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J e a n - L . DUHAIME
L G. VON RAD, Das erste Buch Mose. Genesis Kapitel 12, 10 — 25, 18 (ATD 3 ;
Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1952), p. 203.
2. L'emploi de cette expression ne doit pas laisser croire qu'il existerait une méthode
historico-critique pratiquée de la même manière par tout le monde. On désigne ici plutôt
u
n ensemble de procédés qui visent une approche historique et critique d'un texte. Voir à
ce sujet, entre autres, W. VOGELS, « Les limites de la méthode historico-critique », Laval
Théologique et Philosophique 36 (1980), pp. 173-194.
3. Pour de plus amples détails sur l'œuvre de J. Wellhausen et de H. Gunkel, on lira
etude de H J . KRAUS, Geschichte der historisch-kritischen Erforschung (Neukirchen,
Neukirchener Verlag, 2e éd. 1969), pp. 255-274, 341-367. En français, on se reportera à
H
· CAZELLES, Introduction critique à l'Ancien Testament (Paris, Desclée, 1973),
PP· 122-130, 150-159 ; P. GIBERT, Une théorie de la légende (Paris, Flammarion, 1979).
4. J. WELLHAUSEN, Die Composition des Hexateuchs und der historischen Bücher
"es Alten Testaments (Berlin, W. de Gruyter, 4 e éd. 1964 — 1er éd. 1866), pp. 17-19.
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apparition nocturne (Gn 22, 1 ; cf. 22, 3 ; et comparer 20, 3.6 ; 21,
12.14), exécution de Tordre de bon matin (comme en 20, 8 ; 21, 14),
appel d'un ange, venant du ciel (22, 11 ; cf. 21, 17) et localisation
autour de Beersabée plutôt que de Hebron. Il décèle plusieurs retouches
jéhovistes en Gn 22, comme ailleurs en Gn 20-22 (20, 18 ; 21, 1.33) :
la plus évidente, déjà notée par Nöldeke, entre autres, est l'addition des
vv. 15-18, addition sans originalité signalée par le sênit du v. 15 (cf. Jos
5, 2 ; 1 S 11, 14). Le jéhoviste aurait également retravaillé de façon
mineure les vv. 2 (hammoriyyäh) et 11-14 : il lui attribue le change-
ment de Élohim pour Yahvé aux vv. 11 (malak yhwh) et 14 (yhwh
y if eh) et la modification de l'explication étymologique. Tout cela
répondrait à un désir unique : transformer l'épisode en un récit de
l'inauguration du haut lieu de Jérusalem (le Moriyya du v. 2 ; cf. 2
Ch 3, 1). Mais Jérusalem ne peut être le lieu primitif de l'événement
car sa situation topographique rend le v. 4 incompréhensible. Wellhau-
sen pense que la version syriaque conserve le nom originel : on devait
parler au v. 2 du pays des Amorites ('ères ¡fmorîm [!]). Là se trouve
Sichern (Gn 12, 7) et le Mont Garizim, où la tradition samaritaine
localise encore le sacrifice d'Isaac. Sichern n'est-il pas situé à quelque
trois jours de voyage de Beersabée entre deux hautes montagnes,
visibles de loin ? Préoccupé par la répartition des sources, Wellhausen
ne s'attarde pas plus longtemps à la teneur et à la fonction primitive du
récit.
L'entreprise de Gunkel est plus audacieuse5. Il accepte d'emblée
l'hypothèse documentaire, mais il veut cerner avec plus de précision les
sagas anciennes utilisées par les rédacteurs et en reconstituer l'évolu-
tion. Reconnaissant la justesse des observations de Wellhausen sur le
texte, il décèle encore d'autres anomalies dues à l'élohiste lui-même ou
à d'autres rédacteurs. Ainsi, par exemple, au v. 2, le nom d'Isaac lui
semble une addition récente (cf. 21, 10). Au v. 3 la coupe du bois
arrive trop tard et doit aussi être secondaire. Dans le même verset, 'aser
"amar lô hä'elohim supposerait une lacune : on aurait laissé tomber une
description du lieu primitif qui ne convenait plus à sa nouvelle
identification. Au v. 10 Abraham devait étendre la main non pour saisir
le couteau (wayyiqqäh 'et hamma'akelet) mais pour frapper son fils
(v. 11). Au v. 11, le texte suppose que c'est Dieu lui-même (cf. 22, 1 ;
16, 7) et non son ange qui parle à Abraham.
Vient ensuite le commentaire proprement dit. Gunkel s'attarde à
deux niveaux de récit : le récit élohiste et la saga ancienne. Le récit
élohiste se présente comme le portrait d'un juste mis à l'épreuve. Il ne
s'agit pas d'une polémique contre des sacrifices d'enfants (bien que les
rédacteurs postérieurs aient pu y mettre cet accent). La saga ancienne
devait, elle, avoir un sens concret. Pour le préciser, l'auteur discute
7. G. VON RAD, Das erste Buch Mose. Genesis Kapitel 12, 10 — 25, 18,
pp. 203-209.
8. E.A. SPEISER, Genesis (Garden City, N.Y., Doubleday & Co., 1964), pp. 161-
166. Comparer ce point de vue à celui de M. NOTH, Überlieferungsgeschichte des
Pentateuch (Stuttgart, Kohlhammer, 1948), p. 38, n. 132 et pp. 125-127.
9. E. TESTA, Genesi, II (Torino, Marietti, 1974), pp. 49-60, 388-394.
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« Demeurez ici avec l'âne. Mais moi j'irai avec le garçon jusque
là-bas pour adorer ; ensuite je vous reviendrai. (9) Et il arriva au
lieu (saint). Et Abraham y construisit l'autel, ligota le garçon (ou :
son fils) et le mit sur l'autel. (10) Alors Abraham étendit sa main
pour immoler le garçon. (11) Mais Dieu l'appela (12) et dit :
« N'étends pas la main contre le garçon, ne lui fais aucun mal ! »
(13) Et Abraham leva les yeux et il vit soudain un bélier qui s'était
pris les cornes dans un buisson. Abraham s'approcha, prit le
bélier et l'immola à la place de son fils. (14) Et Abraham donna à
ce lieu le nom de 'ël yir'eh (« Dieu voit »). (19) Et Abraham revint
vers ses serviteurs.
Ce qui subsiste de la Vorlage de l'élohiste constitue un récit assez
complet, ayant ses caractéristiques propres. Kilian le montre en se
livrant à l'examen stylistique du texte, joignant pour ce faire les critères
élaborés par W. Richter15 à ceux d'A. Olrik16, les seuls retenus par
Reventlow (dont les conclusions sont vivement contestées aux pp. 90-
99). Si cette analyse lui permet de confirmer la cohérence de sa Vorlage
(début et fin clairs, plan logique, action qui va droit au but, scènes à
deux personnages, etc.), Kilian reconnaît toutefois que cet aspect de la
critique n'est pas très avancé.
Il s'occupe ensuite des problèmes concernant l'attribution (Aus-
sage), le genre et la localisation de la tradition primitive (pp. 99-113).
En premier lieu, il note que l'identification du personnage principal de
ce récit à la figure d'Abraham est secondaire (pp. 99, 101). Mise à part
cette identification, le texte ne comporte rien de typiquement Israélite, à
commencer par le nom du lieu 'ël yir'eh qu'on pourrait rapprocher à"ël
ra'î (Gn 16, 13), divinité des bédouins ismaélites. Selon toute
vraisemblance, le récit a son origine hors d'Isarël (cf. pp. 9-20). On
comprend alors facilement pourquoi la localisation du lieu s'est perdue ;
on comprend encore que le narrateur parle d'un sacrifice de premier-né
qu'aucun rituel Israélite n'aurait jamais prescrit, selon l'opinion du P.
de Vaux17. On pourrait rétorquer que Gn 22 est un récit Israélite
condamnant une pratique de sacrifices humains connue des nations
voisines ; mais cette pointe polémique fait défaut, elle aussi, et cela
confirmerait l'origine non-israélite de la tradition.
À ce niveau ancien, Gn 22 serait la légende étiologique de 'ël
yir'eh. L'étiologie (explication par la cause) ne porterait pas tellement
sur l'attribution d'un nom de lieu : cet élément semble secondaire dans
le récit. Kilian en conclut que l'endroit devait être connu sous ce nom
18. Sur l'élohiste, voir J.F. CRAGHAN, « The Elohist in Recent Literature », Biblical
Theology Bulletin 7 (1977), pp. 23-35 ; concernant l'hypothèse documentaire, voir R.
RENDTORFF, Das überlieferungsgeschichtliche Problem des Pentateuch (BZAW 147 ;
Berlin, W. de Gruyter, 1977), surtout pp. 80-146. Voir la longue recension de F.
LANGLAMET dans la Revue Biblique 84 (1977), pp. 609-622.
19. G.W. COATS, « Abraham's Sacrifice of Faith », Interpretation 27 (1973),
PP. 389-400.
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24. A.R.W. GREEN, The Role of Human Sacrifice in the Ancient Near East (ASOR
Diss., Series 1 ; Missoula, Scholars Press, 1975).
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CONCLUSION
On aura constaté dans les pages précédentes la variété des opinions
exprimées depuis Wellhausen et Gunkel au sujet des problèmes majeurs
que pose le récit du sacrifice d'Isaac : on a l'impression que, dès qu'on
s'éloigne du texte actuel pour tenter d'en retracer les origines et
révolution, on s'enfonce dans la brume épaisse. Un tel état de fait
justifie facilement les doutes de plus en plus fréquemment exprimés à
l'égard du bien-fondé de l'entreprise et de la capacité de la mener à
terme avec les ressources dont on dispose aujourd'hui. Le cas de Gn 22
n'est pas unique ; il illustre bien la crise actuelle de la méthode
historico-critique, particulièrement dans la recherche sur le Pentateuque.
Ce n'est là toutefois qu'une des facettes d'un problème encore plus
profond, d'ordre herméneutique. On veut bien croire qu'on doive
interpréter un texte en tenant compte de son sens primitif dans le
contexte où il a pris naissance ; cependant il s'impose de plus en plus
comme une évidence qu'il n'y a pas un, mais des contextes, et qu'il n'y
a pas un, mais plusieurs niveaux de sens, harmonisés ou non entre eux
au fil des relectures et des actualisations dont l'état final du texte
témoigne. Lequel de ces niveaux de sens l'interprète contemporain
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SOMMAIRE
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