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THÉORIE DE LA MESURE
ET INTÉGRATION
Cours de P. MAZET
Edition 2004-2005
Intégration 2004-2005 Table des matières
Chapitre I Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 1
I.1. Calcul infinitésimal, calcul intégral. . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 2
I.2. La méthode de Riemann . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 3
I.3. La méthode de Lebesgue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 4
I.4. Le problème de la mesure. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 5
Chapitre II Prérequis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 11
II.A Ensembles dénombrables . . . . . . . . . . . . . . . . p. 13
II.A.1. Notions et propriétés fondamentales. . . . . . . . . . . . . . . p. 13
II.A.2. Les démonstrations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 14
II.B Généralités sur IR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 19
II.B.1. Rappels sur R et R. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 19
II.B.2. Ordre et topologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 20
II.B.3. Le cas de R. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 21
II.B.4. Liens entre limite, borne supérieure et borne inférieure. . . . . . p. 22
II.B.5. Compléments topologiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 23
II.B.6. Prolongement des opérations algébriques. . . . . . . . . . . . . p. 24
II.C Familles sommables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 25
II.C.1. Rappels. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 25
II.C.2. Extension aux familles quelconques dans R+ . . . . . . . . . . . p. 26
II.C.3. Lien avec la théorie des séries. . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 29
II.C.4. Familles sommables. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 29
Chapitre I. Introduction
Notations.
Si A et B sont des ensembles on notera A \ B l’ensemble des éléments de A qui ne sont
pas dans B, A \ B = {x ∈ A | x ∈ / B}. Cette notation sera surtout utilisée lorsque B est
contenu dans A, A \ B est alors le complémentaire de B dans A.
Nous serons souvent amenés à considérer des parties d’un ensemble X et le complémentaire
dans X de ces parties. Si aucune confusion n’est à craindre, nous sous-entendrons alors
l’ensemble X et nous noterons Ac le complémentaire de A (dans X). Pour A et B parties
de X on a donc A \ B = A ∩ B c .
A toute partie A d’un ensemble X nous associerons sa fonction indicatrice ou carac-
téristique notée 1IA et définie par 1IA (x) = 1 si x ∈ A et 1IA (x) = 0 si x ∈
/ A.
Cette somme de Riemann est considérée comme une bonne approximation de l’intégrale
étudiée dans la mesure où les accroissements finis λi (ai − ai−1 ) sont proches des accroisse-
ments infinitésimaux f (x)dx. Cela suppose que le pas de la subdivision, c’est-à-dire le
maximum des ai − ai−1 , soit suffisamment petit pour que ∆x = ai − ai−1 soit proche de
l’accroissement infinitésimal dx et que la fonction f soit suffisamment régulière pour varier
très peu sur [ai−1 ; ai ] afin que λi soit une bonne approximation de f (x). Ce discours peu
rigoureux conduit toutefois à poser la définition suivante :
Avec les notations précédentes, f est dite intégrable (au sens de Riemann) sur [a; b] si et
seulement si les sommes de Riemann ont une limite lorsque le pas de la subdivision tend
Z b
vers 0. Cette limite est alors l’intégrale de f sur [a; b], notée f (x) dx .
a
I.4.1. L’intuition.
Intuitivement le problème de la mesure est le suivant :
– étant donné un ensemble X définir pour toute partie A de X, ou du moins pour certaines
d’entre elles, un nombre m(A) (sa mesure) qui permette d’estimer la grandeur de cette
partie.
On exige naturellement de cette définition qu’elle vérifie l’additivité c’est-à-dire que pour
A et B parties disjointes on demande m(A ∪ B) = m(A) + m(B). Cette propriété se
généralise immédiatement par récurrence à l’additivité finie qui[
dit que, pour
X une famille
finie (Ai )i∈I (I fini) de parties deux à deux disjointes, on a m( Ai ) = m(Ai ). On
pourra même étendre cette propriété aux familles dénombrables (I dénombrable), on parle
alors d’additivité dénombrable.
L’exemple le plus simple est fourni par le cardinal (ou nombre d’éléments) : m(A) = #A.
Un autre exemple, lorsque X = R est fourni par la longueur qui permet de mesurer les
intervalles.
Plus généralement, lorsque X est un espace euclidien de dimension 2 (resp. 3) l’aire (resp.
le volume) donne encore un exemple de mesure.
Le premier exemple montre l’utilité d’accepter la valeur +∞ si l’on veut mesurer toutes
les parties de X (lorsque X est infini).
Le deuxième exemple montre qu’en général la mesure n’est définie a priori que sur certaines
parties. En dimension 1 cela n’est pas trop gênant car les intervalles sont les parties de R
les plus fréquemment considérées. En dimension supérieure le problème est plus intéressant
(et plus délicat). En effet la définition de l’aire passe en général par le choix d’un carré
unité (d’aire 1) puis, par différentes opérations, on détermine l’aire des rectangles, des
triangles, des polygones et de figures de plus en plus complexes en utilisant l’additivité
(finie ou même dénombrable). On peut faire une remarque analogue pour les volumes.
Ce problème des aires et des volumes est en fait à l’origine des travaux sur la mesure
et l’intégration. Il était au centre des préoccupations des mathématiciens dès l’antiquité
comme le montre l’étymologie du mot ”géométrie”. Les plus grands mathématiciens s’y
sont illustrés. On doit par exemple citer les remarquables travaux d’Archimède qui parvint
à déterminer il y a plus de deux mille ans l’aire du segment de parabole, l’aire et le volume
de la sphère.
En fait, dans ces travaux, le problème de la définition de l’aire ou du volume n’était pas
posé et on admettait implicitement l’existence et l’unicité d’une mesure définie pour toutes
les parties du plan (resp. de l’espace) qui prend la valeur 1 sur un carré (resp. un cube)
unité fixé à l’avance et qui en outre est invariante
¡ ¢par déplacement, c’est-à-dire que pour
toute partie A et tout déplacement ϕ on a m ϕ(A) = m(A). Nous verrons cependant que,
bien que naturelles, ces propriétés sont incompatibles et conduisent à des paradoxes. Il est
donc nécessaire d’abandonner l’idée de mesurer toutes les parties du plan ou de l’espace
par son aire ou son volume.
Ce procédé s’étend naturellement à tout segment de R et, comme toute partie de R est la
réunion d’une famille dénombrable de parties disjointes bornées (donc contenues dans un
segment), cela permet de définir la tribu de Borel formée par les parties bien définies de
R et la mesure de Borel sur les éléments de cette tribu.
Si on peut définir la mesure de A, utilisant l’opération (B) on voit que l’on peut définir
la mesure du complémentaire Ac de A dans [0; 1] par m(Ac ) = 1 − m(A). On a alors
1 − m(A) 6 m∗ (Ac ) et donc m(A) > 1 − m∗ (Ac ).
Pour toute partie A, la quantité m∗ (A) = 1−m∗ (Ac ) est par définition la mesure intérieure
de A, c’est un minorant a priori de la mesure éventuelle de A. Lebesgue appelle alors
mesurables les parties A dont la mesure intérieure est égale à la mesure extérieure, leur
valeur commune est par définition la mesure de A.
Lebesgue prouve que l’ensemble L des parties mesurables (au sens de Lebesgue) possède
les segments et est stable par les opérations (A) et (B) ; il contient donc l’ensemble B des
parties boréliennes. Cet ensemble L est également stable par intersection, c’est la tribu
de Lebesgue. La mesure définie sur L est effectivement dénombrablement additive ce qui
prouve en particulier la non contradiction de la construction de Borel.
La tribu de Lebesgue est strictement plus grande que celle de Borel (son cardinal est stricte-
ment supérieur), en fait les éléments de L sont les parties que l’on obtient en prenant la
réunion d’une partie borélienne et d’une partie négligeable (c’est-à-dire de mesure ex-
térieure nulle).
Plus généralement la méthode précédente permet de définir la mesure extérieure de n’im-
porte quelle partie de R. On peut encore montrer (cf. VII.2.) :
– cette mesure extérieure permet de définir la notion de partie mesurable (au sens de
Lebesgue) (ces parties pouvant être non bornées, la considération d’une mesure intérieure
n’est plus suffisante) ;
– l’ensemble de ces parties mesurables, encore noté L, est stable par passage au complé-
mentaire et réunion dénombrable, c’est la tribu de Lebesgue sur R ;
– la restriction de la mesure extérieure à L est dénombrablement additive, c’est la mesure
de Lebesgue sur R.
La mesure de Borel est une restriction de la mesure de Lebesgue, aussi il est fréquent de
continuer à appeler mesure de Lebesgue cette restriction.
Tout ce qui vient d’être dit s’étend sans difficulté au cas de Rn en remplaçant les segments
par les pavés (i.e. les produits de segments) dont on définit la mesure comme le produit
des longueurs des projections.
Paradoxe 1. Toute partie bornée A de Rn peut être recouverte par des parties deux à
deux disjointes Ap (p variant dans N) dont la réunion A0 est bornée et telles que chacune
d’elles se déduise de n’importe quelle autre par une translation.
Avec ces notations on voit que les parties Ap sont bornées et ont toutes la même mesure a
(invariance par déplacement). Alors, si m est dénombrablement additive, la mesure de A0
est la somme d’une infinité de termes égaux à a. Comme il s’agit d’une partie bornée cette
mesure est finie et la seule possibilité est donc a = 0 et m(A0 ) = 0. Mais alors A étant
contenu dans A0 est aussi de mesure nulle. Ainsi toute partie bornée (et, en particulier,
l’unité C) doit être de mesure nulle.
L’aspect paradoxal de cet exemple tient essentiellement à l’utilisation d’un nombre infini
(dénombrable) de parties Ap et de l’axiome d’additivité dans sa version dénombrable. Ef-
fectivement on peut prouver qu’en dimension inférieure ou égale à 2 un tel paradoxe ne
peut pas se présenter avec un nombre fini de parties ; plus précisément on peut alors mon-
trer l’existence d’une mesure m additive (mais pas dénombrablement additive), invariante
par déplacement et valant 1 sur une unité C fixée à l’avance.
En fait une conséquence du dernier paradoxe peut être énoncée de façon plus frappante :
En particulier (d’après Robinson), étant donnée une boule B, il est possible de la dé-
couper en cinq parties disjointes, puis, en déplaçant les trois premières, d’obtenir des
parties disjointes dont la réunion est une boule de même rayon que B et, en déplaçant
les deux dernières, d’obtenir des parties disjointes dont la réunion est une deuxième boule
de même rayon que B. Ainsi, on peut casser une boule en cinq morceaux et, en recollant
convenablement ces morceaux, fabriquer deux boules identiques à la première.
L’existence de ces paradoxes tient à l’utilisation de parties trop irrégulières pour que l’on
puisse les ”mesurer”, c’est-à-dire leur affecter un volume. Il est d’ailleurs clair que ces
parties ne peuvent pas être construites explicitement, sans quoi le paradoxe précédent
appliqué à des lingots d’or sphériques aurait conduit son auteur à la fortune !
Plus précisément la construction de ces paradoxes utilise un axiome particulier de la théorie
des ensembles appelé axiome du choix qui s’énonce ainsi :
Axiome du choix. Le produit d’une famille d’ensembles non vides est non vide.
ou encore
Si (Xi )⊂∈I est une famille d’ensembles non vides, il existe une famille (xi )i∈I telle que
∀i ∈ I xi ∈ Xi .
Avec les notations de cet énoncé, si l’on considère un indice i, le fait que Xi ne soit pas
vide permet, pour les besoins d’une démonstration, d’introduire un objet appartenant à
Xi , c’est-à-dire de faire le choix d’un élément de Xi . L’axiome précédent affirme que l’on
peut faire un tel choix de façon globale et donc introduire un objet (la famille des xi ) qui
permet de fixer ce choix pour chacun des indices i.
Bien que très naturel cet axiome permet de montrer l’existence d’objet aux propriétés
surprenantes comme dans les paradoxes précédents. On peut d’ailleurs prouver que, si on
supprime cet axiome, il n’est pas contradictoire d’affirmer que toutes les parties de Rn sont
mesurables (au sens de Lebesgue), on ne peut donc plus avoir les situations paradoxales
que nous venons d’exposer.
Comme nous l’avons signalé cela ne peut pas entraı̂ner de contradiction tant que l’on ne
fait pas intervenir l’axiome du choix pour construire des objets ”monstrueux”.
Dans ce cours, pour assurer la validité des énoncés présentés ainsi que leur portée générale,
nous inclurons toujours les hypothèses de mesurabilité nécessaires mais, sauf si cela est
demandé expressément, nous n’exigerons pas des étudiants la preuve de cette mesurabilité
lors de l’utilisation de ces énoncés avec la mesure de Lebesgue.
Remarque. Nous avons noté l’existence d’une mesure additive, invariante par déplace-
ment, finie et non identiquement nulle sur les parties bornées en dimension 1 et 2 et la
non-existence à partir de la dimension 3. Il est remarquable que la preuve de l’existence
jusqu’en dimension 2 et celle de la non-existence à partir de la dimension 3 utilisent toutes
deux l’axiome du choix.