les sées par le traité de paix de Versailles sont
- avec l’appui d’énormes concentrations ressources arrivant par voie de mer4 - leur inacceptables pour eux.

Convoi automobile français en 1918

Avec les 200 000 véhicules automobiles qui assurent leur soutien en 1918, les armées alliées possèdent une mobilité tactique sans comparaison avec
celle des premières années du conflit. Elles ne parviennent toutefois pas à tirer tout le parti possible de ce formidable potentiel, comme en témoigne
ECPAD

leur incapacité à empêcher le repli, en bon ordre, des armées allemandes.

DECEMBRE 2005 71 DOCTRINE N° 07


L’ÉCHEC DES RECETTES DE 1914-1918 Détail d’un dessin de J. Simon représentant une attaque
FACE AUX NOUVELLES FORCES de chars B1, appuyée par l’aviation.
TERRESTRES ALLEMANDES
Les chars français de 1940 possèdent une bonne protection et
une puissance de feu satisfaisante. L’exiguïté de leurs tourelles -
Le danger que crée, à terme, cette situa- toutes monoplaces - , le manque de mobilité et d’autonomie dont
tion, pour les démocraties occidentales, ils souffrent (à l’exception du Somua), ajoutés à de graves
insuffisances en matière de transmissions, les rendent, en
est aggravé par l’oubli dans lequel tom- revanche, inaptes au combat interarmes, pour peu que les
bent les enseignements tirés pendant opérations soient menées selon un rythme rapide.
les derniers mois de la guerre. Le bloca-
ge de la tactique, qui a caractérisé le
conflit, conjugué à l’absence d’effondre-
ment du front allemand, en 1918, a contri-
bué à accréditer l’idée que les opérations
terrestres ne pouvaient être menées autre-
ment que de manière processionnelle et
qu’il était aisé de leur faire obstacle au
moyen de solides fortifications.
Ceci encourage Français et Britanniques
à placer la solution à la guerre qui s’an-
nonce dans un nouveau blocus. A l’abri
de leurs défenses, ils espèrent pouvoir
ainsi créer le rapport de forces avanta-
geux qui leur assurera la victoire, comme
en 1918.
Extrait de : l’Illustration, N° 5074 du 1er juin 1940.

La possibilité de mener des opérations


contre des objectifs situés dans la pro-
fondeur, ou de s’opposer à de telles opé-
rations, ne les préoccupe guère, en dépit
des possibilités offertes par le moteur à
explosion et la radio.

Seuls les Allemands et les Soviétiques


s’intéressent au niveau “opératif ” qui
vise à faciliter l’obtention de résultats tac-
tiques importants, tout en permettant de
les faire concourir, au mieux, à la réalisa-
tion des buts stratégiques. Leur défaite sur le continent, à laquelle s’ajou- les conduisent à espérer - Churchill le pre-
La décision que prend le haut comman- tent les campagnes victorieuses que mène mier - que l’Allemagne déposera les armes
dement français, en novembre 1939, de l’Allemagne en 1941, rend finalement illu- avant la fin de l’année. Ils comptent ain-
se passer de la réserve générale que soire l’affaiblissement de celle-ci au moyen si éviter la répétition des coûteuses offen-
constituait la VIIe armée du général Giraud, d’un blocus. sives terrestres de 1914-1918. Les avia-
témoigne du décalage dont souffrent les teurs américains sont également
conceptions alliées par rapport aux réa- persuadés de l’efficacité des raids aériens
lités. A la mission, qui lui est initialement LA PUISSANCE MATÉRIELLE stratégiques.
dévolue, on préfère consacrer cette armée, ET LE BOMBARDEMENT AÉRIEN
AU SECOURS DE FORCES TERRESTRES
plus mobile que les autres, à une inter- Cependant, ces bombardements, qui font
PEU MANŒUVRIÈRES
vention en Belgique et aux Pays-Bas, afin le jeu de la propagande nationale-socia-
d’y devancer les Allemands et de leur inter- liste, ne parviennent pas à entamer la
dire de disposer de bases aériennes et Les Anglo-américains misent alors sur le détermination des Allemands à poursuivre
sous-marines, susceptibles de menacer bombardement aérien stratégique, dont ils la lutte. Ces derniers dispersent et enter-
la Grande-Bretagne 7. envisageaient le recours dès avant la guer- rent leurs usines, dont les performances
re : il s’agit de s’attaquer au potentiel indus- atteignent des sommets inégalés pendant
Davantage qu’au manque d’engins moto- triel de l’ennemi, directement - par la des- l’automne 1944.
risés et de chars, ou même qu’à leur dis- truction des infrastructures, et indirectement
persion8, ce sont la sous-estimation de - en prenant pour cible la population civile Ce n’est qu’après le débarquement de
la guerre de mouvement9 et l’insuffisante dont on espère ainsi briser le moral. Normandie que la stratégie aérienne
maîtrise du combat interarmes - sans Les Britanniques consacrent 40% de leur alliée devient réellement efficace.
laquelle elle ne peut être conduite - qui effort de guerre à cette tâche11. Les résul- L’avance des armées alliées désorganise,
valent aux Alliés d’être battus en 1940. tats qu’ils obtiennent pendant l’été 1943 en effet, progressivement, la couverture

DOCTRINE N° 07 72 DECEMBRE 2005


antiaérienne allemande et permet l’installa-
retour d’expérience
de buts précis, sur un théâtre d’opération des manœuvres dans la profondeur était
tion de bases qui rapprochent du Reich les donné, il manque toujours un niveau “opé- révolue, son succès résulte surtout de l’en-
chasseurs d’escorte et les bombardiers ratif ”12. Dans ces conditions, les directions têtement d’Hitler à vouloir contre-attaquer
légers. de progression des forces alliées sont la plu- en direction d’Avranches. La réussite de
part du temps prévisibles, comme en Italie, l’opération reste d’ailleurs partielle, dans
Les forces terrestres, qui bénéficient en outre où elles se contentent de suivre les vallées. la mesure où près de la moitié des effec-
d’un appui aérien particulièrement efficace, La manœuvre, à travers les monts Aurunci, tifs de la VIIe armée parviennent à s’échap-
n’en progressent pas moins avec peine. Cela que conçoivent les généraux Giraud et Juin per de la poche de Falaise.
tient encore une fois à leur sous-utilisation. sur ce théâtre d’opération, et qui permet de Omettant de couper la retraite allemande à
Désireux d’agir sans prendre de risques, les rompre la ligne Gustav en mai 1944, ou la hauteur de la Seine, les Alliés sont bientôt
chefs alliés n’exploitent pas la mobilité et chevauchée de la IIIe armée du général Patton ralentis par des problèmes de logistique, qui
l’aptitude au combat interarmes de leurs en Normandie, qui aboutit à l’encerclement découlent, entre autres, de la trop grande
divisions et de leurs combat commands. de la VIIe armée allemande, demeurent des dispersion de leurs efforts. L’arrêt de la pro-
exceptions. Les Français ont, en effet, de la gression14 permet à la Wehrmacht de recons-
peine à faire accepter un plan jugé “inima- tituer un front, puis de passer à la contre-
Entre le niveau tactique, celui de l’affronte- ginable” par le commandant en chef des offensive. Les Alliés ont laissé échapper
ment, et le niveau stratégique, celui de la armées alliées en Italie13 ; quant à Patton, l’occasion qui se présentait à eux de vaincre
décision d’engagement des armées en vue qui pensait, à l’instar de ses chefs, que l’ère avant la fin 1944.

Le monastère du Monte Cassino après les combats

Pendant quatre mois - de la mi-janvier à la mi-mai 1944


- les attaques trop directes que mènent les Alliés pour
faire tomber les défenses du mont Cassin, qui
commandent la route de Rome, échouent les unes après
les autres.
C’est la rupture du front allemand opérée par le corps
expéditionnaire français, en pleine montagne, 15 km
plus au sud, qui contraint finalement la Wehrmacht à
lâcher prise.
US ARMY

DECEMBRE 2005 73 DOCTRINE N° 07


La diversification des outils de combat auquel a mené le progrès technique, de la fin du XIXe siècle à celle de la
Seconde Guerre mondiale, a rendu la conduite des opérations terrestres de plus en plus complexe. Ceci est
d’autant plus vrai que le milieu dans lequel elles se sont déroulées a lui-même continuellement évolué, avec le
développement de l’urbanisation et d’infrastructures ou de réseaux d’une densité croissante.

Les forces terrestres ne pouvaient réagir autrement qu’en améliorant la coopération interarmes et en combinant,
toujours plus étroitement, leur action avec celles des autres armées. Mais, contrairement à ce que croyaient les
Alliés, il était illusoire d’espérer que l’on pourrait, pour autant, faire l’économie de l’effort d’imagination et de la
prise de risques sans lesquels aucune manœuvre n’est possible.
La volonté de n’agir qu’à coup sûr, ne fit que réduire l’ampleur des résultats à moyen terme et accroître les
difficultés à plus longue échéance. Ceci est surtout vrai du second conflit mondial, dont la durée et le coût furent
considérablement augmentés par la sous-utilisation du potentiel terrestre allié.

Un tel rejet du risque était sans doute encore moins adapté aux conflits de la décolonisation. Ceux-ci ne firent
que confirmer le rôle essentiel que conservaient les forces terrestres au XXe siècle. D’une ampleur réduite, ces
conflits ne mettaient certes pas en jeu le sort des nations industrielles. Cependant, l’absence de contrôle étroit de
leurs opinions qui en résultait, conjuguée au fait que la lutte était menée contre des adversaires pratiquant la
guerre totale et utilisant au mieux les médias, les rendait tout aussi complexes. Il était, en effet, nécessaire que
les opérations, qui avaient pour enjeu le contrôle de la population, fussent conduites avec autant de
discernement et d’imagination que d’audace, toute “ bavure” pouvant avoir des conséquences catastrophiques
sur la liberté d’action des forces.

1 Sauf en Macédoine, où l’offensive franco- 9 Qui amène le GQG à considérer que rien
serbe de septembre 1917 bénéficia d’un ne presse lorsque, le 12 mai 1940,
contexte particulier. les Allemands atteignent la Meuse. On
2 Alors que leur ennemi, moins bien équipé, estime, en effet, que le franchissement du
était lui-même arrivé à réaliser des percées fleuve ne peut se faire sans l’appui d’une
spectaculaires quelques mois plus tôt. puissante artillerie qui ne sera pas prête
3 Le principe en a été découvert, en 1862, avant 5 à 6 jours. Dans les faits, l’infanterie
par le Français Beau de Rochas et appliqué, passe la Meuse, dès le 13 mai, et les chars,
en 1867, par l’industriel allemand Otto. dès le 14. ERRATUM
En 1914, les armées ne comptent pourtant 10 Que la coopération économique germano-
que 8 500 véhicules automobiles pour soviétique compromettait, d’ailleurs, dès Dans l’article “ L’opération
la France, 827 pour la Grande-Bretagne les origines. Concordia/Altaïr en
et 4 000 pour l’Allemagne. 11 Cf. Philippe Masson, Une guerre totale, Macédoine ” paru dans la
4 En dépit de la guerre sous-marine, 1939-1945, Paris, Tallandier, 1990, p. 284. rubrique RETEX du N° 06 de
qui les menace d’asphyxie à la fin du 12 Celui-ci n’apparaîtra qu’après la guerre DOCTRINE, la fonction
printemps 1917. du Vietnam, avec la doctrine Airlandbattle. attribuée à l’auteur, le Colonel
5 Chiffres de novembre 1918, sur le front 13 Cf. général Chambe, Le Maréchal Juin “ Duc Pierre AUGUSTIN, n’était pas la
occidental. A la même époque, les du Garigliano”, Paris, Plon, 1983, p. 223. bonne. Cet officier supérieur
Allemands n’alignent que 1 800 avions, 14 Alors qu’ils “disposaient [...] d’une n’était pas sous-chef d’état-
40 000 véhicules automobiles et quelques supériorité numérique de 20 contre 1, en major OPS-LOG de l’EUROFOR,
dizaines de chars. matière de chars, et de 25 contre 1, en mais sous-chef opérations
6 L’offensive de Lorraine devait débuter matière d’aviation ”. Liddel Hart, Histoire (DCOS for Operations) à la fois
le 14 novembre. de la Seconde Guerre mondiale, Paris, pour l'EUROFOR et l'EUFOR,
7 Cette décision aboutit à l’abandon du plan Fayard, 1973, p. 562. mais aussi commandant du
Escaut, qui prévoyait que l’avance alliée contingent français (National
se limiterait au cours de cette rivière, en Contingent Commander - NCC)
amont de Gand, et à son remplacement et REPFRANCE de l’opération
par le plan Dyle. Altaïr.
8 Il est à noter que la dispersion des unités
blindées, fut l’une des caractéristiques de Le Colonel AUGUSTIN voudra
la bataille défensive, considérée comme bien nous excuser de cette
un modèle du genre, que les Allemands erreur.
menèrent en 1944, en Normandie.

DOCTRINE N° 07 74 DECEMBRE 2005


retour d’expérience
La réaction internationale
lors de la révolte des Boxers en Chine (1900) :
une intervention suivie d’une stabilisation

Lorsque Fukuyama prophétisa la “fin de l’histoire”, il fut, à tort, voué aux gémonies. En effet, la fin de l’histoire
qu’il évoquait n’était que celle de la guerre froide, née allégoriquement avec le discours prononcé à Fulton par
Churchill et morte à Berlin en 1989.
La fin de la guerre froide fut aussi marquée, dans un registre différent, par un phénomène unique dans l’histoire
militaire occidentale, aussi unique qu’inaperçu d’ailleurs, celui de la fin de la guerre... dans le vocabulaire.
Avec la “Révolution dans les affaires militaires” le mot guerre céda progressivement la place à celui de conflit,
quand il ne fut pas simplement remplacé, dans une inversion dialectique intéressante, par celui de paix.
La guerre devint, dans le langage courant comme dans la terminologie professionnelle, “conflit” de haute ou
de basse intensité, symétrique ou asymétrique, en français comme en anglais. La “paix” la remplaça lorsqu’il
s’agit de la maintenir, de la renforcer, etc. Notons enfin que cette règle nouvelle, comme toutes les règles,
connut d’emblée ses premières exceptions en 1990 avec la première guerre du Golfe, puis la guerre en
Tchétchénie, la deuxième guerre du Golfe et la guerre contre le terrorisme.
Néanmoins, ces évolutions lexicales, qui reflètent les évolutions d’une représentation occidentale du monde,
dissimulent maladroitement une réalité éternelle dans son humanité : la guerre, ce phénomène social que
Gaston Bouthoul définissait comme étant un “affrontement violent entre groupes humains organisés” demeure.

PAR LE COLONEL FRÉDÉRIC GUELTON, DU SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE DIVISION TERRE

e préambule sémantique impose de

C s’interroger sur la nouveauté du mon-


SHD

de qui nous entoure, sur les évolu-


tions, réelles, “révolutionnaires”ou imagi-
nées des “affaires militaires”.Il nous conduit
à observer, avec un regard critique, le passé
à partir du présent, en nous affranchissant
de la tyrannie des mots. Cet affranchisse-
ment nous pousse à refuser de faire “du
passé table rase” car en définitive si nous
vivons le présent, seul le passé - fût-il immé-
diat - nous permet de réfléchir l’avenir. Il
nous permet de remarquer que la projection
de force est proche de l’envoi d’un corps
expéditionnaire, que l’opération de main-
tien de la paix nous rappelle la pacification,
etc. en nous souvenant, par exemple que
dans son ordre du jour aux forces qui embar-
quaient à Toulon pour le Levant en 1860 afin
d’y séparer Druzes et Maronites qui s’entre-
tuaient, l’amiral Beaufort d’Hautpoul décla-
rait en substance “(...) vous y accomplirez
une mission d’humanité (...)” !

DECEMBRE 2005 75 DOCTRINE N° 07


SHD

Tout cela nous amène à considérer que nales et internationales afin d’assurer -
les réflexions quotidiennement menées avec le vocabulaire actuel - une opération
sur les conditions nouvelles d’engagement de protection et d’extraction de ressor-
des forces méritent encore aujourd’hui, en tissants internationaux, de rétablissement
dépit de la RMA (sic) d’être éclairées par de la paix puis de stabilisation...
la lumière d’un passé dont la distance au
présent n’est ni un obstacle ni une entra-
ve mais une richesse nouvelle. L’histoire commence au début de l’année
1900, lorsque les sociétés secrètes chi-
Les exemples deviennent alors légions. noises dites “de la Justice et du poing ”
Retenons en un seul pour commencer, (Yi-hu-Tsuann) plus connues sous le nom
celui de l’intervention internationale en générique de “ Boxers ”, animées d’une
Chine en 1900 lors des événements haine farouche contre les étrangers, déci-
aujourd’hui connus sous le nom de dent de les chasser et de détruire le dan-
“révolte des Boxers ” et sous le titre du ger qu’ils représentent, à leurs yeux, pour
film qui leur fut consacré “Les 55 jours de la culture chinoise. Parmi leurs nombreux
Pékin”. Pourquoi un tel choix ? Parce qu’il objectifs, souvent diffus, les légations
pose clairement la question de la gestion étrangères de Pékin (France, Allemagne,
opérationnelle, en temps de paix puis de Grande-Bretagne, Russie, Etats-Unis, Italie,
crise des effectifs disponibles, enga- Autriche-Hongrie, Japon) et les conces-
geables et engagés, instantanément puis sions de la région de Tien-Tsin apparais-
au rythme des décisions politiques, natio- sent en bonne place.

DOCTRINE N° 07 76 DECEMBRE 2005


Dès que les diplomates en poste à Pékin
retour d’expérience
donne l’ordre de départ, en train, le 10 semaines parviennent à peine à éviter la
ont vent des menaces qui pèsent sur eux, juin. A peine a-t-elle quitté Tien-Tsin que destruction de l’un d’eux et à assurer leur
ils font feu de tous bois pour recevoir une cette colonne de secours est harcelée puis propre sécurité au prix d’une centaine de
aide militaire immédiate. Les quelques assaillie par les “ rebelles ” Chinois qui morts et de plus de 200 blessés.
militaires présents sur place renforcés par parviennent à ralentir puis à stopper sa
des marins fournis par les bâtiments de progression quatre jours plus tard, le 14 Au fil des jours, la situation générale se
guerre à l’ancre en rade de Takou à juin. Enthousiastes et prenant conscien- dégrade et les chancelleries s’agitent. Les
quelque deux cents kilomètres de là et ce de leur force réelle, les Chinois mar- Chinois poussant leurs avantages vers la
une centaine de volontaires civils per- chent sur Tien-Tsin qui tombe le lende- mer tentent de venir à bout de la résis-
mettent d’organiser une petite force d’en- main. La prise symbolique de Tien-Tsin a tance des légations et de couper la Chine
viron 500 hommes qui rejoint Pékin entre un retentissement important parmi les du monde extérieur afin d’éviter l’inter-
la fin du mois de mai et le début du mois Chinois. La dissuasion opérée par les vention d’une flotte coalisée. En vain. Peu
de juin 1900. Ils ne disposent, outre l’ar- quelque 500 hommes armés des légations à peu une flotte forte de 5 navires de ligne,
mement léger, que de deux canons de cesse alors. Lui succède l’assaut mené 25 croiseurs et 6 canonnières, se
petit calibre et de deux mitrailleuses. Ils par les Boxers contre les légations à par- concentre en rade de Takou. Des contin-
font face à plus de 6 000 Boxers mena- tir du 20 juin. gents russes, japonais, britanniques, fran-
çants, renforcés de troupes régulières chi- çais, américains sont quotidiennement
noises bien équipées et dotées d’une Au moment où les légations subissent les mis à terre. Mais, même si le temps pres-
artillerie relativement importante. premiers assauts chinois, la pression exer- se, la pression chinoise, la défaite de
Immédiatement disponibles ils participent cée sur la colonne Seymour est telle qu’el- Seymour et les problèmes de coordina-
probablement, dans un rapport de forces le doit battre en retraite dans des condi- tion et de commandement interdisent un
totalement défavorable de 1 contre 15, à tions extrêmement difficiles, non plus par départ rapide vers l’ouest, en direction de
éviter que l’assaut contre les légations ne le train, les voies ayant été détruites, mais Tien-Tsin et Pékin. Les effectifs en mesu-
soit immédiatement déclenché. La dis- en jonque et à pied, sous la menace d’une re d’être engagés atteignent puis dépas-
suasion initiale fonctionne en raison de destruction totale. Le 25 juin, elle aban- sent les 4 000 hommes dans la deuxiè-
la rapidité de la réaction. Elle évite la catas- donne les jonques sur lesquelles étaient me semaine de juillet. Le corps
trophe. transportés environ 200 blessés. Elle ne international qui se constitue, simple jux-
doit son salut, dans les jours suivants, taposition de contingents nationaux, part
Au cours de ce round d’observation qui qu’à l’arrivée d’une nouvelle colonne de enfin vers Tien-Tsin. La ville est atteinte
va durer 3 semaines, les diplomates s’ac- secours de 2 000 hommes. puis reprise le 14 juillet au prix de pertes
tivent et obtiennent, l’inquiétude gran- qui dépassent 1 000 hommes.
dissant, que des renforts nombreux soient Ainsi, alors que les quelque 500 défenseurs
envoyés vers Pékin. Une colonne de des légations, présents sur les lieux avant
secours se constitue dans la région de le début de l’insurrection, ont d’abord joué
Tien-Tsin. Forte d’environ 2 000 hommes, un rôle dissuasif évident, avant d’être
elle est commandée par un Britannique, contraints d’engager le combat, deux
le vice-amiral Seymour. Sa constitution “paquets ” de 2 000 hommes envoyés à
prend une dizaine de jours. Lord Seymour leur secours avec un décalage de plusieurs

SHD

DECEMBRE 2005 77 DOCTRINE N° 07


Vers le 20 juillet, alors que les combat- Dans les mois qui suivent, la lourde machi-
tants des légations résistent dans des ne internationale, qui s’est lentement mis
conditions de plus en plus difficiles à en marche, continue à faire affluer en
Pékin, un contingent international d’en- Chine des contingents de plus en plus
viron 5 000 hommes s’organise à nou- nombreux. Ils sont, au début de l’année
veau dans la région de Tien-Tsin. Il ne s’es- suivante (1901) environ 150 000 hommes,
time pas encore en mesure de marcher commandé par un Allemand, le maréchal
immédiatement vers Pékin, redoutant de von Waldersee. Ils réalisent alors pro-
subir, un mois après, le sort désastreux gressivement la “stabilisation ” c’est-à-
des 2 000 hommes de Seymour. Ce n’est dire le “nettoyage” et la “pacification ”
que vers les 6-7 août que la force inter- de toute la région du Tchili.
nationale reprend sa marche vers Pékin
qui est finalement abordée par les avant-
gardes russes le 14 août. Le jour même
plusieurs contingents internationaux pénè-
trent dans la ville, atteignent et libèrent
les légations arrivées à la limite humaine
de la résistance.

QUE RETENIR EN CONCLUSION DE CETTE BRÈVE ÉVOCATION ?

En premier lieu qu’une force de 500 hommes en armes, immédiatement disponibles, déterminés et n’ayant
pas à combattre réussit, dans la crise naissante, à dissuader une force adverse plus de dix fois supérieure
pendant 3 semaines. Ensuite, qu’une force de secours de 2 000 hommes mise en marche trois semaines
après le début de la crise ne parvint pas à remplir sa mission, fut battue et ne dut sa survie qu’à l’arrivée
d’une deuxième force de 2 000 hommes. Qui plus est, dès que la première défaite fut connue, la dissuasion
initiale cessa.
Par ailleurs, la force qui réussit in fine à dégager les légations comptait entre 5 à 6 000 hommes soit dix fois
le contingent en place dans les légations et plus de deux fois celui envoyé à leur secours. Mais il faut alors
noter qu’elle n’arriva à Pékin que deux mois et demi après le début de la crise.

Enfin, la force multinationale qui assura la pacification finale atteignit certes les 150 000 hommes mais
seulement près de six mois après le début de la crise. Elle fut néanmoins juste suffisante pour accomplir sa
mission.
Ainsi, entre le mois de mai 1900 et le printemps de 1901, les effectifs engagés furent de 500 au début de la
crise, de 2000, 4000 puis 6000 lorsqu’il fallut “ régler la phase violente de crise” et enfin 150 000 lorsqu’il
s’agit de remplir la “mission de paix ”. Si ces chiffres n’ont qu’une valeur relative. Il serait dangereux de les
extrapoler brutalement en les sortant de leur contexte temporel. Néanmoins ils ne peuvent qu’attirer
l’attention sur les trois phases théoriques qu’ils illustrent et qui peuvent être élevées au niveau de
constantes de l’histoire de la guerre : réaction en début de crise à effectif réduit, action opérationnelle à
effectif croissant sur une brève période, retour à la paix avec des effectifs en croissance géométrique sur une
“ longue période”.

Les chiffres cités et l’accroissement géométrique des effectifs au rythme du temps qui passe auraient-ils
encore aujourd’hui la moindre pertinence ? L’historien l’ignore. Mais il est sûr d’une chose : le principe
demeure.

DOCTRINE N° 07 78 DECEMBRE 2005


retour d’expérience
Le pouvoir au bout du fusil
Irak ou la redécouverte des 300 derniers mètres

La contre-guérilla qui se déroule en Irak depuis bientôt deux ans marque le retour dans les forces
terrestres américaines de la notion d’action au contact. Celle-ci peut être déclinée en action auprès
de la population et en combat rapproché. Elle relativise le concept de guerre info-centrée et remet
l’homme au centre du combat. La numérisation n’y est plus qu’un outil au profit de l’intelligence
de situation et les feux indirects apparaissent plus comme les compléments du combat rapproché
que comme leur substitut.

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL MICHEL GOYA, DU CDEF/DREX

n mars 2003, l’opération Iraqi groupe de combat de la 4e Division d’in-

E Freedom débutait par une série de


frappes aériennes censées décapi-
ter le régime irakien en tuant son chef.
fanterie de l’US Army qui a capturé
Saddam Hussein caché au fond d’un trou.

Huit mois plus tard, c’est finalement un


Les combats qui se déroulent
depuis bientôt deux ans marquent
ainsi la fin d’une tentation, com-
préhensible, d’employer une écra-
sante supériorité technologique
pour frapper l’ennemi vite, fort,
précisément et surtout de loin. Sur
les centaines de milliers d’hommes
et femmes ayant participé aux opé-
rations des mois de mars à avril
2004, seuls quelques milliers, voi-
re quelques centaines, ont réelle-
ment affronté “ d’hommes à
hommes ” des soldats irakiens. La
plupart des engagements se sont
en fait résumés à des prises de
contact suivies quelques minutes
plus tard de l’arrivée d’obus,
bombes ou missiles.

La donne a changé lorsque la domi-


nante du milieu dans lequel se fon-
US Army

daient les adversaires est devenue

DECEMBRE 2005 79 DOCTRINE N° 07


non plus un espace physique dans lequel du mal à fournir les effectifs indispensables donc pas un dernier recours mais un élé-
les feux pouvaient s’exercer librement au contrôle d’un état comme l’Irak. Il a donc ment du spectre tactique dont l’absence
mais un milieu humain, presque toujours fallu trouver des effectifs supplémentaires entraîne aussi une faible efficacité des feux
urbain. En Irak, après la fin officielle des dans les réserves ou la Garde nationale et lointains. Le combat rapproché a aussi le
combats qui semblait marquer le triomphe faire feu de tous bois, en envoyant, par mérite de provoquer des résultats décisifs.
de leur modèle “électromécanique”, l’ap- exemple, des unités OPFOR (Opposing On se rend en effet beaucoup plus facile-
parition de “soldats-fantômes”, difficiles Forces ou “force adverse”) du Centre natio- ment devant un homme qui vous menace
à déceler et détruire au cœur de la popu- nal d’entraînement de Fort Irwin. Toutes d’un fusil que devant des missiles volant
lation ou des lieux “ intouchables ”, a été ces mesures se sont toutefois révélées dans le ciel.
une désagréable surprise. Le concept du insuffisantes et il a fallu finalement accor-
“see first, understand first, act first and der budgétairement 30 000 hommes de La Task Force Iron Dukes, qui se bat pen-
finish decisively” (voir, comprendre, agir plus à l’US Army dont 24 800 pour l’in- dant cinq semaines en avril-mai 2004 pour
en premier et obtenir la décision), fondé fanterie2. La composante terrestre du Corps la reconquête de Nadjaf et Koufa combine
sur la numérisation, est sérieusement mis des Marines augmente aussi très sensi- ainsi une capacité de choc blindée (30 M1
à mal lorsque les écrans restent désespé- blement alors que, dans le même temps, Abrams et 95 Humvee blindés) et un envi-
rément vides des points rouges censés figu- l’US Navy et l’US Air Force perdent des ronnement d’appuis feux indirects (obu-
rer l’ennemi. effectifs. siers Paladin, mortiers de 120 mm, hélico-
ptères OH-58D Kiowa Warrior, AC-130
Le deuxième problème est que le contact Gunship et F16 en attente à 3 000 mètres
L’ACTION AUPRÈS DE LA POPULATION avec la population ne s’improvise pas. d’altitude). Les sept sous-groupements qui
Jusque là, cela ne concernait véritable- la constituent, d’autant plus audacieux
Ces points rouges, il n’est d’autre solu- ment que les forces spéciales. C’est donc qu’ils sont fortement blindés, mordent dans
tion que d’aller au contact de la popula- une nouvelle “révolution (culturelle cet- le tissu urbain, repoussent ou détruisent
tion pour les chercher ou empêcher qu’ils te fois) dans les affaires militaires” qu’a les rebelles qui cherchent à les freiner et
se forment. Or cette population ne vit pas dû engager l’US Army. Elargir le champ s’emparent de points clefs de la ville. La
à 30 000 pieds, ni sur l’eau, mais dans d’application des unités de combat à des saisie de ces points permet le contrôle des
des quartiers, des villages ou des fermes, actions “moins violentes ” et décentrali- centres politiques, l’entrave au mouvement
endroits où seule l’Armée de terre est ser le commandement ont induit des de l’ennemi et le découpage de la ville en
capable d’agir efficacement. Elle seule tâtonnements souvent douloureux. zones amies, ennemies et incertaines. Les
peut patrouiller dans les rues, fouiller les Néanmoins, et même si chaque relève doit zones tenues par l’ennemi deviennent des
immeubles, séparer les combattants, fai- passer par une phase d’apprentissage zones de tir libre. Les zones amies font l’ob-
re des prisonniers, serrer les mains des assez longue, les évolutions sont énormes. jet d’actions “non cinétiques” et les zones
chefs locaux et, si nécessaire, abattre un incertaines sont abordées en combinant
rebelle qui se protège derrière sa femme. méthodiquement combat rapproché et
appuis de grande précision. Les tireurs d’éli-
Certains officiers de l’US Army en sont LE SABRE ET LE SCALPEL te y apparaissent, par exemple, comme
venus ainsi à distinguer entre les “armes essentiels pour frapper les rebelles sans
cinétiques ” qui frappent les corps1 et les Les forces terrestres américaines ont dû toucher la population ou trop abîmer les
“armes non cinétiques ” qui frappent les faire face aussi à des engagements de lieux saints.
cœurs et les esprits. Pour leur emploi, très haute intensité, en particulier dans
l’instrument premier est le fantassin à la campagne de reprise des bastions Le combat rapproché, tel qu’il est pratiqué
pied, à la fois multicapteurs, agent d’in- rebelles, de mai à novembre 2004. Pour en Irak, est beaucoup moins meurtrier pour
fluence et servant d’armes. Il constitue le détruire des forces légères, courageuses les forces amies que la “ bataille des
pion tactique qui ressemble le plus à un et incrustées dans la population ou les convois ” ou les attaques terroristes. Le
civil et donc le plus à même d’entrer en lieux sensibles comme la grande mosquée 2/7th Cavalry Squadron (bataillon inter-
contact avec lui. Une patrouille devient d’Ali, les unités ont dû combiner étroite- armes) n’a eu aucun tué en deux semaines
ainsi une micro-opération aux effets sub- ment combat rapproché et feux de pré- de durs combats à Nadjaf en août 2004.
tils et variés en matière de renseignement, cision, qui sont ainsi apparus comme com- La Task Force Lancer engagée à Sadr City
communication ou de destruction gra- plémentaires. en avril et mai 2004, a eu 52 blessés mais
duée. pas de mort au combat, alors que les pertes
Les armes de précision à distance sont ennemies sont de plus de 700 tués.
Le premier problème est qu’il y a en Irak efficaces sur des cibles groupées et iden-
moins d’hommes à terre au contact de la tifiées. La parade consiste donc à se dis-
population que de policiers dans la vil- perser et à se cacher. La solution est alors
le de New York (39 000). Pour avoir le la recherche du combat rapproché par des
même taux d’occupation en Irak qu’au forces puissantes. L’ennemi est ainsi pla-
Kosovo, il aurait fallu 480 000 hommes et cé devant le dilemme de rester dispersé 1 Avec aussi, bien sûr, des effets
non 160 000, toutes nationalités confon- et d’être impuissant devant l’avancée des psychologiques forts.
dues, pour une situation beaucoup plus colonnes américaines ou de se grouper 2 Qui augmente ainsi son volume de
critique que dans les Balkans. Une armée pour y faire face et d’être la cible des feux 50% en quelques années.
à haut coefficient technique a beaucoup à distance. Le combat rapproché n’est

DOCTRINE N° 07 80 DECEMBRE 2005


US Army
retour d’expérience

Les forces terrestres ont considérablement évolué face au terrible défi des guérillas en Irak. Elles ne sont plus là
pour désigner des cibles et occuper le terrain conquis par les munitions air-sol. Elles sont là pour contrôler une vaste
population et y extirper la guérilla. Ce combat de tous les instants ressemble plus à une partie de gô qu’à une partie
d’échecs. La victoire s’y obtient par la multiplication de micro-opérations très variées mais dont la zone
d’engagement ne dépasse pas un rayon de quelques centaines de mètres.

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La Provincial reconstruction team (PRT) :
outil de la phase de stabilisation et moyen
de désengagement des forces terrestres ?

Stabiliser et reconstruire. Comment reconstruire un Etat au sortir de la guerre ? Avec quels moyens ? De quels outils
dispose-t-on pour sortir les pays de crises avant qu’ils ne redeviennent une zone grise, foyer de réseaux terroristes et
criminels qui menacent tôt ou tard la paix et la cohésion du monde civilisé ? Telles sont les questions posées aux
forces terrestres lors du passage à la phase de stabilisation.

Pour y répondre, l’administration américaine a conçu en Afghanistan des Provincial reconstruction team (PRT), outil
original de stabilisation, dont l’objectif est de constituer le moteur de la reconstruction de l’Etat et de l’administration.
Ce concept préside donc à la création de petits détachements multinationaux, pluridisciplinaires et civilo-militaires, au
niveau régional1. Les forces terrestres en constituent le noyau clé.

Aux côtés des Américains, les Britanniques ont créé en juin 2003 une PRT à Mazar-e Sharif (MeS). Sa zone de responsa-
bilité couvre les cinq provinces du Nord de l’Afghanistan. Une dizaine de nations y participent.

PAR LE CHEF DE BATAILLON PAUL HAÉRI*, ANCIEN STAGIAIRE DE LA 118E PROMOTION DU COURS SUPÉRIEUR D’ÉTAT-MAJOR

Le présent article se propose de décrire gouvernement Karzai, considéré comme nisations non gouvernementales (ONG)
le cadre général qui a présidé à la créa- le centre de gravité du renouveau afghan. est plus que mitigé. Elles s’opposent à l’ir-
tion de cette PRT, le milieu dans lequel Toute l’originalité consiste à fusionner, au ruption du militaire dans leur domaine de
elle agit, puis d’en décrire les structures sein d’une structure unique, des cellules compétence. Enfin, la confusion persiste
et les modes d’action afin d’en tirer des spécialisées qui d’habitude opèrent sépa- dans l’esprit des Afghans devant la diffi-
enseignements, notamment pour les rément à l’échelon du théâtre. L’objectif culté à distinguer les équipes chargées
forces terrestres déployées en sortie de est de mener des actions au niveau pro- de reconstruction et celles qui mènent des
crise. vincial sur les causes d’instabilité propres opérations de combat.
pour, in fine, promouvoir le gouvernement
central.
LE CADRE GÉNÉRAL DE LA CRÉATION En 2004, la situation s’améliore et la créa-
ET DE L’ACTION DE LA PRT GROUP MES
A la demande du président Karzai, les tion de PRT s’accélère. En janvier 2005,
Américains décident en décembre 2002 19 d’entre elles sont activées dont 6 sous
La reconstruction de l’Etat par la promotion l’ouverture anticipée des PRT. En 2003, la responsabilité de non-Américains2.
de l’autorité du gouvernement central le calendrier d’ouverture de ces équipes Parallèlement, conformément à l’OPLAN
de reconstruction accuse un certain 10 302 adopté en avril 2004, on assiste
Les PRT sont initialement conçues pour retard. Celles-ci font en effet face à des au transfert progressif des responsabili-
succéder à la partie strictement militai- situations sécuritaires encore dégradées tés de PRT d’OEF vers la FIAS3.
re de l’opération Enduring Freedom (OEF) qui gênent la tâche des équipes chargées
afin de faciliter la reconstruction de l’Etat de la reconstruction. La situation sécuri- C’est dans ce cadre que le Royaume-Uni
et de l’administration afghane. Le princi- taire n’incite d’ailleurs pas les nations a créé successivement la PRT de Mazar-e
pe retenu est de créer des relais d’in- alliées à contribuer au déploiement de Sharif (juin 2003), puis la PRT “satellite”
fluence chargés de soutenir l’action du nouvelles PRT. De plus, l’accueil des orga- de Maimana (mai 2004).

DOCTRINE N° 07 82 DECEMBRE 2005


retour d’expérience
Une action qui s’inscrit dans un environ- - la poursuite de la nomination de gou-
nement stabilisé. verneurs et de chefs de police par Kaboul
qui renforce le poids du gouvernement
Dès la mi-2004, la PRT sous commande- central8.
ment britannique s’inscrit dans la pers-
pective d’une situation stable dans les
cinq provinces du Nord. Cette situation se La force (OEF et FIAS) jouit largement du
caractérise par : soutien des populations de toutes ori-
gines et bénéficie du respect des parties
- l’absence de menace contre les repré- en présence. Cette stabilité qui semble
sentants de la Communauté internatio- pérenne constitue une condition du suc-
nale (UNAMA4, OI, ONG, PRT) ; cès de la mission de la PRT qui repose
sur le consentement des acteurs locaux.
- la participation des “ Seigneurs de la
guerre”5 au jeu politique et l’intégration
de leurs subordonnés, non sans diffi-
cultés, à la nouvelle administration afgha- LA PRT GROUP MES : UN OUTIL DE LA
TRANSITION ENTRE LA STABILISATION ET
ne ;
LA NORMALISATION

- la fin du processus DDR6 qui aboutit à Une structure ramassée, multinationale


la disparition de toutes les milices du et interdisciplinaire au service de
Nord et au cantonnement de toutes les l’Afghanistan
armes lourdes (processus HWC7) ;
En constante liaison avec les représen-
- l’accélération de la formation et du déploie- tants du gouvernement central9, la PRT
ment de la police et de l’armée nationale, conçoit et met en œuvre des programmes
en remplacement des factions ; de reconstruction qui ont pour but de

Collection personnelle CB HAERI


consolider l’autorité de l’Etat (State buil- par les experts civils et militaires de la PRT De plus, la force met en œuvre des moyens
ding). Formellement, elle a reçu pour mis- aux administrations. L’éventail des spécifiques et indispensables à la réali-
sion de “ favoriser les conditions per- domaines traités est vaste, de la forma- sation de ses objectifs. On trouve notam-
mettant l’achèvement de la stabilité dans tion de la police au contrôle des foules, à ment l’ensemble des moyens de rensei-
sa zone de responsabilité ”. L’intention la réorganisation du système douanier ou gnement19, de transmission20 et d’analyse21,
du commandant de la PRT est donc d’ au conseil technique dans le domaine de et des capacités d’influence (INFOOPS,
“aider le gouvernement afghan à asseoir la production agricole. Toutes ces com- PSYOPS). La PRT dispose également d’ap-
son autorité afin de faciliter le dévelop- pétences et ces crédits sont placés “au titudes à convaincre, voire à imposer ses
pement d’un environnement sécuritaire service” des gouverneurs qui président décisions. En effet, la présence perma-
stable et, par sa présence militaire, les Conseils de développement provin- nente de militaires armés, en uniforme,
appuyer la reconstruction et la réforme ciaux auxquels participent, outre la PRT, constitue l’élément visible de la volonté
du secteur de la sécurité10 (SSR) ”. les OI/ONG et l’UNAMA. d’imposer au besoin les décisions de la
Communauté internationale et du gou-
Cette “agence de reconstruction ” four- vernement légitime qu’elle soutient. De
Cet objectif a conduit les Britanniques à nissant budgets et aide technique ne plus, dans ce pays marqué par vingt-cinq
constituer une entité civilo-militaire, inter- pourrait survivre et fonctionner sans la années de guerres, le soldat coalisé dont
ministérielle, multinationale11 et aux participation décisive des forces ter- la puissance s’est illustrée fin 2001, est
effectifs réduits. Ainsi, dans cette unité restres qui en assurent le commande- considéré comme le seul interlocuteur cré-
d’environ 220 personnes12 dont la zone ment, la cohérence et la logistique. dible par les chefs de faction comme, en
de responsabilité couvre 80 000 km2, dix général, par les représentants du gou-
nations13 sont représentées par des sol- vernement central. De plus, les liaisons,
dats, des policiers et des fonctionnaires au besoin les négociations voire démons-
de cinq ministères différents14. L’ensemble LA PARTICIPATION DÉCISIVE trations de force en vue de régler les
est placé sous les ordres d’un colonel qui ET INDISPENSABLE DES FORCES TERRESTRES conflits entre factions et de stabiliser des
a autorité sur les conseillers civils et mili- situations sécuritaires localement dégra-
taires. Il dispose d’un centre des opéra- La force terrestre dirige, coordonne et dées ne peuvent être réalisées que par la
tions15 coordonnant l’activité des douze fournit les moyens nécessaires force armée sur le terrain.
Military observers teams (MOT16), équipes
légères assurant les patrouilles, les La participation des forces terrestres à cet Enfin, seuls des moyens militaires logis-
contacts et la collecte du renseignement. ensemble, à tous les niveaux de respon- tiques adaptés peuvent répondre aux
Le commandant de la PRT conserve éga- sabilité, est rendue indispensable du fait élongations et à l’isolement dans le Nord
lement le contrôle de la PRT “satellite”de des capacités et modes d’action dont seuls du pays dans des conditions rustiques.
Maimana et de la compagnie d’infanterie les militaires disposent dans le contexte
britannico-suédoise de réaction rapide17. d’une sortie de crise. Les forces terrestres
Le soutien, largement externalisé, com- sont, en effet, les seules à pouvoir assu-
prend une section d’infanterie (conduc- rer le commandement d’une entité qui La PRT comme outil du désengagement
teurs et escortes), et une soixantaine s’insère dans un dispositif militaire de des forces terrestres
d’Afghans qui assurent la garde, le sou- théâtre. Elles sont également les seules
tien et la vie courante. à être en mesure d’assurer la cohérence, En terme d’économie des moyens et de
la coordination, l’anticipation, le soutien compétences requises dans la phase de
et la protection de cet ensemble et sont sortie de crise, la PRT constitue une alter-
Des budgets rapidement disponibles et les acteurs de la réversibilité nécessaire native qui facilite le désengagement
des expertises interdomaines dès le niveau compte tenu du contexte sécuritaire. d’une force de combat classique, souvent
tactique surdimensionnée et peu adaptée à de
telles situations. C’est un intérêt évident
La PRT combine des capacités de finan- La PRT est placé sous commandement dans une période où les armées ont à s’en-
cement et des compétences qui lui per- militaire. Les soldats en composent non gager sur plusieurs théâtres.
mettent d’agir de manière autonome dès seulement la majorité arithmétique mais De plus, la promotion des services de
le niveau des provinces. Les budgets de disposent également d’une connaissan- sécurité et la restauration de l’Etat sont
sources diverses 18 répondent à des ce de terrain consécutive à leur antériori- les véritables enjeux qu’une force de com-
besoins immédiats ou permettent de fai- té sur le théâtre. Ils activent des moyens bat classique a généralement du mal à
re face au financement de projets de recueil et d’exploitation des informa- régler car ce n’est pas sa vocation. A l’op-
durables, intégrés à des plans de recons- tions qui fournissent une analyse de situa- posé, la PRT regroupe des spécialistes
truction d’ensemble. Leur mise à dispo- tion globale et actualisée. Ils sont donc sous une direction commune pour
sition rapide constitue un gage de sérieux en mesure de renseigner les experts dont répondre de manière cohérente et au
et de crédibilité. la vision et les responsabilités sont frag- niveau tactique au caractère transverse
mentées. Le chef de la PRT est le seul à des fins de crise.
La mission ne se limite pas à la recherche pouvoir assurer la coordination des acti-
et à la fourniture de financement. Elle s’ac- vités des experts et de les replacer dans Par ailleurs, la taille réduite de la PRT allè-
compagne surtout de conseils en gestion, un plan d’ensemble cohérent au niveau ge le coût du soutien dont une large part
organisation et management prodigués des provinces et du théâtre. est externalisée. Son image est aussi

DOCTRINE N° 07 84 DECEMBRE 2005


Collection personnelle CB HAERI
retour d’expérience

intrinsèquement positive car elle est asso- graduée des effectifs militaires est ren-
ciée au processus de reconstruction. C’est due possible par l’intégration aisée de
un puissant levier d’influence qui ren- spécialistes civils en remplacement des
force la légitimité de la force déployée. soldats, du fait du caractère multidisci-
Surtout, elle permet aux forces, même plinaire et “ouvert ” de la structure. La
réduites, de maintenir le contact avec tous PRT prépare et permet le désengagement
les acteurs locaux comme internationaux progressif de la force.
agissant dans sa zone. Enfin, la réduction

La Provincial reconstruction team de Mazar-e Sharif à laquelle les forces terrestres de dix nations sont aujourd’hui asso-
ciées constitue un bon exemple des outils de stabilisation disponibles pour accélérer les sorties de crise. Adaptée
au règlement des crises subétatiques, c’est un outil (civilo-) militaire original de la phase de transition entre une situa-
tion de “stabilisation-pacification ” en cours, à celle de “normalisation ” à venir dans le Nord de l’Afghanistan.

Cette entité au sein de laquelle les soldats des forces terrestres constituent des maillons indispensables, à tous les
niveaux, permet également une certaine intégration de la stratégie militaire à la stratégie politique. La force militai-
re se combine en effet avec la force politique, dans un ensemble qui donne bien la primauté du politique sur les opé-
rations militaires, notamment grâce à l’utilisation politique de l’aide à la reconstruction et au développement 22. Cette
intégration semble bien réalisée par des Britanniques pragmatiques, qui ont résolu le problème de la séparation “ his-
torico-culturelle” entre le ministère de la Défense et celui des Affaires étrangères.

DECEMBRE 2005 85 DOCTRINE N° 07


GLOSSAIRE :

Provincial reconstruction team (PRT) : Equipe de reconstruction provinciale.

Opération Enduring Freedom (OEF) : Opération Liberté immuable.

Organisations non gouvernementales (ONG).

Organisation internationale (OI).

International security assistance force (ISAF) : Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS).

Mazar-e Sharif (MeS)

United Nations assistance mission in Afghanistan (UNAMA) : Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA).

Heavy weapon cantonment (HWC) : Regroupement des armes lourdes.

Désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR).

Security sector reform (SSR) : réforme du secteur de la sécurité.

Military observers teams (MOT) : équipe d’observateurs militaires.

Quick reaction force (QRF) : unité/force de réaction rapide.

Commander emergency response program (CERP) : programme de financement de la coalition.

* Officier des troupes de marine, persanophone 9 Gouverneurs provinciaux et de districts, 17 Cette Quick reaction force (QRF) est
et anglophone, cet officier a été inséré dans chefs de la police, chefs des notamment chargée d’une éventuelle
la Provincial reconstruction team britannique administrations. extraction de membres de la PRT de MeS
de Mazar-e Sharif (Afghanistan) en tant que 10 Security sector reform qui consiste à ou de Kunduz (Allemagne).
conseiller spécial du Commander de cette PRT soutenir les forces de sécurités afghanes, 18 Agences de la Coopération danoises ou
de juin à décembre 2004. notamment les polices. finlandaises, fonds américains du CERP
1 C’est-à-dire tactique. 11 Avec participation afghane. (Commander emergency response program),
2 Deux britanniques (Mazar-e Sharif et 12 Ce qui fait de cette entité le plus petit de US AID et du ministère des affaires
Maimana), deux allemandes (Kunduz et ensemble tactique multinational au monde. étrangères (US DoS) ; budgets de l’agence
Faizabad), une néo-zélandaise à Bamian, 13 Outre les Britanniques, la Suède, la britannique de coopération (DfiD)
une néerlandaise à Pol-e Khomri. Roumanie, le Danemark, la Norvège, la et du ministère britannique des affaires
3 Force internationale d’assistance à la sécurité Finlande, l’Allemagne, la Lituanie, la France étrangères (FCO) .
(ISAF sous commandement OTAN). et l’Afghanistan participent à des degrés 19 Constituant également l’élément militaire
4 United Nations assistance mission in divers à cette PRT group MeS. visible sur le terrain.
Afghanistan. 14 MINDEF, MAE, MININT, COOP, MINAGRI. 20 En particulier pour les MOT via le NATO
5 Les généraux Dostum (chef du Jombesh-e 15 J1 à J6, INFOOPS et PSYOPS. Tracker system.
Melli-e Eslami) et Atta (chef, pour le Nord, 16 Constituées d’une équipe de six soldats et 21 Forte composante J2 (3 officiers,
du Jamiat-e Eslami). d’un interprète, commandées par un 2 sous-officiers) s’appuyant sur le HQ FIAS
6 Désarmement, démobilisation, réinsertion. officier, disposant uniquement d’armements et les chaînes de renseignement des Nations
7 Heavy weapon cantonment. légers, du Nato tracker system (NIC).
8 Même si les factions s’infiltrent largement (transmission de données) et circulant en 22 politisation de l’aide apportée, c’est-à-dire :
dans les rouages des administrations véhicule civil de type 4x4 parfois sans conditionner l’aide, à la réalisation d’objectifs
provinciales. marques extérieures. politiques par les Afghans.

DOCTRINE N° 07 86 DECEMBRE 2005


( Stratégie, “opératique” et tactique : la place ces forces terrestres : en images )
Les capacités des forces terrestres
en phase de stabilisation - p. 15
ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre

Le combat interarmes des forces


terrestres - Evolutions en cours - p. 25
ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre

“Parlez- moi de tactique“ - p. 61


CDEF

La réaction internationale lors


de la révolte des Boxers en Chine - p. 75
SHD

La Provincial reconstruction team (PRT) :


outil de la phase de stabilisation
et moyen de désengagement
des forces terresttres ? - p. 82
Collection personnelle
du chef de bataillon Paul HAERI
DOCTRINE

C.D.E.F
Centre de Doctrine
d’Emploi des Forces

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