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ORTUNO Rémi M2 Etudes Théâtrales

Numéro étudiant : 21407026

Une danse infectée : maladie et contagion de good boy à Mauvais Genre

Quand j'ai appris ma maladie et que j'ai dû affronter mon futur, je suis passée par la même chose que tu
as décrite : je me demandais si j'allais continuer à danser, parce que l'opération que j'ai subie a modi fié
mon corps à jamais. Je ne savais pas si je pourrais vraiment un jour retrouver la force et la capacité de
travailler avec mon corps aussi librement qu'avant. 1

Les mots qu'emploient Anna Halprin pour parler de la maladie et de l'évolution de sa danse
au travers et après l'étape qu'a représenté celle-ci dans sa carrière et dans sa vie font écho au dernier
essai d'Elisabeth Lebovici sur la question de l'art et l'activisme à la fin du XXe siècle : Ce que le
sida m'a fait. Si le milieu de la danse a pu être davantage touché humainement, d'un point de vue
quantitatif, par l'épidémie du sida à partir de la fin des années 80 jusqu'au début des années 2000 2, la
maladie, tout en infectant et affectant les corps, a également provoqué un tournant esthétique dans
le travail de certains chorégraphes tout autant dans l'écriture chorégraphique des œuvres que dans
les dispositifs scéniques mis en place (Le Presbytère, Maurice Béjart, 1997 ; good boy, Alain
Buffard,1998). Parler ou écrire sur la maladie dans la danse contemporaine revient à questionner
l'in fluence et l'importance d'un rapport à soi à une époque où le « nous » est davantage une
communauté de « je » ensemble plutôt qu'un groupe indistinct, une masse, une génération qui aurait
passé à travers une époque où les amis disparaissaient peu à peu, en laissant derrière eux des
survivants entourés des fantômes d'un mal qui, lorsqu'il ne les a pas atteint, a empêché leurs vies de
continuer telles qu'elles avaient pu être avant l'apparition du sida.
Confronter la maladie au nombre, la confronter au-delà de statistiques ou de données
quantitatives, c'est prendre compte ses paradoxes internes à son fonctionnement et son
développement. De manière assez étonnante, le champ lexical de la transmission de la maladie n'est
pas étranger à celui de la transmission d'une partition de danse : il y a bien une transmission d'un
chorégraphe à un danseur, une démultiplication d'un geste, une reproduction d'une qualité de bras
ou jambe, une diffusion d'une intention d'un danseur à un autre. En allant même un peu plus loin
dans ce sens, il n'y aurait d'étrange à considérer la danse comme une maladie qu'un danseur
transmettrait à un autre et qui, au fur et à mesure qu'elle passerait d'un corps à un autre, muterait
pour devenir une altération du virus originel. Cette interprétation, quoi qu'on en pense, colle
parfaitement avec le vocabulaire chorégraphique de Roof Piece de Trisha Brown, créé le 11 mai
1 « When I was striking with cancer and I had to face my future, I went through something similar that you
described ; which was questioning wether I would ever dance again because the operation I had altered my body
forever and I didn't know wether I would really be able ever to recuperate the strenght and the ability to work with
m y b o d y a s f r e e l y a s I w a s f a m i l i a r . » B u f f a r d A l a i n , M y l u n c h w i t h A n n a in
http://www.numeridanse.tv/fr/video/340_my-lunch-with-anna, Centre National de la Danse, 2005, consultation le 18
novembre 2017, 50:29:00 – 51:00:00.
2 On peut penser à Rudolf Noureev, Dominique Bagouet, Alvin Ailey, Jorge Donn et Alain Buffard.

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1971 sur les toits de SoHo où les new-yorkais pouvaient observer des silhouettes rouges qui se
transmettaient des phrases chorégraphiques, la distance entre les corps et le manque de visibilité
entraînant forcément une altération de la partition originelle.
Confronter la danse au nombre c'est à la fois penser son évolution dans le temps - sa
propagation, sa diffusion, sa prolifération – que la penser dans le rapport d'étrangéisation à soi. En
effet, comme en témoignent les mots d'Anna Halprin à Alain Buffard, la question de la maladie
pose la question du corps étrange et étranger, de l'intrusion de soi à soi, du dérèglement, de
l'anormalité. D'un côté, le virus contagie de plus en plus de cellules, altère leur fonctionnement , et
d'un autre côté, il empêche le corps de guérir, il réduit ses capacités (ses mouvements, par exemple) ;
il le condamne à s'inscrire dans un rapport à soi et au temps qui l'inscrit dans une rupture avec sa vie
d'avant.
A la fin du film réalisé par Alain Buffard et Anna Halprin, 3 la chorégraphe américaine rappelle
l'importance du lien qui s'est créé entre elle et le chorégraphe français à une période de sa vie où il
avait contracté le VIH et où, en quête d'identité, il ne savait pas encore s'il retournerait sur l'espace
qu'il avait occupé toute sa vie durant : la scène. Deux années après le workshop suivi au Sea Ranch,
Alain Buffard crée un solo qu'il ne cessera jamais d'altérer, de questionner, de transmettre jusqu'à en
faire une œuvre bâtarde, une version parmi d'autres, une copie parmi les copies : good boy. La
ré flexion menée interrogera deux aspects de cette œuvre : l'in fluence esthétique de la maladie sur ce
solo et son « étrange in finité »4 d'une part, et, d'autre part, la contagion et les mutations de cette
partition chorégraphique sur les pièces postérieures du chorégraphe français, c'est-à-dire Good
For... puis Mauvais Genre, en questionnant l'importance des ces transmutations et extensions,
comme si le solo du chorégraphe-interprète était devenu une maladie qui s'était emparée d'autres
corps et avait réagi différemment à chaque contraction, se modi fiant à chaque fois.

3 Alain Buffard et Anna Halprin, My lunch with Anna, Centre National de la Danse, 2005.
4 Alain Buffard, note d'intention de Mauvais Genre, novembre 2002.

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good boy5 est créé en janvier 1998 pour le festival Les Inaccoutumés à La Ménagerie de
Verre. C'est un solo à une époque où cet exercice chorégraphique n'est pas reconnu comme une
œuvre accomplie dans la danse contemporaine mais davantage comme l'ébauche d'une création
future 6. Il s'émancipe de toute narration et se structure autour de séquences que l'interprète-
chorégraphe active et désactive au fur et à mesure de la pièce, selon la temporalité dans laquelle il
s'est engagée. L'oeuvre s'ouvre sur une présentation de l'individu mis à nu 7, en fond de scène, qui
fait face au public, le regarde, fait un tour dans un sens, puis dans l'autre. Elle aurait pu s'arrêter là 8.
Ce premier moment propose et exige toute l'attention nécessaire de la part du public à tout ce qui
suivra à cette première étape. Le chorégraphe s'offre entièrement au regard de tous, se livre aux
spectateurs et ne dit rien. Il laisse son corps – ici sa peau, entièrement rasée – émettre un discours
qui sera intelligible ou pas, plutôt multiple qu'unique, être le point de départ de ce qui, de cet
individu, malgré ses singularités, sera mis en commun, à disposition, tant que les néons seront
allumés. Cette danse ne s'illustre pas par sa virtuosité ou une accumulation de prouesses
chorégraphiques. Le corps présent n'est pas identifiable sexuellement et va même provoquer le
signe de cette indistinction puisque le premier geste que fait l'interprète consiste à se scotcher le
sexe avec un sparadrap, niant ainsi à la fois son identification sexué et sexuelle ; il n'est rien d'autre
qu'un « corps-appareil »9, c'est-à-dire un corps objectivé, un corps-objet. La maladie étant ce qui
dépossède et ce qui rend compte de cette dépossession – en passant de l'état de malade au statut de

5 A sa création, le titre de la pièce ne comporte pas de majuscules. Elles seront ajoutées suite à la création de Good
For...
6 « Le solo, ça peut être soit quelque chose de l’ordre du manifeste formel, soit le réservoir d’autre chose. On ne le
considère pas généralement comme un exercice chorégraphique à part entière, et pourtant, bizarrement, la plupart des
pièces historiques vraiment importantes sont des solos... C’est un exercice dif ficile, qui demande un engagement très
fort, on se trouve complètement seul, sans regard extérieur, quasiment jusqu’à la fin. », Seloua Boulbina et Sabine
Prokhoris in « Tenir debout : Aléas. Entretien avec Alain Buffard », Vacarme, 1999/1 (n° 7), p. 92-95. URL :
https://www.cairn.info/revue-vacarme-1999-1-page-92.htm, date de consultation : 27 novembre 2017.
7« (…) et je pense à cette expression qui me plongeait, enfant, dans la perplexité : « d’homme à homme ». Je me
demandais ce que cela pouvait bien vouloir dire... « de soi à soi » ? Bon, c’était une énigme... », Alain Buffard.
Entretien conduit par Geisha Fontaine, réal. Centre National de la Danse, 2004 (DVD consultable à la médiathèque du
CND).
8« Il n’y a strictement rien d’autre que ma présence, que le corps qui est le mien, traversé d’un certain nombre de
choses, dans mon boulot de danseur, dans mon existence, en ce qui l’altère et la transforme, comment je négocie mes
bientôt quarante ans, les modifications physiques... Faire ça, c’était : « Bon, vous avez bien vu, maintenant je vais faire
quelque chose de ça. » , Seloua Boulbina et Sabine Prokhoris in « Tenir debout : Aléas. Entretien avec Alain Buffard »,
Vacarme, 1999/1 (n° 7), p. 92-95. URL : https://www.cairn.info/revue-vacarme-1999-1-page-92.htm, date de
consultation : 27 novembre 2017.
9 Alain Buffard. Entretien conduit par Geisha Fontaine, réal. Centre National de la Danse, 2004 (DVD consultable à la
médiathèque du CND).

« A l'« opposé d'un corps-outil du danseur » , dit Alain Buffard, « good boy tra fique avec l'idée d'un corps appareil, un
corps instrument privilégié par lequel s'exacerbe une certaine forme de transgression : un corps qui expose la saturation
sociale et morale, un corps qui dit la vitalité et la maladie. Nous ne savons pas ce dont ce corps est capable. » »
Elisabeth Lebovici, Ce que le sida m'a fait : art et activisme à la fin du XXème siècle, Les Presses du Réel, Dijon, 2017,
p. 300.

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patient sous traitement, l'individu, tout en continuant à perdre ses capacités physiques, acquiert une
nouvelle identité immuable, « le malade » - l'évolution du mal donne à voir cette dégradation du
corps. Dans l'engagement formel qu'exige le solo, l'interprète est le seul à poser sur son corps et sur
l'identité altérée de ce que corps un regard glacial : non seulement la maladie lui fait reconsidérer la
connaissance qu'il avait de lui-même dans ses capacités de danseur, mais elle est terrible et
terrifiante en ce qu'elle ne permet pas, par sa constante progression, de se fier à un état stable ; ce
n'est pas parce qu'une limite physique est dépassée un certain jour que cette limite pourra de
nouveau être franchie lors de la prochaine tentative. Ainsi va le corps sur scène se présente sous le
signe d'un condensé d'humanité : à quatre pattes, il est à la fois un nourrisson et un grabataire et se
retrouve projeté dans les deux périodes de la vie où le corps est dans l'incapacité de s'assumer
physiquement. Il teste ses capacités amoindries, échappe à son propre contrôle et s'échappe : c'est
un corps marqué par la présence en lui de la mort.
Toute la suite du solo s'inscrit dans une esthétique spectaculaire plus affirmée puisqu'il s'agit de
jouer avec des codes identitaires et des attentes spectatoriales, ainsi l'interprète se situe t-il à mi-
chemin entre le freak show et le cabaret, enchaînant une séquence où des boîtes de médicaments
font office de talons et un numéro de cabaret 10, qui aurait reprendre un vocabulaire de danseur se
réappropriant un standard américain, New York New York, renvoie davantage à un signal d'alarme
dont on se joue puisque, bien que la séquence soit drôle, c'est bien d'alertes dont il s'agit.
(...) Ici l'identité se pense, autrement, mais de façon primordiale, à travers d'autres critères, définis par
les modalités publiques de l'acte et la présence d'un spectateur-témoin 11. On n'est pas non plus dans les
figures un peu sommaires du « gender » à l'américaine. L'identité (sexuelle, artistique) n'est plus un
champ de détermination mais d'heuristique. D'ailleurs, tout devient équivoque : les boîtes de
médicaments lâchées à terre, renvoient à l'expérience pathologique, à ses thérapies, mais se réduisent
au sol en simples cubes vides, sorte de Carl André pharmaceutiques. L'identité est ce qui produit et
dévitalise ses propres signes. C'est elle ici qui autorise la contestation des procédures chorégraphiques
habituelles (…) dans la danse contemporaine.12

Dans good boy, la quête de l'identité se fait par à-coups, par choc et par claques ; l'idée est de
compter sur le corps autant que le corps compte, et autant qu'on compte, les efforts, les étapes, les
jours, au travers de lui. Le corps exposé dans good boy est un corps trans, si l'on entend dans
l'usage de ce préfixe la possibilité d'un au-delà de l'individu, d'un par-delà le cas pathologique pour
parler de la maladie comme la métaphore 13 d'un discours qui prendrait des formes différentes à
chaque fois qu'il s'incarnerait dans un corps : « le mal a dit ».

10 « Être là et juste là. Le début est amplement suffisant pour moi. Après y'a un côté cabaret complètement enjoué. »,
Alain Buffard. Entretien conduit par Geisha Fontaine, réal. Centre National de la Danse, 2004 (DVD consultable à la
médiathèque du CND).
11 Cette notion de « spectateur-témoin » a été mise en place par Anna Halprin.
12 Laurence Louppe, Art Press, numéro 234, avril 1998.
13 Susan Sontag, La maladie comme métaphore ; Le sida et ses métaphores Christian Bourgois, Paris, 2009.

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Je crois qu'il y a deux grandes familles d'artistes : ceux qui parlent d'eux pour essayer de parler au
monde et ceux qui parlent du monde pour parler d'eux. Je choisis plutôt la première. En fin, j'essaye de
choisir la première, parfois c'est un peu entre les deux. 14

En prenant comme point de départ cette citation d'Alain Buffard, Mauvais Genre peut être
considéré comme un échantillon d'individualités dont la mise en commun donnerait une idée de ce
que peut être le monde. Au moins tout autant que Good Boy, ce spectacle interroge l'altérité et la
différence comme recherche d'une communication à travers un langage dont les codes ne seraient
pas innés. Là encore, il s'agit d'une interrogation de la mise en épreuve de l'inaltérable et
l'irreconnaissable, c'est à dire l'identité au travers de la maladie. Mais, si la partition chorégraphique
du solo est reprise un moment, elle est rapidement abandonnée, bafouée et profanée pour se
substituer à des pulsions freudiennes. La question que pose cette diffusion de la danse au sein d'un
groupe est un rapport complexe à l'espace en tant que zone commune de possible cohabitation. La
majorités des tensions exposées au cours de cette pièce seront d'ordre spatiales.
Si le début de la pièce laisse présager un monde qui fait face, ce sont rapidement deux groupes,
sexués, qui se substituent à lui, et la réunion de ces clans ne sera possible que dans le mouvement le
plus simple et juste en danse pour Alain Buffard : la marche15. Cette même marche conduira à un
décentrement du regard et à une impossible focalisation sur l'ensemble puisqu'à la communauté
disloquée, fragmentée se seront substitués de petits groupes – duos ou trios – qui chercheront
l'entente, ou, tout au moins la bienveillance dans un rapport à la révélation ontologique renvoyant
possiblement au travail de Journiac : caresses, baisers, explorations des corps et des sens.

Le corps est le lieu de tous les marquages, de toutes les blessures, de toutes les traces. Dans les chairs
s’inscrivent les tortures, les interdits des classes sociales, les violences des pouvoirs, dispersés mais
jamais abolis. Aujourd’hui, seuls les exclus créent. Car c’est leur corps qui parle, énonce le refus. Le
cri NO FUTURE – si ce futur est le présent continué – est cri d’espoir. Du “tiers exclu” au “tiers
monde” surgit le désir du corps communication et nécessite une nouvelle forme de création. Un corps
sujet du mot est mort, un corps lié à l’ordre du désordre, au Dieu de la morale du travail, de la famille
et de la patrie. Ici et maintenant. La parole du corps est corps. Son insurrection de viande-consciente
vers le sacré, vers l’autre, naît peut-être simplement de la fulgurance ontologique de la caresse. 16

Pour qu'une communauté existe, il faut, plus qu'un espace commun, la reconnaissance dans l'Autre
d'un semblable, ou d'une ressemblance que l'on a acceptée et valorisée, ou, tout au moins, dont on a
su s'emparer. Si, d'une maladie incurable, on ne peut pas guérir, on peut néanmoins vivre avec, et
cette notion de « vivre-avec »17 ne correspondrait pas à vivre moins, moins bien mais à interroger
14 Alain Buffard. Entretien conduit par Geisha Fontaine, réal. Centre National de la Danse, 2004 (DVD consultable à la
médiathèque du CND).
15 « simplement pouvoir marcher sur un plateau, voilà pour moi l’état absolu de la danse... Et la marche, c’est un
devenir. » Seloua Boulbina et Sabine Prokhoris in « Tenir debout : Aléas. Entretien avec Alain Buffard », Vacarme,
1999/1 (n° 7), p. 92-95. URL : https://www.cairn.info/revue-vacarme-1999-1-page-92.htm, date de consultation : 27
novembre 2017.
16 Texte de Michel Journiac pour l'action Action de corps exclu, réalisée le 19 novembre 1983 au Centre Georges
Pompidou, Paris.
17 Alain Ménil, « Le sida sans détour ni transcendance : critique de l'interprétation de ses grands prêtres », Les Temps

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les représentations de la maladie pour ne pas être fataliste et accepter la contingence et l'altération
dans l'immuable. Alain Ménil rappelle que François Laplantine dans son Anthropologie de la
maladie18 distingue trois groupes autour du malade qui pourrait constituer une forme de
communauté en cela que les individus se retrouvent liés : le maladie à la première personne
représenterait l'expérience intérieure de la maladie, de son évolution et de ses aléas, la maladie à la
deuxième personne serait l'expérience des personnes en relation affective avec le malade et la
maladie à la troisième personne renverrait au médecin et aux « spécialistes ». C'est en ce sens que
doit être lue la phrase d'Elisabeth Lebovici : « Aux temps du sida, nous vivons et mourons tous-tes
en sida, peu importe que nous mourrions ou non du sida »19. Il cherche une notion qui permettrait à
la vie du corps malade de faire corps avec le malade, sans désubjectiver ou rendre complètement
passif le malade.
De toute évidence, nul n’avait ré fléchi réellement à ce « cum » d’accompagnement, lorsque le
compagnon proposé n’avait rien de désirable ni d’accommodant, ni envisagé un seul instant que pour
être pleinement pensé, il faudrait glisser un tiret entre vivre et avec, pour penser leur indissociabilité :
vivre-avec, donc. Ce « vivre-avec » concerne en effet toutes les instances distinguées et réparties selon
les trois personnes de la conjugaison. (...) Il est d’autant plus nécessaire d’y ré fléchir car c’est en effet
tout autant les proches, la famille et les amis, mais aussi les plans de la société que nous traversons,
qui sont amenés alors à « vivre-avec ». C’est toute notre vie « avec » qui s’en trouve modi fiée, au
point qu’elle nous apparaît comme modelée (modélisée ?) par elle. Mais dans la dif ficulté à penser
intégralement la co-appartenance du malade à sa maladie et de la maladie au patient, la ré flexion sur le
fait de « vivre-avec » montre vite ses limites, ne serait-ce que parce qu’elle ne vient jamais penser
l’ensemble (maladie + patient) comme un tout comparable à une unité d’un ordre supérieur, ou qu’elle
ne tire pas ses conséquences sur le long terme en invitant à adapter un certain nombre de dispositions
juridiques de la santé publique à la situation nouvellement créée par les succès des traitements
médicaux, qui ont rendu chroniques des maladies jusque-là mortelles. 20

Le fait que Mauvais Genre soit présenté en déambulatoire transforme radicalement le rapport au
public et le contraint à se déplacer sans cesse entre le centre de l'espace scénique et les murs qui
l'entourent. Si good boy s'achevait sur les klaxons de New York New York, ce n'est pas le cas dans la
dernière création d'Alain Buffard puisque les slips kangourous, en filés par des dizaines sur des
corps aussi peu masculins que féminins, bien qu'empêchant et réduisant les mouvements des corps,
renvoient encore plus encore que dans le solo antérieur à une forme de cabaret où l'on ne viendrait
que pour voir les corps jouir et jouir des corps présents. Si le solo d'Alain Buffard est une pièce sur
la transformation et l'acceptation de cette transformation, sa version étendue à une vingtaine de
danseurs représente davantage la promesse d'une cohabitation et une acceptation de la différence et
de l'impossibilité à maîtriser ce qui, quoi qu'il advienne, échappera. C'est là une beauté du paradoxe
de ce travail de chorégraphe et de danseurs : quand bien même ils auraient pu être formés à une

Modernes, numéro 588, juin-juillet 1996, p.1-86 et Saint(s) et saufs – Sida, une épidemie de l'interprétation, Les
Belles Lettres, Paris, 1997.
18 François Laplantine, Anthropologie de la maladie, Payot, Paris, 1993.
19Elisabeth Lebovici, Ce que le sida m'a fait : art et activisme à la fin du XXème siècle, Les Presses du Réel, Dijon,
2017, p. 11.
20 Alain Ménil. « « Vivre-avec ». Ou les plissements de l'existence », Cahiers philosophiques, vol. 125, no. 2, 2011,
pp. 107-123.

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maîtrise de leurs faits et gestes, le chorégraphe leur propose un espace de liberté et d'expression où
les tensions incontrôlées, les chutes et les soubresauts sont possibles21.

Lorsque good boy devient Good Boy en 2017, ce micro-événement d'un festival parisien de la fin
des années 90 est devenu un des nombreux repères de la danse contemporaine française. Ce solo,
tel l'épicentre d'une nouvelle manière d'envisager les corps, a engendré beaucoup de répliques qui
ont marqué l'histoire de la danse et de la perception des exclus sur les scènes. En prenant des
majuscules, l'oeuvre est devenu à la fois monument et vestige de la danse contemporaine et
Matthieu Doze ne prétend ni ne veut reproduire à l'identique ce qu'Alain Buffard lui a « passé »
mais ne lui a pas transmis. Cette transmission est davantage la possibilité de se jouer de ce qu'a pu
connaître le public plutôt que la restitution parfaite de ce qui aurait pu être remonté à l'identique.
C'est ainsi que la fin de Good Boy reprend celle de Good For..., troisième figure manquant au
spectre du travail de Buffard . L'interprétation de Matthieu Doze ne s'achève pas sur un noir mais
sur un empilement de slips qui, petit à petit, fait deviner puis disparaître la dernière lumière activée
en scène. Ainsi ce symbole peut-il renvoyer une mémoire qui excède le spectacle et totalise l'oeuvre
de Buffard en une série de répliques qui pourraient être in finies. Ainsi Mathieu Dozze n'intériorise
pas le solo et n'oublie pas que si cette danse part bien d'une expérience intérieure, elle est également
l'exploration de sa propre transmission.

Dans Me moires – Pour Paul de Man,Jacques Derrida écrit :


A la mort de l'autre, nous sommes voue s a la me moire, et donc a l'inte riorisation, puisque l'autre, au-
dehors de nous, n'est plus rien ; et depuis la sombre lumie re de ce rien nous apprenons que l'autre
re siste a la clo ture de notre me moire inte riorisante... [la mort] constitue et rend manifestes les limites
d'un moi ou d'un nous tenus d'abriter ce qui est plus grand et autre qu'eux hors d'eux en eux.

Et Alain Buffard lui répond :

Comment, d’une solitude, faire communauté ? À partir d’un idiome inventé seul, déployer les
in flexions d’une langue partagée, construire l’horizon d’un événement collectif ?

Si nous sommes tous condamnés à disparaître un jour, c'est dans la proposition à l'Autre de
s'inventer comme semblables ensemble qu'une communauté peut se mettre en place, qu'une
cohabitation peut se faire. Si le langage qui a été mis en place dans une écriture de soi n'est pas
accessible à autrui, c'est dans l'exploration d'un langage commun que le passage du moi au nous
sera permis.

21 « Il fallait que je transpose tout ça pour que ce soit vivant et possible pour les uns et pour les autres. » Alain Buffard.
Entretien conduit par Geisha Fontaine, réal. Centre National de la Danse, 2004 (DVD consultable à la médiathèque du
CND).

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