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24 octobre 2012
Centre de conférences de Poitiers
Associer productions
animales et végétales
pour des territoires agricoles performants
Innovations Agronomiques 22 (2012), 1-16
Résumé
Depuis la décennie 1970, les transformations de l’agriculture du bassin de la Seine ont provoqué une
rupture de la complémentarité entre cultures et élevage dans une large partie centrale du bassin qui
s’est spécialisée dans la production de grandes cultures. Les systèmes de polyculture élevage se sont
repliés dans les zones périphériques au côté de systèmes d’élevage spécialisés. Ces profonds
changements ont modifié les assolements, qui se sont spécialisés autour d’un nombre limité de
cultures, et les successions culturales qui se sont simplifiées et raccourcies, grâce notamment à l’usage
accru d’intrants de synthèse (engrais azotés et pesticides). Parmi les nombreux impacts
environnementaux dus à ces changements d’usage des sols, la qualité des ressources en eau
souterraines et superficielles du bassin s’est fortement dégradée. Cette dégradation restera marquée
dans les prochaines décennies, comme le montrent des travaux de modélisation. La rediversification
des cultures, via notamment le développement d’activités d’élevage, permettrait de renouer avec la
complémentarité entre cultures et élevage et de réduire la consommation en intrants extérieurs.
Toutefois, elle nécessiterait de comprendre les processus de verrouillage qui sous-tendent les
tendances lourdes actuelles qui confortent la spécialisation des systèmes de production et des
territoires et de légitimer des systèmes de production alternatifs.
Mots-clés : OTEX, assolement, succession culturale, itinéraire technique, qualité de l’eau, Petite
Région Agricole, bassin de la Seine
Abstract: Changes of agricultural production systems and cropping systems in the Seine
Basin since the seventies : a specialisation of territories with major environnemental impacts
Since the seventies, the agricultural dynamics in the Seine basin have induced a break in the
complementarity between crops and livestock in a large central area of the basin which has been
specialised in cash crops production. Mixed crop-livestock farming systems have been confined in
outlying areas next to specialised livestock farming systems. These major changes have modified the
cropping patterns, which have been specialised in a reduced number of crops, and also the crop
successions which have been simplified and shortened, notably thanks to an increased use of chemical
inputs (nitrogen fertilizers and pesticides). Among the numerous environmental impacts due to these
land use changes, the surface and underground water resource quality has been sharply damaged in
the basin. This damage will be marked for the next decades, as shown by modelling studies. The re-
diversification of crops, in particular through livestock development, would re-establish the crop-livestock
complementarity and reduce the use of external inputs. However, it would require understanding the
lock-in processes which underlie the major present trends and which reinforce the specialisation of
farming systems and territories, and also to legitimate alternative farming systems.
Keywords: technical-economic farm type, cropping pattern, crop succession, crop management,
water quality, Agricultural District, Seine basin
C. Mignolet et al
Introduction
Depuis la décennie 1970, l’agriculture française connaît de profondes mutations, encadrées et pilotées
par la politique agricole européenne et les impératifs des marchés, et marquées par des évolutions
agronomiques et techniques sans précédent. La modernisation de l’agriculture s’est accompagnée de
dynamiques spatiales qui ont créé, par effet d’homogénéisation des systèmes de production, les
grandes régions agricoles que nous connaissons actuellement. Une des tendances fortes de ces 40
dernières années est la spécialisation des exploitations agricoles – les unes produisant des cultures
sans élevage, les autres des animaux (presque) sans cultures – qui a conduit à la spécialisation de
régions entières, traditionnellement dédiées à une agriculture de polyculture élevage. Certaines dotées
d’avantages agronomiques sont devenues des régions de grandes cultures, d’autres bénéficiant de
situations commerciales et industrielles favorables ont concentré les activités d’élevage. La
« modernisation » de l’agriculture s’est donc majoritairement basée sur la spécialisation des territoires
autour d’un nombre restreint de productions.
De nombreux facteurs, politiques, économiques, techniques mais aussi humains, sont à l’origine de
cette spécialisation des régions de cultures et d’élevage. Le soutien des prix du blé et de certaines
grandes cultures, relayé après 1992 par les primes à l’hectare de céréales et d’oléoprotéagineux, la
diminution de la main d’œuvre agricole et la recherche d’une moins grande pénibilité du travail,
l’artificialisation croissante des milieux permise notamment par le drainage et les intrants chimiques
(fertilisation minérale, pesticides), expliquent le recul des activités d’élevage dans les régions les plus
propices aux grandes cultures. A l’opposé dans d’autres régions, la production de lait ou de viande s’est
concentrée autour d’un appareil industriel performant. Les spécialisations régionales des productions et
des industries de transformation se sont construites progressivement, avec l’objectif de valoriser,
chaque fois que possible, les aptitudes des sols et des climats, mais aussi de profiter d’économies
d’échelle et de réduire les coûts de logistique, en cherchant à localiser les productions à proximité des
usines. Le conseil technique, de plus en plus pointu et spécialisé, s’est également adapté : on ne trouve
plus dans chaque région que des conseillers connaissant parfaitement les productions dominantes, ce
qui tend à renforcer ce mouvement de spécialisation.
Nous proposons d’illustrer la spécialisation des régions agricoles en France à partir d’un cas d’étude
portant sur le territoire du bassin versant de la Seine. Ce bassin s’étend sur 23 départements du nord
de la France, couvrant une superficie de 95 000 km2. En 2000, le bassin de la Seine compte environ
100 000 exploitations qui représentent 15% des exploitations agricoles françaises et 23% de la surface
agricole utile (SAU). Plus de la moitié de la surface du bassin est occupée par des terres labourables,
ce qui en fait la principale région de production de grandes cultures en France. Notre analyse abordera
d’une part l’évolution des systèmes de production du bassin et d’autre part l’évolution des modes
d’utilisation du territoire, vue par l’évolution des assolements et des successions culturales, ainsi que
leur différenciation spatiale au sein du bassin.
Les analyses que nous présentons sont basées sur plusieurs sources d’information complémentaires
issues du Service de la Statistique et de la Prospective (SSP) du Ministère de l’Agriculture : les
recensements agricoles (RA) de 1970, 1979, 1988, 2000 et 20101 produisent des informations
exhaustives sur les orientations technico-économiques des exploitations et sur les assolements ;
l’enquête nationale « Teruti », conduite annuellement sur un échantillon constant de points répartis sur
le territoire national (de 1981 à 1990, de 1992 à 2003 et de 2006 à 2009) permet de reconstituer les
successions de cultures et leur évolution ; enfin, l’enquête « Pratiques culturales », réalisée en 1994,
2001 et 2006 sur un sous-échantillon de l’enquête « Teruti » décrit les itinéraires techniques pratiqués
sur grandes cultures. Ces sources d’information ont été complétées par une enquête à dire d’experts de
1 Le recensement agricole de 2010, disponible depuis peu, n’a pas pu être analysé aussi précisément que les précédents.
grande envergure, visant à reconstituer l’évolution des systèmes de culture du bassin de la Seine
depuis les années 1970 (Mignolet et al., 2004).
L’article est composé de trois parties. La première décrit les grands traits de l’évolution des systèmes de
production dans le bassin de la Seine depuis les années 1970. La deuxième partie est centrée sur
l’évolution des assolements et des successions culturales du bassin qui accompagne les changements
des systèmes de production, avec un focus sur l’évolution de l’usage de certains intrants de synthèse
sans lesquels ces évolutions n’auraient pu avoir lieu. Enfin, la troisième partie est consacrée aux
conséquences environnementales des transformations de l’agriculture du bassin, plus particulièrement
sur la qualité de ses ressources en eau.
Tableau 1 : Nombre d’exploitations agricoles et pourcentage de SAU exploitée par les grandes catégories
d'OTEX du bassin de la Seine entre 1970 et 2000 (Source : RA 1970, 1979, 1988 et 2000)
2 Les textes communautaires prévoyant une actualisation régulière de la classification des OTEX (définition des OTEX, mise
à jour des coefficients de calcul des marges brutes standards), l’utilisation des OTEX pour analyser l’évolution des systèmes
de production doit être faite avec précaution. En particulier, l’actualisation de la classification réalisée en 1996 rend délicate
la comparaison des années 1988 et 2000.
Une ruptu
ure de la co
omplémenttarité cultu
ures / éleva
age au cenntre du bas
ssin
Les évolutions des systèmes dee productionn ne se sonnt pas produites de la m même façon selon la
localisatiion des systèèmes au seinn du bassin dde la Seine. Pour
P analyseer la différencciation spatiaale de ces
évolutionns, la localisation des OT TEX est effeectuée sur lee maillage dees 147 Petitees Régions Agricoles
(PRA) duu bassin (Figgure 1). Chaqque PRA estt ainsi décritee par une combinaison d’’OTEX correspondant
au pourccentage de SAU exploittée par chaqque OTEX dans d la PRAA. Par des m méthodes staatistiques
d’analysees multivariéées, des typoologies de PRRA sont consstruites en foonction des ccombinaisonss d’OTEX
dominanntes qui y sonnt situées, poour chaque a nnée de RA (Mignolet et al., 2007).
En 1970, le bassin dee la Seine appparaît consttitué de cinq grandes zonnes agricoless (Figure 2). Au
A centre
se trouvvent les PRA A à dominante Céréales - Grandes cultures
c autoour de la Beeauce et danns le sud
Seine-et-Marne, ou à dominantte Grandes cultures - Céréales C au nord de PParis (Plateau picard,
Soissonnnais, St Queentinois et Laaonnois) et à l’est (Cham mpagne crayeuse). Sur lees bordures Ouest et
Est, sont localisées les PRA orieentées vers des activitéss d’élevage : polyculture--élevage bovvin lait en
Normanddie (Pays dee Caux, Valléée de Seine, Pays d’Ouchhe, Perche), en Lorraine (Barrois, Arggonne) et
dans le Barrois hauut-marnais ; dominance de l’élevagee bovin laitieer spécialiséé dans les Ardennes
A
(Ardennee, Thiérachee), le Bassignny et quelqu es PRA norm mandes et picardes
p (Lie uvin, Pays de
d Bray) ;
dominannce de l’élevaage bovin viaande dans lee Morvan et le Nivernaiss central. Enffin, entre less PRA du
centre eet celles de lal bordure Est,
E apparaît une zone de d transition, au niveau ddes départem ments de
l’Yonne et du Loiret,, constituée de PRA mixxtes orientéees vers la poolyculture-éleevage et les céréales
(Bries laitière et cham
mpenoise, Gââtinais, Orléaanais, Plateaau de Bourgogne et Plateaau langrois).
En 19799, les PRA du d centre duu bassin verrsant ont gloobalement coonservé les mêmes orieentations :
céréaless au sud-oueest de Paris, grandes culttures au nord-est. Quatree groupes dee PRA en boordure du
bassin m maintiennentt également leur orienttation vers des activités d’élevage associées à de la
polycultuure : Normanndie, Ardennes – nord M Meuse et Haaute-Marne pour p l’élevagge laitier, Nièèvre pour
l’élevagee viande. Quuant à la zonne de transittion, elle sem
mble progresssivement s’’étendre verss l’est du
bassin : une partie bascule
b verss une plus foorte proportioon des OTE
EX Céréales et Grandes cultures,
tandis qque l’autre plus
p à l’Est (correspondaant au Barrrois meusienn et haut-maarnais et auu Plateau
langrois)) passe d’unee dominancee Polyculturee-élevage – Elevage
E bovvin lait en 19970 à une doominance
Polycultuure-élevage – Céréales – Grandes cuultures.
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Trransformation des systèmes
s de productioon du bassin de
d la Seine
Par conttre, en 19888, le bassin de d la Seine offre une immage très différente de ssa partie cenntrale. Un
nouveauu type de PR RA, presque entièrement
e spécialisées dans les graandes culturees (en moyeenne 82%
de la SA AU dans l’OTEEX Grandes cultures), esst présent dans les départtements de l’’Aisne, de la Marne et
de l’Aubee (Goëlle et Multien, Soisssonnais, St Quentinois et
e Laonnois, Champagnee crayeuse). La région
à dominaante Grandees cultures, juusqu’alors caantonnée au nord du basssin, gagne vvers le Sud ete l’Est, et
confine aau sud-ouestt de Paris la zone à dom minante Céréaales, dans lees PRA de laa Beauce, duu Drouais,
du Plateeau d’Evreuxx St André, du Hurepoixx et de la foorêt de Fontaainebleau. PPar contre, lees quatre
régions d’élevage iddentifiées enn 1979 sem mblent se maintenir,
m avvec pour le type Elevage bovin
lait/viandde – Polycullture-élevagee une progreession de l’O
OTEX Grandees cultures ((12% de la SAU des
PRA en moyenne).
Enfin, la cartographiee des types de PRA obteenus d’aprèss le Recenseement de l’Aggriculture dee 2000 ne
remet pas en cause les granddes zones aagricoles déffinies en 199883. La zonne orientée vers les
productioons de céréales et d’olééoprotéagineeux reste cantonnée au sud de Parris, alors quee l’OTEX
Culture ggénérale estt dominante au nord, voiire très largeement majoritaire en Chaampagne craayeuse et
dans le S Soissonnais, le St Quentinois et Laonnnois et le Saanterre. Hormmis quelquess PRA à l’extrême sud
du bassiin, toujours dominées
d paar l’élevage bbovin viandee, les bordures du bassinn, à l’ouest comme
c à
l’est, sonnt caractériséées par une majorité de systèmes de polyculturee - élevage, associés enn moindre
mesure avec des syystèmes laitieers spécialiséés. Enfin, le territoire des PRA de traansition qui forme un
long crooissant caracctéristique dee la borduree est du basssin, est esssentiellementt exploité paar l’OTEX
Céréaless et oléoprotééagineux, à laquelle s’ajooute l’OTEX ded polyculturre – élevage.
Les dernnières décennnies ont ainssi été marquéées par une rupture
r de la complémenttarité entre cultures
c et
élevage dans une laarge partie ceentrale du baassin de la Seine
S qui se spécialise ddans la production de
grandes cultures. Lees systèmes de polycultuure élevage se replient dans les zonnes périphérriques du
bassin, aau côté de syystèmes d’éleevage spéciaalisés.
3 Les préccautions mentioonnées précédeemment sur l’acctualisation de la nomenclaturre des OTEX reendent égalemeent délicate
la comparaaison des cartees obtenues en 1988 et 2000.
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Différe
enciation des régio ons agric
coles selo on la divversité dees systèm
mes de
culture
e et de leu
urs évolutiions dans le bassin
n de la Seine
Les trannsformations des systèm mes de prodduction du bassin de la Seine ontt des consééquences
importanntes sur les changemennts d’utilisatioon des solss par l’agricuulture. Depuuis les années 1970,
l’assolemment du basssin de la Seine est marqqué par des modifications de grandee ampleur, auu premier
rang dessquelles figuure l’augmentation constaante des surrfaces en bléé (+52% enttre 1970 et 2000) au
détrimennt notamment des prairiess permanenttes dont les surfaces
s chutent de plus de 30% sur la même
période ((Figure 3). Ces
C modificattions de l’asssolement s’acccompagnennt de changem ments imporrtants des
systèmes de culture, tant du point de vue dess successionss culturales que q du point de vue des itinéraires
techniques de conduite des cultures. Comm me pour less systèmes de productioon, les channgements
d’utilisatiion des sols s’avèrent spaatialement diifférenciés auu sein du basssin.
Figure 3 : Evolution des principaless occupations du sol du baassin de la Seeine entre 19770 et 2009. (SSources : RA
1970, 19799, 1988, 2000 et enquête
e Teruti 20009)
D
Des assole ements qu ui se spéciialisent tou
ut en subis
ssant un re
recul des espèces
e
végétalles liées à la polycultture élevag
ge
Les prairries, supportss des activitéés d’élevage de ruminantss, sont encorre bien préseentes en 1970, hormis
en Cham mpagne crayeeuse et en Beauce
B où el les représentent déjà mooins de 10% de la SAU (F Figure 4).
Depuis ccette période, la baisse dees surfaces een prairies esst continue, jusqu’à
j une qquasi-disparition dans
toute la partie centrrale du basssin. Les surffaces en herrbe se concentrent sur les borduress sud-est
(Morvan, Auxois), nord-est
n (Arddennes) et oouest (Bassee Normandiee) du bassinn, dans dess régions
d’élevage où elles occupent
o pluus de 50% de la SAU. Dans la plupart des rrégions d’éleevage, la
diminutioon des surfacces en herbee est en partiie compenséée par la proggression du m maïs fourragge (Figure
5), moyeennant souveent des améénagements tels que le drainage.
d Ceette progresssion du maïs fourrage
est particculièrement marquée
m danns les annéees 1980, puiss dans les années 1990 een Normandie et dans
les Ardeennes, en rellation avec l’intensificatioon de la prodduction laitièère et le déveeloppement d’ateliers
d’engraisssement de jeunes bovins.
L’évolutioon de la locaalisation des surfaces en luzerne appparaît particulièrement emmblématique du déclin
des explloitations de polyculture élevage danns le bassin de d la Seine (Schott et all., 2010). Enn 1970, la
luzerne eest présentee sur l’ensem mble du territooire, et en général autocconsommée par le bétail dans les
exploitations où elle est cultivée, avec des suurfaces pouvvant atteindree par endroit 10 à 15% de la SAU
(Figure 66). Trente anns plus tard, ses surfacess ont chuté de d 74% et nee représenteent plus qu’1,,5% de la
SAU du bassin. La luzerne
l s’estt progressiveement conceentrée en Chhampagne crrayeuse dont les sols
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Figure 5 : Evolution dees surfaces enn maïs fourragge entre 1970 et 2010 (Sourcce : Recensemennts agricoles)
A l’inversse des prairiees, le blé tenndre est préssent sur l’enssemble du baassin suivant un gradient croissant
de la périphérie verss le centre (F Figure 7). Enn 2000, seulees les régionns du Morvann, des Ardennnes et le
4 Les inforrmations du RA A 2010, obtenuees à partir du siite d’accès auxx données en lig
gne du Ministèrre de l’Agriculture (DISAR)
sont confiddentielles sur ceertaines PRA.
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Pays d’A Auge de Bassse-Normanddie gardent ddes surfaces en blé inférrieures à 15% % de leur SA AU, alors
qu’elles sont supérieeures à 35% % sur plus dde la moitié du bassin juusqu’à atteinndre 45% ouu plus en
Beauce et dans certaines régioons agricolees de l’Oise et de Seinne-et-Marne. En relation avec la
spécialissation des réggions de cultture, les surffaces en colzza, en pois protéagineux et, dans unee moindre
mesure, en tournesool se développpent de maanière parfoiss spectaculaaire à partir ddes années 1980, au
détrimennt des céréales secondaires (orge, sseigle, avoine), du maïs grain et de la luzerne. Le colza
s’étend dd’abord aux régions péripphériques dee l’est du basssin où ses surfaces
s sonnt multipliées par 3 en
30 ans, puis dans certaines
c régions céréalièères du centtre et de l’ouuest du basssin. Dans less années
2000, prrofitant de la diminution des surfaces en pois protééagineux, le colza deviennt la principale culture
tête de rootation dans la plupart dees régions aggricoles du baassin de la Seine.
S
Figure 7 : Evolution dees surfaces enn blé entre 19770 et 2010 (Soource : Recensem
ments agricoles)
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D
Des succe
essions de cultures q ui se simplifient et se
e raccourciissent
En parallèle à ces changementts profonds d’assolemennt, les succeessions de ccultures se modifient
témoignaant d’une traansformation des logiquees agronomiqques. La tenddance dominnante observvée sur le
bassin dde la Seine est
e marquée par la simpplification dess successions culturales,, liée notamm ment à la
réductionn du nombree d’espèces cultivées
c (Schhott et al., 20010). L’analyyse des suitess de culturess sur trois
années cconsécutivess (nommée « triplets de cultures »), réalisée à paartir de l’enqquête annuellle Teruti,
montre qque 37 tripleets de culturres différentss doivent êtrre pris en coompte pour rreprésenter 50% des
terres laabourables ene 1992-1995, alors qu’ il n’en faut plus que 166 en 2006-22009 (Figuree 8). Les
successiions à base de pois et de tournesool diminuentt, voire dispaaraissent, ett sont principalement
remplacéées par des successionss à base de ccolza (colza--blé-orge, bléé-colza-blé ett colza-blé-bblé) et par
des succcessions cérééalières (blé--blé-blé, blé--blé-orge et blé-orge-orge
b e). Les rotatioons quadriennnales de
type poiss-blé-betteraave-blé sont souvent rem mplacées parr des rotationns plus courtrtes de type « tête de
rotation-blé-blé » ou « tête de rotaation-blé-org e ».
Figure 8 : Evolution dee la proportionn de triplets dee cultures maajoritaires danss les terres la bourables du bassin de
la Seine eentre les périoodes 1992-19995 et 2006-20009 (Source : enqquête Teruti ; Schott et al., OCL 22010)
Tout comme l’évoluution des syystèmes de production et des assolements, laa simplification et le
raccourccissement dees rotations culturales
c preennent des formes
f différentes selon leur localisation dans
le bassinn de la Seinee. La progression de la rrotation colza-blé-orge, même
m si ellee concerne quasiment
q
l’ensembble du territooire, est surttout marqué e dans sa partie
p Est, en
e particulierr sur les plaateaux du
Barrois eet de la Bourrgogne et dans le départeement de l’YYonne (Figuree 9). De mannière complémentaire,
la rotatioon colza-blé-bblé progresse essentielleement dans l’ouest du bassin, notamm ment dans lees plaines
de Beauuce, tout com mme l’augmeentation de la monoculture de blé essentielleme
e ent localiséee dans le
nord-oueest du bassinn.
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Des évoluttions perm
mises par un
n usage ac
ccru des in
ntrants de ssynthèse
La spéccialisation dees systèmes de producttion et des assolementss ainsi que la simplificaation des
successiions de cultuures ont été rendus
r possiibles grâce à une forte évvolution des itinéraires teechniques
de conduite des culltures, et en particulier ppar l’augmenntation constante de l’ussage des intrants de
synthèsee. Dans les régions de grande cultuure, l’absencce d’effluents d’élevage et la disparrition des
protéaginneux entraînnent un besooin accru d’eengrais azotté. D’après une enquêtee de grande ampleur
conduitee auprès d’unne centaine d’experts
d de l ’agriculture dans
d le bassiin de la Seinee, nous avonns montré
que sur la culture duu blé, la dosse totale d’azzote apportéée ne cesse de s’accroîtrre depuis les années
1970. Ceet accroissem ment s’accom mpagne à paartir de la finn des annéess 1970 d’unee systématisation des
traitemennts fongicidees et des réégulateurs dee croissancee, dans le cadre de ce que l’on a appelé à
l’époquee la « conduite intensivee du blé ». C Celle-ci assoocie semis très t précocees, densités fortes et
alimentaation azotée soutenue qui favoriseent l’obtention de renddements éleevés, mais aussi le
développpement des populations de parasitess, d’adventicces, ainsi quue la verse ((Meynard et Girardin,
1992 ; M Mignolet et al.,
a 2004). D’une
D manièrre générale, les intrants, et en partiiculier les pesticides,
acquièreent, dans les dernières déécennies du X XXème siècle,, un statut d’aassurance coontre le risquue. Du fait
de la syystématisation des traitements régulaateurs de crroissance et de la sélecction de variiétés très
résistanttes à la verrse, la crainnte de la veerse s’atténuue, et un gaarde-fou viss-à-vis des excès e de
fertilisatioon azotée disparaît. A paartir des annéées 1990, less apports d’eengrais azotéé sont de plus en plus
fractionnnés, passant de deux appports dans lles années 1970 1 à trois voire quatree dans la pluupart des
régions aagricoles du bassin (Figure 10).
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Trransformation des systèmes
s de productioon du bassin de
d la Seine
250
4,5
200 4
3,5
n/ha
ou UUN/ha
Nombre d'apports
150 Rdt Bléé 3
Fertilis
sation
2,5
/ha ou
1,5
50 1
0,5
0 0
1970 1975 1980 1985 1990 199
95 2000 1970 1975 1980 1985 1990 199
95 2000
Plus quee la fertilisatioon azotée miinérale, les ppesticides sont devenus lees pivots dess systèmes ded culture
(Meynardd et Girardinn, 1992). Less rotations ccourtes, dom minées par unn petit nombbre d’espècees dont la
concentrration s’accrooît dans les territoires,
t soont dépendantes de l’usaage des pestticides qui peermettent
de maîttriser les poopulations de parasites,, ravageurs et adventicces. Les réésultats de l’enquête
«Pratiques culturaless » de 1994, 2001 et 20066 permettentt de l’illustrerr. Sur blé, Guuichard (20100) montre
que les blés sur bléé reçoivent plus p de traiteements phyttosanitaires que les bléss assolés. Sur S colza,
l’Indice dde Fréquence de Traitem ment (IFT) heerbicides est inférieur à 1,5
1 dans les systèmes enn rotation
longue aavec colza labouré, alors que les systtèmes associant rotationss courtes et ccolza non labbouré ont
un IFT hherbicides dee plus de 2 (S Schmidt et all., 2010). La Figure 11 montre,
m pour lle bassin de la Seine,
l’évolutioon du nombrre de traitem ments herbiciddes effectués sur colza : entre 19944 et 2001, cee nombre
augmentte parallèlem ment à la progression de la fréquencee du colza puis p l’augmenntation du noombre de
traitemennts se concentre sur la frange Est,, où la cultuure du colzaa est la pluss répandue, et où la
successiion courte coolza-blé-orgee a le plus pprogressé. Schott et al. (2010)
( confirrment qu’il existe une
corrélatioon positive significative,
s sur l’ensembble des régioons agricoless du bassin de la Seine, entre le
pourcenttage de colzza dans la SAU d’une région et le nombre moyen m de trraitements herbicides
h
effectuéss sur colza dans
d la mêm
me région (R2 = 0.52, surr 22 petites régions).
r Dess relations analogues
a
sont égaalement obsservées pourr le nombre de traitemeents insecticides et pourr le nombree total de
traitemennts phytosannitaires sur coolza (Schott eet al., 2010).
Figure 111 : Evolution du nombre dee traitements herbicides suur colza d'hiver entre 1994 et 2006 (Sourcce : enquête
Pratiques cculturales sur granndes cultures, 19994, 2001 et 20066 ; Schott et al., OCL
O 2010)
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C. Mignollet et al
Conséquences environneementales
s de la sp
pécialisation des réégions ag
gricoles
du bas
ssin de la Seine
La spéccialisation des régions agricoles ddu bassin, qui s’accom mpagne d’unne simplificaation des
assolements et des successions
s culturales ett d’un usage accru des inntrants de syynthèse, est à l’origine
de différents problèm mes écologiques. Les muutations profoondes et rapides de l’agrriculture au coursc des
40 dernièères années ont abouti à l’uniformisaation des payysages du bassin de la Seeine, favoriséée par de
vastes opérations de remembbrement soouvent assoociées à dees opérationns d’aménaagements
hydrauliqques de grannde ampleur (Schott et B Billen, 2012). Les zones humides
h drainnées ont ainsi vu leur
surface m multipliée paar 4 en 30 anns, passant de 3% de laa SAU du bassin en 19700 à 12% en 2000. Le
remplaceement des prairies
p d cultures annuelles ett l’agrandisseement des paarcelles agricoles ont
par des
entraîné une perte de biodiversitéé liée à la di minution de l’hétérogénééité des mosaaïques paysaagères et
à la réduuction de la diversité
d et dee la connectivvité des habitats.
Par ailleeurs, l’augmeentation de l’usage des intrants de synthèse, engrais e minééraux et pesticides, a
provoquéé la contamination des ressources een eau souteerraines et superficielles
s s du bassin, qui s’est
aggravéee dans la quasi-totalité des rivières eet des massees d’eau, atteeignant parfo is des seuilss critiques
dans less régions spéécialisées en grande cult ure (Schott et e al., 2009). Les mesurees des conceentrations
en nitratee réalisées par
p l’Observaatoire Nationaal de la Quallité des Eauxx Souterrainees (ONQES) sur 6500
points daans les trois grands aquiffères du basssin (Craie, Eoocène et Oliggocène) monntrent une proogression
régulièree de ces conncentrations, s’élevant enn moyenne à 0,64 mg/l/aan sur près dde 30 ans (F Figure 12)
(Viennot et al., 2009)). La quasi-tootalité des rivvières du baassin apparaissent contam minées par lee nitrate :
depuis 11985, un tierrs des statioons de suivi de rivières sont passéees d’une quaalité « passaable » au
regard de ce critère à une qualitéé « mauvaisee ». De surcrooît, les suivis de la qualitéé des eaux de surface
montrentt une contaamination récurrente parr les pesticides sur l’ensemble du territoire du bassin
(Blanchooud et al., 20011) : en 20006, plus d’un tiers des pooints de mesures montrennt des conceentrations
en pesticcides supérieeures aux normes de quaalité pour l’alim mentation enn eau potablee (Schott et al.,
a 2009).
La rémaanence de ceertains produuits, tels que l’atrazine, explique
e également la conntamination des eaux
souterraines malgré leur interdicttion depuis pplusieurs années, conduissant à l’aban don des capptages les
plus contaminés.
Figure 122 : Evolution annuelle de la médiane dees concentratiions en nitratee dans les caaptages du baassin de la
Seine (Soource : ONQES ; Viennot et al., 20009)
12 Innovations Ag
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Trransformation des systèmes
s de productioon du bassin de
d la Seine
hydrogéoologique MO ODCOU et sur la reconstittution de l’évoolution des systèmes de cculture à l’écchelle des
PRA (Leedoux et al., 2007), montre que les noombreuses inerties du syystème hydroologique (ineertie de la
zone nonn saturée, teemps de transsfert vers less aquifères trrès longs couuvrant parfoiss plusieurs décennies
d
et inertiee propre dees aquifères) limitent à court et moyen
m termes l’efficacitéé de toute forme
f de
changem ment de pratiique agricolee. Même la ssimulation du scénario exxtrême basé sur l’arrêt coomplet du
recours aaux engrais minéraux azotés sur le bbassin ne perrmet de retroouver de faibbles concentrrations en
nitrate qqu’au bout de d plusieurss décennies (Figure 13). De la mêême façon, d’autres traavaux de
modélisaation montrennt qu’il faudrra attendre uune cinquantaaine d’annéees après l’inteterdiction de l’atrazine
pour qu’eelle disparaissse des eauxx souterraine s des grandss aquifères du bassin (Scchott et Billenn, 2012).
Figure 133 : Modélisatioon de la contaamination dess aquifères du bassin de la Seine par le nnitrate. (Sourcee : Viennot et
al., 2009)
Figure dee gauche : Comparaison dess résultats fournnis par le modèle STICS-MODCOU et des valeurs observvées in situ
pour la méédiane des conncentrations en nitrate dans lees formations aquifères de l’Oligocène, de l’EEocène et de laa Craie (les
prédictionss pour les annéées futures correspondent à unn maintien des pratiques agricoles des dix deernières annéess associées
à la métééorologie de cees mêmes années) – Figure de droite : Evolution compa arée de la méddiane des concentrations
calculées pour 3 scénarioos différents
usion
Conclu
Les channgements dees systèmes de productioon et des modes d’usage des sols ddu bassin de la Seine
ont abouuti à la spéccialisation de territoires oorientés vers la productioon de grandees cultures dans
d une
large paartie centralee du bassin et au recuul massif dees activités d’élevage ca cantonnées dansd ses
périphéries, associéees ou non à de la polycu lture. Ces traansformations ont eu dess impacts maajeurs sur
l’environnement, en particulier
p suur les ressourrces hydriquees dont les contamination
c ns par le nitrrate et les
pesticidees vont en s’aggravant.
s Depuis une dizaine d’annnées, la prisse de consccience de l’im mpasse à
laquelle conduit cettte agriculturee spécialiséee et intensivve débouchee sur une évvolution sensible des
politiques publiques : l’éco-condittionnalité de s aides de laa Politique Agricole
A Com
mmune (PAC C), le plan
Ecophytoo 2018 entériné par le Grenelle
G de l’’Environnement, la réorieentation depuuis 2010 d’uune partie
des aidees du premier pilier de la PAC vers lees systèmes d’élevage heerbagers, vonnt dans le seens d’une
meilleuree prise en compte dees préoccuppations environnementales. Pour aautant, ce sont s des
transformmations radicales des façons
f de pproduire qu’il faudrait poouvoir impullser, à l’oppposé des
tendancees lourdes quui perdurent.
Parmi cees transformaations, la reddiversificationn des culturess, via notamm
ment le déveeloppement d’activités
d
d’élevage dans les zones
z de graande culturee, favoriseraitt le recyclage local d’élééments fertilissants, en
renouantt avec la com mplémentaritté entre l’aniimal et le véégétal, et l’exxpansion de cultures favoorables à
l’environnement tellees que les légumineusees, permettaant de réduire les conssommations d’intrants
extérieurrs (engrais azotés, protéines végétalees pour l’alim mentation dess animaux). DDiversifier less cultures
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C. Mignolet et al
dans les successions et les paysages permettrait également de réduire l’emploi des pesticides et ainsi
d’améliorer l’état des écosystèmes. Toutefois, cette diversification se heurte aux dynamiques de filières,
qui poussent à la simplification des systèmes de production (Farès et al., 2012). La disparition des
infrastructures de collecte laitière dans les zones où s’est établie la domination des grandes cultures
constitue un obstacle majeur à une rediversification vers la polyculture-élevage. A moyen terme, la
suppression des quotas laitiers devrait conduire à une accélération du processus de concentration de
l’élevage dans les régions les plus compétitives, ce qui permettra encore de réduire les coûts de
collecte (Daniel et al., 2008). Les systèmes de production actuels et leur localisation s’avèrent
totalement cohérents avec l’organisation des filières amont et aval en place et avec les systèmes de
diffusion des conseils technico-économiques aux agriculteurs, On est dans un cas typique de
« verrouillage technologique5» autour de ces systèmes agricoles spécialisés et intensifs en intrants
(Vanloqueren et Baret, 2009 ; Lamine et al., 2010). La forte cohérence du système socio-technique qui
produit ce verrouillage est le résultat de la remarquable réponse du monde agricole à l’injonction
d’accroissement de la production de céréales, et d’accroissement de la compétitivité internationale de
l’agriculture.
Proposer des systèmes de production alternatifs qui ne soient pas qu’une adaptation à la marge des
systèmes dominants actuels nécessite d’une part de comprendre les processus de verrouillage qui
confortent les systèmes actuels et d’autre part de contribuer à légitimer des systèmes innovants d’un
point de vue scientifique et pratique (Vanloqueren et Baret, 2009). Plusieurs dispositifs de recherche
sont développés dans ces deux perspectives. Concernant la première, les Zones Ateliers telles que le
PIREN-Seine6, dont l’objectif général vise à comprendre les relations entre transformations des activités
humaines – et parmi elles les activités agricoles - et processus écologiques, associent sciences
biotechniques et écologiques et sciences humaines pour analyser les interactions « humain –
environnement » et les conditions de leurs changements à l’échelle de territoires, via notamment des
moyens d’observations et de modélisation. Les Observatoires des activités et des pratiques agricoles
dans les territoires (Benoît, 2007 ; Benoît et al., 2009 ; Le Ber et al., 2011) constituent également des
dispositifs pertinents pour accompagner l’ensemble des acteurs concernés par le développement
durable d’un territoire, en permettant l’élaboration d’un cadre de connaissances et d’informations
commun sur les relations activités – ressources de ce territoire. Ce cadre commun est un outil mobilisé
par les acteurs pour produire une plus grande intelligibilité collective des situations complexes
auxquelles ils sont confrontés, facilitant et enrichissant leur réflexion sur l’évolution des systèmes de
production et la réorganisation de leur territoire.
Pour la seconde perspective, ce sont des dispositifs d’expérimentations pluriannuelles de nouveaux
systèmes de production agricoles qui sont mobilisés : l’expérimentation système, placée à l’échelle du
système de production voire du paysage, vise à concevoir et tester des systèmes agricoles cohérents,
ainsi qu’à les évaluer au regard de multiples critères (environnementaux, économiques et sociaux).
Parmi les différentes formes d’expérimentation système7, l’approche fondée sur la conception de
systèmes agricoles « pas à pas » en fonction des fluctuations de contexte (climat, marchés…) et de
l’évolution des connaissances des expérimentateurs, est particulièrement adaptée pour formaliser la
construction progressive de nouveaux systèmes de production, autonomes en intrants, à partir de
systèmes initiaux recourant à des intrants extérieurs (Coquil et al., 2009 ; Meynard, 2008). Différentes
5 Le concept de verrouillage technologique traduit une situation dans laquelle une technologie A peut être adoptée de façon
durable voire irréversible au détriment d’une technologie B, et ce même si la technologie B apparaît, ex-post, comme étant la
plus efficace (Labarthe, 2010).
6 Programme Interdisciplinaire de Recherche en ENvironnement sur le bassin de la Seine. C’est dans ce programme que les
travaux présentés dans cet article ont été conduits.
7 Le dernier numéro d’INRA Magazine (n°22, octobre 2012) consacre son dossier à ce concept d’expérimentation.
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Programme Piren - Seine, (3). http://www.sisyphe.upmc.fr/piren/book/976
Chabbi A.1,3*, Cellier P.2, Rumpel C.3, Gastal F.1, Lemaire G.1,
Résumé
Au sein des territoires de polyculture-élevage, la prairie et les cultures fourragères pérennes jouent un
rôle essentiel dans certaines fonctions environnementales, (i) maintien de la qualité des sols, (ii)
régulation du cycle de l’azote et du carbone (iii) séquestration du carbone dans les sols (iv) maintien de
la biodiversité …. Or, la gestion et la conduite de la praire peuvent avoir des conséquences sur les
couplages et découplages entre cycles de C et N, et in fine sur la séquestration et stockage de C dans
le sol, les émissions de GES et la pollution des eaux souterrains. Une intégration intelligente des
cultures et des systèmes d’élevage pourrait assurer la durabilité des agroécosystèmes et garantir les
services environnementaux et écologiques attendus.
Mots-clés : prairie, carbone, azote, matière organique, cycles biogéochimique, occupation du sol
Introduction
Autrefois, la durabilité de la production agricole était assurée grâce à l’introduction des prairies, liée à
une association avec l’élevage, dans les rotations céréalières (Chazal et Dumont, 1955). A cette notion
ancienne, le concept actuel de durabilité rajoute une dimension environnementale, territoriale et
sociale. Il ne s’agit plus seulement de produire durablement des denrées agricoles, mais encore de
mettre en œuvre des formes de production agricole qui participent effectivement à des modes de
développement durable des territoires ruraux. Les rotations cultures céréalières-prairies permettaient de
bénéficier des effets précédents des prairies (Sébillotte, 1980) et du recyclage de l’azote et d’autres
éléments par les animaux au pâturage ou par l’application d’effluents animaux sur les cultures.
Cependant, l’utilisation d’intrants externes a permis l’intensification de la production et rompu en grande
partie cette relation de dépendance réciproque, du moins à court terme. De plus, différentes
A. Chabbi et al.
considérations d’ordre économique et social ont conduit à une forte spécialisation des exploitations.
Ceci a abouti à une uniformisation des modes d’occupation des sols sur de vastes régions en Europe.
Les surfaces en prairies sont reconnues comme ayant des impacts environnementaux généralement
positifs au sein des territoires. En effet, les prairies permettent d’accumuler de la matière organique
(MO) dans les sols (Bouwman, 1990, Casella et Soussana, 1997) et donc de stocker et séquestrer du
carbone à relativement long terme contribuant ainsi à limiter l’augmentation du CO2 atmosphérique et
ses conséquences en terme de réchauffement climatique. La couverture végétale permanente du sol
par la végétation prairiale permet aussi de réguler le cycle de l’eau en limitant le ruissellement et en
favorisant l’infiltration des pluies ce qui se traduit par une limitation des risques d’érosion (Sébillotte
1980). Par là-même, elle protège également les eaux superficielles des pollutions phosphatées et des
pesticides introduits dans les systèmes cultivés (Benoit et al. 2000). De plus, la permanence d’une
couverture végétale et d’une activité rhizosphérique permet de réguler le cycle de l’azote en assurant
un couplage étroit avec celui du carbone ce qui limite fortement les risques de lixiviation du nitrate vers
les nappes et contribue donc efficacement à la protection de la qualité des aquifères (Butterbach-Bahl
et al., 2011). Elle peut cependant être importante sous prairies pâturées lorsque le chargement animal
est élevé (Garwood et al. 1986 ; Vertès et al., 2008) du fait des rejets de N extrêmement localisés. De
plus, la végétation prairiale entretient une diversité de la microflore et de la microfaune, et
réciproquement, les communautés microbiennes et faunistiques du sol modifient la disponibilité des
nutriments et les propriétés physiques des sols (Lavelle et al. 1997; Cannavacciulo et al. 1998). Ces
phénomènes persistent dans les sols au-delà de la remise en culture de la prairie et contribuent à
l’amélioration de la qualité des sols. La végétation prairiale est elle-même source de biodiversité qu’elle
soit héritée d’une dynamique d’évolution floristique liée aux modes de gestion dont elle est ou a été
l’objet comme dans le cas des prairies permanentes, ou qu’elle soit induite par des choix raisonnés de
mélanges d’espèces et de génotypes dans le cas des prairies temporaires semées. Enfin,
l’accumulation de matières organiques sous prairie peut contribuer au piégeage à long terme de
certains xénobiotiques (pesticides et/ou métaux traces) qui sont introduits dans les sols durant les
phases de culture.
L’ensemble de ces services environnementaux et écologiques attendus de la prairie s’analyse le plus
souvent à l’échelle locale de la parcelle agricole. Si la prairie apparaît globalement comme un mode
d’occupation du sol ayant des effets environnementaux plutôt positifs, le sens de ces effets et leurs
intensités dépendent des modalités de conduite de la prairie (fauche vs. pâturage, niveau de
chargement, nature et quantité des apports fertilisants, légumineuses vs. graminées) et des modalités
d’insertion de ces prairies dans les rotations. Il est cependant important de souligner aussi l’impact des
prairies à l’échelle du paysage en synergie avec les autres éléments fixes comme les bois, bosquets,
haies, bords de champs et de chemins qui constituent au sein des zones cultivées des zones refuges
indispensables pour tout un cortège d’espèces animales qui constituent une partie de la biodiversité à
l’échelle d’un territoire. En particulier, les modalités de la gestion des prairies et leurs effets sur le
couplage et découplage entre cycles de C et N restent à explorer afin de mieux comprendre les
relations GES et dynamique des matières organiques et stockage de carbone.
Cet article vise à montrer comment les cycles du carbone et de l’azote sont étroitement associés au
sein des prairies, et à décrire les processus et les modes de gestion qui conduisent aux stockage de
carbone. On exposera dans un premier temps comment les cycles du carbone et de l’azote peuvent
être couplés et découplés au sein des systèmes d’élevage utilisant des prairies, pour ensuite analyser
comment la gestion des prairies peut influencer la dynamique des matières organiques des sols et enfin
analyser plus précisément les mécanismes de stabilisation et de déstabilisation du carbone sous
différentes conduites contrastées des prairies. Les processus spécifiques opérant dans les sols des
prairies seront comparés à ceux sous d'autres usages. En outre, les différentes sources d'apport de
carbone et leur capacité à être séquestrées dans le sol seront discutées.
d’ailleurs être remplacés par l’utilisation de légumineuses adaptées à la fauche comme la luzerne et le
sainfoin associés à des graminées dans des mélanges plus ou moins complexes permettant d’héberger
une grande biodiversité. Il s’agira alors de gérer ces parcelles de prairies de fauche de manière à
optimiser l’antagonisme entre biomasse produite et valeur alimentaire inhérent à toute production
fourragère en fonction des objectifs de production du système d’élevage choisi et donc de ses
exigences. Le problème du découplage C-N est alors reporté au niveau de la maîtrise de la chaîne de
production, stockage et épandage des effluents d’élevage mise en place dans le système d’élevage
(Mosier, 2002 ; Peyraud et al., 2012). La possibilité d’un recouplage C-N partiel par adjonction de
carbone sous forme de paille et la fabrication de fumiers plus ou moins compostés devrait permettre a
priori une meilleure maîtrise des émissions gazeuses à partir des bâtiments d’élevage et des aires de
stockage, ainsi qu’une meilleure maîtrise du recyclage de N dans les systèmes de culture (Béline et al.,
2012), mais il existe peu d’évaluations chiffrées de ces émissions en fonction des différents types de
bâtiments et bien des incertitudes existent sur les bilans respectifs des voies « solides » et « liquides »
de gestion des effluents d’élevage. Dans un système d’élevage privilégiant la fauche, l’épandage des
déjections peut être réalisé sur l’ensemble de la surface de l’exploitation, prairies fauchées et cultures
annuelles, limitant ainsi la « pression polluante » en permettant d’optimiser le recouplage C-N par des
différents peuplements végétaux tout au long de l’année.
Au-delà de cette différence fondamentale entre prairie fauchée et prairie pâturée vis-à-vis de l’azote,
peu d’informations sont disponibles sur leurs capacités respectives à séquestrer le carbone dans le sol
et sur l’influence de la fertilisation azotée. Dans les systèmes pâturés, l'animal consomme une
proportion variable de la biomasse élaborée. Lorsque le pâturage est continu (l'animal reste sur la
parcelle et consomme l'herbe au fur et à mesure qu'elle pousse) la proportion qui est consommée
dépend directement du chargement animal (nombre d'animaux par ha). Cependant, lorsque le
chargement augmente, l'indice foliaire du couvert végétal diminue et de ce fait la croissance de l'herbe
diminue. Donc lorsqu'on augmente le chargement il y a un "trade-off" entre (i) la croissance de l'herbe
qui diminue et (ii) la proportion d'herbe qui est consommée par l'animal qui augmente. Ainsi, la quantité
d'herbe consommée par ha qui est le produit de ces deux variables commence par augmenter avec le
chargement puis passe par un maximum avant de diminuer. Ce maximum correspond au chargement
optimum et à une efficacité de consommation de l'herbe de 60-70% environ (Mazzanti et al. 1994,
Lemaire et al. 2009). Si on veut augmenter cette efficacité au delà de cet optimum avec un chargement
plus élevée, on peut atteindre en effet 80-90% (et même théoriquement 100%, Lemaire et al. 2009),
mais alors on va fortement pénaliser la croissance de l'herbe, les feuilles sont alors consommées trop
rapidement et on est en situation de surpâturage ce qui peut engendrer à moyen et long terme des
différences importantes dans la dynamique des matières organiques dans le sol (Jobbagy et Jackson,
2000). De même, lorsque les déjections sont collectées et transformées (lisier, méthanisation, fumier,
compost), la dynamique des matières organiques des sols (MOS) à moyen terme dépendra des
pratiques agricoles, notamment de leur capacité à valoriser l’azote que ces effluents contiennent.
fauchage, pâturage...). Les différents conduites de la prairie influençant la dynamique des MOS sont (i)
la fauche par rapport au pâturage (ii) le chargement animal (iii) la fertilisation azotée (iv) et l’occupation
du sol (prairie vs. culture) peuvent fortement influencer le stockage du carbone et la dynamique des MO
dans les sols des prairies.
La gestion du pâturage influence les entrées de la MO et les propriétés du sol des écosystèmes
prairiaux. Le pâturage intensif conduit à une diminution importante des stocks de carbone organique du
sol (COS) et une augmentation de la densité apparente des horizons superficiels du sol (Steffens et al.,
2009). De plus, la pâturage réduit le poids moyen et le diamètre des agrégats, la teneur en
monosaccharides et contribue à une diminution des dérivés microbiens de sucres (Dormaar et Willims,
1998). Le régime de pâturage (intensité élevée ou faible) influence grandement la dynamique des MOS.
Les prairies intensivement pâturées ou fertilisées sont dominées par des espèces à croissance rapide
avec des résidus à teneur faible en lignine et riches en azote, qui sont en général rapidement
décomposés par des bactéries (Bargett et al., 1998). Les prairies soumises à de faibles niveaux de
chargement sont dominées par des espèces à croissance lente et ont une décomposition plus lente de
la litière végétale (Michunas et Lauenroth, 1993). Ces différentes communautés végétales affectent
fortement les stocks de MOS par la composition et l’activité des racines (Klumpp et al., 2009). Les
changements dans la dynamique du carbone après la cessation de pâturage peuvent être lents et donc
ne pas activement contribuer à la séquestration de C dans le sol (Steffens et al., 2009). En revanche, le
pâturage réduit ou modéré ne diminue pas nécessairement le contenu en MOS (Cui et al., 2005). Il a
même été constaté que le pâturage avec un chargement faible sur le long-terme était plus favorable
pour la macro-agrégation et la stabilité des agrégats et donc le stockage du carbone que la fauche
(Franzluebbers et al., 2000).
Le bilan des prairies temporaires en terme de puits de carbone n’est pas clairement établi. Il semble
cependant que la séquestration de C pendant la phase « prairie » (de 3 à 6 ans) excède assez
nettement les pertes par minéralisation pendant la phase de remise en culture (3-4 ans) donnant au
système prairie-cultures un rôle de puits de carbone (Rumpel et Chabbi, 2010).
En dehors de la gestion par fauche ou pâturage, la fertilisation peut aussi fortement influencer la
dynamique des MOS et les stocks de C. Une étude effectuée sur une série de données globales a
révélé que les prairies fertilisées stockent en moyen plus de carbone organique du sol (COS) que les
systèmes naturels ou les systèmes moins intensifs (Conant et al., 2001). Nyborg et al. (1997) ont
démontré que le maintien d’une fertilisation élevée et d’un stock de COS important sont associés à une
productivité plus élevée pour les prairies canadiennes. Une autre étude récente a conclu que la
conversion de terres arables en prairies conduit à un bilan positif de carbone uniquement si le système
reçoit des entrées d'azote supplémentaires (Ammann et al., 2007). Toutefois, ceci devrait dépendre de
la nature de végétation, car dans des prairies contenant des légumineuses, l’effet d’un apport de N
supplémentaire sera faible. En revanche, aucune relation entre l'intensité de la gestion et les stocks
COS n’a été trouvé pour les prairies alpines (Bitterlich et al., 1999). Par ailleurs, les études publiées à
ce jour sur les relations entre fertilisation et stocks de COS ne peuvent être généralisées. Les
mécanismes qui conduisent à ces résultats contrastés ont besoin d'être approfondis avec des
expérimentations intégrant l’ensemble des processus et paramètres du système.
Après le changement de mode d’utilisation de sol, la MOS peut facilement devenir une source de
carbone, en particulier si l’équilibre en place depuis des décennies est perturbé. Au cours des deux
derniers siècles, le mode de l’utilisation des terres a généré des émissions de CO2 de l’ordre 136 Pg C
(Houghton, 1999), dont 78 Pg C sont originaires de la perturbation de la MOS (Lal, 2003 & 2004). Des
études utilisant des procédures de fractionnement physique ont montré que la MO particulaire ou la
fraction légère de la MO sont plus sensibles aux modes d’utilisation des terres que les autres MO (Six et
al., 1998). Cependant, plusieurs auteurs ont également rapporté une réponse rapide des fractions de la
MOS associées aux minéraux lors des changements de l’utilisation des terres (Leifeld et Kögel-
Knabner, 2005). Cela pourrait être le résultat d'une diffusion rapide des petites molécules sorbées et
stabilisées sur les surfaces minérales lors des processus de décomposition de la MOS. En utilisant la
caractérisation moléculaire des fractions de sol, Leifeld et Kögel-Knabner (2005) sont arrivés à la
conclusion que la composition des MOS totales est plus sensible aux changements d’usages des terres
que les fractions libres et particulaires des MOS. En complément, l’étude des paramètres biochimiques
ont montré que même si la MOS est quantitativement perdue, elle peut être assez résistante aux
changements dans sa composition et donc ses propriétés (Rumpel et al., 2009).
Green
Litière litter
verte
Litière
Brownbrun-jaune
litter
CO2
Excréments
Dung (bouse)
Carbone organique
DOC
dissous (COD)
Figure 1 : Input et source de carbone, les pools de MOS et processus de stabilisation de C dans les sols
prairiaux (D’après Rumpel, 2011).
biomasse récoltée, notamment pour des récoltes en foin avec des séchages au sol lents et longs. Ainsi,
les sols de prairies pâturées ou utilisées pour la production de fourrage peuvent recevoir des détritus de
composition contrastée, affectant la dynamique de la décomposition et par conséquent le cycle du
carbone. La litière de feuilles d'espèces des prairies peut être de composition très différente selon le
stade de sénescence dans lequel ces feuilles sont déposées au sol (Sanaullah et al., 2010). La qualité
de la litière de feuilles diffère également entre les espèces prairiales ainsi qu’entre les types de
graminées C3 et C4. La qualité de la litière déposée détermine sa dégradation dans le sol. La teneur
totale en sucres solubles est un facteur important qui contrôle la première phase de décomposition,
alors que les derniers stades de décomposition peuvent être plus dépendants du rapport lignine / N de
la litière. Il a été montré que la litière ajoutée au sol à différents stades de maturité se décompose à des
rythmes différents et maintient ce rythme durant plusieurs années (Sanaullah et al., 2010).
Dans les systèmes de prairies tempérées, plus de 80% de la production primaire nette (PPN) est
tournée vers la production de racines (Swift et al., 1979). Les espèces herbacées prairiales ont un
enracinement moins profond qu’une végétation forestière ou d'arbustes. Globalement environ 40% du
carbone organique du premier mètre de sol des prairies se trouve dans les 20 premiers centimètres du
profil (Jobbagy et Jackson, 2000). L’apport de carbone racinaire dans le sol peut se faire via la mort de
cellules ou de débris racinaires, le dépôt de mucilage et l’exsudation racinaire. Ces différentes sources
peuvent grandement contribuer à la MOS via le processus de stabilisation préférentiel au sein de la
matrice minérale (Rasse et al., 2005, Fig. 2). Les processus rhizosphériques comme le turnover
racinaire, la rhizodéposition, la respiration des racines et le développement microbien, peuvent être
extrêmement importants dans le sol des prairies. Ces processus peuvent conduire à la stabilisation
ainsi que la déstabilisation du carbone dans le sol (Cheng et Kuzyakov, 2005). Les racines des plantes
peuvent affecter la décomposition des MOS par (1) la diminution de la disponibilité des éléments
nutritifs pour les micro-organismes du sol, à travers l’absorption par les végétaux (Schimel et al., 1989),
(2) la modification de l'environnement physique dans la rhizosphère (Shields et Paul, 1973), (3)
l’augmentation des stocks de substrat organique et (4) l’accroissement du turnover microbien, due au
« pâturage » fongique. Cependant, les interactions au niveau de la rhizosphère entre les
microorganismes du sol et les racines des différentes communautés végétales sont complexes et
encore mal comprises (Cheng et Kuzyakov, 2005; Attard et al. 2011). Les caractéristiques
d'enracinement des plantes et les processus rhizosphériques peuvent être fortement influencés par la
gestion des prairies, ce qui peut se répercuter sur le stockage et la composition des MOS.
En plus de la litière aérienne et souterraine, les excréments animaux (bouse) peuvent constituer une
source importante des MO dans les prairies pâturées (Jarvis et al., 1996). Sur une prairie pâturée avec
un chargement animal de 700 vaches jour par ha et par an1, une moyenne de 6,4% de la surface
pâturée peut être couverte par les patches de bouse qui fournissent donc un apport concentré à des
endroits définis, équivalent à 22,5 t par ha (Bol et al., 2000). A travers le pâturage, les herbivores
prélèvent le carbone et les nutriments et en retournent une partie au sol, par dépôt d'excréments et
d'urine, conduisant à une redistribution de ces éléments qui à son tour agit sur la structure et le
fonctionnement de la végétation de la prairie (Haynes et Williams, 1993) ainsi que sur la dynamique de
la MO via les flux de CO2 et son incorporation dans le sol. Les bouses sont une source de C labile, ce
qui peut augmenter la biomasse microbienne (Lovell et Jarvis, 1996) et induire le ‘priming effect’ qui
intervient lorsque des microorganismes ont accès simultanément à deux sources de composés
organiques : des composés de structure relativement simple (sucres, ou polymères de sucres), souvent
pauvres en nutriments (azote, phosphore, etc.) et des composés plus difficiles à dégrader, mais riches
en nutriments. La rétention quantitative du carbone provenant des excréments dans les écosystèmes
prairial a été estimée à environ de 10% (Bol et al., 2000). Des études moléculaires ont montré la
présence des carbohydrates provenant de C-dérivé de bouse dans sol (Dungait et al., 2005). Peu
d'informations sont disponibles à propos de l'impact de la fraction labile de C sur le cycle du carbone du
sol dans ces systèmes.
Figure 2 : Processus impliqués dans la stabilisation de C racinaire dans les sols (D’après Rasse et al. 2005).
Dans les sols sous prairies, les racines jouent un rôle important dans la séquestration de C du fait des
apports aériens plus faibles que dans d’autres écosystèmes. Les caractéristiques physico-chimiques
des litières racinaires favorisent leur stabilisation dans les sols (Figure 2, Rasse et al., 2005). En dépit
de leur importance en tant que source de C dans les prairies, les flux de C racinaire dans le sol sont mal
compris principalement en raison des incertitudes liées à la mesure des entrées de C racinaire vers les
MOS, et en particulier de l'exsudation et la mort cellulaire des racines in situ. La production de litière
racinaire peut être estimée à partir de renouvellement des racines en utilisant l'observation des racines
(via des minirhizotrons) de la naissance à la disparition. Cependant, les minirhizotrons ne permettent
pas d'estimer les racines les plus fines et les plus dynamiques (e.g. <1 mm), contrairement aux racines
de diamètre important (e.g. > 1 mm). Pour ces racines fines, des techniques isotopiques (e.g. 14C et
13C) sont peut-être plus appropriées (Majdi et Anderson, 2005). Néanmoins, selon la méthode utilisée,
la longévité d’une racine provenant des arbres forestiers a été estimée en générale de l'ordre de 1 à 18
ans (Gaudinski et al., 2001). Pour celle des racines des graminées, il n’y a pas des informations
disponibles. Le carbone racinaire peut être affecté par les trois processus de stabilisation et reste donc
dans le sol pendant longtemps (Figure 2).
Le C stabilisé dans la matrice du sol n'est pas localisé de façon homogène entre les différentes strates
du sol (Chabbi et al., 2009). Dans les horizons de surface (0-20 cm), on ne détecte que très peu de MO
stabilisé depuis plus de 100 ans. Les composés de MO d’âge important (>100 ans) sont observés en
général en dessous des 20 premiers cm (Rumpel et Kögel-Knabner, 2011). Cependant, même dans les
horizons profonds, où les MOS anciennes se trouvent à des concentrations élevées, des processus tels
les zones des flux préférentiels (ancien passage de racines, trou de vers de terre ou formation
pédologique (voir Chabbi et al., 2009), la croissance racinaire et la bioturbation peuvent conduire à des
apports de matière organique fraîche. De telles situations sont observées dans les sols prairiaux, ce qui
conduit à une distribution hétérogène de MOS stabilisées en raison de la dilution avec la MO récente ou
la déstabilisation des MOS anciennes (Fontaine et al., 2007). D'autres processus mènent aussi à la
déstabilisation des MOS anciennes dans les horizons profonds sous prairie, comme l’alternance de
périodes de sécheresse et réhumectation (Xiang et al., 2008). La gestion et la conduite des prairies
pourraient influencer grandement la stabilisation du carbone. Ceci a été démontré récemment via les
mesures en continu des flux de CO2 par la technique de la covariance de turbulence (Amman et al.,
2007). Cependant, les processus impliqués dans la stabilisation et la déstabilisation de C, en particulier
en lien avec la fertilisation azotée, n'ont pas encore été bien identifiés.
Il y a des différences importantes dans la composition moléculaire des MOS entre les systèmes pâturés
et les terres arables (Nierop et al. 2001). Les résidus végétaux dominent la composition des MOS des
systèmes prairiaux, tandis qu’une plus forte contribution des résidus microbiens a été observée dans
les MOS des systèmes arables (Martens et al., 2003). Cela a été expliqué principalement par une
protection accrue de la litière fraiche via leur incorporation dans les agrégats du sol. Une fois détruites
suite au labour, les MOS piégées sont exposées aux attaques microbiennes (Parton et al., 1987). Après
le retournement des prairies, la composition des MOS évolue et reflète la capacité du système à résister
à la perturbation ou à revenir à son état initial (Rumpel et al., 2009 ; Rumpel et Chabbi, 2010).
Conclusions
Pour que la prairie puisse jouer pleinement un rôle de régulation des émissions de GES, il faut
maximiser son effet sur la séquestration des MO tout en minimisant les risques d’émission de N2O liées
notamment aux apports d’engrais azotés et à la gestion des déjections animales, et en limitant les
inévitables émissions de CH4 par les animaux. Toutefois, notre compréhension de la biogéochimie des
matières organiques dans les sols de prairies sous différentes gestions et les facteurs influençant leur
dégradation et les émissions de GES reste limitée. En particulier, les modèles actuellement utilisés
n’arrivent pas à reproduire de manière satisfaisante les effets des gestions de prairies sur les émissions
de GES et le stockage de carbone, et ne prennent pas suffisamment en compte le couplage entre les
différents cycles biogéochimiques (par exemple, le rôle du cycle de l’azote dans le stockage et la
dégradation des matières organiques ; l’effet de différents mode de gestion des prairies sur l’émission
des GES, …) (Soussana et al., 2004). L’amélioration de la modélisation dépend entre autres
grandement de notre capacité à réduire les incertitudes, qui viennent 1) du fait que les variations sont
lentes et faibles et donc souvent inférieures à l'erreur de mesure et 2) de la forte hétérogénéité spatiale
des processus. Il sera important de pouvoir projeter les mesures faites à l’échelle des points à l’échelle
des paysages.
Afin de développer des techniques de gestion permettant d’augmenter le stockage des MOS et de
réduire les émissions des GES, notamment du N2O, il est fondamental d’améliorer la compréhension
mécaniste des couplages et découplages entre cycles de C et N ainsi que la modélisation intégrée de
ces processus permettent d’établir des bilans quantifiés. Néanmoins accomplir un tel objectif, demande
la réponse à plusieurs questions à savoir :
- Quel est l’effet des différentes pratiques agricoles (fauche, pâturage, charge animal, fertilisation,
retournement) sur la qualité des MOS et l’activité microbienne ?
- Quel est le bilan net de GES (émissions de N2O et de CH4 et séquestration de C) des prairies sous
différents modes de gestion (pâturage intensif et extensif, fauchage, retournement, fertilisation N) ?
- Quels sont les mécanismes, qui influencent l’émission des GES sous différents modes de gestion
de prairies ?
- Peut-on quantifier à l’échelle de la parcelle et avec des mesures de terrain et la modélisation, les
effets des rotations prairies-cultures sur le bilan net de GES de ces systèmes ?
- Quel est l’impact de l’introduction d’une rotation prairie-culture dans les bilans nationaux de GES et
peut-on en déduire des recommandations pour une gestion des prairies favorables en terme de
bilan de GES ?
Une intégration des cultures et des systèmes d’élevage pourrait garantir une meilleure préservation des
agro-écosystèmes même si cela reste un défi difficile à surmonter. Comme l'ont déclaré Steiner et
Franzluebbers (2009), ‘’La réalisation durable des paysages agricoles mixtes au sein des systèmes
prairiaux est un vaste objectif peut-être audacieux, et pourtant, le besoin de changement dans les
systèmes de productions agricoles actuels est indispensable’’. Il est important d’améliorer les systèmes
agricoles de production pour relever le défi de la sécurité alimentaire et satisfaire les besoins d’une
population croissante, tout en préservant la qualité et la durabilité des agroécosystèmes dans un
contexte de changement globaux et de fluctuations des prix des matières premières. Ces objectifs
apparemment opposés peuvent être simultanément réalisés par une meilleure intégration des cultures
et des systèmes d'élevage. Nous postulons que la diversité des systèmes intégrés peut être
développée pour différents territoires agro-écologiques, et que la combinaison de technologies
innovantes avec les pratiques de gestion éprouvées peut conduire à la durabilité des agroécosystèmes
et assurer un avenir durable pour la production agricole.
Remerciements
Ce travail réalisé dans le cadre du projet AEGES (Atténuation des Emissions des GES dans les
systèmes prairiaux) est financé par l’ADEME dans le cadre de l’appel R&D REACCTIF « REcherche
sur l'Atténuation du Changement ClimaTique par l’agriculture et la Forêt»
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Correspondance : breta@cebc.cnrs.fr
Résumé
Des solutions efficaces pour intégrer le développement agricole et la conservation de la biodiversité à
l'échelle du paysage restent à identifier. Nous présentons une étude de cas dans une plaine céréalière
française exploitée de façon intensive, où la réintroduction des prairies a été proposé d'abord pour des
fins de conservation afin de protéger l'outarde canepetière, une espèce d'oiseau très menacée. Les
prairies ont été mises en place grâce à l’outil « Mesures Agri-environnementales (MAE) », à titre
expérimental. L’efficacité des MAE sur les outardes a été totale. Leur mise en œuvre a révélé d'autres
effets bénéfiques sur pratiquement toutes les composantes du réseau trophique dans ces agro-
écosystèmes, en particulier au niveau du paysage. En effet, dans les systèmes céréaliers intensifs, les
habitats pérennes telles que les prairies sont radicalement différentes de cultures annuelles en termes
de niveau et de fréquence des perturbations (labour, semis, pulvérisation, etc.). Nos résultats montrent
que les prairies, en particulier la luzerne, sont le support de nombreux services écosystémiques.
Cependant, actuellement, les prairies sont peu utilisées par les agriculteurs qui privilégient les cultures
de céréales pour des raisons économiques (y compris les subventions de la PAC). Nous soulevons la
question de savoir si la répartition des cultures à l'échelle du paysage (par exemple l’introduction de
prairies) peut être modifiée sans financement public, afin d'en augmenter la proportion. En d'autres
termes, comment surmonter la réticence des producteurs de céréales pour produire des cultures
fourragères.
Mots-clés : agro-écosystème, services écosystémiques, pariries, céréales, biodiversité
Abstract: Management of biodiversity in intensive cereal cropping systems: role of grasslands
at local and regional scales
Effective solutions for integrating agricultural development and conservation of biodiversity at the
landscape scale remain to be identified. We present a case study in an intensively farmed French cereal
plain, where the reintroduction of grasslands has been proposed first for conservation purposes in order
to protect the Little Bustard, a highly threatened bird species. Monitoring the effects of grassland
“experimental” implementation revealed other beneficial effects on virtually all components of the trophic
web in these agro-ecosystems, particularly at the landscape level. Indeed, in intensive cereal systems,
perennial habitats such as grasslands are radically different from annual crops in terms of level and
frequency of disturbance (plowing, planting, spraying etc.). We provide evidence that grasslands,
particularly alfalfa, are the support of many ecosystem services. However, currently, grasslands are
severely depleted by farmers who privilege cereal crops for economic reasons (including CAP
subsidies). We therefore raise the issue of whether crop allocation at the landscape scale can be
changed without public funding, in order to increase the proportion of grasslands. In other words, how to
overcome the reluctance of cereal farmers to produce forage crop?
Keywords: Agro-ecosystem, ecosystem services, grasslands, cereal crops, biodiversity
V. Bretagnolle et al.
Introduction
aux processus de fragmentation des habitats naturels ont en effet été identifiés comme les causes
majeures des extinctions de ces populations (Robinson et Sutherland, 2002 ; Tilman et al., 2002 ;
Benton et al., 2003). C’est ainsi que certaines espèces, autrefois pourtant considérées comme banales
(voire nuisibles), ont fortement régressé à travers les plaines agricoles de toute l'Europe (Gibbons et al.,
1993 ; Potts, 1997a). En Europe, l’augmentation des rendements de céréales entre 1960 et 2000 s’est
accompagnée de la diminution des populations d’oiseaux de plaine (Donald et al., 2001). Dans une
autre étude à grande échelle et à long terme en Ecosse, Benton et al. (2002) font le lien entre la
régression des oiseaux des terres cultivées et le nombre d’invertébrés et les pratiques agricoles. De
plus, c’est dans cette communauté que l’on trouve la proportion d’espèces menacées la plus
importante : la moitié de ces espèces d’oiseaux sont en fort déclin (30 % des espèces menacées en
Europe sont inféodées au milieu agricole (Tucker et Heath, 1994 ; Pain et Pienkowski, 1997). En
France, entre 1989 et 2003, les populations d’oiseaux ont diminué de 3 % au niveau national, contre 25
% pour les oiseaux utilisant les habitats agricoles (Julliard et al., 2004). Mais paradoxalement, les agro-
écosystèmes, qui sont majoritaires en surface, ont fait l’objet de peu d’études écologiques jusqu’à une
époque récente. De même, aucun effort de conservation, ou presque, n’a encore été entrepris sur ces
milieux du fait de la propriété individuelle qui interdit les politiques de mises en réserve naturelle.
D’autres stratégies de conservation ont ainsi dû être mises en place. Ainsi, pour conserver la
biodiversité, doit-on ségréger espace agricole et espace de conservation dans le paysage, ou maintenir
leur intégration mais selon de nouvelles modalités ? Ces voies sont-elles complémentaires ? Quelles
seraient ces modalités d’intégration et comment les promouvoir ? Ce sont autant de questions qui sont
posées aux échelles locales mais également internationales (Fisher et al., 2008).
analyse sur l’efficacité des MAE à partir de 62 études menées dans 6 pays d’Europe. Ils en ont conclu
que 54% des MAE avaient un effet positif sur un taxon au moins, pour seulement 6% d’effets négatifs.
Ils soulignent la difficulté de réaliser ces évaluations car trop peu d’études s’appuient sur des analyses
statistiques et beaucoup d’entre elles sont menées sans réplicas statistiques. Ainsi, la moitié des études
montre un effet positif des MAE sur la diversité ou l’abondance de groupes comme les plantes, oiseaux
ou arthropodes. Mais les autres études ne montrent pas d’effet voire un effet négatif (Kleijn et al., 2006).
Des études plus récentes en Irlande (Feehan et al., 2005), Angleterre (Wilson et al., 2007) et Suède
montrent aussi des effets mitigés. Une des raisons évoquées est la simplification des paysages qui
entraîne l’élimination des habitats non cultivés (Kleijn et al., 2001, Duelli et Obrist, 2003), habitats
permettant le maintien des populations dans les agro-écosystèmes (refuge, nourriture, dispersion,
colonisation …). La perte de ces habitats réduirait donc fortement l’efficacité potentielle des mesures
agri-environnementales qui sont appliquées essentiellement en zones très intensives (Kleijn et
Sutherland, 2003). De plus, l’efficacité des MAE pourrait être aussi contrainte par la complexité du
paysage (Concepcion et al., 2008), avec pas ou peu d’effet dans les paysages simplifiés (Kleijn et al.,
2001 ; Dueilli et Obrist, 2003). Il en serait de même dans les paysages très complexes (Tscharntke et
al., 2005). Cependant, il existe un certain nombre de cas pour lesquels les MAE (ou NATURA 2000) ont
eu un effet particulièrement bénéfique, comme dans le cas détaillé ci-après de l’Outarde canepetière.
Certaines études ont également montré un déficit d’efficacité des MAE liés aux difficultés des
programmes au niveau de la contractualisation, mais également aux difficultés d’intégration des
pratiques dans les logiques de fonctionnements des exploitations agricoles (Thenail et al., 2009).
effet, 36% des pontes n’arrivent pas à l’éclosion, suite principalement à une destruction engendrée par
les travaux agricoles (essentiellement la fauche des luzernes), et près de trois quarts des poussins
éclos meurent de faim, par manque d’insectes, nourriture des poussins (Jiguet, 2002). En effet, dans
les agro-écosystèmes cultivés, les milieux pérennes (prairies, jachères, bandes enherbées) sont des
milieux clés pour de nombreuses espèces animales et végétales, soit directement car ces espèces s’y
reproduisent (cf nidification des outardes), soit indirectement car elles se nourrissent de proies (cf
criquets pour les poussins d’outarde) dont l’abondance et la distribution sont conditionnées par les
milieux pérennes (plantes, insectes, micromammifères et oiseaux). Ainsi, les données issues de 141
nids ou familles trouvés entre 1998 et 2008 sur la Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre, ont permis de
connaître la biologie de reproduction de cette espèce (Bretagnolle et al., 2010). Les femelles pondent 3
à 4 œufs dans un nid sommaire à même le sol (dépression) dans les luzernes ou jachères, riches en
insectes (Jiguet et al., 2000). Les femelles assurent ensuite l’élevage des jeunes qui peuvent voler dès
l’âge de 25 jours. Les poussins se nourrissent essentiellement d’insectes notamment de criquets,
éléments essentiels de la disponibilité alimentaire pour beaucoup d’oiseaux (Rands, 1986 ; Baines et
al., 1998 ; Panek, 1997). Une étude anglaise menée par Potts depuis 30 ans sur la Perdrix grise montre
ainsi que la diminution des populations de perdrix est corrélée avec le déclin des populations d’insectes
(Potts, 1997b ; Ewald et al., 2002). Parmi les insectes, les orthoptères représentent la biomasse la plus
importante des systèmes prairiaux (Curry, 1994). Depuis 1999, des piégeages annuels permettent
d’estimer l’abondance des orthoptères en été sur les prairies de la Zone Atelier (Badenhausser et al.,
2009). Il existe une relation numérique très forte entre la densité de criquets une année donnée, et la
productivité des femelles d’outarde (mesurée par le nombre cumulé de poussins à l’envol : Bretagnolle
et al., 2010).
limiter l’impact des pratiques agricoles sur le déclin des insectes, une voie a été de restaurer les
ressources en insectes en se basant entre autres sur des principes d’écologie spatiale. La dynamique
des populations d’un écosystème est régie par des phénomènes d’extinction, de dispersion et de
colonisation. Lorsqu’il y a extinction locale d’une population, celle-ci peut être compensée par un
mécanisme de recolonisation, à condition qu’une réserve suffisante de cette population existe, et que
celle-ci puisse se disperser et coloniser à nouveau le milieu dans lequel elle s’est éteinte. Cette
approche s’applique parfaitement en milieu agricole, qui en constitue d’ailleurs un cas extrême. En effet
du point de vue écologique, un agro-écosystème est un habitat discontinu dans l'espace, du fait de la
répartition des parcelles agricoles, et dans le temps, en raison de la rotation des cultures. Or, pour les
organismes qui vivent dans ces écosystèmes, cette discontinuité est stochastique, au moins pour les
espèces de petite taille (insectes, micromammifères…), c'est-à-dire imprévisible pour ces organismes
puisque régie par les activités humaines. Par ailleurs dans ces milieux, les perturbations écologiques
liées aux travaux agricoles résultent le plus souvent en l’extinction des populations locales. Plus
précisément, dans les agro-écosystèmes céréaliers intensifs, les surfaces à végétation pluriannuelle,
comme les prairies ou les linéaires de bord de champ, se distinguent radicalement des cultures
annuelles sur le plan du niveau et de la fréquence de perturbations occasionnées (labour, épandages
etc.) (Bretagnolle et Lemaire, 2008). Si, dans les cultures annuelles, labours, semis et récolte
occasionnent l’extinction des populations de plantes et d’animaux, au contraire les prairies sont moins
perturbées. Elles sont ainsi le siège de la reproduction d’une majeure partie des insectes, notamment
ceux appartenant au réseau trophique de l’outarde canepetière, en particulier les criquets
(Badenhausser et al., 2009). Un maillage suffisamment étroit de prairies et de cultures annuelles permet
de compenser les extinctions par des phénomènes de recolonisation. Cette hypothèse rejoint l’idée de
matrice paysagère (Perfecto et al., 2009), dans laquelle sont juxtaposés des espaces naturels ou semi-
naturels et des espaces cultivés. La gestion et l’utilisation de ces prairies (pâturage, fauche etc.) reste
néanmoins posée.
Figure 1 : Evolution des assolements en milieux prairiaux entre 1995 et 2012 sur la zone d’étude CEBC CNRS.
En rouge, la part provenant des MAE.
(Bretagnolle et al., 2010) : de 55 mâles en 1995, seulement 6 mâles sont présents lors de la saison de
reproduction en 2003. Compte tenu des paramètres démographiques disponibles pour cette espèce -
une survie adulte de 75-80% et une survie juvénile de 50% (voir Morales et al., 2004 ; Bretagnolle et
Inchausti, 2005), le déclin de Outarde canepetière sur la Zone Atelier peut être expliqué par une quasi-
absence de recrutement entre 1996 et 2003. Des contrats pionniers ont donné naissance par la suite à
des contrats agri-environnementaux (CAD puis MAET depuis 2007).
La restauration des milieux dans les plaines cultivées, par la reconstitution de mosaïques de cultures,
prairies, jachères et luzernes dans le cadre de programmes agro-environnementaux a été lancée en
2004 : dès 2005, près de 1600 ha étaient sous contrats. Ensuite, plus de 2 000 hectares (10% de la
ZPS) sont sous contrat agri-environnemental (11 contrats au total, CAD- les derniers signés se
terminent en 2011, et MAET) en 2008, et près de 6000 ha en 2010. Les surfaces contractualisées en
luzerne et en prairies de graminées ont été multipliées par 5 au cours des 3 dernières années. Ce
programme couplé à un ensemble d’actions de terrain, allant de la communication à l’animation, en
passant par la signature des contrats, a eu un effet spectaculaire sur les effectifs d’outardes. Non
seulement le nombre de mâles d’outardes a été multiplié par 5 en 5 ans depuis la mise en œuvre des
Contrats d’Agriculture Durable en 2004, mais plus important encore, la productivité des femelles a
doublée grâce à la protection des nids ‘sous contrat’ (Bretagnolle et al., 2011). La mise en œuvre de
ces dispositifs agro-environnementaux ciblés a ainsi permis d’inverser les tendances démographiques
dans la population étudiée en l’espace de quelques années seulement (Figure 2).
Figure 2 : Evolution des mâles d’Outardes et des « couverts favorables avifaunes » entre 1995 et 2011 sur la
zone d’étude CEBC CNRS (Source : Yvon Billon)
Ainsi, l’effet positif des MAE a été clairement démontré dans le cas de l’outarde, mais de manière
générale, les Mesures Agro-Environnementales ont eu un effet positif sur différents taxons
représentatifs de la biodiversité de la Zone Atelier « Plaine & Val de Sèvres, comme les criquets
(Badenhausser et al., 2009), les passereaux (Brodier et al. in press ; Augiron et al. in review), ou les
adventices (Henckel et al. in prep). Pour l’essentiel, cet effet provient de la présence des prairies dans
ces MAE. Globalement, nous observons que l’implémentation des mesures « prairies » affecte
favorablement différentes espèces de passereaux, avec un effet quadratique dans certains cas (comme
pour l’alouette des champs) qui traduit des effets de complémentation entre prairies et cultures. Les
mesures ciblées telle que le retard de fauche d’un côté, ou la modification complète des modes de
gestion comme l’agriculture biologique (à l’échelle de l’exploitation) de l’autre sont connues pour
affecter positivement la richesse et l’abondance en espèce (Hole et al., 2005 ; Bengtsson et al., 2005 ;
Gabriel et al., 2010 ; Perkins et al., 2011 ; Bretagnolle et al., 2011 ; Broyer, 2011). Nos résultats sont en
accord avec le constat général que les populations d’oiseaux des milieux agricoles déclinent du fait du
manque de ressource en nourriture, invertébrés et graines (Wilson et al., 1999 ; Benton et al., 2002 ;
Holland, 2004), qui résulte en particulier de la perte d’hétérogénéité du paysage (diminution des haies,
cultures pérennes et différents modes de gestion) causée par l’intensification de l’agriculture (Benton et
al. 2003). Ces différentes études menées sur la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvres ont permis de
distinguer l’effet de la proportion d’habitat semi-naturel dans le paysage des mesures compensatoires
(MAE), en particulier le ratio surface de terres arables sur surfaces pérennes, connu pour influencer les
communautés d’oiseaux (Robinson et al., 2001 ; Atkinson et al., 2002). Bruant proyer et alouette des
champs sont fortement dépendants de la proportion de luzerne dans le paysage et plus globalement de
la surface en prairie.
Mais l’effet des MAE (synonymes, dans notre cas, de pairies) est modulé par des variables spatiales
(habitat) et temporelles (âge du contrat, temps de résilience des prairies). L’âge des prairies apparait
comme un facteur prépondérant, au même titre que l’abondance de ces milieux semi-naturels. Il a par
exemple été montré que les prairies gérées intensivement étaient généralement pauvres pour les
oiseaux granivores et insectivores, en liaison avec les fortes perturbations, comme les fauches
successives, affectant les cycles biologiques des espèces et entraîne des diminutions de la quantité de
graine produite et plantes à fleurs, ainsi que la diversité d’invertébrés (Morris, 2000 ; Mc Craken et al.,
2004). En outre, les travaux agricoles engendrent directement la destruction des nichées (Wilson et al.,
1997 ; Brickle et al., 2000 ; Eraud et Boutin, 2002 ; Perlut et al., 2008). Dueilli et Obrist. (2003) ont
montré que le nombre d’espèces sauvages décroît avec l’augmentation de la distance depuis les
milieux semi-naturels.
Les différentes études menées sur la Zone Atelier « Plaine & Val de Sèvres » montrent que
l’implémentation de prairies et l’extensification des pratiques agricoles favorisent la richesse en plantes
(Meiss et al., 2010). Deraison et al (en prep) montrent que les prairies jouent un rôle majeur comme
support de la ressource trophique en agro-système, par la présence d’une très forte diversité β en
carabiques, pouvant s’expliquer par une forte diversité floristique au sein des prairies (Badenhausser et
al., 2008), favorisant alors une multitude de micro-sites favorables. Un résultat identique apparaît
également chez les plantes adventices (Henckel et al. in prep). De plus, des suivis comparant des
parcelles de luzerne gérées extensivement sans aucun intrant et avec retard de fauche ont montré des
densités en criquets presque 7 à 10 fois supérieures à des parcelles conventionnelles (Badenhausser
et al., 2008).
L’intensification de l’agriculture dans la plaine étudiée a entraîné une spécialisation dans les grandes
cultures (céréales et oléoprotéagineux), donc une simplification des assolements et un agrandissement
du parcellaire favorisé par les remembrements successifs. Ces évolutions font peu à peu disparaître la
mosaïque paysagère qui existait dans la plaine jusqu’aux années 1960. L’objectif majeur poursuivi par
l’implémentation des MAE sur la Zone Atelier « Plaine & Val de Sèvres », dans le cadre de la
conservation de l’outarde, est donc de maintenir ou de restaurer des surfaces semi-pérennes (prairies,
cultures de luzerne) dans la plaine céréalière. Celles-ci ont été privilégiées par rapport aux éléments
linéaires (corridors écologiques) car elles peuvent constituer un outil de production des agriculteurs.
Cette voie nouvelle ouverte par la production de connaissances en écologie fait donc apparaître un
objet de gestion nouveau : la prairie. Du point de vue de l’écologie spatiale, cet objet est constitutif d’un
paysage, et sa fonction ne peut être appréhendée qu’à cette échelle. Ainsi à une logique individuelle de
gestion de l’assolement au sein d’une exploitation se juxtapose une logique collective, autour d’un bien
commun qu’est la prairie, source de régulation du réseau trophique de l’écosystème céréalier. Cet objet
ne peut être géré que par la coordination d’actions de différents agriculteurs. Or quels mécanismes
permettent une telle coordination ? Les biens communs font référence à un domaine où il est difficile de
développer des moyens physiques ou institutionnels d’exclure des bénéficiaires, et où des problèmes
de sur-utilisation, de pollution, de disparition potentielle apparaissent en l’absence de limitations
d’usages à inventer et à appliquer. Les économistes distinguent les biens communs dont l’utilisation est
non-exclusive mais peut entraîner des rivalités, des biens publics purs (par exemple l’air), dont
l’utilisation est non-rivale et non-exclusive (Kaul et al., 2002). Un bien commun n'est pas divisible et son
coût de production ne peut être imputé à un individu en particulier, ce qui rend difficile sa valorisation
économique et sa gestion. Cette catégorie de biens réinterroge les fondements traditionnels de
nombreuses disciplines, notamment le droit, l’économie, les sciences politiques et la sociologie, et
soulèvent des difficultés non surmontées à ce jour. Quelles sont les conditions de mise en œuvre de
nouvelles formes d’organisation entre les exploitations agricoles à l’échelle d’un territoire ? Les filières
agroalimentaires peuvent-elles jouer un rôle dans la gestion collective des biens communs
environnementaux ?
La question de la réinsertion de prairies dans la plaine céréalière à l’échelle du paysage a été le moteur
de recherches pluridisciplinaires, réunissant écologues, agronomes, économistes et sociologues. Divers
programmes de recherche ont été lancés dans les années 2000, afin d’analyser finement les causes de
diminution des surfaces pérennes ou semi-pérennes, et les verrous liés à leur réintroduction. Une
première voie explorée est le pilotage centralisé de la distribution des prairies dans la plaine céréalière,
par un système de contractualisation subventionnée par l’Union Européenne. Il s’agit des mesures
agro-environnementales mises en place dans le cadre de la politique agricole commune. Le CEBC est
opérateur pour ce type de contrat dans la zone étudiée.
Toutes ces mesures ont été élaborées pour atteindre un double objectif : être à la fois efficaces par
rapport à la préservation de l’avifaune de plaine et de la qualité de l’eau, et acceptables par les
agriculteurs. Généralement, ces mesures permettent de garder les parcelles contractualisées en
production. Mais s’il y a un manque à gagner dû à l’application de la mesure, celui-ci est compensé
financièrement par un montant défini dans le contrat. Ces deux dernières années, les surfaces
contractualisées en MAE ont augmenté de façon exponentielle (pour atteindre près de 10 000 hectares
en 2011 sur la Zone Atelier « Plaine & Val de Sèvres »). Si cette augmentation est fortement due à la
mise en place de mesures prioritairement destinées à la reconquête de la qualité de l’eau, on peut
observer que les surfaces contractualisées en luzerne et en prairies de graminées ont presque été
multipliées par 5 en 3 ans. Depuis 2004, suite à la mise en œuvre des mesures agro-
environnementales, le nombre de mâles d’outardes a été multiplié par 5 en 5 ans alors que celui-ci était
en diminution depuis 1995 (Bretagnolle et al., 2011). Une seconde voie explorée par le centre de
recherche est plus décentralisée. Elle repose sur la création d’une filière courte organisant des
échanges locaux de luzerne entre céréaliers et éleveurs (Figure 3). Cependant, ce type d’échange est
encore très limité dans la région, et les conditions de sa mise en place sont encore mal connues. Des
pistes sont creusées concernant la mise en œuvre de ce type de filières par des acteurs du territoire
tels que les coopératives agricoles.
Production de Contrôle
Couplages fourrage biologique
biogéochimiques Stockage Contrôle maladies
Catm aériennes
Stockage
Natm
Grandes cultures
Luzerne
Compétition Reproduction
avec adventices d’insectes Couvert
auxiliaires permanent
Lieu de
nidification Absorption Nsol Cours d’eau
Développement
Structuration du sol racinaire Limitation de
Enrichissement en MO
Nappe phréatique l’érosion des sols
Développement
Enrichissement en azote microfaune du sol Limitation du
lessivage en N
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Peyraud J.L.1,2, Delaby L.1,2, Dourmad J.Y.1,2, Faverdin P.1,2, Morvan T.3,4, Vertes F.3,4
1 INRA, UMR PEGASE- F-35590 St Gilles
2 Agrocampus-Ouest, UMR PEGASE, F-35590 St Gilles
3 INRA, UMR SAS- F-35042 Rennes Cedex
4 Agrocampus-Ouest, UMR SAS, F-35042 Rennes Cedex
Correspondance : Jean-louis.peyraud@rennes.inra.fr
Résumé
Les systèmes de production agricole se sont fortement intensifiés, spécialisés et concentrés au sein de
territoires qui se sont eux même fortement spécialisés. Cette évolution répondait à une logique
économique en période de faible prix de l’énergie et ou les enjeux environnementaux étaient ignorés.
Aujourd’hui ces territoires doivent faire face à la dégradation de leurs écosystèmes avec des atteintes à
la qualité des eaux, des sols ou l’appauvrissement de la biodiversité. En particulier le découplage de
l’animal et des surfaces conduit à des émissions importantes d’azote réactif. Les systèmes de
polyculture-élevage offrent des opportunités pour accroître l’efficience d’utilisation de l’azote au sein des
agro systèmes en optimisant les interactions écologiques et le recyclage des éléments et en faisant
reposer davantage les systèmes de production sur les valorisations de ressources renouvelables. Ce
papier étudie les possibilités de développement d’une polyculture-élevage innovante permettant de
limiter le recours aux engrais minéraux de synthèse par l’utilisation généralisée de légumineuses et par
le recyclage des effluents d’élevage et de préserver l’azote au sein des systèmes par le choix des
rotations incluant de la prairie ou autres cultures fourragères. Ces complémentarités entre productions
animales et végétales sont à rechercher à différents niveaux d’organisation depuis l’exploitation, au
groupe d’exploitations interagissant, à l’échelle territoriale voire nationale.
Keywords: Nitrogen, mixed farming systems, legumes, animal wastes, grassland, new organisations
J.L. Peyraud et al.
partagent encore le territoire, le mouvement de spécialisation pourrait se renforcer au profit des cultures
annuelles du fait d’un écart très important et qui se creuse aujourd’hui en terme de revenu du travail
entre les ateliers d’élevage et de culture du fait de la hausse du prix des céréales et des concentrés, et
ce qu’il s’agisse de production de lait ou de viande bovine ou ovine comme le montre une étude récente
de l’institut de l’élevage conduite en Champagne Ardenne (Echevarria et al., 2012). Lorsque les
exploitations de ses territoires ont une taille suffisante (ou l’opportunité de s’agrandir), elles suppriment
le troupeau.
Un rôle central des territoires d’élevage dans les flux d’azote réactif et leurs
impacts sur les écosystèmes
A l’échelle nationale, les apports annuels d’azote pour fertiliser les sols sont fournis pour un peu plus de
la moitié par des engrais de synthèse (2110 kt) et pour un peu moins de la moitié par des effluents
d’élevage (1820 kt) (Citepa, 2011), l’élevage bovin en représenterait 70 %, l’élevage porcin et avicole
environ 10-15 % chacun (Citepa, 2011 ; Gac et al., 2006, 2007). Les entrées d’azote par la fixation
symbiotique représentent un peu plus de 500 kt (soit 11% du total), dont environ 90% proviennent des
légumineuses prairiales et des luzernes.
Les systèmes de production animale occupent une place centrale dans le cycle de l’azote
Les animaux consomment 70% de la biomasse végétale produite en France et les trois quarts de
l’azote sont utilisés pour la production d’aliments pour animaux. Toutes filières confondues, la
consommation estimée d'aliments par les filières animales est de 117 millions de tonnes dont 82
millions de tonnes de fourrages (AFSSA, 2000). En retour, les animaux valorisent de nombreux sous-
produits ou coproduits (tourteaux, pulpes, produits de meunerie..) des productions végétales destinées
à l’alimentation humaine.
Tandis que la croissance des végétaux associe le carbone et l’azote sous des formes stables, leur
consommation par les animaux découple les cycles de C et de N (Faverdin et Peyraud, 2010) et génère
des composés azotés très mobiles et réactifs (urée, azote ammoniacal et nitrique, acides aminés) qui
vont se retrouver plus ou moins rapidement sous forme de nitrate (NO3-) dans l’eau, d’ammoniac (NH3)
et de protoxyde d’azote (N2O) dans l’atmosphère. Dans le même temps, les animaux et/ou leurs
effluents produisent du méthane (CH4). La cascade de l’azote (Galloway et al., 2003) rend compte de
ces flux et montre notamment que les différentes formes d’azote réactif doivent être considérées à des
niveaux spécifiques, du très local pour les impacts sur un écosystème sensible voisin (par exemple
suite aux dépôts de NH3), au régional pour les impacts sur la qualité des eaux et de l’air (NH3, NO3-) et
au global pour le changement climatique (émissions de N20). La contribution de l’élevage aux émissions
nationales des différentes formes d’azote réactif est importante : 25-30% pour NO3, 80% NH3 et 35-40%
pour N2O si seules les émissions issues des effluents d’élevage sont comptabilisées et même 50%,
90% et 70% si on tient compte des engrais minéraux employés sur les cultures destinées à alimenter
les animaux (Citepa, 2011 ; Peyraud et al., 2012a). Des valeurs du même ordre de grandeur sont
rapportées à l’échelle européenne (Oenema et al., 2007). L’élevage a donc un rôle majeur sur les
émissions d’ammoniac du secteur agricole alors qu’il est plus partagé pour le nitrate. Il est aussi plus
partagé avec les zones de grandes cultures où l’application d’engrais de synthèse est une source
importante de N2O. Les émissions de gaz liées à la gestion des déjections sont estimées pour le NH3 à
465 kt N par an selon le Citepa et 382 kt N par an selon Gac et al. (2006, 2007), soit environ le quart de
l’azote contenu dans ces produits. Pour le N2O, les quantités sont plus faibles : 76 kt N émis par an.
Des surplus d’azote très contrastés selon les territoires.
Le projet European Nitrogen Assesment a établi des cartes européennes de distribution des émissions
d’azote réactif vers l’air sous forme de NH3 et de N2O et vers les systèmes aquatiques incluant
notamment le nitrate. Elles montrent très clairement que les zones d’élevage intensif (Ouest Français,
Europe du Nord, Irlande, vallée du Pô) sont des hots spots pour les émissions de NH3 et vers les
aquifères alors que les émissions de N2O sont plus partagées entre les territoires d’élevage et de
grandes cultures (Figure 1).
Figure 1 : Distribution des émissions d’azote à l’échelle Européenne (flux en kg N/km&/an) (Leip et al., 2011)
Ammoniac Protoxyde d’azote Nitrate et N dissous
Au niveau français, les travaux de l’institut de l’élevage (Bertrand et al., 2007 ; Le Gall et al., 2005) ont
permis de dresser un bilan des charges et surplus en azote sur les territoires français (Tableau 1). La
pression d’azote organique et minéral varie fortement selon les régions. La pression en azote minéral
se concentre dans les zones de grande culture alors que dans les zones d’élevage de l’Ouest, les
apports sous forme organique sont élevés : ils dépassent 130 kg N/ha de SAU dans plusieurs secteurs
qui combinent production laitière et élevage de monogastriques (Finistère, Côtes d’Armor, Morbihan) ou
production de viande bovine et de volailles (sud des Pays de la Loire) ou dans ceux qui sont spécialisés
en production laitière (sud Manche, nord Mayenne, Ille et Vilaine).
Tableau 1. Charges en azote de différentes régions selon l’orientation agricole (Le Gall et al., 2005). Le surplus
du bilan azoté « sol-végétation » est calculé avant traitement des lisiers.
Charge N N minéral N organique N organique Surplus du
(kg/ha SAU) (% entrées) ruminants granivores bilan (kg
(% entrées) (% entrées) N/ha)
Bretagne Lait et porcs 221 33 36 31 84
Bretagne Lait intensif 179 43 44 13 54
Nord Pays de Loire 161 45 45 10 37
Zones grandes cultures 123 85 13 2 25
Zones herbagères plaine et 98 31 67 2 9
montagne
Les excédents des bilans azotés (différence entre apports totaux au sol et exportations par les
productions végétales) dépassent ainsi 40 à 50 kg N/ha/an dans plusieurs territoires d’élevage et sont
plus faibles en moyenne dans les zones de grande culture, la moyenne nationale s’établissant à 29
kg/ha/an. C’est bien la concentration animale qui est à l’origine de forts excès de bilan. En effet, les
régions d’élevage ayant des chargements animaux faibles et une alimentation basée sur la prairie
permanente (grand Massif Central, Jura, Alpes) présentent des bilans inférieurs à 10 kg/ha/an et donc à
ceux observés en zone de grande culture.
de 75% en passant de 1,0 million ha en 1970 à 321 000 ha en 2000 (Pflimlin et al., 2003). Les surfaces
en pois ont diminué de 700 000 dans le début des années 1990 à moins de 200 000 ha aujourd’hui
(source Unip, 2012). Au final c’est 1,18 M ha de légumineuses qui ont disparu ce qui représente une
perte d’apport annuel d’azote issu de la fixation symbiotique d’environ 200 kt par an. Les surfaces en
maïs ensilage ont quant à elles augmenté de 350 000 à 1,4 million ha. La diminution des surfaces en
protéagineux a été très marquée après la réforme de la PAC de 1992 qui ne leur a pas été favorable.
Dans le même temps, les rotations se sont simplifiées. Jusque dans les années 60, une rotation
équilibrée incluait 6 à 8 cultures. Cette diversification avait été mise en œuvre de manière empirique
pour maintenir la fertilité des sols, limiter l’usage des engrais (Jensen et al., 2010), la fixation
symbiotique étant alors la première source d’azote, le recyclage des déjections animale étant la
seconde et aussi limiter le risque de développement des pathogènes. Ces vingt dernières années la
simplification des rotations s’est accélérée. Ainsi les céréales à paille, le maïs grain ou ensilage, le colza
et le tournesol représentaient 56% des cultures précédant un blé en 1994 mais 75% en 2004. Il y a
notamment un accroissement fort des emblavements en blé suivant un colza (25% des surfaces en blé
vs 12% auparavant), ou une autre céréale à paille (19% vs. 13%) et une diminution concomitante des
autres précédents culturaux (Le Roux et al., 2008).
Ces changements d’affectation ont contribué à dégrader la qualité des sols. Les territoires
d’élevage intensif comme la Bretagne, se caractérisent par des teneurs élevées en phosphore des sols
et qui continue à s’accroître (GIS Sol, 2011) conduisant à l’eutrophisation des agrosystèmes. Cette
accumulation de P s’explique par les importations par les aliments et non retenu par les animaux. Elle
résulte aussi du ratio N:P (4:1 à 5:1) des effluents qui est beaucoup plus faible que celui des plantes
(6:1 à 8:1) (Eghball, 2003 ; Sharpley et Smith, 1994). A l’inverse, de nombreux sols ont des teneurs
faibles en P notamment dans les zones de grandes cultures qui ne voient plus d’amendement
organique (GIS Sol, 2001). Cette juxtaposition de situations de surplus et d’insuffisances potentielles
pose la question d’une meilleure répartition du P des effluents d’élevage.
Les sols des terres arables sont caractérisés par des teneurs en C organique beaucoup plus faibles
(40 t/ha dans les 30 premiers centimètres) comparativement aux sols sous prairie permanente (environ
70 t/ha) et aux zones humides (jusqu’à 300 t/ha, Arrouays et al., 2002). D’autres données nationales
conduisent aux mêmes conclusion (Lettens et al., 2005 en Belgique et Kuickman et al., 2002 pour les
Pays Bas). Pourtant le maintien d’une teneur suffisance en C des sols procure de nombreux bénéfices
dont la régulation de la dynamique de l’azote, la fourniture d‘éléments nutritifs aux plantes, le maintien
d’une activité biologique importante et une plus grande résistance à l’érosion (Matson et al., 1997). La
conversion des prairies permanentes en terres arables reste le premier facteur expliquant la diminution
de la teneur en C des sols (et des émissions de GES associées) même si des techniques de travail du
sol plus conservatrices se développent aujourd’hui (enfouissement des pailles, non retournement).
Ainsi, en Argentine, la teneur en C des sols a été réduite de 30 à 40% en 10 ans dans les zones où la
Pampa a été convertie en culture du soja, la teneur se stabilisant depuis quelques années avec
l’apparition du non labour (Díaz Zorita et al., 2002 ; Alvarez et al., 2009.
Figure 3 : Influence de l'intensité de production porcine (porc produits/ha/an) et l'assolement dans le cas d'une
filière associant lisier et compostage de lisier sur paille (d’après Baudon et al., 2005 ; Bonneau et al., 2008).
de fixation symbiotique pouvant être plus élevés (Vertès et al., 1995), les quantités d’azote fixées dans
les parties aériennes varient de 150 à 250 kg N/ha ce qui peut assurer l’autonomie de nutrition azotée
d’une prairie d’association dès que le taux de légumineuses dépasse 25-30% de la biomasse présente.
Aucun coût en énergie fossile n’est lié à cette entrée d’azote ce qui n’est pas le cas pour les engrais de
synthèse. La fixation symbiotique correspond donc à une économie d’énergie substantielle puisque qu’il
faut environ 55 MJ d’énergie fossile pour produire, transporter et épandre 1 kg de N minéral. Il faut ainsi
1,2 MJ pour produire 1 UFL (= 7100 kJ) d’énergie nette de ray-grass fertilisé à 150 kg N/ha mais
seulement 0,4 avec une prairie d’association et 0,9 pour de l’ensilage de maïs après blé (Besnard et al.,
2006). Il faut aussi rappeler que les légumineuses produisent des fourrages et des graines riches en
protéines qui peuvent contribuer efficacement à l’autonomie protéique des troupeaux et aussi à la
traçabilité des produits par la production de protéines métropolitaines.
L’enjeu est de valoriser au maximiser la fixation symbiotique et de recycler au mieux l’azote de la
légumineuse à l’échelle de la rotation. Afin de tirer le meilleur parti des légumineuses, il est important de
limiter les apports d’engrais car l’assimilation racinaire peut compléter, voire remplacer la fixation
d’azote atmosphérique si la légumineuse est fertilisée. Par ailleurs, la disponibilité en azote après une
légumineuse est supérieure à celle d’autres précédents non légumineuses (Jensen et Hauggaard-
Nielsen, 2003 ; Justes et al., 2009 et 2010). Les apports peuvent être diminués de 20 à 60 kg sur un blé
suivant un pois comparativement à une rotation céréales à paille-blé. Cet arrière effet n’est pas toujours
bien pris en compte dans les plans de fertilisation (Schneider et al., 2010), mais il peut devenir très
avantageux en cas de fort renchérissement du prix des engrais de synthèse. Il est aussi établi que le
rendement des blés suivant un pois sont plus élevés d’environ 8 q/ha comparativement à une rotation
blé sur blé. Compte tenu de reliquats élevés, les risques de lessivage sont plus élevés en cas de
drainage hivernal si l’azote résiduel n’est pas valorisé et il est nécessaire d’implanter une culture
intermédiaire piège à nitrate (CIPAN) entre la légumineuse et la culture suivante de blé qui n’a pas la
capacité à absorber tout l’azote disponible avant la période de drainage pour accroitre la valorisation de
l’azote issu de la fixation symbiotique (Juste et al., 2010). Plutôt que d’implanter une CIPAN, les travaux
du Casdar 7-175 (voir aussi Schneider et al., 2010) ont montré qu’il était possible d’introduire un colza
entre le pois et le blé et que la productivité du colza était maintenue et même légèrement augmentée
alors que sa fertilisation a été réduite.
Insérer une luzernière pendant 3 ans et semée au printemps au sein d’une succession blé-betterave
conduit également à une réduction sensible des fuites du nitrate (Muller et al., 1993). Dans cet essai
conduit en lysimètre, la teneur en nitrate de l’eau a été en moyenne sur 10 ans de 92 et 123 mg/L en
moyenne en présence et en absence de luzerne.
Les animaux valorisent bien les légumineuses fourragères ou à graines.
Des rations mixtes associant ensilage de maïs et ensilage de trèfle violet ou de luzerne (Chenais, 1993)
comparées à des rations d’ensilage de maïs seul conduisent aux mêmes performances laitières tout en
réduisant les besoins en tourteau de soja pour satisfaire les besoins des animaux. Des résultats
similaires ont été obtenus récemment dans le cas d’utilisation de foin ou de balles rondes de luzerne
(Rouillé et al., 2010). L’économie est de 1 à 2 kg de tourteau par vache et par jour selon la qualité du
fourrage. Il faut cependant noter que la récolte et la conservation des légumineuses fourragères, que ce
soit sous forme d’ensilage ou de foin, restent délicates et que beaucoup de soins doivent être apportés
lors des chantiers (Arnaud, et al., 1993) pour un résultat encore trop souvent aléatoire. Pour être bien
valorisé par des vaches laitières, les ensilages doivent avoir au moins 30% de MS. La luzerne
déshydratée n’a pas cet inconvénient. C’est un aliment de qualité constante pouvant accroître les
performances des animaux (Peyraud et Delaby, 1994) mais son intérêt pourrait être limité par le cout
énergétique de la déshydratation. Au pâturage l’intérêt des prairies d’associations entre graminées et
trèfle blanc a bien été démontré (Wilkins et al , 1994 ; Ribeiro-Filho et al., 2005), les quantités ingérées
étant plus élevées sur les associations. Mais surtout l’intérêt du trèfle blanc réside dans la souplesse
d’utilisation de la prairie, la diminution de la qualité avec l’accroissement de l’âge des repousses étant
plus lent que pour les graminées fertilisées.
Les légumineuses à graines telles que le pois, la féverole et le lupin peuvent être introduites dans les
rations des vaches laitières à raison de 15 à 20% et se substituer à la moitié du tourteau de soja ou de
colza sans pénaliser la production de lait (Brunschwig et Lamy, 2002 ; Brunschwig et al., 2013).
Toutefois des incorporations à des doses plus élevées conduisent à accroitre les rejets azotés car les
protéines de ces graines sont très dégradables dans le rumen (Sauvant et al., 2004). Il est par ailleurs
bien établi de longue date que le pois peut être incorporé en quantité importante dans les rations des
porcs en croissance sans aucun problème (Gatel et al., 1989). En outre, les protéagineux et
particulièrement le pois sont riches en lysine (Sauvant et al., 2004) ce qui permet de baisser les teneurs
en protéines des aliments. C’est aujourd’hui plus le manque de disponibilité sur le marché qui limite
l’emploi du pois dans les rations.
Les légumineuses ont aussi d’autres intérêts.
Des travaux récents montrent que les légumineuses prairiales augmentent le stockage de carbone
organique dans le sol comparativement aux couverts de graminées pures (Lüscher et al., 2011). Elles
contribuent aussi à réduire les émissions de N2O (Muller et al., 1993 ; Ledgard et al., 2009). En
revanche leur rôle sur le lessivage de nitrate est moins établi. Les pertes sont généralement plus faibles
sous prairies d’associations graminées – trèfle blanc que sous prairies de graminées fortement
fertilisées (Hutchings et Kristensen, 1995; Ledgard et al., 2009) mais cela semble s’expliquer tout autant
par le fait que les prairies d’associations supportent des chargements un peu plus faibles que par la
régulation biologique de la fixation de l’azote. Il apparaît quand même que les pertes par lixiviation sont
beaucoup plus faibles sous les prairies contenant de la luzerne (Russelle et al., 2001) bien que la
productivité soit semblable à celle observée avec le trèfle blanc.
Les données du projet Casdar 7-715 montrent également que les émissions de N2O sont très faibles
lors d’une culture de pois ce qui va dans le même sens que l’hypothèse du GIEC (2006) stipulant que la
fixation symbiotique n’est pas source d’émissions de N2O. L’inclusion d’un pois dans une rotation
céréalière de 3 ans réduit ainsi les émissions de 20 à 25%. Il semble aussi que l’introduction des
légumineuses à graines au sein des rotations a un effet positif sur la diversité microbienne des sols ce
qui peut contribuer à réduire la gravité des maladies d’origine tellurique (Lupwayi et al., 1998; Kloepper
et al., 1999).
Mais plusieurs contraintes limitent aujourd’hui le développement des légumineuses.
La première est liée à leur productivité, exprimée en q/ha, qui reste faible comparativement à celle des
céréales et c’est une cause majeure de leur régression. La production moyenne du pois est de 40
quintaux qu’il faut comparer aux 70 quintaux du blé en France. Compte tenu des prix de vente et des
coûts de production, la marge brute à l’hectare est donc beaucoup plus faible. Récemment plusieurs
dispositifs expérimentaux ont été mis en place pour concevoir et évaluer des systèmes de culture
incluant des légumineuses (Justes et al., 2009 ; Casdar 7-175). Compte tenu des effets positifs d’un
précédent pois sur le rendement des cultures suivantes, des économies réalisées sur la fertilisation et la
consommation d’énergie, les écarts de marges obtenus lors de rotations incluant du pois sont en fait
beaucoup plus réduits voire s’inversent selon les scénarios de prix comparativement à des rotations
sans pois. Concernant les fourrages, les prairies d’associations sont généralement moins productives
que les prairies de graminées fertilisées. Toutefois un projet récent conduit sur 17 sites en Europe a
montré que le mélange de 4 espèces bien complémentaires (2 légumineuses et 2 graminées) est plus
productif que la meilleure des espèces cultivée seule à même rythme de coupe et même fertilisation
(Kirwan et al., 2007). Ces premiers résultats méritent d’être confirmés dans d’autres situations (Huyghe
et al., 2012). Bien que l’introduction de luzerne dans une rotation de céréales offre de nombreux
avantages, sa valorisation dans le cadre d’une exploitation ne disposant pas d’animaux et à distance
variation de l’efficacité de ces techniques (de 0 à 75% pour les pendillards et de 25 à 90% pour
l’enfouissement, Webb et al., 2010). La réduction des pertes par volatilisation demande une vigilance
continue pour éviter les transferts de pollution car le risque de volatilisation est présent à chaque étape
et tout gain réalisé à une étape peut conduire à des pertes accrues à la suivante. En revanche, il
n’existe à l’heure actuelle aucune technique éprouvée permettant de réduire les émissions de NH3
provenant du stockage du fumier.
Le traitement des effluents offre aussi des leviers d’actions. La séparation de phase permet d’obtenir
deux produits qui pourront être gérés différemment et potentiellement mieux : une phase solide avec
des concentrations en azote total et en phosphore respectivement 2 et 4 à 5 fois supérieures à celles
du produit initial, et une phase liquide (moins de 2% de MS) avec de l’azote essentiellement sous forme
ammoniacale (85%) (Béline et al., 2003). Le compostage permet de stabiliser la MO des effluents en
éliminant la MO facilement biodégradable. Les pertes d’azote par volatilisation sont importantes et
varient d'environ 30% à 60% de l’azote entrant dans le système si le procédé est mal maîtrisé (Bernal et
al., 2009). Au final, le compost est plus riche en éléments minéraux (N, P, K) que le fumier de départ
(Saludes et al., 2008).
Optimiser la valorisation agronomique de l’azote disponible des effluents.
L’utilisation de lisier en remplacement d’engrais minéraux de synthèse conduisent aux mêmes
productions et ne causent pas de pertes supplémentaires à l’échelle de 15 ans (Leterme et Morvan,
2010), du moins tant que les niveaux d’apport sont adaptés aux besoins des cultures (apports
fractionnés, absence d’apport à l’automne avant la période de drainage). Pour autant, il demeure
encore difficile d’ajuster précisément la fertilisation minérale dans des systèmes valorisant les effluents
animaux car il reste difficile de prévoir la valeur fertilisante à court et moyen terme des effluents.
Figure 4 : Schématisation des compartiments d’azote de différents types d’effluents, des deux flux principaux qui
déterminent leur valeur azotée à court terme et des méthodes à mettre en œuvre (teste rouge) pour optimiser
l’utilisation de leur azote. L’épaisseur des compartiments représente les proportions des différentes formes de N
dans l’effluent. L’épaisseur des flèches représente schématiquement l’intensité des flux en jeu. Les cercles
orange indiquent des possibilités d’améliorer la valeur azotée par une meilleure connaissance des effluents
associée à des pratiques agricoles adaptées.
La biodisponibilité en azote est liée au type de produit, avec des valeurs élevées de biodisponibilité de
l’azote pour la plupart des effluents liquides (70 à 100% du N disponible sur l’année), des valeurs
faibles pour les fumiers et effluents compostés (20 à 40%) et intermédiaires pour des produits de type
lisiers (30 à 50%) (Peyraud et al., 2012a) mais les très nombreux travaux menés en conditions
contrôlées mettent en évidence la grande variabilité de la valeur fertilisante à court terme et la seule
connaissance du critère « origine » de l’effluent ne permet pas de lui attribuer une valeur fertilisante
avec précision. Les connaissances acquises sur les pertes par volatilisation ammoniacale à l’épandage
et sur les dynamiques temporelles de minéralisation (Morvan et al., 2006) après l’épandage permettent
de mieux expliciter les variations de l’efficience azotée des produits. Ces connaissances, intégrées
dans des outils opérationnels de fertilisation tels que Azofert (Machet et al., 2007) et des outils de
mesure très simples (Quantofix par ex), permettent de mieux raisonner les apports et d’améliorer la
gestion agro-environnementale des effluents. Il demeure que des progrès doivent encore être réalisés
sur la connaissance de la dynamique des processus de minéralisation de l’azote des effluents en
interaction avec le type de sol et la minéralisation de l’azote du sol pour pouvoir piloter précisément la
fertilisation avec les effluents et les compléments éventuels d’engrais minéraux.
L’utilisation des effluents animaux offre aussi d’autres avantages.
La fourniture de matière organique avec les effluents, surtout dans le cas des fumiers et des composts
permet d’accroître les teneurs en carbone des sols même si ce processus est très variable. La
proportion de C apporté qui se retrouve dans le sol sous forme stable varie de 10-30% pour les
effluents liquides à 20-50% pour les effluents solides (Institut de l’élevage, 2001). Ces valeurs
moyennes masquent toutefois une forte variabilité, le stockage de C résultant de l’utilisation des fumiers
de bovin peut varier de 20 à 60% selon les sites expérimentaux (Morvan et al., 2010 ; Peltre et al.,
2012). Les apports d’effluents ont aussi un effet sur la biodiversité microbienne des sols car ils sont à la
fois une source de nombreux nutriments pour les flores natives des sols et ce sont aussi des inoculum
complexes (Bitmann et al., 2005 ; Lalande et al., 2000).
nitrate sous pâture sont souvent faibles hormis dans le cas de prairies temporaires très fortement
fertilisées (Vertes et al., 2007, 2010). Les émissions de N2O sont également faibles (moins de 5%,
Clough et al., 1998).
Si le stockage d’azote sous prairie constitue un puits limitant les pertes d’une partie de l’azote stocké va
se minéraliser rapidement lors de la mise en culture des prairies. Il existe actuellement peu de
références disponibles sur l’évaluation des pertes de nitrate dans les successions culturales, bien que
des travaux soient en cours. Un travail exploratoire conduit dans le cadre de l’Agrotransfert Bretagne
(Vertes et al., 2010) montre que les pertes sous les rotations prairies – cultures lorsque la prairie est
introduite dans des rotations courtes avec des prairies implantées pour 3 ans sont de l’ordre de 80
kg/ha/an mais qu’elles sont plus faibles pour des rotations plus longues (40 à 60 kg /ha/an). En outre, la
destruction des prairies temporaires au printemps plutôt qu’à l’automne non seulement réduit le risque
de lessivage mais aussi contribue à accroitre le rendement des cultures de printemps suivantes du fait
des reliquats azotés. Par exemple, Simon (1992) a montré que les rendements du maïs ensilage étaient
plus élevés de 15% (soit près de 2 t de MS) après une prairie en première année et de 9% en seconde
année que lors d’une rotation spécialisé en maïs. Des travaux plus anciens conduits aux USA
montraient aussi que les rendement des céréales étaient améliorés lorsqu’elles entraient dans des
rotations comportant 1 ou 2 ans de culture fourragères comparativement à des rotations classiques
maïs – soja (Adams et al., 1970). De même, les betteraves sucrières sont particulièrement
intéressantes car cette culture implantée derrière une prairie est capable de valoriser jusqu’à 400 kg de
N/ha du fait de sa longue période de végétation.
Les systèmes valorisant de la prairie procurent d’autres services écosystémiques.
Les prairies temporaires incluses dans des rotations peuvent stocker du C (0,5 à 1,2 t/ha, Soussana et
al, 2010). Le stockage s’accroit avec la durée d’implantation de la prairie car le déstockage au
retournement est plus rapide que le stockage lors de la remise en prairie (Arrouays et al., 2002) et est
de l’ordre de 0,9 à 1,4 t/ha/an). Le stockage de carbone sous prairie et les structures paysagères
associées (haies) peut compenser de 6 à 43% des émissions des troupeaux selon les systèmes utilisés
(Dollé et al., 2011) et abaisser l’empreinte C des produits de ruminants. Une expérience de très long
terme conduite à l’INIA La Estanzuela en Uruguay (Gentile et al., 2005). met bien en évidence l’intérêt
des rotations incluant de la prairie temporaire sur la dynamique de la MO des 20 premiers cm du sol
(Figure 5). Après 40 ans, la teneur en C organique des sols (0 à 20 cm) a diminué de 2,2 à 1,5% dans
les systèmes de cultures conduits avec fertilisation alors qu’il s’est maintenu dans le cas de rotations
incluant des prairies même de courte durée. La dynamique de réponse de la teneur en MO est rapide
après chaque nouvelle implantation de prairie. Durant la phase de prairie, la majorité du C organique
perdu pendant la phase de culture arable est récupérée (García-Préchac et al., 2004).
Une synthèse des performances environnementales de systèmes laitiers utilisant plus ou moins de
prairie incluse dans des rotations avec du maïs ensilage et d’autres cultures annuelle a été réalisée par
Le Gall et al (2009 et réactualisée en 2012) (Tableau 2). La prairie est un fourrage riche en azote et
demeure aujourd’hui une source essentielle de protéines pour alimenter les ruminants. Par ailleurs, le
risque de lessivage du Phosphore est également réduit sous prairie puisque le sol est couvert en
permanence (Le Gall et al., 2009).
Figure 5. Comparaison de rotations incluant ou n’incluant pas de prairie sur la dynamique de la MO du sol
(Morón et Sawchik, 2002)
La prairie contribue aussi à la réduction de l’utilisation des pesticides. Une étude européenne a
récemment montré que l’usage des pesticides est inversement proportionnel à la proportion de praires
dans la SAU (Raison et al., 2008). Il est également démontré que l’introduction d’une prairie dans une
rotation permet d’accroitre l’abondance des invertébrés dans les sols (Hedde, 2006), notamment des
populations de vers de terre ainsi que la biodiversité floristique et les insectes pollinisateur. En outre,
plusieurs travaux montrent que le revenu par travailleur (hors aides) est souvent plus élevé dans les
exploitations d’herbivores valorisant plus d’herbe. C’est notamment ce que montre la synthèse de
Peyraud and Lherm, (2010) à partir des données issues des réseaux de bovins lait de l’institut de
l’élevage et des réseaux de l’INRA en exploitations charolaises ce qui est aussi confirmé par Samson et
al. (2012) qui montrent que les systèmes à bas intrants valorisant de la prairie permettent de contenir
les coûts de production en élevage laitier.
Tableau 2 : Performance environnementales de systèmes laitiers en fonction de la part de prairie dans la surface
fourragère.
limiter le risque d’érosion. Les Cipan captent l’azote minéral résiduel du sol avant la période de
drainage, puis en restituent une partie à la culture suivante. Les données de Justes et al. (2012)
montrent que les teneurs en nitrates sont alors très fortement réduites et ne dépassent que rarement 50
mg/L. Les CIPAN sont d’ailleurs largement intégrées aux pratiques, en particulier dans les zones
vulnérables (Peyraud et al., 2012a). Les CIPAN permettent en particulier de réduire le lessivage entre
les cultures de légumineuses à graines ou la prairie et la céréale qui suit. La moutarde apparaît
particulièrement efficace en absorber 80 kg N/ha en seulement 2 à 3 mois de croissance (Justes et al.,
2012).
La moutarde n’est pas une espèce fourragère et dans les exploitations en polyculture élevage, il est
plus intéressant d’utiliser des cultures dérobées qui peuvent ensuite être valorisées par des animaux tel
que le colza fourrager ou des mélanges plus complexes comme par exemple de mélanges à base de
céréales, vesces et trèfle. Cette valorisation par les animaux améliore la productivité globale du
système de culture car elle ne pénalise pas la productivité de la céréale suivante (Franzluebbers et
Stuedemann, 2007) tout en fournissant un fourrage complémentaire.
Les associations de céréales et protéagineux implantées à l’automne permettent de produire 10 à 11 t
de MS d’un fourrage à ensiler en Juin avec peu ou pas d’engrais azotés ni de produits phytosanitaires
tout en assurant une couverture hivernale des sols (Naudin et al., 2010) et trouvent leur place.
Toutefois, la valeur du fourrage produit reste assez modeste (Emile et al., 2011) si bien que ce fourrage
doit être réservé aux génisses ou distribués en quantités limitées aux vaches laitières. Avancer la date
de récolte de 1 mois améliore la qualité du fourrage mais réduit fortement le rendement (de l’ordre de
40%). Il y a donc des compromis à rechercher. En outre, les résultats varient avec les céréales utilisées,
le blé réduisant fortement le rendement par comparaison à un triticale imberbe. Il reste aujourd’hui un
manque de connaissances sur les potentialités de différentes espèces ou associations d’espèces
pouvant être utilisées en cultures dérobées pour valoriser l’azote disponible dans le sol ou fixé par
symbiose tout en produisant un fourrage de qualité et limitant le risque de développement des
pathogènes.
Des initiatives innovantes de quelques céréaliers qui ont réintroduit des troupeaux de moutons dans
leur exploitation sont à mentionner même s’il s’agit encore de pionniers. Cette introduction correspond
souvent au souhait d’enrichir en MO les sols. La production de moutons peut donner un nouvel équilibre
aux exploitations céréalières (CIIRPO, 2102). Les brebis et leurs agneaux valorisent parfaitement bien
les surfaces à contraintes environnementales comme les CIPANs par des pâturages d’aout à
Décembre, ces animaux de petit format ne causant pas de problème de piétinement. Ils peuvent aussi
valoriser d’autres productions de l’exploitation comme les céréales et de la luzerne ainsi qu’une grande
diversité de coproduits qui sont souvent disponibles en grande quantité et à faible prix dans ces
territoires (pulpes de betteraves, drèches de blé…). Ils valorisent aussi la paille comme litière mais
aussi dans leurs rations. En contrepartie, le fumier produit peut être utilisé très efficacement sur les
têtes de rotation comme le maïs, les betteraves ou le tournesol. Un troupeau de 200 brebis produit 710
kg N, 770 kg P et 1050 kg de K ce qui permet de fertiliser une quinzaine d’hectares chaque année
réduisant d’autant les coûts de la fertilisation. Le fumier contribue aussi à apporter de la MO sur des
sols généralement pauvres. La surcharge de travail liée à l’apparition d’un troupeau peut être ajustée
par la planification des périodes d’agnelage en dehors des périodes de pointe de travail au champ. La
diversification permet de créer un revenu supplémentaire ce qui peut contribuer à atténuer les effets de
la volatilité des prix des céréales d’autant plus que les perspectives du marché de la viande de mouton
sont plutôt bonnes. Enfins l’apparition d’un troupeau de moutons s’accompagne en général de la
création d’un emploi dans l’exploitation.
A quelle échelle géographique les recyclages peuvent-ils être réalisés et comment les mettre en
œuvre ?
Dans le cas des fumiers, le compostage permet d’obtenir un produit final enrichi en éléments fertilisants
(N, P, K) comparé au produit initial et qui est désodorisé ce qui facilite le transport. Le compostage de
fumier est ainsi souvent présenté comme une possibilité d’élargir la gamme des utilisations des
matières organiques en particulier vers les cultures. Toutefois, ce procédé peut conduire à des pertes
importantes de NH3 et de N2O souvent importantes lorsqu’il est mal maîtrisé et qui sont estimées entre
30 et 60% (Bernal et al., 2009 ; Szanto, 2009). Le séchage des effluents pour produire des engrais
normalisés est une voie prometteuse. L’enjeu est de produire un engrais organique commercialisable
qui puisse être exporté vers d’autres régions, notamment les zones de grande culture où il peut se
substituer aux engrais minéraux. Cette voie permet de réduire la charge en azote, mais encore plus en
phosphore, des zones d’élevage intensif. Une étape préliminaire est la séparation de phase des lisiers
pour obtenir une phase solide plus concentrée en N et P (2 et 4-5 fois respectivement pour N et P,
Beline et al., 2003) qui est ensuite séchée. Des groupes coopératifs pionniers collectent ainsi déjà une
partie des lisiers pressés de leurs coopérateurs et les sèchent en utilisant la chaleur produite par
différents sources, soit la chaleur d’un abattoir soit celle issue de méthanisation avec co-génération.
Cette technologie permet un recyclage entre territoires éventuellement sur de longues distances ce qui
ouvrent des possibilités pour redistribuer le phosphore entre régions pour retrouver les équilibres (voir
Figure 2) au niveau national à un moment où le prix des phosphates augmente. Toutefois, les
avantages de ces systèmes de traitement mais aussi leurs limites restent à évaluer globalement par
rapport à l’utilisation d’engrais minéraux et l’utilisation de plus de légumineuses en zones de grande
culture d’un point de vue de l’efficacité économique, environnementale et de l’acceptabilité sociale.
Conclusions
La spécialisation des exploitations et des territoires associée à l’intensification des systèmes est un
courant dominant en Europe et en France depuis de nombreuses années mais l’avenir de ces systèmes
basés sur une utilisation importante d’intrants est questionné sur le plan environnemental et aussi
économique avec le renchérissement de l’énergie. Les systèmes de polyculture élevage associant de
manière plus étroite les troupeaux et les cultures doivent permettre un meilleur recyclage de l’azote au
sein des agrosystèmes, d’accroitre l’autonomie protéine mais aussi énergétique des élevages, de
maintenir, voire d’accroitre la productivité par une gestion optimisée des ressources naturelles tout en
améliorant la résilience des systèmes face aux aléas dans un contexte de volatilité des prix. Cela
nécessite de mettre en œuvre une polyculture élevage rénovée où les légumineuses et la bonne
valorisation des effluents auront une place majeure et où il faut repenser les rotations pour tirer le
meilleur profit des ressources naturelles et améliorer la qualité des sols. Il demeure cependant des
problèmes nécessitant des recherches pour passer des concepts aux innovations. Il reste à lever des
verrous techniques car, pour être performants, ces nouveaux systèmes de polyculture élevage devront
combiner des innovations agronomiques dans la conduite des surfaces (rotations, assolements) et des
troupeaux. Il reste aussi à lever de verrous organisationnels car à l’échelle de l’exploitation la
polyculture élevage se heurte à des questions d’organisation et d’efficacité du travail ainsi que de
besoins de compétences pointues dans des domaines variés. La recherche de complémentarités à des
échelles plus larges, notamment entre exploitations offre des possibilités a priori intéressantes mais
nécessite de repenser les modes d’organisation entre exploitations, voire entre territoires éloignés. Les
conditions d’une bonne acceptabilité et du succès de telles solutions ne sont pas connues. Ces
évolutions ne pourront également se faire sans l’adaptation des politiques publiques qui sera un
élément déterminant pour encourager et favoriser les transitions nécessaires. Elles peuvent aussi
nécessiter l’intervention d’autres acteurs économiques que les seuls agriculteurs.
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Munier-Jolain N.(1), Médiene S.(2), Meiss H.(1), Boissinot F.(3), Rainer W.(4), Jacques C.(5),
Bretagnolle V.(6)
Résumé
La complémentarité entre les productions céréalières (sensu lato) et les productions fourragères liées à
l’élevage est un levier majeur de gestion de la flore adventice, par la diversification des successions
culturales qu’elle permet. Cet article synthétise les connaissances actuelles sur les effets sur la flore de
l’insertion de prairies temporaires dans les successions céréalières, sur la base d’une étude
bibliographique et de travaux menés en France. Les relevés de flore en parcelle agricole et les
expérimentations en station convergent pour démontrer l’effet précédent répressif des prairies
temporaires (en particulier la luzerne) sur de nombreuses espèces adventices très problématiques dans
les systèmes céréaliers. Les prairies temporaires peuvent favoriser certaines espèces, mais peu
problématiques en grandes cultures : espèces à port rampant ou en rosette, à cycle court, peu
compétitives, ou espèces vivaces perturbées par les travaux du sol pendant les phases de la
succession de cultures annuelles. Une enquête sur les pratiques des agriculteurs de la Zone Atelier
« Plaine & Val de Sèvre » a montré que la diversification des successions par des cultures fourragères
et des légumineuses permet de concilier la réduction de la dépendance aux herbicides, la réduction des
impacts environnementaux, la réduction des consommations d’énergie à l’échelle du système, et la
rentabilité économique.
Mots-clés : mauvaise herbe, succession culturale, fauche, luzerne, dactyle, prédation
Abstract: Role of temporary grasslands for weed management in cereal cropping systems
Combining grain crops and forage crops within a given cropping system is a great lever for managing
weeds. This paper sums up current knowledge about the effect of perennial forage crops on weeds,
based on a literature review and results from field surveys and experiments in France. All studies concur
to demonstrate that temporary grasslands reduce the density of problematic weeds in subsequent
annual crops. Some species with specific life traits (creeping or rosette morphologies, short cycles, and
some perennials) might be favoured by temporary grasslands, but these species are either poorly
competitive or sensitive to soil tillage that occurs during the succession phase of annual crops. Surveys
in Western France showed that diversifying crop succession with perennial forage crops and legumes
made it possible to reconcile reducing herbicide use, reducing environmental impacts and energy
inputs, and maintaining economical profitability.
Keywords: crop succession, mowing, hay cutting, lucerne, alfalfa, cocksfoot, predation
N. Munier-Jolain et al.
Introduction
La mise à disposition des herbicides pour lutter contre la flore adventice des cultures céréalières (au
sens large, i.e. grandes cultures, céréales, oléoprotéagineux, betteraves, maïs…) est probablement le
changement technique qui a le plus facilité l’évolution vers la simplification des systèmes de grandes
cultures depuis le milieu du XXème siècle. Les régions agricoles françaises sont aujourd’hui hyper-
spécialisées, ce qui se traduit par une faible diversité locale des assolements et des successions
culturales (Mignolet et al, ce colloque). La lutte contre les adventices repose très majoritairement sur
l’utilisation des herbicides, raisonnée en fonction de la flore présente. Mais la forte dépendance des
systèmes agricoles vis-à-vis des herbicides est remise en cause à la fois pour des raisons
environnementales (résidus d’herbicides dans les eaux superficielles et souterraines, déclin de la
biodiversité), et pour des raisons techniques liées au développement préoccupant de biotypes
d’adventices résistants aux herbicides.
Les successions culturales simplifiées favorisent le développement des infestations, car une espèce
adaptée aux cycles culturaux toujours très similaires, année après année, trouvera chaque année les
conditions favorables à l’accomplissement de son propre cycle, lui permettant de se multiplier par voie
végétative pour les espèces vivaces, par production semencière pour les annuelles. Le taux élevé de
multiplication moyen nécessite alors d’être compensé par une forte pression herbicide pour maintenir
les niveaux d’infestation dans des limites compatibles avec la production agricole.
La réduction de la dépendance aux herbicides nécessite de mobiliser d’autres facteurs de régulation de
la démographie des adventices, dans le cadre de stratégies de gestion relevant de la Protection
Intégrée (Chikowo et al., 2009 ; Munier-Jolain et al., 2011). La diversification des successions culturales
constitue un des leviers majeurs de ces stratégies peu consommatrices d’herbicides, car elle permet de
diversifier les cycles culturaux et les conditions de croissance rencontrées par les adventices. En
revanche, la diversité des conditions de croissance rencontrées à l’échelle de la succession est
susceptible de favoriser la diversité des espèces végétales maintenues dans le milieu ‘champ cultivé’.
Les successions diversifiées favorisent donc théoriquement des communautés adventices à la fois plus
riches en nombre d’espèces et à la démographie beaucoup moins explosives que les monocultures ou
les rotations très simplifiées.
De ce point de vue, la complémentarité entre production ‘céréalière’ et élevage comporte deux
avantages majeurs :
• Elle permet souvent de fournir des débouchés locaux aux cultures de diversification introduites
dans les successions simplifiées : par exemple, l’introduction dans une succession de cultures
d’hiver (de type colza-blé-orge) de cultures de triticale (espèce très compétitrice étouffant les
adventices) ou de protéagineux de printemps ou de sorgho (espèces à cycles très décalés par
rapport aux cultures d’hiver) est plus facile lorsqu’une valorisation locale en alimentation animale
résout d’éventuels problèmes de commercialisation des productions végétales (marchés peu
organisés localement) (Duc et al, ce colloque).
• Elle permet plus facilement d’envisager l’introduction dans les successions culturales ‘céréalières’
de cultures fourragères pluriannuelles. Ces cultures constituent un milieu très contrasté par rapport
aux cultures annuelles, caractérisé par (i) l’absence de travail du sol pendant la durée de la prairie
temporaire, (ii) un régime de perturbation fréquent par les fauches (ou le pâturage) pouvant
perturber la croissance des adventices et limiter les possibilités de production semencière, et (iii)
une intensité de compétition pour la lumière exercée par la plante cultivée pendant la plus grande
durée de la période d’exploitation de la culture.
Une revue bibliographique très complète a été réalisée sur les effets sur la flore adventice de la
diversification des successions culturales par l’introduction de cultures fourragères pluri-annuelles
(Meiss, 2010). La première approche des agronomes ayant traité la question est celle d’enquêtes sur
les bénéfices de la diversification des rotations. Une telle enquête menée au Canada a montré que
83 % des agriculteurs interrogés ayant pratiqué des rotations avec prairies temporaires sont convaincus
du bénéfice en terme de maîtrise de la flore adventice dans les cultures suivantes, et 33% pensent que
cet effet ‘précédent’ persiste dans la rotation 3 années ou plus après la culture fourragère (Entz et al.,
1995). Sur la base de relevés de flore dans des céréales suivant soit des luzernes soit des cultures
annuelles ‘céréalières’, réalisés également au Canada, Ominski et al. (1999) ont observé des réductions
significatives après luzerne de la densité d’espèces typiques des systèmes céréaliers (Avena fatua,
Brassica kaber, Cirsium arvense, Galium aparine), mais pas d’effet sur des espèces adventices
estivales (Amarantus retroflexus, Chenopodium album, Polygonum convolvulus, Setaria viridis), et une
augmentation d’une espèce vivace (Taraxacum officinale). En Australie, de façon similaire, des études
ont montré le rôle des prairies temporaires pour gérer des problèmes de graminées résistantes aux
herbicides, Avena fatua et Lolium rigidum (Gill et Holmes, 1997). De nombreux travaux expérimentaux
aboutissent à des conclusions similaires, i.e. une réduction de la densité des adventices, en particulier
des graminées à germination hivernale dans les cultures suivant les cultures fourragères pluri-annuelles
(Sjursen, 2001 ; Albrecht, 2005), l’effet observé étant parfois cité comme aussi efficace, voire plus
efficace que les traitements herbicides appliqués sur les parcelles témoin (Schoofs et Entz, 2000 ;
Bellinder et al., 2004). La forte sensibilité des graminées à germination hivernale à l’insertion des
prairies temporaires peut s’expliquer par la relativement faible durée de vie des semences dans le sol
pour ce type d’espèces (Barralis et al., 1988). Mais il faut tout de même signaler des études nord-
américaines sur des systèmes à base de maïs et de soja qui ont conclu à des augmentations possibles
de densités de graminées estivales après les cultures fourragères fauchées (Teasdale et al., 2004).
Selon les études, le bénéfice des prairies temporaires en termes de gestion de la flore adventice est
caractérisé soit par une réduction des densités d’adventices dans les cultures suivantes, soit par une
réduction du niveau de recours aux herbicides (Heggenstaller et Liebman, 2006). Par ailleurs,
l’augmentation de la diversité floristique de la parcelle est également souvent associée à la
diversification de la rotation par des cultures fourragères pluri-annuelles, notamment par le
développement d’espèces vivaces (Taraxacum officinale, Rumex), qui sont rarement problématiques
dans les cultures annuelles suivantes du fait de leur sensibilité aux interventions de travail du sol.
Par ailleurs, l’effet des prairies temporaires sur la flore adventice dépend également des modalités de
gestion de cette prairie, de la fréquence de fauche notamment (Norris et Ayres, 1991). Mais ce facteur
peut avoir des effets contrastés selon les études et les espèces adventices, selon que la fauche
intervient comme une perturbation interdisant la production semencière, ou comme une ouverture du
milieu favorisant la croissance en biomasse des espèces adventices à forte aptitude à la reprise de
croissance post-fauche.
Le présent article correspond à une synthèse de travaux menés au cours des dernières années en
France sur le rôle de l’insertion de prairies temporaires dans les rotations ‘céréalières’ du point de vue
de la maîtrise de la flore adventice. Des relevés de flore dans des parcelles d’agriculteurs, dans des
prairies temporaires, mais également dans les cultures annuelles qui suivent ces prairies, ont permis de
mettre en évidence l’effet ‘précédent’ des prairies temporaires sur la flore adventice. Des
expérimentations menées dans le SOERE ACBB, site de Lusignan, et sur le site expérimental INRA de
Dijon-Epoisses, ont permis d’étudier les effets des modes de gestion de la prairie temporaire sur la
dynamique floristique des parcelles. Ces expérimentations ont également permis de mettre en évidence
l’effet du milieu particulier des couverts de prairies temporaires sur l’activité d’organismes prédateurs de
graines d’adventices, contribuant potentiellement à la régulation biologique des communautés
adventices. Des essais analytiques en conditions contrôlées (serre) ont permis d’étudier les effets de la
fauche sur la croissance des adventices, permettant d’analyser la diversité de la réponse des espèces
adventices aux effets de la prairie temporaire. Enfin, une étude fondée sur des enquêtes d’agriculteurs
utilisant des niveaux contrastés d’herbicides a permis de mettre en évidence l’intérêt de la prairie
temporaire pour concilier la réduction de l’usage d’herbicides avec des bonnes performances
économiques et environnementales.
Figure 1 : Analyse Canonique Discrriminante des communautéés adventices dans 4 groupees de parcellees (a), (b),
(c) et (d)) représentantt les 4 phasees-clé d’une rrotation incluaant des cultures annuelles et pérennes (luzerne).
D’après MMeiss et al. (20010b).
Des commparaisons deux
d à deux montrent quue les différeences de commposition soont significativves entre
tous les groupes (ANNOSIM : Anaalyse des Simmilarités). L’aanalyse des espèces
e indiicatrices (ISA
A) montre
que 9 esspèces sont significativeement associiées aux blés qui suivennt des culturees annuelless (a). Les
luzerness jeunes (b) sont associéées à 16 auttres espècess contre 10 pour
p les luzeernes plus âgées
â (c).
Seulemeent 4 espècees sont assoociées avec les blés quui suivent less prairies (dd). Il est à noter
n que
plusieurss espèces soont communees aux grouppes (c) et (d).. 8 groupes fonctionnels
f oont été établis a priori
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Prairies temporaires et gestion de la flore adventice
selon la réponse attendue des espèces à l’insertion de la prairie (groupes établis selon la biologie des
espèces et leur morphologie). La fréquence des espèces dicotylédones annuelles érigées et grimpantes
est significativement plus élevée dans le groupe (a), réduite dans le groupe (b), davantage réduite dans
le groupe (c) et à nouveau augmentée dans le groupe (d) sans atteindre le niveau du groupe (a). La
tendance inverse est observée dans 4 autres groupes fonctionnels : les plantes annuelles en rosette,
les dicotylédones bisannuelles et pérennes et les graminées pérennes.
Ces résultats montrent que la luzerne a un impact fort sur la dynamique des communautés adventices à
l’échelle de la rotation. Les espèces les plus touchées sont les dicotylédones annuelles à port érigé et
grimpant, sensibles à la fauche de la prairie (e.g. Mercuriale, Chénopode blanc, Morelle, Renouée
liseron), y compris des espèces très problématiques en systèmes céréaliers (Gaillet). Le vulpin,
graminée typique des systèmes céréaliers, est aussi affecté de façon importante par le précédent
luzerne. A l’inverse, les espèces en rosette et certaines graminées (Ray-grass) sont plus adaptées à
ces pratiques. De plus, certaines espèces pérennes (comme le Pissenlit ou le Rumex) semblent profiter
de l’absence de travail du sol pendant la période de la luzerne, alors que le chardon des champs,
pourtant pérenne, est peu présent en blé de luzerne, les fauches successives épuisant les réserves
souterraines chez cette espèce. Pour conclure, cette étude suggère que l’insertion de prairies
temporaires, comme la luzerne, dans des rotations céréalières permet de réduire les abondances
d’espèces adventices indésirables dans les cultures annuelles tout en favorisant des espèces moins
problématiques.
Figure 2 : Mesure de la diversité α de la flore levvée (Médiènee et al., 2012aa): (a) Abondaance des adveentices (b)
Richessee spécifique. LesL observations ont été regroupées en e 10 groupess selon la naature du couvvert (Point
initial/Culture/Prairie N+/Prairie N-) et l’âge de la prairie (1 an à plus de 3 ans).
a P0 : Floore initiale. CH
H : Culture
d’hiver. CCE : Culture d’été. P1+ : Praairie d’1 an avvec N+. P2+ : Prairie de 2 ans avec N+.. P3+ : Prairiee de 3 ans
avec N+. P4+ : Prairie de plus de 3 ans avec N+ . P2- : Prairie de 2 ans aveec N-. P3- : Prrairie de 3 anss avec N-.
P4- : Praiirie de plus dee 3 ans avec N-. male et N- à unne fertilisation réduite.
N N+ corresppond à une ferrtilisation norm
Une anaalyse canoniqque discriminnante montree une compoosition du stoock semencieer assez procche entre
les cultuures et les prairies
p au déébut de l’exppérimentationn, quand less traitementss ne sont paas encore
différencciés. Trois ans
a après, les composittions entre les prairies et les cultuures sembleent s’être
d groupes fonctionnelss différents. Dans les
fortemennt différenciéées. Ces chaangements ssont liés à des
prairies, on observee des dicotyylédones annnuelles ram mpantes et en e rosette eet des dicottylédones
pérenness. Les culturees présentennt principalem
ment des dicootylédones annuelles ériggées.
Cette étuude suggère plusieurs efffets des prairries temporaiires sur les communautés
c s adventices.
• Less prairies tem mporaires perrmettent de rréduire l’abonndance des adventices à des valeurss proches
de ccelles renconntrées dans des culturess désherbéess. La fertilisaation azotée semble augm menter la
com mpétitivité de la prairie et son efficacitéé pour lutter contre les addventices
• Less prairies peuu fertilisées diminuent
d éggalement l’abbondance dees espèces m mais elles présentent
unee richesse sppécifique et une diversitéé fonctionneelle plus élevvées, ce qui peut représsenter un
intéérêt pour favooriser la biodiiversité danss les systèmees de culture (Marshall et al., 2003).
• La ddynamique d’évolution
d dees communaautés adventtices semble rapide : un an après l’innstallation
de la prairie, certaines
c advventices prooblématiques sont réduittes (dicots aannuelles érrigées) et
l’ensemble des annuelles deux d ans apprès. La colonisation dee nouvelles eespèces, coomme les
esppèces pérennnes et les léégumineusess, est plus lente (dans les prairies de 4 ans avec a une
fertiilisation limitéée). Des chaangements dee compositioon spécifique et fonctionnnelle sont perrceptibles
danns le stock seemencier au bout b de trois ans de prairrie.
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Prairies
P tempo
oraires et gestiion de la flore adventice
Figure 3 : Densité de semences d’adventicees dans less 10 premierrs cm de ssol après 2,55 années
d’expérim
mentation, pouur différentes modalités
m de pprairies tempooraires et une succession
s dee cultures annnuelles.
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84 77
N. Munier-Jolain et al.
En revanche, les traitements expérimentaux ont eu des effets significatifs sur la composition des
communautés adventices du fait de réponses contrastées des espèces adventices aux techniques.
Dans le stock semencier, les espèces favorisées par la succession de cultures annuelles sont des
espèces typiques des systèmes céréaliers (Gaillet, Vulpin, Moutarde des champs), les espèces
favorisées par les cultures fourragères semées au printemps sont des espèces printanières qui ont eu
le temps de terminer leur cycle avant la première fauche, et qui ont des semences persistantes dans le
sol (Chénopodes, Renouée persicaire), alors que les espèces favorisées par les cultures fourragères
semées au début de l’automne sont des espèces à cycle hivernal court et un port rampant, leur
permettant de boucler leur cycle pendant les mois d’hiver où le couvert végétal est moins dense, voire
d’échapper partiellement à la perturbation de la fauche (Véronique de Perse, Stellaire, Géranium). La
fréquence de fauche affecte également la composition des communautés : certaines espèces, et en
particulier des espèces basses, rampantes, comme la Stellaire, la Renouée des oiseaux et la Véronique
de Perse, ont été favorisées par les fauches fréquentes, qui donnent l’accès à la ressource lumineuse,
mais les espèces très problématiques en systèmes céréaliers, plus hautes, plus compétitives, à cycle
plus long, comme le Vulpin ou le Gaillet, ont été défavorisées par les fauches fréquentes qui limitent les
possibilités de dissémination grainière. Ce dernier type d’espèces a semblé par ailleurs plus défavorisé
par la luzerne que par le dactyle, sans que les traits de vie qui expliquent ce résultat aient pu être
clairement identifiés.
La comparaison des densités d’adventices entre le début de l’expérimentation, avant les premières
fauches, et les cultures de blé homogènes en fin d’expérimentation permet de caractériser l’effet des
modalités expérimentales sur l’évolution du potentiel d’infestation. Toutes espèces confondues, ce
potentiel semble avoir augmenté pour toutes les modalités, mais beaucoup moins dans les systèmes
intégrant des prairies temporaires que dans la succession de culture annuelle. En outre, l’augmentation
de potentiel d’infestation sous les prairies est lié essentiellement à l’augmentation d’espèces peu
compétitives pour les céréales (Véroniques, Stellaire, Renouée des oiseaux, Renouée liseron). Dans le
même temps, le potentiel d’infestation des espèces beaucoup plus problématiques en cultures de
céréales ou de colza (Vulpin, Gaillet, Brome, Ray-grass, Géranium) a nettement diminué pendant la
période de prairie temporaire, quelles que soient les modalités de gestion (espèce prairiale et fréquence
de fauche). L’expérimentation confirme, par une analyse fine à l’échelle de l’espèce, l’intérêt de
l’insertion des cultures fourragères pluri-annuelles pour la répression des espèces adventices les plus
problématiques des systèmes céréaliers, dans le cadre de stratégies de gestion alternatives au ‘tout
chimique’.
pour expliquer les effets de la fauche en terme de modification des équilibres compétitifs entre les
différentes composantes du couvert ‘culture prairiale:adventices’. 10 espèces ont été semées en pot,
dont 8 espèces adventices annuelles (6 dicotylédones et 2 graminées), de la luzerne et du dactyle. Les
plantes cultivées sous serre ont été coupées à intervalle régulier pour estimer la production de
biomasse entre chaque coupe. Par ailleurs, les effets de la biomasse des plantes et du stade
phénologique à la date de coupe ont été étudiés au moyen de semis de plantes décalés, générant des
biomasses et des stades différents à la date de la première coupe.
Biomasse
(g/plante) Dicots
Dicot. weeds Graminées
Grasses d Figure 4 : Dynamique de croissance en
biomasse après différentes coupes, pour
Veronica
Stellaria
Bromus
rosette Capsella
Ambrosia
Alopecurus
Amaranthus
Chenopodium
(PFC) Dactylis
(PFC) Medicago
20 10 espèces contrastées, en l’absence de
Biomasse ass compétition (d’après Meiss et al., 2008)
après fauches nt rosette
rampant
successives SD reptant +
ramifications c
upright bc
10 dressé c c
4ème fauche
abc
3ème fauche abc abc
2ème fauche
ab
1ère fauche a
0
A A
Biomasse avant A A A A A A
1ère fauche B
C
Les 10 espèces ont montré une aptitude de reprise de croissance post-fauche très contrastée (Figure
4), la luzerne étant de loin l’espèce ayant accumulé le plus de biomasse à la 5ème fauche, malgré une
croissance plutôt lente en début de cycle. Les espèces suivantes les plus adaptées au régime de
fauches répétées sont les 3 graminées. A l’inverse, les espèces dicotylédones à port dressé comme
l’Amarante et le Chénopode blanc ont montré une très mauvaise aptitude à la croissance après la
fauche, presque 100 % des Amarantes ne survivant pas à la fauche. L’espèce en rosette (Capselle) et
les dicotylédones rampantes (Stellaire et Véronique de Perse) ont montré une aptitude intermédiaire,
grâce à la fois à la présence de plusieurs bourgeons sous la hauteur de coupe et d’une surface foliaire
verte résiduelle plus importante que les espèces à port dressé.
La vitesse de croissance d’une plante individuelle est très corrélée à sa biomasse au moment de la
fauche (Meiss et al., 2008), d’une part parce que la biomasse aérienne est corrélée à la disponibilité en
assimilats dans les organes préservés par la coupe (pivot racinaire, plateau de tallage), assimilats
remobilisables pour initier la croissance des nouvelles feuilles, d’autre part parce que pour beaucoup
d’espèces, en particulier les espèces à port rampant ou en rosette, la biomasse pré-fauche détermine la
surface foliaire résiduelle post-fauche.
Ces résultats expliquent en partie pourquoi les précédents ‘luzerne’ défavorisent plus les espèces à port
dressé que les espèces rampantes. En revanche, cela n’explique pas l’effet répressif des prairies
artificielles sur une graminée annuelle, le Vulpin, observé sur les relevés floristiques de Chizé et sur
l’expérimentation d’Epoisses. Dans le cas de cette espèce, c’est probablement un effet sur la
phénologie, la perturbation du cycle par la fauche qui interdit toute production semencière pendant
plusieurs années, chez une espèce dont les semences sont peu persistantes dans le sol, qui peut
expliquer l’effet observé.
temporaires et la flore adventice décrite plus haut a été utilisée pour étudier l’impact des prairies
temporaires sur la prédation de graines d’adventices (Meiss et al., 2010a). L’hypothèse testée est que
le couvert végétal durablement fermé des prairies artificielles génère un habitat favorable à la présence
et l’activité des organismes granivores. Des cartes ‘présentoirs de graines’ ont été positionnées au sol à
trois saisons différentes (Avril, Mai, Juillet), sur sol nu, et sous couvert de dactyle ou luzerne soumis
chacun à deux régimes de fauche différents (trois ou cinq fauches par an). Le niveau de fermeture du
couvert, variable entre les deux espèces prairiales et la fréquence de fauche, était caractérisé par des
capteurs de rayonnement posés au sol. Après deux semaines, les cartes ont été relevées, et le nombre
de semences consommées a été compté.
Les taux de prédation observés sur les cartes peuvent atteindre jusqu’à 60 % au mois de Juillet sous
couvert végétal. Ils sont toujours supérieurs sous couvert que sur sol nu, et également supérieurs sous
les prairies à faible fréquence de fauche par rapport aux fortes fréquences. A la période où l’activité
granivore est la plus intense (Juillet), 64 % de la variabilité du taux de prédation entre les traitements
est expliqué par le niveau de fermeture du couvert (i.e. par le niveau de rayonnement mesuré au sol).
Ces résultats semblent donc confirmer l’hypothèse d’un habitat des prairies temporaires favorable à
l’activité des organismes granivores, en lien avec la pérennité de la fermeture du couvert. Pour autant,
on ne sait pas aujourd’hui quantifier le niveau de régulation à long terme que représente ce processus
de prédation pour les infestations par les adventices annuelles.
d’herbicides, parmi les systèmes conventionnels, présentent des valeurs de marge semi-nette1
équivalentes, voire supérieures à celles des systèmes plus intensifs, plus consommateurs
d’herbicides. En outre, les systèmes intégrant des luzernes et des légumineuses dans la rotation
tendent à générer une rentabilité économique parmi les meilleures de l’échantillon, et une meilleure
robustesse, c’est-à-dire une moindre sensibilité à la volatilité des prix (Figure 5). La luzerne est
associée à de faibles coûts de mécanisation, et à de très faibles charges opérationnelles. Dans les
conditions pédoclimatiques où la production de foin de luzerne est possible et valorisable, cette
production n’est pas incompatible avec une bonne performance économique. Ce résultat était
moins attendu car des résultats antérieurs issus d’expérimentations en station étaient moins
favorables économiquement aux successions culturales diversifiées dans le cadre de stratégies de
protection intégrée (Pardo et al., 2010).
1600 Prix Céréales Elevé * Prix Engrais Elevé
Prix Céréales Bas * Prix Engrais Bas
1400 Prix Céréales Bas * Prix Engrais Elevé
Rotation avec Luzerne ≥ 3ans
1200
Marge Semi‐Nette (€/ha)
1000
800
600
400
200
0
IFTH
1.75
1.85
2.14
2.26
2.34
3.09
0.43
0.66
0.77
0.78
0.79
1.07
1.09
1.11
1.23
1.31
1.32
1.32
1.56
1.61
2.7
‐200 AB
Figure 5 : Marge semi-nette estimée pour 28 systèmes de culture à niveau d’usage d’herbicides (IFTH)
contrastés de la plaine de Niort (zone atelier de Chizé, Deux-Sèvres), et pour trois scénarios de contexte de prix.
AB : Agriculture Biologique.
Ces résultats d’enquête ont été présentés aux agriculteurs du site atelier de Chizé, ce qui a donné lieu
à des débats animés sur l’organisation de la filière luzerne dans la région. Certains agriculteurs
‘céréaliers’ ont fait part de leur a priori négatif sur la culture de luzerne, du fait de la difficulté de trouver
des débouchés, alors même que les élevages caprins de la région sont très consommateurs de
luzerne, et que le département des Deux-Sèvres est importateur de luzerne sous forme déshydratée
(sans parler des importations de protéines végétales d’origine américaine). Ce constat permet de faire
l’hypothèse d’un déficit d’organisation d’une filière locale potentiellement plus développée qu’elle ne
l’est aujourd’hui, d’autant que les éleveurs et les techniciens de l’élevage soulignent l’intérêt de la
luzerne dans la ration alimentaire des ruminants (fibres, appétibilité, protéines). Les débats qui ont
accompagné la présentation de cette étude sont peut-être à l’origine de réflexion sur la diversification
des assolements, puisque les surfaces implantées en luzerne en 2012 dans la zone atelier de Chizé
sont en augmentation par rapport aux années précédentes, facilitées par des mesures agri-
environnementales apportant un soutien financier aux agriculteurs qui font ce choix.
Conclusion
L’ensemble des travaux présentés dans cet article convergent pour démontrer l’intérêt de l’insertion de
prairies temporaires pour gérer la flore adventice dans des systèmes de grandes cultures, contribuant à
une forte diversification des conditions de croissance des adventices, ce qui perturbe leur cycle
biologique. Cette diversification n’est possible que lorsqu’il existe des débouchés pour les cultures
fourragères, ce qui souligne l’importance d’une réflexion sur la complémentarité, à l’échelle d’un
territoire donné, entre production végétale et élevage. Lorsque cette complémentarité existe à l’échelle
d’une exploitation agricole (polyculture-élevage), cela facilite la diversification et la mise en œuvre de
pratiques raisonnées spécifiquement au regard de la gestion de la flore adventice. Deux exemples qui
n’ont pas encore été évoqués dans l’article vont dans le même sens :
• La culture en mélange de céréales et de légumineuses à graines, solution proposée pour la
production de légumineuses tout en augmentant sensiblement l’aptitude à la concurrence vis-à-vis
des adventices par rapport aux légumineuses pures (Corre-Hellou et al., 2012), dont la valorisation
est plus facile directement à la ferme pour l’alimentation animale, sans nécessité de trier les
graines ;
• L’ensilage ‘en vert’ des céréales en cas d’infestation mal contrôlée sur une parcelle donnée une
année donnée. Cette technique permet d’éviter la multiplication des espèces annuelles, favorisant
ainsi la réduction du stock semencier. Elle est utilisée par certains agriculteurs biologiques, mais
n’est possible que lorsqu’il existe une possibilité locale de valorisation en fourrage de la biomasse
ensilée.
Malheureusement la complémentarité entre production végétale et élevage n’existe pas toujours à
l’échelle de l’exploitation. Il y a donc un enjeu fort autour de l’organisation de cette complémentarité à
l’échelle de territoires plus larges, via la coordination des céréaliers et des éleveurs, l’organisation de
marchés locaux permettant de valoriser des productions végétales de diversification (Bretagnolle et al.,
ce colloque). Les organismes de collecte ont bien entendu une responsabilité forte pour
l’accompagnement de l’agriculture dans cette nécessaire démarche de diversification, nécessaire pour
concilier le respect de l‘environnement et de la biodiversité avec la rentabilité de l’agriculture.
Remerciements
La majorité des travaux présentés dans cet article ont été réalisés dans le cadre des projets ECOGER
et ADVHERB (ANR-08-STRA-02).
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1: INRA UR 055, 662, avenue Louis Buffet, F-88500 Mirecourt.
2: INRA UMR 1273 METAFORT, Theix, F-63122 Saint-Genès-Champanelle.
3: IETL, Université de Lyon 2, 86, rue Pasteur F-69365 Lyon cedex 07
Correspondance : coquil@mirecourt.inra.fr; dedieu@clermont.inra.fr; pascal.daniel.beguin@gmail.com
Résumé
Les systèmes de polyculture élevage autonomes présentent de nombreux intérêts agro-écologiques.
Cette étude vise à comprendre et formaliser le fonctionnement des systèmes de polyculture élevage
autonomes, et leur construction progressive à partir de situations mobilisant des intrants externes. Nous
analysons l’évolution des pratiques agricoles durant la transition selon le point de vue de l’agriculteur :
nous la formalisons comme une transformation de l’activité de travail de l’agriculteur. Nous présentons
l’analyse de 4 systèmes diversifiés de polyculture élevage ayant évolué vers l’autonomie. Les
polyculteurs-éleveurs autonomes gèrent de nouvelles entités, qui varient selon les agriculteurs :
l’autonomie alimentaire du troupeau, l’autonomie en paille, la santé animale, l’équilibre alimentaire du
troupeau… Ils agissent en mobilisant de nouvelles connaissances, de nouveaux indicateurs acquis pas
à pas durant la transition. Le développement de ces nouvelles façons de penser et d’agir a été réalisé
en mobilisant différentes ressources, dont certaines sont communes aux 4 fermes étudiées. Malgré ces
ressources partagées, le fonctionnement de ces 4 fermes est très singulier : cette singularité résulte de
l’exigence de relocalisation de l’activité agricole dans ces systèmes. La relocalisation est basée sur la
redécouverte et la mobilisation des ressources internes aux systèmes, sans recours aux intrants
externes. La majorité des ressources internes sont situées aux interfaces entre cultures et élevage.
Mots-clés : autonomie, économie, polyculture-élevage, développement
expérimentateurs
Collectif de travail individuelle 2 associés couple
INRA
SAU (ha) 47 107 32 158,5
Prairies (permanentes, temporaires
41 59 30 100,6
et artificielles) (ha)
Maïs (ha) 3 5 2 0
l’agriculteur, mais aussi (ii) sur les mises en tension entre le déroulement de l’action sur la ferme et
l’évolution des normes et du système de valeurs de l’agriculteur.
d’augmenter la part d’herbe sur son exploitation. Il se lance dans un essai d’implantation de mélange
ray-grass anglais (Lolium perenne) et trèfle blanc (Trifolium repens) en substitution progressive de ses
surfaces de maïs ensilage et démarre ainsi progressivement la mise en place du pâturage de printemps
et d’automne pour ses vaches laitières. Celles-ci étaient jusqu’alors en zéro pâturage durant la
lactation. Concernant les techniques de pâturage, RAD1 démarre, selon les recommandations du
personnage militant, par la mise en place du pâturage tournant à savoir « 35 jours de repousse avant
de refaire pâturer les vaches ». L’observation par de fréquentes visites de ses prairies et les échanges
avec des agriculteurs du RAD lui confirment cette référence : en 2010, il réalise une conduite plus
systématique du pâturage tournant en surveillant essentiellement les délais de repousse.
Au démarrage du pâturage, RAD1 doit faire face à un amaigrissement et un affaiblissement de ses
vaches. Des troubles de santé apparaissent sur son troupeau : BVD, neospora caninum. Insatisfait des
propositions de réforme des animaux malades par ses vétérinaires, il fait appel à un vétérinaire
homéopathe qui lui propose de travailler selon des techniques d’isothérapie qui s’avèrent efficaces.
Cette mise en confiance se poursuit par un travail en collaboration : RAD1 découvre la relation entre la
santé animale et l’équilibre alimentaire. Cette relation amène des changements progressifs sur le plan
des races de vaches passant de la Holstein à la Montbéliarde mais aussi sur le plan de l’alimentation.
RAD1 introduit du foin de luzerne dans la ration des vaches par l’achat de foin extérieur à la ferme.
Convaincu de l’intérêt de ce foin pour faire ruminer et faire saliver les vaches, il intègre de la luzerne
dans son assolement afin d’être plus autonome. Il conserve 2 ha d’ensilage de maïs dans sa sole, allant
contre ses intentions initiales de le remplacer par des surfaces en herbe, afin d’assurer une alimentation
d’hiver pour ses vaches laitières. L’ensilage de maïs s’est révélé être une aide précieuse pour l’équilibre
des repas lors de la « mise à l’herbe printanière », mais aussi une culture intéressante car nécessitant
la mise en place d’une rotation des cultures et le renouvellement des prairies. Ce renouvellement est
aujourd’hui analysé comme le garant du maintien de la productivité du système. RAD1 introduit la
prairie multi-espèce, complexifiant le ray-grass/trèfle des premières années afin d’obtenir des flores plus
adaptées à la diversité de ses parcelles : en 2010, il utilise la diversité des flores de ses parcelles afin
d’élaborer des « foins de production » et des « foins mécaniques ».
RAD1 profite de l’opportunité de la reprise de surfaces d’un voisin pour donner plus d’ampleur à
l’extensification en cours et à la diversification des ressources alimentaires sur l’exploitation. Cette
reprise se révèle finalement être l’occasion d’une conversion de l’exploitation à l’agriculture biologique
ce qui accentue l’orientation de l’activité selon la gestion de l’autonomie et de l’équilibre alimentaire.
constituer suffisamment et de les consommer en tenant compte des reports de stocks possibles et
souhaités. Enfin, les associés sont économes en matière de consommation d’intrants dans la conduite
de leur activité agricole. Cette économie se structure autour de 4 concepts pragmatiques : « organiser
les rotations des cultures et des intercultures », « organiser le pâturage en rotation », « gérer les
stocks » et « avoir un système productif ». Ainsi, « les rotations des cultures et des intercultures », « la
gestion du pâturage tournant » et la « gestion des stocks » sont des concepts pragmatiques centraux
dans la réalisation de leur activité. Les associés organisent leur travail et leur exploitation via les
« rotations des cultures et des intercultures » pour limiter l’usage d’engrais et de pesticides en utilisant
au mieux leur fumier. Adhérant au modèle de pâturage promu par le RAD, ils organisent et conduisent
un pâturage en rotation afin « d’optimiser la valorisation de l’herbe » et d’assurer une période de
pâturage de 4,5 mois par an sans concentré. Ils gèrent les stocks de fourrages afin d’être en mesure
d’alimenter leurs vaches d’une année sur l’autre tout en ayant un report de stocks constitué quasi
exclusivement de foin pour des raisons de difficultés (i) de conservation des betteraves fourragères
(Beta vulgaris) et (ii) d’utilisation de l’ensilage de maïs durant la période estivale.
économique. Cette signature entrainera également un travail plus concentré sur la réduction de l’usage
d’intrants.
outil devient un instrument pour limiter les dépenses afin d’être plus en adéquation avec l’idée de
décroissance mais aussi afin d’améliorer la capacité d’autofinancement de la ferme. Afin de rester en
adéquation avec leurs convictions personnelles, le couple RAD3 souhaite que les revenus de la ferme
soient déclarés selon un forfait ce qui nécessite un chiffre d’affaire modéré. Ainsi le chiffre d’affaire est
suivi, jusqu’à devenir un outil de gestion de la production dans les situations de risque de dépassement.
Figure 1 : Pâturage des génisses du SPCE ASTER-Mirecourt en 2006 et en 2008 : apparition de surfaces de
prairies temporaires.
Cette pratique a conduit à une plus forte proportion de fourrages récoltés en sec sur les prairies
temporaires (49% en 2006, puis 88% en 2008 et 100% en 2010) mais aussi à une mobilisation plus
systématique du pâturage des génisses durant la saison afin d’orienter les types de stocks réalisés
(foins de prairie temporaire ou foins de prairies permanentes) et ainsi proposer une diversité de
fourrages pour composer les rations durant l’hiver en tentant, au cours des années, de stabiliser cette
variété pour les veaux et les vaches laitières (Tableau 2). La conduite du pâturage des génisses prêtes
à vêler sur les prairies temporaires avant retournement, durant l’été 2007, a été l’occasion d’observer un
affaiblissement des rumex : cette pratique est mobilisée depuis au sein des rotations culturales.
Tableau 2 : Alimentation hivernale des vaches en lactation : une stabilisation progressive de la proportion foin de
luzerne/dactyle + foin de prairies temporaires dans la ration.
La conduite des rotations culturales figées, avec tête de rotation fourragère de 3 ans, a nécessité
plusieurs ajustements afin d’assurer des productivités en fourrages et en paille suffisamment élevées
pour maintenir des effectifs animaux aux alentours de 60 vaches laitières et leur renouvellement tout en
restant autonome. Durant l’année culturale 2006/2007, les conditions météorologiques très humides
n’ont pas été favorables à la culture de céréales et les mauvaises herbes étaient très présentes dans
les parcelles. La faible productivité en paille (80 t) n’a pas permis de couvrir les besoins des troupeaux
SH et SPCE (environ 140t), et le responsable de SPCE-ASTER a dû recourir à une substitution
(foin/paille) ainsi qu’à une diminution des effectifs de vaches laitières et de génisses durant l’hiver
2007/2008 (Figure 2).
Figure2 : Effectifs bovins journaliers détaillés par catégories au sein du SPCE-ASTER de janvier 2006 à juillet
2012.
Mâles : bovins mâles élevés pour la reproduction ; Genxx : bovins femelles de différentes classes d’âge, avant vêlage ;
Vaches : bovins femelles ayant déjà vêlé
Cette année culturale difficile a également été le départ (i) d’une réflexion approfondie sur le travail du
sol durant l’interculture, mais aussi sur les techniques de désherbage mécanique (herse étrille et
bineuse) afin de contenir le salissement par les adventices (essentiellement les « annuelles ») (ii) d’une
révision progressive de la notion de « parcelle propre », autorisant la présence de certaines adventices
(vulpin,…) (iii) de la substitution des céréales peu productives en paille (orge) par des céréales plus
productives (seigle, triticale et escourgeon).
La mise en place du pâturage tournant a nécessité l’usage d’instruments dans les 3 exploitations
étudiées. La tenue d’un calendrier de pâturage a été réalisée par RAD1, RAD2 et RAD3, mais seul
RAD1 a poursuivi ces notations durant le pâturage de printemps par la suite, jugeant le délai de
repousse comme un indicateur pertinent pour la gestion du pâturage. RAD2, RAD 3 et SPCE-ASTER
ont réalisé des mesures de hauteur d’herbe avant l’entrée des vaches, ainsi qu’à la sortie des vaches
pour RAD3 : RAD2 a arrêté ces mesures en se distanciant du référentiel et a décidé de faire entrer ses
vaches dans une herbe de 20 cm de hauteur. RAD3 utilisait ses mesures afin de se faire un point de
vue (i) sur les hauteurs de sortie, tenant compte de la référence locale, (ii) sur le stock d’herbe sur pied
qu’il avait à disposition. L’acquisition d’une expérience lui permet de réaliser cette estimation de visu en
2010. SPCE-ASTER estime « l’herbe consommable » de visu, même si les hauteurs sont mesurées
pour des raisons expérimentales. Cette « herbe consommable » a beaucoup évolué depuis le passage
à l’autonomie et à l’AB : SPCE-ASTER a recours à des stocks sur pied (jusqu’à 2 mois d’avance au
pâturage en été) et les vaches se sont habituées à consommer des épis, nécessitant de faire évoluer
l’évaluation de « l’herbe consommable ».
Les 3 exploitations ont diversifié les compositions des rations distribuées à leurs vaches laitières. Cette
diversification part d’une volonté d’améliorer la santé des vaches pour RAD1 et RAD2 via un
« équilibrage de la ration ». Ils s’écartent alors du référentiel des équilibres UF/PDI, et donnent une
place très importante aux fibres dans la ration. Ils débutent par la complémentation : ils mobilisent alors
des aliments externes à l’exploitation. Ils mènent ensuite une réflexion pour les mettre en culture
(luzerne puis concentrés chez RAD1), ou pour valoriser les ressources existantes (foins de luzerne et
de prairies mieux valorisés avec une mélangeuse chez RAD2). Chez RAD3, la diversification vient
essentiellement de la volonté d’assurer l’alimentation des animaux toute l’année. L’ensilage de maïs est
maintenu pour assurer l’alimentation hivernale, mais pose le problème de la complémentation azotée.
L’installation du sorgho pâturé pour faire face au creux de pousse de l’herbe en été est un vif succès en
2010. Sa productivité est intéressante ce qui incite RAD3 à envisager une augmentation des surfaces
de sorgho pâturé remplaçant le maïs ensilage et utilisé à 2 fins : pâturage estival et alimentation
hivernale sous forme d’ensilage. Chez SPCE-ASTER, la diversification des rations est réalisée afin (i)
de valoriser les fourrages présents sur le territoire et (ii) de passer les aléas climatiques (prairies
permanentes résistantes au gel, luzerne/dactyle résistantes aux sécheresses estivales…).
Dans les 3 exploitations du RAD, l’implantation des prairies a démarré par le ray-grass/trèfle. Dans le
SPCE-ASTER, l’implantation des prairies artificielles a débuté par l’association luzerne/dactyle. Les
exploitants se sont écartés peu à peu de cette composition en la diversifiant. Cette diversification vient
de la recherche commune d’une meilleure productivité des mélanges dans les conditions de chaque
exploitation, voire de chaque parcelle (RAD1, SPCE-ASTER), mais aussi de la volonté d’étaler la
production des prairies sur toutes ses années de production (RAD2, SPCE-ASTER), ou de la
campagne agricole (RAD3). Cette diversification est aujourd’hui utilisée chez RAD1 et SPCE-ASTER
afin de récolter des foins différents sur la base de flores variées d’une parcelle à l’autre.
Ainsi, il existe des instruments partagés entre les agriculteurs des 4 fermes étudiées : leur mobilisation
dans chaque exploitation aboutit à des variantes sur les indicateurs retenus et sur les déterminants et le
déroulement des pratiques. Ainsi, partant des mêmes ressources, l’instrumentalisation est localisée,
selon les interactions existant entre l’agriculteur et le système biotechnique dans lequel il agit. Cette
relocalisation est très présente dans les systèmes autonomes dans la mesure où les agriculteurs
identifient les ressources, ou les moyens de les produire, en interne, c’est à dire au sein de leur
système de production, et en considérant les moyens de créer de la diversité (de ressources). Les
ressources mobilisées pour aller vers l’autonomie (pâturage tournant, diversification de la ration,
diversification des cultures fourragères, trésorerie…) engagent dans une mise en place d’instruments
considérant les interfaces entre cultures et élevages : la mobilisation d’un nouvel aliment dans la ration
pose par exemple la question de la façon de produire cet aliment sur l’exploitation (RAD1, RAD2). La
mise en place de prairies à flore variée (RAD1, SPCE-ASTER) amène à questionner la valorisation
animale de cette diversité fourragère. La transition est une conception pas à pas (Coquil et al., 2011)
qui engage les agriculteurs et les expérimentateurs, faisant face à la nouveauté, dans la recherche de
solutions pour cheminer en levant les difficultés qui se présentent à eux (RAD1, RAD2, RAD3 et SPCE-
ASTER). Ainsi, ce processus de changement amène les agriculteurs à redécouvrir leurs exploitations
(sécheresses estivales pour RAD3, parcellaire morcelé pour RAD2…) et à spécifier, dans leur travail,
les objets, les instruments et les concepts pragmatiques pertinents ainsi que les normes
professionnelles auxquelles ils adhèrent.
Remerciements :
Les auteurs remercient les agriculteurs et animateurs du RAD, ainsi que l’équipe de l’installation
expérimentale ASTER-Mirecourt pour leur participation active à ce travail. Ce travail a été
partiellement financé par les projets ANR Systerra O2LA (ANR- 09-STRA-09) et CASDAR Praiface.
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Résumé
Réintégrer les cultures et l’élevage dans des systèmes mixtes est un enjeu fort de l’écologisation de
l’agriculture. Pour appuyer la conception de tels systèmes à l’échelle exploitation et territoire, nous
proposons un modèle conceptuel d’intégration selon deux approches : les flux de matières en vue
d’améliorer l’efficience des ressources, les services écosystémiques en vue de substituer les intrants
chimiques. Ce modèle, basé sur les interactions entre les sphères prairies - cultures – animaux,
s’adapte aux systèmes actuels et à la conception de systèmes innovants, et permet d’imaginer les
coordinations entre acteurs nécessaires à la mise en œuvre de l’intégration agroécologique. Ces
coordinations génèrent des services d’ordre socio-économiques qui peuvent être recherchés et
optimisés. L’articulation de ces cadres dans une méthode de conception participative et les outils
associés nous semblent prometteurs pour appuyer l’intégration culture-élevage.
Mots clés : intégration culture-élevage, services écosystémiques, système socio-écologique, design,
multi-échelle, écologisation forte.
Crops-livestock integration is a major challenge for strong ecologization of agriculture. To design mixed
systems at farm and territory levels, we develop a conceptual framework of integration based on two
approaches: products flows aiming at enhancing resource-use efficiency, and ecosystem services
aiming at reducing the use of chemical inputs. This framework is based on interactions between the
spheres of grasslands, crops and animals, and fits to the description of current systems and to the
design of innovative systems. It allows imagining the coordination between stakeholders which make
agroecological integration possible. This coordination may provide socio-economic services which could
be useful and optimized. The articulation of this multiple levels in an integrative framework constitutes a
basis for a methodology of participative design of crops-livestock integrated systems
Keywords: crop-livestock integration, ecosystem services, socio-ecological system, design,
multiscale, strong ecologization.
Introduction
Les systèmes mixtes développés en Europe au Moyen âge sont basés sur les complémentarités de
l’ager (cultures), du saltus (pâtures) et de la sylva (forêt) (Poux et al.,2009) par exemple par l’utilisation
des effluents d’élevage pour fertiliser les sols cultivés ou la culture de légumineuses pour nourrir les
animaux (Wilkins, 2008). Mazoyer et Roudart (2006) situent à la fin du XIXème siècle la spécialisation
régionale dans les zones proches des axes ferroviaires (céréales dans les plaines d’Europe du nord,
élevage porcin et laitier au Danemark et Pays Bas). La mécanisation engendrant la disparition du bétail
M. Moraine et al.
de trait, les rotations culturales se simplifiant grâce aux traitements phytosanitaires, de nombreuses
exploitations se spécialisent en productions végétales connectées à des filières organisées à grande
échelle. Dans le même temps, l'élevage se concentre dans les régions présentant des freins à la
mécanisation du travail du sol ou à trop faible potentiel agronomique, où les structures foncières sont
toujours de petite taille et dans les zones de montagnes à production fromagère à haute valeur ajoutée.
Cette dynamique de spécialisation est indissociable de l’intensification des pratiques car rendue
possible par l’usage massif d’intrants, d’énergie fossile et parfois aussi d’eau pour l’irrigation. Ainsi, un
rapport de la FAO (2001) conclut que ‘‘cheap resources lead to specialization, [whereas] restricted use
of resources leads to mixing of crop and livestock enterprises”. Les profits à court terme générés par les
économies d’agglomération (Schmitt et Larue, 2009) conduisent à une division verticale du travail, avec
la séparation des activités de conception et d’innovation en « amont », des activités de production
agricole et des activités de transformation et mise en commerce en « aval ».
Pourtant, de nombreuses études (Wilkins, 2008 ; Hendrikson, 2008; Russelle et al., 2007 ; Shiere et al.,
2002 ; Lemaire, 2007 ; Bell et Moore, 2012) recensent les intérêts des systèmes combinant élevages et
cultures et insistent sur le fait que l’intégration culture-élevage ne doit pas être seulement pensée à
l’échelle du système ou de l’atelier de production mais aussi à celle du territoire. La plupart de ces
études analysent comment la combinaison cultures-élevage permet d'améliorer le bouclage des cycles
de nutriments et de réduire ainsi les impacts environnementaux mais peu d'entre elles s'intéressent aux
conditions de mise en œuvre (voir Bell et Moore, 2012 au niveau de l’exploitation agricole) et donc à
leur acceptabilité sociale. Par ailleurs, peu d'études cherchent à développer des systèmes agricoles
mixtes dans lesquels la diversité de processus écologiques permet de réduire fortement l’utilisation des
intrants pour un niveau de production au moins similaire car, pour cela, une transformation en
profondeur des systèmes actuels et de la manière de les concevoir est nécessaire et implique donc des
innovations de rupture, des « reconceptions » (Horlings et Mardsen, 2011 ; Hill, 1998 ; Meynard et al,
2012). Cette « écologisation forte » de l’agriculture ne consiste pas seulement à limiter les impacts
négatifs des pratiques agricoles sur les écosystèmes, mais s’attache à considérer ces derniers comme
une ressource dispensatrice de services écosystémiques (Horlings et Mardsen, 2011) qu'il convient de
valoriser et de préserver. Un tel “glissement conceptuel” oblige à considérer simultanément les
individus, l’action collective et les biens communs, dans le cadre d’apprentissages permettant aux
acteurs de s’adapter collectivement aux changements (Kammili et al., 2011 ; Horlings et Mardsen,
2011).
L’objectif de ce papier est de présenter un cadre conceptuel pour analyser les systèmes culture-élevage
existants et concevoir des systèmes basés sur l’interaction culture-élevage développant et exploitant au
mieux les services écosystémiques et réduisant les externalités négatives (disservices comme
l’émission de gaz à effet de serre). Ce cadre, qui se focalise sur les modes d’occupation et d’utilisation
des sols, a pour ambition de permettre d’appréhender les processus biophysiques et les actes
techniques propres aux systèmes culture-élevage ainsi que les processus socio-économiques qui les
déterminent. Nous présenterons d’abord notre cadre d’analyse des caractéristiques biophysiques des
systèmes culture-élevage, puis une approche "métabolique" de ces systèmes par laquelle nous
identifierons les flux de matières sur lesquels portent les enjeux d'écologisation forte de ces systèmes.
Enfin, nous spécifierons la nature des services écosystémiques propres à l’intégration culture-élevage.
Dans un deuxième temps, nous utiliserons et montrerons l'intérêt de ce cadre pour décrire la structure
et le métabolisme des systèmes agricoles actuels et les réorganisations envisagées. Dans la troisième
section, nous montrerons que l’intégration agroécologique des systèmes culture-élevage au sein d’un
territoire est déterminée par des processus sociaux et peut fournir des services socio-économiques.
Nous discuterons alors des synergies et des compromis à développer entre ces deux types de services
et montrerons en quoi notre modèle conceptuel constitue un « objet intermédiaire » indispensable au
processus de conception participative (Vinck, 1999).
La sphèrre Prairies coomprend d’une part les pprairies perm manentes faucchées ou pââturées (recouvrement
avec la ssphère Animaux) et d’auttre part les pprairies en rotation fauchéées (recouvreement avec la sphère
Cultures) ou pâturées/fauchées (recouvrem ment avec lees sphères cultures
c et aanimaux). Laa sphère
Cultures distingue lees cultures de d ventes et les culturess à destinatioon des anim aux. Cette distinction
d
n’est paas toujours étanche et prédéterm minée : ainssi on peut distinguer (i) des adaptations
conjoncturelles de laa destination des culturess comme le maïs
m grain vss. ensilage oou les céréales grains
vs. immaatures et (ii)) la possibilité de conduirre sur une saaison culturaale les deux types de cultures sur
une mêm me parcelle, par
p exemple une culture ddérobée avaant un maïs. Enfin,
E la desttination princcipale des
cultures de vente n’’exclue pas la valorisatioon de sous--produits com mme la paillle ou le pâturage de
chaumess. La sphèree Animaux coomprend la ddiversité d’esspèces (monnogastriques ou herbivorres) et de
niveaux de performance, qui conditionne le tyype et la quaalité des ressources à moobiliser, de même m que
la qualitéé des déjectioons.
1..1. Approch
he métabo
olique des ssystèmes culture-éle
c evage
L’approcche métabolique est bassée sur les pprincipes de l’écologie inndustrielle (FFiguière et Metereau,
M
2012) ett vise à augm menter l’autonomie des ssystèmes et l’efficience
l d’utilisation dees ressourcees (Figure
2). En faavorisant le reecyclage dess déchets et la réduction des émissioons, l’intégrattion cultures//élevages
permet dde réduire la consommation d’intrantss (en particuliier ceux baséés sur l’explooitation de reessources
naturellees) et la production de déchets/émissiions de polluuants. Les inttrants ciblés ssont les com
mbustibles
fossiles utilisés directement danns les explooitations ou indirectemennt pour l'élabboration dess intrants
(production d’engraiis azotés de synthèse)), et les reessources naaturelles com mme la potasse, le
phosphoore, l’eau.
Inn
novations Agro
onomiques 22
2 (2012), 101-115 103
M. Moraine et al.
La représentation des flux de matières et des échanges entre sphères (par exemple, la sphère animale
produit des déjections qui constituent des intrants pour les sphères Prairies ou Cultures) permet de
catégoriser ces échanges selon leur « degré de circularité » i.e. le niveau de recyclage au sein du
système culture-élevage et ainsi leur niveau d’efficience d’utilisation des intrants. Une circularité limitée
porte par exemple sur l’utilisation des déjections comme fertilisants. Une circularité plus élaborée est
leur méthanisation suivie de l’utilisation des résidus de ce processus comme fertilisants. Une
intermédiaire est l’utilisation de résidus de cultures pour l’alimentation animale.
1..3. Intérêt du
d couplag
ge entre less deux app
proches
Le coupplage des appproches méétabolique eet écosystém mique permeet d’identifierr les flux enntrants et
sortants du système sur lesquels il faudrait inttervenir et less processus écologiques qui doivent permettre
p
de modiffier le régime de ces fluux. Cette anaalyse est l’éttape initiale du processuus de conception des
modalitéés biotechniques « d’écoloogisation fortte » des systtèmes culturee-élevage. Ellle met en évvidence le
rôle centtral des modees d’utilisatioon et de gestiion des espaaces comme par exemplee :
- les surrfaces pâturéées où il y a restitution par les déjjections de la
l majeure ppartie des nutriments
prélevéss par les anim
maux. Ce type de gestionn du renouvellement de laa fertilité chim
mique et orgaanique du
sol préssente aussi des inconvénients : trrès hétérogène, il peuut conduire à des perrtes vers
l’environnement ;
- les surrfaces de prairies tempooraires qui reentrent en rootation, les bénéfices
b liéss à cette inttroduction
étant nommbreux ;
- la distrribution spatiiale des surffaces en herrbe dans le paysage quii influence lee fonctionnem
ment des
réseaux écologiques ;
- la part de légumineeuses dans l'aassolement eet leur modee de gestion : peu contrôl able dans les prairies
permaneentes (10% en e moyennee), elle est ppotentiellemeent élevée pour les prairries semées (luzerne
pure) ou les cultures annuelles (pprotéagineux)) ;
- la gestion des souss-produits : par
p exemple, si la paille est e restituée au sol, direcctement (fort C sur N)
ou aprèss usage par l’atelier anim
mal (faible C ssur N), la viee biologique des sols conncernés est fortement
f
modifiéee.
Inn
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M. Morain
ne et al.
Figure 3 : Représenttation des principaux typees de systèm mes de produuction actuels (partie gaucche) ou à
promouvooir pour augm menter leur efficience (partiee droite) au traavers de la dimension des sphères Anim maux (A) –
Cultures (C)- Prairies (P) et leur suurface de reccouvrement ett des principaaux flux de m matière organique et de
productioon d’énergie (laa largeur des flèches tradui t l’importance des flux) ; Syystèmes spéciaalisés élevagee (ligne du
haut), sysstèmes mixtees, de l’élevagge « à l’herbee » à la polycculture élevagge (ligne du m milieu), et sysstèmes de
grandes ccultures (lignee du bas) ; flècche rouge (à droite) : coorddination à metttre en œuvree à l’échelle du territoire
basée suur des échangges de matièrres entre systtèmes spéciaalisés ou non. Par soucis dde lisibilité less services
écosystém miques ne sonnt pas représeentés et les fluux présentés ne
n concernentt que les flux i nter-sphères.
Pour connduire une éccologisation forte de l’agrriculture, dess changemennts dans la ggestion des espaces
e à
l’échelle de l’exploitaation agricole (Figure 3, partie droite) et des cooordinations entre exploitations à
106 Inn
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Un cadre conceptuel pour l’intéégration agroé
écologique
l’échelle du territoiree (flèche rouge) doivent être réaliséss. Par exemple, à l’écheelle de l’exploitation :
l’introducction de prairries dans les systèmes d e grandes cuultures pour produire dess fourrages destinésd à
la vente et favoriser les services écosystémiqques. Au niveeau du territooire : l’organiisation d’échanges de
matièress entre systèèmes spécialisés (grandees cultures et élevage hoors sols), ou encore l’orgganisation
spatiale des systèm mes de cultuure et des ssurfaces touujours en heerbe pour faavoriser les services
écosystéémiques de régulation des ravageeurs des cuultures. Enfinn, la méthaanisation de déchets
organiquues et effluennts d’élevagee, par exemplle dans les élevages
é horss sol, et l’utiliisation des réésidus de
celle-ci ppour la fertilissation des systèmes de c ulture est aussi une voie prometteusee.
2. Impplications et modalités so
ocio-écono
omiques de l’intég
gration culture-
c
élev
vage
2
2.1. Des acteurs néc
cessaires p
pour l'intég
gration agro
oécologiquue
L’état dees propriétés du système culture-élevvage est le réésultat de l’interaction enttre activités humaines
h
et proceessus écologgiques. Ici, ces activitéss humaines correspondent aux moodes de gesstion des
espaces agricoles paar les pratiquues agricoless. Par ailleurss, les choix sociétaux
s élaaborent, implicitement,
des hiéraarchies entree services éccosystémiquees (Power, 2010 ; Oudennhoven et al, 2012) et déterminent
ainsi le ccadre socio-teechnique d'inntervention ddes acteurs agricoles.
a
Le territooire où sont ancrées les exploitation s agricoles constitue
c un système soocio-écologique (SSE)
(Ostrom,, 2009) où des d interactions s’exprim ment, au seinn et entre un
u système ssocial et un système
écologique complexxe. L’agricultteur, commee tout autre acteur, inteervient danss le jeu soccial. Son
comporteement est dééterminé parr ses interacctions socialees (Vanclay 2004) avec, au premier plan, les
acteurs ddes filières, du
d conseil (chhambres d’aggriculture, Ceentre d’Economie Rurale , etc.) et de la
l gestion
des resssources du teerritoire (e.g. eau) (Duru eet al., 2012).
L’écologisation forte des systèmees agricoles complexifierra néanmoinss leur gestionn (Hendricksson et al.,
2008) paar l’augmentaation du nom
mbre et de laa diversité dees propriétéss et des inteeractions à gérer. Elle
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M. Moraine et al.
engendrera donc une augmentation des connaissances, compétences et savoir-faire nécessaires (Poux
et al., 2009) et il sera nécessaire de mettre en œuvre à chaque niveau d’organisation clef des modalités
de gestion, de coordination et d’apprentissage adaptées.
¾ Au niveau du territoire, il s'agit de concevoir des modalités de coordination sociale permettant
les échanges de produits agricoles et la mise en œuvre d’une mosaïque paysagère propice aux
services écosystémiques (Altieri, 2009 ; Power, 2010). Si l’échange de produits agricoles est
historiquement géré par le monde agricole (via notamment les coopératives agricoles), ce n'est
pas le cas de la mosaïque paysagère pour laquelle l’enjeu est de concevoir et mettre en œuvre
une gestion collective des ressources naturelles grâce à une coordination d’un grande diversité
d’acteurs (coopératives, gestionnaires de milieux, etc.). Cette gestion devra être adaptative,
délibérative et itérative pour faire face : (i) aux incertitudes sur le fonctionnement des
agroécosystèmes et sur les effets des pratiques; (ii) aux imperfections et limites de détection
des variables de l’environnement découlant des processus écologiques et des actions de
gestion ; (iii) à la difficulté de contrôler l’ensemble des actions de gestion au sein du territoire ;
et (iv) au caractère stochastique, et donc imprévisible de certains processus écologiques
(Williams, 2011). Cette gestion du territoire doit faire l'objet d’un apprentissage collectif (social
learning) et aboutir à la constitution de « communautés de pratiques » (Pahl-Wostl et Hare,
2004 ; Armitage et al., 2008 ; Newig et al., 2008).
¾ Au niveau de l’exploitation, l’enjeu est avant tout de concevoir des systèmes de culture
agroécologiques intégrant les effets de la biodiversité gérée à l’échelle du territoire. Là encore,
il est nécessaire d’organiser des apprentissages entre agriculteurs pour partager les
connaissances acquises sur les effets de leurs pratiques et les risques pris (Greiner et al.,
2009).
Ces coordinations et apprentissages nécessitent d’augmenter le niveau de connectivité des acteurs. Un
parallèle peut être tracé entre les propriétés de connectivité des réseaux écologiques, (dont on connaît
les effets positifs sur la fourniture de services écosystémiques) et celles du système socio-économique,
qui se trouvent renforcées dans l’intégration culture-élevage. Ces propriétés de connectivité sont
étudiées en sociologie des réseaux sociaux, et jouent un rôle important dans le changement des
pratiques agricoles vers des pratiques agroécologiques (Compagnone, 2004 ; Houdart et al., 2011).
2.2 Services socioéconomiques liés à l’intégration culture – élevage
Au sein du système social, les interactions entre acteurs génèrent des externalités positives (Torre,
2000), que nous appelons ci-après « services socioéconomiques », à différents niveaux d’organisation
(exploitation, collectif d’exploitations, territoires). Ils contribuent à augmenter la résilience (Folke et al.,
2010) des systèmes culture-élevage comme le montrent les exemples suivants. L'intégration culture-
élevage :
> réduit le risque de variabilité du revenu (Wilkins, 2008) parce qu'elle construit un marché diversifié et
« internalisé ». La fourniture d’aliments pour l’élevage constitue un marché alternatif à la vente en circuit
« conventionnel » des cultures, et peut permettre d’absorber une dépréciation de la qualité de la récolte
suite à un évènement aléatoire. L’intégration peut également permettre l’affichage de l’origine locale
des productions et donc rentrer dans des démarches de cahiers des charges éventuellement
valorisables économiquement (notion de biens et services territorialisés selon Pecqueur, 2001).
> augmente la rentabilité des investissements et l’efficience d’utilisation des ressources (Wilkins, 2008)
par une optimisation, à l'échelle de l'exploitation et du territoire, de l'allocation spatiale des activités
selon les avantages comparatifs de chaque couple activité/situation. Par exemple, produire des
fourrages irrigués dans les zones où l’eau est disponible et les transférer aux exploitations d’élevage où
ce n'est pas le cas permet d'éviter la construction de retenues collinaires pour irriguer ces cultures.
> permeet l'échange de connaisssances, savvoir-faire et expériencess, ce qui auugmente less options
mobilisables dans l’action
l et renforce
r ainssi l’autonom
mie des producteurs. Laa notion dee service
d’autonoomisation parr l’apprentisssage collectif (Darré, 19999) est égalem
ment présentte dans le cooncept de
« capacity building » (Faure et Kleeene, 2004)..
> renforcce le tissu social
s pour mieux
m réponddre collectiveement aux problèmes et mettre en place
p des
formes de coopérattion bénéfiques (Fourcaade et al.., 2010) ainsi que l'acceeptabilité socciale des
systèmes, tant du point
p de vue des agricultteurs (étalemment des piccs de travaill) que de ceelui de la
société.
22.3. Typollogie des formes d
d’intégration
n culture-é
élevage ddans le ca
adre de
ssystèmes socio-écolo
s ogiques
L’intégraation culture--élevage doit être penséée aussi bieen à l'échelle de l'explooitation qu'à celle du
territoire. A la manièrre de Hendrickson et al. (2008), nouss considérons que l’intégrration culturee-élevage
provient d’un renforccement des coordinationns spatiales et temporelles intra- et inter-exploittations et
nous en avons identifié 4 formes types (Figuree 5).
Figure 5 : Typologie ded l’intégrationn culture-élevaage. L’intégration est préseentée dans saa dimension temporelle
t
(axe verttical) correspoondant à l’orgganisation dess décisions d’allocation des ressources : choix stratéégiques et
ajustements tactiques,, et dans sa dimension sppatiale (axe horizontal)
h corrrespondant aaux recouvrem
ments des
usages des différents espaces.
e
Type 1 : l'intégration est réalisée entre exploiitations spéccialisées à traavers le marcché dans une logique
de flux de produitss (grains, foourrages, dééjections comme engrais organiquees). Les ennjeux de
stabilisattion des prix et des reevenus peuvvent entraineer le recourrs à la conntractualisatioon. Cette
coordinaation omet lee plus souveent les dimennsions spatiaales, de proxximité et ne permet donc pas de
valoriserr les servicess écologiquess et socio-écoonomiques.
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Type 2 : les systèmes de culture intègrent les objectifs des systèmes d’élevage en termes de choix
stratégiques (assolement, variétés, objectif de qualité) et tactiques (pratiques annuelles de fertilisation,
protection phytosanitaire...), avec prise en compte en amont de l’allocation des ressources "effluents".
Type 3 : la coordination culture-élevage est renforcée dans le temps et l'espace par exemple par le
pâturage sur repousses, la gestion tactique des débouchés des cultures. L'allocation des ressources
terres et effluents est coordonnée en amont (prairies temporaires en rotation, cultures fourragères en
dérobé).
Type 4 : l’intégration est territoriale avec des collectifs qui s’organisent pour optimiser l’allocation des
ressources et augmenter la diversité des systèmes d’échange et de commercialisation (groupement de
producteurs, mise en place d’une filière locale liée aux particularités du territoire, partage de travail,
réseaux d’apprentissage et d’échange de pratiques).
Le niveau de coordination à mettre en place croit du type 1 au type 4, entraînant un accroissement de la
complexité qui nécessite des compromis et des arbitrages entre des options pouvant s’avérer
contradictoires.
2.4 Gérer les synergies et les compromis entre services
Le développement des services écosystémiques et socio-économiques peut conduire à réaliser des
arbitrages entre ces services. En outre, la pertinence des services fournis par l’intégration cultures-
élevage doit se discuter au regard des coûts de la coordination culture-élevage. Par exemple, optimiser
l’allocation des ressources et donc la localisation des productions peut revenir à spécialiser des zones
et de ce fait réduire leur diversité et l’expression de certains services écologiques ; les échanges de
matières entre de telles zones ayant des coûts économiques et environnementaux.
A cet égard, deux caractéristiques nous semblent fondamentales pour anticiper ces coûts et définir des
distances maximales d'échange : la teneur en matière sèche et la densité énergétique. Plus le territoire
de gestion est grand, plus les produits devront être riches en énergie et en matière sèche pour justifier
des transferts sur toute l’étendue de celui-ci.
Il appartient donc aux acteurs impliqués dans la conception de systèmes mixtes culture-élevage de
définir la pertinence des formes d’intégration à rechercher, c’est-à-dire la nature et l’épaisseur des
flèches du modèle générique de la Figure 2.
1. la conception « light », en temps court, sur la base d’ateliers participatifs mobilisant une diversité
d’acteurs, permet aux acteurs de partager leurs points de vue et idées d’innovations afin d’identifier des
options d’amélioration semblant a priori pertinentes pour le plus grand nombre d’entre eux. Pour cela,
une démarche en trois étapes, diagnostic (définition des enjeux) – brainstorming (identification de
pistes) - évaluation (analyse multicritère) peut être mise en œuvre. Ce type d’approche a été formalisée
pour imaginer des innovations radicales dans les élevages hollandais afin de faire face aux fortes
externalités négatives : méthode RIO (Reflexive Interactive Design) (Bos et al., 2008).
Le modèle conceptuel présenté dans cette communication (Figures 1 à 5) peut être avantageusement
utilisé dans cette démarche car il offre une représentation structurée du système étudié et fournit un
cadre d’analyse pour articuler différents types de leviers d’action. Il invite à explorer des pistes variées
en termes de nature de services ou bénéfices, de niveaux d’organisation et de coordination et de
domaines d’action et à identifier les principaux compromis à trancher et verrouillages à lever. Ce
modèle doit ainsi aboutir à l’élaboration d’un ensemble structuré de pistes d’innovations
contextualisées.
2. la conception approfondie couple les approches participatives "light" à des approches quantitatives
basées sur des modèles de fonctionnement des agroécosystèmes générant des indicateurs de
performances. Les approches basées sur des jeux ont montré leur intérêt : il peut s’agir de jeu de
plateaux pour l’allocation de ressources au sein d’une exploitation (Martin et al., 2011b), ou de jeux de
rôle (Etienne, 2011) pour sensibiliser les acteurs aux conditions et impacts des échanges de matières et
d’information au sein d’un territoire.
Ces approches facilitent l’émergence de prémices d’innovations techniques, mais aussi de modalités de
gouvernance propices aux services associés à l’intégration cultures-élevage. Elles contribuent dans le
même temps à faciliter les apprentissages des participants.
Comme Barnaud et al. (2011) nous considérons que le concept de services écosystémiques (et socio-
économiques) pourrait être structurant pour ces approches de conception participative. Il conduit les
acteurs à définir les services attendus des réorganisations des systèmes agricoles puis les processus
qui les fournissent et enfin les pratiques à mettre en œuvre. L'utilisation des modèles et des
connaissances des experts pour évaluer dans quelle mesure les changements envisagés sont
cohérents avec les objectifs affichés permet d'alimenter une méthode d’évaluation multicritère dans
laquelle les participants peuvent débattre des valeurs et coefficients à attribuer aux différents
indicateurs (Craheix et al., 2012b).
Conclusion
L’intégration agroécologique des cultures et de l’élevage engendre une complexification des systèmes,
liée aux nécessités de gérer à la fois la circularité des flux pour limiter l’utilisation d’intrants et les
émissions polluantes, et l’organisation des espaces pour favoriser l’expression de services
écosystémiques. Cette complexification nécessite des apprentissages et des coordinations au sein des
systèmes socio-écologique et socio-technique, pour optimiser la gestion agroécologique des
écosystèmes tout en développant des services socio-économiques qui garantissent la viabilité de ce
mode de gestion.
Concevoir des systèmes cultures-élevage intégrés à l’échelle des exploitations et du territoire implique
de prendre en compte ces différentes dimensions de l’intégration, donc d’appréhender les différents
niveaux d’interaction entre les éléments du système. Mobiliser des acteurs et des porteurs d’enjeux
autour de cette problématique permet d’intégrer des visions et des connaissances localisées, des
savoirs locaux pour construire des connaissances pour l’action. C’est aussi l’occasion d’outiller les
acteurs du développement agricole pour renouveler l’approche du conseil aux agriculteurs, en créant
des dispositifs d’action collective aptes à accompagner des transitions agro-écologiques : réseaux
Remerciements
Le travail présenté ici a été réalisé dans le cadre du projet européen CANTOGETHER (FP7, Grant
agreement N°: 289328)
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Résumé
Depuis l’après-guerre, l’accroissement de la productivité du travail dans les systèmes bovins laitiers du
Bocage vendéen a été basé depuis les années 1950 sur la spécialisation et l’augmentation de la
production laitière par hectare et par actif. Le pâturage a été considérablement réduit, au profit de
l’utilisation de fourrages stockés, en particulier de l’ensilage de maïs. Depuis 1990, certains agriculteurs
ont développé des systèmes de production herbagers inspirés de l’exemple breton d’André Pochon et
reposant largement sur la pâture de prairies temporaires d’association graminées-légumineuses.
Adaptés par des groupes d’éleveurs aux spécificités pédoclimatiques de la région, ces systèmes
innovants privilégient la création d’une forte valeur ajoutée en réduisant fortement les consommations et
s’inscrivent à contre-courant du mode de développement agricole prédominant de la région. Cet article
s’intéresse aux conditions d’émergence et au fonctionnement des différents systèmes de production de
la région et montre, grâce à la comparaison de leurs résultats économiques, que ces systèmes
herbagers relevant de l’agro-écologie sont intensifs en création de richesse et dégagent un revenu
élevé par hectare et par actif, moins dépendant des subventions.
Mots-clés : élevage bovin laitier, système herbager, prairie temporaire d’association graminées-
légumineuses, pâturage, système de production, modélisation technico-économique, valeur ajoutée.
Introduction
Depuis les années 1950, le développement agricole de l’Ouest de la France a été marqué par la
spécialisation des exploitations dans l’élevage, la concentration de la production dans un nombre
N. Garambois et S. Devienne
toujours plus restreint d’exploitations de plus en plus grandes, l’accroissement de la production et une
forte progression de la productivité physique du travail. Celle-ci a reposé sur l’agrandissement de la
superficie des exploitations et de la taille des troupeaux, mais aussi sur l’augmentation de la production
par hectare, permis par le recours croissant aux consommations intermédiaires et par l’évolution des
systèmes fourragers vers une utilisation grandissante du maïs fourrage et une réduction de la place des
prairies et du pâturage. En rupture avec ce développement, certains éleveurs ont mis en place dans
l’Ouest français des systèmes bovins laitiers qualifiés d’« herbagers » car majoritairement basés sur
l’utilisation des prairies. Motivés par la volonté d’accroître la durabilité de leur exploitation, ces éleveurs
ont modifié en profondeur leurs systèmes de production pour développer les prairies temporaires
(association graminées-légumineuses) et le pâturage. Ils se sont tournés vers des systèmes de
polyculture-élevage autonomes et économes, qui privilégient l’autofourniture de moyens de production
et permettent ainsi de réduire l’achat d’engrais azotés et de compléments protéiques. Ce mouvement,
qui concerne aujourd’hui en France près de 2000 éleveurs, a démarré dans les Côtes d’Armor, impulsé
par l’agriculteur André Pochon (Pochon, 2002). Il s’est étendu ensuite à d’autres régions du Grand
Ouest, aux conditions agro-écologiques différentes.
Cette communication présente les résultats d’un travail de recherche centré sur l’analyse des conditions
et de l’impact du développement de systèmes herbagers dans le Bocage vendéen (centre Ouest). Le
choix s’est porté sur cette région où une centaine d’éleveurs, organisés en plusieurs groupes locaux1,
ont élaboré à partir de 1990 des systèmes basés sur des prairies temporaires de graminées et
légumineuses, dans des conditions climatiques moins favorables à la pousse de l’herbe que celles des
Côtes d’Armor en raison d’un déficit hydrique souvent important en été. L’objectif de cette recherche
(Garambois, 2011 ; Garambois et Devienne, 2012) consistait à comprendre les conditions d’émergence
de ces systèmes en les replaçant dans l’évolution générale de l’agriculture de la région, d’identifier et de
caractériser les différents types de systèmes de production en élevage bovin laitier, herbagers et non
herbagers, afin de comparer, dans des conditions édaphiques et socio-économiques homogènes, le
fonctionnement et les performances économiques des systèmes herbagers à ceux des autres systèmes
de production. Cette recherche s’est appuyée sur la méthode d’analyse-diagnostic des systèmes
agraires développée par l’UFR d’Agriculture Comparée et Développement agricole (Mazoyer et
Roudart, 1997 ; Dufumier, 1996 ; Cochet et al., 2007). Ce travail de recherche se proposait, en
établissant les performances économiques des systèmes de production en relation étroite avec leur
fonctionnement technique, démarche originale par rapport aux travaux existants (Le Rohellec et
Mouchet 2004, Le Rohellec 2008), de comprendre la logique spécifique de fonctionnement des
systèmes herbagers économes et de mettre en lumière la forme particulière d’intensification développée
par ces éleveurs.
1GRADEL (Groupe de Recherche en Agriculture Durable et en Economie Locale), Civam HB (Centre d’Initiatives
pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural du Haut-Bocage), GRAPEA (Groupe de Recherche pour une
Agriculture Paysanne Econome et Autonome)
de bâtir une typologie des systèmes de production actuels, base à partir de laquelle a été constitué un
échantillon raisonné (Dufumier et Bergeret, 2002 ; Cochet et Devienne, 2006). La réalisation d’une
centaine d’entretiens approfondis auprès d’exploitations spécialisées en élevage bovin (dont 45 en
élevage bovin laitier et 35 auprès d’éleveurs mettant en œuvre un système herbager bovin laitier ou
allaitant), choisies sur la base de cette typologie, a ensuite permis de caractériser le fonctionnement
technique et d’évaluer les performances économiques des différents systèmes de production d’élevage
bovin. Le concept de système de production (Reboul, 1976 ;Cochet et al., 2007) ne s’applique pas ici à
une exploitation agricole unique, mais à un ensemble d’exploitations qui possèdent la même gamme de
ressources et pratiquent une combinaison similaire de productions qui peut elle-même être analysée
sous l’angle d’une combinaison spécifique de différents systèmes de culture et systèmes d’élevage.
Les résultats présentés portent sur la partie occidentale du Bocage poitevin (ou Bocage vendéen) où
prédominent des exploitations spécialisées en élevage bovin laitier et qui coïncide avec l’aire
d’implantation du GRADEL, association d’éleveurs herbagers créée en 1990, dont les systèmes sont ici
évalués.
permanentes et aux plantes sarclées fourragères exigeantes en main d’œuvre, des prairies temporaires
de graminées plus productives (ray-grass anglais dès les années 1950 et ray-grass d’Italie (RGI) à
partir des années 1960) et, partant, augmenté la taille de leur troupeau et remplacé les vaches
Charolaises par des races à plus haut potentiel laitier (Normande, puis Pie noire).
Avec l’introduction dans la région des premières variétés de maïs hybride dès le milieu des années
1960, les gains de productivité du travail ont ensuite reposé sur le recul progressif du pâturage au profit
de l’accroissement de la part du maïs fourrage dans l’alimentation. Cette culture s’est développée
rapidement, au sein de rotations de type maïs/blé/RGI 6 ou 18 mois, pour atteindre près du quart de la
Surface Agricole Utile (SAU) à la fin des années 19702. Elle présente en effet l’avantage d’offrir un
rendement et une densité énergétique plus élevés, d’être entièrement moto-mécanisable et de pouvoir
être stockée sous forme d’ensilage, augmentant ainsi les disponibilités fourragères toute l’année,
accompagnant ainsi efficacement la progression du potentiel de rendement laitier des troupeaux
(changement de race, sélection génétique). L’accroissement du chargement permis par l’augmentation
de la production fourragère par hectare, qu’accompagnait éventuellement l’agrandissement des
exploitations, a conduit les éleveurs qui en avaient les moyens à développer de manière importante la
capacité de leurs équipements (salle de traite de 2×3 à 2×6 postes) et à moderniser leurs bâtiments
(stabulation libre avec couloir central d’alimentation) afin de faciliter la moto-mécanisation de la
distribution des fourrages et du curage.
En drainant une grande partie de leurs terres durant les années 1980 et 1990 (1% de la SAU en 1979,
33% en 1988 et 56% en 20003), les agriculteurs ont stabilisé le rendement du maïs fourrage et converti
en prairies temporaires, voire mis en culture, l’essentiel des prairies permanentes restantes, qui ne
représentaient en moyenne plus que 10% de la SAU en 20004. L’investissement dans l’irrigation grâce
à des retenues partiellement alimentées par les eaux de drainage (1% de la SAU était irrigable en 1970
et 14% en 20005) a permis quant à lui de faire encore progresser les rendements du maïs fourrage. La
progression continue de la part de l’ensilage de maïs et des compléments en céréales et tourteau de
soja dans l’alimentation du troupeau, alliée à l’adoption de la race Holstein, a rendu possible la
poursuite de l’accroissement des rendements laitiers.
Le contingentement de la production laitière à partir de 1984 n’a pas enrayé le mouvement
d’accroissement de la production par hectare prévalant depuis l’après-guerre. La progression continue
des rendements et de la densité énergétique de l’alimentation a permis aux éleveurs de réaliser leur
production laitière en réduisant leur cheptel (baisse de 10% des effectifs de vaches laitières entre 1979
et 1988 et de 21% entre 1988 et 20006) ainsi que la superficie qui lui est consacrée. Les surfaces ainsi
libérées ont été valorisées par d’autres productions : les céréales ou l’engraissement des veaux mâles
en taurillons nourris à l’ensilage de maïs, lorsque les éleveurs disposaient d’une plus faible surface par
actif. L’octroi de primes spécifiques à ces productions dans le cadre de la réforme de la PAC de 1992 a
contribué à renforcer ces orientations.
Les exploitations du Bocage vendéen des années 1950 ont ainsi connu, en soixante ans, un
accroissement spectaculaire des rendements des cultures comme de la production laitière par vache
(jusqu’au quintuple), tandis que dans le même temps la surface cultivée par actif augmentait au moins
d’un facteur six, multipliant par trente la productivité physique du travail entre 1950 à 2010. Au plan
économique, cette évolution a reposé sur une externalisation accrue des tâches agricoles et sur un
recours toujours plus important aux intrants et à des équipements de plus en plus performants. Ce
développement a conduit à une concentration de la production dans un nombre toujours plus réduit
d’exploitations dont la taille n’a cessé de croître. Ces agrandissements ont été permis par la disparition
progressive et continue des exploitations qui n’ont pas eu les moyens de suivre ce mouvement, faute
d’une superficie suffisante dans les années 1950, d’opportunités d’agrandissement par la suite et de la
capacité d’investissement nécessaire (Mazoyer, 1981 ; Mounier, 1992). Le nombre d’exploitations dans
le canton de Rocheservière a ainsi diminué de 67% entre 1970 et 2000 et cette baisse est encore plus
marquée (-76%) dans le cas des exploitations spécialisées en élevage bovin laitier7.
vendéen qu’en Bretagne, et de bénéficier d’un prix moyen du lait semblable à celui des systèmes de
production reposant moins sur le pâturage. Les éleveurs herbagers ont conservé la race Holstein car la
plasticité de sa production lui permet de réaliser un rebond de la courbe de lactation avec la mise au
pâturage au début du printemps, et de profiter ainsi, en fin de lactation, de la pousse rapide de l’herbe à
cette saison, tout en maintenant un rendement laitier annuel relativement élevé, variant, suivant le
niveau de complémentation, de 6000 à 7500 litres par vache et une production de lait de 4000 à 5500
litres par hectare de SAU.
Les éleveurs herbagers réalisent leurs quotas laitiers avec un cheptel plus important, en lui consacrant
l’ensemble de la surface de l’exploitation, sans produire de cultures de vente. Les surfaces en maïs et
blé ont ainsi été réduites au profit des prairies temporaires d’association et la rotation maïs/blé/RGI 18
mois remplacée par une rotation longue maïs/triticale ou mélange céréalier/prairies temporaires
graminées-légumineuses de six à dix ans. Sur une partie de leurs prairies, les éleveurs ont
progressivement introduit dans l’association la fétuque et/ou le dactyle (voire parfois des mélanges plus
complexes) qui résistent davantage à la sécheresse et permettent à la fois de disposer d’herbe plus
précocement au printemps et de prolonger la pousse d’automne. La conduite des prairies, basée sur la
technique de pâturage tournant, est menée de manière à maximiser la pousse de l’herbe et le
rendement fourrager annuel (Voisin, 1957), tout en maintenant l’équilibre entre graminées et trèfle
blanc. De longues périodes de repousse sont ainsi respectées pour permettre à la prairie de réaliser sa
« flambée de croissance » ; leur durée est adaptée, comme le chargement et la durée de pâturage, à la
vitesse de croissance de l’herbe, variable selon les conditions pédoclimatiques et les saisons, tandis
que différentes techniques visent à stimuler la pousse de l’herbe, favoriser une repousse feuillue,
assurer l’entretien des prairies et piloter leur flore : utilisation de variétés tardives, déprimage à la
reprise du pâturage au printemps ; pâturage des prairies à ras, alternance de pâture et de coupe, etc.
(Civam, 2001).
La haute technicité développée par les éleveurs dans la gestion des prairies leur permet d’atteindre des
rendements fourragers élevés (de l’ordre de 9 t de MS par hectare). La ration des vaches, moins dense
sur le plan énergétique, n’autorise qu’un rendement laitier plus faible, mais présente l’avantage d’être
bien moins coûteuse. L’herbe des prairies temporaires de longue durée à base de légumineuses
constitue en effet plus de 80% des fourrages produits (deux fois plus que dans les systèmes avec
pâturage au printemps de prairies de graminée pure), et elle est prélevée pour les trois quarts
directement par l’animal au pâturage. Ces fourrages plus équilibrés en protéines et le plus faible objectif
de rendement laitier permettent par ailleurs de réduire fortement les achats de tourteau.
disposent de moins de 35 ha par actif et irriguent toute la surface de maïs, la ration repose
intégralement sur l’ensilage de maïs et les rendements laitiers atteignent 9500 à 10 000 litres de lait
(système de production (SP) 1). Avec 35 à 45 ha par actif, mais sans accès à l’irrigation, les éleveurs
maintiennent 20% d’ensilage d’herbe dans une ration basée sur le maïs fourrage, qui permet
d’atteindre un rendement laitier de 9000 à 9500 litres (SP2).
La plupart des éleveurs de la région ont pu s’agrandir davantage et passer de 35 à 45 ha par actif dans
les années 1990, à 40 à 60 ha aujourd’hui, avec des références laitières par unité de surface toutefois
plus modestes, de l’ordre de 4000 à 5000 litres/ha de SAU. Si l’irrigation est le plus souvent utilisée, les
équipements, et parfois la dispersion du foncier liée aux agrandissements successifs, ne permettent
généralement pas d’irriguer plus de 50% de la surface en maïs. Les éleveurs continuent à pratiquer un
pâturage de printemps, période de l’année où la pousse de l’herbe est la plus rapide et les besoins du
troupeau moindres, puisque les vaches sont en fin de lactation (vêlages d’automne). L’essentiel de la
production laitière est réalisée en automne et en hiver, grâce à une alimentation reposant sur trois
quarts d’ensilage de maïs et un quart d’ensilage d’herbe, largement complétés de tourteaux de soja et
de céréales, qui permet d’atteindre des rendements laitiers de 8500 à 9000 litres. Les inégalités
d’accès aux ressources, notamment au foncier, ont néanmoins présidé à des trajectoires d’exploitations
distinctes et conduit à une différenciation des systèmes de production reposant sur des niveaux
d’équipement et des gammes de taille de troupeau et de superficie distincts :
- système mis en œuvre par des exploitations à un actif disposant de 50 à 60 ha équipées d’une
salle de traite 2×4 postes (SP3) ;
- systèmes développés par des exploitations de 80 à 100 ha à deux actifs, équipées de 2×5
postes de traite, où les veaux mâles sont engraissés afin d’accroître la production et le revenu
par hectare (SP4) ;
- systèmes mis en œuvre par des exploitations de 100 à 120 ha à deux actifs, équipées de 2×6
postes de traite et qui vendent leurs veaux mâles à huit jours (SP5);
- système développé par des exploitations de 135 à 165 ha à trois actifs, équipées d’une salle de
traite de 2×8 postes, où les veaux mâles sont élevés en taurillons (SP6).
Les éleveurs de la région qui étaient à la tête des exploitations les plus grandes dans les années 1960
ont eu la possibilité d’accroître encore la taille de leur exploitation. Ces unités de production, aujourd’hui
de 220 à plus de 300 ha répartis en plusieurs îlots, sont conduites par 4 actifs et rassemblent des
quotas laitiers considérables (de 750 000 à plus d’un million de litres). La taille importante des
troupeaux (90 à 140 vaches) a conduit les éleveurs à acquérir des équipements de traite performants
(au moins 20 postes de traite voire robot), à automatiser la distribution d’une partie de l’alimentation et
à réduire le pâturage au printemps à deux mois, la surface de pâture accessible aux vaches en
production étant limitée par le morcellement du parcellaire. Sur une superficie importante - de 220 à
260 ha avec une sole de maïs entièrement irriguée (SP7) et jusqu’à 280 à 340 ha avec seulement la
moitié de la superficie en maïs irriguée (SP8) - ces éleveurs mettent en œuvre un système d’élevage
basé sur l’ensilage de maïs qui leur permet d’atteindre un niveau de production laitière élevé par unité
de surface fourragère. Ils ont développé des cultures de vente sur le restant de la superficie. Les
interactions entre le système d’élevage et le système de culture de vente sont relativement faibles car
les flux internes au système de production se limitent à la paille, à la fumure et à la main d’œuvre lors
des pointes de travail. Même si la coexistence des deux systèmes procure une meilleure résilience face
à des évolutions contrastées des prix des produits végétaux et animaux, les logiques de
fonctionnement demeurent dissociées. Plutôt que d’un véritable système de polyculture-élevage, il
s’agit d’une double spécialisation élevage bovin laitier et grandes cultures, ces dernières occupant la
moitié des terres et le travail d’un à deux actifs spécialisés.
Figure 1 : Résultats économiques par unité de surface des principaux types de systèmes de production bovins
laitiers du Bocage vendéen
La valeur ajoutée nette par actif, qui mesure la productivité économique du travail, et le revenu brut par
actif peuvent être représentés sur un graphique en fonction de la superficie par actif, permettant ainsi la
comparaison des performances économiques des différents systèmes de production. Cette
représentation repose sur la modélisation du fonctionnement technique de chaque système de
production, à partir de laquelle sont reconstruites, dans un second temps, les performances
économiques du système. Chaque segment de droite correspond à un système de production donné.
(cf. Annexe)
Le graphique montre que les différents segments au sein de chacun des sous-ensembles herbagers et
non herbagers s’ordonnent selon une pente décroissante à mesure que la gamme de superficie
s’accroît, ce qui traduit le fait que les exploitations dotées d’une plus grande superficie par actif mettent
en œuvre des systèmes qui se caractérisent par une intensité en travail et/ou en capital moindre par
unité de surface et dégagent une valeur ajoutée nette et un revenu par hectare plus faibles (Figure 2).
Cependant, les deux sous-ensembles se distinguent clairement par le fait que les systèmes herbagers
à neuf mois de pâturage (herb1, herb2 et herb4, systèmes bénéficiant d’un prix du lait standard)
permettent de dégager une valeur ajoutée nette par actif nettement supérieure à celle des autres
systèmes de production (de 22 000 à 32 000 euros, contre 11 000 à 24 000 euros), sur des superficies
par actif globalement moins importantes.
Figure 2 : Modélisation de la valeur ajoutée nette par actif en fonction de la superficie par actif pour les différents
systèmes de production bovins laitiers identifiés
Malgré une valeur ajoutée nette par actif plus élevée, les systèmes herbagers enregistrent un revenu
brut par actif comparable à celui des autres systèmes de la région (Figure3), situation qui s’explique par
le fait qu’ils bénéficient d’un soutien par actif nettement inférieur, de l’ordre de 6000 à 11 000 euros,
contre 17 000 à 34 000 euros pour les systèmes avec pâturage de printemps ou en zéro pâturage.
Figure 3 : Modélisation du revenu brut par actif en fonction de la superficie par actif pour les différents systèmes
de production bovins laitiers identifiés
tout en limitant leur agrandissement. La recherche d’un niveau relativement élevé de production
réalisée de la façon la plus économe et autonome possible inscrit ces systèmes herbagers dans une
démarche d’agro-écologie, qui n’est « pas intéressée par la maximisation de la production d’une denrée
particulière, mais plutôt par l’optimisation de l’ensemble de l’agro-écosystème » et où l’« accent est mis
sur la pérennité écologique plutôt que sur la productivité à court terme » (Altieri, 1986).
Ces prairies d’association conduites sans azote de synthèse ont des effets « précédent » positifs sur
l’état physique, chimique et biologique du sol dont peut profiter la culture suivante dans la rotation:
amélioration de la structure, et enrichissement en azote du sol, préservation de la micro- et macrofaune
qu’il abrite (Voisin, 1960 ; Bourguignon, 2002), lutte contre les adventices (Munier-Jolain et al, ce
colloque) et élimination des pathogènes des cultures. Ces effets « précédent » ont permis aux éleveurs
de réduire fortement les apports d’azote de synthèse ainsi que les applications de pesticides sur les
cultures annuelles, tout en atteignant un rendement de 50 à 55 quintaux par ha (q/ha) pour les céréales
à paille (au lieu de 65 à 70 q/ha dans la région) et en conservant une production moyenne de 12 t de
MS/ha pour le maïs fourrage non irrigué. La VAN par litre de lait8 enregistrée en système herbager à
neuf mois de pâturage bénéficiant d’un prix du lait standard (herb2) atteint deux à trois fois celle des
systèmes reposant peu ou pas sur le pâturage (Figure 4). Cet écart élevé ne s’explique pas seulement
par la plus longue durée de pâturage. Il est aussi le résultat du caractère systémique des économies
réalisées grâce au type de prairies implantées, à leur mode d’exploitation et aux rotations mises en
œuvre. L’obtention d’un prix du lait supérieur grâce au passage en agriculture biologique (Herb3)
renforce cet écart, sans pour autant permettre une augmentation aussi marquée.
Figure 4 : Valeur ajoutée nette par litre de lait et production de lait par hectare de SAU et de SFP caractérisant
les principaux types de systèmes de production
Les systèmes bovins laitiers herbagers, en permettant d’atteindre une valeur ajoutée par hectare et un
revenu par hectare élevés, témoignent du fait que le recours à la prairie et au pâturage n’est pas
nécessairement synonyme d’extensivité. Offrant des revenus par actif similaires à ceux des autres
systèmes de production pour des gammes de superficie équivalente ou inférieure malgré de plus faibles
8 La VAN par litre de lait isole ici la seule richesse créée par la production laitière et la vente des vaches de
réforme. Elle ne tient pas compte des productions, consommations intermédiaires et consommations de capital
fixes imputables aux activités d’engraissement (taurillons, génisses, bœufs) et aux grandes cultures.
subventions, ils montrent leur aptitude à maintenir des actifs moins soutenus financièrement sur de
petites surfaces : il s’agit donc bien de systèmes intensifs, non pas sur le plan de la production, mais
sur celui de la richesse créée par unité de surface.
Figure 5 : Evolution comparée par hectare et en monnaie constante du produit brut, des consommations
intermédiaires et de capital fixe, de la valeur ajoutée nette et des subventions perçues* chaque année entre 1990
et 2009, en système de production 6 et herbager 2**
* CAD inclus en système herbager de 2004 à 2008
** issus de la différenciation du même système de production initial à la fin des années 1980, mis en œuvre à l’époque au
sein d’exploitations à trois actifs de 60 à 90 ha
donc comme une option efficace pour limiter l’érosion du nombre d’actifs agricoles. Celle-ci nécessite
cependant de bénéficier d’un parcellaire suffisamment groupé, ce qui, à l’exception de très vastes
unités de production, est le cas de nombreuses exploitations dans cette région où le remembrement a
été précoce et particulièrement abouti.
Ces systèmes permettent d’autre part de substantielles réductions au niveau de l’utilisation d’engrais
azoté de synthèse, de carburant et de pesticides. Pour une même gamme de production laitière par
hectare de SAU, les quantités d’ammonitrate et de pesticides consommées par litre de lait produit sont
réduites d’un facteur dix et celle de carburant de 60%. Par ailleurs, la très large majorité des
exploitations en système herbager n’irrigue pas le maïs, dont la surface a de toute façon été
massivement réduite. Enfin, le recours accru au pâturage implique le maintien et l’entretien des haies
qui participent à la constitution d’un paysage bocager harmonieux (Béranger, 2002).
Les conditions d’installation en système herbager se révèlent favorables car le niveau de capital
nécessaire à l’installation sur de plus petites structures, dont la logique de production nécessite peu de
matériel, facilite les installations hors cadre familial. Le métier d’agriculteur proposé est d’autant plus
attractif que le volume de travail est réduit (jusqu’à 25% de réduction de la durée hebdomadaire de
travail dans le Bocage vendéen) et garantit une plus grande parité avec les autres secteurs d’emploi en
termes de rémunération horaire. Les tâches sont différentes : le travail est plus régulier toute l’année et
repose en grande partie sur une observation fine des prairies et l’acquisition de nouveaux savoir-faire
permettant une conduite ajustée du troupeau au pâturage tournant sur prairies d’association.
L’autonomie qu’il confère aux agriculteurs, tant dans le fonctionnement technique que dans la
constitution du revenu, ainsi que la réduction de consommations d’intrants potentiellement polluants
constituent autant d’éléments incitatifs pour des candidats à l’installation (Jouin, 1999).
Le découplage des aides PAC et la construction par les éleveurs d’un référentiel technique local
contribuent néanmoins aujourd’hui à créer des conditions techniques et économiques qui semblent
désormais plus incitatives au passage en système herbager. Celui-ci requiert néanmoins un savoir-faire
particulier, qui demeure peu enseigné et vulgarisé dans les circuits classiques d’enseignement et de
vulgarisation agricole (lycées agricoles, chambres d’agriculture, agrofourniture, contrôle laitier). Sans
cet appui « institutionnel », beaucoup d’éleveurs n’osent vraisemblablement pas s’engager dans une
refonte en profondeur de leur système.
Conclusion
L’analyse-diagnostic conduite dans la région a ainsi permis de mettre en évidence deux logiques de
développement radicalement différentes : d’un côté des systèmes de production basés sur un niveau de
production et de nombre d’animaux par hectare et par actif toujours plus élevés, grâce à un recours
important aux consommations intermédiaires (engrais de synthèse, pesticides, compléments azotés,
carburant…) et à l’adoption d’équipements performants et coûteux ; de l’autre des systèmes qui
privilégient la recherche d’une haute valeur ajoutée par hectare par la diminution des consommations,
grâce à l’utilisation de prairies associant graminées et légumineuses, et à une place très importante
accordée au pâturage, dont la conduite s’appuie sur une observation attentive de la pousse de l’herbe
afin d’optimiser l’utilisation des ressources de la prairie.
Les systèmes herbagers économes sont de véritables systèmes de polyculture-élevage qui cherchent à
utiliser au mieux le fonctionnement de l’écosystème (cultures pluriannuelles, associations à base de
légumineuses, utilisation de l’effet précédent cultural, récolte directe par les animaux…), privilégiant
ainsi l’autofourniture de moyens de production et réduisant au maximum le recours à des intrants qui
sont de plus en plus coûteux et dont les effets polluants, pour certains d’entre eux, ne sont plus à
démontrer. Cette étude comparative a permis de montrer que, dans des conditions pédoclimatiques qui
ne sont pourtant pas optimales, ces systèmes herbagers, qui relèvent de l’agro-écologie, sont intensifs
au plan de la création de valeur ajoutée et moins dépendants des aides publiques pour la réalisation de
leur revenu. Leurs performances économiques élevées ont permis le maintien d’un plus grand nombre
d’emplois agricoles sans accès à des prix à la production supérieurs.
En l’absence, au début des années 1990, de référentiel technique local et d’un franc soutien
institutionnel, leur mise au point doit beaucoup à la persévérance des éleveurs et à une réflexion de
groupe. Dans un contexte de hausse du prix des matières premières et des dérivés du pétrole et à
l’heure où l’agriculture doit plus que jamais prendre en compte les paramètres environnementaux, ces
systèmes herbagers constituent une alternative innovante et performante, offrant aux éleveurs laitiers
du Bocage vendéen un compromis rentable entre production et préservation des ressources. Si l’enjeu
du développement agricole consiste désormais à utiliser au mieux le fonctionnement des écosystèmes
sans en compromettre la reproduction (Griffon, 2010), les performances de ces systèmes invitent à
réfléchir à l’adaptation de cette logique herbagère à d’autres régions d’élevage en France. Loin d’être
un « paquet technique » à diffuser, les systèmes herbagers économes offrent une voie de réflexion
stimulante pour la recherche. Encore faut-il pour promouvoir le développement de tels systèmes, qui
conjuguent « productivité économique et pertinence écologique » (Hervieu, 2002), qu’une véritable
recherche-développement soit mise en place afin d’aider à la définition de référentiels techniques
adaptés aux conditions agro-pédologiques spécifiques de chaque région, accompagnée de mesures de
politique agricole plus incitatives.
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Annexe : Détail des calculs du revenu brut par actif familial pour un système de production
Pour chaque système de production, caractérisé par un niveau de ressources et une combinaison spécifique de
systèmes de culture et d’élevage, la modélisation du fonctionnement technique du système de production ouvre
la voie à une modélisation des résultats économiques en lien avec ce fonctionnement technique. Il est possible à
partir de la conduite précise des différents systèmes de culture et d’élevage d’écrire les principales constantes
économiques caractéristiques de ce système de production par hectare ou par vache laitière.
Exemple de calcul pour une culture d’un système de culture pratiqué dans un système de production donné :
PB/ha = rendement à l’hectare (qui dépend de la localisation des parcelles, des itinéraires techniques et de
la succession culturale pratiqués) × prix moyen (qui dépend de la période de vente, de la qualité du
produit, etc.)
CIp/ha = frais de semences, engrais, amendements, pesticides, CUMA et entreprise par hectare (qui
dépendent des itinéraires techniques spécifiques à ce système de culture et à ce système de
production (selon les équipements en propriété dont disposent les agriculteurs), tant pour les
quantités consommées que pour la nature des biens et leur prix unitaire)
Un raisonnement semblable permet de calculer ces grandeurs par vache pour chaque système d’élevage, sur la
base de ses caractéristiques techniques.
Les équipements et bâtiments sont une caractéristique de chaque système de production et leur dépréciation
annuelle liée à l’usure (qui équivaut à une consommation annuelle moyenne de capital fixe) est facilement
évaluable :
CKp/ha = (prix d’achat – prix de revente) / nombre d’année d’usage, exprimé en monnaie constante et par
hectare
Sur la base des principales constantes économiques calculées par hectare ou par vache laitière, il est possible
pour un système de production donné de représenter la Valeur ajoutée Nette par actif et le Revenu Brut
agricole par actif familial en fonction de la superficie/actif de manière simple :
RB/Af = (PB/ha – CIp/ha – CKp/ha – L/ha – Intp/ha – Impp/ha – Mwp/ha + Subv) x S/Af – (CInp + CKnp –
Intnp/ha – Impnp/ha – Mwnp/ha)/A
S/A et S/Af sont respectivement les superficies par actif et par actif familial.
Petit M.-S.1, Challan-Belval C.1, Blosseville N.2, Blancard S.3, Castel T.4, Lecomte C.5, Duc G.5
1- Chambre régionale d’Agriculture de Bourgogne, 3 rue du Golf, F-21800 Quétigny, France
2- UNIP, 12 avenue Georges 5, F-75008 Paris, France
3- AgroSup Dijon, UMR 1041 CESAER, 26 Bd Dr Petitjean, F-21000 Dijon, France
4- Centre de Recherches de Climatologie, UMR 5210 CNRS/Univ. Bourgogne, F-21000 Dijon, France
Correspondance : duc@dijon.inra.fr
Résumé :
Même si sont présentes en Bourgogne des zones importantes de grandes cultures, les protéagineux y
sont néanmoins peu développés. Concernant l’élevage de monogastriques, la région se caractérise par
une activité volaillère de taille moyenne comparée au niveau national, orientée vers des productions
sous signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) et une activité porcine peu conséquente.
Malgré i) une tendance à la colocalisation des productions de protéagineux et de viandes blanches à
l’échelle du territoire et des exploitations et ii) une utilisation prépondérante des protéagineux par les
élevages monogastriques bourguignons, il n’y a toutefois pas de lien fonctionnel fort entre ces deux
activités, et la région est même exportatrice de protéagineux alors qu’elle importe beaucoup de
tourteaux de soja. Dans ce travail, nous nous interrogeons sur les conditions d’un renforcement du lien
entre activités sur protéagineux et monogastriques. En matière de production de protéagineux, les
innovations variétales (notamment en types hiver) et en nouveaux systèmes de culture, permettent
d’identifier des possibilités d’extension de surfaces et volumes produits. Les préoccupations
environnementales et l’augmentation des productions animales sous SIQO peuvent participer à
l’accentuation de ce lien fonctionnel, mais à condition de bien identifier, maîtriser et valoriser ces
contributions aux impacts environnementaux et aux qualités. En outre, un tel contexte renforcera une
logique de circuits courts amplifiant le lien entre acteurs d’amont et d’aval, et cela d’autant plus que les
cahiers des charges appelant à la traçabilité et à des qualités certifiées seront contraignants. Dans cette
concurrence entre une demande sociétale et une logique mondiale de prix de matières premières, de
simplification et massification des systèmes, les politiques publiques et la réglementation joueront un
rôle majeur. C’est ainsi que dans le domaine des productions biologiques en fort développement en
Bourgogne, on voit actuellement s’amplifier une logique de territoire et des interactions entre acteurs qui
se structurent autour de la définition de zones de production, d’objectifs quantitatifs et de cahiers des
charges sur la qualité des productions.
Mots-Clés : Protéagineux, cultures d’hiver, pois, Pisum sativum, féverole, Vicia faba, élevages
monogastriques, porcs, volailles, polyculture-élevage, idéotypes, agriculture biologique, qualité,
environnement, filières, territoire, Bourgogne
Abstract: The management of crop-livestock systems at a territory level: the example of grain
legume crops and of monogastric livestock in Burgundy, France
Although cereals and oil seed crops are very developed in Burgundy, the area of grain legumes
cultivation is small. Concerning monogastric livestock, the region is characterised by a medium size
poultry production focussed on markets under quality and origin signs (SIQO) and a relatively small pig
production. Although a tendency of co-location of these productions can be observed (at territory and
farm scales) and some animals consume locally-produced proteins, there is no strong functional link
M.S. Petit et al.
between these crops and animal activities. This situation is confirmed by the fact that a significant
proportion of produced grain legumes are exported by Burgundy, while large quantities of soybean meal
are imported. The aims of our study were to analyze i) the link between the cultivation of protein crops
and the monogastric livestock and ii) the possibilities of strengthening this link thanks to innovations. On
this last point, the innovations in terms of varieties (particularly in winter types) and the new cropping
systems make it possible to identify new production areas and additional volumes. Moreover,
environmental requirements and increase of SIQO productions may amplify the functional links on the
condition of identifying, monitoring and highlighting the benefits of protein crops from environmental and
quality viewpoints. This context can also help to develop mechanisms of local circuits and to strengthen
the link between upstream and downstream stakeholders - all the more so as traceability criteria and
quality certification will be constraining. However, these trends which answer to the new societal
requirements will compete with world prices of raw agricultural products and the world tendency toward
simplified and massive systems and homogenized practices. Thus, public policy and regulation have a
crucial role. The development of organic production activity in Burgundy, in which we observe some
interactions between stakeholders structured around the definition of production zones, quantitative
targets and quality criteria can illustrate these trends.
Keywords: grain legumes, winter crops, pea, Pisum sativum, fababean, Vicia faba, monogastric
livestocks, pig, poutry, crop-livestock systems, ideotypes, organic farming, quality, environment,
stakeholders, territory, Burgundy
environnementales favorables (Munier-Jolain et Carrouée, 2003 ; AEP, 2004 ; CGDD, 2009 ; Duc et
al., 2011) dont notamment celles liées à l’azote : en effet l’utilisation des engrais azotés en agriculture
entraîne d’importantes émissions de CO2 notamment lors de la fabrication des engrais, et de N2O par
les sols fertilisés. Les émissions de ces gaz à fort pouvoir à effet de serre sont significativement
réduites par l’introduction de légumineuses dans les systèmes de culture, car, par leur capacité à
établir au niveau de leurs racines une symbiose fixant l’azote de l’air, ces espèces ne nécessitent pas
de fertilisation azotée. Mais cette qualité environnementale intrinsèque aux légumineuses ne peut être
bien valorisée, si l’ensemble du système de production n’est pas cohérent, ainsi que l’illustre le cas du
soja. En effet, la source majeure de protéines pour les élevages mondiaux est actuellement apportée
par des cultures de soja concentrées sur le Brésil et les USA qui engendrent la déforestation de
certaines zones du globe et des besoins de transports de matières premières sur de longues
distances. Ainsi le développement de systèmes de productions et d’élevages moins dépendants du
soja et intégrant davantage dee protéagineux en Europe, présente des atouts environnementaux
reconnus.
- un besoin mondial pour l’alimentation humaine croissant et déficitaire. La bonne valeur nutritionnelle
des graines de légumineuses pour l’homme est établie. Elle résulte notamment de leur richesse en
protéines (GEPV, 2012), même si d’autres constituants de la graine ont aussi une valeur
nutritionnelle et santé (Champ et al., 2002). La production de protéines animales est facteur de
pertes et une part des matières premières utilisées dans l’alimentation des animaux
monogastriques pourrait être utilisée directement dans l’alimentation humaine. A titre d’exemple, un
porc à l’engraissement recevant une ration de base de céréales et tourteaux de soja, retient environ
32% de l’azote qu’il ingère (Dourmad et al., 1999). Ainsi, face aux besoins d’une population
humaine mondiale estimée prochainement à 9 milliards d’individus, il y a actuellement une remise
en cause des régimes alimentaires très carnés des pays développés pour revenir à des régimes
davantage basés sur les végétaux (Prospective AgriMonde, INRA-CIRAD, 2009 ; EU, The 3rd
SCAR Foresight exercise, 2011).
Dans cette étude, nous caractériserons les productions de protéagineux en Bourgogne, leur utilisation
par les élevages monogastriques, et nous examinerons les possibilités d’évolution et d’interfaçage de
ces deux activités au niveau des acteurs du territoire.
Figure 1 : Evolution dee la spécialisaation des systèèmes d’exploiitation en Bourgogne entre 1970 et 2011
Source : A
Agreste Bourgoggne, 2012, traittement PSDR B
Bourgogne 20122 après recense
ement agricole de 2010
Avec unee collecte 20010 de 650000 t de producction sur 160000 ha de prrotéagineux, la Bourgognne produit
environ 6% de la prroduction nattionale. En ttermes de suurfaces de protéagineux,
p , la région se
s situe à
1,6% dee la surfacee régionale de terres arables, soiit dans la moyenne fraançaise. Avvec l’aide
supplémentaire aux protéagineuxx apportée ppar l’Etat frannçais depuis 2009 (aide dd’environ 1255 €/ha en
moyennee), un accroissement d’environ 50% des surfacess a été consttaté entre 20009 et 2010, à l’instar
du niveaau national.. Aujourd’huui, cette prooduction s’est recentréee en Bourgoogne sur un u noyau
d’exploitaants « fidèlees » aux prootéagineux ppour des raaisons agronnomiques ouu techniquess (apport
d’azote ddans le systèème, effet précédent surr le blé suivaant, introducttion de cultuure de printemmps pour
gérer less adventices, répartition de l’organisaation du travvail, auto-connsommation pour l’élevagge, …) et
expérimeentés dans leurs conduuites culturalles. Le poiss de printem mps est la cculture protééagineuse
dominannte. Elle s’esst concentréee sur des teerres peu contaminées par p Aphanom myces euteiches mais
plus superficielles et à moindre potentiel
p de reendement coomme les Plaateaux de Boourgogne ou encore à
meilleur potentiel coomme le Sennonais et la Puisaye. Lees progrès en e tenue de tige des vaariétés de
printempps récentes ont réduit lees difficultéss de récolte dans les teerres caillouuteuses. En outre, la
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Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne
production de protéagineux d’hiver, déjà mieux adaptés aux situations continentales et de plateaux, a
été permise par des nouveautés variétales récentes suffisamment tolérantes au gel, comme Isard,
Cartouche, Cherokee, James et dans une moindre mesure Enduro.
Les rendements moyens en pois et féverole (années 1983 à 2012, source UNIP) sont respectivement
de 41,8 q/ha et 32,6 q/ha en Bourgogne, contre 45,8 q/ha et 42,4 q/ha en moyenne nationale (soit -4
q/ha pour le pois et -10 q/ha pour la féverole), mais y apparaissent plus réguliers. Dans certaines zones
bourguignonnes, les protéagineux sont mieux adaptés, montrant de réels potentiels agronomiques et de
développement (Figure 3).
Pois déconseillé si parcelle contaminée par Aphanomyces euteiches. Le cas échéant, faire une analyse préalable.
Les cultures d’hiver sont déconseillées dans les sols trop engorgés en hiver.
Pois déconseillé si parcelle contaminée par Aphanomyces euteiches. Le cas échéant, faire une analyse préalable.
Morvan Côte
Féverole
Val de
Pois Pois de Féverole
Centre Nivernais
Plaine dijonnaise de Lupin Soja Colza
viticole Sâone d’hiver printps d’hiver
printps
Bresse
Côte Chalonnaise Sols argilo-limoneux profonds 45-55 q 45-60 q 40-50 q 40-50 q Déconseillé 30-35 q 35-40q
Entre chalonnaise en sols
Loire et Allier Autunois
Limons battants hydromorphes 45-50 q 45-55 q 40-50 q 40-50 q calcaires 30-35 q 35-40q
Chalonnais
Bresse
Sologne Louhannaise
Bourbonnaise
Féverole
Charollais Mâconnais Pois Pois de Féverole Lupin
Bresse de Soja Colza
d’hiver printps d’hiver printps
printps
Clunysois
Brionnais
Limons battants hydromorphes drainés 25-45 q 30-50 q 25-35 q 30-40 q 20-30 q 20-30 q 30-40q
Concernant la production biologique, la Bourgogne est la troisième région de France pour la production
biologique en grande culture. En 2010, 13 000 ha de production de grandes cultures biologiques étaient
recensés, soit 1,6% des surfaces de grandes cultures bourguignonnes (cette proportion est estimée à
1,2% au niveau national) (Agence Bio, 2012 ; Agreste Bourgogne, 2010). En Bourgogne, comme au
niveau national, dans les systèmes en agriculture biologique de grandes cultures ou de polyculture-
élevage, les protéagineux occupent environ 10% de l’assolement.
1.2. De réels avantages pour les systèmes de culture bourguignons avec
protéagineux
De manière complémentaire à l’approche globale de la production de protéagineux en Bourgogne,
l’étude de 28 systèmes de culture avec et sans protéagineux chez 15 agriculteurs bourguignons a eu
pour objectif de répondre à la question sur les intérêts et limites des protéagineux dans les systèmes de
culture bourguignons. Ce travail a été réalisé sur 3 années (Dumas, 2009 ; Mabire, 2010 ; Duc et al.,
2010 ; Payot, 2011) dans le cadre du programme Pour et Sur le Développement Régional – PROFILE
(PSDR PROFILE, 2012), par la Chambre Régionale d’Agriculture de Bourgogne, en lien avec l’INRA,
les Chambres départementales d’Agriculture, les coopératives, les instituts techniques et en s’appuyant
sur la méthodologie développée par le RMT (Réseau Mixte Technologique) « Systèmes de culture
innovants » (RMT SdCi, 2012).
Dans le cadre de cette étude, les objectifs ont été de décrire des systèmes de culture actuels avec et
sans protéagineux dans les principaux contextes pédoclimatiques de Bourgogne et de caractériser
leurs résultats et performances de durabilité, aux niveaux agronomique, technique, économique,
environnemental (y compris énergétique) et social. Pour cela, la méthodologie utilisée s’est articulée en
4 étapes :
` Etape 1 : Recensement des outils et démarches d’évaluation de systèmes de culture, sélection
des critères d’évaluation pertinents (Bockstaller et al., 2008 ; Debaeke et al., 2008 ; Sadok et
al., 2009).
` Etape 2 : Identification et choix des types de systèmes de culture à étudier par le comité de
pilotage de l’étude, en fonction des principales petites régions agricoles productrices de
protéagineux (zones de plateaux à faibles potentiels vs. zones de plaine à plus forts potentiels
agronomiques), des principaux systèmes de culture présents et des différents types de
protéagineux (pois/féverole, printemps/hiver, luzerne, soja) ou de conduites culturales
(Figure 4).
` Etape 3 : Enquête auprès des agriculteurs mettant en œuvre les systèmes de culture
sélectionnés :
o 3.a. Identification dans l’assolement des principaux systèmes de culture présents sur
l’exploitation
o 3.b. Choix du système de culture à étudier et identification des parcelles associées
dans la sole de ce système
o 3.c. Description du système de culture pratiqué (Le Gal et al., 2010 ; Reau et al., 2010 ;
Reau et al., 2012 ; Petit et al., 2012)
` Etape 4 : Caractérisation des performances des systèmes de culture pratiqués, à l’aide des 34
critères sélectionnés à l’étape 1
Pour aller plus loin, une étape supplémentaire consisterait à évaluer en multicritère les performances
des systèmes de culture étudiés, à l’aide du modèle MASC® 1.0. (Sadok et al., 2008, 2009) et de la
caractérisation des 31 critères d’entrée de MASC® à partir du système pratiqué décrit en 3.b. Ce travail
a été pour partie réalisé sur les 12 systèmes de culture étudiés en 2009, mais n’a pas pu être mené sur
les suivants, compte-tenu de la durée de l’étude.
Les 28 systèmes de culture identifiés et choisis au cours de l’étape 2 sont présentés dans la figure 4.
On peut noter l’absence de systèmes en agriculture biologique, du fait de la difficulté à trouver des
systèmes de culture biologiques sans protéagineux.
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M.S. Petiit et al.
Figure 5 : Balance azootée moyennee des 28 systè mes de culturre étudiés, aveec et sans prootéagineux
Intérêt éénergétique des systèmes avec prootéagineux : un atout po our aujourd’hhui et pour demain
L’évaluation de la consommatio
c on énergétiqque à l’écheelle des sysstèmes de cculture montre qu’ils
présenteent des conssommations énergétiques
é s qui varient de 9 100 MJ/ha/an à 177 800 MJ/ha//an, avec
une moyyenne de 133 500 MJ/haa/an. Le détaail des postees montrent que le posste de consoommation
principal est la fertilissation avec 62%
6 en moyeenne, puis lee poste relatif aux matérieels avec 21% % et enfin
les postees relatifs aux phytosanitaires avec 4% et enfinn, la récolte et son transsport avec 13%. 1 Les
systèmes intégrant des protéaggineux préseentent en géénéral une réduction dee leur consoommation
énergétiqque directe et e indirecte de
d –6% à –118,5%, comm me à Bazollees ou à Dem
migny respecctivement,
sachant que des marges de manœuvre suupplémentairees existent sur s l’azote eet dans une moindre
mesure ssur le travail du sol (Figurre 6) .Toutefoois, la consommation éneergétique estt équivalente entre les
systèmes avec et sans s protéaggineux à Tuurcey et Tannerre-en-Puuisaye, voiree supérieuree pour le
système de Brannayy Orval en raaison de la nnon prise enn compte de l’effet précéédent du poiss dans la
fertilisatioon.
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Protéagiineux et élevage de monogaastriques en Bourgogne
B
Une pression phyto osanitaire moindre pourr les systèmes avec protéagineux
Dans le contexte d’EEcophyto 20118, l’IFT (Indiice de Fréquuence de Traaitement) dess systèmes de d culture
étudiés a été analyysé et préssente des vvaleurs légèrrement inférrieures pourr les systèm mes avec
protéaginneux, de -0,11 à -3 points d’IFT (Figuree 7). En effett, le pois a soouvent un IFTT inférieur au blé (4,4
pour un pois d’hiver, 5,7 pour un pois de printtemps, contree 6,1 pour unn blé ou 5,9 ppour une orgge d’hiver,
par exemmple à Jully)), et le pois d’hiver n’esst pas expossé aux pucerrons de printtemps. Par rapport à
l’impact de ces systèèmes sur le milieu, messuré à l’aide de l’indicateeur Iphy de lla méthode Indigo de
l’INRA de Colmar (Bockstaller et al., 2003 & 22006 in Bockkstaller et al., 2008), Iphyy est quasi-ééquivalent
pour touss les systèmes avec et saans pois.
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M.S. Petit et al.
Des marges souvent équivalentes pour les systèmes avec et sans protéagineux
Au niveau économique, les systèmes avec protéagineux présentent des niveaux de marges semi-
nettes1 relativement équivalents, variant de – 50 à + 50 €/ha dans 29 situations (SdC x hypothèse de
prix) sur 42 (Figure 8). Dans 4 comparaisons, les marges semi-nettes des systèmes avec protéagineux
sont supérieures, généralement en hypothèse de prix de vente hauts et prix des engrais hauts (Tableau
1). Dans les sols à bon potentiel agronomique comme à Bazolles, Jully, Brannay P et Demigny, la
nature des cultures du système sans protéagineux a des conséquences sur la marge : en effet, les
rendements des céréales supérieurs à ceux des protéagineux permettent d’atteindre dans les
hypothèses de prix retenues (tenant compte des équilibres de prix des marchés) des marges semi-
nettes à la culture supérieures et de facto supérieurs à l’échelle du système de culture.
Figure 8 : Marges semi-nettes (aides supplémentaires protéagineux comprises) des 28 systèmes de culture
étudiés, avec et sans protéagineux, selon 3 hypothèses de prix (H1 : prix de vente et prix des engrais bas ; H2 :
prix de vente hauts et prix des engrais bas ; H3 : prix de vente et prix des engrais hauts)
Tableau 1 : Détail des scénarios de prix de vente pour les productions et de prix des engrais
Hypothèse 1 Hypothèse 2 Hypothèse 3
Prix de vente et prix des engrais Prix de vente hauts et prix des Prix de vente et prix des
bas engrais bas engrais hauts
Prix de vente des productions pour les principales cultures
Prix de vente Blé 100 €/T 160 €/T 160 €/T
Prix de vente Colza 250 €/T 350 €/T 350 €/T
Prix de vente Pois 130 €/T 180 €/T 180 €/T
Prix de vente Féverole 190 €/T 250 €/T 250 €/T
Prix de vente des engrais
Prix de l’azote N 0,6 €/kg 0,6 €/kg 1,2 €/kg
Prix du phosphore P 0,6 €/kg 0,6 €/kg 1,2 €/kg
Prix de la potasse K 0,5 €/kg 0,5 €/kg 0,8 €/kg
Les performances des systèmes de culture étudiés invitent les agriculteurs et les agronomes à revisiter
les systèmes de culture avec protéagineux pour optimiser leurs résultats et leurs performances,
notamment en intégrant les effets précédents des protéagineux en particulier pour la gestion de la
fertilisation et de facto pour l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi en raisonnant
leurs marges non pas à la culture mais à l’échelle du système de culture pour intégrer les effets et
synergies du système.
1La marge semi-nette permet d’apprécier la rentabilité du système de culture à court terme. Elle se définit ainsi : produit brut
+ aides couplées (y compris aide supplémentaire protéagineux) – charges opérationnelles – charges de mécanisation.
109 ha /
exploitation 132 ha /
exploitation
146 ha /
exploitation 103 ha /
exploitation
Malgré la très faible densité des élevages porcins en Bourgogne (8,7 porcs/km2 de SAU contre
49,9/km2 de SAU au niveau national), la région Bourgogne est pénalisée par la constitution
d’associations opposées à l’élevage porcin.
Pourtant, face à ce constat pessimiste, la filière porcine possède aussi de nombreux atouts en
Bourgogne. Ainsi, des gains de compétitivité sont possibles grâce :
• à la situation des élevages porcins sur des exploitations céréalières ou polyculture-
élevage pouvant valoriser les effluents d’élevage,
• à la possibilité de réduire le coût alimentaire par l’utilisation de céréales et protéagineux
de proximité mais aussi des coproduits de l’industrie agro-alimentaire.
Source : IN
NTERPORC Boourgogne, 20122
Sur la mmajorité des élevages, lees grandes cultures sonnt présentes et les prodduits contribuuent à la
fabricatioon d’alimentss. Sur 461 exxploitations, sseules 14 exxploitations possèdent
p mooins de 1 ha de SAU,
mais ellees détiennennt 17% des porcs.
p Les aautres unités,, soit 447 éleevages explooitent 54 4000 ha, soit
122 ha een moyenne. Des protéaggineux sont pproduits par 61 6 de ces exploitations ett sur 765 ha, soit 12,5
ha/explooitation (Agreeste – recenssement agricoole 2010). Lees démarchees qualité ontt fortement progressé
p
ces deuxx dernières années
a (Figuure 10). Ainssi, la production de porcss label rougee a progresséé de 10%
en 2011 par rapport à 2010 pour atteindre 200 300 animauux et la produuction de porrcs biologiques est en
hausse dde 30% maiss dans un volume beaucooup plus faible de 2 300 animaux.
Figure 111 : Répartitionn des élevagess de volailles een Bourgognee (Source : ITAV
VI à partir des eenquêtes Agresste)
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Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne
bovins notamment en Saône et Loire. Dans les départements à plus grande vocation céréalière, l’atelier
avicole est une source complémentaire de revenu par rapport à l’atelier céréales, contribuant à la
fertilisation. La diversification permet aussi une meilleure organisation du travail avec l’installation d’un
jeune agriculteur dans le cadre familial et hors cadre familial.
Sur la majorité des élevages, les grandes cultures sont présentes. Sur 528 exploitations détenant plus
de 1 000 volailles, 118 possèdent moins de 1 ha de SAU, mais elles détiennent 32% des volailles. Les
autres unités, soit 410 élevages exploitent 39 498 ha, soit 96 ha en moyenne. Des protéagineux sont
produits par 37 de ces exploitations et sur 421 ha, soit 11,40 ha/exploitation (Agreste – recensement
agricole 2010).
La filière volailles de chair en Bourgogne. En 2010, selon le recensement général agricole, 2 191
exploitations détiennent des volailles pour 2 700 exploitants. Le nombre d’exploitations retirant un
revenu conséquent de l’activité volailles de chair est plus modeste, soit 399 élevages. Sur la période
2000-2010, la production globale toutes volailles connaît une hausse de près de 10% en Bourgogne.
Alors que la production de poulets de chair augmente de 21%, les productions de dindes, canards,
pintades enregistrent respectivement des baisses de 73, 41 et 45%.
Une forte proportion d’élevages se situe sous signes officiels de qualité avec 81 AOC Bresse, 136 Label
rouge et 62 sous Critères de Qualité Certifiés, pour 120 conventionnels. Pour 25,2 millions de têtes
totales produites en Bourgogne on recense 3,8 millions de volailles sous signes d’identification de la
qualité et de l’origine SIQO (Label Rouge, AOC et Bio) et 11,6 millions en Certification de conformité
des produits avec alimentation sans OGM. La production Bio est encore marginale mais elle progresse.
On dénombre 40 exploitations Bio avec un atelier volailles produisant 50 000 volailles de chair et
23 000 poules pondeuses.
La filière œufs en Bourgogne. Avec un effectif de 0,55 millions de poules, la région produit environ 1%
de la production nationale d’œufs avec une majorité de la production localisée en Saône et Loire
(Figure 12). La production en agriculture biologique est en expansion en Bourgogne depuis fin 2011,
date de l’échéance de la mise aux normes bien-être des poules pondeuses.
Figure 12 : Répartition des poules pondeuses et de la production d’œufs entre les 4 départements bourguignons
(Source : AGRESTE – mémento de la statistique 2010)
47 000 poules pondeuses CDPO
3 680 000 œufs
89
21
Cocorette 40 000 poules pondeuses
6 216 000 œufs
58
71 LOUHANS
55 000 poules pondeuses 1 centre de
3 640 000 œufs conditionnement
CHAROLLES 396 000 poules pondeuses
1 centre de 108 080 000 œufs
conditionnement
2-1-3 Plaace des prottéagineux dans les alim ments pour porcins
p et vo
olailles
La production d’alim ments pour animaux moonogastriqu ues en Bourg gogne
La régioon Bourgogne possède une u forte traadition de faabrication d’aaliments du bétail. La production
d’aliments pour anim maux monogastriques hoors fabrication à la fermee en Bourgog ogne était dee 294 700
tonnes een 2010 (FrranceAgriMer 2010), soiit environ 3% % du chiffree national, eet proche duu volume
d’aliments produits en Bourgognee pour les bo vins.
La consoommation d’aaliments par les élevagess de monogaastriques bouurguignons eest estimée à 265 000
tonnes ddans laquellee la part des protéines appportée par les tourteauxx de soja d’im
mportation esst élevée,
mettant la Bourgognne comme laa France sur un taux d’aautosuffisancee en protéin es pour les élevages
voisin dee 50%.
Il y a unne forte traddition d’alimeents fabriquéés à la ferme en producction porcinee, et on peuut estimer
qu’enviroon 11 000 toonnes d’alim ments sont pproduits et utilisés
u à la ferme à parrtir des prottéagineux
récoltés.
Figure 133 : Productionn des Fabricannts d’Aliment ddu Bétail de Bourgogne en 2010
2
L’incorpooration de protéagineux
p x collectés ddans les aliments pourr monogastrriques est un u usage
dominannt parmi les 65 6 000 t colleectées, maiss il y a aussii une exportaation importaante. La Bouurgogne a
une tradition exportatrice des prooductions véggétales puisqque 40 à 50% % de sa prodduction céréaalière part
vers l’exxtérieur et nootamment veers l’Italie et que la majoorité du colzaa est expédiiée pour trituuration et
productioon de diesteer vers Le Mériot (10) et Sète (34). On O estime à 20 000 t la part de prottéagineux
exportéee vers les fabricants
f d’aaliment du bétail de Sardaigne ouu Corse (maarché facilitéé par les
logistiquees fluviales-mmaritimes auu départ de SSt Usage (211) ou Pagny (21)) et à 440 000 t (souurce Dijon
Céréaless) le tonnagee d’incorporaation de prottéagineux coollectés danss les formulees des alimeents pour
porcs et volailles. Un petit reliquat est probabllement utiliséé par des rum
minants.
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Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne
Tableau 2 : Teneur en acides aminés en % de la protéine brute des pois et féverole en comparaison aux
tourteaux de colza et soja, et relation aux besoins en acides aminés essentiels du porc et poulet
Teneur en acides aminés en % de la protéine brute
Matière 1ère Lysine Méthionine Méth. + cystine Thréonine Tryptophane
Pois 7,3 1 2,3 3,8 0,9
Féverole 6,4 0,7 2 3,6 0,8
T. Colza 5,3 2 4,5 4,3 1,2
T. Soja 6,1 1,4 2,9 3,9 1,3
Blé 2,9 1,6 4 3,1 1,2
Besoins alimentaires pour porc engraissement et poulet de chair en g/kg
Porc 9,2 2,6 6 6 1,85
Poulet 11,0 5,5 9 7 2,30
Source : IFIP
une ruptture dans l’évolution dees températuures : à partir de 1987, on constatte une augm mentation
régulièree significativee de la température moyeenne annuelle de 0,5°C tous les 10 aans (Figure 14), avec
une plus grande augmentation
a n des temp ératures maaximales que des temppératures minimales,m
l’augmenntation étantt plus marquuée dans le sud que daans le nord de la Bourggogne. En répartition r
annuellee, ce réchaufffement est plus importaant au printeemps et en été, moins een automne (Cuccia,
2008 ; R
Richard et al., 2010).
Le risquee de dégâts de gel hiverrnal n’est pass bien relié aux
a températtures minimaales observéees. Il faut
prendre en compte l’’acclimatationn des plante s, ce que noous avons réaalisé dans lee programmee PSDR –
PROFILE E (Duc et al., 2010) en paramétrant ppour le pois unu modèle d’estimation d e la résistance au gel
hivernal initialement mis au pointt chez le bléé (Lecomte et e al, 2003). L’acclimatatioon apparaît meilleure
dans la pplaine de Saôône que sur les reliefs ouu dans le Nivvernais où, du fait de pluss grandes altternances
de tempéératures, les risques de dégâts
d sont pplus élevés (Figure
( 15). Dans
D les annnées à venir, le risque
de gel nee sera pas diminué,
d danss la mesure où on devraait observer ded plus granddes alternances entre
périodess de gel et e période de d redoux conduisant à des cyccles répétéss d’endurcisssement /
désenduurcissement des plantes.. A la compposante de résistance
r auu gel, les séélectionneurss devront
associerr des caractééristiques de tolérance auux principaless maladies, ded tenue de ttige, de tolérrance à la
sécheressse et aux coupsc de chhaleur, et dee potentiel dee rendementt. Les mêmees objectifs variétaux
s’appliquuent aussi à lal féverole.
Figure 155 : Estimationn des risques de gel en Boourgogne entrre 1987 et 20009 (stress cum mulé en °C, obtenu
o en
croisant ddes statistiquees climatiques sur une maillee fine avec le modèle de caalcul de la résiistance au gell)
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Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne
Levier 2. Faire évoluer les systèmes de culture pour amplifier les surfaces de protéagineux
Le programme Européen GL-PRO (2006) avait confirmé l’intérêt et la possibilité d’une introduction plus
importante des protéagineux dans les systèmes de culture européens. Pour la Bourgogne, l’introduction
de protéagineux en précédent au blé ou au colza (résultats du CASDAR pois–colza-blé2,), et l’adoption
de cultures en associations protéagineux–céréales sont des pistes prometteuses, notamment pour
améliorer les bilans azotés, sanitaires et environnementaux (Corre-Hellou et al., 2006 ; Louarn et al.,
2010). Pour l’exploitant, nos résultats ont montré la rentabilité de rotations incluant des protéagineux
dès lors qu’elle est estimée à l’échelle du système et non uniquement de la culture annuelle. La culture
de protéagineux apporte aussi des avantages : le colza, semé en août, récupère l’azote du pois, aspect
non négligeable car la fumure est alors nulle. Néanmoins, tant que des variétés résistantes ou
tolérantes à Aphanomyces ne seront pas disponibles, la vigilance par rapport au développement du
champignon pathogène doit rester une précaution majeure. Il faut ainsi respecter un retour à 6 ans
minimum du pois, et encourager des alternances pois-féverole quand cela est possible. En effet, la
plupart des variétés de féverole n’étant pas hôtes du pathogène, le potentiel infectieux du sol diminue
après cette culture. Cette diminution n’est cependant pas plus importante qu'avec une autre culture
non-hôte (Moussart et al., 2012).
Pour construire une masse significative de protéagineux pour la collecte bourguignonne, tout en
intégrant les précautions sanitaires précédemment soulignées, un doublement des surfaces en les
faisant passer de 2 à 4% de la surface arable parait réaliste. Il permettrait de retouver le pic de surfaces
de protéagineux de 1993. Cette production supplémentaire serait utilisable en intra-Bourgogne
pourl’alimentation des monogastriques, des polygastriques et de l’homme, et exportable. Des effets
environnementaux associés seraient non négligeables puisque dans son rapport 2009, le Commissariat
Général au Développement Durable estime que le passage de 4% à 7% des surfaces arable française
en légumineuses cultivées, économiserait environ 10% d’épandages d’engrais minéraux et réduirait les
émissions de gaz à effet de serre d’environ de 1,8 Mteq CO2 (CGDD, 2009). A partir du diagnostic et de
l’évaluation multicritère des SdC étudiés dans le programme PSDR PROFILE un groupe de travail a été
organisé, associant des conseillers en productions végétales des Chambres d’Agriculture, afin de
proposer des évolutions de 2 systèmes de culture étudiés avec protéagineux visant à améliorer leurs
performances économiques et environnementales. Cet exercice a mis en évidence une marge de
progrès en matière de performances environnementales (vis-à-vis de l’impact des phytosanitaires avec
l’indicateur Iphy, de la balance azotée, de l’impact des pertes d’azote avec l’indicateur IN) avec des
changements que les agriculteurs seraient prêts à envisager dans leurs pratiques (alternance du labour,
réorganisation de la rotation). Une large diffusion des références acquises sur protéagineux, et sur les
systèmes de culture avec protéagineux, et un bon interfaçage des acteurs, figurent parmi les leviers
nécessaires pour développer une production durable et l’utilisation des protéagineux en Bourgogne,
avec la formation des agriculteurs pour maîtriser ces nouvelles cultures et stabiliser les rendements et
de la qualité.
Levier 3. Augmenter les taux d’incorporation des protéagineux dans les élevages
Le pois protéagineux présente l’avantage de diversifier les sources de protéines et ne présente pas de
problèmes de mycotoxines au champ. En alimentation porcine, il est complémentaire au tourteau de
colza. Le passage d’un taux d’incorporation de protéagineux fréquent de 25% à 30% permettrait
d’incorporer 4 500 t de plus chez le porc. Ce tonnage serait conforté par le développement de la
2Co-financé par les pouvoirs publics (Casdar AAP 7175) de janvier 2008 à avril 2011, le projet Pois-Colza-Blé (Amélioration
des performances économiques et environnementales de systèmes de culture avec Pois, Colza et Blé ) associait les
partenaires suivants : INRA (Grignon, Dijon), CETIOM (Grignon, Mons, Bourges), ARVALIS – Institut du Végétal, Chambres
d’agriculture de Mayenne, Moselle, Nièvre et Yonne, Agroscope Reckenholz –Tänikon (Zurich, Suisse), ESA (Angers), UNIP
(Paris) (coordinateur).
fabrication d’aliments à la ferme dont les équipements pourraient être accompagnés par des aides
publiques, notamment dans le cadre du futur Contrat de Projet État-Région. Dans un contexte de
flambée des prix des matières premières, les ratios de prix pois/soja et pois/blé sont de plus en plus
favorables à l’introduction du pois pour les volailles. Selon les orientations, un passage 15 à 20% du
taux d’incorporation de protéagineux permettrait d’incorporer 7 000 t de protéagineux de plus. C’est
donc environ 12 000 t supplémentaires qui pourraient être consommées par les monogastriques. Dans
une hypothèse où des productions en association pois-blé, féverole-triticale ou autres se
développeraient, elles pourraient être facilement utilisées en aliments de monogastriques, avec la
demande a priori de mieux maîtriser la composition des mélanges récoltés. Mais dans tous les cas,
l’introduction de protéagineux en Label Rouge restera dépendante des cahiers des charges.
3Co-financé par les pouvoirs publics (Casdar AAP 7175) de janvier 2008 à avril 2011, le projet Pois-Colza-Blé (Amélioration
des performances économiques et environnementales de systèmes de culture avec Pois, Colza et Blé ) associait les
partenaires suivants : INRA (Grignon, Dijon), CETIOM (Grignon, Mons, Bourges), ARVALIS – Institut du Végétal, Chambres
d’agriculture de Mayenne, Moselle, Nièvre et Yonne, ART Agroscope Reckenholz –Tänikon (Zurich, Suisse), ESA (Angers),
UNIP (Paris) (coordinateur).
Figure 16 : Bilan des émissions de gaz à effet de serre des différentes matières premières utilisées pour la
fabrication des aliments du bétail (en kg éq C02 / t de MP)
Dans les élevages, près de 60% de l’impact carbone d’un produit animal (lait, œuf, viande) provient de
l’utilisation des aliments concentrés, dont 85% sont dus à la production des matières premières. Parmi
les différentes matières premières utilisées en alimentation animale, le pois est celle qui a le plus faible
taux d’émission de GES (Figure 16). Cela s’explique par l’absence de fertilisation azotée et de
transformation industrielle de cette matière première.
Les coûts de transport varient de 13 à 20 € / t selon le départ Huningue ou Montoir de Bretagne
(AIRFAF Nord-Est 2008). Une production localisée en Bourgogne pourra abaisser ces coûts et les
impacts environnementaux négatifs associés. Par ailleurs, la redistribution des aliments par les
fabricants d’aliment du bétail est plus onéreuse en Bourgogne qu’en Bretagne, du fait de la faible
densité des élevages. La présence en Bourgogne d’un réseau fluvial permettant un export à faible coût
de transport vers la Méditerranée est un facteur favorable aux activités d’exportation.
caractéristiques permettra de se libérer de la compétitivité en coût subie par les protéagineux par
rapport aux autres matières premières. Le coût restera toujours essentiel, et d’autant plus s’il n’y a pas
de revalorisation en aval auprès des consommateurs. En revanche, il peut y avoir des contraintes
règlementaires environnementales qui privilégieraient la culture de protéagineux au même titre qu’il y a
des contraintes européennes en bien-être animal. Parmi les acteurs, ceux qui se situent à des points
nodaux tels que le collecteur, le politique, l’interprofession, le développement et l’enseignement,
peuvent agir avec des leviers complémentaires.
Conclusions :
Au plan biotechnique, notre étude a bien identifié des potentiels significatifs d’augmentation de la
production de protéagineux et de leur utilisation par les monogastriques en Bourgogne.
Pour accompagner cette évolution, une activité de recherche est appelée pour adapter les variétés et
les systèmes de culture à une agriculture utilisant moins d’intrants. Les productions en Bio renforcent
les demandes de variétés résistantes aux principales maladies et ravageurs, et font apparaitre la
demande variétés mieux adaptées aux cultures en associations. Tout en s’inscrivant de façon
cohérente dans des stratégies de diversification et de l’agroécologie, les cultures légumineuses à
graines devront néanmoins présenter des caractéristiques de production fiable et de qualité maîtrisée.
Cela passera notamment par des plantes qui, valorisent aux mieux leurs ressources et leurs symbioses.
Les préoccupations environnementales et des productions végétales et animales sous signes de qualité
peuvent encourager cette évolution, mais à condition de bien identifier et valoriser ces contributions. Un
tel contexte renforcera alors une liaison fonctionnelle et en circuits courts entre les secteurs d’amont et
d’aval, et cela d’autant plus que le cahier des charges appelant à la traçabilité et à des qualités
certifiées sera contraignant. C’est notamment dans le domaine des productions Bio en fort
développement actuellement en Bourgogne qu’on voit s’amplifier une logique de territoire et des
liaisons entre acteurs, qui se structurent autour de la définition de cahiers des charges et de la
contractualisation, afin de sécuriser des volumes d’approvisionnement et objectifs quantitatifs de
production.
L’évolution des protéagineux en fonction de cet interfaçage régional culture x élevage va aussi
lourdement dépendre des éléments des filières végétales, eux-mêmes soumis aux évolutions de prix
des énergies fossiles et des engrais et à de nouvelles réglementations environnementales, à l’évolution
des attentes sociétales sur les cultures énergétiques et le non-OGM, ou encore aux besoins protéiques
croissants de l’alimentation humaine.
Remerciements :
Nous remercions Marie-Hélène Jeuffroy (INRA, UMR 0211, Agronomie INRA-AgroParis tech
Thiverval-Grignon-78), Violaine Deytieux (INRA UE-Domaine d’Epoisses-21), Catherine Henault
(INRA - UR Science du Sol, Orléans-45), André Leseigneur (AgroSup Dijon, UMR 1041 CESAER),
ainsi que les élèves ingénieurs Laurent Druot, Mélissa Dumas, Jean-Baptiste Mabire, Benoît Payot
pour leur contribution au projet PSDR-Profile. Nous sommes reconnaissants au Conseil Régional de
Bourgogne et à l’INRA cofinanceurs de PSDR-Profile, à Sandrine Petit (INRA-CESEAR Dijon-21)
animatrice des projets PSDR en région Bourgogne, ainsi qu’à Corinne Peyronnet (UNIP-Paris 75),
Michel Laderach et Gérard Million (Dijon Céréales-21), Christophe Didier et Jean-Luc Denis (Société
Volailles DUC, Chailley- 89) qui ont apporté leur expertise précieuse à cet article.
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Abstract Toward an innovative forage system for mixed crop-livestock farming: the approach
initiated at Lusignan
This article presents the results of a collaborative thought organized to build a research project on
innovative forage systems achieving the new challenges that dairy farming will have to face, and which
gathered researchers of INRA, a representative of the Scientific Interest Group “GIS Elevages Demain”,
as well as professionals and association representatives. The new forage systems were built in the
frame of mixed crop-livestock farming and they will aim to make the best use of abiotic and biotic factors
and of climate change, while saving water and energy resources and preserving or enhancing soil
fertility. These so-called “bioclimatic systems” will have the additional main objectives to have limited
adverse effects on environment and to contribute to attenuate climate change, while assuring the
welfare of farmers and animals, and expectations of society. The bioclimatic forage systems will be
prototyped to fit for the climate change that will occur in the medium term on the leading dairy regions of
France. It will be implemented in a pluriannual experiment at the farm scale in Poitou-Charentes area,
assuming its current climatic conditions foreshadow the future climate of these leading dairy regions.
The whole mixed crop-dairy system will be redesigned by relying on agroecological approaches based
on the diversification of forage resources using efficiently rainfall water and solar energy and well suited
to the natural properties of the farm land (new species and mixtures including woody plants), on the
development of grazing, a larger use of legumes, and on the recycling of water and nutrients. Key
elements on the management over time of this diversity and of the three-dimensional space (herb,
shrub and tree layers) to enhance the resilience of the system will also be developed. The animal
requirements will be adjusted to a certain extent through calving dates or the breed type. Water and
energy management will be optimized at the farm level, in order to save as much as possible these two
resources. This project is still under co-construction and you are invited to contact us (sfi@listes.inra.fr)
and to contribute to it. In the longer term, this project aims also to network multidisciplinary partners
interested to work on bioclimatic forage systems at various levels.
Keywords: Forage system, mixed crop-livestock farming, bioclimatic milk, Poitou-Charentes,
diversification, grazing, crops, woody plants, ruminants, water, energy, participatory design, agroecology
Introduction
L’élevage laitier doit faire face à de nouveaux défis : maintenir sa production en s’adaptant à la fois au
changement climatique et à la raréfaction des ressources en énergie fossile, tout en étant respectueux
de l’environnement.
Dans le Grand Ouest, principal bassin laitier français (50% du lait produit en Bretagne, Pays de Loire et
Normandie), il est prévu selon les différents modèles de changement climatique une augmentation de la
fréquence des sécheresses estivales et des événements climatiques extrêmes (Déqué, 2011), qui
risquent d’aggraver les pénuries de fourrages déjà observées, comme par exemple en 2011. Les
tensions sur la ressource en eau risquent également de s’accentuer, le changement climatique
induisant une baisse de la restitution d’eau au milieu sous l’effet conjugué de l’augmentation des
températures (et donc de l’évapotranspiration des plantes) et d’une baisse probable des précipitations
notamment dans l’Ouest de la France (Itier, 2010).
En revanche, une augmentation des températures au début du printemps et à la fin de l’automne
pourrait favoriser la croissance des plantes fourragères à ces périodes où les réserves en eau du sol
sont en principe bien pourvues. L’augmentation de la concentration en CO2 atmosphérique devrait
également avoir un effet bénéfique sur la production de biomasse des plantes en C3 (Durand et al.,
2010).
L’extraction de pétrole et gaz fossiles risque d’atteindre son pic avant 2020 (Murray et King, 2012) ce
qui aura un impact important en agriculture sur les coûts de production liés aux intrants de synthèse,
comme par exemple les engrais minéraux azotés.
De nouveaux systèmes laitiers doivent donc être conçus afin de faire face aux effets combinés du
changement climatique et de la raréfaction des ressources en eau et en énergie, tout en répondant aux
attentes contrastées des divers porteurs d’enjeux (éleveurs, conseillers, filière, société civile, décideurs
politiques, …), portant notamment sur une sécurisation de l’approvisionnement en fourrages et sur la
préservation de l’environnement.
Afin de concevoir de nouveaux systèmes qui soient « profondément durables », Hill (1998) préconise
d’utiliser une approche globale du changement, selon lui plus efficace que les stratégies visant
simplement à améliorer l’efficacité d’une technique ou d’un produit, ou à les substituer par d’autres
techniques ou produits. Cette notion de « deep design / redesign » définie par Hill (2006) comporte à la
fois l’idée d’une rupture avec le système existant, et une volonté de considérer le système de
production dans son ensemble. Elle est particulièrement présente dans les approches agro-écologiques
(e.g. Gliessman, 2006) et holistiques (e.g. Savory et Butterfield, 1999).
Plusieurs études ont par ailleurs montré que pour favoriser l’émergence et l’adoption d’innovations, il est
important que le processus de conception implique à la fois des chercheurs de disciplines variées et
des porteurs d’enjeux (Le Gal et al., 2011).
Dans ce contexte, un groupe de travail missionné par six départements scientifiques de l’INRA et
composé des trois co-auteurs de cet article, a travaillé à la construction d’un programme de recherche
sur des systèmes fourragers innovants associant cultures et élevage, en rupture avec les systèmes
existants, qui sera mis en œuvre sur l’unité expérimentale Fourrages et Environnement de l’INRA de
Lusignan (UEFE) en Poitou-Charentes. Ce travail s’inscrit dans la suite d’une réflexion prospective plus
large sur les systèmes fourragers initiée en 2009 par plusieurs départements scientifiques de l’INRA, et
approfondie par un premier groupe de travail pluridisciplinaire composé de scientifiques de l’INRA
(Plantureux et al., 2010). Cet article présente la méthodologie mise en œuvre par le second groupe de
travail, ainsi que les premiers résultats et conclusions de ce travail et quelques perspectives.
Méthodologie
Nous avons dans un premier temps, constitué un groupe de réflexion associant des chercheurs et des
partenaires du monde professionnel et associatif intéressés par l’élaboration de nouveaux systèmes
fourragers en polyculture-élevage. Les objectifs étaient également de disposer d’un panel de domaines
d’expertise assez large pour prendre en compte les principales composantes du système fourrager,
mais également de regrouper un collectif de personnes ayant a priori des points de vue différents. Afin
de faciliter les échanges d’idées, les participants n’ont eu connaissance de la structure d’appartenance
des autres membres du groupe qu’à l’issue du premier atelier de réflexion.
Le travail de réflexion du groupe ainsi constitué s’est déroulé sur trois journées (ou ateliers) espacées
d’un mois (Tableau 1). Les deux premiers ateliers avaient pour objectif de faire émerger des innovations
sur les systèmes fourragers, et le troisième visait à réfléchir à un projet de recherche appliquée sur
l’UEFE.
L’animation des ateliers s’est appuyée sur une méthode appelée « fertilisation croisée des idées»
utilisée en innovation. Cette méthode permet de faire émerger des idées en suscitant la créativité, et de
les approfondir en favorisant les interactions positives entre participants.
La première journée d’échange a permis de faire émerger une cinquantaine d’idées que nous avons
regroupées en sept thèmes (Tableau 2). Cinq idées représentatives ont ensuite été sélectionnées pour
être fertilisées par les participants au groupe de réflexion lors du deuxième atelier.
Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168 161
S. Novak et al.
Tableau 1 : Démarche suivie pour la construction d’un projet sur les systèmes fourragers innovants à l’unité
expérimentale Fourrages et Environnement de l’INRA de Lusignan.
Tableau 2 : Eléments sur les idées émises lors des ateliers de réflexion sur les systèmes fourragers innovants.
Diversifier les ressources fourragères 12 Diversifier les cultures … avec et au-delà des
prairies
Diversifier le système d’élevage 5 -
Avec des arbres ou les ligneux sous 7 Des arbres pour l’élevage
toutes leurs formes
Moins d’intrants 10 Des systèmes fourragers productifs mais auto-
suffisants
Efficience globale par rapport à l’énergie 4 Un élevage laitier qui préserve vraiment l’eau
et à l’eau et l’énergie
Animaux et végétaux adaptés 4 -
Systèmes fourragers territoriaux 10 L’autonomie construite au niveau du territoire
Enfin, le troisième atelier a permis de discuter des objectifs à assigner au système mis en place sur
l’UEFE, et des principales approches qui seront mises en œuvre pour répondre à ces objectifs.
En s’appuyant sur les propositions et discussions ayant eu lieu au cours de ces trois ateliers, nous
avons établi les bases d’un projet de système fourrager innovant à Lusignan, dont les principales pistes
sont indiquées ci-dessous.
Résultats et discussions
Les échanges d’idées entre participants ont été nombreux et constructifs, et nous pensons qu’ils ont été
favorisés par le fait que l’exercice qui leur était proposé sortait de l’ordinaire, tant au niveau du fond que
de la forme.
Ces ateliers de réflexion ont, en premier lieu, été l’occasion pour les participants de discuter des
nouveaux enjeux auxquels doit répondre l’élevage laitier, et dont certains ont été évoqués en
introduction.
Pour répondre à ces multiples enjeux, le groupe de réflexion a préconisé de concevoir de nouveaux
systèmes fourragers tirant le meilleur parti des facteurs abiotiques et biotiques du milieu (eau, sol,
rayonnement solaire, espace disponible, insectes auxiliaires, bactéries symbiotiques …) et des effets du
changement climatique, tout en économisant les ressources en voie de raréfaction (énergie fossile,
eau) et en maintenant voire en améliorant la fertilité du sol afin d’assurer la pérennité du système. Ces
nouveaux systèmes fourragers devront par ailleurs préserver les différents compartiments de
l’environnement (eau, air, sol, faune et flore) et contribuer à atténuer le réchauffement climatique, tout
en assurant la satisfaction des besoins des troupeaux et les attentes des éleveurs et de la société civile.
De tels systèmes ont été qualifiés de « bioclimatiques » par analogie au concept développé en
architecture1.
Les systèmes en polyculture-élevage, associant étroitement productions animales et végétales ont été
considérés comme présentant de nombreux avantages, notamment grâce à leur possibilité de
recyclage des éléments nutritifs, de diversification des activités et d’utilisation des cultures à double fin
(vente ou fourrage).
Il a été décidé par le groupe de réflexion que l’objectif général du système qui sera mis en place à
Lusignan soit de concevoir, de mettre en œuvre et d’évaluer un système fourrager bioclimatique
associant cultures et élevage, adapté aux conditions climatiques futures du Grand Ouest. En effet, les
conditions climatiques actuelles de Lusignan préfigurent celles qui prévaudront vraisemblablement dans
une vingtaine d’années dans le Grand Ouest, principal bassin laitier français.
L’Unité Expérimentale Fourrages et Environnement (UEFE) de l’INRA de Lusignan est située en Poitou-
Charentes, dans la Vienne, sur des sols limono-argileux sur argile rouge appelés « Terres rouges à
châtaigniers » (brunisol, ferro-nodulaire, luvique). L’Unité dispose d’une exploitation qui comporte un
troupeau de 70 vaches laitières Prim’Holstein, et peut mobiliser 140 ha pour tester un système fourrager
bioclimatique associant cultures annuelles, prairies temporaires et des cultures de vente. L’équipe FÉE
(Fourrages, Énergie, Eau) de l’UEFE mène depuis plusieurs années des expérimentations sur des
ressources fourragères économes en eau et en énergie (e.g. Emile et al., 2008 ; Emile et Novak, 2011),
et a inauguré en 2010 un bâtiment d’élevage conçu pour économiser l’eau et l’énergie, comportant
notamment un nettoyage des déjections par hydrocurage.
Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168 163
S. Novak et al.
l’utilisation d’intrants à forte empreinte énergétique (engrais minéraux azotés de synthèse, aliments
concentrés exogènes) en s’appuyant sur une gestion agro-écologique du système. Ainsi, l’utilisation de
plantes aux besoins en rayonnements solaires, en eau, et en éléments nutritifs diversifiés dans le temps
et dans l’espace permet à la fois de mieux valoriser les ressources naturelles du milieu et d’étaler la
production de fourrages dans le temps.
Cette diversification présente également l’intérêt de préserver la qualité de la ressource en eau, que ce
soit vis-à-vis des pesticides, en réduisant le risque de prolifération de bio-agresseurs grâce notamment
à la présence d’auxiliaires ou en contrôlant la prolifération des adventices par la couverture du sol et la
diversité des cycles culturaux (cultures pérennes, alternance de cultures d’hiver et de printemps), ou
vis-à-vis du risque de pollution nitrique, grâce à une réduction des apports en engrais azotés de
synthèse (présence importante de légumineuses) et un meilleur prélèvement des nitrates par les
plantes, à la fois dans l’espace racinaire et dans le temps.
La diversification des espèces cultivées et la présence renforcée des cultures à double fin (fourrages
et/ou récolte en grains) dans les rotations constituent également un élément clé de la résilience du
système fourrager face aux aléas climatiques, permettant une orientation raisonnée de l’utilisation des
surfaces selon les conditions et les risques à moyen et long terme.
L’utilisation de strates arbustives ou arborées constitue également une stratégie innovante pour
sécuriser l’approvisionnement fourrager en période de stress hydrique, pour limiter le stress thermique
des animaux et des couverts végétaux, pour valoriser l’eau présente dans les couches profondes du
sol, et pour stocker du carbone (Jose, 2009 ; Malézieux et al., 2009).
Au niveau zootechnique, la diversification des ressources fourragères est à raisonner d’une part au
niveau de l’adéquation entre les besoins des animaux (ajustement des périodes de vêlage ou du type
génétique voire de la race) et les ressources disponibles et d’autre part, dans le cadre de la
complémentarité entre aliments de manière à constituer une ration équilibrée, en combinant des
fourrages de différentes valeurs alimentaires (stocks, pâturage, affourragement en vert). Les possibilités
d’associer des fourrages « grossiers », présents en quantité importante mais de qualité limitée, avec
des fourrages, des racines ou des fruits de haute qualité (notion de banque énergétique ou protéique)
seront étudiées.
Répondant bien aux objectifs d’économie d’énergie, le pâturage sera un mode privilégié d’utilisation
des ressources, ce qui implique d’étudier la « pâturabilité » de nouveaux types de couverts, purs ou en
mélanges (chicorée, betterave, navets, graminées en C4 tempérées et méditerranéennes), en cultures
annuelles principales ou en couverts intermédiaires. Dans le même objectif, l’implantation de cultures
pérennes ou annuelles auto-ressemées permettant une diminution du travail du sol, de même qu’une
utilisation la plus large possible des légumineuses (fourragères ou à graines) et une meilleure gestion
des effluents seront également recherchées.
Afin d’économiser les ressources en eau souterraine et superficielle, plusieurs stratégies seront
étudiées. Elles reposent sur une meilleure valorisation i) des effluents liquides (ex : eaux brunes
produites par l’hydrocurage), ii) de l’eau contenue dans le sol (par augmentation de sa réserve utile et
diminution de son évaporation ou en esquivant les périodes à fort déficit hydrique par une récolte
précoce) et iii) de l’eau présente dans les fourrages non séchés permettant de limiter le besoin en eau
d’abreuvement des animaux.
Si l’on considère la production d’énergie comme une fonction associée aux systèmes fourragers
bioclimatiques, plusieurs voies peuvent être envisagées comme notamment l’imbrication de panneaux
solaires dans le système, ou la valorisation de la biomasse des arbres et des haies en complément de
leurs rôles fourrager et d’abri.
Des innovations dans l’insertion du système fourrager dans le territoire ont également été discutées,
tant du point de vue du recyclage des éléments nutritifs avec des idées sur des échanges organisés
entre producteurs (paille/ fumier, céréales/légumineuses, utilisation conjointe de parcelles), que du point
de vue de la valorisation des produits passant par une nouvelle organisation des filières (circuits courts,
label de qualité). Des pistes ont également été évoquées concernant l’entretien du paysage (espaces
naturels ou collectifs) ou la création de liens avec la société civile (enseignement primaire ou
secondaire, usagers et acteurs du territoire, …). Cependant, ces réflexions sur une insertion territoriale
du système fourrager ne seront pas mises en œuvre dans un premier temps dans le projet de l’UEFE,
dont l’échelle de travail se limite pour l’instant à l’exploitation.
Le groupe de travail a également initié avec les partenaires une réflexion sur le type d’expérimentations
à mettre en place pour tester un tel système.
Actuellement, les recherches en agriculture sont conduites selon deux grands types de démarche
expérimentale : i/ des expérimentations de type analytique (ou factorielles) à l’échelle de parcelles ou
de lots d’animaux faisant varier un ou deux facteurs à la fois, ou ii/ des expérimentations-système
pluridisciplinaires, multifactorielles et pluriannuelles, conduites à l’échelle de dispositifs caractérisés par
une visée globale et organisée des divers enjeux d’un système de production (Reau et al. , 1996 ;
Meynard et al., 2006).
L’approche « expérimentation-système » nous semble être la plus pertinente pour mettre en
œuvre un système fourrager innovant pour plusieurs raisons. D’une part, elle permet de tester une
combinaison de techniques et de pratiques et d’évaluer la cohérence des techniques entre elles et vis-
à-vis des objectifs à atteindre. D’autre part, elle permet d’évaluer le système de production de manière
globale, et donc de prendre en compte les transferts de pollution qui peuvent avoir lieu d’un
compartiment à l’autre de l’exploitation (par exemple, une pratique peut diminuer les émissions de gaz à
effet de serre lors du stockage des effluents d’élevage, mais les augmenter lors de l’épandage). Il nous
semble également qu’expérimenter dans un cadre défini d’objectifs et de contraintes favorise
l’émergence de techniques ou de pratiques innovantes.
Cependant, des essais analytiques nous semblent également nécessaires, par exemple pour
déterminer la valeur alimentaire de nouveaux fourrages ou pour tester de nouveaux itinéraires
culturaux, afin de piloter au mieux l’expérimentation-système et atteindre les objectifs fixés.
Face à cette double ambition, deux types d’approche ont été identifiés : i/ intégrer des essais
analytiques à l’expérimentation-système en veillant à ce qu’ils soient cohérents avec le cadre d’objectifs
et de contraintes fixés et qu’ils perturbent le moins possible le système, ou ii/ réaliser ces essais en
dehors de l’expérimentation-système en mettant « hors système » une partie du troupeau et des
surfaces (exemple 40 vaches affectées « définitivement » à l’expérimentation-système et 30 vaches
affectées à des essais à court terme, plus analytiques). Au stade actuel de la réflexion, des freins ont
été identifiés dans ces deux approches. Dans le premier cas, il faut veiller à ce que les essais
analytiques conduits sur une partie du système ne perturbent pas son fonctionnement global par leurs
arrières-effets (ex : essais sur la valeur alimentaire impactant durablement un lot d’animaux). Le
deuxième type d’approche complique fortement la gestion des animaux, des surfaces fourragères et
des effluents (plusieurs troupeaux physiques permanents à conduire, associés à des ressources, à des
surfaces fourragères et à des effluents).
Quel que soit le type d’expérimentation mis en place sur le site de l’UEFE, il serait par ailleurs
intéressant de mener des expérimentations en partenariat avec un réseau d’agriculteurs, dans le cadre
d’une recherche participative.
Structure du projet
Sur ces bases, un plan d’action décomposé en trois tâches complémentaires a été élaboré. La première
tâche, centrale, a pour but de concevoir le système fourrager bioclimatique, la seconde vise à
Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168 165
S. Novak et al.
rassembler des éléments de connaissances sur les potentialités des nouvelles ressources fourragères
et leur utilisation dans un contexte « Grand Ouest », et la troisième a pour objectif d’organiser dans le
temps et dans l’espace la gestion des ressources fourragères d’une part, et des ressources en eau et
en énergie, d’autre part.
Tâche 1 : conception du système fourrager bioclimatique
Il s’agira de configurer avec des experts et des opérateurs aux savoirs variés des systèmes fourragers
prototypes associant cultures et élevage en s’appuyant sur les résultats acquis dans les autres tâches.
La méthode utilisée sera adaptée d’une méthode générique développée pour la conception de
systèmes de cultures innovants (Debaeke et al., 2009 ; Reau et al., 2010). La configuration des
systèmes reposera principalement sur l’expertise, les modèles de simulation multiespèces n’étant pas
encore suffisamment performants (Malézieux et al., 2009). Cependant, des modèles simples
d’adéquation entre besoins des animaux et ressources fourragères seront utilisés. Les objectifs du
système seront précisés et hiérarchisés, puis exprimés en termes de critères d’évaluation, en spécifiant
les résultats à atteindre pour chaque critère. Ces critères seront discutés avec des porteurs d’enjeu. Un
jeu de principes et de règles de décision sera également établi pour conduire le système.
Ces prototypes feront ensuite l’objet d’améliorations pas-à-pas lors de la mise en œuvre de
l’expérimentation-système sur le long-terme, notamment grâce à l’apprentissage de ses opérateurs
(Coquil et al., 2011). La mise en œuvre du système est prévue à compter de fin 2013.
Des expérimentations analytiques complémentaires, cohérentes avec les objectifs du système et ne le
perturbant pas, seront également mises en place en fonction des besoins identifiés.
A ces étapes de configuration et de mise en œuvre du système sera associée une étape d’évaluation
multicritère afin de 1/ discriminer les systèmes candidats (évaluation ex ante) et 2/ vérifier si les objectifs
visés par le système sont atteints (évaluation ex post). Cette évaluation multicritère prendra en compte
des critères environnementaux, économiques et sociaux et étudiera l’empreinte du système à différents
niveaux.
Tâche 2 : diversification des fourrages
Un travail exploratoire s’attachera à identifier de nouvelles espèces et variétés de fourrages adaptés au
changement climatique dans un contexte « Grand Ouest » et à une utilisation parcimonieuse des
ressources. Il déterminera également les mélanges, associations et combinaisons permettant de
sécuriser les ressources fourragères quels que soient les aléas climatiques, en s’intéressant également
à la diversité des périodes de production et des modes d’exploitation, à la fois au niveau des cultures
principales et dérobées, et des cultures pérennes. Cette étude concernera aussi bien les espèces
herbacées que ligneuses.
Tâche 3 : gestion intégrée des ressources
L’agencement dans le temps et dans l’espace, en termes d’assolement et de strates, des ressources
fourragères et des cultures de vente sera organisé au niveau stratégique (choix des systèmes de
culture et de leur organisation dans l’assolement), et au niveau de leur conduite en adaptant le pilotage
des systèmes de culture et l’exploitation des ressources fourragères aux conditions climatiques de
l’année considérée. L’implantation d’espèces ligneuses nécessitera d’organiser les trois dimensions de
l’espace sur des pas de temps suffisamment longs pour prendre en compte l’évolution des strates.
Cette organisation de la diversité de ressources fourragères sera réfléchie de manière à satisfaire les
besoins des animaux en combinant des fourrages de valeurs alimentaires pouvant être très différentes.
L’ajustement de ces besoins grâce aux périodes de vêlage, ou grâce à un type génétique animal voire à
une race mieux adaptée sera également étudié.
Conclusions et perspectives
La méthodologie mise en œuvre pour co-concevoir un système fourrager innovant sur une unité
expérimentale de l’INRA de Lusignan a permis d’établir les bases d’un nouveau système, qualifié de
« bioclimatique », grâce à une fertilisation croisée des idées provenant d’experts et d’acteurs d’horizons
variés.
Ce projet n’en est qu’à ses prémices, et beaucoup de questions sont encore en suspens. Il reste
notamment des décisions importantes à prendre en termes de stratégies d’élevage (choix de la race ou
des types génétiques, gestion de la reproduction, conduite du troupeau, élevage des génisses), de
choix des systèmes de culture et d’organisation des strates. Il faudra également statuer sur le nombre
de systèmes à expérimenter, en préciser les objectifs et les hiérarchiser.
Pour cela, le travail de co-conception se poursuit, mais avec un groupe plus restreint qui mobilisera
ponctuellement des experts pour approfondir certaines questions. Ce projet s’appuiera également sur
l’expérience acquise par les équipes de recherche et de recherche-développement ayant déjà mis en
place des expérimentations-système en élevage de ruminants (e.g. Coquil et al., 2009 ; Durant et
Kernéis, 2010 ; Coppa et al., 2012).
Afin que ce projet se concrétise par une plateforme de recherche et d’innovation, des liens forts avec
les partenaires tant scientifiques que du monde professionnel et associatif sont encore à tisser, de
manière à les impliquer durablement. Si vous souhaitez apporter votre contribution, nous vous invitons
à nous contacter (sfi@listes.inra.fr). A plus long terme, ce projet vise également à cristalliser les
réflexions scientifiques sur les systèmes fourragers bioclimatiques.
Remerciements
Nous remercions vivement les participants aux ateliers de réflexion pour leur contribution active à ce
projet, à savoir (par ordre alphabétique) R. Baumont (GIS Elevages Demain), C. Bordet (Solagro), J.
Chemarin (C.A. 86), J.C. Emile (INRA UEFE), A. Farruggia (INRA UMRH), L. Guichard (INRA UMR
Agronomie), P. Guy (FNE), E. Kernéis (INRA DSLP), F. Liagre (Agroof), J.M. Lusson (RAD), C.
Mosnier (INRA UMRH), J. Mousset (ADEME), A. Pfimlin (retraité IDELE), B. Rolland (INRA APBV), P.
Roux (agriculteur 86), F. Sangouard (LEGTA Mirecourt), F. Santi (INRA UAGPF).
Nous remercions également Véronique Saint Ges (réseau Res’Innov, INRA) pour son soutien dans
l’animation des ateliers.
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Gastal F., Julier B., Surault F., Litrico I., Durand J.-L.,
Denoue D., Ghesquière M., Sampoux J.-P.
Correspondance
Francois.Gastal@lusignan.inra.fr
Résumé
Les prairies multiespèces (PMS) sont de plus en plus utilisées, en raison des bénéfices agronomiques
attribués. Toutefois, la composition végétale, les conditions de milieu et de gestion permettant la
réalisation des bénéfices agronomiques potentiels des PMS, ainsi que la nature de ces bénéfices,
restent à déterminer, selon les objectifs de production et de durée dans les rotations. Le corpus de
données expérimentales récentes sur les prairies semées, confirme l’intérêt des PMS. Les associations
de graminées et légumineuses permettent souvent un maintien de la productivité et une amélioration de
la valeur alimentaire avec une réduction de la fertilisation azotée. Les mélanges de graminées
présentent des avantages de productivité annuelle réels mais moins systématiques. Au-delà, les PMS
permettent une meilleure régularité de production intra-annuelle, une meilleure pérennité à long terme
et une meilleure résilience. Dans un contexte de polyculture élevage, le choix des espèces est à
adapter selon les objectifs de durée des prairies. Les PMS permettent également de lutter contre les
adventices. L’analyse détaillée des processus de compétition et de facilitation entre espèces en
mélange, permet d’orienter le choix des assemblages de diversité. L’intérêt de la manipulation de la
diversité intraspécifique, complémentaire de la diversité en espèces, reste à préciser.
Mots-clés : mélanges, légumineuses, graminées, variétés, productivité, valeur agronomique.
Abstract: Interest of grasslands and multispecies perenial forage crops in the context of
mixed crop and livestock farming systems
Multispecies grasslands (MSG) are increasingly used because they are credited agronomic benefits.
However, vegetation composition, environmental conditions and management needed to achieve the
potential agronomic benefits of MSG, as well as the nature of these benefits, still have to be determined,
depending on the objectives of production and duration in rotations. Recent experimental data collected
on sown grasslands confirms the interest of MSG. Associations of grasses and legumes can often
maintain productivity and improve nutritional value with a reduction of nitrogen fertilization. Grass
mixtures have real but less systematic advantages in annual productivity. In addition, MSG allows a
better regularity of within-year production, a better long-term persistency and a better resilience. In the
context of mixed crop and livestock farming systems, the choice of species has to be adapted according
to the objectives of grassland duration. MSG can also contribute to lower weed invasions. A detailed
analysis of competition and facilitation processes between species in a mixture, can guide the selection
of diversity assemblies. The interest of the manipulation of intraspecific diversity, complementary
species diversity, is to state.
Keywords: mixtures, legumes, grasses, varieties, productivity, agronomic value.
F. Gastal et al.
1- Introduction
La révolution verte des dernières décades a conduit à une simplification des prairies et des systèmes
fourragers, accompagnée d’une réduction de la diversité végétale semée et du développement de
monocultures. Cette évolution a été liée à un double contexte i) d’intensification des conditions de
production (développement de la fertilisation minérale, de l’utilisation des traitements phytosanitaires,
raccourcissement des rotations) et ii) d’amélioration génétique appliquée essentiellement à la culture
monospécifique. Dans le contexte actuel de réduction des intrants et de contrainte hydrique et
climatique croissante, les prairies multiespèces (PMS) sont de plus en plus utilisées par les agriculteurs,
en raison des divers bénéfices agronomiques qui leur sont attribués. Parallèlement, l’autorisation de
commercialisation des mélanges en France depuis 2004 est également un facteur qui a conduit au
développement de l’utilisation de ces PMS. Toutefois, les conditions de composition, de milieu et de
gestion dans lesquelles les PMS présentent des avantages agronomiques de diverses natures, restent
dans une large mesure à déterminer et à comprendre de manière objective.
Les systèmes de polyculture-élevage impliquent par définition la coexistence de productions végétales
et animales, qui peuvent interagir entre elles à travers des flux de matières à l’échelle de l’exploitation
ou du territoire (flux d’aliments pour l’élevage, flux d’effluents). Ces différents systèmes de production
interagissent aussi à l’échelle de l’exploitation à travers des successions prairies-cultures annuelles.
Dans ce contexte de polyculture-élevage, la nature et l’intérêt des PMS sont donc à considérer en
fonction des objectifs de production, de valeur alimentaire et de durée de vie des prairies semées.
L’objectif de la présente contribution est de mieux définir l’intérêt des PMS de manière générale, et en
particulier selon leur durée de maintien dans des rotations. Trois questions sont abordées :
- quelles sont les conditions de composition spécifique, de milieu et de gestion qui permettent la
réalisation de l’avantage potentiel des mélanges, en termes de productivité intra et interannuelle, mais
aussi sur les autres composantes de leur valeur agronomique (valeur alimentaire, pérennité, protection
contre les adventices) ?
- quels sont les processus qui peuvent être à la base des avantages agronomiques des mélanges ?
Une meilleure connaissance de ces processus permet d’identifier les conditions de réalisation des
bénéfices des mélanges.
- la diversité intraspécifique peut-elle également contribuer à l’avantage des mélanges ? Chez les
espèces prairiales semées, la diversité génétique est constitutive des variétés semées. La manipulation
de la diversité intraspécifique, au cours de la sélection des variétés et/ou lors constitution des mélanges
(assemblage de variétés) est, dans le contexte des végétations semées, une manière d’élargir la
diversité spécifique.
Dans le contexte des prairies à usage agricole, le semis de mélanges d’espèces fourragères est
pratiqué avec différents objectifs : (1) réduire l’utilisation d’intrants (fertilisation, herbicides), (2)
augmenter la performance agronomique (rendement, valeur alimentaire) ou la maintenir à un niveau
acceptable dans des situations de contraintes pédoclimatiques fortes (notamment sécheresse), (3)
améliorer la régularité de la production fourragère entre les saisons. Ces divers aspects seront illustrés
à partir d’expérimentations conduites sur le site INRA de Lusignan, et seront discutées dans le contexte
plus large de la bibliographie actuelle.
Cette interaction entre les espèces semées et les adventices est également observée dans des
mélanges de graminées. Dans un essai de longue durée, la proportion de sol nu a été notée
visuellement après 8 années d’exploitation. Les prairies composées de fétuque élevée et de fétuque
rouge couvrent nettement plus le sol après 8 années que des prairies sans ces deux espèces. Cette
meilleure couverture du sol limite le développement des adventices dans ces prairies (Figure 1).
Figure 1 : Proportion de sol couvert par les espèces semées et part moyenne des adventices dans la biomasse
récoltée chez 5 associations après 8 années d’exploitation (rythme de coupe rapide, fertilisation azotée normale).
1-Ray-grass anglais, 2-Trèfle blanc, 3-Dactyle, 4-Fétuque élevée, 5-Fétuque des prés, 6-Fétuque rouge
Rendement fourrager
Dans un essai conduit sur le site de Lusignan, 25 prairies composées soit d’une espèce de graminée,
soit de plusieurs graminées (mélanges), soit de plusieurs espèces de graminées et de légumineuses
(associations) ont été comparées entre 2003 et 2010. Le rendement annuel de chaque prairie est
positivement corrélé au nombre d’espèces semées (Tableau 2), et en particulier pour les deux années
les plus productives (2007 et 2008). Ce résultat montre qu’une façon de sécuriser la production
fourragère est de mélanger différentes espèces.
Tableau 2 : Corrélations entre la production annuelle et le nombre d’espèces semées dans les mélanges de
graminées et de graminées/légumineuses, sous deux niveaux de fertilisation et deux fréquences de coupe.
Mode d’exploitation 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Fréquent / N -
Graminées 0.06 0.16 0.38 0.50 0.59 0.22 0.36
Graminées/Légumineuses 0.27 0.29 0.26 0.56 0.53 0.37 0.24
Fréquent / N +
Graminées 0.35 0.42 0.52 0.58 0.61 0.15 0.50
Graminées/Légumineuses 0.15 0.33 0.32 0.46 0.37 0.27 0.24
Lent / N -
Graminées -0.04 0.03 0.12 0.55 0.22 0.40 0.43
Graminées/Légumineuses 0.05 0.08 0.01 0.22 0.20 0.05 0.10
Lent / N +
Graminées 0.08 0.24 0.41 0.55 0.38 0.47 0.53
Graminées/Légumineuses 0.03 0.72 0.68 0.56 0.86 0.59 0.70
Cependant, les potentiels de rendement des différentes espèces sont très contrastés, et sont affectés
par les conditions pédoclimatiques et les modes d’exploitation. La composition spécifique des mélanges
doit donc être raisonnée en fonction de l’adaptation de chaque espèce aux contraintes subies par la
Valeur alimentaire
Au-delà de la productivité, la valeur alimentaire du fourrage est également un élément important pour
l’alimentation des ruminants. Les associations graminées-légumineuses étudiées dans le dispositif de
Lusignan et cultivées sans fertilisation azotée, autorisent les productions de matière azotée totale
(MAT) les plus élevées. L’association composée de 4 espèces a une production de matière sèche
digestible supérieure aux meilleures graminées cultivées seules et fertilisées. La présence d’une
légumineuse comme le trèfle blanc améliore nettement la teneur en MAT du fourrage récolté, voire
aussi sa digestibilité.
Tableau 3 : Proportion de légumineuses, production de matière digestible et de matière azotée (t/ha) cumulée
sur 5 années (2004–08), digestibilité et teneur en MAT moyennes de mélanges de graminées et légumineuses.
Production Production Teneur en
Légumineuses Digestibilité
matière matière MAT
Type de prairie dans les moyenne
digestible azotée moyenne
couverts (% MS)
(t/ha) (t/ha) (% MS)
RGA fertilisé - 31,4 5,3 77,9 13,3
Dactyle (D) fertilisé - 37,2 6,9 72,5 13,5
Fétuque élevée (FE) fertilisé - 36,0 6,5 69,4 12,6
RGA+TB 67 % 35,3 8,9 78,6 19,9
RGA+D+FE+TB 52 % 39,1 9,4 75,0 18,0
Association 8 espèces(1) 52 % 35,1 8,5 75,7 18,3
(1) RGA+dactyle+fétuque des prés+pâturin+fétuque rouge+fléole des prés+trèfle violet+trèfle blanc.
En revanche, l’augmentation de 4 à 8 du nombre d’espèces dans les couverts ne semble pas améliorer
la production de MAT ou de matière digestible. Ainsi, ces résultats illustrent que la diversité en espèces
peut présenter des avantages significatifs en termes de valeur alimentaire.
Dans un autre essai agronomique, des associations binaires luzerne-graminée ont été comparées à
une luzerne témoin cultivée seule. Avec certaines espèces de graminées comme la fétuque des prés ou
le festulolium, la production en première et dernière coupes est supérieure à la luzerne témoin (Figure
3). Ces graminées, plus précoces que la luzerne au printemps et moins sensibles au froid à l’automne,
autorisent un allongement de la période de production.
Les mélanges permettent donc de profiter des différences de caractéristiques de végétation des
espèces, au printemps, en automne et éventuellement en été. L’effet positif obtenu avec le trèfle blanc,
qui démarre relativement tardivement au printemps, dénote une interaction positive entre espèces. Ces
exemples montrent que les mélanges d’espèces peuvent permettre d’améliorer la régularité de la
production au cours de l’année.
Figure 3 : Production fourragère (t MS/ha) d’associations luzerne-graminée et d’une luzerne pure témoin en
première année d’exploitation.
Figure 4 : Evolution sur huit années de la part des espèces dans un mélange semé avec trois graminées (ray-
grass anglais, dactyle, fétuque élevée) et dans une association semée avec huit espèces (ray-grass anglais,
dactyle, fétuque rouge, fétuque élevée, fétuque des prés, fléole des prés, pâturin des prés, trèfle blanc, trèfle
violet) conduits en rythme de coupe rapide.
Part (%) des espèces dans la
100
80
biomasse
60
40
20
Louarn et al. (2010). Nous nous focaliserons plutôt ici sur le cas des mélanges de graminées, en nous
basant sur l’exemple particulier d’un mélange fétuque élevée – dactyle – ray-grass anglais. Ce mélange
de graminées s’est révélé pouvoir être un mélange transgressif : au cours d’une expérimentation
pluriannuelle conduite sur le dispositif SOERE-ACBB de Lusignan, la productivité de ce mélange a été
supérieure en moyenne de 9 % par rapport à la productivité de la meilleure des espèces pures cultivées
dans les mêmes conditions. Quelles sont les complémentarités et quels sont les processus qui peuvent
expliquer ce résultat ?
En premier lieu, ces trois espèces montrent des décalages de rythme de croissance dans l’année
(Figure 5). La fétuque élevée a une croissance plus importante en début et en fin de période de
végétation, alors que le dactyle a une meilleure croissance en été sec (complémentarité dans le temps).
Figure 5 : Productivité saisonnière de la fétuque élevée (Fa), du dactyle (Dg) et du ray-grass anglais (Lp) cultivés
en pur et en mélange (Mél).
500
b
a
400
b a
été 2006: sec b a b b a
c b b
300 a
aa a d b c
b d c
b c
200
a a
b b c c d
100
c
F DLM F DLM F DLM F DLM F DLM
0
July 0ct. Apr. June July Sept. May June Sept.
1
2006
2
2006
3
2007
4
2007
5
2007
6
2007
7
2008
8
2008
92008
L’accès à la lumière est un second élément déterminant l’équilibre des espèces. Le ray-grass anglais
possède un système foliaire plus court que les deux autres espèces. En situation de fauche, la densité
aérienne du mélange est élevée. Le ray-grass anglais est alors largement dominé par la fétuque élevée
et le dactyle, et son interception de la lumière est fortement limitée. De ce fait, la croissance en
biomasse du ray-grass est directement pénalisée, et sur le plus long terme la régression progressive de
sa densité de talles conduit à sa disparition en 2 à 3 années. En situation de pâturage, le couvert est
plus ouvert et le ray-grass anglais peut plus facilement se maintenir à côté des deux autres espèces.
En troisième lieu, les résultats obtenus mettent en évidence que ces trois espèces sont
complémentaires dans leur capacité à absorber l’eau du sol et à en réguler les pertes au niveau foliaire
(Figure 6). La fétuque élevée possède un enracinement plus profond que le dactyle, ce qui lui donne
accès à une plus grande réserve hydrique. Ainsi, dans des conditions de sécheresse modérée, que ce
soit lors des premières phases du développement d’une sécheresse estivale qui peut devenir
ultérieurement plus forte, ou dans une situation d’été peu sec, la fétuque élevée maintient une
croissance plus élevée que le dactyle. Dans des phases de sécheresse plus prononcée, le dactyle
régule mieux ses pertes en eau par transpiration, et par ailleurs maintient une surface foliaire et une
interception du rayonnement solaire plus importante que la fétuque élevée qui enroule ses feuilles, ou
que le ray-grass anglais qui les replie ou les perd plus rapidement par sénescence. Dans cette phase
de sécheresse prononcée, le dactyle peut donc maintenir une certaine croissance, meilleure que celle
de la fétuque ou du ray-grass anglais.
Figure 6 : Caractéristiques de comportement de la fétuque élevée (Fa), du dactyle (Dg) et du ray-grass anglais
(Lp) en mélange, au cours de la sécheresse.
Fa
Conductance
Dg stomatique
Traits et réponses
Ray-grass
caractéristiques Dactyle
des espèces 0 -1 Potentiel hydrique
-2 (MPa) -3 -4 -5
Potentiel hydrique foliaire
Profondeur d’enracinement
et de prélèvement de l’eau
Fa Dg Régulation stomatique de la transpiration et photosynthèse Fa Dg Lp
Fa
Enroulement foliaire Dg
Dg Fa
Contrainte hydrique croissante
Ces trois espèces de graminées sont également complémentaires dans leur capacité à absorber l’azote
du sol et à le conserver (Gastal et al., 2010). Notamment, le dactyle a une plus grande aptitude à
absorber l’azote du sol que la fétuque ou le ray-grass, ce qui lui confère un avantage de croissance en
situation de fertilité limitée.
Enfin, l’étude montre que les précédents avantages compétitifs caractéristiques des trois espèces, sont
modulés lorsque les espèces sont en compétition dans le mélange par rapport à une situation de
couvert monospécifique. Ainsi, la compétition pour l’eau est exacerbée dans les horizons superficiels,
tandis que le maintien de l’état hydrique de la plante est facilité pour l’espèce à enracinement plus
profond, qui réagit à la compétition souterraine en augmentant encore plus sa profondeur de
prélèvement d’eau. En revanche, l’espèce dominée au niveau aérien (ray-grass anglais) est très
pénalisée dans son accès à l’eau et à l’azote, probablement du fait d’un plus faible développement
racinaire lorsque son accès à la lumière est durablement pénalisé par la présence d’espèces voisines.
Ces résultats illustrent que le caractère transgressif d’un mélange de graminées résulte non pas d’un
processus unique ou privilégié mais de la combinaison d’un ensemble de complémentarités
fonctionnelles dans le temps et dans l’espace, qui au total peuvent conduire à une meilleure exploitation
des ressources du milieu, selon les traits différenciant les espèces et selon les conditions de milieu.
Bien que les trois espèces étudiées appartiennent au même groupe fonctionnel des graminées
productives, et bien que ces espèces aient été améliorées par sélection génétique, des différences
fonctionnelles significatives existent et permettent une amélioration de la productivité du mélange.
Toutefois, cette étude illustre également que, pour qu’un effet bénéfique significatif puisse être observé
sur la productivité du mélange, il faut que les espèces possèdent des écarts importants de traits
fonctionnels, sur des traits spécifiques aux conditions de milieu rencontrées. Ainsi, ces résultats mettent
également en évidence que la transgressivité d’un mélange ne peut être obtenue que sous certaines
combinaisons particulières de traits fonctionnels et de milieu, expliquant ainsi le caractère non
systématique de la transgressivité des mélanges qui ressort des études d’évaluation agronomique
présentées et discutées dans les paragraphes précédents.
7.0
(A)
6.0
Production biomasse (t MS/ha)
5.0
4.0
3.0
2.0
Hamilton
1.0
Herbie
Mélange
0.0
Print 104 Print 204 Auto 04 Print 105 Print 205 Print 106 Print 206 Auto 06 Print 107 Print 207 Eté 07 Print 108 Print 208
Période de récolte
7.0
(B)
6.0
Production biomasse (t MS/ha)
5.0
4.0
3.0
2.0
Hamilton
Herbie
1.0
Mélange
Ohio
0.0
Print 104 Print 204 Auto 04 Print 105 Print 205 Print 106 Print 206 Auto 06 Print 107 Print 207 Eté 07 Print 108 Print 208
Période de récolte
La théorie d’«habitat filtering» (Keddy, 1992 ; Diaz et al., 1998) explique que la composition des
communautés résulte de filtres biotiques et abiotiques qui sélectionnent des espèces aux
caractéristiques similaires (Grime, 2006). Mais à des échelles plus locales, des espèces dont les
stratégies leur permettent d’éviter la compétition coexistent plus facilement dans ces communautés
(Pacala et Tilman 1994). La différentiation de niche suggère que la coexistence des espèces est basée
sur une complémentarité fonctionnelle (Silvertown, 2004), ce qui implique probablement une diminution
de la compétition interspécifique (Gross et al., 2007) voire de la facilitation. A partir d’une approche
fonctionnelle et sur la base de ces hypothèses appliquées à l’échelle génotypique intraspécifique, il est
possible de considérer la variabilité intraspécifique pour expliquer la structuration et la production des
communautés prairiales. La variabilité génétique fonctionnelle intraspécifique pourrait donc entrainer
une meilleure production via l’efficacité d’acquisition et/ou d’utilisation des ressources dans le temps et
dans l’espace d’une part et la capacité d’adaptation aux aléas environnementaux d’autre part.
Une première étude a permis de comparer, dans des mélanges monospécifiques de ray-grass anglais,
le rendement de parcelles semées avec une, deux ou trois variétés de précocité de floraison similaires
ou différentes (Surault et al., 2010). L’augmentation du nombre de variétés et donc de la diversité à
l’intérieur d’un groupe de précocité n’a eu aucun effet sur le rendement. Cependant, l’effet de la
précocité est important, les variétés tardives étant moins productives que les variétés précoces ou
intermédiaires. Les mélanges de variétés de différentes précocités ont montré un rendement fourrager
intermédiaire à celui des variétés les composant, et n’ont jamais produit plus que la meilleure variété
(Figure 7). L’augmentation de la diversité génétique liée à la précocité ne semble donc pas permettre
d’augmenter la productivité. Cependant, elle permet de régulariser la production au cours de l’année et
donc de sécuriser la production. L’effet de la diversité pour d’autres caractères sur la production reste à
explorer.
La diversité intraspécifique peut également être manipulée sur une base plus large. Les résultats
préliminaires obtenus sur des communautés plus complexes de sept espèces (luzerne, trèfle blanc,
trèfle violet, lotier, dactyle, fétuque, ray-grass), et comprenant de 1 à 7 variétés par espèce, montrent
des différences sur la production de la communauté mesurée en biomasse sèche totale (Figure 8) et
sur la biomasse sèche d’une espèce donnée (Figure 9). Alors que ces résultats mettent clairement en
évidence l’effet de la composition génotypique intraspécifique sur la production de la communauté et
des espèces qui la composent, aucune relation claire ne peut être mise en évidence entre le nombre de
variétés dans les espèces et la production de biomasse à l’échelle de la communauté ou de l’espèce.
Figure 8 : Biomasse sèche moyenne de communautés différant par le nombre de variétés par espèce, à deux
dates de mesures, avril 2012 (gris) et juin 2012 (blanc) après un semis en septembre 2011
Biomasse (g.m-2)
1 3 7 Nb variétés / espèce
Nous avons constaté que le nombre de variétés d’une espèce donnée dans le mélange n’est pas
corrélé à la variabilité des caractères impliqués dans l’acquisition de ressources et les interactions, tels
que la hauteur, la surface foliaire ou encore le diamètre des individus. Si l’on considère la variance de
ces caractères, des corrélations entre variance et biomasse de l’espèce dans la communauté peuvent
exister, mais le sens de ces corrélations risque d’être dépendant de l’espèce et du caractère considéré.
Figure 9 : Biomasse sèche moyenne par espèce en fonction du nombre de variétés par espèce dans la
communauté, à deux dates de mesures, avril 2012 (gris) et juin 2012 (blanc) après un semis en septembre 2011.
Bien que ces résultats soient préliminaires, il est possible d’envisager la possibilité de mettre en
évidence des relations mécanistes entre la diversité génétique fonctionnelle des espèces et la
production de la communauté qu’elles composent, ce qui laisse envisager de nouveaux critères de
sélection pour les variétés d’espèces destinées à une utilisation en mélange.
5- Conclusion
Les recherches récentes présentées et discutées précédemment confirment que, dans le contexte des
prairies semées, les prairies multiespèces offrent effectivement un certain nombre d’avantages
agronomiques. Les mélanges présentant l’intérêt agronomique le plus systématique restent les
associations de graminées et légumineuses, qui doivent être considérées dans une optique de maintien
de la productivité et/ou d’amélioration de la valeur alimentaire associée à une pratique de réduction de
la fertilisation azotée.
Dans l’état actuel des connaissances, le bénéfice de production annuelle qu’on peut attendre des
mélanges sans légumineuses (mélanges de graminées) parait bien réel, mais moins systématique que
le bénéfice permis par les mélanges incluant des légumineuses. L’analyse des processus de
compétition impliqués dans le fonctionnement et la performance des mélanges, montre que différents
types de complémentarités existent entre les espèces de graminées les plus couramment semées,
notamment vis-à-vis de l’utilisation des ressources du sol. Il apparait néanmoins que, pour produire un
effet significatif sur les performances du mélange, ces complémentarités doivent être assez larges. Ceci
explique le caractère non systématique de l’avantage des mélanges de graminées, et permet de guider
le choix des assemblages à réaliser.
Les avantages des mélanges dépassent le seul critère de production annuelle. En effet, dans les
systèmes fourragers, l’offre saisonnière d’herbe et le maintien du potentiel de la prairie sur plusieurs
années sont des critères tout aussi déterminants. De ce point de vue, l’intérêt des PMS vis-à-vis de la
régularité de production intra-annuelle et sur toute la durée d’exploitation de la prairie semée,
apparaissent clairement et doivent être explorés de manière plus approfondie. Dans un contexte de
polyculture-élevage où cette durée de maintien des prairies est un facteur d’ajustement des systèmes
de production végétale, la composition des mélanges en espèces doit prendre en compte l’objectif de
durée des mélanges semés.
Au-delà de la productivité, l’intérêt des PMS vis-à-vis des critères de valeur alimentaire, notamment les
PMS incluant des légumineuses, est également très significatif. Le bénéfice qu’on peut attendre des
PMS sur ces critères a des implications et doit être pris en compte dans les stratégies d’alimentation
des ruminants. La mise en œuvre des PMS est également un moyen de lutter contre les adventices,
notamment dans les phases d’installation qui sont les phases les plus sensibles, et de s’adapter à la
nécessité de réduction de l’utilisation des herbicides. L’intérêt des PMS vis-à-vis des autres services
écosystémiques reste encore dans une large mesure à évaluer.
Le développement des PMS renforce et renouvelle l’intérêt de l’amélioration génétique des espèces
fourragères En effet, la valeur agronomique des mélanges est conditionnée par la valeur des espèces
et des variétés qui le constituent (Frick et al., 2008). L’amélioration génétique est un facteur de progrès
aussi bien pour les espèces cultivées en pur que pour les espèces cultivées en mélange. Toutefois, les
caractères sélectionnés jusqu’à présent ont été sélectionnés pour des espèces cultivées en pur, et ne
sont pas nécessairement les caractères les plus pertinents pour une utilisation en mélange : définir de
nouveaux critères de sélection est sans doute nécessaire. C'est l'un des objectifs des recherches en
cours à l’INRA de Lusignan.
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Résumé.
Cet article vise à mettre évidence et à expliquer les principales dynamiques, sur longue période, d’une
part, de la dissociation spatiale des productions animales et végétales et, d’autre part, de la
concentration géographique des filières. Nous soulignons les rôles des prix relatifs de l’énergie et des
facteurs de production ainsi que des technologies et des économies d’agglomération dans ces
processus. Une réflexion est proposée relativement aux principales évolutions attendues pour le
territoire agricole français.
Mots-clés : Productions animales et végétales ; spécialisation ; concentration ; agglomération ;
marchés agricoles ; régulations économiques
Introduction
La concentration géographique des activités économiques est un phénomène déjà ancien qui intervient
de manière concomitante aux mouvements démographiques qui se manifestent, tant à l’échelle de la
nation que planétaire, par une augmentation plus rapide de la population dans les zones urbaines que
dans les zones rurales et une forte extension spatiale des villes (ONU, 2011). Tous les secteurs
d’activité ne présentent cependant pas les mêmes niveaux de concentration territoriale de leur offre.
En agriculture, la concentration est plus faible en moyenne que celle observée dans d’autres secteurs
industriels, ou plus encore technologiques, pour plusieurs raisons : ce secteur est fortement utilisateur
d’espaces car un input essentiel de son activité demeure, à quelques exceptions près, les terres ;
l’agriculture est un secteur présent, certes avec plus ou moins de potentiel, dans tous les pays du
monde, car non seulement les biens qui en sont issus sont nécessaires à la vie, mais les pouvoirs
publics cherchent à assurer un certain niveau d’indépendance alimentaire à leur population ; une
activité agricole diversifiée permet de limiter les risques car les biens agricoles sont vivants, périssables
et dépendants de contraintes externes (climat, relief, fertilité des sols, ressources en eau, maladies,
etc.) entrainant une dispersion de la production agricole à l‘échelle internationale.
V. Chatellier et C. Gaigné
Face au défi alimentaire mondial qui s’annonce à horizon 2050, du fait de la croissance démographique
attendue et de la modification progressive des régimes alimentaires, la production agricole devra
fortement augmenter à l’échelle planétaire. Ce défi suppose, avant tout, que chaque pays (dont la
France) cherche à stimuler et à optimiser son offre de biens agricoles, quitte parfois à se spécialiser
davantage dans les productions pour lesquelles un avantage comparatif évident existe. Le commerce
international peut certes contribuer à combler les déficits chroniques de certains pays pour tels ou tels
biens alimentaires, mais les flux couvriront une part toujours limitée des besoins alimentaires globaux.
Si la croissance de la production agricole est une nécessité, l’organisation spatiale de celle-ci ne se fait
pas au hasard au sein de chaque pays.
En France, comme dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique du Nord, on assiste depuis
plusieurs décennies à une spécialisation croissante des territoires dans les productions végétales ou
animales et à une concentration spatiale des filières animales. Les facteurs physiques comme le climat
et la disponibilité des terres ont vu leurs impacts sur la localisation des productions agricoles se réduire
en raison des changements technologiques intervenus dans la production, le transport et la
transformation. En s’affranchissant des « contraintes » naturelles, l’affectation spatiale des productions
agricoles a été fortement influencée par la baisse du prix relatif des intrants chimiques, l’amélioration
des infrastructures (transport), l’internationalisation des marchés agricoles, l’action publique et la
présence (parfois) d’économies d’échelle.
Dans ce cadre, et en s’appuyant sur le cas français, cet article poursuit trois ambitions. Dans un premier
temps, il met en évidence l’évolution sur une longue période (40 à 50 ans), d’une part, de la
spécialisation productive des territoires (ici pour une sélection de dix départements) et, d’autre part, de
la concentration géographique des productions végétales et animales. Sans mésestimer le phénomène,
il ne s’agit pas de discuter ici de la concentration des activités agricoles au niveau des exploitations,
lesquelles sont, le dernier Recensement de l’agriculture en témoigne, de moins en moins nombreuses
et de plus en plus grandes. Dans un second temps, les principaux facteurs économiques qui interfèrent
sur la localisation de l’offre agricole font l’objet d’une discussion, à la lumière d’une sélection de faits.
En conclusion, une réflexion est engagée relativement aux principales évolutions attendues pour le
territoire agricole français.
Le recul de la SAU en France a été contrebalancé par un essor important des sols boisés dont les
surfaces ont pratiquement doublé depuis la révolution française. Si l’augmentation a été soutenue entre
1960 et 2000, ces surfaces (17 millions d’hectares en 2010, soit 31% de la surface totale de
l’hexagone) sont restées stables depuis 2000. Il s’explique aussi, et de plus en plus, par une
artificialisation des sols, processus qui ne doit pas être assimilé à un « abandon » des terres agricoles
(Fottorino, 1989). Les sols artificialisés occupent 4,9 millions d’hectares en 2010 (Jean et Morel, 2011),
1 Le choix de limiter l’analyse à dix départements est justifié ici par un souci de compression de l’information. La sélection de
ces départements a été réalisée à « dire d’experts » sur la base essentiellement de la diversité de leur spécialisation
agricole (d’autres choix, tout aussi justifiés, auraient pu être envisagés) : 3 départements de l’Ouest, à savoir le Finistère
(productions animales intensives, avec un secteur porcin particulièrement développé), l’Ille et Vilaine (premier département
en production laitière) et la Loire-Atlantique (productions animales diversifiées et forte densité de population) ;
2 départements de la région Poitou-Charentes, la Vienne et les Deux-Sèvres, où la polyculture-élevage domine ;
2 départements du Bassin-Parisien, l’Eure-et-Loir (céréales) et l’Oise (cultures spécialisées et élevage) ; 1 département très
spécialisé dans le secteur allaitant (Saône-et-Loire) ; 2 départements localisées en zones défavorisées (Doubs et Cantal) où
l’activité laitière joue un rôle essentiel, mais avec un niveau contrasté de valorisation du lait. Aucun de ces départements ne
relèvent du sud de la France où la problématique agricole est souvent distincte (forte présence de vignes, de cultures
spéciales, etc.).
dont 2,3 millions d’hectares de sols revêtus ou stabilisés (infrastructures de transports, chantiers, etc.),
0,8 million d’hectares de sols bâtis et 1,7 million d’hectares d’autres sols artificialisés (carrières, terrains
vagues, jardins d’agrément, décharges, etc.). La croissance des sols artificialisés (9% du territoire
français en 2010) s’opère dans 90% des cas au détriment des terres agricoles, notamment celles parmi
les plus riches au plan agronomique. Ce mouvement d’artificialisation des sols, particulièrement
soutenu dans les zones densément peuplées, est généralement irréversible et entraîne certains
dommages environnementaux tels que l’augmentation du ruissellement de l’eau (au détriment de son
infiltration), l’érosion, le risque d’inondation, le déstockage rapide du carbone, etc. (Commissariat
Général au Développement Durable, 2011). Selon certaines estimations (Levesque, 2009a), et compte
tenu de la croissance démographique attendue en France, l’artificialisation des terres (en incluant les
pelouses) pourrait représenter encore 2,2 millions d’ha supplémentaires à l’horizon de 2050, si les
logiques qui ont prévalu jusqu’à ce jour se poursuivaient. L’évolution des politiques urbaines
résidentielles, les choix publics relativement au développement des infrastructures, la localisation des
emplois (ville vs. milieu rural), le coût du pétrole (qui impacte les choix individuels de localisation entre
domicile et travail) auront une influence sur le niveau de préservation des terres agricoles
(Levesque, 2009b).
Outre les forêts et les sols artificialisés, le territoire regroupe également des sols naturels pas ou peu
utilisables par l’agriculture (environ 4,8 millions d’ha de landes, friches, maquis, garrigues, zones
humides, etc.). L’analyse de la concentration géographique des productions agricoles en France
implique donc de bien prendre en considération l’existence d’une forte hétérogénéité, selon les
départements, de la part de la SAU dans la surface totale (54% en moyenne nationale).
Les départements où l’agriculture joue un rôle territorial limité, comme par exemple ceux du Sud-Est
(Carte 1-1), sont aussi ceux qui pèsent le moins dans la contribution à l’offre agricole nationale.
La production agricole générée doit donc être rapportée à la SAU disponible et non à la surface totale,
comme les cartographies représentant la concentration des productions agricoles peuvent parfois
visuellement y conduire.
Outre l’importance du foncier agricole, la productivité du sol est également un facteur déterminant de la
concentration des productions agricoles. Si cette productivité tient surtout à des facteurs structurels
irréversibles (relief, altitude, texture des sols, etc.), elle peut cependant être plus ou moins stimulée par
la modernisation de l’agriculture : le remembrement (restructuration parcellaire), le drainage, l’irrigation,
la mécanisation, l’essor de la génétique, les nouvelles techniques utilisées (engrais, produits
phytosanitaires, etc.) sont autant de facteurs qui ont contribué à une transformation progressive des
assolements. A l’échelle nationale, les surfaces irriguées ont pratiquement été multipliées par trois entre
1970 et 2000 et elles sont restées relativement stables depuis 2000. Elles couvrent 2,6 millions d’ha
(soit un peu moins que 10% de la SAU totale) et occupent une place importante de la SAU dans le Sud-
Ouest, le Centre et la vallée du Rhône (Carte 1-2). Le développement de l’irrigation a non seulement
permis d’augmenter le rendement des cultures dans des zones où la pluviométrie est parfois
temporairement problématique, mais également de favoriser l’implantation de nouvelles cultures
génératrices de valeur ajoutée (Bergez et Lacroix, 2008). Le développement du drainage artificiel a lui
aussi contribué à l’essor de la production agricole dans des zones où l’engorgement hivernal de
certains sols était préjudiciable à la croissance des jeunes plants, en particulier ceux des céréales
d’hiver. La surface drainée avoisine en France 10 % de la SAU. Le développement du drainage
souterrain s’est produit principalement dans les années quatre-vingt (+ 9 % par an entre 1979 et 1988)
et s’est ralenti depuis lors (environ 2 à 3% par an depuis 1988). De nombreuses terres ont ainsi été
drainées pour améliorer la régularité des productions céréalières (en particulier dans le Bassin parisien
et les Landes) ou encore pour transformer des prairies en grandes cultures (Pays de la Loire).
Le drainage des terres agricoles est moins fréquent dans le Massif-Central et dans l’Est (Carte1-3).
Les superficies françaises de céréales sont, quant à elles, restées stables entre 1960 et 2010, aux
alentours de 9,2 millions d’ha. Avec une production de 63 millions de tonnes de céréales pour la
campagne 2011-12, la France est de loin le premier producteur européen (22% du total) devant
l’Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni. L’augmentation de la production française tient donc
essentiellement à l’augmentation des rendements, du moins jusqu’à une période récente (1995-2000) à
partir de laquelle ils se sont mis à plafonner (Abécessis et Bergez, 2009). Au-delà du constat global
d’une stabilité des surfaces céréalières à l’échelle nationale, la localisation géographique de l’activité
céréalière a légèrement évolué. D’après les données du Recensement de l’agriculture des dix
départements précités, le poids des départements de l’Ouest dans la sole nationale a légèrement
augmenté (Tableau 1). Ainsi, les surfaces de céréales ont augmenté de 25% entre 1970 et 2010 en
Loire-Atlantique, de 18% en Ille-et-Vilaine et de 11% dans le Finistère. La progression a été encore plus
rapide dans le département des Deux-Sèvres (+42%) où la spécialisation en polyculture-élevage était
historiquement plus marquée. Dans les territoires spécialisés en élevage et où la superficie toujours en
herbe occupe une place historiquement importante (Cantal, Doubs et Saône-et-Loire), les surfaces
céréalières ont régressé. Dans les deux départements du bassin parisien (Eure-et-Loir et Oise), les
surfaces de céréales ont baissé de respectivement 19% et 5% entre 1970 et 2010. Le poids de ces
deux départements dans le total national est donc en léger recul, singulièrement en Eure-et-Loir où la
part des céréales dans la SAU est passée de 75% en 1970 à 64% en 2010 (Carte 1-5).
Les surfaces françaises de céréales regroupent principalement 5 millions d’ha de blé tendre, 1,5 million
d’ha de maïs grain, 1,5 million d’ha d’orge et d’escourgeon et 0,4 million d’ha de blé dur.
Le développement des biocarburants, l’extension des marchés d’exportations et le plafonnement des
rendements sont des facteurs qui ont contribué à rendre possible l’abandon du dispositif de jachère mis
en œuvre au lendemain de la réforme de la PAC de 1992. Les exportations de blé tendre vers les pays
tiers (13 Mt en 2010-11, soit un peu plus du tiers de la récolte, essentiellement à destination de
l’Algérie, du Maroc et de l’Egypte) et, dans une moindre mesure, vers les pays européens (7 Mt, dont
surtout en Italie, en Belgique et aux Pays-Bas) constituent donc un enjeu territorial interne important.
Dans le secteur du maïs grain, où les surfaces sont stables depuis au moins vingt ans, les exportations
(5,6 Mt en 2010-11 pour une production de 13,8 Mt) se font à plus de 95% vers les pays européens.
Dans le secteur de l’orge, où les surfaces sont en recul (-10% en vingt ans), les exportations de grains
(5,6 Mt en 2010-11 pour une production de 10,2 Mt) se font à 80% vers les pays partenaires de l’UE.
Dans le secteur du blé dur, où les surfaces ont presque doublé en vingt ans, les utilisations intérieures
(0,6 Mt) sont également nettement inférieures aux exportations (2,1 Mt, dont la moitié vers des pays
tiers). Au cours des deux dernières décennies, la spécialisation des territoires en céréales a sûrement
été moins influencée par la plus ou moins grande proximité géographique entre les productions
animales et les productions végétales que par les opportunités offertes par ces marchés extérieurs.
Les utilisations de céréales par les fabricants d’aliments du bétail sont stables depuis au moins une
dizaine d’années aux alentours de 10,5 Mt (soit 16% de la production).
L’évolution des cultures fourragères (-5,5 millions d’ha en France entre 1960 et 2010) sur le territoire
national doit être mise en relation, d’une part, avec la dynamique des productions d’herbivores
(évolution des cheptels) et, d’autre part, avec la transformation des systèmes techniques (spécialisation
et intensification). Les surfaces consacrées aux fourrages annuels, qui ont augmenté de façon
importante entre 1960 (813 000 ha) et 1990 (1,8 million d’ha, dont 1,7 de maïs fourrage), ont baissé
depuis lors pour atteindre 1,5 million d’ha en 2010 (dont 1,4 de maïs fourrage). Les surfaces de plantes
sarclées fourragères (betteraves fourragères, chou fourrager, etc.) ont pratiquement disparu alors
qu’elles représentaient 1,3 millions d’ha en 1960. Les surfaces de prairies permanentes et temporaires
ont, quant à elles, baissé de 28% en passant de 17,9 millions d’ha en 1960 à 12,9 millions d’ha en
2010. Si les prairies temporaires ont augmenté au cours de cette période, le recul des surfaces toujours
en herbe (STH) a, quant à lui, été particulièrement important. D’après les données du recensement
agricole, la STH productives (> 1500 UF/ha/an) couvre 7,6 millions d’ha en France en 2010,
soit l’équivalent de 28% de la SAU contre 41% en 1970 (Tableau 1). Les surfaces de STH ont reculé
intensément dans les régions de plaine où les cultures céréalières prédominent, mais également dans
les zones d’élevage (exemple : -82% de STH depuis 1970 en Ille et Vilaine). Bien que ces surfaces
aient également baissé en montagne, leur poids demeure toujours important : 73% de la SAU dans le
Doubs et 78% dans le Cantal ; c’est également le cas en Basse-Normandie (Carte 1-6) où une activité
laitière basée sur le pâturage subsiste.
Dans le secteur bovins-viande, la production française de viande bovine (1,45 Mt de gros bovins finis en
2011) s’inscrit à la baisse depuis déjà de nombreuses années, parallèlement à un léger recul de la
consommation intérieure. La décroissance du cheptel de vaches laitières évoquée précédemment est le
principal moteur de cette baisse de l’offre de viande bovine (sachant que 45% de la production
française est issue du secteur laitier). Si la France bénéficie encore d’une balance commerciale positive
dans ce secteur (+1,1 milliard d’euros en 2011), celle-ci s’explique principalement par la vente de
bovins mâles vivants (broutards) à destination de l’Italie. En viande bovine fraîche et congelée, la filière
française est déficitaire ; les importations se font nettement plus en provenance de l’Europe du Nord
(Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Royaume-Uni) que de pays tiers, y compris du Brésil où les
exportations à destination du marché européen sont en recul depuis quelques années (Institut de
l’Elevage, 2012a). Le cheptel de vaches allaitantes (4,2 millions de têtes en 2011), qui est devenu
supérieur au cheptel de vaches laitières à partir de 1997, est stable depuis au moins quinze ans. Tout
au long de cette période, y compris d’ailleurs lorsque le niveau des prix s’est amélioré, le cheptel est
resté proche du plafond national autorisé au titre de la prime au maintien du troupeau de vaches
allaitantes (3,8 millions de PMTVA). Cette stabilité du cheptel allaitant intervient cependant après une
longue phase de croissance (+48% en moyenne nationale entre 1970 et de 1988), d’ailleurs vérifiée
dans les dix départements étudiés (Tableau 2). Le poids d’un département spécialisé comme la Saône-
et-Loire dans le cheptel français a finalement peu évolué depuis 1970 (environ 5,5%). Avec 34% du
cheptel de vaches allaitantes de l’UE-27, la France est de loin le premier pays concerné par cette
activité devant l’Espagne (15%), le Royaume-Uni (13%) et l’Irlande (9%).
Carte n°2. La localisation des effectifs d’animaux en France en 2010. Source : MAAF-2012- IGN Géo Fla 2010 -
Agreste - Recensements agricole 2010 / Traitement INRA SMART-LERECO
Carte 2-1. Vaches laitières Carte 2-2. Vaches allaitantes
Le cheptel allaitant est concentré pour une part importante dans les zones herbagères du Centre de la
France (Limousin, Auvergne), mais également en Midi-Pyrénées et en Pays de la Loire (Carte 2-2).
Il est peu présent dans les zones intensives d’élevage (Bretagne, Picardie) et les zones céréalières où
les surfaces toujours en herbe occupent une place devenue marginale. Dans certains départements,
notamment ceux situés en zones défavorisées, où les opportunités de substitution entre productions
agricoles deviennent de plus en plus difficiles à imaginer dans le contexte économique actuel,
la poursuite de cette activité est une condition nécessaire à l’entretien du territoire (CGAAER, 2011).
Dans le secteur ovins, la production française de viande ovine diminue depuis une vingtaine d’années.
Si, dans une première phase, la production indigène brute a progressé de près de 60% en passant de
117 000 tonnes équivalent carcasse (tec) en 1970 à 187 000 tonnes en 1985, elle a progressivement
reculé à seulement 112 000 tonnes en 2010 (soit un niveau de production inférieur à celui atteint
quarante années plus tôt). Ce recul de l’offre intervient dans un contexte où la consommation
domestique de viande ovine a baissé de l’ordre d’un tiers depuis 1990 (après une longue phase de
croissance) et où la compétitivité-prix de la France est mal positionnée. En dépit de cette baisse de la
consommation, la France demeure toujours lourdement déficitaire en viande ovine (54% de taux d’auto-
approvisionnement en 2011 contre 80% au début des années quatre-vingt). Le marché français est
donc structurellement dépendant d’importations qui se font principalement en provenance du Royaume-
Uni, de l’Irlande et de la Nouvelle-Zélande. Cette diminution de l’offre s’accompagne d’un recul intense
du cheptel de brebis mères (nourrices et laitières), d’autant plus que des gains de productivité
(au demeurant plus modestes que dans d’autres productions animales) ont été constatés. D’après les
données du Recensement agricole, le cheptel de brebis est passé de 6,3 millions de têtes en 1970 à
7,7 millions de têtes en 1988 pour redescendre à 5,5 millions de têtes en 2010. Le recul du cheptel
(-29% en moyenne nationale entre 1988 et 2010) est encore plus net dans tous départements étudiés
car la concurrence avec les autres productions, via souvent les acquisitions foncières, est rarement
gagnante pour le secteur ovin (production dégageant un plus faible chiffre d’affaires à l’hectare). Ainsi,
depuis 1988, le cheptel de brebis a été divisé par plus de deux dans les départements des Deux-Sèvres
et de la Vienne où les effectifs étaient historiquement conséquents. Le cheptel de brebis a baissé de
façon généralisée, mais moins vite dans le sud de la France (Carte 2-3), comme dans les départements
de l’Aveyron et des Pyrénées Atlantiques qui concentrent une part écrasante du cheptel de brebis
laitières (la collecte française de lait de brebis a été multipliée par 2,5 depuis 1980).
Comme dans le secteur bovins-viande, la dépendance économique des exploitations spécialisées en
ovins-viande aux aides directes est devenue très importante au fil du temps (environ 150% du revenu
en moyenne nationale). Ces dernières ont sûrement contribué à soutenir le niveau d’offre en
maintenant en activité des exploitations qui auraient abandonné cette production en leur absence
(même partielle). Dans ce sens, les décisions prises dans le cadre du bilan de santé de la PAC de 2008
relativement à la réorientation d’une partie des aides directes au sein de l’agriculture française, par un
transfert de fonds des productions végétales vers les productions animales extensives, se sont révélées
très positives pour le revenu des producteurs d’ovins (Chatellier et Guyomard, 2011).
Cette augmentation substantielle récente des montants d’aides directes a cependant été
contrebalancée, comme pour les autres productions animales, par une forte hausse des charges
(notamment en alimentation). Il en résulte que la situation économique de nombreux élevages demeure
encore fragile pour permettre de transmettre aisément les outils de production aux nouvelles
générations de producteurs et ainsi pour conforter la dynamique de l’offre de viande ovine à long terme.
Dans le secteur porcin, la production française est quasiment stable depuis 2000. Elle avait, en
revanche, fortement augmenté entre 1970 (1,3 Mt) et 2000 (2,3 Mt), période pendant laquelle la
consommation domestique s’inscrivait régulièrement à la hausse et stimulait l’offre intérieure.
En France, la consommation de viande porcine par habitant et par an est désormais stable
(FranceAgriMer, 2012b). Longtemps déficitaire en viande porcine, la France n’est devenue auto-
suffisante qu’en 1995 ; exprimée en valeur et non en volume, la balance commerciale de ce secteur
reste néanmoins légèrement négative car les importations françaises concernent des produits à plus
haute valeur ajoutée que les produits exportés. La stabilité de l’offre porcine française intervient dans un
contexte concurrentiel caractérisé par une forte croissance des abattages en Allemagne, en Espagne et
au Danemark. Par ailleurs, l’augmentation importante des coûts de production (alimentation animale),
qui n’a pas été contrebalancée par une hausse du prix de vente de la viande porcine aux
consommateurs (contrairement au secteur avicole où les reports de prix ont été davantage possibles),
pèse aujourd’hui fortement sur la dynamique des investissements dans ce secteur productif.
Si la production française de viande porcine est nettement supérieure à la situation qui prévalait en
1970, le cheptel total de truies est resté, quant à lui, quasiment identique (environ 1,1 million de têtes).
Au cours de cette longue période, un processus de concentration géographique de l’offre a été observé
au bénéfice surtout de la Bretagne. Dans le département du Finistère, par exemple, le cheptel de truies
a plus que doublé pour atteindre 18,5% du cheptel national en 2010 contre 8,5% en 1970 ;
ce mouvement a également été constaté en Ille-et-Vilaine et en Loire-Atlantique, mais dans une
moindre proportion. Comme le montrent les données chiffrées à mi-parcours (1988), ce phénomène de
concentration territoriale de la production s’est exprimé au cours des décennies soixante-dix et quatre-
vingt (Carte 2-4). En raison du plafonnement de l’offre globale depuis près de dix ans et du
renforcement des exigences environnementales, il est devenu désormais moins tonique.
Dans le secteur des volailles, la production française a d’abord connu une longue phase de croissance
(doublement des volumes entre 1980 et 2000), avant de subir un recul sérieux entre 2000 et 2010
(-20% pour représenter 1,8 Mt en 2011). Non seulement l‘exacerbation de la concurrence
internationale a entraîné une augmentation des importations européennes de volailles (en provenance
notamment du Brésil et de la Thaïlande), mais certains pays européens historiquement clients de la
France se sont mis à développer intensément leur production. Si la France demeure toujours le premier
pays européen producteur de volailles, les écarts se resserrent rapidement avec l’Allemagne (où la
production a été multipliée par 2,5 en une quinzaine d’années), le Royaume-Uni (où la production est
stable) et l’Espagne (où la production a augmenté de près de 30% depuis 1995). Au cours des dix
dernières années, la balance commerciale en volailles de la France avec la plupart des pays
partenaires de l’UE s’est dégradée. Cependant, les positions commerciales de la France vis-à-vis des
pays tiers tendent, depuis deux à trois ans, à s’améliorer grâce à l’ouverture de nouveaux marchés
dans les pays du Moyen-Orient (Arabie Saoudite). Au total, la France demeure un pays exportateur net
en volailles, avec une balance de l’ordre de 230 000 tonnes en moyenne sur la période 2009-2011.
La production française d’œufs de poules a été multipliée par 1,5 entre 1970 et 2000 (avec des effectifs
identiques), puis elle a baissé de l’ordre de 10% depuis dix ans.
Après une période difficile de restructuration, la production française de poulets de chair (1,05 Mt en
2010) est désormais stable depuis 2007. Les effectifs de poulets de chair (121 millions de têtes en
2010) ont baissé de 4,8 millions de têtes depuis 2000 alors qu’ils avaient progressé de 47 millions de
têtes entre 1980 et 2000. Ils demeurent toujours fortement concentrés en Bretagne (33% du total
national, soit une proportion identique à celle observée en 1980) et en Pays de la Loire (20% contre
16% en 1980). Pour autant, ils ont baissé de 1,2 millions de têtes en Bretagne et de 3,5 millions de
têtes en Pays de la Loire entre 2000 et 2010. Dans les autres régions productrices, la baisse récente
des effectifs a été comparativement moins forte (Carte 2-5). La très forte baisse de la production de
dindes (761 000 t en 2000 contre 412 000 t en 2010) a naturellement affecté les zones productrices ;
pour les canards, la production (240 000 t) a multiplié par 5 entre 1980 et 2000, mais elle est stable
depuis lors. Dans le secteur des volailles, la concentration territoriale de la production s’est donc faite
principalement entre 1980 et 2000, période caractérisée par un essor important de l’offre.
2 L’accroissement de la production d’un bien s’accompagne d’une diminution des coûts moyens de production.
3 La baisse des coûts due à la production conjointe par rapport à la production séparée de quantités égales de biens.
Ce phénomène a été par ailleurs encouragé, d’une part, par les rapports de prix, en particulier la
croissance plus rapide du prix du travail par rapport à ceux des autres facteurs, et, d’autre part, l’usage
croissant de pesticides et d’antibiotiques qui ont favorisé la spécialisation des exploitations en
permettant la simplification des assolements et la concentration des élevages.
4 Evidemment, la faible quantité de terre par actif en Bretagne participe à l’émergence d’une production intensive. Toutefois,
il faut être très prudent sur la capacité prédictive de la théorie sous-jacente dite des avantages comparatifs.
d’échelle et de coûts de transport bas. L’idée est simple : les producteurs sont incités à se localiser près
de leurs clients pour diminuer leurs prix, grâce à de moindres coûts de transport des marchandises.
Cette baisse suscite une demande plus élevée et permet donc de produire à plus grande échelle.
Accroître le niveau de production fait baisser les coûts moyens en raison des économies d’échelle.
Production en hausse et coûts moyens de production en baisse permettent d’accroître la profitabilité.
De même, pour éviter les coûts monétaires et les pertes de temps liés à l’éloignement géographique, les
entreprises sont incitées à se rapprocher de leurs fournisseurs. Le regroupement géographique permet de
réduire le prix des biens intermédiaires, les délais de livraison du bien ou du service et d’obtenir plus
facilement les caractéristiques précises du produit souhaité. Ces mécanismes expliquent, par exemple,
assez bien la spécialisation de la Bretagne dans les productions animales.
systèmes productifs particulièrement gourmands en intrants (dans un contexte où la pression sur les
ressources naturelles augmente). Par exemple, l’introduction de la directive « Nitrates » (réglementation
visant à protéger l’eau vis-à-vis de la pollution par les nitrates d’origine agricole) en introduisant une
contrainte d’épandage des effluents limitée par un niveau maximum d’azote par hectare et par an
(170 kg/ha/an) n’est pas neutre sur la dynamique spatiale des productions. Toutefois, cette restriction
en réintroduisant un lien entre les productions dites hors-sol et la question foncière n’a pas eu l’effet
escompté en termes de relocalisation des productions. Au lieu de disperser les productions animales
vers des territoires spécialisés dans les productions végétales, cette mesure s’est accompagnée d’un
renforcement de l’agglomération des productions animales (Gaigné et al., 2011). En effet, en France,
les éleveurs (et notamment les plus performants) sont autorisés à éliminer les excès d’azote en
procédant à son traitement5. Or, les technologies de traitement sont caractérisées par des charges fixes
élevées (IFIP, 2006) de sorte que le coût moyen de traitement décroît avec la quantité de lisier traitée.
Autrement dit, le traitement peut être mis en place par les élevages de grande taille et peut accroître la
taille des élevages. Au final, le recours au traitement du lisier peut accroître la concentration spatiale de
la production porcine en favorisant une réallocation de la production des petites exploitations vers les
plus grandes. Les subventions publiques en France pour les élevages localisées dans les ZES mettant
en place des stations de traitement ont donc renforcé le processus de concentration spatiale des
productions animales.
5Les procédés de traitement sont nombreux. La réduction ou la suppression de la fraction azotée contenue dans les lisiers
peut s’effectuer par différents procédés (traitement biologique par transformation des nitrates en azote gazeux, concentration
de l’azote dans des produits minéraux facilement exportables, compostage, …).
beaucoup plus d’énergie, que les systèmes plus extensifs optimisant le pâturage seront défavorisés
(Dupraz et al., 2010). Toutefois, dans le cas du lait, cela ne va pas forcément induire la dispersion
géographique des productions de lait. Pour cela, il faut que les gains en énergie deviennent supérieurs
aux économies de taille au niveau des exploitations et des territoires.
Par ailleurs, une meilleure valorisation des matières organiques ne signifie pas un retour à des
territoires moins spécialisés et une plus grande mixité animale/végétale au niveau d’un bassin de
production. En effet, on voit par exemple émerger de nouveaux types de producteurs d’engrais à partir
des effluents d’élevage et déchets des industries agroalimentaires. Les industriels proposent des
nouvelles technologies avec une phase de méthanisation des déchets organiques et une phase
d’extraction de l’azote, du phosphore et de la potasse des déchets pour les transformer en engrais et
les expédier vers les régions de cultures. D’autres solutions techniques ont été récemment mises en
œuvre. Il s’agit de bâtiments d’un nouveau genre permettant de récupérer plus facilement les effluents
pour pouvoir ensuite fabriquer des engrais organiques. Les solutions techniques et économiquement
rentables semblent permettre une plus grande utilisation des engrais organiques. Dans tous les cas,
ces solutions, permettant une meilleure valorisation des effluents et une réduction des excédents de
nitrates dans les territoires d’élevage, ne favorisent pas la dispersion des productions animales.
En effet, l’intérêt de ces solutions est d’exporter le lisier sous forme d’engrais organique pour ne pas
être limité par la quantité de terre disponible pour l’épandage. Au contraire, ces innovations
technologiques risquent de renforcer le processus d’agglomération des productions animales. La
production d’engrais organique impliquant des charges fixes, cette activité est rentable que si l’on
produit à grande échelle.
En second lieu, la dérèglementation des marchés agricoles associée à une hausse des prix de l’énergie
et de la demande alimentaire mondiale peut fortement modifier les paramètres influençant les choix des
éleveurs en faveur des productions végétales. En effet, ces changements engendrent un accroissement
du niveau et de la volatilité des prix des céréales ainsi qu’une accentuation des risques de défauts
d’approvisionnement. Ces changements structurels concernant le marché des céréales peuvent
constituer un puissant levier favorisant le retour de territoires mixtes en termes de production animale et
végétale. En effet, si le recul de l'élevage dans les régions dominées par les productions céréalières
persistera vraisemblablement, les zones d'élevage peuvent connaitre un développement des activités
céréalières. En effet, dans un souci de sécuriser leur approvisionnement pour nourrir leurs animaux (en
termes de coût, quantité et qualité), les éleveurs sont davantage incités à développer des exploitations
mixtes. La production de céréales au sein des élevages peut être un moyen de maîtriser les coûts liés à
l’alimentation animale et de s’assurer de disposer des quantités suffisantes de matières premières pour
nourrir les animaux dans un contexte d’incertitude croissante sur les prix et les quantités disponibles de
céréales. Cependant, les gains associés à l’autonomie des systèmes alimentaires dans un contexte de
fortes tensions sur les marchés des céréales devront être élevés pour compenser les gains à la
spécialisation.
A contrario, différents facteurs poussent au maintien de la dissociation spatiale des productions
animales et végétales. Le mouvement de concentration de la production au niveau des industries aval
et amont devrait vraisemblablement se poursuivre en France, quel que soit le type d’activités.
La contractualisation et l’intégration verticale au sein des filières animales renforcent la concentration
spatiale des productions animales. La gestion du risque des aléas liés aux variations de prix ou de
production par les choix de production est de moins en moins réalisée au niveau de l’exploitation mais
de plus en plus au niveau des industriels de l’aval. Autrement dit, les exploitants peuvent moins
diversifier leurs activités pour réduire le risque de pertes de revenu contrairement aux industriels.
Par ailleurs, les industriels sont incités à réduire le nombre de fournisseurs pour minimiser ces coûts et
à favoriser la spécialisation des élevages pour exploiter les économies d’échelle. Ainsi, les industriels
peuvent gérer les risques en se dotant d’un portefeuille diversifié d’activités constituées d’unités de
production avec différentes spécialités. En déplaçant la gestion du risque au niveau des industries de
l’aval au détriment des élevages, l’intégration verticale favoriserait la concentration spatiale des
productions animales.
Par ailleurs, à partir de 2015, les règles administratives décidées par les pouvoirs publics ne dicteront
plus les ajustements de l’offre de lait à la demande. La fin des quotas, ainsi qu’un éventuel découplage
de la PMTVA, peuvent provoquer davantage d’agglomération. Le niveau de décision sera décentralisé
et, de fait, reviendra davantage aux industriels de la transformation. Des systèmes de contractualisation
entre éleveurs et industriels vont se développer. Au vu des mécanismes évoqués plus haut, l’inégale
répartition spatiale de la production laitière devrait s’accentuer au profit des bassins les plus compétitifs
et au détriment des exploitations les plus petites. Ce mouvement de polarisation aura également des
conséquences sur les autres secteurs partageant les mêmes ressources (l’alimentation animale et la
terre pour l’épandage). Le renforcement de l’intégration verticale dans la production du lait et le poids
croissant des forces de marché dans la régulation de ce secteur va vraisemblablement intensifier la
volonté de regrouper géographiquement les différents acteurs de la filière lait et d’accroitre la taille des
différents opérateurs impliqués.
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