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Mathématiques
et m stères
Jean-PaulDe~haye
• David Acheson, Mathémagic - De Pi au chaos : pourquoi les maths sont réjouissantes !, 2013 .
• Ian Stewart et al., , Les mathématiciens de ['Antiquité au XXI• siècle, nouvelle édition, 2010 .
tousdesciences@editions-belin.fr
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[article L. 122-5]; il autorise également les courtes citations effectuées dans un but d'exemple ou d'illustration. En revanche «toute représentation ou reproduction intégrale ou
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Jean-Paul Delahaye
INTRODUCTION .>J, 5
Persuader de son savoir
sans le transmettre
En concevant la démonstration comme une discussion entre deux personnes et
non plus comme un cours magistral, les preuves sans transfert de connaissance
accomplissent des miracles.
qu 'il leur prése nte est vrai , et plusieurs rôle de plu s en plus important, en parti-
échanges de paro les sont parfoi s néces- culi er dans le domaine des applications
saires, échanges qui varient d'un auditoire cryptograph iques. Noton s que l'article qui
à l'autre. Cette idée de preuve interac tive introduit cette notion et qui est considéré
n'es t pas ce lle de la logique mathématique aujourd'hui comme l'un des plus impor-
modéli sée avec les systèmes form els. Elle tants de l'histoire de l'informatique a été
a été introduite en informatique théo- refus é troi s foi s !
rique il y a un peu plus d'une vingtaine Il existe plusieurs vari antes de la notion
d'années par Shafi Goldwasse r, Si lvio de preuve interactive, chacune ayant son
Mi ca li et Charles Rackoff. Ell e y jou e un intérêt et nous en donnerons l'idée avec
A B C D
Dans l'exemple considéré ici, Patrick pré- Au hasard, Patrick associe des numéros au graphe ni aux jetons. Cela constitue de
tend qu'un certain graphe G est 3-colo- aux troiscouleurs, par exemple 1 =rouge, sa part un engagement.
riable, c'est-à-dire qu'on peut en colorier 2 = jaune, 3 = bleu [dessin B). li inscrit Vincent choisit alorsun arc du graphe et
les nœuds avec trois couleurs (rouge, bleu, sur les nœuds du graphe les numéros soulèveles deux jetons des extrémités de
jaune) de telle façon que deux nœuds correspondant au coloriage correct qu'il l'arc choisi (dessin D). S'ils sont de même
reliés par un arc du graphe soient toujours connaît et recouvre les numéros de petits couleur (même numéro), il en déduit que
de couleur différente [dessin A). Nous jetons qui masquent les numéros inscrits Patrick triche en prétendant connaître un
dironsqu'un tel coloriage est correct. [dessinC). Ensuite, Patrick ne touche plus coloriage correct à trois couleurs. Sinon,
s'il existe des moye ns class iques pour semblera parfois un peu abstrait, il nou s
écrire des démonstrations d'arithmétique faut parler en termes de classes de com-
(et les transmettre à un vérifieur) , aucun plexité et utili ser quelques sigles ésoté-
de ces moyens ne vaut pour l'ensemble riques : P, NP, PSPACE, IP, ZK. C'est le prix
des vérités arithmétiques : tout système de la précision.
formel poss ible pour l'arithmétique en Le para mètre important sera toujours la
laisse échapper. Le pouvoir des preuves taille T de l'énoncé mathématique E que le
classiques est limité et c'est le sens pro- prouveur tente de fa ire accepter au véri-
fond des résultats d'incomplétude. fi eur. Quand on parle de temps de calcul ou
De la même faço n, n'importe quel domaine d'espace nécessa ire pour le calcul, on le fait
mathématiqu e n'est pas su sceptible de toujours en se référant à cette taille T des
donner lieu à un protocole de preuve inte- énoncés E. Quand on dit par exemple qu'un
rac tive ou à un protocole de preuve sa ns algorithme A réali se un ca lcul en espace
transfe rt de connaissance. L'identification polynomial, cela signifie qu'il existe un poly-
précise des do maines mathém atiques per- nôme P(I). par exemple P(T) = T3 + 2T + 9,
m ettant ces types de démonstrations a tel que A uti lise moins de P(T) mémoires
bien sûr été l'obj ectif des chercheurs. Ce (mesurées en bits ou en octets) pour traite r
qu 'ils ont découve rt les a étonnés, car un un énoncé E dont la taille, mesurée en
grand nombre de dom aines mathém a- nombre de symboles, est T.
tiques sont concernés, et bien plus qu'on Envisageons successive ment di ve rs
ne l'imaginait au départ. Nous all ons pré- domaines mathématiques et les protocoles
senter cet état de l'a rt auquel les cher- de preuves associés, ainsi que les cl asses de
cheurs sont arrivés en 201 6. Même si cela complexité qui correspondent.
La classe de complexité P est la classe des couleurs, c'est toujours possible pour un
problèmes que le prouveur peut traiter en graphe dessiné sur un plan d'après un théo-
temps polynomial. Comme le vérifieur dis- rème (le « théorème des quatre couleurs », qui
pose auss i de cette puissance de calcul, tout porte sur le problème équivalent du coloriage
échange est inutile: le vé rifieur, face à un des cartes de géographie, énoncé en 1852 et
problème de la classe P, fa it le calcul néces- démontré en 1976). Savoir si un graphe est
saire et c'est tout. Déterminer si un nomb re 3-coloriable est un problème de la classe NP
est premier est un problèm e assez diffic ile (Nondeterministic Polynomial). Cela signifie
en apparence, mais, grâce à un résultat que trouver (travail du prouveur) un tel colo-
de 200 2, on connaît des algorithmes poly- riage, s'il existe, peut demander énormément
nomiaux qui le traitent et le problèm e de la de calculs, mais que contrôler (tâche du véri-
primalité est donc dans P. Si un énoncé dit fieur) si un coloriage proposé convient (deux
« N est un nombre premier », le vé rifieur nœ uds reliés sont toujours coloriés différem-
fa it seul le calcul nécessaire. ment) sera facile et rapide (polynomial) .
On ne sait pas démontrer que la classe P
*
est différente de la classe NP (P NP ?). On
• La coloriabilité pense que NP est bien plus grande que P et
que, par exemple, le problème de la 3-colo-
est un exemple
riabilité est dans NP, mais pas dans P. La
Un graphe étant donné, il est parfois pos- classe NP est la classe des problèmes m athé-
sible de le colorier avec trois couleurs sans matiques pour lesquels il existe des systèmes
que deux nœuds reliés par un arc du graphe traditionnels de preuve mathématiques avec
soient de la même couleur. Avec quatre vérifi eur polynomial : le prouveur calcule
i vous êtes prudent, vous chiffrez vos de C d 1, C d2 , ••• , Cd,, est C fois la moyenne
S données avant de les confier à un ser-
vice de sauvegarde extérieur, dans le
de d 1, d2 , •• •, d,,.
Avec ce procédé, vous pouvez faire exé-
« cloud » par exemple. Comment demander cuter par l'opérateur extérieur d'autres
alors à ce service de prendre les données types de calculs. Pour connaître le nombre
d'un fichier et d'en calculer la moyenne, de données qui dépassent un certain
ou d'en extraire des informations particu- nombre B, vous lui demanderez le nombre
lières? Pour calculer et manipuler des don- de données qui dépassent C B. Le tri de
nées, il semble qu'il faille les connaître. vos données par ordre croissant est aussi
Eh bien, non ! C'est tout l'enjeu des sys- faisab le, puisque si C est positif, le tri de
tèmes de chiffrement homomorphe: vous C dl' C d2 , .. . , Cd,, exige les mêmes permuta-
permettez à un tiers de calculer avec vos tions que d 1, d2 , •• •, d,,. Toutes les moyennes
pondérées, par exemple la moyenne
données qu'il ne connaît pas, et il produit
(d 1 + 2d 2 + Sd3 + d4 )/9, sont aussi possibles
un résultat qui lui est illisible, mais que
sans dévoiler C, car le résultat sur les do n-
vous savez déchiffrer.
nées mu ltipliées par C est égal à C fo is le
résultat attendu. Certaines opérations un
peu plus compliquées sont envisageables :
• Une méthode très simple: pour le calcul de d 1d2 + d3d4 + d5d6 , il suf-
la multiplication fira de diviser le résultat que (!J fournit
par C2 .
Si les calculs à effectuer sont simples, il
Cependant, vous ne pourrez pas demander
est faci le d'imaginer une solution. Vous
d 1 + d2d3 et, finalement, ce n'est qu'un
choisissez un nombre C que vous serez le
faible sous-ensemble de calculs que vous
seul à connaître. Vous multipliez toutes vos saurez faire exécuter à l'extérieur sans avoir
données par C, et ce sont ces données que à divulguer vos secrets. En particulier, pas
vous transmettez à l'opérateur extérieur (!J question de faire opérer des algorithmes
chargé de les sauvegarder. Pour connaître complexes sur vos données, comme l'identi-
par exemple la moyenne de vos données ou fication, parmi les nombres confiés, de ceux
de certaines d'entre elles, vous demandez qui sont des nombres premiers. Remar-
à (!J de calculer la moyenne sur les données quons aussi que le chiffrement de vos don-
dont il dispose et de vous transmettre le nées en les multipliant par une constante C
résultat. Puis vous divisez le résultat par C: laisse transparaître certaines informations
vous avez votre moyenne, car la moyenne que vous ne souhaitez peut-être pas que
16 ., J M A THÉMATIQUES ET MYSTÉRES
Calcul délocalisé
Avec les chiffrements dits homo-
morphes, un opérateur calcule sur des
données chiffrées dont il n'a pas connais-
sance. Une fois le calcul achevé, il ne peut
pas connaitre le résultat trouvé, que seul
le commanditaire du calcul déchiffre.
1Votre ordinateur
1 1
...
Chiffrement et envoi
sant Internet et en garantissant à cha·
~ 1 ~
- -o~.
cune des personnes sondées que les ffidOMffi
données individuelles contenues dans
les réponses ne seront pas divulguées.
Jl =e: Clef
publique
La procédure est la suivante: Personne
sondée A
Chaque personne chiffre ses réponses
-
avec la clef publique du collecteur
final et les envoie à un calculateur
extérieur (1). Ce calculateur traite ces •A•
données cryptées et envoie le résultat
au collecteur final (2, 3). Ce dernier
0
Personne
-
•W•
En effet, si le bruit devien t supérieur à p, le div iser par p et exam iner la parité du reste
reste n'est plus comme il fa ut (car le quo- obtenu. Suprême astuce: pu isqu'on ne fa it
tien t augmente de 1 ou plus) pour connaître pas confiance à l'opérateur extérieur, on ne
la somme et le produ it des deux bits codés. lui communique pas la clef de déchiffre-
La méthode n'est bon ne qu 'à la cond ition ment (le nomb re p), m ais on lui demande
d 'opérer un nombre li m ité d 'opérations de fa ire ce déch iffremen t par un calcu l
successives. Pour un calcu l dépendant de homomorp he u til isa nt la méthode qu'on
plusieurs d izaines de bits b1, b 2, ... , bk pré- vien t de décrire! Ce n 'es t possible bien sûr
sents dans une expression complexe ut ili- que si ce calcul homomorphe du déchiffre-
san t beaucoup de XOR et de ET, le résultat ment n'est pas trop complexe, c'est-à-d ire
obtenu par l'opérateur extérieur risque n'exige pas, une fo is trad ui t en XO R et en
d 'être devenu ill isible à celu i qu i lui a confié ET, u ne success ion trop longue de ca lcu ls;
le calcu l. La méthode sans le perfectionne- on s'en ass urera.
ment qu i va ve n ir ne fon ction ne qu'avec Cela semble assez fo u et cela ressemble à
des calc uls assez li mités. C'est là qu 'inter- l'opération consista nt à s'élever dans les airs
vient la deu xième idée ma jeure de Craig en tirant sur ses bottes ... c'est d 'ailleurs pour-
Ge n try. Elle consiste à nettoyer péri odiq ue- quoi le nom donné à cette phase du calcul
ment le bruit pour éviter qu 'il ne devien ne est bootstrapping (voir encadré ci-dessus).
trop important. Pou r que la phase de bootstrapping soit pos-
Pour cela, on fa it déchiffre r le rés ul tat sible, il faut qu'u n m in imum d 'opérations
du calcul partiel avan t qu'il ne soit trop soient fai sables sans que le bruit qui s'intro-
brou illé. Ce nettoyage en lève tout le brui t. duit soit devenu trop grand, et cela oblige à
On l'effectue en demandant à l'opérateur prendre des nombres entiers très longs pour
extérieu r d 'appliquer la fon ctio n de déch if- p et les q;, mais cela marche, et on dispose
fr emen t su r le résul tat part iel, c'est-à-d ire de donc d'une méthode de calcul pleinement
24 4 MATHÉMATIQUES ET MYSTÈRES
La signature et l'identification d'un document
Un protocole de signature à double clef est la
donnée de deux fonctions f et g permettant de
signer les messages et d'interpréter les signa-
tures. Ces fonctions sont connues de tous. Nous
ne nous préoccupons pas ici de la teneur du
message, mais seulement de son identification.
A Alice sont associées deux clefs, Ap,; (clef
privée) et Apub (clef publique). Ce sont des suites
de chiffres. Apub est accessible à tous, mais la
clef Apri n'est connue que d'Alice. Il est impos-
sible en pratique de déduire Apri de la connais-
sance de Apub" Les deux fonctions f et g servent
à signer un message et à lire la signature.
Soit Mun message à signer. Alice applique faux
données Ap,; et M: f(Apri, MJ = M'. Ce sera le mes- Les signatures de Napoléon Bonaparte.
sage signé par Alice. Toute personne ayant en
main M' et connaissant la clef publique d'Alice à contrôler pour ceux qui le veulent qu'Alice a
vérifiera que c'est bien Alice qui a signé le mes- bien signé M avec sa clef privée.
sage: pour cela, elle appliquera la fonction de Il existe de nombreuses façons de construire
lecture g aux données A b et M', ce qui donne les fonctions f et g, mais la monnaie bitcoin est
M, car g(Apub' M) = M. Le fuit qu'il soit nécessaire fondée sur la cryptographie à courbes ellip-
d'appliquer la clef publique d'Alice à M' pour tiques. La courbe employée est celle notée
prendre connaissance du message empêche secp256k1. On aurait pu utiliser l'algorithme
toute falsification du message M signé. RSA, plus connu, mais il nécessite des clefs plus
Il est parfois commode pour Alice de trans- longues. La sécurité du système Bitcoin repose
mettre à la fois M et M', M' servant seulement sur l'inviolabilité de la signature.
nouvelles tra nsactions. Cette transpare nce de projets open source : les programmes
totale n'empêche pas l'anonymat, les pro- ne sont pas secrets et ceux qui le veulent
priétaires des comptes n'étant pas tenus de peuvent contrôler ce qu'ils fo nt et même
se déclarer. C'est presque un paradoxe: tout contribuer à leur amélioration.
mouveme nt de bitcoins est public et, pour- Pour avoir des bitcoins sur un compte, il fa ut
tant, l'anonymat des détenteurs est pro tégé. soit qu 'un détenteur de bitcoins vous en ait
La possess ion des bitcoins est matérialisée donné, par exemple en échange d'un bien,
par une suite de chi ffres et de lettres qu i soit passer par une plate-forme info rma-
consti tuent un compte. Une personne peut tique qui convertit des devises classiques en
détenir plusieurs comptes. Le compte com- bitcoins, soit les avoir gagnés en participant
porte le monta nt en bitcoins de l'argent aux opérations de contrôle collectif de la
qu 'il contient, une clef publique qu 'on mon naie (nous verrons plus loin comment).
peut laisser circuler et une clef privée qui La gestion d'un compte doit être très soi-
doit res ter secrète, car son détenteur peut gneuse. Si vous le perdez en l'effaçant par
dépenser l'argent du compte. mégarde ou si vous oubliez le code secret
Tout support convient pour conserver la qui permet d'y accéder, alors son contenu
suite de symboles consti tuan t votre compte : est perdu, comme quand vous lancez par-
papier, clef USB, la mémoire, etc. Grâce à des dessus bord un porte-monnaie réel au milieu
logiciels adéquats appelés porte-monnaie, de l'océan. De nombreux bitcoins ont ainsi
vous pouvez gérer votre compte sur votre été perdus par des utilisateurs imprudents
ordinateur ou votre téléphone. Nomb re de ou négligents. Il n'est pas impossible non
ces logiciels sont développés dans le cadre plus qu'on vous vole les bitcoins détenus
BITCDI N, LA CR Y PTOMONNAIE ~ 25
par un compte, par exemple à l'occasion une sen e de dispositifs cryptographiques
d'une intrusion dans votre ordinateur au mécani sme de base. La fa ille est que le
par un hacker. Pour éviter cela, certains propriétaire d'un compte pourrait tenter de
comptes contenant d'importantes sommes dépenser deux foi s l'argent qu'il contient.
en bitcoins sont gardés sur des ordinateurs Ces doubles dépenses seraient impossibles
non connectés au réseau ou éteints. si les échanges étaient instantanés sur le
La cohérence des comptes, et donc la solidité réseau et si tout propriétaire d'un compte
de la monnaie bitcoin, se fo nde sur un prin- participait au calcul continu du contenu
cipe général de la théorie Money is memory de tous les comptes: sous cette hypothèse
de l'économiste américain Narayana Kocher- de connectivité totale et parfa ite, celui qui
lakota. Ce principe s'exprime ici sous la recevrait l'argent d'un compte déjà vidé (ou
form e suivante: insuffisamment pourvu) refu serait la tran-
- toutes les tra nsactions fa ites depuis le saction, qui serait simultanément consi-
début des bitcoins, le 3 janvier 200 9, sont dérée invalide par tous.
publiques et, à chaque instant, la somme
totale des bitcoins émis est connue de tous,
ainsi que le contenu de chaque compte (mais • Des améliorations
pas le détenteur de ce compte) ; Malheureusement, les échanges électro-
- seul celui qui connaît la clef secrète d'un niques ne sont pas instantanés, et certaines
compte peut dépenser son contenu en parties d'un réseau sont parfoi s temporaire-
envoyant tout ou partie de ce dernier à un ment déconnectées du reste. De plus, tous
autre compte, cela à la vue de tous, ce qui les utili sateurs de bitcoins ne souhaitent
permet à tous de connaître à chaque instant pas participer à la vérification continue de
le contenu de chaque compte ; toutes les transactions et au recalcul perma-
- tous ceux qu i le souhaitent peuvent parti- nent du solde de la totalité des comptes, car
ciper au calcul général de la répartition des cela dem ande une grande puissance infor-
bitcoins entre les comptes, cela à l'aide de matiq ue et beaucoup de mémoire. Il faut
logiciels (libres et gratuits) dont la correction donc améliorer le modèle.
est contrôlable par tous. Les am éli o ra tion s se fo ndent sur une sé ri e
On n'utilise pas ici la cryptographie à clef de protocoles qui re nde nt la m on na ie
publique pour cacher de l'information, mais bitcoin rés istante aux pa nn es du réseau
pour signer les transactions. Toute transac- ou de ce rtain es machin es e t aux te nta-
tion est irréversible, sauf accord explicite ti ves de ma nipul atio n de la mo nn aie ou
des deux cont ractants pour réaliser une tra n- de tri che ri es (do nt les doubl es dépenses ).
saction inverse. Quand vous avez dépensé Ces pe rfecti o nne me nts rend ent auss i
l'argent d'un compte, personne n'a autorité fa cultati ve la pa rti cipa ti o n au co ntrôle
pour demander à celui qui a reçu l'argent global des comptes; pour évite r que
de le rendre. C'est là une grande différence trop peu de nœ ud s du résea u part icipent
avec les monnaies numériques à autorité de au contrôle, un système de ré munéra-
contrôle cent ralisée où, assez fréquemment, ti on est prévu . Ce déli ca t age nce ment a
des transactions sont annulées, parfois plu- étonné les spéc iali stes et prouve que l'in-
sieurs jours après leur réalisation, ce qui venteur des bitcoins es t un cryptologue
donne lieu à toutes sortes d'escroqueries. ave rti ou un gro upe inclu ant d 'excell e nts
L'absence d'autorité cent rale et l'anonymat cryptologues .
des comptes fon t qu'il sera très difficile Cette monnaie ne tient que par la cohérence
d'agir sur celui qui détient le compte aya nt et l'accord unanime de ceux qui y participent
reçu vos bitcoins ... même s'il ne vous livre et s'entendent sur le contenu de chaque
pas l'achat que vous pensiez régler. compte, que rien ne matérialise et qu'aucune
Ce système simplifié des bitcoins a une autorité ne garantit. La construction logi-
faill e qui a contraint son inventeur à ajouter cielle et cryptographique doit donc assurer
26 Ji MATHÉMATIQUE S ET M Y STÈRE S
::=:: Le protocole d'une transaction
Lorsqu'Alice veut faire un paiement Nombre de transactions par jour (source Blockchain)
en bitcoins à Bernard (par exemple en 225000
échange d'un livre), leurs ordinateurs 200000
vont opérer une série d'échanges avec 175000
le réseau des ordinateurs qui surveillent
150000
les transactions. Les échanges sont
gérés automatiquement par les logiciels 125000
installés sur leurs ordinateurs. On parle 100000
de réseaux pair-à-pair (ou P2P, peer-to- 75000
peer). L'existence de tels réseaux est 50000
essentielle pour la monnaie bitcoins, qui 25000
n'est gérée par aucun nœud principal
qui contrôlerait l'ensemble des com- Janvier 2010 Janvier 2011 Janvier 2012 Janvier 2013 Janvier 2014 Janvier 2015 Janvier 2016
munications. La transaction qui résulte
des échanges entre Alice et Bernard
sera publique (tous les ordinateurs pré- suite de symboles M' = f(Apri' M) qui, sur le compte contrôlé par l'individu Ber-
sents sur le réseau y auront accès) et avec sa clef publique Apub' redonne M: nard (que nul ne connaît).
permettra la mise à jour par tous du g(Apub' M1 = M (tout le monde peut donc Ne disposant pas de la clef privée d'Alice,
cahier de comptes, qui indique combien contrôler que c'est Alice qui a signé, mais personne d'autre qu'elle ne peut envoyer
de bitcoins sont déposés dans chaque personne ne peut signer à sa place). une telle transaction sur le réseau. Son
compte existant. • Alice diffuse la transaction signée sur envoi est donc la preuve qu'Alice était d'ac-
• Alice souhaite envoyer N bitcoins à le réseau afin qu'elle soit vue par tout cord pour le transfert. Tout le monde consi-
Bernard. le monde. Le protocole réel est légère- dérera alors le transfert comme valide.
• Bernard communique sa clef publique ment plus compliqué (il contrôle qu'Alice Le protocole de signature à doubles clefs
Bpub à Alice. dispose bien de la somme N sur son utilisé est considéré comme robuste.
• Alice forge un message M de transac- compte). Bien sûr, s'il venait à être cassé (c'est-
tion contenant la clef publique Bpub de En regardant cette transaction depuis à-dire si, par exemple, on réussissait à
Bernard et la somme N à transférer: l'extérieur, tout le monde voit que l'indi- trouver une méthode rapide pour cal-
M = 8pubN. vidu qui contrôle le compte d'Alice (indi- culer la clef privée à partir de la clef
• Alice signe la transaction M avec sa vidu que personne ne connaît) a donné publique), tout le système de la monnaie
clef privée Apri' c'est-à-dire calcule une son accord pour transférer N bitcoins bitcoin s'effondrerait.
(1 2,5 bitcoins depuis juillet 2016). Lorsque et inévitable à cause de l'imperfection des
la nouvelle page est ajoutée au cahier de communications, un procédé de remise en
comptes, les transactions qui y apparaissent ordre du système est prévu. Les deux cahiers
sont validées. Cette création de bitcoins est continueront chacun de leur côté à se voir
la seule possible, et tous les bitcoins exis- ajouter des pages toutes les di x minutes
tants sont apparus de cette façon. environ. Le cahier le plus riche en calculs
Lors d'une transaction en ma faveur, mon (en un sens technique lié aux preuves de
ordinateur connecté au réseau consulte le travail, expliqué plus loin) est considéré
cahier de comptes et vérifie que le porte- comme le bon. Cette règle, traduite dans les
monnaie qui m'envoie des bitcoins ne les a programmes de vérification des comptes,
pas déjà dépensés. Cependant, à cause de la conduit à l'élimination de l'autre cahier et à
possibilité d'une double dépense simultanée, la reconstitution d'un état cohérent du sys-
une transaction n 'est considérée comme tème, où ne persiste qu'un seul cahier et où
valide que si elle apparaît dans le cahier de les doubles dépenses sont impossibles.
comptes. Par conséquent, pour être assuré Ces ennuis temporaires, rares mais inévi-
de l'irréversibilité (par exemple ava nt d'en- tables, da ns la gestion du cahier de comptes
voyer le livre qu'on vient de vous acheter ont pour conséquence que pour être cer-
tain qu'une transaction soit définiti ve-
en vous fa isant parvenir un paiement en
ment valide (c'est important dans le cas de
bitcoins) , il fa ut attendre di x minutes et voir
grosses sommes), il fa ut attendre non pas
sa tra nsaction sur la nouvelle page du cahier.
di x minutes, mais plusieurs fo is ce délai.
La non-transmission instantanée des mes-
On considère qu 'une heure produit une
sages a pour conséquence que, parfois, deux
garantie parfaite.
ajouts de pages au cahier se feront presque
simultanément dans deux parties éloignées
du réseau, créant temporairement un dédou-
blement du cahier de comptes. Les deux ver- • Ruée vers l'or numérique
sions peuvent alors contenir une dernière La désignation des gagnants des 12,5
page sensiblement différente, ce qui rend bitcoins, toutes les di x minutes, se fait
alors possible une double dépense. L'événe- par un processus cryptographique qui en
ment est rare, mais comme il est possible assure la parfa ite honnêteté et surtout une
• Pas plus de 21 millions toutes les d ix mi nutes fin ira par s'an nuler.
de bitcoins Un petit calcul montre que le processus
d'émission de ces nouveaux bitcoins de
Les protocoles de S. Nakamoto (qu i sont récompense aura cessé en 2 140 et qu'il
traduits dans les programmes utilisés pour y aura alors un total de 2 1 m illions de
la gestion décentralisée de la monnaie bitcoins. À partir de cette date, aucun nou-
bitcoin} prévoient que tous les quatre ans, la veau bitcoin ne sera plus jamais créé.
somme di stribuée aux gagnants du m inage Afin d'éviter que tous les mineurs, essen-
est divisée par deux. Au début, elle était de tiels au bon fonctionnement du protocole,
50 bitcoins ; le 22 nove mbre 20 12, elle est désertent et que la construction et la valida-
passée à 25 bitcoins, puis 12, 5 bitcoins en tion continue du cahier de comptes cessent,
ju illet 201 6. Du fa it q u'un bitcoin ne peut S. Nakam oto a prévu qu'à chaque transaction,
être divi sé en uni tés plus petites q ue le on donne une commission à celui qui ajou-
cent m illion ième de bitcoin, le gain attri bué tera la page contenant la transaction au cahier.
30 li MATHÉMATIQUES ET MYSTÈRES
L'intérêt de miner sera donc préservé, même par des milliers d'acteu rs indépendants.
au-<lelà de 2140. Donner une telle commission Ce modèle crée sans doute une confiance
n'est pas obligatoire. bien meilleure dans les comptes immaté-
riels de cette monnaie que celle que l'on a
dans ceux d'une banque qui s'occupe de
• L'impossible gérer sa monnaie seule en fai sant ma rcher
devenu réalité ... et valeur la planche à billets de façon imprévisible et
sans demander leur avis aux détenteurs de
Le système mis en fonctionnement en 200 9
devises qui s'en trouvent pourtant lésés.
tient bien. Au début, le cours du bitcoin
était dérisoire. Suj et à des excès spéculatifs,
c) Le génie d'un informaticien (ou plusieurs ?)
il varie de manière irrégulière, mais semble qui, en s'appuyant sur une cryptographie qui
augmenter sur le long terme. Certains ont a fo rmidablement progressé depuis 30 ans,
réalisé d'excellentes affaires soit en achetant a produit un protocole subtil et robuste que
des bitcoins quand ils ne valaient rien, soit personne ne pensait possible, et qui a réussi
en les « mi_nant » quand c'était facile. L'ins- à le faire fonctionner et décoller.
tabilité du cours fait qu'acheter des bitcoins d) Essentielle aussi est la communauté
est un pari. Cependant, à mesure que son des passionnés, un peu anarchistes, qui
usage se répandra et que des commerçants s'occupent des programmes et des réseaux
accepteront d'être payés en bitcoins, on peut pair-à-pair. Ils rendent l'utili sation pratique
espérer que le cours se calmera. Les avis sont des bitcoins poss ible gratuitement par tous
partagés sur son devenir, mais l'intérêt qu 'il
et évitent qu'un groupe, une banque ou
suscite a de quoi rendre optimiste. Quelque
un État ne s'empare de ce qui peut être vu
chose d'important s'est produit avec la nais-
comme une monnaie commune, univer-
sance de cette monnaie qu'une valorisation
de plusieurs milliards d'euros a installé pour selle et démocratique.
longtemps dans le monde réel. Une ques- Ceux qui , à propos du bitcoin, parlent de
tion se pose: pourquoi le bitcoin n'est-il pas pyramide de Ponzi ou de construction sur
apparu plus tôt ? du vide pouvant s'écrouler du jour au lende-
La réponse est simple: avant 200 9, il était main n'ont rien compris à cette nouveauté
impossible d'envisager une telle monnaie, remarquable, due aux mathématiques,
car elle doit son exi stence aux progrès aux avancées techniques et à l'ingénio-
récents dans plusieurs domaines . sité de S. Nakamoto. Ils n'ont rien com-
a) Il fa llait un réseau mondial fi able ; le pris non plus aux monnaies qui reposent
bitcoin cesserait d'exister immédiatement toutes sur la confi ance (depuis l'abandon
en cas d'arrêt du réseau (il reprendrait à sa
général de la convertibilité en or) et qui
remise en marche).
créent donc, comme le bitcoin, de la valeur
b) Rien de possible non plus sans d'impor-
à partir de rien. Le temps est peut-être venu
tantes puissances de calcul et de mémo-
aujourd'hui d'accorder sa confi ance à des
risation informatique. C'est seulement
récemment qu'elles sont devenues suffi- protocoles bien conçus, contrôlés par tous,
santes pour que la tenue et la vérification plutôt qu'à des banques qui se moquent
des comptes, même en considérant toutes du reste du monde et qui , sa ns régulation
les transactions depuis la création de la mon- collective, manipulent les monnaies aux
naie, soient possibles quasi simultanément dépens de (presque) tous.
32 J MATHÉMATIQUES ET MYSTÉRES
.. L'idée des preuves de travail
Pour limiter le pouvoir de nuisance que Il faut que le calcul de la solution prenne
chacun possède du fait de la puissance du temps, mais que la vérification soit
de son ordinateur, on peut soumettre rapide; sinon, celui qui se protégerait
des énigmes obligeant les machines à de par les preuves de travail serait autant
longs calculs et dont seul l'aboutissement ennuyé que ceux dont il tenterait de se
leur donne le droit de mener une action, protéger.
comme envoyer un message électro- On connaît une multitude de problèmes
nique ou accéder à un service en ligne. asymétriques. En voici deux exemples:
Une machine soumise à ces énigmes ne - !:entier b étant fixé, et p étant un grand
pourra pas envoyer des milliers de mes- nombre premier, trouver un nombre a
sages non sollicités (spams), ou participer tel que a2 =b mod p. Ce problème de la
à une tentative de mise en panne d'un « racine carrée modulo un grand nombre
service informatique en le submergeant premier» a été proposé comme preuve
de requêtes (attaque par déni de service). de travail dès 1993 par Cynthia Dwork il faut donc du temps pour retrouver p
Le temps de calcul imposé est un prix et Moni Naor. et q à celui qui ne connait que n. Il ne
à payer pour que l'ordinateur acquière - Trouver les deux nombres premiers faut pas prendre p et q trop grands,
le droit de mener une action. Il doit p et q dont le produit est le nombre n car le problème de la factorisation de n
travailler et le prouver par un résultat. qu'on vous a donné sans vous avoir deviendrait impossible à résoudre en un
La solution produite est la preuve dévoilé p ni q. Il est facile de formuler temps raisonnable.
qu'il a fourni ce travail. C'est l'idée des de telles énigmes - on multiplie deux Un troisième exemple - le plus impor-
« preuves de travail». grands nombres premiers entre eux, ce tant, car le plus utilisé - est expliqué en
Les problèmes qu'on demande de résoudre qui produit n - mais aucun algorithme détail dans les encadrés p. 36 et 37 et se
pour ces défis doivent être asymétriques. de factorisation rapide n'est connu, et fonde sur les fonctions «à sens unique».
L E S PREUVE S DE T RAVAIL ~ 33
puissantes ne sont pas avantagées, puisque et de 1 au nombre réel dont l'écriture en
ce qui nécessite du temps est lié à la vitesse base 2 est 0,01001110. Le service S attend
de circulation des informations sur le que D lui propose un x tel que fpfx) < y, où
réseau, qui est la même pour tout le monde. p est par exemple le message que D veut
L'idée des preuves de travail est due à Cyn- envoyer et y un nombre réel, appelé seuil,
thia Dwork et Moni Naor qui, dès 1993, fixé à l'avance par S. La valeur de y déter-
suggérèrent cette méthode pour lutter mine très précisément la difficulté de la
contre les spams. Le système Hashcash preuve de travail, car plus y est petit, plus
conçu par Adam Back en 1997 (indépen- il est difficile de trouver un x convenable.
damment de C. Dwork et M. Naor) et ser- Les preuves de travail fournissent aussi
vant aujourd'hui de base dans la plupart un moyen simple d'organiser des courses
des mises en œuvre pratiques des preuves entre machines sur un réseau. Or ces
de travail, utilise des « fonctions à sens courses sont au cœur des protocoles de
unique » pour définir les problèmes soumis fonctionnement des cryptomonnaies.
et en contrôler finement la difficulté (voir Ces monnaies, dont le bitcoin est l'exemple
l'encadré ci-contre pour des exemples). le plus connu, fonctionnent sans auto-
Une fonction f à sens unique se calcule rité centrale, la gestion des comptes étant
facilement, mais s'inverse difficilement. opérée par les machines des volontaires
Autrement dit, il est rapide de passer de x qui se contrôlent mutuellement. Ces
à f(x) = y, mais difficile de trouver, à partir contrôles empêchent toute manipulation
d'un y donné, un x tel que y= f(x) . On exi- du cahier de compte de la monnaie (la
gera souvent aussi que les valeurs de f(x) « blockchain »), lequel indique qui détient
quand x varie se présentent comme si elles des devises (voir le chapitre précédent).
étaient tirées au hasard. Pour qu'il y ait un intérêt pratique à parti-
ciper à ce contrôle collectif sans lequel la
cryptomonnaie n'existe plus, une récom-
• Fonctions à sens unique, pense est donnée à intervalles réguliers
à l'une des machines tenant les comptes.
avec ou sans paramètre
Aujourd'hui par exemple, 12,5 bitcoins
Si l'on dispose d'une telle fonction f. on en sont distribués toutes les dix minutes par le
déduit facilement une preuve de travail: le protocole Bitcoin. Cette machine gagnante
service S choisit un y et exige du deman- est désignée par un procédé fondé sur une
deur D qu'il trouve un x tel que f(x) = y. preuve de travail dont le fonctionnement
Le demandeur ne peut guère faire mieux doit être parfait pour que le protocole résiste
qu'essayer des valeurs de x, jusqu'à trouver aux attaques. C'est la plus belle application à
la bonne, ce qui est impossible à faire rapi- ce jour de l'idée des preuves de travail, et de
dement. Il s'agit ici d'une impossibilité pra- nombreuses caractéristiques de Bitcoin en
tique: trouver le x est possible en essayant dépendent. Donnons quelques précisions.
de manière ordonnée toutes les x envisa- Chaque machine candidate essaie de
geables, mais cela nécessite du temps. résoudre un problème dont les paramètres
Plus subtil, car cela ne demande pas l'inter- sont fixés par le protocole Bitcoin et qui
vention de S pour la formulation du pro- est formulé sans intervention d'un service
blème (donc utilisable pour les preuves de centralisé. Il s'agit d'un problème du type
travail sans échange), on utilise une fonc- « trouver un x tel que J,,(x) < y » évoqué
tion à sens unique dépendant d'un para- plus haut. La fonction f à sens unique
mètre p,J, (x) et dont le résultat, y, peut être est connue de tous, et c'est la fonction de
p '
interprété comme un nombre réel positif. hachage SHA-256. On l'utilise beaucoup
Une telle interprétation est toujours pos- en cryptographie et les spécialistes s'ac-
sible: on écrit y en binaire, par exemple cordent à considérer qu 'elle a les propriétés
01001110, et on assimile cette suite de 0 voulues pour servir dans une preuve de
travai l. La première machi ne qui résout le la seule faço n d'en créer. Cela a pour intérêt
problème gagne la compétition et emporte que les détenteurs de bitcoins sont certains
les 12,5 bitcoins. Le protocole ajuste régu- de ne pas être victi mes des phénomènes
lièrement le seuil do nné par le nombre y, infl ationnistes provoqués par l'émission
qu i fixe la difficu lté de la preuve de travail massive de devises, comme c'est parfois le
en prenant en compte les concours précé- cas pour les monnaies contrôlées par les
dents, de telle façon que le temps moyen banques centrales .
entre deux concours soit de dix minutes Participer à ce concours porte le nom de
environ. « m inage », car le travail de calcul fait par
les machi nes évoque celui d 'un m ineur
dans une mi ne d'o r, qui le conduit à s'enri-
• Des preuves de travai l chir s'il a la chance de t rouve r une pépite.
Les info rmaticiens propriétaires des
pour les bitcoins
machines participant à ce concours perm a-
Cette émission contrôlée, prév isible et nent, répété toutes les dix m inu tes, se nom-
faible de bitcoins toutes les dix m inutes est men t ent re eux des «m ineurs ».
.
La fonction f de hachage transforme une attaques par déni de service), il faut
suite x de O et de 1 de longueur quel- éviter que les mêmes énigmes soient ••••• •••:r.
••••• ••
••••••••
••• ••
•• •••
conque en une autre, y, de longueur 256
(comme le SHA-256). Puisqu'il est
soumises plusieurs fois. Si c'était le cas,
des bibliothèques de solutions seraient ........
·........ ..
· : ..
e • •e e • e e • • ftX
: :
impossible en pratique de trouver pour
un y donné un x tel que f(x) = y (inver-
sion complète de ~. on crée une énigme
calculées par avance et les attaquants,
au lieu de faire les calculs attendus, se
contenteraient d'aller y puiser les solu-
tions des problèmes qu'on leur soumet.
• •
::.:•·:.·
••••••••
...
••
• •• •
• • •• •••••••
••• : •• • • • • ••• f(x)
plus raisonnable et exigeant un tra-
•••••••••••
vail faisable en ne demandant qu'une Pour éviter cela, on fait dépendre • • • •• • • •• ••••
inversion partielle de f: trouver un x l'énigme posée d'un paramètre p. On ••• ••••••••
tel que f(x) soit une suite de caractères demandera par exemple de trouver La fonction f envoie les éléments xde l'ensemble A
commençant par k fois 'O' (donc une un x commençant par la chaîne (grand) dans l'ensemble B(petit). Inverser
suite de la forme OOO... 0 a1 a2 a3"' aJ. p =0100011010100 et tel que f(x) < y. partiellement f, c'est trouver un élément xtel que ~x)
Plus k est grand, plus il sera difficile Le nombre de paramètres possibles p soit dans C. Plus Cest petit, plus la tâche est difficile.
de trouver un x satisfaisant. On peut étant illimité, l'idée de constituer des
même être plus précis: pour trouver un bibliothèques de solutions calculées par aura trouvé la solution, il aura vraiment
tel x, il faut en moyenne essayer environ avance n'est plus applicable. prouvé qu'il a travaillé!
2k valeurs de x. L'énigme «trouver un x Les énigmes possibles posées par la Notons encore que si l'on est gêné par le
tel que f(x) commence par dix fois 'O' » méthode de l'inversion partielle des fait que le temps de travail varie trop, selon
exige donc environ 210 = 1024 calculs de fonctions de hachage sont donc à la que celui qui tente de résoudre le problème
f(x). Pour 20 fois 'O', il en faudrait un mil- fois parfaitement ajustables, et si nom- posé ade la chance ou pas (variance impor-
lion environ. En choisissant k, on ajuste breuses que celui à qui on les propose ne tante), on peut remplacer la demande de
donc la difficulté de l'énigme qu'on for- peut que se soumettre et faire le travail résoudre un problème, par la demande de
mule. On a là une méthode rapide pour de les résoudre en essayant de très nom- résoudre plusieurs petits problèmes, ce
formuler des énigmes de «preuve de tra- breux x, ce qui en moyenne lui prendra qui a pour effet de diminuer la variance du
vail »dont la difficulté est facile à évaluer. le temps qu'on aura choisi. Quand il temps nécessaire pour aboutir.
maginez qu 'à la place de la Concorde à où est inscrit un texte soit indiqué à chaque
I Paris, à côté de l'obéli sque, on installe un foi s (horodatage ).
Imaginons que tout cela soit poss ible et
très grand cahier que, librement et gratuite-
m ent, tout le monde puisse lire, sur lequel qu'un tel cahier soit mis en place, auquel
chacun puisse écrire, mai s qui soit impos- s'ajouteraient autant de pages nouvelles que
sible à modifier et indestructible. Cela nécessaire. Testaments, contrats, certificats
serait-il utile ? Il semble que oui. de propriétés, messages publics ou adressés
On pourrait y consigner des engage- à une personne particulière, attestations de
ments, comme : « Je promets de donner ma priorité pour une découverte, etc., tout cela
mai son à celui qui prouvera la conjecture deviendrait fac ile sans notaire ni hui ssier.
de Riemann; signé Jacques Dupont, 11 rue Un tel cahi er public, s'il était permanent,
Martin à Pari s. » On pourrait y déposer la infalsifiable, indestructible et qu'on puisse
description de ses découvertes, afin qu'il y écrire librement et gratuitement tout ce
.,. Un grand cahier impossible
soit impossible d 'en être dépossédé. On qu'on veut, aurait une multitude d'usages.
à effacer et mis à la disposition
de tous, par exemple sur la pourrait y laisser des reconnai ssances de
place de la Concorde à Paris, dettes, considérées valides tant que le prê-
serait-il utile? Oui, sice cahier
est informatisé. teur n'est pas venu indiquer sur le cahi er • Public, infalsifiable
Il pourrait donner plus de qu 'il a été remboursé. et indestructible
liberté et dispenser du On pourrait y déposer des messages
recours à des autorités Un tel objet serait plus qu'un cahier de
adressés à des personnes qu 'on a perdues doléance ou un livre d'or, qui peuve nt être
administratives, monétaires,
juridiques, etc. De tels« grands de vue, en espérant qu'elles viennent les détruits. Plus qu 'un tableau d'affi chage offert
cahiers partagés »existent lire et reprennent contact. On pourrait y à tous sur les murs d'une entreprise, d'une
aujourd'hui grâce au réseau consigner des faits que l'on voudrait rendre
Internet: les b/ockchoins. école ou d'une ville, eux aussi temporaires.
publics définitivement, pour que l'hi stoire Plus que des enveloppes déposées chez un
Il s'en crée chaque jour de
nouveaux. Les blockchains les connaisse, pour aider une personne huissier, coûteuses et dont la lecture n'est pas
sont notamment à dont on souhaite défendre la réputation, autorisée à tous. Plus qu 'un registre de bre-
l'origine d'un nouveau pour se venger, etc. vets, dont la permanence est assurée, mais
type de monnaies - les
cryptomonnaies, telles que le Pour que cela soit commode et pour empê- sur lesquels il est difficile d'écrire. Plus que
fameux bitcoin. Cependant, cher les tricheurs de prendre des engage- les pages d'un quotidien, indestructibles ca r
bien d'autres applications sont ments en votre nom ou écrire en se faisa nt multipliées en milliers d'exemplaires, mais
possibles: systèmes universels passer pour vous, il faudr ait que l'on pui sse auxquelles peu de gens ont accès et dont le
de courrier, instruments
notariés et financiers signer les messages déposés de telle façon contenu est très contrain t.
décentralisés, systèmes de que personne ne puisse se substituer à Bien sûr, ce cahier loca lisé en un point
votes en ligne sécurisés, etc. vous. Il serait utile aussi que l'instant précis géographique unique ne serait pas très
44 ~ MATHÉMATIQUES ET MYSTÈRES
-· Mieux que Le Bon coin, eBay, Priceminister, etc.
Le commerce entre particuliers sur Il existe pourtant une meilleure solution peut rien faire. En conséquence, à moins
Internet est freiné par un problème de grâce aux blockchains. Oleg Andreev a d'être prêt à perdre 200 euros pour un
confiance. Vous mettez en vente un proposé un système inspiré par la block- objet qui en vaut 100, Béatrice aura
magnifique vase, vous trouvez un ache- chain du bitcoin, qui résout le problème intérêt à payer le vase. De même, si
teur, vous lui envoyez l'objet... et il ne sans frais. L'idée s'applique à toute b/ock- Béatrice paye avant de recevoir le vase,
vous paye jamais - ou, à l'inverse, il vous chain disposant d'un système d'unités Alain aura intérêt à envoyer le vase
envoie l'argent et vous gardez le vase ... monétaires permettant les transactions (qui vaut 100 euros) pour récupérer ses
Même si c'est malhonnête, il est éco- à plusieurs entrées et plusieurs sorties 200 euros bloqués. Il est ainsi écono-
nomiquement rationnel pour celui qui (c'est le cas de la b/ockchain du bitcoin). miquement rationnel de se comporter
reçoit l'envoi de son correspondant de ne Supposons qu'Alain veuille vendre un honnêtement!
pas envoyer ce qu'il a promis en échange. vase à 100 euros à Béatrice qui habite La somme de 200 euros pour une transac-
eBay précise d'ailleurs: «Nous ne pou- loin. Ils sont d'accord sur le prix, mais tion concernant un objet qui en vaut 100
vons pas obliger le vendeur à remplir ses doivent faire l'échange à distance. Alain et est modifiable, mais il faut que la somme
obligations.» Béatrice, indépendamment des 100 euros mise sous séquestre par les deux acteurs
Le Bon coin recommande l'échange en convenus, déposent chacun 200 euros sur soit supérieure à la valeur de l'objet
direct avec rencontre. L'envoi contre un compte particulier. Lorsque l'échange échangé. Sinon, celui qui reçoit l'envoi de
remboursement est une solution et cer- sera terminé (envoi du vase et envoi des l'autre en premier aura intérêt à ne pas
tains sites (parfois associés à PaypaO 100 euros pour le payer), Alain et Béatrice envoyer ce qu'il doit, quitte à perdre la
proposent leurs services pour limiter les signeront la transaction qui débloquera somme séquestrée. Ce système à base de
risques. Soit ils bloquent l'argent envoyé les 400 euros, lesquels seront alors resti- b/ockchain permet, sans l'action d'aucune
avant que le produit ne soit reçu; soit ils tués: 200 pour Alain, 200 pour Béatrice. autorité centrale, de mener une opération
proposent un système de notation qui La procédure de mise sous séquestre d'échange avec un risque très réduit de se
indique si les personnes avec qui on fait sur la blockchain est telle que personne faire escroquer (pour des précisions sur
affaire ont été correctes dans leurs pré- ne peut s'emparer de cet argent, sauf la mise en œuvre technique, voir http://
cédentes transactions; soit ils proposent Alain et Béatrice s'ils donnent tous bit.ly/1BuoupD ou http://voluntary.net/
une assurance. deux leur accord. Seul, aucun d'eux ne bitmarkets/J.
Chaque blockchain est un petit univers s'appuyer sur une seule ou un petit nom bre
où il est utile de disposer d'une monn aie; d'e ntre elles, m ais de plus toutes les expé-
cependant, fa ire accepter une nouvelle rimentations pourront être envisagées sans
mo nnaie et stabili ser son cours est difficile crainte, créant une dynamique propice aux
et incertain . De plus, chaque blockchain innovations.
est une expérience aux ri sques d 'autant Plutôt que d'expliquer les architectures
plus gra nds qu 'ell e est récente et inno- complexes et spécifiques de Namecoin,
va nte. Une foi s mis en place (ce n'est pas Twister ou Ethereum, terminons en pré-
si sim ple), le systèm e des sidechains per- sentant les applications générales les plus
me tt ra de tester ra pidem ent de nouvelles simples d'une blockchain.
idées. Chac une pourra «importer » la m on-
naie d'une autre blockchain, sans do ute le
bi tco in, la monnaie la mieux installée et
• Des outils
celle pour laquelle la confiance est la plus
cryptographiques
for te. Le systè me est conçu pour que la
chaîne qui « prête » de l'argent à une autre Une blockchain est un fi chier numérique
n'engage pas plu s que ce qu'elle prête; ell e access ible à tous en lecture et en écriture.
ne prend donc pas de risque. Cela se fait par l'utilisation de logiciels par-
Avec un tel système, non seulement les foi s nommés servents, terme qui associe les
diverses blockchains ne se concurrence- deux mots client et serveur utilisés dans les
ront plus nécessairement, toutes pouva nt réseaux centralisés. Ce mot marque que,
46 ,. MATHÉMATIQUES ET MYSTÈRES
prouver qu'il disposait bien, dès la date fichier blockchain soit maintenu, c'est-à-dire
de dépôt, de la démonstration, il rendra qu'un minimum d'utilisateurs participe à
publique la clef de déchiffrement. Plus son entretien en en gardant une copie chez
besoin des enveloppes Soleau déposées eux, mise à jour en permanence (ce que leur
à l'Institut national de la propriété indus- ordinateur fait tout seul).
trielle. Bien sûr, on pourra de la même La complexité et la puissance de nos puces,
façon déposer des engagements, des testa- de nos machines, de nos applications, de
ments, des œuvres signées, etc. nos réseaux informatiques donnent nais-
sance à de nouveaux objets numériques.
Ces blockchains changent les règles du jeu :
• Une forme numérique moins de centralisation, moins d'autorité,
plus de partages sont possibles. Une forme
d'anarchisme
d'anarchisme numérique qui existe déjà sur
Insistons sur le fait qu'un tel système Internet va se développer et changera sans
de blockchains permettant signatures, doute les rapports entre humains et entre
contrats, dépôt de testaments, etc. n'exige entreprises. Le monde qui en émergera est
l'action d'aucune autorité centrale pour difficile à imaginer, mais il se forme et il est
fonctionner. Tout ira bien pourvu que le imminent.
1
LES BLDCKCHAINS, CLEFS 0 UN NOU V EAU MONDE ·" 47
a Les entiers
ne naissent pas égaux
Il est impossible de définir une loi de probabilité uniforme
sur l'ensemble des nombres entiers. Ce fait est étroitement lié à la
loi de Zipf, une loi statistique dont les manifestations
sont innombrables.
1/rr 1/e
0 2;1oo..JTI ] b;100
50 J MATHÉMATIQUES ET M Y STÈRE S
===== Probabilités des entiers dans l'encyclopédie de Neil Sloane
Il est impossible d'associer une probabi- décroissants. Classés par nombre d'oc- sous la forme d'une zone claire, le fossé
lité uniforme aux entiers (probabilité qui currences décroissantes, on a une loi de de Sloane, séparant le nuage en une partie
donnerait à chaque entier la même proba- type C/n 1·3, où C est une constante. Le inférieure et une partie supérieure.
bilité). En effet, la probabilité d'un sous- nuage de Sloane est lié à la complexité Ce fossé étudié récemment (voir la biblio-
ensemble des entiers est égale à la somme de Kolmogorov et cela justifie que l'on graphie) est dû à ce que la communauté
des probabilités de chaque élément : si retrouve une loi de Zipf. La courbe mathématique qui contribue à l'encyclo-
la probabilité d'un entier est non nulle, la Sloane(n) est une version approchée pédie s'intéresse aux nombres entiers
probabilité de l'ensemble des entiers est de la courbe C/2K(nl, où K(n) désigne la ayant une faible complexité de Kolmo-
infinie, ce qui ne convient pas pour une complexité de Kolmogorov de l'entier n, gorov (ce sont les nombres simples à
probabilité; si elle est nulle, alors la pro- qui vaut typiquement log2(n) : quand n définir et ayant plusieurs définitions), mais
babilité de l'ensemble des entiers est nulle est « complexe », K[n) est grand (n est qu'elle s'y intéresse d'une manière qui aug-
aussi, ce qui ne convient pas mieux. Pour impossible à définir simplement), 1f2K[nl mente la fréquence des nombres simples.
traiter des probabilités d'ensembles d'en- est petit et donc le point correspondant À cause des phénomènes culturels d'en-
tiers, il faut attribuer des probabilités dif- de Sloane(n) est bas. C'est pourquoi traînements et de mode, les mathémati-
férentes aux entiers, de la meilleure façon aussi 1024 = 210 est situé au-dessus des ciens concentrent leur attention sur les
possible. L:étude des entiers présents dans autres points de même ordre de gran- nombres les plus simples, ce qui pousse
l'encyclopédie de Sloane est un guide pour deur : le fait d'être une puissance de 2 a les points correspondants de la courbe
trouver cette meilleure attribution. pour conséquence que sa complexité de vers le haut, créant une zone évidée
L:encyclopédie des suites numériques de Kolmogorov est faible et donc que son dans le graphe : le fossé.
Neil Sloane contient un grand nombre nombre d'occurrences dans la base (pro-
de fois l'entier 1, un peu moins sou- portionnel à 1f2K(n~ est grand.
vent l'entier 2, etc. La courbe, notons-la Cette représentation concrète de la com-
Sloane(n), donnant ce nombre d'occur- plexité de Kolmogorov par le nuage de
rences de n en fonction de n ressemble Sloane est légèrement biaisée par un effet
à un nuage de points globalement culturel et social qu'on voit clairement
Analogue au nuage de Sloane de la Comme pour l'encyclopédie de Sloane, Jean-Baptiste Michel, de l'Université
page précédente, mais totalement on a compté le nombre d'occurrences Harvard.
indépendante, la courbe ci-dessous a des entiers écrits en chiffres dans t:allure générale du « nuage des cinq
été obtenue par Jim Fowler en utili- l'énorme base de textes de plus de millions de livres » est semblable à
sant les données de cinq millions de 100 milliards de mots, constituée celle du nuage de Sloane. On a affaire
livres numérisés par la Société Google. par le projet Culturomique autour de à une loi de Zipf. Les biais sociaux pro-
duisent des effets de nature différente.
Les nombres qui sont mentionnés en
excès le sont non plus pour des raisons
108 Fréquence des entiers
dans le corpus de Goog/e d'intérêt mathématique reconnu, mais
107 pour des raisons contextuelles ou liées
.
· \ J•
à l'usage du système décimal, qui favo-
1Q6 rise par exemple les nombres ronds
10s .;_-··. · .... . . ·. (10, 50, 100, 1000, 1500, 5000, etc.).
Entre 1 et 100, un graphique à plus
L...---,-~=~~~.-~
,~
-,:~:,~:
, ~.: .
-;. · ·.{·-.:~_. . .. .
grande échelle ferait apparaître que le
10• -!· <~-...~:-:~
_,. ~
:~ :~---~:_:,~
;i~:-~,:.,~
;_'.~
··.:~-:·:i:~:;-,~1=- -i·.....,..,:r
~;-· nombre 12 et ses multiples sont favo-
risés, ce qui est lié au rôle particulier du
1000 3 00 5 00 7000 9 00
nombre 12 dans notre culture.
sur les entiers de type loi de Zipf jouent un notion a un sens. Le nombre d'occurrences
rôle spécifique et nullement fort ui t. de l'entier n dans la base, notons-le 5/oane(n) ,
ne suit pas une courbe décroissante régu-
lière. Cela est dû à ce que les mathémati-
ciens concentrent leur attention sur certains
• Le nuage de Sloane
entiers plus que sur d'autres. Les puissances
Le nuage de Sloane est obtenu en comp- de 2 (2, 4, 8, 16, ... ) sont par exemple nette-
tant le nombre d'occurrences de l'entier n ment favo risées, de même que les nombres
dans l'encyclopéd ie des suites numériques premiers, ou les nombres aya nt beaucoup de
de Neil Sloane (htt p ://oeis.org/). Chacune facteurs.
des 200 000 suites de l'encyclopéd ie, que La courbe Sloane(n), que nous nommons
N. Sloane réun it depuis 1965 avec l'aide de nuage de Sloane (voir l'encadré p. 52), do it
la communauté mat hématique, est stockée être vue comme une représentation de l'in-
(on n'y garde qu'un nombre li mité de termes, térêt mathématique relatif des nombres
environ 150 caractères pour chaque sui te). entiers. L'étude de ce nuage, suggérée par
Seules les suites présentant un intérêt mathé- Ph ilippe Guglielmetti, a été menée dans
matique sont retenues. La base de suites un article paru en 20 11. Sous sa forme de
- qui est aussi une base de nombres entiers - nuage, ou redessinée pour classe r les entiers
associe une probabilité à chaque nombre par nombres d'occurrences décroissantes, on
entier, déduite de son nombre d'apparitions a affaire à une courbe proche de C/n'·3, une
dans la base : le nombre d'occurrences d'un loi de Zipf d'exposant 1,3 . C'est tout à fa it
entier dans la base est une mesure de son rema rquable et la justification théorique de
importance mathématique et peut-être de sa cette d istri bution que nous allons présenter
probabilité objective d'apparition, si une telle établi t un lien entre probabilité naturelle sur
56 ,I MATHÉMATIQUES ET MYSTÈRES
premi er chiffre d'une séri e de données : la prévalence de cette loi pour des données
la probabili té pour qu 'un nombre entier concrètes (telles les fréquences d'utilisation
pris dans un ense mble assez gra nd (par des mots dans un texte). On le voit quand on
exemple dans le tableau des longueurs de s'aperçoit que la loi de Zipf est liée à la com-
tous les fl euves mesurées en kilomètres) plexité de Kolmogorov des entiers. On le voit
commence par le ch iffre i (i = 1, 2, ..., 9) est aussi quand on recherche les densités qui,
logIO(l + 1/i) et il y a donc plus de 30 % de pour les ensembles d'entiers, jouent le rôle
chances (car log 10 (2) = 0,30 103) que le pre- de probabilités uniformes.
mier chi ffre d'un tel nombre soit 1. La preuve math ématique qu'avec ces den-
Une question s'est posée depui s long- sités en C/n, les entiers eux-mêmes véri-
temps : la li ste des en tiers vérifi e-t-ell e la fi ent la loi de Benford (et c'est vrai auss i
loi de Benford? Autrement dit, le quotient des nombres prem iers ), renfo rce la co nvic-
(Nombre d'entiers< n commençant par le
tion que ces densités tirées de la loi de Zip f
chiffre i)/n a-t-il pour limite log 10 (1 + 1/i) ?
sont les bonnes façons de choisir au hasard
Il se trouve que non: ce quotient n'a pas
des nombres entiers. Le fa it qu e la loi de
de limi te quand n tend vers l'in fin i, mais
Benfo rd redonne en un ce rtain sens la loi
oscill e sa ns cesse, car les nombres com-
de Zipf est un argument suppléme ntaire,
mençant par i n'ont pas de dens ité natu-
ca r il ex iste des explications directes de
rell e. Maintenant que nous savo ns qu 'on
peut étendre la densité naturelle, reformu- la loi de Benford, telle celle proposée par
lons la ques tion : l'ensem ble des enti ers Nico las Gauvrit et l'auteur de cet ouvrage,
co mmençant pari (i = 1, 2, ... , 9) a-t-il une et qu'ell es sont donc auss i des ex plica tions
densité logarithmique (ou, ce qui rev ien t de la loi de Zipf.
au même, une densité D2 ) ? Comme par Le monde mathémat ique es t déconce r-
miracle, la réponse es t oui, et la den- tant : l'in fini dénomb rable, le plu s simpl e
sité trouvée est log 10 ( 1 + 1/ i). Les enti ers, de tou s, sembl e interdire qu 'on en pioche
traités équitableme nt, suiven t la loi de les éléments au hasard équitablement,
Benford et il n'est donc pas étonnant que alors que le continu de l'intervall e IO, 11 ,
ce tte loi se rencontre si fréquemment. plus gros et plus compliqué que l'infini
À défaut de mesure de probabi lité uni forme dénombrable, l'autor ise. Heureuse ment, la
sur les entiers, la loi de Zipf joue le rôle d'une loi de Zipf, à sa façon, joue ce rôle de pro-
mesure naturelle. On le voit en observant babilité uniforme sur les enti ers.
• Contributeursà lathéoriedes nombres premiersmettant enjeudes polynômes. eux, il existe une infinité denombres premiersdelaformean + b. V. Bunyakovsky
L Euler (1707-1783, a) amontréquelepolynômen2 +n+41donne des nombres (1804-1889, c) aconjecturé que, sauf pour les cas faciles à repérer, toute formule
premierspour n= 0,1, 2, ..., 39. A.-M. Legendre(1752-1833) s'est intéressé à polynomialededegré 2engendre uneinfinitédenombres premiers. S. Ulam [1909-
n2 - n + 41, qui donnedes nombres premierspour n=1, 2, ..., 40. G.Dirichlet (1805- 19B4, d) atrouvé des spirales oùles alignements correspondent aux suites de
1859, b) adémontré lerésultat conjecturépar Legendre: si aet bsont premiers entre nombres premiers. Y.Matiyasevich (e) amontré comment produire des polynômes
58 ,i MATHÉMATIQUES ET M Y STÈRES
::::: Le polynôme de Jones
P = [k + 2) {1- [wz + h + j - q] 2 - [(gk + 2g + k + 1)[h + j) + h - z]2 - [2n + p + q + z - e]2
- [16[k + 1)3[k + 2)[n + 1)2 + 1- f ~2 - [e 3[e + 2)[a + 1)2 + 1- o~ 2 - [a 2 - 1)y 2 + 1- x ~ 2
- [16r 2y 4[a 2 - 1) + 1- u ~2 - [[[a + u 2[u 2 - a))2 - 1)[n + 4dy)2 + 1- [x + cuW- [n + I + v - y]2
- [[a 2 - 1)/ 2 + 1- m~ 2 - [ai + k + 1- / - i ]2- [p + /[a - n - 1) + b [2an + 2a - n 2 - 2n - 2) - m]2
- [q + y [a - p - 1) + s [2ap + 2a - p 2 - 2p - 2) - x]2 - [z + p/[a - p) + t [2ap - p 2 - 1) - pm]2}
dont les valeurs positives sont des nombres premiers. T. Tao (0 aprouvé avec B. Green n1 +n+kdonne des nombres premiers pour n = 0,1, 2, ...,M. M.Agrawal (h) aprouvé
que pour tout entier k, ilexiste une infinité de suitesarithmétiques de longueur k, avec ses collègues N. Kayalet N. Saxena qu'il existe destestsdeprimalité polynomiaux.
composées uniquement de nombres premiers. R.Mollin (9) a généralisé le polynôme Ch. Mauduit (i) adémontré avec J.Rivat que, dans les progressionsarithmétiques de
d'Euler et démontré,sous réserve d'une conjecture vraisemblable, quesiMest un Dirichlet, il yaautant denombres premiers dont la somme deschiffres de leur écriture
entier fixé (aussi grandqu'on ledésire], il existe un entier k tel que le polynôme décimale est paire,que de nombres premiers dont la somme des chiffres est impaire.
se term ine par le traitemen t du cas 2, c'est- S est parfoi s obligé d e fa ire de très lon-
à-d ire par la déterm ination des va leurs des gues dé monstration s, ma is celui qu i ca l-
2 6 variables q ui permettent d 'avoir P = 2. cule le polynô me associé à S d ispose, lui,
L'existence du polynô me de Jones-Sato- de la poss ibi li té - théorique - d 'établir
Wada-Wiens, inuti le en pratique, a une tout rés u ltat dé mon tré par S à l'a ide d 'une
co nséquence théorique intéressa nte. Il est sér ie de 100 opé ratio ns arithm étiq ues au
possible de vérifi er qu 'un nombre n est plus.
premier en opérant au plus 8 7 additi ons Ce jeu avec les polynômes a condu it récem-
et mu ltiplications, car s'il l'est, il existe un ment Ch ristoph Baxa à écrire ex plicitement
jeu de valeu rs pour les 26 variab les du poly- u n polyn ôme à coeffi cients en tiers do nt les
nôme q ui donne n. valeurs indiquent toutes les décimales du
En pratique, cependant, tro uve r les bon nes nombre e (ou du nombre n) qu i se tro uve
valeurs des 26 va ri ables condu isan t à n donc codé par la do n née d'un nomb re fin i
se ra très long : contrairemen t à ce que pen- d'entiers.
sent de nombreu x mat hémat iciens, trouve r
une preuve courte est parfo is un jeu in u tile
et maladro it. • Des algorithmes
Ce d ern ier point est confirm é pa r le polynomiaux
rés ul tat sui va n t, obten u par d es méthodes Pu isque les polynômes sont des fon ctions
d u mê me type. Si un système S de dé mo ns- lentement cro issan tes (comparées aux
tration es t do n né (par exe mple la théor ie fonctio ns exponen tielles n - 2", n - n !,
des e nsembles d e Ze rmelo-Frae n kel, sys- n - n", etc. ), la question de savo ir s'il est
tèm e suffisant po u r p rati quem en t tou tes difficile ou no n de tester la primalité (c'est-
les m athém atiques ), alors o n peu t trouve r à-dire la nature p rem ière ou non d 'un
u n po lynôm e associé au systèm e S tel que, entier) se formu le ainsi : existe-t-il u n algo-
q ue ll e q ue so it la lo n gueur d e la d émons- rith me indiquant si OUI ou NON l'entier n
t ration d 'u ne form ule F d e S, il ex iste est un nombre p remi er, et don t le temps de
un e d é mo nstratio n d e l'affirm ation que calcul pou r n est in féri eur à la va leur d'un
« F es t un théorèm e de S » fai sa ble en polynôme don t la variab le est la longueur
100 add it io ns et mu lt ipli ca tions. Autre- de l'écritu re de n ? Plus brièvement : existe-
m ent d it, celui qu i res te d ans le système t-il des tests de primalité polynom iaux ?
60 ,1 MATHÉMATIQUES ET M Y STÈRES
On a longtemps pensé que la réponse • Des suites
était positive, sans réussir à le démon-
arithmétiques
trer. Ce n'est qu'en 2002 qu 'une équipe de
trois mathématiciens indiens, Manindra Abordons maintenant les suites arith-
Agrawal, Neeraj Kayal, Nitin Saxena, a réglé métiques de nombres premiers. Les plus
le problème affirmativement en proposant simples des polynômes sont les formes
un test de primalité polynomial. linéaires : n--? an+ b.
Bien sûr, un algorithme dont le temps de Nous avons vu qu'une telle expression ne
calcul est un polynôme de degré 50 est donne pas des nombres premiers pour tout
moins intéressant qu'un algorithme dont le entier n (sauf si elle est constante et égale à
temps de calcul est un polynôme de degré 2. un nombre premier). En revanche, il n'est
Une fois trouvé un test de primalité polyno- pas interdit qu'elle donne une infinité de
mial, le travail n'était donc pas terminé, et nombres premiers. L'une des plus simples
on a tenté d'obtenir des tests polynomiaux questions liant nombres premiers et poly-
de degré aussi petit que possible. nômes est ainsi celle de l'existence de para-
L'analyse de l'algorithme des trois cher- mètres a et b tels qu'i l y ait une infinité de
cheurs indiens montre que leur test est nombres premiers de la forme an+ b quand
de degré 12, ce qui est beaucoup. Mais n prend des valeurs entières.
en admettant une conjecture considérée Bien sûr, il ne peut pas y avoir une infinité
comme probable, on établit que leur algo- de nombres premiers de la forme Sn + 10
rithme permet un test de degré 6. puisque tout nombre de cette forme est
On a d'abord trouvé une preuve, n 'utilisant multiple de 5 si n est entier. Plus généra-
cette fois aucune conjecture, avec des poly- lement, si a et b sont multiples d'un même
nômes de degré 11, puis 8. Une variante de entier k > 1 (on dit qu'ils ne sont pas pre-
l'algorithme a été proposée par Carl Pome- miers entre eux), alors les nombres de la
rance et Henry Lenstra, et ils prouvèrent forme an + b ne peuvent pas être premiers
en 2005 que leur test est polynomial de plus de deux fois. La condition nécessaire
degré 6. Une autre variante fut prouvée de est aussi suffisante. Si a et b sont premiers
degré 3, mais cette fois, sous réserve d'une entre eux, alors il existe une infinité de
conjecture assez risquée. Ce degré 3 ne doit nombres premiers de la forme an + b.
donc pas être considéré comme acquis. Ce célèbre résultat, conjecturé par Adrien-
Enfin, un autre résultat établit que, sauf Marie Legendre, a été prouvé par Gustav
cas exponentiellement rares, la primalité Dirichlet en 1838. Depuis, beaucoup de
est démontrable en temps polynomial de travail a été fait pour préciser comment les
degré 4. On ne pense pas pouvoir faire nombres premiers se répartissent quand
mieux. Cela conduit à la conclusion sui- a est fixé et que l'on fait varier b. Par
vante, probablement définitive : prouver exemple, il est intéressant de comparer les
qu'un entier n est premier exige un temps nombres d'entiers premiers produits par
de calcul qui augmente comme un poly- les polynômes 4n + 1 et 4n + 3 quand n
nôme de degré 4 de la longueur de l'entier n varie jusqu'à M.
auquel on s'intéresse. Les deux formules sont aussi efficaces l'une
Notons cependant que pour l'instant les que l'autre : le rapport du nombre d 'entiers
algorithmes polynomiaux mis au point premiers produits par la première, sur le
et prouvés tels ne sont pas aussi rapides nombre d'entiers premiers produits par la
que les anciens algorithmes (qui eux ne seconde, tend vers 1 quand M tend vers
sont pas prouvés polynomiaux !). L'ap- l'infini. Un examen numérique de laques-
proche théorique n'est pas pour autant tion montre cependant que 4n + 3 surpasse
inutile, mais il faudra peut-être attendre légèrement 4n + 1. Donner un sens précis à
un moment pour qu'elle ait des retombées cette domination et la prouver mathémati-
pratiques. quement a été un long travail qui n'a abouti
---•·
---·--•---- .. -···•·
-
--•· ...
-•·
..·•·•·•··•·.
.·•·.
•
- ----··-----•·
·•--
• •• • • ••• •
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............
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•
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.. . . . . • """""" • - - ••-"•-•••
...
_____ .
expliquent en partie pourquoi dans
la spirale de Stanislas Ulam [a] (les ------------- -·· ... ·•·. ·•·----•··••--- -~
------··-•---•-•·...·"' ·•· ..... --··•-•------...........
entiers écrits en spirale en noir- ------------- . .. ....... --...,. -•·--•·• ··
- -e-- • F -· •. - - • ··• · ... · • ·. -- . .. --- ---..··-·-·
cissant les nombres premiers), on
voit de nombreux alignements rec-
~ --------•-•-•
----- -- ----------- -----·-·"·•-·
----- ____ _..,. _ -• --- --• - - -- -• ------···--.... ,;;e-
68 J MATHÉMATIQUES ET MYSTÈRES
::,:: Turing et la calculabilité
Alan Turing est né en 1912 et mort en 1954.
De nombreuses manifestations ont été organi-
sées à l'occasion du centième anniversaire de
sa naissance. C'est l'un des premiers mathéma-
ticiens-logiciens-informaticiens Oe premier est
probablement le philosophe allemand Leibniz,
qui a étudié le système de numération binaire
et construit une magnifique machine à cal-
culer) ; ses travaux ont créé de nombreux liens
entre les trois domaines : théorie mathéma-
tique de la calculabilité, indécidabilité algorith-
mique, corps des nombres réels calculables.
La question des nombres normaux a préoc-
cupé Turing et, dans un texte non publié écrit
autour de 1934 (www.turingarchive.org/
viewer/?id=131&title=01a1), il a donné les
bases d'un algorithme permettant de calculer
des nombres absolument normaux. La mise en
forme définitive de son texte, redécouvert tardi-
Alan Turing était un athlète : il courait
vement, n'a été effectuée qu'en 2002 par Vero- le marathon en 2h46. Durant la Seconde
nica Becher et Santiago Figueira, informaticiens Guerre mondiale, Turing participa au décodage
à l'Université de Buenos Aires. du code allemand, ce qui fut décisif dans la
victoire des Alliés.
(par exemple les chi ffres décimaux). Cela sous-ensemble négligea ble de l'ensemble
semble paradoxal, mais c'est l'une des des no mbres réels, et parce q ue leur inter-
conséquences de l'indécidabilité logique section avec le sous-ensemble des nom bres
mi se en ava nt par Kurt Gode! en 193 1 et no rmaux pouva it donc être vide.
comp létée par les résul tats de non-cal- La réponse est positive, ma is son hi sto ire,
culabili té de Tu ring de 1936 : « être bien un peu sinueuse, mo ntre que même à
défin i » n'a pas pour conséquence « être propos de questions purement arithmé-
calculable» et, par manq ue de chance, les tiques, sans liens apparents avec la logique,
nombres absolument normaux do n nés par le mathématicien contemporain est obligé
la théorie de la complexité son t justement d'affin er ses concepts à l'aide des outils de
dans la catégorie étrange des no mbres
cette logique qu'il a parfo is regardée avec
« bien défin is et non calcu lab les» .
méfi ance, comme le firent Henri Poincaré
La question est alors reposée : peut-on défin ir
et Nicolas Bourbaki.
un nombre réel dont on prouve ra qu'il est
Tout d'abord, dès 19 17, deux mathéma-
absolument normal, et dont on calcu lera
ticiens, Henri Lebesgue {18 75- 194 1) et
véritablement les chiffres un à un aussi loin
Waclaw Sierpinski ( 188 2-1969 ), com-
qu'on le souhaite (par exemple en base 10) ?
prenant qu 'il était souhaitable de rendre
concrète la défin ition de Borel d'un nombre
absolument normal, repren nent la preuve
• Absolu ment normal d'existence de Borel et l'expri ment sous
et calculable ? une fo rme co nstructive. Dans des art icles
La réponse aura it pu être non, car les écrits indépendamment, m ais se recoupant
nomb res calculables, qui sont en quan- sur certains points, chacun donne une for-
tité in fi nie dénomb rable, constituent un mulation de la preuve d'existence de Borel
70 ~ MATHÉMATIQUES ET M YSTÈRES
Les nombres normaux sont majoritaires
Borel a démontré que preuve rigoureuse, mais qui aide à saisir probabilité pour que la fréquence limite
les nombres qui l'étonnante affirmation de Borel. soit 1/10'< est donc de 100 %. Comme une
ne sont pas nor- Tirer au hasard un nombre réel entre 0 réunion dénombrable d'ensembles négli-
maux en base 10 et 1 revient à tirer au hasard une suite geables est aussi négligeable, la probabi-
sont en quantité infinie de 0, 1, 2, ..., 9 avec un dé équi- lité qu'une suite infinie de tirages ne donne
négligeable : en table, par exemple un icosaèdre où pas la fréquence limite 1/10'< pour une
prenant un nombre chaque chiffre apparaît sur deux faces. Or séquence de longueur k est nulle. Autre-
réel au hasard entre quand on mène une telle suite de tirages ment dit. un nombre réel pris au hasard
équitables. chaque séquence de lon- entre O et 1 a toutes les chances d'être
0 et 1, on tombera, sauf
gueur k, par exemple la séquence 1789 normal en base 10. La conclusion s'étend
cas exceptionnellement rare, sur
de longueur 4, a la probabilité 1/10'< d'être à la propriété d'être absolument normal
un nombre normal en base 10 (et même obtenue à chaque instant (1789 apparaît (normal dans toute base), car il y aune infi-
normal en toute base de numération). en moyenne une fois sur 10000). nité dénombrable de bases de numération
C'est assez choquant, car on n'arrive C'est une conséquence de la loi des possibles O'ensemble NN(b) des nombres
même pas à démontrer que les nombres grands nombres, car les événements non normaux en base b est négligeable,
usuels comme n, e, log (2), v2, etc., sont sont indépendants et chaque chiffre se donc la réunion de tous les NN(b) aussi :
normaux en base 10. Voici une façon de présente avec une probabilité 1/10. Pour son complémentaire est l'ensemble des
présenter le problème qui n'est pas une une séquence fixée de longueur k, la nombres absolument normaux).
incomplet sur un point qu i ne sera défini- décimales du nombre calculable que l'algo-
tivement éclairci qu 'en 2002 par Veronica ri thme de Turing-Becher-Figueira égraine
Becher et Santiago Figueira. Enfin rendue indéfi niment... en théorie. Cette double
parfa itement constructive et calculable, la exponenti elle illustre un quatri ème niveau
démonstration d'existence des nombres dans les degrés de l'exi stence mathéma-
absolument normaux de Borel est-elle pour tique : après l'existence pure (preuve de
autant définit ive ? Borel), l'existence avec caractérisation
Non, la satisfaction éprouvée par ce succès (t héor ie de la comp lexité ou preuves de
récent est atténuée par deux remarques Lebesgue et Sierpinski) , l'existence avec
qui suggèrent qu 'il reste encore du travail algor ithme de calcul (Turi ng, Becher,
à fa ire et que les mathématiciens, les logi- Figueira), on aimerait bien atteindre l'exis-
ciens et les informaticiens n'en ont pas fi ni tence avec un algorithme de calcu l pra-
avec les nombres absolu ment no rmaux. ticable et donnant do nc « pour de vrai »
les décimales d'un nombre absolument
no rmal qu'on pourra it enfin voir écrit sur
• Quatre niveaux d'existence une page imprim ée!
mathématique La deuxième ra ison d'insati sfaction est que
la question posée à propos des nombres
D'une part, l'algori thme ex plicité est affreu- absolument normaux n'est pas tant celle
sement ineffi cace: il est « doublement ex po- d'en défi nir un et de le calculer, mais plus
nentiel », ce qui signifi e que pour connaître simplement : -v2, e ou TI, ou les nombres
n décimales du nombre absolument normal irrationnels que l'on connaît, et dont l'étude
qu'il calcule, il faut le faire fo nctionner des chiffres suggère qu'i ls sont absolument
durant un temps en gros proportionnel à normaux, le sont-ils vraiment ?
exp(exp(n)) (ou 2 à la pu issance 211 ), qui Sur ces dernières questions, des progrès
est une fonction de la variable n à crois- ont été faits assez récemment. Bien sûr le
sance extrêmement rapide. À ma connais- ca lcu l des chiffres de TI, qu i a maintenant
sance, personne n'a essayé de produire des été mené jusqu'à la décimale en position
ËTRE N OR M A L ? PAS S I F AC IL E 1 ~ 71
13 300 000 000 000, permet d'étudier calculable de m anière effective. Le nombre
empiriquement la question. Un travail por- noté ici a possède une définiti on courte :
tant sur les quatre premi ers milliards de
ces chiffres et utilisant une modélisation à <li = 22' di = l;-i/(j-1) '
l'aide d'un processus de Poisson a conduit 1
}J (1- d)
00
En 2012, on a toutefois réussi à exhiber des simples et très naturelles (toutes celles
nombres calcu lables dont on a montré qu'ils concernant les nombres normaux le sont) et
étaient normaux en base 2 et non normaux buter dess us longuement: c'est par exemple
en base 6 (2 et 6 sont indépendants). Bien le cas pour la question « TI est-il normal en
que minuscule en appa rence, il s'agit là d'un base 10? ». On peut démontrer que des
progrès rema rquable, d'au tan t que cette fois objets existent sans que l'on puisse en
les nomb res en question se calculent pour exhi ber un seul. C'est le cas des ensembles
de vrai ! Le nombre de Stoneham dont nous non mesurables au sens de Lebesgue. On
redonno ns la définition : peut aussi défi nir parfa iteme nt un ob jet
et être incapable d'en connaître le détail,
00 1
Œ2 ,3 = L
k=l
3k23k
soit parce qu 'il est incalculable (comme les
nombres absolumen t normaux du type il),
soit parce que l'algorithme qui le construit
est normal en base 2 et non normal en est si inefficace qu'on n'en tire concrète-
base 6. Un au tre progrès récent (2007)est le me nt rien (comme le nombre absolu ment
théorème de Boris Adamczewski, de l'Un i- normal de Turing-Becher-Figueira). Pour-
vers ité Lyon 1, et Ya nn Bugeaud, de l'Univer- tant, da ns ce labyrinthe de quasi-para-
sité de Strasbourg (voir l'encadré ci-dessus). doxes, les chercheurs réussissent à se frayer
Ainsi, le monde mat hématique est étrange; un chemi n et avancent à petits pas ... sans
on peut y fo rmuler des questions très jamais renoncer.
e nombre TI est bi en vivant. Les tra- record a tenu sept ans, jusqu 'en août 200 9,
L vaux théoriques ou pratiques po rtant
sur ce nombre sont un voyage vers l'infini
date à laquelle un autre Japonais, Daisuke
Takahashi de l'Université de Tsukuba, a cal-
plein de surpri ses et d 'émerveillements. culé 2 57 6 980 3 70 000 décimales de TI , soit
Voici la chronique des dernières péripéti es environ le double du record précédent avec,
de l'aventure numérique et m athématique cette foi s, des formul es reconnues pour leur
de l'exploration de TI. efficacité. Les algorithmes à parti r de 1970
sont « presque linéaires » : pour connaître
deux fois plus de décimales, il fa ut calculer
• Le train-train du calcul environ deux fois plus longtemps.
Les prog rès entre 200 2 et 200 9 so nt sur-
En 2002, Yas umasa Kanada, du Centre des prenants ... ca r on pouva it s'attendre à
technologies de l'informat ion de l'Univer- mieux. En e ffet, la « loi de Gordon Moo re »
sité de Tokyo, au Japon, réuss issait le calcul indique qu e les capacités disponibles (de
de 1 241 100 000 000 chiffres décimaux calcul, de stockage de données, et plu s
de TI. Un roman de taille moyenne co mpor- généralement de traitement informa-
ta nt environ un million de caractères, l'im- tique ) pour un coût fi xé doublent tou s les
press ion des 1 241 milli a rds de décimales 18 mois environ du fait des progrès tech-
calculées pa r Y. Ka nada occuperait l'équi- nologiques. Entre 200 2 et 200 9, la loi de
valent d'un million d'ouvrages ! Aussi, Moore a été globaleme nt vérifiée par les
personne ne s'est amusé à lire toutes les technologies informatiques. Ain si, à condi -
décimales. En un sens, ces chiffres ne sont tion de se d onner des moyens fin anciers
connu s que de nos machines ! équivalents à ceux que Y. Kanad a a mobi -
Y. Kanada n 'a, hélas, pas déta ill é les li sés en 200 2, on aurait dû , en 200 9, ca l-
méthodes qu 'il a utili sées. Il a juste indiqué culer environ 20 foi s plus de déc im ales.
que les algorithmes mi s en œ uvre pour son Pourquoi un tel décalage ?
calcul et sa vérification s'appuyaient sur La clef es t la durée des opérations : le
des formul es à base de la fon ction arctg (ou ca lcul de Y. Kanada avait pri s environ
.,. Le nombre nreprésenté tan- 1) . C'est étonnant, car d 'autres formul es 600 heures, alors que celui de D. Takahashi
par Francesco DeComité. plus effi caces sont connues depui s long- n'a exigé qu 'un peu plus de 60 heures. Le
Chaque chiffre asa couleur.
temps et étaient utili sées pour les calculs facteur 10 qui manquait en 2009 ne résul-
Avec encore plusde
décimales, commenest très records précédents .. . y compri s les siens. terait que d'une durée de calcul plus courte.
probablement « normal », on Peut-être Y. Kan ada a-t-il donné une indi- En 200 9, on s'est contenté d'environ di x
neverrait de loin quedu gris ! cation fa usse pour brouiller les pistes ... Le foi s moins de te mps, donc d'une dépense
78 J, MATHÉMATIQUES ET MYSTÈRES
de chiffres binaires placés à l'extrém ité des les compétences techniques nécessaires
chiffres calculés en base 2. La concordance pour la programmation de l'ensemble de
de ces chiffres avec ceux du calcul massif la méthode sont particulièrement fines,
par la formule des Chudnowski ne garantit va riées et étendues.
pas de manière absolue le résultat de F. Bel- Au total, le succès est venu de la prise en
lard, mais rend très improbable la présence main de toute la chaîne du calcul et est dû
d'une erreur : si les derniers chiffres sont à la maîtrise :
bons, il n'y a pas d'erreur grossière ou géné- - de bonnes mathématiques (celles des
rale dans la méthode de calcul et sa pro- Chudnowski en particulier et celles de la
grammation. Cette vérification est moins formule que F. Bellard a élaborée en 1997) ;
satisfaisante que celle qu'aurait fournie - d'une bonne algorithmique (celle du
l'about issement du calcul mené avec la scindage binaire, des bons choix pour
série de Ramanujan. Mais de toutes les stocker les données numériques et les
façons, même si le calcul massif avait été manipuler) ;
réalisé deux fois, l'absence d'erreur n'aurait - d'une bonne programmation, fondée sur
pas été une assurance absolue de justesse, des optimisations très pointues et des idées
car on peut toujours imaginer un concours variées (multiplication rapide, multithreading,
de circonstances conduisant deux fois à contrôle fin des écritures sur disques, etc.).
la même erreur dans deux calculs menés
séparément par des méthodes différentes.
On peut diminuer la probabilité d'une • La délicate loi de Moore
erreur, jamais l'éliminer entièrement.
La comparaison du résultat massif avec les Cela nous condu it à revenir sur la loi de
chiffres connus par les calculs des précé- Moore (pour une somme donnée, il se pro-
dents records donne une preuve de validité duit un doublement de capacité tous les 18
supplémentaire. mois). Si cette loi est valide en moyenne sur
Signalons encore que pour gagner du temps l'ensemble des technologies informat iques
et utiliser au mieux les capaci tés de calcul de durant une période de quelques années,
sa machine, F. Bellard a utilisé des méthodes elle n 'est en revanche pas valide pour un
de vectorisation et de multithreading, c'est- problème technologique spécifique sur
à-dire des méthodes permettant de mener une courte période. On obtient parfois bien
plusieurs calculs à la fois avec un seu l pro- mieux parce qu'une nouvelle idée ou une
cesseur à plusieurs cœurs. nouvelle technique se met en place, on fait
parfois moins bien parce qu 'on rencontre
un obstacle ou qu'une technologie arrive à
• Gérer les mémoires bout de souffle.
La vitesse à laq uelle évolue la définition des
La gestion de la mémoire de masse sur les écrans à cristaux liquides est moins impor-
cinq disques durs branchés au micro-ordi- tante que ne l'indique la loi de Moore géné-
nateur a elle aussi été conçue pour tirer le rale, de même que les capacités de stockage
maximum de puissance de tout l'ensemble. des disques optiques (co et ovo) , ou (pour
Lorsqu 'on mène un calcul banal, le sys- TI c'est important) la vitesse des échanges
tème d'exploitation de votre ordinateur ent re processeurs dans un super-ord ina-
gère lui-même la façon dont il écrit sur les teur. En ce moment, les supports optiques
disques (internes ou externes), et s'i l ne le de stockage progressent lentement et se
fait pas de manière optimale, cela ne porte font doubler par les disques durs magné-
pas à conséquence. Pour le calcu l record, tiques qui ont connu des progrès spectacu-
il n 'éta it pas possible de laisser les choses lairement rapides, en particulier grâce aux
se dérouler sans en prendre le contrôle travaux de Michel Jullière et Albert Fert
complet, ce qu'a fait F. Bellard. On le voit, (prix Nobel de physique 2007).
.. .•:..
,•' .. r
La question posée est : quel est le minimum à chaque étape, toutes les valeurs ini- pour la variable A1 : s'il y a par exemple 10
d'affectations dont on a besoin dans un tiales des variables sont présentes dans variables variant entre Oet 10, il faut pour
calcul in situ pour échanger circulairement A2, A3, ... An _1, Ansauf une, ce qui permet, stocker A1 une variable capable de rece-
les contenus de trois variables A, B, C, (A, A, A,A, ........ A_, A,
voir toutes les valeurs entre Oet 100.
B, C) devenant (B, C, A) ? Dans le tableau Au départ A, A2 A, ........ A_, A, Voici la réponse à l'objection. Oui, cela est
de Mondrian et son faux, trois couleurs ont A,:=A,+ A, +... + A, A,+ A,+... +A, A, A, ........ A_, A. vrai pour la méthode avec des + et des -,
été ainsi permutées. Petit exercice : quel A,:•A,- A,-...-A, A,+A,+... + A, A A, ........ A_, A, c'est-à-dire avec les opérations arithmé-
A_ 1:=A,- A,-...-A, A,+ A,+ ...+ A, A, A, ........ A, A,
est le vrai (Composition Il en rouge, bleu et tiques habituelles entre nombres entiers.
jaune, 1930), quel est le faux ? A,:=A,-A,-...-A, A, A3 A, A, A, Cependant, puisqu'on peut mener un
Notons d'abord que trois affectations ne calcul modulo k (où k est un entier fixé),
suffiront pas. Il faudrait en effet, dès la grâce àA1, de la placer au bon endroit. on dispose dans ce cas d'une méthode qui
première affectation, placer une bonne L'affectation opérée pour An place donc n'utilise pas plus d'espace pour Ar
valeur là où on fait l'affectation, ce qui bien la valeur initiale de A1 en An, puis Une autre idée pour répondre à l'objection
ferait disparaître la valeur qui y est l'affectation opérée pour An - l place donc consiste à écrire les nombres entiers en
stockée, dès lors irrécupérable. bien la valeur initiale de A2 en An _1, etc. base 2 et, au lieu de faire des additions ou
En revanche, réaliser la permutation Le calcul est présenté avec des + et des-, des soustractions entre deux nombres X
circulaire avec quatre affectations est et fonctionne avec des nombres entiers, et Y, on calcule le nombre dont les chiffres
possible, donc 4 est le nombre minimum réels ou même complexes. binaires sont ceux obtenus en faisant le
d'affections nécessaires à la permutation Le calcul s'adapte aussi avec des nombres xor entre les chiffres binaires de X et de
circulaire de trois nombres. Voici la solu- calculés modulo k, ou aux variables boo- Y (exemple 1001 xor 0111 = 1110, autre-
tion en quatre affectations : léennes (en remplaçant les + et les - par ment dit, 9 xor 7 = 14) et l'on retombe bien
A a C xor, ce qui correspond d'ailleurs au + quand sur ses pieds à la fin.
Au départ A B C on calcule modulo 2). Cette remarque est L'espace nécessaire pour stocker A1
A :• A + B + C A+B+C B C
C:• A - 8 - C A+B+C B A importante car elle permet de répondre à reste encore identique à celui néces-
B :• A - 8 - C A+B+C C A une objection naturelle, mais essentielle, à saire pour stocker chaque nombre
A :• A - 8 - C B C A
la méthode proposée pour opérer une per- (p chiffres binaires par exemple si on
Le procédé se généralise pour opérer mutation circulaire den entiers. manipule des nombres de p chiffres
une permutation circulaire entre n Voici l'objection : quand on calcule avec binaires). Les procédés décrits (traduits
mémoires, c'est-à-dire pour passer de des entiers, la méthode de calcul in situ avec des calculs modulo k ou des xor)
(Al A2A3 ... An-1 AJ à (A2A3 ... An- 1AnAJ. proposée triche, car elle stocke dans A1 la réalisent donc un calcul in situ sans
À la première étape, on place dans A1 la somme des valeurs de toutes les variables, avoir à considérer un espace mémoire
somme A1 + A2 + A3 + ... + An-1 + An, puis, ce qui exige un espace mémoire plus grand particulier pour Ar
LE CA LCULATEUR AMNÉSIQU E j 85
.. Calculer sans croiser de fils
Nous savons depuis des siècles que toute
Le croisement de deux fils où cir- Plus généralement, si des infor- permutation se décompose en cycles. La
culent des informations est impos- mations arrivent sur n fils dans méthode de décomposition proposée pour
sible si l'on interdit à un fil de un certain ordre et doivent notre exemple se généralise donc sa ns dif-
passer sur l'autre (si deux fils se repartir dans un autre (c'est-à- ficulté : toute permutation possède un pro-
touchent, les informations vont dire une permutation quelconque
gramme in situ.
se mélanger). L'utilisation de trois de n fils, ce que l'on désigne par-
portes logiques xor permet l'équi- fois sous le nom de tresse) sans Puisqu'il faut n + 1 affectations pour une
valent d'un croisement de fils. On aucun croisement de fils, la pro- permutation circulaire entre n va riables,
exploite la permutation in situ en grammation in situ de la permu- il faut dans le pire cas (quand tous les
trois affectations : tation de variables donnera une cycles sont des cycles d'ordre 2) 3n/2 affec-
A : = A xor B , B : = ((A xor B) xor solution utilisant au plus 3n2/2 tations si n est pair, et (3n - 1)/2 affecta-
B) = A ; A : = ((A xor B) xor A = B. portes logiques xor. tions si n est impair. Dans le cas d'une
B,_ E>-
permutation se décomposa nt en k cycles
AxorB non réduits à un point, c 1, c 2, .. . , ck de lon-
A xor B ---,-....,....°"', xor A'= B
'
,-
xor A ·-
- - - - - 8' = A
ic ickl'
gueurs ic 11, 2!,... , le programme in situ,
B résultat de l'idée indiquée au-dessus, est
ic
composé de k + 1I + ic 21 + ... + icki affec-
tations. Ce no mbre est le meilleur qu 'on
pui sse obtenir. La décomposition d'une
la conséquence d'un théorème général qu 'il
permutation quelconque de variables en
a fini par obtenir : toute transfo rmation de
un programme in situ de 3n/2 opérations
l'ensemble {O, 1}" (les n-uplets de O et de 1) au plus permet d'échanger de l'information
dans lui-même se programme in situ. entre n fils qui ne peuvent pas se cro iser
Une longue quête a alors commencé (car placés sur un même pl an), en utili-
pour, selon les différents types de trans- sant 3n/2 portes logiques xor au plus (voir
format ions, élaborer les meilleures listes /'encadré ci-dessus).
d'affectations poss ibl es constituant les D'autres résultats ont été obtenus pour les
programmes in situ. Nous allons présenter applications linéaires. Tout d'abord sur des
quelqu es-uns des résultats obtenus. variables booléennes et plus généralement
modulo p avec p premier (S. Burckel et
Marianne Morillon) et par la suite sur des
• Les meilleurs entiers modulo k, pour tout entier k fixé
résultats connus (Emmanuel Thomé). Un exemple est donné
dans l'encadré en page de droite.
Après les permutations circulaires de
Les résultats obtenus indiquent que toute
va riables, les transformation s les plus
transformation linéaire peut s'obtenir par
simples sont les permutations quelconques
un programme in situ comportant au plus
de variabl es, par exemple : 2n - 1 affectations, chacune correspondant
(A, B, C, D, E)--+ (B, E, D, C, A). à une opération elle-même linéa ire (comme
Un peu d'attention montre que la trans- dans l'exemple). De plus, on peut imposer
formation se décompose en 2 cycles : l'ordre dans lequel se feront les affecta-
A --+ B --+ E --+ A et C --+ D --+ C. tions : 1, 2, ..., n, n - 1, ..., 2, 1 (affectation
Autrement dit, on est ramené à deux per- de la première variable, de la deuxième, etc.)
mutations circulaires, l'une portant sur trois
éléments, l'autre sur deux. Puisque chacune
se décompose en suites d'affectations (res-
• Trouver le simple
pectivement quatre et trois affectations),
ce sera le cas de la transform ation qui
est compliqué
réunit les deux cycles. Elle pourra donc être Toute transformation n'est pas linéaire,
obtenue in situ en sept affectations. aussi fa llait-il étudier le cas gé néral. Dans
un premier temps, il a été établi que toutes pour calculer les décompos itions les plus
les transfo rmations bijectives (linéai res ou simples est grande. On a là, u ne fo is encore,
non) F de S" dans S" possédaient des pro- u ne illustration de la maxime « Trouver le
grammes in situ et que 2n - 1 affectations simple est compliqué ».
suffisent. S. Burckel et Emeric Gioan ont Ces résultats ne donnent pas nécessaire-
ensuite montré que Sn - 4 affectations suf- ment les décompositions optimales, qui sont
fisent toujours, quelle que soit la complexité encore plus diffic iles à trouver. Les explo-
de F et cela même quand F n'est pas bijec- rations exhaustives sont en théorie envisa-
tive. Lorsque le nombre d'éléments de S geables, puisque nous sommes dans un cas
est une pu issance de 2, on peut même des- fini. Elles garantissent de trouver les pro-
cendre jusqu'à 4n - 3. grammes in situ opti maux, mais elles sont si
Ces résultats récents améliorent un coûteuses en calcul qu'on ne peut les envi-
résul tat précédent obtenu par S. Burckel sager que si n est vraiment petit (inférieur
et M. Mori llon qu i indiquait que n2 affecta- à 10). De nombreux résultats sont donc
tions suffisa ient dans le cas booléen. Le gain encore attendus da~s ce domaine à la fois
de n2 à 4n - 3 est cons idérable. Malheureu- combinatoire, algébrique et algorithmique.
sement, le calcul des décompos itions est Il est à parier qu'à mesure des perfection-
parfois très diffic ile et lorsque le nombre nements apportés aux méthodes pratiques
de variables est grand, on risque de se pour calculer les décompositions en pro-
heurter à une impossibi lité pratique. Autre- grammes in situ, leur intérêt concret appa-
ment dit : la complexité des algorith mes raîtra et leur utilisation se généralisera.
Existe+il un pouvoir qui dicterait sa loi à la contre-vérité mathématique ? Plus encore : Dieu créer le monde. » Thomas d'Aquin (c) pense que ce
logique ? La proposition de loi « pi » faillit être peut-il, dans sa toute-puissance, enfreindre les qui est impossible ou contradictoire n'existe pas et
adoptée en 1897 par l'Assemblée législative lois mathématiques ? tcoutons René Descartes est en dehors de la volonté de Dieu.« Quant aux
de l'Indiana. C'est l'une des tentatives les plus (b) dans sa lettre à Mersenne du 27 mai 1630 : objets qui impliquent contradiction, ils ne sont pas
connues pour établir une vérité scientifique par un «Je sais que Dieu est l'auteur de toutes choses et compris dans la toute-puissance divine, parce qu'ils
accord législatif. La proposition visait à valider la que ces vérités [les vérités éternelles, dont celles ne peuvent pas avoir raison de possible. Pour cette
quadrature du cercle du mathématicien amateur des mathématiques] sont quelque chose et par raison, il convient de dire d'eux qu'ils ne peuvent
Edwin Goodwin qui annonçait la valeur 3,2 den. conséquent qu'il en est l'auteur.[...] Vous demandez pas être faits, plutôt que de dire : Dieu ne peut pas
La loi n'a jamais été adoptée grâce à l'intervention [...]quia nécessité Dieu à créer ces vérités : et je les faire. Et cette doctrine ne contredit pas la parole
d'un professeur de mathématiques, Clarence dis qu'il a été aussi libre de taire qu'il ne fût pas de l'ange : "Rien n'est impossible à Dieu." Car ce
Abiathar Waldo, appelé à la rescousse (a]. Le vrai que toutes les lignes tirées du centre de la qui implique contradiction ne peut être un concept,
problème est posé : la loi peut-elle imposer une circonférence fussent égales, comme de ne pas nulle intelligence ne pouvant le concevoir. »
LA LOGIQUE DE LA PERFECTION ,i 91
L'omniscience peut être un handicap
L'exemple type démocrates et les républicains à propos
d'une telle situa- de la question du relèvement du plafond
tion a été rendu de la dette américaine : si aucun des par-
populaire par le tis ne cédait, l'État américain était mis en
film de 1955 mis faillite. Dans un tel jeu, celui qui ne peut
en scène par Nico- ou ne veut pas comprendre la gravité
las Ray La fureur de de la situation se crée un avantage, car
vivre, avec James l'autre, se pensant seul informé du risque
Dean. Deux voi- de catastrophe imminente, acceptera de
tures foncent vers perdre. Un être omniscient qui sait ce que
un précipice. Celui vous allez faire est donc gravement han-
qui se jette hors dicapé dans une telle situation :face à lui,
de la voiture en ne sautez pas de la voiture, car il sait que
L'omniscience n'est pas toujours un premier est traité de lâche et a perdu, vous ne céderez pas et donc lui sautera.
avantage. Le jeu du poulet (chicken l'autre a le temps de sauter. Si aucun des La prise en considération d'hypothé-
game) est la situation où deux adver- deux ne cède, ils périssent tous les deux. tiques êtres idéaux introduit toutes
saires sont dans une compétition telle Celui qui abandonne perd la partie, mais sortes de situations nouvelles en théo-
que si aucun ne cède, une catastrophe sauve sa vie... et celle de son adversaire. rie des jeux. Elles ont été étudiées par
se produit, alors que si l'un cède, il perd Aux États-Unis, une telle situation Steven Brams dans son livre (voir la
mais évite la catastrophe. s'est produite en juillet 2011 entre les bibliographie en fin d'ouvrage).
l'entendement humain, elles sont quelque le faire dans ce cas-là. Si on accepte la doc-
chose de moindre, et de suj et à cette puis- trine de la création des vérités éternelles,
sance incompréhensible. » on doit admettre qu 'il aurait pu fa ire, par
Pour Descartes, Dieu aurait pu « faire exemple, que de "/\' et "Si A, alors B", on
qu'il ne fût pas vrai que toutes les lignes ne puisse pas déduire "B", mais plutôt, par
tirées du centre de la circonférence fussent exemple, "non-B". »
égales» . À l'opposé des idées de Descartes sur le pou-
voir supposé de son dieu de changer même
les mathématiques, saint Augustin (354-430)
• Quand Descartes renonce dans La cité de Dieu définit l'omnipotence
à son propre entendement comme la possibilité de faire tout ce que
nous voulons, et non tout ce que nous pou-
Jacques Bouveresse, dans le tome V de ses vons imaginer qu'un être pourrait vouloir.
essais (éditions Agone), nous aide à saisir
cette étonnante conception du défenseur de
la théorie physique des tourbillons : « Nous
• La solution
savons que les vérités auxquelles nous
de saint Augustin
sommes conduits par la démonstration sont
bien celles que Dieu a décidé de créer. Mais il Une telle définition minimale résout sans
aurait pu en créer d'autres, et s'il avait décidé, doute le paradoxe de la pierre : un être
par exemple, de créer un monde dans lequel omnipotent n'es t pas gêné par la question
il n'est pas vrai que 2 et 2 fassent 4, ce devrait posée dans le paradoxe, tout simplement
être aussi un monde dans lequel nous ne pou- parce qu 'il ne souhaite pas créer une pierre
vons pas démontrer que 2 + 2 = 4. Il est évi- si lourde qu'il ne puisse la soulever.
dent que, tout comme Dieu aurait pu créer Cette solution n'est guère satisfaisante :
d'autres vérités éternelles, il aurait pu créer pour être omnipotent, il suffit de ne rien
aussi une autre relation de conséquence vou loir ! Chacun peut devenir tout-puissant
logique et aurait même nécessairement dû en limitant ses désirs à ce qu 'il lu i est faci le
• Mathématicien omnipotent ?
Oublions maintenant Descartes et admet-
tons avec Aristote que certains absolus
logiques comme le principe de non-contra-
diction ne peuvent jamais être négligés, et
que donc même un être om nipotent, s' il
en existe, y est soumi s. Que penser alors
du pouvoir d'un être omnipotent sur des
problèmes de nature mathématique ?
Voici quelques questions et tentatives de
aux axiomes mathématiques, ou même
réponse sur ce thème.
changer la cent milliardième décimale de TI
Un être tout-puissant peut-il changer les
(ce qui conduirait aussi à O = 1), n'est pas
décimales de TI et faire que TI= 3,2, comme
envisageable. Tout être, aussi puissant soit-
une loi envisageai t de l'imposer dans l'État
il, est donc contraint de mener un calcul
de l'Indiana aux États-Unis en 1897?
pour connaître TI, sans avoir la possibilité
Non, ce serait contraire au principe de non-
de décider quoi que ce soit le concernant.
contradiction, car si on suppose par exemple
Et il en va ainsi de pratiquement tous les
que TI= 3,2, alors en quelques pas de déduc-
énoncés mathématiques.
tion mathématique on tombe sur O= 1, d'où
l'on peut démontrer toute proposition et
ainsi que sa négation : en logique, une seule
contradiction a pour conséquence que tout
• L'Oiympe n'a pas de roi
est vrai et fa ux à la fois, ce qui rend alors Une autre question se pose : un être tout-
sans intérêt les mathématiques et même puissant peut-il résoudre un problème
tout raisonnement. Vouloir ajouter TI = 3,2 indécidable ?
Hugh Woodin, et qui envisagent des logiques difficultés logiques que posent les idées de
infinies dans le but de traiter l'hypothèse saint Augustin, Thomas d'Aquin ou Descartes,
du continu peuvent être considérés comme les formes nouvelles de la surpuissance que
l'étude de nouvelles formes d'êtres surpuis- les mathématiques associent à l'infini consti-
sants en quête de cette solution. On est tenté tuent des domaines trop différents pour que
de se dire que la théologie, au jourd'hui, est soit donnée une bonne définition de l'omni-
l'affaire des mathématiciens et qu'une forme potence et que l'on puisse apprécier sa possi-
de haute spiritualité se trouve à J'œuvre dans bilité. Abordons donc maintenant la question
cette exploration de l'infini et de la surpuis- plus facile de l'omniscience.
sance qui les occupe. Un être omnipotent est omniscient: celui
L'omnipotence est peut-être une idée trop qui peut tout faire peut savoir tout ce qu 'il
vague et susceptible d'un trop grand nombre y a à savoir. Pourtant, la chose est loin d'être
de définitions différentes. En plus des aussi simple et en théorie des jeux, par
96 ~ MATHÉMATIQUES ET MYSTÉRES
exemple, Je fait d'être omniscient constitue qui est vrai est connu » (par un être omnis-
parfois un handicap grave qui interdit de cient, mais aussi par vous et par moi). C'est
gagner... et donc empêche l'omnipotence absurde, à moins de considérer que tout
(voir l'encadré p. 92). n 'est pas connaissable et donc, en particu-
Indépendamment de ces questions, dont lier, qu'il n'existe pas d'êtres omniscients.
on peut se libérer en imaginant qu 'un être Une autre difficulté soulevée par P. Grim
omniscient ne joue pas, l'existence d'êtres concerne la possibilité d'un être omnis-
omniscients dépend de ce qu'on considère cient même si celui-ci ne s'intéresse qu'aux
comme objets possibles de savoir. mathématiques. P. Grim emploie un pro-
Si toutes les propositions, y compris auto- cédé analogue à celui utilisé pour démon-
référentes, doivent être objet du savoir trer qu'il n 'y a pas d'ensemble de tous les
d'un être omniscient, alors Patrick Grim ensembles dans la théorie classique des
a montré qu'il n 'existe aucun être omnis- ensembles (voir l'encadré p. 94).
cient. De même, le paradoxe de Newcomb Finalement, même si certains tentent des
(voir l'encadré p. 93) établit que connaître réponses aux divers paradoxes ici évo-
parfaitement le futur est une impossibilité.
qués de l'omniscience, il semble bien que
Envisageons l'omniscience sans la capa-
l'idée, sur un plan strictement logique et
cité de prévoir l'avenir et en interdisant les
mathématique, ne puisse pas résister, tant
phrases autoréférentes. Malheureusement,
elle engendre de contradictions et d'inco-
même ainsi, divers paradoxes récents
hérences de toutes sortes. Comme c'est le
créent encore de fatales difficultés qui nous
cas aussi à propos de l'omnipotence, cela
empêchent d'imaginer un être omniscient.
ne trouble guère les mathématiciens et les
logiciens qui, au contraire, se réjouissent
de la richesse des idées et théories qui
• L'omniscience, naissent de ces questions théologiques
idée indéfendable quand on les transpose en mathématiques.
Le paradoxe de Frederic Fitch (voir l'en- Peut-être est-ce la preuve d'ailleurs que ces
cadré ci-contre) établit que si « tout ce qui dernières ne sont qu'une forme extrême et
est vrai est connaissable », alors « tout ce abstraite de théologie ?
98 ,. MATHÉMATIQUES ET MYSTÈRES
::::: Les procédés physiques macroscopiques
Les moyens physiques pour engendrer le était conçu pour qu'aucun contrôle précis en changeant certains composants élec-
« hasard »sont nombreux... et pas toujours ne soit possible et la machine était assi- troniques) pour que le pourcentage d'ar-
équitables. On retrouve périodiquement milable à une loterie ou à une roulette gent redonné en moyenne aux joueurs soit
lors de fouilles des dés romains [à gauche de casino enfermée dans une boîte. Bien celui qu'il décide (en général entre 75 %et
en bas de fa page ci-contre). Les mêmes sûr, des trucages mécaniqués favorisant 99 %). Ce pourcentage sert parfois d'argu-
dés sont utilisés dans le jeu de Craps des certaines combinaisons étaient possibles. ment publicitaire. Il peut aussi choisir
pays anglo-saxons. Les roues de loterie A partir des années 1960, ces machines une machine qui donne souvent de petits
où l'on pouvait gagner des kilos de sucre sont devenues électroniques : un généra- lots et rarement des gros, ou le contraire
attiraient les badauds des années 1950 teur algorithmique pseudo-aléatoire pro- (cela tout en respectant le pourcentage
qui avaient été privés de sucre pendant duit plusieurs dizaines de fois par seconde d'argent redonné en moyenne aux joueurs
la Seconde Guerre mondiale (on notera des chiffres sans jamais s'arrêter. Ces et fixé à l'avance).
l'escroquerie de l'épaisseur des bandes de chiffres sont effacés de ses mémoires et ce D'autre part, une fois la machine fermée,
gain des gros montants de kilos de sucre). n'est qu'au moment où l'utilisateur joue (en personne ne peut tricher. Personne n'a
La roulette et sa variante la boule sont les appuyant sur un bouton ou en tirant le bras d'informations sur l'état du générateur
instruments du casino. Le rééquilibrage de la machine) que les derniers chiffres pseudo-aléatoire qui tourne en continu
des roues et les plots que heurtent la bille produits sont exploités. Ils déterminent et, de plus, le geste du joueur n'est pas
lors de sa descente augmentent la sensi- alors une combinaison qui est affichée sur assez précis pour qu'il contrôle l'instant
bilité aux conditions initiales. l'écran de la machine (après un délai et une où il joue.
Les machines à sous, dénommées parfois animation factices) et qui fixe le résultat du Le fait que ce mode de fonctionnement
« bandits manchots », ont été inventées jeu, provoquant, lorsque c'est nécessaire, soit convenable pour tous ne signifie
à San Francisco par Charles Fey vers la chute d'une quantité de pièces. pas que le processus général du jeu pro-
1890. Deux méthodes différentes sont Ce procédé est-il convenable? Si on duit des suites aléatoires au sens fort.
utilisées pour engendrer le hasard. Dans exclut les tricheries passant inaperçues En interne, il n'y a pas d'aléa puisque ce
un premier temps, le mécanisme à pro- aux yeux des organismes officiels chargés qui se passe est algorithmique. Quant
duire du hasard était macroscopique et de contrôler les machines, le procédé est au joueur, il se peut qu'il appuie incon-
déterministe : la force avec laquelle on satisfaisant aussi bien pour les joueurs sciemment d'une manière régulière.
lançait les roues (initialement il y en avait que pour les propriétaires des machines. Rien n'assure donc que les suites de
trois) en tirant sur le bras de la machine D'une part, le propriétaire peut choisir la résultats d'une machine de casino soient
déterminait le résultat. Le mécanisme machine qu'il veut (ou plus tard la modifier aléatoires au sens de Martin-Lof.
vêtements sont probablement fa usses. Les D'autres histoires du même type ont été
cas inos dont la poli tique a tou jours été de racontées (par exemple da ns le livre The
faire croire qu 'i l existait des mart ingales et Newtonian Casino de Thomas Bass) sans
des méthodes favorab les au x joueurs sont jamai s fournir de preuve de la capacité
heureux de laisser circu ler les fab les affir- vé ritable des sys tèmes cachés à prédire les
ma n t q u'on peut savoir à l'ava nce sur quels numéros de la rou lette.
numéros, ou quelle zone du cylindre, la Jaros law Str za lko, Juli usz Grabski et
bi lle lancée par le croup ier va s'arrêter pour Tomasz Kapita ni ak donnent des dé tail s
peu qu'on mes ure son geste et qu 'on mène su r la préd ictibi li té des lancers de dé et
les bons calculs. su r la poss ibili té de les co nsidérer comme
Claude Shanno n, l'u n d es pères de la des phénom ènes chaot iques. Dans leur
théorie de l'in fo rmation, trava ill a su r un liv re Dynamics of Gambling Origins of
tel pro jet avec le gra nd spéciali ste des jeux Randomness in Mechanical Systems, paru
de cas ino Edward T horp, inve n teur du en 2009, ces spéc iali stes du hasard méca-
systèm e de comptage qu i permetta it au nique formu lent la co nclu sion suiva nte,
jeu de black jack de faire bascu ler l'ava n- qu i devra it calmer les rêveurs : « Si les
tage en faveur du joueu r. Leur système fut do n nées montrent que les résultats d'u n
tes té e n 196 1 pour la roulette et, au d ire de lancer de pièce, de dé ou d 'u ne rou lette
Thorp, « un problème m ineur de maté riel sont prédict ibles au sens de la défin ition
les empêcha d 'en tirer des profits », ce qui jmathémat iquej et que ces processus so nt
laisse penser que le problème de la préci- inéqu itab les, ces conclus ions sont théo-
sion in suffi sante des mesures n'a pas été riques, et, en prat ique, pour réuss ir une pré-
surmonté. vision fiab le, il fa u t connaître les condit ions
initiales avec une prec1s1on inatteignabl e de leurs appareil s produi sent jusqu'à
da ns des expériences rée lles. » 4 000 000 de bits par seconde (ce qu 'aucun
Donc, en pratique, nous ne d isposons pas procédé mécanique ne peut égaler).
aujourd' hui d'une technologie permettant La Société américaine ComScire propose un
de prédire les résultats d'un lancer de pièce, appareil qu i produ it seule ment 2 000 000
de dé ou de roulette. Cependant, il s'agit de bits par seconde, mais en combinant
de phénomènes prédictibles (car déter- plusieurs méthodes microscopiques diffé-
ministes ) et le plus souvent bi aisés. Ils ne rentes (bruit thermique, transistor satu ré,
satisfont donc pas les critères mathéma- etc. ). À chaque foi s, cependant, le principe
tiques de la définiti on de Ma rtin-Lof ou les théorique se fond e sur la nature quantique
critères équivalents d'incompress ibilité et de ce qui se passe aux très petites échelles.
d'imprédictibili té absolue. Tous les appareils mi s en vente reposent
Qu 'en est-il du mo nde microscopique, sur l'idée que la mécanique quantique pro-
dont les physiciens pensent très sé rieu- duit un hasa rd qui , une foi s bien contrôlé
sement qu 'il fon ctionne de man ière non (pour en équilibrer les productions), serait
déterm iniste ? le hasard véritable caractérisé en 1965
par Mart in-Lof et que le déterm inisme de
la mécanique newto nie nne n'est pas en
mesure d'a tteindre.
• Hasard quantique
Cette idée est-elle justifi ée et fond ée théo-
Différentes mac hines sont ve ndues pour riquement ? La réponse n'est pas tra nchée,
produire du hasa rd à partir de phénomènes car il n'est pas possible de tirer, des prin-
mi croscopiques. Les appa reils de la Société cipes de la mécanique quantique, l'affirma-
suisse ID Quantique exploitent un procédé tion que les suites produ ites par exemple
d'optique quantique pou r enge ndrer des par les photons du di spositif vendu par
suites aléatoires de O et de 1. Des pho tons ID Quantique sont aléatoires au sens de
so nt envoyés un par un sur un miroir sem i- Martin-Lof De l'indétermination concer-
transparent ; avec une probabilité éga le, le nant le passage ou no n du photon à tra-
photon trave rse le m iro ir ou est réfléchi , ce vers le miroir que la méca nique quantique
qui donne O ou 1. Les différentes ve rsions exprime comme un axiome, on peut sans
=-~om ~iI
passent les tests statistiques standards, en 1965 par Martin-Lof,
c'est aussi le cas des décimales de n ou ce qui, par exemple, en (ÏQQ_
Quantum Random
Number Generator
de nombreuses suites pseudo-aléatoires assurerait !'incompres- 4c\;
algorithmiques dont on sait avec certitude sibilité. Il semble raison- us,,_,No r.s,,_..,; J
qu'elles ne sont pas aléatoires au sens fort. nable d'avoir un peu plus
De plus, aucun argument théorique confiance dans cet aléa
n'assure que les suites produites sont quantique que dans l'aléa
doute conclure que les su ites produites par Pour les procédés mécaniques, la physique
un tel dispositif sont semblables à celles newton ienne affirme que les tirages succes-
que produi sent des va ri ables aléatoires uni- sifs sont détermin istes et, par conséquent,
fo rmes indépendan tes. Cependant, rien ne n 'ont aucune raison de donner des suites
permet d'affirmer qu'une suite particulière incompress ibles ou imprévisibles.
ti rée des photons (ou d'un aut re procédé Quant aux méthodes m icroscopiques, rien
m icroscopique) est une su ite aléatoire au dans les principes mêmes de la mécani que
sens de Martin-Lof : les suites prove nant de quantique ne garantit la production de
tirages indépendants équi li brés ne sont pas véritables séquences aléatoires au sens fo rt.
toutes aléatoires au sens mathématique. À moins de compléter les axiomes de la
Il n'existe ainsi aucune méthode dont on théorie, il n'est au jourd'hu i pas justifi é de
puisse dire avec certitude qu 'elle produ it d ire qu'un procédé quantique produit avec
des suites aléatoires, et celles de la méca- une certi tude absolue de l'aléa for t comme
nique quantique ne font pas exception. Marti n-Lof l'a défin i. Il faut peut-être refor-
Les méthodes algorithm iques n'en pro- mu ler la théorie quantique pour que cela
duisent certainement pas et cela conce rne : change, m ais personne pour l'instant ne
- les ch iffres des nombres irrationnels tels le propose. Il faut donc cesser d'affirmer
que rr, J2, etc.; que les méthodes quantiques de produc-
- les méthodes proposées dans les lan- tio n d'aléa so nt bien fond ées, à l'opposé des
gages de programmation qu i produ isent un méthodes mécan iques ou algorithmiques.
hasa rd assez bien équ il ibré, mais parfo is
prédictible et souvent imparfa it quand on
y regarde de près ;
- les méthodes cryptograp hiques, q ui sont
• Insaisissable hasard
conçues pour ne pas être aussi fac ilement Malgré tout cela, et c'est ici qu'il y a un
prédictibles, mais q ui, du fait de leur nature paradoxe, pour les tests conçus depui s un
algorithm ique, n'en donnent pas pour siècle et qu i sont soigneusement collectés,
autant des sui tes aléatoires au sens absolu. par exemple par le N I ST aux États-unis, tout
El Equations résolubles
ou non?
Parfois, une équation semble impossible à résoudre. Cette impossibilité
est-elle théorique et définitive, ou peut-on la contourner? En cherchant à répondre
à de telles questions, les mathématiciens ont, au fil des siècles,
franchi des étapes capitales.
Ce problème de la « résolubilité des équa- X4 =0, 080295100117 ... + 1,328355 1098 ... i
tions de degré n par radicaux n-ièmes » se X 5 =0,0802951001 l 7... - l ,3283551098 ...i.
révéla plus coriace que prévu : pendant Notons que Abel avait été précédé par le
presque trois siècles, on a essayé en vain mathématicien italien Paolo Ruffini (1765-
de trouver une méthode générale pour les 1822) qui affirma !'insolubilité par radi-
équations de degré 5, qui aurait succédé à caux des équations de degré supérieur à 4,
celle de Ferrari. mais sans en proposer de démonstrations
L'illusion fut dissipée quand le mathéma- satisfaisantes. Le jeune et génial mathé-
ticien norvégien Niels Abel (1802-1829) maticien français Évariste Galois (1811 -
prouva en 1824 que certaines équations de 1832) perfectionna les résultats d'Abel,
degré 5, comme X5 - 3X - 1 = 0, ne sont ouvrant la voie au point de vue structural
pas résolubles par radicaux. Une telle équa- en algèbre qui prévaut encore aujourd'hui.
tion a bien cinq solutions comme l'indique Les trois découvreurs de !'insolubilité par
le théorème fondame ntal de l'algèbre, mais radicaux des équations de degré supérieur
on ne peut pas les exprimer en utilisant seu- à 4, du fait de la nouveauté de leurs tra-
lement les notations usuelles et les radicaux vaux, ne réussirent que très difficilement
cinquièmes (ou autres). Vouloir ne consi- à les faire reconnaître par la communauté
dérer comme nombre que ce qu'on obtient mathématique. Celle-ci les considéra avec
à partir des entiers, des radicaux et des opé- scepticisme ou mépris, avant d'encenser
rations arithmétiques habituelles, comme ces exceptionnels inventeurs ... après leur
vouloir se limiter aux nombres quotients mort.
d'entiers, rend insolubles des équations qui Cela n'était pas du tout évident au moment
ont pourtant des solutions. Dit autrement: où les extensions de la notion de nombres
ajouter Y2 et les nombres du même type ne furent proposées, mais la leçon est que si
suffit pas pour avoir tous les nombres réels. on se donne une équation et un domaine de
Notre logiciel de calcul indique que l'équa- nombres dans lequel on recherche les solu-
tion X5 - 3X - 1 = 0 a trois solutions réelles tions, il se peut que la réponse soit : « Dans
et deux solutions complexes. Il n'en propose le domaine où vous recherchez des solu-
pas des expressions formelles, puisqu'elles tions, vous n'en trouverez pas! ». En mathé-
n'existent pas, mais il les écrit sous forme matiques, établir « Ce problème n'a pas de
approchée quand on le lui demande : solution » est une faço n parfaitement satis-
x 1 = 1,388 79198440725 ... faisante de le résoudre ... pourvu que !'insolu-
X2 =-0,33473414 1943352 ... bilité soit démontrée. De plus, se dégager de
X3 = -1 ,21464804269846 ... !'insolubilité en introduisant de nouveaux
équation faisant intervenir une énuméra- ici pour avoir des suites de nombres
tion de machines élémentaires. C'est un rationnels).
nombre parfaitement défini, dont on peut L'équation dont !l est solution est donc
approcher la valeur en menant des calculs, insoluble en ce sens qu 'aucune méthode
ce qui d'ailleurs a été fait en 2002 par Cris- ne sera jamais efficace pour en calculer
tian Calude, Michael Dinneen et Chi-Kou la solution même de manière approchée.
Shu. Cependant, cette résolution d'équation Cette forme d 'insolubilité pratique que
est déconcertante pour une double raison. la théorie du calcul et la logique mathé-
- On sait produire des suites de nombres matique nous offrent ici est loin d'être la
rationnels (r,) ayant !l pour limite, mais seule que le xx• siècle a mise en évidence.
on ne sait pas dire jusqu'où il fa udrait aller Elle prolonge les résultats d'insol ubilité
dans la suite pour avoir une erreur infé- de Ruffini, Abel et Galois .
rieure à 1/ n par exemple. En calculant (rn)
on est certain qu 'on s'approche, mais il
est impossible de proposer des évalua- • Des algorithmes
tions de l'erreur qui tendent vers O quand pour toute équation?
n augmente. Nous qualifierons cependant tous ces cas
- On sait que toute suite de nombres d'insolubilité de bénins : on sait que l'équa-
rationnels (r,) calculée par algorithme tion n'a pas de solution ou on sait que, du
et approchant !l le fait plus lentement fait de sa nature, elle a des solutions qu 'on
que n'importe quelle suite calculable de ne connaîtra que de manière approchée et
nombres rationnels s'approchant de O. La même parfois sans pouvoir contrôler l'er-
convergence vers O de l'erreur est assurée, reur, mais au fond, l'équation est quand
mais elle sera toujours plus lente que celle même traitée. Ce qui importe pour le
de l/n, plus lente que celle de 1/ [ln (n) J, mathématicien et encore plus pour l'ingé-
plus lente que celle de 1/ [ln (ln (n)) J, etc. nieur qui perfectionne les programmes
([xj désigne la partie entière de x, utilisée de calcul forme l est la mise au point de
n bon paradoxe est un paradoxe dont prescrire pour soigner les patients atteints
U on ne réussit jamais à se débarrasser.
Quand vous croyez en avoir trouvé la clef,
de la maladie.
Mais en analysant plus en détail les données
une remarque vous fait découvrir que et en considérant le sexe des personnes ayant
rien n 'est résolu. Les paradoxes de Zénon participé aux tests, on a une surprise : parmi
à propos de l'impossibilité du mouve- les hommes, le placebo réussit mieux que le
ment sont de tels paradoxes. Mais le plus médicament, et il en va de même parmi les
élémentaire de tous est le paradoxe de femmes . La somme des deux tableaux 2 et 3
Simpson dont on imagine des solutions ... redonne bien le tableau 1.
qui conduisent à d'autres paradoxes !
Sans cesse, des scientifiques et des utilisa- Total Guéri Non guéri Taux de guérison
teurs de statistiques tombent dans les pièges
Médicament 40 40 50 %
qu'il tend. Chaque année, paraissent des
articles qui tentent de déterminer son sens Placebo 32 48 40%
profond et la façon dont on doit le traiter. 2
Malgré cette littérature abondante, il n 'est Hommes Guéri Non guéri Taux de guérison
pas certain que l'on détienne une solution Médicament 60 %
36 24
entièrement satisfaisante pour se libérer de
Placebo 14 6 70 %
cette récalcitrante absurdité.
Imaginons la situation suivante. On mène 3
des tests en double aveugle sur un nouveau Femmes Guéri Non guéri Taux de guérison
médicament traitant une maladie grave. On Médicament 4 16 20 %
a traité 160 patients, dont 80 ont reçu le Placebo 30 %
18 42
médicament, et les 80 autres un placebo.
Le taux de guérison varie selon que l'on
considère les malades ayant pris le médica- Les trois tableaux sont compatibles, aucune
ment ou ceux ayant pris le placebo (voir le erreur ne s'est produite. Les résultats sont
tableau 1 ci-contre). Parmi les 80 patients sans appel : chez les hommes, le placebo
ayant pris le médicament, 40 ont été est meilleur que le médicament ; chez
guéris (50 % ). Parmi les 80 patients les femmes, le placebo est meilleur que
ayant reçu le placebo, seuls 32 ont été le médicament. Pourtant, en regroupant
guéris (40 % ). Ces résultats suggèrent que hommes et femmes, le médicament pro-
le médicament est efficace. Il faut donc le duit de meilleurs résultats que le placebo.
simples de jeux de données présentant de jeux de huit entiers pris entre 1 et n véri-
la prétendue anomalie. En imposant aux fiant les inégalités du paradoxe (ou les inéga-
variables d'être des entiers entre 1 et 4, lités inverses qui sont aussi paradoxales) tend
on trouve pour les huit paramètres quatre vers 0,9606 % quand n tend vers l'infini.
solutions qui sont:
(1, 2, 3, 4, 4, 2, 3, 1) (1, 3, 2, 4, 4, 3, 2, 1)
(4, 2, 3, 1, 1, 2, 3, 4) (4, 3, 2, 1, 1, 3, 2, 4 ). • Comment raisonner?
Lorsqu'on impose aux variables d'être des
entiers entre 1 et 5, le nombre de solutions Tout n'est cependant pas réglé pour autant
explose: il y en a 232. Pour l'intervalle de et, dans la réalité, un médecin face aux
1 à 6, il y en a 1 370. Pour les intervalles données des trois tableaux indiqués doit
suivants, le nombre de solutions est 8 126, prendre une décisio n : oui ou non, faut-
puis 28 252, puis 86 140, etc. La proportion il prescrire le médicament qui semble
5 8
Veux foncés Guéri Non guéri Taux de guérison F.yeux clairs Guéri Non guéri Taux de guérison
Médicament 20 20 50 % Médicament 1 7 12,5%
Placebo 16 24 40% Placebo 10 22 31 ,25 %
6 9
H.yeux clairs Guéri Non guéri Taux de guérison F.yeux foncés Guéri Non guéri Taux de guérison
Médicament 19 13 59,375 % Médicament 3 9 25 %
Placebo 6 2 75 % Placebo 8 20 28,57%
ass ure que dan s la catégorie 1, le taux de Ce type de partages est certes artific iel,
réussite du placebo es t 100 %, et qu 'il ne mais il montre que le risque de paradoxe de
l'est pas pour le médicament. Dans la caté- Simpson est toujours présent : tout tableau
gorie 2, il n 'y a aucun patient que le médi- composé de données pas trop petites est
cament guérit (ils ont tous été m is dans la susceptible d'être séparé en deux tableau x
catégorie 1) et donc le taux de guérison créant un paradoxe de Simpson .
avec le médi cament est nul, ce qu 'il n 'est Argument 2. Il existe des situations que
pas pour le placebo puisqu'on a réservé l'on nommera «Double-Simpson », dont la
au moins un patient guéri par le placebo première a été découverte par Jean-Fra n-
pour la catégorie 2. Auss i bien dans la caté- çois Colonna, du Centre de mathématiques
gorie 1 que 2, le placebo sera donc stricte- appliquées de !'École polytechnique, où :
ment meilleur que le médicament. Si les - Le tableau 1 suggère que le médicament
coeffi cients du tableau 1 sont (2, 2, 2, 3), la est meilleur que le placebo.
méthode décrite donne (2 , 1, 1, 0) pour le - Les tableaux 2 et 3 suggèrent que le pla-
tableau 1 et (0, 1, 1, 3) pour le tableau 2. cebo est meilleur que le médica ment.
()~o~
duire), les consommateurs ont tendance un exemple frappant de conflit entre
à proliférer aux dépens des producteurs. niveaux de sélection. Les bactéries
L'oxygène de l'air est un exemple de bien productrices du bien commun sont les
commun produit seulement par certains bénéficiaires de l'ensemble du système 0,533 0,70 0,45 0,20
organismes et consommé par d'autres quand on les considère comme un tout,
qui ne le produisent pas. En 2009, des alors qu'à un niveau individuel (celui En vert, la proportion initiale de bactéries de type 1.
chercheurs de l'Université Rockefeller à auquel opère la sélection), elles sont En bleu, la proportion finale de bactéries de type 1.
New York Uohn Chuang, Olivier Rivoire, désavantagées, puisque dans chaque
Stanislas Leibler) ont créé et étudié groupe leur proportion diminue. paradoxal n'est pas seulement théorique,
une telle situation avec deux souches Grâce aux effets du paradoxe de mais doit être pris en compte par les spé-
de la bactérie Escherichia coli. L'une Simpson, un trait qui bénéficie à la popu- cialistes de l'évolution. Cette dynamique
des souches produisait un antibiotique lation considérée comme un tout peut doit être envisagée comme mécanisme
utile aux deux souches et l'autre en pro- ainsi se trouver sélectionné, bien qu'à un de sélection de traits individuels favo-
fitait sans le produire. Les chercheurs niveau individuel le trait soit désavanta- rables à la coopération et à l'altruisme.
ont composé plusieurs groupes de bac- geux. La chose est étonnante: ce qui est Utiliser le paradoxe de Simpson est l'une
téries, chaque groupe comportant les mauvais au niveau individuel se trouve des ruses que la sélection naturelle met-
deux types de bactéries. Une situation au total favorisé par l'effet mécanique trait en œuvre pour favoriser les traits
apparemment paradoxale est apparue : d'un paradoxe de Simpson. La réalisation coopératifs et faire ainsi émerger et pros-
les non-producteurs croissaient plus concrète de l'expérience par les cher- pérer des entités collectives d'individus
vite dans chaque groupe (ce qui n'est cheurs démontre que cet effet sélectif coopérateurs et solidaires.
- Les tableaux 4 et 5 suggèrent que le médi- est souvent dans une telle situation) réus-
cament es t meilleur que le pl acebo. sira à prendre des décisions à peu près sûres.
- JI existe deux jeux de données (tableaux On montre en effet que celui qui connaît un
6A-9A et tableaux 6B-9 B) compatibles tableau comme notre tableau 1 et le sépare en
avec les tableaux 1-5 et tels que pour deux catégories complémentaires ne tombera
chaque catégorie précise (il y en a quatre), sur des résultats opposés (tels les tableaux 2
ce que laissent suppose r les données A est et 3) qu'avec une probabilité de 1,92 %. De
l'inverse de ce que suggèrent les données B même, en fusionnant deux tableaux donnant
(voir l'encadré p. 11 9). des indications dans le même sens, la proba-
Cette poss ibilité de jeux A et B condui- bilité que le tableau résultant contredise les
sant à des prescripti ons opposées pour deux premiers est faible. De même encore, la
chacu ne des quatre catégories n'était pas probabilité que trois tableaux, dont l'un est la
connue avant les expériences numériques somme des deux autres, présentent un para-
de J.-F. Colonna. Elle établit définitivement doxe de Simpson est faible.
que dans certaines situations, celui qui veut La conclusion est que même si les cas où le
des certitudes absolues ne peut agir à cause paradoxe de Simpson se produit sont vrai-
du paradoxe de Simpson. ment gênants (c'est ce qu 'établit le « Double-
Heureusement, dans les cas que nous avons Simpson »), ils sont heureusement assez
envisagés, celui qui est prêt à prendre le risque rares. On peut donc prendre le risque... de ne
de se tromper (en médecine le prescripteur pas y penser !
e qui est simple peut se dire en peu le m athématicien ru sse Andreï Ko lmo-
C de mots et do nc ce qu i es t complexe
en demande beaucoup. Le hasard ne pou-
gorov et q uelques autres théoriciens, son
importance se confirme d'ann ée en année :
vant pas se résume r, il est incompress ible on l'utili se en physique pour défi ni r l'en-
et fourn it les ob jets les plus complexes. trop ie, e n biologie pour concevoi r des
Ces idées élémentaires servent de fond e- algorithmes de comparai son de séquences,
ment à la « t héori e algorit hmiq ue de l'in- en psychologi e pour mesurer la ca pac ité
format ion » ou théorie de la « complexité des humain s à reconn aître et simu le r le
de Ko lmogorov ». Créée il y a 50 ans par hasard, etc.
(on dit que n: es t transcendant, ou non puis démontre, au x1x• siècle, que l'on n'y de la quadrature du cercle
préoccupa beaucoup
algébrique), ce qui implique l'impossibi- parviendrait jamais. L'idée de la preuve
de grands esprits
lité de la quadrature du cercle. On a là un de cette imposs ibilité est intéressante, car dont Léonard de Vinci.
résultat de même nature que celui de l'irra- elle préfigure la notion de modèle, qui sera Il ne fut résolu qu'à lafin
tionalité de v2 : de même qu 'il s'est révélé très importante en logique mathématique. du XIX' siècle.
faux que tous les nombres soient rationnels Il s'agit de choisir un ensemble d'objets,
(des quotients de nombres entiers), il s'est certains étant nommés points et d'autres
révélé faux que tout nombre puisse s'écrire droites, et de choisir des relations entre
comme une solution d'une équation algé- ces objets qui correspondent aux axiomes
brique à coeffi cients entiers. de la géométrie. Si l'on construit un tel
Le cinquième postulat d'Euclide, l'axiome « modèle » où tous les axiomes de la géo-
des parallèles, a longtemps intrigué les métrie, sauf celui des parallèles, sont véri-
mathématiciens. Dans ses Éléments, fi és, et si l'on démontre que ce modèle ne
Euclide énonçait les axiomes de la géomé- conduit pas à des contradictions, alors on
trie de base, et l'un d'eux équivaut à dire aura prouvé que le postulat des parallèles
que par un point extérieur à une droite, il est indépendant des autres.
passe une - et une seule - droite parallèle Une telle construction a été donnée pour
à la droite initiale. Très étrangement, les la première foi s par Eugenio Beltrami
mathématiciens pensaient que cet axiome en 1868 : elle consiste à considérer une
n'était pas indépendant, mais devait pou- sphère, à nommer « point » tout coupl e
voir se démontrer à partir des autres. de points diamétralement opposés sur
Pendant près de vingt siècles, on a ainsi cette sphère, et « droite » tout cercle de
cherché des démonstrations du postulat des di amètre maximal sur cette sphère. On
• Des problèmes
encore ouverts ...
. La conjecture de Kepler empi lements utili sés, notamment, par les
affirme que les empilements Il ex iste toutes sortes de co nj ectures m athé-
marchands d'oranges : un empilement
les plus denses desphères matiques, et il y a m ême des livres entiers
de couches où les sphères sont disposées
identiques n'ont pas une qui énumè rent des prob lè mes non résolus.
densitésupérieure ànN18, qui selon un réseau carré, et un empilement
Certaines questio ns simpl es à formul er
est ladensitédes empilements de couches à réseau tri angulaire (voir ci-
réguliers représentés ici ou pa rticulière ment importantes sont
dessus). Ces deux empi lements ont la
(empilement fondésur un célèbres. Il y a quelqu es co nj ectures arith-
réseaucarré à gauche, sur mêm e densité, égale à rr/v 18, et il s'agit
métiques qui ont l'avantage de s'énoncer
un réseautriangulaire à de prouver que c'est la densité m aximale. fac ile ment ; elles peuve nt paraître anec-
droite). Unepreuve longueet Ce problème est posé depui s le début du dotiques, mais elles ne le sont pas . L'une
complexe en a été proposée XVII e siècle. En 1998, le mathématicien
en1998. Pendant longtemps, d'elles es t la conj ecture des nombres pre-
des doutes ont persisté sur américa in Thomas Hales a fourni une m ie rs jumeaux : on pe nse qu 'il existe une
la validitédecettepremière démonstration de la conj ecture de Kepler, infinité de paires de no mbres premie rs
preuve. Le10 août 2014, Hales travail qui incluait de nombreux calculs jumeaux, c'es t-à-di re de paires de nombres
et sonéquipe ont annoncé com plexes réalisés par un o rdinateur et que pre mi ers do nt la différence est égale à 2
qu'une nouvelle preuve
validée par ordinateur ne l'on ne peut vérifier à la main. Or les pro- (des paires telles 17 et 19, 59 et 61,82 7 et
laissait plus dedoute sur la grammes utili sés dans ce cas sont suscep- 829, ...). De plu s, la décroi ssa nce observée
véritédurésultat. tib les de commettre des erreurs, d'où une des no mbres pre mi e rs jumeaux parmi
donc la fa briq uer ex près pour que l'écar- ho rizo ntalement et d'une façon stable su r
tement entre les pieds soit le bon, c'est- le mon ti cu le où l'on sou haite p ique-niq uer.
à-d ire égal au côté du ca rré inscri t sur la Reve no ns au problème in itial d'un carré
courbe de n iveau choisie. Heureuse men t, aya nt ses quatre coins sur une courbe.
si la surface du monticule est assez régu- Précisons que nous d iro ns « inscri t sur la
li ère, le côté du ca rré inscrit variera de courbe » mêm e si d'autres intersections du
mani ère co nti n ue en parcou ra nt les lignes carré avec la cour be se produi sent et que
de ni vea u, et o n aura donc le résu ltat plu s celu i-ci sort donc de la zo ne intérieure déli-
intéressa nt e n pra tique : toute table à base mitée par la courbe. Pou r ex pliq uer la situa-
carrée don née et assez haute, do nt les pieds tion et la mul titude de résultats démon trés
ne so nt pas trop éca rtés, pourra être placée auto ur de la conjecture de Toepli tz, il faut
La situation aujourd 'hui est donc indéter- on a démontré la conj ecture recouvre nt
m inée, et il n'es t pas exclu qu e les courbes la grande majorité des courbes qu e les
fermées s imples du pla n qui co ntie nnent mathémati cie ns envi sagent, mais que
les qu atre coins d 'un ca rré constitue nt un cette partie pourrait malgré tout être
sous-en se mbl e « m aigre » de l'en se mble infime (« mai gre» ).
de toutes les courbes fermées simples. L'apparente contrad iction ti ent à ce que
La notion de « sous-e nse mbl e maigre » les mathématiciens étudient en priorité
(allez voir la définition de Wikip édia ... ) les courbes réguliè res et que ce lles-ci
exprime l'idée de rareté dans le contexte ne sont pas rep rése ntatives des courbes
topologique des ensembles de courbes qu 'on rencontrerait si o n les choi sissait au
continues. Ell e a une certaine analogie h asa rd.
avec le fait que les nombres rationnels La situation est assez analogue à cell e
(rapports de deux enti ers) sont rares dan s des nombres réels calculables, nombres
l'ense mbl e des nombres réels. Il est amu- pour lesquels il existe un algorithme qui
sant de constater qu e les cas pour lesquels en énumère indéfi niment les décimales.
Les nombres calculables constituent une moins un rectangle inscrit. Cet te propriété
partie infime des nombres réels (c'es t un est démontrée en quelques lignes.
ensemble qui a autant d'éléments qu 'il y a Et dans l'espace à trois dimensions, une
d'enti ers, alors qu 'il y a plus de nombres courbe fermée simpl e conti ent-elle tou-
réels que d'entiers), ce qui n 'empêche pas jours un rectangle inscrit ? Non, un
qu'il a fa llu attendre Alan Turing pour réa- contre-exemple a montré qu 'il existe des
li er en 1936 qu 'il existait des nombres courbes de l'espace ne possédant aucun
non calculables et en dés igner un ! rectangle inscrit (et donc aucun carré in s-
À défaut de faire avancer directement crit). Un résultat de 199 5, positif cette
l'énigme récalcitrante de Toeplitz, on fois , de Mark Nielsen et S. Wright établit
tente de comprendre ce qui se passe dans que dans l'es pace, toute courbe fermée
des situations mathématiques proches.
simple symétrique par rap port à un plan
Que dire des rectangles, des tri angles, des
ou symét riqu e par rapport à un point pos-
losanges ? Que deviennent ces questions
sède un rectangle inscr it.
quand on passe du plan à l'espace ? Que
Et pour les triangles ? La réponse est caté-
deviennent ces questions en géométrie
gorique : toute courbe fe rmée simple du
discrète où l'on envisage des courbes com-
plan possède au moins un triangle équila-
posées de pi xels en nombre fini (seules
téral inscrit.
courbes que l'informatique considère) ?
Ce résultat se générali se à un triangle quel-
conque : si T est un tri angle fixé, et que
C est une courbe fermée simple du plan,
• Remplacer le carré
alors C contient au moins les trois som-
par un rectangle, mets d'un triangle semblable à T. En fa it,
un triangle, un losange M. Nielsen a indiqué en 1992 qu 'il existe
Comme nçons par rendre le problème plus une infinité de points de la courbe qui sont
faci le en rem plaça nt le carré recherché par sommets d'un triangle semblable à T ins-
un rectangl e. Cette vers ion a été résolue crit dans C et que ces points forment un
par Herbert Vaughan en 1977 : toute sous-ensemble dense de la courbe : entre
courbe fermée simple du plan contient au deux points différents de la courbe, aussi
• Carrés inscrits
sur courbes pixellisées
Les travaux de Feliu Sagols et Raul Marîn,
de l'Institut polytechnique national du
Mexique, auront peut-être des applica-
tions puisqu'ils concernent les figures
dessinées avec des pixels et que des algo-
rithmes de calculs des carrés inscrits ont
été proposés.
ser1eusement
Certains événements astrophysiques majeurs tels
que la naissance de trous noirs ou les mouvements de certaines étoiles
pourraient-ils être contrôlés par des intelligences supérieures?
pense plutôt à une collection d'un grand Capter l'énergie ém ise par une étoile, sans
nombre d'obj ets en orbite autour de l'étoile en lai sser s'échapper trop, c'est très bien,
concernée, dont la totalité cache l'étoile et m ais la m atière d'une étoi le est auss i de
en capte toutes les émi ss io ns, ou au moins l'énergie. Auss i, on im agine qu'une civili-
une partie importante. sation avancée de niveau V sur l'échelle de
Une civili sation réuss issant la co nstruction ). Barrow, m aîtrisant les états très denses de
d'un tel ensemble serait une civilisation la matière, souhaiterait s'en emparer rapi-
de type li sur l'échelle de N. Kardas hev. Le dem ent sans avoir à attendre les mi lliards
spectre émis par une telle sphère, absorbant d'an nées nécessaires pour que l'ém iss ion
l'essentiel du rayo nnement de l'étoile enve- naturelle de l'étoi le la rende di sponible.
loppée, sera it nécessairement très différent Peut-on concevoir d'autres moyens d 'uti-
liser rapidement et effi cacement l'énergie
des spectres connus des étoi les nues. On
d'une étoi le et qu 'adopterait une civilisa-
serait donc en mesure de les détecter de très
tion avancée ? C'est une idée que C. Vida l
loin. Pour F. Dyso n, les émiss ions infra-
étud ie en détail.
rouges de ces hyp othétiques sphères méri-
teraient d'être recherchées pour détecter
d'autres civi li sation s éventuelles. L'idée
a été suivie plu sieurs fo is. En parti culier, • Aspirer
des recherches menées par le Fe rmilab, la matière de l'astre
aux États-Unis, explorant 250 000 sources L'observation de certains systèmes astrono-
d'é mi ss ion, ont conduit en 200 9 à repérer miques doubles, en particulier impliquant
17 sources infrarouges compatibles avec ce un trou noir et une aut re étoi le, suggère
qu 'on imagine que produirait une sphère d'intéressantes questions sur ce thème.
de Dyson. Aucune n'a encore été confirmée L'éto ile y est as pirée par un mécanisme
comme prove nant d'u ne civi lisation d'accrétion progressive et parfo is irrégu-
extra terres tre. lier, comme s'il était piloté. L'ense mble
permet d'accéde r à une part importa nte plus élevée et en utili sant une matière plus
de l'é nergie de l'éto ile sans attendre qu 'elle dense que celle de la Terre, est bien évidem-
s'e n li bère par é mi ss ion spontanée. Par ai l- ment une spéculation. Elle mérite d'être
leurs, certains sys tèmes doub les émettent précisée, mais pourquoi se l'interdire? La
des jets de matière et de rayonnement suggestion de C. Vidal, que certains sys-
comme s' il s évac ua ient une sorte de déchet. tèmes bina ires observés depui s longtemps
La form e optimale de consommation de par nos télescopes ont des propriétés ther-
l'énergie d'une éto ile ne ressemble rait-ell e modynamiques évoquant des systèmes
pas à cela? La m atière serait utilisée petit vivants pourraient être des civili sations
à pe ti t, e t ce qui est expu lsé corres pond ra it ava ncées, n'est donc pas plus absurde que
à l'évacuati on de l'entropi e. C Vidal insiste les sphères de F. Dyson.
sur l'a nalogie the rmody namique entre un C. Vidal propose de nommer « stari vo res »
tel systè me et le métabolisme des êtres ces civili sations qui mangent les étoil es.
vivants que nous connai ssons. Un autre indice qu' il avance en fave ur de
Bien sûr, pour arriver à de telles form es, la l'idée que nous voyons depu is longtemps
vie hypothétique constituant ces systèmes ces structures art ifi ciell es es t fond é sur
doub les serait très différente de celle sur la g rande variété des sys tèmes doubles
Terre, fond ée sur la chimie du carbone. connus. Aujourd'hui enco re, on découvre
F. Dyson lu i-même et d'autres ont depuis des systèmes binaires qui se présentent
longtemps suggé ré que la vie pourrait sous des form es in attendues... comme
exister sous des form es très différentes de lo rsque nous découv rons de nouveaux
la nôtre. Il n'est pas absurde d'imaginer de êtres vi va nts sur Terre !
tels types exotiques de vie, que justement Une caractéri stique de tous les êtres viva nts
des civilisations avancées sur l'échelle de est qu'ils manipulent de l'information. Celle-
). Barrow maîtriseraient et créeraient. ci est au cœur de leur reproduction (l'infor-
L'existence de ces systèmes vivants fon ction- mation gé nétique), de leur action sur leur
nant sur un rythme temporel sensiblement environnement (l 'inform ation à l'œ uvre dans
plus rapide que le nôtre, à une température notre système nerveux, dans l'orga nisation
et donc scientifiqueme nt, qu i exige qu 'on percevons qu 'une infime partie, se rait en
le tra ite expérimentaleme nt à l'aide de fa it composé d 'une mu ltitude d'un ivers
tests, pa r exem ple en sim ul ant d'autres para llèles, la plu part n e donna nt pas nais-
mondes phys iq ues. Malheureusemen t, ce sa nce à de la vie et causale me nt séparés du
type de simu latio ns es t au jourd 'hui hors de nôtre et les un s des autres. Nous n'avons
portée. Reste que si, comme de nombreux pas à être étonnés de vivre dans un uni-
cosmologistes le défendent, il y a vraiment vers spécialement ajusté à la vie, car sinon
un ajustement fin des para mètres fonda- nous n 'ex isterions pas! Ce mode de raison-
me ntaux de l'univers assu rant l'appa ri- nement co ntroversé dénommé principe
tio n de la vie - et pas seu lement des trou s anthropique est exam iné par C. Vida l, mais
noirs -, alo rs la sélection naturell e entre comme il se fo nde sur l'idée des un ivers
un ivers (envi sagée par L. Smoli n) n 'en multi ples qui est probablement impos-
fo urni t pas de bonne exp li cati on. Il fa ut sible à teste r, il ne sédui t pas C. Vidal,
trouver autre chose. qu i in trodu it et défend une variante de
Une alternative es t celle des univers m ul- l'idée de L. Smoli n : la sé lection artifi cielle
ti ples. L'univers global, dont nous ne d 'uni vers.
M = 1,50
,.ffl
/ i:::,e:,
, 1,
\
J 1\
/ 1\
/ ~
m
J
1/ \
)
0,80 '....___....
.1 \ \ 1/
--
r\ 1)
--
0,58 0,30
0,50 0,58
0,58
George Birkhoff a construit une mesure M axe vertical, en fixe la forme. Il mesure la ce qui est ennuyeux puisque les arti-
de l'esthétique sur la base de son idée que complexité de la courbe par le nombre de sans ne réalisent pas les modèles avec
M doit être de la forme 0/C où O est une ses points singuliers : extrémités, points une parfaite exactitude. Cela a conduit
mesure d'ordre et C une mesure de com- d'inflexion, points anguleux, points où la à définir une variante de la mesure
plexité. Il a donné une définition précise tangente à la courbe est horizontale ou de Birkhoff ([ Staudek, On Birkhoff's
de ces deux paramètres dans le cas de verticale. Ce nombre est la complexité C. aesthetic measure of vases, Faculty of
formes polygonales. Plus M serait grand, L'ordre 0, lui, est déterminé en calculant lnformatics, Masaryk University Report
plus le polygone serait beau. Birkhoff a les coordonnées des points singuliers et Series, FIMU-RS-99-06, 1999).
appliqué sa méthode à 90 polygones. Les en comptant combien de fois deux coor- La mesure de Birkhoff pour les vases a
résultats pour quelques-uns d'entre eux données sont égales ou dans un rapport été utilisée récemment pour créer aléa-
sont indiqués en [a]. de 1 à 2. Cette mesure est appliquée à huit toirement, à l'aide de programmes, de
A la page 78 de son livre sur la mesure exemples de vases chinois [b]. Birkhoff a nouvelles formes de vases et les classer
esthétique, Birkhoff exprime son admi- utilisé sa mesure pour imaginer de nou- (K. Reed, «Aesthetic measures for evolutio-
ration pour une forme particulière d'art veaux vases (c). nary vase design ». dans Evolutionary and
géométrique: «L'excellence des vases Depuis, on a montré que la mesure pro- Bio/ogically lnspired Music, Sound, Art and
chinois, et plus généralement de la poterie posée par Birkhoff pour les vases est Design, Springer, Lecture Notes in Com-
chinoise, est bien connue. R. Hobson dans sensible aux petites déformations, puter Science, vol. 7834, pp. 59-71. 2013).
son livre sur l'art chinois écrit "Nulle part
ailleurs sans doute, la suprématie de
la Chine est autant marquée que dans
les arts de la céramique. Les agréables
formes de la poterie rang, les fines por-
celaines monochromes des Sung et les
magnifiques jarres à trois couleurs des
Ming sont des choses inégalables". Il est
notable aussi que les Chinois aient utilisé
des dessins de vases totalement symé-
triques, produisant une intéressante
variété de motifs géométriques. »
Birkhoff a tenté de mesurer la qualité
esthétique des vases à partir de sa for-
mule. Pour lui, un vase est déterminé par
une courbe qui, en tournant autour d'un
Le cerveau humain est bien trop apte à Nous allons aujourd'hui constater, sur
discerner des structures ; sans des outils quelques situations géométriques, que, pour
statistiques rigoureux, nous sommes un humain, jamais rien n'est vraiment au
désarmés, tels des animistes attachant hasard. Certains des résultats mentionnés
une signification au moindre souffle d'air. ont été découverts dans le cadre d'activités
Greg Egan, Vif Argent, 1995.
de recherche financées par les militaires
canadiens. Ceux-ci pensent que la connais-
sance des biais logiques et géométriques
de fonctionnement de notre esprit, lorsque
L1 esprit ~umain explore et. analyse ,ins-
tantanement tout ce qm passe a sa
portée. Rien n'est, pour lui, indifférent ou
nous poursuivons un fugitif, améliorerait
l'efficacité de nos stratégies de traque. Si par
exemple, le fuyard se cache quelque part sur
banal : il classe, trie, organise, hiérarchise.
un terrain plat rectangulaire - une forêt, un
Cette efficacité dans la recherche de régula-
marais, etc. -, on pourrait grâce aux résultats
rités ne cesse de surprendre les chercheurs
de ces travaux faire mieux que rechercher
en sciences cognitives qui découvrent les
systématiquement quels sont les endroits
capacités de nos algorithmes internes.
qu'il est susceptible d'avoir choisis et, cela,
Ceux-ci nous permettent, par exemple, de
même si on sait que le fugitif sait qu'il est
repérer des corrélations complexes dans poursuivi et que nous raisonnons sur ses
une figure (voir figure en haut à droite). choix. Cependant bien sûr, les travaux sur
Ce travail du cerveau, effectué sans relâche le hasard humain ont principalement pour
et sans que nous en ayons conscience objet d'améliorer notre connaissance de
sur toutes les informations que reçoivent cette machine formidable et mystérieuse
et élaborent nos sens - lesquels ne sont qu'est le cerveau.
jamais de simples récepteurs -, a quelques
contreparties défavorables. L'une d'elle est
l'étonnante infirmité que nous présentons • Tous les points
tous face aux tâches de production d'aléas.
ne se valent pas
Les chercheurs connaissent l'irrépressible
biais d'alternances - quand nous tentons John Christie, du Département de psy-
de produire une suite aléatoire de pile ou chologie de l'Université de Dalhousie au
face, nous exagérons la proportion d'alter- Canada, place les sujets devant un carré
nance PF ou FP par rapport aux répétitions blanc ou un disque, et leur demande de
PP ou FF - et l'étrange biais de positivité - si marquer par une croix dans la figure un
on demande à 100 personnes de choisir au point choisi au hasard. Les sujets doivent
hasard un des deux mots OUI ou NON, plus ensuite indiquer un deuxième point, puis
de 60 pour cent choisissent oui. un troisième.
• Points d'attraction dans les formes géométriques. figure ; ensuite toutes les réponses sont superposées. le devraient. Dans le cas du cercle, un biais semblable
Les expériences menées par John Christie montrent Pour le carré, les points géométriques particuliers se produit. Les histogrammes montrent aussi une
que les points à l'intérieur d'un carré ou d'un disque (centre, sommets, milieux des côtés) et zones légère préférence (statistiquement significative) en
ne sont pas, pour nous, équivalents. Chaque sujet particulières (axes de symétrie et diagonales] agissent faveur de la partie supérieure de la figure, un peu plus
est invité à marquer trois points au hasard dans une comme des attracteurs : ils sont choisis plus qu'ils ne souvent choisie que la partie inférieure.
â Ellipses, triangles, anneaux L'expérience réalisée avec des questionnaires particulière s'observe aussi vers les coins
et courbes. Les biais constatés imprimés et sur Internet a été effectuée avec (mais jamais exactement sur les coins, pour-
pour le cercle et le carré ont
602 personnes résultant d'un échantillon- quoi ?) et, à un moindre degré, près du milieu
été confirmés par l'étude
d'autres figures. Pour le nage rigoureux (même proportion de gau- des côtés. Un léger biais favorise la partie
triangle, l'axe vertical est chers et de droitiers que dans la population). supérieure qui reçoit plus de points que la
nettement privilégié. Le La superposition des points marqués par partie inférieure. Pour le cercle, les axes hori-
centre du triangle qui comme chaque participant produit des figures sur- zontaux et verticaux sont encore favorisés.
dans toutes les figures est un
prenantes qui ne ressemblent en rien à des De même, plus légèrement, les obliques à
attracteur puissant semble
être le centre de gravité (point points placés au hasard selon une loi uni- 45° et- 45° : même lorsqu'une figure comme
de concours de médianes). forme : les humains ne peuvent exécuter le cercle ne présente pas d'axes de symétrie
La préférence en faveur de la consigne et ne dessinent pas le nuage de horizontaux, verticaux ou obliques particu-
la partie haute de la figure densité uniforme recouvrant tout l'intérieur
(plutôt que la partie basse) liers, l'esprit humain « brise la symétrie »
est assez nette dans plusieurs du carré ou du disque, qui seraient alors
et plaque de telles directions sur la figure,
figures, de même qu'une apparus légèrement grisés.
comme pour s'y repérer. Dans cette partie
certaine préférence pour la Pourquoi, alors que la consigne était expli-
des tests, aucune différence significative n'a
partie droite (plutôt que la citement de choisir« au hasard », les sujets
gauche). Dans les deux cas, été observée entre hommes et femmes ou
favorisent-ils certaines zones et en évitent-
on interprète cela comme une entre droitiers et gauchers.
forme géométrique du biais de ils d'autres ? L'écart à la densité uniforme
Les points et zones privilégiées corres-
positivité : le haut étant jugé espérée est très net et significatif : il ne
pondent aux points et lieux géométriques
plus positif que le bas(«sa peut être attribué à des fluctuations aléa-
santé est au plus bas »,« il est que tout mathématicien considère comme
toires ou à un nombre trop faible de sujets
au sommet de sa forme »), la présentant de l'intérêt dans une figure
testés. Les emplacements proches du centre
droite que lagauche (« il est (centre, sommets, côtés, axes). Pour le
très gauche »,« il est adroit»). sont ceux qui attirent le plus et ils reçoivent
plus de deux fois plus de points qu'ils ne le cercle, ils correspondent aux lieux qu 'on
Pour les lignes (segments et
courbes), les zones choisies devraient ; à l'inverse, ceux proches du côté sera tenté de construire lorsqu'on voudra
semblent liées à la fois à horizontal en bas au tiers ou aux deux tiers étudier la figure en la dessinant sur une
la position relativement à feuille couverte d 'un quadrillage qui fera
ne reçoivent pratiquement aucun point
l'ensemble de la ligne (les
(voir figure en bas de la page précédente). apparaître le diamètre vertical, le diamètre
zones proches du centre et des
extrémités sont attractives) Dans le cas du carré, les points choisis sont horizontal, et suggérera les diamètres
et à la courbure (les zones de agglomérés en grand nombre près du centre, obliques. Ces points géométriques particu-
forte courbure, quand il y en a, le long des diagonales et sur les axes verticaux liers, qu 'on nommera points structuraux,
sont attractives).
et horizontaux du carré. Une concentration agissent irrésistiblement sur notre vision
Pseudo-bord
du d isque aléatoire, ou du carré aléatoire, des possibi lités, il est donc très particulier ;
et en déterminent l'organi sation. le 9 es t la dernière des possibilités ; 2, 4,
6, 8 sont des nombres pairs ; 3, 6, 9 sont
multiples de 3 ; 5 est un nombre très parti-
• Opposition avec culier pour nou s qui calculons en base 1O.
le hasard mental arithmétique Seul 7 éch ap pe à cette liste.
C'est donc le caractère « prototypique » du
Ces résultats évoquent ceux qu'on obtient 7 - il apparaît « plus banal » que n'importe
quand on dema nde à un suj et humain de quel autre - qui le fa vorise, car le sujet à
choisir un chiffre au hasard e ntre 1 et 9 qui on demande de choisir un chiffre au
( « hasard mental arithmétique » ). Dans un hasa rd essaierait sa ns en avoir con science
tel cas, la réponse obtenue est 7 da ns plu s de retenir un chiffre aussi quelconque que
de 30 pour cent des cas. Le détail des pro- possible et par un processus d'élimination
babilités est : mentale re jetterait le 1 très souve nt, le 2
1 : 3% ; 2: 5% ; 3 : 12% ; assez souvent, etc. Le 7 étant moins sou-
4: 9% ; 5: 12% ; 6 : 11 % ; vent re jeté se trouverait alors proposé dans
7: 32% ; 8: 12% ; 9: 4%. une plus grande proportion de cas, pro-
Soumis à une co nsigne de production d'un dui sant la répartition indiquée ci-dessus.
nombre ou d'un point au hasard dans un (Rappelons ici, en clin d'œ il , le petit pa ra-
domaine fixé, l'être humain en es t inca- doxe : être le plus banal transform e le 7 en
pable et effectue un choi x selon une di s- un nombre remarqu able, qui devrait être
tribution de probabi lités « huma ine » qui évité ... )
rend perplexe. Dans le cas géométrique, les points privi-
En y regardant de près, les résultats obtenu s légiés du hasard mental humain sont les
avec les points du carré ou du disque pos- points structuraux de la figure ou plus exac-
sèdent des propriétés inverses de ceux tement les zones proches des points structu-
obtenu s avec les chiffres de 1 à 9. En effet, raux. Ces attracteurs de la figure à l'inverse
l'interprétation acce ptée du bi ais en faveur du cas des chiffres sont particuliers et ne sont
du 7 es t qu 'il provi ent de ce que le chiffre 7 donc pas prototypiques. Les points que le sujet
es t le seul qui ne possède aucune propriété humain choisit de manière privilégiée dans le
particuli ère immédiate, ou qui en a moins cas géométrique sont les points géométriques
que les autres. Le chiffre 1 est la première saillants de la figure, qui, s'ils se comportaient
.
' • • # '• • .. • • ... • • .. •
• Consigne :« deviner ». Dans comme pour les chiffres, seraient au contraire bien les biais observés. Ce modèle suppose
ces deux séries d'expériences, systématiquement évités ! Les psychologues que, lors des expériences de choix aléatoires,
les sujets sont invités à
s'interrogent sur ce nouveau paradoxe. le processus mental se déroule en deux
placer trois points, chacun
à l'i ntérieur du carréou du Pour lever ce paradoxe, une première étapes. La première étape est influencée par
disque, à l'emplacement qu'ils remarque a été faite. Les expériences sur l'accessibilité des réponses possibles et là,
pensent être le plus souvent les mouvements oculaires de sujets à qui bien sûr dans les expériences géométriques
choisipar unsujet à qui l'on on présente une figure géométrique ont mis les points attracteurs sont privilégiés (il y a
demande de placer un point au
en évidence que l'œil s'arrête sur les points « forçage » par le système visuel d'explora-
hasard. Les figures obtenues
par superposition de toutes les structuraux de la figure - dont en priorité tion d'images) .
réponses donnent uneversion le centre -, points qui sont justement les Une seconde étape dite de « correction »
contrastée de celles obtenues attracteurs géométriques des expériences efface certains biais de la première phase
avec la consigne« placer au sur les points aléatoires. Tout se passe donc en modifi ant le choix qu 'on s'apprête à
hasard »: les sujets humains
ont une certaine connaissance comme si lorsque l'on demandait à un suj et effectuer. On peut alors formul er une
du biais en faveur des points de choisir un point au hasard, il analysait la double hypothèse : (a) Dans le monde
structuraux. figure en s'arrêtant sur les points que son sys- discret des 9 alternatives 1, 2, ... , 9, il n 'y
tème visuel le force inconsciemment à privi- a pas de moye ns simples de corriger des
légier, et choisissait alors le point à produire erreurs par de petites variations et, en
en conformité avec cette « densité d'atten- conséquence, les suj ets rejettent purement
tion » dont il n'a pas le contrôle. Un fonction- les alternatives non souhaitables (pos-
nement inconscient et irrépressible lié aux sédant des propriétés particuli ères évi-
algorithmes d'analyse d'images du cerveau dentes ). (b) Dans un monde géométrique
perturberait le choix des points aléatoires. continu, au contraire, le su jet peut modifier
Un complément assez subtil à cette analyse la réponse produite par la première étape
a été proposé qui éclairerait l'opposition en fa isant légèrement varier son choix,
paradoxale entre hasard mental géomé- mais en restant quand même proche des
trique et hasard mental arithmétique. L'idée réponses produites par la première étape.
est de s'appuyer sur la différence de nature Cette explication qui résout le paradoxe de
entre l'ensemble discret des entiers et l'en- la différence entre le hasa rd géométrique
semble continu des points d'une surface. et le hasard arithmétique, présente deux
S. Wiegersma, en 1982, a décrit un modèle avantages : d'une part, elle permet de com-
de production des suites aléatoires (nommé prendre pourquoi les points choisis sont
« forçage et correction ») qui explique assez souvent proches des points structuraux sans
rarement choisis). D'autre part, elle explique rectangle beaucoup plus large que haut, un Les sujets placent trois
points chacun, làoù ils
pourquoi les points structuraux apparaissent triangle isocèle, un anneau et des courbes ont
jugent le moins probable
globalement comme attracteurs. été proposés à des sujets qui devaient comme qu'un sujet humain placerait
Le biais en faveur de la partie supérieure du précédemment y place r un point au hasard des points«au hasard ».
dessin échappe à cette explication et semble (un seul cette fois}. Les distributions observées
Les résultats confirment ceux obtenus privilégient toujours les
d'une autre nature. Il est vraisemblable qu'il
points structuraux. Ce sont
correspond à un biais de positivité géomé- pour le cercle et le carré : un privilège est
cependant des distributions
trique : tout mouvement et tout point ve rs confé ré au centre et plus généralement aux plus proches d'une distribution
le haut étant considérés positivement alors points structuraux (défi ni s comme pour le uniforme. Même si les sujets
que tout point et tout mouvement vers le bas carré et le cercle). Le léger biais en faveur semblent collectivement avoir
de la partie supérieure confirme le biais de unecertainecompréhension
sont perçus négativement. Cette positivité des biais humains enfaveur
du haut, symétrique à la négativité du bas, positivité observé dans le cas du carré et des points structuraux, le
est attestée par de nombreuses expressions du cercle et en atteste la nature générale. pouvoir attractif de ces points
du langage courant : « Avoir le moral au Un biais en faveur de la d ro ite, assez net continue des'exercer sur eux,
dans plusieurs expériences, sem ble aussi mêmes quand ilstentent d'y
plus bas », « Ascension sociale », « Chute de
échapper.
popularité », « Des hauts et des bas », « Être une fo rm e géom étrique du bi ais de pos iti-
au sommet », etc. De même que nous choi- vité (la partie droite d'une fi gure, associée à
sissons plus souvent OUI que NON quand on la direction du mouve ment d 'écriture dans
nous demande de choisir entre OUI et NON notre civilisation européenne, est perçue
au hasard, nous choisirions un peu plus sou- plus pos itive ment que la partie gauche).
vent un point dans la partie supérieure du Le cas du triangle est intéressant, car la
dessin - considérée « positive » - que dans la notion de centre pour un triangle n'est pas
partie inférieure. unique. Il y a quatre candidats possibles :
le point de concours des hauteurs (ortho-
centre) ; le point de concours des médianes
(centre de gravi té) ; le point de concours
• D'autres figures ?
des médiatrices (centre du cercle circons-
Les expériences de ). Christie ont été complé- crit au triangle) ; le point de concours des
tées en 2004 par des expériences analogues, bissectrices (centre du cercle inscrit dans le
réalisées à l'Université de Metz, concernant triangle) ? Auquel de ces quatre points, le cer-
d'autres figures. Deux sortes d'ellipses (l'une veau soumit à une consigne de production de
L1 idée qu 'il exi ste plusieurs types d 'in- À cette époque, pour se consoler peut-être,
telligence séduit le grand public, certains ont remarqué que les meilleurs pro-
car elle évite à chacun de se trouver en grammes pour jouer au jeu de go étaient
un point précis d'une échelle absolue et d'une affligeante médiocrité. Les machines
parce que ch acun espère bien exceller jouent maintenant très correctement à ce jeu
dans l'une des formes d 'intell igence dont stratégique. En mars 20 13, le progra mme
la liste tend à s'allonger. Cette pluralité Crazy Stone du chercheur fra nçais Rémi
d 'intelligences a été proposée pa r le psy- Coulom de l'Université de Lille a battu le
chologue am éricain Howard Gardne r : joueur professionnel japonais Yoshio Ishida,
dans son livre Frame of Mind de 1983, il qui au départ de la partie avait laissé un ava n-
énu m ère h uit types d 'intelligence. Très tage de 4 pierres au programme. Depuis, en
cri tiquée, par exe mple par Perry Klein mars 201 6, le programme AlphaGo a battu
de l'Un iversité d'O ntario q ui la consi- Lee Sedol, considéré comme le meilleur
dère tautologique et non réfutab le, ce tte joueur de go au nivea u mondial. Des idées
théorie est à l'opposé d 'u ne autre vo ie de assez différentes de celles utilisées pour les
recherche affirmant qu 'il n 'existe qu 'une échecs ont été nécessaires pour cette victoire
sorte d 'intell igence à concevoir m ath ém a- de la machine, mais pas plus que pour les
tique m ent avec l'aide de l'informatique et échecs, on ne peut dire que l'ordinateur joue
de la théorie du calcul. comme un humain. La victoire de AlphaGo
est un succès remarquable de l'intelligence
artificielle, qui prouve d'ailleurs qu'elle
avance régulièrement.
• Dames, échecs, go
Le succès de l'i ntelligence artifi cielle au jeu
Évoquons d 'abord l'intelligence des de dames anglaises est absolu. Depuis 1994,
m achines et la discipline informatique aucun humain n'a battu le programme
dénommée « intell igence artificielle ». Il canadien Chinook et, depuis 2007, on sait
fau t l'admettre, aujourd'hui, les machines que le programme joue une stratégie opti-
réussissent des prouesses qu 'autrefoi s tout male, imposs ible à améliorer. Pour le jeu
le monde au rait quali fié d'intelligentes. d'échecs, on sait qu 'il existe aussi des straté-
Nous ne reviendrons pas sur la victoire gies optimales, mais leur calcul semble hors
définitive de l'ordinateur sur les meilleurs d'atteinte pour plusieurs décennies encore.
joueurs d 'échecs, consacrée en 1997 par la L'intelligence des machines ne se limite plus
défaite de Garry Kas parov (champion du aux problèmes bien clairs de nature mathé-
monde) fa ce à l'ordinateur Deep Blue, una- matique ou se ramenant à l'exploration d'un
nim em ent saluée comme un événement grand nombre de combinaisons. Cependant,
m ajeur de l'histoire de l'hu manité. les chercheurs en intelligence artificielle
Les êtres vivants sont des agrégats compli- par Arthur Burks qui, en 1966, les regroupa
qués de composants simples dans un livre célèbre : Theory of Self
et, selon toute théorie probabiliste Reproducing Automata. L'ouvrage a donné
ou thermodynamique raisonnable, naissance à une multitude de projets de
ils sont très improbables. La seule chose recherche.
qui explique ou atténue ce miracle Von Neumann cherchait à démontrer la
est le fait qu'ils se reproduisent : possibilité d'un robot autoréplicateur et
si, par accident, il en apparaît Stanislas Ulam lui suggéra d'étudier le pro-
un seul, alors les principes blème dans un monde abstrait simplifié. Le
des probabilités ne s'appliquent plus modèle retenu, aussi élémentaire que pos-
et il s'en produit beaucoup.
sible, fut celui des automates cellulaires. Ces
john von Neumann, Theory calculateurs abstraits élémentaires pavant
of Self-Reproducing Au toma ta, 1966.
un damier infini (voir la figure p. 181) ont
contribué à l'essor d'une discipline scienti-
AAA
A A
-AAA L'AUTORÉPLICATION MAîTRISÉE? ,;1 179
perspective de son époque et en prenant en pertinent pour la biologie, nous ne devrons
compte ses motivations liées à la biologie pas nous limiter à la définition naïve
qu'on mesure combien son étude est nova- suivante:
trice et constitue une percée scientifique de L'autoréplication, c'est lorsqu'un objet pré-
première importance. sent en un exemplaire unique dans l'uni-
Reprenons le problème de l'autoreproduc- vers se retrouve plus tard en plusieurs
tion. Pour qu'il ait un sens, il faut bien sûr exemplaires.
se donner un « monde » avec des « lois phy-
siques » précises qui fixeront le théâtre de
l'action. Cela peut-être le nôtre, ou cela peut • Réplication évidente
être un monde simplifié décrit par des règles
que le langage mathématique exprimera sans Quand les autoréplications sont le résultat
ambiguïté. Toutes sortes de modèles abstraits direct des lois du monde retenu, elles ne nous
sont en mesure de jouer ce rôle de « monde apprendront rien d'intéressant en biologie.
simplifié », mais celui des automates cellu- L'exemple le plus simple est celui de l'auto-
laires est particulièrement séduisant, pour mate cellulaire nommé trivial et défini par :
plusieurs raisons qui expliquent pourquoi il - Une cellule peut être dans l'état mort
fut retenu par von Neumann. (blanc) ou dans l'état vivant (bleu sur l'illus-
D'abord, les univers d'automates cellu- tration ci-dessous).
laires sont discrets (pas de variables conti- - Une cellule reste vivante à l'instant n + 1
nues) ; ils sont donc faciles à programmer si elle l'est à l'instant n ; une cellule passe de
et n'exigent pas des calculs approchés l'état mort à l'état vivant si l'une de ses huit
pour en suivre l'évolution. Autre qualité, voisines est vivante.
les interactions y sont, comme dans notre Partant d'une cellule vivante à l'instant 0,
univers, locales : aucune interaction ins- on obtient successivement neuf copies
tantanée à distance n'est possible ; de plus d'elle-même, puis 16, puis 25, puis 36, etc.
les lois qu~ l'on retient peuvent être d'une Cette autoréplication est conforme à la défi-
extrême simplicité. Enfin, on sait par nition naïve, mais elle est tellement simple
expérience que les automates cellulaires qu'elle ne nous apprend rien ! Dans notre
autorisent la simulation de nombreux phé- univers, les lois de conservation de l'énergie
nomènes physiques parfois complexes, et de la matière interdisent ce type d'auto-
au point qu'il a été envisagé, par exemple réplication. Il n 'est cependant pas impos-
par Konrad Zuse dès 1967, que notre uni- sible d'avoir des situations proches, où par
vers physique pourrait n'être, à un niveau exemple une particule et de l'énergie pro-
de détail très fin, qu'une sorte d'automate duisent deux particules identiques. Les
cellulaire. prions anormaux qui provoquent la maladie
Un modèle d'univers étant fixé, qu'est-ce de la vache folle se multiplient par contact
que l'autoréplication dans cet univers, et en transformant la molécule Prp-c (normale-
comment peut-on la définir pour mieux ment présente et sans effet nocif) en molé-
comprendre l'autoréplication des êtres cule Prp-sc (le prion anormal), tout comme
vivants ? Nous envisagerons plusieurs le fait une cellule bleue de l'automate trivial
idées et découvrirons progressivement qui transforme les cellules blanches qui
que, si nous voulons obtenir un modèle l'entourent. Notons que dans ce type d'auto-
réplication, seuls des objets élémentaires se
.
multiplient.
Un autre type d'autoréplication évidente,
cette fois par gros blocs, est possible dans
---- notre univers. Si l'on impose à l'univers
••
·--
1 2 3 4 5
--- -
1 1
•• •• • ••
• - -1 . . . . - ---
- --
--•1- --• •
--• • •
•• -1
1
• •• •
-
1 1
6
• • 7
•• • 9
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10
1
•
- -- ••
••
-
1 1
• 1
• •• •• ••
••
1 1 1 •
composants de son double dans son environ- véritable processus d'autoréplication, il faut _. John von Neumann autilisé
nement et les assembler. C'est ce qui se passe que l'objet qui se multiplie soit lui-même les automates cellulaires pour
démontrer la possibilité de
dans le monde vivant ; l'idée que des compo- complexe et ne résulte pas de l'assemblage
l'autoreproduction. Chaque case
sants sont disponibles et que s'autorépliquer, d'un petit nombre de composants complexes (ou cellule] carrée d'un damier
c'est les collecter et les assembler, n'est ainsi déjà là. En clair, à la définition naïve donnée infini porte le même petit
pas à exclure. précédemment, il faut ajouter : automate. Cet automate peut
Un cas extrême et facile à réalise r en robo- Pour qu'il y ait vraiment autoréplication, être dans un état pris panni
un nombre fini d'états fixés
tique est le suivant. Le robot A-Best formé l'objet qui se multiplie ne doit pas être trop àl'avance. !:évolution se fait
de deux morceaux A et B (par exemple simple et ne doit pas résulter de l'assem- selon un temps discret : l'état
une tête et un corps) qui, isolément, sont blage de quelques morceaux complexes pré- del'automate àl'instant n+1
inertes. Assembler deux éléments A et B sents dans son environnement. est déterminé par son propre
se fait facil ement, par exemple à l'aide Malheureusement, cette modification n'est état et ceux de ses voisins (par
exemple les huit automates
d'a imants qui, dès que A et B sont proches, pas encore satisfaisante. Ni dans un monde disposés autour de lui,ou une
les solidarisent. On suppose aussi que semblable au nôtre ni dans un monde d'au- autre combinaison fixée une
la mise en contact de A et de B met en tomates cellulaires, les nouvelles exigences fois pour toutes) à l'instant n.
marche le robot A-B. Le so l environnant ne gara ntiront une autoréplication sem- !:automate cellulaire le plus
cont ient des morceaux A et B, inertes, étudié est l'automate du Jeu de
blable dans sa logique à celle observée chez
la vie de John Conway :chaque
car isolés. On programme le robot A-B de les êtres vivants. cellule-automate est dans l'état
telle façon que, dès sa mise en marche, il vivant (bleu] ou mort (blanc) ;
recherche un morceau A et un morceau B, si une cellule est vivante et
pui s les assemble, ce qui donne alors un qu'elle est entourée de deux ou
• Autoréplication trois cellules vivantes elle reste
autre robot A-B, qui lui-même se met en
d'une structure complexe vivante,sinon elle meurt ;si
marche, etc. une celluleest morte et qu'elle
Certaines réali sations en robotique sont des Commençons par le montrer dans le cas est entourée de trois cellules
systèmes autoréplicateurs dans ce sens : le des automates cellulaires. Von Neumann vivantes, elle passe dans
robot assemble quelques pièces complexes l'ignorait (sinon il l'aurait mentionné), mais l'état vivan~ sinon elle reste
déjà présentes dans son environnement et il existe une famille d'automates cellulaires morte. On areprésenté ici les
dix étapes de la rencontre de
produit ainsi un double de lui-même. Les simples et remarquables qui ont la très éton- deux configurations glisseurs
cristaux, et peut-être même les virus, sont nante propriété suivante. [configuration se déplaçant en
autorépl icateurs dans ce sens. Quelle que soit la configuration placée seule diagonale) conduisant àleur
De telles autoréplications ne sont pas satisfai- sur le damier à l'instant 0, et même si elle annihilation mutuelle enonze
étapes.
santes pour décrire ce que l'on observe dans est complexe, en attendant suffisamment
le monde des êtres vivants évolués : dans un longtemps, on retrouvera la configuration
1
L A UTORÉPLICATION MAîTRISÉE? ,JI 181
a b C d e f
• Von Neumann a conçu une configuration parties : une machinerie qui commande et exécute son double (d, e, f]. Quand cette mise en place est
autoreproductrice si complexe qu'il ne put la faire la réplication, et un ruban qui contient sous forme terminée, la nouvelle machinerie est enclenchéeet
fonctionner à la main, ni avec les ordinateurs codée le plan de la machinerie. Ce ruban, assimilable se met à son tour à produire une copie de son ruban
disponibles à sonépoque. Il fallut attendre 2008 à un génome, est extrêmement long et représenté et d'elle-même. Plus de 50 ans après sa conception,
pour que cette configuration, légèrement simplifiée partiellement ici. L'autoréplication comporte deux il est ainsi possible d'admirer le spectacle de la
par Renato Nobili et Umberto Pensavento en 1995, phases : dans un premier temps, la machinerie lit duplication de la configuration autoreproductrice de
et mise enforme cellule par cellule par Tim Hutton, et copie le ruban pour enfabriquer un second placé von Neumann. Notons que bienque leJeu de la vie de
fonctionne dans un programme. Ce programme au-dessus du premier (a, b, c). Dans un second temps, Conway soit le plus étudié des modèles d'automates
nommé Gal/y a été élaboré par la communauté la machinerie exploitant les données du ruban à l'aide cellulaires et qu'on sache qu'il est possible de
des passionnés d'automates cellulaires (voir la d'une sorte de bras mobile (composés de cellules de fabriquer des configurations autoreproductrices avec
bibliographie}. La configuration de von Neumann l'automate] interprète ces données et place, une à lui, personne pour l'instant n'a suen concevoir uneet
(dans la version de Nobili-Pesavento) comporte deux une, toutes les cellules de la partie machinerie de la faire fonctionner.
.&. La Boucle de Langton et quelques étapes de Autrement di~ il faut imposer que la réplication
• Un schéma son évolution. L'autoreplication des automates se fasse en deux étapes :(a) copie d'un ensemble
génotype-phénotype de la figure p.178-179 ne fonctionne pas du tout d'informations en général présent sur un ruban
comme celle des êtres vivants, car notre univers et constituant le génotype ;{b) traduction de
C'est ce qu 'avait co mpri s von Neu mann, n'est pas un automate cellulaire de type Replicator ce codage en structure. L'ordre (a)-{b) peut être
et cela bie n avant qu e la structure de produisant systématiquement la multiplication inversé. C'est d'ailleurs le mode de fonctionnement
l'A DN n 'ait été découve rte. Le fon ctionne- de toute structure. Pour modéliser d'une de l'autoreplication du système proposé par von
ment de la co nfiguration autoréplicatrice, manière satisfaisante le type d'autoréplication Neumann. Peut-on faire plus simple dans le monde
observé dans le monde vivant, il faut exiger des automates cellulaires tout en respectant
qu e ce so it dans la ve rsion de Nobili -
qu'elle procède selonle schéma« génétique » : le schéma génétique ? Oui, et la boucle de
Pesave nto ou dans ce lle de Buckley, res- génotype +phénotype... génotype +phénotype. Christopher Langton (1984) en est lapreuve.
pecte ce sché ma géné tique « machinerie
+ ruban » (voir la fig ure en haut à gauche).
Il y a bie n l'équivalent d 'un gé nome dans
la configuration (la ligne horizontale
partiellement représentée). De plu s, lors
de l'autorép li cat ion, le ruban es t co pi é.
Ensuite, il es t lu e t traduit en une stru cture
en deux dime nsions : le plan de la « pho-
tocop ieuse » es t ex ploité pour co nstruire
une seco nde « photocopi euse » . Au fina l,
on ob ti ent deux fois le m êm e e nse mbl e
machine ri e + ruban .
Nou s compre nons pourquoi von Neu-
mann ne s'es t pas conte nté d 'un automate
ce llul aire de type trivial ou Replicator.
Mais, en imposant aux systèm es autoré-
pli ca teurs de fo nction ne r se lon le modèle
génét iqu e, peut-on e nvi sager plu s s imple
qu e son é norme e t très lente machine ?
• Boucles de Langton
Oui ! La découverte date de 1984 et est .&.les boucles évolutives. Les boucles de avec une seule boucle Evo/oop, on voit se
due à Christopher Langto n. Une boucle de Langton sont incapables de construire une dérouler une micro-évolution darwinienne.
86 cellules au départ est composée d'une grande variété d'autres objets et encore Dans un premier temps, la boucle se multiplie
moins capables de donner naissance à des sans presque changer. Quand l'espace [fini)
sorte de tuyau protégeant un « génome » . boucles d'une autre forme qui elles-mêmes devient insuffisant, les collisions entre boucles
En fonctionnant, cette boucle ém et une s'autoreproduiraient. Les recherches récentes provoquent des mutations des génomes et des
excro issance qui, en 150 étapes, engendre ont conduit à la mise au point de boucles boucles nouvelles apparaissent, parfois très
une seconde boucle à l'intérieur de laquelle pouvant construire un ensemble varié d'autres brièvement car elles ne sont pas viables. Dans la
objets complexes quand on en change le compétition pour l'espace, les boucles de petites
le génome de la pre mière a été copié. Ces
génome. Les boucles Evo/oop de Hiroki Sayama tailles. moins fragiles, tendent à dominer.
deux boucles en engendrent alors de nou- donnent naissance à des boucles de formes et Les dessins représentent quatre phases de
velles et, progressivement, tout le plan se de tailles différentes. Les formes créées sont cette évolution compétitive entre organismes
recouvre de copies de la boucle initialement en compétition. Dans un espaceensemencé simulés.
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