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Actes du colloque

24 octobre 2012
Centre de conférences de Poitiers

Associer productions
animales et végétales
pour des territoires agricoles performants
Innovations Agronomiques 22 (2012), 1-16

Transformations des systèmes de production et des systèmes de culture du


bassin de la Seine depuis les années 1970 : une spécialisation des territoires
aux conséquences environnementales majeures

Mignolet C.1, Schott C.1, Benoît M.1, Meynard J.-M.2


1 INRA UR 055 ASTER, 662, avenue Louis Buffet, F-88500 Mirecourt
2 INRA Département SAD, F-78850 Thiverval-Grignon
Correspondance : mignolet@mirecourt.inra.fr

Résumé
Depuis la décennie 1970, les transformations de l’agriculture du bassin de la Seine ont provoqué une
rupture de la complémentarité entre cultures et élevage dans une large partie centrale du bassin qui
s’est spécialisée dans la production de grandes cultures. Les systèmes de polyculture élevage se sont
repliés dans les zones périphériques au côté de systèmes d’élevage spécialisés. Ces profonds
changements ont modifié les assolements, qui se sont spécialisés autour d’un nombre limité de
cultures, et les successions culturales qui se sont simplifiées et raccourcies, grâce notamment à l’usage
accru d’intrants de synthèse (engrais azotés et pesticides). Parmi les nombreux impacts
environnementaux dus à ces changements d’usage des sols, la qualité des ressources en eau
souterraines et superficielles du bassin s’est fortement dégradée. Cette dégradation restera marquée
dans les prochaines décennies, comme le montrent des travaux de modélisation. La rediversification
des cultures, via notamment le développement d’activités d’élevage, permettrait de renouer avec la
complémentarité entre cultures et élevage et de réduire la consommation en intrants extérieurs.
Toutefois, elle nécessiterait de comprendre les processus de verrouillage qui sous-tendent les
tendances lourdes actuelles qui confortent la spécialisation des systèmes de production et des
territoires et de légitimer des systèmes de production alternatifs.
Mots-clés : OTEX, assolement, succession culturale, itinéraire technique, qualité de l’eau, Petite
Région Agricole, bassin de la Seine
Abstract: Changes of agricultural production systems and cropping systems in the Seine
Basin since the seventies : a specialisation of territories with major environnemental impacts
Since the seventies, the agricultural dynamics in the Seine basin have induced a break in the
complementarity between crops and livestock in a large central area of the basin which has been
specialised in cash crops production. Mixed crop-livestock farming systems have been confined in
outlying areas next to specialised livestock farming systems. These major changes have modified the
cropping patterns, which have been specialised in a reduced number of crops, and also the crop
successions which have been simplified and shortened, notably thanks to an increased use of chemical
inputs (nitrogen fertilizers and pesticides). Among the numerous environmental impacts due to these
land use changes, the surface and underground water resource quality has been sharply damaged in
the basin. This damage will be marked for the next decades, as shown by modelling studies. The re-
diversification of crops, in particular through livestock development, would re-establish the crop-livestock
complementarity and reduce the use of external inputs. However, it would require understanding the
lock-in processes which underlie the major present trends and which reinforce the specialisation of
farming systems and territories, and also to legitimate alternative farming systems.
Keywords: technical-economic farm type, cropping pattern, crop succession, crop management,
water quality, Agricultural District, Seine basin
C. Mignolet et al

Introduction
Depuis la décennie 1970, l’agriculture française connaît de profondes mutations, encadrées et pilotées
par la politique agricole européenne et les impératifs des marchés, et marquées par des évolutions
agronomiques et techniques sans précédent. La modernisation de l’agriculture s’est accompagnée de
dynamiques spatiales qui ont créé, par effet d’homogénéisation des systèmes de production, les
grandes régions agricoles que nous connaissons actuellement. Une des tendances fortes de ces 40
dernières années est la spécialisation des exploitations agricoles – les unes produisant des cultures
sans élevage, les autres des animaux (presque) sans cultures – qui a conduit à la spécialisation de
régions entières, traditionnellement dédiées à une agriculture de polyculture élevage. Certaines dotées
d’avantages agronomiques sont devenues des régions de grandes cultures, d’autres bénéficiant de
situations commerciales et industrielles favorables ont concentré les activités d’élevage. La
« modernisation » de l’agriculture s’est donc majoritairement basée sur la spécialisation des territoires
autour d’un nombre restreint de productions.
De nombreux facteurs, politiques, économiques, techniques mais aussi humains, sont à l’origine de
cette spécialisation des régions de cultures et d’élevage. Le soutien des prix du blé et de certaines
grandes cultures, relayé après 1992 par les primes à l’hectare de céréales et d’oléoprotéagineux, la
diminution de la main d’œuvre agricole et la recherche d’une moins grande pénibilité du travail,
l’artificialisation croissante des milieux permise notamment par le drainage et les intrants chimiques
(fertilisation minérale, pesticides), expliquent le recul des activités d’élevage dans les régions les plus
propices aux grandes cultures. A l’opposé dans d’autres régions, la production de lait ou de viande s’est
concentrée autour d’un appareil industriel performant. Les spécialisations régionales des productions et
des industries de transformation se sont construites progressivement, avec l’objectif de valoriser,
chaque fois que possible, les aptitudes des sols et des climats, mais aussi de profiter d’économies
d’échelle et de réduire les coûts de logistique, en cherchant à localiser les productions à proximité des
usines. Le conseil technique, de plus en plus pointu et spécialisé, s’est également adapté : on ne trouve
plus dans chaque région que des conseillers connaissant parfaitement les productions dominantes, ce
qui tend à renforcer ce mouvement de spécialisation.
Nous proposons d’illustrer la spécialisation des régions agricoles en France à partir d’un cas d’étude
portant sur le territoire du bassin versant de la Seine. Ce bassin s’étend sur 23 départements du nord
de la France, couvrant une superficie de 95 000 km2. En 2000, le bassin de la Seine compte environ
100 000 exploitations qui représentent 15% des exploitations agricoles françaises et 23% de la surface
agricole utile (SAU). Plus de la moitié de la surface du bassin est occupée par des terres labourables,
ce qui en fait la principale région de production de grandes cultures en France. Notre analyse abordera
d’une part l’évolution des systèmes de production du bassin et d’autre part l’évolution des modes
d’utilisation du territoire, vue par l’évolution des assolements et des successions culturales, ainsi que
leur différenciation spatiale au sein du bassin.
Les analyses que nous présentons sont basées sur plusieurs sources d’information complémentaires
issues du Service de la Statistique et de la Prospective (SSP) du Ministère de l’Agriculture : les
recensements agricoles (RA) de 1970, 1979, 1988, 2000 et 20101 produisent des informations
exhaustives sur les orientations technico-économiques des exploitations et sur les assolements ;
l’enquête nationale « Teruti », conduite annuellement sur un échantillon constant de points répartis sur
le territoire national (de 1981 à 1990, de 1992 à 2003 et de 2006 à 2009) permet de reconstituer les
successions de cultures et leur évolution ; enfin, l’enquête « Pratiques culturales », réalisée en 1994,
2001 et 2006 sur un sous-échantillon de l’enquête « Teruti » décrit les itinéraires techniques pratiqués
sur grandes cultures. Ces sources d’information ont été complétées par une enquête à dire d’experts de

1 Le recensement agricole de 2010, disponible depuis peu, n’a pas pu être analysé aussi précisément que les précédents.

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Transformation des systèmes de production du bassin de la Seine

grande envergure, visant à reconstituer l’évolution des systèmes de culture du bassin de la Seine
depuis les années 1970 (Mignolet et al., 2004).
L’article est composé de trois parties. La première décrit les grands traits de l’évolution des systèmes de
production dans le bassin de la Seine depuis les années 1970. La deuxième partie est centrée sur
l’évolution des assolements et des successions culturales du bassin qui accompagne les changements
des systèmes de production, avec un focus sur l’évolution de l’usage de certains intrants de synthèse
sans lesquels ces évolutions n’auraient pu avoir lieu. Enfin, la troisième partie est consacrée aux
conséquences environnementales des transformations de l’agriculture du bassin, plus particulièrement
sur la qualité de ses ressources en eau.

Différenciation des régions agricoles selon la diversité des systèmes de


production et de leurs évolutions dans le bassin de la Seine
Un fort recul des systèmes de production de polyculture élevage ou d’élevage
spécialisé entre 1970 et 2000
La diversité des systèmes de production du bassin de la Seine est analysée grâce à la classification
européenne des OTEX, renseignée dans les recensements agricoles de 1970 à 2000, qui différencie
les exploitations selon la contribution des différentes spéculations à la constitution d’une marge brute
standard (Agreste, 1997). L’évolution de la SAU exploitée par les différentes OTEX entre 1970 et 2000
montre une forte progression des OTEX relatives à la production de grandes cultures (OTEX Céréales
et OTEX Grandes cultures de 1970 à 1988 ; OTEX Céréales et oléoprotéagineux et OTEX Cultures
générales en 2000) au détriment de l’OTEX de polyculture-élevage (OTEX Grandes cultures et
herbivores) et des OTEX d’élevages herbivores spécialisés (Bovins lait, Bovins viande, Bovins lait-
viande et Ovins) (Tableau 1). Cette évolution s’accompagne d’un processus de concentration très nette
des exploitations agricoles, puisque le bassin de la Seine perd 40% de ses exploitations entre 1970 et
2000 (Mignolet, 2008).
Les évolutions les plus marquantes semblent se produire entre 1970 et 19882 : progression de 14,5%
des OTEX de grandes cultures sur cette période alors qu’elle s’élève de 1,4% entre 1988 et 2000,
diminution de près de 10% de l’OTEX de polyculture-élevage entre 1970 et 1988 et d’un peu moins de
1% entre 1988 et 2000, diminution de près de 4% des OTEX d’élevages herbivores spécialisés entre
1970 et 1988 et de près de 1,5% entre 1988 et 2000.
1970 1979 1988 2000
Nombre d’exploitations agricoles 175000 145000 125000 100000
Grandes cultures 47.7 54.4 62.3 63.7
Polyculture élevage 26.7 19.7 16 15.3
Elevages herbivores spécialisés 21 21.1 17.2 15.8
Autres 4.5 4.5 4.5 5.2

Tableau 1 : Nombre d’exploitations agricoles et pourcentage de SAU exploitée par les grandes catégories
d'OTEX du bassin de la Seine entre 1970 et 2000 (Source : RA 1970, 1979, 1988 et 2000)

2 Les textes communautaires prévoyant une actualisation régulière de la classification des OTEX (définition des OTEX, mise
à jour des coefficients de calcul des marges brutes standards), l’utilisation des OTEX pour analyser l’évolution des systèmes
de production doit être faite avec précaution. En particulier, l’actualisation de la classification réalisée en 1996 rend délicate
la comparaison des années 1988 et 2000.

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C. Mignollet et al

Une ruptu
ure de la co
omplémenttarité cultu
ures / éleva
age au cenntre du bas
ssin
Les évolutions des systèmes dee productionn ne se sonnt pas produites de la m même façon selon la
localisatiion des systèèmes au seinn du bassin dde la Seine. Pour
P analyseer la différencciation spatiaale de ces
évolutionns, la localisation des OT TEX est effeectuée sur lee maillage dees 147 Petitees Régions Agricoles
(PRA) duu bassin (Figgure 1). Chaqque PRA estt ainsi décritee par une combinaison d’’OTEX correspondant
au pourccentage de SAU exploittée par chaqque OTEX dans d la PRAA. Par des m méthodes staatistiques
d’analysees multivariéées, des typoologies de PRRA sont consstruites en foonction des ccombinaisonss d’OTEX
dominanntes qui y sonnt situées, poour chaque a nnée de RA (Mignolet et al., 2007).

Figure 1 : Les 147 Pettites Régions Agricoles


A du bbassin de la Seine

En 1970, le bassin dee la Seine appparaît consttitué de cinq grandes zonnes agricoless (Figure 2). Au
A centre
se trouvvent les PRA A à dominante Céréales - Grandes cultures
c autoour de la Beeauce et danns le sud
Seine-et-Marne, ou à dominantte Grandes cultures - Céréales C au nord de PParis (Plateau picard,
Soissonnnais, St Queentinois et Laaonnois) et à l’est (Cham mpagne crayeuse). Sur lees bordures Ouest et
Est, sont localisées les PRA orieentées vers des activitéss d’élevage : polyculture--élevage bovvin lait en
Normanddie (Pays dee Caux, Valléée de Seine, Pays d’Ouchhe, Perche), en Lorraine (Barrois, Arggonne) et
dans le Barrois hauut-marnais ; dominance de l’élevagee bovin laitieer spécialiséé dans les Ardennes
A
(Ardennee, Thiérachee), le Bassignny et quelqu es PRA norm mandes et picardes
p (Lie uvin, Pays de
d Bray) ;
dominannce de l’élevaage bovin viaande dans lee Morvan et le Nivernaiss central. Enffin, entre less PRA du
centre eet celles de lal bordure Est,
E apparaît une zone de d transition, au niveau ddes départem ments de
l’Yonne et du Loiret,, constituée de PRA mixxtes orientéees vers la poolyculture-éleevage et les céréales
(Bries laitière et cham
mpenoise, Gââtinais, Orléaanais, Plateaau de Bourgogne et Plateaau langrois).
En 19799, les PRA du d centre duu bassin verrsant ont gloobalement coonservé les mêmes orieentations :
céréaless au sud-oueest de Paris, grandes culttures au nord-est. Quatree groupes dee PRA en boordure du
bassin m maintiennentt également leur orienttation vers des activités d’élevage associées à de la
polycultuure : Normanndie, Ardennes – nord M Meuse et Haaute-Marne pour p l’élevagge laitier, Nièèvre pour
l’élevagee viande. Quuant à la zonne de transittion, elle sem
mble progresssivement s’’étendre verss l’est du
bassin : une partie bascule
b verss une plus foorte proportioon des OTE
EX Céréales et Grandes cultures,
tandis qque l’autre plus
p à l’Est (correspondaant au Barrrois meusienn et haut-maarnais et auu Plateau
langrois)) passe d’unee dominancee Polyculturee-élevage – Elevage
E bovvin lait en 19970 à une doominance
Polycultuure-élevage – Céréales – Grandes cuultures.

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Trransformation des systèmes
s de productioon du bassin de
d la Seine

Figure 2 : Typologies des


d PRA du bassin
b de la Seeine en 1970, 1979, 1988 et
e 2000 (Sourcee : Mignolet, 20088)

Par conttre, en 19888, le bassin de d la Seine offre une immage très différente de ssa partie cenntrale. Un
nouveauu type de PR RA, presque entièrement
e spécialisées dans les graandes culturees (en moyeenne 82%
de la SA AU dans l’OTEEX Grandes cultures), esst présent dans les départtements de l’’Aisne, de la Marne et
de l’Aubee (Goëlle et Multien, Soisssonnais, St Quentinois et
e Laonnois, Champagnee crayeuse). La région
à dominaante Grandees cultures, juusqu’alors caantonnée au nord du basssin, gagne vvers le Sud ete l’Est, et
confine aau sud-ouestt de Paris la zone à dom minante Céréaales, dans lees PRA de laa Beauce, duu Drouais,
du Plateeau d’Evreuxx St André, du Hurepoixx et de la foorêt de Fontaainebleau. PPar contre, lees quatre
régions d’élevage iddentifiées enn 1979 sem mblent se maintenir,
m avvec pour le type Elevage bovin
lait/viandde – Polycullture-élevagee une progreession de l’O
OTEX Grandees cultures ((12% de la SAU des
PRA en moyenne).
Enfin, la cartographiee des types de PRA obteenus d’aprèss le Recenseement de l’Aggriculture dee 2000 ne
remet pas en cause les granddes zones aagricoles déffinies en 199883. La zonne orientée vers les
productioons de céréales et d’olééoprotéagineeux reste cantonnée au sud de Parris, alors quee l’OTEX
Culture ggénérale estt dominante au nord, voiire très largeement majoritaire en Chaampagne craayeuse et
dans le S Soissonnais, le St Quentinois et Laonnnois et le Saanterre. Hormmis quelquess PRA à l’extrême sud
du bassiin, toujours dominées
d paar l’élevage bbovin viandee, les bordures du bassinn, à l’ouest comme
c à
l’est, sonnt caractériséées par une majorité de systèmes de polyculturee - élevage, associés enn moindre
mesure avec des syystèmes laitieers spécialiséés. Enfin, le territoire des PRA de traansition qui forme un
long crooissant caracctéristique dee la borduree est du basssin, est esssentiellementt exploité paar l’OTEX
Céréaless et oléoprotééagineux, à laquelle s’ajooute l’OTEX ded polyculturre – élevage.
Les dernnières décennnies ont ainssi été marquéées par une rupture
r de la complémenttarité entre cultures
c et
élevage dans une laarge partie ceentrale du baassin de la Seine
S qui se spécialise ddans la production de
grandes cultures. Lees systèmes de polycultuure élevage se replient dans les zonnes périphérriques du
bassin, aau côté de syystèmes d’éleevage spéciaalisés.

3 Les préccautions mentioonnées précédeemment sur l’acctualisation de la nomenclaturre des OTEX reendent égalemeent délicate
la comparaaison des cartees obtenues en 1988 et 2000.

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Différe
enciation des régio ons agric
coles selo on la divversité dees systèm
mes de
culture
e et de leu
urs évolutiions dans le bassin
n de la Seine
Les trannsformations des systèm mes de prodduction du bassin de la Seine ontt des consééquences
importanntes sur les changemennts d’utilisatioon des solss par l’agricuulture. Depuuis les années 1970,
l’assolemment du basssin de la Seine est marqqué par des modifications de grandee ampleur, auu premier
rang dessquelles figuure l’augmentation constaante des surrfaces en bléé (+52% enttre 1970 et 2000) au
détrimennt notamment des prairiess permanenttes dont les surfaces
s chutent de plus de 30% sur la même
période ((Figure 3). Ces
C modificattions de l’asssolement s’acccompagnennt de changem ments imporrtants des
systèmes de culture, tant du point de vue dess successionss culturales que q du point de vue des itinéraires
techniques de conduite des cultures. Comm me pour less systèmes de productioon, les channgements
d’utilisatiion des sols s’avèrent spaatialement diifférenciés auu sein du basssin.

Figure 3 : Evolution des principaless occupations du sol du baassin de la Seeine entre 19770 et 2009. (SSources : RA
1970, 19799, 1988, 2000 et enquête
e Teruti 20009)

D
Des assole ements qu ui se spéciialisent tou
ut en subis
ssant un re
recul des espèces
e
végétalles liées à la polycultture élevag
ge
Les prairries, supportss des activitéés d’élevage de ruminantss, sont encorre bien préseentes en 1970, hormis
en Cham mpagne crayeeuse et en Beauce
B où el les représentent déjà mooins de 10% de la SAU (F Figure 4).
Depuis ccette période, la baisse dees surfaces een prairies esst continue, jusqu’à
j une qquasi-disparition dans
toute la partie centrrale du basssin. Les surffaces en herrbe se concentrent sur les borduress sud-est
(Morvan, Auxois), nord-est
n (Arddennes) et oouest (Bassee Normandiee) du bassinn, dans dess régions
d’élevage où elles occupent
o pluus de 50% de la SAU. Dans la plupart des rrégions d’éleevage, la
diminutioon des surfacces en herbee est en partiie compenséée par la proggression du m maïs fourragge (Figure
5), moyeennant souveent des améénagements tels que le drainage.
d Ceette progresssion du maïs fourrage
est particculièrement marquée
m danns les annéees 1980, puiss dans les années 1990 een Normandie et dans
les Ardeennes, en rellation avec l’intensificatioon de la prodduction laitièère et le déveeloppement d’ateliers
d’engraisssement de jeunes bovins.
L’évolutioon de la locaalisation des surfaces en luzerne appparaît particulièrement emmblématique du déclin
des explloitations de polyculture élevage danns le bassin de d la Seine (Schott et all., 2010). Enn 1970, la
luzerne eest présentee sur l’ensem mble du territooire, et en général autocconsommée par le bétail dans les
exploitations où elle est cultivée, avec des suurfaces pouvvant atteindree par endroit 10 à 15% de la SAU
(Figure 66). Trente anns plus tard, ses surfacess ont chuté de d 74% et nee représenteent plus qu’1,,5% de la
SAU du bassin. La luzerne
l s’estt progressiveement conceentrée en Chhampagne crrayeuse dont les sols

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calcairess à forte réseerve hydriquee sont favoraables à une production


p élevée, encouurageant l’impplantation
d’usines de déshydrratation produisant des bbouchons quui sont incorpporés dans l es aliments du bétail
vendus aaux éleveurss des régionss spécialiséess en élevagee. Cette production déclinne à son tourr dans les
années 2000 en relation avec la hausse duu prix de l’éénergie, la baisse b du sooutien europééen et la
concurreence du tourteau de soja venu
v du conttinent américcain.

Figure 4 : Evolution dees surfaces enn prairies perm


manentes entre 1970 et 2010 (Source : Rece
censements agriccoles4)

Figure 5 : Evolution dees surfaces enn maïs fourragge entre 1970 et 2010 (Sourcce : Recensemennts agricoles)

A l’inversse des prairiees, le blé tenndre est préssent sur l’enssemble du baassin suivant un gradient croissant
de la périphérie verss le centre (F Figure 7). Enn 2000, seulees les régionns du Morvann, des Ardennnes et le

4 Les inforrmations du RA A 2010, obtenuees à partir du siite d’accès auxx données en lig
gne du Ministèrre de l’Agriculture (DISAR)
sont confiddentielles sur ceertaines PRA.

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Pays d’A Auge de Bassse-Normanddie gardent ddes surfaces en blé inférrieures à 15% % de leur SA AU, alors
qu’elles sont supérieeures à 35% % sur plus dde la moitié du bassin juusqu’à atteinndre 45% ouu plus en
Beauce et dans certaines régioons agricolees de l’Oise et de Seinne-et-Marne. En relation avec la
spécialissation des réggions de cultture, les surffaces en colzza, en pois protéagineux et, dans unee moindre
mesure, en tournesool se développpent de maanière parfoiss spectaculaaire à partir ddes années 1980, au
détrimennt des céréales secondaires (orge, sseigle, avoine), du maïs grain et de la luzerne. Le colza
s’étend dd’abord aux régions péripphériques dee l’est du basssin où ses surfaces
s sonnt multipliées par 3 en
30 ans, puis dans certaines
c régions céréalièères du centtre et de l’ouuest du basssin. Dans less années
2000, prrofitant de la diminution des surfaces en pois protééagineux, le colza deviennt la principale culture
tête de rootation dans la plupart dees régions aggricoles du baassin de la Seine.
S

Figure 6 : Evolution des


d surfaces en prairies aartificielles (luzzerne) entre 1970 et 20100. (Source : Reecensements
agricoles)

Figure 7 : Evolution dees surfaces enn blé entre 19770 et 2010 (Soource : Recensem
ments agricoles)

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s de productioon du bassin de
d la Seine

D
Des succe
essions de cultures q ui se simplifient et se
e raccourciissent
En parallèle à ces changementts profonds d’assolemennt, les succeessions de ccultures se modifient
témoignaant d’une traansformation des logiquees agronomiqques. La tenddance dominnante observvée sur le
bassin dde la Seine est
e marquée par la simpplification dess successions culturales,, liée notamm ment à la
réductionn du nombree d’espèces cultivées
c (Schhott et al., 20010). L’analyyse des suitess de culturess sur trois
années cconsécutivess (nommée « triplets de cultures »), réalisée à paartir de l’enqquête annuellle Teruti,
montre qque 37 tripleets de culturres différentss doivent êtrre pris en coompte pour rreprésenter 50% des
terres laabourables ene 1992-1995, alors qu’ il n’en faut plus que 166 en 2006-22009 (Figuree 8). Les
successiions à base de pois et de tournesool diminuentt, voire dispaaraissent, ett sont principalement
remplacéées par des successionss à base de ccolza (colza--blé-orge, bléé-colza-blé ett colza-blé-bblé) et par
des succcessions cérééalières (blé--blé-blé, blé--blé-orge et blé-orge-orge
b e). Les rotatioons quadriennnales de
type poiss-blé-betteraave-blé sont souvent rem mplacées parr des rotationns plus courtrtes de type « tête de
rotation-blé-blé » ou « tête de rotaation-blé-org e ».

Figure 8 : Evolution dee la proportionn de triplets dee cultures maajoritaires danss les terres la bourables du bassin de
la Seine eentre les périoodes 1992-19995 et 2006-20009 (Source : enqquête Teruti ; Schott et al., OCL 22010)

Tout comme l’évoluution des syystèmes de production et des assolements, laa simplification et le
raccourccissement dees rotations culturales
c preennent des formes
f différentes selon leur localisation dans
le bassinn de la Seinee. La progression de la rrotation colza-blé-orge, même
m si ellee concerne quasiment
q
l’ensembble du territooire, est surttout marqué e dans sa partie
p Est, en
e particulierr sur les plaateaux du
Barrois eet de la Bourrgogne et dans le départeement de l’YYonne (Figuree 9). De mannière complémentaire,
la rotatioon colza-blé-bblé progresse essentielleement dans l’ouest du bassin, notamm ment dans lees plaines
de Beauuce, tout com mme l’augmeentation de la monoculture de blé essentielleme
e ent localiséee dans le
nord-oueest du bassinn.

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Figure 9 : Evolution dee la proportion de 3 tripletss de cultures dans


d les terrees labourabless du bassin dee la Seine
entre les périodes 19922-1995 et 20006-2009 (Sourcee : enquête Teruti)

D
Des évoluttions perm
mises par un
n usage ac
ccru des in
ntrants de ssynthèse
La spéccialisation dees systèmes de producttion et des assolementss ainsi que la simplificaation des
successiions de cultuures ont été rendus
r possiibles grâce à une forte évvolution des itinéraires teechniques
de conduite des culltures, et en particulier ppar l’augmenntation constante de l’ussage des intrants de
synthèsee. Dans les régions de grande cultuure, l’absencce d’effluents d’élevage et la disparrition des
protéaginneux entraînnent un besooin accru d’eengrais azotté. D’après une enquêtee de grande ampleur
conduitee auprès d’unne centaine d’experts
d de l ’agriculture dans
d le bassiin de la Seinee, nous avonns montré
que sur la culture duu blé, la dosse totale d’azzote apportéée ne cesse de s’accroîtrre depuis les années
1970. Ceet accroissem ment s’accom mpagne à paartir de la finn des annéess 1970 d’unee systématisation des
traitemennts fongicidees et des réégulateurs dee croissancee, dans le cadre de ce que l’on a appelé à
l’époquee la « conduite intensivee du blé ». C Celle-ci assoocie semis très t précocees, densités fortes et
alimentaation azotée soutenue qui favoriseent l’obtention de renddements éleevés, mais aussi le
développpement des populations de parasitess, d’adventicces, ainsi quue la verse ((Meynard et Girardin,
1992 ; M Mignolet et al.,
a 2004). D’une
D manièrre générale, les intrants, et en partiiculier les pesticides,
acquièreent, dans les dernières déécennies du X XXème siècle,, un statut d’aassurance coontre le risquue. Du fait
de la syystématisation des traitements régulaateurs de crroissance et de la sélecction de variiétés très
résistanttes à la verrse, la crainnte de la veerse s’atténuue, et un gaarde-fou viss-à-vis des excès e de
fertilisatioon azotée disparaît. A paartir des annéées 1990, less apports d’eengrais azotéé sont de plus en plus
fractionnnés, passant de deux appports dans lles années 1970 1 à trois voire quatree dans la pluupart des
régions aagricoles du bassin (Figure 10).

10 Innovations Ag
gronomiques 22
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16
Trransformation des systèmes
s de productioon du bassin de
d la Seine

250

4,5

200 4

3,5
n/ha
ou UUN/ha

Nombre d'apports
150 Rdt Bléé 3

Fertilis
sation
2,5
/ha ou

Linéairre (Rdt Blé)


Qx t/ha

100 Linéairre (Fertilisation) 2

1,5

50 1

0,5

0 0
1970 1975 1980 1985 1990 199
95 2000 1970 1975 1980 1985 1990 199
95 2000

Figure 100 : Evolution de


d la quantité d’azote minééral apportée, du rendemennt et du nombrre d'apports d'azote
d sur
blé entre 1970 et 2000 (Source : enquêête à dire d’experrts ; Mignolet et al.,
a Agronomie, 20
004)

Plus quee la fertilisatioon azotée miinérale, les ppesticides sont devenus lees pivots dess systèmes ded culture
(Meynardd et Girardinn, 1992). Less rotations ccourtes, dom minées par unn petit nombbre d’espècees dont la
concentrration s’accrooît dans les territoires,
t soont dépendantes de l’usaage des pestticides qui peermettent
de maîttriser les poopulations de parasites,, ravageurs et adventicces. Les réésultats de l’enquête
«Pratiques culturaless » de 1994, 2001 et 20066 permettentt de l’illustrerr. Sur blé, Guuichard (20100) montre
que les blés sur bléé reçoivent plus p de traiteements phyttosanitaires que les bléss assolés. Sur S colza,
l’Indice dde Fréquence de Traitem ment (IFT) heerbicides est inférieur à 1,5
1 dans les systèmes enn rotation
longue aavec colza labouré, alors que les systtèmes associant rotationss courtes et ccolza non labbouré ont
un IFT hherbicides dee plus de 2 (S Schmidt et all., 2010). La Figure 11 montre,
m pour lle bassin de la Seine,
l’évolutioon du nombrre de traitem ments herbiciddes effectués sur colza : entre 19944 et 2001, cee nombre
augmentte parallèlem ment à la progression de la fréquencee du colza puis p l’augmenntation du noombre de
traitemennts se concentre sur la frange Est,, où la cultuure du colzaa est la pluss répandue, et où la
successiion courte coolza-blé-orgee a le plus pprogressé. Schott et al. (2010)
( confirrment qu’il existe une
corrélatioon positive significative,
s sur l’ensembble des régioons agricoless du bassin de la Seine, entre le
pourcenttage de colzza dans la SAU d’une région et le nombre moyen m de trraitements herbicides
h
effectuéss sur colza dans
d la mêm
me région (R2 = 0.52, surr 22 petites régions).
r Dess relations analogues
a
sont égaalement obsservées pourr le nombre de traitemeents insecticides et pourr le nombree total de
traitemennts phytosannitaires sur coolza (Schott eet al., 2010).

Figure 111 : Evolution du nombre dee traitements herbicides suur colza d'hiver entre 1994 et 2006 (Sourcce : enquête
Pratiques cculturales sur granndes cultures, 19994, 2001 et 20066 ; Schott et al., OCL
O 2010)

Innovations Ag
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C. Mignollet et al

Conséquences environneementales
s de la sp
pécialisation des réégions ag
gricoles
du bas
ssin de la Seine
La spéccialisation des régions agricoles ddu bassin, qui s’accom mpagne d’unne simplificaation des
assolements et des successions
s culturales ett d’un usage accru des inntrants de syynthèse, est à l’origine
de différents problèm mes écologiques. Les muutations profoondes et rapides de l’agrriculture au coursc des
40 dernièères années ont abouti à l’uniformisaation des payysages du bassin de la Seeine, favoriséée par de
vastes opérations de remembbrement soouvent assoociées à dees opérationns d’aménaagements
hydrauliqques de grannde ampleur (Schott et B Billen, 2012). Les zones humides
h drainnées ont ainsi vu leur
surface m multipliée paar 4 en 30 anns, passant de 3% de laa SAU du bassin en 19700 à 12% en 2000. Le
remplaceement des prairies
p d cultures annuelles ett l’agrandisseement des paarcelles agricoles ont
par des
entraîné une perte de biodiversitéé liée à la di minution de l’hétérogénééité des mosaaïques paysaagères et
à la réduuction de la diversité
d et dee la connectivvité des habitats.
Par ailleeurs, l’augmeentation de l’usage des intrants de synthèse, engrais e minééraux et pesticides, a
provoquéé la contamination des ressources een eau souteerraines et superficielles
s s du bassin, qui s’est
aggravéee dans la quasi-totalité des rivières eet des massees d’eau, atteeignant parfo is des seuilss critiques
dans less régions spéécialisées en grande cult ure (Schott et e al., 2009). Les mesurees des conceentrations
en nitratee réalisées par
p l’Observaatoire Nationaal de la Quallité des Eauxx Souterrainees (ONQES) sur 6500
points daans les trois grands aquiffères du basssin (Craie, Eoocène et Oliggocène) monntrent une proogression
régulièree de ces conncentrations, s’élevant enn moyenne à 0,64 mg/l/aan sur près dde 30 ans (F Figure 12)
(Viennot et al., 2009)). La quasi-tootalité des rivvières du baassin apparaissent contam minées par lee nitrate :
depuis 11985, un tierrs des statioons de suivi de rivières sont passéees d’une quaalité « passaable » au
regard de ce critère à une qualitéé « mauvaisee ». De surcrooît, les suivis de la qualitéé des eaux de surface
montrentt une contaamination récurrente parr les pesticides sur l’ensemble du territoire du bassin
(Blanchooud et al., 20011) : en 20006, plus d’un tiers des pooints de mesures montrennt des conceentrations
en pesticcides supérieeures aux normes de quaalité pour l’alim mentation enn eau potablee (Schott et al.,
a 2009).
La rémaanence de ceertains produuits, tels que l’atrazine, explique
e également la conntamination des eaux
souterraines malgré leur interdicttion depuis pplusieurs années, conduissant à l’aban don des capptages les
plus contaminés.

Figure 122 : Evolution annuelle de la médiane dees concentratiions en nitratee dans les caaptages du baassin de la
Seine (Soource : ONQES ; Viennot et al., 20009)

Cette déégradation dee la qualité des


d ressourcces en eau du d bassin de la Seine, enngagée ces dernières
décenniees, restera marquée poour longtempps. La modéélisation de la dynamiqque de polluution des
formationns aquifères par le nitrate, basée surr l’association du modèlee de culture SSTICS et du modèle

12 Innovations Ag
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16
Trransformation des systèmes
s de productioon du bassin de
d la Seine

hydrogéoologique MO ODCOU et sur la reconstittution de l’évoolution des systèmes de cculture à l’écchelle des
PRA (Leedoux et al., 2007), montre que les noombreuses inerties du syystème hydroologique (ineertie de la
zone nonn saturée, teemps de transsfert vers less aquifères trrès longs couuvrant parfoiss plusieurs décennies
d
et inertiee propre dees aquifères) limitent à court et moyen
m termes l’efficacitéé de toute forme
f de
changem ment de pratiique agricolee. Même la ssimulation du scénario exxtrême basé sur l’arrêt coomplet du
recours aaux engrais minéraux azotés sur le bbassin ne perrmet de retroouver de faibbles concentrrations en
nitrate qqu’au bout de d plusieurss décennies (Figure 13). De la mêême façon, d’autres traavaux de
modélisaation montrennt qu’il faudrra attendre uune cinquantaaine d’annéees après l’inteterdiction de l’atrazine
pour qu’eelle disparaissse des eauxx souterraine s des grandss aquifères du bassin (Scchott et Billenn, 2012).

Figure 133 : Modélisatioon de la contaamination dess aquifères du bassin de la Seine par le nnitrate. (Sourcee : Viennot et
al., 2009)
Figure dee gauche : Comparaison dess résultats fournnis par le modèle STICS-MODCOU et des valeurs observvées in situ
pour la méédiane des conncentrations en nitrate dans lees formations aquifères de l’Oligocène, de l’EEocène et de laa Craie (les
prédictionss pour les annéées futures correspondent à unn maintien des pratiques agricoles des dix deernières annéess associées
à la métééorologie de cees mêmes années) – Figure de droite : Evolution compa arée de la méddiane des concentrations
calculées pour 3 scénarioos différents

usion
Conclu
Les channgements dees systèmes de productioon et des modes d’usage des sols ddu bassin de la Seine
ont abouuti à la spéccialisation de territoires oorientés vers la productioon de grandees cultures dans
d une
large paartie centralee du bassin et au recuul massif dees activités d’élevage ca cantonnées dansd ses
périphéries, associéees ou non à de la polycu lture. Ces traansformations ont eu dess impacts maajeurs sur
l’environnement, en particulier
p suur les ressourrces hydriquees dont les contamination
c ns par le nitrrate et les
pesticidees vont en s’aggravant.
s Depuis une dizaine d’annnées, la prisse de consccience de l’im mpasse à
laquelle conduit cettte agriculturee spécialiséee et intensivve débouchee sur une évvolution sensible des
politiques publiques : l’éco-condittionnalité de s aides de laa Politique Agricole
A Com
mmune (PAC C), le plan
Ecophytoo 2018 entériné par le Grenelle
G de l’’Environnement, la réorieentation depuuis 2010 d’uune partie
des aidees du premier pilier de la PAC vers lees systèmes d’élevage heerbagers, vonnt dans le seens d’une
meilleuree prise en compte dees préoccuppations environnementales. Pour aautant, ce sont s des
transformmations radicales des façons
f de pproduire qu’il faudrait poouvoir impullser, à l’oppposé des
tendancees lourdes quui perdurent.
Parmi cees transformaations, la reddiversificationn des culturess, via notamm
ment le déveeloppement d’activités
d
d’élevage dans les zones
z de graande culturee, favoriseraitt le recyclage local d’élééments fertilissants, en
renouantt avec la com mplémentaritté entre l’aniimal et le véégétal, et l’exxpansion de cultures favoorables à
l’environnement tellees que les légumineusees, permettaant de réduire les conssommations d’intrants
extérieurrs (engrais azotés, protéines végétalees pour l’alim mentation dess animaux). DDiversifier less cultures

Innovations Ag
gronomiques 22
2 (2012), 1-1
16 13
C. Mignolet et al

dans les successions et les paysages permettrait également de réduire l’emploi des pesticides et ainsi
d’améliorer l’état des écosystèmes. Toutefois, cette diversification se heurte aux dynamiques de filières,
qui poussent à la simplification des systèmes de production (Farès et al., 2012). La disparition des
infrastructures de collecte laitière dans les zones où s’est établie la domination des grandes cultures
constitue un obstacle majeur à une rediversification vers la polyculture-élevage. A moyen terme, la
suppression des quotas laitiers devrait conduire à une accélération du processus de concentration de
l’élevage dans les régions les plus compétitives, ce qui permettra encore de réduire les coûts de
collecte (Daniel et al., 2008). Les systèmes de production actuels et leur localisation s’avèrent
totalement cohérents avec l’organisation des filières amont et aval en place et avec les systèmes de
diffusion des conseils technico-économiques aux agriculteurs, On est dans un cas typique de
« verrouillage technologique5» autour de ces systèmes agricoles spécialisés et intensifs en intrants
(Vanloqueren et Baret, 2009 ; Lamine et al., 2010). La forte cohérence du système socio-technique qui
produit ce verrouillage est le résultat de la remarquable réponse du monde agricole à l’injonction
d’accroissement de la production de céréales, et d’accroissement de la compétitivité internationale de
l’agriculture.
Proposer des systèmes de production alternatifs qui ne soient pas qu’une adaptation à la marge des
systèmes dominants actuels nécessite d’une part de comprendre les processus de verrouillage qui
confortent les systèmes actuels et d’autre part de contribuer à légitimer des systèmes innovants d’un
point de vue scientifique et pratique (Vanloqueren et Baret, 2009). Plusieurs dispositifs de recherche
sont développés dans ces deux perspectives. Concernant la première, les Zones Ateliers telles que le
PIREN-Seine6, dont l’objectif général vise à comprendre les relations entre transformations des activités
humaines – et parmi elles les activités agricoles - et processus écologiques, associent sciences
biotechniques et écologiques et sciences humaines pour analyser les interactions « humain –
environnement » et les conditions de leurs changements à l’échelle de territoires, via notamment des
moyens d’observations et de modélisation. Les Observatoires des activités et des pratiques agricoles
dans les territoires (Benoît, 2007 ; Benoît et al., 2009 ; Le Ber et al., 2011) constituent également des
dispositifs pertinents pour accompagner l’ensemble des acteurs concernés par le développement
durable d’un territoire, en permettant l’élaboration d’un cadre de connaissances et d’informations
commun sur les relations activités – ressources de ce territoire. Ce cadre commun est un outil mobilisé
par les acteurs pour produire une plus grande intelligibilité collective des situations complexes
auxquelles ils sont confrontés, facilitant et enrichissant leur réflexion sur l’évolution des systèmes de
production et la réorganisation de leur territoire.
Pour la seconde perspective, ce sont des dispositifs d’expérimentations pluriannuelles de nouveaux
systèmes de production agricoles qui sont mobilisés : l’expérimentation système, placée à l’échelle du
système de production voire du paysage, vise à concevoir et tester des systèmes agricoles cohérents,
ainsi qu’à les évaluer au regard de multiples critères (environnementaux, économiques et sociaux).
Parmi les différentes formes d’expérimentation système7, l’approche fondée sur la conception de
systèmes agricoles « pas à pas » en fonction des fluctuations de contexte (climat, marchés…) et de
l’évolution des connaissances des expérimentateurs, est particulièrement adaptée pour formaliser la
construction progressive de nouveaux systèmes de production, autonomes en intrants, à partir de
systèmes initiaux recourant à des intrants extérieurs (Coquil et al., 2009 ; Meynard, 2008). Différentes

5 Le concept de verrouillage technologique traduit une situation dans laquelle une technologie A peut être adoptée de façon
durable voire irréversible au détriment d’une technologie B, et ce même si la technologie B apparaît, ex-post, comme étant la
plus efficace (Labarthe, 2010).
6 Programme Interdisciplinaire de Recherche en ENvironnement sur le bassin de la Seine. C’est dans ce programme que les
travaux présentés dans cet article ont été conduits.
7 Le dernier numéro d’INRA Magazine (n°22, octobre 2012) consacre son dossier à ce concept d’expérimentation.

14 Innovations Agronomiques 22 (2012), 1-16


Transformation des systèmes de production du bassin de la Seine

expériences centrées sur la conception de systèmes de production articulant étroitement cultures et


élevage, valorisant les ressources du territoire et favorisant l’autonomie en intrants (Coquil et al., 2011)
ou sur la conception de systèmes de production de grandes cultures basés sur des rotations culturales
diversifiées (Mischler et al., 2009 ; Schneider et al., 2010) montrent que la rediversification des
productions agricoles dans les exploitations peut être intéressante tant au plan économique
qu’environnemental. Les connaissances et ressources produites à partir de telles expériences,
associées à la compréhension des dynamiques agricoles en cours et des conditions de leurs
changements, doivent contribuer à impulser et à accompagner les nécessaires transformations de
l’agriculture.

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16 Innovations Agronomiques 22 (2012), 1-16


Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30

Cycle du carbone et risques environnementaux dans les écosystèmes


prairiaux

Chabbi A.1,3*, Cellier P.2, Rumpel C.3, Gastal F.1, Lemaire G.1,

1 INRA, UR0004 Prairies et Plantes Fourragères, 86600 Lusignan, France


2 INRA, UMR 1091 Environnement et Grandes Cultures, 78850 Thiverval-Grignon, France
3 CNRS, UMR 7618 Biogéochimie et Ecologie des Milieux continentaux, 78850 Thiverval-Grignon,
France
*Correspondance : abad.chabbi@lusignan.inra.fr

Résumé
Au sein des territoires de polyculture-élevage, la prairie et les cultures fourragères pérennes jouent un
rôle essentiel dans certaines fonctions environnementales, (i) maintien de la qualité des sols, (ii)
régulation du cycle de l’azote et du carbone (iii) séquestration du carbone dans les sols (iv) maintien de
la biodiversité …. Or, la gestion et la conduite de la praire peuvent avoir des conséquences sur les
couplages et découplages entre cycles de C et N, et in fine sur la séquestration et stockage de C dans
le sol, les émissions de GES et la pollution des eaux souterrains. Une intégration intelligente des
cultures et des systèmes d’élevage pourrait assurer la durabilité des agroécosystèmes et garantir les
services environnementaux et écologiques attendus.
Mots-clés : prairie, carbone, azote, matière organique, cycles biogéochimique, occupation du sol

Abstract: Carbon cycle and environmental risks in grassland ecosystems


In landscapes with alternation of crop land and grazing, grasslands play a fundamental role in
safeguarding certain environmental functions such as (i) maintenance of soil quality, (ii) regulation of
carbon and nitrogen cycles, (iii) carbon sequestration in soils, (iv) maintenance of biodiversity…
Grassland management has an impact on coupling and decoupling of C and N cycles, C sequestration
in soils, greenhouse gas emissions and groundwater pollution. Therefore, an integrated management of
croplands and grasslands and the establishment of temporary grasslands may be beneficial for the
sustainability of agroecosystems and their associated environmental and ecological services.
Keywords: Grasslands, carbon, nitrogen, soil organic matter, land use, biogeochemical cycles

Introduction
Autrefois, la durabilité de la production agricole était assurée grâce à l’introduction des prairies, liée à
une association avec l’élevage, dans les rotations céréalières (Chazal et Dumont, 1955). A cette notion
ancienne, le concept actuel de durabilité rajoute une dimension environnementale, territoriale et
sociale. Il ne s’agit plus seulement de produire durablement des denrées agricoles, mais encore de
mettre en œuvre des formes de production agricole qui participent effectivement à des modes de
développement durable des territoires ruraux. Les rotations cultures céréalières-prairies permettaient de
bénéficier des effets précédents des prairies (Sébillotte, 1980) et du recyclage de l’azote et d’autres
éléments par les animaux au pâturage ou par l’application d’effluents animaux sur les cultures.
Cependant, l’utilisation d’intrants externes a permis l’intensification de la production et rompu en grande
partie cette relation de dépendance réciproque, du moins à court terme. De plus, différentes
A. Chabbi et al.

considérations d’ordre économique et social ont conduit à une forte spécialisation des exploitations.
Ceci a abouti à une uniformisation des modes d’occupation des sols sur de vastes régions en Europe.
Les surfaces en prairies sont reconnues comme ayant des impacts environnementaux généralement
positifs au sein des territoires. En effet, les prairies permettent d’accumuler de la matière organique
(MO) dans les sols (Bouwman, 1990, Casella et Soussana, 1997) et donc de stocker et séquestrer du
carbone à relativement long terme contribuant ainsi à limiter l’augmentation du CO2 atmosphérique et
ses conséquences en terme de réchauffement climatique. La couverture végétale permanente du sol
par la végétation prairiale permet aussi de réguler le cycle de l’eau en limitant le ruissellement et en
favorisant l’infiltration des pluies ce qui se traduit par une limitation des risques d’érosion (Sébillotte
1980). Par là-même, elle protège également les eaux superficielles des pollutions phosphatées et des
pesticides introduits dans les systèmes cultivés (Benoit et al. 2000). De plus, la permanence d’une
couverture végétale et d’une activité rhizosphérique permet de réguler le cycle de l’azote en assurant
un couplage étroit avec celui du carbone ce qui limite fortement les risques de lixiviation du nitrate vers
les nappes et contribue donc efficacement à la protection de la qualité des aquifères (Butterbach-Bahl
et al., 2011). Elle peut cependant être importante sous prairies pâturées lorsque le chargement animal
est élevé (Garwood et al. 1986 ; Vertès et al., 2008) du fait des rejets de N extrêmement localisés. De
plus, la végétation prairiale entretient une diversité de la microflore et de la microfaune, et
réciproquement, les communautés microbiennes et faunistiques du sol modifient la disponibilité des
nutriments et les propriétés physiques des sols (Lavelle et al. 1997; Cannavacciulo et al. 1998). Ces
phénomènes persistent dans les sols au-delà de la remise en culture de la prairie et contribuent à
l’amélioration de la qualité des sols. La végétation prairiale est elle-même source de biodiversité qu’elle
soit héritée d’une dynamique d’évolution floristique liée aux modes de gestion dont elle est ou a été
l’objet comme dans le cas des prairies permanentes, ou qu’elle soit induite par des choix raisonnés de
mélanges d’espèces et de génotypes dans le cas des prairies temporaires semées. Enfin,
l’accumulation de matières organiques sous prairie peut contribuer au piégeage à long terme de
certains xénobiotiques (pesticides et/ou métaux traces) qui sont introduits dans les sols durant les
phases de culture.
L’ensemble de ces services environnementaux et écologiques attendus de la prairie s’analyse le plus
souvent à l’échelle locale de la parcelle agricole. Si la prairie apparaît globalement comme un mode
d’occupation du sol ayant des effets environnementaux plutôt positifs, le sens de ces effets et leurs
intensités dépendent des modalités de conduite de la prairie (fauche vs. pâturage, niveau de
chargement, nature et quantité des apports fertilisants, légumineuses vs. graminées) et des modalités
d’insertion de ces prairies dans les rotations. Il est cependant important de souligner aussi l’impact des
prairies à l’échelle du paysage en synergie avec les autres éléments fixes comme les bois, bosquets,
haies, bords de champs et de chemins qui constituent au sein des zones cultivées des zones refuges
indispensables pour tout un cortège d’espèces animales qui constituent une partie de la biodiversité à
l’échelle d’un territoire. En particulier, les modalités de la gestion des prairies et leurs effets sur le
couplage et découplage entre cycles de C et N restent à explorer afin de mieux comprendre les
relations GES et dynamique des matières organiques et stockage de carbone.

18 Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30


Cycle du carbone et risques environnementaux

Cet article vise à montrer comment les cycles du carbone et de l’azote sont étroitement associés au
sein des prairies, et à décrire les processus et les modes de gestion qui conduisent aux stockage de
carbone. On exposera dans un premier temps comment les cycles du carbone et de l’azote peuvent
être couplés et découplés au sein des systèmes d’élevage utilisant des prairies, pour ensuite analyser
comment la gestion des prairies peut influencer la dynamique des matières organiques des sols et enfin
analyser plus précisément les mécanismes de stabilisation et de déstabilisation du carbone sous
différentes conduites contrastées des prairies. Les processus spécifiques opérant dans les sols des
prairies seront comparés à ceux sous d'autres usages. En outre, les différentes sources d'apport de
carbone et leur capacité à être séquestrées dans le sol seront discutées.

Couplage et découplage des cycles biogéochimiques dans les sols de prairies


Du point de vue des cycles biogéochimiques qui régulent les flux environnementaux vers l’atmosphère
et vers l’hydrosphère, la végétation herbacée pérenne des prairies permet un couplage étroit entre le
cycle de C et le cycle de N. Ce couplage se réalise en fait à deux niveaux : grâce à la photosynthèse et
à l’assimilation de l’azote produisant la MO, et à l’activité rhizosphérique qui favorise la synthèse de
corps microbiens dans le sol (Murphy et al., 2003). Ceci explique la très faible durée de vie de l’azote
minéral dans les sols de prairie du fait des flux importants d’absorption par la végétation et de
réorganisation, et donc les faibles taux de lixiviation du nitrate sous végétation. Cette capacité de
« rétention » de l’azote par la prairie est elle-même déterminée par sa capacité de stockage et de
séquestration du carbone grâce au couplage intime entre les cycles de ces deux éléments.
Lorsque la prairie est pâturée, il y a un découplage important de C et de N par l’animal via la
consommation de la plante par l’animal, qui va produire de l’azote et du carbone facilement disponibles
sous des formes séparées. Le découplage C-N par les animaux peut progressivement contrebalancer la
capacité du couplage C-N du système sol-végétation, pouvant nécessiter un compromis entre la
production et les objectifs environnementaux. Environ 70% du carbone ingéré par les animaux au
pâturage est libéré dans l'atmosphère sous forme de dioxyde de carbone (CO2) dans la respiration et le
méthane (CH4) dans la fermentation du rumen (Parsons et al., 2011). Avec des prairies fertilisées, 60 à
80% de l’azote qui retourne au sol est sous une forme très labile et peu couplée au carbone (azote de
l’urine) (Peyraud et al., 1997), produisant des émissions d’ammoniac et des spots de forte
minéralisation qui sont potentiellement source de lixiviation de nitrate ou/et d’émission de N2O. Lorsque
des prairies sont conduites intensivement au pâturage, au-delà d’un certain niveau de chargement
animal, on observe une augmentation rapide de la concentration en azote minéral dans le sol et des
pertes par lixiviation (Jarvis, 1999). Le chargement animal est un bon indicateur du risque de pollution
(Simon et al., 1997). Ce phénomène est observable quelque soit la source d’azote qui permet
d’intensifier le système, engrais minéraux ou organiques ou fixation symbiotique d’azote par les
légumineuses : des prairies gérées intensivement grâce à une proportion importante de trèfle blanc ont
un potentiel de pollution nitrique équivalent aux prairies de graminées pures fertilisées lorsqu’elles sont
comparées à même chargement animal (Eriksen et al., 2010). Quant aux émissions de N2O par les sols
de prairie, elles sont assez difficiles à évaluer (Fléchard et al., 2007). Elles varient entre 0.3-18.16 N2O-
N ha-1 pour des prairies fertilisées et 0.10 et 1.30 kg N2O-N ha-1 pour des prairies comprenant des
légumineuses (Jensen et al., 2012). C’est donc l’intensité de la restitution locale de N par l’animal qui,
dépassant alors le potentiel de recouplage C-N de la végétation, engendre cet accroissement des
risques de pollution. Des pratiques raisonnées permettent de limiter fortement ces risques (Tyson et al.,
1997 ; Jarvis, 1999).
En prairie exploitée par la fauche, le découplage C-N par l’animal se réalise au sein des bâtiments
d’élevage. Il est alors possible de maximiser le couplage C-N à l’échelle de la parcelle en intensifiant la
production de biomasse végétale sans risque majeur sur les flux environnementaux. Ces pertes doivent
être réduites du fait du faible temps de résidence du nitrate dans le sol. Les intrants azotés pourront

Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30 19


A. Chabbi et al.

d’ailleurs être remplacés par l’utilisation de légumineuses adaptées à la fauche comme la luzerne et le
sainfoin associés à des graminées dans des mélanges plus ou moins complexes permettant d’héberger
une grande biodiversité. Il s’agira alors de gérer ces parcelles de prairies de fauche de manière à
optimiser l’antagonisme entre biomasse produite et valeur alimentaire inhérent à toute production
fourragère en fonction des objectifs de production du système d’élevage choisi et donc de ses
exigences. Le problème du découplage C-N est alors reporté au niveau de la maîtrise de la chaîne de
production, stockage et épandage des effluents d’élevage mise en place dans le système d’élevage
(Mosier, 2002 ; Peyraud et al., 2012). La possibilité d’un recouplage C-N partiel par adjonction de
carbone sous forme de paille et la fabrication de fumiers plus ou moins compostés devrait permettre a
priori une meilleure maîtrise des émissions gazeuses à partir des bâtiments d’élevage et des aires de
stockage, ainsi qu’une meilleure maîtrise du recyclage de N dans les systèmes de culture (Béline et al.,
2012), mais il existe peu d’évaluations chiffrées de ces émissions en fonction des différents types de
bâtiments et bien des incertitudes existent sur les bilans respectifs des voies « solides » et « liquides »
de gestion des effluents d’élevage. Dans un système d’élevage privilégiant la fauche, l’épandage des
déjections peut être réalisé sur l’ensemble de la surface de l’exploitation, prairies fauchées et cultures
annuelles, limitant ainsi la « pression polluante » en permettant d’optimiser le recouplage C-N par des
différents peuplements végétaux tout au long de l’année.
Au-delà de cette différence fondamentale entre prairie fauchée et prairie pâturée vis-à-vis de l’azote,
peu d’informations sont disponibles sur leurs capacités respectives à séquestrer le carbone dans le sol
et sur l’influence de la fertilisation azotée. Dans les systèmes pâturés, l'animal consomme une
proportion variable de la biomasse élaborée. Lorsque le pâturage est continu (l'animal reste sur la
parcelle et consomme l'herbe au fur et à mesure qu'elle pousse) la proportion qui est consommée
dépend directement du chargement animal (nombre d'animaux par ha). Cependant, lorsque le
chargement augmente, l'indice foliaire du couvert végétal diminue et de ce fait la croissance de l'herbe
diminue. Donc lorsqu'on augmente le chargement il y a un "trade-off" entre (i) la croissance de l'herbe
qui diminue et (ii) la proportion d'herbe qui est consommée par l'animal qui augmente. Ainsi, la quantité
d'herbe consommée par ha qui est le produit de ces deux variables commence par augmenter avec le
chargement puis passe par un maximum avant de diminuer. Ce maximum correspond au chargement
optimum et à une efficacité de consommation de l'herbe de 60-70% environ (Mazzanti et al. 1994,
Lemaire et al. 2009). Si on veut augmenter cette efficacité au delà de cet optimum avec un chargement
plus élevée, on peut atteindre en effet 80-90% (et même théoriquement 100%, Lemaire et al. 2009),
mais alors on va fortement pénaliser la croissance de l'herbe, les feuilles sont alors consommées trop
rapidement et on est en situation de surpâturage ce qui peut engendrer à moyen et long terme des
différences importantes dans la dynamique des matières organiques dans le sol (Jobbagy et Jackson,
2000). De même, lorsque les déjections sont collectées et transformées (lisier, méthanisation, fumier,
compost), la dynamique des matières organiques des sols (MOS) à moyen terme dépendra des
pratiques agricoles, notamment de leur capacité à valoriser l’azote que ces effluents contiennent.

Influence de la gestion de la prairie sur la dynamique des MOS


La MOS est le réservoir de carbone le plus important sur les surfaces continentales mais il peut être
largement affecté par les interventions de l'homme. Les écosystèmes prairiaux sont caractérisés par
des stocks de carbone dans leurs sols élevés, du même ordre que les écosystèmes forestiers et
largement supérieurs aux sols cultivés (Arrouays et al., 2003 ; Robert et Saugier, 2004). Les prairies se
présentent en effet comme un système favorable au stockage du carbone dans les sols grâce à une
couverture végétale pérenne et une grande biomasse souterraine. En France, les surfaces de prairies
ont fortement régressé depuis 1970 (-3 Mha, essentiellement des prairies permanentes) et la
conversion de prairies en culture a conduit à des pertes de CO2 dans l’atmosphère (Bouwman, 1990 ;
Arrouays et al., 2003).Toutefois, la quantité de MOS stockée et en contrepartie les émissions de gaz à
effet de serre (GES) dépendent du mode de gestion de ces prairies (retournement, fertilisation,

20 Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30


Cycle du carbone et risques environnementaux

fauchage, pâturage...). Les différents conduites de la prairie influençant la dynamique des MOS sont (i)
la fauche par rapport au pâturage (ii) le chargement animal (iii) la fertilisation azotée (iv) et l’occupation
du sol (prairie vs. culture) peuvent fortement influencer le stockage du carbone et la dynamique des MO
dans les sols des prairies.
La gestion du pâturage influence les entrées de la MO et les propriétés du sol des écosystèmes
prairiaux. Le pâturage intensif conduit à une diminution importante des stocks de carbone organique du
sol (COS) et une augmentation de la densité apparente des horizons superficiels du sol (Steffens et al.,
2009). De plus, la pâturage réduit le poids moyen et le diamètre des agrégats, la teneur en
monosaccharides et contribue à une diminution des dérivés microbiens de sucres (Dormaar et Willims,
1998). Le régime de pâturage (intensité élevée ou faible) influence grandement la dynamique des MOS.
Les prairies intensivement pâturées ou fertilisées sont dominées par des espèces à croissance rapide
avec des résidus à teneur faible en lignine et riches en azote, qui sont en général rapidement
décomposés par des bactéries (Bargett et al., 1998). Les prairies soumises à de faibles niveaux de
chargement sont dominées par des espèces à croissance lente et ont une décomposition plus lente de
la litière végétale (Michunas et Lauenroth, 1993). Ces différentes communautés végétales affectent
fortement les stocks de MOS par la composition et l’activité des racines (Klumpp et al., 2009). Les
changements dans la dynamique du carbone après la cessation de pâturage peuvent être lents et donc
ne pas activement contribuer à la séquestration de C dans le sol (Steffens et al., 2009). En revanche, le
pâturage réduit ou modéré ne diminue pas nécessairement le contenu en MOS (Cui et al., 2005). Il a
même été constaté que le pâturage avec un chargement faible sur le long-terme était plus favorable
pour la macro-agrégation et la stabilité des agrégats et donc le stockage du carbone que la fauche
(Franzluebbers et al., 2000).
Le bilan des prairies temporaires en terme de puits de carbone n’est pas clairement établi. Il semble
cependant que la séquestration de C pendant la phase « prairie » (de 3 à 6 ans) excède assez
nettement les pertes par minéralisation pendant la phase de remise en culture (3-4 ans) donnant au
système prairie-cultures un rôle de puits de carbone (Rumpel et Chabbi, 2010).
En dehors de la gestion par fauche ou pâturage, la fertilisation peut aussi fortement influencer la
dynamique des MOS et les stocks de C. Une étude effectuée sur une série de données globales a
révélé que les prairies fertilisées stockent en moyen plus de carbone organique du sol (COS) que les
systèmes naturels ou les systèmes moins intensifs (Conant et al., 2001). Nyborg et al. (1997) ont
démontré que le maintien d’une fertilisation élevée et d’un stock de COS important sont associés à une
productivité plus élevée pour les prairies canadiennes. Une autre étude récente a conclu que la
conversion de terres arables en prairies conduit à un bilan positif de carbone uniquement si le système
reçoit des entrées d'azote supplémentaires (Ammann et al., 2007). Toutefois, ceci devrait dépendre de
la nature de végétation, car dans des prairies contenant des légumineuses, l’effet d’un apport de N
supplémentaire sera faible. En revanche, aucune relation entre l'intensité de la gestion et les stocks
COS n’a été trouvé pour les prairies alpines (Bitterlich et al., 1999). Par ailleurs, les études publiées à
ce jour sur les relations entre fertilisation et stocks de COS ne peuvent être généralisées. Les
mécanismes qui conduisent à ces résultats contrastés ont besoin d'être approfondis avec des
expérimentations intégrant l’ensemble des processus et paramètres du système.
Après le changement de mode d’utilisation de sol, la MOS peut facilement devenir une source de
carbone, en particulier si l’équilibre en place depuis des décennies est perturbé. Au cours des deux
derniers siècles, le mode de l’utilisation des terres a généré des émissions de CO2 de l’ordre 136 Pg C
(Houghton, 1999), dont 78 Pg C sont originaires de la perturbation de la MOS (Lal, 2003 & 2004). Des
études utilisant des procédures de fractionnement physique ont montré que la MO particulaire ou la
fraction légère de la MO sont plus sensibles aux modes d’utilisation des terres que les autres MO (Six et
al., 1998). Cependant, plusieurs auteurs ont également rapporté une réponse rapide des fractions de la
MOS associées aux minéraux lors des changements de l’utilisation des terres (Leifeld et Kögel-
Knabner, 2005). Cela pourrait être le résultat d'une diffusion rapide des petites molécules sorbées et

Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30 21


A. Chabbi et al.

stabilisées sur les surfaces minérales lors des processus de décomposition de la MOS. En utilisant la
caractérisation moléculaire des fractions de sol, Leifeld et Kögel-Knabner (2005) sont arrivés à la
conclusion que la composition des MOS totales est plus sensible aux changements d’usages des terres
que les fractions libres et particulaires des MOS. En complément, l’étude des paramètres biochimiques
ont montré que même si la MOS est quantitativement perdue, elle peut être assez résistante aux
changements dans sa composition et donc ses propriétés (Rumpel et al., 2009).

Dynamique et stabilisation des MOS dans les systèmes prairiaux


Dans les systèmes prairiaux, la MO est incorporée dans les sols à partir du dépôt des litières aériennes
(feuilles et tiges) et souterraines (racines) (Figure 1). Dans les prairies pâturées, la litière végétale est
l'une des principales sources d'éléments nutritifs en raison de l'abscission et du piétinement des parties
aériennes des plantes, et leur décomposition est un processus fondamental qui influence les flux de
carbone et le cycle des nutriments des écosystèmes (Hoorens et al. 2003). Dans les prairies pâturées,
les tissus foliaires sont produits en continu en fonction de la température (Lemaire et Agnusdei, 2000),
de la génétique et d'autres facteurs. Ils sont récoltés plus ou moins fréquemment par les herbivores.

Green
Litière litter
verte

Litière
Brownbrun-jaune
litter

CO2
Excréments
Dung (bouse)

Input Soil organic matter


Protection chimique
Chemical protection Pool labile
Labile SOM de MOS
pool
Protectionprotection
physique
Physical Pool intermédiaire
Intermediate de MOS
SOM pool
Protection physicochimique
Rhizodéposition
Rhizodeposition Physicochemical protection Pool stable
Stable de MOS
SOM pool

Carbone organique
DOC
dissous (COD)

Figure 1 : Input et source de carbone, les pools de MOS et processus de stabilisation de C dans les sols
prairiaux (D’après Rumpel, 2011).

La durée de vie foliaire est génétiquement déterminée et s’exprime en fonction de la température


(Lemaire, 1988). Les parties des feuilles qui n'ont pas été exploitées par les animaux entrent
progressivement en sénescence, et peuvent ou non rester attachées à la plante avant de retourner au
sol sous forme de litière. Dans les situations de pâturage bien géré, la proportion de tissus foliaires qui
échappent à la consommation par les animaux est d'environ 30% de la masse de feuilles produites
(Mazzanti et al., 1994 ; Parsons et al., 2011). Cela correspond à environ 4 t de matière sèche par ha et
par an pour une production fourragère moyenne de 12 t de matière sèche par ha dans les prairies de
pâturage intensif des régions tempérées. Dans les prairies exploitées par la fauche, une plus grande
proportion de tissus foliaires est récoltée avant la sénescence, ce qui limite l'apport de feuilles mortes
au sol. Néanmoins pendant la récolte, des feuilles vertes peuvent être perdues et retourner au sol. La
perte de tissus foliaires vertes pendant la récolte des prairies peut s'élever à 10% voire 20% de la

22 Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30


Cycle du carbone et risques environnementaux

biomasse récoltée, notamment pour des récoltes en foin avec des séchages au sol lents et longs. Ainsi,
les sols de prairies pâturées ou utilisées pour la production de fourrage peuvent recevoir des détritus de
composition contrastée, affectant la dynamique de la décomposition et par conséquent le cycle du
carbone. La litière de feuilles d'espèces des prairies peut être de composition très différente selon le
stade de sénescence dans lequel ces feuilles sont déposées au sol (Sanaullah et al., 2010). La qualité
de la litière de feuilles diffère également entre les espèces prairiales ainsi qu’entre les types de
graminées C3 et C4. La qualité de la litière déposée détermine sa dégradation dans le sol. La teneur
totale en sucres solubles est un facteur important qui contrôle la première phase de décomposition,
alors que les derniers stades de décomposition peuvent être plus dépendants du rapport lignine / N de
la litière. Il a été montré que la litière ajoutée au sol à différents stades de maturité se décompose à des
rythmes différents et maintient ce rythme durant plusieurs années (Sanaullah et al., 2010).
Dans les systèmes de prairies tempérées, plus de 80% de la production primaire nette (PPN) est
tournée vers la production de racines (Swift et al., 1979). Les espèces herbacées prairiales ont un
enracinement moins profond qu’une végétation forestière ou d'arbustes. Globalement environ 40% du
carbone organique du premier mètre de sol des prairies se trouve dans les 20 premiers centimètres du
profil (Jobbagy et Jackson, 2000). L’apport de carbone racinaire dans le sol peut se faire via la mort de
cellules ou de débris racinaires, le dépôt de mucilage et l’exsudation racinaire. Ces différentes sources
peuvent grandement contribuer à la MOS via le processus de stabilisation préférentiel au sein de la
matrice minérale (Rasse et al., 2005, Fig. 2). Les processus rhizosphériques comme le turnover
racinaire, la rhizodéposition, la respiration des racines et le développement microbien, peuvent être
extrêmement importants dans le sol des prairies. Ces processus peuvent conduire à la stabilisation
ainsi que la déstabilisation du carbone dans le sol (Cheng et Kuzyakov, 2005). Les racines des plantes
peuvent affecter la décomposition des MOS par (1) la diminution de la disponibilité des éléments
nutritifs pour les micro-organismes du sol, à travers l’absorption par les végétaux (Schimel et al., 1989),
(2) la modification de l'environnement physique dans la rhizosphère (Shields et Paul, 1973), (3)
l’augmentation des stocks de substrat organique et (4) l’accroissement du turnover microbien, due au
« pâturage » fongique. Cependant, les interactions au niveau de la rhizosphère entre les
microorganismes du sol et les racines des différentes communautés végétales sont complexes et
encore mal comprises (Cheng et Kuzyakov, 2005; Attard et al. 2011). Les caractéristiques
d'enracinement des plantes et les processus rhizosphériques peuvent être fortement influencés par la
gestion des prairies, ce qui peut se répercuter sur le stockage et la composition des MOS.
En plus de la litière aérienne et souterraine, les excréments animaux (bouse) peuvent constituer une
source importante des MO dans les prairies pâturées (Jarvis et al., 1996). Sur une prairie pâturée avec
un chargement animal de 700 vaches jour par ha et par an1, une moyenne de 6,4% de la surface
pâturée peut être couverte par les patches de bouse qui fournissent donc un apport concentré à des
endroits définis, équivalent à 22,5 t par ha (Bol et al., 2000). A travers le pâturage, les herbivores
prélèvent le carbone et les nutriments et en retournent une partie au sol, par dépôt d'excréments et
d'urine, conduisant à une redistribution de ces éléments qui à son tour agit sur la structure et le
fonctionnement de la végétation de la prairie (Haynes et Williams, 1993) ainsi que sur la dynamique de
la MO via les flux de CO2 et son incorporation dans le sol. Les bouses sont une source de C labile, ce
qui peut augmenter la biomasse microbienne (Lovell et Jarvis, 1996) et induire le ‘priming effect’ qui
intervient lorsque des microorganismes ont accès simultanément à deux sources de composés
organiques : des composés de structure relativement simple (sucres, ou polymères de sucres), souvent
pauvres en nutriments (azote, phosphore, etc.) et des composés plus difficiles à dégrader, mais riches
en nutriments. La rétention quantitative du carbone provenant des excréments dans les écosystèmes
prairial a été estimée à environ de 10% (Bol et al., 2000). Des études moléculaires ont montré la
présence des carbohydrates provenant de C-dérivé de bouse dans sol (Dungait et al., 2005). Peu
d'informations sont disponibles à propos de l'impact de la fraction labile de C sur le cycle du carbone du
sol dans ces systèmes.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30 23


A. Chabbi et al.

Processus de stabilisation et de déstabilisation des MOS sous prairie


La MOS est un continuum de MO fraîches, de MO partiellement dégradées et de MO humifiées (Kögel-
Knabner, 1993). Dans les modèles de la dynamique du carbone dans les sols, on distingue
fréquemment trois compartiments : le carbone labile, avec un temps de résidence de quelques jours ou
quelques années, le carbone intermédiaire avec un temps de résidence de quelques décennies et le
carbone stable avec un temps de résidence allant de quelques siècles à des milliers d’années (Figure
1, Parton et al., 1987). En termes de stockage du carbone, on s’intéresse particulièrement au pool de
MO stables. Les processus menant à une telle stabilisation sont cependant mal connus. La contribution
relative de ces différents pools détermine le stockage et la dynamique des MOS.

Recalcitrance chimiqueOH O Protection physique


O O Racine ~ 60 µm
O
O HO O Racine vivante
e.g. lignine O
O
Racine fine
O
O
O
OH
O O
Agrégats du sol
OH
HO O O
OH
O HO
O
O
OH
O
O OH Racine morte
O OH
HO O MOS Non-protégées
O O • Bactérie
OH O O
O HO
• Conditions aérobies
O
OH
MOS Protéger:
O • Exclusion bactérien
O
• Conditions anaérobie

Protection physico-chimique Argile


Al O
O
Al Fe Al O oxalate
O O O HO O O O
O O O
Fe O
O O HO HO
HO O O O
HO HO O HO
O O O Al OH HO O
OH
lignine O OH Polisacharides HO
HO O
O
HO

Figure 2 : Processus impliqués dans la stabilisation de C racinaire dans les sols (D’après Rasse et al. 2005).

Dans les sols sous prairies, les racines jouent un rôle important dans la séquestration de C du fait des
apports aériens plus faibles que dans d’autres écosystèmes. Les caractéristiques physico-chimiques
des litières racinaires favorisent leur stabilisation dans les sols (Figure 2, Rasse et al., 2005). En dépit
de leur importance en tant que source de C dans les prairies, les flux de C racinaire dans le sol sont mal
compris principalement en raison des incertitudes liées à la mesure des entrées de C racinaire vers les
MOS, et en particulier de l'exsudation et la mort cellulaire des racines in situ. La production de litière
racinaire peut être estimée à partir de renouvellement des racines en utilisant l'observation des racines
(via des minirhizotrons) de la naissance à la disparition. Cependant, les minirhizotrons ne permettent
pas d'estimer les racines les plus fines et les plus dynamiques (e.g. <1 mm), contrairement aux racines
de diamètre important (e.g. > 1 mm). Pour ces racines fines, des techniques isotopiques (e.g. 14C et
13C) sont peut-être plus appropriées (Majdi et Anderson, 2005). Néanmoins, selon la méthode utilisée,

la longévité d’une racine provenant des arbres forestiers a été estimée en générale de l'ordre de 1 à 18
ans (Gaudinski et al., 2001). Pour celle des racines des graminées, il n’y a pas des informations
disponibles. Le carbone racinaire peut être affecté par les trois processus de stabilisation et reste donc
dans le sol pendant longtemps (Figure 2).

24 Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30


Cycle du carbone et risques environnementaux

Le C stabilisé dans la matrice du sol n'est pas localisé de façon homogène entre les différentes strates
du sol (Chabbi et al., 2009). Dans les horizons de surface (0-20 cm), on ne détecte que très peu de MO
stabilisé depuis plus de 100 ans. Les composés de MO d’âge important (>100 ans) sont observés en
général en dessous des 20 premiers cm (Rumpel et Kögel-Knabner, 2011). Cependant, même dans les
horizons profonds, où les MOS anciennes se trouvent à des concentrations élevées, des processus tels
les zones des flux préférentiels (ancien passage de racines, trou de vers de terre ou formation
pédologique (voir Chabbi et al., 2009), la croissance racinaire et la bioturbation peuvent conduire à des
apports de matière organique fraîche. De telles situations sont observées dans les sols prairiaux, ce qui
conduit à une distribution hétérogène de MOS stabilisées en raison de la dilution avec la MO récente ou
la déstabilisation des MOS anciennes (Fontaine et al., 2007). D'autres processus mènent aussi à la
déstabilisation des MOS anciennes dans les horizons profonds sous prairie, comme l’alternance de
périodes de sécheresse et réhumectation (Xiang et al., 2008). La gestion et la conduite des prairies
pourraient influencer grandement la stabilisation du carbone. Ceci a été démontré récemment via les
mesures en continu des flux de CO2 par la technique de la covariance de turbulence (Amman et al.,
2007). Cependant, les processus impliqués dans la stabilisation et la déstabilisation de C, en particulier
en lien avec la fertilisation azotée, n'ont pas encore été bien identifiés.
Il y a des différences importantes dans la composition moléculaire des MOS entre les systèmes pâturés
et les terres arables (Nierop et al. 2001). Les résidus végétaux dominent la composition des MOS des
systèmes prairiaux, tandis qu’une plus forte contribution des résidus microbiens a été observée dans
les MOS des systèmes arables (Martens et al., 2003). Cela a été expliqué principalement par une
protection accrue de la litière fraiche via leur incorporation dans les agrégats du sol. Une fois détruites
suite au labour, les MOS piégées sont exposées aux attaques microbiennes (Parton et al., 1987). Après
le retournement des prairies, la composition des MOS évolue et reflète la capacité du système à résister
à la perturbation ou à revenir à son état initial (Rumpel et al., 2009 ; Rumpel et Chabbi, 2010).

Conclusions
Pour que la prairie puisse jouer pleinement un rôle de régulation des émissions de GES, il faut
maximiser son effet sur la séquestration des MO tout en minimisant les risques d’émission de N2O liées
notamment aux apports d’engrais azotés et à la gestion des déjections animales, et en limitant les
inévitables émissions de CH4 par les animaux. Toutefois, notre compréhension de la biogéochimie des
matières organiques dans les sols de prairies sous différentes gestions et les facteurs influençant leur
dégradation et les émissions de GES reste limitée. En particulier, les modèles actuellement utilisés
n’arrivent pas à reproduire de manière satisfaisante les effets des gestions de prairies sur les émissions
de GES et le stockage de carbone, et ne prennent pas suffisamment en compte le couplage entre les
différents cycles biogéochimiques (par exemple, le rôle du cycle de l’azote dans le stockage et la
dégradation des matières organiques ; l’effet de différents mode de gestion des prairies sur l’émission
des GES, …) (Soussana et al., 2004). L’amélioration de la modélisation dépend entre autres
grandement de notre capacité à réduire les incertitudes, qui viennent 1) du fait que les variations sont
lentes et faibles et donc souvent inférieures à l'erreur de mesure et 2) de la forte hétérogénéité spatiale
des processus. Il sera important de pouvoir projeter les mesures faites à l’échelle des points à l’échelle
des paysages.
Afin de développer des techniques de gestion permettant d’augmenter le stockage des MOS et de
réduire les émissions des GES, notamment du N2O, il est fondamental d’améliorer la compréhension
mécaniste des couplages et découplages entre cycles de C et N ainsi que la modélisation intégrée de
ces processus permettent d’établir des bilans quantifiés. Néanmoins accomplir un tel objectif, demande
la réponse à plusieurs questions à savoir :
- Quel est l’effet des différentes pratiques agricoles (fauche, pâturage, charge animal, fertilisation,
retournement) sur la qualité des MOS et l’activité microbienne ?

Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30 25


A. Chabbi et al.

- Quel est le bilan net de GES (émissions de N2O et de CH4 et séquestration de C) des prairies sous
différents modes de gestion (pâturage intensif et extensif, fauchage, retournement, fertilisation N) ?
- Quels sont les mécanismes, qui influencent l’émission des GES sous différents modes de gestion
de prairies ?
- Peut-on quantifier à l’échelle de la parcelle et avec des mesures de terrain et la modélisation, les
effets des rotations prairies-cultures sur le bilan net de GES de ces systèmes ?
- Quel est l’impact de l’introduction d’une rotation prairie-culture dans les bilans nationaux de GES et
peut-on en déduire des recommandations pour une gestion des prairies favorables en terme de
bilan de GES ?
Une intégration des cultures et des systèmes d’élevage pourrait garantir une meilleure préservation des
agro-écosystèmes même si cela reste un défi difficile à surmonter. Comme l'ont déclaré Steiner et
Franzluebbers (2009), ‘’La réalisation durable des paysages agricoles mixtes au sein des systèmes
prairiaux est un vaste objectif peut-être audacieux, et pourtant, le besoin de changement dans les
systèmes de productions agricoles actuels est indispensable’’. Il est important d’améliorer les systèmes
agricoles de production pour relever le défi de la sécurité alimentaire et satisfaire les besoins d’une
population croissante, tout en préservant la qualité et la durabilité des agroécosystèmes dans un
contexte de changement globaux et de fluctuations des prix des matières premières. Ces objectifs
apparemment opposés peuvent être simultanément réalisés par une meilleure intégration des cultures
et des systèmes d'élevage. Nous postulons que la diversité des systèmes intégrés peut être
développée pour différents territoires agro-écologiques, et que la combinaison de technologies
innovantes avec les pratiques de gestion éprouvées peut conduire à la durabilité des agroécosystèmes
et assurer un avenir durable pour la production agricole.

Remerciements
Ce travail réalisé dans le cadre du projet AEGES (Atténuation des Emissions des GES dans les
systèmes prairiaux) est financé par l’ADEME dans le cadre de l’appel R&D REACCTIF « REcherche
sur l'Atténuation du Changement ClimaTique par l’agriculture et la Forêt»

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30 Innovations Agronomiques 22 (2012), 17-30


Innovations Agronomiques 22 (2012), 31-43

Gestion de la biodiversité en milieu céréalier intensif : importance des prairies


aux échelles locales et régionales

Bretagnolle V.1, Balent G., Thenail C., Berthet E.


1 CEBC-CNRS, 79360, Beauvoir sur Niort, France

Correspondance : breta@cebc.cnrs.fr

Résumé
Des solutions efficaces pour intégrer le développement agricole et la conservation de la biodiversité à
l'échelle du paysage restent à identifier. Nous présentons une étude de cas dans une plaine céréalière
française exploitée de façon intensive, où la réintroduction des prairies a été proposé d'abord pour des
fins de conservation afin de protéger l'outarde canepetière, une espèce d'oiseau très menacée. Les
prairies ont été mises en place grâce à l’outil « Mesures Agri-environnementales (MAE) », à titre
expérimental. L’efficacité des MAE sur les outardes a été totale. Leur mise en œuvre a révélé d'autres
effets bénéfiques sur pratiquement toutes les composantes du réseau trophique dans ces agro-
écosystèmes, en particulier au niveau du paysage. En effet, dans les systèmes céréaliers intensifs, les
habitats pérennes telles que les prairies sont radicalement différentes de cultures annuelles en termes
de niveau et de fréquence des perturbations (labour, semis, pulvérisation, etc.). Nos résultats montrent
que les prairies, en particulier la luzerne, sont le support de nombreux services écosystémiques.
Cependant, actuellement, les prairies sont peu utilisées par les agriculteurs qui privilégient les cultures
de céréales pour des raisons économiques (y compris les subventions de la PAC). Nous soulevons la
question de savoir si la répartition des cultures à l'échelle du paysage (par exemple l’introduction de
prairies) peut être modifiée sans financement public, afin d'en augmenter la proportion. En d'autres
termes, comment surmonter la réticence des producteurs de céréales pour produire des cultures
fourragères.
Mots-clés : agro-écosystème, services écosystémiques, pariries, céréales, biodiversité
Abstract: Management of biodiversity in intensive cereal cropping systems: role of grasslands
at local and regional scales
Effective solutions for integrating agricultural development and conservation of biodiversity at the
landscape scale remain to be identified. We present a case study in an intensively farmed French cereal
plain, where the reintroduction of grasslands has been proposed first for conservation purposes in order
to protect the Little Bustard, a highly threatened bird species. Monitoring the effects of grassland
“experimental” implementation revealed other beneficial effects on virtually all components of the trophic
web in these agro-ecosystems, particularly at the landscape level. Indeed, in intensive cereal systems,
perennial habitats such as grasslands are radically different from annual crops in terms of level and
frequency of disturbance (plowing, planting, spraying etc.). We provide evidence that grasslands,
particularly alfalfa, are the support of many ecosystem services. However, currently, grasslands are
severely depleted by farmers who privilege cereal crops for economic reasons (including CAP
subsidies). We therefore raise the issue of whether crop allocation at the landscape scale can be
changed without public funding, in order to increase the proportion of grasslands. In other words, how to
overcome the reluctance of cereal farmers to produce forage crop?
Keywords: Agro-ecosystem, ecosystem services, grasslands, cereal crops, biodiversity
V. Bretagnolle et al.

Introduction

Changement d’usage des sols, agriculture et développement durable


Les activités humaines, et en particulier l’agriculture, ont bouleversé l’environnement global en altérant
profondément l’utilisation des terres et des eaux, les cycles biogéochimiques, la chimie atmosphérique
et la dynamique de la biodiversité à l’échelle planétaire (Fresco, 1993 ; Vitousek et al., 1997 ; Chapin et
al., 2000 ; Lambin et al., 2003). Les changements d’usage des terres qui entraînent la destruction, la
transformation et la fragmentation des habitats naturels, apparaissent clairement comme le facteur
déterminant de la « crise de biodiversité » actuelle (Groombridge, 1992 ; Vitousek et al., 1997 ; Sala et
al., 2000). Le sommet de la Terre à Rio (1992) puis le sommet mondial pour le Développement Durable
tenu à Johannesburg en 2002 ont consacré la gestion viable des ressources naturelles comme
condition préalable au développement économique et social. Poursuivant cette dynamique, et
respectant ses engagements pris lors de ces deux sommets, la France a adopté une Stratégie
Nationale du Développement Durable (2003-2004) puis a organisé le « Grenelle de l'environnement »
en 2007 à Paris après cinq mois de rencontres et de débats préparatoires. Progrès économique et
social d’un côté, et maintien de la qualité de l'environnement de l’autre (incluant la biodiversité) forment
la clé de voûte de ces stratégies. Toutefois, d’importants défis demeurent pour stopper la pression
importante qu’exercent les activités humaines sur la biodiversité.
Les changements d’usage des terres ont opéré à très grande échelle ; ainsi les agro-écosystèmes
constituent de loin le mode d’usage des terres majoritaire en Europe mais aussi en France : bien que la
superficie agricole ait diminué de presque 3 % entre 1990-92 et 2002-04 (au profit de l’urbanisation),
l’agriculture occupe 55% du territoire français. Les espaces agricoles sont au carrefour de différents
enjeux cependant, et apparaissent comme une priorité sociétale mais aussi un défi politico-
économique. En effet, l’agriculture mondiale, et plus particulièrement l’agriculture européenne et
française, doivent faire face dès aujourd’hui à un triple défi : (i) continuer à produire des ressources
alimentaires en quantité et qualité suffisantes pour nourrir une population mondiale croissante et
manifestant des besoins nouveaux et diversifiés, (ii) limiter voire résorber les atteintes que les systèmes
de production agricole font subir à l’environnement local (pollution de l’air et des eaux, dégradation de la
qualité des sols, érosion de la biodiversité), et (iii) contribuer à limiter l’élévation du CO2 atmosphérique
en favorisant la séquestration du carbone dans la matière organique des sols, tout en s’adaptant aux
changements climatiques en cours. Ces trois objectifs ne sont pas toujours et partout compatibles entre
eux et des compromis sont à trouver localement et régionalement pour permettre un développement
durable.

Conséquences de l’agriculture intensive sur la biodiversité


Contrairement à une idée reçue, les espaces cultivés ne sont pas « pauvres » en termes de
biodiversité, bien au contraire. Les terres agricoles accueillent une grande partie de la biodiversité
mondiale (Pimental et al., 1992). En Allemagne, environ 25% des espèces menacées se trouvent dans
les 2% d’espaces protégés, tandis que les 75% restants dépendent des surfaces gérées par
l'agriculture (50% du pays) et de la sylviculture (30%) (Tscharntke, 2005). Les paysages agricoles
européens abritent la communauté la plus riche en nombre d’espèces d'oiseaux (près de 50 % des
espèces d’Europe habitent les espaces cultivés, soit plus de 250 espèces (Potts, 1997a ; Tucker 1997).
Or, l’intensification et la spécialisation des modes de d’exploitation agricole ont entraîné à grande
échelle des changements d’usage des terres dont les conséquences sur la biodiversité ne sont plus
discutés : d’innombrables études montrent la raréfaction de nombreuses espèces de plantes, insectes,
oiseaux et mammifères à l’échelle européenne (Krebs et al., 1999 ; Donald et al., 2002 ; Kleijn et
Sutherland, 2003 ; Fox, 2004 ; Green et al., 2005) ou nationale (Inchausti et Bretagnolle, 2005 ; Julliard
et al., 2004 ; Bretagnolle et al., 2011 & 2012). Les processus d’intensification de l’agriculture couplés

32 Innovations Agronomiques 22 (2012), 31-43


Gestion de la biodiversité en milieu céréalier intensif

aux processus de fragmentation des habitats naturels ont en effet été identifiés comme les causes
majeures des extinctions de ces populations (Robinson et Sutherland, 2002 ; Tilman et al., 2002 ;
Benton et al., 2003). C’est ainsi que certaines espèces, autrefois pourtant considérées comme banales
(voire nuisibles), ont fortement régressé à travers les plaines agricoles de toute l'Europe (Gibbons et al.,
1993 ; Potts, 1997a). En Europe, l’augmentation des rendements de céréales entre 1960 et 2000 s’est
accompagnée de la diminution des populations d’oiseaux de plaine (Donald et al., 2001). Dans une
autre étude à grande échelle et à long terme en Ecosse, Benton et al. (2002) font le lien entre la
régression des oiseaux des terres cultivées et le nombre d’invertébrés et les pratiques agricoles. De
plus, c’est dans cette communauté que l’on trouve la proportion d’espèces menacées la plus
importante : la moitié de ces espèces d’oiseaux sont en fort déclin (30 % des espèces menacées en
Europe sont inféodées au milieu agricole (Tucker et Heath, 1994 ; Pain et Pienkowski, 1997). En
France, entre 1989 et 2003, les populations d’oiseaux ont diminué de 3 % au niveau national, contre 25
% pour les oiseaux utilisant les habitats agricoles (Julliard et al., 2004). Mais paradoxalement, les agro-
écosystèmes, qui sont majoritaires en surface, ont fait l’objet de peu d’études écologiques jusqu’à une
époque récente. De même, aucun effort de conservation, ou presque, n’a encore été entrepris sur ces
milieux du fait de la propriété individuelle qui interdit les politiques de mises en réserve naturelle.
D’autres stratégies de conservation ont ainsi dû être mises en place. Ainsi, pour conserver la
biodiversité, doit-on ségréger espace agricole et espace de conservation dans le paysage, ou maintenir
leur intégration mais selon de nouvelles modalités ? Ces voies sont-elles complémentaires ? Quelles
seraient ces modalités d’intégration et comment les promouvoir ? Ce sont autant de questions qui sont
posées aux échelles locales mais également internationales (Fisher et al., 2008).

Conservation de la biodiversité en céréaliculture intensive

NATURA 2000 et les Mesures Agro-environnementales


Devant l’ampleur de la crise de la biodiversité dans les agro-écosystèmes, la gestion durable des
ressources naturelles au sein des espaces ruraux est en effet désormais un objectif de la politique
nationale et européenne. Maintenir, voire restaurer la biodiversité tout en utilisant les espaces agricoles
de manière durable est une nécessité sociale comme une volonté politique, même si en pratique, les
moyens d’y parvenir restent à développer. Incités par les réformes successives de la PAC (1992, 2000,
2008), des itinéraires techniques et des modes de gestion alternatifs (e.g. mesures agri-
environnementales-MAE-, éco-conditionnalité des aides PAC, découplage de l’aide et de la production)
ont été mis en place.
Pour ce qui concerne l’Europe, la stratégie de conservation et de gestion de la Biodiversité est portée
par la politique Natura 2000.
Les questions de conservation de la Biodiversité sont d’ailleurs particulièrement importantes car les
Etats membres ont une obligation de résultats vis-à-vis de la Commission Européenne, et doivent faire
des évaluations tous les six ans : maintenir ou restaurer dans un état de conservation favorable les
habitats naturels et semi-naturels et les espèces d’intérêt communautaire. Concernant l’efficacité des
25 000 aires protégées en elles-mêmes que compte aujourd’hui le réseau Natura 2000, il est clair que
l’Union Européenne a échoué dans son objectif de mettre un terme au déclin de la biodiversité à
l’horizon 2010 (Waliczky, 2010). Bien que ce soit le programme de conservation le plus important au
monde, les évaluations concernant Natura 2000 sont encore fort peu nombreuses dans la littérature
(Araujo et al, 2007) et pour celles qui existent, leurs effets conservatoires sont encore mal quantifiés
(Herzog, 2005) et les surfaces engagées semblent trop fragmentées (Maiorano et al., 2007 ; Gaston et
al, 2008).
Des études à l'échelle européenne et publiées récemment ont par ailleurs jeté le doute sur l'efficacité
des MAE pour la conservation de la biodiversité. En 2003, Kleijn et Sutherland ont réalisé une méta-

Innovations Agronomiques 22 (2012), 31-43 33


V. Bretagnolle et al.

analyse sur l’efficacité des MAE à partir de 62 études menées dans 6 pays d’Europe. Ils en ont conclu
que 54% des MAE avaient un effet positif sur un taxon au moins, pour seulement 6% d’effets négatifs.
Ils soulignent la difficulté de réaliser ces évaluations car trop peu d’études s’appuient sur des analyses
statistiques et beaucoup d’entre elles sont menées sans réplicas statistiques. Ainsi, la moitié des études
montre un effet positif des MAE sur la diversité ou l’abondance de groupes comme les plantes, oiseaux
ou arthropodes. Mais les autres études ne montrent pas d’effet voire un effet négatif (Kleijn et al., 2006).
Des études plus récentes en Irlande (Feehan et al., 2005), Angleterre (Wilson et al., 2007) et Suède
montrent aussi des effets mitigés. Une des raisons évoquées est la simplification des paysages qui
entraîne l’élimination des habitats non cultivés (Kleijn et al., 2001, Duelli et Obrist, 2003), habitats
permettant le maintien des populations dans les agro-écosystèmes (refuge, nourriture, dispersion,
colonisation …). La perte de ces habitats réduirait donc fortement l’efficacité potentielle des mesures
agri-environnementales qui sont appliquées essentiellement en zones très intensives (Kleijn et
Sutherland, 2003). De plus, l’efficacité des MAE pourrait être aussi contrainte par la complexité du
paysage (Concepcion et al., 2008), avec pas ou peu d’effet dans les paysages simplifiés (Kleijn et al.,
2001 ; Dueilli et Obrist, 2003). Il en serait de même dans les paysages très complexes (Tscharntke et
al., 2005). Cependant, il existe un certain nombre de cas pour lesquels les MAE (ou NATURA 2000) ont
eu un effet particulièrement bénéfique, comme dans le cas détaillé ci-après de l’Outarde canepetière.
Certaines études ont également montré un déficit d’efficacité des MAE liés aux difficultés des
programmes au niveau de la contractualisation, mais également aux difficultés d’intégration des
pratiques dans les logiques de fonctionnements des exploitations agricoles (Thenail et al., 2009).

Un exemple de mesure de conservation sur la biodiversité remarquable : le


cas de l'Outarde canepetière
L'Outarde canepetière, Tetrax tetrax, est l’unique représentant en France de la famille des Otididae
(depuis la disparition au début du siècle de la Grande Outarde Otis tarda) composée de 25 espèces. Il
s’agit du plus gros oiseau nicheur des plaines françaises - 750g à 1 kg pour une envergure de 80 à 90
cm. C’est une espèce patrimoniale et emblématique qui est protégée en France depuis 1972, ainsi
qu’au niveau européen en étant inscrite à l'Annexe I de la Directive Oiseaux et à l'Annexe II de la
Convention de Berne. C’est une espèce à forts enjeux de conservation (Rocamora et Yeatman-
Berthelot, 1999). Elle est classée comme «vulnérable » au niveau européen (Heath et al., 2000) et en
« danger » au niveau national (Rocamora et Yeatman-Berthelot, 1999 ; Jolivet et Bretagnolle, 2002).
L’outarde canepetière a ainsi disparu de plus de 20 pays d'Europe depuis 50 ans (Cramp et Simmons,
1980).
En France, de 8 500 mâles en 1978-79 (enquête LPO), il n’en reste que 1400 en 1995 (Jolivet, 1996) et
1300 en 2000 (Jolivet et Bretagnolle, 2002). Autrefois présente sur la majeure partie des plaines
françaises, sa répartition se restreint aujourd’hui au pourtour méditerranéen (plaine de la Crau, Gard,
Hérault) et à quelques départements du Grand Ouest (essentiellement Deux-Sèvres, Vienne, Charente,
Charente-Maritime et Maine-et-Loire). La population de Crau, qui n’est pas migratrice, est stable voire
en légère augmentation (Jolivet, 1997 ; Wolff, 2010) et représente 36 % de l’effectif national (Jolivet et
al. 2007). Par contre, la population de l'Ouest de la France inféodée aux zones cultivées et qui hiverne
essentiellement en Espagne et au Portugal (Villers et al., 2010), a subi l'un des plus forts déclins jamais
documenté à ce jour pour une espèce d'oiseau en Europe : de 7 800 mâles en 1978 à 390 en 1995 (soit
une baisse de 95% en 18 ans (Bretagnolle et Inchausti, 2005 ; Bretagnolle et al., 2010), et à 300 en
2008. Le risque d’extinction a été estimé, par simulation, à 21% dans les 25 prochaines années pour la
population des plaines céréalières françaises, et les risques d’extinctions locales atteignent 85%
(Inchausti et Bretagnolle, 2005).
Il a été possible d’identifier les causes de régression de cette espèce : il s’agit d’un déficit de
productivité des femelles, qui a été presque nulle pendant cette période (Bretagnolle et al., 2011). En

34 Innovations Agronomiques 22 (2012), 31-43


Gestion de la biodiversité en milieu céréalier intensif

effet, 36% des pontes n’arrivent pas à l’éclosion, suite principalement à une destruction engendrée par
les travaux agricoles (essentiellement la fauche des luzernes), et près de trois quarts des poussins
éclos meurent de faim, par manque d’insectes, nourriture des poussins (Jiguet, 2002). En effet, dans
les agro-écosystèmes cultivés, les milieux pérennes (prairies, jachères, bandes enherbées) sont des
milieux clés pour de nombreuses espèces animales et végétales, soit directement car ces espèces s’y
reproduisent (cf nidification des outardes), soit indirectement car elles se nourrissent de proies (cf
criquets pour les poussins d’outarde) dont l’abondance et la distribution sont conditionnées par les
milieux pérennes (plantes, insectes, micromammifères et oiseaux). Ainsi, les données issues de 141
nids ou familles trouvés entre 1998 et 2008 sur la Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre, ont permis de
connaître la biologie de reproduction de cette espèce (Bretagnolle et al., 2010). Les femelles pondent 3
à 4 œufs dans un nid sommaire à même le sol (dépression) dans les luzernes ou jachères, riches en
insectes (Jiguet et al., 2000). Les femelles assurent ensuite l’élevage des jeunes qui peuvent voler dès
l’âge de 25 jours. Les poussins se nourrissent essentiellement d’insectes notamment de criquets,
éléments essentiels de la disponibilité alimentaire pour beaucoup d’oiseaux (Rands, 1986 ; Baines et
al., 1998 ; Panek, 1997). Une étude anglaise menée par Potts depuis 30 ans sur la Perdrix grise montre
ainsi que la diminution des populations de perdrix est corrélée avec le déclin des populations d’insectes
(Potts, 1997b ; Ewald et al., 2002). Parmi les insectes, les orthoptères représentent la biomasse la plus
importante des systèmes prairiaux (Curry, 1994). Depuis 1999, des piégeages annuels permettent
d’estimer l’abondance des orthoptères en été sur les prairies de la Zone Atelier (Badenhausser et al.,
2009). Il existe une relation numérique très forte entre la densité de criquets une année donnée, et la
productivité des femelles d’outarde (mesurée par le nombre cumulé de poussins à l’envol : Bretagnolle
et al., 2010).

La mise en place de mesures agro-environnementales


Pour limiter les effets négatifs de l’agriculture sur l’outarde, une voie classique de conservation aurait
été d’exclure cette activité économique en favorisant les jachères (au sens de l’exclusion des cultures)
ou en mettant en place une réserve naturelle. Cependant, la production céréalière intensive et les
intérêts économiques étaient tels qu’en exclure l’activité agricole était difficilement réalisable. De plus,
les surfaces à mettre en réserve auraient été très étendues étant donné les aires de répartition des
populations d’outardes dans la région. Cette première voie n’a donc pas été retenue. Il a fallu imaginer
des solutions plus innovantes, permettant de concilier l’activité agricole avec la conservation de
l’outarde (Berthet et al., 2012). Par simulation, la sensibilité de certains paramètres démographiques de
l’espèce a été testée sur la survie des populations d’outardes, mesurée par le taux de croissance des
populations (un taux de croissance négatif amène à l’extinction de l’espèce ; Inchausti et Bretagnolle
2005 ; Bretagnolle et Inchausti, 2005).
Le premier paramètre analysé était la survie adulte. Qui ne s’est pas avérée comme un paramètre
décisif, car « en dehors du fait qu’il est très difficile de l’augmenter, la modification du taux de survie
adulte affecte assez peu la dynamique des populations » (Bretagnolle et Jolivet, 2001). Deux autres
paramètres ont été identifiés comme plus pertinents en termes de stratégie de conservation : la
productivité des femelles et la capacité d’accueil du milieu. C’est donc sur ces facteurs que les mesures
de conservation ont été principalement ciblées, dès 1998.
Afin de limiter les impacts négatifs de l’agriculture, la première voie explorée a ainsi été de limiter la
destruction des nids par les travaux agricoles, tenant compte des milieux dans lesquels étaient situés
les nids, ainsi que les dates de ponte. Les femelles d’outardes sélectionnent très fortement les couverts
pérennes (de plus d’un an). Les pontes s’étalent sur 4 mois ; ce qui permet de définir une période de
vulnérabilité de l’espèce comprise entre le 15 mai et la fin juillet. Les travaux de fauche ayant
traditionnellement lieu entre mai et juillet, et le broyage des jachères en juin, les principales mesures
mises en œuvre sont le retard de fauche en luzerne ou de broyage des jachères. Par ailleurs, pour

Innovations Agronomiques 22 (2012), 31-43 35


V. Bretagnolle et al.

limiter l’impact des pratiques agricoles sur le déclin des insectes, une voie a été de restaurer les
ressources en insectes en se basant entre autres sur des principes d’écologie spatiale. La dynamique
des populations d’un écosystème est régie par des phénomènes d’extinction, de dispersion et de
colonisation. Lorsqu’il y a extinction locale d’une population, celle-ci peut être compensée par un
mécanisme de recolonisation, à condition qu’une réserve suffisante de cette population existe, et que
celle-ci puisse se disperser et coloniser à nouveau le milieu dans lequel elle s’est éteinte. Cette
approche s’applique parfaitement en milieu agricole, qui en constitue d’ailleurs un cas extrême. En effet
du point de vue écologique, un agro-écosystème est un habitat discontinu dans l'espace, du fait de la
répartition des parcelles agricoles, et dans le temps, en raison de la rotation des cultures. Or, pour les
organismes qui vivent dans ces écosystèmes, cette discontinuité est stochastique, au moins pour les
espèces de petite taille (insectes, micromammifères…), c'est-à-dire imprévisible pour ces organismes
puisque régie par les activités humaines. Par ailleurs dans ces milieux, les perturbations écologiques
liées aux travaux agricoles résultent le plus souvent en l’extinction des populations locales. Plus
précisément, dans les agro-écosystèmes céréaliers intensifs, les surfaces à végétation pluriannuelle,
comme les prairies ou les linéaires de bord de champ, se distinguent radicalement des cultures
annuelles sur le plan du niveau et de la fréquence de perturbations occasionnées (labour, épandages
etc.) (Bretagnolle et Lemaire, 2008). Si, dans les cultures annuelles, labours, semis et récolte
occasionnent l’extinction des populations de plantes et d’animaux, au contraire les prairies sont moins
perturbées. Elles sont ainsi le siège de la reproduction d’une majeure partie des insectes, notamment
ceux appartenant au réseau trophique de l’outarde canepetière, en particulier les criquets
(Badenhausser et al., 2009). Un maillage suffisamment étroit de prairies et de cultures annuelles permet
de compenser les extinctions par des phénomènes de recolonisation. Cette hypothèse rejoint l’idée de
matrice paysagère (Perfecto et al., 2009), dans laquelle sont juxtaposés des espaces naturels ou semi-
naturels et des espaces cultivés. La gestion et l’utilisation de ces prairies (pâturage, fauche etc.) reste
néanmoins posée.

Figure 1 : Evolution des assolements en milieux prairiaux entre 1995 et 2012 sur la zone d’étude CEBC CNRS.
En rouge, la part provenant des MAE.

Les effets du programme de conservation et l’avenir des populations d’outarde


en céréaliculture intensive
A partir de 1995, année du début des suivis sur la Zone Atelier, la population d’outarde canepetière a
d’abord montré une baisse d’un facteur cinq, en huit ans seulement, soit environ 13% par an

36 Innovations Agronomiques 22 (2012), 31-43


Gestion de la biodiversité en milieu céréalier intensif

(Bretagnolle et al., 2010) : de 55 mâles en 1995, seulement 6 mâles sont présents lors de la saison de
reproduction en 2003. Compte tenu des paramètres démographiques disponibles pour cette espèce -
une survie adulte de 75-80% et une survie juvénile de 50% (voir Morales et al., 2004 ; Bretagnolle et
Inchausti, 2005), le déclin de Outarde canepetière sur la Zone Atelier peut être expliqué par une quasi-
absence de recrutement entre 1996 et 2003. Des contrats pionniers ont donné naissance par la suite à
des contrats agri-environnementaux (CAD puis MAET depuis 2007).
La restauration des milieux dans les plaines cultivées, par la reconstitution de mosaïques de cultures,
prairies, jachères et luzernes dans le cadre de programmes agro-environnementaux a été lancée en
2004 : dès 2005, près de 1600 ha étaient sous contrats. Ensuite, plus de 2 000 hectares (10% de la
ZPS) sont sous contrat agri-environnemental (11 contrats au total, CAD- les derniers signés se
terminent en 2011, et MAET) en 2008, et près de 6000 ha en 2010. Les surfaces contractualisées en
luzerne et en prairies de graminées ont été multipliées par 5 au cours des 3 dernières années. Ce
programme couplé à un ensemble d’actions de terrain, allant de la communication à l’animation, en
passant par la signature des contrats, a eu un effet spectaculaire sur les effectifs d’outardes. Non
seulement le nombre de mâles d’outardes a été multiplié par 5 en 5 ans depuis la mise en œuvre des
Contrats d’Agriculture Durable en 2004, mais plus important encore, la productivité des femelles a
doublée grâce à la protection des nids ‘sous contrat’ (Bretagnolle et al., 2011). La mise en œuvre de
ces dispositifs agro-environnementaux ciblés a ainsi permis d’inverser les tendances démographiques
dans la population étudiée en l’espace de quelques années seulement (Figure 2).

Figure 2 : Evolution des mâles d’Outardes et des « couverts favorables avifaunes » entre 1995 et 2011 sur la
zone d’étude CEBC CNRS (Source : Yvon Billon)

Le rôle des prairies pour la biodiversité à l’échelle des territoires

Ainsi, l’effet positif des MAE a été clairement démontré dans le cas de l’outarde, mais de manière
générale, les Mesures Agro-Environnementales ont eu un effet positif sur différents taxons
représentatifs de la biodiversité de la Zone Atelier « Plaine & Val de Sèvres, comme les criquets
(Badenhausser et al., 2009), les passereaux (Brodier et al. in press ; Augiron et al. in review), ou les
adventices (Henckel et al. in prep). Pour l’essentiel, cet effet provient de la présence des prairies dans
ces MAE. Globalement, nous observons que l’implémentation des mesures « prairies » affecte
favorablement différentes espèces de passereaux, avec un effet quadratique dans certains cas (comme
pour l’alouette des champs) qui traduit des effets de complémentation entre prairies et cultures. Les
mesures ciblées telle que le retard de fauche d’un côté, ou la modification complète des modes de
gestion comme l’agriculture biologique (à l’échelle de l’exploitation) de l’autre sont connues pour

Innovations Agronomiques 22 (2012), 31-43 37


V. Bretagnolle et al.

affecter positivement la richesse et l’abondance en espèce (Hole et al., 2005 ; Bengtsson et al., 2005 ;
Gabriel et al., 2010 ; Perkins et al., 2011 ; Bretagnolle et al., 2011 ; Broyer, 2011). Nos résultats sont en
accord avec le constat général que les populations d’oiseaux des milieux agricoles déclinent du fait du
manque de ressource en nourriture, invertébrés et graines (Wilson et al., 1999 ; Benton et al., 2002 ;
Holland, 2004), qui résulte en particulier de la perte d’hétérogénéité du paysage (diminution des haies,
cultures pérennes et différents modes de gestion) causée par l’intensification de l’agriculture (Benton et
al. 2003). Ces différentes études menées sur la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvres ont permis de
distinguer l’effet de la proportion d’habitat semi-naturel dans le paysage des mesures compensatoires
(MAE), en particulier le ratio surface de terres arables sur surfaces pérennes, connu pour influencer les
communautés d’oiseaux (Robinson et al., 2001 ; Atkinson et al., 2002). Bruant proyer et alouette des
champs sont fortement dépendants de la proportion de luzerne dans le paysage et plus globalement de
la surface en prairie.
Mais l’effet des MAE (synonymes, dans notre cas, de pairies) est modulé par des variables spatiales
(habitat) et temporelles (âge du contrat, temps de résilience des prairies). L’âge des prairies apparait
comme un facteur prépondérant, au même titre que l’abondance de ces milieux semi-naturels. Il a par
exemple été montré que les prairies gérées intensivement étaient généralement pauvres pour les
oiseaux granivores et insectivores, en liaison avec les fortes perturbations, comme les fauches
successives, affectant les cycles biologiques des espèces et entraîne des diminutions de la quantité de
graine produite et plantes à fleurs, ainsi que la diversité d’invertébrés (Morris, 2000 ; Mc Craken et al.,
2004). En outre, les travaux agricoles engendrent directement la destruction des nichées (Wilson et al.,
1997 ; Brickle et al., 2000 ; Eraud et Boutin, 2002 ; Perlut et al., 2008). Dueilli et Obrist. (2003) ont
montré que le nombre d’espèces sauvages décroît avec l’augmentation de la distance depuis les
milieux semi-naturels.
Les différentes études menées sur la Zone Atelier « Plaine & Val de Sèvres » montrent que
l’implémentation de prairies et l’extensification des pratiques agricoles favorisent la richesse en plantes
(Meiss et al., 2010). Deraison et al (en prep) montrent que les prairies jouent un rôle majeur comme
support de la ressource trophique en agro-système, par la présence d’une très forte diversité β en
carabiques, pouvant s’expliquer par une forte diversité floristique au sein des prairies (Badenhausser et
al., 2008), favorisant alors une multitude de micro-sites favorables. Un résultat identique apparaît
également chez les plantes adventices (Henckel et al. in prep). De plus, des suivis comparant des
parcelles de luzerne gérées extensivement sans aucun intrant et avec retard de fauche ont montré des
densités en criquets presque 7 à 10 fois supérieures à des parcelles conventionnelles (Badenhausser
et al., 2008).

Vers un nouvel objet de gestion : la prairie au sein de la mosaïque paysagère

L’intensification de l’agriculture dans la plaine étudiée a entraîné une spécialisation dans les grandes
cultures (céréales et oléoprotéagineux), donc une simplification des assolements et un agrandissement
du parcellaire favorisé par les remembrements successifs. Ces évolutions font peu à peu disparaître la
mosaïque paysagère qui existait dans la plaine jusqu’aux années 1960. L’objectif majeur poursuivi par
l’implémentation des MAE sur la Zone Atelier « Plaine & Val de Sèvres », dans le cadre de la
conservation de l’outarde, est donc de maintenir ou de restaurer des surfaces semi-pérennes (prairies,
cultures de luzerne) dans la plaine céréalière. Celles-ci ont été privilégiées par rapport aux éléments
linéaires (corridors écologiques) car elles peuvent constituer un outil de production des agriculteurs.
Cette voie nouvelle ouverte par la production de connaissances en écologie fait donc apparaître un
objet de gestion nouveau : la prairie. Du point de vue de l’écologie spatiale, cet objet est constitutif d’un
paysage, et sa fonction ne peut être appréhendée qu’à cette échelle. Ainsi à une logique individuelle de
gestion de l’assolement au sein d’une exploitation se juxtapose une logique collective, autour d’un bien

38 Innovations Agronomiques 22 (2012), 31-43


Gestion de la biodiversité en milieu céréalier intensif

commun qu’est la prairie, source de régulation du réseau trophique de l’écosystème céréalier. Cet objet
ne peut être géré que par la coordination d’actions de différents agriculteurs. Or quels mécanismes
permettent une telle coordination ? Les biens communs font référence à un domaine où il est difficile de
développer des moyens physiques ou institutionnels d’exclure des bénéficiaires, et où des problèmes
de sur-utilisation, de pollution, de disparition potentielle apparaissent en l’absence de limitations
d’usages à inventer et à appliquer. Les économistes distinguent les biens communs dont l’utilisation est
non-exclusive mais peut entraîner des rivalités, des biens publics purs (par exemple l’air), dont
l’utilisation est non-rivale et non-exclusive (Kaul et al., 2002). Un bien commun n'est pas divisible et son
coût de production ne peut être imputé à un individu en particulier, ce qui rend difficile sa valorisation
économique et sa gestion. Cette catégorie de biens réinterroge les fondements traditionnels de
nombreuses disciplines, notamment le droit, l’économie, les sciences politiques et la sociologie, et
soulèvent des difficultés non surmontées à ce jour. Quelles sont les conditions de mise en œuvre de
nouvelles formes d’organisation entre les exploitations agricoles à l’échelle d’un territoire ? Les filières
agroalimentaires peuvent-elles jouer un rôle dans la gestion collective des biens communs
environnementaux ?
La question de la réinsertion de prairies dans la plaine céréalière à l’échelle du paysage a été le moteur
de recherches pluridisciplinaires, réunissant écologues, agronomes, économistes et sociologues. Divers
programmes de recherche ont été lancés dans les années 2000, afin d’analyser finement les causes de
diminution des surfaces pérennes ou semi-pérennes, et les verrous liés à leur réintroduction. Une
première voie explorée est le pilotage centralisé de la distribution des prairies dans la plaine céréalière,
par un système de contractualisation subventionnée par l’Union Européenne. Il s’agit des mesures
agro-environnementales mises en place dans le cadre de la politique agricole commune. Le CEBC est
opérateur pour ce type de contrat dans la zone étudiée.
Toutes ces mesures ont été élaborées pour atteindre un double objectif : être à la fois efficaces par
rapport à la préservation de l’avifaune de plaine et de la qualité de l’eau, et acceptables par les
agriculteurs. Généralement, ces mesures permettent de garder les parcelles contractualisées en
production. Mais s’il y a un manque à gagner dû à l’application de la mesure, celui-ci est compensé
financièrement par un montant défini dans le contrat. Ces deux dernières années, les surfaces
contractualisées en MAE ont augmenté de façon exponentielle (pour atteindre près de 10 000 hectares
en 2011 sur la Zone Atelier « Plaine & Val de Sèvres »). Si cette augmentation est fortement due à la
mise en place de mesures prioritairement destinées à la reconquête de la qualité de l’eau, on peut
observer que les surfaces contractualisées en luzerne et en prairies de graminées ont presque été
multipliées par 5 en 3 ans. Depuis 2004, suite à la mise en œuvre des mesures agro-
environnementales, le nombre de mâles d’outardes a été multiplié par 5 en 5 ans alors que celui-ci était
en diminution depuis 1995 (Bretagnolle et al., 2011). Une seconde voie explorée par le centre de
recherche est plus décentralisée. Elle repose sur la création d’une filière courte organisant des
échanges locaux de luzerne entre céréaliers et éleveurs (Figure 3). Cependant, ce type d’échange est
encore très limité dans la région, et les conditions de sa mise en place sont encore mal connues. Des
pistes sont creusées concernant la mise en œuvre de ce type de filières par des acteurs du territoire
tels que les coopératives agricoles.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 31-43 39


V. Bretagnolle et al.

Production de Contrôle
Couplages fourrage biologique
biogéochimiques Stockage Contrôle maladies
Catm aériennes
Stockage
Natm
Grandes cultures

Luzerne
Compétition Reproduction
avec adventices d’insectes Couvert
auxiliaires permanent

Lieu de
nidification Absorption Nsol Cours d’eau

Développement
Structuration du sol racinaire Limitation de
Enrichissement en MO
Nappe phréatique l’érosion des sols
Développement
Enrichissement en azote microfaune du sol Limitation du
lessivage en N

Figure 3 : Processus écologiques et agronomiques liés à la luzerne (d’après Berthet E).

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Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69

Les systèmes de polyculture-élevage pour bien valoriser l’azote

Peyraud J.L.1,2, Delaby L.1,2, Dourmad J.Y.1,2, Faverdin P.1,2, Morvan T.3,4, Vertes F.3,4
1 INRA, UMR PEGASE- F-35590 St Gilles
2 Agrocampus-Ouest, UMR PEGASE, F-35590 St Gilles
3 INRA, UMR SAS- F-35042 Rennes Cedex
4 Agrocampus-Ouest, UMR SAS, F-35042 Rennes Cedex

Correspondance : Jean-louis.peyraud@rennes.inra.fr

Résumé
Les systèmes de production agricole se sont fortement intensifiés, spécialisés et concentrés au sein de
territoires qui se sont eux même fortement spécialisés. Cette évolution répondait à une logique
économique en période de faible prix de l’énergie et ou les enjeux environnementaux étaient ignorés.
Aujourd’hui ces territoires doivent faire face à la dégradation de leurs écosystèmes avec des atteintes à
la qualité des eaux, des sols ou l’appauvrissement de la biodiversité. En particulier le découplage de
l’animal et des surfaces conduit à des émissions importantes d’azote réactif. Les systèmes de
polyculture-élevage offrent des opportunités pour accroître l’efficience d’utilisation de l’azote au sein des
agro systèmes en optimisant les interactions écologiques et le recyclage des éléments et en faisant
reposer davantage les systèmes de production sur les valorisations de ressources renouvelables. Ce
papier étudie les possibilités de développement d’une polyculture-élevage innovante permettant de
limiter le recours aux engrais minéraux de synthèse par l’utilisation généralisée de légumineuses et par
le recyclage des effluents d’élevage et de préserver l’azote au sein des systèmes par le choix des
rotations incluant de la prairie ou autres cultures fourragères. Ces complémentarités entre productions
animales et végétales sont à rechercher à différents niveaux d’organisation depuis l’exploitation, au
groupe d’exploitations interagissant, à l’échelle territoriale voire nationale.

Mots-clés: Azote, polyculture élevage, légumineuses, effluents d’élevage, prairie, nouvelles


organisations

Abstract: Mixed farming systems to use nitrogen more efficiently


Agricultural systems became more and more intensified, specialised and concentrated within territories
which are themselves strongly specialised. This evolution was economically sound in periods of low
price for energy whereas the environmental challenges were largely ignored. Today, these territories
must tackle the degradation of their ecosystems with a marked degradation of the quality of water, air,
soils and the impoverishment of the biodiversity. In particular, the decoupling between animal and
farmland leads to important reactive nitrogen emissions. Conservation-oriented mixed farming systems
offer opportunities to increase the efficiency of N utilization within the agro systems by optimising
ecological interactions and recycling of elements and by improving utilisation of renewable resources.
This paper studies the possibilities of developing innovative mixed farming systems which makes it
possible to reduce utilisation of mineral fertiliser by the widespread use of legumes and the recycling of
animal wastes and to preserve nitrogen within the system by the choice of rotations including pastures
or other forage crops. These complementarities between livestock and crop productions must be sought
at various levels of organisation from the individual farm to neighbour farms collaborations, larger
territories or even at the national scale.

Keywords: Nitrogen, mixed farming systems, legumes, animal wastes, grassland, new organisations
J.L. Peyraud et al.

En réponse à l’accroissement de la demande alimentaire et aux sollicitations économiques, les


systèmes de productions agricoles et les territoires se sont fortement spécialisés et la productivité du
secteur agricole s’est fortement accrue depuis une quarantaine d’années. Certains territoires disposant
de bonnes conditions de sols et de climat se sont fortement spécialisés en production animale intensive
(Ouest de la France, Pays Bas, Danemark, Vallée du Pô) alors que d’autres se sont spécialisés en
grandes cultures (Partie centrale et Sud Ouest de la France, Est de l’Angleterre, Est de l’Allemagne…).
Ces évolutions ont été largement favorisées dans une période où l’énergie bon marché a encouragé le
recours massif aux engrais et aux pesticides et durant laquelle les impacts négatifs de l’agriculture sur
l’environnement ont été largement ignorés. Le développement de logements pour les animaux ne
nécessitant pas de paille a aussi favorisé l’élevage plus intensif et pour partie hors sol. Ces territoires
doivent aujourd’hui faire face à de nombreux enjeux environnementaux avec une dégradation de la
qualité des eaux et des sols, un appauvrissement général de la biodiversité et dans le même temps
doivent faire face à un renchérissement des intrants. Dans ces conditions, la mise en œuvre de
systèmes de polyculture élevage maximisant le recyclage des éléments pourraient permettre de
maintenir un haut niveau de productivité tout en utilisant l’azote plus efficacement et en apportant des
solutions pour limiter les dommages sur l’environnement (Donaghy et al., 1997 ; Oomen et al., 1998).
Après avoir rappelé le rôle des productions animales et de la spécialisation des territoires vis-à-vis de
l’utilisation de l’azote, ce papier examine dans quelle mesure le développement de systèmes de
polyculture élevage reconnectant plus étroitement les animaux et les surfaces à différentes échelles
territoriales peut contribuer à mieux gérer l’azote (et d’autres intrants dont l’énergie fossile) permettant
de réduire les émissions vers l’environnement et leur impact potentiel, voire produire des biens et
services environnementaux tout en maintenant une bonne efficacité économique.

Etat des lieux


Une spécialisation des exploitations et des territoires qui se poursuit
Les systèmes agricoles se sont fortement spécialisés et intensifiés que ce soit à l’échelle de
l’exploitation ou à des échelles territoriales plus larges depuis quarante ans (Clothier et al., 2008). La
logique économique de cette évolution a été rapportée dans ce colloque par Gaigné et Chatelier (2012).
Au niveau de l’exploitation, ces évolutions s’expliquent surtout par un accroissement beaucoup plus
rapide du coût du travail que de celui de l’énergie, des engrais, des produits phytosanitaires et de la
terre et par les économies d’échelles permises par l’agrandissement et la spécialisation. Les économies
d’agglomération et la réduction des coûts de transport sont des facteurs favorisant la spécialisation
régionale en élevage et le commerce national et international des céréales et du soja. La proximité
géographique des exploitations et des industries accroit aussi l’efficacité et facilite la diffusion des
innovations ce qui auto entretient le double processus d’intensification et de spécialisation. En 2007,
34% des exploitations européennes étaient spécialisées en élevage dont 17% en élevage de ruminants,
5% en monogastriques et 12% associant plusieurs types d’élevage, 52% étaient spécialisées en
production végétale dont 20% en cultures annuelles, 22% en culture horticoles ou pérennes et 12%
associant plusieurs types de production végétale. In fine, seules 14% associent productions animale et
végétale. On peut distinguer des zones fortement spécialisées en élevage intensif (Ouest de la France,
Pays-Bas, Danemark, Vallée du Pô) et des zones fortement spécialisées en productions végétales
(Centre et Bassin Parisien, Sud-Ouest, Est de l’Angleterre….) (Eurostat, 2010).
En France, la polyculture élevage s’est en partie maintenue, notamment avec les ruminants puisqu’ils
sont encore présents dans 50% des exploitations agricoles. Par exemple, en production laitière, les
zones de polyculture élevage correspondent aux régions de transition entre les principales régions
d’élevage et celles de culture (Poitou-Charentes, Nord, Champagne-Ardenne, Bourgogne, Sud-Ouest
notamment) et représentent encore 20% de la collecte nationale de lait (Peyraud et al., 2009).
Toutefois, dans certaines de ces zones françaises où l’élevage de ruminants et les cultures se

46 Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69


Les systèmes de polyculture – élevage pour bien valoriser l’azote

partagent encore le territoire, le mouvement de spécialisation pourrait se renforcer au profit des cultures
annuelles du fait d’un écart très important et qui se creuse aujourd’hui en terme de revenu du travail
entre les ateliers d’élevage et de culture du fait de la hausse du prix des céréales et des concentrés, et
ce qu’il s’agisse de production de lait ou de viande bovine ou ovine comme le montre une étude récente
de l’institut de l’élevage conduite en Champagne Ardenne (Echevarria et al., 2012). Lorsque les
exploitations de ses territoires ont une taille suffisante (ou l’opportunité de s’agrandir), elles suppriment
le troupeau.

Un rôle central des territoires d’élevage dans les flux d’azote réactif et leurs
impacts sur les écosystèmes
A l’échelle nationale, les apports annuels d’azote pour fertiliser les sols sont fournis pour un peu plus de
la moitié par des engrais de synthèse (2110 kt) et pour un peu moins de la moitié par des effluents
d’élevage (1820 kt) (Citepa, 2011), l’élevage bovin en représenterait 70 %, l’élevage porcin et avicole
environ 10-15 % chacun (Citepa, 2011 ; Gac et al., 2006, 2007). Les entrées d’azote par la fixation
symbiotique représentent un peu plus de 500 kt (soit 11% du total), dont environ 90% proviennent des
légumineuses prairiales et des luzernes.
Les systèmes de production animale occupent une place centrale dans le cycle de l’azote
Les animaux consomment 70% de la biomasse végétale produite en France et les trois quarts de
l’azote sont utilisés pour la production d’aliments pour animaux. Toutes filières confondues, la
consommation estimée d'aliments par les filières animales est de 117 millions de tonnes dont 82
millions de tonnes de fourrages (AFSSA, 2000). En retour, les animaux valorisent de nombreux sous-
produits ou coproduits (tourteaux, pulpes, produits de meunerie..) des productions végétales destinées
à l’alimentation humaine.
Tandis que la croissance des végétaux associe le carbone et l’azote sous des formes stables, leur
consommation par les animaux découple les cycles de C et de N (Faverdin et Peyraud, 2010) et génère
des composés azotés très mobiles et réactifs (urée, azote ammoniacal et nitrique, acides aminés) qui
vont se retrouver plus ou moins rapidement sous forme de nitrate (NO3-) dans l’eau, d’ammoniac (NH3)
et de protoxyde d’azote (N2O) dans l’atmosphère. Dans le même temps, les animaux et/ou leurs
effluents produisent du méthane (CH4). La cascade de l’azote (Galloway et al., 2003) rend compte de
ces flux et montre notamment que les différentes formes d’azote réactif doivent être considérées à des
niveaux spécifiques, du très local pour les impacts sur un écosystème sensible voisin (par exemple
suite aux dépôts de NH3), au régional pour les impacts sur la qualité des eaux et de l’air (NH3, NO3-) et
au global pour le changement climatique (émissions de N20). La contribution de l’élevage aux émissions
nationales des différentes formes d’azote réactif est importante : 25-30% pour NO3, 80% NH3 et 35-40%
pour N2O si seules les émissions issues des effluents d’élevage sont comptabilisées et même 50%,
90% et 70% si on tient compte des engrais minéraux employés sur les cultures destinées à alimenter
les animaux (Citepa, 2011 ; Peyraud et al., 2012a). Des valeurs du même ordre de grandeur sont
rapportées à l’échelle européenne (Oenema et al., 2007). L’élevage a donc un rôle majeur sur les
émissions d’ammoniac du secteur agricole alors qu’il est plus partagé pour le nitrate. Il est aussi plus
partagé avec les zones de grandes cultures où l’application d’engrais de synthèse est une source
importante de N2O. Les émissions de gaz liées à la gestion des déjections sont estimées pour le NH3 à
465 kt N par an selon le Citepa et 382 kt N par an selon Gac et al. (2006, 2007), soit environ le quart de
l’azote contenu dans ces produits. Pour le N2O, les quantités sont plus faibles : 76 kt N émis par an.
Des surplus d’azote très contrastés selon les territoires.
Le projet European Nitrogen Assesment a établi des cartes européennes de distribution des émissions
d’azote réactif vers l’air sous forme de NH3 et de N2O et vers les systèmes aquatiques incluant
notamment le nitrate. Elles montrent très clairement que les zones d’élevage intensif (Ouest Français,

Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69 47


J.L. Peyraud et al.

Europe du Nord, Irlande, vallée du Pô) sont des hots spots pour les émissions de NH3 et vers les
aquifères alors que les émissions de N2O sont plus partagées entre les territoires d’élevage et de
grandes cultures (Figure 1).

Figure 1 : Distribution des émissions d’azote à l’échelle Européenne (flux en kg N/km&/an) (Leip et al., 2011)
Ammoniac Protoxyde d’azote Nitrate et N dissous

Au niveau français, les travaux de l’institut de l’élevage (Bertrand et al., 2007 ; Le Gall et al., 2005) ont
permis de dresser un bilan des charges et surplus en azote sur les territoires français (Tableau 1). La
pression d’azote organique et minéral varie fortement selon les régions. La pression en azote minéral
se concentre dans les zones de grande culture alors que dans les zones d’élevage de l’Ouest, les
apports sous forme organique sont élevés : ils dépassent 130 kg N/ha de SAU dans plusieurs secteurs
qui combinent production laitière et élevage de monogastriques (Finistère, Côtes d’Armor, Morbihan) ou
production de viande bovine et de volailles (sud des Pays de la Loire) ou dans ceux qui sont spécialisés
en production laitière (sud Manche, nord Mayenne, Ille et Vilaine).

Tableau 1. Charges en azote de différentes régions selon l’orientation agricole (Le Gall et al., 2005). Le surplus
du bilan azoté « sol-végétation » est calculé avant traitement des lisiers.
Charge N N minéral N organique N organique Surplus du
(kg/ha SAU) (% entrées) ruminants granivores bilan (kg
(% entrées) (% entrées) N/ha)
Bretagne Lait et porcs 221 33 36 31 84
Bretagne Lait intensif 179 43 44 13 54
Nord Pays de Loire 161 45 45 10 37
Zones grandes cultures 123 85 13 2 25
Zones herbagères plaine et 98 31 67 2 9
montagne
Les excédents des bilans azotés (différence entre apports totaux au sol et exportations par les
productions végétales) dépassent ainsi 40 à 50 kg N/ha/an dans plusieurs territoires d’élevage et sont
plus faibles en moyenne dans les zones de grande culture, la moyenne nationale s’établissant à 29
kg/ha/an. C’est bien la concentration animale qui est à l’origine de forts excès de bilan. En effet, les
régions d’élevage ayant des chargements animaux faibles et une alimentation basée sur la prairie
permanente (grand Massif Central, Jura, Alpes) présentent des bilans inférieurs à 10 kg/ha/an et donc à
ceux observés en zone de grande culture.

48 Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69


Les systèmes de polyculture – élevage pour bien valoriser l’azote

En se spécialisant les élevages sont aussi devenus très dépendants des


importations de protéines
La spécialisation et la concentration des élevages dans certains territoires, et la spécialisation d’autres
en production céréalière avec régression des cultures de légumineuses a conduit à réduire très
fortement le degré d’autonomie protéique de l’élevage. L’Europe est aujourd’hui fortement importatrice
de grains et surtout de tourteaux de soja (Galloway et al., 2008) qui vont en grande partie servir à
l’alimentation animale. Elle importe aujourd’hui 3000 kt de protéines. Ces échanges commerciaux
tendent en outre à concentrer les apports dans les territoires spécialisés en élevage conduisant aux
surcharges en azote. Ainsi, au niveau européen, il y a une bonne correspondance entre les zones
spécialisées en élevage intensif et les zones supportant la pression en azote élevées et les zones de
hot spot d’émissions de NH3, i.e. Irlande, Ouest de la France, Belgique et Pays Bas, Danemark, vallée
du Pô (Velthof et al., 2009; Leip et al., 2011).
Un même schéma se reproduit à l’échelle française où le déficit protéique se situe autour de 40% en
2010-2011 (SNIA, 2012, UNIP 2011) soit environ 1200 kt. Les importations de soja représentent 52%
des protéines consommées par les animaux. Par suite d’une réduction de l’offre, les protéagineux ne
représentent plus en 2010-11 qu’une part minime du tonnage des aliments composés des porcs,
volailles et bovins (respectivement 3%, 1,5% et 1%) alors que le tourteau de soja en représente 12, 19
et 15% respectivement (SNIA 2012), la différence étant assurée par les tourteaux issus de la trituration
des oléagineux et en particulier du colza. La production de porc charcutier qui a valorisé jusqu’à 2 M
tonnes de pois dans les années 90 n’en valorise plus que 0,15 à 0,20 Mt en 2010-11. Le trèfle blanc et
la luzerne constituent des exceptions notables à cette tendance générale. Le trèfle a regagné beaucoup
de terrain depuis les années 1980. Aujourd’hui plus de 60% des prairies semées sont des prairies
d’association entre graminées et trèfle blanc dans l’Ouest de la France. La même tendance est
aujourd’hui observée pour la luzerne soit en culture pure, soit en association avec des graminées
comme le dactyle ou la fétuque élevée. Par ailleurs, rappelons aussi que les ruminants peuvent
valoriser des quantités importantes de coproduits des filières végétales. Les co-produits de céréales,
les pulpes de betterave représentent respectivement 18 et 10% des aliments composés (SNIA, 2012).
A l’échelle du système de production, l’autonomie protéique est plus élevée en élevage de ruminants
qui reste lié au sol et valorise des fourrages que pour les ateliers de monogastriques où les
chargements sont beaucoup plus élevés. Pour autant, si l’autonomie fourragère est quasi atteinte dans
la plupart des élevages de ruminants, les achats de concentrés azotés sont prépondérants et
l’autonomie protéique n’est que de 20% en élevage laitier pour les concentrés utilisés (Paccard et al.,
2003) et de 27% en élevage allaitant (Kentzel et Devun, 2004) avec une forte dispersion des résultats.
L’autonomie n’est atteinte que dans un nombre très limité d’exploitations herbagères. L’autonomie
décroit avec le niveau d’intensification et est d’autant plus difficile à mettre en œuvre que la part de
maïs fourrager dans la sole fourragère est élevée. Cette très forte dépendance de l’élevage vis-à-vis
des sources de protéines importées pour la complémentation des rations rend les filières très sensibles
aux variations de prix comme c’est aujourd’hui le cas avec un tourteau de soja dont le prix s’est accru
en deux ans de moins de 200 €/t à plus de 550 €/t.

La spécialisation a entraîné des changements d’affectation des sols qui


contribuent à leur dégradation
La spécialisation des exploitations et des territoires s’est accompagnée de changements importants
dans le mode d’occupation des sols en Europe et en France avec une diminution importante des
surfaces en prairies permanentes et des cultures de légumineuses alors que les surfaces en céréales,
notamment pour le maïs ensilage ont augmenté. Entre 1967 et 2007, les surfaces en prairies
permanentes ont diminué de 4,0 million ha (environ 30% de la valeur de 1967) en France (Eurostat,
2010 ; Peyraud et al., 2012b), les surfaces en cultures pures de luzerne et de trèfle violet ont diminué

Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69 49


J.L. Peyraud et al.

de 75% en passant de 1,0 million ha en 1970 à 321 000 ha en 2000 (Pflimlin et al., 2003). Les surfaces
en pois ont diminué de 700 000 dans le début des années 1990 à moins de 200 000 ha aujourd’hui
(source Unip, 2012). Au final c’est 1,18 M ha de légumineuses qui ont disparu ce qui représente une
perte d’apport annuel d’azote issu de la fixation symbiotique d’environ 200 kt par an. Les surfaces en
maïs ensilage ont quant à elles augmenté de 350 000 à 1,4 million ha. La diminution des surfaces en
protéagineux a été très marquée après la réforme de la PAC de 1992 qui ne leur a pas été favorable.
Dans le même temps, les rotations se sont simplifiées. Jusque dans les années 60, une rotation
équilibrée incluait 6 à 8 cultures. Cette diversification avait été mise en œuvre de manière empirique
pour maintenir la fertilité des sols, limiter l’usage des engrais (Jensen et al., 2010), la fixation
symbiotique étant alors la première source d’azote, le recyclage des déjections animale étant la
seconde et aussi limiter le risque de développement des pathogènes. Ces vingt dernières années la
simplification des rotations s’est accélérée. Ainsi les céréales à paille, le maïs grain ou ensilage, le colza
et le tournesol représentaient 56% des cultures précédant un blé en 1994 mais 75% en 2004. Il y a
notamment un accroissement fort des emblavements en blé suivant un colza (25% des surfaces en blé
vs 12% auparavant), ou une autre céréale à paille (19% vs. 13%) et une diminution concomitante des
autres précédents culturaux (Le Roux et al., 2008).
Ces changements d’affectation ont contribué à dégrader la qualité des sols. Les territoires
d’élevage intensif comme la Bretagne, se caractérisent par des teneurs élevées en phosphore des sols
et qui continue à s’accroître (GIS Sol, 2011) conduisant à l’eutrophisation des agrosystèmes. Cette
accumulation de P s’explique par les importations par les aliments et non retenu par les animaux. Elle
résulte aussi du ratio N:P (4:1 à 5:1) des effluents qui est beaucoup plus faible que celui des plantes
(6:1 à 8:1) (Eghball, 2003 ; Sharpley et Smith, 1994). A l’inverse, de nombreux sols ont des teneurs
faibles en P notamment dans les zones de grandes cultures qui ne voient plus d’amendement
organique (GIS Sol, 2001). Cette juxtaposition de situations de surplus et d’insuffisances potentielles
pose la question d’une meilleure répartition du P des effluents d’élevage.

Figure 2 : Teneur en P et en MO des sols en France (GIS Sol, 2011)


Teneur en MO Teneur en P

Les sols des terres arables sont caractérisés par des teneurs en C organique beaucoup plus faibles
(40 t/ha dans les 30 premiers centimètres) comparativement aux sols sous prairie permanente (environ
70 t/ha) et aux zones humides (jusqu’à 300 t/ha, Arrouays et al., 2002). D’autres données nationales
conduisent aux mêmes conclusion (Lettens et al., 2005 en Belgique et Kuickman et al., 2002 pour les
Pays Bas). Pourtant le maintien d’une teneur suffisance en C des sols procure de nombreux bénéfices

50 Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69


Les systèmes de polyculture – élevage pour bien valoriser l’azote

dont la régulation de la dynamique de l’azote, la fourniture d‘éléments nutritifs aux plantes, le maintien
d’une activité biologique importante et une plus grande résistance à l’érosion (Matson et al., 1997). La
conversion des prairies permanentes en terres arables reste le premier facteur expliquant la diminution
de la teneur en C des sols (et des émissions de GES associées) même si des techniques de travail du
sol plus conservatrices se développent aujourd’hui (enfouissement des pailles, non retournement).
Ainsi, en Argentine, la teneur en C des sols a été réduite de 30 à 40% en 10 ans dans les zones où la
Pampa a été convertie en culture du soja, la teneur se stabilisant depuis quelques années avec
l’apparition du non labour (Díaz Zorita et al., 2002 ; Alvarez et al., 2009.

Une forte imbrication entre chargement animal, assolements, gestion des


effluents et autonomie azotée des troupeaux
La gestion des effluents et des assolements et in fine le degré d’autonomie azotée de l’exploitation sont
étroitements imbriquées et très sensibles au chargement. Cet aspect est bien illustré par un travail de
modélisation réalisé dans le cadre du programme Porcherie Verte par Baudon et al (2005) qui ont
simulé le fonctionnement d’une exploitation associant élevage de porcs (engraissement) et cultures,
avec différentes hypothèses de gestion des déjections. Différentes cultures peuvent être produites
(maïs, blé, colza et pois), les règles de fertilisation étant celles du Comifer. Le modèle détermine
l’assolement, les formules d’aliment, le plan de fertilisation et la proportion d’effluents à traiter qui
maximisent la marge brute (MB) tout en respectant les contraintes environnementales.
Dans la Figure 3, l’exemple considéré est celui d'une exploitation dans laquelle les effluents sont gérés
sous forme de lisier avec un compostage sur paille de l'excédent d'azote. Pour des chargements faibles
(20 porcs produits/ha/an), la quantité d’effluents à épandre est inférieure aux capacités d’accueil des
surfaces consacrées aux cultures. Il est donc possible d’introduire des légumineuses dans l’assolement
et l’exploitation peut assurer elle-même 80% de son approvisionnement en matières premières pour
l’alimentation des porcs y compris en termes de ressources protéiques avec du pois et du colza. A partir
de 30 porcs à l’hectare, les légumineuses disparaissent de l’assolement puisqu'elles ne peuvent pas
être fertilisées par des effluents. Jusqu’à 50 porcs à l’hectare, il est encore possible de cultiver du colza
qui peut contribuer à l’approvisionnement en protéines des animaux. Le taux d’autonomie alimentaire
reste élevé (> 70%) et l’autonomie de fertilisation grimpe rapidement jusqu’à 65%. Au-delà de 60 porcs
à l’hectare, le colza disparaît à son tour de l’assolement pour laisser totalement la place aux céréales
dont la paille est nécessaire au compostage du lisier excédentaire. Le taux d’autonomie en matière
d’alimentation des animaux chute rapidement alors que l’autonomie pour la fertilisation se maintient aux
alentours de 70-80%. Au-delà de 100 porcs à l’hectare, l’exploitation n’est plus totalement autonome
pour la fourniture de la paille nécessaire au compostage. Les systèmes les plus durables présentent
des chargements plus faibles, l'optimum se situant autour de 50 à 80 porcs produits/ha/an. Il est
d'ailleurs intéressant de noter que dans cette étude les optimums environnementaux et économiques
sont généralement très voisins et qu'ils sont associés à un recyclage élevé de l'azote. La production de
porc peut s’accroître mais alors le respect de la réglementation de la directive nitrate sera subordonné à
des modalités de traitement des effluents produits en quantités non gérables à l’échelle de la surface de
l’exploitation.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69 51


J.L. Peyraud et al.

Figure 3 : Influence de l'intensité de production porcine (porc produits/ha/an) et l'assolement dans le cas d'une
filière associant lisier et compostage de lisier sur paille (d’après Baudon et al., 2005 ; Bonneau et al., 2008).

Pistes pour reconnecter plus étroitement production animale et production


végétale : perspectives, limites et besoins d’innovations
Les systèmes de polyculture-élevage avec des chargements en animaux adaptés offrent des
opportunités pour mieux utiliser l’azote au sein des systèmes agricoles, d’accroître l’efficience des agro
systèmes en optimisant les interactions écologiques et le recyclage des éléments et de faire reposer
davantage les systèmes de production sur les valorisations de ressources naturelles renouvelables.
Ces systèmes ont en effet la capacité de pouvoir limiter le recours aux engrais minéraux de synthèse
par l’introduction de légumineuses fourragères ou à graines qui peuvent être valorisés par les animaux
et par le recyclage des effluents d’élevage et de préserver l’azote au sein des systèmes par le choix des
rotations appropriées, souvent plus longues incluant notamment de la prairie, et par l’adaptation des
techniques culturales et d’alimentation des animaux bien adaptées. Ces complémentarités entre
productions animales et végétales sont à rechercher à différents niveaux d’organisation de l’exploitation
à l’échelle territoriale voire nationale pour retrouver de grands équilibres et nécessiteront des
innovations.

Introduire des légumineuses pour limiter le recours aux engrais de synthèse


La capacité à fixer l’azote atmosphérique est le principal atout des légumineuses,
Le pourcentage d’azote du pois issu de la fixation symbiotique est d’environ 70-80% et donc on peut
estimer qu’une culture de pois fixe environ 180 à 200 kg N/ha dans les parties aériennes (Vertès et al.,
2010) sans compter les parties racinaires et les rhizodépôts. Les légumineuses prairiales ont des taux

52 Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69


Les systèmes de polyculture – élevage pour bien valoriser l’azote

de fixation symbiotique pouvant être plus élevés (Vertès et al., 1995), les quantités d’azote fixées dans
les parties aériennes varient de 150 à 250 kg N/ha ce qui peut assurer l’autonomie de nutrition azotée
d’une prairie d’association dès que le taux de légumineuses dépasse 25-30% de la biomasse présente.
Aucun coût en énergie fossile n’est lié à cette entrée d’azote ce qui n’est pas le cas pour les engrais de
synthèse. La fixation symbiotique correspond donc à une économie d’énergie substantielle puisque qu’il
faut environ 55 MJ d’énergie fossile pour produire, transporter et épandre 1 kg de N minéral. Il faut ainsi
1,2 MJ pour produire 1 UFL (= 7100 kJ) d’énergie nette de ray-grass fertilisé à 150 kg N/ha mais
seulement 0,4 avec une prairie d’association et 0,9 pour de l’ensilage de maïs après blé (Besnard et al.,
2006). Il faut aussi rappeler que les légumineuses produisent des fourrages et des graines riches en
protéines qui peuvent contribuer efficacement à l’autonomie protéique des troupeaux et aussi à la
traçabilité des produits par la production de protéines métropolitaines.
L’enjeu est de valoriser au maximiser la fixation symbiotique et de recycler au mieux l’azote de la
légumineuse à l’échelle de la rotation. Afin de tirer le meilleur parti des légumineuses, il est important de
limiter les apports d’engrais car l’assimilation racinaire peut compléter, voire remplacer la fixation
d’azote atmosphérique si la légumineuse est fertilisée. Par ailleurs, la disponibilité en azote après une
légumineuse est supérieure à celle d’autres précédents non légumineuses (Jensen et Hauggaard-
Nielsen, 2003 ; Justes et al., 2009 et 2010). Les apports peuvent être diminués de 20 à 60 kg sur un blé
suivant un pois comparativement à une rotation céréales à paille-blé. Cet arrière effet n’est pas toujours
bien pris en compte dans les plans de fertilisation (Schneider et al., 2010), mais il peut devenir très
avantageux en cas de fort renchérissement du prix des engrais de synthèse. Il est aussi établi que le
rendement des blés suivant un pois sont plus élevés d’environ 8 q/ha comparativement à une rotation
blé sur blé. Compte tenu de reliquats élevés, les risques de lessivage sont plus élevés en cas de
drainage hivernal si l’azote résiduel n’est pas valorisé et il est nécessaire d’implanter une culture
intermédiaire piège à nitrate (CIPAN) entre la légumineuse et la culture suivante de blé qui n’a pas la
capacité à absorber tout l’azote disponible avant la période de drainage pour accroitre la valorisation de
l’azote issu de la fixation symbiotique (Juste et al., 2010). Plutôt que d’implanter une CIPAN, les travaux
du Casdar 7-175 (voir aussi Schneider et al., 2010) ont montré qu’il était possible d’introduire un colza
entre le pois et le blé et que la productivité du colza était maintenue et même légèrement augmentée
alors que sa fertilisation a été réduite.
Insérer une luzernière pendant 3 ans et semée au printemps au sein d’une succession blé-betterave
conduit également à une réduction sensible des fuites du nitrate (Muller et al., 1993). Dans cet essai
conduit en lysimètre, la teneur en nitrate de l’eau a été en moyenne sur 10 ans de 92 et 123 mg/L en
moyenne en présence et en absence de luzerne.
Les animaux valorisent bien les légumineuses fourragères ou à graines.
Des rations mixtes associant ensilage de maïs et ensilage de trèfle violet ou de luzerne (Chenais, 1993)
comparées à des rations d’ensilage de maïs seul conduisent aux mêmes performances laitières tout en
réduisant les besoins en tourteau de soja pour satisfaire les besoins des animaux. Des résultats
similaires ont été obtenus récemment dans le cas d’utilisation de foin ou de balles rondes de luzerne
(Rouillé et al., 2010). L’économie est de 1 à 2 kg de tourteau par vache et par jour selon la qualité du
fourrage. Il faut cependant noter que la récolte et la conservation des légumineuses fourragères, que ce
soit sous forme d’ensilage ou de foin, restent délicates et que beaucoup de soins doivent être apportés
lors des chantiers (Arnaud, et al., 1993) pour un résultat encore trop souvent aléatoire. Pour être bien
valorisé par des vaches laitières, les ensilages doivent avoir au moins 30% de MS. La luzerne
déshydratée n’a pas cet inconvénient. C’est un aliment de qualité constante pouvant accroître les
performances des animaux (Peyraud et Delaby, 1994) mais son intérêt pourrait être limité par le cout
énergétique de la déshydratation. Au pâturage l’intérêt des prairies d’associations entre graminées et
trèfle blanc a bien été démontré (Wilkins et al , 1994 ; Ribeiro-Filho et al., 2005), les quantités ingérées
étant plus élevées sur les associations. Mais surtout l’intérêt du trèfle blanc réside dans la souplesse

Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69 53


J.L. Peyraud et al.

d’utilisation de la prairie, la diminution de la qualité avec l’accroissement de l’âge des repousses étant
plus lent que pour les graminées fertilisées.
Les légumineuses à graines telles que le pois, la féverole et le lupin peuvent être introduites dans les
rations des vaches laitières à raison de 15 à 20% et se substituer à la moitié du tourteau de soja ou de
colza sans pénaliser la production de lait (Brunschwig et Lamy, 2002 ; Brunschwig et al., 2013).
Toutefois des incorporations à des doses plus élevées conduisent à accroitre les rejets azotés car les
protéines de ces graines sont très dégradables dans le rumen (Sauvant et al., 2004). Il est par ailleurs
bien établi de longue date que le pois peut être incorporé en quantité importante dans les rations des
porcs en croissance sans aucun problème (Gatel et al., 1989). En outre, les protéagineux et
particulièrement le pois sont riches en lysine (Sauvant et al., 2004) ce qui permet de baisser les teneurs
en protéines des aliments. C’est aujourd’hui plus le manque de disponibilité sur le marché qui limite
l’emploi du pois dans les rations.
Les légumineuses ont aussi d’autres intérêts.
Des travaux récents montrent que les légumineuses prairiales augmentent le stockage de carbone
organique dans le sol comparativement aux couverts de graminées pures (Lüscher et al., 2011). Elles
contribuent aussi à réduire les émissions de N2O (Muller et al., 1993 ; Ledgard et al., 2009). En
revanche leur rôle sur le lessivage de nitrate est moins établi. Les pertes sont généralement plus faibles
sous prairies d’associations graminées – trèfle blanc que sous prairies de graminées fortement
fertilisées (Hutchings et Kristensen, 1995; Ledgard et al., 2009) mais cela semble s’expliquer tout autant
par le fait que les prairies d’associations supportent des chargements un peu plus faibles que par la
régulation biologique de la fixation de l’azote. Il apparaît quand même que les pertes par lixiviation sont
beaucoup plus faibles sous les prairies contenant de la luzerne (Russelle et al., 2001) bien que la
productivité soit semblable à celle observée avec le trèfle blanc.
Les données du projet Casdar 7-715 montrent également que les émissions de N2O sont très faibles
lors d’une culture de pois ce qui va dans le même sens que l’hypothèse du GIEC (2006) stipulant que la
fixation symbiotique n’est pas source d’émissions de N2O. L’inclusion d’un pois dans une rotation
céréalière de 3 ans réduit ainsi les émissions de 20 à 25%. Il semble aussi que l’introduction des
légumineuses à graines au sein des rotations a un effet positif sur la diversité microbienne des sols ce
qui peut contribuer à réduire la gravité des maladies d’origine tellurique (Lupwayi et al., 1998; Kloepper
et al., 1999).
Mais plusieurs contraintes limitent aujourd’hui le développement des légumineuses.
La première est liée à leur productivité, exprimée en q/ha, qui reste faible comparativement à celle des
céréales et c’est une cause majeure de leur régression. La production moyenne du pois est de 40
quintaux qu’il faut comparer aux 70 quintaux du blé en France. Compte tenu des prix de vente et des
coûts de production, la marge brute à l’hectare est donc beaucoup plus faible. Récemment plusieurs
dispositifs expérimentaux ont été mis en place pour concevoir et évaluer des systèmes de culture
incluant des légumineuses (Justes et al., 2009 ; Casdar 7-175). Compte tenu des effets positifs d’un
précédent pois sur le rendement des cultures suivantes, des économies réalisées sur la fertilisation et la
consommation d’énergie, les écarts de marges obtenus lors de rotations incluant du pois sont en fait
beaucoup plus réduits voire s’inversent selon les scénarios de prix comparativement à des rotations
sans pois. Concernant les fourrages, les prairies d’associations sont généralement moins productives
que les prairies de graminées fertilisées. Toutefois un projet récent conduit sur 17 sites en Europe a
montré que le mélange de 4 espèces bien complémentaires (2 légumineuses et 2 graminées) est plus
productif que la meilleure des espèces cultivée seule à même rythme de coupe et même fertilisation
(Kirwan et al., 2007). Ces premiers résultats méritent d’être confirmés dans d’autres situations (Huyghe
et al., 2012). Bien que l’introduction de luzerne dans une rotation de céréales offre de nombreux
avantages, sa valorisation dans le cadre d’une exploitation ne disposant pas d’animaux et à distance

54 Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69


Les systèmes de polyculture – élevage pour bien valoriser l’azote

d’une usine de déshydratation pose la question de la complémentarité entre exploitations, ce qui


nécessite une nouvelle organisation territoriale.

Optimiser l’utilisation des effluents d’élevage comme engrais organique


L’optimisation de tous les maillons de la chaîne de gestion des effluents est une voie majeure de
progrès pour préserver l’azote actif et réduire les achats d’engrais minéraux au sein des systèmes de
polyculture élevage. Il s’agit de limiter les pertes qui peuvent être très importantes et de rechercher une
valorisation maximale de l’azote épandu sur les cultures.
La réduction des pertes de NH3 accroit la quantité de N valorisable par les cultures.
Les pertes gazeuses peuvent être très importantes entre la production des déjections et leur utilisation
dans le sol, les émissions gazeuses pouvant varier de 20 à 75% de l’azote émis par les animaux selon
les modalités mises en œuvre. Ces pertes ont été estimées en France, à partir d’une synthèse
bibliographique (Gac et al., 2007). Pour les bovins, en prenant en compte l’ensemble de la filière, les
pertes gazeuses d’azote exprimées en % de l’excrétion sont de l’ordre de 19-23% sous forme de NH3 et
de 1,5-1,8% sous forme de N2O. En pertes gazeuses totales, il y a assez peu de différence entre les
filières lisier et fumier mais des différences importantes sont observées au niveau des postes
d’émission. Pour les fumiers, les émissions interviennent tout au long de la chaîne de gestion alors que
pour les lisiers, les émissions sont nettement plus importantes au niveau des bâtiments et lors de
l’épandage. Contrairement aux bovins, des différences plus importantes sont observés pour les porcs
au niveau global entre les lisiers et les fumiers. Les émissions de NH3 sont en moyenne de 28 et 35%
pour les filières fumier et lisier respectivement et les écarts sont encore plus importants au niveau des
émissions de N2O. Celles-ci sont faibles pour la filière lisier (<1% et principalement lors du retour au sol)
alors qu’elles atteignent presque 10% pour la filière fumier avec des émissions se déroulant
principalement dans les bâtiments. Pour réduire les pertes, il faut agir à tous les maillons de la chaine.
Les émissions en bâtiment peuvent être réduites par un ajustement précis des rations distribuées aux
animaux. En effet, tout excès ou déséquilibre de la ration entraine à accroissement de l’azote émis par
l’urine qui est facilement volatilisable aussi bien chez les porcs (Hayes et al., 2004 ; Portejoie et al.,
2004) que chez les ruminants. Ainsi, la quantité d’azote volatilisé chez les ruminants peut varier de 1 à
5 selon les rations à même production de lait (Aguerre et al., 2010). Chez le porcs, une réduction
importante des rejets, pouvant atteindre 35% par rapport à une alimentation témoin, peut être obtenue
par une alimentation « multiphase » combinée à des régimes parfaitement équilibrés en acides aminés
(Dourmad et al., 1993 ; Bourdon et al., 1995). Chez les ruminants, les lois de réponse des rejets sont
également bien connues (Vérité et Delaby, 2000). Pour limiter les rejets et les risques de volatilisation, il
est essentiel de raisonner les apports d’azote dégradable dans le rumen mais aussi l’équilibre entre
apports protéiques métabolisables et apports d’énergie. Un apport de 10% au-dessus de l’optimum des
besoins représente un gain de production minime (moins de 0,5 kg lait/j) mais accroit les rejets d’azote
de 20 kg/an, cet azote ayant toutes les chances de se volatiliser en grande partie. Les logiciels
INRAtion et INRAporc développés par l’INRA (voir notamment Dourmad et al., 2011) permettent de
raisonner l’alimentation des troupeaux au plus juste. Les émissions en bâtiment s’accroissent
également avec la température (van Duinkerken et al., 2005) et varient selon les équipements.
L’accroissement de la fréquence d’évacuation des effluents réduit les émissions de NH3 (Guingand,
2000). La réduction des émissions peut varier de 20 à 60% selon les systèmes (Landrain et al., 2009 ;
Peyraud et al., 2012a). Les émissions au stockage et à l’épandage des lisiers peuvent être fortement
limitées par des techniques déjà disponibles : réduction des émissions provenant des enceintes de
stockage par la couverture des fosses ou la réduction de la surface de l’enceinte par unité de volume,
application localisée (pendillards pour le lisier) ou par enfouissement/injection dans le sol (UNECE,
2007). On considère une réduction de 25-35% des émissions de NH3 pour un épandage avec pendillard
et de 70-90% s’il y a un enfouissement direct ou rapide après épandage avec toutefois une forte

Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69 55


J.L. Peyraud et al.

variation de l’efficacité de ces techniques (de 0 à 75% pour les pendillards et de 25 à 90% pour
l’enfouissement, Webb et al., 2010). La réduction des pertes par volatilisation demande une vigilance
continue pour éviter les transferts de pollution car le risque de volatilisation est présent à chaque étape
et tout gain réalisé à une étape peut conduire à des pertes accrues à la suivante. En revanche, il
n’existe à l’heure actuelle aucune technique éprouvée permettant de réduire les émissions de NH3
provenant du stockage du fumier.
Le traitement des effluents offre aussi des leviers d’actions. La séparation de phase permet d’obtenir
deux produits qui pourront être gérés différemment et potentiellement mieux : une phase solide avec
des concentrations en azote total et en phosphore respectivement 2 et 4 à 5 fois supérieures à celles
du produit initial, et une phase liquide (moins de 2% de MS) avec de l’azote essentiellement sous forme
ammoniacale (85%) (Béline et al., 2003). Le compostage permet de stabiliser la MO des effluents en
éliminant la MO facilement biodégradable. Les pertes d’azote par volatilisation sont importantes et
varient d'environ 30% à 60% de l’azote entrant dans le système si le procédé est mal maîtrisé (Bernal et
al., 2009). Au final, le compost est plus riche en éléments minéraux (N, P, K) que le fumier de départ
(Saludes et al., 2008).
Optimiser la valorisation agronomique de l’azote disponible des effluents.
L’utilisation de lisier en remplacement d’engrais minéraux de synthèse conduisent aux mêmes
productions et ne causent pas de pertes supplémentaires à l’échelle de 15 ans (Leterme et Morvan,
2010), du moins tant que les niveaux d’apport sont adaptés aux besoins des cultures (apports
fractionnés, absence d’apport à l’automne avant la période de drainage). Pour autant, il demeure
encore difficile d’ajuster précisément la fertilisation minérale dans des systèmes valorisant les effluents
animaux car il reste difficile de prévoir la valeur fertilisante à court et moyen terme des effluents.

Figure 4 : Schématisation des compartiments d’azote de différents types d’effluents, des deux flux principaux qui
déterminent leur valeur azotée à court terme et des méthodes à mettre en œuvre (teste rouge) pour optimiser
l’utilisation de leur azote. L’épaisseur des compartiments représente les proportions des différentes formes de N
dans l’effluent. L’épaisseur des flèches représente schématiquement l’intensité des flux en jeu. Les cercles
orange indiquent des possibilités d’améliorer la valeur azotée par une meilleure connaissance des effluents
associée à des pratiques agricoles adaptées.

La biodisponibilité en azote est liée au type de produit, avec des valeurs élevées de biodisponibilité de
l’azote pour la plupart des effluents liquides (70 à 100% du N disponible sur l’année), des valeurs
faibles pour les fumiers et effluents compostés (20 à 40%) et intermédiaires pour des produits de type

56 Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69


Les systèmes de polyculture – élevage pour bien valoriser l’azote

lisiers (30 à 50%) (Peyraud et al., 2012a) mais les très nombreux travaux menés en conditions
contrôlées mettent en évidence la grande variabilité de la valeur fertilisante à court terme et la seule
connaissance du critère « origine » de l’effluent ne permet pas de lui attribuer une valeur fertilisante
avec précision. Les connaissances acquises sur les pertes par volatilisation ammoniacale à l’épandage
et sur les dynamiques temporelles de minéralisation (Morvan et al., 2006) après l’épandage permettent
de mieux expliciter les variations de l’efficience azotée des produits. Ces connaissances, intégrées
dans des outils opérationnels de fertilisation tels que Azofert (Machet et al., 2007) et des outils de
mesure très simples (Quantofix par ex), permettent de mieux raisonner les apports et d’améliorer la
gestion agro-environnementale des effluents. Il demeure que des progrès doivent encore être réalisés
sur la connaissance de la dynamique des processus de minéralisation de l’azote des effluents en
interaction avec le type de sol et la minéralisation de l’azote du sol pour pouvoir piloter précisément la
fertilisation avec les effluents et les compléments éventuels d’engrais minéraux.
L’utilisation des effluents animaux offre aussi d’autres avantages.
La fourniture de matière organique avec les effluents, surtout dans le cas des fumiers et des composts
permet d’accroître les teneurs en carbone des sols même si ce processus est très variable. La
proportion de C apporté qui se retrouve dans le sol sous forme stable varie de 10-30% pour les
effluents liquides à 20-50% pour les effluents solides (Institut de l’élevage, 2001). Ces valeurs
moyennes masquent toutefois une forte variabilité, le stockage de C résultant de l’utilisation des fumiers
de bovin peut varier de 20 à 60% selon les sites expérimentaux (Morvan et al., 2010 ; Peltre et al.,
2012). Les apports d’effluents ont aussi un effet sur la biodiversité microbienne des sols car ils sont à la
fois une source de nombreux nutriments pour les flores natives des sols et ce sont aussi des inoculum
complexes (Bitmann et al., 2005 ; Lalande et al., 2000).

Choix de rotation avec de la prairie pour mieux recoupler C et N


La prairie contribue à réguler les flux environnementaux au sein des systèmes agricoles et fournit de
nombreux autres bénéfices environnementaux (Lemaire et al., 2003, Peyraud et al.n 2010). La
comparaison de systèmes laitiers types optimisés et différant par les parts respectives de maïs et herbe
dans l’alimentation des animaux met en évidence des pertes azotées moindres avec les systèmes
valorisant plus d’herbe (Peyraud et al., 2009). D’ailleurs, plusieurs pays européens dont l’Irlande, les
Pays Bas, le Danemark, l’Allemagne ont à ce titre obtenu un relèvement du plafond de 170 kg N
organique/ha dans le cadre de la directive nitrate à 230 ou 250 kg N/ha pour les surfaces en herbe à
condition que celles-ci représentent une proportion importante de la Surface Agricole Utile (70 à 80% de
la SAU le plus souvent).
La prairie est un bon recycleur de l’azote
Le pâturage met en jeu des quantités d’azote importantes et les quantités d’azote restituées par les
vaches alimentées au pâturage varient de 150 à 500 kg de N/ha selon le chargement et la durée de la
saison de pâturage (Vérité et Delaby, 2000). Mais l’azote est utilisé et recyclé via de très nombreuses
voies par les couverts herbacés qui sont actifs durant une longue période sur l’année, par le sol qui peut
organiser une proportion importante de l’azote en excès et par l’absence de sol nu (Peyraud et al.,
2012a). Dans leur synthèse, Decau et al. (2003) montrent que malgré une grande variabilité liée au
contexte de chaque expérimentation, le devenir de l’azote des pissats se répartit en moyenne annuelle
comme suit : 25-30% sous forme organisée dans le sol, 30-35% valorisés par la plante, 25-30% perdus
par lixiviation et, pour les pertes gazeuses, 10 % sous forme ammoniacale et au plus 5 % sous forme
de N2O et N2. On peut admettre qu’à l’échelle de l’année, la répartition de l’azote fécal émis au pâturage
est la suivante : 60-70% intégrés à la matière organique du sol, 10-20% prélevés par les plantes, 5-10%
perdus par émissions gazeuses et 10-15% par lixiviation. Au final, les émissions de NH3 sont plus
faibles au pâturage qu’en alimentation conservée (10 vs. 25% ; Peyraud et al., 2012a) et les fuites du

Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69 57


J.L. Peyraud et al.

nitrate sous pâture sont souvent faibles hormis dans le cas de prairies temporaires très fortement
fertilisées (Vertes et al., 2007, 2010). Les émissions de N2O sont également faibles (moins de 5%,
Clough et al., 1998).
Si le stockage d’azote sous prairie constitue un puits limitant les pertes d’une partie de l’azote stocké va
se minéraliser rapidement lors de la mise en culture des prairies. Il existe actuellement peu de
références disponibles sur l’évaluation des pertes de nitrate dans les successions culturales, bien que
des travaux soient en cours. Un travail exploratoire conduit dans le cadre de l’Agrotransfert Bretagne
(Vertes et al., 2010) montre que les pertes sous les rotations prairies – cultures lorsque la prairie est
introduite dans des rotations courtes avec des prairies implantées pour 3 ans sont de l’ordre de 80
kg/ha/an mais qu’elles sont plus faibles pour des rotations plus longues (40 à 60 kg /ha/an). En outre, la
destruction des prairies temporaires au printemps plutôt qu’à l’automne non seulement réduit le risque
de lessivage mais aussi contribue à accroitre le rendement des cultures de printemps suivantes du fait
des reliquats azotés. Par exemple, Simon (1992) a montré que les rendements du maïs ensilage étaient
plus élevés de 15% (soit près de 2 t de MS) après une prairie en première année et de 9% en seconde
année que lors d’une rotation spécialisé en maïs. Des travaux plus anciens conduits aux USA
montraient aussi que les rendement des céréales étaient améliorés lorsqu’elles entraient dans des
rotations comportant 1 ou 2 ans de culture fourragères comparativement à des rotations classiques
maïs – soja (Adams et al., 1970). De même, les betteraves sucrières sont particulièrement
intéressantes car cette culture implantée derrière une prairie est capable de valoriser jusqu’à 400 kg de
N/ha du fait de sa longue période de végétation.
Les systèmes valorisant de la prairie procurent d’autres services écosystémiques.
Les prairies temporaires incluses dans des rotations peuvent stocker du C (0,5 à 1,2 t/ha, Soussana et
al, 2010). Le stockage s’accroit avec la durée d’implantation de la prairie car le déstockage au
retournement est plus rapide que le stockage lors de la remise en prairie (Arrouays et al., 2002) et est
de l’ordre de 0,9 à 1,4 t/ha/an). Le stockage de carbone sous prairie et les structures paysagères
associées (haies) peut compenser de 6 à 43% des émissions des troupeaux selon les systèmes utilisés
(Dollé et al., 2011) et abaisser l’empreinte C des produits de ruminants. Une expérience de très long
terme conduite à l’INIA La Estanzuela en Uruguay (Gentile et al., 2005). met bien en évidence l’intérêt
des rotations incluant de la prairie temporaire sur la dynamique de la MO des 20 premiers cm du sol
(Figure 5). Après 40 ans, la teneur en C organique des sols (0 à 20 cm) a diminué de 2,2 à 1,5% dans
les systèmes de cultures conduits avec fertilisation alors qu’il s’est maintenu dans le cas de rotations
incluant des prairies même de courte durée. La dynamique de réponse de la teneur en MO est rapide
après chaque nouvelle implantation de prairie. Durant la phase de prairie, la majorité du C organique
perdu pendant la phase de culture arable est récupérée (García-Préchac et al., 2004).
Une synthèse des performances environnementales de systèmes laitiers utilisant plus ou moins de
prairie incluse dans des rotations avec du maïs ensilage et d’autres cultures annuelle a été réalisée par
Le Gall et al (2009 et réactualisée en 2012) (Tableau 2). La prairie est un fourrage riche en azote et
demeure aujourd’hui une source essentielle de protéines pour alimenter les ruminants. Par ailleurs, le
risque de lessivage du Phosphore est également réduit sous prairie puisque le sol est couvert en
permanence (Le Gall et al., 2009).

58 Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69


Les systèmes de polyculture – élevage pour bien valoriser l’azote

Figure 5. Comparaison de rotations incluant ou n’incluant pas de prairie sur la dynamique de la MO du sol
(Morón et Sawchik, 2002)

La prairie contribue aussi à la réduction de l’utilisation des pesticides. Une étude européenne a
récemment montré que l’usage des pesticides est inversement proportionnel à la proportion de praires
dans la SAU (Raison et al., 2008). Il est également démontré que l’introduction d’une prairie dans une
rotation permet d’accroitre l’abondance des invertébrés dans les sols (Hedde, 2006), notamment des
populations de vers de terre ainsi que la biodiversité floristique et les insectes pollinisateur. En outre,
plusieurs travaux montrent que le revenu par travailleur (hors aides) est souvent plus élevé dans les
exploitations d’herbivores valorisant plus d’herbe. C’est notamment ce que montre la synthèse de
Peyraud and Lherm, (2010) à partir des données issues des réseaux de bovins lait de l’institut de
l’élevage et des réseaux de l’INRA en exploitations charolaises ce qui est aussi confirmé par Samson et
al. (2012) qui montrent que les systèmes à bas intrants valorisant de la prairie permettent de contenir
les coûts de production en élevage laitier.
Tableau 2 : Performance environnementales de systèmes laitiers en fonction de la part de prairie dans la surface
fourragère.

% Mais dans la surface fourragère 10-30% 30-50 >50


Nombre de fermes 67 100 28
Part des cultures (% SAU) 34 42 37
Part de maïs (% SAU) 22 39 62
Lait (kg/vl) 7315 7924 8136
Chargement (UGB/ha) 1,4 1,7 2,5
Surplus N (kg/ha/an) 58 93 112
Surplus P (kg/ha/an) 6 5 10
Energie (ML/l lait) 2,4 2,6 2,8
Empreinte C nette (kg eq CO2/l lait) 0,84 0 ;92 0,98
Phytosanitaires (IFT/ha SAU) 0,77 1,27 1,28

Utilisation de cultures intermédiaires prévenant les fuites du nitrate tout en


participant à la sécurisation de l’alimentation des troupeaux
Le rôle des CIPAN pour limiter les risques de fuite de nitrate est établi depuis longtemps (Simon et Le
Corre, 1998) et des données nouvelles le confirment notamment par des essais sur le long terme
(Justes et al., 2012) qui montrent aussi qu’elles accroissent le stock en MO des sols et contribuent à

Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69 59


J.L. Peyraud et al.

limiter le risque d’érosion. Les Cipan captent l’azote minéral résiduel du sol avant la période de
drainage, puis en restituent une partie à la culture suivante. Les données de Justes et al. (2012)
montrent que les teneurs en nitrates sont alors très fortement réduites et ne dépassent que rarement 50
mg/L. Les CIPAN sont d’ailleurs largement intégrées aux pratiques, en particulier dans les zones
vulnérables (Peyraud et al., 2012a). Les CIPAN permettent en particulier de réduire le lessivage entre
les cultures de légumineuses à graines ou la prairie et la céréale qui suit. La moutarde apparaît
particulièrement efficace en absorber 80 kg N/ha en seulement 2 à 3 mois de croissance (Justes et al.,
2012).
La moutarde n’est pas une espèce fourragère et dans les exploitations en polyculture élevage, il est
plus intéressant d’utiliser des cultures dérobées qui peuvent ensuite être valorisées par des animaux tel
que le colza fourrager ou des mélanges plus complexes comme par exemple de mélanges à base de
céréales, vesces et trèfle. Cette valorisation par les animaux améliore la productivité globale du
système de culture car elle ne pénalise pas la productivité de la céréale suivante (Franzluebbers et
Stuedemann, 2007) tout en fournissant un fourrage complémentaire.
Les associations de céréales et protéagineux implantées à l’automne permettent de produire 10 à 11 t
de MS d’un fourrage à ensiler en Juin avec peu ou pas d’engrais azotés ni de produits phytosanitaires
tout en assurant une couverture hivernale des sols (Naudin et al., 2010) et trouvent leur place.
Toutefois, la valeur du fourrage produit reste assez modeste (Emile et al., 2011) si bien que ce fourrage
doit être réservé aux génisses ou distribués en quantités limitées aux vaches laitières. Avancer la date
de récolte de 1 mois améliore la qualité du fourrage mais réduit fortement le rendement (de l’ordre de
40%). Il y a donc des compromis à rechercher. En outre, les résultats varient avec les céréales utilisées,
le blé réduisant fortement le rendement par comparaison à un triticale imberbe. Il reste aujourd’hui un
manque de connaissances sur les potentialités de différentes espèces ou associations d’espèces
pouvant être utilisées en cultures dérobées pour valoriser l’azote disponible dans le sol ou fixé par
symbiose tout en produisant un fourrage de qualité et limitant le risque de développement des
pathogènes.

Réintroduire des troupeaux au sein de territoires de grande culture

Des initiatives innovantes de quelques céréaliers qui ont réintroduit des troupeaux de moutons dans
leur exploitation sont à mentionner même s’il s’agit encore de pionniers. Cette introduction correspond
souvent au souhait d’enrichir en MO les sols. La production de moutons peut donner un nouvel équilibre
aux exploitations céréalières (CIIRPO, 2102). Les brebis et leurs agneaux valorisent parfaitement bien
les surfaces à contraintes environnementales comme les CIPANs par des pâturages d’aout à
Décembre, ces animaux de petit format ne causant pas de problème de piétinement. Ils peuvent aussi
valoriser d’autres productions de l’exploitation comme les céréales et de la luzerne ainsi qu’une grande
diversité de coproduits qui sont souvent disponibles en grande quantité et à faible prix dans ces
territoires (pulpes de betteraves, drèches de blé…). Ils valorisent aussi la paille comme litière mais
aussi dans leurs rations. En contrepartie, le fumier produit peut être utilisé très efficacement sur les
têtes de rotation comme le maïs, les betteraves ou le tournesol. Un troupeau de 200 brebis produit 710
kg N, 770 kg P et 1050 kg de K ce qui permet de fertiliser une quinzaine d’hectares chaque année
réduisant d’autant les coûts de la fertilisation. Le fumier contribue aussi à apporter de la MO sur des
sols généralement pauvres. La surcharge de travail liée à l’apparition d’un troupeau peut être ajustée
par la planification des périodes d’agnelage en dehors des périodes de pointe de travail au champ. La
diversification permet de créer un revenu supplémentaire ce qui peut contribuer à atténuer les effets de
la volatilité des prix des céréales d’autant plus que les perspectives du marché de la viande de mouton
sont plutôt bonnes. Enfins l’apparition d’un troupeau de moutons s’accompagne en général de la
création d’un emploi dans l’exploitation.

60 Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69


Les systèmes de polyculture – élevage pour bien valoriser l’azote

A quelles échelles géographiques penser le recyclage de l’azote ?


L’exemple décrit dans la Figure 3 montre qu’il n’est souvent plus possible de rétablir des équilibres au
sein des exploitations lorsque les chargements animaux sont très élevés. La (re)localisation de la
production animale entre les territoires pour rétablir des équilibres territoriaux est difficilement
concevable à grande échelle pour des raisons organisationnelles et économiques des filières. Le
modèle actuel, caractérisé par une concentration territoriale et régionale des filières d’élevage, rend peu
réaliste des propositions d’évolution qui s’écarteraient radicalement de ce « modèle ». Elles le sont
aussi pour des raisons sociales. En effet, compte tenu de la charge de travail liée à l’élevage, celui-ci ne
revient jamais dans les territoires où il a été abandonné.
Des transferts entre exploitations permettraient de lever des verrous.
Les exploitations spécialisées, particulièrement en production porcine, n’ont souvent pas les surfaces
nécessaires pour gérer les effluents. La pratique de la digestion aérobie des lisiers porcins permet alors
d’éliminer sous forme de N2 environ 60 à 70% de l’azote entrant dans le process (Beline et al., 2004).
Cette technique est donc en apparence très efficace pour respecter le plafond d’épandage de la
directive nitrate et finalement réduire les risques de fuite de nitrate ou même de NH3, au moins à court
terme mais elle n’est pas conservatrice. Elle conduit au final à perdre pratiquement 40% de l’azote
ingéré par le troupeau. Elle peut donc s’avérer très couteuse à l’avenir si le prix des aliments protéiques
reste durablement élevé et n’est pas durable même si elle est subventionnée.
Alternativement, les exploitations peuvent transférer les lisiers vers d’autres exploitations ou territoires.
Si la conception et la réalisation des plans d’épandages sont obligatoires depuis plus de 15 ans, peu
d’études ont été consacrées à la quantification et à la modélisation des échanges d'effluents entre
exploitations exportatrices (porcines, volailles) et exploitations réceptrices (herbivores, cultures). Lopez-
Ridaura et al. (2009) ont étudié l'intérêt de la mise en place de plans d'épandage collectifs associant
producteurs de porcs et de céréales. Ils ont ainsi comparé, à l'aide de la méthode d'analyse du cycle de
vie, deux modalités de gestion des excédents d'azote : le traitement aérobie et le transfert. Les résultats
indiquent que pour tous les indicateurs environnementaux considérés (Eutrophisation, acidification,
changement climatique et consommation d’énergie), le transfert entre exploitations est préférable au
traitement. Ces résultats sont en accord avec ceux obtenus à l'échelle de l'exploitation (Baudon et al.,
2005) qui indiquent que le recyclage des éléments, en particulier de l'azote, est toujours la voie la plus
intéressante au plan environnemental. Toutefois, l’organisation collective de ce transfert nécessite une
bonne combinaison des équipements, de l’assolement, du type de sol et des conditions climatiques
(Paillat et al., 2009). Ces pratiques posent aussi des questions d'acceptabilité sociale par les riverains.
En sens inverse il est concevable que des exploitations de grandes cultures, ayant par exemple
implanté une luzernière pour diversifier les rotations, puissent redistribuer le fourrage à d’autres
exploitations. Du reste, des exemples ont été décrits aux Etats-Unis où des groupes de céréaliers
produisent de l’aliment, y compris des fourrages, pour leurs voisins et bénéficient en retour des effluents
pour fertiliser leurs parcelles (Franzluebbers, 2007). Ces intégrations entre exploitations permettent de
mieux concilier des bénéfices économiques et environnementaux. En particulier, les céréaliers ont ainsi
l’opportunité de bénéficier d’une plus grande diversité de culture dans les rotations et d’une meilleure
gestion des cycles de C et N. Des accroissements de rendements à l’échelle de l’exploitation ont été
rapportés (Franzluebbers et al., 2011 ; Posner et al., 2008). Toutefois, il n’est pas aujourd’hui établi si
ces interactions entre exploitations peuvent conduire au même niveau de synergie que lorsque qu’elles
sont gérées à l’échelle d’une même exploitation de polyculture élevage. En outre, les conditions
sociales d’un succès de telles collaborations restent à préciser. Il y a là un champ important de
recherches en sciences de gestion.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69 61


J.L. Peyraud et al.

A quelle échelle géographique les recyclages peuvent-ils être réalisés et comment les mettre en
œuvre ?
Dans le cas des fumiers, le compostage permet d’obtenir un produit final enrichi en éléments fertilisants
(N, P, K) comparé au produit initial et qui est désodorisé ce qui facilite le transport. Le compostage de
fumier est ainsi souvent présenté comme une possibilité d’élargir la gamme des utilisations des
matières organiques en particulier vers les cultures. Toutefois, ce procédé peut conduire à des pertes
importantes de NH3 et de N2O souvent importantes lorsqu’il est mal maîtrisé et qui sont estimées entre
30 et 60% (Bernal et al., 2009 ; Szanto, 2009). Le séchage des effluents pour produire des engrais
normalisés est une voie prometteuse. L’enjeu est de produire un engrais organique commercialisable
qui puisse être exporté vers d’autres régions, notamment les zones de grande culture où il peut se
substituer aux engrais minéraux. Cette voie permet de réduire la charge en azote, mais encore plus en
phosphore, des zones d’élevage intensif. Une étape préliminaire est la séparation de phase des lisiers
pour obtenir une phase solide plus concentrée en N et P (2 et 4-5 fois respectivement pour N et P,
Beline et al., 2003) qui est ensuite séchée. Des groupes coopératifs pionniers collectent ainsi déjà une
partie des lisiers pressés de leurs coopérateurs et les sèchent en utilisant la chaleur produite par
différents sources, soit la chaleur d’un abattoir soit celle issue de méthanisation avec co-génération.
Cette technologie permet un recyclage entre territoires éventuellement sur de longues distances ce qui
ouvrent des possibilités pour redistribuer le phosphore entre régions pour retrouver les équilibres (voir
Figure 2) au niveau national à un moment où le prix des phosphates augmente. Toutefois, les
avantages de ces systèmes de traitement mais aussi leurs limites restent à évaluer globalement par
rapport à l’utilisation d’engrais minéraux et l’utilisation de plus de légumineuses en zones de grande
culture d’un point de vue de l’efficacité économique, environnementale et de l’acceptabilité sociale.

Conclusions
La spécialisation des exploitations et des territoires associée à l’intensification des systèmes est un
courant dominant en Europe et en France depuis de nombreuses années mais l’avenir de ces systèmes
basés sur une utilisation importante d’intrants est questionné sur le plan environnemental et aussi
économique avec le renchérissement de l’énergie. Les systèmes de polyculture élevage associant de
manière plus étroite les troupeaux et les cultures doivent permettre un meilleur recyclage de l’azote au
sein des agrosystèmes, d’accroitre l’autonomie protéine mais aussi énergétique des élevages, de
maintenir, voire d’accroitre la productivité par une gestion optimisée des ressources naturelles tout en
améliorant la résilience des systèmes face aux aléas dans un contexte de volatilité des prix. Cela
nécessite de mettre en œuvre une polyculture élevage rénovée où les légumineuses et la bonne
valorisation des effluents auront une place majeure et où il faut repenser les rotations pour tirer le
meilleur profit des ressources naturelles et améliorer la qualité des sols. Il demeure cependant des
problèmes nécessitant des recherches pour passer des concepts aux innovations. Il reste à lever des
verrous techniques car, pour être performants, ces nouveaux systèmes de polyculture élevage devront
combiner des innovations agronomiques dans la conduite des surfaces (rotations, assolements) et des
troupeaux. Il reste aussi à lever de verrous organisationnels car à l’échelle de l’exploitation la
polyculture élevage se heurte à des questions d’organisation et d’efficacité du travail ainsi que de
besoins de compétences pointues dans des domaines variés. La recherche de complémentarités à des
échelles plus larges, notamment entre exploitations offre des possibilités a priori intéressantes mais
nécessite de repenser les modes d’organisation entre exploitations, voire entre territoires éloignés. Les
conditions d’une bonne acceptabilité et du succès de telles solutions ne sont pas connues. Ces
évolutions ne pourront également se faire sans l’adaptation des politiques publiques qui sera un
élément déterminant pour encourager et favoriser les transitions nécessaires. Elles peuvent aussi
nécessiter l’intervention d’autres acteurs économiques que les seuls agriculteurs.
 
 

62 Innovations Agronomiques 22 (2012), 45-69


Les systèmes de polyculture – élevage pour bien valoriser l’azote

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Giessen, Allemagne
(5) AgroSup-Dijon, UMR1347 Agroécologie, BP 86510, F-21000 Dijon, France
(6) CNRS, UPR 1934 CEB de Chizé, 79360 Villiers-en-Bois, France
Correspondance : nicolas.munier-jolain@dijon.inra.fr

Résumé
La complémentarité entre les productions céréalières (sensu lato) et les productions fourragères liées à
l’élevage est un levier majeur de gestion de la flore adventice, par la diversification des successions
culturales qu’elle permet. Cet article synthétise les connaissances actuelles sur les effets sur la flore de
l’insertion de prairies temporaires dans les successions céréalières, sur la base d’une étude
bibliographique et de travaux menés en France. Les relevés de flore en parcelle agricole et les
expérimentations en station convergent pour démontrer l’effet précédent répressif des prairies
temporaires (en particulier la luzerne) sur de nombreuses espèces adventices très problématiques dans
les systèmes céréaliers. Les prairies temporaires peuvent favoriser certaines espèces, mais peu
problématiques en grandes cultures : espèces à port rampant ou en rosette, à cycle court, peu
compétitives, ou espèces vivaces perturbées par les travaux du sol pendant les phases de la
succession de cultures annuelles. Une enquête sur les pratiques des agriculteurs de la Zone Atelier
« Plaine & Val de Sèvre » a montré que la diversification des successions par des cultures fourragères
et des légumineuses permet de concilier la réduction de la dépendance aux herbicides, la réduction des
impacts environnementaux, la réduction des consommations d’énergie à l’échelle du système, et la
rentabilité économique.
Mots-clés : mauvaise herbe, succession culturale, fauche, luzerne, dactyle, prédation

Abstract: Role of temporary grasslands for weed management in cereal cropping systems
Combining grain crops and forage crops within a given cropping system is a great lever for managing
weeds. This paper sums up current knowledge about the effect of perennial forage crops on weeds,
based on a literature review and results from field surveys and experiments in France. All studies concur
to demonstrate that temporary grasslands reduce the density of problematic weeds in subsequent
annual crops. Some species with specific life traits (creeping or rosette morphologies, short cycles, and
some perennials) might be favoured by temporary grasslands, but these species are either poorly
competitive or sensitive to soil tillage that occurs during the succession phase of annual crops. Surveys
in Western France showed that diversifying crop succession with perennial forage crops and legumes
made it possible to reconcile reducing herbicide use, reducing environmental impacts and energy
inputs, and maintaining economical profitability.
Keywords: crop succession, mowing, hay cutting, lucerne, alfalfa, cocksfoot, predation
N. Munier-Jolain et al.

Introduction
La mise à disposition des herbicides pour lutter contre la flore adventice des cultures céréalières (au
sens large, i.e. grandes cultures, céréales, oléoprotéagineux, betteraves, maïs…) est probablement le
changement technique qui a le plus facilité l’évolution vers la simplification des systèmes de grandes
cultures depuis le milieu du XXème siècle. Les régions agricoles françaises sont aujourd’hui hyper-
spécialisées, ce qui se traduit par une faible diversité locale des assolements et des successions
culturales (Mignolet et al, ce colloque). La lutte contre les adventices repose très majoritairement sur
l’utilisation des herbicides, raisonnée en fonction de la flore présente. Mais la forte dépendance des
systèmes agricoles vis-à-vis des herbicides est remise en cause à la fois pour des raisons
environnementales (résidus d’herbicides dans les eaux superficielles et souterraines, déclin de la
biodiversité), et pour des raisons techniques liées au développement préoccupant de biotypes
d’adventices résistants aux herbicides.
Les successions culturales simplifiées favorisent le développement des infestations, car une espèce
adaptée aux cycles culturaux toujours très similaires, année après année, trouvera chaque année les
conditions favorables à l’accomplissement de son propre cycle, lui permettant de se multiplier par voie
végétative pour les espèces vivaces, par production semencière pour les annuelles. Le taux élevé de
multiplication moyen nécessite alors d’être compensé par une forte pression herbicide pour maintenir
les niveaux d’infestation dans des limites compatibles avec la production agricole.
La réduction de la dépendance aux herbicides nécessite de mobiliser d’autres facteurs de régulation de
la démographie des adventices, dans le cadre de stratégies de gestion relevant de la Protection
Intégrée (Chikowo et al., 2009 ; Munier-Jolain et al., 2011). La diversification des successions culturales
constitue un des leviers majeurs de ces stratégies peu consommatrices d’herbicides, car elle permet de
diversifier les cycles culturaux et les conditions de croissance rencontrées par les adventices. En
revanche, la diversité des conditions de croissance rencontrées à l’échelle de la succession est
susceptible de favoriser la diversité des espèces végétales maintenues dans le milieu ‘champ cultivé’.
Les successions diversifiées favorisent donc théoriquement des communautés adventices à la fois plus
riches en nombre d’espèces et à la démographie beaucoup moins explosives que les monocultures ou
les rotations très simplifiées.
De ce point de vue, la complémentarité entre production ‘céréalière’ et élevage comporte deux
avantages majeurs :
• Elle permet souvent de fournir des débouchés locaux aux cultures de diversification introduites
dans les successions simplifiées : par exemple, l’introduction dans une succession de cultures
d’hiver (de type colza-blé-orge) de cultures de triticale (espèce très compétitrice étouffant les
adventices) ou de protéagineux de printemps ou de sorgho (espèces à cycles très décalés par
rapport aux cultures d’hiver) est plus facile lorsqu’une valorisation locale en alimentation animale
résout d’éventuels problèmes de commercialisation des productions végétales (marchés peu
organisés localement) (Duc et al, ce colloque).
• Elle permet plus facilement d’envisager l’introduction dans les successions culturales ‘céréalières’
de cultures fourragères pluriannuelles. Ces cultures constituent un milieu très contrasté par rapport
aux cultures annuelles, caractérisé par (i) l’absence de travail du sol pendant la durée de la prairie
temporaire, (ii) un régime de perturbation fréquent par les fauches (ou le pâturage) pouvant
perturber la croissance des adventices et limiter les possibilités de production semencière, et (iii)
une intensité de compétition pour la lumière exercée par la plante cultivée pendant la plus grande
durée de la période d’exploitation de la culture.
Une revue bibliographique très complète a été réalisée sur les effets sur la flore adventice de la
diversification des successions culturales par l’introduction de cultures fourragères pluri-annuelles
(Meiss, 2010). La première approche des agronomes ayant traité la question est celle d’enquêtes sur
les bénéfices de la diversification des rotations. Une telle enquête menée au Canada a montré que

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Prairies temporaires et gestion de la flore adventice

83 % des agriculteurs interrogés ayant pratiqué des rotations avec prairies temporaires sont convaincus
du bénéfice en terme de maîtrise de la flore adventice dans les cultures suivantes, et 33% pensent que
cet effet ‘précédent’ persiste dans la rotation 3 années ou plus après la culture fourragère (Entz et al.,
1995). Sur la base de relevés de flore dans des céréales suivant soit des luzernes soit des cultures
annuelles ‘céréalières’, réalisés également au Canada, Ominski et al. (1999) ont observé des réductions
significatives après luzerne de la densité d’espèces typiques des systèmes céréaliers (Avena fatua,
Brassica kaber, Cirsium arvense, Galium aparine), mais pas d’effet sur des espèces adventices
estivales (Amarantus retroflexus, Chenopodium album, Polygonum convolvulus, Setaria viridis), et une
augmentation d’une espèce vivace (Taraxacum officinale). En Australie, de façon similaire, des études
ont montré le rôle des prairies temporaires pour gérer des problèmes de graminées résistantes aux
herbicides, Avena fatua et Lolium rigidum (Gill et Holmes, 1997). De nombreux travaux expérimentaux
aboutissent à des conclusions similaires, i.e. une réduction de la densité des adventices, en particulier
des graminées à germination hivernale dans les cultures suivant les cultures fourragères pluri-annuelles
(Sjursen, 2001 ; Albrecht, 2005), l’effet observé étant parfois cité comme aussi efficace, voire plus
efficace que les traitements herbicides appliqués sur les parcelles témoin (Schoofs et Entz, 2000 ;
Bellinder et al., 2004). La forte sensibilité des graminées à germination hivernale à l’insertion des
prairies temporaires peut s’expliquer par la relativement faible durée de vie des semences dans le sol
pour ce type d’espèces (Barralis et al., 1988). Mais il faut tout de même signaler des études nord-
américaines sur des systèmes à base de maïs et de soja qui ont conclu à des augmentations possibles
de densités de graminées estivales après les cultures fourragères fauchées (Teasdale et al., 2004).
Selon les études, le bénéfice des prairies temporaires en termes de gestion de la flore adventice est
caractérisé soit par une réduction des densités d’adventices dans les cultures suivantes, soit par une
réduction du niveau de recours aux herbicides (Heggenstaller et Liebman, 2006). Par ailleurs,
l’augmentation de la diversité floristique de la parcelle est également souvent associée à la
diversification de la rotation par des cultures fourragères pluri-annuelles, notamment par le
développement d’espèces vivaces (Taraxacum officinale, Rumex), qui sont rarement problématiques
dans les cultures annuelles suivantes du fait de leur sensibilité aux interventions de travail du sol.
Par ailleurs, l’effet des prairies temporaires sur la flore adventice dépend également des modalités de
gestion de cette prairie, de la fréquence de fauche notamment (Norris et Ayres, 1991). Mais ce facteur
peut avoir des effets contrastés selon les études et les espèces adventices, selon que la fauche
intervient comme une perturbation interdisant la production semencière, ou comme une ouverture du
milieu favorisant la croissance en biomasse des espèces adventices à forte aptitude à la reprise de
croissance post-fauche.
Le présent article correspond à une synthèse de travaux menés au cours des dernières années en
France sur le rôle de l’insertion de prairies temporaires dans les rotations ‘céréalières’ du point de vue
de la maîtrise de la flore adventice. Des relevés de flore dans des parcelles d’agriculteurs, dans des
prairies temporaires, mais également dans les cultures annuelles qui suivent ces prairies, ont permis de
mettre en évidence l’effet ‘précédent’ des prairies temporaires sur la flore adventice. Des
expérimentations menées dans le SOERE ACBB, site de Lusignan, et sur le site expérimental INRA de
Dijon-Epoisses, ont permis d’étudier les effets des modes de gestion de la prairie temporaire sur la
dynamique floristique des parcelles. Ces expérimentations ont également permis de mettre en évidence
l’effet du milieu particulier des couverts de prairies temporaires sur l’activité d’organismes prédateurs de
graines d’adventices, contribuant potentiellement à la régulation biologique des communautés
adventices. Des essais analytiques en conditions contrôlées (serre) ont permis d’étudier les effets de la
fauche sur la croissance des adventices, permettant d’analyser la diversité de la réponse des espèces
adventices aux effets de la prairie temporaire. Enfin, une étude fondée sur des enquêtes d’agriculteurs
utilisant des niveaux contrastés d’herbicides a permis de mettre en évidence l’intérêt de la prairie
temporaire pour concilier la réduction de l’usage d’herbicides avec des bonnes performances
économiques et environnementales.

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N. Munierr-Jolain et al.

Effets sur la flo


ore advenntice de l ’insertion de prairies tempo
oraires da
ans les
successsions ‘cé
éréalières’
C
Cas de la Zone
Z Atelier « Plaine
e & Val de Sèvre » (C
Chizé, 79)
Une étudde a été réalisée entre 20006 et 2008 en parcelles agricoles afin de tester ll’effet de l’inttroduction
de cultuures fourragères pluri-annuelles suur la compoosition et laa dynamiquee des comm munautés
adventices à l’échellee de la rotatiion culturale (Meiss et al., 2010b). 4220 parcelles ont été sélecctionnées
dans la zone atelierr « Plaine & Val de Sèvvre » (450 km m²) localiséee dans la pl aine de Nioort (Deux-
Sèvres), région de cééréaliculture intensive. Cees parcelles ont été classsées en 4 grooupes, représentant 4
phases-cclé d’une rottation incluannt des luzernnes : (a) bléss d’hiver qui succèdent à au moins 5 ans de
cultures annuelles, (b) luzerness agées de 1 an et qui succèdent à plusieurss années dee cultures
annuellees (prairies jeeunes), (c) luzzernes de 2 à 6 ans (prairies ‘artificielles’ installéees), (d) blés d’hiver
d qui
succèdent à une luzerne (cultures annu elles après la phase prairiale). LLa composiition des
communnautés advenntices, leur diversité
d et laa fréquence de groupess fonctionnelss ont été coomparées
entre less 4 groupes.
La compposition spéccifique diffèree de manièrre importantee entre les 4 groupes. LL’Analyse Canonique
Discriminnante présenntée en Figure 1 permet de visualiseer une représsentation circculaire des 4 groupes
de parceelles (a à d), correspondaant à une traajectoire cycllique des communautés adventices qui
q suit la
successiion temporelle des culturees dans la rootation.

Figure 1 : Analyse Canonique Discrriminante des communautéés adventices dans 4 groupees de parcellees (a), (b),
(c) et (d)) représentantt les 4 phasees-clé d’une rrotation incluaant des cultures annuelles et pérennes (luzerne).
D’après MMeiss et al. (20010b).
Des commparaisons deux
d à deux montrent quue les différeences de commposition soont significativves entre
tous les groupes (ANNOSIM : Anaalyse des Simmilarités). L’aanalyse des espèces
e indiicatrices (ISA
A) montre
que 9 esspèces sont significativeement associiées aux blés qui suivennt des culturees annuelless (a). Les
luzerness jeunes (b) sont associéées à 16 auttres espècess contre 10 pour
p les luzeernes plus âgées
â (c).
Seulemeent 4 espècees sont assoociées avec les blés quui suivent less prairies (dd). Il est à noter
n que
plusieurss espèces soont communees aux grouppes (c) et (d).. 8 groupes fonctionnels
f oont été établis a priori

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Prairies temporaires et gestion de la flore adventice

selon la réponse attendue des espèces à l’insertion de la prairie (groupes établis selon la biologie des
espèces et leur morphologie). La fréquence des espèces dicotylédones annuelles érigées et grimpantes
est significativement plus élevée dans le groupe (a), réduite dans le groupe (b), davantage réduite dans
le groupe (c) et à nouveau augmentée dans le groupe (d) sans atteindre le niveau du groupe (a). La
tendance inverse est observée dans 4 autres groupes fonctionnels : les plantes annuelles en rosette,
les dicotylédones bisannuelles et pérennes et les graminées pérennes.
Ces résultats montrent que la luzerne a un impact fort sur la dynamique des communautés adventices à
l’échelle de la rotation. Les espèces les plus touchées sont les dicotylédones annuelles à port érigé et
grimpant, sensibles à la fauche de la prairie (e.g. Mercuriale, Chénopode blanc, Morelle, Renouée
liseron), y compris des espèces très problématiques en systèmes céréaliers (Gaillet). Le vulpin,
graminée typique des systèmes céréaliers, est aussi affecté de façon importante par le précédent
luzerne. A l’inverse, les espèces en rosette et certaines graminées (Ray-grass) sont plus adaptées à
ces pratiques. De plus, certaines espèces pérennes (comme le Pissenlit ou le Rumex) semblent profiter
de l’absence de travail du sol pendant la période de la luzerne, alors que le chardon des champs,
pourtant pérenne, est peu présent en blé de luzerne, les fauches successives épuisant les réserves
souterraines chez cette espèce. Pour conclure, cette étude suggère que l’insertion de prairies
temporaires, comme la luzerne, dans des rotations céréalières permet de réduire les abondances
d’espèces adventices indésirables dans les cultures annuelles tout en favorisant des espèces moins
problématiques.

Cas du SOERE ACBB de Lusignan


Le SOERE ACBB (Système d’observation et d’expérimentation au long terme sur les Agroécosystèmes,
Cycles Biogéochimiques et Biodiversité) est un dispositif expérimental qui a pour objectif d’évaluer les
impacts environnementaux des prairies (Lemaire et al., 2005). Le site de Lusignan, mis en place en
2005, traite plus spécifiquement des impacts agronomiques et environnementaux de l’insertion de
prairies temporaires dans des rotations de grandes cultures. Les flux de carbone, d’eau et d’azote
générés dans ces systèmes de culture sont étudiés ainsi que la dynamique de la composante
biologique (flore semée et adventice, vers de terre, microorganismes du sol). Les prairies sont semées
en mélange de ray-grass anglais, fétuque et dactyle et la rotation culturale de référence (sans prairie)
est maïs/blé/orge. Les effets de la durée (3, 6 et 20 ans) et du niveau de fertilisation de la prairie
temporaire insérée dans cette rotation sont étudiés.
Ce dispositif a été utilisé afin de répondre à la question suivante : est-ce que les prairies temporaires
sont un moyen efficace pour réguler les adventices à l’échelle du système de culture ? En particulier,
les effets directs sur la flore adventice (effet à court terme lié à la compétition de la prairie) et les effets
indirects sur le stock semencier (effet à plus long terme qui va s’exprimer à l’échelle de la succession
culturale) ont été évalués. La flore levée a été observée une fois par an dans les prairies (au printemps
avant la première fauche) et deux fois par an dans les cultures (après l’implantation et après la récolte
de la culture). Le stock semencier initial a été caractérisé à l’installation du dispositif en 2005 puis tous
les trois ans. Trois niveaux de diversité, la diversité α (intra-parcellaire), β (inter-parcellaire) et
fonctionnelle, ont été étudiés afin d’analyser la composition et la dynamique des communautés
adventices dans les cultures et dans les prairies temporaires.
La Figure 2 présente l’abondance et la diversité α de la flore levée. Ces variables sont élevées au début
de l’expérimentation dans la flore initiale (P0). Les adventices sont peu abondantes dans les cultures
(parce qu’elles sont désherbées) mais elles présentent une diversité α relativement élevée (surtout
dans les cultures de printemps). L’abondance et la richesse spécifique diminuent avec l’âge des prairies
pour les prairies N+ (fertilisation normale) alors que ces variables sont stables dans les prairies N-
(fertilisation réduite) avec des valeurs assez élevées. La diversité β diffère entre les groupes de relevés.
En particulier, la méthode ANOSIM permet de détecter des différences significatives entre la flore

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N. Munierr-Jolain et al.

initiale, lla flore du maïs


m et la floore des prai ries. La com mparaison enntre les prairries N+ et N-
N montre
égalemeent des différences de composition. E Enfin, la méthhode ISA perrmet d’identiffier les espècces et les
groupes fonctionnelss liés à cerrtains grouppes de relevvés. Les esppèces pérennnes bénéficcient des
conditionns de croissaance particulières dans lees prairies. A l’inverse, onn retrouve dees espèces annuelles
a
avec unne morpholoogie érigée dans les ccultures annnuelles. Less légumineusses apparaissent et
augmenttent dans less prairies N-.

Figure 2 : Mesure de la diversité α de la flore levvée (Médiènee et al., 2012aa): (a) Abondaance des adveentices (b)
Richessee spécifique. LesL observations ont été regroupées en e 10 groupess selon la naature du couvvert (Point
initial/Culture/Prairie N+/Prairie N-) et l’âge de la prairie (1 an à plus de 3 ans).
a P0 : Floore initiale. CH
H : Culture
d’hiver. CCE : Culture d’été. P1+ : Praairie d’1 an avvec N+. P2+ : Prairie de 2 ans avec N+.. P3+ : Prairiee de 3 ans
avec N+. P4+ : Prairie de plus de 3 ans avec N+ . P2- : Prairie de 2 ans aveec N-. P3- : Prrairie de 3 anss avec N-.
P4- : Praiirie de plus dee 3 ans avec N-. male et N- à unne fertilisation réduite.
N N+ corresppond à une ferrtilisation norm
Une anaalyse canoniqque discriminnante montree une compoosition du stoock semencieer assez procche entre
les cultuures et les prairies
p au déébut de l’exppérimentationn, quand less traitementss ne sont paas encore
différencciés. Trois ans
a après, les composittions entre les prairies et les cultuures sembleent s’être
d groupes fonctionnelss différents. Dans les
fortemennt différenciéées. Ces chaangements ssont liés à des
prairies, on observee des dicotyylédones annnuelles ram mpantes et en e rosette eet des dicottylédones
pérenness. Les culturees présentennt principalem
ment des dicootylédones annuelles ériggées.
Cette étuude suggère plusieurs efffets des prairries temporaiires sur les communautés
c s adventices.
• Less prairies tem mporaires perrmettent de rréduire l’abonndance des adventices à des valeurss proches
de ccelles renconntrées dans des culturess désherbéess. La fertilisaation azotée semble augm menter la
com mpétitivité de la prairie et son efficacitéé pour lutter contre les addventices
• Less prairies peuu fertilisées diminuent
d éggalement l’abbondance dees espèces m mais elles présentent
unee richesse sppécifique et une diversitéé fonctionneelle plus élevvées, ce qui peut représsenter un
intéérêt pour favooriser la biodiiversité danss les systèmees de culture (Marshall et al., 2003).
• La ddynamique d’évolution
d dees communaautés adventtices semble rapide : un an après l’innstallation
de la prairie, certaines
c advventices prooblématiques sont réduittes (dicots aannuelles érrigées) et
l’ensemble des annuelles deux d ans apprès. La colonisation dee nouvelles eespèces, coomme les
esppèces pérennnes et les léégumineusess, est plus lente (dans les prairies de 4 ans avec a une
fertiilisation limitéée). Des chaangements dee compositioon spécifique et fonctionnnelle sont perrceptibles
danns le stock seemencier au bout b de trois ans de prairrie.

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Prairies
P tempo
oraires et gestiion de la flore adventice

Effets des moda


alités de conduite d e la prairie tempora
aire: régim
me de fauc
che
Une autrre expérimenntation pluri-aannuelle au champ a étéé conduite entre 2006 ett 2009 pour tester les
effets dees prairies teemporaires ete de leur m ode de gesttion sur les communauté
c és adventices (Meiss,
2010). D Dans cet esssai mis en place
p sur l’U nité Expérim
mentale INRA A de Dijon-EEpoisses, less facteurs
étudiés éétaient la natture de la cullture fourragèère (luzerne vs. dactyle), la période d e semis (auttomne vs.
printempps), et la fréquence de fauuche (3 vs. 5 fauches annnuelles). Le dispositif
d com
mportait également un
témoin ccorrespondannt à une succcession de cuultures annuelles : Blé-Orge de printeemps-Soja-Blé. Aucun
désherbaage n’a été appliqué
a penndant la duréée de l’expériimentation (trois ans). Laa flore adventice a été
suivie paar des compttages fréquents, en particculier avant chaque
c fauchhe, et dans uune culture de
d blé qui
a été implantée de faaçon homogène sur touss les traitemeents expérim mentaux en 4 ème année. Après
A 2,5
années, des prélèvem ments de sol ont été réallisés dans lees différents traitements
t eexpérimentauux en vue
d’une esstimation de la densité de semences ddans le sol. CetteC estimation a été réaalisée par la technique
t
de mise en germinaation des échantillons dee sol étalés dans des teerrines, penddant trois annnées, et
identificaation et compptage des plaantules levéees.
La densiité d’adventicces dans les prairies a dimminué au cours de l’expéérimentation, de façon proogressive
dans la lluzerne, et dee façon plus tardive maiss très rapide dans le dacttyle, en lien aavec la mise en place
lente du couvert de dactyle
d t forte dennsité finale de ce couvertt. Dans le mêême temps, la densité
et la très
de certaaines espècees adventicees a augmeenté de faççon explosive dans le ssystème de cultures
annuellees. Pour une même espècce prairiale, ppeu de différrences de deensité globalee d’adventicees ont été
observéees entre les différents régimes de fauuche. Des efffets similairees des traitem ments expérrimentaux
ont été oobservés sur le stock seemencier aprrès 2,5 annéées : le stockk global de ssemences addventices
était trèss nettement inférieur pouur les différe nts traitemennts de prairiee temporairee, en comparraison du
stock obbservé pour la succession de cultuures annuellees, mais peu différents entre les différentes
modalitéés de prairiess temporairess (Figure 3).

Figure 3 : Densité de semences d’adventicees dans less 10 premierrs cm de ssol après 2,55 années
d’expérim
mentation, pouur différentes modalités
m de pprairies tempooraires et une succession
s dee cultures annnuelles.

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En revanche, les traitements expérimentaux ont eu des effets significatifs sur la composition des
communautés adventices du fait de réponses contrastées des espèces adventices aux techniques.
Dans le stock semencier, les espèces favorisées par la succession de cultures annuelles sont des
espèces typiques des systèmes céréaliers (Gaillet, Vulpin, Moutarde des champs), les espèces
favorisées par les cultures fourragères semées au printemps sont des espèces printanières qui ont eu
le temps de terminer leur cycle avant la première fauche, et qui ont des semences persistantes dans le
sol (Chénopodes, Renouée persicaire), alors que les espèces favorisées par les cultures fourragères
semées au début de l’automne sont des espèces à cycle hivernal court et un port rampant, leur
permettant de boucler leur cycle pendant les mois d’hiver où le couvert végétal est moins dense, voire
d’échapper partiellement à la perturbation de la fauche (Véronique de Perse, Stellaire, Géranium). La
fréquence de fauche affecte également la composition des communautés : certaines espèces, et en
particulier des espèces basses, rampantes, comme la Stellaire, la Renouée des oiseaux et la Véronique
de Perse, ont été favorisées par les fauches fréquentes, qui donnent l’accès à la ressource lumineuse,
mais les espèces très problématiques en systèmes céréaliers, plus hautes, plus compétitives, à cycle
plus long, comme le Vulpin ou le Gaillet, ont été défavorisées par les fauches fréquentes qui limitent les
possibilités de dissémination grainière. Ce dernier type d’espèces a semblé par ailleurs plus défavorisé
par la luzerne que par le dactyle, sans que les traits de vie qui expliquent ce résultat aient pu être
clairement identifiés.
La comparaison des densités d’adventices entre le début de l’expérimentation, avant les premières
fauches, et les cultures de blé homogènes en fin d’expérimentation permet de caractériser l’effet des
modalités expérimentales sur l’évolution du potentiel d’infestation. Toutes espèces confondues, ce
potentiel semble avoir augmenté pour toutes les modalités, mais beaucoup moins dans les systèmes
intégrant des prairies temporaires que dans la succession de culture annuelle. En outre, l’augmentation
de potentiel d’infestation sous les prairies est lié essentiellement à l’augmentation d’espèces peu
compétitives pour les céréales (Véroniques, Stellaire, Renouée des oiseaux, Renouée liseron). Dans le
même temps, le potentiel d’infestation des espèces beaucoup plus problématiques en cultures de
céréales ou de colza (Vulpin, Gaillet, Brome, Ray-grass, Géranium) a nettement diminué pendant la
période de prairie temporaire, quelles que soient les modalités de gestion (espèce prairiale et fréquence
de fauche). L’expérimentation confirme, par une analyse fine à l’échelle de l’espèce, l’intérêt de
l’insertion des cultures fourragères pluri-annuelles pour la répression des espèces adventices les plus
problématiques des systèmes céréaliers, dans le cadre de stratégies de gestion alternatives au ‘tout
chimique’.

Analyse des mécanismes impliqués dans l’effet observé des prairies


temporaires sur les adventices
Divers mécanismes peuvent expliquer les effets de l’insertion de prairies temporaires sur la dynamique
démographique des communautés adventices, parmi lesquels la diminution des germinations-levées
par l’absence de travail du sol, la perturbation de la phénologie des adventices par les fauches, la
réduction de la croissance en biomasse en situation de concurrence intense pour la lumière … Deux
mécanismes ont été plus particulièrement analysés dans le cadre d’une étude sur les effets des prairies
temporaires, respectivement la reprise de croissance post-fauche des adventices et des plantes
cultivées prairiales, et la prédation des graines par des organismes granivores dans le milieu particulier
constitué par le couvert prairial.

Reprise de croissance post-fauche


Une expérimentation a été conduite en 2007 et 2008 pour évaluer la variabilité interspécifique d’aptitude
à la reprise de croissance consécutive à une fauche (Meiss et al., 2008). Ce caractère est déterminant

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Prairies temporaires et gestion de la flore adventice

pour expliquer les effets de la fauche en terme de modification des équilibres compétitifs entre les
différentes composantes du couvert ‘culture prairiale:adventices’. 10 espèces ont été semées en pot,
dont 8 espèces adventices annuelles (6 dicotylédones et 2 graminées), de la luzerne et du dactyle. Les
plantes cultivées sous serre ont été coupées à intervalle régulier pour estimer la production de
biomasse entre chaque coupe. Par ailleurs, les effets de la biomasse des plantes et du stade
phénologique à la date de coupe ont été étudiés au moyen de semis de plantes décalés, générant des
biomasses et des stades différents à la date de la première coupe.

Biomasse
(g/plante) Dicots
Dicot. weeds Graminées
Grasses d Figure 4 : Dynamique de croissance en
biomasse après différentes coupes, pour

Veronica
Stellaria

Bromus
rosette Capsella

Ambrosia

Alopecurus
Amaranthus

Chenopodium

(PFC) Dactylis

(PFC) Medicago
20 10 espèces contrastées, en l’absence de
Biomasse ass compétition (d’après Meiss et al., 2008)
après fauches nt rosette
rampant
successives SD reptant +
ramifications c
upright bc
10 dressé c c
4ème fauche
abc
3ème fauche abc abc
2ème fauche
ab
1ère fauche a
0
A A
Biomasse avant A A A A A A

1ère fauche B
C

Les 10 espèces ont montré une aptitude de reprise de croissance post-fauche très contrastée (Figure
4), la luzerne étant de loin l’espèce ayant accumulé le plus de biomasse à la 5ème fauche, malgré une
croissance plutôt lente en début de cycle. Les espèces suivantes les plus adaptées au régime de
fauches répétées sont les 3 graminées. A l’inverse, les espèces dicotylédones à port dressé comme
l’Amarante et le Chénopode blanc ont montré une très mauvaise aptitude à la croissance après la
fauche, presque 100 % des Amarantes ne survivant pas à la fauche. L’espèce en rosette (Capselle) et
les dicotylédones rampantes (Stellaire et Véronique de Perse) ont montré une aptitude intermédiaire,
grâce à la fois à la présence de plusieurs bourgeons sous la hauteur de coupe et d’une surface foliaire
verte résiduelle plus importante que les espèces à port dressé.
La vitesse de croissance d’une plante individuelle est très corrélée à sa biomasse au moment de la
fauche (Meiss et al., 2008), d’une part parce que la biomasse aérienne est corrélée à la disponibilité en
assimilats dans les organes préservés par la coupe (pivot racinaire, plateau de tallage), assimilats
remobilisables pour initier la croissance des nouvelles feuilles, d’autre part parce que pour beaucoup
d’espèces, en particulier les espèces à port rampant ou en rosette, la biomasse pré-fauche détermine la
surface foliaire résiduelle post-fauche.
Ces résultats expliquent en partie pourquoi les précédents ‘luzerne’ défavorisent plus les espèces à port
dressé que les espèces rampantes. En revanche, cela n’explique pas l’effet répressif des prairies
artificielles sur une graminée annuelle, le Vulpin, observé sur les relevés floristiques de Chizé et sur
l’expérimentation d’Epoisses. Dans le cas de cette espèce, c’est probablement un effet sur la
phénologie, la perturbation du cycle par la fauche qui interdit toute production semencière pendant
plusieurs années, chez une espèce dont les semences sont peu persistantes dans le sol, qui peut
expliquer l’effet observé.

Couvert prairial et prédation de semences d’adventices


Les relations entre agriculture et biodiversité, le rôle joué par la biomasse adventice comme ressource
trophique pour d’autres organismes herbivores ou granivores, le rôle de la prédation de graines
d’adventices comme régulateur biologique potentiel des infestations des champs cultivés sont des
thèmes de recherche actuels en agroécologie. L’expérimentation d’Epoisses sur les prairies

Innovations Agronomiques 22 (2012), 71-84 79


N. Munier-Jolain et al.

temporaires et la flore adventice décrite plus haut a été utilisée pour étudier l’impact des prairies
temporaires sur la prédation de graines d’adventices (Meiss et al., 2010a). L’hypothèse testée est que
le couvert végétal durablement fermé des prairies artificielles génère un habitat favorable à la présence
et l’activité des organismes granivores. Des cartes ‘présentoirs de graines’ ont été positionnées au sol à
trois saisons différentes (Avril, Mai, Juillet), sur sol nu, et sous couvert de dactyle ou luzerne soumis
chacun à deux régimes de fauche différents (trois ou cinq fauches par an). Le niveau de fermeture du
couvert, variable entre les deux espèces prairiales et la fréquence de fauche, était caractérisé par des
capteurs de rayonnement posés au sol. Après deux semaines, les cartes ont été relevées, et le nombre
de semences consommées a été compté.
Les taux de prédation observés sur les cartes peuvent atteindre jusqu’à 60 % au mois de Juillet sous
couvert végétal. Ils sont toujours supérieurs sous couvert que sur sol nu, et également supérieurs sous
les prairies à faible fréquence de fauche par rapport aux fortes fréquences. A la période où l’activité
granivore est la plus intense (Juillet), 64 % de la variabilité du taux de prédation entre les traitements
est expliqué par le niveau de fermeture du couvert (i.e. par le niveau de rayonnement mesuré au sol).
Ces résultats semblent donc confirmer l’hypothèse d’un habitat des prairies temporaires favorable à
l’activité des organismes granivores, en lien avec la pérennité de la fermeture du couvert. Pour autant,
on ne sait pas aujourd’hui quantifier le niveau de régulation à long terme que représente ce processus
de prédation pour les infestations par les adventices annuelles.

Evaluation multi-critères de systèmes de culture intégrant des prairies


temporaires
Une enquête a été conduite en 2010 sur le territoire de la zone atelier « Plaine & Val de Sèvre » suivie
par le CEB de Chizé (Deux-Sèvres), visant à caractériser les pratiques et les stratégies d’agriculteurs
peu consommateurs d’herbicides (Boissinot et al., 2011). 28 agriculteurs ont été interrogés sur leurs
pratiques, choisis sur un gradient d’usage d’herbicides (8 agriculteurs Bio, l’Indice de Fréquence de
Traitement herbicide (IFT-Herbicide) variant de 0,4 à 3,1 pour les 20 ‘conventionnels’, cf. Figure 5).
Cette enquête a permis de mettre en évidence deux stratégies non exclusives de réduction d’IFT-
Herbicide, respectivement (i) la réduction de dose en recherchant l’optimisation de l’efficience des
traitements, et (ii) la mobilisation de leviers agronomiques se traduisant par une complexification des
systèmes. Elle a par ailleurs produit trois enseignements majeurs qui sont directement liés à la
complémentarité entre production ‘céréalière’ et élevage :
• La diversification des successions culturales, par l’alternance de cultures d’hiver et de printemps et
par l’introduction de prairies temporaires (ici, uniquement des luzernes), sont des leviers majeurs
de gestion de la flore adventice : tous les systèmes de culture comportant uniquement des cultures
d’hiver, ainsi que les monocultures de maïs, sont parmi les plus gros consommateurs d’herbicides
de l’échantillon (à l’exception d’un maïsiculteur combinant le désherbage mécanique et des
traitements herbicides à faible dose). A l’inverse, les systèmes à faible usage d’herbicides sont le
plus souvent des systèmes intégrant à la fois des cultures d’hiver et de printemps, et notamment
des légumineuses de printemps qui sont parfois directement valorisées à la ferme chez les
éleveurs, et/ou des systèmes avec luzerne.
• Ces mêmes légumineuses de printemps et ces luzernes génèrent un bénéfice environnemental,
caractérisé par une amélioration de l’indicateur utilisé pour rendre compte des impacts des
traitements sur la qualité des eaux souterraines, mais également par une nette baisse des
consommations d’énergie par hectare, du fait des économies d’engrais azotés sur les cultures de
légumineuses et sur les cultures suivantes. En effet, le poste ‘engrais azoté’ pèse souvent pour 30
à 50 % du coût énergétique total des systèmes de culture (Deytieux et al., 2012).
• Enfin, on n’a observé dans notre échantillon aucun antagonisme entre la réduction d’usage
d’herbicides et la rentabilité économique : les systèmes de l’échantillon qui consomment le moins

80 Innovations Agronomiques 22 (2012), 71-84


Prairies temporaires et gestion de la flore adventice

d’herbicides, parmi les systèmes conventionnels, présentent des valeurs de marge semi-nette1
équivalentes, voire supérieures à celles des systèmes plus intensifs, plus consommateurs
d’herbicides. En outre, les systèmes intégrant des luzernes et des légumineuses dans la rotation
tendent à générer une rentabilité économique parmi les meilleures de l’échantillon, et une meilleure
robustesse, c’est-à-dire une moindre sensibilité à la volatilité des prix (Figure 5). La luzerne est
associée à de faibles coûts de mécanisation, et à de très faibles charges opérationnelles. Dans les
conditions pédoclimatiques où la production de foin de luzerne est possible et valorisable, cette
production n’est pas incompatible avec une bonne performance économique. Ce résultat était
moins attendu car des résultats antérieurs issus d’expérimentations en station étaient moins
favorables économiquement aux successions culturales diversifiées dans le cadre de stratégies de
protection intégrée (Pardo et al., 2010).

1600 Prix Céréales Elevé * Prix Engrais Elevé
Prix Céréales Bas * Prix Engrais Bas

1400 Prix Céréales Bas * Prix Engrais Elevé
Rotation avec Luzerne ≥ 3ans

1200
Marge Semi‐Nette (€/ha)

1000

800

600

400

200

0
IFTH
1.75
1.85
2.14
2.26
2.34

3.09
0.43
0.66
0.77
0.78
0.79
1.07
1.09
1.11
1.23
1.31
1.32
1.32
1.56
1.61

2.7

‐200 AB

Figure 5 : Marge semi-nette estimée pour 28 systèmes de culture à niveau d’usage d’herbicides (IFTH)
contrastés de la plaine de Niort (zone atelier de Chizé, Deux-Sèvres), et pour trois scénarios de contexte de prix.
AB : Agriculture Biologique.
Ces résultats d’enquête ont été présentés aux agriculteurs du site atelier de Chizé, ce qui a donné lieu
à des débats animés sur l’organisation de la filière luzerne dans la région. Certains agriculteurs
‘céréaliers’ ont fait part de leur a priori négatif sur la culture de luzerne, du fait de la difficulté de trouver
des débouchés, alors même que les élevages caprins de la région sont très consommateurs de
luzerne, et que le département des Deux-Sèvres est importateur de luzerne sous forme déshydratée
(sans parler des importations de protéines végétales d’origine américaine). Ce constat permet de faire
l’hypothèse d’un déficit d’organisation d’une filière locale potentiellement plus développée qu’elle ne
l’est aujourd’hui, d’autant que les éleveurs et les techniciens de l’élevage soulignent l’intérêt de la
luzerne dans la ration alimentaire des ruminants (fibres, appétibilité, protéines). Les débats qui ont
accompagné la présentation de cette étude sont peut-être à l’origine de réflexion sur la diversification
des assolements, puisque les surfaces implantées en luzerne en 2012 dans la zone atelier de Chizé
sont en augmentation par rapport aux années précédentes, facilitées par des mesures agri-
environnementales apportant un soutien financier aux agriculteurs qui font ce choix.

1 Marge semi-nette : produits + aides PAC – charges opérationnelles et charges de mécanisation

Innovations Agronomiques 22 (2012), 71-84 81


N. Munier-Jolain et al.

Conclusion
L’ensemble des travaux présentés dans cet article convergent pour démontrer l’intérêt de l’insertion de
prairies temporaires pour gérer la flore adventice dans des systèmes de grandes cultures, contribuant à
une forte diversification des conditions de croissance des adventices, ce qui perturbe leur cycle
biologique. Cette diversification n’est possible que lorsqu’il existe des débouchés pour les cultures
fourragères, ce qui souligne l’importance d’une réflexion sur la complémentarité, à l’échelle d’un
territoire donné, entre production végétale et élevage. Lorsque cette complémentarité existe à l’échelle
d’une exploitation agricole (polyculture-élevage), cela facilite la diversification et la mise en œuvre de
pratiques raisonnées spécifiquement au regard de la gestion de la flore adventice. Deux exemples qui
n’ont pas encore été évoqués dans l’article vont dans le même sens :
• La culture en mélange de céréales et de légumineuses à graines, solution proposée pour la
production de légumineuses tout en augmentant sensiblement l’aptitude à la concurrence vis-à-vis
des adventices par rapport aux légumineuses pures (Corre-Hellou et al., 2012), dont la valorisation
est plus facile directement à la ferme pour l’alimentation animale, sans nécessité de trier les
graines ;
• L’ensilage ‘en vert’ des céréales en cas d’infestation mal contrôlée sur une parcelle donnée une
année donnée. Cette technique permet d’éviter la multiplication des espèces annuelles, favorisant
ainsi la réduction du stock semencier. Elle est utilisée par certains agriculteurs biologiques, mais
n’est possible que lorsqu’il existe une possibilité locale de valorisation en fourrage de la biomasse
ensilée.
Malheureusement la complémentarité entre production végétale et élevage n’existe pas toujours à
l’échelle de l’exploitation. Il y a donc un enjeu fort autour de l’organisation de cette complémentarité à
l’échelle de territoires plus larges, via la coordination des céréaliers et des éleveurs, l’organisation de
marchés locaux permettant de valoriser des productions végétales de diversification (Bretagnolle et al.,
ce colloque). Les organismes de collecte ont bien entendu une responsabilité forte pour
l’accompagnement de l’agriculture dans cette nécessaire démarche de diversification, nécessaire pour
concilier le respect de l‘environnement et de la biodiversité avec la rentabilité de l’agriculture.

Remerciements
La majorité des travaux présentés dans cet article ont été réalisés dans le cadre des projets ECOGER
et ADVHERB (ANR-08-STRA-02).

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84 Innovations Agronomiques 22 (2012), 71-84


Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99

Apprendre l’autonomie dans les systèmes de polyculture elevage laitier

Coquil X.1,2, Béguin P.3, Fiorelli J.L.1, Trommenschlager J.M.1, Dedieu B.2
1: INRA UR 055, 662, avenue Louis Buffet, F-88500 Mirecourt.
2: INRA UMR 1273 METAFORT, Theix, F-63122 Saint-Genès-Champanelle.
3: IETL, Université de Lyon 2, 86, rue Pasteur F-69365 Lyon cedex 07
Correspondance : coquil@mirecourt.inra.fr; dedieu@clermont.inra.fr; pascal.daniel.beguin@gmail.com

Résumé
Les systèmes de polyculture élevage autonomes présentent de nombreux intérêts agro-écologiques.
Cette étude vise à comprendre et formaliser le fonctionnement des systèmes de polyculture élevage
autonomes, et leur construction progressive à partir de situations mobilisant des intrants externes. Nous
analysons l’évolution des pratiques agricoles durant la transition selon le point de vue de l’agriculteur :
nous la formalisons comme une transformation de l’activité de travail de l’agriculteur. Nous présentons
l’analyse de 4 systèmes diversifiés de polyculture élevage ayant évolué vers l’autonomie. Les
polyculteurs-éleveurs autonomes gèrent de nouvelles entités, qui varient selon les agriculteurs :
l’autonomie alimentaire du troupeau, l’autonomie en paille, la santé animale, l’équilibre alimentaire du
troupeau… Ils agissent en mobilisant de nouvelles connaissances, de nouveaux indicateurs acquis pas
à pas durant la transition. Le développement de ces nouvelles façons de penser et d’agir a été réalisé
en mobilisant différentes ressources, dont certaines sont communes aux 4 fermes étudiées. Malgré ces
ressources partagées, le fonctionnement de ces 4 fermes est très singulier : cette singularité résulte de
l’exigence de relocalisation de l’activité agricole dans ces systèmes. La relocalisation est basée sur la
redécouverte et la mobilisation des ressources internes aux systèmes, sans recours aux intrants
externes. La majorité des ressources internes sont situées aux interfaces entre cultures et élevage.
Mots-clés : autonomie, économie, polyculture-élevage, développement

Abstract: Learning autonomy in mixed crop-dairy systems


Many aspects of autonomous mixed crop-dairy systems are of agro-ecological interest. This study aims
at understanding and formalising the operation of autonomous mixed crop-livestock systems, and their
progressive construction from situations mobilising external inputs. We analysed the changes in farming
practices during the transition from the farmer’s viewpoint: we formalise it as a transformation of the
farmer’s work activity. We present the analysis of 4 diversified mixed crop-dairy systems that have
evolved towards autonomy. The autonomous mixed crop-dairy farmers manage new entities, which vary
according to the farmers: feed autonomy of the herd, animal health, feed balance of the herd… They act
by mobilising new knowledge and new indicators acquired step by step during the transition. These new
ways of thinking and acting were developed by mobilising various resources, some of them common
between studied farms. In spite of using the same resources, the operation of these 4 farms is quite
singular: this singularity relies in the requirement to relocate the agricultural activity in these systems.
Relocation is based on the rediscovery and mobilisation of resources internal to the systems, without
recourse to external inputs. Internal resources are mostly situated at the interfaces between crops and
livestock.
Keywords: autonomy, self-sufficiency, mixed crop-dairy systems, development
X. Coquil et al.

Introduction : Transition des systèmes de polyculture elevage laitier vers


l’autonomie
Les systèmes de polyculture élevage (SPCE) ont un rôle prépondérant à jouer dans la construction de
la sécurité alimentaire mondiale (Herrero et al., 2010). Ils s’appuient sur les complémentarités entre
ateliers limitant potentiellement les achats d’intrants et générant des économies de gamme (Vermersch,
2007). Les pratiques des polyculteur-éleveurs et la façon dont elles évoluent dans des situations de
réduction d’usage d’intrants sont peu connues. En situation de polyculture élevage laitier, l’évolution
vers l’autonomie engage les agriculteurs dans un nouveau rapport avec le territoire de leur exploitation.
Sur le plan technique, la recherche d’autonomie consiste à travailler sur l’économie en intrants (vers la
construction de ‘systèmes 0 intrant’ (chimiques voire même parfois organiques)). Elle s’accompagne
d’une désintensification et d’une re-localisation de la production agricole ainsi que d’une dé-
spécialisation de l’utilisation du territoire de l’exploitation (Coquil et al., 2011a ; Havet et al., 2012). Les
agriculteurs font évoluer leur exploitation vers une nouvelle organisation et un nouveau fonctionnement
en accentuant les interactions entre cultures et élevage au profit de l’économie en intrant. Durant la
mise en place de ces interfaces et interactions, les agriculteurs conçoivent un nouveau système de
production plus autonome. Cette conception requiert de nouveaux savoir-faire de leur part, qu’il serait
intéressant d’identifier et de formaliser afin d’outiller les transitions vers ces formes d’agriculture plus
écologiques.
Dans ce travail, nous nous intéressons aux savoir-faire des polyculteur-éleveurs autonomes et aux
modalités de leur acquisition durant la transition vers ces systèmes. Ainsi, nous nous intéressons aux
changements de l’activité de ces agriculteurs. L’activité est prise au sens de ‘travail réel’ (couplage de la
tâche et de l’opérateur (Leplat, 1997)). La question théorique abordée dans ce travail peut être formulée
ainsi : « comment les agriculteurs évoluant vers l’autonomie parviennent à penser la nouveauté ? ». Sur
le plan plus opérationnel, nous postulons que la formalisation (i) des savoir-faire spécifiques des
situations de polyculture élevage autonome et (ii) des modalités d’acquisition de ces savoir-faire
peuvent faciliter la recherche de l’économie en intrants et de l’autonomie chez des agriculteurs désireux
d’évoluer en ce sens. Ainsi, l’objectif de ce papier est de créer de la connaissance sur les systèmes de
polyculture élevage (i) selon le point de vue spécifique des agriculteurs : à partir de l’explicitation de son
travail quotidien, (ii) à partir d’une situation spécifique : la transition vers une gestion sans intrants, qui
se base sur les interfaces entre cultures et élevage et (iii) à partir de l’étude approfondie de quelques
cas d’étude. La méthode, basée sur des études de cas, est communément mobilisée en sciences
sociales (Thomas, 2011). Le raisonnement est alors inductif (plutôt que déductif) : nous tentons
d’étudier la singularité afin d’identifier des questions et des principes généraux (David, 2004).
L’approche est prospective : elle permet d’explorer les grands principes et propriétés cachées d’un ou
de plusieurs cas en situation par une analyse approfondie (Eisenhardt, 1989 ; Flyvbjerg, 2011).
Afin d’aborder la transition vers des systèmes autonomes, nous vous présentons, dans une première
partie, l’échantillon d’exploitations sur lequel cette étude est basée ainsi que les méthodes de recueil et
d’analyse des données qui en sont issues. Dans une seconde partie, nous aborderons ce que sont ces
systèmes de polyculture élevage autonomes du point de vue des agriculteurs qui y travaillent, ainsi que
la façon dont ils ont construit leurs nouveaux savoir-faire à partir d’une situation de polyculture élevage
plus consommatrice en intrants. Dans une troisième partie, nous discuterons les savoir-faire mis en
évidence et leurs modalités d’acquisition durant ces développements.

86 Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99


Apprendre l’autonomie dans les systèmes de polyculture-élevage laitier

Formaliser la transition de systèmes de polyculture élevage laitiers autonomes

Matériel : 4 exploitations de polyculture élevage transitant vers l’autonomie


L’étude est basée sur l’analyse de 4 fermes sur un échantillon de 11 exploitations suivies dans le cadre
d’un travail de thèse. 3 de ces fermes appartiennent au Réseau Agriculture Durable (RAD) et la 4ème est
le Système de PolyCulture Elevage de l’installation expérimentale INRA ASTER-Mirecourt (SPCE
ASTER) (Coquil et al., 2009). Ce travail sur un petit échantillon vise une analyse approfondie des
processus de transition des systèmes de polyculture élevage vers l’autonomie. Le RAD fédère des
agriculteurs situés sur l’arc atlantique de la France. Ils partagent le projet de construire des systèmes
agricoles basés sur l’économie en intrants et sur la création de leurs propres savoir-faire en situation
afin d’agir plus indépendamment des recommandations techniques diffusées dans les réseaux
agricoles à vocations commerciales. Dans ce réseau, l’économie en intrants est un moyen partagé pour
construire des systèmes autonomes. Les exploitations ont été choisies à partir d’une liste de
polyculteur-éleveurs du RAD volontaires pour participer à cette étude relativement chronophage (4
entretiens de 2h prévus sur un an et demi). Les 3 exploitations du RAD et le SPCE ASTER, plus
particulièrement retenus pour ce papier, sont variées sur les plans (i) des collectifs de travail (individuel,
couple, associés, avec ou sans salarié, collectif de recherche), (ii) des proportions de cultures de vente
et de cultures à destination du troupeau, et (iii) de leur contexte pédoclimatique.
Les agriculteurs de ces 3 exploitations et le responsable du SPCE ASTER ont en commun (i) d’avoir
pratiqué dans des exploitations de polyculture élevage laitier en mobilisant des intrants chimiques et (ii)
de s’être engagés dans une diminution de l’usage d’intrants chimiques externes, voire dans une
conversion vers l’agriculture biologique (RAD1, RAD3, SPCE ASTER) dans leurs exploitations de
polyculture élevage. L’étude est réalisée sur un pas de temps long allant de l’installation de l’agriculteur
(ou début de carrière du responsable du SPCE ASTER) jusqu’à 2010, année retenue comme référence
pour définir les caractéristiques des systèmes autonomes étudiés (dernière campagne agricole
totalement révolue au démarrage de l’étude) (Tableau 1).
Tableau 1 : Caractéristiques principales des exploitations de polyculture élevage étudiées en 2010.

Exploitations RAD1 RAD 2 RAD 3 SPCE ASTER

expérimentateurs
Collectif de travail individuelle 2 associés couple
INRA
SAU (ha) 47 107 32 158,5
Prairies (permanentes, temporaires
41 59 30 100,6
et artificielles) (ha)
Maïs (ha) 3 5 2 0

Betteraves fourragères (ha) 0 5 0 0


Céréales ou associations
céréales/protéagineux à 3 27 0 32,2
destination du troupeau (ha)

Cultures de vente (ha) 0 11 0 26,1


Troupeau
Effectifs vaches laitières 42 70 52 59
Holstein,
Montbéliarde et Normande et Montbéliarde et
race Montbéliarde et
Holstein Montbéliarde Holstein
Normande
Elevage des génisses Oui Oui Oui Oui
Elevage des mâles Non Oui Non Non
Région Pays de Loire Haute-Normandie Bretagne Lorraine

Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99 87


X. Coquil et al.

Méthode : une analyse de l’évolution de l’activité par le développement des


mondes professionnels
Nous analysons la transition vers des systèmes autonomes en mobilisant le cadre théorique des
mondes professionnels (Béguin, 2010). Les changements de pratiques agricoles sont étudiés comme
des développements de l’activité des agriculteurs : le développement est un déplacement de la capacité
d’agir de l’agriculteur.
Le monde professionnel est « un ensemble d’implicites conceptuels, axiologiques et praxiques qui
forment système avec l’objet de l’action » (Béguin 2010). Il nous permet d’accéder aux pratiques
agricoles et de les formaliser du point de vue de celui qui fait. Ainsi, par le monde professionnel, nous
tentons de caractériser l’activité de l’agriculteur selon (i) les objets de son travail, c’est à dire ce sur quoi
il agit et ce qu’il transforme dans son travail au quotidien, (ii) le déroulement praxique de son travail,
c’est à dire la façon dont l’action se passe et les instruments mobilisés pour qu’elle ait lieu (iii) les
concepts pragmatiques qu’il mobilise pour agir, c’est à dire ses représentations organisées, qui lui
servent à orienter et à guider son action, et plus particulièrement à faire un diagnostic de situation pour
faire en sorte que l’action qui va en découler soit adaptée (Pastré, 2009) et (iv) les normes auxquelles il
adhère ou au contraire desquelles il se distancie, ainsi que selon son système de valeurs.
Le développement de l’activité lors de la transition vers l’autonomie est étudié comme un changement
de monde professionnel. Le processus de changement de monde professionnel est étudié via deux
pistes (i) la recherche de cohérence pour l’agriculteur entre ses objets, ses façons de faire, ses
concepts pragmatiques, les normes professionnelles auxquelles il adhère et son système de valeurs, et
(ii) l’apparition de nouveaux instruments, c’est à dire de nouvelles façons de faire et de nouvelles
connaissances, qui sont intervenus au cours de la carrière de l’agriculteur et qui ont modifié le
déroulement de son activité (Béguin, 2010).
Ainsi, sur le plan méthodologique, le travail a consisté à recueillir des données et à les analyser afin de
formaliser (i) le monde professionnel des agriculteurs et du responsable du SPCE ASTER en situation
de polyculture élevage autonome et (ii) le développement de ce monde professionnel.
Les données ont été recueillies via 3 entretiens par exploitation (RAD) et via 3 entretiens avec le
responsable du SPCE ASTER ainsi qu’une participation de 3 des auteurs de ce papier à la conception
et à la conduite du SPCE ASTER (Coquil et al., 2011b). Un premier entretien de prise de connaissance
a été réalisé (RAD) : un temps de discussion a été aménagé autour de la définition du système de
polyculture élevage laitier autonome selon le point de vue de chaque agriculteur et autour des difficultés
et points clefs vécus lors de la mise en place de ce système. Le second et le troisième entretiens ont
été conduits en mobilisant la technique de l’entretien d’explicitation (Vermersch, 2010). Ce type
d’entretien vise à rester au plus près de la situation vécue, sans en parler dans des termes généraux,
afin de bien cerner les modalités et les déterminants de l’action au moment où elle s’est déroulée. Au
cours du second entretien, nous nous sommes attachés à mettre les agriculteurs (associés, couples…)
dans des situations d’explicitation du déroulement de la campagne agricole 2010 (dernière campagne
totalement écoulée). Cet entretien a été analysé afin de définir le monde professionnel de chaque
agriculteur. Nous inspirant des travaux de Pastré (2009) et de Caens-Martin (1992, 2009), nous avons
formalisé les objets, les concepts pragmatiques, les indicateurs, les normes et les systèmes de valeurs
de chaque agriculteur en partant du déroulement de l’action dans la ferme. Durant le troisième
entretien, nous avons invité les agriculteurs à revenir (i) sur les étapes et les événements (difficultés,
points forts) de la transition qui se dégageaient du premier entretien, mais aussi (ii) sur les outils et
indicateurs de conduite spécifiques du système autonome, issus du second entretien, afin de
reconstituer leur genèse. Ce troisième entretien a été analysé afin de définir le développement du
monde professionnel de chaque agriculteur : nous avons axé l’analyse (i) sur l’apparition de nouveaux
instruments, c’est à dire de nouvelles façons de faire et de nouvelles connaissances dans l’activité de

88 Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99


Apprendre l’autonomie dans les systèmes de polyculture-élevage laitier

l’agriculteur, mais aussi (ii) sur les mises en tension entre le déroulement de l’action sur la ferme et
l’évolution des normes et du système de valeurs de l’agriculteur.

4 exploitations étudiées, 4 systèmes de polyculture élevage autonomes


distincts
Pour chaque exploitation, nous caractérisons, dans un premier temps, les systèmes de polyculture
élevage autonomes à partir de ce qui fait sens pour l’agriculteur dans le déroulement de son travail (le
monde professionnel) en 2010. Nous abordons, dans un deuxième temps, la mise en place progressive
des savoir-faire des agriculteurs de ces 4 exploitations au cours de leur carrière pour transiter vers
l’autonomie.

RAD1 : gérer l’équilibre et l’autonomie alimentaire :


Pour RAD1, agriculteur individuel, le système de polyculture élevage autonome s’articule autour de la
gestion de « l’équilibre alimentaire » du troupeau et la gestion de « l’autonomie alimentaire » au sein de
l’exploitation. L’agriculteur fait un lien très fort entre la gestion de l’équilibre alimentaire et la santé de
ses animaux. Son action sur l’équilibre alimentaire est structurée selon 3 concepts pragmatiques : (i)
améliorer « la capacité tampon de l’animal » en faisant notamment évoluer la race de son troupeau, (ii)
la confection de « différents aliments » et particulièrement de « différents foins » en diversifiant les
flores et en décalant les stades de fauche, et (iii) la confection de « repas » 2 fois par jour, en
distribuant les aliments selon des ordres et des proportions définies. L’agriculteur souhaite être
autonome tout en gardant un système productif. Son action sur la « gestion de l’autonomie
alimentaire » est structurée selon 3 concepts pragmatiques : maintenir la « productivité » du système,
conduire « un pâturage » sans rupture estivale, confectionner « différents aliments » et particulièrement
« différents foins ». Ainsi, la confection de « différents aliments » voire de « différents foins » est
centrale dans la réalisation de son activité : il confectionne différent aliments sur son parcellaire afin de
pouvoir préparer des repas équilibrés pour ses vaches. Les foins sont réalisés selon la flore et à des
stades de fauche précis afin d’obtenir des « foins tampon » (dominante luzerne (Medicago sativa)), des
« foins de production » (« foins jeunes » ou des « foins mous » et à dominante prairie à flore variée) et
des « foins mécaniques » (foins au stade plus avancé et à dominante fléole (Phleum pratense) ou
dactyle (Dactylis glomerata)). Ces 3 types de foins sont stockés de façon à ce qu’ils soient tous
accessibles durant l’hiver afin de pouvoir ajuster les « repas » des vaches. Ce travail sur les foins
amène à penser le renouvellement des prairies, dans l’optique d’un maintien de la « productivité » du
système, tout en maintenant des flores permettant de confectionner ces différents types de foins. La
gestion de « l’équilibre alimentaire » amène RAD1 à se distancier des normes du RAD : il intègre 2 ha
de maïs (Zea mays) dans sa sole afin d’augmenter la productivité de son système mais aussi afin
d’équilibrer les repas des vaches à la mise à l’herbe au printemps et en automne.

Développement de l’activité de RAD1


La mise en place du système de polyculture élevage autonome chez RAD1 a été permis par deux
décalages de points de vue, ou deux « découvertes », successifs générés par (i) la rencontre d’un
personnage militant pour l’économie en intrants en basant l’alimentation des ruminants sur l’herbe, et (ii)
la résolution de problèmes de santé apparus sur le troupeau suite à la mise en place d’un système plus
pâturant.
Ainsi, RAD1 a rencontré ce personnage militant lors d’une journée d’échanges entre éleveurs à laquelle
il a été invité. Il découvre et retient de cette journée qu’un système laitier pouvait être rentable sans
forcément produire la totalité du quota, ce qui lui donnait la possibilité de diminuer la part de maïs et

Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99 89


X. Coquil et al.

d’augmenter la part d’herbe sur son exploitation. Il se lance dans un essai d’implantation de mélange
ray-grass anglais (Lolium perenne) et trèfle blanc (Trifolium repens) en substitution progressive de ses
surfaces de maïs ensilage et démarre ainsi progressivement la mise en place du pâturage de printemps
et d’automne pour ses vaches laitières. Celles-ci étaient jusqu’alors en zéro pâturage durant la
lactation. Concernant les techniques de pâturage, RAD1 démarre, selon les recommandations du
personnage militant, par la mise en place du pâturage tournant à savoir « 35 jours de repousse avant
de refaire pâturer les vaches ». L’observation par de fréquentes visites de ses prairies et les échanges
avec des agriculteurs du RAD lui confirment cette référence : en 2010, il réalise une conduite plus
systématique du pâturage tournant en surveillant essentiellement les délais de repousse.
Au démarrage du pâturage, RAD1 doit faire face à un amaigrissement et un affaiblissement de ses
vaches. Des troubles de santé apparaissent sur son troupeau : BVD, neospora caninum. Insatisfait des
propositions de réforme des animaux malades par ses vétérinaires, il fait appel à un vétérinaire
homéopathe qui lui propose de travailler selon des techniques d’isothérapie qui s’avèrent efficaces.
Cette mise en confiance se poursuit par un travail en collaboration : RAD1 découvre la relation entre la
santé animale et l’équilibre alimentaire. Cette relation amène des changements progressifs sur le plan
des races de vaches passant de la Holstein à la Montbéliarde mais aussi sur le plan de l’alimentation.
RAD1 introduit du foin de luzerne dans la ration des vaches par l’achat de foin extérieur à la ferme.
Convaincu de l’intérêt de ce foin pour faire ruminer et faire saliver les vaches, il intègre de la luzerne
dans son assolement afin d’être plus autonome. Il conserve 2 ha d’ensilage de maïs dans sa sole, allant
contre ses intentions initiales de le remplacer par des surfaces en herbe, afin d’assurer une alimentation
d’hiver pour ses vaches laitières. L’ensilage de maïs s’est révélé être une aide précieuse pour l’équilibre
des repas lors de la « mise à l’herbe printanière », mais aussi une culture intéressante car nécessitant
la mise en place d’une rotation des cultures et le renouvellement des prairies. Ce renouvellement est
aujourd’hui analysé comme le garant du maintien de la productivité du système. RAD1 introduit la
prairie multi-espèce, complexifiant le ray-grass/trèfle des premières années afin d’obtenir des flores plus
adaptées à la diversité de ses parcelles : en 2010, il utilise la diversité des flores de ses parcelles afin
d’élaborer des « foins de production » et des « foins mécaniques ».
RAD1 profite de l’opportunité de la reprise de surfaces d’un voisin pour donner plus d’ampleur à
l’extensification en cours et à la diversification des ressources alimentaires sur l’exploitation. Cette
reprise se révèle finalement être l’occasion d’une conversion de l’exploitation à l’agriculture biologique
ce qui accentue l’orientation de l’activité selon la gestion de l’autonomie et de l’équilibre alimentaire.

RAD2 : organiser le travail sur l’exploitation et économiser des intrants :


Pour RAD2, GAEC de 2 frères, le système de polyculture élevage autonome s’articule autour de
l’apport de « soins aux animaux » et de « l’économie des intrants ». Les associés travaillent sur 3 sites
d’exploitations distants de 10 et 20 km : « l’organisation du travail » prend une place importante dans le
déroulement de leur activité. Cette organisation est structurée selon 5 concepts pragmatiques : (i) gérer
« les transactions » des animaux entre sites en distinguant « les animaux au loin » et « les animaux qui
doivent être sous les yeux », (ii) organiser « les compos », c’est à dire des blocs de parcelles
permettant de prendre en considération les soucis logistiques et les rotations des cultures et des
intercultures tout en assurant une sole constante d’une année sur l’autre, (iii) organiser « les rotations
des cultures et des intercultures » dans un souci d’économie en intrants, (iv) « travailler dans la plaine »
qui recouvre l’organisation quotidienne des chantiers sur les cultures et la concurrence potentielle avec
les travaux d’élevage et notamment la (v) « réalisation de la traite » qui est à la charge de celui qui
réalise le chantier qui nécessite les savoir-faire les moins spécifiques. Les associés consacrent une
grande partie de leur temps aux « soins aux animaux ». Cette action se structure autour de 4 concepts
pragmatiques : « faire la traite » qui est une activité partagée, « distribuer la ration » aux animaux le
matin, « gérer le pâturage en rotation » durant tout le printemps et l’été et « gérer les stocks » afin d’en

90 Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99


Apprendre l’autonomie dans les systèmes de polyculture-élevage laitier

constituer suffisamment et de les consommer en tenant compte des reports de stocks possibles et
souhaités. Enfin, les associés sont économes en matière de consommation d’intrants dans la conduite
de leur activité agricole. Cette économie se structure autour de 4 concepts pragmatiques : « organiser
les rotations des cultures et des intercultures », « organiser le pâturage en rotation », « gérer les
stocks » et « avoir un système productif ». Ainsi, « les rotations des cultures et des intercultures », « la
gestion du pâturage tournant » et la « gestion des stocks » sont des concepts pragmatiques centraux
dans la réalisation de leur activité. Les associés organisent leur travail et leur exploitation via les
« rotations des cultures et des intercultures » pour limiter l’usage d’engrais et de pesticides en utilisant
au mieux leur fumier. Adhérant au modèle de pâturage promu par le RAD, ils organisent et conduisent
un pâturage en rotation afin « d’optimiser la valorisation de l’herbe » et d’assurer une période de
pâturage de 4,5 mois par an sans concentré. Ils gèrent les stocks de fourrages afin d’être en mesure
d’alimenter leurs vaches d’une année sur l’autre tout en ayant un report de stocks constitué quasi
exclusivement de foin pour des raisons de difficultés (i) de conservation des betteraves fourragères
(Beta vulgaris) et (ii) d’utilisation de l’ensilage de maïs durant la période estivale.

Développement de l’activité de RAD2


La mise en place du système de polyculture élevage autonome chez les associés de RAD2 date de leur
prédécesseur. A son l’installation, l’un des associés de RAD2 écarte RAD2 de cette orientation en
raison du décalage entre cette forme d’agriculture et les recommandations techniques majoritaires de
l’époque. Il implante 5 ha de maïs ensilage dans l’exploitation qui viennent partiellement remplacer la
contribution de l’herbe pâturée, du foin et des betteraves fourragères dans l’affouragement des vaches.
Cet écart, modéré aux regards des recommandations de l’époque, a été très vite mal vécu par ce même
associé : en décalage avec ce qu’il pensait, il constatait avec impuissance des problèmes de boiterie,
de mammites et d’acidose sur son troupeau. Ceci l’entraîne progressivement à prendre de la distance
vis à vis des structures dominantes de conseil technique incapables de l’accompagner dans ses choix.
La rencontre et les échanges avec le groupe local du RAD lui apportent beaucoup de réassurance dans
les orientations qu’il a retenues et lui font même découvrir des marges de progrès suivant cette
orientation.
Cet associé de RAD2 démarre donc la diversification des concentrés dans la ration hivernale de ses
vaches laitières (bouchon de luzerne, tourteaux de lin) et constate une amélioration de la santé de ses
animaux. Il démarre l’observation des bouses de ses animaux afin de déterminer et d’ajuster l’équilibre
de la ration, ce qui le conduit à intégrer la fibre (paille) directement dans la ration de ses vaches. L’achat
d’une mélangeuse marque la fin des soucis d’acidose par une meilleure valorisation de la « fibre » dans
la ration, mais elle amène également une meilleure valorisation des foins de luzerne et de prairies
autoproduits par les vaches laitières, engageant une diminution des achats de bouchons de luzerne.
RAD2 raisonne le pâturage tournant rotationnel selon les recommandations du RAD : ainsi, il scinde ses
7 parcelles en les séparant par un « fil lisse » et en obtient 14. Il gère les entrées et sorties de parcelles
selon les recommandations du RAD : hauteur entrée 12 cm, qu’il mesure avec un mètre, et délais de
retour de 35 jours, suivi sur un calendrier de pâturage. A partir de ce référentiel, constitué durant 2
campagnes, RAD2 retient une gestion avec le « fil lisse », sans mesure de hauteur d’herbe mais avec
des entrées estimées de visu et plutôt aux alentours de 20 cm pour éviter les effets laxatifs de l’herbe.
Le calendrier de pâturage n’est plus utilisé. Par contre l’associé de RAD2 surveille la baisse du niveau
de lait dans le tank pour le changement de parcelle. Concernant les cultures, les associés de RAD2 ont
facilité la mise en place de rotations de 6 ans, permettant des délais de retour de culture telles que le lin
(Linum usitatissimum) et la betterave tous les 6 ans, par des échanges de terres avec les voisins, puis
par la reprise de surfaces supplémentaires quelques années plus tard (surfaces distantes qui
entraineront un accroissement de la gestion de « l’organisation du travail »). Ces rotations, ainsi que la
mise en place du désherbage du maïs et des betteraves par binage et de l’analyse chimique des sols
ont permis de réduire respectivement l’usage des pesticides et des engrais chimiques : ainsi, les
associés ont signé un cahier des charges faibles intrants leur permettant de bénéficier d’une plus-value

Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99 91


X. Coquil et al.

économique. Cette signature entrainera également un travail plus concentré sur la réduction de l’usage
d’intrants.

RAD 3 : gérer l’autonomie alimentaire du troupeau et de la famille et travailler


les chiffres
Pour RAD 3, couple d’agriculteurs, le système de polyculture élevage autonome s’articule autour de la
« gestion de l’autonomie alimentaire du troupeau et de la famille », et du « travail sur les chiffres ». Le
couple vit sur une exploitation de petite taille avec ses trois enfants. Ainsi, il base son travail sur les
chiffres autour de 2 concepts pragmatiques : (i) « le maintien d’une gestion au forfait » en limitant le
chiffre d’affaire annuel afin de payer un montant de charges identique chaque année (l’autre possibilité
étant la gestion au réel : cette option conduit de nombreux agriculteurs à investir afin de générer des
déductions fiscales, et générant, par la même occasion, un gaspillage matériel en remplaçant des outils
pour des raisons financières), (ii) « la trésorerie » qui vise à suivre en permanence les entrées et sorties
d’argent de la ferme afin de rester en mesure de couvrir les dépenses de la ferme et de la famille. Le
couple gère l’autonomie alimentaire du troupeau et de la famille à partir de 5 concepts pragmatiques :
(i) la « gestion des effectifs » du troupeau en cas de manque de fourrage en distinguant les animaux
par lignée pour décider des réformes (ii) la « gestion des stocks » qui consiste à calculer les stocks en
hangar, dans le silo et l’herbe pâturable afin de réaliser des prévisionnels plusieurs fois par an, (iii) la
« gestion de l’équilibre alimentaire » qui consiste essentiellement à complémenter en protéines les
rations à base de maïs durant l’hiver, (iv) « l’étalement du pâturage » vise à permettre d’assurer la
continuité du pâturage pendant le creux estival de pousse de l’herbe et (v) « passer du temps au
jardin » afin d’assurer l’autonomie de la famille en légumes. Le couple travaille sur la ferme à partir d’un
projet militant de limitation de la consommation de biens ce qui oriente les activités de « travail sur les
chiffres » et de « gestion de l’autonomie alimentaire du troupeau et de la famille ».

Développement de l’activité de RAD3


La mise en place du système de polyculture élevage autonome chez RAD3 a été permise par la
découverte du concept de décroissance par les réseaux sociaux du couple et la rencontre avec un
producteur laitier ayant choisi de conduire un système herbager extrêmement économe et rentable. Ces
découvertes ont progressivement fait germer la volonté de changer de vie chez le couple de RAD3 qui
a décidé de déménager pour s’installer dans une région dans laquelle il serait possible de conduire un
système herbager économe, en bénéficiant d’un hiver clément pour que la période d’hivernage soit
courte.
Le couple RAD3 fait le choix du système herbager sans connaître les techniques de pâturage. Ils
démarrent alors le pâturage tournant avec la volonté de suivre les recommandations de hauteurs
d’entrée et de sortie de parcelles du RAD, mais également avec le besoin de connaître le stock d’herbe
présent sur les parcelles. Ils utilisent l’herbomètre pendant quelques années et décident finalement de
l’abandonner. Ils s’en remettent alors à leur capacité acquise pour estimer de visu l’herbe disponible
pour leurs vaches. Devant faire face à des problèmes de sécheresse estivale récurrents, le couple tente
plusieurs solutions : ils excluent d’emblée l’enrubannage en raison des quantités de plastique
nécessaires, contraires à leurs engagements environnementaux. Ils tentent l’ensilage d’herbe, qu’ils
abandonnent en raison des difficultés de distribution. Ils s’arrêtent finalement sur la culture du sorgho
fourrager (Sorghum bicolor). Le sorgho offre un fourrage pâturable durant la période sèche d’été et
permet également l’élaboration de stocks, sous forme d’ensilage, pour l’hiver en cas de surproduction.
Le couple calcule fréquemment les avances de fourrages stockés ou sur pied afin de gérer l’effectif
annuel en cas de manques prévisibles. Le couple de RAD3 travaille sur les chiffres économiques de la
ferme. Ils suivent « la trésorerie » afin de connaître la capacité de la ferme à couvrir ses dépenses. Cet

92 Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99


Apprendre l’autonomie dans les systèmes de polyculture-élevage laitier

outil devient un instrument pour limiter les dépenses afin d’être plus en adéquation avec l’idée de
décroissance mais aussi afin d’améliorer la capacité d’autofinancement de la ferme. Afin de rester en
adéquation avec leurs convictions personnelles, le couple RAD3 souhaite que les revenus de la ferme
soient déclarés selon un forfait ce qui nécessite un chiffre d’affaire modéré. Ainsi le chiffre d’affaire est
suivi, jusqu’à devenir un outil de gestion de la production dans les situations de risque de dépassement.

SPCE ASTER-Mirecourt : être autonomes en aliments et en paille à partir de


rotations culturales figées et en AB
Pour le responsable de l’installation expérimentale de l’unité ASTER-Mirecourt, le système de
polyculture élevage (SPCE-ASTER) s’articule autour de « l’autonomie en fourrages du SPCE » et
l’autonomie en concentrés et en « paille des SPCE et SH » (Système Herbager qui est le second
système testé sur l’installation expérimentale de l’unité ASTER-Mirecourt et qui n’est pas abordé dans
ce travail), et de la « conduite des rotations culturales figées et selon le cahier des charges AB ». Ainsi,
le travail du chef d’exploitation vise à articuler ces 3 objets. L’action s’organise autour de 2 concepts
pragmatiques centraux et communs aux 3 objets : (i) la « diversification des aliments », par des
ajustements du pâturage afin d’élaborer des stocks variés, mais aussi par des ajustements pluriannuels
des types de stocks et des ajustements intra-annuels des rations selon les stocks en présence afin de
privilégier certaines catégories animales, (ii) la « limitation de la consommation en paille » par des
restrictions voire des substitutions paille/foin. Le reste de l’action sur « l’autonomie » est structurée
autour de (i) la « modulation des effectifs animaux » en cas de manque de fourrages ou de paille, (ii)
l’élaboration de rations « les moins déséquilibrées possible », c’est à dire en faisant appel à des
associations de fourrages et de concentrés disponibles afin d’ajuster les rations des vaches en
production et des jeunes veaux en priorité et (iii) le « maintien d’un pâturage toute la saison », facilité
par des vêlages groupés du 15 août au 15 novembre permettant un tarissement des animaux à partir
de mi-juin et une extension des surfaces pâturées en dehors du parcellaire accessible aux vaches
laitières. L’action sur la « conduite des rotations culturales figées et selon le cahier des charges AB »
s’articule autour de (i) « la gestion de la répartition des fumiers » réalisée selon des considérations
réglementaires, les capacités de stockage limitant les reports d’épandage ainsi que la volonté de
concentrer les épandages sur les parcelles fortement exportatrices en éléments minéraux et (ii) « la
gestion de la succession de cultures » visant à assurer la productivité des différentes successions de
cultures via la gestion, notamment, des mauvaises herbes.

Développement de l’activité du responsable du SPCE ASTER-Mirecourt


La mise en place du SPCE autonome et biologique sur le dispositif de Mirecourt a été impulsée lors du
changement d’orientation scientifique de l’unité en 2003/2004. La mise en place des 2 systèmes (SH et
SPCE) (Coquil et al., 2009) a provoqué un changement brutal de l’activité du responsable de
l’installation expérimentale et donc du SPCE-ASTER. Ce changement d’activité nécessitait la mise en
place de nouveaux repères.
Le responsable d’exploitation a ainsi dû apprendre à conduire les systèmes autonomes avec de
nouvelles « contraintes » justifiées par des choix agronomiques et environnementaux : « des rotations
fixes », « la récolte des fourrages sous forme de foins séchés au sol et le recours à l’ensilage et à
l’enrubannage uniquement en cas de difficultés météorologiques »… Ainsi, après avoir réalisé des
récoltes d’ensilage d’herbe aux printemps 2005 et 2006, le responsable du SPCE-ASTER a fait évoluer
les pratiques de pâturage des génisses à compter de 2007 afin d’effectuer un « déprimage » des
prairies temporaires qui permet de décaler leur récolte durant des jours plus propices au séchage du
foin (Figure 1).

Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99 93


X. Coquil et al.

Figure 1 : Pâturage des génisses du SPCE ASTER-Mirecourt en 2006 et en 2008 : apparition de surfaces de
prairies temporaires.

Cette pratique a conduit à une plus forte proportion de fourrages récoltés en sec sur les prairies
temporaires (49% en 2006, puis 88% en 2008 et 100% en 2010) mais aussi à une mobilisation plus
systématique du pâturage des génisses durant la saison afin d’orienter les types de stocks réalisés
(foins de prairie temporaire ou foins de prairies permanentes) et ainsi proposer une diversité de
fourrages pour composer les rations durant l’hiver en tentant, au cours des années, de stabiliser cette
variété pour les veaux et les vaches laitières (Tableau 2). La conduite du pâturage des génisses prêtes
à vêler sur les prairies temporaires avant retournement, durant l’été 2007, a été l’occasion d’observer un
affaiblissement des rumex : cette pratique est mobilisée depuis au sein des rotations culturales.

Tableau 2 : Alimentation hivernale des vaches en lactation : une stabilisation progressive de la proportion foin de
luzerne/dactyle + foin de prairies temporaires dans la ration.

Aliments consommés Vaches laitières


% fourrages 2006-07 2007-08 2008-09 2009-10 2010-11
Ens-enrubannage 1,0 9,4 24,1 3,8 15,7
Foin Luzerne/dactyle 45,3 45,8 38,9 52,1 55,9
Foin Prairies Temporaires 0,3 20,5 22,7 18,8 18,5
Foin Prairies Permanentes 53,4 24,3 14,2 25,3 9,4
Paille 0,0 0,0 0,0 0,0 0,6
Fourrages totaux (kg/animal/an) 2601 2880 3099 3212 3207
Céréales 72 453 358 590 503
Céréales/protéagineux 508 199 73 97 245
Concentrés totaux 580 652 431 687 748

La conduite des rotations culturales figées, avec tête de rotation fourragère de 3 ans, a nécessité
plusieurs ajustements afin d’assurer des productivités en fourrages et en paille suffisamment élevées
pour maintenir des effectifs animaux aux alentours de 60 vaches laitières et leur renouvellement tout en
restant autonome. Durant l’année culturale 2006/2007, les conditions météorologiques très humides
n’ont pas été favorables à la culture de céréales et les mauvaises herbes étaient très présentes dans
les parcelles. La faible productivité en paille (80 t) n’a pas permis de couvrir les besoins des troupeaux
SH et SPCE (environ 140t), et le responsable de SPCE-ASTER a dû recourir à une substitution
(foin/paille) ainsi qu’à une diminution des effectifs de vaches laitières et de génisses durant l’hiver
2007/2008 (Figure 2).

94 Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99


Apprendre l’autonomie dans les systèmes de polyculture-élevage laitier

Figure2 : Effectifs bovins journaliers détaillés par catégories au sein du SPCE-ASTER de janvier 2006 à juillet
2012.
Mâles : bovins mâles élevés pour la reproduction ; Genxx : bovins femelles de différentes classes d’âge, avant vêlage ;
Vaches : bovins femelles ayant déjà vêlé

Cette année culturale difficile a également été le départ (i) d’une réflexion approfondie sur le travail du
sol durant l’interculture, mais aussi sur les techniques de désherbage mécanique (herse étrille et
bineuse) afin de contenir le salissement par les adventices (essentiellement les « annuelles ») (ii) d’une
révision progressive de la notion de « parcelle propre », autorisant la présence de certaines adventices
(vulpin,…) (iii) de la substitution des céréales peu productives en paille (orge) par des céréales plus
productives (seigle, triticale et escourgeon).

Discussion-conclusion : processus de développement et représentations des


systèmes de polyculture élevage autonomes
La caractérisation des systèmes de polyculture élevage laitiers autonomes à partir de ce qui fait sens
pour l’agriculteur dans le déroulement de son travail (le monde professionnel) nous fait accéder à des
représentations très singulières des systèmes de polyculture élevage laitiers autonomes. Sève (1987),
s’interrogeant sur les manières de traiter la singularité des individus en recherche, propose de se
pencher sur les processus de construction de ces individus. Ainsi, dans ce travail, l’étude de la
construction progressive de savoir-faire des polyculteur-éleveurs vise la mise en évidence de
transversalités dans les modalités de construction des savoir-faire des polyculteur-éleveurs autonomes.
Cette analyse approfondie, selon le point de vue de l’agriculteur dans son travail quotidien, enrichit et
questionne les représentations scientifiques des systèmes de polyculture élevage. Nous présentons ici
les premières réflexions à partir de cette étude : elles feront l’objet d’approfondissements en élargissant
l’analyse aux 11 cas de l’échantillon de thèse.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99 95


X. Coquil et al.

Vers un renouvellement des représentations des systèmes de polyculture


élevage?
L’analyse des systèmes de polyculture élevage laitier autonomes révèle des objets, correspondant à de
nouvelles catégorisations des entités biotechniques mais aussi à de nouveaux systèmes de pratiques
agricoles. Cette analyse révèle également des déroulements spécifiques de l’activité qu’il sera
intéressant de questionner aux regards des fonctionnements stéréotypés auxquels nous nous référons
usuellement. Par exemple, RAD1 crée différents types de foins sur la base de concepts pragmatiques
originaux (foins « mécaniques », foins de production, foins tampons…) en comparaison aux critères
usuellement mobilisés pour caractériser des foins (valeur alimentaire essentiellement). RAD3 et SPCE-
ASTER réforment des animaux en lactation en cas de manque de fourrages voire de paille, accordant
plus d’importance à l’autonomie qu’au respect d’une production objectif. Cette orientation est contraire
au raisonnement majoritaire en production animale qui consiste à définir des objectifs de production
(pour chaque vache ou pour le troupeau) et à se procurer les ressources (produites sur la ferme ou
importées si nécessaire) afin d’atteindre ces objectifs.
L’étude des systèmes à partir de l’explicitation des situations de travail de l’agriculteur révèle ce qu’est
un système agricole dans son activité quotidienne. Ainsi, pour travailler, l’agriculteur a une
représentation opérante et singulière de son système : cette représentation est simplifiée et orientée en
comparaison des représentations scientifiques du système biotechnique (Jouven et Baumont, 2008), et
même en comparaison aux représentations scientifiques plus exhaustives des systèmes agricoles
(Dedieu et al., 2008 ; Osty et Landais, 1993). Chaque agriculteur aborde son travail différemment : les
objets structurant son activité au quotidien peuvent être très différents comme par exemple
« l’organisation du travail » pour RAD2, « la gestion de l’équilibre alimentaire » pour RAD1, le « travail
sur les chiffres » pour RAD3 et « la gestion d’une rotation fixe » pour SPCE-ASTER. Ces
représentations opérantes, ou systèmes agricoles des agriculteurs, les conduisent à réaliser des choix
techniques différents. Ainsi, ce travail sur « ce qui fait système pour ceux qui agissent » ouvre
potentiellement des perspectives en matière de modélisation des systèmes et des raisonnements
techniques, mais aussi en termes d’innovation.

Développement de l’autonomie dans les systèmes de polyculture élevage


laitier : une relocalisation de l’activite basée sur une « redécouverte » des ressources
internes de la ferme
L’étude des modalités de développement de l’activité des agriculteurs des 4 fermes met en évidence (i)
que les agriculteurs sont amenés à penser la nouveauté ce qui leur donne progressivement accès à un
nouveau monde professionnel, (ii) l’apparition d’instruments partagés durant la transition vers des
systèmes de polyculture élevage laitiers autonomes et (iii) la singularité des systèmes et des savoir-
faire développés par les agriculteurs autonomes, mais mobilisant parfois des instruments communs, par
des processus de relocalisation de l’activité.
La transition, étudiée comme un développement (Beguin, 2010), ici se manifeste par l’apparition de la
nouveauté pour les exploitants des 4 fermes étudiées. La nouveauté leur ouvre l’accès à un nouveau
monde professionnel. Cette nouveauté est orientée par les réseaux (RAD1) mais aussi par une mise en
cohérence entre les façons de travailler et le système de valeurs et de normes (RAD2 et RAD3), ou par
la contrainte d’un nouveau projet expérimental (SPCE-ASTER).
Les instruments transversaux aux 4 exploitations étudiées concernent la mise en place ou l’ajustement
du pâturage tournant, la diversification des régimes alimentaires des vaches, ainsi que l’implantation de
prairies à flore variée.

96 Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99


Apprendre l’autonomie dans les systèmes de polyculture-élevage laitier

La mise en place du pâturage tournant a nécessité l’usage d’instruments dans les 3 exploitations
étudiées. La tenue d’un calendrier de pâturage a été réalisée par RAD1, RAD2 et RAD3, mais seul
RAD1 a poursuivi ces notations durant le pâturage de printemps par la suite, jugeant le délai de
repousse comme un indicateur pertinent pour la gestion du pâturage. RAD2, RAD 3 et SPCE-ASTER
ont réalisé des mesures de hauteur d’herbe avant l’entrée des vaches, ainsi qu’à la sortie des vaches
pour RAD3 : RAD2 a arrêté ces mesures en se distanciant du référentiel et a décidé de faire entrer ses
vaches dans une herbe de 20 cm de hauteur. RAD3 utilisait ses mesures afin de se faire un point de
vue (i) sur les hauteurs de sortie, tenant compte de la référence locale, (ii) sur le stock d’herbe sur pied
qu’il avait à disposition. L’acquisition d’une expérience lui permet de réaliser cette estimation de visu en
2010. SPCE-ASTER estime « l’herbe consommable » de visu, même si les hauteurs sont mesurées
pour des raisons expérimentales. Cette « herbe consommable » a beaucoup évolué depuis le passage
à l’autonomie et à l’AB : SPCE-ASTER a recours à des stocks sur pied (jusqu’à 2 mois d’avance au
pâturage en été) et les vaches se sont habituées à consommer des épis, nécessitant de faire évoluer
l’évaluation de « l’herbe consommable ».
Les 3 exploitations ont diversifié les compositions des rations distribuées à leurs vaches laitières. Cette
diversification part d’une volonté d’améliorer la santé des vaches pour RAD1 et RAD2 via un
« équilibrage de la ration ». Ils s’écartent alors du référentiel des équilibres UF/PDI, et donnent une
place très importante aux fibres dans la ration. Ils débutent par la complémentation : ils mobilisent alors
des aliments externes à l’exploitation. Ils mènent ensuite une réflexion pour les mettre en culture
(luzerne puis concentrés chez RAD1), ou pour valoriser les ressources existantes (foins de luzerne et
de prairies mieux valorisés avec une mélangeuse chez RAD2). Chez RAD3, la diversification vient
essentiellement de la volonté d’assurer l’alimentation des animaux toute l’année. L’ensilage de maïs est
maintenu pour assurer l’alimentation hivernale, mais pose le problème de la complémentation azotée.
L’installation du sorgho pâturé pour faire face au creux de pousse de l’herbe en été est un vif succès en
2010. Sa productivité est intéressante ce qui incite RAD3 à envisager une augmentation des surfaces
de sorgho pâturé remplaçant le maïs ensilage et utilisé à 2 fins : pâturage estival et alimentation
hivernale sous forme d’ensilage. Chez SPCE-ASTER, la diversification des rations est réalisée afin (i)
de valoriser les fourrages présents sur le territoire et (ii) de passer les aléas climatiques (prairies
permanentes résistantes au gel, luzerne/dactyle résistantes aux sécheresses estivales…).
Dans les 3 exploitations du RAD, l’implantation des prairies a démarré par le ray-grass/trèfle. Dans le
SPCE-ASTER, l’implantation des prairies artificielles a débuté par l’association luzerne/dactyle. Les
exploitants se sont écartés peu à peu de cette composition en la diversifiant. Cette diversification vient
de la recherche commune d’une meilleure productivité des mélanges dans les conditions de chaque
exploitation, voire de chaque parcelle (RAD1, SPCE-ASTER), mais aussi de la volonté d’étaler la
production des prairies sur toutes ses années de production (RAD2, SPCE-ASTER), ou de la
campagne agricole (RAD3). Cette diversification est aujourd’hui utilisée chez RAD1 et SPCE-ASTER
afin de récolter des foins différents sur la base de flores variées d’une parcelle à l’autre.
Ainsi, il existe des instruments partagés entre les agriculteurs des 4 fermes étudiées : leur mobilisation
dans chaque exploitation aboutit à des variantes sur les indicateurs retenus et sur les déterminants et le
déroulement des pratiques. Ainsi, partant des mêmes ressources, l’instrumentalisation est localisée,
selon les interactions existant entre l’agriculteur et le système biotechnique dans lequel il agit. Cette
relocalisation est très présente dans les systèmes autonomes dans la mesure où les agriculteurs
identifient les ressources, ou les moyens de les produire, en interne, c’est à dire au sein de leur
système de production, et en considérant les moyens de créer de la diversité (de ressources). Les
ressources mobilisées pour aller vers l’autonomie (pâturage tournant, diversification de la ration,
diversification des cultures fourragères, trésorerie…) engagent dans une mise en place d’instruments
considérant les interfaces entre cultures et élevages : la mobilisation d’un nouvel aliment dans la ration
pose par exemple la question de la façon de produire cet aliment sur l’exploitation (RAD1, RAD2). La
mise en place de prairies à flore variée (RAD1, SPCE-ASTER) amène à questionner la valorisation

Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99 97


X. Coquil et al.

animale de cette diversité fourragère. La transition est une conception pas à pas (Coquil et al., 2011)
qui engage les agriculteurs et les expérimentateurs, faisant face à la nouveauté, dans la recherche de
solutions pour cheminer en levant les difficultés qui se présentent à eux (RAD1, RAD2, RAD3 et SPCE-
ASTER). Ainsi, ce processus de changement amène les agriculteurs à redécouvrir leurs exploitations
(sécheresses estivales pour RAD3, parcellaire morcelé pour RAD2…) et à spécifier, dans leur travail,
les objets, les instruments et les concepts pragmatiques pertinents ainsi que les normes
professionnelles auxquelles ils adhèrent.

Remerciements :
Les auteurs remercient les agriculteurs et animateurs du RAD, ainsi que l’équipe de l’installation
expérimentale ASTER-Mirecourt pour leur participation active à ce travail. Ce travail a été
partiellement financé par les projets ANR Systerra O2LA (ANR- 09-STRA-09) et CASDAR Praiface.

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Innovations Agronomiques 22 (2012), 85-99 99


Innovations Agronomiques 22 (2012), 101-115

Un cadre conceptuel pour l’intégration agroécologique de systèmes combinant


culture et élevage

Moraine M.1, Therond O.1, Leterme P.2, Duru M.1


1: UMR 1248 AGIR, INRA, 24 Chemin de Borde Rouge – Auzeville- CS 52627 - 31326 Castanet
Tolosan cedex
2 : UMR INRA/Agrocampus 1069 SAS, 65, rue de St-Brieuc - CS 84215 - 35042 Rennes Cedex
Correspondance : marc.moraine@toulouse.inra.fr

Résumé
Réintégrer les cultures et l’élevage dans des systèmes mixtes est un enjeu fort de l’écologisation de
l’agriculture. Pour appuyer la conception de tels systèmes à l’échelle exploitation et territoire, nous
proposons un modèle conceptuel d’intégration selon deux approches : les flux de matières en vue
d’améliorer l’efficience des ressources, les services écosystémiques en vue de substituer les intrants
chimiques. Ce modèle, basé sur les interactions entre les sphères prairies - cultures – animaux,
s’adapte aux systèmes actuels et à la conception de systèmes innovants, et permet d’imaginer les
coordinations entre acteurs nécessaires à la mise en œuvre de l’intégration agroécologique. Ces
coordinations génèrent des services d’ordre socio-économiques qui peuvent être recherchés et
optimisés. L’articulation de ces cadres dans une méthode de conception participative et les outils
associés nous semblent prometteurs pour appuyer l’intégration culture-élevage.
Mots clés : intégration culture-élevage, services écosystémiques, système socio-écologique, design,
multi-échelle, écologisation forte.

Abstract: Conceptual framework for reflexive design of crops-livestock integration in a strong


ecologization perspective.

Crops-livestock integration is a major challenge for strong ecologization of agriculture. To design mixed
systems at farm and territory levels, we develop a conceptual framework of integration based on two
approaches: products flows aiming at enhancing resource-use efficiency, and ecosystem services
aiming at reducing the use of chemical inputs. This framework is based on interactions between the
spheres of grasslands, crops and animals, and fits to the description of current systems and to the
design of innovative systems. It allows imagining the coordination between stakeholders which make
agroecological integration possible. This coordination may provide socio-economic services which could
be useful and optimized. The articulation of this multiple levels in an integrative framework constitutes a
basis for a methodology of participative design of crops-livestock integrated systems
Keywords: crop-livestock integration, ecosystem services, socio-ecological system, design,
multiscale, strong ecologization.

Introduction
Les systèmes mixtes développés en Europe au Moyen âge sont basés sur les complémentarités de
l’ager (cultures), du saltus (pâtures) et de la sylva (forêt) (Poux et al.,2009) par exemple par l’utilisation
des effluents d’élevage pour fertiliser les sols cultivés ou la culture de légumineuses pour nourrir les
animaux (Wilkins, 2008). Mazoyer et Roudart (2006) situent à la fin du XIXème siècle la spécialisation
régionale dans les zones proches des axes ferroviaires (céréales dans les plaines d’Europe du nord,
élevage porcin et laitier au Danemark et Pays Bas). La mécanisation engendrant la disparition du bétail
M. Moraine et al.

de trait, les rotations culturales se simplifiant grâce aux traitements phytosanitaires, de nombreuses
exploitations se spécialisent en productions végétales connectées à des filières organisées à grande
échelle. Dans le même temps, l'élevage se concentre dans les régions présentant des freins à la
mécanisation du travail du sol ou à trop faible potentiel agronomique, où les structures foncières sont
toujours de petite taille et dans les zones de montagnes à production fromagère à haute valeur ajoutée.
Cette dynamique de spécialisation est indissociable de l’intensification des pratiques car rendue
possible par l’usage massif d’intrants, d’énergie fossile et parfois aussi d’eau pour l’irrigation. Ainsi, un
rapport de la FAO (2001) conclut que ‘‘cheap resources lead to specialization, [whereas] restricted use
of resources leads to mixing of crop and livestock enterprises”. Les profits à court terme générés par les
économies d’agglomération (Schmitt et Larue, 2009) conduisent à une division verticale du travail, avec
la séparation des activités de conception et d’innovation en « amont », des activités de production
agricole et des activités de transformation et mise en commerce en « aval ».
Pourtant, de nombreuses études (Wilkins, 2008 ; Hendrikson, 2008; Russelle et al., 2007 ; Shiere et al.,
2002 ; Lemaire, 2007 ; Bell et Moore, 2012) recensent les intérêts des systèmes combinant élevages et
cultures et insistent sur le fait que l’intégration culture-élevage ne doit pas être seulement pensée à
l’échelle du système ou de l’atelier de production mais aussi à celle du territoire. La plupart de ces
études analysent comment la combinaison cultures-élevage permet d'améliorer le bouclage des cycles
de nutriments et de réduire ainsi les impacts environnementaux mais peu d'entre elles s'intéressent aux
conditions de mise en œuvre (voir Bell et Moore, 2012 au niveau de l’exploitation agricole) et donc à
leur acceptabilité sociale. Par ailleurs, peu d'études cherchent à développer des systèmes agricoles
mixtes dans lesquels la diversité de processus écologiques permet de réduire fortement l’utilisation des
intrants pour un niveau de production au moins similaire car, pour cela, une transformation en
profondeur des systèmes actuels et de la manière de les concevoir est nécessaire et implique donc des
innovations de rupture, des « reconceptions » (Horlings et Mardsen, 2011 ; Hill, 1998 ; Meynard et al,
2012). Cette « écologisation forte » de l’agriculture ne consiste pas seulement à limiter les impacts
négatifs des pratiques agricoles sur les écosystèmes, mais s’attache à considérer ces derniers comme
une ressource dispensatrice de services écosystémiques (Horlings et Mardsen, 2011) qu'il convient de
valoriser et de préserver. Un tel “glissement conceptuel” oblige à considérer simultanément les
individus, l’action collective et les biens communs, dans le cadre d’apprentissages permettant aux
acteurs de s’adapter collectivement aux changements (Kammili et al., 2011 ; Horlings et Mardsen,
2011).
L’objectif de ce papier est de présenter un cadre conceptuel pour analyser les systèmes culture-élevage
existants et concevoir des systèmes basés sur l’interaction culture-élevage développant et exploitant au
mieux les services écosystémiques et réduisant les externalités négatives (disservices comme
l’émission de gaz à effet de serre). Ce cadre, qui se focalise sur les modes d’occupation et d’utilisation
des sols, a pour ambition de permettre d’appréhender les processus biophysiques et les actes
techniques propres aux systèmes culture-élevage ainsi que les processus socio-économiques qui les
déterminent. Nous présenterons d’abord notre cadre d’analyse des caractéristiques biophysiques des
systèmes culture-élevage, puis une approche "métabolique" de ces systèmes par laquelle nous
identifierons les flux de matières sur lesquels portent les enjeux d'écologisation forte de ces systèmes.
Enfin, nous spécifierons la nature des services écosystémiques propres à l’intégration culture-élevage.
Dans un deuxième temps, nous utiliserons et montrerons l'intérêt de ce cadre pour décrire la structure
et le métabolisme des systèmes agricoles actuels et les réorganisations envisagées. Dans la troisième
section, nous montrerons que l’intégration agroécologique des systèmes culture-élevage au sein d’un
territoire est déterminée par des processus sociaux et peut fournir des services socio-économiques.
Nous discuterons alors des synergies et des compromis à développer entre ces deux types de services
et montrerons en quoi notre modèle conceptuel constitue un « objet intermédiaire » indispensable au
processus de conception participative (Vinck, 1999).

102 Innovations Agronomiques 22 (2012), 101-115  


Un cadre conceptuel pour l’intéégration agroé
écologique

1. UUn modè èle concceptuel p pour reprrésenter les foncctionnalité


és des
iinteractions culture
e-élevage
Nous prooposons de représenter la structuree des systèm mes culture-éélevage par la distinctionn de trois
ensembles d’entités, appelés « sphères
s » : lees Animaux – les Prairiees – les Culttures. (Figure 1). Les
sphères Cultures et Prairies sontt des espacees géographiiques associés à différennts modes d’utilisation
et de fonnctions de l’eespace. La spphère Animaaux a un statut différent car elle peut ddéterminer lees modes
d’utilisatiion des deuxx sphères précédentes. LLes espèces, les races, les différentss ateliers d’élevage et
leur condduite d’alloteement et d’alimentation ddéterminent les performaances des annimaux maiss aussi la
nature ddes interacttions envisaageables avvec les sphhères Prairiees et Cultuures. Les zones z de
recouvreement entre sphères
s reprrésentent less espaces suur lesquels elles interagisssent directement soit
simultanément (e.g. les prairies sur s au fil du ttemps (les prairies en
s lesquelless les animaux pâturent) soit
rotation aavec les cultures).

Figu re 1 : Schém matisation, duu point de vvue de l’utilisation de


l’espaace productif,, de la structuure d’un systèème agricole, au niveau
de l’’exploitation ou o du territoire, composéée de trois ensembles
e
d’enttités ou sphèrres « Animauxx », « Prairiess » et « Cultures ». Les
zonees de recouvrrement entre sphères repprésentent less relations
spati ales et ou tem mporelles entre ces trois typpes d’entités. En faisant
varieer les tailles dee chaque sphèère et des zonnes de recouvvrement, il
est ppossible de représenter la gamme dees systèmes agricoles
existaants, en vue de d décrire et analyser
a une exploitation agricole
a ou
e la place de l’élevage danss un territoire..
l’utilissation du sol et

La sphèrre Prairies coomprend d’une part les pprairies perm manentes faucchées ou pââturées (recouvrement
avec la ssphère Animaux) et d’auttre part les pprairies en rotation fauchéées (recouvreement avec la sphère
Cultures) ou pâturées/fauchées (recouvrem ment avec lees sphères cultures
c et aanimaux). Laa sphère
Cultures distingue lees cultures de d ventes et les culturess à destinatioon des anim aux. Cette distinction
d
n’est paas toujours étanche et prédéterm minée : ainssi on peut distinguer (i) des adaptations
conjoncturelles de laa destination des culturess comme le maïs
m grain vss. ensilage oou les céréales grains
vs. immaatures et (ii)) la possibilité de conduirre sur une saaison culturaale les deux types de cultures sur
une mêm me parcelle, par
p exemple une culture ddérobée avaant un maïs. Enfin,
E la desttination princcipale des
cultures de vente n’’exclue pas la valorisatioon de sous--produits com mme la paillle ou le pâturage de
chaumess. La sphèree Animaux coomprend la ddiversité d’esspèces (monnogastriques ou herbivorres) et de
niveaux de performance, qui conditionne le tyype et la quaalité des ressources à moobiliser, de même m que
la qualitéé des déjectioons.

1..1. Approch
he métabo
olique des ssystèmes culture-éle
c evage
L’approcche métabolique est bassée sur les pprincipes de l’écologie inndustrielle (FFiguière et Metereau,
M
2012) ett vise à augm menter l’autonomie des ssystèmes et l’efficience
l d’utilisation dees ressourcees (Figure
2). En faavorisant le reecyclage dess déchets et la réduction des émissioons, l’intégrattion cultures//élevages
permet dde réduire la consommation d’intrantss (en particuliier ceux baséés sur l’explooitation de reessources
naturellees) et la production de déchets/émissiions de polluuants. Les inttrants ciblés ssont les com
mbustibles
fossiles utilisés directement danns les explooitations ou indirectemennt pour l'élabboration dess intrants
(production d’engraiis azotés de synthèse)), et les reessources naaturelles com mme la potasse, le
phosphoore, l’eau.

Inn
novations Agro
onomiques 22
2 (2012), 101-115 103 
M. Moraine et al.

La représentation des flux de matières et des échanges entre sphères (par exemple, la sphère animale
produit des déjections qui constituent des intrants pour les sphères Prairies ou Cultures) permet de
catégoriser ces échanges selon leur « degré de circularité » i.e. le niveau de recyclage au sein du
système culture-élevage et ainsi leur niveau d’efficience d’utilisation des intrants. Une circularité limitée
porte par exemple sur l’utilisation des déjections comme fertilisants. Une circularité plus élaborée est
leur méthanisation suivie de l’utilisation des résidus de ce processus comme fertilisants. Une
intermédiaire est l’utilisation de résidus de cultures pour l’alimentation animale.

1.2. Approche écosystémqiue : substituer des intrants synthétiques par des


services écosystémiques
L'objectif est de modifier la structure et l’état des agroécosystèmes pour orienter les processus
écologiques vers la fourniture de services écosystémiques attendus. Au sein de ces services, Le Roux
et al. (2008) distinguent : (i) les services de production correspondant aux productions de matières
premières agricoles (lait, viande, graines); (ii) les services intrants correspondant à la fourniture de
ressources (nutriments, eau) et aux régulations biologiques. Les processus écologiques sous-jacents,
qui dépendent du renouvellement de la composante biologique de la fertilité des sols (Wardle, 2004), et
de la dynamique des espèces et des réseaux trophiques (Scherr et McNeely, 2008) ; (iii) les services
non marchands résultant des processus de régulation des cycles biogéochimiques (stockage du
carbone) ou correspondant à des services dits culturels souvent évalués au travers de l’hétérogénéité
des paysages.
Pour promouvoir les services écosystémiques, il est nécessaire de favoriser la diversité des espèces
cultivées et naturelles afin d’amplifier leurs interactions. Ces dernières s’exercent au sein de réseaux
écologiques dont le fonctionnement et la pérennité seront d'autant mieux assurés que les structures
paysagères permettront qu'il soit dense, diversifié et connecté dans l’espace (Koohafkan et al., 2011 ;
Frontier, 1977).
Agir sur les propriétés des agroécosystèmes culture-élevage pour augmenter leur capacité à fournir des
services écosystémiques peut prendre différentes formes. Ainsi, les prairies basées sur des mélanges
prairiaux complexes avec des légumineuses et l’apport de déjections animales dans les grandes
cultures sont susceptibles d’augmenter la taille et la diversité des populations microbiennes du sol et
d’améliorer la fertilité biologique des sols. Parallèlement, l’introduction des prairies dans les systèmes
de culture favorise la régulation biologique des bioaggresseurs. En outre, les pratiques mises en œuvre
à l’échelle de la parcelle ont des impacts, par effet de cascade, à différents niveaux d’organisation tels
que le groupe de parcelles, le paysage, le bassin versant (Galloway et al 2008 ; Walker et al. 2009).

104 Innovations Agronomiques 22 (2012), 101-115  


Un cadre conceptuel pour l’intéégration agroé
écologique

Figure 2 : Approches métabolique


m et
e écosystémiqque combinéees pour l’intégrration culture-é -élevage.
Dans cettte figure, les fllèches droitess symbolisent des flux entraant-sortant ; less flèches courrbes décriventt les flux
internes : fourrages (aliments) et déjections. Les fflèches en rouge et en pointtillés correspoondent aux fluxx qui
visent à êêtre diminués dans le processus d’intégraation.

1..3. Intérêt du
d couplag
ge entre less deux app
proches
Le coupplage des appproches méétabolique eet écosystém mique permeet d’identifierr les flux enntrants et
sortants du système sur lesquels il faudrait inttervenir et less processus écologiques qui doivent permettre
p
de modiffier le régime de ces fluux. Cette anaalyse est l’éttape initiale du processuus de conception des
modalitéés biotechniques « d’écoloogisation fortte » des systtèmes culturee-élevage. Ellle met en évvidence le
rôle centtral des modees d’utilisatioon et de gestiion des espaaces comme par exemplee :
- les surrfaces pâturéées où il y a restitution par les déjjections de la
l majeure ppartie des nutriments
prélevéss par les anim
maux. Ce type de gestionn du renouvellement de laa fertilité chim
mique et orgaanique du
sol préssente aussi des inconvénients : trrès hétérogène, il peuut conduire à des perrtes vers
l’environnement ;
- les surrfaces de prairies tempooraires qui reentrent en rootation, les bénéfices
b liéss à cette inttroduction
étant nommbreux ;
- la distrribution spatiiale des surffaces en herrbe dans le paysage quii influence lee fonctionnem
ment des
réseaux écologiques ;
- la part de légumineeuses dans l'aassolement eet leur modee de gestion : peu contrôl able dans les prairies
permaneentes (10% en e moyennee), elle est ppotentiellemeent élevée pour les prairries semées (luzerne
pure) ou les cultures annuelles (pprotéagineux)) ;
- la gestion des souss-produits : par
p exemple, si la paille est e restituée au sol, direcctement (fort C sur N)
ou aprèss usage par l’atelier anim
mal (faible C ssur N), la viee biologique des sols conncernés est fortement
f
modifiéee.

Inn
novations Agro
onomiques 22
2 (2012), 101-115 105 
M. Morain
ne et al.

1..4. Représe entation des Systèm


mes culture
res – éleva
age existaants et de
es voies
d'évoluttion possib
bles
Les systtèmes agricooles couramment renconntrés en Eurrope occidenntale se disttribuent au sein s de 5
grands tyypes suivant un gradient croissant d’im
mportance des cultures sur
s l’exploitattion (Figure 3)
3 :
1- élevagges hors sol (par exemple monogastrriques) : aucune culture ni
n prairie, sysstèmes basés sur des
intrants eextérieurs ;
2- trois types de syystèmes d’éllevage : (a) élevages dee ruminants à l’herbe, ooù l’achat d’aliments
d
concernee principalem
ment les concentrés, paas ou très peup de cultuures de ventte ; (b) systtèmes de
polycultuure-élevage orientés foourrage, renncontrés dans les petites structurres avec possibilité
p
d’autoprooduction dess concentréss et peu de cultures de vente du faait de la taillee des structures ; (c)
systèmes de polycultture-élevage avec un ateelier cultures de ventes im
mportant, soouvent situés dans les
zones de transition présentant desd contrainntes de milieeux hétérogèènes, commee dans les zones
z de
coteaux ou les piémoonts ;
3- systèm
mes de granddes cultures sans atelier élevage souvvent situées dans les pla ines céréalièères.
La préseence d’atelierr d’élevage de
d monogasttriques en bââtiment, au sein
s d’une l’eexploitation possédant
p
un atelieer de grandees cultures, correspond
c à une combinaison de systèmes 1 eet 3 dans dees formes
d’intégraation plus ou moins abouttie (Type 2 dee la Figure 5).

Figure 3 : Représenttation des principaux typees de systèm mes de produuction actuels (partie gaucche) ou à
promouvooir pour augm menter leur efficience (partiee droite) au traavers de la dimension des sphères Anim maux (A) –
Cultures (C)- Prairies (P) et leur suurface de reccouvrement ett des principaaux flux de m matière organique et de
productioon d’énergie (laa largeur des flèches tradui t l’importance des flux) ; Syystèmes spéciaalisés élevagee (ligne du
haut), sysstèmes mixtees, de l’élevagge « à l’herbee » à la polycculture élevagge (ligne du m milieu), et sysstèmes de
grandes ccultures (lignee du bas) ; flècche rouge (à droite) : coorddination à metttre en œuvree à l’échelle du territoire
basée suur des échangges de matièrres entre systtèmes spéciaalisés ou non. Par soucis dde lisibilité less services
écosystém miques ne sonnt pas représeentés et les fluux présentés ne
n concernentt que les flux i nter-sphères.
Pour connduire une éccologisation forte de l’agrriculture, dess changemennts dans la ggestion des espaces
e à
l’échelle de l’exploitaation agricole (Figure 3, partie droite) et des cooordinations entre exploitations à

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Un cadre conceptuel pour l’intéégration agroé
écologique

l’échelle du territoiree (flèche rouge) doivent être réaliséss. Par exemple, à l’écheelle de l’exploitation :
l’introducction de prairries dans les systèmes d e grandes cuultures pour produire dess fourrages destinésd à
la vente et favoriser les services écosystémiqques. Au niveeau du territooire : l’organiisation d’échanges de
matièress entre systèèmes spécialisés (grandees cultures et élevage hoors sols), ou encore l’orgganisation
spatiale des systèm mes de cultuure et des ssurfaces touujours en heerbe pour faavoriser les services
écosystéémiques de régulation des ravageeurs des cuultures. Enfinn, la méthaanisation de déchets
organiquues et effluennts d’élevagee, par exemplle dans les élevages
é horss sol, et l’utiliisation des réésidus de
celle-ci ppour la fertilissation des systèmes de c ulture est aussi une voie prometteusee.

2. Impplications et modalités so
ocio-écono
omiques de l’intég
gration culture-
c
élev
vage
2
2.1. Des acteurs néc
cessaires p
pour l'intég
gration agro
oécologiquue
L’état dees propriétés du système culture-élevvage est le réésultat de l’interaction enttre activités humaines
h
et proceessus écologgiques. Ici, ces activitéss humaines correspondent aux moodes de gesstion des
espaces agricoles paar les pratiquues agricoless. Par ailleurss, les choix sociétaux
s élaaborent, implicitement,
des hiéraarchies entree services éccosystémiquees (Power, 2010 ; Oudennhoven et al, 2012) et déterminent
ainsi le ccadre socio-teechnique d'inntervention ddes acteurs agricoles.
a
Le territooire où sont ancrées les exploitation s agricoles constitue
c un système soocio-écologique (SSE)
(Ostrom,, 2009) où des d interactions s’exprim ment, au seinn et entre un
u système ssocial et un système
écologique complexxe. L’agricultteur, commee tout autre acteur, inteervient danss le jeu soccial. Son
comporteement est dééterminé parr ses interacctions socialees (Vanclay 2004) avec, au premier plan, les
acteurs ddes filières, du
d conseil (chhambres d’aggriculture, Ceentre d’Economie Rurale , etc.) et de la
l gestion
des resssources du teerritoire (e.g. eau) (Duru eet al., 2012).

Figure 4 : Représentaation du systèème socio-écoologique correespondant à un territoire ccomposé d’unn système


écologiquue (voir Figurees 1& 2) et d’und système social dans lequel les actteurs des filièères, de la geestion des
ressourcees du territoiree et les agricuulteurs interaggissent. Les acctivités des accteurs qui gèrrent l’espace agricole
a et
le paysagge modifient les propriétés du systèmee écologique (connectivité, diversité, deensité). Ces propriétés
détermineent l’existencee et l’intensité des services éécosystémiquues.

L’écologisation forte des systèmees agricoles complexifierra néanmoinss leur gestionn (Hendricksson et al.,
2008) paar l’augmentaation du nom
mbre et de laa diversité dees propriétéss et des inteeractions à gérer. Elle

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M. Moraine et al.

engendrera donc une augmentation des connaissances, compétences et savoir-faire nécessaires (Poux
et al., 2009) et il sera nécessaire de mettre en œuvre à chaque niveau d’organisation clef des modalités
de gestion, de coordination et d’apprentissage adaptées.
¾ Au niveau du territoire, il s'agit de concevoir des modalités de coordination sociale permettant
les échanges de produits agricoles et la mise en œuvre d’une mosaïque paysagère propice aux
services écosystémiques (Altieri, 2009 ; Power, 2010). Si l’échange de produits agricoles est
historiquement géré par le monde agricole (via notamment les coopératives agricoles), ce n'est
pas le cas de la mosaïque paysagère pour laquelle l’enjeu est de concevoir et mettre en œuvre
une gestion collective des ressources naturelles grâce à une coordination d’un grande diversité
d’acteurs (coopératives, gestionnaires de milieux, etc.). Cette gestion devra être adaptative,
délibérative et itérative pour faire face : (i) aux incertitudes sur le fonctionnement des
agroécosystèmes et sur les effets des pratiques; (ii) aux imperfections et limites de détection
des variables de l’environnement découlant des processus écologiques et des actions de
gestion ; (iii) à la difficulté de contrôler l’ensemble des actions de gestion au sein du territoire ;
et (iv) au caractère stochastique, et donc imprévisible de certains processus écologiques
(Williams, 2011). Cette gestion du territoire doit faire l'objet d’un apprentissage collectif (social
learning) et aboutir à la constitution de « communautés de pratiques » (Pahl-Wostl et Hare,
2004 ; Armitage et al., 2008 ; Newig et al., 2008).

¾ Au niveau de l’exploitation, l’enjeu est avant tout de concevoir des systèmes de culture
agroécologiques intégrant les effets de la biodiversité gérée à l’échelle du territoire. Là encore,
il est nécessaire d’organiser des apprentissages entre agriculteurs pour partager les
connaissances acquises sur les effets de leurs pratiques et les risques pris (Greiner et al.,
2009).
Ces coordinations et apprentissages nécessitent d’augmenter le niveau de connectivité des acteurs. Un
parallèle peut être tracé entre les propriétés de connectivité des réseaux écologiques, (dont on connaît
les effets positifs sur la fourniture de services écosystémiques) et celles du système socio-économique,
qui se trouvent renforcées dans l’intégration culture-élevage. Ces propriétés de connectivité sont
étudiées en sociologie des réseaux sociaux, et jouent un rôle important dans le changement des
pratiques agricoles vers des pratiques agroécologiques (Compagnone, 2004 ; Houdart et al., 2011).
2.2 Services socioéconomiques liés à l’intégration culture – élevage
Au sein du système social, les interactions entre acteurs génèrent des externalités positives (Torre,
2000), que nous appelons ci-après « services socioéconomiques », à différents niveaux d’organisation
(exploitation, collectif d’exploitations, territoires). Ils contribuent à augmenter la résilience (Folke et al.,
2010) des systèmes culture-élevage comme le montrent les exemples suivants. L'intégration culture-
élevage :
> réduit le risque de variabilité du revenu (Wilkins, 2008) parce qu'elle construit un marché diversifié et
« internalisé ». La fourniture d’aliments pour l’élevage constitue un marché alternatif à la vente en circuit
« conventionnel » des cultures, et peut permettre d’absorber une dépréciation de la qualité de la récolte
suite à un évènement aléatoire. L’intégration peut également permettre l’affichage de l’origine locale
des productions et donc rentrer dans des démarches de cahiers des charges éventuellement
valorisables économiquement (notion de biens et services territorialisés selon Pecqueur, 2001).
> augmente la rentabilité des investissements et l’efficience d’utilisation des ressources (Wilkins, 2008)
par une optimisation, à l'échelle de l'exploitation et du territoire, de l'allocation spatiale des activités
selon les avantages comparatifs de chaque couple activité/situation. Par exemple, produire des
fourrages irrigués dans les zones où l’eau est disponible et les transférer aux exploitations d’élevage où
ce n'est pas le cas permet d'éviter la construction de retenues collinaires pour irriguer ces cultures.

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Un cadre conceptuel pour l’intéégration agroé
écologique

> permeet l'échange de connaisssances, savvoir-faire et expériencess, ce qui auugmente less options
mobilisables dans l’action
l et renforce
r ainssi l’autonom
mie des producteurs. Laa notion dee service
d’autonoomisation parr l’apprentisssage collectif (Darré, 19999) est égalem
ment présentte dans le cooncept de
« capacity building » (Faure et Kleeene, 2004)..
> renforcce le tissu social
s pour mieux
m réponddre collectiveement aux problèmes et mettre en place
p des
formes de coopérattion bénéfiques (Fourcaade et al.., 2010) ainsi que l'acceeptabilité socciale des
systèmes, tant du point
p de vue des agricultteurs (étalemment des piccs de travaill) que de ceelui de la
société.
22.3. Typollogie des formes d
d’intégration
n culture-é
élevage ddans le ca
adre de
ssystèmes socio-écolo
s ogiques
L’intégraation culture--élevage doit être penséée aussi bieen à l'échelle de l'explooitation qu'à celle du
territoire. A la manièrre de Hendrickson et al. (2008), nouss considérons que l’intégrration culturee-élevage
provient d’un renforccement des coordinationns spatiales et temporelles intra- et inter-exploittations et
nous en avons identifié 4 formes types (Figuree 5).

Figure 5 : Typologie ded l’intégrationn culture-élevaage. L’intégration est préseentée dans saa dimension temporelle
t
(axe verttical) correspoondant à l’orgganisation dess décisions d’allocation des ressources : choix stratéégiques et
ajustements tactiques,, et dans sa dimension sppatiale (axe horizontal)
h corrrespondant aaux recouvrem
ments des
usages des différents espaces.
e
Type 1 : l'intégration est réalisée entre exploiitations spéccialisées à traavers le marcché dans une logique
de flux de produitss (grains, foourrages, dééjections comme engrais organiquees). Les ennjeux de
stabilisattion des prix et des reevenus peuvvent entraineer le recourrs à la conntractualisatioon. Cette
coordinaation omet lee plus souveent les dimennsions spatiaales, de proxximité et ne permet donc pas de
valoriserr les servicess écologiquess et socio-écoonomiques.

Inn
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onomiques 22
2 (2012), 101-115 109 
M. Moraine et al.

Type 2 : les systèmes de culture intègrent les objectifs des systèmes d’élevage en termes de choix
stratégiques (assolement, variétés, objectif de qualité) et tactiques (pratiques annuelles de fertilisation,
protection phytosanitaire...), avec prise en compte en amont de l’allocation des ressources "effluents".
Type 3 : la coordination culture-élevage est renforcée dans le temps et l'espace par exemple par le
pâturage sur repousses, la gestion tactique des débouchés des cultures. L'allocation des ressources
terres et effluents est coordonnée en amont (prairies temporaires en rotation, cultures fourragères en
dérobé).
Type 4 : l’intégration est territoriale avec des collectifs qui s’organisent pour optimiser l’allocation des
ressources et augmenter la diversité des systèmes d’échange et de commercialisation (groupement de
producteurs, mise en place d’une filière locale liée aux particularités du territoire, partage de travail,
réseaux d’apprentissage et d’échange de pratiques).
Le niveau de coordination à mettre en place croit du type 1 au type 4, entraînant un accroissement de la
complexité qui nécessite des compromis et des arbitrages entre des options pouvant s’avérer
contradictoires.
2.4 Gérer les synergies et les compromis entre services
Le développement des services écosystémiques et socio-économiques peut conduire à réaliser des
arbitrages entre ces services. En outre, la pertinence des services fournis par l’intégration cultures-
élevage doit se discuter au regard des coûts de la coordination culture-élevage. Par exemple, optimiser
l’allocation des ressources et donc la localisation des productions peut revenir à spécialiser des zones
et de ce fait réduire leur diversité et l’expression de certains services écologiques ; les échanges de
matières entre de telles zones ayant des coûts économiques et environnementaux.
A cet égard, deux caractéristiques nous semblent fondamentales pour anticiper ces coûts et définir des
distances maximales d'échange : la teneur en matière sèche et la densité énergétique. Plus le territoire
de gestion est grand, plus les produits devront être riches en énergie et en matière sèche pour justifier
des transferts sur toute l’étendue de celui-ci.
Il appartient donc aux acteurs impliqués dans la conception de systèmes mixtes culture-élevage de
définir la pertinence des formes d’intégration à rechercher, c’est-à-dire la nature et l’épaisseur des
flèches du modèle générique de la Figure 2.

3. Vers une proposition méthodologique de conception multi-niveaux, multi-


domaines, de systèmes mixtes culture – élevage
Les méthodes de conception de systèmes classiquement utilisées se basent généralement sur
l'évaluation des performances, par une approche stock-flux, des systèmes existants ou simulés. Ces
derniers sont le plus souvent bâtis par les chercheurs à partir de leur propre expertise, en considérant le
cadre de contraintes et le domaine d’application des modèles utilisés. L’Analyse de Cycle de Vie est
une des méthodes de référence (Van der Werf et al., 2009). L’évaluation multicritère (Sadok et al.,
2009 ; Pelzer et al., 2012 ; Craheix et al., 2012a) permet par ailleurs de fournir un score de durabilité
des systèmes de culture selon les trois piliers du développement durable. Les modèles dynamiques
couplant des modèles biophysiques à des modèles décisionnels comprenant des stratégies d’acteurs
permettent d’explorer rapidement une large gamme d’innovations (Chardon et al., 2008 ; Martin et al.,
2011a). Leur principale limite réside dans le caractère donné et non socialement construit des
problèmes à résoudre (Larsen et al., 2012) et en conséquence, leur prise en compte insuffisante du
cadre de contraintes qui s’exprime dans les exploitations et les territoires (Voinov et Bousquet, 2010).
Les méthodes basées sur la participation des acteurs permettent de lever cette limite. Deux grands
types d’approche sont envisageables :

110 Innovations Agronomiques 22 (2012), 101-115  


Un cadre conceptuel pour l’intégration agroécologique

1. la conception « light », en temps court, sur la base d’ateliers participatifs mobilisant une diversité
d’acteurs, permet aux acteurs de partager leurs points de vue et idées d’innovations afin d’identifier des
options d’amélioration semblant a priori pertinentes pour le plus grand nombre d’entre eux. Pour cela,
une démarche en trois étapes, diagnostic (définition des enjeux) – brainstorming (identification de
pistes) - évaluation (analyse multicritère) peut être mise en œuvre. Ce type d’approche a été formalisée
pour imaginer des innovations radicales dans les élevages hollandais afin de faire face aux fortes
externalités négatives : méthode RIO (Reflexive Interactive Design) (Bos et al., 2008).
Le modèle conceptuel présenté dans cette communication (Figures 1 à 5) peut être avantageusement
utilisé dans cette démarche car il offre une représentation structurée du système étudié et fournit un
cadre d’analyse pour articuler différents types de leviers d’action. Il invite à explorer des pistes variées
en termes de nature de services ou bénéfices, de niveaux d’organisation et de coordination et de
domaines d’action et à identifier les principaux compromis à trancher et verrouillages à lever. Ce
modèle doit ainsi aboutir à l’élaboration d’un ensemble structuré de pistes d’innovations
contextualisées.
2. la conception approfondie couple les approches participatives "light" à des approches quantitatives
basées sur des modèles de fonctionnement des agroécosystèmes générant des indicateurs de
performances. Les approches basées sur des jeux ont montré leur intérêt : il peut s’agir de jeu de
plateaux pour l’allocation de ressources au sein d’une exploitation (Martin et al., 2011b), ou de jeux de
rôle (Etienne, 2011) pour sensibiliser les acteurs aux conditions et impacts des échanges de matières et
d’information au sein d’un territoire.
Ces approches facilitent l’émergence de prémices d’innovations techniques, mais aussi de modalités de
gouvernance propices aux services associés à l’intégration cultures-élevage. Elles contribuent dans le
même temps à faciliter les apprentissages des participants.
Comme Barnaud et al. (2011) nous considérons que le concept de services écosystémiques (et socio-
économiques) pourrait être structurant pour ces approches de conception participative. Il conduit les
acteurs à définir les services attendus des réorganisations des systèmes agricoles puis les processus
qui les fournissent et enfin les pratiques à mettre en œuvre. L'utilisation des modèles et des
connaissances des experts pour évaluer dans quelle mesure les changements envisagés sont
cohérents avec les objectifs affichés permet d'alimenter une méthode d’évaluation multicritère dans
laquelle les participants peuvent débattre des valeurs et coefficients à attribuer aux différents
indicateurs (Craheix et al., 2012b).

Conclusion
L’intégration agroécologique des cultures et de l’élevage engendre une complexification des systèmes,
liée aux nécessités de gérer à la fois la circularité des flux pour limiter l’utilisation d’intrants et les
émissions polluantes, et l’organisation des espaces pour favoriser l’expression de services
écosystémiques. Cette complexification nécessite des apprentissages et des coordinations au sein des
systèmes socio-écologique et socio-technique, pour optimiser la gestion agroécologique des
écosystèmes tout en développant des services socio-économiques qui garantissent la viabilité de ce
mode de gestion.
Concevoir des systèmes cultures-élevage intégrés à l’échelle des exploitations et du territoire implique
de prendre en compte ces différentes dimensions de l’intégration, donc d’appréhender les différents
niveaux d’interaction entre les éléments du système. Mobiliser des acteurs et des porteurs d’enjeux
autour de cette problématique permet d’intégrer des visions et des connaissances localisées, des
savoirs locaux pour construire des connaissances pour l’action. C’est aussi l’occasion d’outiller les
acteurs du développement agricole pour renouveler l’approche du conseil aux agriculteurs, en créant
des dispositifs d’action collective aptes à accompagner des transitions agro-écologiques : réseaux

Innovations Agronomiques 22 (2012), 101-115 111 


M. Moraine et al.

d’apprentissage, organisation de la circularité des activités, construction d’identités de territoires autour


de pratiques ou d’organisations collectives. Pour le chercheur, construire des outils et des méthodes
pour équiper cette transition passe par les étapes de spécification du problème, de construction d’une
qu’une grille d’analyse des innovations proposées par les acteurs et de production de modèles pour
représenter le fonctionnement du système intégrant ces innovations. Nous avons développé ici une
approche multi-niveaux et multi-domaines de l’intégration cultures-élevage, et présenté sa place dans
une méthodologie de conception de systèmes mixtes. Pour construire cette méthodologie, il est
nécessaire d’adopter une posture transdisciplinaire et de recherche-intervention visant la production de
connaissances par l’articulation de savoirs de différentes natures (Béguin et Cerf, 2009).

Remerciements
Le travail présenté ici a été réalisé dans le cadre du projet européen CANTOGETHER (FP7, Grant
agreement N°: 289328)

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Les systèmes herbagers économes du Bocage vendéen : une alternative pour


un développement agricole durable ?

Garambois N., Devienne S.

UFR Agriculture Comparée et Développement Agricole, AgroParisTech


Correspondance : nadege.garambois@agroparistech.fr, sophie.devienne@agroparistech.fr

Résumé
Depuis l’après-guerre, l’accroissement de la productivité du travail dans les systèmes bovins laitiers du
Bocage vendéen a été basé depuis les années 1950 sur la spécialisation et l’augmentation de la
production laitière par hectare et par actif. Le pâturage a été considérablement réduit, au profit de
l’utilisation de fourrages stockés, en particulier de l’ensilage de maïs. Depuis 1990, certains agriculteurs
ont développé des systèmes de production herbagers inspirés de l’exemple breton d’André Pochon et
reposant largement sur la pâture de prairies temporaires d’association graminées-légumineuses.
Adaptés par des groupes d’éleveurs aux spécificités pédoclimatiques de la région, ces systèmes
innovants privilégient la création d’une forte valeur ajoutée en réduisant fortement les consommations et
s’inscrivent à contre-courant du mode de développement agricole prédominant de la région. Cet article
s’intéresse aux conditions d’émergence et au fonctionnement des différents systèmes de production de
la région et montre, grâce à la comparaison de leurs résultats économiques, que ces systèmes
herbagers relevant de l’agro-écologie sont intensifs en création de richesse et dégagent un revenu
élevé par hectare et par actif, moins dépendant des subventions.
Mots-clés : élevage bovin laitier, système herbager, prairie temporaire d’association graminées-
légumineuses, pâturage, système de production, modélisation technico-économique, valeur ajoutée.

Abstract: Grassland inputs-saving systems in Bocage of Vendée: an alternative for


sustainable agricultural development?
Since the 1950’s, labour productivity growth in dairy production systems in Bocage of Vendée has been
based on specialization and increase in milk production per hectare and per worker. Grazing time has
been reduced, giving place to conserved forage, mainly maize silage. Since 1990, some farmers have
set up cattle grassland systems founded upon André Pochon‘s Brittany example and largely based on
grazing of temporary grass-clover pastures. Adapted by farmers’ groups to the specific pedoclimatic
conditions of this region, these innovative systems create high value added by important cost savings,
in complete contrast to the main agricultural development in the region. This paper focuses on the
development conditions of such systems, and on the functioning and economic results of the different
production systems in the area. The comparison of the economic results shows that these grassland
dairy production systems based on agro-ecology are intensive in added value creation and get high
income per hectare and per worker, less dependent of subsidies.
Keywords: Dairy cattle farming, Grassland system, Temporary grass-clover pastures, Production
system, Technical and economical modelling, Added value.

Introduction
Depuis les années 1950, le développement agricole de l’Ouest de la France a été marqué par la
spécialisation des exploitations dans l’élevage, la concentration de la production dans un nombre
N. Garambois et S. Devienne

toujours plus restreint d’exploitations de plus en plus grandes, l’accroissement de la production et une
forte progression de la productivité physique du travail. Celle-ci a reposé sur l’agrandissement de la
superficie des exploitations et de la taille des troupeaux, mais aussi sur l’augmentation de la production
par hectare, permis par le recours croissant aux consommations intermédiaires et par l’évolution des
systèmes fourragers vers une utilisation grandissante du maïs fourrage et une réduction de la place des
prairies et du pâturage. En rupture avec ce développement, certains éleveurs ont mis en place dans
l’Ouest français des systèmes bovins laitiers qualifiés d’« herbagers » car majoritairement basés sur
l’utilisation des prairies. Motivés par la volonté d’accroître la durabilité de leur exploitation, ces éleveurs
ont modifié en profondeur leurs systèmes de production pour développer les prairies temporaires
(association graminées-légumineuses) et le pâturage. Ils se sont tournés vers des systèmes de
polyculture-élevage autonomes et économes, qui privilégient l’autofourniture de moyens de production
et permettent ainsi de réduire l’achat d’engrais azotés et de compléments protéiques. Ce mouvement,
qui concerne aujourd’hui en France près de 2000 éleveurs, a démarré dans les Côtes d’Armor, impulsé
par l’agriculteur André Pochon (Pochon, 2002). Il s’est étendu ensuite à d’autres régions du Grand
Ouest, aux conditions agro-écologiques différentes.
Cette communication présente les résultats d’un travail de recherche centré sur l’analyse des conditions
et de l’impact du développement de systèmes herbagers dans le Bocage vendéen (centre Ouest). Le
choix s’est porté sur cette région où une centaine d’éleveurs, organisés en plusieurs groupes locaux1,
ont élaboré à partir de 1990 des systèmes basés sur des prairies temporaires de graminées et
légumineuses, dans des conditions climatiques moins favorables à la pousse de l’herbe que celles des
Côtes d’Armor en raison d’un déficit hydrique souvent important en été. L’objectif de cette recherche
(Garambois, 2011 ; Garambois et Devienne, 2012) consistait à comprendre les conditions d’émergence
de ces systèmes en les replaçant dans l’évolution générale de l’agriculture de la région, d’identifier et de
caractériser les différents types de systèmes de production en élevage bovin laitier, herbagers et non
herbagers, afin de comparer, dans des conditions édaphiques et socio-économiques homogènes, le
fonctionnement et les performances économiques des systèmes herbagers à ceux des autres systèmes
de production. Cette recherche s’est appuyée sur la méthode d’analyse-diagnostic des systèmes
agraires développée par l’UFR d’Agriculture Comparée et Développement agricole (Mazoyer et
Roudart, 1997 ; Dufumier, 1996 ; Cochet et al., 2007). Ce travail de recherche se proposait, en
établissant les performances économiques des systèmes de production en relation étroite avec leur
fonctionnement technique, démarche originale par rapport aux travaux existants (Le Rohellec et
Mouchet 2004, Le Rohellec 2008), de comprendre la logique spécifique de fonctionnement des
systèmes herbagers économes et de mettre en lumière la forme particulière d’intensification développée
par ces éleveurs.

Le diagnostic agraire : systématiser pour comparer et évaluer


La recherche a été conduite sur la base d’un travail de terrain approfondi mené entre mars 2007 et avril
2009 dans le Bocage poitevin. L’analyse-diagnostic de l’agriculture de la région a reposé sur la lecture
de paysage et sur de nombreux entretiens auprès d’agriculteurs ayant été les acteurs et témoins des
transformations de l’agriculture de la région. La reconstitution de la dynamique historique de l’agriculture
de la région a permis de comprendre le processus de différenciation des systèmes de production,
d’expliquer la logique des transformations passées et en cours et d’appréhender la diversité actuelle
des systèmes de production. La compréhension des relations entre différenciation sociale et
changements techniques a ainsi permis de reconstruire les trajectoires d’évolution des exploitations et

1GRADEL (Groupe de Recherche en Agriculture Durable et en Economie Locale), Civam HB (Centre d’Initiatives
pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural du Haut-Bocage), GRAPEA (Groupe de Recherche pour une
Agriculture Paysanne Econome et Autonome)

118 Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134


Les systèmes herbagers économes du Bocage Vendéen

de bâtir une typologie des systèmes de production actuels, base à partir de laquelle a été constitué un
échantillon raisonné (Dufumier et Bergeret, 2002 ; Cochet et Devienne, 2006). La réalisation d’une
centaine d’entretiens approfondis auprès d’exploitations spécialisées en élevage bovin (dont 45 en
élevage bovin laitier et 35 auprès d’éleveurs mettant en œuvre un système herbager bovin laitier ou
allaitant), choisies sur la base de cette typologie, a ensuite permis de caractériser le fonctionnement
technique et d’évaluer les performances économiques des différents systèmes de production d’élevage
bovin. Le concept de système de production (Reboul, 1976 ;Cochet et al., 2007) ne s’applique pas ici à
une exploitation agricole unique, mais à un ensemble d’exploitations qui possèdent la même gamme de
ressources et pratiquent une combinaison similaire de productions qui peut elle-même être analysée
sous l’angle d’une combinaison spécifique de différents systèmes de culture et systèmes d’élevage.
Les résultats présentés portent sur la partie occidentale du Bocage poitevin (ou Bocage vendéen) où
prédominent des exploitations spécialisées en élevage bovin laitier et qui coïncide avec l’aire
d’implantation du GRADEL, association d’éleveurs herbagers créée en 1990, dont les systèmes sont ici
évalués.

Soixante années de développement agricole dans le Bocage vendéen


Priorité à l’accroissement de la productivité physique du travail
Au sortir de la seconde guerre mondiale, les agriculteurs du Bocage vendéen mettaient en œuvre des
systèmes de polyculture-élevage déjà fortement orientés vers l’élevage bovin (Dumont et al.,1957 ;
Garambois, 2011). Les agriculteurs, équipés de la traction attelée, combinaient différents types de
cultures destinées à l’autoconsommation familiale et à l’alimentation des animaux de l’exploitation :
bovins, avec des vaches croisées Maraîchine et Charolais, qui servaient à la traction, permettaient de
produire des veaux gras et fournissaient du lait (1 500 à 2 000 litres par vache), porcs à l’engrais et
volaille. Sur les terres labourables, qui occupaient environ les deux tiers de la superficie, les agriculteurs
pratiquaient une rotation triennale, qui faisait se succéder des plantes sarclées (chou ou rutabaga) qui
recevaient la fumure organique, des cultures de printemps (plantes sarclées fourragères comme la
betterave ou alimentaires comme la pomme de terre ou le haricot, de l’avoine ou du maïs coupé en vert
pour l’affouragement à la fin de l’été), puis une céréale d’hiver (blé) sous couvert de laquelle était
semée en dérobée une prairie artificielle de trèfle violet qui était retournée au printemps suivant. Les
sols étaient ainsi couverts de façon continue, ce qui permettait de limiter le lessivage des éléments
minéraux et d’utiliser au mieux les apports de fumure organique provenant du troupeau. Les prairies
permanentes, situées en fonds de vallée ou qui avaient été gagnées sur les landes, étaient pâturées
par les bovins et/ou fauchées pour la récolte du foin. Ces prairies souffraient du déficit hydrique estival ;
la grande diversité des productions fourragères permettait de compenser les périodes d’étiage fourrager
en été et en hiver.
A partir des années 1950, les agriculteurs qui en avaient les moyens ont cherché à augmenter la
production par hectare et par actif, en s’agrandissant et en transformant leur système d’élevage.
L’acquisition d’équipements plus performants, tant pour les cultures que pour l’alimentation et la traite
des animaux, ainsi que la modernisation et l’accroissement de la capacité des bâtiments ont
parallèlement rendu possible l’augmentation de la superficie des exploitations et du nombre de vaches
par actif. Cette substitution continue du capital au travail s’est accompagnée de l’éclatement du
système de polyculture-élevage en systèmes de production spécialisés, processus de spécialisation
qui, en retour, a contribué également à l’accroissement du nombre de vaches par actif.
L’adoption du tracteur, le développement de l’utilisation des amendements et engrais dès les années
1950, puis l’arrachage des haies et le regroupement du parcellaire au cours des années 1960, qui ont
été permis par le remembrement et ont facilité la progression de la motorisation des opérations
culturales, ont ouvert la voie à de profondes transformations : les agriculteurs ont substitué aux prairies

Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134 119


N. Garambois et S. Devienne

permanentes et aux plantes sarclées fourragères exigeantes en main d’œuvre, des prairies temporaires
de graminées plus productives (ray-grass anglais dès les années 1950 et ray-grass d’Italie (RGI) à
partir des années 1960) et, partant, augmenté la taille de leur troupeau et remplacé les vaches
Charolaises par des races à plus haut potentiel laitier (Normande, puis Pie noire).
Avec l’introduction dans la région des premières variétés de maïs hybride dès le milieu des années
1960, les gains de productivité du travail ont ensuite reposé sur le recul progressif du pâturage au profit
de l’accroissement de la part du maïs fourrage dans l’alimentation. Cette culture s’est développée
rapidement, au sein de rotations de type maïs/blé/RGI 6 ou 18 mois, pour atteindre près du quart de la
Surface Agricole Utile (SAU) à la fin des années 19702. Elle présente en effet l’avantage d’offrir un
rendement et une densité énergétique plus élevés, d’être entièrement moto-mécanisable et de pouvoir
être stockée sous forme d’ensilage, augmentant ainsi les disponibilités fourragères toute l’année,
accompagnant ainsi efficacement la progression du potentiel de rendement laitier des troupeaux
(changement de race, sélection génétique). L’accroissement du chargement permis par l’augmentation
de la production fourragère par hectare, qu’accompagnait éventuellement l’agrandissement des
exploitations, a conduit les éleveurs qui en avaient les moyens à développer de manière importante la
capacité de leurs équipements (salle de traite de 2×3 à 2×6 postes) et à moderniser leurs bâtiments
(stabulation libre avec couloir central d’alimentation) afin de faciliter la moto-mécanisation de la
distribution des fourrages et du curage.
En drainant une grande partie de leurs terres durant les années 1980 et 1990 (1% de la SAU en 1979,
33% en 1988 et 56% en 20003), les agriculteurs ont stabilisé le rendement du maïs fourrage et converti
en prairies temporaires, voire mis en culture, l’essentiel des prairies permanentes restantes, qui ne
représentaient en moyenne plus que 10% de la SAU en 20004. L’investissement dans l’irrigation grâce
à des retenues partiellement alimentées par les eaux de drainage (1% de la SAU était irrigable en 1970
et 14% en 20005) a permis quant à lui de faire encore progresser les rendements du maïs fourrage. La
progression continue de la part de l’ensilage de maïs et des compléments en céréales et tourteau de
soja dans l’alimentation du troupeau, alliée à l’adoption de la race Holstein, a rendu possible la
poursuite de l’accroissement des rendements laitiers.
Le contingentement de la production laitière à partir de 1984 n’a pas enrayé le mouvement
d’accroissement de la production par hectare prévalant depuis l’après-guerre. La progression continue
des rendements et de la densité énergétique de l’alimentation a permis aux éleveurs de réaliser leur
production laitière en réduisant leur cheptel (baisse de 10% des effectifs de vaches laitières entre 1979
et 1988 et de 21% entre 1988 et 20006) ainsi que la superficie qui lui est consacrée. Les surfaces ainsi
libérées ont été valorisées par d’autres productions : les céréales ou l’engraissement des veaux mâles
en taurillons nourris à l’ensilage de maïs, lorsque les éleveurs disposaient d’une plus faible surface par
actif. L’octroi de primes spécifiques à ces productions dans le cadre de la réforme de la PAC de 1992 a
contribué à renforcer ces orientations.
Les exploitations du Bocage vendéen des années 1950 ont ainsi connu, en soixante ans, un
accroissement spectaculaire des rendements des cultures comme de la production laitière par vache
(jusqu’au quintuple), tandis que dans le même temps la surface cultivée par actif augmentait au moins
d’un facteur six, multipliant par trente la productivité physique du travail entre 1950 à 2010. Au plan

2, 4, 5, 6, 7 Données Recensement Général Agricole (RGA), canton de Rocheservière (Bocage vendéen).

120 Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134


Les systèmes herbagers économes du Bocage Vendéen

économique, cette évolution a reposé sur une externalisation accrue des tâches agricoles et sur un
recours toujours plus important aux intrants et à des équipements de plus en plus performants. Ce
développement a conduit à une concentration de la production dans un nombre toujours plus réduit
d’exploitations dont la taille n’a cessé de croître. Ces agrandissements ont été permis par la disparition
progressive et continue des exploitations qui n’ont pas eu les moyens de suivre ce mouvement, faute
d’une superficie suffisante dans les années 1950, d’opportunités d’agrandissement par la suite et de la
capacité d’investissement nécessaire (Mazoyer, 1981 ; Mounier, 1992). Le nombre d’exploitations dans
le canton de Rocheservière a ainsi diminué de 67% entre 1970 et 2000 et cette baisse est encore plus
marquée (-76%) dans le cas des exploitations spécialisées en élevage bovin laitier7.

Des éleveurs à la recherche d’une plus grande autonomie


Certains agriculteurs du Bocage vendéen ont constaté, dès la fin des années 1980, que les
consommations intermédiaires et les immobilisations de capital fixe grevaient de plus en plus
lourdement leur revenu et se sont inquiétés des impacts environnementaux liés à l’usage, qu’ils
jugeaient excessif, d’engrais azoté et de pesticides. Ils ont cherché à mettre en œuvre des systèmes
plus autonomes et économes en intrants, qui leur permettraient de maintenir leur revenu en réduisant
leurs coûts plutôt qu’en augmentant le produit brut par actif, tout en allégeant leur charge en travail. Ils
se sont appuyés sur le référentiel technique des systèmes herbagers bretons (Pochon, 2002 ; Alard et
al., 2002), mis au point dans des conditions particulièrement favorables à la pousse de l’herbe, et l’ont
adapté aux conditions pédoclimatiques du Bocage vendéen, pour la conduite du système d’élevage
(période de vêlage, systèmes fourragers) comme des systèmes de culture (choix des espèces et
variétés de graminées et de légumineuses associées, conduite des prairies). Comme en Bretagne, la
constitution de groupes locaux a largement favorisé les échanges entre agriculteurs (Deléage, 2004) et
joué un rôle déterminant dans l’adoption de ce changement et l’optimisation des techniques et des
savoir-faire.

Le développement à contre-courant des systèmes herbagers économes


Une logique de fonctionnement très différente
Les systèmes spécialisés en élevage bovin laitier prédominant aujourd’hui dans le Bocage vendéen se
caractérisent par la place réduite du pâturage et par un haut niveau de performance technique. Il
présentent de grandes similitudes au niveau des systèmes de culture et d’élevage mis en œuvre:
mêmes types de rotations (maïs/blé/RGI 18 mois et maïs/blé) conduites sur plus de 65% de la
superficie des exploitations, les 35% restants étant occupés par des prairies temporaires (ou
permanentes) ; itinéraires techniques des cultures semblables ; rôle central de l’ensilage de maïs dans
les systèmes fourragers au détriment du pâturage dont la durée n’excède en général pas trois mois ;
rendements laitiers supérieurs à 8000 litres ; part importante de la superficie (20% à 55%) consacrée à
des céréales destinées à la vente.
Les systèmes herbagers économes ont une logique de fonctionnement très différente. Ils placent au
cœur de leur fonctionnement les prairies temporaires associant graminées et trèfle blanc au rendement
élevé et conduites sans azote de synthèse, ainsi que le pâturage, pratiqué suivant les techniques de
pâturage tournant (Civam, 2009). Le troupeau pâture neuf mois par an, la moitié du temps sans
complément fourrager, et la ration hivernale ne comprend qu’un tiers d’ensilage de maïs. Malgré le pic
de croissance de l’herbe au printemps, la période de vêlages a été maintenue à l’automne afin de tarir
le troupeau en été, période d’étiage fourrager des prairies nettement plus marqué dans le Bocage

7Recensement Général Agricole

Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134 121


N. Garambois et S. Devienne

vendéen qu’en Bretagne, et de bénéficier d’un prix moyen du lait semblable à celui des systèmes de
production reposant moins sur le pâturage. Les éleveurs herbagers ont conservé la race Holstein car la
plasticité de sa production lui permet de réaliser un rebond de la courbe de lactation avec la mise au
pâturage au début du printemps, et de profiter ainsi, en fin de lactation, de la pousse rapide de l’herbe à
cette saison, tout en maintenant un rendement laitier annuel relativement élevé, variant, suivant le
niveau de complémentation, de 6000 à 7500 litres par vache et une production de lait de 4000 à 5500
litres par hectare de SAU.
Les éleveurs herbagers réalisent leurs quotas laitiers avec un cheptel plus important, en lui consacrant
l’ensemble de la surface de l’exploitation, sans produire de cultures de vente. Les surfaces en maïs et
blé ont ainsi été réduites au profit des prairies temporaires d’association et la rotation maïs/blé/RGI 18
mois remplacée par une rotation longue maïs/triticale ou mélange céréalier/prairies temporaires
graminées-légumineuses de six à dix ans. Sur une partie de leurs prairies, les éleveurs ont
progressivement introduit dans l’association la fétuque et/ou le dactyle (voire parfois des mélanges plus
complexes) qui résistent davantage à la sécheresse et permettent à la fois de disposer d’herbe plus
précocement au printemps et de prolonger la pousse d’automne. La conduite des prairies, basée sur la
technique de pâturage tournant, est menée de manière à maximiser la pousse de l’herbe et le
rendement fourrager annuel (Voisin, 1957), tout en maintenant l’équilibre entre graminées et trèfle
blanc. De longues périodes de repousse sont ainsi respectées pour permettre à la prairie de réaliser sa
« flambée de croissance » ; leur durée est adaptée, comme le chargement et la durée de pâturage, à la
vitesse de croissance de l’herbe, variable selon les conditions pédoclimatiques et les saisons, tandis
que différentes techniques visent à stimuler la pousse de l’herbe, favoriser une repousse feuillue,
assurer l’entretien des prairies et piloter leur flore : utilisation de variétés tardives, déprimage à la
reprise du pâturage au printemps ; pâturage des prairies à ras, alternance de pâture et de coupe, etc.
(Civam, 2001).
La haute technicité développée par les éleveurs dans la gestion des prairies leur permet d’atteindre des
rendements fourragers élevés (de l’ordre de 9 t de MS par hectare). La ration des vaches, moins dense
sur le plan énergétique, n’autorise qu’un rendement laitier plus faible, mais présente l’avantage d’être
bien moins coûteuse. L’herbe des prairies temporaires de longue durée à base de légumineuses
constitue en effet plus de 80% des fourrages produits (deux fois plus que dans les systèmes avec
pâturage au printemps de prairies de graminée pure), et elle est prélevée pour les trois quarts
directement par l’animal au pâturage. Ces fourrages plus équilibrés en protéines et le plus faible objectif
de rendement laitier permettent par ailleurs de réduire fortement les achats de tourteau.

Des systèmes de production bovins laitiers marqués par une forte


différenciation structurelle
Si les systèmes de culture et d’élevage mis en œuvre au sein des systèmes de production de bovins
laitiers du Bocage vendéen présentent de grandes similitudes, les différences d’accès au foncier
(notamment la superficie par actif) ainsi qu’aux références laitières (quotas par hectare) ont conduit à
une différenciation marquée des systèmes de production.
Certains éleveurs ont réussi à compenser la faible surface dont ils disposaient (moins de 35 ha par actif
jusqu’à la fin des années 1990) en augmentant la production de lait par hectare, notamment grâce à
des investissements précoces dans l’irrigation. Ces unités de production ont pu se maintenir grâce à
une référence laitière relativement élevée par rapport à leur surface lors de la mise en place des quotas
en 1984, qui a été ensuite accrue grâce à un agrandissement modeste et à une reprise de quotas
importante lors du renouvellement des actifs. Disposant d’une référence aujourd’hui relativement
élevée, de l’ordre de 6000 à 7000 litres par ha de SAU, les éleveurs parviennent à réaliser ce haut
niveau de production en adoptant le zéro pâturage. Ces unités de production disposent d’une superficie
de 60 à 90 ha pour deux actifs, et sont équipées de 2×6 postes de traite. Lorsque les éleveurs

122 Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134


Les systèmes herbagers économes du Bocage Vendéen

disposent de moins de 35 ha par actif et irriguent toute la surface de maïs, la ration repose
intégralement sur l’ensilage de maïs et les rendements laitiers atteignent 9500 à 10 000 litres de lait
(système de production (SP) 1). Avec 35 à 45 ha par actif, mais sans accès à l’irrigation, les éleveurs
maintiennent 20% d’ensilage d’herbe dans une ration basée sur le maïs fourrage, qui permet
d’atteindre un rendement laitier de 9000 à 9500 litres (SP2).
La plupart des éleveurs de la région ont pu s’agrandir davantage et passer de 35 à 45 ha par actif dans
les années 1990, à 40 à 60 ha aujourd’hui, avec des références laitières par unité de surface toutefois
plus modestes, de l’ordre de 4000 à 5000 litres/ha de SAU. Si l’irrigation est le plus souvent utilisée, les
équipements, et parfois la dispersion du foncier liée aux agrandissements successifs, ne permettent
généralement pas d’irriguer plus de 50% de la surface en maïs. Les éleveurs continuent à pratiquer un
pâturage de printemps, période de l’année où la pousse de l’herbe est la plus rapide et les besoins du
troupeau moindres, puisque les vaches sont en fin de lactation (vêlages d’automne). L’essentiel de la
production laitière est réalisée en automne et en hiver, grâce à une alimentation reposant sur trois
quarts d’ensilage de maïs et un quart d’ensilage d’herbe, largement complétés de tourteaux de soja et
de céréales, qui permet d’atteindre des rendements laitiers de 8500 à 9000 litres. Les inégalités
d’accès aux ressources, notamment au foncier, ont néanmoins présidé à des trajectoires d’exploitations
distinctes et conduit à une différenciation des systèmes de production reposant sur des niveaux
d’équipement et des gammes de taille de troupeau et de superficie distincts :
- système mis en œuvre par des exploitations à un actif disposant de 50 à 60 ha équipées d’une
salle de traite 2×4 postes (SP3) ;
- systèmes développés par des exploitations de 80 à 100 ha à deux actifs, équipées de 2×5
postes de traite, où les veaux mâles sont engraissés afin d’accroître la production et le revenu
par hectare (SP4) ;
- systèmes mis en œuvre par des exploitations de 100 à 120 ha à deux actifs, équipées de 2×6
postes de traite et qui vendent leurs veaux mâles à huit jours (SP5);
- système développé par des exploitations de 135 à 165 ha à trois actifs, équipées d’une salle de
traite de 2×8 postes, où les veaux mâles sont élevés en taurillons (SP6).
Les éleveurs de la région qui étaient à la tête des exploitations les plus grandes dans les années 1960
ont eu la possibilité d’accroître encore la taille de leur exploitation. Ces unités de production, aujourd’hui
de 220 à plus de 300 ha répartis en plusieurs îlots, sont conduites par 4 actifs et rassemblent des
quotas laitiers considérables (de 750 000 à plus d’un million de litres). La taille importante des
troupeaux (90 à 140 vaches) a conduit les éleveurs à acquérir des équipements de traite performants
(au moins 20 postes de traite voire robot), à automatiser la distribution d’une partie de l’alimentation et
à réduire le pâturage au printemps à deux mois, la surface de pâture accessible aux vaches en
production étant limitée par le morcellement du parcellaire. Sur une superficie importante - de 220 à
260 ha avec une sole de maïs entièrement irriguée (SP7) et jusqu’à 280 à 340 ha avec seulement la
moitié de la superficie en maïs irriguée (SP8) - ces éleveurs mettent en œuvre un système d’élevage
basé sur l’ensilage de maïs qui leur permet d’atteindre un niveau de production laitière élevé par unité
de surface fourragère. Ils ont développé des cultures de vente sur le restant de la superficie. Les
interactions entre le système d’élevage et le système de culture de vente sont relativement faibles car
les flux internes au système de production se limitent à la paille, à la fumure et à la main d’œuvre lors
des pointes de travail. Même si la coexistence des deux systèmes procure une meilleure résilience face
à des évolutions contrastées des prix des produits végétaux et animaux, les logiques de
fonctionnement demeurent dissociées. Plutôt que d’un véritable système de polyculture-élevage, il
s’agit d’une double spécialisation élevage bovin laitier et grandes cultures, ces dernières occupant la
moitié des terres et le travail d’un à deux actifs spécialisés.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134 123


N. Garambois et S. Devienne

Une différenciation moins marquée pour les systèmes herbagers


L’analyse de la différenciation des systèmes de production révèle que, jusqu’en 1990, les éleveurs qui
se sont ensuite engagés dans un système herbager avaient connu le même type d’évolution que leurs
collègues. Le passage en système herbager, véritable changement de voie de développement, n’a pas
été déterminé par un accès particulier aux facteurs de production. En revanche, ces exploitations ont
connu depuis une évolution structurelle très différente, caractérisée par un agrandissement bien plus
modéré que les autres unités de production. Au sein de ces systèmes herbagers, tous aujourd’hui à
neuf mois de pâturage, une certaine différenciation peut être observée, selon la superficie par actif et
les quotas laitiers par hectare de SAU dont bénéficiaient les éleveurs avant leur transition.
Les éleveurs qui travaillaient dans de petites unités de production équipées d’irrigation dès la fin des
années 1970, disposaient, avant leur passage en système herbager, de moins de 20 ha par actif et
d’importantes références laitières par unité de surface. Ils mettent aujourd’hui en œuvre, au sein
d’unités de production de 45 à 60 ha pour un et demi à deux actifs, un système herbager caractérisé
par un rendement laitier relativement élevé (7500 litres par vache), grâce au recours resté un peu plus
important à l’ensilage de maïs et aux compléments protéiques et céréaliers. Leur équipement est resté
modeste, 2×4 postes de traite (Herb1).
Les autres éleveurs, à la tête d’exploitations plus grandes en 1990 (20 à 30 ha par actif) ne se sont
jamais équipés d’irrigation et réalisent leurs quotas (plus faibles par unité de surface) avec des
rendements laitiers un peu moindres, en fournissant moins d’ensilage de maïs, de céréales et de
tourteau au troupeau en automne et en hiver. Deux systèmes de production peuvent être distingués
parmi ces exploitations. Certains de ces agriculteurs ont maintenu un rendement laitier de 6000 à 6500
litres par vache et disposent de la surface et de la main d’œuvre suffisantes pour engraisser une partie
des veaux en bœufs ou génisses, qui permettent de valoriser les refus du troupeau laitier sur les
prairies, tout en nécessitant bien moins de complémentation que les taurillons. Ce système est mis en
œuvre au sein d’exploitations qui comptent trois actifs pour 90 à 120 ha, équipées d’une salle de traite
2×6 postes (Herb2).
Après le passage à un système herbager, certains de ces éleveurs sont passés en agriculture
biologique dès la fin des années 1990. Le prix du lait supérieur et la recherche d’un rendement laitier
relativement important, de l’ordre de 6500 à 7000 litres, ont permis de maintenir le revenu de ces
éleveurs sans agrandissement important; ces systèmes de production sont aujourd’hui mis en œuvre
au sein d’unités de production qui comptent 60 à 80 ha pour deux à deux actifs et demi et sont
équipées de 2×5 postes de traite (Herb3).
Le choix de s’orienter vers un système herbager a également permis à certains éleveurs, au cours des
années 2000, de s’installer de manière individuelle sur des exploitations laitières de petite taille, 40 à 50
ha avec moins de 200 000 litres de quotas, qui, sans le passage en système herbager, n’auraient pas
pu être reprises et dont la cessation d’activité aurait permis l’agrandissement d’unités de production
plus vastes. Ces éleveurs équipés de 2×4 postes de traite ont conservé ces superficies et quotas
modestes et mettent aujourd’hui en œuvre un système herbager à rendement laitier de 6000 à 6500
litres, sans pratiquer d’engraissement (Herb4).
Le développement de systèmes herbagers économes dans le Bocage vendéen a ainsi concerné des
exploitations mettant initialement en œuvre des systèmes de production variés, tant sur le plan de la
superficie, des équipements ou des performances techniques. Le ralentissement de l’agrandissement
des unités de production qui a accompagné le passage en système herbager a conduit à une
différenciation structurelle moins marquée (exploitations de 40 à 120 ha, équipements de traite de 2×4 à
2×6 postes) qui s’exprime par des écarts de superficie par actif limités entre ces différents systèmes.

124 Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134


Les systèmes herbagers économes du Bocage Vendéen

Des agriculteurs privilégiant la création de valeur ajoutée


Une valeur ajoutée nette élevée et de moindres subventions
La modélisation des résultats économiques est ici basée sur le système de prix de 2006, retenu plutôt
que celui des années 2007 à 2009, marquées par de fortes variations des prix des produits agricoles et
des intrants. La Figure 1 compare les résultats économiques des principaux systèmes herbagers à neuf
mois de pâturage du Bocage vendéen avec ceux des autres systèmes de production bovins laitiers de
la région. Nous avons choisi à cet effet, afin de rendre la comparaison plus aisée, de ne retenir que
certains de ces systèmes, qui sont représentatifs des différents grands types de fonctionnement et
niveaux de performances techniques atteints : système en zéro pâturage d’une part (SP1) ; systèmes
avec pâturage de printemps d’autre part, avec vente des veaux à huit jours (SP5) ou engraissement
des veaux mâles en taurillons (SP6) ; système à double spécialisation élevage bovin laitier et grandes
cultures (SP8).
Les systèmes à neuf mois de pâturage dégagent dans leur ensemble un Produit Brut (PB) par hectare
inférieur à celui des autres systèmes de production de la région. Ils se caractérisent en revanche par
une moindre érosion du PB dans la formation de la Valeur Ajoutée Nette (VAN). La VAN représente
ainsi 35 à 55% du PB pour ces systèmes herbagers, alors qu’elle ne dépasse pas 25% du PB pour les
autres systèmes de production. Les systèmes herbagers dégagent les VAN par hectare les plus
élevées (1,5 à 3 fois celle des autres systèmes laitiers) et, pour ces systèmes, la VAN contribue à plus
de 85% du Revenu Brut (RB), contre moins de 65 % pour les autres systèmes et moins de 50% pour
certains d’entre eux (Figure 1).
La part plus importante que représente la valeur ajoutée au sein du produit brut s’explique par la forte
réduction des coûts de production opérée par les éleveurs herbagers. Ces économies reposent d’une
part sur de faibles coûts d’implantation et de conduite des prairies : semences peu onéreuses pour des
prairies d’une durée de cinq à dix ans, consommation d’engrais et de pesticides quasi nulle,
prélèvement direct de l’herbe par l’animal plutôt que des fourrages récoltés et conservés. Les prairies
riches en légumineuses offrent de plus une alimentation équilibrée aux vaches laitières (Voisin, 1957)
et permettent de réduire considérablement le recours aux compléments protéiques achetés. Les
consommations intermédiaires ne représentent ainsi que 30 à 40% du PB, alors qu’elles atteignent 55 à
65% du PB pour les autres systèmes de production. Parallèlement les travaux culturaux moins
importants se traduisent par de plus faibles besoins d’équipement et une consommation annuelle
moyenne de capital fixe inférieure (Figure 1).
Les systèmes herbagers reçoivent deux fois moins de subventions par hectare, Aide Découplée Laitière
(ADL) comprise et hors éventuel Contrat d’Agriculture Durable (CAD) (Figure 1). Les autres agriculteurs
perçoivent en effet des aides importantes liées aux superficies en maïs fourrage et en cultures de
vente, qui sont beaucoup plus étendues au sein de leurs systèmes de production. La part des
subventions dans le revenu brut à l’hectare des principaux systèmes de production de la région atteint
55 à 75%, tandis qu’elle n’atteint que 25 à 45% pour les systèmes herbagers. Le développement de
systèmes à double spécialisation bovin laitier et grandes cultures, qui constituent l’étape la plus récente
de la progression continue de la productivité physique du travail dans la région, conduit à un
renforcement de ces inégalités de soutien, le revenu des agriculteurs mettant en œuvre ces systèmes
reposant à hauteur de plus de 85% sur les subventions.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134 125


N. Garambois et S. Devienne

Figure 1 : Résultats économiques par unité de surface des principaux types de systèmes de production bovins
laitiers du Bocage vendéen

Source : enquêtes et calculs des auteurs.

La valeur ajoutée nette par actif, qui mesure la productivité économique du travail, et le revenu brut par
actif peuvent être représentés sur un graphique en fonction de la superficie par actif, permettant ainsi la
comparaison des performances économiques des différents systèmes de production. Cette
représentation repose sur la modélisation du fonctionnement technique de chaque système de
production, à partir de laquelle sont reconstruites, dans un second temps, les performances
économiques du système. Chaque segment de droite correspond à un système de production donné.
(cf. Annexe)
Le graphique montre que les différents segments au sein de chacun des sous-ensembles herbagers et
non herbagers s’ordonnent selon une pente décroissante à mesure que la gamme de superficie
s’accroît, ce qui traduit le fait que les exploitations dotées d’une plus grande superficie par actif mettent
en œuvre des systèmes qui se caractérisent par une intensité en travail et/ou en capital moindre par
unité de surface et dégagent une valeur ajoutée nette et un revenu par hectare plus faibles (Figure 2).
Cependant, les deux sous-ensembles se distinguent clairement par le fait que les systèmes herbagers
à neuf mois de pâturage (herb1, herb2 et herb4, systèmes bénéficiant d’un prix du lait standard)
permettent de dégager une valeur ajoutée nette par actif nettement supérieure à celle des autres
systèmes de production (de 22 000 à 32 000 euros, contre 11 000 à 24 000 euros), sur des superficies
par actif globalement moins importantes.

126 Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134


Les systèmes herbagers économes du Bocage Vendéen

Figure 2 : Modélisation de la valeur ajoutée nette par actif en fonction de la superficie par actif pour les différents
systèmes de production bovins laitiers identifiés

Source : calculs des auteurs.

Malgré une valeur ajoutée nette par actif plus élevée, les systèmes herbagers enregistrent un revenu
brut par actif comparable à celui des autres systèmes de la région (Figure3), situation qui s’explique par
le fait qu’ils bénéficient d’un soutien par actif nettement inférieur, de l’ordre de 6000 à 11 000 euros,
contre 17 000 à 34 000 euros pour les systèmes avec pâturage de printemps ou en zéro pâturage.

Figure 3 : Modélisation du revenu brut par actif en fonction de la superficie par actif pour les différents systèmes
de production bovins laitiers identifiés

Source : calculs des auteurs.

Des systèmes intensifs en termes de création de richesse


Les éleveurs herbagers ont ainsi réalisé une réduction de leurs coûts bien supérieure à celle de leur
produit brut, ce qui leur permet de créer une valeur ajoutée par hectare élevée et in fine de disposer
d’un revenu par hectare supérieur à celui des systèmes reposant peu sur le pâturage, en dépit d’un
soutien bien moindre. Grâce à cette évolution positive, ils ont été en mesure de maintenir leur revenu

Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134 127


N. Garambois et S. Devienne

tout en limitant leur agrandissement. La recherche d’un niveau relativement élevé de production
réalisée de la façon la plus économe et autonome possible inscrit ces systèmes herbagers dans une
démarche d’agro-écologie, qui n’est « pas intéressée par la maximisation de la production d’une denrée
particulière, mais plutôt par l’optimisation de l’ensemble de l’agro-écosystème » et où l’« accent est mis
sur la pérennité écologique plutôt que sur la productivité à court terme » (Altieri, 1986).
Ces prairies d’association conduites sans azote de synthèse ont des effets « précédent » positifs sur
l’état physique, chimique et biologique du sol dont peut profiter la culture suivante dans la rotation:
amélioration de la structure, et enrichissement en azote du sol, préservation de la micro- et macrofaune
qu’il abrite (Voisin, 1960 ; Bourguignon, 2002), lutte contre les adventices (Munier-Jolain et al, ce
colloque) et élimination des pathogènes des cultures. Ces effets « précédent » ont permis aux éleveurs
de réduire fortement les apports d’azote de synthèse ainsi que les applications de pesticides sur les
cultures annuelles, tout en atteignant un rendement de 50 à 55 quintaux par ha (q/ha) pour les céréales
à paille (au lieu de 65 à 70 q/ha dans la région) et en conservant une production moyenne de 12 t de
MS/ha pour le maïs fourrage non irrigué. La VAN par litre de lait8 enregistrée en système herbager à
neuf mois de pâturage bénéficiant d’un prix du lait standard (herb2) atteint deux à trois fois celle des
systèmes reposant peu ou pas sur le pâturage (Figure 4). Cet écart élevé ne s’explique pas seulement
par la plus longue durée de pâturage. Il est aussi le résultat du caractère systémique des économies
réalisées grâce au type de prairies implantées, à leur mode d’exploitation et aux rotations mises en
œuvre. L’obtention d’un prix du lait supérieur grâce au passage en agriculture biologique (Herb3)
renforce cet écart, sans pour autant permettre une augmentation aussi marquée.

Figure 4 : Valeur ajoutée nette par litre de lait et production de lait par hectare de SAU et de SFP caractérisant
les principaux types de systèmes de production

Source : Enquêtes et calculs des auteurs.

Les systèmes bovins laitiers herbagers, en permettant d’atteindre une valeur ajoutée par hectare et un
revenu par hectare élevés, témoignent du fait que le recours à la prairie et au pâturage n’est pas
nécessairement synonyme d’extensivité. Offrant des revenus par actif similaires à ceux des autres
systèmes de production pour des gammes de superficie équivalente ou inférieure malgré de plus faibles

8 La VAN par litre de lait isole ici la seule richesse créée par la production laitière et la vente des vaches de
réforme. Elle ne tient pas compte des productions, consommations intermédiaires et consommations de capital
fixes imputables aux activités d’engraissement (taurillons, génisses, bœufs) et aux grandes cultures.

128 Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134


Les systèmes herbagers économes du Bocage Vendéen

subventions, ils montrent leur aptitude à maintenir des actifs moins soutenus financièrement sur de
petites surfaces : il s’agit donc bien de systèmes intensifs, non pas sur le plan de la production, mais
sur celui de la richesse créée par unité de surface.

Les perspectives de l’élevage bovin laitier du Bocage vendéen : Quelle place


pour les pratiques herbagères économes ?
Le récent bilan de santé de la PAC, qui s’est accompagné de la réorientation de certains soutiens vers
l’« élevage à l’herbe », ne s’est pas traduit par un rééquilibrage en faveur des systèmes herbagers
économes qui, du fait des surfaces moins importantes sur lesquelles ils sont mis en œuvre, continuent à
subir de nettes inégalités de soutien. L’écart est particulièrement marqué avec le système de production
à double spécialisation bovin laitier et grandes cultures au sein duquel l’actif agricole dégage en
moyenne un produit brut double de celui atteint avec un système à neuf mois de pâturage, mais crée
une valeur ajoutée 40% plus faible en mobilisant deux fois plus de surface agricole, pour dégager le
même revenu par actif, mais comprenant trois fois plus de soutiens publics. Ces résultats invitent à
reconsidérer l’assimilation souvent faite entre productivité physique et productivité économique du
travail et à s’interroger sur la pertinence sociale, économique et écologique de cette logique de
développement agricole.
La mise en œuvre dans le Bocage vendéen des systèmes herbagers économes, caractérisés par un
ralentissement de la substitution de capital au travail, a conduit à freiner la diminution de la valeur
ajoutée créée par hectare et par actif ces vingt dernières années (Figure5), permettant une progression
moins rapide de la superficie par actif et ainsi, depuis 1990, le maintien en moyenne de 50% d’emplois
agricoles en plus.

Figure 5 : Evolution comparée par hectare et en monnaie constante du produit brut, des consommations
intermédiaires et de capital fixe, de la valeur ajoutée nette et des subventions perçues* chaque année entre 1990
et 2009, en système de production 6 et herbager 2**
* CAD inclus en système herbager de 2004 à 2008
** issus de la différenciation du même système de production initial à la fin des années 1980, mis en œuvre à l’époque au
sein d’exploitations à trois actifs de 60 à 90 ha

Source : calculs des auteurs.

Grâce à un niveau d’investissement et à des besoins en trésorerie moindres, l’adoption de ces


systèmes de production a par ailleurs constitué, pour certains agriculteurs initialement moins bien dotés
en facteurs de production, une alternative viable à la cessation d’activité. Leur développement apparaît

Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134 129


N. Garambois et S. Devienne

donc comme une option efficace pour limiter l’érosion du nombre d’actifs agricoles. Celle-ci nécessite
cependant de bénéficier d’un parcellaire suffisamment groupé, ce qui, à l’exception de très vastes
unités de production, est le cas de nombreuses exploitations dans cette région où le remembrement a
été précoce et particulièrement abouti.
Ces systèmes permettent d’autre part de substantielles réductions au niveau de l’utilisation d’engrais
azoté de synthèse, de carburant et de pesticides. Pour une même gamme de production laitière par
hectare de SAU, les quantités d’ammonitrate et de pesticides consommées par litre de lait produit sont
réduites d’un facteur dix et celle de carburant de 60%. Par ailleurs, la très large majorité des
exploitations en système herbager n’irrigue pas le maïs, dont la surface a de toute façon été
massivement réduite. Enfin, le recours accru au pâturage implique le maintien et l’entretien des haies
qui participent à la constitution d’un paysage bocager harmonieux (Béranger, 2002).
Les conditions d’installation en système herbager se révèlent favorables car le niveau de capital
nécessaire à l’installation sur de plus petites structures, dont la logique de production nécessite peu de
matériel, facilite les installations hors cadre familial. Le métier d’agriculteur proposé est d’autant plus
attractif que le volume de travail est réduit (jusqu’à 25% de réduction de la durée hebdomadaire de
travail dans le Bocage vendéen) et garantit une plus grande parité avec les autres secteurs d’emploi en
termes de rémunération horaire. Les tâches sont différentes : le travail est plus régulier toute l’année et
repose en grande partie sur une observation fine des prairies et l’acquisition de nouveaux savoir-faire
permettant une conduite ajustée du troupeau au pâturage tournant sur prairies d’association.
L’autonomie qu’il confère aux agriculteurs, tant dans le fonctionnement technique que dans la
constitution du revenu, ainsi que la réduction de consommations d’intrants potentiellement polluants
constituent autant d’éléments incitatifs pour des candidats à l’installation (Jouin, 1999).
Le découplage des aides PAC et la construction par les éleveurs d’un référentiel technique local
contribuent néanmoins aujourd’hui à créer des conditions techniques et économiques qui semblent
désormais plus incitatives au passage en système herbager. Celui-ci requiert néanmoins un savoir-faire
particulier, qui demeure peu enseigné et vulgarisé dans les circuits classiques d’enseignement et de
vulgarisation agricole (lycées agricoles, chambres d’agriculture, agrofourniture, contrôle laitier). Sans
cet appui « institutionnel », beaucoup d’éleveurs n’osent vraisemblablement pas s’engager dans une
refonte en profondeur de leur système.

Conclusion
L’analyse-diagnostic conduite dans la région a ainsi permis de mettre en évidence deux logiques de
développement radicalement différentes : d’un côté des systèmes de production basés sur un niveau de
production et de nombre d’animaux par hectare et par actif toujours plus élevés, grâce à un recours
important aux consommations intermédiaires (engrais de synthèse, pesticides, compléments azotés,
carburant…) et à l’adoption d’équipements performants et coûteux ; de l’autre des systèmes qui
privilégient la recherche d’une haute valeur ajoutée par hectare par la diminution des consommations,
grâce à l’utilisation de prairies associant graminées et légumineuses, et à une place très importante
accordée au pâturage, dont la conduite s’appuie sur une observation attentive de la pousse de l’herbe
afin d’optimiser l’utilisation des ressources de la prairie.
Les systèmes herbagers économes sont de véritables systèmes de polyculture-élevage qui cherchent à
utiliser au mieux le fonctionnement de l’écosystème (cultures pluriannuelles, associations à base de
légumineuses, utilisation de l’effet précédent cultural, récolte directe par les animaux…), privilégiant
ainsi l’autofourniture de moyens de production et réduisant au maximum le recours à des intrants qui
sont de plus en plus coûteux et dont les effets polluants, pour certains d’entre eux, ne sont plus à
démontrer. Cette étude comparative a permis de montrer que, dans des conditions pédoclimatiques qui
ne sont pourtant pas optimales, ces systèmes herbagers, qui relèvent de l’agro-écologie, sont intensifs

130 Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134


Les systèmes herbagers économes du Bocage Vendéen

au plan de la création de valeur ajoutée et moins dépendants des aides publiques pour la réalisation de
leur revenu. Leurs performances économiques élevées ont permis le maintien d’un plus grand nombre
d’emplois agricoles sans accès à des prix à la production supérieurs.
En l’absence, au début des années 1990, de référentiel technique local et d’un franc soutien
institutionnel, leur mise au point doit beaucoup à la persévérance des éleveurs et à une réflexion de
groupe. Dans un contexte de hausse du prix des matières premières et des dérivés du pétrole et à
l’heure où l’agriculture doit plus que jamais prendre en compte les paramètres environnementaux, ces
systèmes herbagers constituent une alternative innovante et performante, offrant aux éleveurs laitiers
du Bocage vendéen un compromis rentable entre production et préservation des ressources. Si l’enjeu
du développement agricole consiste désormais à utiliser au mieux le fonctionnement des écosystèmes
sans en compromettre la reproduction (Griffon, 2010), les performances de ces systèmes invitent à
réfléchir à l’adaptation de cette logique herbagère à d’autres régions d’élevage en France. Loin d’être
un « paquet technique » à diffuser, les systèmes herbagers économes offrent une voie de réflexion
stimulante pour la recherche. Encore faut-il pour promouvoir le développement de tels systèmes, qui
conjuguent « productivité économique et pertinence écologique » (Hervieu, 2002), qu’une véritable
recherche-développement soit mise en place afin d’aider à la définition de référentiels techniques
adaptés aux conditions agro-pédologiques spécifiques de chaque région, accompagnée de mesures de
politique agricole plus incitatives.

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132 Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134


Les systèmes herbagers économes du Bocage Vendéen

Annexe : Détail des calculs du revenu brut par actif familial pour un système de production

PB Produit Brut Ex. Lait, viande, vente céréales


- CIp Consommations intermédiaires proportionnelles Ex. Aliments du bétail, engrais
- Consommations intermédiaires non proportionnelles Ex. Frais de gestion, cotisations
CInp

= VAB Valeur Ajoutée Brute


- CKp Consommations de capital fixe proportionnelles Dépréciation annuelle des
- Consommations de capital fixe non proportionnelles équipements/bâtiments
CKnp

= VAN Valeur Ajoutée Nette


- L Fermage (proportionnel à la surface)
- Int p/np Intérêts des emprunts (proportionnels/non prop.)
- Impôts et taxes (proportionnels/non prop.)
Imp p/np
- Paiement de la main d’œuvre salariée, charges sociales incluses (prop./non prop.)
Mw p/np
+ Subventions (généralement proportionnelles à la surface)
Subv

= RB Revenu Brut agricole

Pour chaque système de production, caractérisé par un niveau de ressources et une combinaison spécifique de
systèmes de culture et d’élevage, la modélisation du fonctionnement technique du système de production ouvre
la voie à une modélisation des résultats économiques en lien avec ce fonctionnement technique. Il est possible à
partir de la conduite précise des différents systèmes de culture et d’élevage d’écrire les principales constantes
économiques caractéristiques de ce système de production par hectare ou par vache laitière.

Exemple de calcul pour une culture d’un système de culture pratiqué dans un système de production donné :

PB/ha = rendement à l’hectare (qui dépend de la localisation des parcelles, des itinéraires techniques et de
la succession culturale pratiqués) × prix moyen (qui dépend de la période de vente, de la qualité du
produit, etc.)

CIp/ha = frais de semences, engrais, amendements, pesticides, CUMA et entreprise par hectare (qui
dépendent des itinéraires techniques spécifiques à ce système de culture et à ce système de
production (selon les équipements en propriété dont disposent les agriculteurs), tant pour les
quantités consommées que pour la nature des biens et leur prix unitaire)

Un raisonnement semblable permet de calculer ces grandeurs par vache pour chaque système d’élevage, sur la
base de ses caractéristiques techniques.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134 133


N. Garambois et S. Devienne

Les équipements et bâtiments sont une caractéristique de chaque système de production et leur dépréciation
annuelle liée à l’usure (qui équivaut à une consommation annuelle moyenne de capital fixe) est facilement
évaluable :
CKp/ha = (prix d’achat – prix de revente) / nombre d’année d’usage, exprimé en monnaie constante et par
hectare
Sur la base des principales constantes économiques calculées par hectare ou par vache laitière, il est possible
pour un système de production donné de représenter la Valeur ajoutée Nette par actif et le Revenu Brut
agricole par actif familial en fonction de la superficie/actif de manière simple :

VAN/A = (PB/ha – CIp/ha – CKp/ha) x S/A – (CInp + CKnp)/A

RB/Af = (PB/ha – CIp/ha – CKp/ha – L/ha – Intp/ha – Impp/ha – Mwp/ha + Subv) x S/Af – (CInp + CKnp –
Intnp/ha – Impnp/ha – Mwnp/ha)/A

où : A est le nombre d’actifs de l’exploitation et Af celui des seuls actifs familiaux ;

S/A et S/Af sont respectivement les superficies par actif et par actif familial.

134 Innovations Agronomiques 22 (2012), 117-134


Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157

Un exemple de gestion de systèmes de polyculture élevage à l’échelle de


territoires : le cas des protéagineux et de l’élevage de monogastriques en
Bourgogne

Petit M.-S.1, Challan-Belval C.1, Blosseville N.2, Blancard S.3, Castel T.4, Lecomte C.5, Duc G.5
1- Chambre régionale d’Agriculture de Bourgogne, 3 rue du Golf, F-21800 Quétigny, France
2- UNIP, 12 avenue Georges 5, F-75008 Paris, France
3- AgroSup Dijon, UMR 1041 CESAER, 26 Bd Dr Petitjean, F-21000 Dijon, France

4- Centre de Recherches de Climatologie, UMR 5210 CNRS/Univ. Bourgogne, F-21000 Dijon, France

5- INRA, UMR 1347, Agroécologie, BP86510, F-21065 Dijon Cedex, France

Correspondance : duc@dijon.inra.fr

Résumé :
Même si sont présentes en Bourgogne des zones importantes de grandes cultures, les protéagineux y
sont néanmoins peu développés. Concernant l’élevage de monogastriques, la région se caractérise par
une activité volaillère de taille moyenne comparée au niveau national, orientée vers des productions
sous signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) et une activité porcine peu conséquente.
Malgré i) une tendance à la colocalisation des productions de protéagineux et de viandes blanches à
l’échelle du territoire et des exploitations et ii) une utilisation prépondérante des protéagineux par les
élevages monogastriques bourguignons, il n’y a toutefois pas de lien fonctionnel fort entre ces deux
activités, et la région est même exportatrice de protéagineux alors qu’elle importe beaucoup de
tourteaux de soja. Dans ce travail, nous nous interrogeons sur les conditions d’un renforcement du lien
entre activités sur protéagineux et monogastriques. En matière de production de protéagineux, les
innovations variétales (notamment en types hiver) et en nouveaux systèmes de culture, permettent
d’identifier des possibilités d’extension de surfaces et volumes produits. Les préoccupations
environnementales et l’augmentation des productions animales sous SIQO peuvent participer à
l’accentuation de ce lien fonctionnel, mais à condition de bien identifier, maîtriser et valoriser ces
contributions aux impacts environnementaux et aux qualités. En outre, un tel contexte renforcera une
logique de circuits courts amplifiant le lien entre acteurs d’amont et d’aval, et cela d’autant plus que les
cahiers des charges appelant à la traçabilité et à des qualités certifiées seront contraignants. Dans cette
concurrence entre une demande sociétale et une logique mondiale de prix de matières premières, de
simplification et massification des systèmes, les politiques publiques et la réglementation joueront un
rôle majeur. C’est ainsi que dans le domaine des productions biologiques en fort développement en
Bourgogne, on voit actuellement s’amplifier une logique de territoire et des interactions entre acteurs qui
se structurent autour de la définition de zones de production, d’objectifs quantitatifs et de cahiers des
charges sur la qualité des productions.
Mots-Clés : Protéagineux, cultures d’hiver, pois, Pisum sativum, féverole, Vicia faba, élevages
monogastriques, porcs, volailles, polyculture-élevage, idéotypes, agriculture biologique, qualité,
environnement, filières, territoire, Bourgogne

Abstract: The management of crop-livestock systems at a territory level: the example of grain
legume crops and of monogastric livestock in Burgundy, France
Although cereals and oil seed crops are very developed in Burgundy, the area of grain legumes
cultivation is small. Concerning monogastric livestock, the region is characterised by a medium size
poultry production focussed on markets under quality and origin signs (SIQO) and a relatively small pig
production. Although a tendency of co-location of these productions can be observed (at territory and
farm scales) and some animals consume locally-produced proteins, there is no strong functional link
M.S. Petit et al.

between these crops and animal activities. This situation is confirmed by the fact that a significant
proportion of produced grain legumes are exported by Burgundy, while large quantities of soybean meal
are imported. The aims of our study were to analyze i) the link between the cultivation of protein crops
and the monogastric livestock and ii) the possibilities of strengthening this link thanks to innovations. On
this last point, the innovations in terms of varieties (particularly in winter types) and the new cropping
systems make it possible to identify new production areas and additional volumes. Moreover,
environmental requirements and increase of SIQO productions may amplify the functional links on the
condition of identifying, monitoring and highlighting the benefits of protein crops from environmental and
quality viewpoints. This context can also help to develop mechanisms of local circuits and to strengthen
the link between upstream and downstream stakeholders - all the more so as traceability criteria and
quality certification will be constraining. However, these trends which answer to the new societal
requirements will compete with world prices of raw agricultural products and the world tendency toward
simplified and massive systems and homogenized practices. Thus, public policy and regulation have a
crucial role. The development of organic production activity in Burgundy, in which we observe some
interactions between stakeholders structured around the definition of production zones, quantitative
targets and quality criteria can illustrate these trends.
Keywords: grain legumes, winter crops, pea, Pisum sativum, fababean, Vicia faba, monogastric
livestocks, pig, poutry, crop-livestock systems, ideotypes, organic farming, quality, environment,
stakeholders, territory, Burgundy

Introduction : Historique et nouvelles attentes sur la filière protéagineuse


Pois et féverole sont les principales légumineuses à graines protéagineuses françaises utilisées depuis
longtemps en alimentation animale et humaine. L’historique bourguignon du début du XXème siècle a été
marqué par le développement d’une production de farines de fèves destinées à la panification, qui
quitta la région dans les années 1950. La filière protéagineuse à destination de l’alimentation animale
est une filière jeune née en France et en Europe de la crise de fourniture du soja en 1973. Les progrès
génétique et agronomique, combinés aux aides communautaires, ont permis un rapide et fort
développement des productions jusqu’en 1993, pour culminer à cette date à 750 000 ha en France,
dont 30 000 ha en Bourgogne, surtout positionnés dans l’Yonne et la plaine de la Saône. A cette
époque, les cultures de printemps représentaient 90% des surfaces de protéagineux françaises. Depuis
cette date, et sous l’effet de la réduction des aides et des effets négatifs de stress biotiques et
abiotiques qui ont affecté les rendements (impact négatif fort du pathogène racinaire Aphanomyces
euteiches sur pois, qui a rendu impossible des retours de cette culture sur de nombreuses bonnes
terres), les surfaces en collecte se sont fortement réduites (atteignant 270 000 ha en France en 2010,
dont 16 000 ha en Bourgogne). Même si les protéagineux en Bourgogne ont suivi les tendances
nationales, ces dernières années sont marquées par un développement plus important de cultures
d’hiver (les surfaces en cultures d’hiver approchent 27% de l’ensemble des protéagineux, alors qu’elles
sont proches de 20% au niveau national).
Les préoccupations environnementales et de nouvelles attentes sociétales sont récemment venues
renforcer l’intérêt pour les protéagineux européens (Guéguen et al., 2008) dont notamment :
- une recherche d’autonomie et de sécurité alimentaire. Les crises de la fourniture et du prix du soja en
1973, puis de la vache folle en 2000, ont bien souligné l’importance de construire une ressource
propre de protéines végétales pour l’alimentation humaine et animale à visée sécuritaire, à la fois
pour la quantité et la qualité des approvisionnements. En effet, une production de proximité renforce
les possibilités de traçabilité, et de convergence production/usages sur des normes et étiquetages de
la qualité.
- des attentes environnementales liées aux risques du changement climatique (protocole de Kyoto et
en France, Grenelle de l’Environnement). La culture de légumineuses s’accompagne d’empreintes

136 Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157


Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne

environnementales favorables (Munier-Jolain et Carrouée, 2003 ; AEP, 2004 ; CGDD, 2009 ; Duc et
al., 2011) dont notamment celles liées à l’azote : en effet l’utilisation des engrais azotés en agriculture
entraîne d’importantes émissions de CO2 notamment lors de la fabrication des engrais, et de N2O par
les sols fertilisés. Les émissions de ces gaz à fort pouvoir à effet de serre sont significativement
réduites par l’introduction de légumineuses dans les systèmes de culture, car, par leur capacité à
établir au niveau de leurs racines une symbiose fixant l’azote de l’air, ces espèces ne nécessitent pas
de fertilisation azotée. Mais cette qualité environnementale intrinsèque aux légumineuses ne peut être
bien valorisée, si l’ensemble du système de production n’est pas cohérent, ainsi que l’illustre le cas du
soja. En effet, la source majeure de protéines pour les élevages mondiaux est actuellement apportée
par des cultures de soja concentrées sur le Brésil et les USA qui engendrent la déforestation de
certaines zones du globe et des besoins de transports de matières premières sur de longues
distances. Ainsi le développement de systèmes de productions et d’élevages moins dépendants du
soja et intégrant davantage dee protéagineux en Europe, présente des atouts environnementaux
reconnus.
- un besoin mondial pour l’alimentation humaine croissant et déficitaire. La bonne valeur nutritionnelle
des graines de légumineuses pour l’homme est établie. Elle résulte notamment de leur richesse en
protéines (GEPV, 2012), même si d’autres constituants de la graine ont aussi une valeur
nutritionnelle et santé (Champ et al., 2002). La production de protéines animales est facteur de
pertes et une part des matières premières utilisées dans l’alimentation des animaux
monogastriques pourrait être utilisée directement dans l’alimentation humaine. A titre d’exemple, un
porc à l’engraissement recevant une ration de base de céréales et tourteaux de soja, retient environ
32% de l’azote qu’il ingère (Dourmad et al., 1999). Ainsi, face aux besoins d’une population
humaine mondiale estimée prochainement à 9 milliards d’individus, il y a actuellement une remise
en cause des régimes alimentaires très carnés des pays développés pour revenir à des régimes
davantage basés sur les végétaux (Prospective AgriMonde, INRA-CIRAD, 2009 ; EU, The 3rd
SCAR Foresight exercise, 2011).
Dans cette étude, nous caractériserons les productions de protéagineux en Bourgogne, leur utilisation
par les élevages monogastriques, et nous examinerons les possibilités d’évolution et d’interfaçage de
ces deux activités au niveau des acteurs du territoire.

1. La production actuelle de protéagineux en Bourgogne


1.1. La Bourgogne, une région à potentiel réel pour développer les cultures
protéagineux
La Bourgogne compte parmi les premières régions de France productrices de grandes cultures. Ces
productions y sont concentrées sur les plaines alluviales de Côte d’Or et Saône et Loire, sur les
plateaux calcaires de l’Yonne, de Côte d’Or et de Bourgogne nivernaise. Depuis 1970, les surfaces en
grandes cultures ont augmenté et les exploitations se sont spécialisées (Figure 1). Aujourd’hui, le
nombre d’exploitations productrices a diminué (3 894 exploitations contre 4 098 en 2000), alors que les
surfaces de ces exploitations ont plutôt augmenté (en 2010, la taille moyenne d’une exploitation à
dominante céréalière est de 163 ha en Bourgogne, soit + 18 ha par rapport au recensement agricole de
2000 et contre 117 ha au niveau national). Les systèmes céréaliers à base de colza-blé-orge sont
largement pratiqués, excepté dans la Bresse, le Val de Saône, le Val de Loire et le Val d’Allier où les
systèmes à base de maïs ou de monoculture de maïs sont dominants (Figure 2).

Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157 137


M.S. Petiit et al.

Figure 1 : Evolution dee la spécialisaation des systèèmes d’exploiitation en Bourgogne entre 1970 et 2011

Source : A
Agreste Bourgoggne, 2012, traittement PSDR B
Bourgogne 20122 après recense
ement agricole de 2010

Figure 2 : La répartitioon des surfacees de grandes cultures en France et Bourrgogne en 20110

Avec unee collecte 20010 de 650000 t de producction sur 160000 ha de prrotéagineux, la Bourgognne produit
environ 6% de la prroduction nattionale. En ttermes de suurfaces de protéagineux,
p , la région se
s situe à
1,6% dee la surfacee régionale de terres arables, soiit dans la moyenne fraançaise. Avvec l’aide
supplémentaire aux protéagineuxx apportée ppar l’Etat frannçais depuis 2009 (aide dd’environ 1255 €/ha en
moyennee), un accroissement d’environ 50% des surfacess a été consttaté entre 20009 et 2010, à l’instar
du niveaau national.. Aujourd’huui, cette prooduction s’est recentréee en Bourgoogne sur un u noyau
d’exploitaants « fidèlees » aux prootéagineux ppour des raaisons agronnomiques ouu techniquess (apport
d’azote ddans le systèème, effet précédent surr le blé suivaant, introducttion de cultuure de printemmps pour
gérer less adventices, répartition de l’organisaation du travvail, auto-connsommation pour l’élevagge, …) et
expérimeentés dans leurs conduuites culturalles. Le poiss de printem mps est la cculture protééagineuse
dominannte. Elle s’esst concentréee sur des teerres peu contaminées par p Aphanom myces euteiches mais
plus superficielles et à moindre potentiel
p de reendement coomme les Plaateaux de Boourgogne ou encore à
meilleur potentiel coomme le Sennonais et la Puisaye. Lees progrès en e tenue de tige des vaariétés de
printempps récentes ont réduit lees difficultéss de récolte dans les teerres caillouuteuses. En outre, la

138 Inn
novations Agro
onomiques 22
2 (2012), 135-157
Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne

production de protéagineux d’hiver, déjà mieux adaptés aux situations continentales et de plateaux, a
été permise par des nouveautés variétales récentes suffisamment tolérantes au gel, comme Isard,
Cartouche, Cherokee, James et dans une moindre mesure Enduro.
Les rendements moyens en pois et féverole (années 1983 à 2012, source UNIP) sont respectivement
de 41,8 q/ha et 32,6 q/ha en Bourgogne, contre 45,8 q/ha et 42,4 q/ha en moyenne nationale (soit -4
q/ha pour le pois et -10 q/ha pour la féverole), mais y apparaissent plus réguliers. Dans certaines zones
bourguignonnes, les protéagineux sont mieux adaptés, montrant de réels potentiels agronomiques et de
développement (Figure 3).

Figure 3 : Potentiel de rendement attendu des protéagineux en diverses situations pédoclimatiques


bourguignonnes
Puisaye, Pays d’Othe,
Pois d’hiver Pois de printemps Féverole d’hiver Féverole de printps Lupin Colza
Gâtinais

Limons profonds 40-55 q 45-60 q 30-50 q 30-50 q 20-40 q 35-40 q

Limons à silex 35-45 q 40-50 q 30-40 q 30-45 q Faible rendement 30-35 q


Culture possible mais Culture possible mais Culture possible si Risque de mauvais rendement
risque de problème risque de déficit profondeur de semis (déficit hydrique), résistance à la
de récolte (cailloux) hydrique et problème 7-8 cm pour repartir si verse avec meilleure récoltabilité
de récolte (cailloux) gel

Pois déconseillé si parcelle contaminée par Aphanomyces euteiches. Le cas échéant, faire une analyse préalable.
Les cultures d’hiver sont déconseillées dans les sols trop engorgés en hiver.

Pois de Féverole Féverole de


Senonais, Champagne jovienienne, Basse Yonne Pois d’hiver Lupin Colza
printps d’hiver printps

Sols argilo-limoneux 45-55 q 45-60 q 30-50 q 40-55 q Déconseillé en 35-40 q


Argileux profonds sols calcaires

Pois déconseillé si parcelle contaminée par Aphanomyces euteiches. Le cas échéant, faire une analyse préalable.

Plateaux de Pois d’hiver Pois de Féverole d’hiver Féverole de Lupin Colza


Bourgogne printps printps
Champagne RU < 50 mm Cultures déconseillées, car risque de
Basse crayeuse
rendement trop faible (déficit
20-25 q
Yonne hydrique) et problème de récolte
Gâtinais Pays (cailloux) Cultures déconseillées, car risque de
d'Othe
rendement trop faible (déficit
Tonnerrois 50 < RU < 80 mm 30-35 q hydrique)
Vallées Culture envisageable
Pauvre La Vallée Culture 25-30 q
mais attention aux impossible car
conditions de récolte présence de
calcaire actif
Plateaux de Plateaux 80 < RU < 120 30-40 q
Puisaye Bourgogne Langrois mm Culture envisageable
40-50 q
Vingeanne 40-50 q et profondeur de 30-40 q 30-35 q
Terre semis 7-8 cm pour
Plaine
repartir si gel
Bourgogne Auxois La Plaine
Nivernaise RU > 120 mm 45-55 q 45-55 q 35-45 q 35-45 q 35 q ou +

Morvan Côte
Féverole
Val de
Pois Pois de Féverole
Centre Nivernais
Plaine dijonnaise de Lupin Soja Colza
viticole Sâone d’hiver printps d’hiver
printps
Bresse
Côte Chalonnaise Sols argilo-limoneux profonds 45-55 q 45-60 q 40-50 q 40-50 q Déconseillé 30-35 q 35-40q
Entre chalonnaise en sols
Loire et Allier Autunois
Limons battants hydromorphes 45-50 q 45-55 q 40-50 q 40-50 q calcaires 30-35 q 35-40q
Chalonnais
Bresse
Sologne Louhannaise
Bourbonnaise
Féverole
Charollais Mâconnais Pois Pois de Féverole Lupin
Bresse de Soja Colza
d’hiver printps d’hiver printps
printps
Clunysois
Brionnais
Limons battants hydromorphes drainés 25-45 q 30-50 q 25-35 q 30-40 q 20-30 q 20-30 q 30-40q

Alluvions hydromorphes 25-30 q

Source : Chambres d’Agriculture de Bourgogne, 2012

Concernant la production biologique, la Bourgogne est la troisième région de France pour la production
biologique en grande culture. En 2010, 13 000 ha de production de grandes cultures biologiques étaient
recensés, soit 1,6% des surfaces de grandes cultures bourguignonnes (cette proportion est estimée à
1,2% au niveau national) (Agence Bio, 2012 ; Agreste Bourgogne, 2010). En Bourgogne, comme au
niveau national, dans les systèmes en agriculture biologique de grandes cultures ou de polyculture-
élevage, les protéagineux occupent environ 10% de l’assolement.
1.2. De réels avantages pour les systèmes de culture bourguignons avec
protéagineux
De manière complémentaire à l’approche globale de la production de protéagineux en Bourgogne,
l’étude de 28 systèmes de culture avec et sans protéagineux chez 15 agriculteurs bourguignons a eu

Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157 139


M.S. Petit et al.

pour objectif de répondre à la question sur les intérêts et limites des protéagineux dans les systèmes de
culture bourguignons. Ce travail a été réalisé sur 3 années (Dumas, 2009 ; Mabire, 2010 ; Duc et al.,
2010 ; Payot, 2011) dans le cadre du programme Pour et Sur le Développement Régional – PROFILE
(PSDR PROFILE, 2012), par la Chambre Régionale d’Agriculture de Bourgogne, en lien avec l’INRA,
les Chambres départementales d’Agriculture, les coopératives, les instituts techniques et en s’appuyant
sur la méthodologie développée par le RMT (Réseau Mixte Technologique) « Systèmes de culture
innovants » (RMT SdCi, 2012).
Dans le cadre de cette étude, les objectifs ont été de décrire des systèmes de culture actuels avec et
sans protéagineux dans les principaux contextes pédoclimatiques de Bourgogne et de caractériser
leurs résultats et performances de durabilité, aux niveaux agronomique, technique, économique,
environnemental (y compris énergétique) et social. Pour cela, la méthodologie utilisée s’est articulée en
4 étapes :
` Etape 1 : Recensement des outils et démarches d’évaluation de systèmes de culture, sélection
des critères d’évaluation pertinents (Bockstaller et al., 2008 ; Debaeke et al., 2008 ; Sadok et
al., 2009).
` Etape 2 : Identification et choix des types de systèmes de culture à étudier par le comité de
pilotage de l’étude, en fonction des principales petites régions agricoles productrices de
protéagineux (zones de plateaux à faibles potentiels vs. zones de plaine à plus forts potentiels
agronomiques), des principaux systèmes de culture présents et des différents types de
protéagineux (pois/féverole, printemps/hiver, luzerne, soja) ou de conduites culturales
(Figure 4).
` Etape 3 : Enquête auprès des agriculteurs mettant en œuvre les systèmes de culture
sélectionnés :
o 3.a. Identification dans l’assolement des principaux systèmes de culture présents sur
l’exploitation
o 3.b. Choix du système de culture à étudier et identification des parcelles associées
dans la sole de ce système
o 3.c. Description du système de culture pratiqué (Le Gal et al., 2010 ; Reau et al., 2010 ;
Reau et al., 2012 ; Petit et al., 2012)
` Etape 4 : Caractérisation des performances des systèmes de culture pratiqués, à l’aide des 34
critères sélectionnés à l’étape 1
Pour aller plus loin, une étape supplémentaire consisterait à évaluer en multicritère les performances
des systèmes de culture étudiés, à l’aide du modèle MASC® 1.0. (Sadok et al., 2008, 2009) et de la
caractérisation des 31 critères d’entrée de MASC® à partir du système pratiqué décrit en 3.b. Ce travail
a été pour partie réalisé sur les 12 systèmes de culture étudiés en 2009, mais n’a pas pu être mené sur
les suivants, compte-tenu de la durée de l’étude.
Les 28 systèmes de culture identifiés et choisis au cours de l’étape 2 sont présentés dans la figure 4.
On peut noter l’absence de systèmes en agriculture biologique, du fait de la difficulté à trouver des
systèmes de culture biologiques sans protéagineux.

140 Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157


Protéagiineux et élevage de monogaastriques en Bourgogne
B

Figure 4 : Description succincte dess 28 systèmess de culture étuudiés

L’enquêtte réalisée chez c les agriculteurs à l ’étape 3 a permis


p de (i) identifier ddans l’assoleement les
principauux systèmes de culture présents
p sur l’exploitationn, (ii) choisir le système dde culture à étudier
é et
identifierr des parcellees associéess dans la solee de ce systèème, (iii) décrrire le systèm me de culturee pratiqué
(Lagaisee, 2009 ; Le Gal G et al., 2010 ; Reau ett al., 2010 ; Reau
R et al., 2012
2 ; Petit eet al., 2012), synthèse
à l’échelle de la sole du systèm me de culturre, des interrventions cullturales et ddes rendemeents de n
parcelless par an à partir de l’histtorique dispoonible (2 à 5 ans le plus souvent) et faite en collaboration
avec l’aggriculteur, enn distinguant les pratiquess récurrentess et les variaantes, sous foorme d’amplitudes de
variation (ou fréquences ou fourchettes) dans un contexte précis (Lagaaise, 2009).
A partir des systèm mes de cultuure pratiquéss, l’étape 4 a consisté à réaliser laa caractérisaation des
performaances de cess systèmes à l’aide des crritères de performances de d la durabilitté :
− Performance es économiqques : efficieence économ mique, indépendance ééconomique, charges
oopérationnelles, chargess de mécanissation, besooin en matérriel spécifiquee, marge seemi-nette,
pproduit brut.
− Performance es sociales : contribution à l’emploi, pénibilité du trravail, nombrre de culturees dans la
ssuccession, exposition desd travailleuurs aux produuits phytosannitaires classsés toxiquess, nombre
dd’interventionns culturales spécifiques du système de culture, teemps de travvail.
− Performance es environneementales : Perte de phosphore, autonomie a een eau des cultures,
pproduction et
e consommaation d’énerg ie, bilan éneergétique, efficience énerg rgétique, demmande en
eeau des culttures, émission de N2O, diversité dess cultures, IF FT fongicidess, IFT herbiccides, IFT
iinsecticides, matière orgaanique, presssion sur les ressources
r en phosphoree, irrigation en période
ccritique, perttes de pesticides (eaux pprofondes et eaux superficielles), pertees de pesticides (air),
ppertes de NO O3, proportioon traitée de la succession, volatilisation de NH3, ffertilité phosphorique,
sstructure du sol, aléa érosif.

Inn
novations Agro
onomiques 22
2 (2012), 135-157 141
M.S. Petiit et al.

Des marrges de man nœuvre pour la fertilisattion azotée


Pour la pplupart des systèmes
s étudiés, l’introduuction d’un protéagineux
p induit une d iminution des apports
azotés à l’échelle duu système (FFigure 5), en raison de l’aabsence d’appport sur le pprotéagineuxx et de la
prise en compte de l’effet
l précéddent. Toutefoois, des margges de manœ œuvre existeent encore (D Duc et al.,
2010 ; P
Payot, 2011), avec des baalances azottées à l’écheelle du systèm me de culturre oscillant ded –12 kg
N/ha/an et +68 kg N/.ha/an.
N Less systèmes dde culture de d Turcey enn situation dee polyculturee-élevage
présenteent les balancces azotées les plus équ ilibrées avecc des apportss de fertilisannts organiquees sur les
cultures.

Figure 5 : Balance azootée moyennee des 28 systè mes de culturre étudiés, aveec et sans prootéagineux

Intérêt éénergétique des systèmes avec prootéagineux : un atout po our aujourd’hhui et pour demain
L’évaluation de la consommatio
c on énergétiqque à l’écheelle des sysstèmes de cculture montre qu’ils
présenteent des conssommations énergétiques
é s qui varient de 9 100 MJ/ha/an à 177 800 MJ/ha//an, avec
une moyyenne de 133 500 MJ/haa/an. Le détaail des postees montrent que le posste de consoommation
principal est la fertilissation avec 62%
6 en moyeenne, puis lee poste relatif aux matérieels avec 21% % et enfin
les postees relatifs aux phytosanitaires avec 4% et enfinn, la récolte et son transsport avec 13%. 1 Les
systèmes intégrant des protéaggineux préseentent en géénéral une réduction dee leur consoommation
énergétiqque directe et e indirecte de
d –6% à –118,5%, comm me à Bazollees ou à Dem
migny respecctivement,
sachant que des marges de manœuvre suupplémentairees existent sur s l’azote eet dans une moindre
mesure ssur le travail du sol (Figurre 6) .Toutefoois, la consommation éneergétique estt équivalente entre les
systèmes avec et sans s protéaggineux à Tuurcey et Tannerre-en-Puuisaye, voiree supérieuree pour le
système de Brannayy Orval en raaison de la nnon prise enn compte de l’effet précéédent du poiss dans la
fertilisatioon.

142 Inn
novations Agro
onomiques 22
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Protéagiineux et élevage de monogaastriques en Bourgogne
B

Figure 6 : Consommattion énergétiquue des 28 sysstèmes de cultture étudiés, avec


a et sans pprotéagineux

Une pression phyto osanitaire moindre pourr les systèmes avec protéagineux
Dans le contexte d’EEcophyto 20118, l’IFT (Indiice de Fréquuence de Traaitement) dess systèmes de d culture
étudiés a été analyysé et préssente des vvaleurs légèrrement inférrieures pourr les systèm mes avec
protéaginneux, de -0,11 à -3 points d’IFT (Figuree 7). En effett, le pois a soouvent un IFTT inférieur au blé (4,4
pour un pois d’hiver, 5,7 pour un pois de printtemps, contree 6,1 pour unn blé ou 5,9 ppour une orgge d’hiver,
par exemmple à Jully)), et le pois d’hiver n’esst pas expossé aux pucerrons de printtemps. Par rapport à
l’impact de ces systèèmes sur le milieu, messuré à l’aide de l’indicateeur Iphy de lla méthode Indigo de
l’INRA de Colmar (Bockstaller et al., 2003 & 22006 in Bockkstaller et al., 2008), Iphyy est quasi-ééquivalent
pour touss les systèmes avec et saans pois.

Figure 7 : Indice de Fréquence


F de traitement dees 28 systèmes de culture étudiés, avecc et sans prootéagineux

IFTT réf. rég.

Inn
novations Agro
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M.S. Petit et al.

Des marges souvent équivalentes pour les systèmes avec et sans protéagineux
Au niveau économique, les systèmes avec protéagineux présentent des niveaux de marges semi-
nettes1 relativement équivalents, variant de – 50 à + 50 €/ha dans 29 situations (SdC x hypothèse de
prix) sur 42 (Figure 8). Dans 4 comparaisons, les marges semi-nettes des systèmes avec protéagineux
sont supérieures, généralement en hypothèse de prix de vente hauts et prix des engrais hauts (Tableau
1). Dans les sols à bon potentiel agronomique comme à Bazolles, Jully, Brannay P et Demigny, la
nature des cultures du système sans protéagineux a des conséquences sur la marge : en effet, les
rendements des céréales supérieurs à ceux des protéagineux permettent d’atteindre dans les
hypothèses de prix retenues (tenant compte des équilibres de prix des marchés) des marges semi-
nettes à la culture supérieures et de facto supérieurs à l’échelle du système de culture.

Figure 8 : Marges semi-nettes (aides supplémentaires protéagineux comprises) des 28 systèmes de culture
étudiés, avec et sans protéagineux, selon 3 hypothèses de prix (H1 : prix de vente et prix des engrais bas ; H2 :
prix de vente hauts et prix des engrais bas ; H3 : prix de vente et prix des engrais hauts)

Tableau 1 : Détail des scénarios de prix de vente pour les productions et de prix des engrais
Hypothèse 1 Hypothèse 2 Hypothèse 3
Prix de vente et prix des engrais Prix de vente hauts et prix des Prix de vente et prix des
bas engrais bas engrais hauts
Prix de vente des productions pour les principales cultures
Prix de vente Blé 100 €/T 160 €/T 160 €/T
Prix de vente Colza 250 €/T 350 €/T 350 €/T
Prix de vente Pois 130 €/T 180 €/T 180 €/T
Prix de vente Féverole 190 €/T 250 €/T 250 €/T
Prix de vente des engrais
Prix de l’azote N 0,6 €/kg 0,6 €/kg 1,2 €/kg
Prix du phosphore P 0,6 €/kg 0,6 €/kg 1,2 €/kg
Prix de la potasse K 0,5 €/kg 0,5 €/kg 0,8 €/kg

Les performances des systèmes de culture étudiés invitent les agriculteurs et les agronomes à revisiter
les systèmes de culture avec protéagineux pour optimiser leurs résultats et leurs performances,
notamment en intégrant les effets précédents des protéagineux en particulier pour la gestion de la
fertilisation et de facto pour l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi en raisonnant
leurs marges non pas à la culture mais à l’échelle du système de culture pour intégrer les effets et
synergies du système.

1La marge semi-nette permet d’apprécier la rentabilité du système de culture à court terme. Elle se définit ainsi : produit brut
+ aides couplées (y compris aide supplémentaire protéagineux) – charges opérationnelles – charges de mécanisation.

144 Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157


Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne

2 L’utilisation actuelle des protéagineux dans les élevages de monogastriques


en Bourgogne
2.1 Vision territoriale
2-1-1 la production porcine bourguignonne
La Bourgogne ne produit que 1,1% du porc français alors que la Bretagne en produit 58%, suivie par
les Pays de la Loire (11%) et la Normandie (4%). En Bourgogne, la production de porcs est
traditionnellement située dans des exploitations de polyculture-élevage de Saône et Loire et dans les
exploitations céréalières de l’Yonne (Figure 9).
Globalement, le nombre d’exploitations porcines, ainsi que le cheptel porcin bourguignon ont fortement
chuté entre 2000 et 2010. Ainsi, en 10 ans, le nombre d’éleveurs s’est réduit de 73% pour atteindre 461
éleveurs, le cheptel de truies a régressé de 35% pour atteindre 15 100 animaux et le cheptel de porcs à
l’engrais a baissé de 20% pour atteindre 215 000 porcs charcutiers. Cette situation est le résultat de
plusieurs facteurs défavorables qui se sont cumulés ces dix dernières années :
• la part des charges liées à l’aliment a augmenté dans le coût de revient du porc dépassant les
60% depuis 2007, suivant la flambée du cours des matières premières,
• dans le même temps, le prix du porc n’a pas suivi l’évolution du coût des matières premières
dans un contexte de forte concurrence européenne et mondiale.
Ces deux facteurs ont entraîné une forte dégradation de la trésorerie des éleveurs et nuit aux
investissements destinés à l’amélioration des performances techniques et économiques et aux
adaptations d’ordre réglementaire (environnement, bien-être animal).

Figure 9 : Répartition des élevages de porcs en Bourgogne

109 ha /
exploitation 132 ha /
exploitation

146 ha /
exploitation 103 ha /
exploitation

Source : BRAAF Bourgogne – SRISE –


RGA 2010

Malgré la très faible densité des élevages porcins en Bourgogne (8,7 porcs/km2 de SAU contre
49,9/km2 de SAU au niveau national), la région Bourgogne est pénalisée par la constitution
d’associations opposées à l’élevage porcin.
Pourtant, face à ce constat pessimiste, la filière porcine possède aussi de nombreux atouts en
Bourgogne. Ainsi, des gains de compétitivité sont possibles grâce :
• à la situation des élevages porcins sur des exploitations céréalières ou polyculture-
élevage pouvant valoriser les effluents d’élevage,
• à la possibilité de réduire le coût alimentaire par l’utilisation de céréales et protéagineux
de proximité mais aussi des coproduits de l’industrie agro-alimentaire.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157 145


M.S. Petiit et al.

Figure 100 : Evolution des


d productionns sous déma rches qualitéss en Bourgognne

Source : IN
NTERPORC Boourgogne, 20122

Sur la mmajorité des élevages, lees grandes cultures sonnt présentes et les prodduits contribuuent à la
fabricatioon d’alimentss. Sur 461 exxploitations, sseules 14 exxploitations possèdent
p mooins de 1 ha de SAU,
mais ellees détiennennt 17% des porcs.
p Les aautres unités,, soit 447 éleevages explooitent 54 4000 ha, soit
122 ha een moyenne. Des protéaggineux sont pproduits par 61 6 de ces exploitations ett sur 765 ha, soit 12,5
ha/explooitation (Agreeste – recenssement agricoole 2010). Lees démarchees qualité ontt fortement progressé
p
ces deuxx dernières années
a (Figuure 10). Ainssi, la production de porcss label rougee a progresséé de 10%
en 2011 par rapport à 2010 pour atteindre 200 300 animauux et la produuction de porrcs biologiques est en
hausse dde 30% maiss dans un volume beaucooup plus faible de 2 300 animaux.

2-1-2 la production volaillère bo


ourguignonnne
La produuction avicole bourguignonne ne repprésentait quue 2,6% de la productio n nationale en 2008,
quand laa Bretagne produisait près de 35% % de la prodduction avicoole françaisee. Les élevaages sont
majoritairement localisés en Saônne-et-Loire e t Yonne (Figure 11).

Figure 111 : Répartitionn des élevagess de volailles een Bourgognee (Source : ITAV
VI à partir des eenquêtes Agresste)

Sourcce : DRAAF Bourgogne – SRIS


SE- RGA 2010

La produuction avicolee en Bourgoggne est en ddéveloppemeent dans les exploitations


e déjà producctrices, ce
qui tend à la spéciaalisation des élevages, mmais aussi daans le cadree de la divers
rsification des ateliers

146 Inn
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2 (2012), 135-157
Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne

bovins notamment en Saône et Loire. Dans les départements à plus grande vocation céréalière, l’atelier
avicole est une source complémentaire de revenu par rapport à l’atelier céréales, contribuant à la
fertilisation. La diversification permet aussi une meilleure organisation du travail avec l’installation d’un
jeune agriculteur dans le cadre familial et hors cadre familial.
Sur la majorité des élevages, les grandes cultures sont présentes. Sur 528 exploitations détenant plus
de 1 000 volailles, 118 possèdent moins de 1 ha de SAU, mais elles détiennent 32% des volailles. Les
autres unités, soit 410 élevages exploitent 39 498 ha, soit 96 ha en moyenne. Des protéagineux sont
produits par 37 de ces exploitations et sur 421 ha, soit 11,40 ha/exploitation (Agreste – recensement
agricole 2010).
La filière volailles de chair en Bourgogne. En 2010, selon le recensement général agricole, 2 191
exploitations détiennent des volailles pour 2 700 exploitants. Le nombre d’exploitations retirant un
revenu conséquent de l’activité volailles de chair est plus modeste, soit 399 élevages. Sur la période
2000-2010, la production globale toutes volailles connaît une hausse de près de 10% en Bourgogne.
Alors que la production de poulets de chair augmente de 21%, les productions de dindes, canards,
pintades enregistrent respectivement des baisses de 73, 41 et 45%.
Une forte proportion d’élevages se situe sous signes officiels de qualité avec 81 AOC Bresse, 136 Label
rouge et 62 sous Critères de Qualité Certifiés, pour 120 conventionnels. Pour 25,2 millions de têtes
totales produites en Bourgogne on recense 3,8 millions de volailles sous signes d’identification de la
qualité et de l’origine SIQO (Label Rouge, AOC et Bio) et 11,6 millions en Certification de conformité
des produits avec alimentation sans OGM. La production Bio est encore marginale mais elle progresse.
On dénombre 40 exploitations Bio avec un atelier volailles produisant 50 000 volailles de chair et
23 000 poules pondeuses.
La filière œufs en Bourgogne. Avec un effectif de 0,55 millions de poules, la région produit environ 1%
de la production nationale d’œufs avec une majorité de la production localisée en Saône et Loire
(Figure 12). La production en agriculture biologique est en expansion en Bourgogne depuis fin 2011,
date de l’échéance de la mise aux normes bien-être des poules pondeuses.

Figure 12 : Répartition des poules pondeuses et de la production d’œufs entre les 4 départements bourguignons
(Source : AGRESTE – mémento de la statistique 2010)

47 000 poules pondeuses CDPO
3 680 000 œufs 
89

21
Cocorette 40 000 poules pondeuses
6 216 000 œufs
58

71 LOUHANS
55 000 poules pondeuses 1 centre de
3 640 000 œufs  conditionnement

CHAROLLES 396 000 poules pondeuses
1 centre de 108 080 000 œufs 
conditionnement

Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157 147


M.S. Petiit et al.

2-1-3 Plaace des prottéagineux dans les alim ments pour porcins
p et vo
olailles
La production d’alim ments pour animaux moonogastriqu ues en Bourg gogne
La régioon Bourgogne possède une u forte traadition de faabrication d’aaliments du bétail. La production
d’aliments pour anim maux monogastriques hoors fabrication à la fermee en Bourgog ogne était dee 294 700
tonnes een 2010 (FrranceAgriMer 2010), soiit environ 3% % du chiffree national, eet proche duu volume
d’aliments produits en Bourgognee pour les bo vins.
La consoommation d’aaliments par les élevagess de monogaastriques bouurguignons eest estimée à 265 000
tonnes ddans laquellee la part des protéines appportée par les tourteauxx de soja d’im
mportation esst élevée,
mettant la Bourgognne comme laa France sur un taux d’aautosuffisancee en protéin es pour les élevages
voisin dee 50%.
Il y a unne forte traddition d’alimeents fabriquéés à la ferme en producction porcinee, et on peuut estimer
qu’enviroon 11 000 toonnes d’alim ments sont pproduits et utilisés
u à la ferme à parrtir des prottéagineux
récoltés.

Figure 133 : Productionn des Fabricannts d’Aliment ddu Bétail de Bourgogne en 2010
2

Sou rce : FranceAgriMer

L’incorpooration de protéagineux
p x collectés ddans les aliments pourr monogastrriques est un u usage
dominannt parmi les 65 6 000 t colleectées, maiss il y a aussii une exportaation importaante. La Bouurgogne a
une tradition exportatrice des prooductions véggétales puisqque 40 à 50% % de sa prodduction céréaalière part
vers l’exxtérieur et nootamment veers l’Italie et que la majoorité du colzaa est expédiiée pour trituuration et
productioon de diesteer vers Le Mériot (10) et Sète (34). On O estime à 20 000 t la part de prottéagineux
exportéee vers les fabricants
f d’aaliment du bétail de Sardaigne ouu Corse (maarché facilitéé par les
logistiquees fluviales-mmaritimes auu départ de SSt Usage (211) ou Pagny (21)) et à 440 000 t (souurce Dijon
Céréaless) le tonnagee d’incorporaation de prottéagineux coollectés danss les formulees des alimeents pour
porcs et volailles. Un petit reliquat est probabllement utiliséé par des rum
minants.

Les graaines protéaagineuses présentent


p uune bonne valeur nutritionnelle eet une com mposition
complém mentaire d’auutres matièrees premières , ce qui leur permet de ses substituerr à une partiee du soja
incorporéé dans les alliments pour monogastriqques. La graine de pois présentant unne teneur en protéines
proche dde 23-24% de la matière sèche esst bien adapptée à des rations pourr porc (de nombreux n
exemplees d’incorporaation de poiss à 30% danss la ration dee porcs sont rapportés), aalors que la graine
g de
féverole présentant une teneur en protéine proche de 29-30% 2 est bien adaptéee à des rations pour
volailles dont les beesoins sont plus
p élevés (Lacassagnee et al., 1988 ; Mariscal--Landin et al. a 2002 ;.
Crepon et al., 2010). Les prootéagineux ssont riches en lysine mais m pauvrees en méthionine et
tryptophaane. Pour ceette composition en aciddes aminés, on observe une bonne complémenttarité des
protéaginneux avec lees protéines de
d blé, de touurteaux de sooja et colza (tableau 2).

148 Inn
novations Agro
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Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne

Tableau 2 : Teneur en acides aminés en % de la protéine brute des pois et féverole en comparaison aux
tourteaux de colza et soja, et relation aux besoins en acides aminés essentiels du porc et poulet
Teneur en acides aminés en % de la protéine brute
Matière 1ère Lysine Méthionine Méth. + cystine Thréonine Tryptophane
Pois 7,3 1 2,3 3,8 0,9
Féverole 6,4 0,7 2 3,6 0,8
T. Colza 5,3 2 4,5 4,3 1,2
T. Soja 6,1 1,4 2,9 3,9 1,3
Blé 2,9 1,6 4 3,1 1,2
Besoins alimentaires pour porc engraissement et poulet de chair en g/kg
Porc 9,2 2,6 6 6 1,85
Poulet 11,0 5,5 9 7 2,30
Source : IFIP

3. Les perspectives d’évolution et les leviers possibles


La Bourgogne est une terre d’élevage et de productions végétales. Cependant, à l’image de l’UE, les
surfaces de protéagineux y sont inférieures à 2% des surfaces arables et une grande partie de
l’alimentation animale repose sur des utilisations de tourteaux de soja conventionnels ou biologiques.
L’intérêt des protéagineux dans les formules d’aliments porcs (quelle que soit l’orientation, SIQO ou
conventionnelle) et volailles (pondeuses et chair à croissance lente), ainsi que l’intérêt agronomique
notamment en production biologique ne sont plus à démontrer techniquement. Mais les cultures de
protéagineux sont concurrencées par des cultures plus rémunératrices avec un itinéraire technique plus
simple. Une aversion au risque de rendement et de prix, ainsi qu’une recherche de simplification de la
part des agriculteurs, un besoin de rentabilité qui passe par des masses critiques de la part des
collecteurs et l’absence de stratégie construite entre les fabricants d’aliments, les éleveurs et les
producteurs, représentent les principaux grands freins (Druot, 2011). En fait, ce sont surtout le prix et la
disponibilité des matières premières sur les marchés qui font loi. Autour du grand enjeu d’amélioration
de l’autonomie protéique des élevages et de la recherche d’impacts environnementaux positifs en
agriculture, nous avons analysé le potentiel et les conditions du développement des protéagineux dans
les systèmes de culture et dans les élevages monogastriques bourguignons.
Des éléments de contexte national et international tels que les prix (d’énergie, engrais, protéines) et les
réglementations (environnementales, diversification, qualité) vont bien entendu être décisifs. Ces
éléments vont croiser avec des logiques de territoire ou d’exploitations agricoles plus spécifiquement
bourguignonnes, et ce sont ces leviers que nous avons tenté d’identifier.

Levier 1. Pour le climat continental bourguignon et ses tendances d’évolution, développer de


nouvelles variétés d’hiver plus résistantes au gel et plus performantes.
Si des variétés de printemps à bon potentiel de rendement restent intéressantes pour des zones à
terres profondes, telles qu’en 21, 89 et 71, le développement de variétés d’hiver permettra un
développement de la culture dans des sols peu profonds et très répandus dans le nord de la
Bourgogne. La culture d’hiver doit permettre un échappement aux stress de fin de cycle (notamment de
sécheresse) par un enracinement plus profond et une période reproductrice plus précoce. Une bonne
résistance au gel est un prérequis incontournable pour ces variétés d’hiver et doit anticiper les
évolutions du climat. L’évaluation des risques climatiques a conduit à mettre clairement en évidence

Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157 149


M.S. Petiit et al.

une ruptture dans l’évolution dees températuures : à partir de 1987, on constatte une augm mentation
régulièree significativee de la température moyeenne annuelle de 0,5°C tous les 10 aans (Figure 14), avec
une plus grande augmentation
a n des temp ératures maaximales que des temppératures minimales,m
l’augmenntation étantt plus marquuée dans le sud que daans le nord de la Bourggogne. En répartition r
annuellee, ce réchaufffement est plus importaant au printeemps et en été, moins een automne (Cuccia,
2008 ; R
Richard et al., 2010).
Le risquee de dégâts de gel hiverrnal n’est pass bien relié aux
a températtures minimaales observéees. Il faut
prendre en compte l’’acclimatationn des plante s, ce que noous avons réaalisé dans lee programmee PSDR –
PROFILE E (Duc et al., 2010) en paramétrant ppour le pois unu modèle d’estimation d e la résistance au gel
hivernal initialement mis au pointt chez le bléé (Lecomte et e al, 2003). L’acclimatatioon apparaît meilleure
dans la pplaine de Saôône que sur les reliefs ouu dans le Nivvernais où, du fait de pluss grandes altternances
de tempéératures, les risques de dégâts
d sont pplus élevés (Figure
( 15). Dans
D les annnées à venir, le risque
de gel nee sera pas diminué,
d danss la mesure où on devraait observer ded plus granddes alternances entre
périodess de gel et e période de d redoux conduisant à des cyccles répétéss d’endurcisssement /
désenduurcissement des plantes.. A la compposante de résistance
r auu gel, les séélectionneurss devront
associerr des caractééristiques de tolérance auux principaless maladies, ded tenue de ttige, de tolérrance à la
sécheressse et aux coupsc de chhaleur, et dee potentiel dee rendementt. Les mêmees objectifs variétaux
s’appliquuent aussi à lal féverole.

Figure 144 : Evolution des


d températuures moyenness annuelles enn Bourgogne de
d 1961 à 20007 (Cuccia, 20008)

Figure 155 : Estimationn des risques de gel en Boourgogne entrre 1987 et 20009 (stress cum mulé en °C, obtenu
o en
croisant ddes statistiquees climatiques sur une maillee fine avec le modèle de caalcul de la résiistance au gell)

150 Inn
novations Agro
onomiques 22
2 (2012), 135-157
Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne

Levier 2. Faire évoluer les systèmes de culture pour amplifier les surfaces de protéagineux
Le programme Européen GL-PRO (2006) avait confirmé l’intérêt et la possibilité d’une introduction plus
importante des protéagineux dans les systèmes de culture européens. Pour la Bourgogne, l’introduction
de protéagineux en précédent au blé ou au colza (résultats du CASDAR pois–colza-blé2,), et l’adoption
de cultures en associations protéagineux–céréales sont des pistes prometteuses, notamment pour
améliorer les bilans azotés, sanitaires et environnementaux (Corre-Hellou et al., 2006 ; Louarn et al.,
2010). Pour l’exploitant, nos résultats ont montré la rentabilité de rotations incluant des protéagineux
dès lors qu’elle est estimée à l’échelle du système et non uniquement de la culture annuelle. La culture
de protéagineux apporte aussi des avantages : le colza, semé en août, récupère l’azote du pois, aspect
non négligeable car la fumure est alors nulle. Néanmoins, tant que des variétés résistantes ou
tolérantes à Aphanomyces ne seront pas disponibles, la vigilance par rapport au développement du
champignon pathogène doit rester une précaution majeure. Il faut ainsi respecter un retour à 6 ans
minimum du pois, et encourager des alternances pois-féverole quand cela est possible. En effet, la
plupart des variétés de féverole n’étant pas hôtes du pathogène, le potentiel infectieux du sol diminue
après cette culture. Cette diminution n’est cependant pas plus importante qu'avec une autre culture
non-hôte (Moussart et al., 2012).
Pour construire une masse significative de protéagineux pour la collecte bourguignonne, tout en
intégrant les précautions sanitaires précédemment soulignées, un doublement des surfaces en les
faisant passer de 2 à 4% de la surface arable parait réaliste. Il permettrait de retouver le pic de surfaces
de protéagineux de 1993. Cette production supplémentaire serait utilisable en intra-Bourgogne
pourl’alimentation des monogastriques, des polygastriques et de l’homme, et exportable. Des effets
environnementaux associés seraient non négligeables puisque dans son rapport 2009, le Commissariat
Général au Développement Durable estime que le passage de 4% à 7% des surfaces arable française
en légumineuses cultivées, économiserait environ 10% d’épandages d’engrais minéraux et réduirait les
émissions de gaz à effet de serre d’environ de 1,8 Mteq CO2 (CGDD, 2009). A partir du diagnostic et de
l’évaluation multicritère des SdC étudiés dans le programme PSDR PROFILE un groupe de travail a été
organisé, associant des conseillers en productions végétales des Chambres d’Agriculture, afin de
proposer des évolutions de 2 systèmes de culture étudiés avec protéagineux visant à améliorer leurs
performances économiques et environnementales. Cet exercice a mis en évidence une marge de
progrès en matière de performances environnementales (vis-à-vis de l’impact des phytosanitaires avec
l’indicateur Iphy, de la balance azotée, de l’impact des pertes d’azote avec l’indicateur IN) avec des
changements que les agriculteurs seraient prêts à envisager dans leurs pratiques (alternance du labour,
réorganisation de la rotation). Une large diffusion des références acquises sur protéagineux, et sur les
systèmes de culture avec protéagineux, et un bon interfaçage des acteurs, figurent parmi les leviers
nécessaires pour développer une production durable et l’utilisation des protéagineux en Bourgogne,
avec la formation des agriculteurs pour maîtriser ces nouvelles cultures et stabiliser les rendements et
de la qualité.

Levier 3. Augmenter les taux d’incorporation des protéagineux dans les élevages
Le pois protéagineux présente l’avantage de diversifier les sources de protéines et ne présente pas de
problèmes de mycotoxines au champ. En alimentation porcine, il est complémentaire au tourteau de
colza. Le passage d’un taux d’incorporation de protéagineux fréquent de 25% à 30% permettrait
d’incorporer 4 500 t de plus chez le porc. Ce tonnage serait conforté par le développement de la

2Co-financé par les pouvoirs publics (Casdar AAP 7175) de janvier 2008 à avril 2011, le projet Pois-Colza-Blé (Amélioration
des performances économiques et environnementales de systèmes de culture avec Pois, Colza et Blé ) associait les
partenaires suivants : INRA (Grignon, Dijon), CETIOM (Grignon, Mons, Bourges), ARVALIS – Institut du Végétal, Chambres
d’agriculture de Mayenne, Moselle, Nièvre et Yonne, Agroscope Reckenholz –Tänikon (Zurich, Suisse), ESA (Angers), UNIP
(Paris) (coordinateur).

Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157 151


M.S. Petit et al.

fabrication d’aliments à la ferme dont les équipements pourraient être accompagnés par des aides
publiques, notamment dans le cadre du futur Contrat de Projet État-Région. Dans un contexte de
flambée des prix des matières premières, les ratios de prix pois/soja et pois/blé sont de plus en plus
favorables à l’introduction du pois pour les volailles. Selon les orientations, un passage 15 à 20% du
taux d’incorporation de protéagineux permettrait d’incorporer 7 000 t de protéagineux de plus. C’est
donc environ 12 000 t supplémentaires qui pourraient être consommées par les monogastriques. Dans
une hypothèse où des productions en association pois-blé, féverole-triticale ou autres se
développeraient, elles pourraient être facilement utilisées en aliments de monogastriques, avec la
demande a priori de mieux maîtriser la composition des mélanges récoltés. Mais dans tous les cas,
l’introduction de protéagineux en Label Rouge restera dépendante des cahiers des charges.

Levier 4. Donner une valeur économique aux services environnementaux


L’engrais azoté, via son procédé de fabrication et son épandage sur les cultures, est de loin le principal
facteur explicatif des impacts environnementaux de la production agricole. Les protéagineux,
autonomes vis-à-vis des engrais azotés et fournisseurs d’azote pour les autres cultures, sont un atout
pour le bilan carbone des systèmes de cultures, de l’empreinte des filières de l’alimentation animale et
de la durabilité de l’exploitation agricole. Dans le cadre d’une approche inter-instituts, le programme de
recherche et développement Casdar 7-175 « Pois Colza Blé »3, de multiples mesures au champ dans
un même site sur trois campagnes de 2007 à 2010 ont permis de comparer les flux azotés selon les
cultures en jeu cultivées dans les mêmes conditions agro-pédo-climatiques. Des mesures au champ ont
apporté des éléments de quantification des émissions de protoxyde d’azote (N2O), ce puissant gaz à
effet de serre, sur des sols occupés par plusieurs grandes cultures dans des conditions similaires. Sur
la base d’études récentes d’ACV (Analyses des Cycles de Vie, réalisées par l’ART de Zürich, avec la
base de données Eco-Invent, pour trois régions différentes) dans différents systèmes de culture
français, comparativement à des cultures recevant 160 à 190 kg/ha d’azote, les cultures de
protéagineux permettent de réduire d’environ :
- 50% la consommation d’énergie fossile,
- 70% les émissions de gaz à effet de serre (GES), en particulier le protoxyde d’azote (N2O),
- 85% les émissions des gaz acidifiants, en particulier l’ammoniac (NH3),
- 30% les émissions de gaz photo-oxydants en particulier les oxydes d’azote (NO et NO2).
En réduisant la quantité moyenne d’azote apportée sur l’exploitation, les protéagineux apportent des
solutions aux problèmes d’eutrophisation ou de qualité de l’eau, notamment dans les zones soumises à
des réductions réglementaires d’utilisation en azote (bassin d’alimentation de captage). Ainsi, sur une
année, les émissions sous pois représentent moins d’1/4 des émissions sous blé ou colza. Et une
succession comportant 1 pois permet de réduire de 20% les émissions de N2O sur 3 ans, La
composition de la succession de 3 ans a un effet marqué sur les émissions N2O.

3Co-financé par les pouvoirs publics (Casdar AAP 7175) de janvier 2008 à avril 2011, le projet Pois-Colza-Blé (Amélioration
des performances économiques et environnementales de systèmes de culture avec Pois, Colza et Blé ) associait les
partenaires suivants : INRA (Grignon, Dijon), CETIOM (Grignon, Mons, Bourges), ARVALIS – Institut du Végétal, Chambres
d’agriculture de Mayenne, Moselle, Nièvre et Yonne, ART Agroscope Reckenholz –Tänikon (Zurich, Suisse), ESA (Angers),
UNIP (Paris) (coordinateur).

152 Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157


Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne

Figure 16 : Bilan des émissions de gaz à effet de serre des différentes matières premières utilisées pour la
fabrication des aliments du bétail (en kg éq C02 / t de MP)

Source : Coop de France

Dans les élevages, près de 60% de l’impact carbone d’un produit animal (lait, œuf, viande) provient de
l’utilisation des aliments concentrés, dont 85% sont dus à la production des matières premières. Parmi
les différentes matières premières utilisées en alimentation animale, le pois est celle qui a le plus faible
taux d’émission de GES (Figure 16). Cela s’explique par l’absence de fertilisation azotée et de
transformation industrielle de cette matière première.
Les coûts de transport varient de 13 à 20 € / t selon le départ Huningue ou Montoir de Bretagne
(AIRFAF Nord-Est 2008). Une production localisée en Bourgogne pourra abaisser ces coûts et les
impacts environnementaux négatifs associés. Par ailleurs, la redistribution des aliments par les
fabricants d’aliment du bétail est plus onéreuse en Bourgogne qu’en Bretagne, du fait de la faible
densité des élevages. La présence en Bourgogne d’un réseau fluvial permettant un export à faible coût
de transport vers la Méditerranée est un facteur favorable aux activités d’exportation.

Levier 5. Faire évoluer l’interfaçage des acteurs producteurs x collecteurs x utilisateurs


La collecte et l’utilisation sont souvent bloquées par la taille critique et la disponibilité des matières
premières. Sous l’hypothèse de ce verrou levé par les leviers L1 et L2, on peut alors imaginer une
construction plus facile des marchés avec l’élevage ou les industries alimentaires, que ce soit en
Bourgogne ou vers l’extérieur. Une masse critique permettra aussi de construire une logistique de
contrôle de la qualité.
Dans la filière conventionnelle, la relation qui lie les producteurs aux collecteurs est celle de sociétaire.
Hormis quelques relations contractuelles de courte durée, il n'y a pas de contractualisation entre
collecteurs et utilisateurs (FAB). Dans la filière biologique, le constat est autre et des protéagineux sont
collectés sous contrat dans l'Yonne. A l’image de ce qui s’est développé pour le soja Bio, la
contractualisation entre les différents maillons de la filière pourrait présenter des atouts non
négligeables comme, entre autres, celui de garantir un débouché pour l’agriculteur, de rationaliser la
logistique pour les organismes stockeurs et d’avoir une connaissance précise des volumes
incorporables dans les aliments. Enfin, la promotion de plusieurs caractéristiques technologiques des
pois et féveroles comme la traçabilité assurée, les qualités nutritionnelles, la nature non OGM et les
bénéfices environnementaux, pourraient compter ou être mieux pris en compte. Jouer sur ces

Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157 153


M.S. Petit et al.

caractéristiques permettra de se libérer de la compétitivité en coût subie par les protéagineux par
rapport aux autres matières premières. Le coût restera toujours essentiel, et d’autant plus s’il n’y a pas
de revalorisation en aval auprès des consommateurs. En revanche, il peut y avoir des contraintes
règlementaires environnementales qui privilégieraient la culture de protéagineux au même titre qu’il y a
des contraintes européennes en bien-être animal. Parmi les acteurs, ceux qui se situent à des points
nodaux tels que le collecteur, le politique, l’interprofession, le développement et l’enseignement,
peuvent agir avec des leviers complémentaires.

Levier 6. Développer une synergie territoriale production de protéagineux x élevages en


production biologique ou pour d’autres signes de qualité
Le développement des productions biologiques a été engagé au niveau national dans le cadre du
« Grenelle de l’environnement » et en région Bourgogne par la construction en 2011 du moulin
Decollogne qui aura une capacité d’écrasement de 20 000 tonnes de blé Bio. Il faut pour cela
reconvertir près de 50 000 ha de terres en surfaces bio dans la région (Moulin Decollogne, 2012) ; entre
2011 et 2012, environ 40% de ces conversions au Bio ont déjà été réalisées, et cela plutôt sur les
plateaux de Bourgogne. La plaine avance à petits pas et utilise au maximum le soja dans les rotations
Bio. Les protéagineux prendront une place importante comme ressource d’intrant azoté symbiotique
dans la rotation, avec des conduites en culture pure ou en association. Un autre bénéfice attendu de la
légumineuse est son effet d’accroissement de la teneur en protéines du blé Bio, qui est en relation
positive avec sa valeur en panification. Si l’on fait l’hypothèse de 10% de surfaces en protéagineux en
cultures Bio comme au niveau national, ce serait alors 5 000 ha de protéagineux et donc environ 15 000
t de produits supplémentaires qui sont attendus. La valorisation de ces graines de protéagineux Bio
pourra se faire en alimentation humaine ou en alimentation animale Bio. Les produits d’associations
céréales-protéagineux seront probablement réservés à l’alimentation animale et inutilisables en
alimentation humaine, même après tri, en raison d’un risque de résidu et de l’exigence zéro-gluten des
aliments humains Bio. Cette production de protéagineux Bio sera une opportunité pour les élevages de
viandes blanches Bio, notamment volaillers qui se développent. Actuellement, la surface de cultures Bio
et les conversions en France et en Bourgogne ne sont pas suffisantes pour approvisionner les filières
d’élevage qui doivent faire appel aux importations. Par ailleurs, face à la très forte hausse du prix du
soja Bio d’origine italienne (800 € / t), les filières animales cherchent à limiter l’incorporation du soja ou
à s’en affranchir dans les formules d’aliment Bio. Le Groupe DUC, basé dans le département de
l’Yonne, a pour objectif le développement de 45 bâtiments en production biologique d’ici 2015
correspondant à une production de 15 000 poulets/semaine. Deux bâtiments d’élevage poulet Bio ont
démarré en 2012 (700 poulets/semaine). A long terme, la production de poulets de chair biologiques
atteindra 780 000 volailles par an, soit une consommation de 877 t supplémentaires sur 5 800 t de
matières premières biologiques.
Les cahiers des charges des productions labels rouge en volaille permettent l’incorporation de
protéagineux, mais d’autres productions sous signes de qualité telles que la volaille de Bresse les
excluent (Druot, 2011). Une évolution de la réglementation française et européenne, comme elle a été
faite en production biologique, pourrait convertir le terme « céréales » en « graines » et favoriser ainsi
l’usage des protéagineux (CGDD, 2009). Le critère « sans OGM » qui tend à se développer peut avoir
un effet de levier très puissant et favoriser l’utilisation des protéagineux par les FAB, mais quel sera son
devenir ?

Conclusions :
Au plan biotechnique, notre étude a bien identifié des potentiels significatifs d’augmentation de la
production de protéagineux et de leur utilisation par les monogastriques en Bourgogne.

154 Innovations Agronomiques 22 (2012), 135-157


Protéagineux et élevage de monogastriques en Bourgogne

Pour accompagner cette évolution, une activité de recherche est appelée pour adapter les variétés et
les systèmes de culture à une agriculture utilisant moins d’intrants. Les productions en Bio renforcent
les demandes de variétés résistantes aux principales maladies et ravageurs, et font apparaitre la
demande variétés mieux adaptées aux cultures en associations. Tout en s’inscrivant de façon
cohérente dans des stratégies de diversification et de l’agroécologie, les cultures légumineuses à
graines devront néanmoins présenter des caractéristiques de production fiable et de qualité maîtrisée.
Cela passera notamment par des plantes qui, valorisent aux mieux leurs ressources et leurs symbioses.
Les préoccupations environnementales et des productions végétales et animales sous signes de qualité
peuvent encourager cette évolution, mais à condition de bien identifier et valoriser ces contributions. Un
tel contexte renforcera alors une liaison fonctionnelle et en circuits courts entre les secteurs d’amont et
d’aval, et cela d’autant plus que le cahier des charges appelant à la traçabilité et à des qualités
certifiées sera contraignant. C’est notamment dans le domaine des productions Bio en fort
développement actuellement en Bourgogne qu’on voit s’amplifier une logique de territoire et des
liaisons entre acteurs, qui se structurent autour de la définition de cahiers des charges et de la
contractualisation, afin de sécuriser des volumes d’approvisionnement et objectifs quantitatifs de
production.
L’évolution des protéagineux en fonction de cet interfaçage régional culture x élevage va aussi
lourdement dépendre des éléments des filières végétales, eux-mêmes soumis aux évolutions de prix
des énergies fossiles et des engrais et à de nouvelles réglementations environnementales, à l’évolution
des attentes sociétales sur les cultures énergétiques et le non-OGM, ou encore aux besoins protéiques
croissants de l’alimentation humaine.

Remerciements :
Nous remercions Marie-Hélène Jeuffroy (INRA, UMR 0211, Agronomie INRA-AgroParis tech
Thiverval-Grignon-78), Violaine Deytieux (INRA UE-Domaine d’Epoisses-21), Catherine Henault
(INRA - UR Science du Sol, Orléans-45), André Leseigneur (AgroSup Dijon, UMR 1041 CESAER),
ainsi que les élèves ingénieurs Laurent Druot, Mélissa Dumas, Jean-Baptiste Mabire, Benoît Payot
pour leur contribution au projet PSDR-Profile. Nous sommes reconnaissants au Conseil Régional de
Bourgogne et à l’INRA cofinanceurs de PSDR-Profile, à Sandrine Petit (INRA-CESEAR Dijon-21)
animatrice des projets PSDR en région Bourgogne, ainsi qu’à Corinne Peyronnet (UNIP-Paris 75),
Michel Laderach et Gérard Million (Dijon Céréales-21), Christophe Didier et Jean-Luc Denis (Société
Volailles DUC, Chailley- 89) qui ont apporté leur expertise précieuse à cet article.

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Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168

Vers un système fourrager innovant en polyculture-élevage : la démarche


initiée à Lusignan

Novak S.1, Delagarde R.2, Fiorelli J.L.3


1 : UEFE, INRA, Les Verrines, 86600 LUSIGNAN
2 : UMR PEGASE, INRA St Gilles Domaine de la Prise, 35590 SAINT GILLES
3 : UMR ASTER, INRA Domaine du Joly BP 29, 88501 MIRECOURT CEDEX
Correspondance : sfi@listes.inra.fr
Résumé
Afin de répondre aux nouveaux défis auxquels l’élevage laitier doit faire face, un groupe de réflexion
comportant des chercheurs INRA, un représentant du GIS Elevages Demain ainsi que des partenaires
du monde professionnel et associatif, a co-construit un projet de recherche sur des systèmes fourragers
innovants dans un cadre de polyculture-élevage. Ce groupe a préconisé de concevoir de nouveaux
systèmes tirant le meilleur parti des facteurs abiotiques et biotiques du milieu et des effets du
changement climatique, tout en économisant les ressources en voie de raréfaction (énergie fossile,
eau) et en maintenant ou en améliorant la fertilité du sol. Ces nouveaux systèmes fourragers, qualifiés
de « bioclimatiques », ont également pour objectifs de préserver les différents compartiments de
l’environnement et de contribuer à atténuer le réchauffement climatique, tout en assurant la satisfaction
des besoins des troupeaux et les attentes des éleveurs et de la société civile. Le groupe a également
réfléchi à la construction d’un tel système sur l’unité expérimentale Fourrages et Environnement de
l’INRA de Lusignan (UEFE) en Poitou-Charentes. Pour cette unité, l’objectif général sera de concevoir,
mettre en œuvre et évaluer un système bioclimatique adapté aux conditions climatiques futures du
Grand Ouest. En effet, les conditions climatiques actuelles de Lusignan préfigurent celles qui
prévaudront vraisemblablement dans une vingtaine d’années dans le Grand Ouest, principal bassin
laitier français. Le système, associant cultures et élevage, sera conçu en utilisant une approche agro-
écologique basée notamment sur une diversification des fourrages en termes d’espèces et
d’associations, de périodes de production et de modes d’exploitation afin de favoriser la résilience du
système. Des espèces ligneuses seront introduites pour sécuriser l’approvisionnement fourrager en
période de stress hydrique, limiter le stress thermique des animaux et des couverts végétaux, valoriser
l’eau présente dans les couches profondes du sol, et pour stocker du carbone. Le système sera
également conçu en maximisant le pâturage, en élargissant l’utilisation des légumineuses, et en
recyclant l’eau et les nutriments. L’agencement dans le temps et dans l’espace de cette diversité et des
strates herbacées, arbustives et arborées sera organisé de manière à sécuriser l’approvisionnement en
fourrages et à constituer une ration équilibrée pour les ruminants. L’ajustement des besoins des
animaux grâce aux périodes de vêlage, ou grâce à un type génétique animal voire à une race mieux
adaptée sera également étudié. Enfin, la gestion de l’eau et de l’énergie sera optimisée à l’échelle de
l’exploitation, afin d’économiser ou de recycler au maximum ces deux ressources.
Le travail de co-conception se poursuit et nous vous invitons à nous contacter (sfi@listes.inra.fr) si vous
souhaitez apporter votre contribution. A plus long terme, ce projet vise également à cristalliser les
réflexions scientifiques sur les systèmes fourragers bioclimatiques.
Mots-clés: système fourrager, polyculture-élevage, lait bioclimatique, Poitou-Charentes,
diversification, pâturage, cultures, ligneux, ruminants, eau, énergie, co-conception, agroécologie
 
S. Novak et al.

Abstract Toward an innovative forage system for mixed crop-livestock farming: the approach
initiated at Lusignan
This article presents the results of a collaborative thought organized to build a research project on
innovative forage systems achieving the new challenges that dairy farming will have to face, and which
gathered researchers of INRA, a representative of the Scientific Interest Group “GIS Elevages Demain”,
as well as professionals and association representatives. The new forage systems were built in the
frame of mixed crop-livestock farming and they will aim to make the best use of abiotic and biotic factors
and of climate change, while saving water and energy resources and preserving or enhancing soil
fertility. These so-called “bioclimatic systems” will have the additional main objectives to have limited
adverse effects on environment and to contribute to attenuate climate change, while assuring the
welfare of farmers and animals, and expectations of society. The bioclimatic forage systems will be
prototyped to fit for the climate change that will occur in the medium term on the leading dairy regions of
France. It will be implemented in a pluriannual experiment at the farm scale in Poitou-Charentes area,
assuming its current climatic conditions foreshadow the future climate of these leading dairy regions.
The whole mixed crop-dairy system will be redesigned by relying on agroecological approaches based
on the diversification of forage resources using efficiently rainfall water and solar energy and well suited
to the natural properties of the farm land (new species and mixtures including woody plants), on the
development of grazing, a larger use of legumes, and on the recycling of water and nutrients. Key
elements on the management over time of this diversity and of the three-dimensional space (herb,
shrub and tree layers) to enhance the resilience of the system will also be developed. The animal
requirements will be adjusted to a certain extent through calving dates or the breed type. Water and
energy management will be optimized at the farm level, in order to save as much as possible these two
resources. This project is still under co-construction and you are invited to contact us (sfi@listes.inra.fr)
and to contribute to it. In the longer term, this project aims also to network multidisciplinary partners
interested to work on bioclimatic forage systems at various levels.
Keywords: Forage system, mixed crop-livestock farming, bioclimatic milk, Poitou-Charentes,
diversification, grazing, crops, woody plants, ruminants, water, energy, participatory design, agroecology

Introduction
L’élevage laitier doit faire face à de nouveaux défis : maintenir sa production en s’adaptant à la fois au
changement climatique et à la raréfaction des ressources en énergie fossile, tout en étant respectueux
de l’environnement.
Dans le Grand Ouest, principal bassin laitier français (50% du lait produit en Bretagne, Pays de Loire et
Normandie), il est prévu selon les différents modèles de changement climatique une augmentation de la
fréquence des sécheresses estivales et des événements climatiques extrêmes (Déqué, 2011), qui
risquent d’aggraver les pénuries de fourrages déjà observées, comme par exemple en 2011. Les
tensions sur la ressource en eau risquent également de s’accentuer, le changement climatique
induisant une baisse de la restitution d’eau au milieu sous l’effet conjugué de l’augmentation des
températures (et donc de l’évapotranspiration des plantes) et d’une baisse probable des précipitations
notamment dans l’Ouest de la France (Itier, 2010).
En revanche, une augmentation des températures au début du printemps et à la fin de l’automne
pourrait favoriser la croissance des plantes fourragères à ces périodes où les réserves en eau du sol
sont en principe bien pourvues. L’augmentation de la concentration en CO2 atmosphérique devrait
également avoir un effet bénéfique sur la production de biomasse des plantes en C3 (Durand et al.,
2010).

160 Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168  


Vers un système fourrager innovant en polyculture - élevage

L’extraction de pétrole et gaz fossiles risque d’atteindre son pic avant 2020 (Murray et King, 2012) ce
qui aura un impact important en agriculture sur les coûts de production liés aux intrants de synthèse,
comme par exemple les engrais minéraux azotés.
De nouveaux systèmes laitiers doivent donc être conçus afin de faire face aux effets combinés du
changement climatique et de la raréfaction des ressources en eau et en énergie, tout en répondant aux
attentes contrastées des divers porteurs d’enjeux (éleveurs, conseillers, filière, société civile, décideurs
politiques, …), portant notamment sur une sécurisation de l’approvisionnement en fourrages et sur la
préservation de l’environnement.
Afin de concevoir de nouveaux systèmes qui soient « profondément durables », Hill (1998) préconise
d’utiliser une approche globale du changement, selon lui plus efficace que les stratégies visant
simplement à améliorer l’efficacité d’une technique ou d’un produit, ou à les substituer par d’autres
techniques ou produits. Cette notion de « deep design / redesign » définie par Hill (2006) comporte à la
fois l’idée d’une rupture avec le système existant, et une volonté de considérer le système de
production dans son ensemble. Elle est particulièrement présente dans les approches agro-écologiques
(e.g. Gliessman, 2006) et holistiques (e.g. Savory et Butterfield, 1999).
Plusieurs études ont par ailleurs montré que pour favoriser l’émergence et l’adoption d’innovations, il est
important que le processus de conception implique à la fois des chercheurs de disciplines variées et
des porteurs d’enjeux (Le Gal et al., 2011).
Dans ce contexte, un groupe de travail missionné par six départements scientifiques de l’INRA et
composé des trois co-auteurs de cet article, a travaillé à la construction d’un programme de recherche
sur des systèmes fourragers innovants associant cultures et élevage, en rupture avec les systèmes
existants, qui sera mis en œuvre sur l’unité expérimentale Fourrages et Environnement de l’INRA de
Lusignan (UEFE) en Poitou-Charentes. Ce travail s’inscrit dans la suite d’une réflexion prospective plus
large sur les systèmes fourragers initiée en 2009 par plusieurs départements scientifiques de l’INRA, et
approfondie par un premier groupe de travail pluridisciplinaire composé de scientifiques de l’INRA
(Plantureux et al., 2010). Cet article présente la méthodologie mise en œuvre par le second groupe de
travail, ainsi que les premiers résultats et conclusions de ce travail et quelques perspectives.

Méthodologie
Nous avons dans un premier temps, constitué un groupe de réflexion associant des chercheurs et des
partenaires du monde professionnel et associatif intéressés par l’élaboration de nouveaux systèmes
fourragers en polyculture-élevage. Les objectifs étaient également de disposer d’un panel de domaines
d’expertise assez large pour prendre en compte les principales composantes du système fourrager,
mais également de regrouper un collectif de personnes ayant a priori des points de vue différents. Afin
de faciliter les échanges d’idées, les participants n’ont eu connaissance de la structure d’appartenance
des autres membres du groupe qu’à l’issue du premier atelier de réflexion.
Le travail de réflexion du groupe ainsi constitué s’est déroulé sur trois journées (ou ateliers) espacées
d’un mois (Tableau 1). Les deux premiers ateliers avaient pour objectif de faire émerger des innovations
sur les systèmes fourragers, et le troisième visait à réfléchir à un projet de recherche appliquée sur
l’UEFE.

L’animation des ateliers s’est appuyée sur une méthode appelée « fertilisation croisée des idées»
utilisée en innovation. Cette méthode permet de faire émerger des idées en suscitant la créativité, et de
les approfondir en favorisant les interactions positives entre participants.
La première journée d’échange a permis de faire émerger une cinquantaine d’idées que nous avons
regroupées en sept thèmes (Tableau 2). Cinq idées représentatives ont ensuite été sélectionnées pour
être fertilisées par les participants au groupe de réflexion lors du deuxième atelier.

 
Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168 161 
S. Novak et al.

Tableau 1 : Démarche suivie pour la construction d’un projet sur les systèmes fourragers innovants à l’unité
expérimentale Fourrages et Environnement de l’INRA de Lusignan.

Atelier Ordre du jour Participants Principaux résultats


présents §
1/ janvier 2012 Recueil d’idées sur des systèmes 7 chercheurs 48 idées + 4*
fourragers innovants et échanges
+ 7 partenaires
2/ février 2012 Approfondissement des idées exprimées 7 chercheurs fertilisation croisée de
à la 1ère réunion 5 idées
+ 5 partenaires
3/ mars 2012 Réflexions sur les expérimentations à 5 chercheurs (pas de éléments pour un plan
mener sur Lusignan en lien avec ces partenaires invités) d’action sur l’UEFE
idées
§La liste des participants est donnée dans la partie « Remerciements ».
*Un partenaire présent seulement à la seconde réunion a proposé quatre idées complémentaires à celles émises lors de la
première journée.

Tableau 2 : Eléments sur les idées émises lors des ateliers de réflexion sur les systèmes fourragers innovants.

Thème Nombre d’idées Idée choisie pour la fertilisation croisée

Diversifier les ressources fourragères 12 Diversifier les cultures … avec et au-delà des
prairies
Diversifier le système d’élevage 5 -
Avec des arbres ou les ligneux sous 7 Des arbres pour l’élevage
toutes leurs formes
Moins d’intrants 10 Des systèmes fourragers productifs mais auto-
suffisants
Efficience globale par rapport à l’énergie 4 Un élevage laitier qui préserve vraiment l’eau
et à l’eau et l’énergie
Animaux et végétaux adaptés 4 -
Systèmes fourragers territoriaux 10 L’autonomie construite au niveau du territoire

Enfin, le troisième atelier a permis de discuter des objectifs à assigner au système mis en place sur
l’UEFE, et des principales approches qui seront mises en œuvre pour répondre à ces objectifs.
En s’appuyant sur les propositions et discussions ayant eu lieu au cours de ces trois ateliers, nous
avons établi les bases d’un projet de système fourrager innovant à Lusignan, dont les principales pistes
sont indiquées ci-dessous.

Résultats et discussions
Les échanges d’idées entre participants ont été nombreux et constructifs, et nous pensons qu’ils ont été
favorisés par le fait que l’exercice qui leur était proposé sortait de l’ordinaire, tant au niveau du fond que
de la forme.

162 Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168  


Vers un système fourrager innovant en polyculture - élevage

Ces ateliers de réflexion ont, en premier lieu, été l’occasion pour les participants de discuter des
nouveaux enjeux auxquels doit répondre l’élevage laitier, et dont certains ont été évoqués en
introduction.
Pour répondre à ces multiples enjeux, le groupe de réflexion a préconisé de concevoir de nouveaux
systèmes fourragers tirant le meilleur parti des facteurs abiotiques et biotiques du milieu (eau, sol,
rayonnement solaire, espace disponible, insectes auxiliaires, bactéries symbiotiques …) et des effets du
changement climatique, tout en économisant les ressources en voie de raréfaction (énergie fossile,
eau) et en maintenant voire en améliorant la fertilité du sol afin d’assurer la pérennité du système. Ces
nouveaux systèmes fourragers devront par ailleurs préserver les différents compartiments de
l’environnement (eau, air, sol, faune et flore) et contribuer à atténuer le réchauffement climatique, tout
en assurant la satisfaction des besoins des troupeaux et les attentes des éleveurs et de la société civile.
De tels systèmes ont été qualifiés de « bioclimatiques » par analogie au concept développé en
architecture1.
Les systèmes en polyculture-élevage, associant étroitement productions animales et végétales ont été
considérés comme présentant de nombreux avantages, notamment grâce à leur possibilité de
recyclage des éléments nutritifs, de diversification des activités et d’utilisation des cultures à double fin
(vente ou fourrage).
Il a été décidé par le groupe de réflexion que l’objectif général du système qui sera mis en place à
Lusignan soit de concevoir, de mettre en œuvre et d’évaluer un système fourrager bioclimatique
associant cultures et élevage, adapté aux conditions climatiques futures du Grand Ouest. En effet, les
conditions climatiques actuelles de Lusignan préfigurent celles qui prévaudront vraisemblablement dans
une vingtaine d’années dans le Grand Ouest, principal bassin laitier français.

L’Unité Expérimentale Fourrages et Environnement (UEFE) de l’INRA de Lusignan est située en Poitou-
Charentes, dans la Vienne, sur des sols limono-argileux sur argile rouge appelés « Terres rouges à
châtaigniers » (brunisol, ferro-nodulaire, luvique). L’Unité dispose d’une exploitation qui comporte un
troupeau de 70 vaches laitières Prim’Holstein, et peut mobiliser 140 ha pour tester un système fourrager
bioclimatique associant cultures annuelles, prairies temporaires et des cultures de vente. L’équipe FÉE
(Fourrages, Énergie, Eau) de l’UEFE mène depuis plusieurs années des expérimentations sur des
ressources fourragères économes en eau et en énergie (e.g. Emile et al., 2008 ; Emile et Novak, 2011),
et a inauguré en 2010 un bâtiment d’élevage conçu pour économiser l’eau et l’énergie, comportant
notamment un nettoyage des déjections par hydrocurage.

Le système fourrager bioclimatique de Lusignan sera conçu en considérant le système de production


dans son ensemble, et en utilisant une approche agro-écologique basée sur une diversification des
fourrages en termes d’espèces et d’associations, de périodes de production et de modes d’exploitation,
sur le développement du pâturage, sur une plus large utilisation des légumineuses, et sur le recyclage
de l’eau et des nutriments.
Nous faisons l’hypothèse majeure que la diversification des ressources fourragères est un moyen
de premier ordre pour répondre aux objectifs assignés à un système fourrager bioclimatique. Elle
permet non seulement de sécuriser l’approvisionnement en fourrages, mais également de limiter
                                                            
1
  L'architecture bioclimatique est l'art et le savoir-faire de tirer le meilleur parti des conditions d'un site et de son
environnement, pour une architecture naturellement la plus confortable pour ses utilisateurs. La conception bioclimatique a
pour objectif principal d'obtenir des conditions de vie, adéquates et agréables de manière la plus naturelle possible, en
utilisant avant tout des moyens architecturaux, les énergies renouvelables disponibles sur le site, et en utilisant le moins
possible les moyens techniques mécanisés et le moins d'énergies extérieures au site.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Architecture_bioclimatique

 
Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168 163 
S. Novak et al.

l’utilisation d’intrants à forte empreinte énergétique (engrais minéraux azotés de synthèse, aliments
concentrés exogènes) en s’appuyant sur une gestion agro-écologique du système. Ainsi, l’utilisation de
plantes aux besoins en rayonnements solaires, en eau, et en éléments nutritifs diversifiés dans le temps
et dans l’espace permet à la fois de mieux valoriser les ressources naturelles du milieu et d’étaler la
production de fourrages dans le temps.
Cette diversification présente également l’intérêt de préserver la qualité de la ressource en eau, que ce
soit vis-à-vis des pesticides, en réduisant le risque de prolifération de bio-agresseurs grâce notamment
à la présence d’auxiliaires ou en contrôlant la prolifération des adventices par la couverture du sol et la
diversité des cycles culturaux (cultures pérennes, alternance de cultures d’hiver et de printemps), ou
vis-à-vis du risque de pollution nitrique, grâce à une réduction des apports en engrais azotés de
synthèse (présence importante de légumineuses) et un meilleur prélèvement des nitrates par les
plantes, à la fois dans l’espace racinaire et dans le temps.
La diversification des espèces cultivées et la présence renforcée des cultures à double fin (fourrages
et/ou récolte en grains) dans les rotations constituent également un élément clé de la résilience du
système fourrager face aux aléas climatiques, permettant une orientation raisonnée de l’utilisation des
surfaces selon les conditions et les risques à moyen et long terme.
L’utilisation de strates arbustives ou arborées constitue également une stratégie innovante pour
sécuriser l’approvisionnement fourrager en période de stress hydrique, pour limiter le stress thermique
des animaux et des couverts végétaux, pour valoriser l’eau présente dans les couches profondes du
sol, et pour stocker du carbone (Jose, 2009 ; Malézieux et al., 2009).
Au niveau zootechnique, la diversification des ressources fourragères est à raisonner d’une part au
niveau de l’adéquation entre les besoins des animaux (ajustement des périodes de vêlage ou du type
génétique voire de la race) et les ressources disponibles et d’autre part, dans le cadre de la
complémentarité entre aliments de manière à constituer une ration équilibrée, en combinant des
fourrages de différentes valeurs alimentaires (stocks, pâturage, affourragement en vert). Les possibilités
d’associer des fourrages « grossiers », présents en quantité importante mais de qualité limitée, avec
des fourrages, des racines ou des fruits de haute qualité (notion de banque énergétique ou protéique)
seront étudiées.
Répondant bien aux objectifs d’économie d’énergie, le pâturage sera un mode privilégié d’utilisation
des ressources, ce qui implique d’étudier la « pâturabilité » de nouveaux types de couverts, purs ou en
mélanges (chicorée, betterave, navets, graminées en C4 tempérées et méditerranéennes), en cultures
annuelles principales ou en couverts intermédiaires. Dans le même objectif, l’implantation de cultures
pérennes ou annuelles auto-ressemées permettant une diminution du travail du sol, de même qu’une
utilisation la plus large possible des légumineuses (fourragères ou à graines) et une meilleure gestion
des effluents seront également recherchées.
Afin d’économiser les ressources en eau souterraine et superficielle, plusieurs stratégies seront
étudiées. Elles reposent sur une meilleure valorisation i) des effluents liquides (ex : eaux brunes
produites par l’hydrocurage), ii) de l’eau contenue dans le sol (par augmentation de sa réserve utile et
diminution de son évaporation ou en esquivant les périodes à fort déficit hydrique par une récolte
précoce) et iii) de l’eau présente dans les fourrages non séchés permettant de limiter le besoin en eau
d’abreuvement des animaux.
Si l’on considère la production d’énergie comme une fonction associée aux systèmes fourragers
bioclimatiques, plusieurs voies peuvent être envisagées comme notamment l’imbrication de panneaux
solaires dans le système, ou la valorisation de la biomasse des arbres et des haies en complément de
leurs rôles fourrager et d’abri.
Des innovations dans l’insertion du système fourrager dans le territoire ont également été discutées,
tant du point de vue du recyclage des éléments nutritifs avec des idées sur des échanges organisés

164 Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168  


Vers un système fourrager innovant en polyculture - élevage

entre producteurs (paille/ fumier, céréales/légumineuses, utilisation conjointe de parcelles), que du point
de vue de la valorisation des produits passant par une nouvelle organisation des filières (circuits courts,
label de qualité). Des pistes ont également été évoquées concernant l’entretien du paysage (espaces
naturels ou collectifs) ou la création de liens avec la société civile (enseignement primaire ou
secondaire, usagers et acteurs du territoire, …). Cependant, ces réflexions sur une insertion territoriale
du système fourrager ne seront pas mises en œuvre dans un premier temps dans le projet de l’UEFE,
dont l’échelle de travail se limite pour l’instant à l’exploitation.
Le groupe de travail a également initié avec les partenaires une réflexion sur le type d’expérimentations
à mettre en place pour tester un tel système.
Actuellement, les recherches en agriculture sont conduites selon deux grands types de démarche
expérimentale : i/ des expérimentations de type analytique (ou factorielles) à l’échelle de parcelles ou
de lots d’animaux faisant varier un ou deux facteurs à la fois, ou ii/ des expérimentations-système
pluridisciplinaires, multifactorielles et pluriannuelles, conduites à l’échelle de dispositifs caractérisés par
une visée globale et organisée des divers enjeux d’un système de production (Reau et al. , 1996 ;
Meynard et al., 2006).
L’approche « expérimentation-système » nous semble être la plus pertinente pour mettre en
œuvre un système fourrager innovant pour plusieurs raisons. D’une part, elle permet de tester une
combinaison de techniques et de pratiques et d’évaluer la cohérence des techniques entre elles et vis-
à-vis des objectifs à atteindre. D’autre part, elle permet d’évaluer le système de production de manière
globale, et donc de prendre en compte les transferts de pollution qui peuvent avoir lieu d’un
compartiment à l’autre de l’exploitation (par exemple, une pratique peut diminuer les émissions de gaz à
effet de serre lors du stockage des effluents d’élevage, mais les augmenter lors de l’épandage). Il nous
semble également qu’expérimenter dans un cadre défini d’objectifs et de contraintes favorise
l’émergence de techniques ou de pratiques innovantes.
Cependant, des essais analytiques nous semblent également nécessaires, par exemple pour
déterminer la valeur alimentaire de nouveaux fourrages ou pour tester de nouveaux itinéraires
culturaux, afin de piloter au mieux l’expérimentation-système et atteindre les objectifs fixés.
Face à cette double ambition, deux types d’approche ont été identifiés : i/ intégrer des essais
analytiques à l’expérimentation-système en veillant à ce qu’ils soient cohérents avec le cadre d’objectifs
et de contraintes fixés et qu’ils perturbent le moins possible le système, ou ii/ réaliser ces essais en
dehors de l’expérimentation-système en mettant « hors système » une partie du troupeau et des
surfaces (exemple 40 vaches affectées « définitivement » à l’expérimentation-système et 30 vaches
affectées à des essais à court terme, plus analytiques). Au stade actuel de la réflexion, des freins ont
été identifiés dans ces deux approches. Dans le premier cas, il faut veiller à ce que les essais
analytiques conduits sur une partie du système ne perturbent pas son fonctionnement global par leurs
arrières-effets (ex : essais sur la valeur alimentaire impactant durablement un lot d’animaux). Le
deuxième type d’approche complique fortement la gestion des animaux, des surfaces fourragères et
des effluents (plusieurs troupeaux physiques permanents à conduire, associés à des ressources, à des
surfaces fourragères et à des effluents).
Quel que soit le type d’expérimentation mis en place sur le site de l’UEFE, il serait par ailleurs
intéressant de mener des expérimentations en partenariat avec un réseau d’agriculteurs, dans le cadre
d’une recherche participative.

Structure du projet
Sur ces bases, un plan d’action décomposé en trois tâches complémentaires a été élaboré. La première
tâche, centrale, a pour but de concevoir le système fourrager bioclimatique, la seconde vise à

 
Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168 165 
S. Novak et al.

rassembler des éléments de connaissances sur les potentialités des nouvelles ressources fourragères
et leur utilisation dans un contexte « Grand Ouest », et la troisième a pour objectif d’organiser dans le
temps et dans l’espace la gestion des ressources fourragères d’une part, et des ressources en eau et
en énergie, d’autre part.
Tâche 1 : conception du système fourrager bioclimatique
Il s’agira de configurer avec des experts et des opérateurs aux savoirs variés des systèmes fourragers
prototypes associant cultures et élevage en s’appuyant sur les résultats acquis dans les autres tâches.
La méthode utilisée sera adaptée d’une méthode générique développée pour la conception de
systèmes de cultures innovants (Debaeke et al., 2009 ; Reau et al., 2010). La configuration des
systèmes reposera principalement sur l’expertise, les modèles de simulation multiespèces n’étant pas
encore suffisamment performants (Malézieux et al., 2009). Cependant, des modèles simples
d’adéquation entre besoins des animaux et ressources fourragères seront utilisés. Les objectifs du
système seront précisés et hiérarchisés, puis exprimés en termes de critères d’évaluation, en spécifiant
les résultats à atteindre pour chaque critère. Ces critères seront discutés avec des porteurs d’enjeu. Un
jeu de principes et de règles de décision sera également établi pour conduire le système.
Ces prototypes feront ensuite l’objet d’améliorations pas-à-pas lors de la mise en œuvre de
l’expérimentation-système sur le long-terme, notamment grâce à l’apprentissage de ses opérateurs
(Coquil et al., 2011). La mise en œuvre du système est prévue à compter de fin 2013.
Des expérimentations analytiques complémentaires, cohérentes avec les objectifs du système et ne le
perturbant pas, seront également mises en place en fonction des besoins identifiés.
A ces étapes de configuration et de mise en œuvre du système sera associée une étape d’évaluation
multicritère afin de 1/ discriminer les systèmes candidats (évaluation ex ante) et 2/ vérifier si les objectifs
visés par le système sont atteints (évaluation ex post). Cette évaluation multicritère prendra en compte
des critères environnementaux, économiques et sociaux et étudiera l’empreinte du système à différents
niveaux.
Tâche 2 : diversification des fourrages
Un travail exploratoire s’attachera à identifier de nouvelles espèces et variétés de fourrages adaptés au
changement climatique dans un contexte « Grand Ouest » et à une utilisation parcimonieuse des
ressources. Il déterminera également les mélanges, associations et combinaisons permettant de
sécuriser les ressources fourragères quels que soient les aléas climatiques, en s’intéressant également
à la diversité des périodes de production et des modes d’exploitation, à la fois au niveau des cultures
principales et dérobées, et des cultures pérennes. Cette étude concernera aussi bien les espèces
herbacées que ligneuses.
Tâche 3 : gestion intégrée des ressources
L’agencement dans le temps et dans l’espace, en termes d’assolement et de strates, des ressources
fourragères et des cultures de vente sera organisé au niveau stratégique (choix des systèmes de
culture et de leur organisation dans l’assolement), et au niveau de leur conduite en adaptant le pilotage
des systèmes de culture et l’exploitation des ressources fourragères aux conditions climatiques de
l’année considérée. L’implantation d’espèces ligneuses nécessitera d’organiser les trois dimensions de
l’espace sur des pas de temps suffisamment longs pour prendre en compte l’évolution des strates.
Cette organisation de la diversité de ressources fourragères sera réfléchie de manière à satisfaire les
besoins des animaux en combinant des fourrages de valeurs alimentaires pouvant être très différentes.
L’ajustement de ces besoins grâce aux périodes de vêlage, ou grâce à un type génétique animal voire à
une race mieux adaptée sera également étudié.

166 Innovations Agronomiques 22 (2012), 159-168  


Vers un système fourrager innovant en polyculture - élevage

La gestion de l’eau et de l’énergie sera optimisée à l’échelle de l’exploitation, afin d’économiser ou de


recycler au maximum ces deux ressources. Pour cela, les équipements déjà présents sur le site
expérimental de Lusignan seront valorisés.

Conclusions et perspectives
La méthodologie mise en œuvre pour co-concevoir un système fourrager innovant sur une unité
expérimentale de l’INRA de Lusignan a permis d’établir les bases d’un nouveau système, qualifié de
« bioclimatique », grâce à une fertilisation croisée des idées provenant d’experts et d’acteurs d’horizons
variés.
Ce projet n’en est qu’à ses prémices, et beaucoup de questions sont encore en suspens. Il reste
notamment des décisions importantes à prendre en termes de stratégies d’élevage (choix de la race ou
des types génétiques, gestion de la reproduction, conduite du troupeau, élevage des génisses), de
choix des systèmes de culture et d’organisation des strates. Il faudra également statuer sur le nombre
de systèmes à expérimenter, en préciser les objectifs et les hiérarchiser.
Pour cela, le travail de co-conception se poursuit, mais avec un groupe plus restreint qui mobilisera
ponctuellement des experts pour approfondir certaines questions. Ce projet s’appuiera également sur
l’expérience acquise par les équipes de recherche et de recherche-développement ayant déjà mis en
place des expérimentations-système en élevage de ruminants (e.g. Coquil et al., 2009 ; Durant et
Kernéis, 2010 ; Coppa et al., 2012).
Afin que ce projet se concrétise par une plateforme de recherche et d’innovation, des liens forts avec
les partenaires tant scientifiques que du monde professionnel et associatif sont encore à tisser, de
manière à les impliquer durablement. Si vous souhaitez apporter votre contribution, nous vous invitons
à nous contacter (sfi@listes.inra.fr). A plus long terme, ce projet vise également à cristalliser les
réflexions scientifiques sur les systèmes fourragers bioclimatiques.

Remerciements
Nous remercions vivement les participants aux ateliers de réflexion pour leur contribution active à ce
projet, à savoir (par ordre alphabétique) R. Baumont (GIS Elevages Demain), C. Bordet (Solagro), J.
Chemarin (C.A. 86), J.C. Emile (INRA UEFE), A. Farruggia (INRA UMRH), L. Guichard (INRA UMR
Agronomie), P. Guy (FNE), E. Kernéis (INRA DSLP), F. Liagre (Agroof), J.M. Lusson (RAD), C.
Mosnier (INRA UMRH), J. Mousset (ADEME), A. Pfimlin (retraité IDELE), B. Rolland (INRA APBV), P.
Roux (agriculteur 86), F. Sangouard (LEGTA Mirecourt), F. Santi (INRA UAGPF).
Nous remercions également Véronique Saint Ges (réseau Res’Innov, INRA) pour son soutien dans
l’animation des ateliers.

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Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183

Intérêt des prairies cultivées multiespèces dans le contexte des systèmes de


polyculture-élevage

Gastal F., Julier B., Surault F., Litrico I., Durand J.-L.,
Denoue D., Ghesquière M., Sampoux J.-P.

INRA, UR4, Unité de Recherche Pluridisciplinaire Prairies et Plantes Fourragères, BP80006,


86600 Lusignan

Correspondance
Francois.Gastal@lusignan.inra.fr

Résumé
Les prairies multiespèces (PMS) sont de plus en plus utilisées, en raison des bénéfices agronomiques
attribués. Toutefois, la composition végétale, les conditions de milieu et de gestion permettant la
réalisation des bénéfices agronomiques potentiels des PMS, ainsi que la nature de ces bénéfices,
restent à déterminer, selon les objectifs de production et de durée dans les rotations. Le corpus de
données expérimentales récentes sur les prairies semées, confirme l’intérêt des PMS. Les associations
de graminées et légumineuses permettent souvent un maintien de la productivité et une amélioration de
la valeur alimentaire avec une réduction de la fertilisation azotée. Les mélanges de graminées
présentent des avantages de productivité annuelle réels mais moins systématiques. Au-delà, les PMS
permettent une meilleure régularité de production intra-annuelle, une meilleure pérennité à long terme
et une meilleure résilience. Dans un contexte de polyculture élevage, le choix des espèces est à
adapter selon les objectifs de durée des prairies. Les PMS permettent également de lutter contre les
adventices. L’analyse détaillée des processus de compétition et de facilitation entre espèces en
mélange, permet d’orienter le choix des assemblages de diversité. L’intérêt de la manipulation de la
diversité intraspécifique, complémentaire de la diversité en espèces, reste à préciser.
Mots-clés : mélanges, légumineuses, graminées, variétés, productivité, valeur agronomique.

Abstract: Interest of grasslands and multispecies perenial forage crops in the context of
mixed crop and livestock farming systems
Multispecies grasslands (MSG) are increasingly used because they are credited agronomic benefits.
However, vegetation composition, environmental conditions and management needed to achieve the
potential agronomic benefits of MSG, as well as the nature of these benefits, still have to be determined,
depending on the objectives of production and duration in rotations. Recent experimental data collected
on sown grasslands confirms the interest of MSG. Associations of grasses and legumes can often
maintain productivity and improve nutritional value with a reduction of nitrogen fertilization. Grass
mixtures have real but less systematic advantages in annual productivity. In addition, MSG allows a
better regularity of within-year production, a better long-term persistency and a better resilience. In the
context of mixed crop and livestock farming systems, the choice of species has to be adapted according
to the objectives of grassland duration. MSG can also contribute to lower weed invasions. A detailed
analysis of competition and facilitation processes between species in a mixture, can guide the selection
of diversity assemblies. The interest of the manipulation of intraspecific diversity, complementary
species diversity, is to state.
Keywords: mixtures, legumes, grasses, varieties, productivity, agronomic value.
F. Gastal et al.

1- Introduction
La révolution verte des dernières décades a conduit à une simplification des prairies et des systèmes
fourragers, accompagnée d’une réduction de la diversité végétale semée et du développement de
monocultures. Cette évolution a été liée à un double contexte i) d’intensification des conditions de
production (développement de la fertilisation minérale, de l’utilisation des traitements phytosanitaires,
raccourcissement des rotations) et ii) d’amélioration génétique appliquée essentiellement à la culture
monospécifique. Dans le contexte actuel de réduction des intrants et de contrainte hydrique et
climatique croissante, les prairies multiespèces (PMS) sont de plus en plus utilisées par les agriculteurs,
en raison des divers bénéfices agronomiques qui leur sont attribués. Parallèlement, l’autorisation de
commercialisation des mélanges en France depuis 2004 est également un facteur qui a conduit au
développement de l’utilisation de ces PMS. Toutefois, les conditions de composition, de milieu et de
gestion dans lesquelles les PMS présentent des avantages agronomiques de diverses natures, restent
dans une large mesure à déterminer et à comprendre de manière objective.
Les systèmes de polyculture-élevage impliquent par définition la coexistence de productions végétales
et animales, qui peuvent interagir entre elles à travers des flux de matières à l’échelle de l’exploitation
ou du territoire (flux d’aliments pour l’élevage, flux d’effluents). Ces différents systèmes de production
interagissent aussi à l’échelle de l’exploitation à travers des successions prairies-cultures annuelles.
Dans ce contexte de polyculture-élevage, la nature et l’intérêt des PMS sont donc à considérer en
fonction des objectifs de production, de valeur alimentaire et de durée de vie des prairies semées.
L’objectif de la présente contribution est de mieux définir l’intérêt des PMS de manière générale, et en
particulier selon leur durée de maintien dans des rotations. Trois questions sont abordées :
- quelles sont les conditions de composition spécifique, de milieu et de gestion qui permettent la
réalisation de l’avantage potentiel des mélanges, en termes de productivité intra et interannuelle, mais
aussi sur les autres composantes de leur valeur agronomique (valeur alimentaire, pérennité, protection
contre les adventices) ?
- quels sont les processus qui peuvent être à la base des avantages agronomiques des mélanges ?
Une meilleure connaissance de ces processus permet d’identifier les conditions de réalisation des
bénéfices des mélanges.
- la diversité intraspécifique peut-elle également contribuer à l’avantage des mélanges ? Chez les
espèces prairiales semées, la diversité génétique est constitutive des variétés semées. La manipulation
de la diversité intraspécifique, au cours de la sélection des variétés et/ou lors constitution des mélanges
(assemblage de variétés) est, dans le contexte des végétations semées, une manière d’élargir la
diversité spécifique.

2- Intérêt de la diversité inter spécifique


Le rôle positif que peut jouer la diversité végétale vis-à-vis de la valeur agronomique des prairies n’est
pas une idée nouvelle. Il a fait l’objet de nombreux débats et controverses dans les années 1960-70, en
raison du manque de données expérimentales claires et objectives, hormis l’intérêt bien établi des
associations de légumineuses avec des graminées et d’autres dicots prairiales. Un ensemble d’études
récentes conduites dans le domaine de l’écologie apporte des éléments expérimentaux objectifs
démontrant que la diversité végétale peut être favorable à la productivité primaire (Hector et al., 1999 ;
Gross et Cardinale, 2007). La transposition de ces connaissances écologiques à un contexte
agronomique pose cependant un certain nombre de questions : l’intérêt de la diversité spécifique est-il
maintenu dans le contexte des prairies semées, dont la diversité interspécifique est souvent plus réduite
que dans les végétations naturelles ? L’effet positif de la diversité est-il dépendant de l’âge de la
prairie ? Le mode d’exploitation (fauche, type de pâturage) modifie-t-il ces conclusions ?

170 Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183


Intérêt des prairies multi-espèces

Dans le contexte des prairies à usage agricole, le semis de mélanges d’espèces fourragères est
pratiqué avec différents objectifs : (1) réduire l’utilisation d’intrants (fertilisation, herbicides), (2)
augmenter la performance agronomique (rendement, valeur alimentaire) ou la maintenir à un niveau
acceptable dans des situations de contraintes pédoclimatiques fortes (notamment sécheresse), (3)
améliorer la régularité de la production fourragère entre les saisons. Ces divers aspects seront illustrés
à partir d’expérimentations conduites sur le site INRA de Lusignan, et seront discutées dans le contexte
plus large de la bibliographie actuelle.

2-1 Réduire l’utilisation des intrants (fertilisation azotée, herbicides)


Les légumineuses fourragères sont capables de fixer l’azote atmosphérique de l’air grâce à une
symbiose avec des champignons du sol, les Rhizobium. Il est bien établi qu’un mélange de graminées
et de légumineuses fourragères permet de combiner les intérêts agronomiques des deux familles
d’espèces tout en limitant l’apport d’engrais azotés de synthèse. Cet aspect a été développé par Louarn
et al. (2010) et n’est pas repris ici.
Le développement des adventices contribue souvent à la réduction du rendement fourrager, de la
valeur alimentaire, et finalement, conduit l’agriculteur à prendre la décision de retourner sa prairie. Le
désherbage chimique des cultures monospécifiques est une solution qui nuit au bilan environnemental
des cultures fourragères. Les mélanges d’espèces, en combinant des espèces ayant des dynamiques
de croissance contrastées, permettent de lutter contre les adventices. Par exemple, alors qu’une culture
de luzerne pure requiert souvent un désherbage chimique à l’implantation, une culture associant
luzerne et graminées est peu affectée par les adventices, sans aucun traitement herbicide (Tableau 1).
Avec son port étalé et ses limbes retombants, la graminée permet une meilleure couverture du sol et
limite le développement des adventices, dès l’implantation mais aussi après chaque coupe tant que le
développement végétatif de la luzerne ne lui permet pas d’ombrer suffisamment les inter-rangs et
d’empêcher la croissance des adventices.
Tableau 1 : Contribution (%) des adventices à la biomasse récoltée dans des couverts associant luzerne (L) et
diverses graminées, en comparaison de la luzerne pure, dans deux lieux (Lusignan – Vienne et Somme-Vesles -
Marne) en première coupe de printemps.
  Année 1  Année 2 
  Lusignan  Somme‐Vesles  Lusignan  Somme‐Vesles 
L‐Fétuque élevée  2  29  1  11 
L‐Dactyle  1  19  1  11 
L‐Fétuque des prés  1  21  1  1 
L‐Brome  1  35  6  34 
L‐Fléole des prés  2  26  2  8 
L‐Festulolium  0  10  1  4 
L‐Ray‐grass anglais  0  10  0  3 
Luzerne témoin  10  61  9  44 

Cette interaction entre les espèces semées et les adventices est également observée dans des
mélanges de graminées. Dans un essai de longue durée, la proportion de sol nu a été notée
visuellement après 8 années d’exploitation. Les prairies composées de fétuque élevée et de fétuque
rouge couvrent nettement plus le sol après 8 années que des prairies sans ces deux espèces. Cette
meilleure couverture du sol limite le développement des adventices dans ces prairies (Figure 1).

Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183 171


F. Gastal et al.

Figure 1 : Proportion de sol couvert par les espèces semées et part moyenne des adventices dans la biomasse
récoltée chez 5 associations après 8 années d’exploitation (rythme de coupe rapide, fertilisation azotée normale).

1-Ray-grass anglais, 2-Trèfle blanc, 3-Dactyle, 4-Fétuque élevée, 5-Fétuque des prés, 6-Fétuque rouge

2-2 Améliorer la valeur agronomique

Rendement fourrager
Dans un essai conduit sur le site de Lusignan, 25 prairies composées soit d’une espèce de graminée,
soit de plusieurs graminées (mélanges), soit de plusieurs espèces de graminées et de légumineuses
(associations) ont été comparées entre 2003 et 2010. Le rendement annuel de chaque prairie est
positivement corrélé au nombre d’espèces semées (Tableau 2), et en particulier pour les deux années
les plus productives (2007 et 2008). Ce résultat montre qu’une façon de sécuriser la production
fourragère est de mélanger différentes espèces.
Tableau 2 : Corrélations entre la production annuelle et le nombre d’espèces semées dans les mélanges de
graminées et de graminées/légumineuses, sous deux niveaux de fertilisation et deux fréquences de coupe.
Mode d’exploitation 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Fréquent / N -
Graminées 0.06 0.16 0.38 0.50 0.59 0.22 0.36
Graminées/Légumineuses 0.27 0.29 0.26 0.56 0.53 0.37 0.24
Fréquent / N +
Graminées 0.35 0.42 0.52 0.58 0.61 0.15 0.50
Graminées/Légumineuses 0.15 0.33 0.32 0.46 0.37 0.27 0.24
Lent / N -
Graminées -0.04 0.03 0.12 0.55 0.22 0.40 0.43
Graminées/Légumineuses 0.05 0.08 0.01 0.22 0.20 0.05 0.10
Lent / N +
Graminées 0.08 0.24 0.41 0.55 0.38 0.47 0.53
Graminées/Légumineuses 0.03 0.72 0.68 0.56 0.86 0.59 0.70

Cependant, les potentiels de rendement des différentes espèces sont très contrastés, et sont affectés
par les conditions pédoclimatiques et les modes d’exploitation. La composition spécifique des mélanges
doit donc être raisonnée en fonction de l’adaptation de chaque espèce aux contraintes subies par la

172 Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183


Intérêt des prairies multi-espèces

prairie et à la durée de vie espérée de cette prairie.


Ces résultats illustrent et s’accordent avec nombre de travaux récents sur les prairies destinées à
l’élevage, qui montrent que la diversité végétale est un facteur qui peut être favorable à la productivité
des prairies semées (Sanderson et al., 2004 ; Kirwan et al., 2007; Lüscher et al., 2008; Nyfeler et al.,
2009). Ainsi par exemple, à une échelle pédoclimatique large, une analyse récente conduite en 31 sites
européens sur des mélanges constitués à partir des espèces prairiales les plus communément semées
(Finn et al., J. Appl. Ecol. à paraître) montre i) que la productivité annuelle de mélanges d’espèces
prairiales est presque toujours plus élevée que la moyenne de productivité des cultures pures, et ii) que
la productivité annuelle des mélanges est souvent supérieure à la productivité de la meilleure culture
pure (mélanges ‘transgressifs’). L’avantage transgressif, révélé en termes de productivité annuelle dans
cette étude à grande échelle, est souvent lié à la présence d’espèces légumineuses dans les mélanges.
Dans un certain nombre de cas, des mélanges ne comprenant pas de légumineuses peuvent
également être transgressifs.
Si ces études montrent que la diversité végétale peut présenter un avantage significatif sur la
productivité dans de nombreuses situations, beaucoup montrent également que l’avantage transgressif
des mélanges n’est pas systématique. De fait, il apparait que l’identité des espèces est un facteur tout
aussi déterminant que leur nombre pour la productivité des mélanges (Surault et al., 2008). La diversité
fonctionnelle qui peut être apportée par l’assemblage d’espèces est considérée comme la base de
l’effet positif des mélanges sur leur valeur agronomique (Sanderson et al., 2004). Au-delà de cette
diversité fonctionnelle, les conditions de milieu jouent également un rôle déterminant dans la dynamique
des mélanges. Notamment, les modalités d’exploitation, fauche ou type de pâturage, ainsi que les
conditions pédoclimatiques, conduisent à des dynamiques de végétation qui sont généralement
différentes (Rook et Tallowin, 2003).

Valeur alimentaire
Au-delà de la productivité, la valeur alimentaire du fourrage est également un élément important pour
l’alimentation des ruminants. Les associations graminées-légumineuses étudiées dans le dispositif de
Lusignan et cultivées sans fertilisation azotée, autorisent les productions de matière azotée totale
(MAT) les plus élevées. L’association composée de 4 espèces a une production de matière sèche
digestible supérieure aux meilleures graminées cultivées seules et fertilisées. La présence d’une
légumineuse comme le trèfle blanc améliore nettement la teneur en MAT du fourrage récolté, voire
aussi sa digestibilité.
Tableau 3 : Proportion de légumineuses, production de matière digestible et de matière azotée (t/ha) cumulée
sur 5 années (2004–08), digestibilité et teneur en MAT moyennes de mélanges de graminées et légumineuses.
Production Production Teneur en
Légumineuses Digestibilité
matière matière MAT
Type de prairie dans les moyenne
digestible azotée moyenne
couverts (% MS)
(t/ha) (t/ha) (% MS)
RGA fertilisé - 31,4 5,3 77,9 13,3
Dactyle (D) fertilisé - 37,2 6,9 72,5 13,5
Fétuque élevée (FE) fertilisé - 36,0 6,5 69,4 12,6
RGA+TB 67 % 35,3 8,9 78,6 19,9
RGA+D+FE+TB 52 % 39,1 9,4 75,0 18,0
Association 8 espèces(1) 52 % 35,1 8,5 75,7 18,3
(1) RGA+dactyle+fétuque des prés+pâturin+fétuque rouge+fléole des prés+trèfle violet+trèfle blanc.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183 173


F. Gastal et al.

En revanche, l’augmentation de 4 à 8 du nombre d’espèces dans les couverts ne semble pas améliorer
la production de MAT ou de matière digestible. Ainsi, ces résultats illustrent que la diversité en espèces
peut présenter des avantages significatifs en termes de valeur alimentaire.

Accroître la durée de végétation


La répartition de la production fourragère au cours de l’année ne suit pas les besoins des animaux. La
disponibilité en fourrage excède les besoins au printemps alors qu‘elle est souvent trop faible en été et
en automne-hiver. En outre, les aléas climatiques sont susceptibles d’amplifier ces tendances. En
permettant des pâturages plus tôt au printemps ou plus tard en automne, un accroissement de la durée
de végétation permet de réduire les coûts de production.
En comparaison à une prairie de ray-grass anglais pur fertilisée, un mélange composé de trois
graminées (ray-grass anglais, dactyle et fétuque élevée) autorise une production plus élevée à toutes
les coupes et en particulier pour les deux premières coupes de printemps et pour la repousse estivale
(Figure 2). L’association d’un trèfle blanc aux trois graminées n’améliore pas la production annuelle (9,9
vs 9,8 t/ha) mais allonge la période de production avec une production supérieure pour la première
coupe et la dernière coupe.
Figure 2 : Effet du nombre d’espèces et de la présence du trèfle blanc sur la répartition de la production dans
l’année (moyenne de 4 années, rythme d’exploitation rapide, fertilisation N+)

Production annuelle des couverts :


RGA pur : 7,6 t MS/ha
Mélange de graminées 9,8 t MS/ha
Association graminées-TB : 9,9 t MS/ha

Dans un autre essai agronomique, des associations binaires luzerne-graminée ont été comparées à
une luzerne témoin cultivée seule. Avec certaines espèces de graminées comme la fétuque des prés ou
le festulolium, la production en première et dernière coupes est supérieure à la luzerne témoin (Figure
3). Ces graminées, plus précoces que la luzerne au printemps et moins sensibles au froid à l’automne,
autorisent un allongement de la période de production.
Les mélanges permettent donc de profiter des différences de caractéristiques de végétation des
espèces, au printemps, en automne et éventuellement en été. L’effet positif obtenu avec le trèfle blanc,
qui démarre relativement tardivement au printemps, dénote une interaction positive entre espèces. Ces
exemples montrent que les mélanges d’espèces peuvent permettre d’améliorer la régularité de la
production au cours de l’année.

174 Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183


Intérêt des prairies multi-espèces

Figure 3 : Production fourragère (t MS/ha) d’associations luzerne-graminée et d’une luzerne pure témoin en
première année d’exploitation.

Prendre en compte la dynamique des espèces au cours du temps


La proportion des différentes espèces constituant les PMS évolue au cours du temps. Cette évolution
est liée aux conditions climatiques, au mode d’exploitation, mais aussi aux caractéristiques des espèces
que l’on associe. Mieux connaître et mieux comprendre l’évolution de la proportion des espèces permet
de mieux raisonner l’assemblage initial des espèces ou des variétés en fonction des objectifs attendus
de la prairie, et de proposer des pratiques de gestion susceptibles de contrôler leur équilibre.
Le suivi de la contribution des espèces, réalisé dans un essai à long terme conduit à Lusignan et
incluant des mélanges de 13 graminées et légumineuses, montre que les espèces peuvent être
regroupées en plusieurs catégories :
- des espèces comme le ray-grass anglais, qui s’implantent rapidement et sont très présentes dans les
mélanges les premières années, mais disparaîssent progressivement après 3 années d’exploitation.
- des espèces comme le dactyle et le trèfle blanc, qui représentent une part importante de la biomasse
des mélanges dans les premières années, mais qui disparaissent brutalement après 5 ou 6 années.
- des espèces comme la fétuque élevée, la fétuque rouge et le pâturin des prés qui s’implantent
lentement mais qui, grâce à leur pérennité, sont encore très présentes dans les mélanges après 8
années d’exploitation.
Ces catégories se replacent aisément dans les types d’espèces décrits par Duru et al. (2011), qui
pondèrent différemment une stratégie de capture et une stratégie de conservation des ressources.
Dans les associations complexes, les espèces se succèdent au cours du temps du fait de leurs
caractéristiques propres (Figure 4). La dynamique des espèces en mélange est également
sensiblement modifiée par le rythme de coupe et la fertilisation. Par conséquent, le choix des espèces à
intégrer dans un mélange ou une association doit être déterminé en fonction de l’objectif de durée de
vie et d’exploitation de la prairie.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183 175


F. Gastal et al.

Figure 4 : Evolution sur huit années de la part des espèces dans un mélange semé avec trois graminées (ray-
grass anglais, dactyle, fétuque élevée) et dans une association semée avec huit espèces (ray-grass anglais,
dactyle, fétuque rouge, fétuque élevée, fétuque des prés, fléole des prés, pâturin des prés, trèfle blanc, trèfle
violet) conduits en rythme de coupe rapide.
Part (%) des espèces dans la 

100

80
biomasse

60

40

20

RGA Dactyle Fét. élevée ADV

3- Par quels processus les prairies multiespèces peuvent-elles offrir des


avantages agronomiques et écologiques ?
L’avantage de la diversité sur la valeur agronomique des mélanges est déterminé par les
complémentarités de croissance et de composition qui peuvent exister entre les espèces. Ces
complémentarités peuvent être de nature spatiale, temporelle et/ou fonctionnelle. Elles peuvent se
traduire par plusieurs types d’effets, en particulier :
- un effet de facilitation. La présence d’une espèce stimule la croissance ou la survie d’une autre
espèce ;
- un effet de niche (complémentarité). Diverses espèces peuvent posséder des capacités différentes à
prélever et/ou utiliser les ressources du milieu, dans l’espace et/ou dans le temps.
La fixation symbiotique et le transfert d’azote des légumineuses aux graminées voisines constituent
l’exemple le plus connu de facilitation, et le principal processus déterminant le bénéfice potentiel des
associations graminées–légumineuses. Une analyse détaillée des processus en jeu a été présentée par

176 Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183


Intérêt des prairies multi-espèces

Louarn et al. (2010). Nous nous focaliserons plutôt ici sur le cas des mélanges de graminées, en nous
basant sur l’exemple particulier d’un mélange fétuque élevée – dactyle – ray-grass anglais. Ce mélange
de graminées s’est révélé pouvoir être un mélange transgressif : au cours d’une expérimentation
pluriannuelle conduite sur le dispositif SOERE-ACBB de Lusignan, la productivité de ce mélange a été
supérieure en moyenne de 9 % par rapport à la productivité de la meilleure des espèces pures cultivées
dans les mêmes conditions. Quelles sont les complémentarités et quels sont les processus qui peuvent
expliquer ce résultat ?
En premier lieu, ces trois espèces montrent des décalages de rythme de croissance dans l’année
(Figure 5). La fétuque élevée a une croissance plus importante en début et en fin de période de
végétation, alors que le dactyle a une meilleure croissance en été sec (complémentarité dans le temps).
Figure 5 : Productivité saisonnière de la fétuque élevée (Fa), du dactyle (Dg) et du ray-grass anglais (Lp) cultivés
en pur et en mélange (Mél).

Biomasse aérienne, N intermédiaire Fa N+


Dg N+
600 Lp N+
étés 2007-08: humides
a a a
Mél. N+
Biomasse aérienne (g/m2)

500
b
a
400
b a
été 2006: sec b a b b a
c b b
300 a
aa a d b c
b d c
b c
200
a a
b b c c d
100
c
F DLM F DLM F DLM F DLM F DLM
0
July 0ct. Apr. June July Sept. May June Sept.
1
2006
2
2006
3
2007
4
2007
5
2007
6
2007
7
2008
8
2008
92008

L’accès à la lumière est un second élément déterminant l’équilibre des espèces. Le ray-grass anglais
possède un système foliaire plus court que les deux autres espèces. En situation de fauche, la densité
aérienne du mélange est élevée. Le ray-grass anglais est alors largement dominé par la fétuque élevée
et le dactyle, et son interception de la lumière est fortement limitée. De ce fait, la croissance en
biomasse du ray-grass est directement pénalisée, et sur le plus long terme la régression progressive de
sa densité de talles conduit à sa disparition en 2 à 3 années. En situation de pâturage, le couvert est
plus ouvert et le ray-grass anglais peut plus facilement se maintenir à côté des deux autres espèces.
En troisième lieu, les résultats obtenus mettent en évidence que ces trois espèces sont
complémentaires dans leur capacité à absorber l’eau du sol et à en réguler les pertes au niveau foliaire
(Figure 6). La fétuque élevée possède un enracinement plus profond que le dactyle, ce qui lui donne
accès à une plus grande réserve hydrique. Ainsi, dans des conditions de sécheresse modérée, que ce
soit lors des premières phases du développement d’une sécheresse estivale qui peut devenir
ultérieurement plus forte, ou dans une situation d’été peu sec, la fétuque élevée maintient une
croissance plus élevée que le dactyle. Dans des phases de sécheresse plus prononcée, le dactyle
régule mieux ses pertes en eau par transpiration, et par ailleurs maintient une surface foliaire et une
interception du rayonnement solaire plus importante que la fétuque élevée qui enroule ses feuilles, ou
que le ray-grass anglais qui les replie ou les perd plus rapidement par sénescence. Dans cette phase

Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183 177


F. Gastal et al.

de sécheresse prononcée, le dactyle peut donc maintenir une certaine croissance, meilleure que celle
de la fétuque ou du ray-grass anglais.
Figure 6 : Caractéristiques de comportement de la fétuque élevée (Fa), du dactyle (Dg) et du ray-grass anglais
(Lp) en mélange, au cours de la sécheresse.
Fa
Conductance
Dg stomatique

C onduc ta nc e s tom a tiq ue


Fétuque

Traits et réponses
Ray-grass
caractéristiques Dactyle
des espèces 0 -1 Potentiel hydrique
-2 (MPa) -3 -4 -5
Potentiel hydrique foliaire

Profondeur d’enracinement
et de prélèvement de l’eau
Fa Dg Régulation stomatique de la transpiration et photosynthèse Fa Dg Lp
Fa
Enroulement foliaire Dg
Dg Fa
Contrainte hydrique croissante

• Compétition pour l’eau


Modulation des exacerbée dans les • La compétition pour la lumière (Lp dominé)
traits et réponses horizons superficiels (Dg) pénalise fortement l’absorption de l’eau et de
par la compétition l’azote
• Etat hydrique facilité dans
les horizons profonds (Fa)

Ces trois espèces de graminées sont également complémentaires dans leur capacité à absorber l’azote
du sol et à le conserver (Gastal et al., 2010). Notamment, le dactyle a une plus grande aptitude à
absorber l’azote du sol que la fétuque ou le ray-grass, ce qui lui confère un avantage de croissance en
situation de fertilité limitée.
Enfin, l’étude montre que les précédents avantages compétitifs caractéristiques des trois espèces, sont
modulés lorsque les espèces sont en compétition dans le mélange par rapport à une situation de
couvert monospécifique. Ainsi, la compétition pour l’eau est exacerbée dans les horizons superficiels,
tandis que le maintien de l’état hydrique de la plante est facilité pour l’espèce à enracinement plus
profond, qui réagit à la compétition souterraine en augmentant encore plus sa profondeur de
prélèvement d’eau. En revanche, l’espèce dominée au niveau aérien (ray-grass anglais) est très
pénalisée dans son accès à l’eau et à l’azote, probablement du fait d’un plus faible développement
racinaire lorsque son accès à la lumière est durablement pénalisé par la présence d’espèces voisines.
Ces résultats illustrent que le caractère transgressif d’un mélange de graminées résulte non pas d’un
processus unique ou privilégié mais de la combinaison d’un ensemble de complémentarités
fonctionnelles dans le temps et dans l’espace, qui au total peuvent conduire à une meilleure exploitation
des ressources du milieu, selon les traits différenciant les espèces et selon les conditions de milieu.
Bien que les trois espèces étudiées appartiennent au même groupe fonctionnel des graminées
productives, et bien que ces espèces aient été améliorées par sélection génétique, des différences
fonctionnelles significatives existent et permettent une amélioration de la productivité du mélange.
Toutefois, cette étude illustre également que, pour qu’un effet bénéfique significatif puisse être observé
sur la productivité du mélange, il faut que les espèces possèdent des écarts importants de traits
fonctionnels, sur des traits spécifiques aux conditions de milieu rencontrées. Ainsi, ces résultats mettent
également en évidence que la transgressivité d’un mélange ne peut être obtenue que sous certaines
combinaisons particulières de traits fonctionnels et de milieu, expliquant ainsi le caractère non

178 Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183


Intérêt des prairies multi-espèces

systématique de la transgressivité des mélanges qui ressort des études d’évaluation agronomique
présentées et discutées dans les paragraphes précédents.

4- Intérêt de la diversité intra-spécifique


La diversité des prairies peut être appréhendée à des niveaux croissants de complexité (McGill et al.,
2007), de la diversité spécifique à la diversité intraspécifique. Alors que la majorité des études ne traite
que de la diversité spécifique et de sa dynamique dans les communautés, (Grace, 1991 ; Lortie et al.,
2004 ; Craine, 2005, Brooker et al., 2008), des études récentes montrent le rôle primordial de la
variabilité intraspécifique des caractères (Booth et Grime, 2003 ; Vellend, 2006 ; Fridley et al., 2007;
Vellend et Litrico, 2008, Violle et al., 2011) dans les mécanismes d’assemblage des communautés
(Jung et al., 2010) et dans le fonctionnement des écosystèmes (Albert et al., 2011). L’analyse de la
dynamique de la diversité et de son effet sur les services de production et les services
environnementaux nécessite donc l’étude des mécanismes sous-jacents aux effets de la variabilité
intraspécifique.
Figure 7 : Production de biomasse dans des parcelles cultivées avec une variété pure ou un mélange de
variétés. A. Mélange de deux variétés (Hamilton, précoce et Herbie, demi-tardive) comparé aux variétés cultivées
pures, B. Mélange de trois variétés (Hamilton, précoce, Herbie, demi-tardive et Ohio, tardive) comparé aux
variétés cultivées pures.

7.0

(A)
6.0
Production biomasse (t MS/ha)

5.0

4.0

3.0

2.0

Hamilton
1.0
Herbie
Mélange
0.0
Print 104 Print 204 Auto 04 Print 105 Print 205 Print 106 Print 206 Auto 06 Print 107 Print 207 Eté 07 Print 108 Print 208

Période de récolte

7.0
(B)
6.0
Production biomasse (t MS/ha)

5.0

4.0

3.0

2.0
Hamilton
Herbie
1.0
Mélange
Ohio
0.0
Print 104 Print 204 Auto 04 Print 105 Print 205 Print 106 Print 206 Auto 06 Print 107 Print 207 Eté 07 Print 108 Print 208

Période de récolte

Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183 179


F. Gastal et al.

La théorie d’«habitat filtering» (Keddy, 1992 ; Diaz et al., 1998) explique que la composition des
communautés résulte de filtres biotiques et abiotiques qui sélectionnent des espèces aux
caractéristiques similaires (Grime, 2006). Mais à des échelles plus locales, des espèces dont les
stratégies leur permettent d’éviter la compétition coexistent plus facilement dans ces communautés
(Pacala et Tilman 1994). La différentiation de niche suggère que la coexistence des espèces est basée
sur une complémentarité fonctionnelle (Silvertown, 2004), ce qui implique probablement une diminution
de la compétition interspécifique (Gross et al., 2007) voire de la facilitation. A partir d’une approche
fonctionnelle et sur la base de ces hypothèses appliquées à l’échelle génotypique intraspécifique, il est
possible de considérer la variabilité intraspécifique pour expliquer la structuration et la production des
communautés prairiales. La variabilité génétique fonctionnelle intraspécifique pourrait donc entrainer
une meilleure production via l’efficacité d’acquisition et/ou d’utilisation des ressources dans le temps et
dans l’espace d’une part et la capacité d’adaptation aux aléas environnementaux d’autre part.
Une première étude a permis de comparer, dans des mélanges monospécifiques de ray-grass anglais,
le rendement de parcelles semées avec une, deux ou trois variétés de précocité de floraison similaires
ou différentes (Surault et al., 2010). L’augmentation du nombre de variétés et donc de la diversité à
l’intérieur d’un groupe de précocité n’a eu aucun effet sur le rendement. Cependant, l’effet de la
précocité est important, les variétés tardives étant moins productives que les variétés précoces ou
intermédiaires. Les mélanges de variétés de différentes précocités ont montré un rendement fourrager
intermédiaire à celui des variétés les composant, et n’ont jamais produit plus que la meilleure variété
(Figure 7). L’augmentation de la diversité génétique liée à la précocité ne semble donc pas permettre
d’augmenter la productivité. Cependant, elle permet de régulariser la production au cours de l’année et
donc de sécuriser la production. L’effet de la diversité pour d’autres caractères sur la production reste à
explorer.
La diversité intraspécifique peut également être manipulée sur une base plus large. Les résultats
préliminaires obtenus sur des communautés plus complexes de sept espèces (luzerne, trèfle blanc,
trèfle violet, lotier, dactyle, fétuque, ray-grass), et comprenant de 1 à 7 variétés par espèce, montrent
des différences sur la production de la communauté mesurée en biomasse sèche totale (Figure 8) et
sur la biomasse sèche d’une espèce donnée (Figure 9). Alors que ces résultats mettent clairement en
évidence l’effet de la composition génotypique intraspécifique sur la production de la communauté et
des espèces qui la composent, aucune relation claire ne peut être mise en évidence entre le nombre de
variétés dans les espèces et la production de biomasse à l’échelle de la communauté ou de l’espèce.
Figure 8 : Biomasse sèche moyenne de communautés différant par le nombre de variétés par espèce, à deux
dates de mesures, avril 2012 (gris) et juin 2012 (blanc) après un semis en septembre 2011
Biomasse (g.m-2)

1 3 7 Nb variétés / espèce

Nous avons constaté que le nombre de variétés d’une espèce donnée dans le mélange n’est pas
corrélé à la variabilité des caractères impliqués dans l’acquisition de ressources et les interactions, tels
que la hauteur, la surface foliaire ou encore le diamètre des individus. Si l’on considère la variance de

180 Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183


Intérêt des prairies multi-espèces

ces caractères, des corrélations entre variance et biomasse de l’espèce dans la communauté peuvent
exister, mais le sens de ces corrélations risque d’être dépendant de l’espèce et du caractère considéré.

Figure 9 : Biomasse sèche moyenne par espèce en fonction du nombre de variétés par espèce dans la
communauté, à deux dates de mesures, avril 2012 (gris) et juin 2012 (blanc) après un semis en septembre 2011.

Bien que ces résultats soient préliminaires, il est possible d’envisager la possibilité de mettre en
évidence des relations mécanistes entre la diversité génétique fonctionnelle des espèces et la
production de la communauté qu’elles composent, ce qui laisse envisager de nouveaux critères de
sélection pour les variétés d’espèces destinées à une utilisation en mélange.

5- Conclusion
Les recherches récentes présentées et discutées précédemment confirment que, dans le contexte des
prairies semées, les prairies multiespèces offrent effectivement un certain nombre d’avantages
agronomiques. Les mélanges présentant l’intérêt agronomique le plus systématique restent les
associations de graminées et légumineuses, qui doivent être considérées dans une optique de maintien
de la productivité et/ou d’amélioration de la valeur alimentaire associée à une pratique de réduction de
la fertilisation azotée.
Dans l’état actuel des connaissances, le bénéfice de production annuelle qu’on peut attendre des
mélanges sans légumineuses (mélanges de graminées) parait bien réel, mais moins systématique que
le bénéfice permis par les mélanges incluant des légumineuses. L’analyse des processus de
compétition impliqués dans le fonctionnement et la performance des mélanges, montre que différents
types de complémentarités existent entre les espèces de graminées les plus couramment semées,
notamment vis-à-vis de l’utilisation des ressources du sol. Il apparait néanmoins que, pour produire un
effet significatif sur les performances du mélange, ces complémentarités doivent être assez larges. Ceci
explique le caractère non systématique de l’avantage des mélanges de graminées, et permet de guider
le choix des assemblages à réaliser.
Les avantages des mélanges dépassent le seul critère de production annuelle. En effet, dans les
systèmes fourragers, l’offre saisonnière d’herbe et le maintien du potentiel de la prairie sur plusieurs

Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183 181


F. Gastal et al.

années sont des critères tout aussi déterminants. De ce point de vue, l’intérêt des PMS vis-à-vis de la
régularité de production intra-annuelle et sur toute la durée d’exploitation de la prairie semée,
apparaissent clairement et doivent être explorés de manière plus approfondie. Dans un contexte de
polyculture-élevage où cette durée de maintien des prairies est un facteur d’ajustement des systèmes
de production végétale, la composition des mélanges en espèces doit prendre en compte l’objectif de
durée des mélanges semés.
Au-delà de la productivité, l’intérêt des PMS vis-à-vis des critères de valeur alimentaire, notamment les
PMS incluant des légumineuses, est également très significatif. Le bénéfice qu’on peut attendre des
PMS sur ces critères a des implications et doit être pris en compte dans les stratégies d’alimentation
des ruminants. La mise en œuvre des PMS est également un moyen de lutter contre les adventices,
notamment dans les phases d’installation qui sont les phases les plus sensibles, et de s’adapter à la
nécessité de réduction de l’utilisation des herbicides. L’intérêt des PMS vis-à-vis des autres services
écosystémiques reste encore dans une large mesure à évaluer.
Le développement des PMS renforce et renouvelle l’intérêt de l’amélioration génétique des espèces
fourragères En effet, la valeur agronomique des mélanges est conditionnée par la valeur des espèces
et des variétés qui le constituent (Frick et al., 2008). L’amélioration génétique est un facteur de progrès
aussi bien pour les espèces cultivées en pur que pour les espèces cultivées en mélange. Toutefois, les
caractères sélectionnés jusqu’à présent ont été sélectionnés pour des espèces cultivées en pur, et ne
sont pas nécessairement les caractères les plus pertinents pour une utilisation en mélange : définir de
nouveaux critères de sélection est sans doute nécessaire. C'est l'un des objectifs des recherches en
cours à l’INRA de Lusignan.

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Innovations Agronomiques 22 (2012), 169-183 183


Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203

Les logiques économiques de la spécialisation productive


du territoire agricole français

Chatellier V.(*) et Gaigné C.(**)

(*) INRA, UR 1134 (LERECO), Rue de la Géraudière, BP 71627, 44316 Nantes


Email : Vincent.chatellier@nantes.inra.fr
(**) INRA, UMR 1302 (SMART), 4 allée Adolphe Bobierre, CS 61103, 35011 Rennes
Email : Carl.gaigne@rennes.inra.fr

Résumé.
Cet article vise à mettre évidence et à expliquer les principales dynamiques, sur longue période, d’une
part, de la dissociation spatiale des productions animales et végétales et, d’autre part, de la
concentration géographique des filières. Nous soulignons les rôles des prix relatifs de l’énergie et des
facteurs de production ainsi que des technologies et des économies d’agglomération dans ces
processus. Une réflexion est proposée relativement aux principales évolutions attendues pour le
territoire agricole français.
Mots-clés : Productions animales et végétales ; spécialisation ; concentration ; agglomération ;
marchés agricoles ; régulations économiques

Abstract: Economical logics of productive specialization of French agricultural territory


This article aims at highlighting and explaining the key drivers, on the one hand, of the spatial
fragmentation of animal and crop productions and, the other hand, of the geographic concentration of
food chains. We emphasize the role of relative prices of energy and production factors prices as well as
technologies and agglomeration economies in these long-run processes. A comment is given on
developments expected for the French agricultural territory.
Keywords: Animal and crop productions; specialisation; concentration; agglomeration; agricultural
markets; economic regulations.

Introduction
La concentration géographique des activités économiques est un phénomène déjà ancien qui intervient
de manière concomitante aux mouvements démographiques qui se manifestent, tant à l’échelle de la
nation que planétaire, par une augmentation plus rapide de la population dans les zones urbaines que
dans les zones rurales et une forte extension spatiale des villes (ONU, 2011). Tous les secteurs
d’activité ne présentent cependant pas les mêmes niveaux de concentration territoriale de leur offre.
En agriculture, la concentration est plus faible en moyenne que celle observée dans d’autres secteurs
industriels, ou plus encore technologiques, pour plusieurs raisons : ce secteur est fortement utilisateur
d’espaces car un input essentiel de son activité demeure, à quelques exceptions près, les terres ;
l’agriculture est un secteur présent, certes avec plus ou moins de potentiel, dans tous les pays du
monde, car non seulement les biens qui en sont issus sont nécessaires à la vie, mais les pouvoirs
publics cherchent à assurer un certain niveau d’indépendance alimentaire à leur population ; une
activité agricole diversifiée permet de limiter les risques car les biens agricoles sont vivants, périssables
et dépendants de contraintes externes (climat, relief, fertilité des sols, ressources en eau, maladies,
etc.) entrainant une dispersion de la production agricole à l‘échelle internationale.
V. Chatellier et C. Gaigné

Face au défi alimentaire mondial qui s’annonce à horizon 2050, du fait de la croissance démographique
attendue et de la modification progressive des régimes alimentaires, la production agricole devra
fortement augmenter à l’échelle planétaire. Ce défi suppose, avant tout, que chaque pays (dont la
France) cherche à stimuler et à optimiser son offre de biens agricoles, quitte parfois à se spécialiser
davantage dans les productions pour lesquelles un avantage comparatif évident existe. Le commerce
international peut certes contribuer à combler les déficits chroniques de certains pays pour tels ou tels
biens alimentaires, mais les flux couvriront une part toujours limitée des besoins alimentaires globaux.
Si la croissance de la production agricole est une nécessité, l’organisation spatiale de celle-ci ne se fait
pas au hasard au sein de chaque pays.
En France, comme dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique du Nord, on assiste depuis
plusieurs décennies à une spécialisation croissante des territoires dans les productions végétales ou
animales et à une concentration spatiale des filières animales. Les facteurs physiques comme le climat
et la disponibilité des terres ont vu leurs impacts sur la localisation des productions agricoles se réduire
en raison des changements technologiques intervenus dans la production, le transport et la
transformation. En s’affranchissant des « contraintes » naturelles, l’affectation spatiale des productions
agricoles a été fortement influencée par la baisse du prix relatif des intrants chimiques, l’amélioration
des infrastructures (transport), l’internationalisation des marchés agricoles, l’action publique et la
présence (parfois) d’économies d’échelle.
Dans ce cadre, et en s’appuyant sur le cas français, cet article poursuit trois ambitions. Dans un premier
temps, il met en évidence l’évolution sur une longue période (40 à 50 ans), d’une part, de la
spécialisation productive des territoires (ici pour une sélection de dix départements) et, d’autre part, de
la concentration géographique des productions végétales et animales. Sans mésestimer le phénomène,
il ne s’agit pas de discuter ici de la concentration des activités agricoles au niveau des exploitations,
lesquelles sont, le dernier Recensement de l’agriculture en témoigne, de moins en moins nombreuses
et de plus en plus grandes. Dans un second temps, les principaux facteurs économiques qui interfèrent
sur la localisation de l’offre agricole font l’objet d’une discussion, à la lumière d’une sélection de faits.
En conclusion, une réflexion est engagée relativement aux principales évolutions attendues pour le
territoire agricole français.

1- Le foncier agricole et la localisation des productions agricoles en France


L’analyse de la concentration territoriale des activités agricoles françaises et de la spécialisation
productive des territoires doit être conduite en tenant compte de l’évolution des disponibilités en foncier
agricole et de la dynamique des marchés.
Une baisse importante des disponiblités en foncier et des gains de productivité
En 2010, la superficie agricole utilisée (SAU) de la France métropolitaine couvre 29,1 millions
d’hectares, soit 0,6% de la SAU planétaire pour 0,9% de la population mondiale. En moyenne française,
la SAU disponible par habitant est de 0,44 ha en 2010, soit un niveau nettement inférieur à la situation
observée aux Etats-Unis ou dans les pays de l’Amérique du Sud, mais supérieur à celui de nombreux
pays asiatiques. Du fait de la perte de foncier agricole et de la croissance concomitante de la
démographie (+24 millions d’habitants en France depuis 1950), ces disponibilités ont été divisées
pratiquement par deux en une soixantaine d’années (0,82 ha SAU par habitant en 1950).
Depuis 1960, la SAU métropolitaine a reculé de manière drastique (-5,1 millions d’hectares, soit une
perte moyenne d’environ 100 000 hectares par an). Si la baisse des disponibilités en foncier agricole
est un phénomène généralisé, l’intensité du recul varie cependant dans de fortes proportions entre
zones selon notamment l’évolution de la densité de population dans le milieu rural (attractivité des
emplois, infrastructures routières, etc.), la pression urbaine, l’organisation spatiale des activités
économiques, voire la rentabilité des activités agricoles. Pour en rendre compte, une analyse de

186 Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203


Les logiques économiques de la spécialisation productive

l’évolution de la SAU dans dix départements français1 aux caractéristiques pédoclimatiques et


productives contrastées a été réalisée à partir des données des trois recensements agricoles des
années 1970, 1988 et 2010, ce sur l’ensemble du champ des exploitations agricoles (Tableau 1).
D’après cette source statistique, la baisse de la SAU (-10% en moyenne nationale entre 1970 et 2010)
a été plus forte dans les départements bretons et ligériens (-18% en Loire-Atlantique où la population
dépasse un million d’habitants), qu’en Poitou-Charentes (-3% dans la Vienne) ou dans les zones
extensives de production laitière (-5% dans le Doubs et -4% dans le Cantal) et de viande bovine
(-7% en Saône et Loire).
Tableau 1. La surface agricole utile et l’évolution des assolements entre 1970 et 2010. Evolution des surfaces
(en hectares) dans une sélection de départements français.
Sources : Recensements agricoles 1970, 1988 et 2010 – Ensemble du champ / INRA SMART-LERECO
Ouest Poitou-Charentes Bassin Parisien Allaitant Lait de montagne France
Départements 29 35 44 79 86 28 60 71 25 15
Population 2010 (milliers) 893 977 1 266 366 426 425 801 554 525 148 64 640
Densité (habitants/Km2) 133 144 186 61 61 72 137 65 100 26 114
SAU / Surface totale 2010 69% 79% 73% 81% 70% 80% 66% 65% 44% 63% 54%
Superficie agricole utilisée (SAU)
SAU 2010 (hectares) 384 805 446 322 406 206 450 279 474 222 450 527 368 620 517 414 219 593 347 739 26 963 252
SAU 1988 403 888 494 704 447 003 471 815 480 346 458 075 375 521 534 886 225 739 382 905 28 595 802
SAU 1970 465 029 532 375 495 272 485 730 488 638 468 601 387 546 559 093 231 661 362 808 29 904 200
Evolution 2010 / 1970 (%) -17% -16% -18% -7% -3% -4% -5% -7% -5% -4% -10%
Superficie toujours en Herbe (STH)
STH 2010 (hectares) 34 982 38 625 66 268 65 354 34 060 15 043 32 148 327 830 159 580 272 862 7 672 298
STH 1988 59 483 124 699 128 338 139 237 78 932 25 851 44 947 372 923 177 437 319 664 10 214 082
STH 1970 77 803 215 838 207 143 199 903 109 635 52 945 79 407 381 819 183 237 296 557 12 329 760
Evolution 2010 / 1970 (%) -55% -82% -68% -67% -69% -72% -60% -14% -13% -8% -38%
% du total France 2010 0,46% 0,50% 0,86% 0,85% 0,44% 0,20% 0,42% 4,27% 2,08% 3,56% 100,00%
% de la SAU en 2010 9% 9% 16% 15% 7% 3% 9% 63% 73% 78% 28%
% de la SAU en 1970 17% 41% 42% 41% 22% 11% 20% 68% 79% 82% 41%
Superficie de céréales
Céréales 2010 123 510 151 050 88 019 169 218 222 186 287 599 197 882 88 854 24 268 11 509 9 228 402
Céréales 1988 99 078 123 027 79 948 126 214 186 597 328 361 211 393 82 556 22 140 14 543 9 103 323
Céréales 1970 111 458 128 134 70 345 119 030 181 267 352 996 208 966 98 244 24 632 24 414 9 200 592
Evolution 2010 / 1970 (%) 11% 18% 25% 42% 23% -19% -5% -10% -1% -53% 0%
% de la SAU en 2010 32% 34% 22% 38% 47% 64% 54% 17% 11% 3% 34%
% de la SAU en 1970 24% 24% 14% 25% 37% 75% 54% 18% 11% 7% 31%

Le recul de la SAU en France a été contrebalancé par un essor important des sols boisés dont les
surfaces ont pratiquement doublé depuis la révolution française. Si l’augmentation a été soutenue entre
1960 et 2000, ces surfaces (17 millions d’hectares en 2010, soit 31% de la surface totale de
l’hexagone) sont restées stables depuis 2000. Il s’explique aussi, et de plus en plus, par une
artificialisation des sols, processus qui ne doit pas être assimilé à un « abandon » des terres agricoles
(Fottorino, 1989). Les sols artificialisés occupent 4,9 millions d’hectares en 2010 (Jean et Morel, 2011),

1 Le choix de limiter l’analyse à dix départements est justifié ici par un souci de compression de l’information. La sélection de
ces départements a été réalisée à « dire d’experts » sur la base essentiellement de la diversité de leur spécialisation
agricole (d’autres choix, tout aussi justifiés, auraient pu être envisagés) : 3 départements de l’Ouest, à savoir le Finistère
(productions animales intensives, avec un secteur porcin particulièrement développé), l’Ille et Vilaine (premier département
en production laitière) et la Loire-Atlantique (productions animales diversifiées et forte densité de population) ;
2 départements de la région Poitou-Charentes, la Vienne et les Deux-Sèvres, où la polyculture-élevage domine ;
2 départements du Bassin-Parisien, l’Eure-et-Loir (céréales) et l’Oise (cultures spécialisées et élevage) ; 1 département très
spécialisé dans le secteur allaitant (Saône-et-Loire) ; 2 départements localisées en zones défavorisées (Doubs et Cantal) où
l’activité laitière joue un rôle essentiel, mais avec un niveau contrasté de valorisation du lait. Aucun de ces départements ne
relèvent du sud de la France où la problématique agricole est souvent distincte (forte présence de vignes, de cultures
spéciales, etc.).

Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203 187


V. Chatellier et C. Gaigné

dont 2,3 millions d’hectares de sols revêtus ou stabilisés (infrastructures de transports, chantiers, etc.),
0,8 million d’hectares de sols bâtis et 1,7 million d’hectares d’autres sols artificialisés (carrières, terrains
vagues, jardins d’agrément, décharges, etc.). La croissance des sols artificialisés (9% du territoire
français en 2010) s’opère dans 90% des cas au détriment des terres agricoles, notamment celles parmi
les plus riches au plan agronomique. Ce mouvement d’artificialisation des sols, particulièrement
soutenu dans les zones densément peuplées, est généralement irréversible et entraîne certains
dommages environnementaux tels que l’augmentation du ruissellement de l’eau (au détriment de son
infiltration), l’érosion, le risque d’inondation, le déstockage rapide du carbone, etc. (Commissariat
Général au Développement Durable, 2011). Selon certaines estimations (Levesque, 2009a), et compte
tenu de la croissance démographique attendue en France, l’artificialisation des terres (en incluant les
pelouses) pourrait représenter encore 2,2 millions d’ha supplémentaires à l’horizon de 2050, si les
logiques qui ont prévalu jusqu’à ce jour se poursuivaient. L’évolution des politiques urbaines
résidentielles, les choix publics relativement au développement des infrastructures, la localisation des
emplois (ville vs. milieu rural), le coût du pétrole (qui impacte les choix individuels de localisation entre
domicile et travail) auront une influence sur le niveau de préservation des terres agricoles
(Levesque, 2009b).
Outre les forêts et les sols artificialisés, le territoire regroupe également des sols naturels pas ou peu
utilisables par l’agriculture (environ 4,8 millions d’ha de landes, friches, maquis, garrigues, zones
humides, etc.). L’analyse de la concentration géographique des productions agricoles en France
implique donc de bien prendre en considération l’existence d’une forte hétérogénéité, selon les
départements, de la part de la SAU dans la surface totale (54% en moyenne nationale).
Les départements où l’agriculture joue un rôle territorial limité, comme par exemple ceux du Sud-Est
(Carte 1-1), sont aussi ceux qui pèsent le moins dans la contribution à l’offre agricole nationale.
La production agricole générée doit donc être rapportée à la SAU disponible et non à la surface totale,
comme les cartographies représentant la concentration des productions agricoles peuvent parfois
visuellement y conduire.
Outre l’importance du foncier agricole, la productivité du sol est également un facteur déterminant de la
concentration des productions agricoles. Si cette productivité tient surtout à des facteurs structurels
irréversibles (relief, altitude, texture des sols, etc.), elle peut cependant être plus ou moins stimulée par
la modernisation de l’agriculture : le remembrement (restructuration parcellaire), le drainage, l’irrigation,
la mécanisation, l’essor de la génétique, les nouvelles techniques utilisées (engrais, produits
phytosanitaires, etc.) sont autant de facteurs qui ont contribué à une transformation progressive des
assolements. A l’échelle nationale, les surfaces irriguées ont pratiquement été multipliées par trois entre
1970 et 2000 et elles sont restées relativement stables depuis 2000. Elles couvrent 2,6 millions d’ha
(soit un peu moins que 10% de la SAU totale) et occupent une place importante de la SAU dans le Sud-
Ouest, le Centre et la vallée du Rhône (Carte 1-2). Le développement de l’irrigation a non seulement
permis d’augmenter le rendement des cultures dans des zones où la pluviométrie est parfois
temporairement problématique, mais également de favoriser l’implantation de nouvelles cultures
génératrices de valeur ajoutée (Bergez et Lacroix, 2008). Le développement du drainage artificiel a lui
aussi contribué à l’essor de la production agricole dans des zones où l’engorgement hivernal de
certains sols était préjudiciable à la croissance des jeunes plants, en particulier ceux des céréales
d’hiver. La surface drainée avoisine en France 10 % de la SAU. Le développement du drainage
souterrain s’est produit principalement dans les années quatre-vingt (+ 9 % par an entre 1979 et 1988)
et s’est ralenti depuis lors (environ 2 à 3% par an depuis 1988). De nombreuses terres ont ainsi été
drainées pour améliorer la régularité des productions céréalières (en particulier dans le Bassin parisien
et les Landes) ou encore pour transformer des prairies en grandes cultures (Pays de la Loire).
Le drainage des terres agricoles est moins fréquent dans le Massif-Central et dans l’Est (Carte1-3).

188 Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203


Les logiques économiques de la spécialisation productive

Carte n°1. L’occupation du territoire en France en 2010.


Source : MAAF-2012- IGN Géo Fla 2010 - Agreste - Recensements agricole 2010 / Traitement INRA SMART-LERECO
Carte 1-1. SAU en % de la surface totale Carte 1-2. Irrigation en % de la SAU

Carte 1-3. Drainage en % de la SAU Carte 1-4. Oléagineux en % de la SAU

Carte 1-5. Céréales en % de la SAU Carte 1-6. STH en % de la SAU

Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203 189


V. Chatellier et C. Gaigné

Un recul des surfaces de prairies au profit des surfaces de grandes cultures


En dépit du recul des disponibilités en foncier agricole, mais grâce aux gains intenses de productivité,
la production agricole française a fortement augmenté entre 1970 et 2000, au point que la France est
passée d’une situation déficitaire à une situation excédentaire. Depuis 2000, la production agricole en
volume se stabilise, avec des mouvements cependant contrastés selon les filières. Cette stabilisation
de l’offre globale s’explique par le recul du foncier agricole, l’essoufflement des gains de productivité
(Butault, 2006), la montée en puissance des normes (environnement, bien-être des animaux, etc.), le
développement des biocarburants (Persillet, 2012) et, surtout, par la dynamique économique
(production, consommation, échanges et de prix) des différentes filières agroalimentaires françaises
dans l’univers concurrentiel communautaire et mondial. Les processus territoriaux de concentration et
de spécialisation sont nécessairement sensibles à cette dynamique de l’offre.
Une analyse de l’évolution de la structure de l’assolement dans différentes régions françaises permet
de rendre compte des dynamiques productives à l’œuvre. Ainsi, les surfaces dédiées aux grandes
cultures sont passées, en France, de 9,9 millions d’ha en 1960 à 12,3 millions d’ha en 2010, soit une
hausse de 20%. Parallèlement, les surfaces cultures fourragères ont baissé de 27% (de 20 à 14,5
millions d’ha) et celles de cultures pérennes ‘arboriculture, vigne) ont reculé de 47% (en passant de 1,9
à 1 million d’ha sur la même période). Cette transformation de la structure de l’assolement au profit des
grandes cultures peut s’expliquer notamment au travers des arguments suivants : la demande pour les
productions végétales a fortement augmenté au cours de cette période, avec des utilisations
croissantes en alimentation humaine et alimentation animale ; le développement des exportations et,
plus récemment, la montée en puissance des biocarburants ; l’intensification des superficies
fourragères (développement du maïs fourrage) et l’amélioration de la productivité des animaux a permis
de limiter les besoins en surfaces fourragères (du moins à production constante) ; la baisse de la
consommation en vins de consommation courante a justifié un recul drastique des superficies de vignes
(de 1,4 million d’ha en 1960 à 825 000 ha en 2010) ; la concurrence étrangère dans le secteur des
fruits, via des différentiels parfois importants de coût de la main d’œuvre, a conduit à un recul des
surfaces de vergers (de478 000 ha en 1960 à 180 000 ha en 2010).
Dans le secteur des grandes cultures, l’augmentation des surfaces tient essentiellement au
développement des oléagineux dont les surfaces couvrent 2,2 millions d’ha en 2010 alors qu’elles
étaient pratiquement inexistantes au début des années soixante. Ces cultures sont concentrées pour
près des deux tiers dans cinq régions : Centre, Poitou-Charentes, Midi-Pyrénées, Bourgogne et
Champagne-Ardenne (Carte 1-4). Du fait de l’augmentation des utilisations intérieures sous la forme de
biodiesel, les surfaces de colza ont très fortement progressé (de 680 000 ha en 1990 à 1,5 million d’ha
en 2010), alors que les surfaces de tournesol ont enregistré le phénomène inverse (de 1,2 million d’ha
en 1990 à 695 000 ha en 2010). Les cultures de protéagineux ont tout d’abord fortement augmenté
entre 1960 (160 000 ha) et 1990 (713 000 ha), puis elles ont considérablement chuté pour atteindre
seulement 404 000 ha en 2010. Cette baisse des surfaces de protéagineux, qui intervient alors même
que l’UE est lourdement déficitaire en matière riche en protéines (27% de taux d’auto-
approvisionnement) trouve son explication dans des problèmes agronomiques (maladies telluriques,
instabilité du rendement) qui ont affecté la productivité du pois de printemps et dans une transformation
des modalités de soutien (Duc et al, 2010). Les surfaces dédiées aux betteraves industrielles ont
augmenté entre 1960 (428 000 ha) et 1980 (549 000 ha), avant de redescendre à 384 000 ha en 2010.
Cette dynamique des surfaces doit être mise en relation avec la forte amélioration des rendements
(racines à 16% de sucre) qui atteignent 83 t/ha en 2010 contre 66 t/ha en 1990. Elle s’inscrit aussi dans
un cadre où le sucre de betterave français, et européen, n'est pas encore compétitif avec le sucre de
canne brésilien qui représente la moitié de l'offre mondiale en sucre ; les écarts de compétitivité tendent
cependant à se resserrer du fait de l’augmentation des coûts de la main d’œuvre et des coûts
logistiques au Brésil et de l’importance des gains de production par unité de surface enregistrés en
France et en Europe (Jeanroy, 2012).

190 Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203


Les logiques économiques de la spécialisation productive

Les superficies françaises de céréales sont, quant à elles, restées stables entre 1960 et 2010, aux
alentours de 9,2 millions d’ha. Avec une production de 63 millions de tonnes de céréales pour la
campagne 2011-12, la France est de loin le premier producteur européen (22% du total) devant
l’Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni. L’augmentation de la production française tient donc
essentiellement à l’augmentation des rendements, du moins jusqu’à une période récente (1995-2000) à
partir de laquelle ils se sont mis à plafonner (Abécessis et Bergez, 2009). Au-delà du constat global
d’une stabilité des surfaces céréalières à l’échelle nationale, la localisation géographique de l’activité
céréalière a légèrement évolué. D’après les données du Recensement de l’agriculture des dix
départements précités, le poids des départements de l’Ouest dans la sole nationale a légèrement
augmenté (Tableau 1). Ainsi, les surfaces de céréales ont augmenté de 25% entre 1970 et 2010 en
Loire-Atlantique, de 18% en Ille-et-Vilaine et de 11% dans le Finistère. La progression a été encore plus
rapide dans le département des Deux-Sèvres (+42%) où la spécialisation en polyculture-élevage était
historiquement plus marquée. Dans les territoires spécialisés en élevage et où la superficie toujours en
herbe occupe une place historiquement importante (Cantal, Doubs et Saône-et-Loire), les surfaces
céréalières ont régressé. Dans les deux départements du bassin parisien (Eure-et-Loir et Oise), les
surfaces de céréales ont baissé de respectivement 19% et 5% entre 1970 et 2010. Le poids de ces
deux départements dans le total national est donc en léger recul, singulièrement en Eure-et-Loir où la
part des céréales dans la SAU est passée de 75% en 1970 à 64% en 2010 (Carte 1-5).
Les surfaces françaises de céréales regroupent principalement 5 millions d’ha de blé tendre, 1,5 million
d’ha de maïs grain, 1,5 million d’ha d’orge et d’escourgeon et 0,4 million d’ha de blé dur.
Le développement des biocarburants, l’extension des marchés d’exportations et le plafonnement des
rendements sont des facteurs qui ont contribué à rendre possible l’abandon du dispositif de jachère mis
en œuvre au lendemain de la réforme de la PAC de 1992. Les exportations de blé tendre vers les pays
tiers (13 Mt en 2010-11, soit un peu plus du tiers de la récolte, essentiellement à destination de
l’Algérie, du Maroc et de l’Egypte) et, dans une moindre mesure, vers les pays européens (7 Mt, dont
surtout en Italie, en Belgique et aux Pays-Bas) constituent donc un enjeu territorial interne important.
Dans le secteur du maïs grain, où les surfaces sont stables depuis au moins vingt ans, les exportations
(5,6 Mt en 2010-11 pour une production de 13,8 Mt) se font à plus de 95% vers les pays européens.
Dans le secteur de l’orge, où les surfaces sont en recul (-10% en vingt ans), les exportations de grains
(5,6 Mt en 2010-11 pour une production de 10,2 Mt) se font à 80% vers les pays partenaires de l’UE.
Dans le secteur du blé dur, où les surfaces ont presque doublé en vingt ans, les utilisations intérieures
(0,6 Mt) sont également nettement inférieures aux exportations (2,1 Mt, dont la moitié vers des pays
tiers). Au cours des deux dernières décennies, la spécialisation des territoires en céréales a sûrement
été moins influencée par la plus ou moins grande proximité géographique entre les productions
animales et les productions végétales que par les opportunités offertes par ces marchés extérieurs.
Les utilisations de céréales par les fabricants d’aliments du bétail sont stables depuis au moins une
dizaine d’années aux alentours de 10,5 Mt (soit 16% de la production).
L’évolution des cultures fourragères (-5,5 millions d’ha en France entre 1960 et 2010) sur le territoire
national doit être mise en relation, d’une part, avec la dynamique des productions d’herbivores
(évolution des cheptels) et, d’autre part, avec la transformation des systèmes techniques (spécialisation
et intensification). Les surfaces consacrées aux fourrages annuels, qui ont augmenté de façon
importante entre 1960 (813 000 ha) et 1990 (1,8 million d’ha, dont 1,7 de maïs fourrage), ont baissé
depuis lors pour atteindre 1,5 million d’ha en 2010 (dont 1,4 de maïs fourrage). Les surfaces de plantes
sarclées fourragères (betteraves fourragères, chou fourrager, etc.) ont pratiquement disparu alors
qu’elles représentaient 1,3 millions d’ha en 1960. Les surfaces de prairies permanentes et temporaires
ont, quant à elles, baissé de 28% en passant de 17,9 millions d’ha en 1960 à 12,9 millions d’ha en
2010. Si les prairies temporaires ont augmenté au cours de cette période, le recul des surfaces toujours
en herbe (STH) a, quant à lui, été particulièrement important. D’après les données du recensement
agricole, la STH productives (> 1500 UF/ha/an) couvre 7,6 millions d’ha en France en 2010,

Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203 191


V. Chatellier et C. Gaigné

soit l’équivalent de 28% de la SAU contre 41% en 1970 (Tableau 1). Les surfaces de STH ont reculé
intensément dans les régions de plaine où les cultures céréalières prédominent, mais également dans
les zones d’élevage (exemple : -82% de STH depuis 1970 en Ille et Vilaine). Bien que ces surfaces
aient également baissé en montagne, leur poids demeure toujours important : 73% de la SAU dans le
Doubs et 78% dans le Cantal ; c’est également le cas en Basse-Normandie (Carte 1-6) où une activité
laitière basée sur le pâturage subsiste.

La concentration géographique des productions animales


La localisation actuelle des productions animales en France résulte d’un long processus historique et de
l’influence croisée, au fil du temps, de nombreux facteurs qui relèvent du champ de l’économie, de
l’organisation des acteurs ou des politiques publiques (cf. partie 2). En abordant successivement les
principales productions animales (bovins-lait, bovins-viande, ovins, porcs et volailles), quelques
éléments de réflexion sont apportés quant aux processus passés de concentration et de spécialisation.
Dans le secteur bovins-lait, la production française de lait équivaut à la situation observée trente années
plus tôt. L’offre a tout d’abord augmenté entre 1970 et 1984, puis elle a légèrement baissé suite à la
mise en œuvre des quotas laitiers. Compte tenu des mesures adoptées dans le cadre du bilan de santé
de la PAC en 2008 (hausse du niveau des quotas laitiers pour parvenir à leur « suppression en
douceur » à horizon 2015) et une fois la crise économique de 2009 passée, les livraisons de lait sont de
nouveau reparties à la hausse pour s’établir à 23,9 milliards de litres de lait en 2011 (CNIEL, 2012).
En dépit d’une forte consommation de produits laitiers par habitant et par an en France (environ
360 kg), ce niveau de production dépasse nettement les besoins intérieurs, ceci aboutissant à
l’obtention d’une balance commerciale largement positive dans ce secteur (+2,8 milliards d’euros en
2011). Compte tenu d’abord de la mise en place des quotas puis des gains de productivité obtenus à
l’animal, le cheptel de vaches laitières connaît une baisse drastique de ses effectifs. Ainsi, d’après les
données du Recensement agricole, le cheptel a été divisé par deux dans l’hexagone entre 1970 et
2010. Le recul a été très intense dans les zones de polyculture-élevage (-81% dans la Vienne et -69%
dans les Deux-Sèvres) ; il l’a également été dans des départements peu spécialisés en lait comme ceux
orientés vers les productions de céréales (-78% dans l’Eure-et-Loir) et de vaches allaitante (-71% en
Saône et Loire). Dans les trois régions de l’Ouest de la France, qui concentrent 45% du cheptel de
vaches laitières (Carte 2-1), la baisse des effectifs avoisine 40% dans la majorité des départements.
Ainsi, entre 1970 et 2010, la densité de vaches laitières par hectare de SAU a reculé dans tous les
départements français. En Ille et Vilaine, par exemple, le nombre de vaches laitières par hectare de
SAU (en moyenne départementale) est passé de 0,67 en 1970, à 0,68 en 1988 et 0,51 en 2010
(Tableau 2). Ce recul de la densité moyenne dans un département donné ne signifie en aucune
manière une baisse du niveau d’intensification des surfaces mobilisées. Du fait de l’amélioration de la
productivité animale, la production de lait par hectare de surface fourragère a, en effet, augmenté sur
cette même période (Pflimlin, 2010). Il en résulte que les besoins en foncier agricole du secteur laitier
français ont considérablement baissé, ceci contribuant indirectement au développement d’autres
productions agricoles (porcs et volailles dans l’Ouest de la France et céréales dans les zones de
polyculture-élevage). Avant la mise en œuvre des quotas laitiers, le poids relatif de l’Ouest dans l’offre
laitière nationale augmentait plus rapidement que depuis 1984. Cela tient aussi au fait que les modalités
de gestion des quotas laitiers ont été, du moins en France, plutôt favorables aux zones de montagne.
Dans ces dernières, la situation est particulièrement contrastée entre les deux départements pris en
référence. Si le cheptel de vaches laitières a reculé de 48% dans le Cantal depuis 1970 (conformément
à la moyenne nationale), il n’a reculé que de 17% dans le Doubs. Non seulement ce département avait
plus fortement dynamisé sa production avant la mise en œuvre des quotas, mais les stratégies
déployées dans la filière fromagère (AOC comté) sont couronnées d’un succès sans équivalent en
Auvergne (Dervillé, 2012).

192 Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203


Les logiques économiques de la spécialisation productive

Tableau 2. La spécialisation et la concentration des productions animales entre 1970 et 2010.


Evolution des effectifs d’animaux (en têtes) dans une sélection de départements français
Sources : Agreste - Recensements agricoles 1970, 1988 et 2010 – Ensemble du champ / Calculs INRA SMART-LERECO
Ouest Poitou-Charentes Bassin Parisien Allaitant Lait en montagne France
29 35 44 79 86 28 60 71 25 15
Vaches laitières
Effectif 2010 167 540 227 995 121 327 36 718 16 005 7 570 27 111 23 013 92 448 76 925 3 720 043
Effectif 1988 235 275 338 839 176 346 60 773 29 620 12 424 43 753 38 361 118 033 125 744 5 699 720
Effectif 1970 270 696 355 965 196 599 117 382 85 144 33 731 64 692 82 687 111 989 147 844 7 280 363
Evolution 2010 / 1970 (%) -38% -36% -38% -69% -81% -78% -58% -72% -17% -48% -49%
Effectif 2010 par ha de SAU 0,44 0,51 0,30 0,08 0,03 0,02 0,07 0,04 0,42 0,22 0,14
Effectif 1970 par ha de SAU 0,58 0,67 0,40 0,24 0,17 0,07 0,17 0,15 0,48 0,41 0,24
Vaches allaitantes
Effectif 2010 31 909 34 940 71 889 102 307 48 266 8 287 15 391 218 751 6 390 151 155 4 136 463
Effectif 1988 23 953 18 786 56 476 90 269 40 952 7 745 11 086 198 186 3 581 106 933 3 475 305
Effectif 1970 4 653 3 851 14 363 42 476 24 983 4 053 5 554 127 589 1 362 32 832 2 353 080
Evolution 2010 / 1970 (%) 586% 807% 401% 141% 93% 104% 177% 71% 369% 360% 76%
Effectif 2010 par ha de SAU 0,08 0,08 0,18 0,23 0,10 0,02 0,04 0,42 0,03 0,43 0,15
Effectif 1970 par ha de SAU 0,01 0,01 0,03 0,09 0,05 0,01 0,01 0,23 0,01 0,09 0,08
Brebis mères
Effectif 2010 10 508 18 274 22 727 175 664 195 506 8 067 20 351 54 352 7 752 6 046 5 537 546
Effectif 1988 17 930 38 878 51 510 322 229 448 324 18 549 27 534 107 148 12 593 46 558 7 752 883
Effectif 1970 11 097 16 299 30 764 194 201 352 808 31 424 42 072 105 168 9 646 45 416 6 378 211
Evolution 2010 / 1970 (%) -5% 12% -26% -10% -45% -74% -52% -48% -20% -87% -13%
Effectif 2010 par ha de SAU 0,03 0,04 0,06 0,39 0,41 0,02 0,06 0,11 0,04 0,02 0,21
Effectif 1970 par ha de SAU 0,02 0,03 0,06 0,40 0,72 0,07 0,11 0,19 0,04 0,13 0,21
Truies
Effectif 2010 208 961 85 889 24 445 14 566 8 505 5 557 841 37 031 1 891 28 092 1 126 612
Effectif 1988 159 793 73 952 11 392 10 736 5 465 2 256 2 410 6 785 2 175 6 293 1 023 506
Effectif 1970 95 286 67 831 9 813 10 069 9 516 2 279 6 020 15 394 1 300 15 073 1 131 943
Evolution 2010 / 1970 (%) 119% 27% 149% 45% -11% 144% -86% 141% 45% 86% 0%
Effectif 2010 par ha de SAU 0,54 0,19 0,06 0,03 0,02 0,01 0,00 0,07 0,01 0,08 0,04
Effectif 1970 par ha de SAU 0,20 0,13 0,02 0,02 0,02 0,00 0,02 0,03 0,01 0,04 0,04

Dans le secteur bovins-viande, la production française de viande bovine (1,45 Mt de gros bovins finis en
2011) s’inscrit à la baisse depuis déjà de nombreuses années, parallèlement à un léger recul de la
consommation intérieure. La décroissance du cheptel de vaches laitières évoquée précédemment est le
principal moteur de cette baisse de l’offre de viande bovine (sachant que 45% de la production
française est issue du secteur laitier). Si la France bénéficie encore d’une balance commerciale positive
dans ce secteur (+1,1 milliard d’euros en 2011), celle-ci s’explique principalement par la vente de
bovins mâles vivants (broutards) à destination de l’Italie. En viande bovine fraîche et congelée, la filière
française est déficitaire ; les importations se font nettement plus en provenance de l’Europe du Nord
(Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Royaume-Uni) que de pays tiers, y compris du Brésil où les
exportations à destination du marché européen sont en recul depuis quelques années (Institut de
l’Elevage, 2012a). Le cheptel de vaches allaitantes (4,2 millions de têtes en 2011), qui est devenu
supérieur au cheptel de vaches laitières à partir de 1997, est stable depuis au moins quinze ans. Tout
au long de cette période, y compris d’ailleurs lorsque le niveau des prix s’est amélioré, le cheptel est
resté proche du plafond national autorisé au titre de la prime au maintien du troupeau de vaches
allaitantes (3,8 millions de PMTVA). Cette stabilité du cheptel allaitant intervient cependant après une
longue phase de croissance (+48% en moyenne nationale entre 1970 et de 1988), d’ailleurs vérifiée
dans les dix départements étudiés (Tableau 2). Le poids d’un département spécialisé comme la Saône-
et-Loire dans le cheptel français a finalement peu évolué depuis 1970 (environ 5,5%). Avec 34% du
cheptel de vaches allaitantes de l’UE-27, la France est de loin le premier pays concerné par cette
activité devant l’Espagne (15%), le Royaume-Uni (13%) et l’Irlande (9%).

Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203 193


V. Chatellier et C. Gaigné

Carte n°2. La localisation des effectifs d’animaux en France en 2010. Source : MAAF-2012- IGN Géo Fla 2010 -
Agreste - Recensements agricole 2010 / Traitement INRA SMART-LERECO
Carte 2-1. Vaches laitières Carte 2-2. Vaches allaitantes

Carte 2-3. Brebis nourrices et laitières Carte 2-4. Porcin

Carte 2-5. Poulet de chair

194 Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203


Les logiques économiques de la spécialisation productive

Le cheptel allaitant est concentré pour une part importante dans les zones herbagères du Centre de la
France (Limousin, Auvergne), mais également en Midi-Pyrénées et en Pays de la Loire (Carte 2-2).
Il est peu présent dans les zones intensives d’élevage (Bretagne, Picardie) et les zones céréalières où
les surfaces toujours en herbe occupent une place devenue marginale. Dans certains départements,
notamment ceux situés en zones défavorisées, où les opportunités de substitution entre productions
agricoles deviennent de plus en plus difficiles à imaginer dans le contexte économique actuel,
la poursuite de cette activité est une condition nécessaire à l’entretien du territoire (CGAAER, 2011).
Dans le secteur ovins, la production française de viande ovine diminue depuis une vingtaine d’années.
Si, dans une première phase, la production indigène brute a progressé de près de 60% en passant de
117 000 tonnes équivalent carcasse (tec) en 1970 à 187 000 tonnes en 1985, elle a progressivement
reculé à seulement 112 000 tonnes en 2010 (soit un niveau de production inférieur à celui atteint
quarante années plus tôt). Ce recul de l’offre intervient dans un contexte où la consommation
domestique de viande ovine a baissé de l’ordre d’un tiers depuis 1990 (après une longue phase de
croissance) et où la compétitivité-prix de la France est mal positionnée. En dépit de cette baisse de la
consommation, la France demeure toujours lourdement déficitaire en viande ovine (54% de taux d’auto-
approvisionnement en 2011 contre 80% au début des années quatre-vingt). Le marché français est
donc structurellement dépendant d’importations qui se font principalement en provenance du Royaume-
Uni, de l’Irlande et de la Nouvelle-Zélande. Cette diminution de l’offre s’accompagne d’un recul intense
du cheptel de brebis mères (nourrices et laitières), d’autant plus que des gains de productivité
(au demeurant plus modestes que dans d’autres productions animales) ont été constatés. D’après les
données du Recensement agricole, le cheptel de brebis est passé de 6,3 millions de têtes en 1970 à
7,7 millions de têtes en 1988 pour redescendre à 5,5 millions de têtes en 2010. Le recul du cheptel
(-29% en moyenne nationale entre 1988 et 2010) est encore plus net dans tous départements étudiés
car la concurrence avec les autres productions, via souvent les acquisitions foncières, est rarement
gagnante pour le secteur ovin (production dégageant un plus faible chiffre d’affaires à l’hectare). Ainsi,
depuis 1988, le cheptel de brebis a été divisé par plus de deux dans les départements des Deux-Sèvres
et de la Vienne où les effectifs étaient historiquement conséquents. Le cheptel de brebis a baissé de
façon généralisée, mais moins vite dans le sud de la France (Carte 2-3), comme dans les départements
de l’Aveyron et des Pyrénées Atlantiques qui concentrent une part écrasante du cheptel de brebis
laitières (la collecte française de lait de brebis a été multipliée par 2,5 depuis 1980).
Comme dans le secteur bovins-viande, la dépendance économique des exploitations spécialisées en
ovins-viande aux aides directes est devenue très importante au fil du temps (environ 150% du revenu
en moyenne nationale). Ces dernières ont sûrement contribué à soutenir le niveau d’offre en
maintenant en activité des exploitations qui auraient abandonné cette production en leur absence
(même partielle). Dans ce sens, les décisions prises dans le cadre du bilan de santé de la PAC de 2008
relativement à la réorientation d’une partie des aides directes au sein de l’agriculture française, par un
transfert de fonds des productions végétales vers les productions animales extensives, se sont révélées
très positives pour le revenu des producteurs d’ovins (Chatellier et Guyomard, 2011).
Cette augmentation substantielle récente des montants d’aides directes a cependant été
contrebalancée, comme pour les autres productions animales, par une forte hausse des charges
(notamment en alimentation). Il en résulte que la situation économique de nombreux élevages demeure
encore fragile pour permettre de transmettre aisément les outils de production aux nouvelles
générations de producteurs et ainsi pour conforter la dynamique de l’offre de viande ovine à long terme.
Dans le secteur porcin, la production française est quasiment stable depuis 2000. Elle avait, en
revanche, fortement augmenté entre 1970 (1,3 Mt) et 2000 (2,3 Mt), période pendant laquelle la
consommation domestique s’inscrivait régulièrement à la hausse et stimulait l’offre intérieure.
En France, la consommation de viande porcine par habitant et par an est désormais stable
(FranceAgriMer, 2012b). Longtemps déficitaire en viande porcine, la France n’est devenue auto-
suffisante qu’en 1995 ; exprimée en valeur et non en volume, la balance commerciale de ce secteur

Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203 195


V. Chatellier et C. Gaigné

reste néanmoins légèrement négative car les importations françaises concernent des produits à plus
haute valeur ajoutée que les produits exportés. La stabilité de l’offre porcine française intervient dans un
contexte concurrentiel caractérisé par une forte croissance des abattages en Allemagne, en Espagne et
au Danemark. Par ailleurs, l’augmentation importante des coûts de production (alimentation animale),
qui n’a pas été contrebalancée par une hausse du prix de vente de la viande porcine aux
consommateurs (contrairement au secteur avicole où les reports de prix ont été davantage possibles),
pèse aujourd’hui fortement sur la dynamique des investissements dans ce secteur productif.
Si la production française de viande porcine est nettement supérieure à la situation qui prévalait en
1970, le cheptel total de truies est resté, quant à lui, quasiment identique (environ 1,1 million de têtes).
Au cours de cette longue période, un processus de concentration géographique de l’offre a été observé
au bénéfice surtout de la Bretagne. Dans le département du Finistère, par exemple, le cheptel de truies
a plus que doublé pour atteindre 18,5% du cheptel national en 2010 contre 8,5% en 1970 ;
ce mouvement a également été constaté en Ille-et-Vilaine et en Loire-Atlantique, mais dans une
moindre proportion. Comme le montrent les données chiffrées à mi-parcours (1988), ce phénomène de
concentration territoriale de la production s’est exprimé au cours des décennies soixante-dix et quatre-
vingt (Carte 2-4). En raison du plafonnement de l’offre globale depuis près de dix ans et du
renforcement des exigences environnementales, il est devenu désormais moins tonique.
Dans le secteur des volailles, la production française a d’abord connu une longue phase de croissance
(doublement des volumes entre 1980 et 2000), avant de subir un recul sérieux entre 2000 et 2010
(-20% pour représenter 1,8 Mt en 2011). Non seulement l‘exacerbation de la concurrence
internationale a entraîné une augmentation des importations européennes de volailles (en provenance
notamment du Brésil et de la Thaïlande), mais certains pays européens historiquement clients de la
France se sont mis à développer intensément leur production. Si la France demeure toujours le premier
pays européen producteur de volailles, les écarts se resserrent rapidement avec l’Allemagne (où la
production a été multipliée par 2,5 en une quinzaine d’années), le Royaume-Uni (où la production est
stable) et l’Espagne (où la production a augmenté de près de 30% depuis 1995). Au cours des dix
dernières années, la balance commerciale en volailles de la France avec la plupart des pays
partenaires de l’UE s’est dégradée. Cependant, les positions commerciales de la France vis-à-vis des
pays tiers tendent, depuis deux à trois ans, à s’améliorer grâce à l’ouverture de nouveaux marchés
dans les pays du Moyen-Orient (Arabie Saoudite). Au total, la France demeure un pays exportateur net
en volailles, avec une balance de l’ordre de 230 000 tonnes en moyenne sur la période 2009-2011.
La production française d’œufs de poules a été multipliée par 1,5 entre 1970 et 2000 (avec des effectifs
identiques), puis elle a baissé de l’ordre de 10% depuis dix ans.
Après une période difficile de restructuration, la production française de poulets de chair (1,05 Mt en
2010) est désormais stable depuis 2007. Les effectifs de poulets de chair (121 millions de têtes en
2010) ont baissé de 4,8 millions de têtes depuis 2000 alors qu’ils avaient progressé de 47 millions de
têtes entre 1980 et 2000. Ils demeurent toujours fortement concentrés en Bretagne (33% du total
national, soit une proportion identique à celle observée en 1980) et en Pays de la Loire (20% contre
16% en 1980). Pour autant, ils ont baissé de 1,2 millions de têtes en Bretagne et de 3,5 millions de
têtes en Pays de la Loire entre 2000 et 2010. Dans les autres régions productrices, la baisse récente
des effectifs a été comparativement moins forte (Carte 2-5). La très forte baisse de la production de
dindes (761 000 t en 2000 contre 412 000 t en 2010) a naturellement affecté les zones productrices ;
pour les canards, la production (240 000 t) a multiplié par 5 entre 1980 et 2000, mais elle est stable
depuis lors. Dans le secteur des volailles, la concentration territoriale de la production s’est donc faite
principalement entre 1980 et 2000, période caractérisée par un essor important de l’offre.

196 Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203


Les logiques économiques de la spécialisation productive

2- Les facteurs clés de la spécialisation productive des territoires


La concentration des productions agricoles et la spécialisation des territoires ont fait l’objet de
nombreux travaux depuis la révolution industrielle (Duby et Wallon, 1980 ; Cronon, 1991). Dans ce qui
suit, nous exposons les principales origines économiques (mécanismes de marché et régulations
publiques) et leurs interactions avec la géographie physique (conditions naturelles de production et
fertilité des sols) permettant d’expliquer les dynamiques à l’œuvre.
Prix de l’énergie, progrès technique et économies d’échelle
La dissociation géographique des productions animales et végétales a été largement favorisée par la
baisse du prix de l’énergie et le progrès technique. Ces changements ont, d’une part, incité les
agriculteurs à utiliser de façon croissante les fertilisants chimiques au détriment de l’azote organique et,
d’autre part, stimulé l’abandon des activités d’élevage dans les territoires dotés d’une bonne fertilité
naturelle des sols. La baisse des coûts de transport et l’amélioration de son efficacité (infrastructures
routières, développement du fret maritime moins coûteux) ont, de leur côté, largement favorisé le
déplacement physique des marchandises agricoles à une échelle internationale. Ces évolutions ont
progressivement conduit à une transformation des modèles de production au sein de l’agriculture
française et européenne. Ainsi, à titre d’illustrations, la principale source d’azote des cultures est
désormais fournie par les engrais minéraux, tandis que les protéines nécessaires à l’alimentation
animale sont issues, pour une large part, d’importations de tourteaux ou de graines d’oléoprotéagineux
issues des pays du Mercosur ou des Etats-Unis (lesquels produits entrent sur marché européen sans le
versement de droits de douane depuis la signature du Kennedy round en 1967). Si des importations
accrues de produits légers et à forte valeur ajoutée (engrais, tourteaux de soja, produits de substitution
des céréales) ont été observées sur le marché domestique, des exportations d’autres biens ont,
parallèlement, été facilitées (céréales, etc.). Pour les produits pondéreux et à plus faible valeur ajoutée,
les flux internationaux demeurent plus modestes et la production se concentre davantage autour des
établissements portuaires ou des industries d’amont et d’aval. Il en va, par exemple, de la production
porcine (souvent localisée à proximité des ports) ou des productions de lait et de betteraves sucrières
(situées proches des industries de transformation).
Ainsi, au fil du temps, les productions de grandes cultures se sont fortement développées, souvent au
détriment des systèmes de polyculture-élevage (Chatellier et Dupraz, 2012), dans les zones
géographiques qui cumulaient à la fois un bon potentiel agronomique et une faible densité de
population (permettant une extension de la taille des exploitations). Dans le secteur des céréales, les
flux d’exportations sont devenus indispensables pour justifier les surfaces françaises actuelles dans la
mesure où la production nationale dépasse de loin la consommation intérieure. En l’absence de ces
marchés d’exports, les surfaces dédiées aux céréales seraient considérablement diminuées et la
localisation géographique de l’offre céréalière connaîtrait des évolutions importantes.
Les activités d’élevage, en se relocalisant hors des bassins spécialisés dans les productions végétales,
ne se dispersent pas géographiquement dans le reste de la France pour maintenir une association
entre les productions végétale et animale dans les territoires d’élevage. Comme évoqué précédemment,
les productions animales se sont concentrées assez fortement dans quelques départements.
Cela s’explique principalement par le développement des technologies de production agricole et de
transformation qui favorisent, du moins parfois, l’exploitation d’économies d’échelle2. Ce mouvement est
d’autant plus intense que l’impact des économies de gamme3 réalisées par l’association de différents
types de productions au sein d'une même exploitation semble moins évident. Le mouvement de
spécialisation des exploitations suggère que les économies de gamme sont insuffisantes, voire
négatives dans certains cas, pour compenser les économies d’échelle réalisées en monoproduction.

2 L’accroissement de la production d’un bien s’accompagne d’une diminution des coûts moyens de production.
3 La baisse des coûts due à la production conjointe par rapport à la production séparée de quantités égales de biens.

Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203 197


V. Chatellier et C. Gaigné

Ce phénomène a été par ailleurs encouragé, d’une part, par les rapports de prix, en particulier la
croissance plus rapide du prix du travail par rapport à ceux des autres facteurs, et, d’autre part, l’usage
croissant de pesticides et d’antibiotiques qui ont favorisé la spécialisation des exploitations en
permettant la simplification des assolements et la concentration des élevages.

Economies d’agglomération et les relations agriculteurs/industriels


Cette dissociation spatiale des productions animales et végétales au niveau des exploitations se
maintient dans de nombreux départements par la présence d’économie d’agglomération dans les
productions animales. On sait depuis longtemps que la manière dont les activités économiques sont
réparties dans l’espace n’est pas neutre sur la performance économique des producteurs.
Les nombreux travaux relevant de l’économie géographique ont bien mis en évidence les gains
économiques liés à la concentration géographique des entreprises, nommés économies
d’agglomération (Krugman, 1997). Ces travaux indiquent que même sans disposer d’un avantage
comparatif, une région peut se spécialiser dans un secteur d’activité. Sans nier le rôle des ressources
disponibles, l’existence de gains tirés de la concentration géographique de la production devient un
élément central pour expliquer la spécialisation des régions4. Ces travaux montrent aussi que les
producteurs peuvent bénéficier de la simple proximité géographique entre producteurs d’un même
secteur. Les interactions non marchandes, qu’ils nouent d’autant plus facilement entre eux qu’ils sont
proches, permettent de modifier la relation entre coûts et production. La proximité géographique entre
producteurs favorise la circulation rapide et fiable (ou le partage) d’informations relatives aux évolutions
des marchés de fournitures ou de produits, mais aussi au développement d’innovations techniques,
organisationnelles ou des produits (Fujita et Thisse, 2002). La proximité permet également aux
producteurs de partager des inputs communs dont les investissements ne seraient, au regard de
l’usage qu’ils en ont, pas supportables individuellement, ou, dans certains cas, une main-d’œuvre
formée aux tâches spécifiques de cette production.
Les secteurs des productions animales n’échappent pas à ce constat, quel que soit le secteur d’activité
(hors sol, ruminants) l’agglomération des productions animales semble être une source de gains de
productivité et/ou d’économies d’échelle. Ils se caractérisent par la présence d’économies
d’agglomération non négligeables dans différents secteurs comme le lait, le porc et la volaille.
Des travaux ont montré que la hausse de la productivité des exploitations spécialisées dans les
productions animales peut être associée également à l’accroissement de la concentration spatiale des
productions animales (Gaigné et al., 2011). Ce n’est pas hasard si les productions animales sont en
moyenne plus concentrées spatialement que les productions végétales (Ben Arfa et al., 2009).
De même, les évolutions dans les industries amont et aval ont également participé à ce mouvement de
concentration des activités d’élevage. Quelle que soit l’industrie liée aux productions animales, on
assiste à un mouvement de concentration de l’appareil productif. Dans les quatre grands secteurs des
industries agroalimentaires (viande de boucherie et de volailles, lait, produits à base de viande,
fabrication d’aliments pour bétail), le nombre d’entreprises a baissé, la taille moyenne des entreprises a
augmenté de même que la taille des plus grandes entreprises et la productivité du travail. Le corolaire
de cette concentration industrielle est une plus grande concentration spatiale de la production animale
par le seul jeu de la fermeture de certains établissements et l’agrandissement d’autres. En effet, les
relations entre l’agriculture et les industries sont un facteur puissant d’agglomération des différentes
étapes des filières agro-alimentaires (Bagoulla et al., 2010). L’agglomération de la production est un
processus de long terme pour partie dû aux gains qui existent pour les firmes à se localiser à proximité de
leurs clients (industries avales) et de leurs fournisseurs (industries amonts) pour bénéficier d’économies

4 Evidemment, la faible quantité de terre par actif en Bretagne participe à l’émergence d’une production intensive. Toutefois,
il faut être très prudent sur la capacité prédictive de la théorie sous-jacente dite des avantages comparatifs.

198 Innovations Agronomiques 22 (2012), 185-203


Les logiques économiques de la spécialisation productive

d’échelle et de coûts de transport bas. L’idée est simple : les producteurs sont incités à se localiser près
de leurs clients pour diminuer leurs prix, grâce à de moindres coûts de transport des marchandises.
Cette baisse suscite une demande plus élevée et permet donc de produire à plus grande échelle.
Accroître le niveau de production fait baisser les coûts moyens en raison des économies d’échelle.
Production en hausse et coûts moyens de production en baisse permettent d’accroître la profitabilité.
De même, pour éviter les coûts monétaires et les pertes de temps liés à l’éloignement géographique, les
entreprises sont incitées à se rapprocher de leurs fournisseurs. Le regroupement géographique permet de
réduire le prix des biens intermédiaires, les délais de livraison du bien ou du service et d’obtenir plus
facilement les caractéristiques précises du produit souhaité. Ces mécanismes expliquent, par exemple,
assez bien la spécialisation de la Bretagne dans les productions animales.

Les implications spatiales de la politique agricole


Toutefois, comme on l’a vu dans la section précédente, les différentes productions animales diffèrent
sensiblement par leurs niveaux de concentrations spatiales. Les secteurs du porc et de la volaille
apparaissent davantage agglomérés que les autres secteurs des productions animales. Une des
principales raisons réside dans l’action publique différenciée selon les secteurs. De nombreux travaux
ont montré que les politiques nationales a-spatiales façonnent également la spécialisation des
territoires. Les politiques agricoles n’échappent pas à ce constat. En effet, les modalités d’intervention
de la PAC à partir des années 80 ont stoppé le processus de concentration spatiale des secteurs
directement soutenus. Dans le secteur bovin, par exemple, la gestion des quotas a été un instrument
pour figer régionalement l’offre de lait et un frein à la concentration.
Les primes (couplées) au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA), les aides allouées en
faveur des surfaces de prairies et les indemnités compensatoires de handicaps naturels ont clairement
soutenu la présence de ruminants dans des zones géographiques difficiles. Un découplage de la
PMTVA, lors de la précédente réforme de la PAC, aurait provoqué un abandon de cette production
dans les zones de polyculture-élevage, voire même dans les élevages spécialisés détenus par des
producteurs proches de la retraite (Chatellier et Guyomard, 2008). Par ailleurs, de récentes mesures
prises dans le cadre de la PAC au titre de la conditionnalité des aides directes cherchent désormais à
maintenir les surfaces existantes de prairies permanentes (Institut de l’Elevage, 2007) ; celles-ci sont en
effet considérées comme vertueuses au plan environnemental en termes de préservation de la
biodiversité, d’équilibres paysagers et de stockage de carbone dans le sol en lien avec la lutte contre
les gaz à effet de serre (Béranger et Bonnemaire, 2008). Ces quelques règles issues de la PAC limitent
les processus de concentration de l’offre. Les productions animales non soutenues directement par la
PAC (secteurs porcins et avicoles) sont, quant à elles, davantage concentrées géographiquement.
Il convient par ailleurs de préciser que le processus de concentration territoriale de la production laitière
est influencé par deux évolutions majeures (Institut de l’Elevage, 2009). Avant même la suppression
des quotas, la révision des modalités de leur gestion, qui s’opère désormais à l’échelle de bassins de
production et non plus au sein de chaque département, est susceptible d’accélérer la concentration de
l’offre dans les zones les plus compétitives. Par ailleurs, l’augmentation importante du prix des céréales
tend aujourd’hui à accélérer le processus d’abandon de l’activité laitière par de nombreux producteurs
localisés dans les zones de polyculture-élevage peu denses en production laitière et où les cultures
peuvent être pratiquées, comme en Poitou-Charentes et dans le Sud-Ouest. Dans l’Ouest de la France,
la poursuite de l’activité laitière se justifie par les faibles disponibilités foncières et par le niveau souvent
plus modeste des rendements en productions végétales (Lelyon et al, 2011 & 2012).
De même, les régulations environnementales liées aux pratiques agricoles peuvent structurer
l’organisation spatiale des filières. Les autorités publiques souhaitent réduire la concentration spatiale
des productions animales lorsqu’elle peut non seulement être source d’externalités négatives (pollutions
des eaux, érosion des sols, perte biodiversité, etc.), mais aussi s’accompagner du développement de

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V. Chatellier et C. Gaigné

systèmes productifs particulièrement gourmands en intrants (dans un contexte où la pression sur les
ressources naturelles augmente). Par exemple, l’introduction de la directive « Nitrates » (réglementation
visant à protéger l’eau vis-à-vis de la pollution par les nitrates d’origine agricole) en introduisant une
contrainte d’épandage des effluents limitée par un niveau maximum d’azote par hectare et par an
(170 kg/ha/an) n’est pas neutre sur la dynamique spatiale des productions. Toutefois, cette restriction
en réintroduisant un lien entre les productions dites hors-sol et la question foncière n’a pas eu l’effet
escompté en termes de relocalisation des productions. Au lieu de disperser les productions animales
vers des territoires spécialisés dans les productions végétales, cette mesure s’est accompagnée d’un
renforcement de l’agglomération des productions animales (Gaigné et al., 2011). En effet, en France,
les éleveurs (et notamment les plus performants) sont autorisés à éliminer les excès d’azote en
procédant à son traitement5. Or, les technologies de traitement sont caractérisées par des charges fixes
élevées (IFIP, 2006) de sorte que le coût moyen de traitement décroît avec la quantité de lisier traitée.
Autrement dit, le traitement peut être mis en place par les élevages de grande taille et peut accroître la
taille des élevages. Au final, le recours au traitement du lisier peut accroître la concentration spatiale de
la production porcine en favorisant une réallocation de la production des petites exploitations vers les
plus grandes. Les subventions publiques en France pour les élevages localisées dans les ZES mettant
en place des stations de traitement ont donc renforcé le processus de concentration spatiale des
productions animales.

Conclusion : vers une ré-association des productions animales et végétales


à l’échelle des territoires ?
Ces dernières décennies, la dissociation géographique des productions végétales et animales est bien
souvent la facette territoriale du développement de l’agriculture en France comme dans d’autres pays.
Seule l’action publique, sous certaines formes, semble être en mesure d’empêcher le développement
de systèmes mixtes au niveau des exploitations ou des territoires. Cependant, plusieurs raisons
peuvent laisser penser qu’une meilleure valorisation des matières organiques d’originale animale est
possible. Nous en présentons ici deux.
Premièrement, la hausse des prix des intrants et de l’énergie à long terme constitue un facteur
favorable à une ré-association spatiale des productions animales et végétales. En effet, la baisse du
prix relatif de l’énergie, pour les raisons évoquées plus haut, a induit que la principale source d’azote
des cultures est fournie par les engrais minéraux et qu’une grande partie des effluents d’élevage ne
trouve donc pas d’usage fertilisant. Or, en 2008, la baisse de la consommation d’engrais minéral en
Bretagne est imputable à la hausse de son prix. Dans un contexte où le prix de l’énergie va
vraisemblablement augmenter, l’accroissement possible des coûts de transport et des prix des
fertilisants chimiques peut constituer un puissant levier favorisant une meilleure valorisation des
matières organiques (Lécuyer et al, 2012).
Toutefois, ce qui compte dans les choix des producteurs, ce sont les prix relatifs entre les différents
fertilisants et la quantité de travail nécessaire par type de fertilisant pour son application. Autrement dit,
l’utilisation croissante de l’engrais organique requiert non seulement des prix relativement élevés des
engrais minéraux, mais aussi une gestion des engrais organiques relativement économe en travail.
Pour ce dernier point, les évolutions technologiques sont cruciales. Par ailleurs, dans une perspective
de prix élevés de l’énergie, le bilan énergétique des différents systèmes de production sera décisif
(Dupraz et al., 2010). Les techniques permettant d’économiser l’énergie sans accroitre significativement
la quantité de travail seront favorisées. Par exemple, les élevages laitiers intensifs, qui utilisent

5Les procédés de traitement sont nombreux. La réduction ou la suppression de la fraction azotée contenue dans les lisiers
peut s’effectuer par différents procédés (traitement biologique par transformation des nitrates en azote gazeux, concentration
de l’azote dans des produits minéraux facilement exportables, compostage, …).

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Les logiques économiques de la spécialisation productive

beaucoup plus d’énergie, que les systèmes plus extensifs optimisant le pâturage seront défavorisés
(Dupraz et al., 2010). Toutefois, dans le cas du lait, cela ne va pas forcément induire la dispersion
géographique des productions de lait. Pour cela, il faut que les gains en énergie deviennent supérieurs
aux économies de taille au niveau des exploitations et des territoires.
Par ailleurs, une meilleure valorisation des matières organiques ne signifie pas un retour à des
territoires moins spécialisés et une plus grande mixité animale/végétale au niveau d’un bassin de
production. En effet, on voit par exemple émerger de nouveaux types de producteurs d’engrais à partir
des effluents d’élevage et déchets des industries agroalimentaires. Les industriels proposent des
nouvelles technologies avec une phase de méthanisation des déchets organiques et une phase
d’extraction de l’azote, du phosphore et de la potasse des déchets pour les transformer en engrais et
les expédier vers les régions de cultures. D’autres solutions techniques ont été récemment mises en
œuvre. Il s’agit de bâtiments d’un nouveau genre permettant de récupérer plus facilement les effluents
pour pouvoir ensuite fabriquer des engrais organiques. Les solutions techniques et économiquement
rentables semblent permettre une plus grande utilisation des engrais organiques. Dans tous les cas,
ces solutions, permettant une meilleure valorisation des effluents et une réduction des excédents de
nitrates dans les territoires d’élevage, ne favorisent pas la dispersion des productions animales.
En effet, l’intérêt de ces solutions est d’exporter le lisier sous forme d’engrais organique pour ne pas
être limité par la quantité de terre disponible pour l’épandage. Au contraire, ces innovations
technologiques risquent de renforcer le processus d’agglomération des productions animales. La
production d’engrais organique impliquant des charges fixes, cette activité est rentable que si l’on
produit à grande échelle.
En second lieu, la dérèglementation des marchés agricoles associée à une hausse des prix de l’énergie
et de la demande alimentaire mondiale peut fortement modifier les paramètres influençant les choix des
éleveurs en faveur des productions végétales. En effet, ces changements engendrent un accroissement
du niveau et de la volatilité des prix des céréales ainsi qu’une accentuation des risques de défauts
d’approvisionnement. Ces changements structurels concernant le marché des céréales peuvent
constituer un puissant levier favorisant le retour de territoires mixtes en termes de production animale et
végétale. En effet, si le recul de l'élevage dans les régions dominées par les productions céréalières
persistera vraisemblablement, les zones d'élevage peuvent connaitre un développement des activités
céréalières. En effet, dans un souci de sécuriser leur approvisionnement pour nourrir leurs animaux (en
termes de coût, quantité et qualité), les éleveurs sont davantage incités à développer des exploitations
mixtes. La production de céréales au sein des élevages peut être un moyen de maîtriser les coûts liés à
l’alimentation animale et de s’assurer de disposer des quantités suffisantes de matières premières pour
nourrir les animaux dans un contexte d’incertitude croissante sur les prix et les quantités disponibles de
céréales. Cependant, les gains associés à l’autonomie des systèmes alimentaires dans un contexte de
fortes tensions sur les marchés des céréales devront être élevés pour compenser les gains à la
spécialisation.
A contrario, différents facteurs poussent au maintien de la dissociation spatiale des productions
animales et végétales. Le mouvement de concentration de la production au niveau des industries aval
et amont devrait vraisemblablement se poursuivre en France, quel que soit le type d’activités.
La contractualisation et l’intégration verticale au sein des filières animales renforcent la concentration
spatiale des productions animales. La gestion du risque des aléas liés aux variations de prix ou de
production par les choix de production est de moins en moins réalisée au niveau de l’exploitation mais
de plus en plus au niveau des industriels de l’aval. Autrement dit, les exploitants peuvent moins
diversifier leurs activités pour réduire le risque de pertes de revenu contrairement aux industriels.
Par ailleurs, les industriels sont incités à réduire le nombre de fournisseurs pour minimiser ces coûts et
à favoriser la spécialisation des élevages pour exploiter les économies d’échelle. Ainsi, les industriels
peuvent gérer les risques en se dotant d’un portefeuille diversifié d’activités constituées d’unités de
production avec différentes spécialités. En déplaçant la gestion du risque au niveau des industries de

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V. Chatellier et C. Gaigné

l’aval au détriment des élevages, l’intégration verticale favoriserait la concentration spatiale des
productions animales.
Par ailleurs, à partir de 2015, les règles administratives décidées par les pouvoirs publics ne dicteront
plus les ajustements de l’offre de lait à la demande. La fin des quotas, ainsi qu’un éventuel découplage
de la PMTVA, peuvent provoquer davantage d’agglomération. Le niveau de décision sera décentralisé
et, de fait, reviendra davantage aux industriels de la transformation. Des systèmes de contractualisation
entre éleveurs et industriels vont se développer. Au vu des mécanismes évoqués plus haut, l’inégale
répartition spatiale de la production laitière devrait s’accentuer au profit des bassins les plus compétitifs
et au détriment des exploitations les plus petites. Ce mouvement de polarisation aura également des
conséquences sur les autres secteurs partageant les mêmes ressources (l’alimentation animale et la
terre pour l’épandage). Le renforcement de l’intégration verticale dans la production du lait et le poids
croissant des forces de marché dans la régulation de ce secteur va vraisemblablement intensifier la
volonté de regrouper géographiquement les différents acteurs de la filière lait et d’accroitre la taille des
différents opérateurs impliqués.

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