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Le lendemain, la presse italienne sort les grands titres.

Le M5S turinois serait « fracturé ». Les appels de
Dans le laboratoire du Mouvement Cinq
Beppe Grillo en faveur des Jeux – alors qu’il s’était
Etoiles à Turin engagé corps et âme contre la candidature olympique
PAR BENIAMINO MORANTE
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 4 AVRIL 2018 de Rome, ville pourtant dirigée par Virginia Raggi,
elle aussi du M5S – n’ont pas suffi. Des conseilleurs et
élus du Mouvement restent opposés à ces événements
coûteux, qu’ils jugent d’une autre époque. Pour la
maire Chiara Appendino, c’est un coup dur de plus
dans un parcours à la tête de Turin qui a été, dans sa
dernière année, semé d’embûches.

Reuters.
C’était en 2016 : la quatrième ville d’Italie élisait à sa
tête Chiara Appendino, 32 ans, issue du Mouvement
Cinq Étoiles de Beppe Grillo. Alors que le président
italien ouvre mercredi 4 avril des consultations pour
former un gouvernement, Mediapart s’est rendu à
Turin pour mieux comprendre l’ADN politique et le
bilan local du grand vainqueur des législatives de Chiara Appendino lors d'un meeting du Mouvement Cinq
mars. Étoiles à Rimini, le 23 septembre 2017. © Reuters / Max Rossi
Les choses avaient pourtant si bien commencé. Siège
Turin (Italie), de notre envoyé spécial.- Ce lundi
historique du constructeur automobile Fiat, la capitale
12 mars, dans la « salle rouge » du conseil municipal
du Piémont a toujours eu la réputation d’une ville
de Turin, la tension est palpable. Recroquevillés
industrielle au cœur « rouge ». Ici, depuis 1993,
sur leurs bancs, les conseillers du Mouvement
le centre gauche avait gouverné sans interruption
Cinq Étoiles (M5S) ont les traits crispés. Les élus
pendant 23 ans. Pourtant, cette idylle de façade
doivent s’exprimer ce jour-là sur l’éventualité d’une
entre les Turinois et leurs dirigeants politiques va
candidature de Turin aux Jeux olympiques d’hiver de
brusquement prendre fin en juin 2016, lorsque Piero
2026.
Fassino, cadre historique du Parti démocrate et maire
Mais avant l’ouverture des débats, Stefano Lo Russo, de la ville de 2011 à 2016, perd les élections au profit
membre du Parti démocrate (PD), a une requête : d’une jeune conseillère d’opposition du M5S, Chiara
vérifier que le quorum est atteint. Comme à l’école, Appendino, née en 1984.
l’appel est lancé. Après une poignée de minutes,
Contrairement à la victoire de Virginia Raggi à Rome
le verdict tombe, cruel. Quatre conseillers rebelles
(qui a eu lieu le même jour mais qui avait été
du Mouvement Cinq Étoiles, opposés au projet
amplement annoncée), le succès du M5S à Turin
olympique, ont boycotté la séance. Sans eux, le vote
représente pour la presse italienne une véritable
ne peut pas avoir lieu.
surprise. Interrogé par Mediapart, Andrea Rossi,
journaliste au quotidien turinois La Stampa, insiste

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sur l’existence d’une fracture sociale, qui se serait
développée dans les années 2000 et dont le PD n’aurait
pas su mesurer l’ampleur.
« Pendant 20 ans, sous les gouvernements de la
gauche, Turin s’est métamorphosée. D’une ville à
vocation industrielle, son spectre s’est élargi, en
misant sur la culture, le tourisme et l’innovation. Il
fallait compenser la crise industrielle, explique Rossi.
De la Turin grise et ouvrière, on est passé à la
Turin vive et pleine d’initiatives. Le problème, c’est
qu’une partie de la ville s’est demandé ce que cette
transformation lui avait apporté… Les banlieues se
sont senties exclues de ce processus. » En femme
politique habile, Chiara Appendino va jouer de ce
sentiment d’insatisfaction latente pour faire passer son
message.
« Il y a eu un moment où Chiara Appendino a gagné
médiatiquement ces élections, se souvient Andrea
Rossi. Lors du duel télé avec Fassino [voir la vidéo
ci-dessous], elle cite un chiffre de Caritas [l’ONG
chrétienne de lutte contre la pauvreté – ndlr] qui parle
de 100 000 pauvres dans la ville. Fassino nie, en
répétant que Turin n’est pas pliée par la crise. Mais
la vérité c’est que dans une ville encore fortement
industrielle comme Turin, la crise de 2008 a été
dévastatrice. » Selon un rapport du centre d’études
Enaudi, Turin est « la ville d’Italie dont le pourcentage
de chômage chez les jeunes a le plus empiré » sur la
période 2011-2016, avec un taux supérieur à 50 % en
2016 pour les 15-24 ans.
Le 19 juin 2016, lors du second tour des élections,
54 % des Turinois lui accordent leur confiance.
Des électeurs issus en grande partie des banlieues
turinoises, jadis bastions de la gauche, qui se colorent
du jaune du Mouvement Cinq Étoiles. Quelques jours
plus tard, la nouvelle édile présente son équipe. Parmi
ses 11 adjoints, pas de « Grillini », mais des profils
techniques, censés rassurer la population. Seul engagé,
Marco Giusta, président sortant de l’Arcigay de Turin
(association italienne qui œuvre en faveur des droits
LGBTI), devient adjoint à la famille, aux politiques
pour les jeunes et aux banlieues.
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Pour comprendre le positionnement idéologique du
nouveau maire, il faut plutôt passer au crible les 24
conseillers municipaux élus en 2016. Un bataillon
d’illustres inconnus, que Fabrizio Ricca, conseiller
d’opposition de la Ligue du Nord (extrême droite,
en coalition avec le parti de Silvio Berlusconi aux
élections générales de 2018), dépeint ainsi : « Le
Cinq Étoiles, à Turin, c’est clairement un parti de
gauche. Les conseillers protègent les centres sociaux
contestataires de la ville comme l’Askatasuna ou le
Gabrio, car ils viennent de ces endroits-là. Ce n’est
pas comme à Rome, où l’on me dit que le mouvement
tend plutôt à droite. »
Stefano Lo Russo, chef de l’opposition du PD, n’est
pas loin de penser la même chose que son collègue de
la Ligue. « Le Cinq Étoiles à Turin, c’est beaucoup de
choses différentes. Il est vrai que le conseil communal
a une empreinte davantage “contestataire”, liée aux
mouvements NO-TAV [l’opposition à la construction
de la ligne ferroviaire Lyon-Turin – ndlr]. Mais le
Mouvement a aussi présenté des personnes proches de
la Ligue du Nord et de l’extrême droite xénophobe aux
élections. »
Une mairie « plus pragmatique
qu’idéologique » ?
Quant à Chiara Appendino elle-même, son C.V.
porte aussi à confusion. Fille d’un industriel turinois,
elle obtient un master en économie internationale à
la célèbre université privée milanaise Bocconi. Elle
travaille ensuite pour le club de football le plus titré
d’Italie, la Juventus Turin. Malgré ce parcours de
première de la classe, elle aurait d’abord eu des
sympathies pour le leader d’une coalition des gauches
critiques SEL, Nichi Vendola (aujourd’hui disparue),
avant de rallier le Cinq Étoiles en 2011 et de passer
cinq ans sur les bancs de l’opposition à Piero Fassino.
D’un point de vue idéologique, le programme avec
lequel Chiara Appendino est élue en 2016 est, là
encore, difficile à classer. C’est un étrange mille-
feuille. D’un côté, des mesures qui semblent plutôt
pencher à gauche : rendre publique la gestion de l’eau
– un sujet clé en Italie –, rendre piéton le centre-ville
ou encore favoriser les petits commerces en empêchant
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l’installation de nouveaux hypermarchés. De l’autre,
la maire de Turin s’engage à démanteler les camps
des gens du voyage de la périphérie de la ville, ainsi
qu’à évacuer le squat de migrants de l’Ex-MOI. Ces
promesses semblent avoir séduit les Turinois. Dans un
sondage réalisé en janvier 2017, Chiara Appendino
remporte même la palme de maire le plus populaire
d’Italie, avec 62 % d’avis favorables.
Depuis, les choses se sont gâtées. Deux événements
ont plombé sa popularité l’an dernier. Le premier
épisode a lieu le 3 juin. Cette nuit-là, la Juventus
Turin affronte le Real Madrid en finale de la Ligue
des champions. Pour l’occasion, la Piazza San Carlo
accueille des milliers de supporteurs, qui suivent le
match de football sur un grand écran. Soudain, peu
après 22 heures, un mouvement de panique aux
causes encore incertaines se déclenche. Il va causer la
mort d’une femme et plus de 1 500 blessés.
Une enquête judiciaire pour homicide involontaire a
été ouverte à l’encontre de Chiara Appendino, accusée
de ne pas avoir prévu un dispositif de secours adéquat.
En octobre de la même année, une autre enquête est
ouverte, Appendino étant cette fois accusée de ne pas
avoir mentionné une dette de 5 millions d’euros dans
les comptes municipaux de 2016. Ces deux affaires ne
sont pas encore jugées. Mais Appendino sait qu’elle
joue son mandat sur un autre dossier, emblématique
de sa campagne : son aptitude à ressouder la fracture
entre le centre-ville et les banlieues turinoises. Et
d’après Fabio Versaci, élu M5S et président du conseil
municipal de Turin, interrogé par Mediapart, elle est
en train d’y parvenir.
« Nous avons mis en place le projet AxTO [Azioni per
le Periferie Torinesi], pour lequel le gouvernement
nous avait mis à disposition plusieurs millions
d’euros. Nous aurions pu utiliser cet argent pour
faire quelque chose de spectaculaire, immédiatement
visible par les citoyens. Mais nous sommes intervenus
de manière plus fine, pour assurer l'entretien d’écoles,
de jardins, de bâtiments ou de routes. C’est ce qu’on a
appelé la technique de l’acupuncture. » Une thérapie
dont le chef de l’opposition Stefano Lo Russo (PD)
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revendique pourtant la paternité : « AxTO est un projet
que nous avons nous-mêmes coordonné et qui a été
financé par le gouvernement Renzi. »
Autre résultat dont se prévaut Fabio Versaci : le
lancement des processus d’expulsion des migrants de
l’Ex-MOI, le village olympique construit pour les Jeux
olympiques de 2006, puis abandonné et désormais
occupé illégalement depuis plusieurs années par une
population majoritairement subsaharienne. Un squat
insalubre qui concerne un millier de personnes (dont
une minorité vivant dans les sous-sols) et dont Piero
Fassino avait rechigné à s’occuper. « Beaucoup
de personnes qui vivent dans ces bâtiments ont le
droit de rester en Italie, souligne Fabio Versaci.
Avec la collaboration d’une fondation [La compagnia
San Paolo – ndlr], nous menons des expulsions qui
s’accompagnent d’un processus d’intégration, via le
marché du travail. » Ce « processus » est difficile
à juger parce qu’il n’en est qu’à ses débuts. Le
Parti démocrate, loin d’être exemplaire en matière
migratoire, avoue à demi-mots qu’il va dans la bonne
direction.
Le démantèlement des camps de Roms est un autre
problème très sensible des banlieues turinoises. Fabio
Versaci revendique là encore une « méthode douce ».
« Nous ne croyons pas à une approche à la manière
de la Ligue, qui voudrait envoyer des bulldozers et
tout détruire. Là encore, il faut essayer d’intégrer ces
personnes. » À ce jour, les camps sont toujours à leur
place.
Qu’en est-il de la lutte contre la pauvreté, l’un des
axes de la campagne d’Appendino ? Pierluigi Dovis,
directeur de l’ONG Caritas à Turin, l’homme qui
avait pour la première fois évoqué le chiffre des
100 000 pauvres, repris par la suite par la candidate
du M5S, explique à Mediapart : « D'un point de vue
opérationnel, il y a des éléments d’innovation. Il y a
davantage de collaboration avec les structures privées
qui font du social. Cet hiver, face au froid, cette
collaboration a permis de loger plus de personnes
dans des habitations plus dignes. Cela dit, les
interventions du M5S ressemblent plus à des palliatifs
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qu’à des tentatives de changer les situations à la base.
D’ailleurs, les ressources pour combattre la pauvreté
n’ont pas été augmentées. »
À mi-mandat, les observateurs reprochent surtout à
Chiara Appendino son manque de vision stratégique.
Personne n’a une idée précise de ce à quoi devrait
ressembler la « Turin à Cinq Étoiles ». Pour Pierluigi
Dovis, « on a l’impression qu’ils vivent un peu au
jour le jour. Ils sont plutôt capables d’affronter des
situations d’urgence. Par contre, ils n’ont pas encore
prouvé leur capacité de créer des projets, d’insuffler
des dynamiques ».
Pour Gabriele Guccione, journaliste turinois du
Corriere della Sera, Chiara Appendino est un édile
« plus pragmatique qu’idéologique ». Ce qui, pour
un Mouvement qui se conçoit au-delà des clivages
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Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa,
Société des Amis de Mediapart.
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classiques, n’est pas si étonnant. « Ils se proclament
toujours ni de gauche ni de droite, et bien que ça
soit rhétorique de dire ça, il y a une partie de
vérité, poursuit Guccione. À Turin, les conseillers
entretiennent presque tous des sympathies plutôt de
gauche, même s’ils considèrent cette histoire en partie
dépassée. Ils ont aussi un électorat qui, par le passé,
a voté à droite et à qui ils doivent aussi donner des
gages. »
C’est dans ce contexte qu’il faut sans doute
comprendre le non du M5S turinois aux Jeux
olympiques, début mars : raviver l’âme contestataire
du Cinq Étoiles des origines. Peut-être la dernière
étincelle, avant de finaliser le virage institutionnel
amorcé par leur nouveau leader, le jeune et ambitieux
Luigi Di Maio, sorti grand vainqueur des élections de
mars, et qui se rêve président du Conseil.
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